Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 27 - Témoignages du 17 octobre 2017
OTTAWA, le mardi 17 octobre 2017
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 4, pour poursuivre son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui sont ici même, dans la pièce, ou qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le Web.
Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que notre séance a lieu sur les terres ancestrales et non cédées du peuple algonquin.
Je m’appelle Lillian Dyck, je viens de la Saskatchewan et j’ai l’honneur et le privilège de présider ce comité. J’invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant par le vice-président.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, Colombie-Britannique.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Pate : Kim Pate, Ontario.
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba.
La présidente : Je vous remercie, honorables sénateurs.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur les nouvelles relations éventuelles entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada. Nous continuons de passer en revue l’historique de ce qui a été étudié et discuté sur le sujet.
Nous sommes heureux d’accueillir Val Napoleon, titulaire de la Chaire de recherche sur la justice et la gouvernance autochtones de la Fondation du droit et directrice de l’Unité de recherche en droit autochtone, faculté de droit, Université de Victoria.
Professeure Napoleon, vous avez la parole. Si vous pouvez faire un exposé de cinq à dix minutes, les sénateurs vous poseront ensuite des questions. Je vous en prie.
Val Napoleon, titulaire de la Chaire de recherche sur la justice et la gouvernance autochtones de la Fondation du droit et directrice de l’Unité de recherche en droit autochtone, faculté de droit, Université de Victoria, à titre personnel : Je suis honorée de me trouver ici, sur ces terres historiques des Algonquins. Je commencerai par deux citations. L’une est tirée des principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones publiés dernièrement par le ministère de la Justice.
Cette citation est la suivante :
Le gouvernement reconnaît que l’autonomie gouvernementale des Autochtones et les lois autochtones sont essentielles pour l’avenir du Canada et que les perspectives et les droits autochtones doivent être intégrés dans tous les aspects de cette relation.
La deuxième citation est tirée de la recommandation no 50 de la Commission de vérité et réconciliation qui appelle à:
[…] la création d’instituts du droit autochtone pour l’élaboration, la mise en application et la compréhension des lois autochtones ainsi que l’accès à la justice en conformité avec les cultures uniques des peuples autochtones du Canada.
Je travaille depuis quelques années à la structuration fondamentale des traditions juridiques autochtones, et j’ai commencé à réfléchir à la réconciliation, entre autres, pas tant sous l’angle de la poursuite de relations coloniales asymétriques entre les ordres juridiques autochtones et le Canada que dans l’optique de relations symétriques entre les peuples autochtones et le Canada incluant les ordres juridiques autochtones et canadiens. Ce qui passe par la reconstruction du droit autochtone dans tout le Canada pour qu’il puisse faire le travail nécessaire au droit dans nos sociétés.
Nous travaillons en partenariat avec les communautés autochtones pour reformuler, étudier et restructurer le droit relatif aux terres, à l’eau et à la gouvernance, et nous travaillons sur la place de la femme et les droits de la personne en droit autochtone. C’est l’optique des droits de la personne que je veux utiliser comme toile de fond à notre conversation ce matin.
Le point de départ est que tout droit, y compris le droit autochtone, doit faire le travail du droit. Nos sociétés ont dû composer avec le désordre et les difficultés de la vie humaine collective dans le passé, comme elles le font aujourd’hui. Il existe dans nos traditions juridiques des processus et des concepts importants pour les droits de la personne et, en droit autochtone, les droits de la personne font partie intégrante de l’autonomie gouvernementale au Canada.
Là où il est porté atteinte au droit autochtone, là où il y a des distorsions ou des lacunes — et là même où le droit canadien a échoué — sévit la violence. Une violence dont les victimes sont les plus vulnérables, les femmes et les filles et d’autres encore dans nos communautés. La reconstruction réfléchie du droit autochtone à ces égards incombe au Canada aujourd’hui, si le Canada veut être une société pluraliste légale et multi-juridique où les relations entre les peuples sont symétriques.
Vous savez de par le travail que vous accomplissez ici et par votre propre vie dans la collectivité combien le droit canadien est essentiel pour savoir qui nous sommes et comment nous comporter et nous conduire. Imaginez un instant que tout ce que vous savez sur le droit canadien disparaisse ou devienne impossible à appliquer dans vos vies, vous seriez totalement désorientés, vous auriez du mal à savoir qui vous êtes vous-mêmes et qui vous êtes par rapport au reste du Canada. Cette perte et ces lacunes du droit autochtone font partie intégrante de l’histoire coloniale dans laquelle le droit autochtone, qui détermine en partie la conduite des peuples autochtones, est devenu invisible ou a été affaibli.
Notre travail de formulation fondamentale du droit autochtone — et j’ai donné un exemple d’un de nos rapports et de quelques-unes des autres ressources juridiques que nous avons créées — servira de base au programme d’études en droit autochtone sanctionné par un diplôme que nous proposons à l’Université de Victoria. Il s’agit du premier de ce genre au monde où les étudiants obtiendront un diplôme en droit autochtone et un diplôme en droit canadien en quatre ans. Il sera enseigné de la même façon que le droit civil et la common law à McGill, avec des méthodes d’enseignement trans-systémiques. Par exemple, on pourrait enseigner le droit constitutionnel anishnabe et le droit constitutionnel canadien, le droit des biens des Premières Nations Tsimshian et le droit des biens canadien, cri, déné, et ainsi de suite.
Les étudiants inscrits à ce programme pourront utiliser les ressources juridiques de plus d’un ordre juridique pour résoudre des problèmes et des conflits humains, ce qui est essentiellement le travail du droit. Les exigences de ce travail sont nombreuses. Il est rigoureux et complexe. Le droit autochtone n’offre pas plus de solutions miracles aux vrais problèmes et aux vraies difficultés humaines que le droit canadien, mais il est un élément essentiel de ce qui définit un peuple.
L’autre aspect important de ce travail, c’est qu’il est accompli à une échelle régionale ou plus large parce que les communautés autochtones sont très petites et fracturent les ordres juridiques plus grands dont elles font partie. Par conséquent, il faut tenir compte de ces types de facteurs pour ce qui est de l’échelle à laquelle doit se faire le travail pour s’assurer, entre autres, de la capacité de traiter la question des déséquilibres de pouvoir et de la responsabilité.
C’est ce travail que nous faisons actuellement. Nous veillons, en particulier, à ce que non seulement les terres, les ressources et l’eau, mais aussi la gouvernance, dans sa plénitude et avec sa capacité de gérer les difficultés et les réalités humaines, fassent partie de la reconstruction à laquelle nous procédons.
Le programme d’études en droit autochtone sanctionné par un diplôme qui est proposé comprend aussi des stages pratiques. Nous accepterons 25 étudiants par an. C’est une manière de faire progresser le travail de reconstruction du droit autochtone et de travailler utilement dans tout le Canada pour s’occuper de ce que vivent les gens actuellement.
J’aimerais donner un petit exemple de ce qui arrive quand nous ne faisons pas ce qu’il faut à propos du droit autochtone et que nos attentes et notre compréhension en ce qui le concerne font, en fait, obstacle au droit autochtone lui-même. Je me trouvais dernièrement à une grande conférence nationale où on a demandé à une femme âgée de parler des lois dans ses traditions. Elle a expliqué que son mariage était un mariage arrangé, qu’elle s’était mariée très jeune et que, pendant tout son mariage, elle avait été punie et que tel était le droit autochtone dans sa société.
L’important à propos de cet incident est de comprendre que cette personne à qui on a demandé de parler du droit autochtone, pour trouver un sens à son histoire et garder sa dignité, qualifie ce qu’elle a vécu de légal, d’important en droit. Le problème est que, quand nous avons juste des déclarations de droit sans le contexte et le travail sur les ressources, les principes et les processus juridiques auxquels nous raccrocher, le droit par déclaration ne permet pas la responsabilisation, la plénitude et la résolution des problèmes dont nous avons besoin.
Une déclaration de ce genre au sujet du droit canadien ne tiendrait pas. On saurait qu’il existe des ressources juridiques. On pose une question et on consulte ces ressources juridiques pour trouver une réponse, ce qui est légitime, conformément à l’ordre juridique du peuple. Ce dont je parle à propos du droit autochtone, ce n’est pas de regarder en arrière, mais d’examiner les institutions juridiques historiques et le droit et de voir comment on peut les proposer de manière légitime de sorte que, lorsque les gens n’obtiennent pas gain de cause, ils puissent quand même faire respecter les décisions.
En ce qui concerne les droits de la personne, les droits de la personne autochtones, dans notre travail dans tout le Canada, nous avons constaté que, même avec des différences de forme et d’expression du droit selon les sociétés autochtones, les problèmes que nous rencontrons sont universels, mais qu’il y a aussi une similitude quant à ce que le droit aspire à faire. Ainsi, le droit canadien aspire à l’égalité et à l’équité et aux choses auxquelles nous aspirons au Canada, mais aucun ordre juridique n’est à la hauteur des aspirations. Or, il est important pour un peuple d’avoir des aspirations.
Dans le cas du droit autochtone, nous avons constaté que les peuples aspirent à la sécurité, à l’inclusion et à l’équité. Nous l’avons constaté avec les Micmacs, les Anishnabe, les Cris, les Tsilhqot’in, les Secwepemc, les Salish de la côte, les Dénés et les autres. Il y a ces aspirations et il existe des ressources juridiques, à savoir les histoires orales. Nous nous en servons systématiquement et elles sont essentielles pour éclairer notre travail.
Sally Engle Merry, qui est une juriste très importante, a beaucoup travaillé sur les droits de la personne dans le monde et elle estime, entre autres, qu’on considère avoir des droits selon sa propre expérience du monde et de ses institutions juridiques. L’expérience qu’on a de l’application de la loi, des tribunaux ou des agents de probation, par exemple, sera déterminante pour croire que ce qui nous arrive compte au regard de la loi. Il s’agit donc de poser cette même question au sujet du droit autochtone. Est-ce que la voix des femmes est entendue en droit autochtone et, si tel n’est pas le cas, comment nous y prenons-nous pour reconstruire de manière à ce qu’elle le soit? C’est le type de critique et de travail essentiels nécessaires pour reconstruire ces traditions intellectuelles.
Je me ferai un plaisir de répondre à toute question. Je crois que mes cinq minutes sont probablement écoulées depuis longtemps.
La présidente : Je vous remercie, professeure Napoleon. Nous allons maintenant passer à la première série de questions.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie beaucoup de votre exposé qui était très intéressant.
Vous avez parlé de créer un régime multi-juridique dans le cadre du nouvel ordre et vous citez les principes du gouvernement fédéral comme correspondant à cela. J’imagine que mes questions à ce propos vont sembler simplistes. Tout d’abord, y a-t-il un autre endroit au monde où cela s’est produit? Ensuite — et la question peut paraître simpliste —, prévoyez-vous des problèmes de conflit entre l’édifice bien établi du système juridique occidental anglo-saxon et ses précédents, d’une part, et le nouveau respect de l’autonomie gouvernementale et des lois autochtones qui se dessinent dans ce système multi-juridique, d’autre part?
Mme Napoleon : C’est une excellente question, complexe aussi.
Premièrement, en ce qui concerne le paysage multi-juridique dans différents pays, certains accordent, à divers degrés, un espace constitutionnel ou législatif à ce qu’on appelle souvent le droit coutumier. Il n’existe rien d’établi qui ressemble un tant soit peu à notre projet de programme d’études en droit autochtone sanctionné par un diplôme ou au rapprochement des droits que je propose ici.
On vient nous voir de l’étranger pour étudier notre travail et le genre de choses que nous planifions pour le programme d’études sanctionné par un diplôme. Notre travail intéresse beaucoup parce que la tâche est ardue.
Par exemple, en Afrique du Sud, les cours constitutionnelles étudient notre méthode parce que leurs juges ne parviennent pas à traiter comme il convient les questions relevant du droit coutumier qui leur sont soumises. On parle maintenant d’utiliser en Afrique du Sud, pour ces cours, le genre de formation que nous offrons maintenant aux juristes, aux étudiants, aux professeurs et ainsi de suite.
Pour ce qui est des conflits de lois, si on part des aspirations du droit, il existe des similitudes dans les choses auxquelles tiennent les peuples autochtones et les autres Canadiens. Nous tenons à la sécurité de nos communautés, ainsi qu’à l’inclusion et à l’équité, et c’est ce qui ressort de toutes les traditions juridiques avec lesquelles nous avons travaillé. Il existe aussi dans nos traditions juridiques des processus de gestion adaptative qui peuvent être proposés et ajoutés aux processus comparatifs et trans-systémiques utilisés à McGill.
Par ailleurs, à ce sujet, j’ai étudié longuement l’histoire juridique de la common law et nous pouvons aussi en tirer des enseignements dans notre réflexion sur la théorie juridique autochtone et le genre de difficultés qu’on a connues en Europe et en voyant qu’il existe des similitudes dans ce qu’on considère comme étant le droit, de ce qui compte comme droit, de qui devrait être inclus, et cetera.
Il existe, à mon avis, des différences de forme et d’expression entre différents ordres juridiques qui correspondent aux différentes sociétés, mais dans chacune, le droit doit faire son travail, qui est difficile. Il doit avoir des décideurs qui font autorité. Il doit avoir des réponses légitimes, des obligations juridiques, des droits fondamentaux et de procédure, et des principes directeurs. Il faut qu’il y ait le droit et la procédure. Cela peut sembler différent, mais le travail du droit se fait à travers ces différents systèmes sociétaux.
Le sénateur Patterson : Comme vous le savez, nous avons entrepris cette étude ambitieuse qui aidera, nous l’espérons, le gouvernement dans la réalisation de son objectif tout aussi ambitieux de redéfinition des relations avec les peuples autochtones du Canada. Vous nous avez dit que la question clé, c’est le droit et comment il a fait subir violence et injustice aux peuples autochtones. Nous devons formuler des recommandations à l’intention du gouvernement et il me semble que nous comptons les lui remettre avant la fin de son mandat afin qu’il y donne suite, si possible.
Ma question est la suivante : pour atteindre les nobles objectifs que vous décrivez et transformer comme vous le souhaitez notre vision du droit et de notre système juridique, que voudriez-vous que nous recommandions comme premier pas dans cette direction? Par où commençons-nous? Nous avons une ministre de la Justice autochtone, et vous avez remarqué qu’au moins un des principes publiés par cette ministre va tout à fait dans le sens de votre vision du monde. Que devrait faire le gouvernement fédéral pour progresser à cet égard, en dehors de financer votre projet à l’Université de Victoria? J’ai l’air un peu désinvolte, mais je crois vraiment que ce serait formidable de le mettre sur pied. Que devrait faire le gouvernement pour lancer ce processus?
Mme Napoleon : Je pense qu’il faut commencer par reconnaître que les sociétés autochtones étaient légitimes, qu’elles avaient des régimes juridiques complets, et trouver des façons dans chaque élément du gouvernement en relation avec les peuples autochtones ou les communautés autochtones d’avoir des conversations qui donnent la marge de manœuvre nécessaire pour déterminer ce qui est possible au niveau local et, si possible, par les différents aspects du gouvernement, pour soutenir les communautés autochtones dans cette reconstruction. Le point de départ de la conversation est que le droit autochtone existait et que les relations entre les peuples autochtones au Canada n’ont pas à être entièrement définies par le droit canadien, mais qu’il existe d’autres manières de comprendre la légalité qui peuvent être apportées à ces relations.
Il me semble que créer l’espace intellectuel dans l’imaginaire juridique du Canada doit être le point de départ, et c’est ce qui se passe de différentes manières dans tout le Canada. L’an dernier, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada a demandé ce qu’un avocat a besoin de savoir aujourd’hui à propos du droit autochtone pour être compétent. On reconnaît dans de nombreux secteurs de notre société et dans bien des régions du Canada la place centrale du droit autochtone, pas seulement dans les relations entre les peuples, mais par rapport à l’économie et aux décisions qui concernent la gouvernance, les terres, les ressources et ainsi de suite. Ces relations comptent et pour les traiter légitimement, il faut d’abord reconnaître que le droit autochtone existe.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue, madame Napoleon. C’est un immense plaisir de vous voir parmi nous. Je sais que vous avez très peu dormi à cause du décalage horaire en venant ici, je vous remercie donc d’autant de votre présence.
Ma question concerne le leadership visionnaire des femmes autochtones dans ce pays, et je tiens à vous inclure dans cette question, car vous êtes assurément un leader visionnaire. Il n’y a vraiment qu’une explication au fait que l’Université de Victoria va être la première au monde à proposer un double diplôme et c’est le leadership dont elle fait preuve et votre leadership en particulier. Je vous en remercie donc.
Je tiens également à saluer la sénatrice Sandra Lovelace Nicholas, qui ne peut être des nôtres aujourd’hui, mais qui est membre du comité, et des leaders comme Mary Two-Axe Earley qui font partie des nombreuses femmes autochtones de ce pays — Sharon McIvor est une autre qui me vient à l’esprit — qui ont montré maintes fois l’exemple, en utilisant le système juridique existant, à l’échelle nationale et internationale, pour essayer d’obtenir justice pour les femmes autochtones.
Voici ma question. Dans une des excellentes ressources que vous nous avez données, vous parlez de la place de la femme en droit autochtone. Vous expliquez que lorsque des gens disent qu’on ne devrait pas parler de sexisme ou que c’est une question sans intérêt, nous devrions nous demander pourquoi ils réagissent ainsi et qui gagne à une approche qui écarte de l’analyse les questions relatives à l’égalité des sexes. Dans les combats que j’ai évoqués brièvement, un des principaux problèmes qui revenaient sans cesse concernait les chefs, les dirigeants au sein des communautés, qui refusaient de donner aux femmes autochtones l’égalité des sexes et le juste espace qu’elles réclamaient. Comment envisagez-vous une réconciliation ou une utilisation de la Charte canadienne des droits et libertés par rapport au droit autochtone dans ces types de situations litigieuses?
Mme Napoleon : Il me semble avoir mentionné, entre autres, les indicateurs des droits de la personne, qui constituent un modèle utilisé à l’échelle internationale et qu’il serait bon que les gouvernements autochtones et les femmes autochtones en particulier examinent. Je crois aussi qu’il existe un certain nombre d’outils que nous créons et que d’autres proposent également pour faire en sorte que la voix et l’expérience des femmes autochtones se trouvent au premier rang des conversations.
Ce qui se passe, entre autres, c’est que les grandes questions de l’autonomie gouvernementale, de l’autodétermination et ainsi de suite sont souvent considérées comme les questions vraiment importantes, et que toutes les autres, qu’il s’agisse de la violence à l’égard des femmes ou d’autres problèmes sociaux, et cetera, sont reléguées à des questions concernant les femmes. Ces grandes questions de l’autonomie gouvernementale et de l’autodétermination sont aussi des questions qui concernent les femmes, et les autres questions relatives aux difficultés au niveau local concernent tout le monde. Voilà le genre de raisonnement que nous devons promouvoir dans toutes les conversations et toutes les interactions, qu’il s’agisse de protection de l’enfance, de citoyenneté ou de tout problème auquel on est confronté.
Il y a aussi un spectre avec, à une extrémité, la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones et, à l’autre, une essentialisation et une idéalisation du rôle de la femme au sens le plus étroit. Tout au long de ce spectre sont prises différentes décisions qui ont des conséquences importantes pour les femmes et les filles, y compris en ce qui concerne leur participation aux processus de l’administration locale et d’autres choses comme les décisions relatives au logement, par exemple. Toute loi est sexospécifique, et les effets des décisions juridiques sur une personne sont déterminés par ce qu’elle a réussi à avoir dans sa vie, par les différentes contraintes et ainsi de suite qu’elle vit. Cette actualité et cette réalité doivent donc faire partie des considérations relatives aux processus et aux décisions juridiques, et cetera.
La trousse que nous avons préparée vise à aider les communautés à aller de l’avant, à porter un regard critique sur le droit autochtone, à voir en quoi il est sexospécifique et en quoi les décisions donnent des résultats différents selon qu’on est une femme ou un homme. Elle souligne que l’homme indien ou autochtone monopolise la plupart des discussions. Qu’est-ce que cela veut dire et quelles sont les conséquences pour les femmes et les filles à l’échelle locale, provinciale et nationale. Cela en fait partie.
La sénatrice McPhedran : Comme bien souvent dans ce pays, et pas seulement dans les communautés autochtones, loin de là, les femmes au sein de communautés culturelles définies doivent se battre encore et encore avec les dirigeants, très souvent au sujet de problèmes de violence, y compris d’agressions sexuelles. Que se passe-t-il lorsque le processus arrive dans une impasse dans un double régime? Est-ce que les femmes autochtones, comme cela s’est produit, par exemple, dans la communauté musulmane au Canada, se tournent vers la Charte canadienne des droits et libertés? Est-ce que c’est le dernier recours dans ce genre de bataille qui se livre au sein d’une communauté où ne peut pas obtenir justice pour l’instant?
Mme Napoleon : Se tourner vers la Charte ou vers d’autres indicateurs de processus qui donnent aux femmes une dignité et une capacité d’action fait partie des interprétations contemporaines nécessaires dans le cas du droit autochtone lorsque des pratiques sont oppressives ou sexistes. Pour ma part, je dirais que, s’il existe certainement des formes d’oppression et de violence au sein des communautés autochtones, je n’irais pas jusqu’à dire que nos communautés ou nos sociétés sont plus violentes que n’importe quelle autre, mais cette oppression et cette violence n’en font pas moins partie de ce que vivent les femmes.
Dans ce travail que nous cherchons à faire, il est tellement important de trouver un moyen de faire entendre en toute sécurité ces voix qui ne sont pas entendues actuellement. Il me semble que si nous étions capables d’énoncer entièrement le droit et des processus juridiques légitimes pour une application autochtone aussi bien que canadienne dans des situations à l’échelle locale, avec le temps — pas nécessairement dans longtemps, mais avec le temps —, on y arriverait parce que, fondamentalement, les gens veulent régler les problèmes. Les femmes, en tout cas. La réalité est qu’à l’heure actuelle, à moins d’avoir un espace donné pour cela, on aura des conversations sur toutes sortes de choses, alors que les femmes me diront en chuchotant qu’elles ne sont pas en sécurité dans leur communauté.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Merci, madame Napoleon. Je tiens à vous remercier moi aussi de votre travail. Je suis très impatiente de voir ces fameuses trousses et de les examiner parce que, comme vous le savez certainement, j’ai utilisé beaucoup de vos documents dans d’autres contextes, à la fois dans des cours à des étudiants en droit et dans des projets de développement communautaire. Merci, donc, de cela aussi.
Je cherche à voir de manière pragmatique quelque chose que vous avez suggéré dans votre exposé à l’Institut Broadbent. J’ai beaucoup aimé la photo de votre petit-fils et d’un collègue en train d’essayer de régler des problèmes.
J’ai été frappée cet été en particulier lorsque je me suis rendue dans deux ou trois communautés autochtones, que j’y ai rencontré des comités de justice et que j’ai découvert à quel point ils étaient colonisés. On a essayé des solutions de justice réparatrice, mais elles venaient se superposer aux systèmes, au lieu d’y être intégrées, à mon humble point de vue.
Je me demande quels recours s’offriraient à quelqu’un qui a fait l’objet de violences au sein de la communauté, à une femme qui tente d’échapper à la violence, qui veut que cette violence cesse, mais qui ne fait peut-être pas confiance au système. Il est en effet fréquent que les comités de justice s’occupent d’infractions mineures plutôt que des problèmes graves qui se posent au sein d’une communauté. Comment faire pour instaurer ce type de recours dans les communautés du Canada?
Dans un même ordre d’idées, on a beaucoup discuté de la question des femmes autochtones disparues et assassinées. Une enquête nationale est actuellement en cours, mais comment imaginer une procédure qui intègre les enseignements et traditions juridiques de ces communautés? Je me projette 20 ans en avant et j’essaie d’imaginer à quoi ressemblerait une enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées, conjointement menée par des avocats et des membres de la communauté suivant une telle approche?
Mme Napoleon : Je viens d’évoquer les comités de justice, et il est vrai que les efforts des communautés se déroulent souvent dans un contexte qui semble calqué sur les procédures officielles. Il est également vrai que souvent, lors de telles assemblées, les participants s’attachent essentiellement à s’acquitter d’obligations juridiques nées de l’histoire. Lorsque je demande à certains intervenants pourquoi, depuis 20 ou 25 ans, ils procèdent ainsi, on me répond que c’est, pour eux, la seule manière de s’acquitter d’obligations juridiques qui remontent au passé.
Le rétablissement du droit autochtone est une œuvre complexe qui va prendre du temps, notamment lorsqu’il s’agit de questions qui ne font pas l’unanimité au sein d’une communauté. Il nous faut actuellement au moins 12 mois pour rédiger un rapport sur une question juridique. Nous avons, par exemple, œuvré aux côtés des communautés sur la question des coups et blessures et c’est le temps qu’a pris la rédaction du rapport sur la violence. Nous partons des récits et des traditions orales, et posons, dans le contexte de ces récits et de ces traditions, des questions juridiques très précises. Ce que telle ou telle tradition juridique peut dire au sujet des coups et des blessures nous sert alors de point de départ. Il s’agit d’analyser de manière critique et systématique ces traditions orales, de synthétiser les résultats en faisant ressortir quelle était, à l’époque, l’autorité des décideurs, quelles étaient les mesures de droit prises dans tel ou tel cas, quels étaient les obligations et les droits de chacun. Cela permet de comprendre comment, en droit, les gens réagissaient à ces divers problèmes.
Ensuite, il s’agit de voir comment mettre en pratique les principes ainsi dégagés. Se pose alors la question de la sécurité. Il nous faut en effet envisager des alliances entre diverses communautés afin de trouver un refuge aux personnes qui sont en danger ou qui ont subi des violences. Il faut pour cela trouver les moyens d’intervenir auprès de personnes ayant subi un traumatisme.
L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées accomplit actuellement un travail important, se penchant sur les insuffisances du droit canadien et des recours qu’il prévoit, cherchant à élucider la manière dont les Autochtones eux-mêmes définissent le viol, l’agression sexuelle ou les violences sexuelles. Il s’agit de jeter les bases d’une méthodologie juridique autochtone rigoureuse. Nos traditions orales, au chapitre des violences sexuelles, remontent à 20 000 ans. Elles renferment des enseignements susceptibles d’être intégrés aux principes et aux procédures juridiques modernes. Les pratiques sexistes du passé doivent évoluer en fonction de la réalité contemporaine et nous devons donc nous inspirer de la Charte des droits et libertés et de ce qui se fait dans le reste du monde. Le droit est quelque chose de vivant et de dynamique et c’est comme cela qu’il convient d’envisager le droit autochtone dans toute sa complexité.
Le sénateur Enverga : Je vous remercie de votre présentation, qui m’a beaucoup appris.
Je voudrais maintenant vous poser une question au sujet de l’autodétermination. Selon le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, l’autodétermination est le principe de base de la gouvernance autochtone et les peuples autochtones ont un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale au sein du Canada. Pourriez-vous nous dire quelles sont les relations, les institutions ou les activités permettant de favoriser le développement et l’avancement des aspirations des peuples autochtones à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale? Pourriez-vous également nous dire dans quelle mesure les rapports entre le droit autochtone et le droit canadien entretiendraient cette dynamique? Je cherche à mieux saisir comment l’action combinée de l’autodétermination, du droit autochtone et du droit canadien favoriserait une telle évolution?
Mme Napoleon : Il faut bien comprendre qu’un peuple c’est essentiellement une société, et que comme les autres peuples de la terre, nous avions nous aussi à nous auto-administrer. Le droit peut être conçu comme un mode spécifique de gouvernance. C’est en partie le droit qui permet au Canada de se gouverner. C’est une des choses qui permettent aux Canadiens de se concevoir comme vivant dans un État de droit.
Pour que les peuples autochtones se conçoivent comme ayant une existence légitime, il leur faut avoir à eux, en plus des institutions et procédures juridiques du Canada, aussi une histoire juridique, un droit qui joue pleinement son rôle, des institutions et des procédures juridiques dont ils vont pouvoir s’inspirer.
Les traditions juridiques des peuples autochtones ne feront qu’enrichir celles du Canada. Les citoyennetés s’en trouveront élargies au contact d’un droit autochtone inclusif qui ne fait que consolider la citoyenneté dans le cadre d’une démocratie plus intense. Cela ne se limite d’ailleurs aucunement aux peuples autochtones, mais constitue une pratique à laquelle devraient se rallier tous les Canadiens. Tout Canadien devrait en effet comprendre la dynamique du pouvoir dans le contexte de laquelle se déroule son existence, être en mesure de participer à cette dynamique, et se concevoir en tant qu’être détenteur de certains droits que lui garantit le droit canadien. C’est à cela que doivent également parvenir les peuples autochtones.
Voilà un peu comment je conçois l’autodétermination. Il nous faut la créer, la construire. Or, cela ne se fera pas du jour au lendemain et l’attachement à cette construction n’est qu’un premier pas. Il s’agit donc de choisir la bonne orientation, et de ne plus accepter l’effacement auquel le droit autochtone a été soumis par le passé. Il s’agit de veiller à l’évolution et à l’adaptation de ce droit. Cette possibilité nous est actuellement offerte.
Le sénateur Enverga : Mais, alors même que nous veillons à l’évolution du droit autochtone, que dire aux deuxième, troisième, ou quatrième générations qui ont déjà adhéré au droit canadien? Que va-t-on leur dire? Vont-elles être gouvernées par le droit autochtone, comme vous le proposez, ou vont-elles être régies par un régime juridique distinct?
Mme Napoleon : Sans même compter les traditions juridiques des peuples autochtones, le territoire canadien héberge déjà une pluralité de régimes juridiques. Je suis moi-même Autochtone, issue des traditions juridiques des Saulteaux, mais j’enseigne pourtant le droit canadien. Nous pouvons ainsi, dans le courant de nos activités, puiser à divers régimes juridiques. Il se peut très bien que certains peuples autochtones décident de ne pas entretenir ce type de relation avec leur histoire, et adoptent d’autres manières d’être. Ils sont, en tant qu’êtres humains, parfaitement libres d’en décider ainsi.
Le sénateur Enverga : Je vous remercie.
La sénatrice Raine : Je vous remercie de l’exposé que vous nous avez présenté, et des thèmes de réflexion qu’il nous inspire. Ceux d’entre nous qui n’ont pas étudié le droit ont peut-être quelque difficulté à saisir toute la portée de la question, et je vous demanderai donc de nous fournir quelques précisions.
J’ai eu, ces six ou huit dernières années, l’occasion de mieux comprendre combien, comme les nations européennes, les Premières Nations se distinguent l’une de l’autre. Je suis donc certaine que, par de nombreux aspects, les régimes juridiques des diverses Premières Nations se distinguent également.
Vous avez parlé de droit autochtone. Est-ce à dire que les points que les Premières Nations peuvent avoir en commun formeraient un tout qui viendrait s’ajouter aux points que peuvent avoir en commun la common law britannique et le droit civil qui s’applique au Québec, et que l’ensemble de ces conceptions juridiques pourrait alors constituer un grand droit canadien? Il me semble que le droit suppose une hiérarchie des normes. La question se pose donc de savoir quelle sera la règle de droit applicable à tout Canadien, quelle que soit son origine?
L’idée d’intégrer les principes juridiques des peuples autochtones, de quelque Première Nation que ce soit, afin d’enrichir l’intelligibilité du droit canadien pris dans son ensemble, tout en respectant le droit de chaque communauté d’adhérer aux coutumes et aux traditions qui lui sont propres, me paraît judicieuse. Mais serait-ce effectivement le résultat obtenu. Il est clair que, dans le cadre de vos travaux, il vous faut, dans la mesure où vous souhaitez constituer un droit autochtone, solliciter la contribution de toutes les Premières Nations. Est-ce exact? Est-ce à dire que les éléments que vous recueillez vont effectivement permettre de constituer un ensemble cohérent? Vous avez entrepris là une tâche énorme et j’aurais presque besoin d’un tableau pour la représenter.
Mme Napoleon : En effet. Nous avons repris la définition retenue par la Commission royale et découlant de rapports précédents portant sur les divers groupes linguistiques, et non pas sur les communautés prises individuellement. Il s’agit, en effet, non pas d’un simple régime, mais d’un ordre juridique. C’est ainsi, par exemple, que le peuple tsimshian comporte sept communautés. La famille linguistique tsimshianique comprend en outre les Nisga’as et les Gitxsans. Il y a, entre ces peuples, des similarités.
Il ne faut pas perdre de vue qu’il existe également divers types de lois, celles qui régissent les questions de tous les jours et celles qui s’appliquent à des situations plus problématiques. En raison des liens avec le Canada, les diverses lois devront répondre à ces diverses considérations. C’est ainsi que, selon le traité contemporain conclu avec les Nisga’as, dans certains cas, c’est le droit Nisga’a qui l’emporte, alors que dans d’autres c’est le droit canadien ou le droit de la Colombie-Britannique. Il s’agit d’un arrangement que les populations concernées ont pu élaborer, négocier et mettre en œuvre.
Je précise, encore une fois, qu’on parle bien d’un ordre juridique, et non pas des codes régissant l’une ou l’autre des 600 petites communautés qui existent au Canada. Pour ce qui est des groupes plus étendus, tels que les Cris ou les Anishinaabes, il est logique de se fonder sur ce qui se fait déjà, soit à l’échelon régional, soit dans le cadre d’une alliance. C’est dire que diverses possibilités peuvent être envisagées.
Le Canada et les provinces, dans les domaines les plus divers, entretiennent un grand nombre de liens avec les peuples autochtones. Les relations nécessaires existent donc déjà. Une partie du travail à accomplir est de trouver le moyen de rendre cet ensemble plus cohérent afin de mieux comprendre ce qui constitue la réalité des peuples autochtones.
Je ne prône aucunement l’adoption d’un modèle pan-autochtone, mais je propose de prendre comme point de départ du nécessaire dialogue le fait que les peuples autochtones avaient effectivement un droit qui, par sa portée et son caractère achevé, permettait de répondre à toutes les situations de l’existence, et comprenait à tout le moins des autorités, des ripostes juridiques, des droits, tant substantiels que procéduraux, des obligations et des principes juridiques, enfin tout un ensemble de dispositions et de mesures permettant de régler les problèmes et les différends qui pouvaient se présenter.
L’agencement de ces dispositions varie d’une société à l’autre, mais on relève également de nombreux points communs. La loi fonctionne de la même manière. C’est ainsi que j’ai comparé le droit des Gitxsans au droit canadien, une procédure judiciaire canadienne aux règles régissant le déroulement d’un festin chez les Gitxsans. L’ordonnancement paraît très différent, et la manière dont la règle s’exprime est, elle aussi, différente, mais les divers droits ont une action comparable. Cela étant, il s’agit de trouver des points de départ et de régler au fur et à mesure les questions qui surviennent.
La sénatrice Raine : Pour s’en tenir à l’exemple que vous nous avez cité au début, celui du groupe des Tsimshians, les Nisga’as en faisaient naguère partie, mais le peuple Nisga’a a depuis conclu un traité. Ce peuple a accédé à l’autonomie gouvernementale avec des lois qui lui sont propres. Cela le rend-il supérieur aux Tsimshians?
Mme Napoleon : Non.
La sénatrice Raine : Mais comment tout cela peut-il se combiner, étant donné que les situations n’évoluent pas au même rythme?
Mme Napoleon : C’est que la situation a été figée depuis l’époque coloniale. J’emploie ce terme au sens juridique. Les Tsimshians constituent un groupe linguistique. Il existe en effet, au Canada, divers groupes linguistiques tels que les langues athabascanes ou les langues algonquiennes. Or, ces groupes linguistiques englobent eux-mêmes plusieurs peuples. C’est ainsi que la famille linguistique tsimshienne comprend les peuples tsimshians de la Côte, ainsi que les Gitxsans et les Nisga’as. Étant donné la taille des populations concernées, et la complexité de ces situations, on ne sait pas très bien comment tout cela va s’agencer, ou quels sont les arrangements auxquels les peuples concernés parviendront au niveau des mécanismes juridiques ou des divers problèmes qui peuvent surgir. Je ne peux pas dire ce que cela donnera, mais le mouvement est enclenché et l’on en voit déjà les résultats.
La sénatrice Raine : Je poserai une autre question plus tard.
La présidente : Au deuxième tour?
La sénatrice Raine : Oui.
Le sénateur Christmas : Madame Napoleon, je vous remercie d’être venue de si loin pour nous apporter votre sagesse. Cela me touche beaucoup et je vous félicite sincèrement pour votre projet de créer un programme menant à un diplôme de droit autochtone. Voilà qui est très intéressant.
J’apprécie également beaucoup le fait que vous vous intéressiez de près aux droits de la personne autochtone. J’ai trouvé cet aspect fort intéressant. Comme vous le savez, les graves difficultés auxquelles nous faisons face, en tant que peuple autochtone, sont la discrimination et le racisme. Pouvez-vous nous expliquer comment le droit autochtone s’applique aux actes de discrimination et de racisme, tant à l’intérieur des collectivités autochtones qu’à l’extérieur de celles-ci?
Mme Napoleon : J’ai mis sur pied, l’été dernier, un cours sur les droits de la personne du point de vue du droit autochtone et je l’ai enseigné à Winnipeg. Les étudiants qui suivaient ce cours devaient présenter le droit autochtone tel qu’il ressortait des histoires orales qui reflétaient les traditions juridiques des Dénés, des Secwepemc et des Cris. Ils devaient appliquer ces règles à des études de cas et l’élément qui était privilégié au départ, la question à laquelle devaient répondre ces histoires orales, concernait la dignité et la capacité d’action de la personne. Une des études de cas était celle de la Société de soutien à l’enfance des Premières Nations, qui n’est toujours pas réglé, comme vous le savez. Nous leur avons demandé comment ce cas se réglerait d’après les traditions des Cris et des Secwepemc. Cela faisait partie des travaux demandés à nos étudiants.
L’idée d’examiner les droits de la personne dans le cadre de l’autonomie gouvernementale, dans le but d’étudier les problèmes que nous connaissons, est relativement nouvelle. Nous ne faisons que commencer à travailler avec cette notion, en élaborant de la documentation et en créant des ateliers pour nos participants. Nous avons travaillé avec plus de 40 collectivités au Canada. Nous avons formé plus de 300 personnes dans le domaine des méthodologies juridiques autochtones que nous avons élaborées, mais ce n’est qu’un début.
Il reste encore à aider les collectivités à mettre en œuvre ces droits pour que, par exemple, le traité 8 puisse déboucher sur l’élaboration d’une loi sur les droits de la personne autochtone, inspirée des traditions juridiques de cette région. Il faudrait ensuite concevoir des indicateurs mesurables de façon à responsabiliser, dans ce domaine, comme dans tous les autres, les personnes chargées de cette tâche; il faudrait également disposer des personnes et des ressources qui permettraient de gérer tout ce processus.
C’est la façon dont nous pourrions, d’après moi, nous attaquer à la discrimination d’un point de vue interne. Il faut définir ce terme conformément à chacune des traditions juridiques et je crois que cela pourrait également influencer nos rapports avec les règles canadiennes en matière de droits de la personne.
Le sénateur Christmas : Je vous fais peut-être dire des choses, mais je crois que vous avez découvert dans votre travail les distinctions et les différences qui existent entre les différentes traditions juridiques autochtones. En avez-vous quelques-unes qui ont suscité votre curiosité et qui expliquent pourquoi les différents groupes linguistiques ont des traditions juridiques autochtones différentes?
Mme Napoleon : Le droit est généré par la société et il en est indissociable. Le genre de problèmes que traite le droit est universel, mais la façon dont nous nous organisons et nous nous comprenons, nous-mêmes et nos problèmes, est de nature sociale et les différentes traditions juridiques prévoient toujours plusieurs instances grâce auxquelles les groupes familiaux ou les clans, quels que soient les processus et les groupes, rendent des décisions définitives. Il y en a au moins quatre dans chaque tradition juridique. Encore une fois, il faut s’attacher à découvrir les résultats obtenus grâce à ces processus plutôt que se fixer sur les expressions et les formes concrètes de ces processus.
Le sénateur Christmas : Merci.
La sénatrice Pate : Puis-je poser une question supplémentaire? Je suis curieuse. Madame Napoleon, vous avez mentionné que vos étudiants allaient examiner l’affaire de la Société de soutien à l’enfance des Premières Nations. Pourriez-vous nous parler des aspects et des solutions qu’ils ont examinés et envisagés alors, comme vous l’avez remarqué, que plusieurs ordonnances de non-conformité n’ont toujours pas été appliquées?
Mme Napoleon : J’ai commencé par ce cas, parce qu’une des critiques qui a été faite au sujet des ordres juridiques autochtones est qu’ils portent atteinte aux droits de la personne; il s’agit donc d’un cas où le Canada porte atteinte aux droits de la personne selon le droit canadien. Lorsqu’ils ont étudié ce cas, les étudiants ont décrit les droits des enfants, ils ont décrit les obligations des responsables des enfants ainsi que les processus à suivre. Cela varie selon la société concernée. Par exemple, dans la société Gitxsan ou dans la société tsimshienne, l’enfant appartient à son clan, il faut donc tenir compte de ce fait. Ils ont examiné les processus et les différentes étapes. D’après les différentes histoires orales dont ils se sont inspirés, quels étaient les différents types de réponses juridiques légitimes que l’on pourrait apporter? C’est ce qu’ils devaient expliquer.
L’autre étude de cas portait sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. Ils pouvaient s’inspirer de nombreuses histoires orales, dont certaines pouvaient s’interpréter comme reflétant le sexisme et la discrimination dont les femmes font l’objet. Le droit est toujours une question d’interprétation. Il ne s’interprète pas tout seul. Ils ont exposé les différentes traditions juridiques pour expliquer la violence axée sur le genre.
La sénatrice Pate : Serait-il possible d’obtenir des copies de ces travaux, avec l’accord des étudiants?
Mme Napoleon : Nous avons surtout utilisé des tableaux papier. Tout cela a été écrit, mais c’était un cours intensif qui durait de 8 h 30 à 17 heures, de sorte que cela n’a pas été dactylographié. Nous avons d’autres documents qui portent sur des aspects semblables.
La sénatrice Pate : En avez-vous remis au greffier?
Mme Napoleon : Oui.
La sénatrice Boniface : Le sénateur Christmas a traité une partie de ma question, de sorte que j’aimerais obtenir des renseignements au sujet de la mise en œuvre. Je sais que vous n’en êtes peut-être pas tout à fait à l’étape de la mise en œuvre. Quels sont les commentaires que vous recevez de la part des organisations? Je pense aux grandes organisations régionales ou reliées à un traité. Ou est-ce que vous commencez par les collectivités?
Mme Napoleon : Pour le programme de diplôme en droit autochtone, nous avons l’appui de l’APN et de toutes les autres facultés de droit du Canada.
Pour ce qui est de notre travail sur le droit autochtone, nous intervenons sur invitation. Nous commençons par former les membres des communautés dans l’utilisation de nos différentes méthodes. Nous ne nous présentons pas comme des experts; nous ne demandons pas aux gens de nous dire ce qu’est leur droit; c’est en effet une question complexe si vous pensez à une famille canadienne à qui l’on demanderait de parler du droit canadien. Ce n’est pas un processus facile.
Pour ce qui est de l’intérêt suscité, je dirais que nous n’arrivons pas à répondre à la demande, que ce soit au Canada ou ailleurs. Pour ce qui est de la mise en œuvre, les groupes qui sont les plus avancés en ce moment comprennent le gouvernement national des Tsilhqot’in. Il y en a d’autres qui en sont presque arrivés au même point, et nous verrons ce qui se passera à mesure que ces groupes progressent.
La sénatrice Boniface : Comment voyez-vous cette opération s’effectuer dans un contexte urbain? Comment pensez-vous qu’il serait possible d’intégrer les deux? Comment cela fonctionnerait-il?
Mme Napoleon : C’est une question vraiment très importante. Il y a plusieurs façons de l’aborder. La première consiste à se dire que tous les Autochtones qui vivent dans les villes conservent pour l’essentiel un lien avec leur région d’origine. Cela n’est pas très utile pour les personnes qui ont perdu ces liens, mais je pense qu’une question qui me paraît plus intéressante consisterait à se demander qu’est-ce qui constitue un peuple et je crois qu’il y a deux choses. La première est que certaines personnes commencent à créer des processus ou des règles informelles qui leur permettent de prévoir, du moins de façon générale, les façons de se comporter dans un groupe plus large, et la deuxième chose est que les histoires orales de certaines personnes deviennent parfois les histoires orales d’un groupe.
Si nous prenons les groupes, celui des peuples autochtones qui vivent dans des zones urbaines, nous pouvons leur poser la plupart de ces questions et utiliser la plupart des processus que nous utilisons en dehors des villes; il faut toutefois être plus attentif aux genres d’histoires orales qui sont proposées, ce que nous devons de toute façon faire. J’ai travaillé dans des collectivités cries et j’ai des membres de ma famille qui sont des Mohawks qui ont traversé le Canada au cours des années 1700, et les gens me disent : « C’est une histoire mohawk », mais nous la racontons souvent et à quel moment cette histoire devient-elle une histoire crie? Il y a donc un aspect international qui est très intéressant. Nous nous efforçons de mieux le comprendre et de l’intégrer à notre façon de travailler.
La présidente : Avant de passer au second tour, je me sens obligée de vous poser une question. Comme vous le savez, notre comité étudie ce que pourraient être les nouvelles relations entre le Canada et les Autochtones. Vous dites que nous devons réfléchir à ce qui constitue un peuple. Un peuple regroupe des gens qui élaborent des règles sur la façon de se gouverner, par exemple. Lorsque vous réfléchissez à la notion de nation, estimez-vous que ce genre de processus, où des gens se réunissent pour élaborer des règles de ce genre, est une activité fondamentale à la construction d’une nation?
Un des problèmes que nous avons, et vous le savez fort bien, est que les Autochtones du Canada sont régis par la Loi sur les Indiens, l’éléphant dans la salle; comment élaborer nos propres règles au sein de ce que l’on peut qualifier de nation alors que nous sommes assujettis à la Loi sur les Indiens, qui va à l’encontre de l’idée que les peuples autochtones doivent être traités sur un pied d’égalité et ont droit à l’autonomie gouvernementale?
Mme Napoleon : Je crois que les règles que les gens élaborent lorsqu’ils vivent en groupes sont à la fois formelles et informelles, et ces deux types de règles s’appliquent, à des degrés divers, dans les contextes urbains. C’est une chose.
L’aspect de votre question qui me paraît très important est que, dans le cadre de ce travail, nous devons tenir compte du fait qu’il y a des règles et des institutions juridiques historiques et qu’il y a également des règles et des institutions juridiques contemporaines. La mise en œuvre doit consister à découvrir la façon de nous inspirer des règles et institutions juridiques historiques pour influencer les règles et les institutions actuelles.
Au cours de leur histoire, les peuples autochtones ont été très pragmatiques; ils ont pris les décisions qu’ils devaient prendre dans le contexte où ils se trouvaient. Les contradictions qui existent entre les règles et les institutions contemporaines et les règles et les institutions historiques sont à l’origine de la plupart des conflits que nous connaissons à l’heure actuelle dans nos collectivités. Par exemple, si vous êtes une personne qui a été formée par les règles et les institutions juridiques historiques, cela vous donne une certaine compréhension du droit, mais les personnes qui n’ont pas eu cette formation risquent d’aller à l’encontre de ces règles à moins que vous ayez trouvé une façon constructive et productive de réconcilier le passé avec le présent.
Je crois que cela est tout à fait possible. C’est là le genre de choses auxquelles font face les gens et c’est exactement le genre de travail qu’il faut effectuer. Si nous ne le faisons pas, les conflits vont perdurer.
La présidente : Avez-vous des suggestions sur la façon de réconcilier ce qui oppose le passé et le présent? Y a-t-il un processus ou un organe d’appel? Par où commencer?
Mme Napoleon : Il faut, d’après moi, commencer par exposer de façon détaillée les règles historiques et les règles contemporaines. À l’heure actuelle, nous travaillons principalement sur les règles et les institutions juridiques historiques, ce qui comprend les grands décideurs et tout ce que j’ai mentionné. Je crois que c’est à l’étape de la mise en œuvre, que nous n’avons pas encore commencée, qu’il va falloir déterminer quelles sont les contradictions et comment il est possible de les résoudre. Ce n’est pas en prétendant qu’il n’y a pas de contradictions que cela va aider les gens, mais nous devons trouver le moyen de passer d’une approche à l’autre.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer à la deuxième série de questions.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais simplement poursuivre en reformulant votre dernière phrase. Nous devons trouver le moyen de passer d’une approche colonialiste à une approche non colonialiste.
J’aimerais faire une préface à ma question, qui concerne le droit et l’évolution du droit, en mentionnant encore une fois que vous êtes un chef de file visionnaire dans le domaine de l’éducation et de l’éducation juridique, et que votre réputation a largement dépassé les facultés de droit de ce pays. Dans le cadre du programme d’autochtonisation de l’Université de Winnipeg, où j’ai un poste permanent, j’aimerais attirer l’attention du comité sur votre bande dessinée, Mikomosis et les Wetiko, dont je me sers beaucoup pour enseigner, tout comme le fait, je crois, la sénatrice Pate. Je dirais qu’en fait cette bande dessinée aborde une question très grave. C’est la définition du meurtre selon le droit cri et selon le droit colonial. C’est un outil didactique extraordinaire pour tous les âges et toutes les matières. J’aimerais vous remercier pour ce que vous avez fait et je vais la faire circuler pour que les membres du comité puissent en avoir une idée. Elle ne fait pas partie des documents que vous avez déposés, mais j’en ai toujours des copies dans mon bureau de sorte que j’ai pu en apporter une.
Ma question porte sur le processus de décolonisation et se situe dans le prolongement des excellentes questions qu’a posées notre présidente; elle comporte deux parties. La première est qu’il y a un certain nombre d’intervenants qui ont parlé, assez récemment — le plus récent, à ma connaissance, est Phil Fontaine, mais il n’y a pas seulement M. Fontaine — de la nécessité d’adopter un droit nouveau au Canada qui reposerait sur la notion de trois peuples fondateurs et non pas uniquement sur la description actuelle où il y a le peuple français et le peuple anglais. J’aimerais savoir si vous pensez que l’adoption d’une telle approche pourrait constituer dans la conception du droit, une force positive favorisant la décolonisation.
Ma deuxième question qui porte également sur le droit découle principalement des documents que vous avez déposés au comité qui traitent du genre et de l’égalité entre les sexes, notions qui ne sont pas nécessairement identiques, ce qui concerne le projet de loi S-3 actuel. Le comité a décidé, d’un commun accord, de proposer des modifications qui visent à supprimer tous les éléments de discrimination que contient la Loi sur les Indiens, notamment dans le domaine de l’enregistrement de femmes autochtones. Ces modifications ont été retirées par le gouvernement et il nous a envoyé sa réponse. Le Sénat doit encore examiner tout cela. Nous sommes en plein milieu de ce processus et j’aimerais beaucoup savoir ce que vous pensez de l’importance et du caractère possiblement constructif d’un véritable nettoyage des dispositions créant une discrimination fondée sur le sexe que l’on retrouve dans la Loi sur les Indiens, en partant du principe que ce sont là des éléments que la plupart d’entre vous souhaitent voir disparaître complètement. Nous faisons face, à l’heure actuelle, à une situation dans laquelle le projet de loi a été suspendu pour le moment, mais qui nous a été également soumis dans le cadre de ce processus. Quels sont les aspects de la Loi sur les Indiens qu’il conviendrait de modifier pour refléter le processus plus large de décolonisation qui se déroule dans notre pays?
Mme Napoleon : Votre première question portait sur la nécessité d’adopter un droit nouveau au Canada qui refléterait mieux l’existence de trois peuples fondateurs; nous avons principalement essayé de reconstruire complètement le droit autochtone, tout en sachant que cette reconstruction allait modifier la nature de nos relations avec le Canada et avec tous les autres. À l’heure actuelle, ce sont le droit canadien et les processus juridiques canadiens qui s’appliquent par défaut, lorsque nous n’avons pas encore reconstruit les domaines qu’il fallait. Je pense que, lorsque les peuples autochtones auront eu le temps d’accomplir le travail associé à cette reconstruction, le fait de nous concentrer sur des choses comme celles que vous mentionnez serait utile. Je dois, cependant, avouer que je n’y ai pas beaucoup réfléchi.
Pour ce qui est de la deuxième question concernant la discrimination permanente et la Loi sur les Indiens, je dirais que la Loi sur les Indiens est toujours là et qu’elle ne devrait entraîner aucune discrimination. Il faut absolument lui apporter des modifications qui interdiraient toute discrimination. Tant que cette loi sera en vigueur et qu’elle aura des conséquences et des effets importants sur la vie des Autochtones, alors il faudra lutter contre la discrimination qui y est associée.
La sénatrice Raine : Je me demande si vous pourriez nous en dire davantage sur la trousse dont vous avez parlé et qui est destinée aux collectivités. Vous avez mentionné que vous vous rendiez dans les collectivités sur invitation. S’agit-il d’une trousse qui est adaptée à chaque collectivité que vous visitez ou d’une trousse qui lui permet de démarrer ce processus au niveau communautaire? Pourriez-vous nous donner quelques détails sur cette trousse?
Mme Napoleon : Nous avons élaboré plusieurs trousses. La première est la Gender Inside Indigenous Law Toolkit, qui comprend un recueil de décisions. Cette trousse pose des questions, contient des plans de leçon, explique les façons d’analyser les histoires du point de vue des genres; elle parle de pouvoir et des façons dont cela influence le droit, de sorte que c’est une trousse très complète qui fournit notamment des ressources.
Nous avons également un recueil de décisions, qui contient des histoires cries, secwepemc et dénées, et dont nous nous servons comme exemple pour commencer à analyser les histoires du point de vue des genres et ce processus peut être également utilisé pour examiner d’autres ordres juridiques autochtones.
Nous avons plusieurs trousses. Il y en a une autre sur les litiges immobiliers matrimoniaux. Nous espérons pouvoir en élaborer d’autres sur les droits de la personne et les droits relatifs à l’eau.
Le travail que nous effectuons dans les collectivités est adapté à leurs propres traditions juridiques. Cela fait plusieurs années que nous travaillons avec les Secwepemc, avec le Conseil tribal de la nation Shuswap, et que nous avons élaboré une documentation importante pour ces Premières Nations et que nous abordons maintenant la gouvernance, parce que cet aspect est relié aux terres et aux ressources. Sur la Côte-Nord, nous travaillons sur les terres, les ressources et l’eau avec deux communautés tsimshiennes. Ces rapports sont terminés. Ce groupe veut désormais travailler avec d’autres collectivités tsimshiennes sur le règlement des litiges; nous allons donc travailler avec ces collectivités pour effectuer une recherche sur le règlement des conflits, en tenant compte de toutes leurs histoires orales et des entrevues que nous avons avec des membres de ces collectivités ainsi qu’avec des groupes de discussion. À la fin du projet, qui sera normalement terminé dans un an, ces collectivités disposeront de cette ressource — elles en seront propriétaires — et nous pourrons utiliser cette ressource pour le programme de diplôme en droit autochtone.
La sénatrice Raine : Merci.
La présidente : Je pense que cela met fin à notre deuxième tour. J’ai une dernière question pour vous, madame Napoleon. Y a-t-il une ou des collectivités dans lesquelles il serait bon, d’après vous, que le comité se rende, des collectivités qui ont avancé dans le développement de leurs propres traditions juridiques, de sorte qu’elles pourraient expliquer au comité ce que leur a apporté le fait qu’elles aient acquis le sens de ce qu’est leur propre nation?
Mme Napoleon : Différentes collectivités ont déjà préparé différentes choses. Il serait vraiment excellent que vous réussissiez à parler à Bonnie Leonard, qui est la chef des Secwepemc, le Conseil tribal de la nation Shuswap. Il y a d’autres collectivités qui ont fait des choses comme l’élaboration d’outils d’évaluation environnementale, qu’elles ont appliqués à différents projets industriels sur leurs terres. Il y a une collectivité Gitga’at sur la Côte-Nord. On l’appelle également Hartley Bay. Ce serait également une excellente chose que vous parliez à Spencer Greening, un homme fantastique. Ce sont des gens extraordinaires qui travaillent sur le terrain pour élaborer toutes ces règles de droit.
La sénatrice Pate : Pour en revenir au dernier commentaire de la sénatrice Dyck, existe-t-il des collectivités qui travaillent sur des domaines que nous relions habituellement au droit pénal et avec lesquelles il serait bon que nous parlions ou que nous allions les visiter?
Mme Napoleon : Les initiatives en matière pénale qui ont été lancées se sont inscrites, jusqu’ici, dans le système de justice canadien et c’est une discussion fort intéressante. Nous avons préconisé que ce domaine du droit comprenne l’ensemble des réponses juridiques aux dommages physiques et aux préjudices, y compris aux dommages et aux préjudices graves et englobe les mesures les plus graves. Nous ne proposons pas nécessairement de revenir à ces pratiques, mais de réfléchir au pouvoir que les gens peuvent imaginer exercer, pour ensuite essayer de les influencer. Voici la question que nous posons : quelle est l’efficacité d’un ordre juridique incomplet pour ce qui est de la santé intellectuelle du système et de la compréhension qu’ont les personnes concernées de leur propre droit, par exemple.
Il y a une étude intitulée « Indigenous Legal Traditions : Roots to Renaissance » que j’ai rédigée avec un collègue, qui porte sur cette question et qui fournit un historique des projets qui ont été lancés au Canada.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie de nous avoir présenté un exposé très stimulant, madame. Je me demande si je peux vous poser une question très concrète, la voici : Où en est, à l’heure actuelle, le projet de programme de diplôme de droit autochtone de l’Université de Victoria? Nous sommes tous intéressés et très impressionnés par ce projet, notamment parce qu’il permettrait d’atteindre les objectifs que devrait se donner, d’après vous, le Canada. Vous dites que vous espérez que ce programme démarre en septembre 2018. Où en est-on à l’heure actuelle et qui décide de l’ouverture de ce programme, si je peux poser cette question?
Mme Napoleon : Compte tenu du temps nécessaire pour mettre sur pied un programme de cette ampleur et de ce calibre, je dirais que nous en sommes presque rendus au point où nous devrions commencer à parler de septembre 2019 à moins que nous obtenions très rapidement les approbations, tant au palier fédéral que provincial, dont nous avons besoin. Nous sommes à la recherche d’une personne qui serait prête à défendre notre cause devant le gouvernement fédéral. Nous avons parlé à des représentants des finances, du ministère des Affaires autochtones, des infrastructures, et aussi à des organismes horizontaux, et nous demandons un crédit dans le prochain budget de 2018. Nous espérons que l’appui fédéral nous permettra d’ajouter une autre aile à la faculté de droit.
Nous avons eu des conversations approfondies avec des représentants de la province, avec le ministre de l’Éducation supérieure, avec le vice-premier ministre, par exemple. Le projet est porteur, mais nous n’avons pas encore obtenu les approbations qui nous permettraient d’aller de l’avant. L’apport provincial consisterait à financer le fonctionnement du programme, à fournir un appui aux étudiants et à assurer la rémunération des professeurs, par exemple.
Nous sollicitons également de nombreuses sources privées. Nous parlons à beaucoup de gens depuis pas mal de temps, et ils sont tous très favorables au projet, mais nous n’avons pas encore obtenu de décisions concrètes.
Le sénateur Patterson : Merci.
La présidente : Madame Napoleon, je vous remercie, au nom du comité, d’avoir pris le temps de comparaître aujourd’hui, pour nous présenter votre exposé et répondre à toutes nos questions. Il est évident que vous êtes en train de mettre au point un programme qui est extrêmement intéressant et comme j’ai déjà travaillé dans une université comme administratrice, je sais que ces choses prennent beaucoup de temps. Personnellement, et c’est également le sentiment de tous les membres du comité, je vous souhaite de réussir et j’espère que ce programme de droit pourra démarrer le plus tôt possible. Il est possible que nous vous posions plus tard d’autres questions. Je crois que le greffier essaie d’obtenir des exemplaires supplémentaires de votre livre illustré, parce que je pense que nous sommes tous très intéressés à l’examiner. Cela dit, je vous remercie encore une fois et la séance est levée.
(La séance est levée.)