Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule no 32 - Témoignages du 31 janvier 2018
OTTAWA, le mercredi 31 janvier 2018
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit en séance publique aujourd’hui, à 16 h 32, pour étudier le projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel).
Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. J’aimerais souhaiter la bienvenue à mes collègues et aux membres du grand public qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, ici dans la salle ou sur la toile. Je m’appelle Doug Black, et je suis président du comité.
Avant de commencer, j’aimerais, au nom du comité, souhaiter de nouveau la bienvenue à Michaël Lambert-Racine, qui était en congé pendant plusieurs mois. Nous sommes heureux de vous revoir, et nous pourrons maintenant faire avancer notre programme très chargé de l’hiver et du printemps. Merci beaucoup et bon retour.
Aujourd’hui, notre comité amorcera ses audiences sur le projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel).
Comme vous le savez tous, des votes auront lieu ce soir, à 17 h 30, et, comme nous l’avons tous appris, un blizzard sévit en ce moment à Ottawa. Par conséquent, nous devrons comprimer notre séance. Je me suis entretenu avec notre collègue et premier témoin, la sénatrice Ringuette, et nous pensons qu’aujourd’hui, nous entendrons son témoignage et que nous attendrons que les groupes d’experts aient comparu la semaine prochaine pour poser toutes les questions que nous pourrions avoir. Cela donnera également à la sénatrice Ringuette, qui a eu la gentillesse d’accepter ce changement d’horaire, l’occasion d’entendre ces témoignages.
Vers 16 h 50 ou peut-être un peu plus tôt, nous poursuivrons la séance à huis clos pour discuter de nos travaux futurs.
Permettez-moi de vous rappeler que le comité poursuivra demain matin, à 10 h 30, ses audiences sur le projet de loi S-237, au cours desquelles il entendra deux groupes de témoins.
Nous souhaitons maintenant la bienvenue à notre chère collègue, la sénatrice Ringuette. Sénatrice, vous avez la parole. Après votre exposé, si le temps le permet, nous tenterons peut-être de poser quelques questions, mais je ne veux pas que vous vous sentiez limitée par cette idée.
L’honorable Pierrette Ringuette, marraine du projet de loi : Monsieur le président, chers collègues, je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de présenter le projet de loi que j’ai déposé pour la deuxième fois. Lorsque je l’ai déposé à la Chambre des communes la première fois, il a été rayé du Feuilleton, en raison du déclenchement des élections.
Je reviens maintenant à la charge. Essentiellement, je préconise que le taux d’intérêt criminel, qui figure à l’article 347 du Code criminel du Canada, soit modifié afin d’être fixé au taux de financement à un jour de la Banque du Canada — qui s’élève actuellement à 1,25 p. 100 — et majoré de 20 p. 100. Le taux d’intérêt criminel pour certains produits serait donc plafonné à 21,25 p. 100 au lieu des 60 p. 100 actuels.
Pourquoi ai-je lié ce taux d’intérêt au taux de financement à un jour de la Banque du Canada? Je l’ai fait pour m’assurer qu’avec le temps, une certaine marge de manœuvre existe. Par exemple, si le taux de la Banque du Canada est établi à 10 p. 100, c’est pour veiller à ce que les établissements de crédit disposent de la marge de manœuvre nécessaire pour rajuster leurs taux. De plus, ainsi, le taux d’intérêt criminel sera automatiquement rajusté.
Au cours des 10 dernières années, les décisions de la Cour suprême ayant trait à cet article particulier du Code criminel étaient toutes liées au droit des contrats. Aucune de ces trois décisions ne s’attaquait à la pratique criminelle du prêt usuraire et au taux d’intérêt criminel qui s’y rattache.
En ce qui concerne cet enjeu, il est à noter en particulier que, en 2006, le gouvernement de l’époque a décidé d’exclure de l’article du Code criminel en question un instrument financier particulier, à savoir les prêts de 1 500 $ ou moins pour une période de 62 jours ou moins — et cette mesure a été adoptée par le Parlement en 2007. Ce produit financier a été exclu au cas où les provinces souhaiteraient être chargées d’accorder des permis aux établissements de crédit qui s’imposeraient pour offrir ce produit financier particulier. Pour être autorisées à accorder ces permis par le ministre des Finances, les provinces devaient remplir certaines conditions.
Depuis, toutes les provinces réglementent ce produit financier. Cependant, la province du Québec n’a pas demandé à être autorisée à le réglementer parce qu’aux termes de sa loi sur la protection du consommateur, la valeur maximale du taux d’intérêt est déjà établie à 35 p. 100. Par conséquent, les groupes de consommateurs sont bien protégés.
J’aimerais également souligner que, si un taux d’intérêt relève du gouvernement fédéral et figure dans le Code criminel, c’est que, selon le paragraphe 91(19) de la Loi constitutionnelle, il incombe au gouvernement du Canada de réglementer les intérêts.
Le projet de loi dont vous êtes saisis s’applique à tous les prêts destinés aux particuliers, aux ménages et aux organisations sans but lucratif. Leurs taux d’intérêt seraient donc plafonnés au taux de financement à un jour de la Banque du Canada majoré de 20 p. 100, alors que nous maintiendrions le taux maximal de 60 p. 100 pour les prêts aux entreprises d’un million de dollars ou moins. Toutefois, les recherches que nous avons effectuées au fil des ans ont indiqué que, dans certaines circonstances, les grandes sociétés avaient besoin d’un financement provisoire pendant une période de temps très brève. Cependant, les taux d’intérêt de ce financement pourraient dépasser 60 p. 100. Nous supprimons donc du Code criminel l’exigence selon laquelle les grandes sociétés doivent avoir contracté des prêts d’un million de dollars ou plus.
Je peux vous transmettre toutes les données dont je dispose. Permettez-moi de vous dire que j’ai mené de nombreuses recherches à cet égard. Par exemple, il y a également le cas des entreprises de téléphonie et de câblodistribution qui facturent aux ménages des taux d’intérêt annualisés supérieurs à 42 p. 100. Comment peut-on justifier l’application d’un taux d’intérêt de 42 p. 100 sur une facture d’électricité ou de câblodistribution?
J’aimerais également souligner le fait que 18 États des États-Unis, notre pays voisin, possèdent des lois qui réglementent les taux d’intérêt acceptables pour des biens de consommation. En outre, il y a trois ans, le gouvernement fédéral a mis en œuvre un projet de loi particulier qui plafonne les taux d’intérêt que les sociétés de prêt peuvent appliquer aux membres des Forces armées.
Je vous indique également que le projet de loi n’aurait aucune incidence sur les prêts ou les marges de crédit de nos banques à charte, parce que leurs taux d’intérêt sont inférieurs à 21,25 p. 100. Le taux préférentiel augmenterait en même temps que le taux d’escompte, et les limites progresseraient du même coup, ce qui permettrait aux banques d’offrir des prêts à des taux qui varient en fonction des conditions économiques.
Le projet de loi n’aura pas de répercussions sur la plupart des cartes de crédit, car la majorité d’entre elles ont des taux d’intérêt qui vont de 9,99 p. 100 à 19,99 p. 100. Selon nos recherches, les taux d’intérêt associés aux marges de crédit et aux prêts bancaires sont habituellement inférieurs à 15 p. 100, même s’il s’agit de prêts non garantis. Cela m’amène à parler du produit qui a été exclu du Code criminel en 2006 et 2007, en raison de la prolifération des prêts sur salaire dans les provinces.
Certaines personnes croient que les provinces créent des règlements pour régir les divers produits financiers commercialisés par ces établissements. J’ai assisté à des séances du Comité des banques, et je dois dire que, à l’époque, le président du comité n’appuyait pas le projet de loi. Nous pouvons maintenant constater son effet. Il permettait que des taux d’intérêt différents soient appliqués aux prêts accordés aux Canadiens des quatre coins du pays, et le président n’approuvait pas cela.
Le ministre de la Justice de l’époque, M. Toews, avait indiqué clairement que le seul produit financier touché avait une valeur qui ne dépassait pas 1 500 $ et était remboursable dans les 62 jours suivants. Cela nous paraît clair.
Après la mise en œuvre de cette mesure, j’ai continué à surveiller ce qui se passait dans le marché à cet égard. Finalement, la solution au problème est celle que je vous propose. La prolifération des établissements de crédit a également entraîné la prolifération de produits financiers qui ne sont pas soumis aux lois provinciales, mais qui sont assujettis au Code criminel en raison des mesures que nous avons prises en 2006-2007 dans le cadre du projet de loi C-26.
Il s’ensuit que tous les produits financiers dont la valeur est supérieure à 1 500 $ et dont la période de remboursement dépasse 62 jours relèvent du Code criminel. Il est très important que nous mettions en œuvre une mesure qui offrira une certaine protection contre le reste des produits financiers vendus par des établissements autres que les banques à charte.
J’aimerais aussi faire ressortir le fait que le document, daté du 30 janvier de l’année en cours, que nous avons reçu de la Bibliothèque du Parlement ne présente pas les détails de l’industrie du prêt sur salaire et du mécanisme de réglementation que nous avons prévu pour les provinces en 2006-2007. Je vous fournirai quelques exemples à cet égard.
Le président : Je remarque l’heure. Il est presque 16 h 50. Comme je ne tiens pas à limiter votre temps de parole, nous pouvons vous accorder plus de temps plus tard, ou vous pouvez conclure maintenant, en fonction de ce qui vous convient le mieux.
La sénatrice Ringuette : Pour m’assurer que vous comprenez les particularités du produit financier qui est maintenant réglementé par les provinces, j’ai fourni la transcription de séances du Comité des banques. Les secrétaires parlementaires des ministres de la Justice et de l’Industrie étaient chargés de présenter cet enjeu. Lorsque vous lirez cette transcription, en français et en anglais, vous comprendrez que les provinces assument une seule responsabilité à propos d’un seul produit financier. Tous les autres produits sont assujettis à l’article 347 du Code criminel du Canada. Je tiens aussi à vous mentionner qu’à l’époque, nous examinions deux industries. L’une d’elles était celle des prêts sur salaire consentis par Cash Money ou Money Mart. L’autre était celle des prêts en ligne offerts au Canada, que j’ai recherchés à l’aide de Google aujourd’hui. J’ai découvert qu’il existait 10 pages de sites web offrant des prêts s’élevant même jusqu’à 200 000 $.
Je vais en énumérer quelques-uns : Loan Away, Prêt argent rapide, Magical Credit, iCash, LendDirect, Fair Return, Loan Express, GoDay, My Canada Payday, Cash Money, Credit Club, Loans Canada Online, 2010Loans et lendmecash. La liste est longue. Il y a 10 pages d’organisations non réglementées qui rendent les consommateurs très vulnérables. En toute honnêteté, je ne crois pas que le gouvernement fédéral, qui est responsable de l’application de la loi pénale, ait pris le temps d’examiner vraiment toutes ces activités en cours.
Certaines organisations sont très prudentes, puisqu’elles annoncent un taux d’intérêt de 59,9 p. 100. Certaines le sont moins parce que, selon l’interprétation de la Cour fédérale et de la Cour suprême, les taux d’intérêt englobent également les frais d’administration, les assurances ainsi que tous les autres frais associés aux prêts. La façon dont les consommateurs canadiens sont traités est grandement problématique, nous devons mettre un terme à ces pratiques abusives.
Je vais m’arrêter ici, mais je peux vous fournir tous les résultats des recherches que j’ai effectuées, et je suis disposée à le faire. Cet enjeu représente un problème majeur pour les Canadiens des quatre coins du pays. J’espère que ce projet de loi passera à l’étape de la troisième lecture et que, lorsqu’il sera étudié à la Chambre des communes, le gouvernement décidera qu’il souhaite confier des responsabilités supplémentaires aux provinces relativement à ces régimes de prêts. Qu’il en soit ainsi, mais, en ce moment, rien ne protège les consommateurs canadiens qui en ont désespérément besoin la plupart du temps.
Le président : Merci, sénatrice Ringuette. Je vous remercie infiniment de votre engagement à l’égard de cet enjeu, que nous remarquons constamment. Vous avez foi en cette initiative, et vous continuez de la présenter. Je vous en remercie donc. J’ai conscience du temps qui passe et des conditions atmosphériques à l’extérieur. Nous devons retourner à la salle du Sénat.
Je me demande s’il ne vaudrait pas mieux que ceux d’entre vous qui ont des questions à poser les prennent en note. Ne les oubliez pas toutefois. Si cela convient à tous, il est probable que nous organiserons une série de questions à l’intention de la sénatrice Ringuette après avoir entendu notre groupe de témoins la semaine prochaine.
Nous avions également planifié de poursuivre la séance à huis clos. Je pense que nous devrions reporter nos discussions à huis clos jusqu’à demain, je l’espère. Nous avons besoin de seulement 15 minutes. Par conséquent, nous trouverons le temps de nous en occuper demain. La vice-présidente et moi avons besoin de connaître votre opinion à propos d’un certain nombre de questions. Nous ne souhaitons pas précipiter les choses. Il n’y a aucune raison de le faire.
La sénatrice Ringuette : Si vous me le permettez, j’ai apporté les présents documents afin de les remettre à tous les membres du comité.
Le président : Bien sûr. Sénatrice Ringuette, je vous remercie infiniment de votre exposé et de votre engagement à cet égard.
(La séance est levée.)