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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 18 - Témoignages du 5 avril 2017


OTTAWA, le mercredi 5 avril 2017

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour étudier et produire un rapport sur la création d'un corridor national au Canada afin d'améliorer et de faciliter le commerce et les échanges intérieurs.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue à mes collègues et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ici même, dans la salle, ou sur le Web.

Je m'appelle David Tkachuk, et je suis le président du comité.

Il s'agit aujourd'hui de notre quatorzième réunion dans le cadre de notre étude sur la création d'un corridor national au Canada afin d'améliorer et de faciliter le commerce et les échanges intérieurs.

Honorables sénateurs, vous n'êtes pas sans savoir que le 25 juin 2014, la ministre fédérale des Transports a lancé un examen de la Loi sur les transports au Canada. Cet examen a été mené par une entité présidée par notre premier témoin de ce soir, l'honorable David Emerson, C.P., actuellement président d'Emerson Services Ltd., qui se joindra à nous par vidéoconférence.

L'examen s'est terminé le 21 décembre 2015, lorsqu'un rapport a été présenté au ministre. Ce rapport a ensuite été déposé au Parlement le 25 février 2016.

Monsieur Emerson, je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui. Vous pouvez tout de suite faire votre déclaration, après quoi nous enchaînerons avec une période de questions.

L'honorable David Emerson, C.P., président, Emerson Services Ltd., à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, et mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis heureux d'être ici, comme toujours. J'ai pensé qu'il serait bon de lire une brève déclaration et de consacrer plus de temps aux questions et aux interactions avec vous.

Lorsqu'on parle de corridors de commerce et de transport, on a tendance à penser à des infrastructures physiques : routes, chemins de fer, ponts, pipelines, lignes de transmission et ainsi de suite. Je crois que c'est une erreur.

Les corridors de commerce et de logistique sont des systèmes complexes et dynamiques composés de nombreux éléments. Il y a des composantes physiques, certaines stationnaires, certaines fixes; des composantes technologiques; des grands besoins en matière d'information; des aspects du capital intellectuel et humain; des systèmes de gestion; des systèmes de sécurité; des systèmes d'exploitation; de nombreux agents participants; du capital financier; des exigences relatives au premier mille et au dernier mille; et une foule d'autres éléments tangibles et intangibles.

Par ailleurs, les limites spatiales du corridor n'ont pas besoin d'être définies avec précision. Ce qui compte vraiment, c'est que le concept soit défini et adopté officiellement et qu'il fasse partie des mécanismes et des processus de prise de décisions et de règlementation du gouvernement.

S'il n'y a pas de cadre de gouvernance fédéral pour la prise de décisions à l'échelle du gouvernement concernant l'ensemble des questions liées au commerce, au transport et à la logistique, le concept du corridor de commerce ne sera pas à la hauteur de son potentiel.

Vous vous souviendrez que l'Initiative de la porte et du corridor de l'Asie-Pacifique a été une grande réussite pour la simple raison qu'on avait accordé la priorité aux éléments essentiels au succès et à l'efficacité du corridor commercial en investissant notamment dans la technologie et diverses initiatives qui n'étaient pas liées à des infrastructures.

Depuis, d'autres pays ont reconnu ce succès et ont emboîté le pas en vue d'être concurrentiels. Je suis d'avis, et c'était également l'opinion du comité qui a réalisé l'examen de la Loi sur les transports au Canada, que le Canada doit intensifier ses efforts à ce chapitre, sans quoi il risque de perdre encore plus de terrain.

Je vous remercie, monsieur le président, et je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Emerson. Qui veut commencer? Sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Bonjour, monsieur Emerson. Je vous remercie pour votre exposé, et je suis désolé d'en avoir raté les premières minutes.

Je suis arrivé au moment même où vous dressiez une longue liste des choses à envisager, et je pense que nous comprenons tous, et vous aussi, à titre de chef d'entreprise qui voit l'ensemble du tableau, mais aussi en raison de votre travail au sein du gouvernement, qu'on en est encore à l'étape conceptuelle et que les gens ne voudront probablement pas prendre beaucoup de risques à ce stade-ci.

Voici donc ma question : Est-ce que cela vaut la peine de payer 5 millions de dollars pour faire intervenir les gens qui se sont dits intéressés à passer à la prochaine étape et évaluer sa plausibilité? Les groupes qui ont manifesté le désir de participer sont les gens de la Coalition de grands projets des Premières Nations, dirigée par Harold Calla, que vous connaissez sans doute, et évidemment, l'École de politique publique, et quelques-uns de ses partenaires de l'Université de Calgary.

Le gouvernement fédéral, et possiblement d'autres parties intéressées, devrait-il financer cette étape conceptuelle afin qu'on sache davantage où on s'en va? L'investissement en vaut-il la peine?

M. Emerson : Je pense qu'il est fort important que nous fassions la distinction entre les recommandations liées à un corridor géographique qui pourrait convenir à de multiples réseaux de transport, que ce soit des pipelines, des lignes de transmission, des chemins de fer ou autre, et les corridors commerciaux qui permettraient de relier le Canada au marché mondial.

Je pense que vous en conviendrez tous : sans une bonne connexion avec les marchés internationaux pour les produits et services canadiens, l'économie canadienne en souffrirait énormément. Quand je pense à un corridor commercial, je ne pense pas à un corridor qui sert à accélérer l'approbation de projets majeurs et à obtenir l'appui des Premières Nations. Je songe d'abord et avant tout à des systèmes de transport et de logistique étroitement liés. Habituellement, dans ce cas, ces systèmes seraient construits le long des chemins de fer et près des ports, sans parler des systèmes d'alimentation, de la technologie, des données, des diverses mesures relatives à la sécurité et la fluidité des frontières et de tout ce qui permet aux entreprises canadiennes d'accéder efficacement aux marchés internationaux.

Pour terminer, je dirais que le transport et la logistique sont aujourd'hui encore plus importants que la levée de la plupart des barrières tarifaires et non tarifaires.

Le sénateur Tannas : Je vais peut-être aborder la question différemment.

Étant donné ce que vous venez de dire, croyez-vous que les corridors de transport actuels — le réseau du CP, le réseau du CN, la Transcanadienne et les ports actuels — pourront offrir à notre pays la capacité dont il a besoin pour exporter davantage de marchandises dans 50, 75, voire 100 ans lorsque la taille de notre économie sera trois, quatre ou cinq fois plus importante qu'aujourd'hui?

M. Emerson : Il faudra nécessairement adapter les politiques, car si on regarde les corridors commerciaux fondamentaux, il y a des goulots d'étranglement qui nuisent au réseau. Dans certaines régions, l'empiétement urbain paralyse le réseau ou, du moins, crée d'importants retards et problèmes au niveau de l'importation et de l'exportation des produits.

Par conséquent, le gouvernement doit reconnaître que les corridors commerciaux servent les intérêts économiques du pays. Je pense que nous devrions prévoir des mécanismes et des pouvoirs qui permettraient au gouvernement de contrôler, si vous voulez, certains territoires ou de mettre sur pied certaines initiatives pour éviter qu'on empiète davantage sur le corridor commercial.

Le sénateur Tannas : Merci, monsieur.

Le sénateur Enverga : Merci, monsieur Emerson. Vous êtes une personne distinguée qui connaît très bien ce type de projet.

Je sais qu'au Canada, il y a de vastes régions où l'on ne peut pas construire de corridor. La construction ne se fait pas d'un trait de crayon ni du jour au lendemain. Il pourrait falloir pas moins d'une génération avant qu'on puisse tout mettre en œuvre.

Voici donc ma question, à laquelle j'espère que vous pourrez répondre : croyez-vous que nous devrions construire ce corridor en plusieurs étapes, c'est-à-dire en procédant d'abord à l'Est du Canada et ensuite dans le Nord? Selon vous, par où devrions-nous commencer? Par les oléoducs, par l'oléoduc de l'Est?

M. Emerson : C'est une excellente question, et je dirais que la création de ce corridor — et on ne devrait pas dire le corridor, mais plutôt les corridors — se poursuivra pendant toute notre vie, et celle de nos enfants et de nos petits-enfants, et comme vous le dites, elle prendra la forme de divers projets et segments. Toutefois, je pense que nous devons tous être conscients que dans l'artère ou le couloir principal du corridor, le transport des marchandises, qu'elles soient en vrac ou expédiées dans des conteneurs, se fera à grand volume et à haute vitesse. Autrement dit, les corridors seront utilisés de façon intensive et efficace pour satisfaire aux normes commerciales internationales, mais ils traverseront la moitié inférieure du pays, d'un océan à l'autre, et du nord au sud, sur le continent nord-américain.

Nous devons reconnaître, et nous l'avons exposé dans l'examen de la Loi sur les transports au Canada, que pour de nombreuses collectivités au Canada — par le passé, aujourd'hui et dans l'avenir —, il doit y avoir des systèmes d'alimentation efficaces, que ce soit des chemins de fer d'intérêt local ou de meilleurs raccordements routiers pour le camionnage. Nous devons nous assurer que, dans le contexte de la construction d'un corridor, la politique des transports au Canada tienne compte de l'ensemble du réseau de transport canadien axé sur le commerce, y compris les CFIL, qui relèvent souvent des provinces, et les réseaux routiers. S'ils ne sont pas mis en place ou réglementés de manière à ce que les petites collectivités éloignées du corridor principal puissent obtenir un niveau de service élevé, dans ce cas, nous allons pénaliser un grand nombre de petites collectivités et faire obstacle à leur croissance et à leur développement à long terme.

Selon moi, il faut être conscient que les projets de transports ne se concrétisent pas du jour au lendemain. Il faut parfois 10 ou 20 ans pour franchir les étapes de l'approbation et de la construction. Pendant ce temps, on peut en fait redéfinir la géographie économique du pays. Nous allons voir des villes mourir, d'autres prendre de l'expansion. Nous allons voir des communautés locales perturbées par tout ce qui se passe.

Quand on pense au corridor, on peut penser à une artère — à circulation et vitesse élevées — reliée à des systèmes d'alimentation qui doivent faire partie de l'équation et être traités aussi sérieusement que l'artère centrale.

La sénatrice Wallin : J'aimerais revenir à l'une des choses que nous avons examinées. De toute évidence, on se demande si cette question devrait être étudiée, et le cas échéant, d'où proviendrait le financement pour mener cette étude. Toutefois, il y a beaucoup de gens qui parlent du corridor du Nord, et il ne faut pas le confondre avec les routes commerciales. Il ne s'agit pas seulement d'autoroutes ou de chemins de fer. On parle ici de lignes numériques technologiques et de ce genre de choses. Êtes-vous en train de dire qu'on pourrait en faire des corridors auxiliaires ou pas du tout?

M. Emerson : Non. Ce que je dis, c'est que, dans une certaine mesure, ces corridors devraient être reliés au réseau principal et permettre d'acheminer les produits jusqu'aux régions nordiques et plus éloignées. Lorsqu'on parle du corridor physique, je crois qu'il y a de la place pour un tel corridor dans le Nord du Canada, mais il ne faut rien laisser au hasard. Le financement doit faire l'objet d'une réflexion approfondie, parce qu'il faut prévoir où seront les principaux gisements de ressources et les perspectives économiques dans 30 ou 40 ans. Il faut également tenir compte de l'aspect de la sécurité pour s'assurer de protéger nos limites et nos eaux septentrionales.

Dans le Nord, ce n'est pas tant le commerce qui importe que la prestation de services à ces collectivités. Il faut trouver un moyen, au fil du temps, au fur et à mesure de la mise en œuvre de projets de développement minier ou énergétique, d'utiliser les retombées économiques supplémentaires pour rembourser les coûts initiaux, sans quoi les corridors perdront de l'argent à long terme.

La sénatrice Wallin : Je suppose que c'est ma prochaine question. Y a-t-il une distinction à faire pour ce qui est du financement? On pourrait peut-être conclure un partenariat public-privé pour les corridors commerciaux plus au sud, et pour ce qui est du Nord, je considère qu'il s'agit davantage d'une responsabilité nationale, d'un projet qui relève du gouvernement fédéral.

M. Emerson : Oui, c'est ce que je crois aussi, madame la sénatrice.

La sénatrice Wallin : D'accord.

M. Emerson : Il pourrait y avoir des possibilités de PPP dans le Nord, mais elles seront rares, et à vrai dire, si le gouvernement ne prend pas le taureau par les cornes, comme d'autres gouvernements l'ont fait avec les territoires de l'Arctique, nous allons tout simplement accuser un retard encore plus grand dans le Nord.

La sénatrice Wallin : Excellent, merci.

Le président : Je vais céder la parole au sénateur Wetston pendant une minute, en espérant que le problème d'interprétation sera résolu.

Le sénateur Wetston : J'aurais une question générale concernant le concept du corridor. Est-ce que vous voyez cela comme un plan stratégique ou une sorte de concept organisationnel, en ce sens qu'il est nécessaire pour renforcer nos capacités au pays, mais qu'en réalité, il est très difficile de le réaliser au Canada, compte tenu des questions constitutionnelles, des questions fédérales-provinciales, des questions financières et de tous les défis que nous devons relever pour y arriver. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Emerson : Il y a tout un chapitre dans l'examen de la Loi sur les transports au Canada sur la gouvernance, et nous avons proposé une façon d'intégrer les différents intervenants. Il y a de nombreux ministères, divers ordres de gouvernement, de multiples secteurs, expéditeurs et transporteurs dans les différents modes. Nous avons fait valoir qu'il faudrait mettre en place, au sein du gouvernement, un mécanisme en vertu duquel les décisions liées au commerce, au transport et à la logistique pourraient être prises en concertation.

Cela pourrait donner lieu à un projet stratégique axé sur la logistique du transport. Ces projets auraient des priorités, en fonction de l'évolution du commerce et de la mesure dans laquelle on veut modifier les tendances des échanges commerciaux.

Selon moi, il faut avoir une approche pangouvernementale pour prendre des décisions stratégiques. Et comme je l'ai dit tout à l'heure, cela dépasse largement les infrastructures. Il peut s'agir de recherche, de main-d'œuvre, de technologie, d'innovation, de sécurité, de questions frontalières, d'enjeux environnementaux, et cetera. Si on n'intègre pas ces éléments au processus de prise de décisions, en vue d'avoir la connexion la plus efficace possible pour permettre au Canada d'accéder aux marchés internationaux, nous allons tous simplement tirer de l'arrière par rapport aux autres pays qui le font déjà, et on sait que nous éprouvons des problèmes avec les États-Unis ces jours-ci. On ne peut pas tenir pour acquis que nous allons maintenir le statu quo lorsqu'il s'agit de la stabilité de l'ALENA et de nos relations avec les États-Unis.

Nous devons avoir accès aux marchés asiatiques et européens. Pour ce faire, nous avons besoin d'une capacité de transport et de logistique de calibre mondial.

Le président : Monsieur Emerson, nous allons faire un autre essai avec le sénateur Forest. Il va s'exprimer en français. Je vous demanderais de hocher de la tête si vous entendez l'interprétation en anglais. Nous allons faire un essai.

[Français]

Le sénateur Forest : Cela démontre qu'on a des problèmes de transport de toutes sortes au Canada, même des problèmes de « transport de la voix ».

Je pense que c'est un concept fort important quant à l'efficience du transport des marchandises au Canada dans le contexte de la mondialisation. Si je comprends bien, l'un des éléments pivots de la réussite d'un tel projet est l'intermodalité. Pensez-vous qu'au-delà de l'efficacité du transport de nos marchandises, on peut aussi prétendre à des gains quant à la réduction de nos émissions de gaz à effets de serre au Canada qui sont générées par les moyens de transport traditionnels?

[Traduction]

M. Emerson : Si nous voulons ajouter 1 milliard de dollars au PIB, aux fins de la discussion, nous allons beaucoup mieux réussir si nous avons un réseau de transport intermodal fluide et efficace. Par conséquent, l'efficacité du réseau de transport, sa fluidité et l'absence d'arrêts et de goulots d'étranglement, entre autres, et l'application de nouvelles technologies sont tous des éléments qui vont contribuer à la protection de l'environnement, au renforcement de la sécurité et à l'amélioration de la productivité.

Je suis convaincu qu'un solide réseau de transport est l'une des meilleures choses que l'on puisse faire, autant sur les plans environnemental qu'économique.

[Français]

Le sénateur Forest : J'aimerais vous poser une deuxième question. C'est un projet gigantesque qui fait intervenir les juridictions fédérales, provinciales et territoriales. Comment voyez-vous la gestion de cette planification? Parce qu'il faudra commencer par une phase de planification. Le gouvernement fédéral devrait-il prendre les devants? Comment imaginez-vous le partage des responsabilités, puisqu'on fait appel à différents ordres de gouvernement?

[Traduction]

M. Emerson : Le gouvernement fédéral devrait prendre l'initiative en ce qui concerne les éléments interprovinciaux et internationaux. On pourrait mettre en place une capacité de consultation. Nous avions décrit la forme que cela pourrait prendre dans le cadre de notre examen de la LTC. Lorsque des questions de compétence se posent, on pourrait avoir recours au partage des coûts et à d'autres mécanismes pour s'assurer que les provinces et les municipalités peuvent apporter leur contribution à un système logistique efficace pour le pays.

Le sénateur Forest : Merci.

La sénatrice Ringuette : Je suis ravie de vous revoir, monsieur Emerson. Lorsque nous avons discuté de la possibilité de créer un corridor dans le Nord, j'ai indiqué que nous devrions non seulement avoir des corridors secondaires, mais aussi des liens officiels entre le corridor proposé dans le Nord et le corridor commercial actuel que nous avons plus au sud. D'après ce que vous dites, nous devrions peut-être envisager de faire le contraire, c'est-à-dire créer un corridor qui relierait les différentes collectivités dans le Nord et ensuite, dans le cadre d'une deuxième phase, relier un corridor parallèle à un autre dans le Nord. Vous semblez dire que cela aiderait davantage les collectivités et le commerce.

M. Emerson : Je pense qu'il va falloir faire les deux. Par exemple, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon devraient être reliés au réseau de transport national, et il faudrait étendre ces corridors vers l'Arctique.

Toutefois, il y a des régions dans les territoires et au Nunavut, en particulier, où la liaison avec le système de transport national pourrait ne pas se concrétiser avant très longtemps. En effet, dans certaines régions de l'Arctique, il faudra envisager de construire un corridor dont le point d'entrée se situe sur la côte de l'océan Arctique.

Nous avons formulé des recommandations. Au fil des années, le gouvernement du Canada a réduit le financement visant à établir des relevés du fond océanique et de la glace, ainsi que le financement lié aux installations de chargement et de déchargement situées dans les régions nordiques éloignées. Selon moi, c'est tout simplement insensé.

Nous devons veiller à évaluer, dans toutes les régions où se trouvent des collectivités maintenant et pour toujours, la façon de transporter des produits dans ces collectivités et la façon de mettre en place des liens économiques vitaux. Il se peut que ces régions ne soient pas liées de façon traditionnelle à nos corridors du Bas-Canada.

La sénatrice Ringuette : Merci.

M. Emerson : Au Yukon et dans le nord de la Colombie-Britannique, il est possible d'avoir accès aux eaux intertidales dans certaines anses nordiques. Nous avons formulé un commentaire à cet égard.

Dans le cadre de l'examen de la Loi sur les transports au Canada, nous avons énuméré, avec l'appui d'Affaires autochtones et du Nord Canada — je crois que nous avons donné la priorité à six corridors différents. Si je ne me trompe pas, dans le document rédigé par Jack Mince et d'autres auteurs, on parlait d'un seul corridor nordique. Je ne crois pas qu'un seul corridor sera suffisant.

Le président : Pourriez-vous approfondir ce point? Pourriez-vous nous expliquer un peu plus en détail pourquoi vous ne pensez pas que c'est le cas?

M. Emerson : Si vous avez seulement un corridor — un seul corridor ne peut pas couvrir tout le nord du Canada. Il faudra alors créer un corridor qui... Par exemple, les régions qui ne sont pas éloignées de plus de deux cents kilomètres de ce corridor pourront profiter de quelques avantages, mais cela concerne seulement une petite partie des collectivités et de la masse terrestre du Nord.

Je crois que vous devrez veiller à établir un lien avec certaines des grandes régions terrestres, des populations et des ressources qui ne sont peut-être pas liées économiquement à un seul corridor.

La sénatrice Ringuette : Merci.

La sénatrice Moncion : Je vous remercie de répondre à nos questions, monsieur Emerson. Ma question concerne le corridor qui traverse le Cercle de feu, en Ontario.

En effet, en Ontario, il y avait des problèmes liés au fait que des chemins de fer auraient pu faire partie du trajet utilisé pour le transport. C'est un problème. Je crois que cette proposition a été rejetée. Êtes-vous au courant de cette situation? Était-ce réellement l'un des plans?

M. Emerson : Je suis au courant du Cercle de feu et des échecs liés à ce projet. Par contre, je connais moins les détails de l'affaire des chemins de fer. Toutefois, je peux vous dire que dans le cadre de l'examen de la LTC, nous avons fortement insisté sur la nécessité de se concentrer davantage sur les politiques publiques liées aux chemins de fer d'intérêt local, car la réglementation visant ces chemins de fer nuit essentiellement à leur viabilité économique. En effet, les taux d'imposition dont ils font l'objet sont beaucoup moins généreux et concurrentiels que ceux accordés aux chemins de fer d'intérêt local aux États-Unis. Un grand nombre de ces chemins de fer d'intérêt local sont retirés des chemins de fer de catégorie 1, et ils ont donc tendance à souffrir d'un manque d'investissement et d'entretien. Nous négligeons les chemins de fer d'intérêt local, et c'est un problème. Nous avons facilité les choses aux chemins de fer de catégorie 1 qui souhaitent éliminer une ligne secondaire. Honnêtement, je ne crois pas que nous devrions faire cela. Je crois que nous devrions plutôt faire en sorte qu'il soit extrêmement difficile de se débarrasser d'une ligne secondaire. Je pense que nous devrions reconnaître qu'à un certain moment, il pourrait être essentiel, sur le plan économique, de réinvestir dans ces lignes secondaires, surtout lorsqu'il s'agit du développement de l'arrière-pays et des collectivités rurales.

La sénatrice Moncion : Je suis d'accord. Mon autre question concerne le partage des coûts. Vous avez parlé de la contribution du gouvernement. Qu'en est-il de la contribution des entreprises? Investiront-elles dans ces projets?

M. Emerson : Oui, je le pense. Tout projet profitant des investissements du secteur privé, même s'il s'agit de fonds de pension, par exemple, devra être rentable pour le secteur privé. C'est possible par l'entremise de divers PPP, lorsque le gouvernement garantit un revenu. On peut améliorer les aspects économiques d'un projet si le gouvernement fédéral en réduit le risque, par exemple en assumant la responsabilité des relations avec les Premières Nations. Un très grand nombre de projets ne sont pas concrétisés, car le risque est refilé aux entreprises du secteur privé qui n'ont aucune compétence pour le gérer, alors que le gouvernement a cette compétence.

Le gouvernement peut donc négocier de différentes façons, mais il doit envoyer des gens très intelligents pour mener ces négociations. À mon avis, il faudra probablement faire appel à de très bons spécialistes financiers pour comprendre réellement comment y arriver et protéger les contribuables.

La sénatrice Moncion : Merci.

Le président : Y a-t-il d'autres questions? Merci beaucoup, monsieur Emerson. La dernière heure a été très intéressante. Nous vous remercions d'avoir livré un bref exposé, car cela nous a permis d'avoir beaucoup de temps pour les questions et les réponses, et nous avons réussi à entendre tous les intervenants. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je suis très heureux d'accueillir maintenant Chris Bloomer, président et chef de la direction de l'Association canadienne des pipelines d'énergie.

Monsieur Bloomer, je vous remercie de comparaître devant nous par vidéoconférence. Veuillez livrer votre exposé, et nous vous poserons ensuite des questions. Allez-y.

Chris Bloomer, président et chef de la direction, Association canadienne de pipelines d'énergie : Mon exposé sera relativement bref. Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant le comité et de vous parler des corridors nordiques.

Je suis président de l'Association canadienne de pipelines d'énergie, également connue sous le nom d'ACPE. Nous représentons 11 grandes sociétés de transport par pipeline et nous acheminons environ 97 p. 100 de la production canadienne de gaz naturel et de pétrole brut vers le marché. Nous exploitons environ 119 000 kilomètres de pipelines à l'échelle du pays.

Il est important de souligner que peu importe l'endroit où ces pipelines sont situés, construits, exploités et éventuellement mis hors service, l'industrie observe les normes les plus élevées en matière de sécurité et de gestion de l'environnement. Ainsi, le gouvernement du Canada devrait appuyer les pipelines, car c'est le moyen le plus sécuritaire et le plus efficace d'obtenir la meilleure valeur possible pour nos ressources naturelles sur le marché mondial.

Les emprises de pipelines — nous les appelons également des corridors — dans lesquels nos membres mènent leurs activités sont uniques. Il est important de comprendre la complexité liée à la détermination du trajet de ces pipelines.

Avant la construction d'un pipeline, les promoteurs dépensent des centaines de millions de dollars pour mener des évaluations techniques et environnementales complexes axées sur le trajet du pipeline et pour conclure des engagements pluriannuels avec des groupes autochtones, des propriétaires fonciers privés et d'autres collectivités touchées. À cette fin, on prend notamment les mesures exhaustives suivantes : analyser des régions fragiles sur le plan environnemental qui doivent être évitées, identifier les propriétaires des terres et leur utilisation actuelle, collaborer avec les collectivités locales et comprendre leurs besoins, leurs préoccupations, leurs plans et les avantages potentiels qui pourraient découler d'une infrastructure de pipelines, éviter les risques géologiques tels les pentes abruptes, les glissements de terrain et les failles sismiques, déterminer la façon dont les équipes de construction et d'entretien auront accès à la région et où le pipeline sera enterré pendant sa durée de vie. Nous identifions les terres issues de traités, les réserves ou les utilisations des terres traditionnelles et nous collaborons avec les groupes autochtones touchés. Nous déterminons l'accès le plus efficace pour les équipes d'intervention en cas d'urgence et leur équipement, et nous étudions les variations saisonnières de température et de conditions météorologiques qui pourraient avoir des effets sur la conception. Tout cela implique qu'un très grand nombre d'interventions sont liées aux pipelines en raison des emprises et des corridors et de leurs effets.

De plus, les promoteurs doivent finaliser des négociations commerciales complexes et obtenir l'engagement des expéditeurs avant de recevoir l'approbation réglementaire pour un projet. Tout cela est également soumis aux contraintes du marché, et l'accès au marché est manifestement un élément clé. Ces décisions axées sur la commercialisation sont prises par chaque promoteur de projets et examinées dans le cadre de processus réglementaires efficaces.

Ces complexités économiques et liées au trajet du pipeline nous poussent à conclure que la notion d'un corridor nordique multifonctionnel est un peu trop hypothétique pour nous permettre d'affirmer qu'un corridor particulier serait une option viable pour une grande infrastructure pipelinière. De plus, le secteur canadien des pipelines doit être en mesure de répondre aux demandes en énergie émergentes et aux occasions qui s'offrent au Canada sur le marché international. Ces facteurs ont invariablement une influence sur les trajets envisagés par les sociétés de pipelines et il faut mener davantage de recherches sur les types de marchés de produits qui seraient desservis et sur d'autres points d'accès aux marchés.

Les réseaux de transport par pipeline transportent les produits de la source aux marchés, ce qui ne correspond pas toujours nécessairement au corridor déjà déterminé. Les corridors multifonctionnels n'auront également aucun effet sur les consultations complexes sur les politiques, les considérations commerciales et les processus qui accompagnent les grands projets de pipelines. Pour ces raisons, les pipelines de transport ne devraient pas être considérés comme un facteur déterminant dans la notion de corridor multifonctionnel.

Comme je l'ai dit, mon exposé est bref. Je vous remercie de m'avoir écouté. Nous pouvons maintenant passer à la partie importante, c'est-à-dire les questions.

Le président : Merci beaucoup. Le premier intervenant est le sénateur Tannas.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie d'avoir pris le temps de comparaître aujourd'hui. J'ai quelques questions; elles seront très brèves.

Je crois que vous seriez la première personne qui pourrait confirmer qu'il est difficile, en ce moment, de construire un pipeline d'est en ouest, et qu'il serait peut-être un peu plus facile de construire un pipeline du nord au sud. Est-ce exact, et à votre avis, cela sera-t-il plus difficile à l'avenir?

M. Bloomer : C'est une très bonne question. C'est une question de politique. Nous sommes en plein milieu des examens de réforme réglementaire, et cetera, et ces processus détermineront, dans une large mesure, si cela deviendra plus difficile ou non.

Le sénateur Tannas : D'accord.

J'ai une autre question. Les exploitants de pipelines doivent manifestement se différencier entre eux. En effet, ils ne peuvent pas tous aller dans la même direction et aboutir au même endroit. Notre pays est gigantesque — et étant donné que la difficulté consiste à trouver l'emprise, c'est-à-dire l'emprise géographique, et à l'obtenir de façon économique et à régler tous les détails sur le plan environnemental —, ne serait-il donc pas logique, à votre avis, que des pipelines qui ont différents points de départ et d'arrivée suivent, sur de très longues distances — possiblement des centaines de milles dans notre pays — le même trajet? Je ne parle pas du même pipeline, car chaque entreprise pourrait avoir son propre pipeline, mais ces pipelines pourraient suivre le même trajet.

Ainsi, la notion d'une seule emprise de pipeline qui permettrait aux exploitants de pipelines de se préoccuper seulement du point d'arrivée et du point de départ et du trajet à l'emprise — donc les canalisations secondaires, en quelque sorte — ne serait-elle pas logique? Je ne connais rien à cet égard, mais il me semble que ce n'est pas une mauvaise idée, et j'aimerais que vous approfondissiez la question.

M. Bloomer : Dans des conditions idéales, la notion est bien fondée, mais si vous tenez compte des systèmes de pipelines existants — je parle des pipelines de transport principaux, et non des canalisations d'alimentation dans les champs. Les principaux pipelines servent surtout au transport des produits vers des marchés précis. Manifestement, au Canada, la demande principale en matière de transport des produits vers les marchés se situe le long de la frontière.

Pour ces raisons, il s'agit vraiment d'une question d'accès aux marchés, et un corridor nordique n'est pas nécessairement lié à un marché particulier.

Je sais qu'on tente, en partie, de fournir des services aux collectivités qui se trouvent le long du trajet du pipeline, mais ces collectivités sont très dispersées. Un pipeline principal sert surtout à atteindre les marchés principaux, et dans le cas des marchés internationaux, il faut transporter le produit jusqu'à l'océan. Une fois arrivé à l'océan, que ce soit sur la côte Est, Ouest ou Nord, on le charge sur un navire, et cela ne fait plus une grande différence. Dans cette perspective, on ne résout pas le problème du marché.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous ne pensons pas que cela parvient à résoudre les questions stratégiques. Si une société arrive à obtenir l'emprise et à régler les détails techniques, cela pourrait être le cas dans des conditions idéales, mais sur le plan pratique, je ne crois pas que cela résout ces questions.

Le sénateur Tannas : D'accord. Serait-il donc juste d'affirmer que selon vous, si nous créons ce corridor nordique en pensant que les exploitants de pipelines en seront les bénéficiaires principaux, ils ne seront pas intéressés?

M. Bloomer : Je ne serais pas aussi brutal. Toutefois, je n'utiliserais pas cet argument comme justification principale pour la création d'un corridor multifonctionnel. Certains trajets et d'autres éléments pourraient entrer en jeu, mais je n'utiliserais pas les pipelines de transport principaux comme justification principale à la création d'un corridor nordique.

La sénatrice Wallin : Je vous remercie de vos commentaires. Vous avez clairement expliqué de nombreux obstacles, et vous n'êtes pas le premier à souligner que vous dépensez des centaines de millions de dollars pour obtenir des approbations environnementales et pour négocier avec les propriétaires fonciers et les groupes autochtones. C'est une considération énorme pour quiconque souhaite s'acquitter de cette mission.

Notre témoin précédent, M. Emerson, a également soulevé un point. Il a soutenu qu'il serait très difficile de convaincre les investisseurs privés d'assumer les risques liés à ce type d'initiative, et encore moins pendant une aussi longue période, c'est-à-dire d'assumer les risques liés à des objectifs en matière de politique publique plutôt qu'à un projet précis, car ce dernier produirait des résultats et serait conçu pour générer des profits. Est-ce bien le cas?

M. Bloomer : Je crois que c'est une bonne observation. Lorsqu'on envisage de créer un corridor nordique, il faut réserver des terres et effectuer les travaux nécessaires pour acquérir ces terres, ce qui signifie qu'il faudra conclure divers accords avec les collectivités. C'est un processus très complexe, très dispendieux et très long. Les investisseurs privés ne souhaiteront pas investir dans un projet dont les avantages à long terme sont précaires ou indéterminés.

La sénatrice Wallin : Qu'en est-il de la question liée au fait que des gens décident d'aller de l'avant avec un projet, mais que le gouvernement décide qu'il doit le faire pour d'autres raisons... Encore une fois, dans ce cas, M. Emerson est essentiellement d'avis qu'il faut utiliser les corridors commerciaux déjà existants, afin d'être concurrentiels et de transporter les produits sur les marchés sur lesquels nous les vendons plutôt que d'adopter une approche sociale qui consiste à tenter de relier les collectivités du Nord ou les transmissions numériques. Mais que se passe-t-il en cas d'intentions divergentes?

M. Bloomer : Nous serions d'accord avec cela.

Le sénateur Wetston : On a beaucoup parlé du cadre réglementaire lié à la construction de pipelines. Nous avons entendu des opinions à cet égard et manifestement, il y a eu de récentes discussions et peut-être une certaine controverse à l'égard de certains enjeux réglementaires relativement aux approbations nécessaires pour les pipelines.

Avez-vous une idée des incitatifs appropriés qui pourraient être requis dans un cadre réglementaire pour veiller à ce que ces pipelines soient potentiellement construits, au besoin?

M. Bloomer : Dans le contexte d'un corridor ou en général?

Le sénateur Wetston : Je pense que des pipelines pourraient être construits le long d'un corridor, et je les vois donc de façon similaire, même si je reconnais que la notion d'un corridor est plus vaste que celle d'un corridor nordique, car il s'agit également d'un corridor national. Vous avez indiqué que 80 p. 100 de la population du Canada habite à environ 100 milles de la frontière américaine, et nous comprenons donc cette notion en général. Il est manifestement important de transporter les produits dans les endroits où se trouve la demande. C'est plutôt le cadre réglementaire qui a fait l'objet de certaines discussions.

M. Bloomer : D'accord. Nous ne dirions pas que le système réglementaire offre des incitatifs. L'industrie cherche à obtenir des précisions sur le système réglementaire et souhaite obtenir un processus qui permette de prendre une décision. Toutefois, un grand nombre d'éléments ont causé des problèmes dans le cadre du processus réglementaire lié à des pipelines de transport qui n'appartiennent pas vraiment aux sociétés de pipelines de transport.

Il ne s'agit pas nécessairement des incitatifs, mais plutôt du fonctionnement du système réglementaire, et il faut que les décisions et les processus soient clairs. Ensuite, nous serons en mesure de prendre des décisions commerciales dans ce cadre.

Le sénateur Wetston : Permettez-moi de vous donner un exemple de ce que je veux dire, si vous le voulez bien. Les décisions que les organismes de réglementation prennent au sujet de l'infrastructure et des taux de rendement des capitaux propres pour les sociétés de pipelines les incitent à en construire, parce que c'est l'investissement de capitaux privés qui permettra de construire des pipelines. Si les organismes de réglementation adoptent des taux incitatifs, ils peuvent favoriser l'investissement. C'est un outil que ces organismes utilisent depuis longtemps pour souligner l'importance de construire ce type d'infrastructure.

Y a-t-il de nouveaux incitatifs qui pourraient attirer les capitaux nécessaires pour la construction de ces projets?

M. Bloomer : Je pense qu'il y a tout un processus qui mène une entreprise à décider de construire un pipeline. Premièrement, il doit y avoir des engagements en termes de volume pour que l'entreprise puisse évaluer les besoins. Ensuite, il y a effectivement la structure des taux. Il y a les taux de rendement des capitaux qui stimulent le rendement économique.

Cette structure fonctionne. Les incitatifs en place aujourd'hui peuvent très bien disparaître demain, dans une certaine mesure, mais il peut tout de même être utile d'offrir des incitatifs pour stimuler des projets qui ne verraient peut-être pas le jour autrement, sur le marché, notamment s'il y a un besoin stratégique à long terme.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui, monsieur Bloomer. À titre de président de l'Association canadienne de pipelines d'énergie, vous devez avoir construit des milliers de kilomètres de pipelines. Vous avez mentionné à quel point il est important d'obtenir un engagement pluriannuel des groupes autochtones. Vous avez également mentionné qu'il faut préciser quelles sont les terres visées par un traité. Je me préoccupe des terres autochtones.

Pouvez-vous nous dire, selon votre expérience, quels avantages les Autochtones tirent des pipelines?

M. Bloomer : Eh bien, à l'heure actuelle, il y a des ententes économiques d'offres de services et d'entretien à long terme des pipelines. Il y a des droits de passage, entre autres, donc il y a des avantages. Au fur et à mesure que les choses évolueront, à tout le moins dans le contexte de l'examen de la réglementation, je pense qu'on verra apparaître d'autres façons d'assurer la participation des Premières Nations au cycle de vie des pipelines, pour qu'ils en bénéficient à long terme.

Il y a des choses comme de la formation, des contrats d'entretien, du développement, la participation à la construction du pipeline. Ce sont là des avantages qui se concrétisent dès aujourd'hui. À l'avenir, il y aura d'autres façons d'assurer des avantages à long terme aux Autochtones.

Le sénateur Enverga : D'une certaine façon, vous croyez qu'à long terme, ce corridor national profiterait aux peuples autochtones, n'est-ce pas?

M. Bloomer : Oui, mais cela dépend des ententes que le gouvernement négociera avec les Premières Nations pour l'acquisition de ce corridor national. S'il a des usages multiples, il pourrait y avoir d'autres avantages connexes. Tout dépend des négociations qui mèneront à l'établissement de ce corridor avec les Premières Nations.

Le président : J'ai quelques questions à poser. Je lis dans les journaux que si le projet Keystone XL va de l'avant — on est en train d'en autoriser la construction, et cela ne veut pas dire qu'il sera construit, mais s'il l'est —, nous n'aurions même pas assez de produits pour approvisionner l'oléoduc Énergie Est. Est-ce un fait avéré ou une fausseté?

M. Bloomer : Eh bien, je pense que la question est la suivante : avons-nous suffisamment de pipelines en ce moment, compte tenu des projets qui sont approuvés? Selon les statistiques et compte tenu des approbations de projets actuelles, puisque la construction de pipelines prend un certain nombre d'années, l'estimation de la production pétrolière est telle qu'ils répondront à la demande d'ici 2020. La production augmentera de 1,2 à 1,3 million de barils de pétrole par jour.

Les pipelines doivent avoir une certaine capacité d'exploitation, or s'ils ont une capacité de tant de milliers de barils par jour, ils ne transporteront pas cette quantité tous les jours. Il faut des périodes d'entretien. Il sera parfois arrêté et d'autres fois, il fonctionnera. Il faut donc une certaine capacité d'exploitation.

Je vous dirais qu'à court terme, la capacité des pipelines sera exploitée grâce à la production supplémentaire, mais du point de vue de l'industrie, ce n'est que le portrait de la situation à un moment en particulier. Dans une perspective de 10 ans, si l'on tient compte du temps qu'il faut pour qu'un projet de pipeline soit approuvé puis que celui-ci soit construit, il faut tenir compte des besoins à long terme. Ces nouveaux pipelines permettront de transporter la production supplémentaire, principalement des sables bitumineux, mais le bassin évolue. Nous voyons un potentiel formidable d'exploitation d'une ressource très abondante sur la frontière entre l'Alberta et la Colombie-Britannique, dans les formations de Montney et de Duvernay. Ce sont là des ressources de calibre international qui contiennent des centaines de Bpi3 de gaz et des millions de barils de GNL et de brut léger. D'ici 10 ans, grâce à l'avancement des technologies, ces bassins seront concurrentiels avec les bassins américains. Pour exploiter ces ressources, nous aurons besoin d'une plus grande capacité de pipelines pour les acheminer vers de nouveaux marchés.

Le projet Énergie Est s'inscrit dans une vision à long terme. Il poursuit son cours, mais le bassin de l'Ouest pourrait être très prometteur et procurer d'extraordinaires bénéfices économiques au Canada. Nous aurons besoin de nouveaux pipelines pour en profiter.

Le président : Si les politiciens avaient décidé il y a 50 ans de créer un corridor national jusque dans l'Est canadien, l'oléoduc Énergie Est serait-il déjà en construction?

M. Bloomer : Eh bien, n'oubliez pas que la plus grande partie de l'oléoduc Énergie Est est déjà construite et que ce projet vise à le prolonger vers l'est. Je ne peux pas deviner ce qui se serait passé ou non.

Le sénateur Day : Parmi les possibilités que vous deviez étudier, il y avait celle d'enfouir ou non le pipeline. Pourriez-vous nous parler un peu du bien-fondé ou non d'enfouir les pipelines plutôt que de les construire à la surface? Quelle est la tendance? Quel est l'avenir?

M. Bloomer : La grande majorité des pipelines au Canada sont enfouis. On voit souvent dans les journaux des photos de pipelines au-dessus du sol, et ce sont le plus souvent des photos du pipeline de la route de l'Alaska. Ce pipeline est construit au-dessus du sol parce qu'il traverse une zone de pergélisol et qu'il s'agit d'un oléoduc chauffé.

Au Canada, je dirais que pratiquement tous les pipelines, les grands pipelines de transmission, sont enfouis et que c'est la norme.

Le sénateur Day : Vous avez mentionné les bassins découverts récemment dans l'Ouest. Faudra-t-il avoir recours à la fracturation hydraulique pour les exploiter?

M. Bloomer : Oui. Ce sont des réservoirs de grès situés dans des puits horizontaux très en profondeur. Ce sont donc des puits exploités par fracturation hydraulique, oui.

Le sénateur Day : Nous avons entendu beaucoup d'information, il y a quelques années, au sujet des États-Unis, des divers bassins qu'ils ont découverts et de la façon dont la fracturation hydraulique a totalement changé la donne. Aurons-nous toujours besoin de ces pipelines de longue distance où y aura-t-il de la fracturation hydraulique là où l'on n'a pas découvert d'énormes bassins, mais où il pourrait y avoir assez de production locale grâce à la fracturation hydraulique?

M. Bloomer : Il y a actuellement de la fracturation hydraulique qui se fait dans la formation de Bakken, dans le sud-est de la Saskatchewan, ainsi que dans la formation de Cardium, en Alberta, qui sont exploitées. La production est transportée grâce aux pipelines existants. Partout où ce sera rentable de le faire, on le fera.

Le sénateur Day : Je me demande si cela aura une incidence sur la nécessité à long terme de certains pipelines, s'il peut y avoir de la production plus proche et qu'on peut se contenter d'un pipeline plus court.

M. Bloomer : Les ressources sont là où elles sont, et il est certain que la prochaine phase de développement énergétique dans l'Ouest canadien aura lieu dans ces réservoirs, qui longent la frontière entre la Colombie-Britannique et l'Alberta. On commence à peine à les exploiter. Il n'y a donc pas encore beaucoup d'infrastructures là-bas, mais on aura besoin de nouvelles infrastructures.

Le sénateur Day : Savez-vous s'il y a déjà eu des efforts réalisés où que ce soit au Canada pour créer un droit de passage qui n'est pas pleinement utilisé? Il peut avoir été utilisé pour la construction de voies ferrées, mais il serait assez large pour qu'on construise un pipeline à côté. Le travail serait donc déjà fait. On aurait consulté les groupes autochtones, ou les études d'impact sur l'environnement seraient déjà terminées. On pourrait donc économiser beaucoup de temps, d'énergie et d'argent si ce tracé sert déjà pour un autre service, quel qu'il soit, qu'il s'agisse d'une ligne de transmission pour le transport de pétrole ou les télécommunications.

Y a-t-il, à votre connaissance, de tels corridors qui existent, dont vous ou vos sociétés membres pourraient profiter dès maintenant pour s'épargner des années de démarches réglementaires?

M. Bloomer : Je dois dire qu'il n'y a rien de tel de très grande ampleur, à notre connaissance. Je pense qu'il y a déjà des droits de passage le long de certaines anciennes voies ferrées de courte distance, en Saskatchewan en particulier, mais si tel est le cas, cela n'élimine en rien les démarches réglementaires nécessaires pour pouvoir utiliser ces terres afin de construire de nouvelles infrastructures, particulièrement des pipelines. Il faudrait de toute façon suivre tout le processus réglementaire. Nous ne pourrions pas y échapper.

Le sénateur Day : Je présume que votre association souhaiterait que le projet d'oléoduc Énergie Est se concrétise?

M. Bloomer : Qu'il se concrétise? C'est vraiment une décision qui relève de TransCanada. Tout ce qui en ressortira, tout ce qui sera construit dans le cadre de ce projet le sera de la façon la plus sûre possible, et il sera exploité de la façon la plus sûre possible. S'il sert un marché doté des outils économiques nécessaires, il sera servi de manière sécuritaire et sera géré adéquatement pendant tout le cycle de vie du pipeline.

Le sénateur Day : À supposer que tout ce que vous venez de décrire soit positif, combien d'années faudrait-il, selon vous, pour que l'oléoduc Énergie Est se rende jusqu'à Saint John, au Nouveau-Brunswick?

M. Bloomer : Je n'ai pas vraiment de boule de cristal, mais je dirais que cela prendra quelques années.

Le sénateur Day : Voulez-vous dire trois ans, dix ans?

M. Bloomer : Je pense que selon le processus prévu pour l'examen de l'ONE, la décision se prendrait quelque part autour de 2025, après quoi il faudrait le construire. Ce n'est pas pour demain.

Le sénateur Day : Voici ma dernière question sur le projet Énergie Est : les promoteurs ont dû recommencer le processus au complet en raison d'un conflit ou d'une apparence de conflit d'intérêts ou d'un potentiel de conflit d'intérêts. Qui paie pour tous ces coûts?

On parle là de millions de dollars en démarches réglementaires. L'organisme de réglementation a eu un conflit d'intérêts. Certains de ses membres décisionnaires n'auraient pas dû participer à la décision concernant ce projet. Mais est-ce que c'est seulement l'industrie qui doit en absorber les coûts ou y aura-t-il une quelconque forme d'indemnisation?

Le sénateur Massicotte : Je pense que la Nouvelle-Écosse devrait payer pour cela.

M. Bloomer : Il n'y a pas d'indemnisation prévue. C'est l'industrie qui absorbe ces coûts. Elle les absorbe par les cotisations versées à l'ONE et les coûts associés aux démarches. Il y a aussi toutes les sommes investies par les promoteurs en ingénierie, ainsi que les coûts associés à la demande présentée à l'ONE, aux consultations et à tout ce qui entoure ce genre de projet. C'est vraiment le promoteur qui les absorbe. Mais l'industrie finance aussi l'ONE, par le versement de cotisations.

Le président : Y a-t-il d'autres questions? Sinon, monsieur Bloomer, je vous remercie beaucoup de votre témoignage d'aujourd'hui.

M. Bloomer : Merci.

Le président : Je vous remercie d'avoir accepté de comparaître devant nous. C'était très agréable. Merci beaucoup.

M. Bloomer : C'était un plaisir pour moi aussi. Je vous remercie beaucoup de m'en avoir fourni l'occasion.

Le président : La séance est levée.

(La séance est levée.)

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