LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 27 septembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui à 18 h 47 pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Le sénateur Dennis Glen Patterson (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bonjour.
Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs, aux membres du public dans la salle et à ceux qui nous écoutent sur Internet à la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Je tiens tout d’abord à reconnaître, aux fins de la réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées du peuple algonquin.
Je m’appelle Dennis Patterson, du Nunavut. J’ai le privilège d’être le vice-président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Notre présidente rendra hommage à la première femme nommée au Sénat du Canada, la sénatrice Chalifoux, dont les funérailles se tiendront demain à Edmonton. Je suis donc honoré de présider la réunion du comité ce soir.
Je demanderais à mes collègues de se présenter.
La sénatrice McPhedran : Je suis Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le sénateur Christmas : Daniel Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l’Ontario.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le vice-président : Merci, chers collègues.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur les nouvelles relations entre le gouvernement du Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous allons poursuivre notre examen des études et des discussions sur ce sujet. Nous sommes heureux d’accueillir trois aînés ce soir : Fred Kelly, Verna Porter-Brunelle et Claudette Commanda.
Je vous propose d’attendre que tous les témoins se soient exprimés avant de poser des questions.
Je demanderais maintenant à l’aînée Porter-Brunelle de commencer. Vous avez la parole.
Verna Porter-Brunelle, à titre personnel : Merci beaucoup. C’est un honneur pour moi d’être ici ce soir. Je tiens à souligner que nous sommes sur les terres traditionnelles non cédées de la nation algonquine. Je tiens aussi à saluer les aînés qui sont avec nous ce soir, de même que les membres du comité sénatorial et les autres représentants autochtones.
Je viens d’une petite ville du Nord, Gogama, qui se situe entre Sudbury et Timmins. Je suis sénatrice du Conseil provisoire de la Nation métisse de l’Ontario et j’habite à Huntsville avec mon mari, qui est ici dans la salle. Je siège à deux comités, dont le comité sur les déchets nucléaires. J’agis également à titre d’aînée pour la division de la justice.
Je représente les Métis, un peuple fier.
Aujourd’hui, j’aimerais vous faire connaître le point de vue de la Nation métisse de l’Ontario, la NMO, au sujet de la réconciliation. Contrairement à mes collègues qui sont capables de réciter leur discours par cœur, je dois tout lire. Vous m’excuserez.
C’est avec beaucoup d’espoir que j’envisage l’avenir des Métis de l’Ontario. Nos collectivités sont vibrantes, nos jeunes sont engagés et éduqués, notre culture est riche et nous voulons ouvrir la voie aux prochaines générations, à nos jeunes. Nous sommes un peuple fier et nous sommes profondément enracinés dans la province.
Or, la réconciliation s’avère nécessaire. Les Métis traînent encore aujourd’hui le poids du passé et des politiques coloniales actuelles du gouvernement. Pendant trop longtemps, notre peuple a été négligé et ses droits ont été niés par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial.
Par exemple, la Commission de vérité et réconciliation du Canada, la CVR, a consacré un volume complet de son rapport final de 2015 à l’expérience des Métis dans le système de pensionnats. Pour citer le rapport :
L’expérience des pensionnats vécue par les Métis est un sujet négligé depuis trop longtemps […] Il est indéniable que le préjudice subi par les enfants, leurs parents et la communauté métisse a été considérable. Cela reste une honte qu’un tel préjudice n’a pas été réparé.
Pour parler de mon expérience personnelle, ce n’est que dans la trentaine que j’ai pu renouer avec mes racines métisses. Ma famille ne voulait pas reconnaître que nous étions Métis et je suis certaine que c’est parce que mon père n’aurait pas eu d’emploi si cela s’était su.
À l’époque, les gens cachaient leurs origines métisses. Nous n’appartenions pas aux Premières Nations et nous n’appartenions pas non plus à la communauté blanche ni aux collectivités non autochtones. C’est donc une histoire de combat personnel pour trouver ses racines et comprendre son héritage.
Notre passé sombre — dont une partie est assez récente — continue d’affecter notre peuple et nos familles à ce jour. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît les Métis à titre de peuple autochtone du Canada et enchâsse les droits des Métis et d’autres revendications contre la Couronne dans la Constitution.
Dans le cadre de la discussion, il ne faut pas oublier que la Cour suprême a fait valoir que la réconciliation passait par la détermination, la reconnaissance et le respect des droits et revendications protégés, par l’entremise de négociations entre la Couronne et les Métis.
Depuis 1982, malgré la promesse de l’article 35, les gouvernements ont refusé une négociation officielle avec les Métis, qui ont dû se tourner vers les tribunaux pour obtenir justice. Dans une série de cas au cours des 15 dernières années, y compris la décision relative aux droits des Métis sur le bassin hydrographique dans l’affaire Powley de 2003, menée par la NMO, l’affaire de la Fédération des Métis du Manitoba Inc. de 2013 et l’affaire Daniels de 2016, la Cour suprême a reconnu les droits et revendications des Métis et a exhorté le gouvernement à entreprendre les négociations avec les Métis.
Aujourd’hui, la Nation métisse de l’Ontario et le gouvernement fédéral ont pris des mesures en vue d’une réelle réconciliation.
Le 3 février 2017, la NMO et le Canada ont signé un protocole d’entente visant à favoriser la réconciliation. Dans ce protocole d’entente, le Canada s’engage à travailler de nation à nation et de gouvernement à gouvernement avec la nation métisse par l’entremise de négociations bilatérales avec la NMO; il s’engage de plus à faire avancer la réconciliation et à renouveler la relation par l’entremise de la coopération et du respect des droits des Métis, en mettant fin au statu quo.
Le protocole d’entente prévoit une table de discussions exploratoires entre la NMO et le Canada dans le but de mettre en place un cadre d’ici l’automne 2017.
J’espère que cette nouvelle relation avec le Canada, après 150 années d’attente, nous permettra de travailler ensemble, de gouvernement à gouvernement et de nation à nation, afin d’améliorer la vie des Métis de l’Ontario et de partout au pays.
Je me dois de souligner l’importance pour le Canada d’aller de l’avant avec cette entente-cadre et la discussion qui s’ensuivra. Il est urgent d’agir et d’avancer sur plusieurs fronts. Par exemple, il n’y a pas très longtemps, la NMO a mis sur pied une commission sur les droits des Métis. Mon mari faisait partie des commissaires, qui se sont rendus dans 29 collectivités de l’Ontario pour connaître leur opinion et préparer des recommandations pour l’avenir.
La commission a préparé un rapport provisoire; de nombreux domaines prioritaires ont été dégagés de ces séances.
La santé et le bien-être sont des enjeux importants dans toutes nos collectivités. Le système fédéral actuel ne prévoit aucun accès pour les Métis, même si la province est un partenaire de longue date. Il est maintenant temps d’investir et d’améliorer les choses.
La surveillance des maladies chroniques et autres recherches de la NMO indiquent de façon constante que les Métis de l’Ontario présentent des taux plus élevés de maladies chroniques et des facteurs de risque accrus. De toute évidence, les Métis de l’Ontario glissent entre les larges mailles du système de santé provincial et fédéral. Il est urgent de travailler ensemble en vue d’élaborer un cadre en matière de santé et de bien-être propre aux Métis.
De plus, nous avons constaté qu’on négligeait notre éducation et notre formation. La NMO travaille avec tous les ordres de gouvernement et les collèges, universités, conseils scolaires et actionnaires du système d’éducation afin de veiller à ce que les étudiants métis aient les mêmes chances que les autres, qu’ils se reconnaissent dans le système scolaire et dans les programmes, et que tous les intervenants — et tous les Canadiens — respectent et reconnaissent que la nation métisse fait partie intégrante de l’histoire et du tissu contemporain de notre société.
La Nation métisse de l’Ontario défend les stratégies axées sur les ressources humaines autochtones qui sont en place depuis le début des années 1990; ces programmes ont changé la vie de nos familles de façon mesurable.
La NMO se réjouit à l’idée de collaborer à la conception et à l’élaboration d’une stratégie de réussite à long terme fondée sur la distinction qui reflète la réalité de la population métisse à l’échelle nationale et provinciale.
Le troisième enjeu important désigné par les commissaires est le logement.
L’accès à un logement sécuritaire et adéquat aide les personnes, les familles et les collectivités métisses à réaliser leur plein potentiel. Nous savons que l’accès à un logement adéquat, stable et abordable favorise la santé, l’éducation et l’emploi. Comme un très grand nombre de Métis n’ont pas accès à un logement adéquat et stable, la réussite dans ces domaines s’avère difficile, parfois même impossible.
Pour les aînés, il peut être très difficile de faire la transition de leur maison — et leur mode de vie — vers les établissements de soins de longue durée ou les maisons pour personnes âgées. Nous devons trouver des façons de veiller à ce que leur expérience soit aussi positive que possible et à ce que nos aînés se sentent chez eux, qu’ils se sentent acceptés et qu’ils sentent qu’on respecte leur mode de vie dans ces établissements.
Alors que nous allons de l’avant avec l’accord entre le Canada et la nation métisse, nous devons reconnaître qu’un logement adéquat est le fondement qui nous permet d’atteindre des résultats positifs en matière de santé, d’éducation et d’emploi dans nos collectivités. En travaillant ensemble, nous pouvons renforcer cette fondation et améliorer les résultats dans les domaines prioritaires.
La NMO a travaillé très fort pour raconter l’histoire de notre peuple de sorte que le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et la population canadienne puissent mieux la comprendre. Cette compréhension est essentielle à la réconciliation.
La NMO a préparé près de 100 trousses sur les ancêtres que l’on peut télécharger sur son site web. Ces trousses présentent des renseignements sur certains ancêtres des Métis de l’Ontario et sur leurs descendants, et établissent un lien direct avec nos collectivités métisses. Les arbres et les renseignements généalogiques nous permettent de retrouver nos ancêtres, jusqu’aux années 1900. C’est un travail important, qui offre des ressources pratiques pour faciliter les demandes de citoyenneté ou pour faire valoir nos droits en vertu de l’article 35.
Pour conclure, le Canada doit plus que jamais respecter ses obligations à l’égard des peuples métis de l’Ontario et marcher avec nous vers une vraie réconciliation. Si nous continuons sur cette voie, je suis certaine que nous améliorerons grandement la vie des Métis et de tous les Canadiens pour l’avenir.
Le vice-président : Merci beaucoup.
La parole est maintenant à l’aînée Claudette Commanda. Allez-y, madame.
Claudette Commanda, directrice générale, Confédération des centres éducatifs et culturels des Premières Nations : Bonjour.
[Français]
Bonjour à tous.
[Note de la rédaction : Le témoin s’exprime dans sa langue maternelle.]
[Traduction]
Mon nom spirituel est Celle qui danse avec les aigles ou Aigle qui danse dans le ciel, mais mon nom usuel est Claudette Commanda. Je suis une Algonquine de la collectivité de Kitigan Zibi. Je suis née et j’ai grandi dans cette collectivité; je vous souhaite la bienvenue sur ce merveilleux territoire du peuple algonquin, les AnishinaabeOmàmiwinini.
Pour le gouvernement, mon nom est 073079202. Cela signifie que je suis reconnue à titre d’Indienne en vertu de la Loi sur les Indiens. Mais je sais qui je suis : je suis Anishinaabe et je vous parle en tant qu’Anishinaabekwe. C’est un honneur pour moi d’avoir été invitée à témoigner devant vous.
Je n’ai pas préparé de rapport ni de données statistiques ou d’études. Je vais vous parler de mes expériences de vie, de mon expertise, de mes connaissances, de la sagesse que j’ai acquise de mes ancêtres et de mes parents, et de mon travail pour la Confédération des centres éducatifs et culturels des Premières Nations.
Je salue les aînés qui sont ici avec moi — l’aîné Kelly et l’aînée Verna — de même que tous les membres du comité.
Vous m’excuserez : j’ai dit que je n’avais pas préparé de document, mais j’ai dû prendre des notes, parce que j’ai tendance à oublier certaines choses. Je dois donc me fier à mes notes, parce que je souffre du grand M… Je ne parle pas de l’arche dorée de la chaîne McDonald, mais bien de la ménopause. Je devrai donc lire mes notes de temps à autre. Je vous prie d’être patients.
J’espère que je saurai vous transmettre ma passion et que vous m’écouterez avec compassion, parce que je vais vous présenter le point de vue des Premières Nations, des Anishinaabekwe, et vous faire part de mon rôle à titre de directrice générale de la confédération.
J’aimerais d’abord parler du thème de la séance : de nouvelles relations avec les Premières Nations. Il y a de nombreux sujets importants à aborder à cet égard. Il est tout simplement impossible de n’en choisir qu’un seul, au détriment des autres. Tous les sujets et tous les éléments sont importants : le logement, l’eau, l’éducation, l’emploi, la formation et la santé. Ils sont tous importants, sans aucun doute.
J’ai noté trois sujets importants que j’aimerais aborder avec vous : les langues, les terres et les traités. Chacun de ces éléments doit être respecté et validé. Ils font partie de notre identité, ils visent nos droits et ils englobent toutes les autres nécessités de la vie, que ce soit le logement et la santé ou l’accès à l’emploi et à la formation.
Je veux vous expliquer mon rôle à titre de directrice générale de la Confédération des centres éducatifs et culturels des Premières Nations. Qui sommes-nous? La confédération a été créée pour assurer le contrôle de l’éducation des Indiens par les Indiens. Notre organisation existe depuis 45 ans. Nous avons pour mandat de promouvoir, de protéger, de revitaliser, de préserver et de maintenir les langues des Premières Nations.
Nous le faisons depuis 45 ans. Les membres de nos collectivités sont les champions de la langue. Ils la défendent. En 1972, notre organisation s’est vu conférer le mandat d’aborder la question des séquelles des pensionnats indiens et de la perte de la langue et de la culture. Nous avons bâti nos systèmes d’éducation et nos programmes sur les piliers de la langue et de la culture.
Nous sommes une organisation nationale, sans but lucratif, qui regroupe 55 centres culturels. Ces centres se trouvent dans toutes les régions et dans tous les territoires du Canada. Ils sont très diversifiés, parce que nous savons que les langues et cultures des Premières Nations du Canada le sont également.
Les centres culturels ont pour mandat d’offrir — ou d’élaborer et d’offrir — des programmes et services d’éducation culturelle et linguistique très précis dans les collectivités. Ils sont très ancrés dans la collectivité.
Les aînés orientent notre travail. Nous profitons de leur sagesse.
Nous poursuivons notre mandat visant à promouvoir, à protéger, à préserver et à revitaliser nos langues et nos cultures. Nous assurons notre rôle visant à aborder la question des séquelles des pensionnats indiens — et aussi celles associées au système de protection de l’enfance — parce que nous savons que l’expérience des pensionnats indiens a donné lieu à des traumatismes intergénérationnels.
En ce qui a trait à la langue, notre travail vise l’immersion linguistique, l’élaboration des programmes, la formation des professeurs, l’archivage historique, la conservation, la sensibilisation interculturelle, le réseautage, les technologies multimédias et la collecte, l’archivage et la protection de la tradition orale. Nous jouons un rôle fondamental dans l’éducation des bandes et l’éducation du grand public.
Nous agissons à titre de système de soutien de second niveau pour les écoles : élaboration des programmes, formation des professeurs, élaboration des ressources linguistiques et perfectionnement des professeurs de langues. Nous savons que nos collectivités ont besoin de professeurs de langues et notre objectif premier est de veiller à ce que nos enfants aient le droit fondamental de parler leur langue.
La langue, c’est la vie. Nos langues sont vivantes et, si elles meurent, notre spiritualité et notre culture mourront également. La langue est liée à nos lois, à nos cérémonies et à nos modes de vie, que vous appelez notre culture. Nos langues représentent notre identité en tant que Premières Nations.
Niin Anishinaabe. Niin Anishinaabekwe.
Je suis un être humain, une Anishinaabe Omàmiwininiwak; nous sommes les chasseurs et les cueilleurs, ou les pagayeurs.
Nous utilisons le mot algonquin anishinaabemowin pour parler de la « langue », mais ce mot va bien au-delà de cela : c’est notre forme d’expression, notre identité en tant que nation, le reflet de notre attachement pour la terre et du lien qui nous unit à elle.
Ainsi, nos centres culturels misent sur la croyance fondamentale voulant que nos langues soient d’une grande importance et qu’elles doivent survivre pour assurer l’avenir de nos enfants.
Le gouvernement doit respecter et reconnaître nos langues. Il doit voir, comprendre et reconnaître que nos langues sont les langues premières, les langues d’origine de cette terre que nous appelons le Canada.
Nos langues ont pris naissance ici, elles ont été créées en cette terre que nous appelons le Canada et que les Premières Nations surnomment l’île de la Tortue. On ne trouve ces langues nulle part ailleurs dans le monde. Elles sont ici, au Canada, aux États-Unis ou à l’île de la Tortue.
Il est donc essentiel de poursuivre le travail sur le maintien des acquis linguistiques et la survie des langues, parce que nous voulons retrouver des langues saines, vibrantes et originales.
Notre organisation est financée par l’entremise du Programme des centres éducatifs et culturels du ministère des Affaires indiennes et du Nord. Cet été, nous avons réalisé une étude sur la maîtrise des langues et nous nous sommes d’abord penchés sur les Premières Nations du Canada. Selon le profil des Premières Nations du ministère des Affaires indiennes et du Nord, le Canada compte 973 937 Indiens inscrits. Notre rôle, à titre de Confédération des centres éducatifs et culturels des Premières Nations, vise uniquement les Indiens inscrits qui vivent dans les réserves, mais nous avons commencé à travailler en dehors des réserves également.
On compte 421 838 membres des Premières Nations associés à la cinquantaine de centres éducatifs et culturels du pays, ce qui représente 43 p. 100 de la population des Premières Nations. Nous offrons donc des programmes et services linguistiques et culturels à près de la moitié de la population des Premières Nations du Canada. Par l’entremise des langues et de la culture, nous transmettons à nos bandes des compétences culturelles qui auront une incidence sur d’autres domaines comme la santé, la justice, les services policiers, l’éducation et l’emploi.
Les centres éducatifs et culturels des Premières Nations de la confédération représentent 30 langues et un large éventail de dialectes. Nous recevons un financement annuel de 5 millions de dollars. Notre programme est fondé sur les propositions et pourrait disparaître à tout moment. Nous continuons de lutter pour un financement et des ressources adéquats pour protéger nos collectivités et nos langues.
Si l’on répartit les 5 millions de dollars qui nous sont octroyés parmi nos 421 838 membres, on obtient 1,50 $ par Première Nation. Cela étant dit, il est important de valoriser nos langues. Elles valent certainement plus que 1,50 $.
Les Premières Nations ont un lien profond avec leurs terres. Notre terre, c’est notre identité. Nos ancêtres ont marché sur cette terre. Nous sommes liés à nos ancêtres, mais nous devons avoir compétence sur nos terres et sur leurs titres, non seulement sur les réserves, mais aussi sur les terres ancestrales.
Nous savons tous que les traités représentent une relation sacrée. L’esprit et l’intention des traités visent le partage des terres et des ressources naturelles, et la coexistence. Les traités se fondent sur nos lois. Ils reflètent l’esprit de nos ancêtres, l’esprit du Créateur et l’esprit de nos prières. Ils représentent la vie et la relation spéciale qui existe entre les Premières Nations et les colons.
Donc, pour conclure, la nouvelle relation entre les Premières Nations et le Canada passe d’abord par la vérité; et la « réconciliation » ne peut pas être uniquement un beau mot rassurant… Non. La réconciliation, c’est la vérité et c’est l’action. Il faut que la réconciliation passe par l’action.
Pour établir une nouvelle relation, il faut que tous les Canadiens connaissent le passé. Il faut connaître la vérité et connaître le passé. Les Premières Nations — dans mon cas, il s’agit de la nation Anishinaabe, des Algonquins — ont une tradition orale. Nous réfléchissons toujours au passé en raison de notre histoire orale, que nous appliquons à notre vie quotidienne et qui nous accompagnera pour l’avenir également. Il est donc important de connaître le passé. Les Canadiens ont un devoir à cet égard.
Il faut comprendre le futur, mais pour cela, il faut comprendre le présent. Connaître le passé, comprendre le présent et voir le futur à travers la vérité et la réconcili-action, écouter les Premières Nations et veiller à ce qu’elles participent à la prise de décisions et à ce que leur voix soit entendue et valorisée, parce que nos collectivités et nos aînés sont les champions; ce sont les experts. Nous avons des solutions.
Si l’on pense au suicide, celui des jeunes et des enfants, la guérison passera par notre culture et par nos langues. Ces programmes sont essentiels en vue d’intervenir et de prévenir le suicide. Voilà pourquoi il faut valider nos langues, pourquoi le travail des centres éducatifs et culturels doit tenir compte de tous les volets de la vie communautaire, et pourquoi le gouvernement du Canada doit tenir compte des centres éducatifs et culturels dans tous ses programmes et politiques. Merci. Meegwetch.
Le vice-président : Merci beaucoup, madame. Vous nous avez certainement transmis votre passion.
Je cède maintenant la parole à l’aîné Fred Kelly.
Fred Kelly, à titre personnel : Meegwetch, monsieur le vice-président. Je félicite les sénateurs qui siègent dans la chambre sacrée du Sénat de leur nomination. Je vous rends hommage et je vous accorde mon plus grand respect. Nous en sommes à une étape où les jeunes générations nous perçoivent comme étant des gens expérimentés; ils nous appellent les « sénateurs » ou parfois les « aînés ». Je vais vous expliquer ma situation.
On m’appelle un aîné, mais pour moi, les aînés ont une certaine sagesse et certaines connaissances. Je ne prétends pas avoir ces connaissances. Je ne prétends pas avoir cette sagesse, mais les gens m’appellent ainsi. J’en suis honoré.
Je vous salue donc au nom de la nation Anishinaabe du traité no 3, dont je fais partie.
Avant d’aller plus loin, je tiens à saluer nos ancêtres de l’île de la Tortue, tous les ancêtres de l’île de la Tortue. Ils sont avec nous aujourd’hui. Je tiens également à saluer vos ancêtres, ceux qui viennent des terres ancestrales de l’autre côté de l’océan. Je salue les ancêtres de ce beau territoire sur lequel ont été érigées ces institutions. Que la vision de ces ancêtres pour nos nations respectives se réalise et porte ses fruits. Je salue les Inuits. Je salue les soi-disant Indiens de la Constitution, que j’appelle les Autochtones de l’île de la Tortue. Je salue les Métis, tous mes frères et sœurs, et je salue les prochaines générations qui sont ici avec nous aujourd’hui, même si nous ne les voyons pas, et qui nous écoutent.
Aujourd’hui, nous avons l’occasion de faire preuve d’humilité et de sincérité. Il faudra bien écouter ce que je m’apprête à vous dire, puisque les institutions qui ont empiété sur notre territoire et qui nous ont été imposées ne sont pas très reluisantes.
Aujourd’hui, je me suis promené dans les rues d’Ottawa pour voir à quoi ressemblait la ville 150 ans après la Confédération. Cela m’amène à vous souhaiter une très bonne fête. En tant que bon voisin, je vais même me couper un morceau de gâteau et le manger avec vous, prendre une tasse de café et célébrer avec vous.
Je ne dis pas cela pour plaisanter, mais pour vous rappeler que, depuis la Confédération, le Canada se fonde sur le mythe voulant qu’il y ait deux nations fondatrices : les Français et les Anglais… Il n’y a là aucune reconnaissance de la présence des nations autochtones, qui étaient là en premier.
Il aurait été logique qu’on reconnaisse cela de manière officielle au cours des 150 années qui ont suivi la Confédération. Oui, nous nous sommes battus bec et ongles pour faire reconnaître nos traités et les droits des Autochtones en vertu de l’article 35, et j’ai fait partie de ces négociations. Nous avons reconnu les autres institutions, dont j’ai été prisonnier dès l’âge de quatre ans et demi, dans un pensionnat, pour la seule et unique raison que je suis un Anishinaabe, et pour tuer l’Indien en moi. Vous avez presque réussi.
Or, je suis heureux de vous dire — et je publierai un livre à ce sujet — que je m’en suis remis dans une certaine mesure. Je suis heureux de vous dire que cette lutte, cette incursion… Sans vouloir offenser qui que ce soit dans ses croyances personnelles, la religion catholique et le pensionnat catholique dans lequel j’ai été incarcéré ont presque réussi à m’enlever ma langue, ma spiritualité, ma culture et ma relation avec la terre. Je suis heureux de vous dire qu’aujourd’hui, je suis un païen régénéré. Si être païen veut tout simplement dire être un non-croyant, alors je suis fier de l’être. Mais cela ne veut pas dire que je ne crois en rien. Je crois en vous tous. Je vous l’ai dit : je respecte chacun d’entre vous. Je respecte vos familles. Je respecte vos collectivités et vos enfants.
Le moment est venu. En 1965, j’ai eu le privilège d’organiser la première marche en son genre dans le pays des Anishinaabe, au Canada. À une époque où l’on allumait des feux pour les droits civils, nous avons marché.
À l’époque, j’avais parlé aux non-autochtones, que j’appellerai les non-Indiens, « votre peuple » et « notre peuple ». Depuis, il y a eu de nombreux mariages entre votre peuple et le mien. Je ne peux plus parler de « vos enfants » et de « mes enfants ». Ce sont maintenant « nos enfants »; nos prochaines générations. C’est là que se trouvent les racines de la réconciliation.
Je tiens aussi à vous dire que notre peuple ne définit pas la réconciliation. Au mieux, nous la décrirons en des termes littéraux, mais ce qui compte pour nous, c’est de ressentir ce mot. La réconciliation a donc toujours fait partie de nos vies; elle se fait avec la terre ou avec les arbres, dont je fais partie intégrante parce que nous sommes tous interreliés. Permettez-moi de vous en parler. Vous avez devant vous un diagramme, parce que notre société a une tradition orale, qui se traduit par des images. Nous respectons en grande partie cette tradition.
J’aimerais vous parler des peintures rupestres, des visions en images, et les interpréter pour vous. Même si je parle peu, j’espère que vous ressentirez ce que je veux vous transmettre. C’est très simple. C’est ce que souhaitaient nos ancêtres lorsqu’ils ont accueilli les gens venant de l’autre côté de l’océan. Nous avions prédit leur arrivée et notre peuple à l’est savait qu’ils arriveraient au cours des prochains mois, de la prochaine lune. Mais les Vikings étaient déjà passés par ici. Bien avant Christophe Colomb, les Vikings étaient là; des gens sont venus ici. C’est avec eux que nous avons jeté les bases du commerce au large des Grands Bancs, et nous nous entendions bien.
Plus tard, lorsque les diverses puissances coloniales ont tenté de prendre le pouvoir de l’île de la Tortue, elles se sont battues et nous ont considérés comme des alliés. Nous avions donc des alliés. Nous avions des alliances.
Puis est venu le temps d’établir des relations officielles, et je tiens à vous dire que c’est le chef Pontiac, un Anishinaabe, qui a été l’instigateur de la Proclamation royale de 1763 qui promulguait le processus des relations découlant des traités. À l’époque, on avait donné pour directive aux puissances coloniales, aux surintendants des affaires indiennes, d’apprendre à connaître nos chiffres, nos lois et nos institutions. On reconnaissait donc déjà que nous n’étions pas de simples sauvages non civilisés, et que nous avions nos propres systèmes. Ce qui était bel et bien le cas. Toutefois, ces systèmes étaient très différents des leurs. Ce n’est pas pour rien que mon diagramme fait référence à la réconciliation des souverainetés. Je ne définis pas le mot « réconciliation », mais je l’explique par le monde vivant.
Le mot « souveraineté » est un mot français, qui est une très belle langue. Je ne parle pas bien le français ni très bien l’anglais, mais j’espère que je saurai faire passer mon message.
Dans l’histoire de l’humanité, aucune mesure unilatérale n’a jamais donné lieu à la liberté; c’est ce qui s’est passé avec les traités, parce qu’il n’y a eu aucune participation de la part des premières provinces. Il n’y a eu aucune consultation ni aucun partenariat avec les peuples d’origine. Nous faisions partie de la terra nullius, le territoire non habité, que peut occuper celui qui le découvre, puisqu’il n’y a rien d’autre que des animaux; c’est ce que nous étions pour eux. Je suis fier d’être le frère et la sœur de ces beaux animaux et de toute la vie qui se trouve ici.
Nous disposions donc de nos systèmes, et ils existent encore à ce jour, bien qu’on ne les voie pas, car nous n’étions pas autorisés à en avoir. Nous devons exercer notre liberté inhérente grâce à la permission qu’accordent la Loi sur les Indiens et d’autres mesures législatives. Cela ne correspond pas à l’intention des traités, dont l’esprit visait la réconciliation des souverainetés, que nous appelons bimaadiziwin.
Voilà qui m’amène à la décision de la Cour suprême, à laquelle je me réfère parce qu’elle a été prononcée par les institutions du Canada. Le juge Williamson, un Nisga’a, a déclaré que l’objectif d’un traité consistait à réconcilier les souverainetés.
Notre peuple a indiqué que le régime canadien est fondé sur la paix, l’ordre et la saine gestion, alors que celui des États-Unis se base sur la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Le nôtre s’appuie sur deux mots anishinaabe: bimaadiziwin gizhewaadiziwin. Bimaadiziwin signifie la « vie » qui imprègne la moindre chose, du plus petit grain de sable ou de l’insecte le plus minuscule à la galaxie la plus vaste. Gizhewaadiziwin signifie essentiellement « gentillesse », mais son sens est plus vaste que cela et englobe tout ce qui relève de la manière de faire de Gitchi Manitou, c’est-à-dire Dieu, le Créateur tout-puissant. Peu importe le nom que vous attribuez à votre Étre suprême dans votre langue, nous l’appelons Gitchi Manitou.
Vous pouvez voir dans la racine de Gizhewaadiziwin qu’il s’agit de la manière de faire du Créateur. Cette manière inclut, sans s’y limiter, ce que j’appelle les sept enseignements des grands-pères, mais aussi le droit véritable…
[Note de la rédaction : M. Kelly s’exprime dans une langue autochtone.]
… la société de droit et la société d’affaires de notre peuple. Cette manière inclut tout cela, ainsi que les sept lois de la création. Je n’emploie pas le mot « loi » librement, mais au sens propre, car il ne s’agit pas de principes ou de platitudes, mais de lois de la vie: l’amour, la gentillesse, le partage, la vérité, le courage, le respect et l’humilité. Voilà les lois que nous devons respecter.
Nos systèmes ne font pas la différence entre l’inanimé et l’animé, entre le profane et le sacré. Tout cela ne fait qu’un...
[Note de la rédaction : M. Kelly s’exprime dans une langue autochtone.]
…, ce qui signifie « loi sacrée ». C’est notre constitution, car une constitution, en termes simples — et comme j’ai un esprit simple, je dois employer des termes simples —, est tout bonnement la loi suprême d’un peuple.
Faut-il présumer que notre peuple, qui a survécu pendant des générations, pendant des milliers et des milliers d’années, n’avait pas la moindre loi? Nous en avions, et c’est de cela que je parle. Je ne parle pas de reconnaissance, mais de respect. Je respecte les lois du Canada, comme je vous implore de respecter la nôtre.
Mais sommes-nous dans une impasse quand je parle de cela? C’est ici que la réconciliation entre en jeu. Je vais donc vous expliquer ce qu’il en est, afin de ne pas vous parler toute la nuit alors que mes sept minutes sont probablement déjà écoulées.
Permettez-moi de vous dire ceci. Quand j’ai négocié une entente d’autonomie gouvernementale avec le gouvernement fédéral, ce dernier voulait que nous écrivions notre constitution. Or, notre constitution est orale et ne doit pas être écrite. Le fait même de la coucher sur papier est illégal. Comme ma bonne sœur l’a fait remarquer, la langue anishnaabe n’est pas une langue écrite.
Vos lois doivent être comprises et interprétées en anglais ou en français. La nôtre n’est pas différente. Elle doit être interprétée, comprise et appliquée en langue anishinaabe quand la nation Anishinaabe est concernée.
Si je vous explique cela, c’est parce qu’il s’agit d’une loi sacrée, et la loi sacrée ne relève pas exclusivement du domaine du Créateur. Comment savoir ce que le Créateur pense? Pour le savoir, nous tenons toujours des cérémonies afin de déterminer les messages par l’entremise de nos institutions. Ce sont des institutions de gouvernance, les organes au moyen desquels nous nous gouvernons.
Cependant, quand on nous demande d’écrire notre constitution, ceux qui nous le demandent sont dotés d’une constitution qui n’est pas inhérente, mais plutôt déléguée par la Grande-Bretagne.
Les Pueblos, les Maoris et d’autres nations n’ont pas de constitution écrite. L’Angleterre, qui a délégué sa constitution du Canada, n’a pas de constitution écrite. Cependant, pour surmonter cet obstacle, nous devons écrire la nôtre. Or, nous ne pouvons pas le faire. Bien des choses ne peuvent être faites, mais il y a un moyen de s’entendre. Voilà ce dont je veux vous parler.
La loi nous vient du Créateur et de nos ancêtres. Il y a donc un historique, et vous croyez aux antécédents, aux précédents. Nous avons nos lois et notre histoire, qui sont aussi légitimes et valables que n’importe quelles autres. Je ne vous demande pas, mais vous implore d’admettre ce fait. C’est un fait.
C’est de cette histoire que le Canada est né. On vous a indiqué que le Canada tire son origine des peuples autochtones, de la Confédération Haudenosaunee dont font partie les Iroquois, un peuple magnifique que j’honore et pour lequel j’éprouve respect et amour. La nation Anishinaabe a d’ailleurs conclu des traités avec lui.
En ce qui concerne la nation Anishinaabe du traité no 3, vous remarquerez dans le diagramme que le mot clé est « du »: la nation Anishinaabe du traité no 3. Nous faisons partie de la nation plus vaste de l’île de la tortue, de la nation Anishinaabe dont le territoire s’étend de la côte Est aux montagnes Rocheuses et jusque dans les Carolines. Voilà la superficie du territoire des Anishinaabe, que nous avons partagé avec les Haudenosaunee, les peuples parlant la langue sioux et de nombreuses nations.
Je transporte une pipe que mes ancêtres avaient avec eux lors de la signature de 1701, à laquelle ont assisté de vraies nations, pas des Premières Nations ou des bandes assujetties à la Loi sur les Indiens. Ces traités existent encore.
Nous faisons partie de cette grande nation et nous considérons donc comme la nation Anishinaabe du traité no 3.
Je suis citoyen de cette nation. J’en suis un ancien chef. Je suis un ancien grand chef de la nation Anishinaabe du traité no 3, et je continue de conseiller les chefs nationaux encore aujourd’hui, car j’ai l’honneur d’être appelé à participer à la constitution de ces institutions ou de ces organisations, qui existent encore. Je les ai rencontrées de nouveau hier soir.
Pour ce qui est du Canada, il est constitué des gouvernements de la Couronne, des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, des administrations municipales et des institutions.
Pour notre part, nous avons un gouvernement traditionnel. Ainsi donc, dans mon territoire, le grand conseil du traité no 3 constitue le gouvernement traditionnel de la nation Anishinaabe du traité no 3, et nous sommes dotés de lois.
Cependant, comme il s’agit de lois orales, nous ne pouvons pas écrire de constitution. Il existe toutefois quatre paliers de loi : la loi sacrée, qui ne peut être écrite, la loi traditionnelle, qui ne pas l’être non plus, et la loi anishinaabe, dont certaines parties peuvent être écrites. Ces parties écrites nous donnent le privilège de rédiger nos lois en français ou dans d’autres langues pour que nous puissions nous entendre avec d’autres peuples.
Ces gouvernements ont édicté des lois de l’État, alors que de notre côté, nous avons…
[Note de la rédaction : M. Kelly s’exprime dans une langue autochtone.]
…, ce qui signifie essentiellement « loi ». Il s’agit de la loi proprement dite, ainsi que du processus d’exercice du pouvoir. Il s’agit de l’élaboration de lois et de l’exercice du pouvoir.
Cependant, si nous affirmons ne pas faire partie du Canada parce que nous n’avons pas été invités, même si nous avons accueilli ceux qui accumulent les richesses et même s’il existe des traités, vous remarquerez que le traité… J’étais aussi présent lors des négociations relatives à la Constitution canadienne, en 1982, et cette constitution fait référence au traité et aux droits des Autochtones. J’avais proposé le mot « garanti » en plus de « reconnaissance » et « affirmation ». C’est tout aussi bien.
Mais voici ce qui est intéressant. C’est quelque chose dont je veux vous parler et que vous sauriez. Après la conclusion du traité, nous devions amorcer une nouvelle relation. Combien de nouvelles relations avons-nous entamées au cours de cette période? Depuis la conclusion de notre propre traité en 1873, à partir du moment où nous vous avons accueillis, depuis la Proclamation royale de 1763, combien de relations avons-nous commencées? En 1969, nous étions censés amorcer une nouvelle relation. La Commission royale sur les peuples autochtones devait marquer le début d’une nouvelle relation, avec un énoncé de réconciliation et d’autres mesures. La Commission de vérité et réconciliation est censée faire de même. Mais comme ma bonne sœur l’a souligné, ces démarches constituent des actions ponctuelles; c’est pourquoi on parle d’« appel à l’action ».
J’ai assisté au volet intime de ces négociations, car j’ai participé à ces démarches aux côtés du grand chef national Phil Fontaine, de Kathleen Mahoney, de Bob Watts, de Charlene Belleau et de plusieurs avocats. Après 1982, nous avons créé une industrie. Après toutes ces démarches, où en sommes-nous? La boîte est-elle vide ou pleine? Je pensais que je savais ce que je faisais. Subitement, les avocats ont commencé à créer des sections pour s’occuper de l’article 35 au sein de leurs cabinets. Peu après, la Couronne a commencé à remplir la boîte avec ses prononcés, et la boîte a commencé à se remplir. Maintenant, il existe enfin un principe de consultation, mais ces consultations sont menées conformément aux politiques et à la jurisprudence existantes. Nous avons créé une industrie de plusieurs milliards de dollars pour les cabinets d’avocats, mais, comme on l’a fait remarquer, les conditions de vie de notre peuple n’ont pas changé.
Je ne témoigne pas pour vous parler de cela et vous rappeler les faits. Vous les connaissez. Je suis certain que vos oreilles bourdonnent à force d’entendre les récits horribles qu’on vous a racontés, et je ne vais pas les adoucir. Cela étant dit, je vous propose d’écouter un fait. Je vous implore d’éduquer l’autre Chambre. Même si je respecte énormément les ministres actuels, la question dépasse leurs compétences. C’est à l’ensemble du gouvernement du Canada de parler de nation à nation, pas simplement aux ministres ou aux dirigeants politiques de parler aux chefs. Il faut se parler à titre de nations, dans le vrai sens du terme.
Je traiterai des lois canadiennes et des nôtres. Même si je ne possède pas de connaissances ou de sagesse particulières, je vous transmets un fait historique que m’ont inculqué les aînés des temps anciens et vous fais part de leur intention quand ils m’ont dit : « Je vais te dire ce que le Créateur nous a indiqué quand il nous a créés sur cette terre. Il nous a donné des lois que nous devons respecter. »
Vous avez donc vos lois. Nous ne sommes pas dans l’impasse. La situation exige que nous agissions, mais que convient-il de faire? C’est maintenant qu’il faut agir, et ce n’est pas difficile de le faire, puisque la volonté politique est là. J’appelle cette initiative « l’harmonisation de l’administration des lois ». Les lois canadiennes ne seront pas négociées avec nous. De même, nous ne voulons pas exercer les pouvoirs fédéraux ou provinciaux. Nous ne souhaitons qu’exercer nos propres pouvoirs, et pour ce faire, nous devons nous entendre avec vous. Nous harmoniserons l’harmonisation, l’administration de vos lois et nos lois, ainsi que la manière dont elles fonctionnent ensemble. Ce sera le point de rencontre, le point de réconciliation, car ce qui nous attend au bout du compte, c’est la liberté, la souveraineté et la réconciliation. Les aspects pratiques de tout cela sont les aspects pratiques du droit inhérent et de l’autonomie gouvernementale; pas les platitudes et les déclarations, mais les aspects pratiques. Mais comment vos lois et les nôtres s’harmoniseront-elles afin d’être appliquées concrètement dans les secteurs de l’éducation et des soins à l’enfance, et dans tous ces domaines? Il faut que nous bénéficiions de gouvernements autonomes efficaces, comme nous en avons toujours eu au fil des siècles. Nous avons partagé bien des choses avec vous, mais le temps est venu une fois de plus de faire appel à l’inspiration des sept lois de la création. Il y a tout d’abord l’amour, mais pas l’amour romantique qui nous fait marcher main dans la main, bras dessus bras dessous, enlacés en allant vers l’horizon. Je parle de l’amour dans le sens que lui a conféré le Créateur en stipulant que nous sommes frères et sœurs. Dans ma langue, le mot « famille » signifie :
[Note de la rédaction : M. Kelly s’exprime dans une langue autochtone.]
Cela se traduirait par « cœurs fusionnés en un seul ». C’est ce que nous sommes, conformément à la volonté du Créateur. Il y a donc l’amour, la gentillesse, l’union en un seul cœur; pas d’hégémonie ou de sujétion, mais un partenariat d’égal à égal. Voilà ce qu’est le respect l’amour, la gentillesse et le partage. Dans notre loi traditionnelle, il n’existe pas de concept d’extinction ou de reddition, comme on en trouve dans les traités. Dans notre langue, nous acceptons de partager. C’est une loi.
Si notre peuple avait compris cela, jamais il n’aurait signé ces traités, parce que l’interprétation était erronée. Je le répète: l’amour, la gentillesse, le partage et le respect sont importants. J’ai aussi évoqué les autres valeurs : amour, gentillesse, partage, respect, vérité, courage et humilité.
J’ai indûment dépassé mes sept minutes, mais j’espère avoir été clair. Nous pouvons traiter pendant des jours et des jours de la question, mais si, à titre de sénatrices et de sénateurs, vous cherchez la réponse, la solution, elle se trouve dans ces sept lois de la création et dans les aspects pratiques de la réconciliation de la souveraineté, comme le stipule la Constitution canadienne. Vous comprenez ce que je vous dis. Je ne débite pas des platitudes : je parle d’aspects pratiques. Vous le comprenez. La question dépasse les politiques de parti et la politique; elle concerne…
[Note de la rédaction : M. Kelly s’exprime dans une langue autochtone.]
… la vie. Elle concerne…
[Note de la rédaction : M. Kelly s’exprime dans une langue autochtone.]
… les sept lois de la création et d’autres enseignements. Meegwetch, monsieur le président. Je suis désolé d’avoir trop parlé.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Kelly. Il ne m’est jamais venu à l’esprit de vous interrompre. Votre exposé était fascinant.
Je voudrais maintenant laisser la parole à certains de mes collègues pour qu’ils posent des questions. Nous commencerons par le sénateur Tannas.
Le sénateur Tannas : J’aimerais vous remercier de témoigner, de vous être exprimé avec votre cœur et de nous avoir fait part de votre sagesse. La première phase de notre étude est presque terminée. Nous discutons de ce que devrait être notre nouvelle relation, et ce qui nous motive dans le cadre de nos travaux, c’est exactement ce dont vous avez parlé, monsieur Kelly. Nous nous sommes trouvés à ce point, ou nous avons eu l’impression d’être à ce point, à maintes reprises. Cela étant dit, quand tout le monde fait preuve de bonne volonté, il y a de bonnes personnes dotées des bonnes intentions, et nous voulions essayer de faire une sorte de contribution. Or, nous trouvions important d’essayer de faire un peu la lumière sur ce que l’avenir devrait être. Qu’est-ce que la perfection pour vos descendants?
Je suis croyant, et j’ai été inspiré à appuyer cette étude en me disant que si on veut aller quelque part, il faut commencer par savoir où on se trouve. Si on est dans un marécage, on ne peut pas dire : « Oh, je suis dans une magnifique forêt », alors qu’en fait, on se tient dans un marécage. On ne peut pas faire cela. On n’ira nulle part si on n’admet pas qu’on est où on est.
Il est toutefois tout aussi important de savoir où on veut aller. Il me semble qu’un grand nombre d’informations m’indiquent que nous nous trouvons dans un marécage, mais la situation n’est pas claire pour moi, à titre de sénateur qui fait partie de ce comité depuis quatre ans et demi, qui s’est adressé aux Canadiens et aux Albertains et qui a obtenu 350 000 voix pour venir ici parce que cette question lui tenait à cœur. Par contre, après tout ce temps, je ne sais pas où nous allons.
De quoi l’avenir est-il fait? De quoi a l’air le quotidien des enfants des enfants de vos enfants? Quelles interactions ont-ils au Canada? Où vivent-ils? Que voulez-vous? Si vous le pouvez, dites-nous ce que vous souhaitez dans votre cœur et dans votre esprit pour vos descendants. Dites-nous comment ils vivraient parfaitement au Canada. Si tout était résolu, si tout était négocié et corrigé, et que tout cela était de l’histoire ancienne pour vos arrière-arrière-petits-enfants, de quoi leur vie serait-elle faite?
Je serai très heureux d’entendre toute observation de votre part.
Le vice-président : Je demanderais peut-être à tous les témoins de répondre à cette question très axée sur l’avenir, s’ils le souhaitent, à commencer par monsieur Kelly. Allez-y, s’il vous plaît.
M. Kelly : Combien de temps m’accordez-vous, monsieur le président? Ne répondez pas.
À mon avis, il semble que le problème, c’est l’identité. Je crois que vos enfants savent qui ils sont, parce que vous le leur avez appris. Vous les avez élevés.
Nos peuples sont assujettis à un mythe. C’est la Loi sur les Indiens qui détermine ce qu’il en est. Si l’on veut aller au-delà de la Loi sur les Indiens, les gens semblent avoir du mal à comprendre ce qui se passe. Je peux vous le dire. Liberté. Rompre les chaînes.
J’ai eu l’honneur de discuter avec Nelson Mandela lorsqu’il est venu ici. Je lui ai donné une veste qu’il a portée fièrement. Il m’a invité à aller en Afrique du Sud. Je lui ai dit qu’il devait être bien d’être libre et que même à ce jour, nous luttions pour la même chose ici, au Canada.
Il a dit ceci : « Vous y parviendrez, mais n’oubliez pas que lorsque vous aurez cette liberté, vous devrez être gentil avec les gens qui vous ont emprisonnés.» Voilà le défi. Pouvons-nous être aussi gentils?
Or, j’ai une certaine identité, je suis Anishinaabe, avec tout ce que cela représente sur le plan des lois et de l’identité. Ce n’est pas banal, car lorsqu’on sait qui l’on est et d’où l’on vient et qu’on participe pleinement à la vie dans ce pays, on a cette liberté. On est libre de s’exprimer et de participer en fonction de ses lois et de son mode de vie. Voilà ce qui se passe, selon nous.
Nous devrions donc parler de ce qui se passera après l’abolition de la Loi sur les Indiens. Vous constaterez que ce dont je parle ici, ce sont les aspects pratiques de toutes les lois, de l’idée de vivre avec vous en paix et en harmonie. Je crois que c’est ce que nous souhaitons.
Encore une fois, je n’ai pas de vision me permettant de dire que nous vivrons heureux jusqu’à la fin de nos jours. Nous aurons à la fois les mêmes difficultés et les mêmes réussites.
Donc, si vous vous débarrassez de ces dispositions législatives, commencez par vous pencher sur la question de l’identité. Il s’agit de supprimer les dispositions qui déterminent qui est un Métis, un Indien ou un Inuit. Qui détermine si vous êtes Canadien, sénateur? C’est votre code de citoyenneté, et vous en bénéficiez.
C’est par là qu’il faut commencer. Je ne veux pas aller plus loin, monsieur le président, car je veux m’assurer que d’autres personnes peuvent s’exprimer. Or, à mon avis, voilà l’essentiel lorsque je parle de liberté.
Le vice-président : Merci. Madame Porter-Brunelle, aimeriez-vous essayer de répondre à cette question difficile?
Mme Porter-Brunelle : Oui. Il s’agit donc de dire de quoi la vie de nos enfants, de nos descendants sera faite.
L’an prochain, la Nation métisse de l’Ontario aura 25 ans. Elle est donc très jeune. Puisque nous n’avons pas l’expérience qu’ont mes deux collègues, il nous reste beaucoup de chemin à faire. Nous avons quelques routes cahoteuses à parcourir.
Comme l’a dit monsieur Kelly, pour savoir vers quoi nous nous dirigeons, nous devons savoir d’où nous venons, et nous, les Métis, avons eu de la difficulté à déterminer où nous allons parce que nous avons été couverts de honte et nous n’avions pas la liberté. Nous vivions cachés. Qui veut être relié à Louis Riel, qui a été pendu? Nous avons donc vécu cachés, et il nous a fallu beaucoup de temps pour reconnaître qui nous sommes.
Le système d’éducation a maintenant des documents permettant aux élèves de s’identifier en tant que Métis ou Inuit, par exemple, ce qui est très utile. Ils sortent enfin de l’ombre ou de leur cachette, selon la façon dont vous voulez l’exprimer. Cela nous a donc aidés.
Je pense que ce sera une grande étape : savoir qui sont les Métis et d’où ils viennent.
Il y a quelques semaines, j’ai participé à un rassemblement des aînés, à Edmonton. Il y avait 4 600 personnes, et je me souviens avoir dit à une personne qu’elle n’avait pas beaucoup parlé des « Métis » dans son discours. Une personne parmi les amis avec lesquels j’étais a dit « Eh bien, si ce n’était pas de nous, vous ne seriez pas ici.» C’était une dame autochtone.
Nous honorons donc nos origines, mais nous ne faisons que commencer à dire que nous sommes descendants de Premières Nations et nous sommes fiers d’avoir du sang européen. Je pense donc qu’enseigner à nos jeunes et les rendre fiers constituent une étape.
Le vice-président : Merci. Madame?
Mme Commanda : Quelle question piège. Comment peut-on y répondre en 60 secondes? Comment peut-on parler des temps immémoriaux en 60 secondes ou en 7 minutes? Comment expliquer ce qu’est l’identité?
J’aime beaucoup ce qu’a dit M. Kelly, parce qu’il a mis le doigt sur le problème. L’identité. C’est tellement important, l’identité. J’ai aimé particulièrement, également, ce qu’il a dit au sujet de la participation à part entière à la vie dans un pays.
Que pourrais-je ajouter? Par où commencer? Il y a tant à dire. Quel avenir imaginons-nous pour nos descendants? De quoi sera-t-il fait? Tout d’abord, seul le Créateur est parfait. C’est la première des choses.
Ce que j’aimerais voir, c’est un avenir où nos enfants peuvent vivre dans ce pays, leur pays natal, où ils ont été créés et où ils vivent; où ils vivent dans un pays pacifique où on les respecte pour ce qu’ils sont; où ils n’ont pas à avoir peur du racisme; où nos femmes et nos enfants n’ont pas à craindre de disparaître ou d’être assassinés; et où nos enfants sont respectés pour qui ils sont.
De plus, nous sommes tous des Canadiens. Tous les Canadiens célébreraient la culture, les modes de vie et l’identité des Premières Nations. Venez apprendre qui nous sommes et célébrer avec vous.
Ce qu’a dit l’aîné Fred est vrai; nous ne sommes pas un mythe, mais malheureusement, nous en sommes devenus un, ou nous sommes devenus une industrie qui rapporte beaucoup. La spiritualité autochtone est devenue une industrie très lucrative. Je suis sûre que vous avez entendu parler du livre intitulé Disrobing the Aboriginal Industry: The Deception Behind Indigenous Cultural Preservation. Voilà ce que nous sommes devenus : une industrie de 1 milliard de dollars. Pourtant, nous sommes les plus pauvres parmi les pauvres. Ce que nous souhaitons pour l’avenir, c’est que nos enfants ne vivent pas dans la pauvreté, parce que nous n’avions jamais été pauvres auparavant. Nous n’étions pas pauvres. La pauvreté a été introduite sur nos côtes en 1492, et la situation est pire aujourd’hui.
S’il y a un mythe de 10 milliards de dollars, avec 10 milliards de dollars pour les Premières Nations, alors nous serions les plus riches des riches, mais nous sommes plutôt les plus pauvres des pauvres.
Je veux que nos enfants vivent en paix et en harmonie, qu’ils aient accès à de bons logements adéquats, à des emplois et à de la formation et qu’ils puissent participer pleinement à la vie du pays. Nos relations doivent être fondées sur la compréhension et le respect mutuels. De plus, ce que nous sommes, notre spiritualité et notre identité, n’est pas un mythe et ne doit pas faire l’objet d’une appropriation culturelle. Nous sommes confrontés à des concepts et pratiques nouvel âge qui sont introduits dans nos cérémonies et nos enseignements, et nos enfants doivent composer avec cela. Ils ne comprennent pas si, moi, en tant qu’adulte, je ne comprends pas.
Je veux donc un avenir dans lequel il n’y aura pas d’appropriation culturelle de notre spiritualité et dans lequel nos enfants vivront leurs droits innés sans avoir à quémander pour être ce qu’ils sont, au même sens que ce que je disais plus tôt. Pourquoi nous battons-nous pour 1,50 $? Nos langues valent beaucoup plus que cela. Je veux que nos enfants vivent dans une société qui les accepte, car le fait est que le racisme est encore bien présent dans ce pays, et nos peuples ne sont pas acceptés, et nous devons faire face à cette situation.
Nous devons prendre des mesures contre le racisme et l’oppression, et nous devons agir pour que le respect règne et pour que nous puissions vivre dans cet esprit et selon le but de nos traités et les principes de coexistence et de compréhension et respect mutuels. Il faut que nos enfants aient une place non seulement dans leurs collectivités, mais également dans la société canadienne.
Je vais vous donner mon point de vue personnel. J’ai 61 ans. J’ai 4 enfants et 10 petits-enfants. Je peux vous dire que parfois, c’est difficile. C’est difficile de vivre dans la société; je me sens comme une parfaite étrangère sur ma terre natale parce que personne ne sait qui nous sommes. Bon nombre de gens proviennent d’autres pays. Ils ignorent qui nous sommes en tant que premiers occupants du territoire sur lequel ils arrivent. Nous n’existons pas. Je ne peux plus vivre comme cela. Je ne veux plus me sentir comme une étrangère sur ma terre natale, et je ne veux pas que mes enfants et mes petits-enfants éprouvent ce sentiment.
Mon grand-père, William Commanda, était le chef de notre collectivité. Il y a environ 55 ans, il a dit qu’il espérait qu’un jour, sa petite-fille puisse vivre librement et être acceptée au Canada pour ce qu’elle est en tant que membre d’une Première Nation, qu’elle soit respectée et que lorsqu’elle serait grand-mère, elle n’ait pas à demander les mêmes choses qu’il était en train de demander pour ses petits-enfants. Me voilà ici, 55 ans plus tard; je suis grand-mère et je me bats pour les choses pour lesquelles mon grand-père se battait il y a plus de 50 ans. Cette situation ne peut plus durer.
Pour revenir à ce que je disais, cela repose sur l’identité de nos enfants. Il faut qu’ils soient aimés et respectés. Il faut qu’ils aient cette place, l’autodétermination et leur nation ou leur souveraineté, et que tous les Canadiens arrivent à comprendre cela, à comprendre cette première souveraineté, cette autodétermination et à comprendre que les enfants des Premières Nations sont les premiers citoyens du Canada. Merci.
Le vice-président : Je vous remercie tous beaucoup. Je remercie le sénateur Tannas d’avoir posé une question difficile à laquelle, je crois, de très bonnes réponses ont été fournies. Le sénateur Tannas est à l’origine de cette étude, et nous vous remercions.
[Français]
La sénatrice Mégie : Votre rêve pour l’avenir est que vos enfants aient leur propre identité. On sait que l’identité passe par la survie de la langue. Vous venez de nous dire qu’on vous donne 1,50 $ par personne pour l’apprentissage de la langue. Vous avez dû faire preuve de beaucoup d’imagination pour essayer de maintenir cela. Quelles mesures avez-vous prises pour assurer la survie de certaines langues? Vous ne pouvez pas tout faire, mais on parle de la survie de certaines des langues autochtones.
[Traduction]
Mme Commanda : Oui, nous devons faire preuve de beaucoup d’imagination, et nous sommes très créatifs. C’est tout à fait vrai. Je vous remercie de la question.
Quel type de mesures? Il y a des bénévoles. Des membres de la collectivité se retroussent les manches, comme nos aînés et les locuteurs des langues, et ils donnent de leur temps pour élaborer des programmes et les mettre en œuvre.
Par exemple, nos centres ont un programme de renaissance de la langue, dans le cadre duquel des aînés, des jeunes et des parents se rassemblent dans un centre communautaire ou dans une salle de classe. Il s’agit de faire connaître la langue. Les aînés offrent leurs enseignements et parlent dans leur langue. C’est un exemple.
Il y a également la mise en commun de pratiques exemplaires parmi tous nos centres culturels. Ils échangent les ressources et les idées entre eux et se communiquent leurs recommandations et s’entraident. Voilà un autre exemple où nous avons fait preuve d’imagination et un autre moyen de répondre à ces besoins fondamentaux très importants pour s’assurer que nos langues survivent.
Nous communiquons avec nos leaders et leur demandons de nous appuyer dans notre travail et de nous aider avec du financement adéquat. Nous leur laissons le volet politique, mais nos aînés nous aident à nous assurer que nous sommes dans la bonne voie pour ce qui est de conserver nos connaissances ancestrales et nos langues et d’avoir des ressources, des bénévoles et des dons de membres de la collectivité, de même que des dons d’autres sources.
[Français]
La sénatrice Mégie : Avez-vous pensé à des mesures que le comité pourrait suggérer au gouvernement pour vous aider dans cette voie, afin que le travail se fasse de façon moins bénévole, ou une autre méthode que vous pourriez nous suggérer?
[Traduction]
Mme Commanda : Absolument. Si le comité pouvait aider la Confédération des centres éducatifs et culturels des Premières Nations à encourager ou, j’imagine — peut-être que le mot « forcer » est trop fort, mais il s’agirait d’encourager le gouvernement fédéral, le gouvernement canadien, à comprendre la situation et à confirmer nos langues et à voir à quel point nous avons besoin de financement.
Il s’agit tout d’abord de retirer notre Programme des centres éducatifs et culturels du volet de financement fondé sur des propositions parce qu’il pourrait être retiré n’importe quand. C’est sur une base annuelle. Je tiens à souligner qu’il est financé depuis les 45 dernières années, mais le financement est resté le même. Or, nous aimerions que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien comprenne l’importance de son programme, le Programme des centres culturels, et qu’il le transforme en un programme permanent, que chacun de nos centres reçoive un financement de base adéquat et que les fonds soient augmentés chaque année.
Si le comité peut nous aider en recommandant la création d’un programme permanent et une hausse du financement — plus élevé que le montant de 5 millions de dollars —, il réalisera l’un de nos souhaits.
L’autre chose, ce serait que le gouvernement fédéral comprenne qu’il faut que la Confédération des centres éducatifs et culturels des Premières Nations participe aux discussions. Nous devons avoir voix au chapitre et participer à la prise de décisions sur les mesures législatives en matière linguistique. Je ne comprends pas pourquoi le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ne comprend pas l’importance qu’ont nos centres culturels, et nous devrions participer aux discussions sur l’élaboration de mesures législatives relatives aux langues.
Certes, le ministère du Patrimoine canadien a communiqué avec nous et discute avec nous, et il voit l’importance du travail que nous accomplissons dans les centres culturels. Il reconnaît que nous devons participer aux discussions sur les mesures législatives relatives aux langues et à l’élaboration de programmes linguistiques. De plus, il comprend l’importance d’un financement en matière de langue pour nos programmes et services d’éducation. Voilà un autre souhait.
Or, il s’agirait, si possible, d’intervenir en notre nom auprès du gouvernement fédéral et de lui dire que notre programme requiert plus que ce montant de 5 millions de dollars. C’est absolument le cas. De cette façon, nos centres culturels pourraient élaborer d’autres programmes, car à l’heure actuelle, nous devons mener les mêmes activités chaque année, parce que nous ne pouvons pas faire plus puisque le financement n’augmente jamais. Je tiens à signaler que nous sommes ravis du financement que nous recevons. C’est tout à fait le cas. Toutefois, nous pouvons en faire plus avec beaucoup plus de financement, et nos aînés ne devraient pas y consacrer trop de leur temps. Ils nous aident, c’est sûr. Nous sommes ravis de ce qu’ils font, mais il faut aussi les rémunérer.
[Français]
Mme Porter-Brunelle : Je vous remercie de la question. Concernant la langue française, pour la nation métisse, c’est le michif. De plus, dans notre langue, on l’appelle une langue « cassée ».
[Traduction]
Je vais continuer en anglais parce que mon français est plutôt limité. La langue métisse, le michif, était autrefois qualifiée de « jargon français » ou encore, vous m’excuserez de le dire, de « français bâtard », qui était un terme très péjoratif, comme l’était l’expression employée pour nous désigner, soit « sang-mêlé ».
Le michif... Nous devons nous informer auprès de nos aînés; ce sont les gardiens de la langue. Donc, nous invitons nos aînés et nos familles à participer et nous menons beaucoup d’entrevues. Nous avons de l’équipement et nous avons commencé à enregistrer nos aînés, même pendant les cours de cuisine, pendant lesquels ils nous enseignent leurs techniques de cuisine et traduisent les termes dans la langue michif.
Nous encourageons l’utilisation de notre langue. Nous saisissons toutes les occasions d’en faire la promotion. Il y a quelques années, nous avons obtenu du financement pour la publication d’un dictionnaire en michif dans lequel on retrouve des mots anglais, français et michif. Nous avons constaté que le michif et le français sont très similaires. C’était une sorte de jargon français, comme je l’ai indiqué. Donc, notre dictionnaire est disponible.
Nous avons un bureau — notre siège social — ici, à Ottawa. Il est ouvert au public et les gens peuvent y trouver toutes sortes d’informations. Il est également possible de s’y procurer un de ces petits dictionnaires. Quiconque parle français pourra faire un lien avec ce que je viens de dire.
Donc, il serait formidable d’avoir du financement, car cela pourrait aussi nous aider à financer des activités de promotion de la langue. Nous encourageons son utilisation. Nous faisons tout notre possible pour enseigner le michif à nos enfants. Beaucoup de gens ignorent que les Métis ont une langue qui leur est propre, mais c’est le cas.
M. Kelly : J’ai des opinions bien personnelles à ce sujet. Je tiens aussi à revenir sur l’aspect qui a été souligné précédemment par le sénateur, et je le félicite de s’être lancé dans cette étude et d’avoir parlé en termes si évocateurs des études et des apprentissages quant aux mesures pratiques que nous devons prendre.
Dans ce contexte, et aussi dans un contexte d’éducation, j’aimerais citer un de nos chefs négociateurs du traité no 3, en 1873. Je crois que sa déclaration renferme la réponse à vos questions précises. Que laissons-nous à nos enfants? Comment entrevoyons-nous l’avenir de nos enfants?
Écoutez bien attentivement les propos qu’il a prononcés; il s’agit d’une traduction, c’est certain. Voici ce qu’a dit le chef Sakatcheway lorsqu’il s’est levé pour aller serrer la main du commissaire : « Si vous accédez à ma demande, viendra un temps où nous vous demanderons de nous envoyer un de vos enfants, un de vos fils, une de vos filles, pour qu’ils viennent vivre avec nous, et nous leur enseignerons ce qu’il y a de bon dans notre mode de vie. Ensuite, nous vous enverrons un de nos fils et une de nos filles, et vous leur enseignerez ce qui est bon dans votre mode de vie et, à leur retour, ils nous parleront de ce qu’ils auront appris. »
À mon sens, cela correspond exactement aux notions de partenariat et de partage dont j’ai parlé. Aujourd’hui, cela se transpose dans le mode d’intégration. On le voit en particulier chez les jeunes enfants, qui s’entendent très bien, avant qu’ils ne soient trop âgés pour ressentir de la haine.
Il est possible que je devienne émotif, parce qu’il est question d’enfants, mais je dirais qu’en ce qui concerne la façon dont j’ai acquis le savoir traditionnel, tout ce que j’ai appris sur la médecine traditionnelle et le droit traditionnel, je l’ai appris par ma mère et par ma grand-mère, parce que mon père est décédé lorsque j’avais quatre ans et demi. J’ai immédiatement été entraîné dans le système de pensionnats indiens, dont le but était de me faire oublier tout ce que j’avais appris jusque-là.
Nos enfants apprennent par andragogie, et non par pédagogie. Je pose la question suivante pour la forme : lorsque vous accompagnez vos petits-enfants à l’école, et lorsque vous accompagniez vos propres enfants à l’école, renonciez-vous à vos responsabilités en matière d’éducation en arrivant à la porte? Non; vous avez continué. De notre côté, nos enfants nous ont été enlevés, et nous n’avons jamais eu notre mot à dire sur ce qui leur serait enseigné ni sur la façon dont cela leur serait enseigné. On parle donc d’une méthodologie qui consiste à présenter un concept, même à des enfants très jeunes, puis de leur demander d’y réfléchir, mais sans donner d’explications. L’enfant réfléchit, puis pose des questions. J’ai posé tant de questions sur les concepts de la religion catholique qui m’étaient présentés, et cela m’a valu d’être battu parce que j’étais considéré comme un non-croyant simplement parce que j’avais posé ces questions. Voici un exemple concret : qu’est-ce que la Sainte Vierge? Je ne parle pas de choses sales, malpropres ou de luxure, ici. Je parle des faits; comment est-ce possible? C’est écrit dans la Bible et dans le catéchisme. Il faut le croire. Mais comment est-ce possible? On se demande alors comment il se fait que je ne comprenne pas. Eh bien, je ne peux pas le comprendre parce que je suis un enfant d’un certain âge. Je ne sais même pas ce qu’est le sexe ou la procréation. On se fait alors dire que c’est sale, qu’on a un esprit déviant, qu’on est le diable et des choses du genre.
Lorsque j’ai posé ce genre de questions à ma mère, elle a fait de son mieux pour m’expliquer ce qu’était le mariage. On m’a dit que mes parents s’étaient mariés selon des rites païens et que leur mariage n’était pas valide, que j’étais un enfant illégitime.
Soyons sérieux.
Comme vous le constatez, la question qui nous occupe actuellement, c’est que lorsqu’on explique la signification d’un mot dans la langue d’un enfant, l’enfant y réfléchit et essaie de comprendre, puis pose des questions au besoin. Les parents ont un rôle à jouer. Aujourd’hui, nous avons besoin de bénévoles, mais à l’époque, les parents étaient là et participaient activement à l’éducation de leurs enfants. Ce n’était pas institutionnalisé.
Certes, l’institutionnalisation a sa raison d’être, mais il me semble que dans ces établissements, maintenant que nous avons intégré... En 1974, lorsque j’étais chef, notre collectivité a été l’une des premières à administrer elle-même les services d’éducation. La question qui était d’actualité à l’époque et qui l’est encore aujourd’hui, c’est le régime de gouvernance — la gestion —, et c’est à nous qu’il incombe, pour revenir au point soulevé par le sénateur, d’établir des normes de qualité comparables à celles de la société en général. Je ne parle pas nécessairement d’assimilation, mais d’harmonisation.
Évidemment, nous avons besoin de normes et nous avons besoin de financement, entre autres choses.
Je parle donc de notre compétence sur ces aspects, en collaboration avec vous, avec vos enfants, pour reprendre les propos du chef Sakatcheway... Vous pouvez envoyer vos enfants dans notre collectivité, et nous leur enseignerons ce qui est bien, et vice versa, et nous pourrons échanger. Ainsi, dans 150 ans, plus personne ne se demandera de quoi nous parlons ou ce que nous voulons.
Meegwetch.
Le sénateur Enverga : Je vous remercie de cet exposé très important. Nous vous avons écouté très attentivement et avec grand intérêt.
Ma question s’inscrit dans la même veine que celle du sénateur Tannas. Nous parlons toujours d’une véritable réconciliation. Nous avons parlé d’un travail concret ou de mesures concrètes à prendre. Vous avez peut-être remarqué que beaucoup de distingués sénateurs ont du « sang d’aigle », du sang autochtone. Si les formidables peuples des Premières Nations formaient actuellement le gouvernement, quelle est la première chose que vous feriez pour nous mener vers une réelle réconciliation? Si vous étiez au gouvernement en ce moment, vous détiendriez le pouvoir et tout le reste. Quelle est la première chose que vous feriez pour assurer une véritable réconciliation?
Mme Commanda : Je soustrairais notre peuple au contrôle du gouvernement fédéral.
Le sénateur Enverga : Il le contrôle?
Mme Commanda : Le paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867) spécifie que « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » relèvent de la compétence fédérale. Cela vous permet de créer des lois comme la Loi sur les Indiens et de créer un ministère pour appliquer la Loi sur les Indiens. J’entends toujours mes aînés parler de cette question. Ils disent que nous avons un droit à la liberté et à l’autodétermination, mais lorsque nous examinons la question du point de vue du droit canadien, nous sommes un peuple contrôlé — un peuple assujetti par une loi — parce que notre identité est liée à la Loi sur les Indiens, et nous devenons des gens ayant un statut légal « d’Indiens ».
Nous sommes un peuple contrôlé, nous sommes des pupilles de la Couronne, parce que nous sommes toujours assujettis au paragraphe 91.24.
Il s’agit dans un premier temps du processus de décolonisation, en vertu duquel nos Premières Nations — pour revenir à la notion de compétence — auront compétence sur les questions de droit, de statut de nation, de souveraineté et d’autodétermination, nos lois et nos gouvernements seront reconnus, valorisés ou validés comme faisant partie intégrante de la vie canadienne ou de la société canadienne. Plus important encore, vous devez démanteler les institutions et les systèmes qui continuent de contrôler et d’opprimer les Premières Nations.
En un sens, cela revient à dire qu’il faut nous soustraire à la Loi sur les Indiens, mais par quoi doit-on la remplacer? Nous devons veiller à ce que le gouvernement fédéral respecte ses obligations juridiques à l’égard des Premières Nations parce qu’il a créé cette obligation fiduciaire dans le paragraphe 91(24) et aussi dans les traités. Ce sont là des obligations que le gouvernement fédéral doit honorer et respecter.
Vous devez prendre acte de la valeur de ces traités, parce qu’ils ont un caractère très sacré. Ce sont des documents évolutifs. Les traités doivent être honorés.
Vous devez démanteler les institutions et les systèmes qui oppriment les peuples. Nous ne devons plus être des peuples contrôlés. Nous devons être considérés comme un peuple pour que nos collectivités retournent à l’état où elles étaient avant la colonisation. Je suis consciente que nous ne pouvons retourner à l’essence et à notre état initial, mais nous pouvons certainement redevenir nous-mêmes, vivre, maintenir et améliorer nos libertés, notre souveraineté et notre autodétermination, de façon à pouvoir exercer notre compétence pour statuer, faire des choix, parler et en faire l’expérience.
Mme Porter-Brunelle : Premièrement, je tiens à m’excuser de ma consommation de pastilles contre la toux et d’eau. Mon mari et moi partageons tout, au point où il m’a donné son rhume cette semaine. C’est lui qui tousse à l’arrière, tandis que je consomme ces choses.
Merci beaucoup de la question. Malgré tout le respect que je dois à ma collègue, nous voulons que le gouvernement fédéral nous reconnaisse, parce que notre peuple a trop longtemps fait office de patate chaude. Le gouvernement provincial ne voulait pas de nous, et le gouvernement fédéral non plus. Ils se renvoyaient donc continuellement la balle à notre sujet, parce que les Métis, cela n’existe pas, n’est-ce pas? Même s’il était question de nous dans la Constitution, nous n’étions pas reconnus. Donc, nous voulons que le gouvernement fédéral nous reconnaisse enfin. C’est pour cette raison précise que nous avons saisi la Cour suprême de cet enjeu.
Il y a une distinction entre le fait d’être contrôlé et celui d’être reconnu. Claudette, je vous dirais respectueusement que vous étiez contrôlée. Nous voulons que le gouvernement nous reconnaisse et nous offre son aide pour les aspects qui ont été soulevés, comme l’éducation et le logement. Nous devons nous battre pour tout, notamment pour que nos enfants puissent fréquenter l’école. Nos logements sont dans un état pitoyable. Comme je l’ai indiqué, notre nation n’a que 25 ans, ce qui est jeune pour une nation, mais nous avons beaucoup progressé en 25 ans. Nous sommes allés devant la Cour suprême trois fois, et nous avons gagné dans chaque cas.
Nous demandons du financement pour notre langue, le michif, une langue dont beaucoup de gens ignoraient l’existence. Donc, demandons du financement pour l’éducation de nos étudiants.
Les besoins de notre système de santé sont criants, car comme vous le savez, le diabète est un problème important chez les peuples autochtones. On constate actuellement que les gens n’ont pas les moyens d’acheter les bandelettes nécessaires aux analyses sanguines. Donc, au lieu d’utiliser deux ou trois bandelettes par jour, ils n’en utilisent qu’une, parce qu’ils n’ont pas les moyens. Ils se retrouvent ensuite à l’urgence. Cela n’aide en rien; cela n’aide ni nos services d’urgence ni la population.
Donc, nous avons besoin de financement.
Les commissaires ont établi une liste des besoins dans la foulée d’une tournée de consultations de quatre mois dans 29 collectivités de l’Ontario. Lorsque le point de départ et d’arrivée est Fort Frances, on parcourt une longue distance lorsqu’on veut visiter toutes les petites localités du parcours prévu. On loge tous les jours dans un hôtel ou un motel. Dans une journée typique, on se déplace vers une autre collectivité, on s’assoit et on écoute les gens. Le lendemain, on montait de nouveau dans la voiture pour se rendre dans la collectivité suivante. L’Ontario est une province assez grande, ce qui est particulièrement évident dans le Nord de l’Ontario, où il faut cinq heures pour se rendre d’une collectivité à l’autre.
Ils ont notamment soulevé que la santé, l’éducation et le logement sont parmi les principales préoccupations des gens, en particulier dans le Nord de l’Ontario, où les déplacements sont longs. Prendre le train, l’autobus ou l’avion est très difficile. Tant qu’à prendre un vol de Timmins à Toronto, vaut mieux prendre un vol pour la Floride. Nous avons besoin de l’aide du gouvernement fédéral à cet égard. Nous présenterons une liste de souhaits d’ici deux ou trois mois, et ce sera un peu comme si nous la présentions au père Noël, en espérant que les Métis voient certains de leurs souhaits se réaliser.
Le vice-président : Sénatrice, puis-je vous demander de faire parvenir les résultats de ces travaux au comité par l’intermédiaire de notre greffier? Je pense que cela nous serait très utile.
Mme Porter-Brunelle : C’est encore une ébauche actuellement.
Le vice-président : Je comprends cela.
Mme Porter-Brunelle : Je vais discuter avec les gens du bureau d’Ottawa et nous vous ferons parvenir le document.
Le vice-président : Nous vous en serons alors très reconnaissants.
Le sénateur Enverga : Est-il possible d’intégrer cette lettre dans notre étude pour que nous puissions les appuyer?
Le vice-président : Oui. Nous avons le temps d’examiner ce rapport dans le cadre de notre étude. Ce serait apprécié. Vous pouvez communiquer avec chacun d’entre nous par l’intermédiaire du greffier.
Mme Porter-Brunelle : Je vais noter l’adresse. Merci.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Étant donné le temps qu'il nous reste, j’aimerais que nous passions à la sénatrice Pate, s’il vous plaît.
La sénatrice Pate : Merci à tous. Les idées se bousculent dans ma tête. Lorsque cela arrive, j’ai tendance à revenir à des aspects dont je suis plus à l’aise de discuter, et ma question, Claudette, découle de votre réponse à la question précédente. Je vais formuler ma question avec grande humilité et je ne veux aucunement être irrespectueuse. Est-il possible de procéder à la décolonisation de manière graduelle? Ma question découle en partie de votre commentaire sur la nécessité de procéder à la décolonisation et au démantèlement des institutions et de veiller à ce que le Canada respecte ses obligations fiduciaires, ses obligations issues de traités et de négociations ayant eu lieu avant et après la Confédération.
Un des aspects auxquels je pense toujours lorsque je réfléchis à cet enjeu est un aspect que je connais beaucoup mieux que d’autres : notre prétendu système de justice pénale et les ressources illimitées que nous semblons avoir pour les services policiers, judiciaires et correctionnels. Nous savons que les Autochtones sont surreprésentés. Ce terme ne décrit pas adéquatement la situation qui prévaut dans le milieu dans lequel j’ai œuvré plus récemment, après avoir travaillé auprès des jeunes, car les femmes autochtones représentent 39 p. 100 de la population carcérale dans les prisons fédérales pour femmes et où 43 p. 100 des filles détenues dans les centres de détention jeunesse sont des Autochtones.
Il y a donc toutes sortes de ressources déployées dans ces secteurs, mais je crois que nous pourrions prendre des décisions stratégiques fort différentes et y aller progressivement. Lors de son témoignage de la semaine dernière, M. Sanderson nous a suggéré de commencer par gracier 80 p. 100 des Autochtones qui ont été criminalisés, disons, puis exiger que les ressources soient versées à la collectivité. Je reformule ou interprète peut-être mal ses propos, car il a dit beaucoup de choses que je ne prétends pas comprendre parfaitement. Il était très perspicace, tout comme vous.
Je pense aux mesures prises à l’heure actuelle, comme les tribunaux spéciaux, les établissements spéciaux et les nouveaux comités de justice dans les réserves. À mon sens, aucun de ces mécanismes ne favorise la décolonisation. Ces initiatives visent à renforcer le système actuel, et non pas à décoloniser. Même certains des appels à l’action reposent presque sur le maintien du système actuel.
J’aimerais savoir si vous pensez que nous pourrions réaffecter les ressources. Pourrait-on aider les collectivités à utiliser ces ressources pour fournir une éducation, des soins de santé, des logements et de l’eau potable à leurs habitants plutôt que de dépenser 348 000 $ par année pour garder une femme en prison, comme le directeur parlementaire du budget l’a déclaré en 2010? Que pourraient faire les collectivités avec ces ressources? Il me semble que ce serait une façon d’entamer une décolonisation progressive, mais je ne veux d’aucune façon vous manquer de respect si la proposition est saugrenue ou malavisée. Tout commentaire sera le bienvenu.
Mme Commanda : Merci, Kim. Je vous en suis reconnaissante. Mes excuses, vous êtes la sénatrice Pate.
La sénatrice Pate : Nous nous connaissons depuis trop longtemps. Appelez-moi Kim.
Mme Commanda : Je crois fermement qu’il faut faire de petits pas pour réaliser des gains importants. Je suis fermement convaincue que la décolonisation ne s’achèvera pas du jour au lendemain. Il a fallu plus de 500 ans de colonialisme pour en arriver à la situation d’aujourd’hui, surtout si nous examinons ce qui s’est passé au cours des 150 dernières années. Cela va prendre du temps, mais nous devons y aller à petits pas puisque nos collectivités doivent elles aussi s’adapter aux changements. Je suis convaincue qu’il faut céder le pouvoir à l’échelle locale et laisser les collectivités injecter les ressources nécessaires pour créer, mettre en œuvre et gérer les programmes et les ressources bien précis dont elles ont besoin.
Si le gouvernement continue de proposer une approche panautochtone, cela ne fonctionnera pas; c’est certain. Les Premières Nations sont des Premières Nations, les Innus sont des Innus, et les Métis sont des Métis. Nous sommes des peuples distincts et différents. Il y a de la diversité même parmi les Premières Nations. Il est important de prendre en considération la diversité au sein d’une nation ou d’une communauté, ainsi que la diversité relative aux besoins de la collectivité, son emplacement, sa viabilité, ses infrastructures et ses ressources. Nous devons donc véritablement accorder une attention particulière à la diversité.
Je veux compléter ce que j’ai dit tout à l’heure au sujet de ce que nous voulons être : nous ne voulons pas que notre peuple soit contrôlé. Nous ne voulons être sous l’emprise ni du gouvernement fédéral ni de quelque gouvernement que ce soit, un point c’est tout. Mais surtout, nous voulons effectivement que le gouvernement fédéral respecte les traités, remplisse son obligation fiduciaire et ses responsabilités envers les Premières Nations, et partage la richesse des terres. La richesse de la terre et du pays provient des ressources qui appartiennent aux Premières Nations.
Le gouvernement fédéral peut le faire. C’est ce que je crois, mais il doit avoir la volonté politique nécessaire. De même, les Canadiens doivent eux aussi vouloir que les membres des Premières Nations soient respectés en tant que citoyens à part entière au pays. Cette volonté politique est déterminante, mais celle des citoyens l’est tout autant. En faisant en sorte que les Premières Nations ne soient plus un peuple contrôlé comme c’est le cas en vertu de la Loi sur les Indiens, le gouvernement fédéral peut encore remplir son obligation fiduciaire et ses responsabilités à notre égard, ce qui constitue une forme de décolonisation. C’est tout à fait vrai. Il faut comprendre qu’il ne doit plus y avoir de loi pour définir un peuple et fixer des critères visant à obtenir le statut d’indien ou à devenir un membre inscrit d’une communauté. Nous devons le décider au moyen de notre citoyenneté et de nos propres lois.
Le vice-président : Je ne veux interrompre personne, mais un autre sénateur souhaite intervenir. Pouvez-vous conclure, madame?
Mme Commanda : D’accord. Sénatrice Pate, je crois bel et bien que la décolonisation est possible et qu’elle peut être réalisée à petits pas. Nous devons commencer quelque part; il le faut. Et si nous devons d’abord nous fixer des objectifs modestes, qu’il en soit ainsi. La décolonisation pourrait avoir lieu et être une réussite.
Le vice-président : Sénatrice, monsieur Kelly, vous comprendrez s’il vous plaît que nous devons maintenant être très brefs.
Mme Porter-Brunelle : Je serai brève. Comme je l’ai dit en exposé, je suis une aînée qui siège au comité de la justice, où je suis la seule Métisse. Ce que je demande, c’est qu’au moment où une personne est accusée et envoyée en prison, elle remplisse une sorte de formulaire pour s’auto-identifier en tant que Métis, Première Nation ou Inuit. Nous pouvons placer des ressources dans le système carcéral, pour que les Métis aient quelqu’un à qui s’adresser. À l’heure actuelle, il n’y a rien. Il n’y a aucun moyen de savoir qui est qui. Tous les Autochtones sont mis sur un pied d’égalité, et personne ne s’en soucie.
L’autre chose que nous demandons, c’est un tribunal de type Gladue, qui reconnaît que chaque individu est une personne ayant des besoins en matière de diversité. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise personne. Ses grands-parents ont fréquenté les pensionnats indiens, et ses parents aussi. Cette personne n’a jamais été élevée correctement. Qu’est-ce qu’elle a fait? Elle s’est retrouvée à la rue. Elle a volé une voiture, ou quelque chose du genre. Elle n’est pas une criminelle endurcie. Nous essayons de ne plus envoyer ces gens en prison. Nous tentons de former les policiers, les avocats et les juges avant que ces individus n’entrent dans le système carcéral. J’ai encore beaucoup de choses à dire, mais je vais m’arrêter ici.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Monsieur Kelly.
M. Kelly : Je pourrai peut-être répondre sous forme de questions rhétoriques à votre intention.
En tant que sénateurs, avez-vous l’impression que le Canada est décolonisé? C’est une question rhétorique. En tant que citoyens canadiens, vous sentez-vous libres? Vous estimez-vous capables, et possédez-vous les pouvoirs décisionnels nécessaires? Êtes-vous autonomes? Avez-vous l’autonomie gouvernementale? Avez-vous une identité? Êtes-vous libres, puisque c’est ce que signifie vraiment la souveraineté? Avez-vous un droit inhérent à l’autodétermination?
Si vous en avez la certitude et êtes d’accord, nous n’avions rien de moins, et nous ne demandons rien de moins que cette liberté fondamentale. La décolonisation est-elle possible? Non seulement elle l’est, mais en plus, elle est obligatoire pour les êtres humains. À notre époque, la liberté nécessite un système de gouvernance et un processus décisionnel efficaces, de même que des institutions qui ne sont pas prises en charge. Ces droits ne sont-ils pas fondamentaux? Ne sont-ils pas conformes à la déclaration des Nations Unies? Ne sont-ils pas compatibles aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, ou CVR? Ne sont-ils pas conformes aux traités que j’ai essayé d’expliquer? Voilà donc les réponses à la question visant à savoir si la décolonisation est possible. Il faut qu’elle le soit. Meegwetch.
Le sénateur Christmas : Je tiens à remercier les trois témoins d’être venus ce soir nous transmettre leurs sages paroles et connaissances. Je tiens également à remercier le sénateur Tannas d’avoir posé la question.
J’ai été profondément touché par vos réponses à tous les trois. Je suis probablement le sénateur ayant le moins d’ancienneté ici. J’ai assisté à plusieurs audiences ces derniers mois et j’ai entendu bien des témoins, mais je pense pouvoir dire avec certitude que votre vision de l’avenir contient des éléments qui viennent du cœur ou de l’esprit, et pas nécessairement des lois ou des programmes gouvernementaux. J’étais surpris d’apprendre que la réponse réside du côté de notre identité, des sept enseignements, comme l’amour, la gentillesse, le partage et le respect. Et le problème est le racisme, qui est à l’opposé des sept enseignements.
J’ai été vraiment ému et touché par votre vision de vos petits-enfants, moi qui suis également grand-père deux fois. Je comprends donc vraiment votre perception de l’avenir.
Ces réponses sont au cœur même de la question des Autochtones au Canada. Si nous arrivons à composer avec l’identité autochtone et à tenir compte des sept enseignements et de leur contraire, à savoir le racisme, alors je pense que nous sommes sur la bonne voie.
Si vous me le permettez, je souhaite mettre en contexte une question à l’intention de l’aînée Commanda. Vous avez parlé de suicide, et vous dites que la guérison passera par notre culture et notre langue. Pouvez-vous dire en quoi notre culture et notre langue peuvent influencer ce qui est probablement la pire manifestation de la colonisation, à savoir le suicide?
Mme Commanda : Je vous remercie de votre question. En 2002, la Confédération des centres éducatifs et culturels des Premières Nations a soumis un rapport au gouvernement fédéral sur la guérison, sur le pouvoir de la langue et de la culture afin de guérir nos collectivités, et sur la santé holistique des personnes, des familles, des collectivités et de la Première Nation. Notre recherche a permis de cerner, de démontrer et de mettre en lumière en quoi la langue et la culture sont tellement indispensables et essentielles à la guérison, à l’intervention et la prévention, à la récupération, la restauration et le rétablissement des enseignements, de même qu’aux enseignements, cérémonies et modes de vie d’une Première Nation.
Dans certaines collectivités qui ont perdu leurs connaissances et leurs pratiques cérémoniales, nous avons trouvé des collectivités voisines qui parlent la même langue, puis avons fait venir les aînés et les personnes qui président les cérémonies. De cette façon, la collectivité qui souffre et a besoin de guérison peut se redresser, se rétablir et restaurer sa culture et ses cérémonies.
Nous sommes aujourd’hui aux prises avec le suicide endémique d’enfants et de jeunes au sein de nos collectivités, ce qui constitue une tragédie nationale et une honte pour le Canada, au même titre que les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous avons d’ailleurs toujours ce rapport, mais rien n’a changé. Nos connaissances ancestrales n’influencent pas nos modes de vie. Nous avons encore le rapport qui n’a malheureusement jamais été utilisé par le gouvernement. En fait, nous avons tendu la main au gouvernement pour lui proposer des réponses et des solutions. Nous lui avons dit que nous sommes prêts à l’aider à créer des programmes en matière de santé, des programmes de guérison ou quelque programme que ce soit. Mais les décideurs n’ont jamais tenu compte de notre rapport.
Aujourd’hui, compte tenu du problème actuel de suicide chez les jeunes, nous avons encore ce rapport en main. Nos collectivités et nos centres culturels reposent sur la langue; le simple fait d’y amener les enfants leur donne un sens et leur permet de se considérer comme importants.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a une collectivité algonquine qui souffre de dysfonctionnement en raison des pensionnats indiens et du système de protection de l’enfance, dont on peut constater l’héritage. Cette collectivité, très riche grâce à sa langue et sa façon de vivre de la terre, n’avait ni ses cérémonies ni sa spiritualité. Les gens souffraient donc de toxicomanie, d’alcoolisme et de violence familiale. Deux jeunes hommes de là-bas ont dit : « Nous ne pouvons plus vivre ainsi. Nous devons partir à la recherche du tambour. » Ils ont alors quitté leur collectivité, puis ont trouvé le tambour ailleurs. Ils ont appris les chansons, puis les ont chantées. Ils ont ensuite ramené le tambour au sein de leur collectivité, puis l’ont offert aux enfants et aux jeunes.
Ces enfants ont désormais une raison d’espérer et ont commencé à jouer du tambour. Ils ont commencé à apprendre. Ces enfants et ces jeunes garçons sortent désormais pour chanter des chants d’honneur sacrés. Il est incroyable de voir à quel point cela leur a donné une estime d’eux-mêmes. Ils sont tellement fiers de qui ils sont. Ils disent maintenant : « Nous, le peuple algonquin, avons nos propres chansons aussi. Allons les apprendre. » Ils comprennent désormais la valeur de l’éducation. C’est si important. Ils le voient bien.
Il faut tout d’abord récupérer, puis rétablir, et enfin restaurer l’identité, la langue et la culture du peuple.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Nous chercherons à obtenir ce rapport, et je suis persuadé que vous nous aiderez à le trouver.
Mesdames et messieurs les sénateurs, j’aimerais remercier le sénateur Christmas d’avoir aussi bien résumé pour nous tous à quel point le témoignage de ce soir était précieux et inspirant. Il venait du cœur, comme il l’a dit. Nous sommes également reconnaissants au sénateur Tannas d’avoir posé une question fondamentale au début du dialogue ayant suivi vos excellentes présentations : comment voyez-vous l’avenir? C’est la question fondamentale à laquelle nous devrons répondre.
Je sais que c’était un témoignage inestimable pour nous tous ce soir, et je tiens à vous remercier encore. Le sénateur Christmas l’a bien mieux exprimé que je ne le pourrais. Vous nous avez donné ce soir une perspective très inspirante et précieuse.
Je vais maintenant suspendre la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Qujannamiik. Meegwetch.
(La séance est levée.)