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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 30 - Témoignages du 6 décembre 2017


OTTAWA, le mercredi 6 décembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence, se réunit aujourd’hui, à 16 h 18, en séance publique, pour étudier le projet de loi, puis à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. J’aimerais souhaiter la bienvenue à mes collègues. Sénateur Dagenais, bienvenue au comité. J’aimerais également souhaiter la bienvenue à nos invités. Nous avons hâte d’entendre vos exposés. Nous souhaitons également la bienvenue à tous les membres du public qui regardent notre réunion aujourd’hui.

Je m’appelle Doug Black, et je suis président du comité.

Le 28 septembre 2016, le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique a présenté le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence à la Chambre des communes.

Le projet de loi, tel qu’amendé et adopté à la Chambre des communes, a été lu pour la deuxième fois au Sénat et renvoyé à notre comité le 23 novembre 2017.

La semaine dernière, l’honorable Navdeep Bains, C.P., député, ministre de l’Innovation des Sciences et du Développement économique, a comparu devant le comité en compagnie de ses fonctionnaires.

Je suis heureux d’accueillir nos témoins d’aujourd’hui. Tout d’abord, Catalyst Canada est représenté par Ashley Mac Isaac-Butler, directrice, Women On Board and Government Affairs. Nous accueillons également Sarah Kaplan, directrice de l’Institute for Gender and the Economy. Enfin, nous avons Jon Allen, directeur, et Denis Meunier, membre, Beneficial Ownership Working Group, Transparency International Canada.

Avant d’entendre les témoins, j’aimerais présenter les membres du comité, afin que vous sachiez avec qui vous parlez aujourd’hui.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.

Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.

Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Downe : Percy Downe, de Charlottetown.

Le président : Excellent.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur le président, c’est bien de vous voir occuper le fauteuil. Vous voyez ce qui arrive à une personne lorsqu’elle n’occupe plus le fauteuil. On ne lui donne même plus d’étiquette de nom.

Le président : Je ne crois pas que c’était intentionnel.

Nous entendrons d’abord le témoin de Catalyst Canada.

Ashley Mac Isaac-Butler, directrice, Women On Board and Government Affairs, Catalyst Canada Inc. : Merci, monsieur le président et membres du comité. C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui. C’est comme si je bouclais la boucle, car j’ai commencé ma carrière dans cet édifice, comme employée du Sénat.

Aujourd’hui, je représente Catalyst Canada. Notre objectif est d’aider les organisations à l’échelle mondiale à bâtir des milieux de travail où les femmes et les hommes de tous les milieux ont les mêmes chances de réussir. Aujourd’hui, je parlerai surtout de nos collaborations avec les organisations en vue de combler l’écart entre les hommes et les femmes en matière de leadership, de salaires et de possibilités de carrière à l’échelle mondiale.

Permettez-moi d’abord de faire valoir un point très simple. Ce qui est bon pour les femmes est également bon pour les affaires. En effet, l’égalité entre les hommes et les femmes au sein des conseils d’administration n’est pas seulement une question de justice et d’équité. C’est une question directement liée à la capacité du Canada de prospérer et de faire face à la concurrence dans l’économie mondiale. Notre compétitivité à long terme repose essentiellement sur la capacité des entreprises canadiennes à exploiter les divers talents qu’elle a à sa disposition, à commencer par ceux des femmes, et l’atteinte de l’équilibre entre les sexes au sein des conseils d’administration et dans les rangs de la haute direction est largement reconnue comme un impératif économique mondial.

Diverses études menées par Catalyst et d’autres organismes ont montré que la présence de femmes dans les conseils d’administration et à la haute direction des entreprises contribue, en moyenne, à améliorer les résultats financiers généraux des organisations, leur permet de mieux servir leurs clients et encourage l’innovation.

Il faut reconnaître que le débat sur la présence des femmes dans les conseils d’administration au Canada a amorcé un virage intéressant au cours des dernières années; en effet, on ne se demande plus pourquoi nous le ferions, mais comment y arriver. De plus, la modification des règlements en application de la Loi sur les valeurs mobilières avec l’introduction de la règle « se confirmer ou s’expliquer » et la présentation du projet de loi dont nous discutons ici aujourd’hui, représentent un progrès positif et encourageant.

Pourtant, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre l’objectif ultime, à savoir la parité. Malheureusement, les changements se font beaucoup trop attendre. Par exemple, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié récemment un rapport sur la règle « se conformer ou s’expliquer », et ce rapport révèle que la représentation des femmes dans les conseils d’administration et dans les postes de haute direction avait peu ou n’avait pas progressé. Dans le rapport, on observe que seulement 14 p. 100 des postes dans les conseils d’administration d’entreprises inscrites à la TSX sont détenus par des femmes et que seulement 35 p. 100 des entreprises ont adopté des politiques écrites visant à améliorer la diversité dans les conseils d’administration. De plus, Osler LLP, dans son rapport annuel intitulé Rapport sur les pratiques de divulgation en matière de diversité, indique que les hommes détiennent toujours 85 p. 100 des postes de direction au Canada. Visiblement, il y a encore du travail à faire.

Si l’on cherche à savoir « comment » offrir davantage de postes de direction aux femmes, il faut tout d’abord déterminer quels sont les instruments qui seront les plus efficaces pour apporter le changement. De nombreux efforts sont déployés partout dans le monde, de l’imposition de quotas prescrits par la loi aux mesures réglementaires obligeant les sociétés à appliquer volontairement des promesses ou des cibles. Dans notre récent rapport intitulé La diversité des sexes au sein des conseils d’administration au Canada : Recommandations visant à accélérer les progrès, rapport commandé par le gouvernement de l’Ontario, nous examinons les diverses approches et leur efficacité.

En fin de compte, Catalyst estime qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’accélérer l’accession des femmes aux conseils d’administration. L’important, c’est de préciser les intentions et de prendre des engagements en vue d’établir des objectifs et d’encourager le changement. C’est pourquoi, dans le même rapport que je viens tout juste de citer, nous formulons plusieurs recommandations en vue d’accélérer le changement. Ainsi, nous recommandons entre autres que les émetteurs inscrits à la TSX établissent d’ici 2017 des cibles de l’ordre de 30 p. 100 en ce qui concerne les femmes dans les conseils d’administration, qu’ils atteignent ces cibles d’ici trois à cinq ans, qu’ils aient recours à au moins un mécanisme pour faciliter le renouvellement de leur conseil d’administration et qu’ils établissent une politique écrite en vue d’augmenter la représentation des femmes au sein des conseils d’administration. Nous recommandons aussi que les gouvernements renforcent et encouragent l’établissement de cibles, de mécanismes de renouvellement et de politiques écrites, qu’ils fassent le suivi des progrès et leur divulgation, et qu’ils établissent une cible minimale de 40 p. 100 de femmes au sein de leurs propres organismes, conseils d’administration, commissions et sociétés d’État. Par ailleurs, nous recommandons d’envisager d’adopter des approches législatives ou réglementaires plus contraignantes si les progrès sont insuffisants, particulièrement en ce qui concerne la cible de 30 p. 100.

Les politiques gouvernementales exigeant que les sociétés dévoilent les types d’actions qu’elles entreprennent relativement à la diversité dans leurs conseils d’administration, et qu’elles expliquent pourquoi elles n’ont pas de politiques à cet effet, contraignent ces sociétés à analyser la situation. Elles peuvent aussi indiquer des pratiques exemplaires que les autres organisations peuvent mettre en œuvre.

Au bout du compte, les moyens d’accroître la représentativité des femmes peuvent varier, mais l’important est d’agir, et de le faire sans plus tarder. Tant que les femmes n’auront pas atteint la parité dans les fonctions de direction au Canada, elles seront marginalisées dans tous les autres secteurs. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup.

Nous entendrons maintenant le témoin de l’Institute for Gender and the Economy.

[Français]

Sarah Kaplan, directrice, Institute for Gender and the Economy : Bonjour. Je remercie le comité de m’avoir invitée aujourd’hui.

[Traduction]

C’est un honneur de comparaître devant votre comité pour formuler des commentaires sur le projet de loi C-25, en particulier en ce qui a trait à la diversité au sein des conseils d’administration et des équipes de direction. Je suis professeure et directrice à l’Institute for Gender and the Economy, à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto. Dans le cadre de ces fonctions, j’encourage l’utilisation de recherches universitaires rigoureuses pour éclairer les politiques et les pratiques, ce qui est particulièrement important dans le domaine de la diversité et de l’égalité entre les sexes, où de nombreuses croyances communes et répandues non appuyées par des données peuvent entraver les progrès à cet égard.

L’objectif des dispositions sur la diversité contenues dans le projet de loi C-25 est d’accroître la représentation des femmes et des membres d’autres groupes sous-représentés dans les fonctions de direction. Il y a deux façons d’atteindre ces objectifs sur les plans législatif et réglementaire. La première façon consiste à imposer des quotas, et la deuxième, à établir des exigences réglementaires de divulgation. Le projet de loi C-25 et son précurseur à la CVMO ont adopté la deuxième façon.

L’hypothèse de travail qui sous-tend l’approche « se conformer ou s’expliquer », c’est que la divulgation de statistiques sur la diversité sera suffisante pour motiver les entreprises à devenir inclusives.

Contrairement à la première fois où le projet de loi C-25 a été proposé, nous pouvons maintenant compter, à la fin de 2017, sur trois ans de données probantes pour déterminer si cette hypothèse a été prouvée. La réponse, c’est qu’elle n’a pas été prouvée. En effet, le premier examen mené par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières à la fin de 2015 a révélé que les femmes détenaient 11 p. 100 du nombre total de sièges dans les conseils d’administration. Deux ans plus tard, cette proportion était de 14 p. 100. Nous devrions viser une proportion de l’ordre de 40 p. 100, car c’est ce que nous pouvons observer dans des pays comme l’Islande, la Norvège et la France.

Où pouvons-nous observer cette proportion de 40 p. 100 au Canada? Eh bien, presque 40 p. 100 des sociétés au Canada n’ont toujours pas de femmes dans leur conseil d’administration. En ce qui concerne les pratiques qui encouragent la diversité, seulement 35 p. 100 des entreprises indiquent avoir une politique écrite sur la diversité et seulement 11 p. 100 des sociétés ont des objectifs en matière de diversité.

Il est navrant de constater que sur 505 postes à pourvoir au sein des conseils d’administration l’an dernier, 74 p. 100 l’ont été par des hommes. À ce rythme, nous n’atteindrons pas la parité avant des décennies. Si, comme on l’a suggéré lors de votre audience de la semaine dernière, le remplacement est la mesure du progrès, nous n’avons pas accompli grand-chose.

Face à ces données, on peut se demander si le projet de loi actuel atteindra ses objectifs. En effet, dans de nombreuses recherches en sciences sociales, on a pu observer l’effet considérable des préjugés incrustés non seulement dans nos têtes, mais également dans nos systèmes, nos processus et nos structures. Ces préjugés se traduisent par l’hypothèse fautive selon laquelle les femmes qualifiées n’existent pas ou que le déséquilibre actuel que nous observons est le résultat de processus fondés sur le mérite.

Si l’on souhaite qu’une loi réussisse à modifier ces dynamiques, elle doit être tout aussi puissante. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de pays imposent des quotas qui entraînent des conséquences importantes pour les entités qui n’atteignent pas les cibles établies, par exemple, de lourdes amendes, l’invalidation des nouvelles nominations au conseil d’administration, la retenue de la compensation du conseil d’administration, l’inadmissibilité aux contrats du gouvernement ou la dissolution de l’entreprise.

Étant donné que le projet de loi C-25 n’envisage pas l’imposition de quotas, j’aimerais suggérer trois domaines dans lesquels le projet de loi pourrait être renforcé, afin d’accroître la probabilité qu’il aide les entreprises canadiennes à atteindre une représentation plus appropriée des femmes et des groupes sous-représentés. Mais auparavant, permettez-moi de souligner qu’à titre d’immigrant américain au Canada, je suis d’avis que le gouvernement canadien a l’occasion de devenir un leader mondial en matière d’inclusion et de représentation. En effet, dans la situation mondiale actuelle, le Canada peut devenir un modèle de justice sociale, et j’espère que nous pourrons saisir toutes les occasions de le faire.

Tout d’abord, le projet de loi est généralement avant-gardiste, car il tient compte d’autres formes de diversité que le sexe. Il s’agit encore une fois d’une occasion, pour le Canada, de devenir un chef de file. Ce détail supplémentaire est important, car selon les recherches, de nombreuses initiatives en matière de diversité ont tendance à profiter aux femmes blanches tout en laissant de côté d’autres groupes sous-représentés.

Dans leur forme actuelle, le projet de loi et les règlements ne définissent pas la diversité. Ce manque de précision risque d’encourager les entreprises à utiliser une définition trop large qui ne permettra pas d’atteindre les objectifs visés en matière de représentation.

Même si la Commission des valeurs mobilières des États-Unis exige que les sociétés cotées en bourse indiquent si elles ont tenu compte de la diversité dans le processus de nomination de leurs directeurs, la majorité des sociétés utilisent des définitions générales axées sur l’expérience ou les compétences des candidats, ce qui justifie ensuite l’absence de personnes de groupes sous-représentés au sein des candidats retenus.

C’est le défi qui se pose dans le « cadre de marché » suggéré par le ministre Bains dans le témoignage qu’il a livré la semaine dernière devant votre comité, et dans lequel il s’est concentré sur la « diversité dans les pensées, les points de vue et les idées ». Par conséquent, je recommande d’inclure une définition précise de la diversité qui proviendra probablement de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, plutôt que d’ajouter seulement une ligne directrice.

Deuxièmement, dans sa forme actuelle, le projet de loi exige seulement que les entreprises précisent si elles ont des cibles ou non. Je crains que cette approche sur une base volontaire ne nous permette pas de dépasser la proportion de 11 p. 100 d’entreprises qui ont des cibles. Je crois qu’il serait plus utile d’ajouter une exigence selon laquelle les entreprises doivent établir des cibles et les indiquer, plutôt que d’expliquer pourquoi elles ne l’ont pas fait.

Les cibles sont précieuses, car elles fournissent aux citoyens et aux actionnaires un moyen d’exiger des comptes de la part des entreprises. Elles sont aussi précieuses parce qu’elles aident les entreprises à atteindre une masse critique de femmes au sein des conseils d’administration, afin que leur présence ne soit pas seulement symbolique, car les recherches démontrent que cela réduit leur efficacité.

Troisièmement, je suggère d’adopter un mécanisme de production de rapports distinct ou supplémentaire, plutôt que de se contenter d’exiger que l’information soit indiquée dans la circulaire de procuration de l’entreprise. L’approche « se conformer ou s’expliquer » repose sur les comparaisons entre les pairs et la pression exercée par les actionnaires en vue d’améliorer la représentation au sein des conseils d’administration. Toutefois, il est très difficile d’atteindre cet objectif lorsque l’information exigée peut être indiquée n’importe où et sous n’importe quel format dans une longue circulaire de procuration.

Pour recueillir des informations sur les différentes entreprises, une personne doit lire chaque circulaire individuellement, chercher ces données et les regrouper ensuite dans un rapport. Toutefois, si ces informations étaient indiquées par les entreprises dans un formulaire web distinct ou un format de ce genre, les données pourraient être facilement compilées et divulguées à tous les Canadiens sur une base annuelle. Ainsi, on pourrait facilement attribuer un rang à chaque entreprise et suivre ses progrès au fil du temps. Les mécanismes de type « se conformer ou s’expliquer » sont affaiblis de façon importante si les données comparatives ne sont pas facilement accessibles aux actionnaires et à tous les Canadiens.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions ou pour poursuivre la conversation entamée la semaine dernière sur l’analyse de rentabilisation de la diversité, les conséquences de la méritocratie ou d’autres sujets. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, madame Kaplan.

Jon Allen, directeur, Transparency International Canada : Bonjour, monsieur le président et membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de participer à l’audience d’aujourd’hui. Je suis accompagné de M. Denis Meunier, un membre de Transparency International Canada et ancien cadre supérieur de l’ARC et du CANAFE.

TI Canada est membre de la principale organisation non gouvernementale anticorruption à l’échelle mondiale. Cette organisation compte plus de 100 sections locales à l’échelle mondiale et un secrétariat international situé à Berlin. TI Canada est à l’avant-plan de notre programme national en matière d’anticorruption et de transparence.

Comme le temps est limité, j’aimerais immédiatement aborder les recommandations de TI Canada à l’égard du projet de loi C-25.

Même si TI Canada accueille favorablement les mesures proposées par le projet de loi C-25 pour éliminer la détention anonyme d’émissions au porteur, notre principale préoccupation est liée à l’omission d’inclure, dans l’ébauche du projet de loi, un registre public des bénéficiaires effectifs des entreprises constituées en société au Canada. Au bout du compte, comme il est souligné dans un récent rapport de TI Canada intitulé No Reason to Hide :Unmasking the Anonymous Owners of Canadian Companies, dont des exemplaires ont été remis à la greffière, on exige maintenant un processus de vérification de l’identité plus rigoureux pour les demandeurs de cartes de bibliothèque de Toronto ou d’Ottawa que pour les fondateurs d’entreprises au Canada.

Ce que cela signifie, c’est que lorsqu’on fonde une entreprise privée au Canada, on n’est pas tenu d’indiquer le ou les propriétaires bénéficiaires de l’entreprise ou le pourcentage de l’entreprise contrôlé par les propriétaires. En effet, les registres des sociétés ne vérifient pas l’identité des personnes indiquées dans l’entreprise, et la plupart d’entre eux n’exigent même pas de renseignements sur les actionnaires, et encore moins sur les propriétaires bénéficiaires.

Pourquoi cette lacune est-elle importante? Parce que les individus qui s’adonnent à des activités tels le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, l’évasion fiscale et la distorsion des marchés immobiliers dans des villes comme Toronto et Vancouver se servent de ce type d’entreprises pour mener des activités illégales ou fortement douteuses.

Sans accès aux renseignements sur la propriété effective, c’est-à-dire des renseignements vérifiés sur l’identité du ou des propriétaires de l’entité en question, les organismes d’application de la loi canadiens, l’ARC et d’autres autorités locales et provinciales ont une capacité fortement limitée lorsqu’il s’agit de repérer de telles activités nuisibles et d’intervenir.

Nous faisons ces recommandations dans un contexte où il y a une montée du populisme, où la classe moyenne subit des pressions financières de plus en plus grandes, où l’inégalité des revenus augmente et où il y a eu des révélations récemment comme les Panama et les Paradise Papers et des événements comme la commission Charbonneau. Ces révélations et événements montrent de quelle façon des entreprises anonymes, entre autres, contournent le système en pratiquant l’évasion fiscale et en recyclant des produits de la criminalité et de la corruption.

Partout dans le monde, les gouvernements sont conscients des menaces que présentent les personnes morales sous-réglementées. En 2014, le G20, dont le Canada est membre, a publié ses principes de haut niveau relatifs à la propriété effective, et dans ce cadre, des pays, dont le Canada, se sont engagés à améliorer la transparence concernant la propriété effective.

En 2016, la Commission européenne a demandé à ses 28 pays membres de recueillir de l’information précise sur la propriété effective et de créer un registre central auquel peuvent accéder, au minimum, les autorités et les institutions financières compétentes, de même que les acteurs qui peuvent avoir un intérêt légitime à y accéder. La commission est en train d’examiner une nouvelle ébauche de directive qui exigerait que de tels registres deviennent accessibles au public. Le Royaume-Uni a déjà adopté de telles mesures législatives et de nouvelles règles de divulgation, et d’autres pays, comme le Danemark, la France et les Pays-Bas ont emboîté le pas. À mesure que le nombre de pays comme ceux-là, qui érigent des barrières contre la criminalité et la corruption, augmente, ceux qui cherchent à déjouer le système se tourneront vers des pays dont les normes sont moins rigoureuses.

Comment le Canada s’en tire-t-il sur ce plan? Selon une récente analyse de TI Canada, son bilan est soit faible, soit très faible pour sept principes relatifs à la propriété effective énoncés par le G20 sur dix.

Le ministère des Finances du Canada s’est penché sur les risques inhérents que pose le blanchiment d’argent et a constaté que les banques et sociétés nationales, en particulier les sociétés privées à but lucratif et certains types d’entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables étaient considérés comme très à risque; les sociétés risquent davantage d’être utilisées pour cacher les propriétaires bénéficiaires.

En septembre 2016, le Groupe d’action financière a publié une évaluation très critique du régime du secret du Canada. Le groupe a exhorté le gouvernement à rendre l’information sur la propriété bénéficiaire accessible de manière prioritaire.

Ces rapports montrent que les entreprises canadiennes risquent particulièrement d’être utilisées comme vecteurs pour des activités criminelles et l’évasion fiscale. Les propriétaires bénéficiaires peuvent préserver leur anonymat — leur identité peut être cachée même aux organismes gouvernementaux chargés d’appliquer les lois et les règlements. En fait, des consultants financiers à l’étranger ont une expression pour désigner l’évasion fiscale et le détournement de fonds illicites au Canada, soit snow washing. Cela entache la réputation du Canada de bon citoyen du monde.

Le président : Monsieur Allen, pourriez-vous conclure, s’il vous plaît?

M. Allen : Certainement

Par conséquent, en priorité, TI Canada recommande que le gouvernement du Canada oblige toutes les entreprises du pays à révéler l’identité de leurs propriétaires bénéficiaires. Le gouvernement devrait alors publier l’information sous forme de données ouvertes dans un registre central accessible au public.

Le gouvernement fédéral devrait agir en chef de file dans la mise en œuvre de ces recommandations tout en collaborant avec les provinces et les territoires pour l’élaboration de mesures législatives.

Je vous remercie de m’avoir écouté. Nous serons ravis de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Allen.

La liste de sénateurs qui ont des questions est longue. C’est le parrain du projet de loi, le sénateur Wetston, qui commence.

Le sénateur Wetston : Nous avons des témoins très talentueux.

Concernant les quotas, les cibles et la règle « se conformer ou s’expliquer », je vais d’abord m’adresser à Mme Kaplan. Vous avez fait beaucoup de recherches, et j’ai lu beaucoup d’études sur le sujet. De nombreux documents sont produits par divers groupes de spécialistes et universités. Que ce soit en Europe, aux États-Unis ou au Canada, toute politique proposée doit être adaptée au pays visé. Le contexte est très important. Par conséquent, on peut bien dire que des quotas sont imposés en Norvège, mais le Canada n’est pas la Norvège. On peut bien expliquer ce que fait et divulgue la Commission des valeurs mobilières des États-Unis, mais le Canada, ce n’est pas les États-Unis. Je comprends votre approche, et vos observations sur l’approche adoptée dans le cadre du projet de loi sont importantes. J’aimerais que vous me donniez le contexte. Il doit exister une façon pour vous d’expliquer votre recommandation dans un contexte canadien, et non seulement par rapport à ce qui se fait dans d’autres pays.

Mme Kaplan : Oui. Chaque pays doit adopter son approche. La comparaison est importante. Par exemple, lors de sa comparution de la semaine dernière, le ministre Bains a fait une comparaison entre les progrès réalisés et ce qui se passait en Australie et au Royaume-Uni, et cette comparaison est utilisée pour discuter du projet de loi.

Ce qui distingue le Canada, et je le dis en tant qu’immigrante et en tant que personne qui aime beaucoup le pays, c’est l’engagement de cette société à l’égard de la diversité, qui est plus profond que peut-être dans bien d’autres pays. Dans le contexte canadien, il est très important de réfléchir à la façon de respecter cet engagement.

S’il fallait concevoir une politique de façon différente, on pourrait proposer l’imposition de quotas, mais dans le contexte du projet de loi C-25, qui ne prévoit pas de quotas, la meilleure solution si l’on veut que les choses se passent rapidement, consiste à obliger les organismes à fixer des cibles. À l’heure actuelle, les entreprises peuvent simplement expliquer pourquoi elles n’ont pas fixé de cibles, ce qui explique pourquoi seulement 11 p. 100 d’entre elles le font.

Ce qui est quantifié se réalise. Dans l’esprit de la loi, du projet de loi proposé, cela amènerait les entreprises à se comparer. Il serait également important de les comparer sur le plan des cibles qu’elles se fixent, et il y aurait en quelque sorte un juste milieu entre l’imposition de quotas et l’approche plus ouverte envisagée dans le projet de loi jusqu’à maintenant.

Le sénateur Wetston : Madame Mac Isaac-Butler, je connais très bien Catalyst, un organisme avec lequel j’ai déjà collaboré étroitement. Le projet de loi ne porte pas sur l’équité entre les sexes ou la diversité des sexes; il porte sur la diversité, et a donc une portée plus large, ce que vous avez indiqué. Concernant la cible de 30 p. 100 dont vous parlez, par exemple — ou toute cible qu’une société ou une entreprise se fixeraient —, quel est votre point de vue sur les cibles portant sur la diversité par rapport à certaines de vos observations qui étaient axées sur la représentation des femmes, et comment en tenez-vous compte pour ce qui est des cibles?

Mme Mac Isaac-Butler : À notre avis, il existe plusieurs approches concernant la parité des sexes. Dans les conseils d’administration des entreprises, l’imposition de quotas est sans aucun doute le moyen le plus rapide, mais la définition de cibles peut aussi être une mesure efficace.

Au Canada, les organismes qui fixent des cibles obtiennent des résultats. Je peux vous donner l’exemple des banques canadiennes. Elles fixent des cibles et rendent des comptes à cet égard. De nos jours, dans toutes les banques canadiennes, au moins 30 p. 100 des membres du conseil d’administration sont des femmes, et dans certains cas, la proportion s’élève à 41 p. 100.

Le sénateur Wetston : Vous n’avez pas répondu à ma question sur la diversité. Vous avez parlé de la représentation des femmes, et j’ai élargi la question pour inclure d’autres aspects. Avez-vous une approche sur ce plan, madame Kaplan?

Mme Kaplan : Nous voulons parfois regrouper la question de l’égalité entre les sexes avec d’autres mesures sur la diversité, mais il est important de faire une distinction. Tout d’abord, les femmes représentent 50 p. 100 de la population et près de 50 p. 100 de la population active. C’est différent lorsque nous parlons des autres groupes sous-représentés visés par la Loi sur l’équité en matière d’emploi, où les minorités visibles représentent 18 p. 100 de la population, les personnes handicapées, 14 p. 100 de la population et les Autochtones, 5 p. 100. Il est plus difficile de savoir exactement comment établir des cibles lorsqu’il s’agit de ces plus petites proportions que représentent ces personnes, contrairement aux femmes, qui représentent la moitié de la population. Je suis d’accord avec vous. Nous devons concevoir ces deux populations différemment.

Il n’existe pas de références ailleurs dans le monde quant à la façon de procéder. Le Canada serait le premier pays à le faire. Je crois que c’est une très bonne chose que le Canada est le premier à agir sur ce plan, mais on pourrait dire qu’on veut cibler une représentation qui se rapproche de celle dans la population. Il s’agit d’établir une cible ou de décider de définir ces populations dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi — on pourrait vouloir élargir la définition pour inclure la communauté LGBTQ —, ainsi que de dire que l’objectif, c’est de se rapprocher de la représentation.

Le sénateur Wetston : Voulez-vous dire quelque chose?

Mme Mac Isaac-Butler : Du point de vue de Catalyst, la diversité est un concept très large. Notre priorité, c’est que toutes les femmes aient un accès équitable.

Le sénateur Wetston : La question que vous soulevez est importante. La question de la propriété effective est importante. Il y a eu des discussions là-dessus, mais vous demandez davantage, soit une solution législative. Ma question porte sur votre façon de présenter les choses. J’admets que c’est important. Nous voulons tous lutter contre la criminalité économique et le crime organisé. Nous voulons régler ces problèmes, et c’est important, de sorte que je ne suis pas en désaccord avec vous. Or, il ne s’agit pas d’une modification simple, n’est-ce pas? C’est beaucoup plus complexe que de dire : « Créez un registre et, en passant, identifiez ces personnes et assurez-vous que les propriétaires sont identifiés. » C’est plus compliqué que cela, non?

M. Allen : C’est peut-être plus compliqué, mais les Britanniques l’ont déjà fait. Ils ont créé un registre. Au Canada, c’est compliqué parce qu’il y a le gouvernement fédéral et les provinces, mais le gouvernement fédéral pourrait certainement prendre l’initiative. C’est ce que nous recommandons.

Je crois également que, compte tenu des recettes fiscales qui sont perdues à cause du blanchiment d’argent et de l’évasion fiscale, le gouvernement fédéral et les provinces devraient souhaiter vivement le faire. Si le gouvernement fédéral proposait des mesures législatives modèles ou qu’il utilisait ses pouvoirs, il pourrait être en mesure de procéder très rapidement. Je le souhaiterais. Je souhaiterais, premièrement, qu’il soit d’accord avec nous, et deuxièmement, qu’il trouve un moyen. Nous sommes enchantés de fournir des exemples de la façon dont les Britanniques et d’autres pays ont procédé, mais je crois que le ministère des Finances examine la question.

Le sénateur Wetston : Je veux dire brièvement aussi que je ne dis pas que ce n’est pas important. Je dis que cela nécessite une étude sérieuse, car si l’on s’oriente dans cette voie, en raison de la nature de notre pays et de la grande fragmentation, il faut bien réfléchir à la façon dont cela pourrait être mis en place, si le gouvernement est disposé à le faire.

Le sénateur Tkachuk : Les femmes sont très dynamiques sur le plan du démarrage d’entreprises et, en fait, occupent une place majoritaire à cet égard ces dernières années. Est-ce que des études indiquent qu’elles sont aussi dynamiques pour ce qui est de devenir actionnaires de sociétés ouvertes?

Mme Kaplan : Voulez-vous dire en tant qu’investisseuses?

Le sénateur Tkachuk : Oui. Si l’on veut être membre du conseil d’administration, il faut être investisseur.

Mme Kaplan : Les membres d’un conseil d’administration n’ont pas tous investi dans l’entreprise avant d’être choisis comme membres du conseil. Je ne crois pas qu’il y a nécessairement une corrélation directe.

Nous savons que les femmes ont beaucoup de richesses et vont hériter bientôt de beaucoup de richesses, surtout à mesure que la génération des baby-boomers partira. En fait, la plupart des banques cherchent avec obsession à déterminer comment parler aux investisseuses, précisément pour cette raison. Pendant longtemps, des banques et d’autres fournisseurs de services d’investissement ne portaient pas attention aux investisseuses.

J’ignore si nous pouvons dire que les femmes sont plus dynamiques ou non à cet égard, mais cela ne signifie pas qu’elles n’ont pas les compétences qu’il faut pour faire partie d’un conseil d’administration.

Le sénateur Tkachuk : Je n’ai pas posé cette question. Ce que je voulais savoir, c’est si elles sont aussi dynamiques dans ce marché, car de toute évidence, le milieu des affaires les intéresse puisqu’elles démarrent de petites entreprises et qu’elles réussissent très bien. Je voulais seulement voir si elles souhaitaient également devenir actionnaires.

Mme Kaplan : Absolument.

Le sénateur Tkachuk : Le ministre a parlé des études qui ont été menées, et lorsque des femmes ont été nommées à des conseils d’administration, tout à coup, les profits ont augmenté, et cetera. J’aimerais que vous nommiez certaines des entreprises dans lesquelles cela s’est produit. De plus quels étaient les chiffres? À quel moment les études ont-elles été effectuées? Quand les gens ont-ils été nommés, et quelles entreprises ont augmenté leur rendement?

Mme Mac Isaac-Butler : Je n’ai pas ces données sous la main.

Mme Kaplan : Tout d’abord, sauf le respect que j’ai pour ma collègue de chez Catalyst, je dirais que dans les années 2000, Catalyst a mené une étude qui a révélé une corrélation entre le rendement et le fait d’avoir plus de trois femmes au sein d’un conseil d’administration. Cependant, les études universitaires qui se sont penchées sur la question — je crois que vous en avez parlé lors de votre audience de la semaine dernière — n’ont montré aucun lien statistiquement significatif entre le rendement organisationnel et le nombre de femmes siégeant au conseil d’administration. Je dirais que cela va dans les deux sens. Ce n’est pas mieux, mais ce n’est pas pire non plus.

Le sénateur Tkachuk : Ce n’est pas pire; je suis d’accord avec vous.

Mme Kaplan : Par conséquent, je ne sais pas trop si cet argument est valable. En fait, ces chiffres ont souvent été interprétés de manière à ce que, si on ne peut pas faire mieux que le statu quo, leur présence n’est pas requise. Selon moi, s’il n’y a pas de différence, on ne devrait pas avoir d’excuses pour les exclure. N’empêche que d’après les études universitaires, on s’accorde pour dire qu’il n’y a pas de gains financiers. Il y a peut-être une légère augmentation des revenus ou des profits, mais pas au niveau du rendement du marché.

Le sénateur Tkachuk : Je veux que vous sachiez que je suis d’accord avec vous, et j’aimerais qu’on fixe des objectifs afin de parvenir à une plus grande égalité entre les sexes, mais aussi qu’on trouve le moyen d’avoir des conseils d’administration plus diversifiés. C’est une tâche difficile. J’ai écouté ce que le ministre avait à dire, et j’ai lu d’autres choses qui disaient le contraire, alors je ne crois pas que ce soit un bon argument à invoquer. Pourquoi ne pas nous dire franchement ce que vous voulez?

La sénatrice Wallin : Comme l’ont indiqué mes collègues, le modèle qui consiste à « se conformer ou s’expliquer » a donné différents résultats selon le secteur, le pays et la culture. Encore une fois, je considère que le contexte est important.

Si on a cet examen dans cinq ans, et qu’on ajoute le mécanisme de reddition de comptes complémentaire en demandant aux entreprises d’en faire mention dans leur rapport, ne tente-t-on pas ici de faire par la porte arrière ce qu’on ne peut pas faire ouvertement, c’est-à-dire imposer des quotas ou des cibles? Je vais dorénavant parler de « cibles ».

Mme Kaplan : J’aimerais revenir à ce qu’a dit le ministre Bains la semaine dernière. Il a indiqué que le principe « se conformer ou s’expliquer » servait à amener les sociétés à se comparer les unes aux autres et à se livrer concurrence. Il a ajouté que l’autre mécanisme misait non seulement sur une comparaison avec les pairs, mais aussi sur une pression des actionnaires pour améliorer la représentation dans les conseils d’administration. Je ne comprends pas comment on peut atteindre cet objectif. Prenez par exemple Air Canada, qui a fixé de façon très claire ses propres cibles. Cela se trouve à la page 37 d’une déclaration de procuration de 103 pages. Le citoyen moyen ou l’actionnaire moyen ne va pas parcourir une centaine de pages pour obtenir ces chiffres.

La sénatrice Wallin : Mais si vous avez un conseil d’administration qui compte sept hommes et trois femmes, vous savez quel est le pourcentage.

Mme Kaplan : Oui, mais même en examinant les conseils d’administration, ce n’est pas évident. Je possède des actions dans de nombreuses sociétés et je dois voter pour les membres des conseils d’administration. En fait, je dois vérifier le nom de chacun d’entre eux sur Google pour savoir si c’est un homme, une femme ou une personne de couleur, parce que cela me tient à cœur. Si cette information était directement fournie, car ce n’est pas tout le monde qui est prêt à faire ce genre de recherche —, si nous acceptons l’argument du ministre Bains, à ce moment-là, nous devons faire en sorte que tous les mécanismes fonctionnent. Et pour ce faire, on a besoin de cette transparence.

La sénatrice Wallin : Au sujet de la question que vous venez d’aborder, car je crois qu’on en a parlé, le ministre a indiqué qu’il n’essayait pas de mettre l’accent sur les sexes ni de cocher des cases à côté des divers groupes minoritaires. En fait, il voulait éviter cela. Vous avez reconnu le leadership du Canada au chapitre de la diversité. Lorsque le ministre parle de la diversité des opinions, des idées, des approches ou des points de vue, cela ne vous permet-il pas de soulever la question des groupes minoritaires sans nécessairement dire : « Nous avons besoin de deux représentants dans ce groupe et d’un autre dans tel groupe », ce qui ne semble pas être l’objectif de qui que ce soit?

Mme Kaplan : Lorsqu’on parle de la « diversité des idées » et de ce genre de choses, cela amène les gens à dire : — et j’ai entendu le directeur de la diversité de Google dire l’autre jour — « La diversité peut exister dans un groupe de 12 hommes blancs ». Effectivement, un pourrait venir du domaine du marketing et un autre pourrait être ingénieur. Selon ce qu’on a observé aux États-Unis, lorsqu’on peut établir sa propre définition de la diversité ou la définir de cette façon, les gens peuvent prétendre avoir atteint leurs objectifs de diversité sans nécessairement avoir une représentation équilibrée comme on l’envisage dans le cadre de ce projet de loi.

La sénatrice Wallin : Si, au sein d’un conseil d’administration, on comptait 12 hommes blancs et personne d’autre, pensez-vous qu’on pourrait faire croire aux gens qu’on a accompli la diversité, même en ayant une personne qui vient du domaine du marketing et une autre des ventes? Je ne crois pas que les gens soient aussi naïfs que ça, n’est-ce pas?

Mme Kaplan : J’aimerais que les gens ne soient pas aussi naïfs, mais les preuves vont dans le sens inverse. Aux États-Unis, plus de la moitié des entreprises à qui la SEC a demandé de faire rapport s’appuient sur ces définitions très larges, puis elles s’en servent pour justifier le fait qu’elles n’ont pas atteint leurs objectifs de diversité au sein de leur conseil d’administration. Les organisations s’en servent comme prétexte. C’est pourquoi, selon moi, il est important que les organisations se fixent des objectifs. La principale raison qu’ont invoquée les organisations, autant aux États-Unis qu’au Canada, c’est qu’elles prônent la méritocratie. Par conséquent, elles choisissent les meilleurs candidats. Les gens n’ont pas compris à quel point ce processus fondé sur le mérite est sexiste. Je pourrai vous en dire davantage à ce sujet si cela vous intéresse.

Le sénateur Marwah : Ma question s’adresse à Mmes Mac Isaac-Butler et Kaplan. Il y a très peu d’éléments contentieux dans vos propos, alors je suis d’accord avec presque tout ce que vous avez dit. Mais vous avez toutes les deux cité des chiffres macroéconomiques dans votre analyse, comme le 14 p. 100. Ce pourcentage se rapporte à toutes les entreprises au Canada. A-t-on essayé d’évaluer le problème par secteur? Je crois que vous avez mentionné les institutions financières. Les institutions financières ont visiblement pris le taureau par les cornes, mais sachez que le Canada est un pays de ressources. Si on se penche sur le rendement des sociétés d’exploitation des ressources, je vous garantis qu’il est de loin inférieur à la moyenne. Vous nous avez donné un pourcentage, mais si on le ventile par secteur, les résultats seront très différents.

Ensuite, si on fait une distinction entre les entreprises à grande, moyenne et petite capitalisation, les chiffres seront encore une fois très différents. Or, il n’y a pas eu d’analyses ni de recommandations qui ont été faites en vue de proposer des solutions adaptées à ces problèmes. On semble vouloir adopter une approche unique. On n’a jamais tenté d’analyser une situation particulière en disant : « Si le problème se situe dans le secteur des ressources, et qu’il s’agit d’une entreprise de taille moyenne, comment allons-nous régler le problème? Je ne crois pas que nous puissions nous contenter de fixer un objectif de 30 p. 100 et de demander à toutes les entreprises de s’y conformer. » Il doit certainement y avoir d’autres façons de régler ces problèmes particuliers et propres au Canada. Comme le sénateur Wetston l’a dit, il faut trouver une solution qui convient au pays. Si une entreprise à petite capitalisation est établie dans le Nord de la Colombie-Britannique, étant donné qu’on ne va pas trouver beaucoup de minorités là-bas, il pourrait être difficile de nommer des membres de minorités au conseil d’administration. La solution ne peut pas être la même dans tous les cas. Je n’ai vu aucune analyse qui faisait la distinction entre les différents secteurs et les différentes tailles d’entreprise.

Mme Kaplan : Premièrement, ce que vous dites est tout à fait vrai. La Banque TD a mené une étude afin d’analyser les différences entre les secteurs. On a constaté que, parmi les secteurs où le rendement était amélioré grâce à la présence des femmes au conseil d’administration, il y avait les secteurs des ressources, c’est-à-dire le type de secteurs où les femmes n’étaient pas bien représentées par le passé. Donc oui, je considère qu’il y a des différences.

En outre, même le rapport de la CVM indique que le pourcentage des femmes aux conseils d’administration est beaucoup plus élevé au sein des entreprises à grande capitalisation. On parle de 24 p. 100 dans les entreprises dont le chiffre d’affaires s’élève à plus de 10 milliards de dollars et de 20 p. 100 au sein des entreprises de 1 milliard de dollars. Par conséquent, je suis d’accord avec vous pour dire qu’il y a des différences selon les secteurs économiques.

Cependant, je ne comprends pas tout à fait pourquoi une entreprise à moyenne capitalisation qui est établie dans une région où on ne trouve pas beaucoup de minorités visibles ne voudrait pas avoir un directeur qui vient d’une autre région du Canada. En France, lorsqu’on a commencé à imposer des quotas, les gens disaient : « Nous pourrions même recruter de nouveaux membres du conseil en dehors du pays. » Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, cette idée de se tourner vers l’étranger n’est pas si loufoque.

Même si je conviens qu’il y a des différences entre les entreprises, je pense que l’un des obstacles aux progrès jusqu’à maintenant, c’est qu’on n’a pas été très créatifs lorsqu’il s’agissait de choisir des personnes pour siéger à ces conseils d’administration. Il faut recruter à même un plus grand bassin de candidats et il ne faut pas s’en tenir à ses deux voisins en disant qu’ils ne sont pas des minorités, alors il n’y aura pas de minorités au sein du conseil d’administration.

Le sénateur Marwah : Je pense qu’il serait utile, dans le cadre de votre travail, de proposer des solutions adaptées qui ciblent ces problèmes particuliers, qu’il s’agisse du secteur des ressources ou des régions éloignées. On ne peut pas comparer le Canada à la France, ne serait-ce que sur le plan géographique. Il y a une question de coûts qui entre en ligne de compte. Un vol Toronto-Colombie-Britannique n’est pas la même chose qu’un vol Cologne-Paris. Il y a des problèmes uniques que personne n’a essayé de régler. Il faut trouver d’autres solutions pour remédier à ce problème. On semble adopter une approche universelle. Je veux 30 p. 100, un point c’est tout.

Mme Kaplan : Je suis d’accord. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai dit que si nous options pour l’approche proposée dans le projet de loi C-25, les entreprises pourraient se fixer leurs propres objectifs. Dans le cas des entreprises où les femmes sont totalement absentes du conseil d’administration, on ne va pas leur fixer un objectif de 50 p. 100 la première année, mais d’un autre côté, on pourrait envisager un objectif plus élevé pour les institutions financières dont le conseil d’administration compte déjà une bonne proportion de femmes. Cela dit, même si on établit des cibles, le projet de loi pourrait tout de même tenir compte des différences dont vous parlez.

Le sénateur Downe : Merci, monsieur Allen, pour votre exposé. Je l’ai trouvé très intéressant. Il est sidérant de voir que les contrôles d’identité sont plus rigoureux lorsqu’il s’agit d’obtenir une carte de bibliothèque que d’établir une société puisqu’on n’exige pas de renseignements sur les propriétaires bénéficiaires des sociétés.

Compte tenu de ce qui se passe dans d’autres domaines, et du fait que le public est bien conscient de cette situation, comme vous l’avez indiqué plus tôt, en raison des récentes fuites relatives aux Paradise Papers et aux Panama Papers, de même que la difficulté du gouvernement canadien à détecter l’évasion fiscale, entre autres, je considère qu’il y a un énorme manque d’information à ce chapitre.

L’autre problème, bien entendu, est l’inertie du gouvernement canadien. On a récemment soulevé des préoccupations à l’égard de l’Agence du revenu du Canada. Le vérificateur général a déclaré que l’ARC avait induit les Canadiens en erreur en ce qui a trait à ses centres d’appel, en indiquant que ses agents avaient répondu à 90 p. 100 des appels. Toutefois, le vérificateur général a constaté que l’Agence avait bloqué 27 ou 29 millions d’appels ou les avait transférés à son système de libre-service automatisé. Le véritable taux était donc de 34 p. 100. L’Agence a donc intentionnellement trompé les Canadiens.

Par ailleurs, on a récemment soulevé de sérieuses préoccupations au sujet des diabétiques et du crédit d’impôt auquel ils ont droit. Le ministère et le gouvernement ont déclaré publiquement qu’ils n’avaient apporté aucun changement aux politiques. C’est peut-être le cas, en théorie, mais une fuite dont nous avons pris connaissance nous indique que ce n’est pas tout à fait exact. Il semble que le gouvernement ait modifié son interprétation des règles, de sorte que 80 à 90 p. 100 des diabétiques se sont vu refuser cette année le crédit qu’ils obtenaient auparavant.

Tout cela nous donne l’impression que le gouvernement n’est pas très actif dans ce dossier. Étant donné les mesures qu’ont prises d’autres pays à l’égard des propriétaires bénéficiaires, comment expliqueriez-vous la lenteur du gouvernement canadien à corriger ce problème?

M. Allen : Je vais demander à M. Meunier d’intervenir, car je sais qu’il a une opinion là-dessus, mais pour être honnête avec vous, je ne connais pas la réponse à cette question. En tant qu’ancien fonctionnaire dont les impôts étaient directement déduits de son chèque de paie et qui n’avait aucune déduction, et ainsi de suite, je suis sidéré de voir qu’il y a des gens qui peuvent payer des comptables ou des avocats et qui font des millions de dollars — parce qu’on n’a pas recours à un paradis fiscal lorsqu’on gagne 65 000 $ par année. Je trouve déplorable que des gens qui gagnent autant d’argent profitent de ces paradis fiscaux et ne paient pas leur juste part d’impôt, et que la classe moyenne doive ensuite financer le système de santé, l’éducation et les infrastructures au pays. Les gens très riches qui ont mis sur pied ces entreprises — de façon légale ou non — placent leur argent dans un compte des îles Caïmans ou des îles Vierges britanniques pour payer le moins d’impôt possible.

Tout ce que je peux dire, c’est que le premier ministre s’est prononcé récemment sur la question, sur l’importance de tenter de récupérer une part de cet argent, et je pense qu’il sait comment la classe moyenne se sent à cet égard. Pourquoi la classe moyenne devrait-elle faire sa part alors que les gens les mieux nantis ne font même pas la leur? On a vu ce qui s’est passé aux États-Unis et en France, où la population est désillusionnée…

Le président : Si je puis me permettre, je vous demanderais d’essayer de répondre plus directement à la question.

M. Allen : J’allais simplement dire que nous avons observé une montée du populisme dans d’autres pays, et on pourrait constater ce même phénomène ici au Canada. C’est ce qui arrive lorsque les gens en ont assez et veulent du changement.

Denis Meunier, membre, Beneficial Ownership Working Group, Transparency International Canada : Je vais être très bref. Vous avez demandé pourquoi on mettait autant de temps à intervenir, et je crois que ce changement passe par la volonté politique. La question des propriétaires bénéficiaires retient l’attention sur la scène internationale depuis plusieurs années, depuis que le GAFI, l’organisme international compétent, exige aux pays de se conformer à ses objectifs. Le Canada ne le fait pas jusqu’à présent. Il appartient au Canada, aux législateurs, de présenter le type de mesure législative qui faciliterait l’identification des propriétaires bénéficiaires, pour empêcher qu’ils ne se cachent derrière une série de sociétés fictives. Évidemment, ce n’est pas le cas de toutes les entreprises, mais il y a quand même un risque élevé. Les entreprises s’en servent pour blanchir de l’argent, éviter de payer de l’impôt et dissimuler les activités corrompues des kleptocrates de partout dans le monde. Je pense qu’il y a une question de volonté politique.

Le sénateur Downe : L’inertie du gouvernement est consternante. Prenez par exemple sa réaction lorsque j’ai soulevé le fait qu’on privait certaines personnes autistes du crédit d’impôt auquel elles ont droit. Il a annoncé fièrement la mise sur pied d’un comité d’experts. Personne en dehors d’Ottawa ne va évaluer les progrès. Ce que les gens veulent, c’est qu’on rétablisse le système, de sorte qu’ils puissent continuer de recevoir le crédit qu’ils recevaient auparavant. On retarde les choses. J’ai posé la question au ministre la semaine dernière. Il m’a dit que le ministère des Finances travaillait là-dessus. Cela pourrait prendre encore des années.

Quand le Sénat, sous l’impulsion de la sénatrice Andreychuk, a adopté le projet de loi Magnitsky et que la Chambre des communes a emboîté le pas, on a bien vu que c’était sérieux. Nous avons découvert que des millions de dollars produits par ces organisations criminelles russes étaient blanchis au Canada. Nous croyons que cela se faisait particulièrement sur le marché de l’immobilier de Toronto, mais nous n’en avons pas la certitude. C’est un autre signe de l’opacité qui règne dans notre pays.

Alors, pourquoi ne pas simplement amender maintenant le projet de loi plutôt que d’attendre pendant des années le gouvernement qui, d’après vous, se montre privé de volonté politique?

M. Meunier : Je ne peux pas répondre. C’est vraiment à vous d’en décider. Mais je sais que le secteur privé — je peux nommer l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes — a présenté un mémoire en 2014 dans lequel il a formulé précisément cette demande au ministère qui parrainait la consultation publique. Même chose de la part de l’Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption, qui a envoyé une lettre dans laquelle elle demandait précisément la création de registres publics des propriétaires bénéficiaires.

Avec les représentants du secteur privé que nous avons consultés — les banques — nous pouvons jouer un rôle facilitateur, économiser et rendre leur travail plus efficace parce que, conformément aux lois en vigueur, elles doivent remplir certaines obligations à l’égard de la propriété bénéficiaire. Sinon, elles doivent faire des efforts raisonnables pour y parvenir. Sinon, encore, elles peuvent se contenter de simplement trouver l’identité du gestionnaire principal.

Quand on pense que la semaine prochaine, en Europe, on décidera, non pas de rendre accessible à la police, à l’Agence du revenu du Canada et aux autorités compétentes un registre des propriétaires bénéficiaires, mais on ira plus loin. Les Européens envisagent de rendre le registre public, comme nous le recommandons, et cherchent d’autres mesures légales. Oui! nous sommes lents. Oui! nous sommes dépassés.

Le sénateur Downe : Pendant que les Européens prendront des décisions, la semaine prochaine, nous en sommes encore à convoquer des réunions. Je m’arrête ici.

Le sénateur Tannas : Avant ma question, je tiens à faire une observation dans l’esprit de ce que disait le sénateur Marwah. Je suis un assidu des rapports Watson Wyatt, sur les tendances dans les conseils d’administration, et, d’après le dernier que j’ai lu, 40 p. 100 des nouveaux directeurs, dans les cent plus grandes sociétés cotées au TSX, sont des femmes. Ce n’était pas l’année dernière, mais l’année avant. Je suppose que la tendance se maintient à peu près.

Je pense que, dans l’ensemble des entreprises canadiennes à forte capitalisation, l’évolution est engagée. Je crois que celles à moyenne capitalisation suivront. Certains investisseurs institutionnels ont pris les devants. Ils classent les entreprises qui n’ont pas encore publié de politique sur la diversité et ils formulent en conséquence des recommandations pour les votes par procuration. Les entreprises à moyenne capitalisation dont les actionnaires sont des investisseurs institutionnels et ainsi de suite devront donc, je pense, suivre le courant et, sinon, s’expliquer, ce qui aidera à cette évolution.

Mais les entreprises à faible capitalisation et à microcapitalisation forment un ensemble tout à fait différent. On revient à la question du sénateur Tkachuk sur l’identité des investisseurs. Je peux vous garantir que l’immense majorité des dirigeants de ces entreprises y sont aussi d’importants investisseurs. C’est comme ça, simplement. Donc, d’après moi, c’est un autre problème, si nous convenons que l’importance qu’acquerront les femmes sur le marché des investisseurs dans ces entreprises sous-entendra qu’elles seront plus nombreuses que maintenant à se trouver plus loin dans leur cheminement de carrière.

Avez-vous réfléchi à une façon de mobiliser de nombreuses personnes, de nombreuses femmes arrivées au milieu de leur carrière. Au lieu d’attendre qu’elles parviennent au bout, on pourrait, grâce à des programmes, des banques, des cabinets d’expertise comptable, augmenter la flexibilité ou la possibilité de modifier leurs politiques sur la participation aux sociétés publiques, même fournir des indemnités ou quelque chose de ce genre, qui accéléreraient leur arrivée anticipée parmi les dirigeants d’entreprise.

Je fais partie des conseils d’administration de deux entreprises cotées au TSX. Ils sont exclusivement masculins. Je fais partie du comité de sélection des deux, et nous constatons une pénurie de femmes. C’est un problème. Peu importe ce qu’on dira. Nous sommes passés par là. Nous avons besoin de plus de femmes possédant une expérience intéressante. Nous savons qu’il y en a, mais elles semblent inaccessibles. Y avez-vous réfléchi? Sinon, qu’en pensez-vous?

Mme Mac Isaac-Butler : Chez Catalyst, nous investissons tous azimuts. J’y pilote un programme, « Femmes au conseil d’administration », de jumelage de femmes de niveau intermédiaire, prêtes à faire le saut dans un conseil d’administration, avec des directeurs généraux ou des présidents du conseil d’administration d’entreprises, dans un programme de parrainage du mentorat. Ce programme d’une durée de deux ans vise à leur donner les moyens nécessaires à leur transition vers ces entreprises à moyenne capitalisation ou ces conseils d’administration. C’est une méthode que nous employons pour qu’elles y réussissent leur entrée.

Nous nous focalisons surtout sur le privé en général, mais nous constatons que les femmes, à la fin du programme, sont mieux faites pour les entreprises à moyenne ou à faible capitalisation. Nous insisterons donc davantage sur cet aspect, à l’avenir, pour les y préparer.

Mme Kaplan : L’Institut des administrateurs de sociétés possède un millier de personnes possédant les compétences voulues pour faire partie d’un conseil d’administration, et vous risquez de ne pas en vouloir dans le conseil d’administration de votre société cotée au TSX, mais ces personnes peuvent faire partie du conseil d’administration d’un certain nombre d’autres entreprises. J’en conviens avec vous, je suis absolument d’accord pour que nous préparions surtout des femmes en milieu de carrière pour les faire entrer dans un conseil d’administration, et je pense que plus y sont prêtes que certains ne le croient.

Le sénateur Marwah : Seulement pour donner suite à la question du sénateur Tannas, je suis d’accord avec vous. La liste est longue. Beaucoup de listes circulent. Mais, dans beaucoup d’entreprises qui sont des bassins de candidats, comme les banques — et j’en sais quelque chose — on empêche les femmes en milieu de carrière de faire partie d’un conseil d’administration. Il y a aussi la nécessité de proposer des solutions précises pour un problème précis plutôt que des solutions générales, uniques pour tous, à 30 ou 35 p. 100. On devrait formuler une recommandation. Nous devons cibler les problèmes très différemment selon leur nature et les secteurs, plutôt que de toujours arriver aux mêmes 30 p. 100. Il faut plus. C’est insuffisant, parce que c’est différent. Enfin, d’après moi. Les femmes arrivées en milieu de carrière sont bloquées, un point c’est tout. Il faut être cadre pour faire partie d’un conseil d’administration, et encore faut-il l’aval du conseil d’administration. Ça suffit pour couper le robinet. Les sociétés de télécommunication et les pétrolières sont les mêmes. Elles sont toutes les mêmes.

Mme Kaplan : Si vous demandiez à l’une de nous par quel ensemble général de méthodes nous pourrions nous attaquer au problème de la sous-représentation des femmes à la direction des sociétés — et nous nous sommes focalisés sur les conseils d’administration, mais le projet de loi envisage aussi la présence de femmes dans les postes de direction — je répondrais qu’il y en a beaucoup, notamment ce genre de mentorat et de formation ainsi que la modification des règles et des règlements. Tout d’abord, nous avons borné nos remarques aux contraintes générales imposées par le projet de loi et aux moyens d’agir à l’intérieur de ces contraintes. Ce serait fantastique si d’autres mécanismes étaient envisageables pour les problèmes que vous décrivez exactement.

Le sénateur Marwah : Je vous y encourage fortement.

Mme Kaplan : Moi aussi.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être ici. Je dois l’admettre, ça fait maintenant 14 ans que je suis sénateur, et, il y a environ 10 ans, nous avons eu la même discussion sur les progrès réalisés, la diversité et ainsi de suite. Je dois admettre que, au fil des années, j’ai perdu confiance dans le déterminisme des résultats du laisser-faire naturel. Nos résultats, actuellement, sont décevants.

Je préconise absolument une poussée légère pour nous amener à notre objectif. Je suis d’accord avec certaines de vos propositions. Mais elles doivent être assez souples. Non seulement notre pays est-il différent, mais chaque entreprise l’est aussi. Il faut imaginer un processus ou une solution qui donne à chacun la chance d’arriver par ses propres moyens. Hier, j’ai lu un volumineux rapport de l’industrie concernant le pourcentage de représentation dans les conseils d’administration. Il est très variable. Vous devez autoriser cette flexibilité.

Madame Kaplan, vous avez fait allusion à la direction. À l’échelle d’un pays, les chiffres sur la représentation des femmes, la diversité, dans les directions, chez les cadres, sont beaucoup plus élevés. Ils n’ont pas beaucoup bougé depuis sept ans. Je sais que le projet de loi touche particulièrement les taux dans les conseils d’administration. Que faire à ce sujet? C’est un problème plus important, plus social. Les études le disent clairement. La perception est que nous embauchons souvent les membres des conseils d’administration d’après notre propre perception de nous-mêmes. Les hommes blancs emploient des hommes blancs. Que faisons-nous pour les postes de cadre? Comment, pour ça aussi, faisons-nous bouger les choses?

Mme Mac Isaac-Butler : Par le parrainage. Le mentorat et le parrainage sont la clé. Vous dites que la majorité de ces postes de cadres sont détenus par des hommes et que les hommes ont tendance à parrainer les candidats et les femmes à faire du mentorat. Si les hommes sont présents dans 85 p. 100 de ces entreprises de haut niveau, ils parraineront des hommes, et les femmes feront du mentorat pour les femmes. Il faut changer les règles du jeu, à cet égard, et confier à plus de femmes ces rôles de cadres pour augmenter le parrainage de femmes.

Mme Kaplan : Je dirais que c’est un point de vue très individualiste du mentorat. Je pense qu’il y a aussi une foule de choses, comme vous l’avez mentionné, que nous pouvons faire bouger. L’étude économique des comportements permettrait de croire qu’on peut provoquer toutes sortes de changements structurels, par exemple modifier les descriptions des tâches pour y inclure toutes sortes de critères que, de façon stéréotypée, nous avons catégorisés comme propres aux femmes, tels la capacité de faire plusieurs tâches à la fois et l’esprit de collaboration. À propos, tout dirigeant devrait pouvoir le faire, mais nous avons tendance à les omettre dans les descriptions de tâches. Les termes comme « excellence », sont très « genrés ». Je pense que toutes sortes de solutions s’ajoutent au parrainage individuel, notamment la modification des descriptions de tâches et des modalités de promotion. Actuellement, des entreprises préviennent qu’elles n’autoriseront pas de promotion à moins d’une liste diversifiée de candidats, qu’ils proviennent de ses rangs ou de l’extérieur.

Ces solutions débordent amplement ce qu’on pourrait inclure dans un projet de loi, mais elles feraient partie de celles que Catalyst recommande sûrement. Celles que nous, chercheurs universitaires, étudions et recommandons font toutes partie des changements structurels qui, à mon avis, iraient plus loin que simplement s’en remettre, pour le parrainage, à la grandeur d’âme de certains.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de questionner M. Allen. Nous nous sommes occupés du financement illégal et de la réaffectation d’argent à d’autres fins. Vous avez beaucoup parlé du marché de l’immobilier à Toronto et à Vancouver. Des individus trouvent moyen d’y injecter des fonds illégaux, et il ne me déplairait pas d’aller dans les détails. Comment est-ce possible? Si l’argent se trouve dans les banques, il est déjà blanchi, et c’est trop tard. Je suppose que si on se sert de l’immobilier pour dissimuler des fonds illicites, ça signifie qu’on les introduit au Canada sous forme liquide. Vous savez que les courtiers immobiliers sont tenus d’agir comme les experts comptables. Il ne reste que les avocats à échapper à des règles rigides et dont la profession offre encore des possibilités. Comment ça se passe? Vous incriminez les fonds illégaux dans l’immobilier. Donnez un exemple de ce qui arrive quand on aborde un courtier immobilier avec 600 000 $ liquides. Je ne pige simplement pas.

M. Allen : Nous avons entendu dire que 10 p. 100 des achats dans l’immobilier, à Vancouver et à Toronto, seraient le fait d’étrangers. Je pense que c’est un taux incroyablement bas, d’après, actuellement, les agents immobiliers.

Le sénateur Massicotte : Et après?

M. Allen : Comment font-ils? Ils ont des enfants. Vous savez que, à Vancouver, beaucoup d’enfants très riches vivent dans les appartements que leurs parents ont achetés, et ils ont de l’argent. L’argent peut être envoyé aux enfants, qui peuvent le déposer à la banque, après quoi il est possible d’acquérir, comme nous le savons, 10 condos d’angle dans un bâtiment de luxe.

Le sénateur Massicotte : Venons-en au fait. Une fois l’argent dans le système bancaire international, il est trop tard. Il faut, d’une façon ou d’une autre, faire passer les fonds illicites dans le système bancaire, et, paraît-il, l’immobilier est la façon de le faire. Êtes-vous en train de dire qu’un enfant de 12 ans va à la banque déposer 600 000 $ liquides pour acheter le condo?

M. Allen : Non. Vous avez raison, mais le père possède une société qui est une coquille vide, et le directeur de cette coquille vide est l’acheteur pour le compte du propriétaire bénéficiaire, dont nous ne connaissons pas l’identité. Donc le directeur de la coquille vide achète 10 ou 15 appartements, puis cette société va…

Le sénateur Massicotte : Là-dessus, je n’ai aucune difficulté, mais je vous le dis, vous supposez manifestement que les liquidités, qui serviront à régler l’achat, sont déjà dans le système bancaire.

M. Allen : Peut-être.

Le sénateur Massicotte : Dans ce cas, il est trop tard. L’acheteur peut se procurer tout ce qu’il veut. J’essaie de comprendre le stratagème.

M. Meunier : Dans le blanchiment d’argent, le plus facile est d’apporter les liquidités à la banque. Les blanchisseurs les plus intelligents veulent mettre la plus grande distance entre eux et les produits de leurs crimes. Une fois l’argent à la banque, il n’est quand même pas trop tard, parce que le blanchiment se poursuit par la stratification des opérations, l’achat de biens, leur dissimulation, l’achat d’investissements…

Le sénateur Massicotte : Après dépôt à la banque…

M. Meunier : … et l’intégration puis l’achat d’une véritable entreprise qui permet de produire plus de fonds.

Le sénateur Massicotte : Vous étiez au CANAFE, n’est-ce pas?

M. Meunier : Oui.

Le sénateur Massicotte : Une fois l’argent dans le système bancaire et que, je suppose, son montant excède la limite de 10 000 $...

M. Meunier : Les banques sont tenues de repérer les opérations douteuses et de les signaler, ainsi que les télévirements de plus de 10 000 $, au CANAFE.

Le sénateur Massicotte : Comment un enfant de trois ans peut-il détenir 600 000 $ en liquidités?

M. Meunier : L’argent provient de différentes sources. La principale route, pour sortir l’argent d’un pays — qui, précisons-le, contrôle ses devises — est essentiellement le télévirement à de nombreux membres de la parenté qui, à leur tour, l’envoient par le même moyen au destinataire.

Le sénateur Massicotte : Mais je croyais que, dès que l’argent était dans le système bancaire et que vous pouviez faire des télévirements, il n’y avait plus rien à faire.

M. Allen : Pourquoi dites-vous ça? Si vous connaissiez l’identité du propriétaire bénéficiaire de la société, vous pourriez le questionner sur l’origine de cet argent.

Le sénateur Massicotte : Aujourd’hui, le CANAFE détient ce pouvoir, celui d’enquêter sur le lieu de sa transformation en narcodollars ou quoi encore, après. Il a aujourd’hui ce pouvoir. Celui qui ment sur la provenance des fonds mentira sur l’identité du propriétaire bénéficiaire.

M. Allen : C’est ce que, notamment, nous essayons d’exposer. Que, sans registre public, on charge d’une lourde responsabilité les assureurs vie, les banques et la police, qui est sous-financée. Par eux-mêmes, ils ne peuvent pas s’attaquer au problème. N’eût été des Paradise Papers, des Panama Papers et du journalisme d’enquête, personne n’aurait rien su. Un cabinet juridique, 500 banques et 16 000 sociétés. L’Agence du revenu du Canada n’aurait pas été en mesure de découvrir elle-même le pot aux roses. Il faut un registre public qui dira qu’il existe un propriétaire bénéficiaire qui semble avoir…

Le sénateur Massicotte : Je vous crois. J’essaie tout simplement de comprendre. Je n’ai pas obtenu d’assurance, mais je vais laisser tomber.

Le président : L’avez-vous maintenant, sénateur Massicotte?

Le sénateur Massicotte : C’est tout.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous d’être ici.

Ma question s’adresse à Mme Kaplan et comporte deux volets. Je veux revenir à la diversité, aux cibles et aux définitions. Je suis très sensible à ce que le sénateur Marwah a dit. Nous ne pouvons pas adopter une approche universelle dans un pays vaste et diversifié à bien des égards.

J’ai devant moi un rapport, dont vous êtes sans doute au courant, du Conseil canadien pour la diversité administrative, qui a établi qu’environ la moitié — 47 p. 100 — des 500 conseils se sont fixé des cibles volontaires. Citons notamment les secteurs minier, pétrolier et gazier, à 15 p. 100, et les secteurs des finances et des assurances, à 63 p. 100.

Ma question pour vous est la suivante : si la moitié des entreprises du palmarès Fortune 500 peuvent se fixer des cibles volontaires et mesurer leur rendement, une cible volontaire devrait-elle être incluse dans la loi?

Mme Kaplan : Par cibles volontaires, voulez-vous dire que chaque entreprise établit sa propre cible? C’est l’une de mes suggestions. Je crois qu’au lieu de donner aux entreprises l’option de fixer une cible, elles devraient devoir en fixer une. Je ne dis pas qu’elle devrait être la cible, mais chaque entreprise devrait fixer une cible.

Le sénateur Omidvar : Je sais que vous avez essayé de répondre à cette question plus tôt, mais je vais entrer un peu plus dans les détails. Comment pouvons-nous aller au-delà du genre? Prenons l’exemple du genre. Comment mesureriez-vous l’intersectionnalité du genre et de la race, du genre et de la capacité et du genre et du statut d’Indien, et comment traiterions-nous d’autres aspects de la diversité qui sont actuellement définis dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi?

Mme Kaplan : Pour ce qui est des cibles?

Le sénateur Omidvar : Oui.

Mme Kaplan : Je n’ai pas une bonne réponse à vous donner. Comme vous l’avez dit, j’ai déjà essayé et ma réponse ne vous a clairement pas satisfait, et je vais échouer encore une fois car nous n’avons pas de pratique exemplaire à laquelle nous référer en ce qui concerne les cibles en matière de diversité dans d’autres pays.

Nous avons une pratique exemplaire pour les cibles en matière d’égalité entre les sexes, et je pense que c’est en partie parce que les femmes, comme je l’ai déjà dit, représentent la moitié de la population. Il est beaucoup plus difficile, même d’un point de vue théorique, de déterminer exactement comment établir des cibles en matière de diversité sur les autres formes de diversité prévues dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi pour la simple raison que les chiffres sont beaucoup moins élevés. Lorsqu’on est aux prises avec de petits nombres, c’est beaucoup plus difficile.

Vous pourriez cependant fixer une cible pour toutes les autres catégories. Ce serait notre but. Ce pourrait être en regroupant des catégories. On pourrait avoir une femme de couleur, ce qui permettrait de respecter les deux cibles en même temps.

Nous n’avons pas de bonne réponse à vous fournir sur la façon de procéder puisque nous n’avons pas d’exemples. Toutes mes interventions portaient sur des moyens de donner plus de mordant à ce qui est principalement un programme volontaire, et toutes les idées que nous pouvons envisager pour y parvenir sont importantes.

La sénatrice Omidvar : Merci. Je veux moi aussi plus de mordant, si vous me permettez d’utiliser cette expression, mais je ne suis pas certaine de la façon de procéder.

Permettez-moi de vous interroger sur les définitions. Vous avez proposé que les définitions sur l’équité en matière d’emploi soient utilisées parce qu’elles nous sont utiles depuis les 20 dernières années. Préférez-vous que ces définitions figurent dans la loi, ou seriez-vous satisfait si elles étaient dans un règlement?

Mme Kaplan : D’après ce que le ministre Bains a dit à l’audience la semaine dernière, la Loi sur l’équité en matière d’emploi servirait de guide. Je ne pense pas que ce soit suffisant. Ces catégories doivent être importantes. Je ne sais pas si elles devraient figurer dans la loi ou dans le règlement. Peu importe où elles figureront, on ne peut pas se contenter de dire, « C’est un guide pour vous, une définition possible ». Je pense que nous devons dire : « Ce sont là les définitions qui comptent pour nous. »

La sénatrice Omidvar : Autrement dit, elles devraient figurer dans la loi. Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : C’est ma première comparution à ce comité. J’espère que vous me donnerez un peu de chance.

Monsieur Allen, j’ai bien écouté votre présentation, et ce qui a attiré mon attention, c’est la fameuse évasion fiscale. Vous et moi comprenons que — par les temps qui courent — la ministre responsable de l’Agence du revenu du Canada a de la difficulté à nous faire croire à ses capacités de lutter efficacement contre ce fléau. Je pense que ce projet de loi pourrait nous donner une occasion de l’aider. J’aimerais vous demander de me donner deux ou trois éléments qu’on pourrait ajouter dans le projet de loi et qui pourraient aider l’Agence du revenu du Canada à agir plus rapidement et plus efficacement contre l’évasion fiscale. Qu’est-ce qu’on pourrait ajouter dans le projet de loi afin d’atteindre cet objectif?

[Traduction]

M. Allen : Comme nous l’avons dit, la chose la plus importante que vous pourriez faire pour aider, c’est d’avoir un registre public des propriétaires bénéficiaires, ce qui permettrait à l’ARC et à d’autres organismes de trouver réponse rapidement et de ne pas être obligés de passer en revue tout un ensemble de sociétés fictives pour savoir qui sont des bénéficiaires et qui ne le sont pas. Je pense qu’il serait utile d’avoir un registre. Je sais qu’un milliard de dollars en nouveaux fonds ont été versés et que des compressions ont été effectuées, ce qui est positif. Il serait utile de porter moins attention aux questions fiscales mineures et de se concentrer beaucoup plus sur les problèmes les plus importants. Ne passez pas 3 000 ou 5 000 heures sur une question mineure si vous vous préoccupez vraiment de ce problème et établissez des normes.

Mais M. Meunier était à l’agence.

[Français]

Denis Meunier, membre, Beneficial Ownership Working Group, Transparency International Canada : Merci pour votre question, monsieur le sénateur. Je ne peux vraiment pas parler au nom de l’agence, mais je suis d’accord avec ce que mon collègue a partagé avec vous, c’est-à-dire que le projet de loi C-25 touche uniquement les sociétés canadiennes. Nous pourrions jouer un rôle d’impulsion en insérant au projet de loi l’obligation de créer un registre des bénéficiaires effectifs ultimes, ceux qui sont vraiment derrière les sociétés. Pour moi, le risque s’adresse particulièrement aux sociétés privées.

Quant à d’autres recommandations, je dirais qu’il faut au moins s’assurer que le registraire fédéral exige non seulement une identification, mais une vérification de l’identité des bénéficiaires effectifs. Il faut aussi que ce soit mis à jour périodiquement de sorte qu’on puisse s’assurer qu’on a affaire au bénéficiaire ultime, et que ces renseignements soient accessibles à l’agence, au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), aux corps policiers, aux entités déclarantes — je parle des institutions financières — et au public. À mon avis, ce serait deux ou trois recommandations qui pourraient facilement aider notre pays à mieux gérer l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent.

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à Mme Kaplan. On a beaucoup parlé de la parité au sein des conseils d’administration. Pourriez-vous éclaircir un peu la situation? Parce que je pense que de nombreuses femmes aujourd’hui font des placements par l’entremise de leur courtier. Avez-vous déjà fait une recherche sur les assemblées d’actionnaires qui indiquerait dans quelle proportion les femmes assistent à ces réunions?

Mme Kaplan : Je suis désolée de ne pas pouvoir répondre en français.

[Traduction]

J’ignore si des recherches ont été faites pour connaître la proportion d’hommes et de femmes qui assistent aux réunions des actionnaires, par exemple. Je ne sais pas si des recherches ont été effectuées à ce sujet. Je sais cependant que tous les actionnaires doivent voter par procuration, et je ne sais pas si des recherches ont été faites qui laisseraient entendre qu’il y a une différence au niveau des réponses.

La sénatrice Unger : Mes observations et questions seront très brèves.

Mesdames Kaplan et Mac Isaac-Butler, j’ai écouté vos déclarations et, en tant que femme, je n’essaie pas de me donner en exemple, mais j’ai lancé une petite entreprise, que j’ai exploitée pendant 25 ans. J’ai également siégé à de nombreux conseils et, pour être honnête, j’ai principalement travaillé avec des hommes. Je n’arrive tout simplement pas à comprendre pourquoi les femmes de nos jours, qui sont plus ambitieuses que je ne l’ai jamais été, ont dû mal à réussir. Je ne comprends pas. Comme vous pouvez le constater, je suis encore nerveuse lorsque je prends la parole ici, et je ne devrais pas l’être car je suis avec mes collègues, mais je n’ai jamais eu à me battre pour faire partie d’un conseil ou occuper un emploi par le passé. Je ne comprends pas les femmes d’aujourd’hui, j’imagine. Pourriez-vous vous prononcer là-dessus?

Mme Kaplan : Eh bien, je ne pense pas que c’est un problème avec les femmes d’aujourd’hui. Les faits révèlent que c’est un problème pour les femmes depuis toujours et que la situation s’est améliorée par rapport à ce qu’elle était il y a de cela deux ou trois décennies, même si ce pourrait être beaucoup mieux. Je ne pense pas que les femmes d’aujourd’hui sont le problème. Félicitations pour vos réussites. Je pense que nous pourrions citer en exemple de nombreuses femmes qui sont des exceptions qui confirment la règle.

Cependant, les faits donnent sérieusement à penser que les systèmes en place de nos jours — y compris nos définitions pour décrire le rendement excellent dans les processus où des candidats à des rôles de leadership ou à des postes dans des conseils sont ciblés dans le cadre des réseaux de cadres existants — mènent à l’exclusion des femmes dans les rôles de leadership.

Même si nous réalisons évidemment des progrès — les gens en parlent beaucoup —, nous n’avons pas atteint les chiffres que nous aurions dû atteindre, compte tenu de l’attention que le sujet a reçue. Je pense que le fait que le modèle « se conformer ou expliquer » qu’on a envisagé de mettre en place à la CVMO n’a pas beaucoup progressé est la preuve que le système en soi est conçu pour ne réaliser que de légers progrès. Je veux revenir au libellé qui a été utilisé par le passé. Je pense que nous avons besoin de plus de progrès; nous avons probablement besoin d’une onde de choc dans le système.

Je ne jetterais pas le blâme sur les femmes d’aujourd’hui. J’enseigne à ces femmes. Il n’y a pas de problème avec elles.

La sénatrice Unger : Pouvez-vous m’expliquer ce rejet, pour ainsi dire? Le mot est fort, mais quelle en est la raison?

Mme Kaplan : Eh bien, il n’y a pas de raison. Il y a un système très compliqué qui a été mis sur pied au fil du temps. Il n’y aura pas une raison particulière.

Par exemple, nous avons une expression dans le milieu universitaire, soit le travailleur ou le cadre idéal. Comment imaginons-nous le travailleur idéal? Ce peut être un homme ou une femme; ce n’est pas que les hommes sont sexistes et que les femmes ne le sont pas. Nous examinons tous les dirigeants et leurs caractéristiques, et nous constatons souvent qu’une femme ou qu’une personne de couleur ne cadre pas avec notre perception d’un dirigeant. Nous avons grandi avec cette perception, qui est ancrée dans notre mentalité.

Nous avons des critères, par exemple, pour les conseils d’administration qui disent que nous privilégions les gens qui ont assumé des responsabilités relatives aux gains et aux pertes ou qui ont été des PDG. Nous savons qu’il y a très peu de femmes PDG. Si l’un de vos critères est que le candidat doit avoir été un PDG par le passé, il sera difficile de trouver des femmes.

Pourquoi utilise-t-on ces critères? Pourquoi ne pas utiliser des critères différents? En fait, l’un de mes collègues à la Rotman School of Management effectue des recherches qui montrent que les conseils qui ont élargi leurs définitions examinent un groupe plus vaste de candidats, ce qui améliore leur efficacité. Ils ont un directeur des ressources humaines, un directeur du marketing et un directeur des relations gouvernementales, mais cela signifie qu’ils définissent le leadership de manière différente.

C’est l’un des processus sous-jacents, mais nous pourrions être ici très longtemps pour que je puisse répondre à cette question.

La sénatrice Unger : Monsieur Allen, je vous remercie de votre exposé. Je crois que c’est un problème de taille, et j’aimerais qu’une mesure législative soit adoptée pour changer cette situation. Je crois que le Canada se repose sur ses lauriers en ce qui concerne la question que vous soulevez autant que nous en matière de cybercriminalité et de cybersécurité. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions à ce sujet?

M. Allen : Je ne suis pas un expert en cybercriminalité ou en cybersécurité, alors il serait très difficile pour moi de me prononcer à ce sujet. Ces domaines ne font pas vraiment partie de mes champs de compétence.

Le président : Sénateur Wetston, vous avez fait savoir que vous avez une note qui pourrait intéresser le comité.

Le sénateur Wetston : Comme je l’ai mentionné, je pense que c’est un secteur important qu’il faut étudier. Je ne suis pas sûr s’il s’agit d’une modification diverse. Je pense qu’il faut étudier la question car on ne peut pas s’attaquer au crime organisé, au blanchiment d’argent et à la fraude de valeurs mobilières — à l’échelle internationale et nationale — en mettant simplement en place un registre. C’est le seul point que je tenais à soulever. Comme nous le savons tous, c’est très compliqué. Les criminels sont très futés. Nous le savons tous. Si nous devons éluder le problème de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale, qu’allons-nous faire? Je suis d’accord avec le sénateur Downe. Il a consacré beaucoup de temps à ce dossier. Mon argument était le suivant : je crois, et je ne pense pas me tromper, que le ministre des Finances tiendra la semaine prochaine des rencontres avec les provinces et les territoires pour traiter de la question de la propriété effective. De mon point de vue, ce n’est peut-être pas suffisant, mais c’est un point de départ important pour régler la question. Je tenais à porter ce point à votre attention. Êtes-vous au courant?

M. Allen : Nous sommes au courant et nous en sommes bien contents. Je suis tout à fait d’accord que les problèmes que nous avons soulevés sont très complexes, mais je dirais qu’un registre public des propriétés effectives est une étape, mais ce n’est pas une étape complexe. C’est quelque chose qui a été fait par le passé.

Même si nous n’allons pas régler tous ces problèmes aujourd’hui, j’espère que nous pourrons effectuer de véritables progrès et ne pas passer trop de temps à étudier le dossier. C’est un aspect relativement restreint qu’il n’est pas forcément nécessaire d’étudier, si l’on se fie à ce que les gouvernements en Europe et ailleurs font. Nous devons prendre en considération la question fédérale-provinciale, mais je pense qu’on aurait intérêt à aller de l’avant.

Le sénateur Tkachuk : Je suis quelque peu dans la même situation que le sénateur Massicotte pour ce qui est de comprendre les fonds qui seraient injectés dans le système, mais je suis également perplexe au sujet de la propriété effective. Admettons qu’il y a une société privée fédérale au Canada et que vous avez trois, quatre ou cinq propriétaires, qui pourraient être des sociétés ou des particuliers. Pourriez-vous m’expliquer comment une propriété effective serait cachée? Que se passe-t-il? La société doit produire une déclaration de revenus et doit montrer les dividendes et les salaires qu’elle verse. Expliquez-moi l’étape suivante. Comment une société se retrouve-t-elle aux îles Caïmans? Souvent, les investissements dans les îles Caïmans sont différents de la propriété effective ici au Canada. Pourriez-vous m’aider à comprendre?

M. Allen : Vous avez une société au Canada. Vous l’avez mise sur pied. N’oubliez pas que les propriétaires bénéficiaires n’apparaissent nulle part. Vous avez essentiellement une secrétaire dans un cabinet d’avocats qui est la seule personne dont le nom figure dans le registre. Cette entreprise au Canada commence à recevoir des factures d’une entreprise dans les îles Caïmans pour des services de consultation, des services financiers ou divers services, qui ne sont pas forcément offerts dans les îles Caïmans. Ce pourrait être à Liechtenstein, au Luxembourg ou ailleurs. Donc, l’entreprise au Canada commence à payer ces factures et — mon Dieu — les profits de l’entreprise diminuent considérablement. En fait, ils peuvent être presque nuls, bien entendu, en raison de toutes ces fausses factures qui sont très souvent payées là-bas. Ce n’est qu’un petit exemple.

Donc, l’entreprise au Canada n’a aucun impôt à payer et a transféré son argent dans les îles Caïmans où il paie un impôt de 1,2 p. 100 et où il est presque impossible d’obtenir des renseignements, car c’est un paradis fiscal et que les renseignements à propos des entreprises là-bas ne sont pas très facilement divulgués.

Mais ce n’est pas qu’une entreprise dans les îles Caïmans. Vous en créez trois ou quatre. Le fait est que tout cet argent est administré au Royaume-Uni. Les îles Caïmans ne sont qu’une case postale, et elles touchent 1,2 p. 100 de l’impôt et un frais d’enregistrement pour les entreprises. Les activités se font probablement à Londres, où l’argent qui est placé à la banque est administré, et le sénateur Massicotte en a parlé. C’est là où il y a vraiment les avantages financiers. Les îles Caïmans sont principalement des cases postales où l’argent circule. Ce n’est qu’un exemple.

M. Meunier : Le but est d’essayer de prendre le plus possible ses distances. Vous utilisez le concept des poupées russes et intégrez les entreprises dans une autre, puis dans une autre, et il devient très difficile de retracer les données des entreprises, car elles changent de pays.

Si vous êtes un enquêteur, dès que vous faites une demande d’accès aux dossiers d’une entreprise, par exemple, je peux vous dire qu’en l’espace de cinq minutes, un appel téléphonique sera effectué, car le propriétaire effectif n’est pas forcément la personne qui figure au registre de l’entreprise. Cet argent sera déplacé. De toute évidence, il y a de nombreuses entreprises légitimes, mais nous parlons de celles qui ont été mises sur pied à des fins malicieuses.

Le président : Votre question supplémentaire suscite un grand intérêt; le sénateur Massicotte aimerait faire un autre commentaire.

Le sénateur Tkachuk : Je ne comprends toujours pas, mais le sénateur Massicotte m’éclairera peut-être.

Le sénateur Massicotte : Parlons de votre exemple. On parle de généralités. Dans votre cas, il s’agit du prix de transfert. L’entreprise canadienne se voit fournir un faux prix pour les biens et services. Or, dans ce cas, le sénateur Downe sera très heureux d’entendre que si les gens s’en sont tirés, c’est parce que Revenu Canada n’a pas fait son travail. C’est le contribuable qui a la responsabilité de prouver qu’il s’agit d’un négatif inverse. Ainsi, Revenu Canada n’a pas fait son travail et n’a pas expliqué que les nouvelles factures qui réduisaient le revenu imposable étaient de fausses factures. Ce qu’il faut, c’est que Revenu Canada fasse son travail de vérification comme il le faut et que l’entreprise soit tenue de prouver que le prix de transfert était juste. Cela leur appartient.

M. Meunier : Ils peuvent utiliser un outil : le registre des bénéficiaires effectifs est offert aux autorités compétentes, à tout le moins, mais…

Le sénateur Massicotte : En d’autres termes, si Revenu Canada faisait son travail, on n’aurait pas de problème.

M. Meunier : Mais comment ont-ils découvert cela?

Le sénateur Massicotte : Ils ont posé des questions et le contribuable a prouvé qu’il avait bel et bien obtenu les services. Je sais que c’est une question d’argument, mais ce n’est pas comme s’ils n’avaient pas les outils ou la capacité de le faire.

M. Allen : Vous venez d’entendre la ministre du Revenu national parler de 25 milliards de dollars. Je ne dis pas que ce sont des paradis fiscaux. Ce peut être des impôts impayés, des intérêts, et cetera. Or, nous plaçons une énorme responsabilité sur les épaules de l’ARC alors qu’elle n’a tout simplement pas les outils nécessaires pour intervenir puisque ces voleurs sont tellement…

Le sénateur Massicotte : L’identité du propriétaire n’a rien à voir avec la question. L’enjeu, c’est que de nombreuses sociétés le font et que l’argument est légitime, mais probablement exagéré. Vous parlez d’identification, mais il s’agit d’une pratique à laquelle ont recours de nombreuses sociétés réputées, souvent pour des raisons légitimes, lorsque des biens et des services sont bel et bien offerts.

M. Allen : Mais on veut pouvoir confirmer leur légitimité. Si tout est légitime, il n’y a pas de problème.

Le sénateur Massicotte : Voilà pourquoi nous avons des vérificateurs.

Le président : Je vais vous interrompre; je crois que vous avez exprimé votre point de vue.

Le sénateur Tkachuk : J’aimerais faire suite à ma question supplémentaire. Vous dites que vous étiez fonctionnaire; j’étais propriétaire d’une petite entreprise. Il y a les vérificateurs de la TVP, les vérificateurs de la TPS et les vérificateurs de l’impôt. Ils m’ont tous rendu visite, et j’avais une toute petite entreprise en Saskatchewan. Je crois que presque tous les gens d’affaires que je connais ont reçu la visite d’au moins un de ces trois vérificateurs. Je ne crois pas que les entreprises puissent faire tout cela sans que personne s’en rende compte. Elles doivent faire des déclarations de TPS et de TVP; elles doivent expliquer pourquoi elles ne facturent pas la TPS.

M. Allen : Vous venez de souligner le problème, monsieur le sénateur. L’ARC va vers des gens comme vous parce qu’elle sait qui vous êtes. Elle sait qui est le propriétaire de l’entreprise. Mais elle n’a pas le temps ni les ressources nécessaires pour s’attaquer aux opérations très sophistiquées pensées par des avocats et des comptables que les entreprises paient très cher.

Le sénateur Tkachuk : Si j’avais fait faire ma déclaration fiscale par un cabinet d’avocats, on m’aurait laissé tranquille?

Le sénateur Downe : Comme on a parlé de moi dans la conversation précédente, je vais intervenir. Vous avez raison : l’ARC fait un travail exceptionnel. Je l’ai toujours dit dans le cadre de mes recherches des huit ou neuf dernières années sur l’évasion fiscale nationale. Il est facile de faire une vérification auprès des gens comme le sénateur Tkachuck et d’autres qui respectent les règles et qui communiquent tous les renseignements nécessaires à l’ARC. Le sénateur Massicotte et les autres devraient prendre quelques minutes pour s’informer au sujet des Paradise Papers et des Panama Papers, qui font état du nombre de Canadiens qui ont décidé pour une raison ou pour une autre d’ouvrir un compte de banque au Panama, aux Bermudes, au Liechtenstein ou dans d’autres pays. Bien que nous sachions tous qu’il n’est pas illégal d’avoir un compte à l’étranger, il est toutefois illégal de ne pas déclarer les profits qu’il génère. Dans de nombreux cas, nous avons découvert que ces gens avaient des sociétés cachées parce que l’ARC n’en connaît pas les bénéficiaires effectifs. Je suis critique à l’endroit de l’ARC pour de bonnes raisons, je crois, mais dans ce cas-ci, l’absence d’un bénéficiaire effectif nuit à la capacité de l’ARC de percevoir les impôts dus.

En février dernier, le Conference Board du Canada — nous savons tous qu’il s’agit d’un groupe de réflexion respecté — a publié un rapport dans lequel il estime que l’écart fiscal est de plus de 47 milliards de dollars, ce qui est beaucoup, et qu’une grande partie de ces fonds sont cachés à l’extérieur du pays.

M. Allen : Merci beaucoup. Je vais citer une autre statistique. En 2011, Statistique Canada a rapporté que 24 p. 100 des investissements canadiens directs à l’étranger visaient les 12 plus importants paradis fiscaux… On parle de 170 milliards de dollars d’investissements canadiens à l’étranger. Est-ce que tout cet argent est illégal? Absolument pas. La plupart de ces investissements pourraient être légaux. Toutefois, ces investissements canadiens à l’étranger sont imposés — peut-être légalement, peut-être pas — selon un taux très bas. Est-ce que les autorités canadiennes savent que cet argent devrait être imposé ici? Je doute…

Le président : Je vous demanderais de conclure; nous avons déjà abordé ce point.

Le sénateur Marwah : J’ai une question pour M. Allen également. Nous pourrions débattre du problème des bénéficiaires effectifs. De toute évidence, il y a un problème, mais nous pouvons débattre de son importance. Ce qui me pose problème, c’est le temps. Vous avez proposé d’intégrer les modifications au projet de loi pour régler le problème du registre seulement, mais les lois ne sont pas simples. Nous n’allons pas régler la question d’ici la fin de la semaine ni d’ici janvier, février ou mars. On parle de retarder l’adoption du projet de loi jusqu’en avril ou en mai peut-être, si on arrive à s’entendre et qu’il y a consensus, ce qui n’est pas fait. Croyez-vous qu’on doive retarder l’adoption de tout le projet de loi, qui vise de nombreuses questions que nous voulions régler depuis des années, comme la diversité? Allons-nous reporter tout cela au mois d’avril ou au mois de mai?

M. Allen : Je vais retourner la question : si nous ne le faisons pas maintenant, quand le ferons-nous?

Le sénateur Marwah : Là n’est pas la question. Pourquoi ne pas dire au ministère des Finances que nous avons un vrai problème. Est-ce qu’on a dit que ce n’était pas un problème? Selon ce que dit le sénateur Wetston, le ministre rencontrera ses homologues provinciaux. Leur avez-vous parlé? Est-ce qu’ils ont dit qu’il n’y avait pas de problème et vous ont demandé de vous en aller?

M. Allen : Non. Je leur ai parlé et ils nous ont dit qu’il y avait des obstacles fédéraux et provinciaux, mais le problème dure depuis longtemps et on le sait depuis longtemps également. Nous croyons qu’il y a une certaine urgence. Je laisse le soin aux législateurs de décider s’il est possible de le régler à temps, mais il s’agit d’un projet de loi sur les sociétés et il ne vise pas uniquement à protéger les sociétés : il vise à équilibrer les droits de chacun. On a tout avantage à intégrer ce volet au projet de loi.

Le sénateur Marwah : Croyez-vous qu’on doive retarder tous les autres volets du projet de loi pour y intégrer celui-ci? C’est ce que vous dites.

M. Allen : Je veux…

Le sénateur Marwah : C’est le résultat net de ce que vous dites, alors vous croyez que cela en vaut la peine.

Le président : Le message est clair; vous pourriez vous retrouver avec un vrai problème, je vous le dis.

La sénatrice Omidvar : J’aimerais revenir au libellé du projet de loi, qui vise la diversité, mais qui se centre surtout sur l’équité entre les sexes afin de changer les choses le plus possible, sans être trop prescriptif. Or, même lorsqu’on utilise les définitions de l’équité en matière d’emploi, d’autres préoccupations relatives à la diversité demeurent. Il y a 14 motifs, en plus des exigences de la Commission canadienne des droits de la personne. Au Sénat, un collègue a souligné de manière fort appropriée le besoin d’une diversité linguistique, surtout dans un pays bilingue. Comment pouvons-nous veiller à ce que les définitions sur la diversité dépassent le sexe et dépassent peut-être même l’équité en matière d’emploi?

Mme Kaplan : Je conviens que la Loi sur l’équité en matière d’emploi ne comprend que quatre catégories, qui ne représentent pas toutes les formes de diversité. Comme vous l’avez dit, il y a de nombreuses autres définitions, notamment dans la Loi sur les droits de la personne et ailleurs également. Comme l’a fait valoir le ministre Bains, on pourrait laisser la définition ouverte pour permettre à chaque entreprise de l’interpréter à sa façon.

Toutefois, on sait ce qui arrive lorsqu’il n’y a pas de définition : les gens s’en remettent à une définition si large de la diversité qu’on ne réalise aucun progrès pour les catégories de personnes protégées, et cela m’inquiète.

Je n’ai rien de précis à vous prescrire. Je crois que c’est un choix auquel vous devez réfléchir en tant que législateurs : ce compromis entre une diversité plus large et le fait de veiller à ce que les définitions ne permettent pas aux sociétés de penser par exemple que la diversité se résume à embaucher un spécialiste du marketing et un ingénieur.

C’est le compromis qu’il faut faire lorsqu’on songe à une définition. Par exemple, si l’on se fondait uniquement sur la Loi sur l’équité en matière d’emploi, alors on ne parlerait pas de la communauté LGBTQ? De nombreuses personnes considéreraient qu’il s’agit d’une grave omission. Je ne veux pas faire de recommandation précise. La Loi sur l’équité en matière d’emploi a bien servi le pays alors on pourrait s’en inspirer. Tout ce que je veux dire, c’est que s’il n’y a pas de définition, on risque de ne pas avancer.

La sénatrice Omidvar : En d’autres termes, vous croyez que les définitions sur l’équité en matière d’emploi constituent un bon point de départ?

Mme Kaplan : Ce serait un minimum, oui, mais je crois qu’il est important d’établir une définition.

Le président : Je remercie les quatre témoins de leur présence. La conversation a été très stimulante et très importante pour nous. Nous vous remercions d’avoir pris le temps de témoigner devant nous.

J’aimerais aborder une question à huis clos. Ce sera très bref. Il n’y aura aucune intervention.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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