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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 12 - Témoignages du 2 février 2017


OTTAWA, le jeudi 2 février 2017

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, saisi du projet de loi S-224, Loi sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction, se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour l'étudier.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, invités et membres du public qui suivez les travaux d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, que ce soit dans cette pièce ou sur le Web.

Je m'appelle David Tkachuk et je préside ce comité.

Nous nous réunissons ce matin pour la première fois au sujet du projet de loi S-224, Loi sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction. Le projet de loi a été lu une première fois au Sénat le 13 avril 2016, et je suis heureux d'en accueillir le parrain, le sénateur Donald Neil Plett du Manitoba, qui siège aussi à notre comité.

Bienvenue, sénateur Plett, et merci de comparaître devant nous aujourd'hui en qualité de parrain du projet de loi, avec M. Banfai, avocat au cabinet d'avocats McMillan, qui comparaît aujourd'hui à titre personnel.

Veuillez nous présenter vos observations préliminaires. Nous passerons ensuite à une séance de questions et réponses. Puis nous suspendrons brièvement nos travaux afin d'accueillir un deuxième panel de témoins sur ce projet de loi.

Sénateur Plett, vous avez la parole.

L'honorable Donald Neil Plett, parrain du projet de loi : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci, chers collègues, de me donner cette occasion de m'exprimer.

Il se peut que vous ayez déjà entendu une bonne partie au moins de mes observations quand j'ai parlé du projet de loi au Sénat, et je vais en répéter certaines. Je m'en excuse auprès de celles et ceux d'entre vous qui les avez déjà entendues.

Comme le président l'a dit, je suis accompagné aujourd'hui de M. Geza Banfai, avocat expérimenté en droit de la construction qui a joué un rôle de premier plan dans le processus de rédaction. Il est ici pour répondre à toute question juridique ou de compétence que pourraient soulever vos questions.

Encore une fois, c'est un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui et de vous présenter un projet de loi qui est attendu depuis longtemps. Le président mentionnait le 13 avril 2016.

Comme vous le savez, le plus gros problème du secteur de la construction aujourd'hui au Canada, ce sont les délais de paiement. Il est difficile pour quiconque travaille dans pratiquement n'importe quel autre secteur d'imaginer ne pas être payé pour un travail effectué sans avoir un véritable recours juridique. Or, telle est dans tout le pays la triste réalité des entrepreneurs spécialisés.

Les retards de paiement sont systémiques dans la chaîne des sous-traitants, même lorsque des factures valides ont été présentées, qu'il n'est pas contesté que les travaux ont été réalisés conformément au contrat et que les demandes de paiement échelonné ont été certifiées.

Ce problème n'est pas particulier au Canada. Toutefois, d'autres pays ont adopté des lois pour contrer les retards de paiement systémiques des factures des sous-traitants. Aux États-Unis, presque tous les États, et même le gouvernement fédéral, ont adopté des lois pour un paiement rapide dans le secteur privé. Le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont également adopté des lois de ce type. Le Canada fait figure d'anomalie.

Ce qui distingue la construction des autres secteurs d'activité, c'est sa structure pyramidale dans les grands projets. Dans les travaux du gouvernement fédéral, l'autorité fédérale se trouve au sommet de cette pyramide. Elle confie les travaux de construction à un entrepreneur général ou principal et c'est avec lui qu'elle conclut le contrat pour la réalisation du projet.

Le plus souvent, l'entrepreneur principal sous-traite différents volets du projet de construction à des entrepreneurs spécialisés. En général, ces entrepreneurs spécialisés font plus de 80 p. 100 des travaux mêmes. De plus, dans la plupart de ces projets, ils sous-traitent avec un entrepreneur général ou sous-sous-traitent avec un autre entrepreneur spécialisé. Les propriétaires de petites et moyennes entreprises le savent, l'accès au crédit bancaire est limité pour les entrepreneurs spécialisés et ils dépendent beaucoup des liquidités. Or, leurs revenus sont à la merci de retards imprévisibles et ils n'ont aucune latitude pour leurs propres dettes.

Les paiements à l'Agence du revenu du Canada et au régime d'indemnisation des accidents du travail doivent être effectués tous les mois sans retard, et les salaires doivent être versés toutes les semaines ou toutes les quinzaines. Les achats de matériaux et la location d'équipement doivent être réglés dans un délai de 15 à 30 jours.

Le pouvoir de négociation inégal entre les entrepreneurs et leurs sous-traitants est la cause fondamentale du problème de retard de paiement. Les entrepreneurs obligent les sous-traitants à accepter des paiements en retard comme faisant partie du prix à payer pour faire des affaires.

Les entrepreneurs peuvent se comporter ainsi parce qu'ils contrôlent le flux de travail. La plupart des entrepreneurs spécialisés doivent travailler en sous-traitance avec un entrepreneur général ou un autre entrepreneur spécialisé pour survivre. Aucun entrepreneur ne peut se permettre d'être rayé de la liste des soumissionnaires.

Travaux publics, qui reconnaît que c'est réellement un problème, a essayé une série de mesures administratives, mais malheureusement, aucune n'a permis d'en venir à bout parce qu'elles ne vont pas au cœur du problème.

Par exemple, les entrepreneurs doivent remettre à Travaux publics, avec chaque facture, une déclaration solennelle par laquelle ils jurent avoir respecté toutes leurs obligations de paiement. Ce recours présente deux difficultés. Premièrement, ces déclarations sont rétrospectives. Elles n'empêchent pas de futurs retards de paiement. Deuxièmement, si un paiement est suspendu en raison d'un différend sur l'exécution de travaux, une déclaration solennelle peut être remise, car en théorie, le paiement retenu n'est pas un paiement exigé en attendant le règlement du différend.

À l'heure actuelle, si un entrepreneur n'est pas payé, il n'a absolument aucun recours. Il ne peut pas s'arrêter de travailler. Il ne peut pas percevoir d'intérêts. Il a les mains liées. Les entrepreneurs sont parmi les gens qui travaillent le plus fort dans notre pays et ils font faillite et perdent leur entreprise. Ce cycle doit s'arrêter.

Le projet de loi canadien sur le paiement sans délai contient des mesures qui mettront enfin un terme à ce problème systémique en ce qui concerne les travaux de construction fédéraux. Le projet de loi précise que les institutions fédérales doivent faire des paiements proportionnels à l'entrepreneur pour les travaux de construction tous les mois ou aux intervalles plus courts prévus dans le contrat de construction.

De même, l'entrepreneur paie le sous-traitant qui a lui-même l'obligation de payer ses propres sous-traitants dans les 20 jours suivants soit le dernier jour de la période de paiement soit, si elle est postérieure, la date de réception de la demande de paiement.

Le projet de loi prévoit aussi des paiements d'étape. Si un entrepreneur général signe avec le gouvernement fédéral un contrat qui autorise des paiements d'étape plutôt que des paiements proportionnels, l'entrepreneur doit informer par écrit tous les sous-traitants de tout paiement d'étape reçu.

Le droit pour l'entrepreneur qui n'a pas été payé de suspendre l'exécution des travaux constitue, selon moi, la disposition la plus importante du projet de loi. L'absence d'une telle disposition m'a été signalée à maintes reprises par des petits entrepreneurs spécialisés. Or, il s'agit là d'un recours important pour les entrepreneurs qui ne sont pas payés. Je suis ravi de voir ce droit explicitement reconnu dans le projet de loi, en plus du droit de mettre fin à un contrat et de la possibilité de percevoir des intérêts sur les paiements en retard.

Le projet de loi prévoit également un processus de règlement des différends et un droit d'accès à l'information pour les entrepreneurs et les sous-traitants qui sont parties à un règlement de différend.

Au Canada, l'essentiel des travaux de construction ne concerne pas des projets fédéraux, ce qui signifie que ce projet de loi ne réglera qu'une partie du problème. Cependant, les provinces vont de l'avant dans la mise en œuvre de mesures législatives similaires.

En Ontario, dans son rapport sur le sujet, M. Reynolds recommande que la province adopte une mesure législative exhaustive. J'ai constaté avec plaisir que les recommandations de la commission correspondent dans une large mesure aux propositions de ce projet de loi. L'Ontario et le Québec se sont tous deux engagés à déposer au printemps 2017 un projet de loi sur le paiement sans délai.

Quand les États-Unis ont adopté une mesure législative fédérale, les États n'ont pas tardé à leur emboîter le pas. J'espère pour ma part que l'adoption de ce projet de loi aura le même effet d'entraînement sur les provinces canadiennes pour que tout travailleur de la construction au Canada soit payé en temps voulu pour les tâches qu'il a exécutées.

Chers collègues, il ne s'agit pas d'une question partisane. Les gens devraient être payés en temps opportun pour leur travail. C'est le plus grand problème auquel le secteur de la construction doit faire face au Canada, et nous avons enfin l'occasion de le résoudre. Défendons les propriétaires de petite entreprise et les Canadiens qui travaillent dans le secteur de la construction.

Avant de conclure, je tiens à souligner que depuis le dépôt de ce projet de loi, je travaille avec la National Trade Contractors Coalition of Canada afin de clarifier le texte sur quelques points, et je soumettrai avant l'étude article par article, afin que vous les ayez à temps, quelques amendements très mineurs qui clarifient vraiment le libellé du projet de loi. Ces amendements ne modifient pas le projet de loi sur le fond, mais clarifient quelques dispositions pour plus de certitude dans leur application. Comme je l'ai dit, ils seront distribués aux membres du comité avant l'étude article par article.

Monsieur le président, telles sont mes observations et je répondrai volontiers à toute question.

Le président : Avez-vous des commentaires, monsieur Banfai, ou êtes-vous juste ici pour les questions?

Geza R. Banfai, avocat, McMillan LLP, à titre personnel : Je suis juste ici pour les questions, monsieur le sénateur. Je vous remercie.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous deux de votre présence ce matin. Comme nous tous, j'essaie de comprendre le problème. Aussi, je vous demande un peu d'indulgence si les questions sont simples.

Personnellement, j'ai plus eu affaire en tant que promoteur à nombre d'entrepreneurs et de sous-traitants. Je pense être un peu au courant du problème, surtout à Montréal et à Toronto.

Je pense comme vous, sénateur Plett, que le problème réside dans le fait que l'entrepreneur général a plus de poids que les sous-traitants. Il y a 20 sous-traitants par entrepreneur général, et l'argent passe par l'entrepreneur général avant d'arriver aux sous-traitants.

C'est un problème de marché et il sera très difficile à corriger par une loi, à mon avis, mais je reviendrai à la question de savoir en quoi elle change le pouvoir de négociation des deux parties.

Nous avons eu l'occasion d'en parler hier et je crois comprendre que ce que vous dites, c'est que le problème, ce n'est pas le client, pas le gouvernement, parce qu'il y a toujours un tas de problèmes, comme vous le savez. Le client dit qu'on n'a pas suivi les plans et les cahiers des charges. Il y a des retards et des désaccords, alors il ne paie pas. Il est difficile de légiférer à cet égard, et vous dites que vous ne vous occupez pas de cet aspect. Vous vous occupez du client. Le gouvernement fédéral paie l'entrepreneur général avec l'approbation voulue des parties, y compris de l'architecte, mais vous dites que le problème, c'est que l'entrepreneur général garde l'argent bien qu'il l'ait. Manifestement, l'argent est roi, et il perçoit des intérêts dessus, et il ne paie pas le sous-traitant, même si le client a approuvé le travail.

Cela dit, à ce que je crois savoir du droit dans la plupart des provinces et dans la plupart des États américains, si cela se produit, le paiement reçu par l'entrepreneur général constitue légalement un fonds fiduciaire. Ce n'est pas son argent. Il a l'obligation légale de payer les sous-traitants. Si toutes les approbations ont été obtenues, il doit les payer. Les fonds fiduciaires sont une affaire sérieuse. Ce n'est pas un simple argument, un argument commercial. Il s'agit d'argent qui ne lui appartient pas. Il s'agit pour ainsi dire de vol.

Par conséquent, en se comportant ainsi, l'entrepreneur général fait quelque chose de très immoral, ce qui est votre argument, mais aussi d'illégal, mais étant donné son pouvoir et le fait qu'il sait que les sous-traitants ont besoin de lui pour le prochain contrat et pour leur gagne-pain, le marché dicte qu'ils n'y peuvent pas grand-chose, hormis râler et se plaindre. Ils ne sont pas payés, mais cela n'y change rien.

En quoi ce projet de loi change-t-il ces rapports et permet-il d'arriver à de meilleurs résultats? L'entrepreneur général a déjà manqué à ses obligations. Il a déjà agi illégalement et utilisé les fonds fiduciaires pour ses propres besoins, ce qui est très grave. Pourquoi une nouvelle loi corrigerait-elle ce problème déjà évident?

Le sénateur Plett : Merci, sénateur Massicotte. J'espérais que vous poseriez cette question parce que nous en avons un peu discuté hier, et je suis heureux d'apporter une explication.

Vous avez absolument raison. Quand un entrepreneur garde mon argent, de l'argent que le propriétaire lui a payé et qui me revient de droit, il enfreint la loi.

Nous ne demandons pas de paiement pour des travaux qui n'ont pas été certifiés. Non seulement avant que le propriétaire, avant que le gouvernement fédéral paie l'entrepreneur général, l'architecte doit certifier la demande de paiement proportionnel, mais les différents ingénieurs doivent certifier cette demande. J'étais entrepreneur en mécanique et un ingénieur en mécanique devait certifier la demande de paiement, ainsi qu'un ingénieur en électricité, et ainsi de suite.

Nous ne parlons que de paiements certifiés. L'entrepreneur général paie l'entrepreneur général Z pour les travaux certifiés et exécutés et l'entrepreneur Z décide de percevoir des intérêts dessus ou d'utiliser cet argent pour un autre projet. Vous avez raison, c'est illégal et je peux traîner cette personne devant les tribunaux. Après une année environ en justice, je suis certain qu'à ce moment-là, Z m'aura payé de toute façon et j'ai beau apprécier les gens comme M. Banfai ici présent, je n'ai pas vraiment envie de leur donner ce que je devrais mettre dans mon compte en banque pour poursuivre quelqu'un pour de l'argent qui me revient de droit.

Ce projet de loi dit qu'au lieu de me battre avec l'entrepreneur et de me faire une mauvaise réputation auprès de lui, je peux suspendre l'exécution des travaux.

Aujourd'hui, si on ne me paie pas et que j'arrête de travailler, l'entrepreneur peut littéralement engager quelqu'un d'autre, mon concurrent, pour qu'il commence à travailler demain. Je crois qu'il doit donner un préavis de 24 ou de 48 heures, et il peut me remplacer sur le chantier et commencer à y travailler. Évidemment, mon concurrent demandera beaucoup plus que moi, puisqu'il collecte maintenant l'argent de quelqu'un d'autre.

Donc, à l'heure actuelle, je ne peux pas suspendre l'exécution des travaux. Ce projet de loi me permet de le faire dans un délai de sept jours. Je dois donner un préavis de sept jours, mais ensuite, je peux suspendre l'exécution des travaux, ce qui fait que ce chantier n'avancera plus et, alors, le propriétaire se dira que l'entrepreneur ne respecte pas ses obligations et il fera jouer les clauses de pénalité si les travaux ne sont pas terminés à temps.

La réponse la plus simple que je puisse vous donner est que le projet de loi me permet de percevoir des intérêts sur toute somme qui m'est due. Il est, par conséquent, écrit dans le contrat que si un entrepreneur général agit ainsi, je ne suis pas tenu de continuer de travailler.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi d'aller plus loin, et je vous remercie de votre réponse. Mais je crains, et M. Banfai peut clarifier, que si cela se produit, que le sous-traitant n'est pas payé et que l'entrepreneur général a dépensé l'argent — l'argent du fonds fiduciaire, je crois —, le sous-traitant aura le droit de se retirer parce que l'entrepreneur ne respecte pas ses obligations. Certes, il peut engager quelqu'un d'autre, mais toutes ces actions vont à l'encontre de ses obligations contractuelles. Le problème est, là encore, que c'est un grand garçon. Il dira, « D'accord, vous avez peut-être raison, mais je vais trouver une solution ». C'est ce qui se passe, en fait.

Est-ce que je me trompe? Autrement dit, il aura le droit de résilier le contrat parce que l'entrepreneur général ne respecte pas son obligation. Mais le contrat de construction standard prévoit déjà le versement d'intérêts, que l'entrepreneur général refuse de payer.

M. Banfai : Vous soulevez un certain nombre de bonnes questions, sénateur.

Tout d'abord, à propos du droit de suspendre l'exécution des travaux, il y a ambiguïté d'un point de vue juridique dans de nombreux cas. En effet, il n'est pas clair qu'un sous-traitant qui n'a pas été payé a le droit correspondant de ne plus offrir ses services ou même d'abandonner le chantier, car il risque de se retrouver lui-même en situation de manquement à son obligation de poursuivre l'exécution des travaux.

Il existe des clauses courantes dans les contrats de construction qui, à ma connaissance, obligent un entrepreneur à faire exactement cela. Même en cas de différend, il a l'obligation légale de poursuivre l'exécution des travaux pendant le règlement du différend.

Le droit de suspendre l'exécution de travaux pour non-paiement est, au mieux, ambigu et, si j'en crois ma propre expérience, les entrepreneurs hésitent beaucoup à arrêter de travailler, même lorsqu'ils n'ont pas été payés depuis des mois. Je me souviens d'un cas en particulier où j'ai dû faire des pieds et des mains pour convaincre un client de faire précisément cela. Les bases juridiques étaient, d'après moi, très solides, et pourtant, c'est avec beaucoup de réticence qu'il a arrêté de travailler. Nous avons donc ce problème.

Vous avez d'abord demandé en quoi cela changerait les rapports et, en plus de ce que le sénateur Plett a dit, si le comportement que vous décrivez est illégal sur le plan contractuel. Bien entendu qu'il l'est. S'agit-il d'un abus de confiance? Dans des travaux fédéraux, c'est contestable. Les dispositions fiduciaires de la Loi sur le privilège dans l'industrie de la construction de l'Ontario, par exemple, ne s'appliquent pas aux projets fédéraux. Il est donc très discutable que ces obligations fiduciaires s'appliquent aux projets fédéraux. Je ne pense pas que ce soit le cas. Mais ce n'est pas vraiment le sujet.

Je pense qu'il est assez évident pour le secteur que les tribunaux sont généralement inadaptés pour faire appliquer le type d'obligations juridiques dont nous parlons. Les procès coûtent trop cher. Ils sont trop longs. Beaucoup de gens dans le secteur ne veulent pas s'engager dans cette voie pour de très bonnes raisons. Comme l'indiquait le sénateur, si je m'adresse à un tribunal, peut-être que dans un an, j'aurai mon argent. Je vais payer très cher l'avocat. Je crois que vous êtes trop optimiste. Les procès, selon mon expérience, durent des années et, pendant ce temps, la victime n'a pas son argent.

Ce que cherche à faire ce projet de loi, entre autres, comme les recommandations du rapport Reynolds en Ontario, c'est régler ce problème en instaurant un système arbitral pour arriver à des décisions rapides temporairement contraignantes. Nous pouvons en parler en détail si vous voulez, mais il cherche à éviter ce problème de différends prolongés qui saturent le flux des paiements, comme l'explique Reynolds. C'est un système qui paraît injuste, mais qui est efficace pour ce qui est de régler ce genre de problèmes qui se posent généralement.

Le sénateur Massicotte : Soit. C'est vrai, si j'en crois mon expérience. Voyez l'actuel président des États-Unis qui se vante de recourir à ce procédé. Certains propriétaires immobiliers ne paient pas et continuent de ne pas payer et, des années plus tard, ils obtiennent un rabais. Ces pratiques sont répréhensibles. Le problème tient au pouvoir de négociation relatif de chaque partie et au fait qu'il y va de l'emploi de quelqu'un ou d'emplois futurs. En quoi le projet de loi change-t-il cela? L'arbitrage est une bonne chose, mais les grandes sociétés qui ont tort et qui abusent de leurs droits tout le temps sont chaque fois pardonnées parce que l'entrepreneur a besoin d'elles pour son prochain travail. Il veut être dans leurs petits papiers. Je sais que la loi existe. Je la défends. Je l'ai déjà défendue avant, mais que je ne vous y prenne pas ou vous n'aurez plus d'autre contrat avec moi. Comment remédier à ce genre de situation?

Le sénateur Plett : On n'empêchera personne de proférer des menaces, mais ce projet de loi me permettra de tout simplement suspendre l'exécution des travaux. C'est écrit dans la loi et je n'ai donc pas à commencer quoi que ce soit. Là est le facteur le plus important. Manifestement, tout entrepreneur général veut aussi préserver sa réputation. Si deux ou trois de ses entrepreneurs se mettent à cesser de travailler parce qu'il ne leur paie pas des travaux certifiés, sa réputation en prendra un sacré coup. Est-ce que ce projet de loi va régler tous les problèmes? Non. Il règle ce problème au moins dans une large mesure.

Le sénateur Black : Sénateur Plett, vous méritez des félicitations pour votre initiative parce que vous avez repéré un problème qui doit être réglé. J'ai quelques questions de forme que je ferais mieux de poser à l'avocat, si je le puis.

Ce dont nous parlons ici, c'est d'un projet de loi qui vise à créer un recours, c'est exact?

M. Banfai : Oui.

Le sénateur Black : Il donne, au fond, à des entrepreneurs exaspérés un recours qui s'ajoute à ceux dont ils disposent actuellement.

M. Banfai : Effectivement, qui s'ajoute au droit à un paiement mensuel.

Le sénateur Black : Pour continuer dans le sens du sénateur Massicotte, si je suis un entrepreneur exaspéré, je pourrais déposer un privilège. Est-ce que c'est efficace?

M. Banfai : Non, c'est impossible dans un contrat fédéral.

Le sénateur Black : Je ne peux pas déposer de privilège.

M. Banfai : Non.

Le sénateur Black : C'est intéressant. Le sénateur Plett expliquait que je peux utiliser certaines procédures administratives. Lesquelles?

M. Banfai : Je crois me souvenir qu'il parlait des mesures administratives que prenait TPSGC et qu'il a mentionné, entre autres, l'utilisation de déclarations solennelles. Le sénateur a bien résumé les problèmes avec cet exemple.

Le sénateur Black : Vous pensez donc que ces recours administratifs, quels qu'ils soient, sont inefficaces?

M. Banfai : Ils ne donnent rien.

Le sénateur Black : C'est exactement ce que nous voulons savoir. Qu'en est-il des injonctions? Est-ce qu'un entrepreneur pourrait y recourir?

M. Banfai : Une injonction est un recours équitable conçu pour éviter de causer un préjudice ou pour exiger un certain comportement.

Le sénateur Black : Mais pas d'être payé.

M. Banfai : Les injonctions sont très coûteuses à obtenir et plus compliquées d'un point de vue juridique que des poursuites ordinaires. On y recourt rarement dans la construction.

Le sénateur Black : Vraiment?

M. Banfai : Vraiment, et pour une très bonne raison. Elles n'apportent tout simplement pas une réponse appropriée au type de problème qui nous occupe.

Le sénateur Black : Il existe donc plusieurs recours, mais ils ne sont, au fond, pas efficaces. Il nous faut un autre outil. C'est ce que vous nous dites.

M. Banfai : Oui.

Le sénateur Black : Je ne comprends pas. Que se passe-t-il en cas de problème d'exécution légitime? Je suis peintre et je peins de la mauvaise couleur. Je veux quand même être payé et si on ne me paie pas, je débraye. Comment réglons-nous ce problème?

Le sénateur Plett : Je pense l'avoir expliqué. Il s'agit de travaux certifiés. Je suis l'entrepreneur plombier-chauffagiste. L'ingénieur en mécanique doit certifier les travaux. S'il ne le fait pas, je ne peux rien réclamer et le propriétaire ne paiera pas l'entrepreneur général.

Le sénateur Black : Je comprends mieux. Merci beaucoup, sénateur.

Pouvez-vous caractériser de manière générale les conséquences économiques de ce problème pour le Canada?

Le sénateur Plett : Il me semble que nous l'avons fait, et j'avais ce chiffre, que je n'ai pas en tête à l'instant, mais je l'avais quand j'ai présenté mes observations à la chambre. Je pense qu'environ 1,25 million de personnes travaillent actuellement dans le secteur de la construction. Une entreprise familiale vient de fermer ses portes en Alberta. Il s'agit d'une famille du secteur de la construction. Elle a fermé ses portes la semaine dernière et licencié 150 personnes. Telles sont les conséquences économiques.

Le sénateur Black : À cause de ce type de problème?

Le sénateur Plett : À cause de ce type de problème de paiement.

Le sénateur Black : J'aimerais comprendre toute l'ampleur de la situation. Ce genre de problème est-il rare? Le voit-on régulièrement?

Le sénateur Plett : Ce problème n'est pas rare du tout, sénateur Black. Les entrepreneurs spécialisés exploitent généralement des ateliers qui emploient de 10 à 20 personnes. Leurs liquidités sont limitées. De manière générale, dans la construction, la personne qui commet la plus grosse erreur à l'étape de la soumission est celle qui obtient le contrat et elle part avec un handicap pour gagner de l'argent. Puis il y a quelque chose que l'architecte ou l'ingénieur n'a pas vu et que l'entrepreneur doit trouver un moyen de rattraper. Pour finir, quand il a trouvé un moyen de tout faire en ayant encore quelques dollars au bout du compte, il doit encore se battre pour les toucher. Nous allons entendre des fournisseurs. Le fournisseur veut être payé après 30 jours. Le régime d'indemnisation des accidents du travail réclame ses cotisations. Mes employés s'attendent à recevoir leur salaire un vendredi sur deux ou quel que soit l'entente. Donc, non, ce problème n'est pas rare du tout.

Le sénateur Black : C'est ce que je voulais comprendre. Merci beaucoup, sénateur.

Le président : Pour être bien clair, si on a un contrat de Services publics avec un entrepreneur général qui passe lui-même un contrat avec un plombier, qu'arrive-t-il? Est-il rare que le gouvernement du Canada lui-même — que Services publics — ne paie pas ou est-ce que cela se produit? Qu'arrive-t-il alors? Que se passe-t-il en cas de retard de paiement et qu'au lieu de 30 jours, le paiement prenne 45 ou 60 jours?

Le sénateur Plett : Sénateur, le gouvernement est également visé par ce projet de loi. Si les travaux sont certifiés, il est obligé de payer selon les modalités du contrat une fois les travaux certifiés. C'est la même chose qu'avec un entrepreneur général.

Je tiens, cependant, à insister sur le fait que le coupable, en général, dans ce problème, ce n'est pas le gouvernement fédéral. Je suis convaincu qu'il paie ses factures en temps voulu dans 90 p. 100 des cas.

Le président : Dans un délai de 30 jours?

Le sénateur Plett : Oui, ou dans les délais prévus au contrat. Il peut s'agir de paiements d'étape, mais il paie selon les modalités du contrat.

Le président : J'ai une longue liste de personnes qui veulent poser des questions et un autre panel nous attend. Je vous demande donc d'en tenir compte, mesdames et messieurs les sénateurs.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous deux de vos exposés, et merci, sénateur Plett de parrainer ce projet de loi. J'ai deux petites questions, surtout à des fins de clarification.

Si je comprends bien, le projet de loi tient compte des paiements d'étape. À ce propos, si je ne m'abuse, les institutions fédérales, les entrepreneurs généraux et les sous-traitants ne feraient ces paiements d'étape sur leurs contrats accessoires que si le contrat principal avec l'institution fédérale le permet?

M. Banfai : C'est l'idée.

Le sénateur McIntyre : Autrement dit, il faut que ce soit autorisé par le contrat principal?

M. Banfai : Oui.

Le sénateur Plett : Et tout le monde doit en être avisé dans la chaîne contractuelle. Si l'entrepreneur principal signe un contrat qui prévoit des paiements d'étape, tout le monde dans la chaîne contractuelle doit le savoir avant de signer son propre contrat.

Le sénateur McIntyre : Le projet de loi permet aussi aux entrepreneurs de percevoir des intérêts sur les paiements en retard. Les institutions fédérales versent-elles actuellement des intérêts ou des dommages-intérêts aux travailleurs de la construction en cas de retard de paiement?

M. Banfai : Je ne sais pas.

Le sénateur Plett : À ma connaissance, sénateur McIntyre, d'après ce que m'ont dit des représentants du gouvernement, nous ne payons pas d'intérêts; nous en percevons quand on ne paie pas l'Agence du revenu du Canada en temps voulu et ainsi de suite. C'est plus de cet ordre. Cette mesure, répétons-le, s'appliquerait plus à un entrepreneur général ou à un sous-traitant. L'entrepreneur général n'est pas nécessairement le coupable en l'occurrence. Il se peut que ce soit un entrepreneur en mécanique qui ne paie pas son entrepreneur en isolation. Autrement dit, le problème peut se poser n'importe où dans la chaîne.

Le sénateur McIntyre : L'important est que le projet de loi corrige cette situation.

Le sénateur Plett : En effet.

La sénatrice Marshall : Je sais que le projet de loi prévoit des recours, mais le principal objectif n'est-il pas que les factures soient payées en temps voulu?

Le sénateur Plett : C'est exact.

La sénatrice Marshall : Sénateur Plett, dans vos observations préliminaires, vous avez mentionné que le gouvernement a instauré des procédures administratives pour essayer de régler le problème, mais en vain. Cette question s'adresse probablement à des représentants des ministères, mais je vous la pose.

Peuvent-ils vous dire combien de paiements sont en retard et fournir des statistiques sur le temps qu'il faut pour payer les factures une fois le certificat obtenu? Est-ce que la réponse peut être : « Nous payons 90 p. 100 des factures 180 jours après la délivrance de certificats »? A-t-on des chiffres précis? Si le but est que les gens soient payés en temps voulu, il faut pour ainsi dire quelque chose qui permette de le mesurer. Le problème est-il grave? Est-il répandu?

Le sénateur Plett : Je vous remercie, sénatrice Marshall. Comme je l'ai dit, en règle générale, le gouvernement n'est pas le coupable. Je pense qu'il paie la plupart des demandes d'acompte en temps voulu. Le coupable se trouve dans la chaîne contractuelle.

Je ne peux pas vous donner de moyenne gouvernementale, mais je peux vous donner la moyenne des paiements. En 2007, la durée moyenne d'une créance dans le secteur de la construction — elle était déjà mauvaise à l'époque — était de 62,8 jours ou 9,97 semaines. En 2012, elle était passée à 71,1 jours, soit plus de 10 semaines. La moyenne en Ontario est de 63 jours. Au Québec, elle est de 79 jours, et ainsi de suite. En Alberta, elle est de 78,6 jours.

La sénatrice Marshall : On la mesure donc.

Ma dernière question se rapporte aux intérêts et fait suite à une question qu'a posée le sénateur McIntyre.

En ce qui concerne le taux réglementaire, que vous attendiez-vous à voir dans la réglementation? Il peut aller de 0,25 p. 100, ou 0 p. 100, à 10 p. 100. Qu'envisagiez-vous?

M. Banfai : C'est au règlement de le fixer, naturellement.

La sénatrice Marshall : Que souhaitez-vous voir?

M. Banfai : Je suppose qu'un règlement serait probablement pris pour rattacher un taux d'intérêt au taux bancaire en vigueur, ce qui se fait en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario, par exemple. Le taux d'intérêt fluctue avec le taux bancaire.

La sénatrice Marshall : La loi dit qu'il s'applique si le contrat de construction ne prévoit pas de taux. Par conséquent, quel que soit le taux précisé dans le contrat de construction, vous souhaitez le voir payé. S'il est de 24 p. 100, vous voudriez voir payer 24 p. 100 d'intérêt?

M. Banfai : Si le contrat de construction stipule un taux, il devrait s'appliquer. S'il n'en prévoit aucun, le règlement devrait effectivement prescrire un taux par défaut.

La sénatrice Moncion : J'ai deux petites questions. Premièrement, ce projet de loi corrige une situation ou permet d'interrompre le travail. C'est ce que vous disiez. Donc, en quoi ce projet de loi corrige-t-il la situation lorsqu'un entrepreneur général confie le travail à un autre sous-traitant juste pour qu'il soit fait?

Le sénateur Plett : Il n'est pas autorisé à le faire dans le cadre de ce projet de loi. Si mon entreprise suspend l'exécution des travaux, l'entrepreneur général ne peut pas me remplacer. Il faut régler ce problème et c'est ce que fait ce projet de loi, si j'ai bien compris votre question.

La sénatrice Moncion : Oui, mais cela va plus loin. Comment allons-nous empêcher que cela se produise? Les gens dans la construction connaissent d'autres gens qui peuvent faire le travail. Rien ne les empêche d'aller trouver un autre fournisseur et de lui dire : « Ce gars ne fait pas le travail. Je dois terminer ce chantier pour passer à un autre. » En quoi ce projet de loi remédie-t-il à ce type de situation?

M. Banfai : Il n'y remédie pas. Dans les circonstances que vous décrivez, madame la sénatrice, si quelqu'un n'a pas payé un sous-traitant et que le sous-traitant suspend l'exécution des travaux conformément à la loi, l'entrepreneur général va chercher quelqu'un d'autre pour faire le travail. Selon moi, cet entrepreneur général risque fort non seulement de devoir régler les factures impayées au sous-traitant qui a suspendu l'exécution des travaux, mais aussi de devoir lui verser des dommages-intérêts pour rupture de contrat de sous-traitance, les dommages-intérêts correspondant à la perte de bénéfices du sous-traitant pour le reste des travaux.

D'un point de vue juridique, on risque fort de reprocher à l'entrepreneur général d'avoir résilié le contrat de sous-traitance en engageant quelqu'un d'autre, notamment s'il le fait alors que la loi prévoit des processus et des recours destinés à régler le problème même à l'origine du non-paiement, s'il y a un vrai problème. Par exemple, en cas de différend légitime, ou même quasi légitime, entre l'entrepreneur général et le sous-traitant, le projet de loi prévoit un système d'arbitrage très rapide de ce différend.

Si, en dépit de ce recours, qui existe manifestement, l'entrepreneur général en fait fi, congédie le sous-traitant et engage quelqu'un d'autre, c'est, selon moi, une décision très risquée de sa part.

La sénatrice Moncion : J'en conviens, mais si le travail doit être fait, certains diront qu'ils régleront le problème plus tard parce que, d'ici à ce qu'on se retrouve devant un tribunal et que l'affaire soit plaidée, cela pourrait prendre beaucoup de temps.

Vous disiez plus tôt, sénateur Plett, que beaucoup de ces différends se règlent à l'amiable, si j'ai bien entendu. Les gens concluent des ententes à un moment donné. Ils trouvent une solution.

M. Banfai : Vous posez une excellente question parce qu'elle touche à quelque chose dont nous n'avons pas encore vraiment parlé, à savoir en quoi ce genre de projet de loi change-t-il les comportements. Il y a ce qui est écrit ici et il y a la réaction des gens, en sachant ce que dit la loi.

La documentation que j'ai lue, en particulier sur le Royaume-Uni, où il existe un système d'arbitrage, pour citer cet exemple, depuis près de 20 ans — et c'est anecdotique — montre que, lorsque les gens savent que s'ils se comportent mal et ne règlent pas leurs problèmes rapidement et de manière responsable, dans un délai de 30 jours, quelqu'un tranchera, et ils se comportent autrement.

La sénatrice Moncion : Je suis d'accord.

M. Banfai : Il s'agit peut-être, à mon avis, de l'impact le plus puissant d'un projet de loi tel que celui-ci. Ce n'est pas tant ce qui est écrit noir sur blanc que la façon dont il influe sur les comportements de manière positive et constructive.

La sénatrice Moncion : Si on veut influer sur les comportements, est-il possible de mettre quelque chose dans le projet de loi qui incitera les gens à changer de comportement? Si on y met ces clauses de 30 jours, on verra des tractations et des marchandages, et le problème ne sera pas nécessairement réglé.

M. Banfai : Le projet de loi contient un certain nombre de choses qui incitent aux types de comportements dont vous parlez : premièrement, une obligation de paiement mensuel et, deuxièmement, une obligation, si vous payez partiellement quelqu'un en aval, de l'en aviser très rapidement, une obligation de payer les montants non litigieux, une obligation de payer des intérêts sur les paiements en souffrance, un droit de suspendre l'exécution des travaux, un droit de mettre fin au contrat, dans les cas extrêmes, un système d'arbitrage.

Ma crainte, si on allait beaucoup plus loin, est qu'on se heurte au principe de la liberté contractuelle, et c'est un sujet difficile.

La sénatrice Moncion : En effet.

M. Banfai : Personnellement, j'estime que le projet de loi concilie très bien, en fait, la liberté des gens de conclure des contrats selon des modalités sur lesquelles ils s'entendent, d'une part, et, d'autre part, certains droits et obligations élémentaires qui devraient régir tous les contrats.

La sénatrice Moncion : Quelles sont les mesures en place pour empêcher le gouvernement d'attribuer des contrats à des entrepreneurs généraux qui ne paient pas leurs gens? Y a-t-il quelque chose dans le projet de loi qui empêchera des fonctionnaires d'attribuer de nouveau des contrats à des entrepreneurs qui ne paient pas?

M. Banfai : Il n'y a rien dans le projet de loi qui interdise au gouvernement de passer des marchés avec un entrepreneur général mauvais payeur. Il est à espérer que les fonctionnaires cherchent naturellement à l'éviter, car ces situations présentent certaines difficultés d'ordre pratique. Les travaux ne sont pas faits à temps. Vous avez constamment affaire à des sous-traitants et à des fournisseurs qui se plaignent de ne pas être payés. Le travail n'est pas de très bonne qualité et les dépenses administratives grimpent en flèche. À ma connaissance, il est normalement possible de régler le problème sans avoir à légiférer.

Le sénateur Plett : Dans beaucoup d'appels d'offres, il faut en fait répondre à certains critères pour soumissionner. Je pense que, très rapidement, on peut ne plus faire partie des entrepreneurs admissibles.

Le sénateur Wetston : Vous avez couvert beaucoup de sujets et je sais qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps. J'allais continuer sur la question du comportement. Je pense que vous l'avez très bien traitée. Ce que je voulais dire, c'est qu'il est probablement plus facile d'adopter des lois contre les mauvais comportements, mais qu'il est très difficile de légiférer sur les bons comportements. Vous avez probablement répondu sur ce point et je veux juste poursuivre un peu avec vous. Vous parlez, je crois, de juste équilibre. Il est évident que les gens devraient être payés pour leur travail. Nous nous y attendons. Nous avons des recours si tel n'est pas le cas. Vous en avez mentionné quelques-uns. Ils prennent souvent du temps et il est difficile d'accéder à la justice.

Dans cet équilibre, où se situe le gouvernement qui voit tout ce qui se passe? Il est important, de toute évidence, de défendre ce projet de loi de ce point de vue, mais, lorsqu'il voit ce type d'activité, est-ce qu'une loi est sa seule réponse?

M. Banfai : Je ne sais pas si c'est sa seule réponse, mais en tout cas, en dehors de tout ce dont nous avons parlé ce matin, un projet de loi comme celui-ci signale, à mon sens, un leadership concret de la part du gouvernement, dans ce cas du gouvernement fédéral, sur un problème qui, comme le disait le sénateur, est notoire dans tout le pays. Le secteur a tendance à se faire tirer l'oreille pour payer et nous essayons d'y remédier.

Le gouvernement fédéral, plus grand propriétaire public du Canada, se trouve dans une position de leadership unique face à ce problème. Ce type de projet de loi s'inscrit, selon moi, dans ce rôle de chef de file pour ce qui est de changer cette culture du paiement au ralenti.

Le sénateur Wetston : Je suppose que c'est en partie pourquoi le Québec et l'Ontario envisageraient une mesure législative similaire?

M. Banfai : En effet.

La sénatrice Ringuette : Où est le sénateur Plett?

M. Banfai : Nous avons perdu momentanément notre témoin.

La sénatrice Ringuette : Peut-être qu'il ne veut pas répondre à ma question.

Le président : J'espère que ce n'est pas la raison.

La sénatrice Ringuette : Moi aussi, parce que je voulais dire que, bien que je ne sois pas du même avis que le sénateur Plett sur bien des sujets, je pense comme lui qu'il faut faire en sorte que les travailleurs canadiens soient payés rapidement, où qu'ils se trouvent.

Le président : Il a dû vous entendre.

La sénatrice Ringuette : Je dois me répéter, sénateur Plett. Je disais que, même si nous ne sommes pas d'accord sur de nombreuses questions, je pense comme vous que nos travailleurs doivent être payés. Or, pour qu'ils soient payés, l'employeur doit être payé pour le travail effectué. Le principal objectif en l'espèce est un paiement rapide.

Ne perdons pas de vue la question de la suspension de l'exécution des travaux ou de la résiliation du contrat de construction, et je pense que ce n'est pas la situation idéale. Mais votre projet de loi comporte trois options. La première est de suspendre l'exécution des travaux jusqu'au paiement. La deuxième est de résilier le contrat de construction et la troisième est de recourir au règlement des différends qui, à mon sens, devrait être la première solution à tenter.

Monsieur Banfai, vous avez indiqué que le mécanisme de règlement des différends que vous proposez dans ce projet de loi est assorti d'un délai, mais aucun n'est mentionné dans le texte. Cela m'inquiète parce que le règlement en question pourrait prendre de six mois à un an, à deux ans ou à cinq ans. C'est préoccupant, car nous ne reviendrons pas sur cette question d'ici, peut-être, cinq à dix ans. En effet, le gouvernement fédéral et la législation fédérale doivent jouer un rôle de premier plan. Pourquoi n'avons-nous pas de délai très précis et serré en ce qui concerne le mécanisme de règlement des différends?

M. Banfai : Vous soulevez une bonne question, sénatrice. L'intention n'est certainement pas de permettre ou d'envisager le type de règlement prolongé des différends que nous avons actuellement devant les tribunaux ordinaires. Nous essayons de régler ce problème.

La version que vous avez devant vous, vous l'avez remarqué, laisse le soin de régler ces détails par voie de règlement. C'est tout à fait délibéré parce que le mécanisme de fonctionnement éventuel d'un système d'arbitrage est assez complexe en lui-même. En Ontario, Reynolds s'est penché sur la même question et il est arrivé à la même conclusion. Il préconise un système d'arbitrage, mais il en laisse les détails à un règlement futur.

Vous commencez, cependant, votre question par quelque chose qui n'est pas dans ce projet, c'est-à-dire assujettir un droit de suspendre l'exécution de travaux ou de résilier un contrat de construction à la résolution du différend et obliger les gens à passer d'abord par un mécanisme de règlement des différends par arbitrage. C'est une bonne idée. Je signale que le rapport Reynolds, en Ontario, recommande justement cette mesure, à savoir que le droit de suspendre l'exécution des travaux n'intervienne qu'après une décision d'arbitrage.

La sénatrice Ringuette : En effet, et j'ai lu le document deux fois pour être certaine de bien comprendre sa recommandation au gouvernement de l'Ontario. Il recommande un délai précis en ce qui concerne le processus, en se fondant sur l'examen réalisé, sur ce qui s'est passé au Royaume-Uni, en Irlande, à Hong Kong, et cetera. L'examen révèle que dans les pays dotés d'un tel mécanisme, le processus prend de 10 jours à quatre mois, ce qui est raisonnable pour régler ce type de problème. Pour ce qui est de l'Ontario, le rapport recommande précisément un processus de 40 jours au maximum.

Pourquoi ne pouvons-nous pas resserrer les délais de paiement des sous-traitants? Si, au lieu de suspendre l'exécution des travaux et d'être remplacés par un autre sous-traitant ou de résilier le contrat de construction, l'option d'arbitrage comprenait un délai strict pour arriver à un paiement rapide, à un règlement rapide du problème, est-ce que ce ne serait pas mieux pour le secteur de la construction?

M. Banfai : Je prends note. Je pense que c'est un bon argument, madame la sénatrice, qui mérite qu'on y réfléchisse.

La sénatrice Ringuette : Je serais heureuse de travailler avec le sénateur Plett et avec vous, monsieur, pour proposer cette mesure. Je siège au Parlement depuis 30 ans, et la plupart des lois, nous les examinons tous les 10, parfois tous les 20 ans. Selon moi — et vous travaillez sur ce projet de loi depuis longtemps —, nous devons arriver à la meilleure solution possible pour les sous-traitants et pour les travailleurs.

Le sénateur Plett : Je vous remercie, sénatrice. Comme M. Banfai l'a dit, il a pris note. Pourquoi n'en parlons-nous pas et pourquoi même n'en discutons-nous pas ensemble au cours du week-end? Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous devons bien faire les choses. Il est certain qu'au vu du rapport Reynolds et de ses recommandations, nous devons trouver la bonne formule sans retarder beaucoup ce projet de loi. Je vous remercie donc.

Le sénateur Enverga : Merci de votre exposé. Il a été répondu à la plupart de mes questions. J'aimerais donc vous féliciter et vous remercier de parrainer ce projet de loi.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup.

Le sénateur Day : J'ai écouté l'exposé du sénateur Plett sur ce projet de loi en Chambre et je suis heureux que nous ayons les audiences maintenant pour lever certains doutes que j'ai.

Je pense, monsieur Banfai, que vous avez abordé en partie mon sujet de préoccupation lorsque vous avez commencé à parler du marché. La plupart d'entre nous dans cette pièce penchent pour un système de marché libre et n'imaginent le gouvernement intervenir dans ce système que lorsque c'est nécessaire pour établir des règles du jeu assez équitables.

Nous connaissons tous les syndicats et nous savons qu'à une époque, ils n'étaient pas autorisés. Mais on a estimé, parce que le déséquilibre était tel, que la liberté d'association et la formation de syndicats permettaient de créer cet équilibre, et un ensemble de règles est apparu autour de cela. Nous trouvons-nous dans une situation similaire où le déséquilibre est tel que nous devons définir un système qui aidera à changer les attitudes et le fonctionnement du marché?

M. Banfai : Je le crois. Quand on regarde les données statistiques sur les retards de paiement, le nombre de jours où des créances sont en souffrance qui augmente depuis quelques années, surtout en comparaison d'autres secteurs d'activité où il est resté relativement constant, plus les données d'enquête et les données empiriques, force est de conclure que quelque chose cloche sur le marché.

Le sénateur a parlé de l'inégalité du pouvoir de négociation qui existe, ce que je crois aussi. Il y a, à mon avis, une inégalité de pouvoir de négociation. Il me semble, en effet, que nous avons une sorte de problème structurel dans l'économie — du moins, l'économie du secteur de la construction — qu'il faut corriger au moyen de lois comme celle-ci.

Chose intéressante, la plupart des autres pays de common law dans le monde semblent être arrivés tôt ou tard à la même conclusion.

Le sénateur Day : Cela me semble convaincant, quand on voit des provinces et d'autres pays adopter le même genre de loi, c'est qu'il y a manifestement quelque chose à rectifier. À mon sens, c'est pour cela que le sénateur Plett a présenté ce projet de loi.

M. Banfai : Tout à fait.

Le sénateur Day : Ensuite, je me suis demandé si nous pouvions faire appliquer l'arrêt des travaux. Le sénateur Plett dit que c'est un aspect important du projet de loi et monsieur Banfai, vous le comparez à une grève. L'entreprise continuera de fonctionner, mais c'est risqué et il y a des retombées possibles. De même, si le sous-traitant se retire, l'entrepreneur peut continuer de travailler, mais il y a beaucoup de risques qui pourraient le persuader de ne pas aller de l'avant.

C'est une des dispositions, mais je m'interrogeais au sujet des paiements d'étape. Les dispositions contractuelles normales dans les contrats types posent-elles des problèmes? Au gouvernement fédéral en particulier, on a beaucoup de contrats types maintenant. La disposition relative aux paiements d'étape est-elle problématique à l'heure actuelle?

Le sénateur Plett : Monsieur le sénateur, nous ne voyons aucun problème à ce que les paiements d'étape fassent partie d'un contrat. Le projet de loi enchâsse dans la loi qu'un entrepreneur doit dire à un entrepreneur général qui doit dire à tout le monde le long de la chaîne qu'il y a des paiements d'étape. Il peut s'agir d'un travail qu'on paie tout simplement une fois qu'il est terminé, qu'une bonne partie est achevée, ou au quart des travaux, on verse une somme forfaitaire. C'est parfait si c'est prévu dans le contrat, et que tout le monde le long de la chaîne sait que c'est prévu au contrat, par opposition à se dire qu'on va être payé dans 30 jours et que 30 jours plus tard, on s'aperçoit qu'il y a un paiement d'étape et qu'on ne touchera rien avant trois mois.

Donc, les paiements d'étape ne posent pas de problème. Le projet de loi ne dit rien contre. Il dit simplement que tout le monde doit savoir avant la signature du contrat qu'il y a des paiements d'étape.

Le sénateur Day : Si une personne prend des engagements contraires à son contrat, cela lui causera un problème de toute façon. En ce qui concerne les dispositions sur le règlement des différends et le paiement, toutes ces choses sont-elles rendues nécessaires par la disposition sur l'arrêt des travaux? Qu'est-ce qui a déclenché tout un plan quand vous examiniez un aspect de tout cela?

Le sénateur Plett : Je crois que je laisserai M. Banfai répondre. De toute évidence, mon souci premier était de faire en sorte que les gens soient payés à temps, quel que soit le mécanisme que nous utilisions pour le faire. Nous savons tous que des avocats interviendront à un moment donné dans le différend, donc nous devrions au moins avoir une certaine aide pour faire en sorte que les choses soient rédigées correctement. Comme la sénatrice Ringuette l'a déjà signalé, il pourrait y avoir au moins une question qui pourrait être évitée en ne mettant pas la charrue devant les bœufs.

Ceci dit, je vais laisser M. Banfai donner une réponse plus approfondie s'il le souhaite.

M. Banfai : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question, monsieur Day.

Le sénateur Day : Nous n'avons plus le temps, et je poserai cette question de nouveau, j'en suis sûr, mais essentiellement il s'agit de ceci : si nous voulons seulement conférer le droit d'arrêter les travaux sans que le sous-traitant ne soit exposé à des accusations de rupture de contrat pour avoir arrêté le travail, avons-nous besoin de définir un régime complet qui porte sur le règlement des différends, les paiements proportionnels et la façon dont il faut faire une demande de paiement? Avons-nous besoin de tout cela?

M. Banfai : Avec tout le respect que je vous dois, je crois que votre question est fondée sur une prémisse erronée. Nous demandons des éclaircissements sur le droit d'arrêter les travaux, mais je ne dirais pas que c'est le principal objectif ni le seul objectif. Nous voulons l'obligation de verser des paiements mensuels.

Conjugué à d'autres mesures de redressement, c'est un ensemble d'obligations et de mesures de redressement qui, globalement, vise à accélérer les flux de trésorerie dans la chaîne descendante de la construction et, en bout de ligne, à changer ce que j'ai qualifié de culture de paiement ralenti. C'est un ensemble de droits et de mesures de redressement. Ce serait une erreur, à mon avis, de mettre l'accent sur un aspect seulement à l'exclusion de tous les autres.

C'est la réponse que je vous donne.

Le sénateur Day : Le sous-traitant finance le projet ici.

M. Banfai : Le sous-traitant finance le projet.

Le président : Merci, monsieur Banfai et sénateur Plett. Votre témoignage a été très intéressant et très bon.

Nous poursuivons notre examen du projet de loi S-224, et j'ai le plaisir d'accueillir notre deuxième groupe de témoins. Nous avons Christopher Smillie, analyste des politiques, Relations gouvernementales et Affaires publiques du Syndicat des métiers de la construction du Canada; Ralph Suppa, président et directeur général de l'Institut canadien de plomberie et de chauffage, et Bob Brunet, directeur général de l'Association canadienne des entrepreneurs en couverture.

Merci d'être des nôtres aujourd'hui. Je vous invite à prononcer vos déclarations d'ouverture, en commençant par M. Smillie, qui sera suivi de M. Suppa, puis de M. Brunet. Plus votre exposé sera court et succinct, plus nous aurons de temps pour les questions.

Christopher Smillie, analyste des politiques, Relations gouvernementales et Affaires publiques, Syndicat des métiers de la construction du Canada : En route vers le travail ce matin, j'ai demandé à ma fille ce que je devrais dire à ce comité; elle a répondu : « Rien d'autre que ce qui est dans la page ».

J'aimerais dire bonjour au président, aux honorables sénateurs et à nos compagnons témoins aujourd'hui, nos partenaires entrepreneurs. Nous sommes heureux d'avoir été invités à parler de ce projet de loi. À notre avis, il établira un précédent important dans l'un des secteurs les plus importants au Canada.

La construction représente plus de 11 p. 100 du PIB; cela varie d'un mois à l'autre. Elle emploie plus de 1,3 million de Canadiens, une tranche importante de la classe moyenne canadienne.

Les métiers de la construction au Canada représentent environ 500 000 membres dans toutes les provinces et tous les territoires. Pour vous donner un peu de contexte, je préciserai que nous avons encore du chômage dans notre secteur. Les défis régionaux et cycliques existent, mais ce chômage est encore trop élevé dans certains secteurs.

Nos membres attendent avec impatience le programme des grands travaux d'infrastructure qui stimulera l'économie et leur permettra de retourner au travail. Ce projet de loi et les travaux de ce comité pourraient être importants dans ce contexte.

Le gouvernement fédéral a appuyé nos membres pour un certain nombre de questions importantes et, en tant que plus important acquéreur de services de construction au pays, le gouvernement fédéral peut donner l'exemple dans la façon dont il traite avec les entrepreneurs principaux et les entrepreneurs spécialisés dans l'ensemble de l'économie.

Dans le secteur de la construction, pour vous donner un peu de contexte, toutes les activités et les sommes d'argent sont fonction des soumissions, des forces du marché et des personnes. Presque tout est organisé par métier. Les électriciens comptent sur les entrepreneurs en électricité pour obtenir des contrats des entrepreneurs généraux, et les entrepreneurs généraux obtiennent des contrats des acquéreurs de travaux de construction.

À partir de nos centres de recrutement, les membres sont déployés quand un entrepreneur spécialisé signataire gagne un contrat. En général, nos membres l'apprennent le jour même du début des travaux, ou peut-être la veille. Le membre se rend sur les lieux du travail, suit un cours de sécurité ou une séance d'information, et commence son travail à cet endroit. Tous les travaux de construction sont de nature temporaire et transitoire. En général, les membres travaillent pour quatre ou cinq entrepreneurs ou plus au cours d'une période de six mois. Par conséquent, être payé pour son travail, le sujet de la discussion d'aujourd'hui, est une chose importante.

Nos syndicats arrivent généralement bien, en partenariat avec nos employeurs, à veiller à ce que le processus se déroule en douceur pour les travailleurs en ce qui concerne les chèques de paie et le regroupement des régimes d'avantages sociaux, mais si nos employeurs ne sont pas eux-mêmes payés par leurs clients, le risque pour les travailleurs augmente considérablement. Si les entrepreneurs spécialisés ne sont pas payés conformément aux dispositions de leur contrat, cela impose un stress dans le système et les chèques de paie pourraient être menacés.

Les travailleurs ont très peu de possibilités de revenir en arrière et de se battre pour des salaires qui ne leur ont pas été payés par un employeur. Cela devient encore plus difficile si l'entrepreneur n'a pas été payé lui-même, ou s'il a fait faillite.

À l'heure actuelle, les travailleurs bénéficient d'une certaine protection fédérale, au titre de la Loi sur le programme de protection des salariés. Si un employeur déclare faillite aux termes de la Loi sur la faillite, ce processus est lent, et le travailleur n'est certainement pas en tête de ligne pour ce qui est de percevoir le produit de la liquidation. Ce programme a un plafond d'environ 16 000 $ par travailleur, moins 7 p. 100.

Par conséquent, l'établissement d'un cadre permettant d'éviter tout cela et de faire en sorte que le « système monétaire » duquel dépend le travailleur soit équitable, transparent et efficace pour que tout le monde soit payé est un objectif louable. Quand une entité, par exemple, un gouvernement, acquiert des travaux de construction, il y a généralement, comme nous l'avons entendu ce matin, une longue chaîne de sous-traitants, et chacune de ces entreprises s'appuie sur des paiements proportionnels et sur un flux de trésorerie. Les seules personnes qui ont très peu de recours ou de capacité de faire quoi que ce soit à cet égard, ce sont les travailleurs.

Aux États-Unis, je crois qu'il y a une fenêtre de 28 jours, si je ne me trompe pas, pour les travaux du gouvernement fédéral et les travaux d'organismes après qu'une facture ait été présentée par l'entrepreneur général avant qu'un ouvrier spécialisé, ou un sous-traitant ou un sous-sous-traitant soit payé. Ce système est en vigueur depuis, je crois bien, le début des années 1980.

Quant à l'Union européenne, nous avons parlé un peu de cela plus tôt. Elle a été un peu plus loin et a adopté un programme de 60 jours pour le secteur privé, et non pas seulement pour les travaux du gouvernement fédéral ou de l'Union européenne.

En fin de compte, les programmes comme ceux-ci ne protègent pas seulement le gouvernement, l'entrepreneur ou les sous-traitants, ils fournissent une assurance aux employés qui construisent effectivement les projets. Ils encouragent la fiabilité de sorte que les salariés savent que les salaires vont effectivement leur être payés.

Le projet de loi S-224 pourrait mener à certaines améliorations au niveau fédéral et encourager les provinces à examiner les systèmes et les protections en place dans leurs administrations. Il y a eu certaines tentatives dans le pays à cet égard, et je sais que les choses avancent.

Par conséquent, si j'avais une baguette magique pour ce projet de loi, je proposerais qu'on ajoute quelque chose directement pour les travailleurs, soit un processus de communication ou un processus d'appel, ou encore un processus de revendication directe entre le salarié et ses représentants et l'acquéreur de la construction. Ainsi donc, si j'étais le gouvernement fédéral et j'entreprenais un grand projet de construction ou je finançais simplement un tiers ou la moitié d'un tel projet, comme cela se produit généralement, je n'hésiterais pas à m'assurer que les travailleurs qui travaillent à cette construction soient effectivement payés, qu'ils soient mes employés directement, en tant que gouvernement fédéral, ou des employés d'un sous-traitant de sous-traitant. Je n'hésiterais pas à instituer également cette politique s'il s'agissait d'une infrastructure conjointe financée par d'autres ordres de gouvernement. Si le gouvernement fédéral paie un tiers d'un grand projet d'infrastructure, pourquoi ne voudrait-il pas savoir qu'est-ce qui se passe sur les lieux des travaux?

Cela constituerait une très importante étape de vérification pour les entrepreneurs et les sous-traitants, et pourrait être intégré dans le règlement sur les acquisitions découlant du projet de loi, comme l'a mentionné un peu plus tôt un certain monsieur.

Ce sont là mes observations. Je répondrai avec plaisir aux questions après la série des exposés. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Smillie. Maintenant, nous entendrons M. Suppa.

Ralph Suppa, président et directeur général, Institut canadien de plomberie et de chauffage : Merci, monsieur le président, et merci au comité de m'avoir invité à témoigner devant ce groupe prestigieux. Bonjour tout le monde.

Je m'appelle Ralph Suppa et je suis le président et directeur général de l'Institut canadien de plomberie et de chauffage. Fondé à Montréal en 1933, l'Institut est une association commerciale nationale sans but lucratif qui représente plus de 270 sociétés membres. Nous sommes des fabricants, des distributeurs de gros, des agents de fabricants et des sociétés alliées qui fabriquent et distribuent des produits de plomberie, de chauffage, de tuyauterie et de robinetterie, des produits pour réseaux d'adduction et d'autres produits mécaniques. L'Institut représente un secteur qui emploie plus de 20 000 Canadiens et dont le poids économique dépasse les six milliards de dollars annuellement.

L'Institut canadien de plomberie et de chauffage tient à manifester officiellement son appui au projet de loi S-224, Loi canadienne sur le paiement sans délai, et nous félicitons le sénateur Plett et la National Trade Contractors Coalition of Canada pour leur travail dans ce dossier.

Les paiements en souffrance dressent contre tous nos membres un obstacle grave qui rend une situation économique éprouvante encore plus difficile et, dans certains cas, force les entreprises à mettre des employés à pied. Le statu quo en la matière est inefficace. Nous appuyons particulièrement la disposition qui obligerait le gouvernement fédéral à régler ses factures pour les travaux terminés et certifiés dans les 30 jours suivant l'attestation qu'ils sont terminés. Nous appuyons particulièrement le même délai de 30 jours pour le dernier entrepreneur de la chaîne, comme cela est exposé dans le projet de loi.

L'Institut estime aussi que le statu quo est inefficace, l'argent des paiements ne parvenant pas rapidement et sans complications aux entrepreneurs spécialisés, ce qui cause des difficultés graves dans toute la filière des entrepreneurs spécialisés aux grossistes-distributeurs et, en fin de compte, aux fabricants qui leur sont associés. Les grossistes-distributeurs comptent sur un flux constant de liquidités pour maintenir la santé de l'entreprise qui permet la fourniture des produits et services requis et assure les paiements au fabricant. L'entrepreneur qui est obligé de suspendre temporairement ses activités entrave la poursuite des activités de son entreprise dans tous les autres projets auquel elle participe.

En général, les commandes des grands entrepreneurs en installations mécaniques tendent à être importantes. Par la suite, les grossistes-distributeurs fournissent le produit en fonction de leurs besoins, et ils subissent des coûts importants de détention des stocks lorsque les produits sont retardés, parce qu'ils achètent souvent tôt pour garantir la disponibilité des produits au moment où on en aura besoin.

Ensuite, c'est au moment de l'expédition du produit à l'entrepreneur que le distributeur le facture. La norme, dans l'industrie, est d'accorder un rabais de 2 p. 100 si le paiement est honoré en moins de 30 jours ou avant le 15 du mois suivant. Compte tenu du délai de 90 ou de 120 jours qui est actuellement la norme, les distributeurs doivent payer les fabricants en 30 à 35 jours en moyenne et ils subissent aussi des coûts financiers en raison de la prolongation des délais.

Les coûts globaux pour les grossistes-distributeurs sont les coûts d'entreposage et de conservation des stocks : les retards d'expédition du produit vers les chantiers, quelle qu'en soit la raison, influent sur ces coûts. Aussi, les coûts de la prolongation des délais de paiement : en raison du retard des paiements, l'écart entre le moment du paiement au fabricant par le grossiste-distributeur et celui du paiement par les entrepreneurs en installations mécaniques est d'environ 90 jours.

Les retards dans la construction chamboulent les projets en incitant les ingénieurs à modifier les caractéristiques du produit, ce qui est plus susceptible de se produire si les délais le permettent.

Par la suite, le grossiste-distributeur peut se retrouver avec, sur les bras pendant un certain temps, un produit acheté pour la réalisation d'un projet. Ce produit ne peut pas être retourné au fabricant; il lui coûte d'importants frais de restockage de la part du fabricant que les entrepreneurs en installations mécaniques acceptent rarement de payer, et il risque d'avoir été jugé périmé ou abandonné entretemps, ce qui impose au grossiste-distributeur une charge financière qu'il assume totalement.

La modification des échéanciers des projets est difficile à suivre, et il est difficile de s'y préparer, compte tenu de toutes les autres exigences quotidiennes de la conduite de l'entreprise, vu tout le temps du capital humain à consacrer à la gestion des projets.

L'adoption du projet de loi écourtera le calendrier des paiements et le structurera mieux, ce qui aidera l'entrepreneur et le distributeur-grossiste à coordonner de façon plus efficace l'installation et la livraison des produits. En consultation avec nos membres et en raison des enjeux susmentionnés, nous estimons que les répercussions financières causées à nos membres par le retard des paiements peuvent atteindre 25 millions de dollars annuellement.

En conclusion, toutes les administrations publiques au Canada ont besoin d'une loi sur les paiements sans délai, mais le projet de loi constitue une mesure importante pour accélérer les paiements dans tous les projets fédéraux en exigeant, dans les contrats émis par le ministère des Services publics et de l'Approvisionnement ainsi que par Construction de Défense Canada, des clauses de paiement sans délai pour tous les entrepreneurs dont les services sont retenus.

Cela procurerait des économies aux contribuables, grâce à des soumissions plus concurrentielles, à l'amélioration des délais de réalisation des travaux et à l'augmentation de l'embauche. Il est également évident que les bienfaits de la loi sur le paiement sans délai ne se feraient pas seulement sentir dans les nouveaux travaux d'infrastructure et de construction, mais aussi dans les travaux de rénovation ou de mise à niveau des infrastructures actuelles pour leur assurer une grande efficacité énergétique. Une fois le projet de loi adopté, nous avons bon espoir que la loi agira comme catalyseur et sera un exemple à suivre dans les 13 autres administrations publiques canadiennes.

Monsieur le président, l'Institut canadien de plomberie et de chauffage appuie le projet de loi pour aider à en faire un texte de loi très utile, très efficace et très significatif pour le secteur canadien de la construction. Merci de nous avoir offert cette possibilité.

Bob Brunet, directeur général, Association canadienne des entrepreneurs en couverture : Merci, monsieur le président. Bonjour tout le monde.

Je m'appelle Bob Brunet et je suis directeur général à l'Association canadienne des entrepreneurs en couverture. L'ACEC, qui a été fondée en 1960, est une association professionnelle nationale à but non lucratif qui représente des entrepreneurs en couverture de partout au Canada.

Les membres de l'ACEC sont des entrepreneurs qui travaillent activement dans les secteurs industriel, commercial et institutionnel, ainsi que dans le domaine connexe de l'installation de tôle. De plus, les entreprises de nos membres fabriquent ou fournissent des matériaux et offrent des services dans les industries de la toiture et de la tôlerie.

L'ACEC appuie la National Trade Contractors Coalition of Canada, qui défend le projet de loi S-224 avec le sénateur Plett. Les entrepreneurs spécialisés sont les entreprises qui emploient des gens de métier, forment des apprentis et des compagnons, paient des employés, offrent des avantages sociaux, cotisent à des régimes de retraite et exécutent effectivement le travail. L'ACEC appuie le projet de loi S-224, la Loi canadienne sur le paiement sans délai.

En tant que gestionnaire d'association professionnelle — je ne suis pas entrepreneur —, mon initiation au secteur de la construction m'a ouvert les yeux et a nécessité une période d'orientation. En tant que consommateur — comme beaucoup d'entre vous —, je suis très doué pour acheter des produits finis, par exemple lorsque je me rends dans un magasin dans le but d'acheter un téléviseur ou des vêtements. La transaction est rapide : je choisis l'article, je le paie et je l'apporte chez moi. Nous payons également pour des services comme l'alimentation électrique, l'utilisation d'un téléphone cellulaire et le crédit obtenu au moyen de cartes.

Pour ces services, lorsque nous ne payons pas notre facture dans les 30 jours, nous payons des intérêts. À défaut de faire un paiement après 60 et 90 jours, les intérêts s'accumulent et nous risquons d'être privés du service jusqu'à ce qu'un paiement soit effectué.

Dans le secteur de la construction, on donne des plans et des devis aux entrepreneurs spécialisés pour qu'ils fassent une estimation du coût d'un produit fini qui a été conçu par quelqu'un d'autre. On leur demande de présenter une estimation du temps, des matériaux et du coût de construction d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble, comme un toit ou des installations de chauffage, de ventilation et de climatisation. Lorsque l'estimation est bonne, le propriétaire ou l'entrepreneur général établit les modalités du contrat. Un entrepreneur spécialisé vend essentiellement ses produits et s'en sert ensuite en fonction de l'horaire d'une autre personne. Il prend alors en charge des coûts indirects et enregistre des bénéfices si l'estimation était bonne.

En temps normal, dans la construction d'un immeuble, les entrepreneurs spécialisés peuvent être responsables d'une proportion se chiffrant à 80 p. 100 ou plus de tous les travaux à accomplir en vertu du contrat. Pour réussir, les entrepreneurs spécialisés doivent être payés sans délai par les propriétaires ou les entrepreneurs généraux.

Qu'ils soient payés ou non, les entrepreneurs spécialisés continuent de recevoir des factures qu'ils doivent régler. Dans le cours normal de leurs activités, les entrepreneurs spécialisés doivent continuer de payer des coûts initiaux liés à des travaux donnés. Ils doivent régler les factures qu'ils aient été payés ou non. Ces coûts comprennent la location d'équipement, les matériaux, le salaire des employés, les soins de santé, les soins dentaires et les prestations de retraite, les cotisations au RPC et à l'assurance-emploi, l'impôt-santé des employeurs, la taxe de vente harmonisée, les taxes foncières, les indemnités d'accident du travail, le chauffage et les factures d'électricité, et la liste se poursuit.

Dans le secteur de la construction, les entrepreneurs spécialisés doivent parfois attendre jusqu'à 80 jours avant d'être payés, et une fois payés, il est fort probable que l'argent reçu ne couvre que 90 p. 100 de leurs factures. La différence de 10 p. 100 est considérée comme une retenue et n'est payée que lorsqu'on juge que tous les travaux (pas seulement les leurs) sont dûment terminés.

Beaucoup de nos membres ont des créances payables après plus de 90 jours, ce qui peut nuire grandement à leurs liquidités. Il est trop facile de dire aux entrepreneurs spécialisés d'obtenir une marge de crédit auprès de leur établissement financier pour disposer de liquidités. Cependant, les établissements financiers ne consentent du crédit que pour les créances qui doivent être payées en moins de 90 jours.

Le problème ne vient pas forcément que du fait que des propriétaires ne payent pas en temps voulu les entrepreneurs généraux. Il est également attribuable aux entrepreneurs généraux qui retardent le paiement de sous-traitants ou d'entrepreneurs spécialisés pour des services rendus dans le cadre d'un projet. Même lorsque les deux parties sont satisfaites des services rendus, il arrive que le paiement soit néanmoins retardé indûment.

Les entrepreneurs spécialisés devraient être payés sans délai lorsqu'il est confirmé que les travaux sont terminés. Les retards de paiement ont de nombreuses conséquences négatives pour les petites entreprises, les travailleurs, les familles et les propriétaires, y compris le gouvernement fédéral. Le taux d'emploi est inférieur étant donné que le montant de dépenses de fonctionnement qu'un entrepreneur spécialisé peut assumer est moindre en raison du risque plus élevé associé aux paiements, et un nombre inférieur de programmes d'apprentissage est créé parce que les employeurs sont moins disposés à prendre les engagements à long terme nécessaires pour récupérer leur investissement dans la formation.

Le risque plus élevé associé aux paiements amène les entrepreneurs spécialisés à investir moins dans des achats de machinerie et d'équipement, ce qui réduit la productivité à long terme dans le domaine de la construction et augmente les coûts dans leur ensemble.

Les coûts de construction sont plus élevés étant donné qu'il est possible que les entrepreneurs spécialisés tiennent compte dans leurs soumissions du risque de retard des paiements que doivent faire les entrepreneurs généraux, ce qui fait monter les prix.

Les coûts sont également supérieurs parce que le risque plus élevé associé aux paiements réduit la quantité de travail que les entrepreneurs spécialisés peuvent se permettre d'accepter, ce qui réduit le bassin de soumissionnaires pour les projets.

Une loi canadienne sur le paiement sans délai donnera aux entrepreneurs les outils nécessaires pour que les entreprises demeurent concurrentielles et productives et cette loi favorisera une culture de paiements sans délai dont on a grandement besoin à l'heure actuelle.

Le paiement sans délai est ce qui se doit. Pourquoi le Canada doit-il être différent des autres pays au point de ne pas avoir besoin d'une loi sur le paiement sans délai? Les États-Unis, l'Irlande, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont adopté une sorte de loi sur le paiement sans délai. Les entrepreneurs spécialisés dans ces pays fonctionnent beaucoup plus efficacement qu'au Canada.

Pour terminer, nous tenons à remercier le comité de nous accorder du temps pour exprimer notre soutien au projet de loi S-224. Nous croyons que l'adoption de ce projet de loi est tout simplement la bonne chose à faire.

La sénatrice Ringuette : Merci de votre présence. Je vous ai vu dans la galerie avec le groupe de témoins précédents, et vous savez donc que ma préoccupation première est l'institution du paiement sans délai.

La question que j'aimerais vous poser concerne la portée du projet de loi. Celui-ci vise le gouvernement fédéral et les sociétés d'État. Cela ignore toutes les autres entités sous réglementation fédérale. Nous espérons que les gouvernements provinciaux adopteront une loi semblable, mais d'après les discussions en cours en Ontario présentement, cette loi ne serait pas pour les contrats du gouvernement de l'Ontario seulement; elle viserait le secteur au complet. Le secteur privé serait également visé.

Concernant donc la portée de ce projet de loi et le fait que nous devons bien faire les choses et voulons que le gouvernement fédéral ait un rôle de leader, les entités fédérales visées par ce projet de loi ne devraient-elles pas aussi inclure les entités sous réglementation fédérale? Il y a Air Canada, VIA Rail et toute une série d'entités sous réglementation fédérale qui ne seraient pas touchées par ce projet de loi et ne seraient pas visées par une éventuelle loi provinciale.

Le président : Quelqu'un aimerait-il répondre?

M. Brunet : Je crois qu'il faut commencer quelque part. Que le gouvernement fédéral appuie ce projet de loi et l'adopte entraînera, on l'espère, de nombreux autres projets de loi qui apporteraient les changements nécessaires.

Dans les provinces, je sais qu'Alberta Infrastructure a une loi sur les paiements dans ses contrats. Les contrats précisent un maximum de 30 jours civils après la réception initiale de la demande de paiement. Il y est aussi stipulé que l'entrepreneur général doit confirmer qu'il a payé ses sous-traitants dans les 10 jours suivant la réception de son paiement. Il s'engage aussi à publier la date du paiement de sorte que les sous-traitants et les fournisseurs soient informés du moment où l'entrepreneur général a été payé. L'entrepreneur général ne sera plus en mesure de se cacher et de dire qu'il n'a pas reçu l'argent. Cette information sera publiée. Les provinces commencent à adopter cela.

La sénatrice Ringuette : Pour se réveiller?

M. Brunet : Oui.

M. Suppa : J'appuie également cela. En tant qu'association commerciale nationale, nous appuyons le travail fédéral. Nous avons pour objectif principal, pas seulement pour cette disposition, mais aussi pour les normes dans notre secteur, que celles-ci soient uniformes et harmonisées dans l'ensemble du pays. Le seul moyen pour nous d'être concurrentiels avec d'autres pays, c'est d'être harmonisés et de faire ce genre de choses. Je crois que la portée couvre ce que nous essayons de faire. J'appuie l'observation de mon collègue selon laquelle c'est un bon départ.

En écoutant les délibérations ce matin, j'observe qu'il y a une grande détermination à faire la bonne chose et à la faire correctement. Nous apprécions cela et vous félicitons de votre travail.

M. Smillie : J'ai parlé à une ou deux personnes dans des secteurs différents et, à la mention de cette idée, les yeux de tout le monde brillent parce que tout le monde veut être payé, que ce soit dans le secteur privé, le secteur public, les petites entreprises ou les grandes entreprises.

Ma seule inquiétude réside dans le fait que c'est une énorme tâche à entreprendre. Appliquer cela à l'échelle de l'économie serait très difficile. Même pour toutes les industries sous réglementation fédérale, ce serait un immense projet à entreprendre.

Je suis du même avis que mon collègue, qu'il est bon de commencer petit. Comment pourrions-nous ne pas appuyer l'idée de faire en sorte que tout le monde soit payé? Mais d'un point de vue théorique, il serait très difficile d'instituer cela dans toute l'économie. J'aime bien l'orientation de votre question, mais je pense que ce serait une entreprise massive à réaliser.

Le président : Il y a maintenant des lois selon lesquelles les gens doivent être payés. On ne peut pas blâmer les gens de ne pas être payés, et donc, il y a un processus juridique, ce qui complique les choses, parce que tout le monde a des droits.

La sénatrice Ringuette : Le problème, c'est que les sous-traitants sont pris dans cette zone grise. Les règlements les obligent à payer leurs employés, mais rien ne fait en sorte qu'ils soient eux-mêmes payés.

Il y a toute une panoplie de projets d'infrastructures en cours dans le pays et, dans bien des cas, le gouvernement a un intérêt de 33 p. 100 — et quand le Parlement a une participation de 33 p. 100, la municipalité ou la région locale en a une de 33 p. 100 également. Nous parlons d'une grande quantité de travaux de construction en une courte période, et de beaucoup d'argent. Comment pouvons-nous faire en sorte que, lors de l'attribution de fonds fédéraux, le paiement sans délai soit une des conditions du transfert des fonds aux deux autres entités? Comment pouvons-nous faire en sorte que cela se produise?

M. Smillie : En bref, le meilleur moyen serait que Travaux publics et le Conseil du Trésor en fassent une condition de l'attribution de tout financement fédéral à un projet. Si le Conseil du Trésor et Travaux publics déclarent que l'attribution de fonds fédéraux à un projet d'infrastructure dans le pays est assujettie — et ce ne sont pas des propositions, en politique — à une série de règles, dont une d'entre elles serait le paiement sans délai partout où des fonds fédéraux sont attribués, ce serait alors les règles. Cela exigerait une volonté de la part de Travaux publics et du Conseil du Trésor d'instituer ce genre de règle pour tout projet auquel le gouvernement fédéral participe.

Si j'ai bien compris, ce projet de loi ne s'appliquerait qu'aux projets entièrement financés par le gouvernement fédéral, et ceux-ci seront peu nombreux. Je suis en faveur de l'élargissement de la portée à d'autres partenaires de financement.

La sénatrice Ringuette : Peut-être qu'il y aurait lieu de préciser « entièrement » ou « partiellement », parce qu'il y a des lois stipulant une exigence ou un règlement. Même si on précisait une « participation fédérale partielle à un projet », cela irait. J'aimerais avoir votre opinion. Il s'agit de beaucoup d'argent et de beaucoup de travaux de construction. Ratons-nous ici l'occasion de faire cela?

M. Smillie : Je reviendrai certainement témoigner sur ce sujet à lui seul, en effet.

Le sénateur McIntyre : Merci de vos exposés. Ma question est plutôt un suivi à la question de la sénatrice Ringuette.

Le projet de loi vise les contrats et les sous-traitants de ces contrats avec le gouvernement fédéral. Les autres projets de construction relèvent de la province ou du territoire concerné. Ceci dit, je crois que d'autres provinces comme le Québec et l'Ontario s'attachent à régler le problème des paiements en retard. Ai-je raison de dire, donc, qu'il est vraiment urgent d'adopter ce projet de loi de sorte que les autres territoires et provinces fassent leur part pour corriger cette situation? Monsieur Suppa, vous avez soulevé ce point dans votre exposé.

M. Suppa : Nous appuyons beaucoup cela. Je crois que ça commence là. En tant qu'association commerciale à but non lucratif, nous aurons un rôle clé parce que nous serons déterminés à diffuser le message auprès de nos membres et de leurs clients. C'est un rôle crucial que nous devons assumer et nous devons aussi travailler au nom du gouvernement du Canada et de nos partenaires alliés dans la coalition pour commencer à collaborer avec les provinces afin de mettre en œuvre les mêmes procédures qui ont été instituées à Ottawa. Nous appuyons entièrement cela.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de vos exposés. Si j'ai bien compris, les sous-traitants incorporent normalement une marge pour le risque de paiement en retard. M. Suppa, vous avez mentionné que cela réduirait les coûts pour le contribuable grâce à des soumissions plus concurrentielles. M. Brunet a aussi mentionné que les coûts de construction sont plus élevés parce que les entrepreneurs spécialisés peuvent avoir tenu compte dans leurs soumissions du risque de retard des paiements.

Avec tout cela, si ce projet de loi est adopté, quel serait le pourcentage que le gouvernement pourrait économiser? Avez-vous une idée des économies pour les contribuables?

M. Brunet : Non, je n'en ai pas d'idée précise. Je pourrais me hasarder à deviner, mais je crois que c'est à l'avantage des contribuables. Je crois que ce qui se passe, c'est que les sous-traitants ou les entrepreneurs spécialisés, qui savent qu'un entrepreneur général a des problèmes de paiement ou a la réputation de tarder à payer, pourraient soumissionner des coûts plus élevés ou pourraient choisir de ne pas soumissionner, ce qui réduirait le bassin de soumissionnaires. De toute évidence, si le bassin des soumissionnaires est réduit, on n'obtiendra pas le meilleur prix en tant que gouvernement fédéral ou toute autre entité.

M. Suppa : Je crois que ceci a aussi été mentionné plus tôt ce matin. C'était au sujet des emplois également. Si ces emplois sont perdus, il n'y a pas d'autres affaires menées. Je vous ai mentionné le nombre approximatif de 25 millions de dollars annuellement en ce qui concerne l'impact dans mon secteur. Pour arriver à ce nombre, nous sommes partis du fait que notre secteur représente 6 milliards de dollars. On peut affirmer prudemment qu'environ 10 p. 100 de ce chiffre représente des travaux pour le gouvernement. Ensuite, nous sommes remontés en tenant compte des coûts de détention, et ainsi de suite. Ces montants sont absents de la filière, et cela ne représente que mon secteur seulement. Je crois qu'on a mentionné le nombre d'un quart de million ou plus en fonds non aiguillés dans la filière.

Les choses deviennent encore plus compliquées quand des travaux de modernisation des bâtiments gouvernementaux commencent à être de plus en plus nombreux et à faire appel à des produits encore plus efficaces. Pourquoi devrions-nous établir un devis encore plus élevé à cause des délais de paiement, quand nous avons la capacité de faire les choses maintenant dans des délais raisonnables?

Je ne pourrai quantifier le coût, mais il est élevé au niveau de l'impact sur les consommateurs.

La sénatrice Moncion : Ma question porte sur les délais de paiement. Vous parliez d'un délai de 90 jours appliqué maintenant par les entrepreneurs à ces paiements. Plutôt, le sénateur Plett a dit qu'en 2007, ces chiffres étaient de 62,8 jours, qu'en 2012, ils se sont élevés à 71,1 jours et qu'en 2015, ou depuis, ils ont atteint 80 jours.

Je tiens compte du fait que les entrepreneurs et les sous-traitants veulent tous être payés et sont tous disposés à payer, et le gouvernement paie. Qu'est-ce qui cause ces délais et pourquoi certaines de ces personnes ne sont pas payées?

Il y a un lien entre la crise financière et l'accès à des fonds pour les paiements. Depuis la crise financière, on a pu constater dans le secteur financier que les établissements financiers étaient moins enclins à fournir des fonds au secteur de la construction, ou à gérer davantage les risques. Y a-t-il un lien entre l'accès au financement par les entrepreneurs ou les sous-traitants pour ce qui est de la capacité de payer, dans une perspective générale? À mon avis, la plupart des entrepreneurs veulent payer leurs gens et la plupart des entrepreneurs veulent être payés. Y a-t-il là un autre problème caché?

M. Brunet : Je dirais que non. Le gros problème se situe au niveau des entrepreneurs spécialisés cherchant à obtenir l'argent des entrepreneurs généraux. Une fois que l'entrepreneur spécialisé a été payé, il est aussi responsable du paiement de ses sous-traitants, les gens qu'il a embauchés s'il n'avait pas suffisamment de travailleurs pour des travaux particuliers. L'accent est mis sur les entrepreneurs spécialisés qui doivent être payés par les entrepreneurs généraux.

À l'heure actuelle, si je comprends bien, selon le contrat fédéral en vigueur, le gouvernement paie l'entrepreneur général dans les 45 jours. Avec le projet de loi S-224, on tente de ramener cette période à 30 jours, ainsi que d'avoir des dispositions sur le paiement des entrepreneurs spécialisés par les entrepreneurs généraux, ce qui aidera à soulager en partie cette situation.

Cependant, comme M. Banfai l'a dit plus tôt, le délai peut aller jusqu'à 90 ou 120 jours, et les entrepreneurs spécialisés peuvent encore avoir à recourir au système juridique pour obtenir leur argent.

Le sénateur Plett : Je dirais rapidement que l'Ontario et le Québec ont clairement signifié vouloir suivre cet exemple. J'apprécie l'appui que manifeste la sénatrice Ringuette à ce projet de loi, et certaines des observations qu'elle a formulées plus tôt et maintenant aussi. De toute évidence, nous nous pencherons sur une de ses préoccupations qui, à mon avis, est légitime. Elle a soulevé d'autres questions maintenant au sujet de la possibilité d'élargir la portée de ce projet de loi.

L'Ontario et le Québec prévoyant suivre cet exemple, nous pouvons déduire qu'entre le gouvernement fédéral, l'Ontario et le Québec, nous couvrirons, certainement, en ce qui concerne les travaux gouvernementaux, les deux tiers ou les trois quarts de tous les travaux gouvernementaux au Canada rien qu'avec ces deux provinces et le gouvernement fédéral. C'est donc un immense progrès.

Ne convenez-vous pas que c'est un très grand pas en avant et que nous devrions simplement adopter le plus rapidement possible ce projet de loi et être un exemple que les provinces suivront, et qu'en fin de compte — plus tôt que tard, on l'espère — tous les secteurs de la construction suivront cet exemple?

La sénatrice Ringuette : Et qu'en est-il du reste du Canada? Qu'en est-il des autres provinces?

Le sénateur Plett : Permettez-moi de compléter ma question. Si nous voyons les trois quarts du Canada adopter cette formule, ne convenez-vous pas que le Manitoba suivra également parce qu'il y a beaucoup d'entrepreneurs situés près de la frontière Ontario-Manitoba qui pourront décider qu'ils seraient en meilleure position de travailler en Ontario, et que le Manitoba voudra suivre l'exemple lui aussi?

M. Brunet : J'en conviens absolument. Avec les grosses dépenses d'infrastructure que le gouvernement fédéral entreprendra dans un avenir proche, l'occasion pour le gouvernement fédéral d'être un leader est la clé. Vous avez mentionné le Québec et l'Ontario. Je sais que la loi sur les paiements sans délai est en cours d'examen en Colombie-Britannique, que cette province enclenche le mouvement; en Saskatchewan, il y a un groupe qui réclame cela également, ainsi qu'en Nouvelle-Écosse. Je crois qu'un grand nombre de provinces attendent la première loi, puis plusieurs d'entre elles suivront.

M. Suppa : Je fais écho aux observations de mes collègues. Je suis un nationaliste. J'aime mon pays, le Canada. Je comprends bien les enjeux que représentent les partenariats entre le fédéral et les provinces, mais c'est un très grand pas quand deux provinces clés appuient l'excellent travail qui a été présenté ici. Il faut commencer quelque part. Les autres provinces suivront.

Je vais vous donner un autre exemple concernant un autre domaine; nous avons d'excellentes normes dans notre pays et nous avons de très bons codes de plomberie; cependant, les codes de plomberie de chaque province sont mis en œuvre à des moments différents. Nous essayons d'arriver à une adoption automatique en temps opportun, ce qui signifie que le code sortirait tous les cinq ans. Nous voulons que chaque province l'adopte dans les 12 mois suivant la publication.

À l'heure actuelle, nous avons trois ans, deux ans, six mois; nous sommes complètement éparpillés. Nous avons commencé avec deux provinces clés, et on peut commencer à voir un certain mouvement d'adoption dans l'ensemble du pays.

Nous avons d'autres exemples où ces partenariats fonctionnent. Nous devons en tirer parti. Les choses se dérouleront. C'est un excellent départ que vous avez maintenant, et vous devez en être félicités.

Le sénateur Day : Je conviens que votre vie serait plus facile si ce projet de loi était adopté, monsieur Brunet. J'aimerais que vous vous concentriez sur ce que nous tentons de régler. Si je comprends bien, la relation entre vos membres et les entrepreneurs qu'ils recrutent, ou d'autres sous-traitants, est établie par contrat à l'heure actuelle, n'est-ce pas?

M. Brunet : Oui.

Le sénateur Day : Avez-vous un contrat standard comprenant toutes les clauses que vous jugez nécessaires que vous recommandez à vos membres, chacun d'entre vous?

M. Brunet : Il y a des contrats standards. Je crois qu'on les appelle les documents du CCDC. Ils sont publiés par l'Association canadienne de la construction. Il faut faire très attention, parce qu'il y a un grand nombre de documents, et sans les conseils d'un avocat, il est très difficile d'en comprendre les tenants et les aboutissants.

Le sénateur Day : Nous envisageons donc ce projet de loi pour régler ce problème?

M. Brunet : J'espère que ce projet de loi réglera, effectivement, une bonne partie du problème.

M. Suppa : Le secteur de la plomberie et du chauffage s'appuie sur des relations entre les grossistes-distributeurs et les entrepreneurs en installations mécaniques. Lorsqu'un grossiste-distributeur doit mettre fin à sa relation avec un entrepreneur en installations mécaniques parce que, bien qu'il ait été un bon client, il ne peut payer parce qu'il n'a pas lui-même été payé, cela cause des conflits. Nous devons créer un équilibre entre cette relation et la loi sur les paiements sans délai. Je crois que cette mesure législative permettra cela.

Quand vous avez un équilibre entre les relations d'affaires et une loi qui les renforcera — comme cela a été mentionné précédemment — et établira une structure plus solide, je crois que la mission est accomplie.

Le sénateur Day : Mais à l'heure actuelle, la relation d'affaires est définie par un contrat. On peut y mettre tout ce qu'on veut, mais vous dites que c'est une relation beaucoup trop proche et vous voulez qu'elle soit régie par une loi de sorte que vous puissiez maintenir la relation?

M. Suppa : Je dis que le projet de loi est axé sur les paiements sans délai pour que les gens soient payés. Je crois que c'est ce que cela accomplira. Vous allez plus profondément dans les dispositions contractuelles. Ces parties ont leurs propres contrats. Je ne me mêle pas de cet aspect de la relation. Si tout le monde dans la filière est payé à temps, je crois que ce sera une belle réussite.

Le sénateur Day : Permettez-moi de conclure donc. Avec le contrat standard, vous pouvez établir un calendrier précis de paiement. Vous pouvez prévoir des intérêts si des paiements sont en retard. Vous pouvez établir toutes ces dispositions dans le contrat, mais vous dites que cette relation avec le contrat ne suffit pas, que vous avez besoin de la loi.

M. Brunet : Je dirais que oui. La loi est un élément clé. Le contrat est un aspect de la relation, mais la loi est nécessaire. Il faut qu'il existe un moyen d'aider l'entrepreneur spécialisé s'il y a un problème.

Le sénateur Day : Monsieur Suppa, avez-vous autre chose à ajouter?

M. Suppa : J'appuie cette observation également.

Le président : Merci, messieurs Suppa, Brunet et Smillie, de votre témoignage et d'avoir répondu si bien aux questions. Nous l'apprécions.

(La séance est levée.)

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