Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 34 - Témoignages du 23 mars 2018 (séance du matin)
WINNIPEG, le vendredi 23 mars 2018
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 6, pour étudier la nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je souhaite à tous la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui se tient ici, dans la belle ville de Winnipeg.
Avant de commencer, j’ai une motion à proposer. Acceptez-vous que notre réunion d’aujourd’hui soit filmée et photographiée?
Des voix : D’accord.
La présidente : La motion est adoptée.
Je demanderai à mes collègues de se présenter, en commençant par la sénatrice du Manitoba.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.
Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
La présidente : Je m’appelle Lillian Eva Dyck, et j’ai l’honneur et le privilège de présider ce comité.
Nous accueillons aujourd’hui plusieurs groupes de témoins. Les premiers témoins que je suis heureuse d’accueillir et de vous présenter sont les porte-parole de la Manitoba Association of Friendship Centres, soit Mme Roberta MacKinnon, sa présidente, et M. Ryan Paradis, son directeur général.
Je vous invite à faire votre exposé, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.
Roberta MacKinnon, présidente, Manitoba Association of Friendship Centres : Je vous salue et vous remercie, madame la présidente et distingués membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, de nous avoir invités à comparaître devant vous ce matin. Je me félicite de cette occasion qui m’est donnée de vous parler de la nouvelle relation de nation à nation au Canada.
Je tiens à saluer les Anishinaabes, les Cris et les Dakotas, ainsi que les Métis de la vallée de la rivière Rouge, dont nous nous trouvons aujourd’hui sur les terres ancestrales. Mon nom est Blue Star. En anglais, on m’appelle Roberta MacKinnon. Je suis membre de la Première Nation de Beaver, en Alberta, et présidente de la Manitoba Association of Friendship Centres.
J’aimerais aujourd’hui vous faire part de mes observations et de mes expériences concernant la nouvelle relation de nation à nation. Une relation de nation à nation signifie vraiment, dans la pratique, une relation de gouvernement à gouvernement. Bien qu’il soit important de reconnaître le droit des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et à l’autodétermination, nous devons en fixer clairement les limites.
La relation de nation à nation n’est pas une nouveauté. Le gouvernement britannique a conclu une série de traités de paix et d’amitié avec les tribus micmaque et malécite de 1725 à 1779. Le jeune gouvernement canadien en a fait autant, notamment en signant le traité no1 en 1871 à Lower Fort Garry.
Ce type d’engagement, à lui seul, présente un grand risque de nous faire régresser, en méconnaissant le fait que 60 p. 100 de tous les Autochtones vivent actuellement hors réserve, dans des centres urbains partout au Canada.
Dans l’ensemble, les Autochtones vivant en milieu urbain sont laissés pour compte et oubliés dans les discussions de nation à nation, dans ses pratiques et ses résultats. Il est de la plus haute importance de reconnaître les « distinctions » et de maintenir intacte notre identité. Nos besoins fondamentaux sont les mêmes : un accès à la justice, aux soins de santé, au logement et à l’alimentation. En préparant des engagements réels et exhaustifs, il importe de maintenir ce principe à l’avant-plan.
À l’heure actuelle, cette nouvelle relation a pour effet de diviser encore plus les peuples autochtones. La grande majorité des organisations dirigeantes des Premières Nations, des Métis et des Inuits n’ont pas la capacité de fournir des services à leurs membres en milieu urbain partout au Canada. Qui fournira les services si nécessaires? Nos gens fournissent déjà ces services. Leurs infrastructures existantes sont exclues des pourparlers sur cette nouvelle relation et de son financement.
Les organisations politiques autochtones ont pour mandat de fournir des services uniquement à leurs membres. Un Métis ne peut pas recourir aux services d’un fournisseur de services des Premières Nations. Le nombre de fournisseurs de services aux Inuits en milieu urbain est insuffisant au Canada. Le niveau de la population inuite dans la plupart des milieux autochtones rend difficile la prestation de services propres aux Inuits.
Depuis plus de 60 ans, les centres d’amitié offrent une vaste gamme de services de soutien holistiques, axés sur les clients, culturellement adaptés, à tous les Autochtones du Canada sans égard au statut. Étant le plus ancien forum d’action communautaire et de réconciliation apportant un soutien aux Autochtones en milieu urbain au Canada, le réseau des centres d’amitié est devenu l’infrastructure de prestation de services aux Autochtones hors réserve la plus grande et la mieux implantée au Canada.
À eux seuls, les centres d’amitié du Manitoba offrent chaque jour un service à plus de 1 000 Autochtones vivant en milieu urbain. Leurs services et programmes comprennent les garderies, le logement, les cliniques de santé, les secours d’urgence, le soutien en santé mentale, l’emploi et la formation, l’éducation, le développement économique, la justice, la langue et la culture, les sports et les loisirs, et le bien-être communautaire. Les programmes et les services sont personnalisés en fonction des besoins de chaque client et ils sont offerts de façon culturellement rassurante et sans jugement de valeur, en fonction des enseignements autochtones de la région d’origine du client. Les centres d’amitié offrent également des programmes de secours provisoires et d’urgence, notamment des banques de vêtements, des services de transport, le programme de pain hebdomadaire du Dauphin Friendship Centre, au Manitoba, des boîtes d’aliments, des banques alimentaires, des jardins communautaires et des programmes de nutrition.
Encore une fois, en tant que réseau et en tant que mouvement, tous les centres d’amitié font abstraction du statut des clients. Lorsqu’une personne non autochtone franchit les portes et a besoin de services, elle ne sera pas refusée. Il en est de même de tout nouvel arrivant. Si le Canada veut vraiment la réconciliation, nous devons tous tendre la main et éliminer ces divisions. Nous devons nous concentrer sur ce qui nous rassemble et non sur ce qui nous sépare.
Survivante de la rafle des années 1960, j’ai trouvé mon chez-moi au centre d’amitié. À mon arrivée au Manitoba, je n’avais pas de famille ici. Je n’étais pas une Anishinaabe ni une Crie; j’étais une Beaver. J’étais une femme de Beaver transplantée au Manitoba. Je n’avais nulle part où aller pour obtenir des services adaptés à mes besoins culturels. Je me suis tournée vers les centres d’amitié et ils sont devenus mon chez-moi. Ils m’ont apporté les enseignements culturels dont j’avais besoin. J’ai découvert qui j’étais en tant que personne grâce aux programmes adaptés à ma culture. Je suis heureuse qu’ils existent ici aujourd’hui.
J’ai trois recommandations à formuler. Ma première recommandation est que j’aimerais poursuivre cette discussion après l’achèvement de cette étude particulière. Il y a grand profit à tirer des discussions, surtout si nous les utilisons pour nous exercer notre capacité d’écoute.
Ma deuxième recommandation est qu’il faut consulter et écouter les Autochtones en milieu urbain, en plus des politiciens autochtones. La représentation politique est très importante, mais il ne faut pas oublier que ce sont les gens qui doivent participer au processus de guérison. Ce ne sont pas les hauts placés à qui il revient de déterminer ce qui est le mieux pour les gens qui n’ont pas de voix.
Ma troisième et dernière recommandation porte simplement sur le besoin d’accroître le soutien accordé aux centres d’amitié. Dans le contexte actuel, les centres d’amitié sont stratégiquement positionnés pour aider tout le monde. Pourquoi ne pas utiliser cette infrastructure?
En terminant et avant de céder la parole à Ryan, j’aimerais inviter les membres du comité et leurs collègues du Sénat à faire une visite dans le centre d’amitié de leur circonscription et des circonscriptions voisines pour constater l’effet positif, réel et durable, que les centres d’amitié ont sur leur collectivité. Parlez aux gens de la collectivité et au personnel et apprenez comment le réseau des centres d’amitié améliore la qualité de vie des Autochtones en milieu urbain.
Merci beaucoup de votre temps et de votre attention.
Ryan Paradis, directeur général, Manitoba Association of Friendship Centres : Je remercie le comité sénatorial de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à lui sur cette question. Comme Roberta l’a déjà souligné, la discussion de nation à nation exclut la majorité des Autochtones canadiens. En effet, 60 p. 100 de tous les Autochtones vivent et résident désormais en milieu urbain. Plus ils sont loin de leur réserve, plus il est difficile de recevoir un soutien quelconque pour améliorer leur qualité de vie. Les centres d’amitié ont été créés il y a plus de 60 ans afin de faciliter la transition des Autochtones qui quittaient leurs terres ancestrales pour s’installer en milieu urbain et y trouver une meilleure qualité de vie.
Malheureusement, tous les détails de la prestation de services sont oubliés dans l’esprit de réconciliation, dans la ferveur de la bonne volonté politique des deux côtés et dans l’enthousiasme de l’engagement, et cela se comprend fort bien. En milieu urbain, l’Autochtone n’a pas de voix. Comme Roberta l’a dit, si un membre d’une Première Nation qui vit en milieu urbain doit se déplacer au moyen du transport en commun ou à pied, il devient très difficile de trouver un soutien communautaire. Ce sont ces carrefours communautaires sur lesquels comptent les personnes et les communautés autochtones en milieu urbain. Ce sont ces carrefours urbains autochtones qui contribuent à réduire la criminalité, qui procurent une satisfaction dans la vie quotidienne et qui accroissent la capacité économique grâce à leur engagement dans la communauté.
C’est essentiellement le cas pour les gens des Premières Nations, les Métis, les Inuits, les Indiens non inscrits — je ne sais pas à qui s’adresseraient les Indiens non inscrits —, mais dans le cadre de la relation de nation à nation, toutes ces personnes devront chercher à obtenir des services en fonction de leur appartenance culturelle et auprès de l’organisme directeur de leur communauté. Cela entraînerait des chevauchements de services dans les mêmes communautés et des coûts plus élevés. En fait, ce serait un gaspillage d’argent, de temps et d’énergie.
Les centres d’amitié, de même que d’autres fournisseurs de services aux Autochtones en milieu urbain, ont déjà des infrastructures, du personnel et des programmes et, surtout, ils bénéficient de la confiance des communautés qu’ils desservent. Cela prend du temps à établir, et il serait imprudent de vouloir recommencer à zéro. Les Autochtones en milieu urbain et leurs fournisseurs de services ont besoin d’un soutien renouvelé. Du fait de la discussion de nation à nation, la dernière année a été l’une des plus difficiles depuis l’avènement des centres d’amitié il y a plus de 60 ans en raison des réductions du financement fédéral, qui ont causé de graves problèmes. Lorsque nous avons cherché à exprimer nos préoccupations, nous avons été, ni plus ni moins, relégués à l’arrière-plan dans cette discussion. Nous ne sommes pas une organisation politique, nous ne nous occupons pas du statut des clients, nous n’avons pas d’affiliation politique, si bien que notre position semble devoir nous exclure de la discussion.
J’appuie sans réserve les recommandations de Roberta. Je vous remercie encore une fois de m’avoir accordé ce temps de parole.
La présidente : Nous allons maintenant passer aux questions. Sénateur Patterson.
Le sénateur Patterson : Nous sommes nombreux à être au courant du bon travail des centres d’amitié. Lorsque nous étions en Saskatchewan hier, nous avons entendu la même histoire alarmante, qui veut que les changements apportés à Ottawa, en particulier la création de deux ministères à partir d’un seul, ont peut-être eu des conséquences imprévues et certainement indésirables pour les centres d’amitié et, en Saskatchewan, nous a-t-on dit, pour les programmes cruciaux destinés aux jeunes. Vous avez dit que la dernière année a été la plus difficile sur le plan du financement. Pourriez-vous, je vous en prie, nous en dire davantage sur ce qui s’est passé et pourquoi?
M. Paradis : Je n’ai pas de données pour confirmer qu’il s’agissait de notre année la plus difficile, mais il se peut fort bien qu’elle l’ait été. Il ne fait aucun doute qu’elle a été l’une des plus difficiles.
L’absence de certitude en est une raison. Nous devions conclure une nouvelle entente et un nouveau contrat pour l’exercice financier précédent. Il se faisait déjà tard quand nous avons appris que l’entente serait conclue en juillet, puis avant l’automne, puis enfin avant la nouvelle année. En fin de compte, c’est un financement de transition que nous avons reçu pour terminer l’exercice financier, et ce financement a été inclus comme composante spéciale dans l’entente quinquennale qui devait être conclue.
Le financement des programmes et des services a été sabré. Le financement de nos programmes pour les jeunes a été supprimé, et nous nous battons depuis pour les maintenir. Le Mouvement des centres d’amitié du Canada a senti, à l’échelle nationale et certainement à l’échelle manitobaine, une pression pour l’écarter lentement de la discussion.
Il ne faut certainement pas en vouloir aux organisations des Métis, des Premières Nations et des Inuits de chercher à accéder à l’autonomie gouvernementale, de faire du lobbying et de négocier au nom de leur peuple. Il va sans dire que nous les appuyons tous. Mais rien n’est prévu pour les non-Autochtones, les familles mixtes. Comment peut-on dire à une famille qui a un enfant non inscrit et un enfant inscrit : « Désolé, mais vous ne pouvez recourir à nos services que pour l’un de vos enfants », alors que l’autre doit rester sur la touche et regarder son frère ou sa sœur obtenir le service en question?
Ce sont des situations de ce genre qui, mois après mois dans cette discussion de nation à nation, ne cessent de s’incruster dans le système et deviennent de plus en plus préoccupantes. Il faut les reconnaître et les résoudre.
J’espère que cela répond à votre question.
Le sénateur Patterson : Vos collègues de la Saskatchewan étaient d’avis que ces difficultés de financement — et ils ont mentionné que les programmes pour les jeunes étaient réduits de moitié en Saskatchewan — résultaient de la création de deux ministères, celui des Services aux Autochtones et celui des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, issus de la scission d’Affaires autochtones et du Nord Canada. Qui vous finance aujourd’hui? Faites-vous affaire avec les mêmes personnes qu’avant la scission du ministère? On nous a dit que l’annonce unilatérale de la création de deux ministères visait à mettre fin à l’approche colonialiste. Je suppose que nous espérions tous que ce serait une bonne chose. Pourriez-vous décrire un peu plus en détail comment cela a influé sur votre relation de financement avec le gouvernement fédéral?
M. Paradis : Dans l’ensemble, les centres d’amitié reçoivent du financement du gouvernement fédéral dans le cadre des actuels programmes urbains destinés aux Autochtones par l’entremise de l’Association nationale des centres d’amitié, qui regroupe tous les centres d’amitié, comme toutes les associations provinciales et territoriales. Nous traitons maintenant avec différentes personnes au ministère des Services aux Autochtones du Canada. En fait, cela contribuait à la grande incertitude dont j’ai parlé, car au beau milieu des négociations et en essayant de signer notre entente de toute urgence au cours de la dernière année, nous sommes passés de la ministre Bennett à la ministre Philpott. Évidemment, comme vous pouvez l’imaginer, ce n’était pas un modèle d’efficacité.
Cela dit, je pense que chaque fois que vous fractionnez la discussion et que vous compartimentez, c’est, en fait, un grand pas vers des attitudes colonialistes, non un moyen de s’en éloigner. Je pense que la discussion doit être holistique, continue, publique et inclusive. Cela ne sera pas facile, mais, sur le plan pratique, la réconciliation n’est pas facile. Si c’est vraiment ce que nous faisons ici, je pense qu’il est raisonnable de repenser cette stratégie.
Le sénateur Patterson : Pour aller un peu plus loin, vous vous attendiez à ce qu’une entente quinquennale soit renouvelée au cours du dernier exercice, vous avez attendu, si j’ai bien compris, presque tout l’exercice financier pour obtenir des nouvelles au sujet de cette entente, vous avez obtenu un financement spécial à la fin de l’exercice et vous n’avez toujours pas d’entente quinquennale? Est-ce bien la situation?
M. Paradis : C’est presque ça. Le programme précédent a pris fin complètement, remplacé par le programme Développement des capacités communautaires. Il y avait auparavant la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, maintenant remplacée par les Programmes urbains pour les peuples autochtones.
Nous devions signer une entente au début du nouvel exercice, mais pour une raison quelconque, cela ne s’est pas fait et les négociations se poursuivaient. Tous les quelques mois, nous recevions des renseignements différents sur la façon de procéder. Nous n’avons pas reçu tout notre financement à la dernière minute, mais à la pièce. Au début, des fonds de transition ont été débloqués pour que les centres d’amitié puissent rester ouverts. D’autres fonds de transition ont été débloqués au cours de l’été, de nouveau à la fin de l’automne ou au début de l’hiver, puis encore il y a quelques semaines. Nos centres d’amitié n’ont toujours pas de financement pour leurs programmes et services. Nous attendons toujours. Étant donné que l’exercice financier se termine dans une semaine, il sera intéressant de voir par quels moyens logistiques nous nous en tirerons.
Mme MacKinnon : Vous avez parlé du financement des programmes pour les jeunes. Je travaille au centre d’amitié de Brandon et, il y a quelques années, nous avons reçu 140 000 $ pour gérer notre programme pour les jeunes. À cette époque, le gouvernement fédéral se préoccupait des jeunes et disait : « Nous allons aider les jeunes, nous allons leur offrir plus de programmes, nous allons les aider à développer leurs intérêts culturels et nous allons faire quelque chose avec eux pour réduire la criminalité. »
Cette année, nous avons reçu 60 000 $ pour administrer le programme pour les jeunes. Je connais des familles qui vivent avec 60 000 $ par année. On ne peut pas administrer un programme décent pour les jeunes, ouvert sept jours par semaine, qui leur donne de la nourriture parce qu’ils n’ont peut-être pas de quoi manger à la maison et qui leur offre des activités adaptées à leur culture. On ne peut pas le faire avec 60 000 $ par année. Cela couvre à peine le salaire de nos travailleurs. Cela ne laisse pas grand-chose pour aider les jeunes. Je voulais simplement le préciser. Merci.
Le sénateur Christmas : Bonjour. Je suis très heureux de vous voir ici.
Je trouve qu’il y a une contradiction ici et je vous prie de me corriger si je me trompe. Roberta, vous avez très bien décrit les centres d’amitié comme étant des « centres axés sur les clients », « culturellement adaptés » et « sans égard au statut ». Ce qui me frappe, c’est que les centres d’amitié sont un service essentiel en milieu urbain. Vous desservez une population très vulnérable, et je n’ose même de penser au sort de ces gens s’ils n’avaient pas accès à vos services.
Pourtant, l’autre terme de la contradiction — encore une fois, je ne veux pas vous faire dire ce que vous n’avez pas dit —, c’est, il me semble, que la relation de nation à nation vous laisse pour compte, que vous êtes en dehors de cette relation de nation à nation, même si vous offrez un service essentiel. Cela me paraît contradictoire.
L’autre commentaire que j’essaie de « concilier », je suppose, faute d’un meilleur mot, c’est que vous êtes apolitique et que vous l’êtes délibérément en raison de la nature de vos services. Vous voulez offrir des services à toutes les personnes qui franchissent votre seuil. Il me semble que vous avez délibérément décidé de ne faire aucun cas du statut des clients et de faire en sorte que tous ceux qui passent par votre porte obtiennent des services. Mais le prix à payer pour être une organisation apolitique, c’est de n’avoir pas voix au chapitre. Dans mon esprit, il y a là une contradiction.
Si vous n’avez pas de voix politique et que vous n’en voulez pas, du moins de la part des organisations politiques autochtones, où pouvez-vous vous faire entendre? Vous avez besoin de cette voix, je pense, pour pouvoir formuler les besoins des gens dont vous êtes au service.
Je vois cette contradiction, mais je ne sais pas ce que le comité peut recommander pour que vos services soient correctement financés. C’est un dilemme et je suis désolé de vous l’imposer, mais j’essaie m’attaquer à ces questions.
Mme MacKinnon : D’après moi, le gouvernement parle aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits. Où les Autochtones citadins peuvent-ils se faire entendre s’ils ne sont pas affiliés à une certaine communauté? Comme je l’ai dit plus tôt, je suis une Beaver transplantée ici, au Manitoba. Je ne suis pas une Cri; je ne suis pas une Anishinaabe; je ne suis pas une Dakota. Où dois-je aller? Dans quel bureau puis-je me rendre et dire : « J’ai besoin d’aide, j’ai besoin de savoir où je peux obtenir ces services? »
Ce sont les mêmes personnes pour lesquelles nous travaillons tous les jours. Elles n’ont pas de voix et nous sommes leur voix. À l’heure actuelle, il semble que le Mouvement des centres d’amitié et les centres d’amitié risquent de perdre leur financement. Ils risquent de ne pas être en mesure de fournir les services dont notre peuple a tant besoin.
Comme je viens de Brandon, je vais prendre l’exemple du centre d’amitié de Brandon. Nous avons des sans-abri là-bas. Gail est notre directrice générale. Elle ouvre les portes et prépare du café à 8 heures du matin. Il y a des gens qui attendent à la porte pour boire une tasse de café. Ils viennent, ils s’assoient et disent : « Je vais attendre que le café soit prêt. » Nous n’ouvrons pas avant 8 h 30, mais elle ne va pas les laisser attendre dehors dans le froid pendant une demi-heure, alors elle les laisse entrer et ils patientent là.
Où vont ces gens-là? Bien souvent, ils viennent des collectivités du Nord. Ils viennent dans un centre urbain et n’ont pas d’endroit, pas de bureau où ils peuvent se rendre et dire : « J’ai besoin d’aide. ». Et s’ils le font ils s’entendent dire : « Eh bien, vous devez aller voir tel ou tel responsable politique ». Ils viennent donc nous voir et nous sommes leur voix. C’est vrai, nous n’avons pas voix au chapitre parce que nous ne sommes pas politisés. Nous aidons tous ceux qui franchissent nos portes, quel que soit leur statut. Nous perdons notre voix parce que nous ne sommes pas politisés.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Christmas : J’en conclus que les centres d’amitié doivent être la voix des Autochtones vivant en milieu urbain. J’ai dit hier que l’une des erreurs que nous, responsables politiques, faisons à mon avis, c’est d’immédiatement essayer d’intégrer les centres d’amitié à toutes les autres organisations. Nous essayons de les intégrer aux Premières Nations, aux Métis ou aux Inuits et parfois nous ne voyons pas que les centres d’amitié sont une entité séparée parce que vous êtes au service de tous. Vous n’êtes pas au service d’un groupe, mais de tout le monde.
Il me semble qu’une partie de la solution consiste à encourager le gouvernement fédéral à reconnaître, dans le cadre de cette relation de nation à nation, que les centres d’amitié de tout le Canada devraient être reconnus comme une entité propre. Je ne veux pas dire « organisation politique », je ne pense pas que ce soit ce que vous voulez, mais vous êtes sans aucun doute des fournisseurs de services urbains. Je pense que c’est dans cette direction qu’il faut aller. Que pensez-vous de cette approche?
M. Paradis : Je pense que la formulation en elle-même est avant tout destructrice. Le mot « destructrice » est une exagération, je suppose, mais vous comprenez ce que je veux dire. C’est l’un des facteurs les plus néfastes. La formule « de nation à nation » enferme automatiquement la conversation dans une boîte, une boîte politique, alors qu’il s’agit de personnes. Cela va au-delà des gouvernements. Les gouvernements sont là pour représenter la population, mais nous savons tous que cela a des limites. Lorsqu’il s’agit, comme vous les qualifiez très justement, de populations très vulnérables qui n’ont pas cette représentation politique, dès qu’il est question d’une conversation de nation à nation, elles sont laissées pour compte d’emblée.
Vous avez tout à fait raison de dire que les centres d’amitié doivent avoir voix au chapitre. En réalité nous ne pouvons pas nous permettre de devenir une organisation politique et de protéger les gens dans les collectivités pour lesquelles nous œuvrons. Je pense que nous devons implorer les décideurs qui participent à ce débat de repenser la formulation.
Le sénateur Christmas : Pourriez-vous développer votre dernière remarque sur la reformulation? Je crois savoir où vous voulez en venir, mais pourriez-vous préciser ce que vous entendez par « repenser cela »?
M. Paradis : Je vous remercie de me donner l’occasion d’entrer dans les détails. « Repenser », parce que, comme je l’ai dit, il y a un effet néfaste dès que vous commencez à parler de nations. Qu’est-ce qu’une nation? Une nation est un gouvernement, du moins lorsqu’il s’agit de discussions entre nations. Il est représentatif d’un groupe de personnes. Mais qu’en est-il des gens qui sont exclus de cette nation? Dans le contexte actuel, vous pouvez appartenir à une Première Nation puis perdre votre statut et perdre ce soutien. Vous perdez en substance votre citoyenneté lorsque vous faites partie d’une population vulnérable. Je ne parle pas des relations, mais des services. Il est très difficile de faire machine arrière dans ce domaine. Comment faites-vous? Il y a une chose que vous pouvez faire, c’est d’établir un lien direct avec le langage simple utilisé dans la conversation. Nous devrions parler de personne à personne.
La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé. J’ai travaillé comme dentiste pour la province pendant environ quatre ans. Cela fait environ 40 ans que je vis à Winnipeg. Je pense que c’est l’un des — je ne veux pas dire « problèmes » — les plus complexes. C’est un mélange tellement complexe. Il m’a été impossible de voir comment la population urbaine avait accès aux services au Manitoba, parce qu’en réalité il n’existait pas un organisme unique pour entendre et représenter la voix des gens, pour communiquer avec eux; pour que les peuples autochtones puissent dire : « C’est ce dont nous avons besoin ». Je n’ai jamais pu comprendre.
Il est même difficile pour moi de siéger ici, de poser les questions appropriées, parce que le système, comme on l’a dit, est un système politique. C’est un système politique colonial qui a été transmis aux dirigeants des Premières Nations et qui ne tient pas compte d’un grand nombre de voix. L’un des problèmes, je crois, est que lorsqu’on regarde les relations de nation à nation, la définition des peuples se fonde généralement sur le territoire. Les gens qui viennent en ville n’ont pas d’assise territoriale. En raison de la façon dont le système est structuré, il n’y a nulle part où vous pouvez dire : « Voilà, nous serons un groupe. »
Il y a tellement de groupes différents à Winnipeg qui chacun portent une voix différente. Nous les entendons. Il n’y a pas un organisme qui a vu le jour pour dire : « D’accord, travaillons ensemble. » Recommanderiez-vous cela? Est-ce possible? La volonté est là. Je pense que le savoir-faire existe. Serait-ce une voie à suivre selon-vous, ou même une recommandation de votre part? Il y a peut-être déjà un tel organisme.
Mme MacKinnon : En vous écoutant, j’ai immédiatement songé à ma collectivité. À Brandon, nous avons ce qu’on appelle le « centre de discussion », c’est-à-dire différents fournisseurs de services réunis autour de la table, un peu comme ici. Ils examinent les problèmes qui se posent à Brandon et se concertent avec certaines personnes ou certaines régions. Ils parlent d’une seule voix. Je pense que c’est ce que nous devons faire ici à Winnipeg. Nous devons le faire ici, au Manitoba. Tous les fournisseurs de services doivent avoir au moins un représentant qui s’assoit autour de la table pour dire : « Voici la situation, voici ce que nous devons faire. » Ils parleraient ainsi d’une seule voix.
Les centres d’amitié le font. Nous tenons nos réunions trimestrielles, puis nous tenons une assemblée annuelle, lors de laquelle tous les centres d’amitié du Canada se réunissent et expriment leurs préoccupations, disent : « Voici ce qui se passe dans notre région, alors comment pouvons-nous collaborer avec d’autres régions pour lutter contre ce problème ou agir dans ce secteur en particulier? »
Je crois que c’est une excellente façon de procéder. Winnipeg pourrait le faire, Brandon l’a fait, Thompson pourrait le faire, le Manitoba pourrait le faire : parler d’une seule voix au sujet de toutes nos préoccupations.
Est-ce que cela répond à votre question?
La sénatrice McCallum : Oui. Vous avez fait valoir un excellent point au sujet du dialogue de nation à nation qui vous place dans une boîte, parce que je n’avais même pas pensé à cette tendance à l’exclusion. On espère simplement inclure tout le monde.
Étant donné la manière dont le système politique est structuré au Canada aujourd’hui, les voix se font entendre par l’intermédiaire des dirigeants politiques, par les chefs et les conseils ou par le grand chef. Les membres représenteraient tous ces différents groupes dans les régions urbaines du Canada. Imaginez-vous cela comme un organisme distinct des chefs et des conseils? Comment organiseriez-vous les choses?
M. Paradis : Dans le monde réel ou dans l’idéal?
La sénatrice McCallum : Dans l’idéal.
M. Paradis : Formidable.
Je vais être honnête; il y a les chefs et les conseils. Au Manitoba, il y a la Manitoba Metis Federation Inc. Je le répète, qu’en est-il des Indiens non inscrits? Au Manitoba, les populations inuites sont à un niveau où il est très difficile d’obtenir de l’aide pour les services. J’ai participé à une réunion et eu quelques discussions avec le témoin suivant, l’Association inuite du Manitoba. Les Inuits ont vraiment des difficultés à trouver des services inuits au Manitoba en général. Pourtant pour de nombreux Inuits, Winnipeg est le centre urbain le plus proche dans lequel ils peuvent obtenir certains niveaux de soins de santé et d’autres services dont ils ont besoin. Mais ils arrivent ici et se retrouvent coincés parce qu’ils n’ont pas les moyens de rentrer chez eux.
Comme vous l’avez dit au début, c’est une question très complexe et je ne sais pas s’il existe une solution miracle. Je pense qu’il faudra adopter une approche nuancée. Je pense que les universitaires peuvent jouer un rôle en signalant les lacunes. Je pense que ce débat doit progresser. Il faut que ce soit un dialogue. Pour simplifier à outrance, il faut que ce soit une conversation continue dans la sphère publique et il faut que ce soit quelque chose dont on parle franchement et sans aucun préjugé. Ma réponse est qu’il n’y a rien de simple — je n’en ai aucune idée.
La sénatrice McCallum : Je pense que cela fait partie du problème. Il me semble que c’est un pas dans la bonne direction.
La présidente : Si le comité pose ce genre de questions et écoute les réponses, c’est en partie pour vous inciter à l’imagination. Nous n’avons pas les solutions. Cet exercice vous aide à imaginer ce que serait la solution idéale ou une solution quelconque. Pendant que vous parliez ce matin du fait que vous ne vous inscrivez pas dans le soi-disant dialogue de nation à nation, j’essayais d’imaginer un tel organisme. Comme vous l’avez dit, cela se fait d’un gouvernement à l’autre. J’ai pensé à des choses comme les organisations intergouvernementales, les affaires intergouvernementales.
Imaginez-vous qu’il pourrait y avoir une sorte d’organisme ou de mécanisme au sein de la relation de nation à nation qui leur permettrait de travailler ensemble? En ce moment il semble que notre action aboutit à des divisions. Pourriez-vous proposer, par exemple, un mécanisme au sein des structures qui permettrait à une organisation comme les centres d’amitié de représenter les deux nations, ou les deux organismes, ou plusieurs nations?
M. Paradis : C’est une bonne idée. Je pense que s’il y avait un organisme gouvernemental qui reconnaissait les droits de l’ensemble des peuples autochtones, sans se préoccuper tant du statut, sans se préoccuper de savoir si vous êtes Métis, Inuit ou membre des Premières Nations, si vous vous définissez comme Autochtone, c’est un début. Je pense que c’est ainsi qu’il faut encadrer le dialogue. Ensuite les choses se compliquent, mais je pense que c’est malgré tout l’esprit qui doit régner au fur et à mesure que les choses se précisent.
Mme MacKinnon : Idéalement, il serait bon que le centre d’amitié soit perçu comme une nation. Il y a les Premières Nations, les chefs et les conseils, l’Association inuite, l’Association des Métis; pourquoi ne pas avoir aussi le centre d’amitié à la table? C’est la voix qui peut parler au nom de tous ceux qui accèdent à leurs services.
Je vais prendre mon propre exemple. Je suis une Beaver de Fort Vermilion, en Alberta, à Boyer River. Quand j’ai besoin de services, je ne peux pas rentrer chez moi parce que c’est à deux jours de route. Il n’est pas facile pour moi de sauter dans la voiture et de dire : « Oh, j’ai besoin de voir le dentiste, alors j’ai besoin d’aller chercher un papier de ma bande pour pouvoir aller voir le dentiste. » Ce n’est pas si facile pour moi.
Quand je rentre chez moi, la première question qu’on me pose, c’est : « Vivez-vous ici? Êtes-vous dans la réserve? » Et je réponds : « Non, je vis à Brandon; je vis au Manitoba ». On me rétorque alors : « Eh bien, nous ne pouvons pas vous aider ». Dans ces conditions, où dois-je m’adresser pour obtenir des services?
Les centres d’amitié sont des endroits merveilleux où aller pour faire entendre sa voix. C’est dans ces centres que l’on vous dit : « Eh bien, allez chez tel dentiste. » Tant que vous avez votre carte de statut, vous pouvez obtenir des services. Mais les Indiens non inscrits n’ont pas accès à ces services. Nous devons donc siéger à la table en qualité de nation et les centres d’amitié doivent être considérés comme une nation.
La sénatrice McPhedran : Merci à vous deux d’être ici. Je suis en retard parce que mon avion vient seulement d’atterrir.
J’ai été très intéressée par ce que vous avez dit au sujet du rôle des universitaires. Je me demande si nous pourrions y revenir un peu plus en détail.
Dans ma vie passée, j’ai fait beaucoup de recherches liées à l’action sociale, que l’on a fini par appeler le « militantisme fondé sur des données probantes ». Si vous brandissiez une baguette magique et qu’il y avait des universitaires qui voulaient être utiles, où voudriez-vous commencer?
M. Paradis : Merci de cette question. Il n’est pas nécessaire d’avoir une baguette magique; il y a déjà des universitaires qui essaient d’être utiles. Je pense que cela intéresse la communauté universitaire de contribuer à corriger bon nombre des problèmes dont il est question dans les discussions de réconciliation de nation à nation.
Malheureusement, une grande partie de la société se méfie de l’information universitaire. Je ne comprends pas vraiment ce raisonnement. C’est de la recherche; on regarde les choses comme elles sont et non pas comme on aimerait qu’elles soient.
Quoi qu’il en soit, je m’écarte du sujet; excusez-moi.
Il y a plusieurs domaines en sociologie : l’urbanisme, les études urbaines, le travail social. Je sais qu’il existe pléthore de publications universitaires pertinentes, actuelles et qui s’adressent précisément aux collectivités dont nous parlons. Ces publications font l’objet d’un examen par les pairs et c’est une excellente ressource qui est sous-utilisée. Nous n’avons pas besoin de créer de nouvelles études parce qu’il y en a déjà. Il suffit de faire un examen approfondi de ces publications.
La sénatrice McPhedran : Je veux m’assurer d’avoir bien compris votre réponse. Ai-je raison de croire que selon vous il n’y a pas de lacunes ou qu’il n’est pas nécessaire d’entreprendre des recherches portant précisément sur les centres d’amitié ou sur les questions qui les préoccupent? Vous êtes tout à fait satisfait de ce qui est disponible?
M. Paradis : Merci d’avoir souligné cette lacune dans ce que je viens de dire. Je ne prétends pas avoir lu toute les publications universitaires, alors je ne vais pas dire que je suis entièrement satisfait de ce qui existe. Je pense qu’il faut que ce soit continu, parce que dans cinq ans, les études actuelles ne seront plus aussi à jour. Je pense qu’une étude en entraîne une autre. Tout ce que je vais dire, c’est qu’il faut les examiner en détail. Peut-être y a-t-il un besoin, une lacune, c’est tout à fait possible. Cela dépend de quel point de vue on veut examiner les choses. Si vous êtes Inuit, si vous voulez examiner les choses sous l’angle des Inuits, des Métis, des Indiens non inscrits ou des Autochtones dans leur ensemble, cela aura une incidence sur les résultats et les études. Je pense qu’il y a toujours des lacunes.
J’espère que ma réponse vous satisfait. Il n’est pas facile de répondre à cette question.
Le sénateur Christmas : Il me semble que, lorsque nous parlons de relations avec des non-Autochtones et de relations de nation à nation, nous finissons habituellement par parler de relations avec le gouvernement fédéral ou avec le gouvernement provincial. Comme vous êtes un fournisseur de services urbains, je me demande quelle est votre relation avec les administrations municipales locales. Il me semble que cette relation ou ce partenariat pourraient être très importants pour les centres d’amitié.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous établissez des partenariats avec les administrations municipales et les services municipaux et sur l’incidence de ces partenariats sur votre service?
Mme MacKinnon : Je ne peux utiliser que l’exemple de Brandon. Nous entretenons d’excellentes relations avec les administrations municipales. J’ai entendu le gouvernement, notre maire et les instances politiques autour de Brandon dire que les centres d’amitié sont le secret le mieux gardé au Canada. Étant donné la nature des services que nous rendons, nous ne sommes pas là pour claironner notre existence. Peut-être que nous devrions le faire. En tout cas nous ne voulons pas être oubliés et nous ne voulons pas non plus être tenus à l’écart des débats. Nous refusons d’être laissés pour compte dans la section des observateurs. Nous aimerions être la voix de ceux qui n’en ont pas.
Le sénateur Christmas : Les centres d’amitié peuvent-ils se faire entendre au niveau municipal? Avez-vous des relations spéciales avec les maires, leurs administrateurs ou leur personnel? Il y a tout un éventail de services municipaux, notamment les services policiers. J’essaie de voir en quoi consistent ces relations, et on dirait que cela aussi, ce soit un secret bien gardé. J’essaie de comprendre, de jeter un certain éclairage sur ces relations, car je présume qu’elles sont très précieuses pour votre travail.
Mme MacKinnon : À Brandon, Jason Gobeil, directeur du Brandon Urban Aboriginal Peoples’ Council, siège au conseil. Il travaille main dans la main avec le maire. Un représentant du service de police de Brandon siège aussi à notre conseil. Il est vrai que, à Brandon, nous avons d’excellentes relations, et nous pouvons compter sur l’approbation de la ville et du chef de police. Nous entretenons des relations étroites. Notre député, Larry Maguire, participe souvent à nos activités lorsqu’il en a la possibilité. Oh, j’oublie le nom de notre député provincial. Drew Caldwell avait l’habitude de venir tout le temps. Différents représentants du monde politique assistent à nos pow-wow qui soulignent la Journée des peuples autochtones, à nos danses en rond ou à nos autres activités.
Je ne peux rien dire au sujet de Thompson, de Winnipeg ou d’autres villes du Manitoba, mais nous avons discuté de la question. Nous nous rendons dans différents centres. Il y a une quinzaine de jours, nous sommes allés à Selkirk pour une réunion. Leurs politiques sont venus. Ils ont prononcé des allocutions d’ouverture et ils se sont adressés à nous comme groupe du Manitoba. Sauf erreur, chaque centre a une association avec ses partis politiques.
La présidente : Au nom du comité, je remercie les témoins de la Manitoba Association of Friendship Centres qui ont comparu ce matin. Merci à vous, monsieur Paradis et madame MacKinnon.
J’accueille le deuxième groupe de témoins de ce matin. De l’Association inuite du Manitoba comparaissent M. Fred Ford, président de cette association et président du conseil d’administration, et Rachel Dutton, directrice générale. Et du Parlement jeunesse du Manitoba, voici M. Garry McLean, aîné, et Adrienne Tessier, première ministre.
Je crois savoir, monsieur McLean, que vous avez d’autres engagements. Peut-être pourrions-nous vous entendre le premier.
Garry McLean, aîné, Parlement jeunesse du Manitoba : Merci.
[Note de la rédaction : M. McLean s’exprime en saulteaux.]
Je m'appelle Garry McLean. Je suis originaire de la Première Nation du lac Manitoba, sur des terres visées par le traité no 2. Il s’agit d’une nation ojibway et sa langue est le saulteaux. Je comparais à titre d’aîné du Parlement jeunesse du Manitoba. Je ne vais pas trop en parler, car je préfère laisser Adrienne donner des explications à ce sujet.
C’est comme aîné que j’en suis venu à participer au Parlement jeunesse. On m’a demandé de donner un coup de main et j’ai accepté avec empressement. Pour les jeunes, c’est une excellente façon de participer. À peu près tous ces jeunes sont présents pour la première fois à l’Assemblée législative du Manitoba. C’est super, siéger là et prendre part à un vote.
L’une des choses que j’essaie de faire, c’est apporter la culture et le droit des Anishinaabes. Avant l’arrivée des Européens, autrefois, nous avions nos propres lois, notre propre système. Un de mes grands-pères disait toujours : « L’une de nos grandes faiblesses a été l’immigration. » Je ne comprenais pas la plaisanterie. Aujourd’hui, oui. Pourtant, lorsque les traités ont été signés, nous avons accueilli tout le monde ici. Mon oncle disait et répétait : « Nous sommes tous visés par des traités, en réalité, puisque nous avons signé des traités avec les nouveaux venus. » Cinq groupes linguistiques distincts sont présents au Manitoba. Il y a évidemment l’anishinaabe. Nous distinguons l’ojibway, le cri, l’inuktitut et le michif.
C’est un véritable honneur que de faire partie du Parlement jeunesse, car nous avons là l’occasion d’éduquer les jeunes, surtout ceux de Winnipeg. Au Manitoba, 60 p. 100 de nos membres habitent en dehors des réserves. Une fois qu’on a quitté la réserve, on devient un Manitobain ou un Albertain, selon la province où on habite, et c’est de la province qu’on reçoit les services. C’est ainsi que les accords avec le gouvernement sont conçus.
Les organismes de service sont nombreux. Au Manitoba, il y en a plus d’une centaine qui assurent des services à notre population à divers niveaux. Vous venez d’entendre les représentants des centres d’amitié, qui sont des organismes de service.
La confusion qui existe, du côté de ces organismes, tient au fait qu’ils veulent entrer dans l’arène politique. On dirait que c’est le principal inconvénient, et c’est une grande source de confusion non seulement pour nous, Anishinaabes, mais aussi pour les Métis et la population en général. Au Manitoba, par exemple, nous avons deux organismes, dont l’un représente les Anishinaabes, soit l’Assembly of Manitoba Chiefs, et l’autre est la Metis Federation, qui est un organe politique. Bien sûr, le Manitoba a des lois qui régissent tout cela : la Loi sur la justice, la Loi sur la protection de l’enfance et la Loi sur l’infrastructure. Il y a donc tout cela.
Ce n’est que récemment que nous avons commencé à jouer ensemble. Il ne faut pas oublier que, au Canada, nous n’avons pas voté avant 1960. Il n’y a pas si longtemps. Le rapatriement de la Constitution, en 1982, a été un grand choc pour nombre d’entre nous. Il y a eu une multitude de rapports. Il doit y en avoir une quarantaine et nous essayons de nous en servir. Le plus récent est peut-être celui de la Commission de vérité et réconciliation.
Le rapport que je voudrais vous rappeler est celui de la commission royale, publié en 1994. Il a recommandé que le ministère des Affaires indiennes soit scindé en deux. C’est ce que le gouvernement est maintenant en train de faire pour que cette institution joue son rôle.
J’ai décidé de participer au Parlement jeunesse parce que j’y vois un moyen proposé aux jeunes de se préparer pour les 5, 10, 20, 50 et même 150 prochaines années. Nous ne nous en sommes pas très bien tirés au cours des 150 dernières, qu’il s’agisse des Anishinaabes ou des visiteurs. Si nous ne nous mettons pas à l’œuvre, nous allons continuer à déplorer les mêmes problèmes à l’avenir.
J’ai une petite-fille de 14 ans. Je ne veux pas qu’elle ait à discuter des mêmes problèmes que moi ou ma fille. Je veux que, lorsqu’elle aura 18 ou 21 ans, elle puisse discuter avec n’importe qui, pas parce qu’il s’agit d’Allemands, d’Ukrainiens ou d’Italiens. Je veux qu’elle soit ouverte à toute cette réalité.
À mes yeux, les jeunes sont les leaders d’aujourd’hui. Je sais, on dit souvent qu’ils sont les leaders de demain, mais j’ai une idée différente. Pour moi, les jeunes sont les leaders d’aujourd’hui.
J’aborde une dernière question et je vais laisser Adrienne faire le reste.
Nous venons de réaliser une initiative de leadership en collaboration avec les maires de la grande région de Winnipeg. Pourquoi avoir choisi cette région? Parce qu’on y compte 17 municipalités. En octobre dernier, on dénombrait 92 600 Anishinaabes à Winnipeg. La population de cette région et les Anishinaabes représentent 68 p. 100 de la population manitobaine. Cela ne veut pas dire que les autres régions ne comptent pas, mais le centre de gravité semble se situer ici. De plus, nous produisons plus de 70 p. 100 du PIB de la province. Il faut en être conscient. Ces chiffres reposent sur des données concrètes. Je ne les ai pas sous les yeux, mais elles existent et nous devons en être vraiment conscients.
Je voudrais citer mon héros, Murray Sinclair. Il a dit : « La réconciliation, c’est une question de formation et de maintien de relations respectueuses. Il n’y a pas de raccourci. » Aucun raccourci. S’il y en avait, nous les aurions trouvés au cours des 150 dernières années. Nous avons la possibilité de créer ces relations au cours des 150 prochaines années. J’espère qu’il ne nous faudra pas autant de temps. Je ne le crois pas. Vous, les sénateurs et les 338 députés du Canada, avez la possibilité de nous faire avancer.
En un sens, nous avons de la chance, au Manitoba, d’avoir 14 députés. Ce n’est pas énorme, mais nous communiquons avec eux tous, nous communiquons avec tous les partis. C’est ce que j’essaie d’inculquer aux jeunes : communiquer. Je le leur rappelle. « Les hommes et femmes politiques sont des êtres humains comme vous et moi. Il est bien possible qu’ils enfilent leurs chaussettes comme nous. » Peut-être pas la gauche avant la droite, mais l’inverse. S’ils veulent avoir une belle chevelure, ils doivent se coiffer le matin. Pour ceux d’entre nous qui ont encore des cheveux. Je leur apprends qu’il faut avoir du plaisir; ils en ont besoin. Je leur conseille aussi de s’abstenir d’alcool et de drogues.
Pour ma part, je ne prends pas de drogues depuis 40 ans. Dans ma famille, j’ai eu 37 tantes et oncles, et 75 p. 100 d’entre eux sont morts à cause de la consommation d’alcool et de drogues. Le problème est en partie lié à l’expérience des pensionnats, bien sûr. Il est de la plus haute importance que nous parlions de ces choses-là.
Je passe ceci à la présidence. Dans le monde des Anishinaabes, le tabac est le premier cadeau qu’on présente. Une fois que vous avez accepté mon tabac, vous allez transmettre le message que j’essaie de porter.
Merci.
La présidente : Madame Tessier, vous avez un bref exposé à nous présenter?
Adrienne Tessier, première ministre, Parlement jeunesse du Manitoba : Oui, madame la présidente. Merci. Meegwetch.
C’est un insigne honneur d’être parmi vous, et je tiens à remercier le Sénat de me donner l’occasion de comparaître. Je m’appelle Adrienne Tessier et je suis première ministre du Parlement jeunesse du Manitoba. Je suis très reconnaissante à Garry de sa présence.
Je vais commencer par quelques brèves observations sur nous et sur l’histoire de notre organisation. Je décrirai ensuite le travail de notre Fonds de réconciliation et j’expliquerai ce que nous avons fait pour amener les Autochtones du Manitoba à participer à nos programmes et à notre organisation.
Qu’est-ce que c’est, le Parlement jeunesse du Manitoba? Nous sommes une organisation de 97 ans dont la mission est de faire participer les jeunes Manitobains à la démocratie parlementaire. Nous tenons des sessions parlementaires à l’Assemblée législative du Manitoba depuis 1922.
Notre organisation est dénuée de tout esprit de parti, elle est non confessionnelle et elle est dirigée par des jeunes. Par là, je veux dire que la personne la plus âgée de notre organisation a 23 ans. Aucun des membres de notre conseil d’administration, y compris moi-même, n’est rémunéré pour le temps consacré à diriger cette organisation.
Je tiens également à souligner que nous sommes fiers d’être membres du mouvement des parlements jeunesse de tout le Canada, qui regroupe des centaines de jeunes dans les assemblées législatives des quatre coins du Canada.
En particulier, nous sommes très heureux d’accueillir les autres parlements jeunesse de l’Ouest du Canada ici, à l’Assemblée législative du Manitoba, en mai, pour le Parlement jeunesse de l’Ouest du Canada.
Notre session d’hiver, qui a lieu chaque année du 26 au 31 décembre à l’Assemblée législative du Manitoba, réunit un maximum de 90 jeunes du Manitoba pour discuter de projets de loi rédigés par leurs pairs au centre de la politique manitobaine. Dans nos programmes et dans le fonctionnement de notre organisation, nous sommes déterminés à donner aux jeunes la possibilité de se prendre en main et à leur faire confiance, à eux et à leurs capacités.
Ce que nous faisons peut se résumer à trois éléments. Premièrement, nous donnons aux jeunes l’occasion de développer leurs compétences. Cela peut prendre diverses formes. Il peut s’agir de parler en public, d’exercer un leadership, et même de choses variées comme parler à la presse et rédiger des communiqués. Je ne connais pas d’autre organisation qui charge des jeunes de 17 ans des relations avec la presse. Lorsque j’avais 17 ans, j’animais des entrevues à l’Assemblée législative du Manitoba. Et je pense que c’est une partie très importante de ce que nous faisons parce que nous avons confiance en ces jeunes, nous avons confiance en leurs capacités, et nous leur donnons les moyens d’assumer ces rôles de leadership.
Deuxièmement, nous créons une communauté sûre et stimulante. C’est la priorité du conseil d’administration : veiller à ce que chaque fois que vous vous présentez à l’Assemblée législative du Manitoba, ce que vous dites soit considéré comme sérieux et mis en valeur. Comme je l’ai dit, nous sommes non confessionnels et non partisans. Tous les jeunes et tous leurs points de vue sont les bienvenus.
Enfin, et je pense que Garry en a dit un mot, nous démystifions la politique. Quand on se trouve à l’assemblée législative, qu’on s’exprime comme président, qu’on rencontre des parlementaires en exercice ou à la retraite, on se voit dans ce cadre. On se voit dans ces lieux de la politique. On se rend compte que les hommes et femmes politiques sont vraiment comme tout le monde. C’est une expérience incroyablement porteuse, incroyablement importante que nous pouvons faire vivre aux jeunes.
Ces dernières années, nos membres, notre exécutif et notre cabinet ont travaillé d’arrache-pied pour ouvrir plus rapidement nos programmes à tous. Nous nous sommes engagés, par exemple, à maintenir les coûts d’inscription le plus bas possible, ce qui fait de nous le Parlement jeunesse le moins cher de l’Ouest du Canada parmi les parlements jeunesse anglophones.
En 2014, nous avons même précisé dans nos règlements administratifs que tout jeune Manitobain âgé de 16 à 20 ans qui veut participer à nos activités devrait pouvoir le faire et recevoir des encouragements pour le faire, peu importe sa situation financière. Pour mettre en œuvre cette modification de nos règlements, nous avons mis en place un système robuste d’aide financière. Je suis extrêmement fière de dire que, sur les 80 participants à notre session d’hiver de 2017, 26 p. 100 n’ont pas payé leur participation, grâce à nos systèmes d’aide financière et à nos partenariats avec de nombreuses organisations.
Au milieu de ce mouvement dans notre organisation, un défi nous a été lancé. Aimée Craft, avocate et universitaire autochtone actuellement en poste à l’Université d’Ottawa, a été la conférencière principale à notre gala annuel de 2016. Elle a alors exhorté notre conseil d’administration et notre organisation à s’engager de façon significative dans des actions de réconciliation. Je suis fière de dire que nos membres ont répondu à l’appel et ont adopté une motion à l’assemblée générale annuelle qui a suivi. La motion demandait, entre autres choses, qu’un aîné guide le conseil d’administration du YPM afin de recruter des participants dans le nord de la province et dans les réserves et d’intégrer de façon permanente une cérémonie autochtone aux sessions parlementaires.
Je suis fière de dire que nous commençons et terminons nos sessions parlementaires par une purification et un enseignement. L’an dernier, nous avons engagé Garry pour qu’il devienne notre aîné. Je dois dire que c’est lui qui a suggéré d’ajouter une cérémonie de purification à la fin de nos sessions parlementaires afin que celles-ci débutent et se terminent dans une prise de conscience du territoire où nous nous rassemblons, de l’histoire qui nous a tous amenés à siéger à l’Assemblée législative du Manitoba.
Toutefois, honorables sénateurs, ce qui a sans aucun doute eu le plus d’impact sur notre organisation, c’est le Fonds de réconciliation. Cette initiative, lancée par le ministre de la Réconciliation alors en poste, Ronald Gamblin, vise à recruter et à financer 10 jeunes Autochtones qui assisteront à notre session d’hiver. Nous voulons en recruter cinq dans les réserves, cinq en dehors, cinq femmes et cinq hommes. L’aide financière couvre l’inscription, les frais de déplacement, la nourriture et les frais accessoires, ainsi que des vêtements habillés, au besoin. L’an dernier, nous avons reçu plus de 19 demandes, dont 9 ont été acceptées et, en fin de compte, 7 jeunes ont assisté à notre session, dont 2 sont venus par avion du Nord du Manitoba. Je m’en voudrais de ne pas souligner l’appui généreux de nos nombreux commanditaires et donateurs qui ont rendu cela possible.
Madame la présidente, la présence de ces jeunes a fait ressortir la nécessité de cette initiative pour notre organisation. La diversité de la composition de l’assemblée législative, ouverte à tous, s’est traduite par la qualité des échanges et la nature de leur contenu. Nous avons adopté à l’unanimité un projet de loi sur la réforme de la protection de l’enfance prévoyant non seulement la nationalisation de ces services, mais aussi un appui aux principes de Jordan et de Phoenix, et donnant aux collectivités autochtones un droit de veto sur ce qui se passe chez elles. Le plus important, c’est que nous avons pu tenir un débat nuancé et réfléchi sur la souveraineté autochtone, qui a fondamentalement transformé le système des réserves, en nous fondant sur l’expérience de jeunes Autochtones qui ont vécu eux-mêmes dans les réserves. Les récits portant sur leur présence dans leur collectivité, sur l’obtention et de la perte de leur statut, sur ce que cela signifiait pour eux de faire partie de leur nation, ont été une expérience incroyablement puissante que nous n’aurions tout simplement pas pu vivre sans leur présence à l’Assemblée législative du Manitoba.
Compte tenu de notre succès cette année, nous prévoyons atteindre notre objectif, soit la participation de 10 jeunes grâce au Fonds de réconciliation. Cela exige que le ministre de la Réconciliation et un membre de notre exécutif fassent un effort pour recueillir les fonds nécessaires, soit quelque 5 000 $ par année.
Même si nous sommes extrêmement fiers des progrès accomplis en quatre ans à peine, depuis l’adoption de cette résolution à l’AGA et deux ans après qu’on nous eut lancé ce défi, nous reconnaissons qu’il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, que nous sachions, aucun Autochtone n’a jamais siégé au conseil, même si deux candidats autochtones se sont présentés aux élections cette année.
En guise de conclusion, je tiens à remercier l’incroyable réseau de sympathisants qui nous a soutenus dans notre parcours. Nous avons une chance inouïe d’être à Winnipeg, où nous avons tout le temps voulu et où nous pouvons compter sur un énorme bagage de connaissances et de ressources pour nous appuyer et nous aider dans notre évolution. Je peux dire que le Parlement jeunesse d’aujourd’hui est fondamentalement différent à bien des égards de celui d’il y a huit ans. J’ai bien hâte de voir où ce voyage nous mènera à l’avenir.
La présidente : Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins, de l’Association inuite du Manitoba : M. Fred Ford, président et président du conseil d’administration, et Mme Rachel Dutton, directrice générale.
Rachel Dutton, directrice générale, Association inuite du Manitoba : Bonjour, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je m’appelle Rachel Dutton et je suis directrice générale de l’Association inuite du Manitoba. Nous représentons tous les Inuits qui habitent la province. Je suis accompagnée de mon ami et collègue, Fred Ford, qui préside l’association et son conseil d’administration.
J’aimerais faire observer pour commencer que nous nous trouvons ici sur les terres visées par le traité no1, sur le territoire ancestral des Anishinaabes et sur la terre natale de la nation métisse. Nous faisons observer également que le nord du Manitoba comprend des terres qui ont été et qui sont encore des foyers d’origine des Inuits. Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd’hui pour vous parler de la forme que peuvent prendre et que devraient prendre de nouvelles relations avec les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux.
L’Association inuite du Manitoba est un organisme à but non lucratif qui privilégie l’action sociale et qui offre des programmes et des services destinés à améliorer la qualité de vie des Inuits résidant dans la province. Au cours des cinq dernières années, elle s’est constituée en personne morale, elle s’est dotée d’un conseil d’administration et elle a nommé une directrice générale pour élaborer des programmes culturels, des services de formation et d’aide à l’emploi, des services de soutien en matière de santé et de logement et des collaborations de recherche avec des parties intéressées elles aussi à améliorer la vie des Inuits du Manitoba.
Il y a 60 000 Inuits qui vivent au Canada, la plupart dans 53 collectivités réparties dans l’Inuit Nunangat, le terme inuktitut qui désigne la terre natale des Inuits. Elle se compose des quatre régions visées par des revendications territoriales inuites, chacune ayant son propre régime d’autonomie gouvernementale qui exerce des droits propres aux Inuits dans les provinces et les territoires concernés. Comme vous le savez, ces régions sont le Nunavut, le Nunavik, le Nunatsiavut et la région désignée des Inuvialuit.
Toutefois, les Inuits sont de plus en plus attirés par les villes à cause des conditions de vie difficiles qu’ils connaissent dans le Nord : logement surpeuplé, insécurité alimentaire, manque de débouchés économiques et éducatifs et accès limité aux services de santé. Vingt-sept pour cent des Inuits vivent maintenant à l’extérieur de l’Inuit Nunangat, une proportion qui augmente rapidement dans des villes comme Winnipeg, Edmonton, Ottawa, Montréal et St. John’s, où des services de santé et d’éducation ont vu le jour au fil des décennies et où des organisations urbaines comme la nôtre sont chargées expressément de veiller à ce que soient offerts des programmes et des services répondant aux besoins particuliers des Inuits en milieu urbain.
À ce jour, il n’existe pas de programmes et de services propres aux Inuits au Manitoba, à l’exception de l’Inuit Health Boarding Home, un foyer financé par le gouvernement du Nunavut. Environ 350 Inuits vivent à Winnipeg et un peu moins de 1 000 dans notre province. Mais ces statistiques ne rendent pas bien compte de la réalité. Winnipeg abrite une population inuite de passage qui grossit rapidement, des gens qui quittent leur collectivité pour avoir accès aux services de santé. Les Inuits de la région de Kivalliq, au Nunavut, effectuent environ 15 000 visites au Manitoba chaque année pour obtenir des services de santé qu’ils ne trouvent pas chez eux.
Par exemple, on ne trouve pas de soins contre le cancer dans la plupart des collectivités inuites. Les gens doivent se rendre dans le Sud pour obtenir un diagnostic et se faire traiter. Comme bon nombre d’entre vous le savent, il s’agit d’un très long voyage qui comprend aussi des services de postcure et de suivi qu’on ne trouve pas dans les collectivités inuites. Les Inuits qui se font traiter contre le cancer à Winnipeg sont donc astreints à des séjours très longs et très solitaires, où leur font défaut habituellement les aliments nutritifs et la nourriture du pays, où l’absence de culture et de langue inuites autour d’eux rend plus difficile de surmonter les embûches et d’obtenir des soins équitables, et où il leur manque surtout ce qu’il y a de plus fondamental à leur être, une relation avec les membres de leur famille. Cela n’a rien à voir avec le fait de fournir à la personne un soutien familial. C’est tout à fait inacceptable en 2018.
Les Inuits se tournent aussi vers les villes du Sud pour faire des études postsecondaires, pour trouver de l’emploi, une formation spécialisée, ou pour se rapprocher temporairement des enfants pris en charge par les services à l’enfance et à la famille dans la province. On peut trouver une multitude d’autres raisons sociales ou économiques pour lesquelles les Inuits viennent dans le Sud.
En ce qui concerne l’accès aux études postsecondaires et la réussite à ce niveau, notre organisation a mené une recherche sur les taux d’inscription et d’obtention de diplôme dans les établissements postsecondaires du Manitoba. Vous trouverez le rapport et ses recommandations dans notre site web sous le titre Education Connections Project, rapport final de mars 2014. Selon nos constatations, sur une période de 10 ans, de 2004 à 2014, le nombre total d’étudiants inuits qui se sont déclarés inscrits dans un établissement d’enseignement postsecondaire au Manitoba s’est élevé à 233. Les établissements visés par cette étude étaient le collège communautaire Assiniboine, l’Université de Brandon, le collège Red River, l’Université du Manitoba et l’Université de Winnipeg. Cela représente une moyenne annuelle de 23 étudiants inuits dans ces établissements postsecondaires, la plupart au collège Red River et à l’Université du Manitoba. Le troisième taux d’inscription le plus élevé a été observé à Brandon et à Winnipeg. Quant au taux d’obtention de diplôme, il s’est établi en moyenne à 2,7 par année sur une période de 10 ans. De plus, les étudiants inuits se sont heurtés maintes fois à des obstacles à l’aide financière aux études parce que cette aide est administrée par d’autres organismes qui représentent leur propre nation et dont le mandat n’est pas centré sur les Inuits mêmes.
L’heure est venue pour la province du Manitoba et ses représentants de reconnaître que des Inuits résident dans cette province et ont un droit inhérent à des services de santé, d’éducation et de formation à l’emploi adaptés à leur culture. La réussite dans ces domaines se traduirait par la présence d’espaces inuits tangibles dans notre ville, par des programmes et des services réels où on entend, on voit et on célèbre notre langue et nos traditions. Ce n’est pas le cas actuellement.
Les écarts de bien-être persistent entre les Inuits et la population canadienne en général. Pourtant, les villes canadiennes ne sont pas tout à fait prêtes à faciliter la transition des hameaux du Nord aux grandes agglomérations du Sud. L’infrastructure et les moyens mis en place pour faciliter la transition des Premières Nations vers le milieu urbain doivent trouver des équivalents adaptés aux besoins particuliers des Inuits. L’Association inuite du Manitoba s’efforce de rallier des appuis et d’améliorer continuellement les services et les programmes nécessaires aux Inuits en milieu urbain, mais nous ne pouvons pas le faire seuls.
Le premier ministre Trudeau s’est engagé à mettre en œuvre les 94 recommandations du rapport de la Commission de vérité et réconciliation, à commencer par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Son gouvernement a aussi lancé l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Mais ces mesures prises d’un trait de plume ont créé des espaces inéquitables pour les Inuits, qui doivent continuer à se tailler une place à l’intérieur de ces mandats et de la bureaucratie afin qu’on fasse droit à leur vécu, au témoignage de leur vérité inuite et à des services et soutiens communautaires qui soient les leurs.
Il est clair que nous n’avons pas une relation solide et équitable avec la Couronne ni avec les pouvoirs provinciaux ou municipaux. Nous ne trouvons pas que les Inuits du Manitoba et leurs droits inhérents d’Autochtones du Canada sont reconnus ou respectés. On peut le mesurer au manque de financement gouvernemental à tous les niveaux. Il y a quelque chose de méprisant, d’humiliant au mieux, à recevoir un petit financement au hasard ou des surplus d’autres cagnottes sans qu’il n’y ait nulle part la moindre intention d’en faire un investissement annuel, ni d’alimenter ou de soutenir une prestation de services communautaires qui soit d’une vraie utilité dans nos collectivités.
Il faut que tous les ordres de gouvernement, les organismes communautaires, les établissements d’enseignement et nos concitoyens canadiens comprennent que nous sommes tous dans le même bateau et que nos défis sont aussi les vôtres. Le respect mutuel est un principe de réconciliation, c’est-à-dire que c’est le rassemblement, les relations face à face qui nous guideront tous vers un espace de vie plus équitable. Il ne peut pas s’agir d’une relation unilatérale avec la Couronne. L’Association inuite du Manitoba continue de vouloir travailler avec la Couronne et les autres ordres de gouvernement pour veiller à ce que les Inuits d’ici puissent préserver leur identité et leur rapport à la terre grâce à la consommation d’aliments du pays, à la transmission des connaissances, des pratiques culturelles et des langues inuites que rendent possibles des organisations inuites locales comme la nôtre.
Merci de nous écouter aujourd’hui et d’accorder aux Inuits une place à la mesure de leur histoire.
La présidente : Voulez-vous aussi dire quelques mots, monsieur Ford?
Fred Ford, président et président du conseil d’administration, Association inuite du Manitoba : Oui, s’il vous plaît.
Merci, Rachel, d’avoir décrit aussi succinctement notre association manitobaine et les défis que nous devons relever.
[Note de la rédaction : M. Ford s’exprime en inuktitut.]
Merci beaucoup, madame la présidente, mesdames et messieurs. Je m’appelle Fred Ford. Je suis un bénéficiaire de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. J’ai fait partie de l’association inuite de Kivalliq d’abord comme membre du conseil représentant les Inuits de Baker Lake à l’association des revendications territoriales et l’association inuite de Kivalliq pendant les négociations comme telles. J’y ai exercé plus tard les fonctions de directeur exécutif.
Merci de m’accueillir ici. Merci au Sénat du Canada de m’inviter à prendre la parole au nom d’un organisme qui représente les Inuits du Manitoba. Nous sommes ici. Nous sommes ici maintenant, nous y étions il y a longtemps et nous y serons encore à l’avenir. Depuis des millénaires, nous coexistons avec d’autres groupes autochtones dans le nord de ce qui est maintenant le Manitoba, vivant côte à côte, négociant des ententes à l’amiable, parce que nous partageons des ressources dans cette partie de la province. En fait, lors des négociations territoriales qui ont mené à la création du Nunavut, nous avons conclu des ententes particulières avec nos voisins du Manitoba au sujet de l’exploitation commune des terres et des ressources dans cette partie de la province, ainsi qu’avec les Territoires du Nord-Ouest. Ces accords que nous avons conclus continuent d’être revus dans l’esprit qui a présidé à leur négociation, pour qu’ils fonctionnent comme c’était entendu au départ, pour créer des relations harmonieuses entre nos peuples.
Ces accords de chevauchement font partie intégrante de l’intendance des terres et des eaux autour du Nunavut et ils entérinent, comme je le dis dans notre revendication territoriale, les relations spéciales que nous avons avec d’autres peuples autochtones qui se trouvent au sud de nous, ainsi qu’à l’ouest de nous.
Nous venons au Manitoba depuis des millénaires pour prélever notre part des ressources communes dans la partie nord de la province. Nous chassons le même caribou, les mêmes troupeaux qui migrent au nord et au sud de la limite forestière. Nous chassons les mêmes phoques et les mêmes baleines depuis les côtes de la baie d’Hudson. Il est prouvé que les Inuits, en cohabitation avec d’autres groupes autochtones, occupent depuis très longtemps cette partie du territoire. Nous le reconnaissons, tout comme le reconnaissent ces groupes autochtones du nord de la province.
Je mentionne tout cela parce que c’est dans l’esprit qui préside à la bonne entente. Cela fait toujours partie de nos principes directeurs dans ce que nous appelons le IQ pour désigner le savoir ancestral dans le Nord. Nous avons une responsabilité d’intendance et, en tant que dirigeants, nous sommes responsables des relations que nous entretenons avec nos voisins, ainsi que des ressources que nous partageons avec eux. Cela s’étend, de nos jours, à la dynamique changeante du partage des terres et des services dans la province.
Mais nous, les Inuits du Manitoba, n’avons jamais eu par nous-mêmes cette relation avec la Couronne. C’est toujours quelqu’un d’autre qui a parlé pour nous. Dans nos discussions sur les revendications territoriales, ce sont nos gouvernements du Nord qui négociaient au nom des Inuits et du Canada. Mais même depuis la signature de l’accord, la dynamique a changé. Nos gens sont beaucoup plus mobiles aujourd’hui qu’auparavant. Les Inuits vont plus loin chercher des débouchés économiques autres que la simple cueillette à même la terre et ses ressources, les sources de nourriture. Tant que nous ne construirons pas d’hôpitaux dans le Nord, tant que nous n’aurons pas d’établissements pour enseigner à nos jeunes à prendre les rênes et à réaliser tous les rêves exprimés dans nos accords sur les revendications territoriales, nous continuerons de venir dans le Sud.
Plusieurs d’entre nous sont ici parce qu’ils le veulent bien. J’ai rencontré ma femme à Baker Lake. Elle était l’infirmière en charge de notre village. Mon père est né à Baker et a déménagé lorsqu’il était jeune. Il a grandi à Cape Dorset. Il est ensuite allé à l’école dans le Sud, dans des écoles dont il s’est toujours enfui. Avant de se marier, il a décidé de faire un voyage dans le Sud pour visiter des parents qu’il avait là-bas; il y est resté coincé à la fin des années 1940. Je dirais qu’il est devenu un des premiers Inuits de ville, avec d’autres coincés dans le Sud qui ne trouvaient plus le chemin du retour. Il n’avait pas les moyens de rentrer chez lui. Mais l’histoire finit bien : il a rencontré ma mère, ils se sont mariés et ont eu des enfants.
Bien que je sois né dans le Sud, je savais que j’avais des ancêtres dans le Nord et j’ai toujours voulu y aller pour découvrir cette partie de ma famille. J’ai eu le bonheur, en 1979, de retourner à Baker Lake avec ma jeune famille, là où mon père est né. En fait, mon père m’a aidé à déménager cette année-là. Il a toujours dit que si j’allais dans le Nord, il reviendrait avec moi. Fidèle à sa parole, quelques mois après mon déménagement, il est revenu, il s’est rendu compte de ce qu’il avait laissé derrière et de la lutte qu’il avait dû mener dans le Sud, sans éducation. Il est revenu avec ma mère et il a repris sa place dans la collectivité où il était né.
Je me rappelle toujours l’histoire que raconte Murray Sinclair au sujet du vilain canard. C’était mon père qui grandissait dans le Sud, qui travaillait dans une usine parce qu’il était peu instruit et qui n’arrivait jamais à joindre les deux bouts. Sa famille grandissait à son tour et lui ne se sentait jamais à sa place nulle part. C’était donc extrêmement important.
Dans ma vie, je pourrai dire que j’aurai réussi à rapatrier mon père à l’endroit où il vivait. Il est redevenu membre de cette collectivité et il a été bien accueilli. Je n’avais jamais entendu mon père parler l’inuktitut avant qu’il rentre chez lui. Il est devenu une personne différente et il a rajeuni chaque année qu’il est resté dans le Nord.
Voilà ce que c’est, faire partie d’une collectivité. Lorsqu’on est dans le Sud et qu’on n’en fait pas partie, on est tous aux prises avec des difficultés. Quiconque est un Inuit de ville, quiconque se retrouve dans le Sud pour une raison ou pour une autre a sa propre histoire — chacun est arrivé à sa façon et tous traversent des difficultés. Je ne savais pas ce que mon père avait vécu, la réinstallation et les pensionnats. Il a grandi en pensant — et c’est un mot que je trouve encore horrible aujourd’hui — qu’il était un sang-mêlé. C’est ainsi qu’il se décrivait, parce que c’est ainsi qu’on l’appelait. Le retourner là d’où il venait, c’était comme réaffirmer son existence; il est redevenu une personne entière à ses yeux. Bien qu’il y ait des services ici dans cette province pour les peuples autochtones, il n’y en a pas vraiment qui conviennent en propre aux Inuits.
Je vais revenir à mes notes parce que je ne veux rien oublier
Nous mettons nos bébés au monde ici depuis probablement 50 ou 60 ans, soit à Churchill ou ici à Winnipeg. On compte maintenant quelques maisons des naissances éparpillées dans 28 collectivités du Nord, mais la majorité des accouchements, probablement 90 p. 100, se font encore à l’extérieur de nos territoires. Cela signifie donc qu’une femme enceinte doit se trouver une pension où rester, un établissement avec un dortoir ou des chambres à partager avec d’autres. Ce peut être des Inuits, mais nous ne les connaissons pas nécessairement ou nous ne parlons peut-être pas le même dialecte. Il n’y a pas d’aliments du pays. C’est stressant. Vous êtes loin de votre famille pendant un mois, loin de vos autres enfants et de tout le reste. Cela empire la situation.
Nous avons maintenant un petit hôpital à Iqaluit et les centres de santé ont pris de l’expansion à Rankin et à Cambridge Bay. Mais pour tout ce qui est vraiment compliqué, les gens sont transportés par avion pour se faire traiter dans le Sud, habituellement pour recevoir un diagnostic qui arrive trop tard. Les traitements commencent trop tard et des affections qui seraient parfaitement traitables dans d’autres endroits du pays deviennent terminales en raison de diagnostics posés trop tard. Il y a des gens qui se font parfois accompagner ici, qui ne restent pas nécessairement à l’hôtel lorsque la pension est pleine, le temps qu’ils subissent une série de traitements, que ce soit de la radiothérapie contre le cancer ou autre chose. Le nord n’est pas l’endroit idéal pour les personnes qui ont des besoins spéciaux. Nous verrons de plus en plus de problèmes de santé mentale et de cas de démence à mesure que la population vieillira.
Nous avons certainement des défis à relever. Tant que nous ne créerons pas d’universités dans le Nord ou que nous ne pourrons pas offrir à nos étudiants une éducation qui leur convienne, ils continueront de venir ici. Vous avez entendu parler un peu de l’étude que nous avons faite il y a quelque temps et qui montre que nos étudiants qui viennent ici année après année sont moins de 5 p. 100 à obtenir leur diplôme. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas assez intelligents pour terminer leur programme. C’est parce qu’ils manquent d’appuis et qu’il y a plein d’embûches. C’est parfois un problème de logement, de liquidités ou simplement le sentiment aliénant d’être loin de chez soi. Bien qu’il y ait en différents endroits des services offerts aux Autochtones, il n’y a rien, je le répète, qui soit propre aux Inuits.
En tant qu’Inuits inquiets, nous avons reconnu ici, que nous pouvions faire une différence. Nous avons d’abord commencé comme Association inuite du Manitoba, mais nous nous sommes vite rendu compte que notre mandat était plus vaste que cela. Nous avons donc mis sur pied un groupe actif de membres du conseil et nous avons entrepris ce qui allait améliorer la vie des Inuits qui vivent ici, dans la province, quelle que soit la raison, y compris les services médicaux. On dénombre 15 000 visites de patients par année, ce qui coûte très cher au gouvernement du Nunavut, comme le sénateur peut en témoigner puisqu’il était auparavant le premier ministre. Ce que je veux dire, c’est que les coûts sont astronomiques comparativement à la prestation de ce genre de services dans d’autres centres urbains, services qui, en fin de compte, ne sont pas encore offerts dans beaucoup de domaines qui pourraient être améliorés.
Cette situation va perdurer. Cette donnée démographique va prendre de l’ampleur pour les Inuits qui cherchent à se rendre de leur propre initiative dans des centres urbains pour y trouver des débouchés économiques, ou pour y trouver des soins de santé qui ne sont pas offerts dans leurs collectivités.
Rachel vous a également parlé des enfants inuits qui sont pris en charge ici, au Manitoba, par les Services à l’enfance et à la famille. On compte en ce moment plus d’enfants provenant du Nunavut qui sont pris en charge qu’il y en avait pendant la période des pensionnats. Il y a des enfants en famille d’accueil, des enfants du Nunavut qui sont placés dans des foyers ici, au Manitoba, sans accès raisonnable à d’autres services inuits, loin de leurs collectivités et de leur culture. Il y a des enfants qui ont des besoins spéciaux et qui sont ici pour recevoir des soins, parce que nous ne disposons pas de ce genre d’installations dans le Nord, les services précis dont une personne ayant de graves déficiences ou souffrant d’autres maladies pourrait avoir besoin.
Il y a des enfants inuits qui ont grandi ici en famille d’accueil et qui ont passé d’un foyer à un autre. Certains quittent maintenant les familles d’accueil et deviennent des adultes. Beaucoup d’entre eux n’ont aucun lien avec les collectivités du Nord et vivent dans des conditions difficiles. Il y a des Inuits qui sortent des prisons provinciales, qui sortent des pénitenciers fédéraux pour aller dans des maisons de transition ici, pour qui la transition est difficile du Nord à la prison et de la prison aux villes où il n’existe pas de services propres aux Inuits.
Bien que certains programmes soient offerts par les centres d’amitié et d’autres organismes semblables, lorsqu’une personne a besoin d’une aide précise, par exemple, pour le traitement de toxicomanies, c’est difficile. Ces gens s’adressent à une organisation qui est disponible ici et sont mis dans un cercle. On dit des prières dans une langue que nous ne comprenons pas. Il y a de la purification et des choses qui font que nous, les Inuits, nous sentons encore plus aliénés et ne faisons pas partie de quelque chose. Beaucoup trop d’Inuits ici se retrouvent dans les refuges et les soupes populaires tous les jours, et beaucoup d’entre eux tentent leur chance et dorment à l’extérieur ou passent la nuit à flâner dans les abribus, parce qu’ils se sentent insécures ou menacés dans les endroits où les services sont offerts à d’autres Autochtones.
Nous, l’Association inuite, avons cherché à créer une collectivité ici pour réunir de notre mieux toutes les personnes provenant de diverses collectivités d’Inuits, les réunir à des moments différents de l’année pour des activités diverses. Nous savons que les Inuits qui réussiront sont ceux que nous pouvons appuyer.
La présidente : Monsieur Ford, il ne reste que quelques minutes pour les questions. Aviez-vous autre chose à ajouter, très rapidement?
M. Ford : Il ne s’agit pas d’une courte conversation.
La présidente : Je le sais.
M. Ford : Je suis heureux que nous ayons pu faire valoir notre point de vue. Ce que je veux surtout dire, c’est que pour que le gouvernement fédéral comprenne la situation des Inuits au Manitoba, il faut parler aux Inuits du Manitoba. Notre association s’est efforcée de s’attaquer aux causes profondes des problèmes systémiques auxquels nos collectivités sont confrontées et de faire ce qu’elle peut pour les atténuer, pour améliorer l’expérience. Si des Inuits se trouvent ici dans une situation problématique, nous faisons ce que nous pouvons pour les ramener à la maison, ou ce que nous pouvons pour faciliter leur voyage si c’est une question de santé. Nous avons réussi à trouver les fonds pour embaucher chaque année une personne qui a des liens avec l’éducation, une personne qui travaillera sur les campus et qui établira le contact avec les étudiants, simplement pour qu’ils fassent partie de notre collectivité.
La présidente : Il nous reste 15 minutes. Nous commencerons les questions par le sénateur Patterson, suivi du sénateur Christmas.
Le sénateur Patterson : Merci.
[Note de la rédaction : Le sénateur Patterson s’exprime en inuktitut.]
Bien entendu, j’aimerais poser des questions au sujet de l’Association inuite du Manitoba. Vous avez parlé de piètres relations avec la Couronne et nous sommes un comité parlementaire fédéral. Vous essayez d’offrir des programmes, des programmes cruciaux, aux Inuits en milieu urbain, la population croissante. Pourriez-vous nous parler un peu du programme urbain pour les peuples autochtones et nous dire si vous êtes en mesure d’obtenir des fonds de ce programme.
Mme Dutton : Vous parlez du programme PUPA, qui a été un programme redéfini de la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, la SAMU, qui existe depuis quatre ans. Nous en sommes à la sixième année de cette réitération. Durant les quatre années pendant lesquelles la SAMU a été en place, les associations inuites urbaines, la nôtre comprise, ont été exclues du processus en raison de ses modalités, parce que nous étions, et ne serons pas, des fournisseurs de services sans tenir compte du statut. Nous desservons les Inuits. Nos programmes sont axés sur les Inuits et le seront toujours.
Donc, nous n’avons pas pu obtenir de financement de base ni de financement pour les programmes et les services au cours des quatre dernières années. Maintenant, avec l’arrivée du nouveau programme, le PUPA, nous avons également été exclus du financement de la capacité organisationnelle, qui est un financement de base. Nous avons présenté une proposition pour obtenir ces fonds de base, mais elle n’a pas été approuvée. Nous avons été très surpris, parce que des fonctionnaires de l’ancien ministère, AINC, étaient venus discuter avec nous pour faire avancer nos recommandations dans l’avenir comme organisation inuite. Nous avons dit clairement qu’il fallait mettre de l’argent de côté pour les Inuits en milieu urbain. Ils ont besoin des mêmes programmes et services en milieu urbain que leurs homologues des nations métisses et des Premières Nations. Il semblerait que ce soit tombé dans l’oreille d’un sourd dans la mesure où nous avons pu comprendre la bureaucratie en jeu. Nous avons reçu 209 000 $ au titre des programmes du PUPA. C’est pour un an. Ce financement est entré en vigueur à la fin de janvier de cette année.
Le sénateur Patterson : Pour quel exercice?
Mme Dutton : Pour 2017-2018.
Le sénateur Patterson : Vous avez donc reçu des fonds trois mois avant la fin de l’exercice?
Mme Dutton : C’est exact. On nous a dit que le MSAC est en négociation avec ITK pour essayer de comprendre qui devrait administrer les quatre années en attente de déploiement : qui administrera ces fonds, comment seront-ils répartis entre les 18 organisations inuites au pays? On nous a fait venir à Ottawa au début de mars pour que nous disions ce que nous pensions de la question. Nous sommes à la fin de mars et nous ne savons toujours pas où se trouvent les fonds pour nos programmes et services. On ne m’a rien dit quant à la provenance de notre financement de base, s’il vient. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette expérience est très décourageante et très frustrante.
La présidente : Chacun aura droit à une question, car le temps file. S’il reste du temps, nous y reviendrons.
Le sénateur Christmas : Je n’ai vraiment qu’une observation à faire. Je tiens à vous féliciter et à vous dire combien j’apprécie le Parlement jeunesse et la façon dont vous avez adopté la réconciliation. C’est très encourageant et je tiens à vous en féliciter. En fait, lorsque vous avez parlé d’introduire la purification et la cérémonie dans votre Parlement jeunesse, j’ai été frappé par le fait que nous, le Sénat du Canada, ne l’avons pas fait après 150 ans. Nous pouvons peut-être tirer des leçons de votre parlement et peut-être que le Sénat changera et introduira la cérémonie dans notre Chambre. Je voulais simplement vous remercier et transmettre mes félicitations aux jeunes parlementaires, en particulier aux dix personnes qui auront la chance de venir des collectivités autochtones.
Le sénateur Patterson : Bravo!
La présidente : À titre de précision, notre comité a fait de la purification à quelques reprises, mais pas lors de ses réunions. Je crois qu’il s’agit seulement de cérémonies spéciales et de certains types de réunions. Nous l’avons donc fait, mais nous devrions peut-être le faire plus souvent.
Le sénateur Christmas : Merci. Je pensais au Sénat dans son ensemble.
La sénatrice McCallum : Mes commentaires portent sur le Parlement jeunesse et Dan Christmas a très bien exprimé mes sentiments. Je me demande si vous avez des demandes à nous présenter, ou des recommandations.
Mme Tessier : J’avais l’intention de vous montrer les possibilités qui s’offrent aux organisations de jeunes qui adoptent la réconciliation. Dans le cadre de notre mandat, nous ne sommes pas axés sur les jeunes Autochtones, nous ne sommes pas une organisation axée sur les Autochtones. Cependant, nous avons fait de la réconciliation une partie de ce que nous sommes et nous l’intégrons dans nos travaux. Mon intention est de démontrer à d’autres organisations de jeunes qui pourraient avoir l’impression que leur mandat ou leur mission n’est pas « propre aux Autochtones », faute d’une meilleure expression, qu’ils peuvent le faire; pour reprendre une fois de plus les mots du sénateur Sinclair, « Il n’y a pas de raccourcis. » J’encouragerais d’autres organisations de jeunes à faire comme nous.
La sénatrice McPhedran : Je tiens à dire à quel point j’ai été honorée que l’on me demande de prendre la parole devant le Parlement jeunesse du Manitoba et d’appuyer le Fonds de réconciliation.
Ma question s’adresse à M. Ford et à Mme Dutton. Vous avez parlé de l’incidence disproportionnée du manque de financement durable sur les Inuits du Manitoba. Vous ne pouvez pas planifier à l’avance, vous ne pouvez pas compter sur un financement pour renforcer la capacité. Vous avez également parlé de ce que l’on appelle souvent « l’âge où l’on cesse d’être pris en charge », où l’on cesse d’être en famille d’accueil. Puis-je vous demander si vous avez des observations particulières quant à l’incidence de l’âge auquel on cesse d’être pris en charge, ou de tout autre facteur du déplacement des jeunes en milieu urbain, de l’âge auquel on cesse d’être pris en charge et de la traite, ainsi qu’au niveau de l’incarcération?
M. Ford : Mon téléphone sonne plus souvent au sujet de l’incarcération que de quoi que ce soit d’autre, quelqu’un qui se trouve dans une situation désespérée et qui a des besoins. Notre organisation n’a pas la capacité de s’occuper de cela, mais nous essayons de rencontrer les gens. Nous rencontrons leurs travailleurs sociaux. Nous essayons ensemble de trouver une solution.
Rachel a réussi dans plusieurs cas à trouver des moyens de loger quelqu’un, de ramener quelqu’un chez lui, d’obtenir un billet, d’obtenir une pièce d’identité, ce qui est souvent très compliqué en ce sens que les gens n’ont pas d’endroit où aller, parce qu’il n’y a pas de logements ou d’emplois dans le Nord. Il arrive par contre souvent que s’il s’agit de délinquants, ils ne sont pas les bienvenus dans leurs collectivités, ou bien il y a de grands obstacles.
Pour ce qui est de l’âge auquel on cesse d’être pris en charge, j’ai vu des femmes dans la rue et elles ne sont pas prêtes à s’engager auprès de notre collectivité. Nous savons qu’elles sont là et nous savons qu’elles sont vulnérables. Nous savons que nous avons une responsabilité. En encourageant les jeunes du Nord, l’éducation est la voie à suivre pour notre collectivité. Cela a de la valeur sur le plan de l’autodétermination. On doit les éduquer et pendant cette période, lorsque les jeunes sont ici, ils sont vulnérables. Nous devons pouvoir établir des liens, non seulement pour une séance d’orientation, ou une seule fois, mais pour créer une collectivité dans laquelle ils peuvent se sentir en sécurité et non pas seuls, mais faire partie d’une initiative axée sur les Inuits.
Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais la vulnérabilité existe de toute évidence. C’est quelque chose qui me terrifie, parce que je sais que nous devrions, pourrions ou devons faire plus. Malheureusement, le manque de capacité ou d’argent pour mettre en œuvre ce genre de programmes ou même les lancer est devenu un obstacle. Cela nous expose à des risques.
La présidente : Allez-y, monsieur M. McLean.
M. McLean : Cette difficulté ne s’applique pas uniquement aux Inuits. Elle s’applique aux 64 p. 100 des membres des Premières Nations ici au Manitoba. Le fait est que plus de 50 p. 100 de nos gens vivent à l’extérieur des réserves. Nous avons aujourd’hui plus d’enfants pris en charge que nous en avions à l’époque des pensionnats. Le dernier pensionnat au Manitoba a été fermé vers 1974. Environ 7 200 enfants ont fréquenté le pensionnat au fil du temps. En date d’aujourd’hui, nous avons environ 10 300 enfants qui sont pris en charge.
Bien sûr, lorsque les enfants vieillissent et atteignent l’âge de ne plus être pris en charge, ils se retrouvent en prison. Nous comptons quatre prisons provinciales ici et nos gens représentent environ 50 p. 100 des détenus. Nous avons une prison fédérale, Stony Mountain, et un très fort pourcentage de nos enfants s’y trouvent. Beaucoup d’entre eux n’ont pas de maison où aller.
L’un des autres problèmes que nous avons dans nos collectivités, c’est la pénurie de logements. Dans ma collectivité, par exemple, sur 320 maisons, seulement 7 sont des maisons unifamiliales. C’est la même chose partout au Canada.
Je sais que vous et moi ne pouvons pas régler le problème aujourd’hui, mais je suis convaincu que nous devrions transmettre nos suggestions à nos députés. Chaque année, je dépose les statistiques à Ottawa, à la Chambre des communes. Chaque député reçoit donc une copie des pénuries de logements. Ici, au Manitoba, je fais la même chose auprès de sept députés provinciaux. Ils sont donc tous au courant de la situation. Il y a des pourparlers de nation à nation, mais nous n’apprenons qu’à parler entre nous. J’ai été agent des Indiens, fonctionnaire, pendant de nombreuses années. Si vous étiez le chef de la collectivité, puisque j’étais l’agent des Indiens, c’est à vous que je m’adressais pour vous dire : « Je sais que vous avez besoin de 300 000 $, mais tout ce que je peux vous donner, c’est 92 000 $. » Donc, tout de suite, je vous paralyse, et il faut que cela change.
L’autre chose qui doit changer, c’est la structure du financement de nos collectivités. Dans la mienne, où il y a une liste de 2 200 personnes qui font partie de la bande, seulement 1 116 vivent dans la collectivité et nous obtenons un financement de base en fonction de 1 116 et non de 2 200. Les paiements de transfert à notre province représentent environ 24 p. 100 de la population. C’est un défi colossal, mais nous devons trouver une façon de le simplifier. Tant que nous ne le ferons pas, il y aura étude après étude. Bien entendu, ce n’est pas drôle, mais nous, les Ojibway, aimons nous moquer de nous-mêmes.
Aujourd’hui, par exemple, le gouvernement fédéral tient trois réunions de comité. L’une porte sur les traités, la vôtre sur les jeunes et il y en a une autre sur l’infrastructure. Cela signifie que nos chefs ne savent pas où donner de la tête. Nos dirigeants métis ne savent pas où donner de la tête. Que faites-vous? D’une manière ou d’une autre, l’établissement des calendriers à la Chambre des communes doit être mieux organisé. Parlez-nous. Nous vous aiderons à planifier ces choses. Parlez aux dirigeants des Premières Nations. Parlez aux dirigeants métis, nous vous aiderons à planifier ces travaux de façon plus significative, plus productive, plutôt que d’avoir trois comités différents à Winnipeg ou au Manitoba. J’espère que nous pourrons éviter cela à l’avenir. Encore une fois, nous avons sept organismes administratifs au Manitoba, les conseils tribaux. Ensuite, bien sûr, nous avons nos 64 Premières Nations. Pour leur part, les Métis ont les sept mêmes régions.
J’aimerais vous laisser la suggestion suivante, à savoir qu’il faudrait peut-être des réunions du comité sur deux ans. Vous pourriez vraisemblablement le recommander aux autres provinces comme une possibilité qu’elles devraient examiner. Il est triste de constater qu’en 151 ans, c’est la première fois que les municipalités et les chefs se réunissent. C’est passionnant, mais il est triste que cela ait pris autant de temps. En même temps, nous sommes heureux d’en faire partie. Quoi qu’il en soit, je vais me taire. Meegwetch.
La présidente : Au nom du comité, j’aimerais remercier nos témoins de l’Association inuite du Manitoba, Fred Ford et Rachel Dutton et, du Parlement jeunesse du Manitoba, l’aîné Garry McLean et, la première ministre, Adrienne Tessier.
Pour notre troisième groupe de témoins ce matin, nous sommes heureux d’accueillir Ry Moran, directeur, Centre national pour la vérité et la réconciliation et, du Centre Ma Mawi Wi Chi Itata, Damon Johnston, membre du conseil d’administration.
Monsieur Moran, si vous voulez commencer.
Ry Moran, directeur, Centre national pour la vérité et la réconciliation : Merci beaucoup de m’accueillir aujourd’hui. Merci d’être venus à Winnipeg. Je m’appelle Ry. Mon nom traditionnel est Wappa Kinu. Je suis du clan de la Tortue. Je suis un Métis. Les gens du clan de la Tortue, comme vous le savez probablement, ont une responsabilité particulière à l’égard de la vérité. C’est ce que nous allons explorer aujourd’hui. Je représente le Centre national pour la vérité et la réconciliation. Avant cela, j’ai travaillé pour la Commission de vérité et réconciliation elle-même. J’ai suivi un parcours très fascinant, très difficile, mais très important de guérison et réconciliation nationale dans notre pays.
Si j’ai bien compris, on nous demande de répondre à trois questions. C’est un sujet important sur lequel nous nous penchons et je vais donc essayer de m’en tenir à ce sujet. Je crois comprendre que nous explorons l’histoire de la relation entre les Autochtones et les non-Autochtones. L’une des choses qu’il est très important de dire d’entrée de jeu, c’est que nous devons reconnaître que nous vivons dans une société où les peuples autochtones en savent beaucoup sur les peuples et les structures non autochtones, mais on ne peut pas en dire autant de l’autre côté, parce que les peuples non autochtones ne savent essentiellement rien de nous. Cela témoigne du désir de longue date des peuples autochtones d’entretenir des relations avec les nouveaux arrivants sur notre territoire. Nous pouvons voir que cela se reflète dans les médaillons du Traité, nous pouvons voir cela dans la promesse du Traité, nous pouvons voir cela dans la demande continue des organisations dirigées par des Autochtones d’établir et de maintenir des relations mutuellement respectueuses. Malheureusement, ce n’est pas la société qui a été créée dans notre pays. La relation de respect a été en grande partie unilatérale et les peuples autochtones ont été soumis à des souffrances incroyables, des difficultés incroyables, qu’on ne peut qualifier que de génocide culturel, voire complet.
Je tiens à préciser que, lorsque nous parlons d’établir une relation, nous devons reconnaître que nous essayons de créer quelque chose qui n’a jamais existé auparavant dans ce pays. Nous n’avons pas encore eu de relation respectueuse. Nous devons faire très attention de ne pas réinventer une autre époque magique où les peuples autochtones et non autochtones s’entendaient. Cela n’a jamais existé. Nous n’avons jamais vécu dans une société équilibrée, juste et équitable. C’est sur cette base que nous devons fonder nos conversations sur la réconciliation.
Je crois comprendre que la deuxième question est la suivante : quels sont les principes de la relation que nous devons établir au fur et à mesure que nous progressons dans ce cheminement vers la guérison? Eh bien, je pense qu’il est important de réfléchir au fait que, collectivement, les peuples autochtones réfléchissent à cette question depuis très longtemps. Il y a beaucoup de principes. Ils ont été écrits et documentés. Ce n’est pas tant le moment de remettre en question les principes. Il s’agit plutôt de savoir comment nous allons mettre en œuvre ces principes et comment nous allons les appliquer. Même dans cette petite brochure que j’ai ici, et que vous avez sûrement vue, il est question des 10 principes de réconciliation que la commission nous a donnés, des 94 appels à l’action et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Les principes qui sont énoncés ici sont le résumé ou la synthèse de milliers de voix autochtones de tout le pays et ils nous fournissent un point de départ très solide.
Il est toutefois essentiel que nous cherchions à mieux équilibrer la connaissance de l’autre pour commencer à créer une société égale. Il faut donc corriger le fait intolérable que les non-Autochtones connaissent très peu les aspirations sociales, culturelles et politiques des nombreuses nations du pays. Nous devons investir massivement dans tous les secteurs de l’éducation, y compris les professionnels des divers secteurs, les apprenants adultes, les nouveaux arrivants, les étudiants des universités, les professeurs des universités et, bien sûr, le système scolaire de la maternelle à la 12e année. Lorsque nous pensons à l’éducation, nous devons essayer d’apporter un changement holistique en approfondissant notre connaissance, notre compréhension et notre connaissance des peuples et des aspirations autochtones.
Cela signifie que nous devons, à l’heure actuelle au Canada, dire la vérité et continuer de le faire. La Commission de vérité et réconciliation l’a elle-même reconnu et affirmé. La déclaration préliminaire de la Commission de vérité et réconciliation indique que « c’est la vérité de nos expériences communes qui libérera notre esprit et pavera la voie à la réconciliation ». Nous devons nous demander pourquoi c’est seulement lorsqu’une crise nous y pousse que nous faisons ces grandes affirmations nationales de la vérité. Pourquoi est-ce seulement alors? Pourquoi nous contentons-nous d’aller dans les collectivités, de nous asseoir et de vraiment prendre le temps de rassembler les gens quand une violation massive des droits de la personne ou un incident d’envergure a précipité la nécessité de parler? Nous devons discuter de façon régulière et continue. C’est ce que signifie être dans une relation. On ne peut pas se contenter de parler de temps à autre, Il faut parler continuellement, et il faut le faire à l’échelle nationale, il faut prévoir des mécanismes pour avoir des conversations régulières et continues, et ces discussions doivent être structurées de la bonne façon.
En appliquant les principes de cette relation, nous devons nous rappeler qu’il s’agit d’un cadre fondé sur les droits qui nous servira bien. Nous devons reconnaître qu’il y a eu un déplacement des institutions de gouvernance des peuples autochtones et des façons de savoir et d’être des peuples autochtones dans ce monde. Nous devons vraiment nous demander comment nous pouvons créer des institutions parallèles ou des structures parallèles qui sont également ancrées dans la société canadienne et qui seront aussi résilientes que les institutions occidentales que nous avons créées. Nous savons que les assemblées législatives fonctionnent parce qu’il y a un lieu de rassemblement et qu’une institution de briques et de mortier a été construite. Quel est l’équivalent du côté autochtone? Où est l’établissement de briques et de mortier?
À l’heure actuelle, en tant que citoyen métis, je sais que mon gouvernement métis doit me représenter en tant que société, essentiellement. Est-ce un gouvernement ou quoi? Vous savez, les peuples autochtones, l’APN et d’autres groupes doivent tenir leurs réunions dans les salles de bal des hôtels de tout le pays. Pourquoi? Où sont nos Chambres de gouvernance? Où sont nos institutions? Où allons-nous nous réunir pour discuter ensemble chaque année? Où allons-nous avoir ce dialogue?
D’autre part, puisque nous reconnaissons l’importance d’avoir des institutions parallèles et de bâtir les moyens uniques dont les peuples autochtones ont besoin pour relever les défis auxquels leurs collectivités sont confrontées, nous ne pouvons pas non plus laisser le Canada se dégager de ses responsabilités en ce qui concerne la commémoration et le souvenir de qui nous sommes. Il est fondamental de dire la vérité à propos de ce que nous sommes en tant que nation et de ce que nous avons fait. Nous continuons de vivre dans une société où il est difficile de dire la vérité telle qu’elle est. Les tribunaux sont actuellement saisis de nombreuses affaires graves concernant l’accès à l’information, la destruction de l’information ou le droit des peuples autochtones d’obtenir et de contrôler l’information et d’avoir leur mot à dire.
Je peux vous dire que le centre national est profondément impliqué dans certaines de ces causes, et qu’elles sont très troublantes à l’échelle nationale. La destruction confirmée des dossiers du Processus d’évaluation indépendant entraînera une importante lacune historique et notre compréhension. Bien que les principes du consentement à cet égard soient très importants, le fait inévitable qui est ressorti de cette affaire est qu’on va détruire des quantités massives de documents qui décrivent en détail l’intention génocidaire véritable du Canada à l’égard des peuples autochtones. Et il y a d’autres exemples similaires en ce moment même.
Nous ne pouvons pas dire la vérité uniquement quand cela nous chante. C’est quelque chose que nous devons nous engager à faire, et cela quotidiennement, en tant que personnes, en tant qu’organisations, en tant que nation. C’est là que beaucoup des appels à l’action parlent de commémoration, de mémoire, de ne pas oublier ce que nous avons vécu collectivement en tant que société. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour corriger les erreurs du passé. La question que nous devons nous poser tous les jours est la suivante : établissons-nous des relations respectueuses? Le faisons-nous structurellement? Le faisons-nous individuellement? Le faisons-nous sur le plan organisationnel? Lorsque nous examinons la façon dont nous avons bâti ce pays, pour le meilleur ou pour le pire, nous voyons qu’il y a toujours une exclusion individuelle et structurelle des peuples autochtones sous de nombreuses formes. Il faut corriger cela. Nous savons que les principes parlent d’un investissement important de ressources, de temps et d’efforts. Certains des autres témoins que nous avons entendus plus tôt nous ont dit que l’argent est plus éloquent que la parole et que nous devons commencer à financer des modes de gouvernance parallèles au pays.
Je vais m’arrêter ici. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente : Merci.
Nous passons maintenant à notre deuxième témoin, M. Johnston.
Damon Johnston, membre du conseil d’administration, Ma Mawi Wi Chi Itata Centre : Je tiens à remercier le comité de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui. Je dois souligner qu’il m’est impossible de brosser un portrait complet des organisations autochtones en milieu urbain et de leur impact extrêmement positif sur la vie quotidienne de nombreux Autochtones vivant en milieu urbain, qui sont maintenant plus de 92 000 dans la ville de Winnipeg.
Pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, l’histoire des organisations autochtones urbaines a commencé par la création de l’Indian & Métis Friendship Centre of Winnipeg, en 1958. Il y avait quelques organismes avant cela, mais je ne suis pas sûr de leurs noms. Nous avons maintenant, à Winnipeg, un organisme de bienfaisance autochtone sans but lucratif qui compte 59 ans de développement continu. Aujourd’hui, nous avons plus de 30 organisations. L’autre aspect intéressant du développement de la communauté urbaine à Winnipeg, c’est que ces 30 organisations ont presque toutes été créées ou fondées par un groupe mixte de membres des Premières Nations ou de Métis. Telle est notre histoire.
Je suis également président de l’Aboriginal Council of Winnipeg. En 2018, nous sommes encore la seule voix politique urbaine organisée au pays. Il n’y a pas d’autre entité comme la nôtre. Le conseil, établi en 1994, a fait — toutes nos archives à l’Université du Manitoba — un travail incroyable au cours de cette période. Nous avons tout examiné, de l’autonomie gouvernementale des Autochtones en milieu urbain à toutes les questions auxquelles nous avons été confrontés dans le passé et auxquelles nous sommes encore confrontés aujourd’hui. Tout cela est archivé. Le conseil est situé ici, dans cet édifice, et il a maintenant travaillé avec certaines des organisations pour créer le Winnipeg Indigenous Executive Circle. Il s’agit donc d’une nouvelle table de collaboration d’organismes de services et de programmes autochtones urbains dont le Ma Mawi Wi Chi Itata Centre fait partie.
Si vous regardez ces 59 ans d’histoire, l’objectif principal a été la croissance de ces organismes. Les cadres supérieurs et les conseils d’administration élaborent des plans stratégiques et font croître leur organisation directement en fonction de la croissance de la population et de la demande à l’égard des programmes et services qu’ils offrent. Comme ces organisations sont dirigées par un ensemble de membres des Premières Nations et de Métis, elles sont pleinement conscientes des nombreux besoins de notre clientèle. Cela comprend les besoins en matière de services et de langues, les compétences culturelles dans la prestation de programmes et de services, toutes ces choses. Chacun de nous fait partie de ces peuples. Je suis membre des Premières Nations. Je suis membre de la Première Nation de Fort William à Thunder Bay, en Ontario. J’ai deux foyers, car je suis né ici, à Winnipeg, en 1947, parce que mon père était chasseur, trappeur et guide à Ignace, en Ontario. Mais mes deux parents sont nés dans la Première Nation de Fort William. Ma mère et mon père ont été forcés de partir, car ils ont perdu leur statut parce que leurs mères avaient épousé des non-Indiens. Je n’ai obtenu le statut d’Indien qu’en 1985. Avant cela, j’étais un Indien non inscrit.
Si nous revenons à 1959, pourquoi avons-nous créé ces organisations? C’était simple, on reconnaissait qu’il y avait une population croissante d’Autochtones, principalement des membres des Premières Nations et des Métis, parce que les Inuits sont encore une petite communauté à Winnipeg et au Manitoba. On s’est rendu compte qu’il y avait une lacune. Les gens essayaient de trouver de l’aide pour régler leurs problèmes, et c’est pourquoi le centre d’amitié a vu le jour. À l’époque, c’était un guichet unique. C’était l’endroit où aller pour toute difficulté à laquelle vous étiez confronté en tant qu’Autochtone. Bien entendu, au sein des communautés autochtones, le « télégraphe mocassin » a toujours été le mode de communication le plus puissant de la ville. Des membres de la famille se rendent au centre pour y recevoir des programmes et des services. Si leur expérience est bonne, ils en parlent à leurs frères et sœurs ou aux membres de leur famille, et c’est ainsi que nous sommes connus et que nous sommes vraiment appréciés.
Pour revenir à aujourd’hui, nous parlons d’une relation nouvelle, ou meilleure, ou améliorée entre les peuples autochtones du Canada. On parle maintenant d’une relation de nation à nation, et cela s’accompagne d’une approche fondée sur des distinctions. C’est très nouveau pour nous en milieu urbain et cela pourrait nous poser un problème, car notre modèle de fonctionnement ne se fonde pas sur des distinctions. Les 30 organismes que j’ai mentionnés offrent des services à toute personne d’ascendance autochtone. Nous ne faisons donc pas de discrimination. Et dans notre ville, en tant que membres des Premières Nations et Métis, nous avons appris à travailler ensemble pour une cause commune. Les 30 organisations représentent un éventail incroyable de capacités : dans le domaine de l’enfance et de la famille; en matière de justice; en matière d’emploi, d’éducation et de formation; des capacités dans presque tous les domaines. Étant donné que nous sommes nombreux à adopter une approche à valeur ajoutée à l’égard des programmes et des services que nous offrons, nous surveillons constamment ce que nous faisons, nous évaluons ce que nous faisons et nous essayons d’améliorer ce que nous faisons.
Nous représentons probablement aussi un groupe d’organisations autochtones du Canada qui ont pu s’adapter à la vie dans une ville et prospérer en milieu urbain. Nous avons maintenant la plus forte représentation d’étudiants autochtones dans les collèges et deux universités de notre histoire. Ce sont donc des résultats positifs très profonds de notre travail. À l’issue des premières étapes, des nombreuses années qui se sont écoulées, nous commençons à voir, à Winnipeg, l’apparition de capacités propres aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits. Toutefois, la majorité des programmes et des services sont encore offerts par les 30 organismes neutres de prestation de services urbains autochtones.
L’une des grandes préoccupations de la communauté urbaine à l’égard du processus de nation à nation actuel est l’exclusion de la voix urbaine. Vous en avez entendu parler aujourd’hui par l’Association nationale des centres d’amitié, et c’est ce que nous vous disons maintenant. Nous croyons que le Canada est un pays d’inclusion. Nous croyons qu’en démocratie, toutes les voix comptent. Nous croyons que dans les démocraties, il faut agir pour veiller à ce que les droits civils soient protégés, et cela concerne tout gouvernement actuel ou futur. Nous savons qu’en vertu de la DNUDPA, les Premières Nations, les Métis et les collectivités inuites cherchent à obtenir l’autonomie gouvernementale ou l’autodétermination. Quand on regarde les sociétés à l’échelle mondiale, la protection des droits civils revient principalement aux organismes de bienfaisance et sans but lucratif, ce qu’on appelle communément la « société civile ». Nous sommes d’avis, en tant que membres de la plus grande communauté autochtone du Canada, que nous avons le droit de créer et de continuer de créer des structures caritatives et sans but lucratif autochtones, et que cela sert vraiment les intérêts de notre pays et de tous les membres de notre communauté.
Nous avons agi à l’occasion pour protéger les droits civils. Il n’y a pas si longtemps, le conseil que je dirige et le Centre pour le développement des ressources humaines autochtones, qui est l’un des principaux locataires de cet édifice, ont intenté des poursuites contre Développement des ressources humaines Canada au sujet de la pratique du traitement différentiel. Elle portait sur un programme connu à l’époque sous le nom d’Entente sur le développement des ressources humaines autochtones. Le gouvernement fédéral essayait d’agir sur une base bilatérale avec les Premières Nations et les organisations métisses, et nous avons dit que c’était un traitement différentiel et que ce n’était pas acceptable en droit. Nous avons porté l’affaire — qui s’appelle Misquadis et al. — jusqu’à la Cour d’appel fédérale et nous avons gagné à ce niveau. Le ministère et le Canada ont décidé de ne pas s’adresser à la Cour suprême à ce moment-là et ont accepté de s’entendre avec nous. Le litige portait sur le fait que le ministère avait demandé au CAHRD de répondre à une demande de propositions, alors qu’il négociait des ententes avec les Premières Nations et les Métis.
Dans l’affaire Misquadis, il y avait aussi des représentants des intérêts autochtones en Ontario et ici au Manitoba. Au Manitoba, le conseil que je dirigeais était la voix politique dans cette équation, et c’est le CAHRD qui était la voix des programmes et des services. Le conseil a travaillé avec ce qu’on appelle maintenant l’ISETS, la Stratégie de formation pour les compétences et l’emploi destinée aux Autochtones, qui a succédé à la SFCEA, qui remplaçait elle-même l’ARTA, et avant cela Passeport pour ma réussite. Je connais donc tout l’historique.
Lorsqu’on regarde les gouvernements et la façon dont ils fonctionnent, il y a généralement une séparation entre la politique, les programmes et les services. Il y a des ministères qui répondent aux directives des politiciens par l’entremise des fonctionnaires. Dans ce cas, le conseil a fait la même chose. Le CAHRD est le signataire de l’entente ISETS, et il est indépendant du conseil en tant qu’opération politique pour la voix autochtone urbaine. Nous sommes au courant des mesures de protection qui sont mises en place dans les sociétés démocratiques pour veiller à ce que tous les acteurs soient justes et raisonnables et respectent la lettre de la loi.
En tant qu’Autochtones, nous avons des choix incroyables à faire dans tout ce processus d’autodétermination et d’autonomie gouvernementale, en ce sens que nous jouissons de trois ensembles distincts de droits. Nous sommes des Canadiens. Néanmoins, il arrive souvent que nous ne soyons pas traités comme des Canadiens parce que nous vivons dans les réserves. Comme nos droits sont réputés ne pas être transférables, lorsque je quitte ma réserve, c’est à la province et à la ville de Winnipeg de me prendre en charge. C’est inacceptable, mais le fait est là. J’ai cette politique sur mon bureau. Nous sommes en train de l’examiner et nous avons l’intention d’aller de l’avant pour déterminer si elle est toujours applicable ou si elle est acceptable.
En vertu de la Charte, en tant que Canadien, si je suis membre d’une Première Nation et d’une bande, j’ai des droits issus de traités, dans mon cas, le traité Robinson-Supérieur. Si je suis Métis, j’ai des droits ancestraux. Les droits ancestraux sont principalement liés aux Métis, car bon nombre d’entre eux ne faisaient pas partie des traités en raison de la Loi sur les Indiens elle-même et de toutes ces choses.
Exclure la voix des Autochtones vivant en milieu urbain n’est ni juste ni raisonnable, et je ne pense pas que ce soit bon pour nous. Les Autochtones ne représentent que 4 p. 100 de la population canadienne totale. Contre toute attente, nous avons réussi à créer tout cela. C’est une bonne chose. Je ne veux pas qu’on y porte atteinte. Ce n’est absolument pas nécessaire. Le conseil s’y opposera. Je peux aussi vous dire qu’il y a des coalitions d’organisations autochtones urbaines dans la plupart des grandes villes du Canada. À Vancouver, il y a le Metro Vancouver Aboriginal Executive Council. À Toronto, il y a le Toronto Aboriginal Support Services Council. À Ottawa, il y a la Coalition autochtone d’Ottawa. À Edmonton, il y a Wicihitowin.
J’irai les voir à Edmonton ce week-end pour parler du fait que les citadins, comme groupe, sont exclus du processus de nation à nation. Le Congrès des peuples autochtones, le CPA, a aussi été écarté jusqu’à un certain point. L’Association nationale des centres d’amitié et l’Association des femmes autochtones du Canada également.
Cette exclusion ne nous paraît pas avoir de justification acceptable. Un grand nombre de ces personnes participent à nos efforts d’autodétermination et d’autonomie gouvernementale depuis de nombreuses années. Certains d’entre nous avons une plus grande capacité que d’autres, mais nous nous efforçons de nous entraider, d’apprendre les uns des autres, de profiter de notre expérience individuelle, organisationnelle et personnelle. Tout cela a de la valeur.
Lorsque j’ai commencé mes remarques ce matin, je n’ai pas pu rendre justice à ce que nous avons à vous dire aujourd’hui. Nous allons rédiger un document et l’envoyer au Sénat et au gouvernement du Canada. Nous nous penchons sur le Programme de contestation judiciaire parce que nous pourrions devoir retourner devant les tribunaux en vertu de Misquadis pour demander justice dans cette affaire. Nous espérons pouvoir éviter cela.
Nous ne sommes pas du tout contre l’autodétermination autochtone, contre quoi que ce soit. Nous voulons l’application régulière de la loi. Nous croyons que l’approche de nation à nation sans l’engagement de nos dirigeants et du gouvernement du Canada à abroger ou à abolir la Loi sur les Indiens est une perte de temps et d’énergie. J’ai 70 ans. J’ai une carte qui atteste que je suis un pupille de l’État du Canada. Ce n’est pas acceptable. Je ne serai jamais libre tant que cette loi-là ne disparaîtra pas. La loi est au cœur de tout ce qui a été fait contre nous. Le placement dans les réserves, et tout le reste, les pensionnats, c’est la loi qui a donné aux gouvernements le pouvoir de faire ces choses avec leurs partenaires. Nous savons que c’étaient les Églises, et cetera.
À un jeune âge, j’ai été encouragé à m’instruire, à utiliser mes dons pour combattre le monde; et c’est ce que je fais. J’agirai au mieux de mes capacités, avec respect, compréhension, considération, juste considération. Mais les gens avec qui je travaille et moi n’accepterons pas un traitement injuste ou déraisonnable.
Merci beaucoup.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant donner la parole aux sénateurs.
La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. Ils ont touché une corde sensible dans mon cœur et mon esprit.
Monsieur Moran, vous avez mentionné le Processus d’évaluation indépendant et la destruction des documents. J’ai eu mon audience dans le cadre de ce processus en janvier dernier, et c’était la première fois que j’entendais parler de ces enjeux. J’apprécierais que mon témoignage soit entendu et je crois que d’autres personnes sont de mon avis. C’est simplement que nous ne le savions pas. C’est un message auquel nous avons droit parce que nous avons besoin de participer aux décisions. Comment allez-vous envoyer ce message pour aider à débloquer le dossier?
M. Moran : Merci de votre question. J’ai de mauvaises nouvelles. Il est important de les faire verser au compte rendu pour faire connaître la perspective du Centre national pour la vérité et la réconciliation à ce sujet. Pour moi, c’est très décevant.
Le Processus d’évaluation indépendant remonte à 2009-2010. Pendant longtemps, la Commission de vérité et réconciliation et le Secrétariat du Processus d’évaluation indépendant ont déployé des efforts et dialogué pour déterminer ce qu’il adviendrait de ces documents. Pour diverses raisons, la CVR a été informée par le Processus d’évaluation indépendant lui-même que, même si la convention de règlement reconnaît aux survivants le droit de transférer leurs documents au centre national ou à la CVR, il ne pouvait pas y avoir de décision globale ou concluante sur ce qu’il adviendrait des documents en question. La CVR a donc dû présenter une demande de directives à la cour, en lui posant trois questions principales : les documents pouvaient-ils être conservés; pouvaient-ils être détruits; et, dans l’affirmative, où?
C’est une longue histoire. Il y a eu des premières tentatives de médiation, à trois niveaux de tribunaux, jusqu’à la Cour suprême du Canada. L’audience a eu lieu le 25 mai à Ottawa. Nous y étions en tant que centre national. La CVR nous a légué cette affaire. C’est une énorme responsabilité et, en toute franchise, un lourd fardeau pour nous, parce que c’est extrêmement complexe. Je peux vous dire que cette affaire m’a fait perdre beaucoup de sommeil. J’ai trouvé très difficile, sur le plan émotionnel, d’essayer de comprendre nos meilleures options, en quelque sorte, pour voir comment être respectueux avec des documents aussi incroyablement sensibles.
Les positions que le centre national a défendues devant les tribunaux ont été éclairées du début à la fin par notre comité des survivants et notre cercle de gouvernance, formé de membres des Premières Nations, d’Inuits et de Métis de tous les coins du pays. Notre position a toujours reposé sur la certitude que la vérité est exceptionnellement puissante, qu’il y a ici des informations qui continueront de nous aider à comprendre ce qui s’est passé dans les pensionnats, pour des générations à venir. Nous sommes en début de parcours; nous ne sommes pas au bout de la découverte de la vérité dans notre pays.
Cette semaine, par exemple, le réseau anglais de Radio-Canada a lancé son site de surveillance des appels à l’action Beyond 94. Une poignée de journalistes sont allés interviewer des Winnipégois en leur demandant : « Avez-vous entendu parler de la Commission de vérité et réconciliation? Avez-vous entendu quoi que ce soit à ce sujet? » Seulement 20 des 90 personnes interrogées avaient déjà entendu parler de la CVR. Lors de notre sondage national, la plupart des Canadiens n’en avaient pas entendu parler; la plupart avaient peut-être entendu parler des pensionnats, mais sans comprendre ce qui s’y est vraiment passé, ni l’ampleur du préjudice infligé aux élèves de ces écoles, y compris vous-même.
Au centre national, nous abordons toujours cette question en fonction de la vérité. Nous avons toujours reconnu que les survivants avaient le droit à leur vie privée et à la protection de leur identité. Il y a bien des façons d’y arriver. À la fin, la Cour suprême s’est prononcée contre la préservation holistique de l’information et a statué que les documents pouvaient être détruits après 15 ans. Ce programme d’avis informerait les survivants de leur droit de déposer leur témoignage au Centre national pour la vérité et la réconciliation, le CNVR. N’oublions pas, quand même, qu’ils ont ce droit depuis le début de la convention de règlement, un droit dont ils n’ont pas été dûment informés pour la majorité des audiences. Ce n’est qu’en 2015 que le Secrétariat du PEI a commencé à leur expliquer par écrit qu’ils avaient le droit de faire conserver leurs documents.
Le droit de conservation des documents n’existe pas pour les personnes décédées. Nous savons que les survivants meurent à un rythme exceptionnellement rapide. Les audiences du comité parlementaire en 2005, dans les débuts de la convention de règlement, ont reconnu la rapidité avec laquelle nous perdions les survivants partout au pays. J’ai moi-même parlé à des survivants au téléphone, qui m’ont demandé : « Je vous prie de conserver mes dossiers » et qui étaient déjà décédés lorsque je les ai rappelés le lundi.
Je suis extrêmement préoccupé par cette question, qui me trouble au plus haut point : l’ordre donné aux parties au litige est qu’il devait y avoir un programme d’avis, et que les survivants et les communautés avaient le droit d’être informés. La formulation utilisée précisait clairement, dans la décision du tribunal inférieur, que le programme d’avis avait été accordé à la CVR et au Centre national pour la vérité et la réconciliation, car elle reconnaissait qu’en fin de compte, nous parlons des documents envoyés au CNVR. Les documents font partie des archives autochtones, des archives de la convention de règlement. Dans notre cérémonial, nous voyons cela comme l’enfant né.
La formulation précisait que le CNVR doit contribuer de façon significative à ce programme d’avis. Il y a eu une légère modification au niveau de la Cour d’appel, lorsque le processus du programme d’avis a été accordé au Secrétariat du Processus d’évaluation indépendant, à l’adjudicateur en chef. S’il en a été ainsi, c’est qu’ils détiennent tous les renseignements sur les demandeurs. Nous sommes en quelque sorte des observateurs de l’extérieur. La CVR a toujours été un observateur de l’extérieur pour ce qui est de ces documents. Donc, les choses ont changé, et c’est maintenant : « Très bien, l’adjudicateur en chef doit informer les survivants. » Néanmoins, cela devait se faire avec la participation significative du CNVR.
La mauvaise nouvelle dont je suis porteur est que, lorsqu’il a soumis ses documents à l’approbation de la cour, le Secrétariat du Processus d’évaluation indépendant a exclu le CNVR du processus. Il n’aime pas voir le CNVR aux audiences communautaires. Il n’a inscrit notre nom nulle part sur les affiches ou les dépliants qu’il distribue aux survivants, et il va même jusqu’à dire dans certains documents : « Pour plus d’information sur le CNVR, téléphoner au PEI. » Voilà qui est troublant, parce que nous en sommes au point de non-retour, après la décision de la Cour suprême. L’enjeu est maintenant le consentement éclairé. Les survivants, leurs familles et les communautés ont le droit de savoir. Ils méritent de connaître le point de vue du centre parce qu’ils ont le droit de nous réclamer des comptes, de nous vérifier, et d’évaluer notre franchise, et de voir quelle est notre éthique, parce que ces documents sont exceptionnellement sensibles. Nous ne sous-estimons pas un seul instant la complexité et la gravité de la décision des survivants qui ont à faire ce choix, de la décision de confier leurs documents librement au centre.
Comment pouvons-nous avoir un dialogue respectueux si le domicile de ces documents n’est même pas inclus? À vrai dire, c’est consternant, très irrespectueux. Cela n’augure rien de bon pour les communautés du pays. Malheureusement, c’est une tendance qui s’est répétée tout au long du processus judiciaire. Le CNVR est une institution autochtone. Nous faisons de très grands efforts pour respecter les promesses qui ont été faites aux survivants, et nous ne négligeons rien pour vivre notre quotidien conformément à ces principes de réconciliation et à la DNUDPA. Nous voulons être l’incarnation de tout cela du mieux que nous le pouvons. Nous ne sommes pas toujours parfaits, mais nous sommes entourés d’aînés qui nous mettent au diapason lorsque nous ne faisons pas bien les choses.
Mais je déplore profondément que les archives autochtones dans ce processus soient exclues et bloquées, car nous tenons notre mandat d’un tas d’autres personnes. La vérité est puissante. Elle peut libérer notre esprit, mais elle est aussi attaquée et facilement supprimée, et nous devons être très prudents à cet égard à l’heure actuelle au Canada.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup, tous les deux, de votre témoignage. En tant que sénatrice du Manitoba, je trouve que cela veut dire beaucoup.
J’ai une question pour chacun d’entre vous, mais je veux aussi remercier, M. Johnston, d’avoir mentionné nommément l’Association des femmes autochtones du Canada et rappelé les décennies d’exclusion qui se sont écoulées, toutes ces occasions manquées d’avoir des femmes à la table, de faire entendre la voix des femmes et, encore et encore, l’exclusion, y compris jusqu’à aujourd’hui.
Enfin, monsieur Moran, merci. En fait, je change ma question en fonction de ce que vous venez de dire. Le résumé de l’affaire est très utile. Mais je veux quand même vous demander de nous aider à comprendre où nous en sommes avec cette situation, parce que nous voulons tous que le CNTR ait une longue et riche vie, alors que l’organisme d’évaluation indépendant est en voie de disparition. Pourriez-vous nous parler de certaines des considérations pratiques? Quels écueils nous guettent? Qu’est-ce qui vous préoccupe en ce moment au sujet des conséquences de la durée de vie des deux organisations?
M. Moran : C’est une question pas mal complexe aujourd’hui. La Cour suprême a entendu l’affaire le 25 mai, a rendu sa décision, je dirais, en octobre ou au début novembre 2017. Cette décision affirmait qu’il y aurait une période de conservation de 15 ans, que les documents seraient ensuite détruits, mais qu’il fallait un programme d’avis amélioré pour informer de leurs droits les survivants et les communautés. Il y a eu environ un an et demi de dialogue entre l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami, le CNVR, le Secrétariat du Processus d’évaluation indépendant, le gouvernement du Canada en tant qu’observateur en attendant la décision, et le conseil représentant les survivants. On a fait des efforts pour lancer le processus de planification de ce programme d’avis, parce que, malgré peut-être le parcours différent qui nous y a menés, à peu près tout le monde reconnaît l’importance exceptionnelle du programme d’avis. Nous savions que nous allions devoir nous mettre tout de suite à l’œuvre si la décision de la Cour suprême allait dans le sens où elle est allée.
Depuis lors, nous nous sommes retirés des dernières réunions négociées à la fin de 2017. Le Processus d’évaluation indépendant a déposé ses documents au début de février. Ces documents expliquent comment le Processus d’évaluation indépendant envisage le fonctionnement du programme d’avis. C’est là que le CNVR a déposé des documents disant que « Nous avons de vives préoccupations au sujet des modalités d’information des survivants, et de l’exclusion du CNVR de ce processus. »
Les 23 et 24 avril, la Cour supérieure de l’Ontario tiendra une très importante audience sur la convention de règlement. Cette audience portera sur cette question particulière et sur d’autres questions liées à la conservation et à la production de documents en vertu de la convention de règlement. À partir de là, nous attendons de voir si le juge approuvera ou pas le programme d’avis. Le défi aujourd’hui — et c’est ce qui est regrettable — est que le juge devra trancher entre les documents proposés par le PEI et ceux proposés par le CNVR, car ils ne sont pas les mêmes. Ils auraient dû l’être, pourtant. Les parties auraient dû pouvoir s’entendre. Pour moi, c’est un véritable échec. Je suis très déçu, très déçu des parties, déçu que nous n’ayons pu nous mettre d’accord plus tôt sur une conclusion quelconque, sur un règlement quelconque. Certains diront : « Eh bien, c’est en partie la faute du CNVR », ou quelque chose comme cela; nous avons fait de grands efforts pour trouver un terrain d’entente. Cela fait maintenant cinq ans.
Le juge devra rendre son verdict et décider ensuite quels documents il va appuyer. Il devra décider si le CNVR sera présent à ces audiences. Ensuite, nous devrons espérer collectivement que personne ne portera sa décision en appel, car si l’affaire se rend là, nous nous retrouverons dans un autre bourbier de litiges. Ce serait un autre échec monumental. Nous devons commencer à informer les survivants.
Le Secrétariat du Processus d’évaluation indépendant doit se saborder dans environ deux ans. Le processus envisage un programme d’avis très intensif dès le départ. Je pense que toutes les parties sont généralement d’accord là-dessus, que les médias de masse en parleront, qu’il y aura des publicités à la télévision et dans les journaux, des affiches distribuées aux communautés de tout le pays, de même que des audiences communautaires.
Parce que les documents doivent être conservés pour 15 ans, selon le programme d’avis, il se pourrait qu’une tierce partie… À l’heure actuelle, le Secrétariat du PEI a fait valoir que le recours collectif de Crawford conserverait les documents pendant la durée du programme d’avis puis, à la fin, les détruirait.
Bien sûr, le Canada n’a jamais tranché la question globale de la destruction — et c’est une grosse question — et il n’y a pas de date fixe pour la destruction de ces documents. Nous demandons au tribunal de clarifier ce point. Mettons que la date est le 1erjuin 2030. Nous pouvons tous imaginer quel âge nous aurons alors. Je sais quel âge auront mes enfants. À quoi ressemble ce jour-là? Est-ce un jour de célébration, de réconciliation, ou de deuil? Qu’est-ce qui se passe alors dans le pays au sujet des droits des Autochtones et de la réconciliation? Si nous réfléchissons à la conversation que nous avons aujourd’hui, à ce qu’il faut changer dans notre pays; nous devons nous demander depuis quand nous avons cette conversation. Combien de personnes ont occupé mon fauteuil et celui de Damon et ont dit plus ou moins la même chose, au sujet de la nécessité d’agir et du besoin de financement? C’est ce qui nous a toujours préoccupés : où en serons-nous dans 15 ans? Nous nous sommes toujours préoccupés du genre d’information qu’il nous faudra pour créer une société informée. Quand nous songeons au 1erjuin 2030, à qui sera là et à ce que nous dirons, aux conversations que nous avons aujourd’hui, à ce que diront les jeunes ce jour-là? C’est très grave.
Le sénateur Patterson : Sans vouloir être simpliste avec un problème complexe, j’aurais une question à poser à M. Johnston. Je réfléchis à ce que vous avez dit, à ce que nous avons entendu en Saskatchewan et aujourd’hui à Winnipeg. La population autochtone du Canada est en croissance; elle compte 1,6738 million de personnes en 2016, soit un peu moins de 5 p. 100 de la population totale. Elle progresse plus vite que la population non autochtone : une croissance de 42,5 p. 100 depuis 2006. Il y a eu une forte croissance dans les centres urbains, où se trouve une proportion étonnante de 60 p. 100 de la population autochtone, soit plus d’un million de personnes.
La Loi sur les Indiens a été conçue pour diviser et séparer les Autochtones et en limiter le nombre. C’est une loi odieuse. Aujourd’hui, vous nous dites, tout comme les centres d’amitié et les fournisseurs des services essentiels aux Autochtones vivant en milieu urbain, qui collaborent désormais dans nos grands centres urbains, que la nouvelle relation de nation à nation exclut les Autochtones. Nous ne sommes pas écoutés. Nous ne pouvons pas obtenir de financement depuis que le ministère a été scindé. Le financement pour les jeunes est passé sous le couperet.
Cette analyse simpliste est-elle juste? Sommes-nous, probablement malgré les meilleures intentions, en train d’établir au Canada de nouvelles relations qui ne tiennent pas compte d’une tendance étonnante relative aux Autochtones en milieu urbain? Je veux dire qu’Ottawa se classe au deuxième rang des grandes communautés inuites au Canada, après Iqaluit, où j’habite. C’est Ottawa, en Ontario. On dit qu’il y a 8 000 Inuits à Ottawa. Soit dit en passant, nous n’avons même pas le moyen de dénombrer les Autochtones dans les centres urbains, je crois.
Nous étudions cette nouvelle relation. Je crois que nous devons jeter un peu de lumière sur cette histoire oubliée des Autochtones en milieu urbain. Comment y échapper? Que faut-il recommander au Canada pour assurer cette surveillance et réparer cette négligence à l’égard des personnes qui ont un besoin criant de services essentiels?
M. Johnston : J’ai quelques idées là-dessus.
En premier lieu, nous ne savons pas si AANC, Affaires autochtones et du Nord Canada, va se scinder en deux ministères. Nous avons aujourd’hui la ministre Bennett et la ministre Philpott. Et nous voyons des lueurs d’espoir. Encore une fois, la voix urbaine se fait entendre. Nous discutons avec AANC ici au Manitoba — dans la région du Manitoba — et travaillons avec lui. Je comprends maintenant qu’il commence peut-être à nous entendre. Cette semaine, la ministre Philpott sera à Winnipeg, où elle annoncera que la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, la DGSPNI, dégage du financement pour un organisme au service des jeunes Autochtones en milieu urbain que son ministère prendra en charge, et qui s’appelle Ndinawe. Le financement facilitera l’exploitation d’une maison d’hébergement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. C’est une bonne nouvelle. Je pense que cela s’en vient parce que nous envoyons un signal fort au ministère pour qu’il n’oublie pas la capacité des Autochtones en milieu urbain et notre avenir.
Je sais par ailleurs que nous serons invités à Ottawa au début d’avril pour discuter de ce que le ministère appelle les PUPA, les Programmes urbains pour les peuples autochtones, et, je suppose, pour discuter des affectations futures des fonds engagés de ce programme dans nos collectivités de tout le Canada, et peut-être même discuter de la date du renouvellement, en 2020, je crois.
Vous ne savez peut-être pas ce qui s’est passé avec le renouvellement de l’an dernier. La Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, qui est devenue les PUPA, a été renouvelée, mais le financement national du programme n’a pas augmenté. C’est assez surprenant étant donné, comme vous venez de le mentionner, le taux de croissance rapide des populations autochtones urbaines. Nous sommes passés d’environ 76 000 personnes au recensement de 2011 à plus de 92 000 à celui de 2016. Selon les projections, ce nombre atteindra 114 000 au recensement de 2021. Il va de soi que le coût par habitant croîtra avec l’augmentation de la population. C’est une question de demande et d’offre.
Nous savons aussi que les nombreux programmes que nous avons créés dans l’année, même ici à Winnipeg, fonctionnent bien. C’est ce qui permet aux Autochtones d’espérer guérir — s’instruire, recevoir de la formation, avoir un emploi et contribuer à leur ville, leur province et leur pays.
Vous avez parlé de consentement éclairé, Ry. Il est pas mal difficile d’être informé ou de donner un consentement éclairé dans le monde d’aujourd’hui sans savoir comment tout fonctionne.
Encore une fois, ces organisations assurent un précieux service en travaillant avec ce gros système au Canada — les ministères fédéraux, les ministères provinciaux, les services municipaux — et en aidant les Canadiens autochtones à accéder aux nombreux programmes et services qui sont à leur disposition, à comprendre tous les différents éléments de la structure de gouvernance, les conseils, les commissions, les fiduciaires et toutes ces choses-là. Nous augmentons lentement et constamment notre participation dans tous ces domaines. C’est très utile pour exercer notre influence sur le système.
Nous agissons concrètement aussi lorsque nous remarquons une absence de voix, de voix autochtone à certains endroits. Je vous donne un exemple concret. Winnipeg a plusieurs divisions scolaires. Nous avons tenté pendant des années de faire élire des Autochtones qualifiés à ces conseils de fiduciaires, mais sans grand succès. Ce que nous disons aujourd’hui, lorsque nous visitons les divisions scolaires — les fiduciaires et surintendants, les autres employés — c’est que, si nous ne pouvons pas nous faire élire aux organismes décisionnels, au conseil des fiduciaires, alors nous devons trouver moyen d’avoir de l’influence sur le système. À Winnipeg, un écolier sur quatre est autochtone. Si nous voulons un système scolaire plus réceptif, plus inclusif, plus représentatif de nos élèves, il faut que ce soit par l’engagement, la conversation et le dialogue, puis le désir de changer.
S’il n’y a pas de voix autochtone dans les conseils de fiduciaires, pour prendre ces grandes décisions, donner des directives à leurs fonctionnaires, alors il y a une lacune. Comment la combler? Nous les encourageons à se donner une capacité consultative autochtone en attirant des dirigeants de la communauté autochtone — des Premières Nations, des Métis, des Inuits et des citadins — qui siégeront à ces comités et sauront donner des conseils directs aux fiduciaires; nous répondrons à leurs questions, leur expliquerons quoi faire, parce qu’ils ne le savent pas vraiment. C’est ce qu’ils vous diront. Voilà un exemple de la façon d’apporter des changements systémiques généraux aux différents systèmes au Canada lorsqu’il n’y a pas de voix autochtone dans l’un ou l’autre de ces endroits. C’est très pratique.
Le sénateur Christmas : J’ai plusieurs questions, mais je sais que le temps presse.
Monsieur Johnston, j’ai été très surpris et très impressionné par le commentaire que vous avez eu pour décrire le processus de nation à nation comme approche adaptée qui exclurait les Autochtones vivant en milieu urbain. Vous avez aussi mentionné que votre organisation, le conseil autochtone, est la seule voix politique urbaine au Canada.
Dans un monde idéal, mettons dans 15 ans, à quoi ressemblerait la gouvernance autochtone urbaine?
M. Johnston : Belle question. Merci.
Nous y avons longuement réfléchi, dans différentes perspectives. Très rapidement, pour revenir à la Loi sur les Indiens, que nous avons mentionnée tantôt, nous considérons qu’elle impose une structure de gouvernance non autochtone à l’ensemble de nos peuples. Nous savons que certaines de nos sociétés — et nous étions des sociétés; nous étions des nations — étaient matriarcales. Les femmes ont joué un rôle immense dans nos sociétés et sans doute le rôle le plus important, qui est le leadership. Nous savons que, lorsque nous voyons du changement positif dans une communauté, c’est généralement qu’il y a un bon leadership responsable — vision, mission — et nous en avons des exemples. Pas suffisamment, mais ils viennent.
À Winnipeg, nous entendons aussi un terme que nous utilisons tous les jours, « autochtonisation » de l’organisation, de la structure. Qu’entend-on par là? Ce pourrait être différent pour les Anishinaabe ou les Ojibway, ce pourrait être différent pour les Inuits ou les Cris. Ce pourrait être différent pour les Mohawks ou les Haudenosaunee. C’est une question à laquelle on peut absolument répondre, à laquelle il faut répondre, si l’on veut vraiment retrouver nos façons de faire. Les grandes décisions doivent se prendre par consensus, non pas par moi comme chef, ni par vous comme conseiller; elles concernent la communauté et ce qui est bon pour la majorité ou pour nous tous.
Il y a eu une césure abrupte dans notre perception de notre identité. Là encore, notre structure primaire est le cercle. La structure non autochtone est la pyramide, ou la hiérarchie. En général, vous diriez que, pour les communautés autochtones, avant et un certain temps après la prise de contact — parce que nous avions encore une certaine intégrité, et nous l’avons encore à certains endroits — la structure de leadership, la structure de gouvernance, était plus horizontale. Nous n’avons pas créé de situation où quelqu’un avait trop de pouvoir, où quelqu’un pouvait faire du tort à la communauté en prenant des mauvaises décisions parce qu’il n’y avait pas de voix assez forte pour remettre en question ce qui se disait ou se faisait.
En tant que Canadien qui a vécu 70 ans dans ce pays, né sans statut, donc Canadien dès le premier jour, dès que j’ai eu 18 ans, j’ai pu voter, au contraire de mes frères et mes sœurs, de mes relations dans les réserves. Ensuite, je suis allé à l’école principalement avec des élèves non autochtones, parce que nous étions la seule famille autochtone dans notre petite ville près de Thunder Bay, et nous avons reçu la même éducation que les autres Canadiens, et probablement eu droit aux mêmes chances. J’ai perdu ma culture, ma langue, toute connaissance réelle de mon identité d’Anishinaabe ou d’Autochtone. On peut argumenter jusqu’à épuisement total sur ce qui était mieux, ce qui était bien, et ce qui était mal, mais telle était la réalité. Aujourd’hui, je connais quelques mots d’anishinaabe ou d’ojibway, mais ma langue maternelle est l’anglais. Ce sont là des exemples concrets.
La grande question qui se pose est : où allons-nous? Y allons-nous comme de vrais Autochtones, ou y allons-nous comme hybrides? Ces questions sont légitimes. Pour moi, lorsque je visite nos collectivités isolées et rurales, où l’intégrité culturelle reste incroyablement élevée, je vois chez les gens une beauté incroyable. J’ai fait cela. J’ai été agent d’interdiction correctionnelle et je prenais l’avion pour me rendre dans les collectivités éloignées du Nord de l’Ontario, et j’ai vu cela de mes yeux. Nos gens vous donneraient leur chemise, même s’ils n’en ont pas. C’est pour vous dire à quel point c’est beau. La douleur et la souffrance étaient là, les suicides, le retrait des enfants de leur famille et leur placement en foyer d’accueil hors réserve, puis la violence dont certains d’entre eux ont été victimes. J’ai dû partir après un certain temps. Mais, comme je le dis, nous essayons de dépasser tout cela, et nous essayons de demander : quelle est la meilleure façon d’y arriver? Et il n’y a pas de solution unique. C’est à nous de travailler collectivement pour trouver la nôtre.
La présidente : Malheureusement, nous devons interrompre beaucoup trop tôt ces merveilleuses conversations. Merci, messieurs.
(La séance est levée.)