Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule no 32 - Témoignages du 1er février 2018
OTTAWA, le jeudi 1er février 2018
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel), se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue à mes collègues et aux membres du public qui suivent aujourd’hui les travaux du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, ici même dans la salle ou sur le Web.
Je m’appelle Doug Black et je suis président du comité.
Avant de commencer, je vais demander à mes collègues autour de la table de se présenter pour que les témoins et les gens qui nous regardent sachent quels sénateurs sont présents ce matin.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Unger : Betty Unger, de l’Alberta.
Le président : Permettez-moi d’ajouter que nous pouvons compter sur l’aide très compétente de nos analystes et de la greffière du comité.
Aujourd’hui, notre comité poursuit ses audiences sur le projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel).
Hier, nous avons entendu notre collègue, marraine du projet de loi, la sénatrice Ringuette. Aujourd’hui, notre premier groupe de témoins est composé de Mme Courtney Mo, gestionnaire des politiques publiques, Momentum, qui est à Calgary et va témoigner par vidéoconférence. Bonjour. Il y a également Mme Patricia White, directrice exécutive, Conseil en crédit du Canada, qui est dans la salle avec nous.
Il y a une chaise vide. C’est que nous attendons M. Tom Cooper, directeur, Hamilton Roundtable for Poverty Reduction. Il va témoigner par vidéoconférence. Il est sur la route. Je présume que les routes sont telles qu’on peut s’attendre à ce qu’elles soient au Canada en février. Quand il sera là, la chaise sera occupée et nous pourrons entendre son témoignage également.
Je vais demander à chacun des témoins de présenter une déclaration liminaire de cinq minutes, et nous allons surveiller étroitement le temps. À la suite de cela, les sénateurs auront très certainement des questions à vous poser.
Encore une fois, bienvenue. Nous commençons par Mme White.
Patricia White, directrice exécutive, Conseil en crédit du Canada : Merci de me permettre de venir témoigner au sujet de ce projet de loi.
J’aimerais d’abord vous fournir de l’information sur Conseil en crédit du Canada. Il s’agit d’une association nationale d’organismes sans but lucratif membres qui éduquent et conseillent les Canadiens sur la gestion de leurs finances et qui établissent également des stratégies de gestion du crédit et des dettes.
Nos 17 organismes membres gèrent plus de 65 bureaux à l’échelle du pays et offrent de l’aide en personne, par téléphone ou par Internet à quiconque le demande dans leurs collectivités, et ce, avec professionnalisme, compassion et objectivité.
L’année passée, des conseillers certifiés ont dispensé conseils et éducation à plus de 175 000 particuliers et ménages. Dans le cadre du Mois de la littératie financière, en novembre — en un seul mois —, nos membres ont présenté 860 événements qui ont attiré 17 000 participants. Nous sommes occupés toute l’année.
L’année passée, plus de 103 millions de dollars ont été payés dans le cadre de programmes de remboursement de dettes, ce qui a permis à nos clients de rembourser le solde de leur dette en souffrance.
L’univers du prêt au Canada devient de plus en plus complexe et obscur pour le public en général. Les membres de CCC s’efforcent de clarifier les choses pour que les consommateurs canadiens puissent comprendre leurs options et ainsi améliorer leur situation financière personnelle.
Pour les besoins de vos discussions, j’ai pensé qu’il serait important que vous compreniez ce qui arrive aux consommateurs canadiens à l’aide d’un exemple. Anna vit en Colombie-Britannique. Elle a 66 ans, est veuve et est pensionnée. Elle a accumulé des dettes, faute d’avoir établi un budget. Elle a élevé seule sa fille et a occupé deux ou trois emplois simultanément toute sa vie pour joindre les deux bouts. À 66 ans, elle travaille toujours afin de rembourser ses dettes. Elle a eu des problèmes de dettes presque toute sa vie et elle n’a jamais eu d’aide pour améliorer sa littératie financière. Elle a déclaré faillite en 2005, et les banques à charte lui ont par la suite refusé des prêts à taux abordables. Elle a dû se tourner vers des prêteurs offrant des taux d’intérêt élevés pour pouvoir couvrir les dépenses imprévues et les déficits causés par un revenu insuffisant pour couvrir les dépenses mensuelles.
Quand elle s’est adressée à un de nos membres, elle devait de l’argent à trois sociétés de prêt à tempérament, dont les taux d’intérêt dépassaient 30 p. 100, et à deux sociétés de prêt sur salaire. Elle a récemment décidé de rembourser ses dettes au moyen d’un plan de remboursement sur quatre ans, mais elle a l’intention de prendre sa retraite quand elle aura 71 ans et qu’elle n’aura plus de dettes, espérons-le. Son conseiller en crédit lui offre un soutien continu afin de garantir le succès du processus.
Ce que nous avons constaté au fil du temps, c’est une demande accrue de produits financiers parallèles très coûteux et de produits de crédit de faible montant. Ces prêts comportent des taux d’intérêt élevés et s’accompagnent de frais additionnels qui font porter le taux au-delà de la limite de 60 p. 100, et ce, avec peu, sinon aucune transparence.
Ce que nous voyons, ce sont des consommateurs vulnérables qui ne sont pas capables de prendre en charge de tels taux d’intérêt. La majorité de ces consommateurs sont des personnes âgées, des immigrants récents, des mères seules, des Autochtones et des gens qui ne peuvent emprunter auprès des établissements financiers traditionnels ou qui sont considérés comme des emprunteurs présentant un risque élevé.
On ne saurait trop insister sur l’importance d’une bonne santé financière et du bien-être financier. Les valeurs de notre société ont changé au cours des dernières générations. On encourage les gens à avoir des marges de crédit pour pouvoir faire face aux pressions du consumérisme moderne, plutôt que d’épargner en prévision des situations d’urgence. Les gens n’ont pas de réserves pour faire face aux aléas de la vie. Vivre d’une paye à l’autre est maintenant la norme pour de nombreuses familles canadiennes. Ce problème rend tout le monde vulnérable à une dette excessive qui les oblige à obtenir rapidement du crédit à taux d’intérêt élevé simplement pour joindre les deux bouts.
Je sais que les médias parlent depuis un moment de la dette élevée par rapport au revenu disponible, mais il manque une analyse de la cause première. Il manque à nos populations vulnérables la littératie financière fondamentale. Ces lacunes en matière de littératie financière sont à la base de l’incapacité des Canadiens d’épargner et d’emprunter — deux comportements financiers très importants. Ils sont limités à un marché d’emprunt et de prêts complexe qui se nourrit de cette littératie financière manquante des consommateurs, et le cycle se poursuit.
Nous avons quelques recommandations à vous soumettre.
Nous préconisons fortement que le taux d’intérêt soit réduit et qu’on tienne compte de la façon dont l’intérêt est calculé, de même que les frais additionnels, comme les frais de retard, qui viennent s’ajouter au taux courant. Nous sommes d’accord pour que vous consultiez l’industrie avant d’apporter ces changements.
Veuillez vous assurer que la loi pourra être appliquée par un organisme de surveillance pertinent auquel les Canadiens auront accès s’ils souhaitent signaler une infraction.
Nous aimerions que le mandat relatif à la collecte de données sur l’utilisation de produits financiers de rechange très coûteux permette la production d’information à des fins d’évaluation future.
Nous croyons que l’éducation financière devrait être offerte à tous les emprunteurs à risque élevé. Les consommateurs vulnérables ont besoin de plus d’occasions d’être renseignés sur les finances personnelles. C’est vraisemblablement plus utile à un moment où ils peuvent pleinement comprendre les risques et les avantages de la décision d’aller chercher du crédit additionnel ou de ne pas le faire.
Nous aimerions que l’environnement des prêts en ligne soit restreint en étant régi par des permis.
Ce sont les recommandations que nous vous soumettons.
Le président : Merci, madame White.
Madame Mo, c’est à vous.
Courtney Mo, gestionnaire des politiques publiques, Momentum : Bonjour, et merci de me donner l’occasion de discuter avec vous aujourd’hui.
Momentum est un organisme communautaire sans but lucratif qui collabore chaque année avec plus de 3 000 habitants de Calgary à faible revenu afin d’améliorer leurs moyens de subsistance à l’aide de programmes d’entrepreneuriat, de programmes d’acquisition de compétences et de programmes de littératie financière. Au fil des ans, les participants aux programmes ont attiré notre attention sur l’incidence des produits de crédit à coût élevé comme les prêts sur salaire, les prêts sur gage, les prêts remboursables par versements, les prêts sur titre, les prêts automobiles ainsi que les programmes de location-achat. Un grand nombre de nos participants sont aux prises avec des dettes élevées qui font en sorte que leur gagne-pain n’est pas viable. Nous avons donc examiné la question plus en profondeur. Voici ce que nous avons appris.
Premièrement, au Canada, le crédit à coût élevé contribue à un cycle dangereux d’endettement et de pauvreté chez les plus vulnérables. Les personnes les moins capables d’emprunter sont celles qui paient le plus cher. Les prêteurs se trouvent surtout dans des quartiers défavorisés et ciblent souvent les prestataires de l’assurance-emploi, les nouveaux venus ainsi que les personnes sans cote de crédit ou ayant une mauvaise cote de crédit et peu d’autres options. Ces prêts servent fréquemment à couvrir des besoins fondamentaux, ce qui signifie que beaucoup de personnes à faible revenu paient 60 p. 100 d’intérêt et plus sur l’épicerie, le loyer ou les couches.
Deuxièmement, c’est un problème croissant. Les prêts remboursables par versements représentent le type de dette qui affiche la plus forte croissance au Canada avec une hausse de 7,7 p. 100 en 2016. Environ 6,4 millions de Canadiens avaient un prêt remboursable par versements en 2017. Les prêts à coût élevé remboursables par versements représentent une somme de 132 milliards de dollars dus au Canada, et nous avons observé que des modifications récentes aux règles de prêt sur salaire en Alberta font en sorte que les emprunteurs se tournent maintenant vers les prêts remboursables par versements.
Troisièmement, le taux maximal actuellement permis au Canada est trop élevé. Les prêteurs exigent le taux maximal dans certains cas, et dans d’autres cas, comme pour la location-achat et les prêts sur gage, ils exigent un taux supérieur à 60 p. 100. Une participante de Momentum a obtenu un prêt sur gage au moyen de son téléviseur pour pouvoir se payer de la nourriture et les frais de transport en commun au cours du mois. Le prêt de 150 $ lui a coûté 45 $ pour une période de 30 jours. Le problème, c’est qu’elle n’a pas été capable de rembourser le prêt et a donc dû le renouveler plus d’une fois. Eh bien, 45 $ par mois pendant un an, cela revient à payer 540 $ pour un prêt de 150 $. Elle a également fini par perdre le téléviseur à défaut de pouvoir rembourser la dette, les intérêts et les frais.
Quatrièmement, des précisions sont nécessaires concernant la façon dont le taux d’intérêt maximal est calculé et communiqué, ce sur quoi il s’applique et la manière dont il est mis en œuvre. Comme vous le savez, notre monde actuel de crédit à coût élevé n’existait pas lorsque le taux d’intérêt maximal a été inclus pour la première fois dans le Code criminel. L’application de la loi pose problème. Il y a manifestement des prêteurs qui imposent un taux supérieur au taux maximal du Code criminel. Les frais d’assurance, qui ne sont souvent pas présentés comme étant facultatifs, font grimper les coûts, mais ils ne sont pourtant pas inclus dans le calcul du taux maximal. Cette situation a créé une échappatoire qui fait grimper le coût et qui permet aux prêteurs d’imposer des frais d’assurance supplémentaires, ce qu’ils font avec beaucoup de vigueur.
De plus, les provinces fondent leurs calculs sur un taux de pourcentage annuel, ce qui représente une façon plus courante et mieux comprise de calculer le taux d’intérêt, tandis que le gouvernement fédéral se sert du taux annuel réel. Cela porte à confusion et mène à une certaine ambiguïté au moment de déterminer ce qui est permis.
Vous avez demandé que nous examinions la question sous l’angle du sexe et de l’origine autochtone. Ce sont souvent les gens pauvres qui s’adressent aux prêteurs à coût élevé, et nous savons qu’une forte proportion de femmes et d’Autochtones vivent dans la pauvreté. Ce sont d’ailleurs surtout des femmes et des Autochtones qui veulent nous faire part de leur situation et nous montrer les contrats de crédit à coût élevé.
En conclusion, nous estimons que le projet de loi constitue une importante stratégie de réduction de la pauvreté et du coût de la pauvreté pour les systèmes canadiens. Nous sommes pour la réduction du taux maximal prévu dans le Code criminel pour les emprunts et estimons qu’il doit s’appliquer de façon générale au crédit à la consommation à coût élevé, y compris à tous les frais connexes et aux éventuels ajouts par les prêteurs, et qu’il doit être harmonisé à la façon dont les taux d’intérêt sont calculés dans les provinces et les territoires.
Nous avons soumis deux rapports à l’appui de notre témoignage d’aujourd’hui. L’un est un rapport des Westcoast Actuaries qui montre certains de ces contrats de crédit à coût élevé. L’autre est un document d’orientation de Momentum qui jette de la lumière sur cette question et sur ce qui doit changer.
Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, madame Mo.
Monsieur Cooper, je vous remercie beaucoup. Je suis ravi de constater que vous vous êtes bien rendu en un seul morceau. Avant de vous donner la parole, j’aimerais présenter au groupe deux sénateurs qui sont arrivés après l’ouverture de la séance. Il s’agit du sénateur Marwah, de Toronto, et du sénateur Day, du Nouveau-Brunswick.
Cela dit, allez-y, s’il vous plaît, monsieur Cooper.
Tom Cooper, directeur, Hamilton Roundtable for Poverty Reduction : Merci beaucoup.
Je dirige la Hamilton Roundtable for Poverty Reduction, qui s’intéresse principalement à la question des prêts sur salaire. Nous savons qu’en Ontario, comme on vient de le dire au sujet de l’Alberta, depuis 20 ans, l’industrie mène ses activités en ne faisant pas l’objet d’une surveillance gouvernementale rigoureuse.
Je sais que le projet de loi ne couvre pas spécifiquement les prêts sur salaire, mais nous savons que l’industrie s’intéresse aux prêts à tempérament. Vous avez entendu parler de l’expérience albertaine, et on peut signaler la même chose pour l’Ontario, où, par exemple, Money Mart, la plus importante société de prêt sur salaire au Canada, cherche activement des consommateurs pour offrir ces prêts à tempérament, qui peuvent atteindre 15 000 $.
Sur le site web de Money Mart, un consommateur peut inscrire le montant d’une demande de prêt dans un calculateur en ligne. Par exemple, pour une demande de prêt à tempérament de 5 000 $, pour 36 mois, bien qu’on indique que le taux annuel en pourcentage pour ce prêt est des 59,90 p. 100 — ce qui est seulement 0,1 p. 100 en deçà du taux d’intérêt criminel —, une personne pourrait obtenir un prêt de 5 000 $, peut-être avec une vérification de solvabilité ou non, pour 301,85 $ par mois pour une période de 36 mois. Cela signifie que le montant total du remboursement du prêt de 5 000 $ s’élèverait à 10 866,60 $.
Nous estimons que ce genre de taux d’intérêt est tout à fait abusif. Tout comme en Alberta, en Ontario, dans ma collectivité d’Hamilton, nous avons été témoins des effets que causent des prêteurs très actifs qui s’attaquent vraiment aux gens les plus vulnérables.
Vous savez que souvent, les sociétés de prêt sur salaire s’installent en périphérie des collectivités à faible revenu. Nous l’avons constaté. À Hamilton, il y a 40 points de service de sociétés de prêt sur salaire; en Ontario, on en compte 800.
Bien que le gouvernement provincial ait récemment proposé de nouvelles mesures législatives visant à réduire les taux d’intérêt élevés, qui sont maintenant de 391 p. 100 par année pour les prêts sur salaire, nous craignons qu’un plus grand nombre de gens demandent des prêts de plus grande valeur et qu’ils s’endettent de plus en plus.
Des membres de notre collectivité et des conseillers en crédit d’organismes à but non lucratif nous ont dit que cette situation ne cesse de s’empirer et que des gens font des choix impossibles et sont incapables de rembourser leur dette, de payer leur loyer, leur nourriture ou d’autres choses essentielles. Nous constatons également que des gens utilisent ces prêts pour couvrir ces besoins essentiels parce qu’ils n’ont aucun autre recours.
Je ne crois pas avoir beaucoup à ajouter à ce qui a déjà été dit, mais nous encourageons une réduction du taux d’intérêt criminel, et il faudrait envisager la possibilité, je suppose, de revoir les responsabilités des sociétés de prêt sur salaire également. Le fait qu’elles puissent imposer un taux d’intérêt bien supérieur au taux d’intérêt criminel de 60 p. 100 et, en Ontario, imposer un taux annuel de 391 p. 100 pour leurs prêts est plus que criminel. Nous estimons que cela constitue de la violence économique et nous incitons sans hésiter le Sénat à agir rapidement pour freiner cette industrie et d’autres prêteurs qui, très franchement, rendent la vie impossible aux Canadiens à faible revenu, en particulier ceux qui travaillent et ceux qui ont un revenu fixe.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Cooper. Je remercie tous les témoins de leurs exposés et de leur engagement à l’égard de cette question très importante. Le Canada est toujours un meilleur endroit lorsque les gens retroussent leurs manches et apportent leur contribution. Manifestement, c’est ce que vous faites tous les trois.
Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. Je demande à la vice-présidente du comité, la sénatrice Stewart Olsen, de commencer, s’il vous plaît.
La sénatrice Stewart Olsen : J’ai deux questions, dont une qui s’adresse à tous les témoins. Je vous demande donc de fournir des réponses brèves, s’il vous plaît, de sorte que je n’utilise pas beaucoup de temps.
Je constate avec intérêt que le plafond établi à 60 p. 100 est un taux très élevé. Croyez-vous qu’il a été établi dans le but d’essayer, d’une façon qui s’apparente un peu à l’ingénierie sociale, de dissuader les gens qui n’en ont pas les moyens d’emprunter? On ne saisit peut-être pas encore que certaines personnes n’ont tout simplement pas d’autre choix et c’est un piège. Pourriez-vous me donner votre point de vue là-dessus? De plus, j’aimerais savoir ce que chacun de vous pense du taux d’intérêt de 60 p. 100 et quel serait le taux d’intérêt acceptable. Est-ce que ce qu’on préconise dans le projet de loi est acceptable, ou avez-vous une opinion différente? Merci.
Mme White : Je ne sais pas pourquoi le taux a été établi à 60 p. 100. J’ignore ce qui en est à l’origine. J’en suis désolée. Or, je sais qu’il semble que les gens qui veulent demander un prêt à tempérament n’ont pas d’autres options à l’heure actuelle. C’est ce qui leur nuit. Je le vois très bien avec les personnes qui nous demandent des conseils en crédit.
Je ne suis pas sûre d’avoir une très bonne réponse à vous offrir. Je vous suggère de consulter le document d’orientation de Momentum dans lequel on a examiné les taux d’intérêt d’autres endroits et d’autres pays. D’après nos recherches, nous pensons à un taux de 35 à 40 p. 100, mais il est certain que nous souhaitons que ce taux soit réduit.
Mme Mo : Je ne sais pas pourquoi le taux a été établi à 60 p. 100, mais nous savons que le monde du crédit à coût élevé d’aujourd’hui n’existait pas à l’époque, de sorte qu’à l’époque, on n’a pas pu déterminer ce qui serait approprié pour les types de produits de prêts à la consommation qui existent dans le marché de nos jours.
Nous savons qu’un taux de 60 p. 100 ne dissuade pas les gens de contracter un prêt à coût élevé. Nous avons vu des prêts à taux dépassant nettement 60 p. 100 et pourtant, une personne désespérée contractera tout de même l’emprunt.
Il est important que nous offrions d’autres options, car pour bien des gens, emprunter n’est pas une bonne idée. Des services et des programmes communautaires, de l’aide financière d’urgence — pour bien des gens, toute solution autre qu’un prêt constitue une bien meilleure option.
Pour ce qui est du taux que nous recommanderions, nous sommes d’avis qu’un taux moins élevé serait meilleur, mais nous recommandons la tenue de consultations pancanadiennes pour déterminer quel devrait être le nouveau taux maximal. Je peux vous dire que l’Alberta a récemment défini le « crédit à coût élevé » comme ce qui atteint 32 p. 100 et plus. Le Manitoba a fait de même. Nous savons que le Québec a créé un précédent : tout taux qui dépasse 35 p. 100 est considéré comme un taux usuraire. L’Ontario envisage de l’établir à 35 p. 100. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral a établi à 36 p. 100 le taux concernant le crédit à coût élevé pour les familles militaires. Il semble y avoir un précédent et un mouvement pour un taux de 35 p. 100.
Je crois que l’approche adoptée dans le cadre de ce projet de loi, soit de lier le taux au taux de prêt de la Banque du Canada, est plus viable. Merci.
M. Cooper : Je souscris à ce qui a été dit. Le problème sociétal, c’est que de nombreux emprunteurs à faible revenu ne sont pas en mesure d’obtenir du crédit. Ils ont peut-être une mauvaise cote de crédit maintenant, mais ils n’ont pas accès à des services financiers offerts par les banques traditionnelles, en particulier, malgré le fait que les profits des grandes banques n’ont jamais été aussi élevés. Je crois que le gouvernement fédéral a un rôle déterminant à jouer, qui consiste à inciter nos grandes institutions financières à permettre aux gens à faible revenu d’accéder à leurs produits, surtout à leur accorder des prêts d’urgence lorsqu’ils se retrouvent dans une situation d’urgence de sorte que les gens ne pensent pas que leur seule option est de contracter un prêt auprès de prêteurs sans scrupule.
Un autre problème, c’est que bon nombre de gens ont un revenu insuffisant. Si nous examinons les choses dans une perspective plus large, nous parlons d’un salaire minimum vital, de prestations d’aide sociale qui conviennent et de logements abordables. Tous ces aspects entrent en jeu également concernant les grandes pressions financières que ressentent les Canadiens de nos jours. Nous savons que de plus en plus de Canadiens ne cessent de s’endetter davantage parce que bien d’autres aspects de leur vie sont inabordables.
Nous devons nous tourner vers nos institutions financières, nos grandes banques, de même que nos caisses populaires. Les caisses populaires ont fait un peu plus de place que les grandes banques, mais il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour nous assurer que les gens peuvent obtenir des services financiers lorsqu’ils sont dans le besoin.
La sénatrice Wallin : Ma question s’adresse à chacun de vous, mais, madame White, je crois que vous avez dit qu’il s’agit d’une stratégie de réduction de la pauvreté. J’ai noté ici que nous devons nous attaquer à ce problème. Je me demande si nous ne sommes pas en train de confondre deux choses. Régler les questions du revenu adéquat, de l’accès au logement, de la littératie financière ou de la pauvreté en général est un enjeu distinct de celui des taux usuraires, trompeurs et complexes. Je me demande comment nous pouvons faire la distinction dans la discussion, car cela embrouille les choses, à mon avis.
Encore une fois, je m’intéresse à vos données, car, dans les mesures législatives, je crois qu’il est question d’un taux inférieur — 20 p. 100. Je ne suis pas très bonne en mathématiques, mais si l’on emprunte 100 $ et que des frais de 2 $ s’appliquent, cela représente en fait 24 p. 100 par année. Il s’agit seulement de frais bancaires réguliers. Je crains que si c’est trop bas, nous punissions des gens qui ont besoin d’une aide à court terme, ce qui est une question différente de celle des prêts à tempérament, entre autres. J’aimerais donc connaître votre point de vue sur l’idée qu’on s’attaque à deux problèmes bien différents.
Mme White : Je comprends. Je conviens qu’il y a de nombreux éléments en cause, ce qui rend la discussion très complexe. Or, des gens sont forcés d’envisager de recourir aux services de prêteurs sans scrupule parce qu’ils n’ont pas d’autres choix. Ils n’ont peut-être pas une bonne cote de crédit. Ils ont peut-être fait faillite. Ils sont dans une situation difficile. Ils n’ont pas de garantie, ni de cosignataire. Puisqu’ils n’ont tout simplement pas accès aux services bancaires traditionnels, ils n’ont pas le choix.
Nous voyons des gens de différents milieux de la société, et je dirais que bon nombre d’entre eux sont vulnérables. Il faut déterminer ce qui passe en premier. Est-ce qu’on s’attaque à la pauvreté, au taux de prêt, à l’itinérance ou à autre chose? Je comprends et je suis tout à fait d’accord avec vous.
La sénatrice Wallin : Je me demande seulement si nous pouvons cibler les démunis — et ce n’est pas que je crois qu’un taux de 60 p. 100, c’est une bonne chose, au contraire. Il nous faut de nouvelles règles, mais je me demande si nous utilisons le mauvais outil pour essayer de régler le problème.
Mme White : C’est-à-dire le taux d’intérêt?
La sénatrice Wallin : Oui.
Mme White : Je pense que le taux d’intérêt est le résultat. C’est ce que les gens doivent payer. Voilà le problème, à mon avis.
Mme Mo : Quand on parle de pauvreté, ce n’est pas qu’une question d’argent, mais c’est toujours une question d’argent. Nous voyons régulièrement des gens qui vivent dans la pauvreté et qui ont de nombreux prêts à coût élevé essayer de combler leurs besoins de base jusqu’au prochain chèque de paye en empruntant à des taux d’intérêt astronomiques. Je crois que le projet de loi, à tout le moins, permettra aux gens d’économiser des sommes importantes, de l’argent qui ira aux familles et aux collectivités à faible revenu dans une large mesure.
M. Cooper : J’abonde dans le même sens. Il est essentiel de remettre plus d’argent aux familles à faible revenu.
Comme je l’ai mentionné, et concernant le point qu’a soulevé la sénatrice Wallin, je pense que les difficultés auxquelles font face les Canadiens à faible revenu, partout au pays, sont liées aux logements inabordables, à la hausse du prix des aliments et au manque de mesures de soutien du revenu, peu importe s’ils travaillent ou qu’ils bénéficient de programmes d’aide gouvernementale. Souvent, ce sont elles, les personnes que ciblent les prêteurs sans scrupule qui se servent de campagnes de publicité mensongères pour inciter les gens à utiliser leurs produits.
Je suis convaincu que, en abaissant le taux d’intérêt, nous faciliterons les choses pour les consommateurs à faible revenu. Parallèlement, notre société doit continuer à s’assurer que les gens peuvent avoir accès à des logements abordables et à des mesures de soutien du revenu adéquates. Les deux sont indissociables.
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie de comparaître devant nous et de nous faire profiter de votre expertise.
Monsieur Cooper, vous avez dit un peu plus tôt que l’Ontario a réduit le taux à 381 p. 100 pour les prêts sur salaire. Dans l’intérêt des membres de notre comité, pourriez-vous en dire davantage à ce sujet?
M. Cooper : Il s’agit d’une baisse récente du taux d’intérêt sur les prêts sur salaire. Il y a deux ans, le coût était de 21 $ par tranche de 100 $, et il a été réduit à 18 $ par tranche de 100 $. L’an dernier et il y a un mois seulement, le 1er janvier, il a été de nouveau réduit, soit à 15 $ par tranche de 100 $, ce qui représente un taux d’intérêt annuel de 391 p. 100. Des collectivités et des gens qui travaillent au nom des personnes qui ont recours à ces prêts ont dit à la province que ces taux étaient tout simplement trop élevés et qu’ils demeuraient trop élevés.
À Hamilton, notre collectivité est devenue la première de notre province, la première municipalité ontarienne, à créer un règlement sur l’octroi de permis pour les prêts sur salaire. Cela signifie que les sociétés de prêt sur salaire d’Hamilton sont tenues de payer des droits. Elles sont tenues de poser des affiches dans leurs points de service sur lesquelles est indiqué le coût réel des intérêts sur un prêt sur salaire comparativement à celui des intérêts sur un prêt offert par une banque à charte. Nous avons également obligé les sociétés de prêt sur salaire à fournir de l’information sur l’orientation à l’égard du crédit à toute personne qui frappe à leur porte, car nous voulons, à coup sûr, rompre le cycle des prêts sur salaire.
Ce mois-ci, le service de délivrance des permis de la Ville d’Hamilton imposera les premières exigences en matière de zonage pour les sociétés de prêt sur salaire, et seulement 15 sociétés de prêt sur salaire seront autorisées à s’établir à Hamilton. Nous espérons qu’au fil du temps, cela permettra de réduire le nombre de points de service de sociétés de prêt sur salaire, mais également le besoin d’y avoir recours dans la collectivité.
La sénatrice Ringuette : Concernant ce que vous venez de dire, un point de service constitue certainement une présence dans la collectivité. Or, hier, en faisant une recherche Google sur les emprunts en ligne au Canada, j’ai constaté qu’il y avait plus de 10 pages en ligne de prêteurs qui offraient des services en ligne, et je suis certaine qu’aucun n’est enregistré auprès d’une province. Par conséquent, aucun n’a de permis provincial.
Le phénomène, c’est que, parce qu’il n’y a pas d’encadrement véritable, l’industrie ne fait que prendre de l’expansion parce que personne ne porte attention à ce qui est en train de devenir une catastrophe pour nos familles à faible revenu. Observez-vous ce phénomène des emprunts en ligne dans votre collectivité également?
M. Cooper : Il va sans dire que c’est en train de devenir une crise, à mon avis. Il n’existe pas encore de solution adéquate à l’échelle locale ou nationale.
Encore une fois, je pense que le besoin de recourir à ces prêts illustre que de nombreux Canadiens à faible revenu ont des difficultés parce qu’ils n’ont pas d’autres options. Comme nous le voyons au Québec, il n’est pas rentable pour les sociétés de prêt sur salaire d’y mener des activités parce que le gouvernement a réduit considérablement les taux d’intérêt sur les prêts sur salaire.
Je crois que ce que nous devons faire, c’est créer un environnement dans lequel des solutions de rechange aux produits financiers traditionnels sont offertes aux gens. Tant que les grandes banques et les caisses populaires du pays — et il y a déjà de très bons exemples à Calgary et à Vancouver ainsi qu’à quelques endroits en Ontario, mais jusqu’à maintenant, ils sont peu nombreux. Je crois que c’est là notre point de départ si nous voulons nous attaquer à la crise générale, car il devient extrêmement difficile de surveiller Internet et la présence grandissante de ces prêteurs sans scrupule en ligne.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie tous de votre présence. Ma question s’adresse à Mme White, étant donné qu’elle représente un organisme national. Si n’importe quel autre témoin a de l’information à fournir, il pourrait peut-être intervenir.
Je m’intéresse au Québec, où le taux usuraire est de 35 p. 100. Ma question est la suivante : vos homologues du Québec reconnaissent-ils qu’il y a une pénurie ou un problème sur le marché concernant l’accès, avec un taux de 35 p. 100 dans la province? Nous sommes sensibles à cette situation. Un taux de 60 p. 100 semble être élevé et un taux de 20 p. 100 semble être bas, alors nous avons un taux qui se situe entre les deux au Québec. Y a-t-il une pénurie de prêteurs sur salaire, de sociétés de prêts à tempérament et d’entités qui accordent des crédits d’urgence dans ce marché qui expliquerait que le taux de 35 p. 100 est trop bas?
Mme White : Je comprends votre question. Je n’ai pas beaucoup de données sur le Québec. Je vous prie de m’excuser. Nous savons que, à Terre-Neuve, une restriction sur les prêts sur salaire était en place. Des gens la cherchaient encore, et cette question vient d’être soulevée à Terre-Neuve pour revoir la situation.
Le sénateur Tannas : Il y a une pénurie de prêteurs sur salaire? Il n’y a pas d’accès?
Mme White : Je crois savoir que la loi sur les prêts sur salaire sera étudiée.
Je veux attirer votre attention sur le fait que les gens qui traversent une période de crise, et ils sont nombreux, cherchent des solutions. Pour faire suite à la question de la sénatrice Ringuette, les gens trouveront une solution. Ils sont désespérés. Ils ont accumulé des dettes au fil du temps, et ils veulent habituellement une solution rapide. Ils sont acculés au mur et doivent trouver une solution, et certaines personnes contracteront des prêts en ligne, d’où l’importance que revêt cette question.
Je suis désolée de ne pas pouvoir parler de la situation au Québec de façon satisfaisante, mais je pense que ce qui se passe, c’est qu’un grand nombre de personnes contractent des prêts en ligne.
Le sénateur Tannas : C’est ainsi qu’elles contournent les lois?
Mme White : Il y a toujours un moyen de contourner le système. C’est ce que je pense.
Le sénateur Tannas : Ma question s’adresse à vous tous : préféreriez-vous que ce segment soit supprimé? Est-ce que ce serait utile à toutes les personnes que vous servez? Ou doivent-elles être ici et faut-il atteindre un équilibre commercial entre la nécessité et le rendement?
Mme White : Je pense qu’il doit y avoir un équilibre. Il semble certainement nécessaire de pouvoir avoir accès à de petits prêts à un taux raisonnable. Je pense que si nous décidions de supprimer ce segment, il faudrait quelque chose pour le remplacer. Je travaille dans ce domaine depuis assez longtemps pour savoir que lorsqu’une restriction est imposée, une solution de rechange prendra sa place. Il y aura toujours une évolution constante.
Si je peux revenir à l’époque du règlement de dette, qui était abusif en soi, nous avons vu que la loi éliminait la majorité de ces mesures, mais autre chose a pris sa place. Il en va de même avec les prêts sur salaire et les mesures de règlement de dette. Si on impose des limites, je suis certain que d’autres mesures prendront leur place. Malheureusement, nous ne pouvons pas intervenir assez rapidement pour éviter tout ce qui se passera, car d’autres nouvelles mesures seront instaurées.
La sénatrice Unger : Vous avez mentionné, madame White, que les gens qui traversent des crises chercheront des solutions. Êtes-vous en train de dire que, peu importe le taux que vous fixez, ces personnes désespérées trouveront toujours une solution, quoi qu’il arrive?
Mme White : Je pense qu’il est important d’examiner un taux qui est raisonnable pour ces gens. Vous avez raison de dire qu’ils trouveront toujours une solution, mais en ce qui concerne ces consommateurs vulnérables, il nous incombe d’être responsables de ce taux.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à vous, madame White.
À votre connaissance, dans quelle mesure les prêteurs à des taux élevés constituent-ils une façade pour le crime organisé? Nous savons que, pour blanchir son argent, le crime organisé peut la prêter. Par contre, ces prêteurs existent peut-être parce que les banques refusent ces clients, et ce, de façon discriminatoire.
Si je reviens sur le taux proposé de 20 p. 100, à moins que je ne me trompe, le taux des cartes de crédit des grands magasins est supérieur à 20 p. 100. Si 60 p. 100 est trop élevé aujourd’hui, parce que cela peut être déclaré criminel, est-ce que, à ce moment-là, un taux de 20 p. 100 n’est-il pas trop bas?
Comme le disait le sénateur Tannas, il y a des prêteurs à 35 p. 100 au Québec. Il ne faut pas oublier que si le taux est très bas, cela peut dépanner les gens, mais aussi les encourager à emprunter davantage. Il faut faire attention.
Les commerces d’aujourd’hui peuvent vous offrir d’acheter une piscine, de s’y baigner cette année et de la payer l’année prochaine. C’est la même chose pour les meubles, les commerces vous offrent la possibilité de les obtenir immédiatement et de les payer l’an prochain. Certains commerces offrent aussi la location de voiture à 50 $ par semaine. C’est tentant, on ne peut pas blâmer les gens de saisir l’occasion, et les prêteurs en profitent. Alors, je pense qu’il faudrait trouver un juste milieu entre le taux de 20 p. 100 et celui de 60 p. 100. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
Mme White : Vous avez deux questions. La première vise à savoir s’ils ont une couverture pour le crime organisé. C’est peut-être le cas, mais je ne connais pas la réponse à cette question. Veuillez m’excuser. J’ai siégé au groupe de travail qui a étudié la Loi concernant les prêts sur salaire en Ontario il y a de cela trois ou quatre ans, et il n’y avait pas de discussion à ce sujet à l’époque, mais je comprends certainement pourquoi vous posez cette question, et il y a certainement une réalité.
Pour répondre à votre deuxième question, j’espère que nous aurons un taux plus bas. Quel sera le taux? Je comprends le fait que vous consultiez tous des experts à ce sujet, et il y a des esprits beaucoup plus brillants que le mien qui diront que divers facteurs économiques entrent en ligne de compte. Nous recommandons évidemment de réduire le taux car nous voyons le prix que les gens paient.
Pour répondre à votre argument selon lequel les gens pourraient emprunter davantage, nous voyons qu’avec de nombreux Canadiens, nous en sommes à plus de 1,70 $ par dollar de revenu disponible; ce taux augmente continuellement. De toute évidence, en tant qu’organisme de conseil en crédit sans but lucratif, c’est une préoccupation pour nous.
Comme je l’ai mentionné dans mon mémoire, il y a un cycle, et nous avons tous été touchés au Canada par toute la question de la consommation. Ce qui me préoccupe, c’est qu’il faut éduquer les gens pour les encourager à épargner en vue d’emprunter et d’avoir une mise de fonds pour des biens qu’ils doivent acheter. C’est ma position en ce qui concerne l’éducation. Il y a certainement des préoccupations.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame White.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup, monsieur Cooper et madame Mo, de vous être libérés ce matin. Je sais que vos témoignages nous seront très utiles dans le cadre de nos délibérations. Merci beaucoup de nous avoir accordé de votre temps.
J’aimerais présenter les témoins de notre deuxième groupe. Nous recevons Chris Robinson, professeur en finances, École d’études administratives à l’Université York, et nous accueillons le professeur Jerry Buckland, Études en développement international, Collège Menno Simons, Université mennonite canadienne, Université de Winnipeg.
Messieurs, merci beaucoup d’être parmi nous. Nous avons hâte d’entendre vos déclarations liminaires de cinq minutes, après quoi les sénateurs passeront aux questions. Je crois savoir que vous avez convenu que M. Buckland prendra la parole en premier.
Jerry Buckland, professeur, Études en développement international, Collège Menno Simmons, Université mennonite canadienne, Université de Winnipeg, à titre personnel : Je vous remercie infiniment de me donner l’occasion de comparaître devant vous. Je pense que la question que vous étudiez est très importante. C’est un sujet qui me passionne.
Vous avez discuté de la consommation avec le dernier groupe de témoins et du concept selon lequel le crédit est la financiarisation. Je pense que la financiarisation est cette croissance dans le marché du crédit et est étroitement liée à la consommation. C’est une question très importante et l’étude que vous menez est très importante. Vous examinez ce qui est un iceberg; c’est un énorme problème et vous étudiez la pointe de l’iceberg. Cette pointe de l’iceberg est extrêmement importante.
Je tiens à discuter brièvement de l’inclusion financière, à expliquer sa signification et à la relier à la question que vous étudiez, à savoir les plafonds des taux usuraires, puis à mentionner quelques façons que vous pourriez, à mon avis, aborder l’inclusion financière.
L’inclusion financière est un important objectif de politique, et les plafonds des taux usuraires sont l’une des composantes de l’inclusion financière, mais sans doute la composante la plus importante.
L’inclusion financière concerne le fait d’intégrer dans le système bancaire classique, y compris les banques et les coopératives de crédit, les personnes qui se trouvent en dehors de ce système. Le but de l’inclusion financière est d’améliorer la qualité et la sécurité des services financiers que les personnes exclues utilisent afin d’améliorer leur bien-être financier et leur bien-être général. Les personnes qui sont exclues financièrement incluent celles qui sont complètement exclues et qui n’obtiennent aucun des services bancaires courants, et celles qui sont partiellement exclues et qui obtiennent certains de leurs services financiers auprès de fournisseurs de services financiers classiques.
Les données sur l’exclusion financière au Canada sont assez contradictoires, mais entre 1 et 5 p. 100 des adultes canadiens, ou de 306 000 à 1,5 million de Canadiens, n’ont pas de compte bancaire. Un nombre beaucoup plus grand d’adultes reçoivent des services financiers insuffisants de la part des banques classiques. Je pense que c’est ce que vous étudiez en partie : les personnes qui reçoivent des services bancaires insuffisants plutôt que les gens qui n’ont pas de compte bancaire. Les gens obtiennent leurs services bancaires auprès de banques marginales, de sociétés de prêt sur salaire, de prêteurs par versements échelonnés, de prêteurs sur gages, et cetera.
Des données probantes indiquent que les personnes qui sont les plus touchées par l’exclusion financière incluent les personnes à faible revenu, les Autochtones et les familles monoparentales. En ce qui concerne la demande du comité de faire référence aux questions autochtones et sexospécifiques, je pense que l’exclusion financière est un phénomène qui touche, entre autres groupes, les Autochtones et les chefs de famille monoparentale, dont un certain nombre sont des femmes.
En ce qui a trait aux causes de l’exclusion financière, les recherches montrent que les institutions financières classiques n’en font pas assez dans trois domaines et, dans mon rapport, j’aborde ces secteurs plus en détail. Je vais seulement les passer rapidement en revue pour l’instant.
Le premier est l’accès physique. Des recherches ont révélé que dans de nombreux quartiers à faible revenu, les banques classiques ferment des succursales.
Le deuxième concerne le fait que les banques classiques n’offrent pas forcément des services sûrs et appropriés aux personnes à faible revenu, ne règlent pas des problèmes tels que les preuves d’identité et les périodes de retenue des chèques, et ne font souvent pas la promotion de leurs produits parmi ces communautés.
Enfin, les personnes à faible revenu, d’après les recherches que j’ai vues, ont souvent l’impression que les banques classiques et les coopératives de crédit ne les traitent pas avec respect, ce qui ne permet pas de créer un lien de confiance.
Ce sont quelques-uns des facteurs qui poussent souvent les gens à faire appel à des prêteurs par versements échelonnés et à des prêteurs sur salaire dont vous parlez.
Un témoin précédent a évoqué la littératie financière. Je pense que c’est un facteur très important. Au Canada, le chef du développement de la littératie financière consacre beaucoup d’efforts à ce domaine. J’ajouterais qu’il est important d’établir un équilibre entre la littératie financière et la réglementation qui simplifie le secteur du crédit et qui permet à tout le monde de le comprendre.
En ce qui concerne les plafonds des taux usuraires plus particulièrement, leur efficacité fait l’objet de beaucoup de débats dans les publications à ce sujet. Les théoriciens structurels ont tendance à avancer que les plafonds des taux usuraires limitent les taux d’intérêt qui sont oppressifs et abusifs. Les théories économiques néoclassiques, en revanche, soutiennent que les marchés sont concurrentiels, si bien que si l’on impose un plafond du taux usuraire sur ce marché, cela poussera les prêteurs à quitter l’industrie.
Quant à savoir quelle théorie est la bonne, cela varie d’un endroit à l’autre. Par exemple, dans un quartier de banlieue où il y a de nombreux prêteurs, la concurrence pourrait être suffisante. Dans une communauté autochtone éloignée, la concurrence pourrait être inexistante. Je pense donc que cela varie d’un endroit à l’autre.
Une autre question importante se rapporte à la façon dont nous comprenons les plafonds des taux usuraires. Même s’ils sont destinés aux fournisseurs de services financiers, ils doivent être appliqués. Peu d’éléments de preuve démontrent que le gouvernement fait appliquer le taux d’intérêt criminel au Canada.
Par exemple, avant que l’exemption relative au taux d’intérêt criminel soit créée pour les prêts sur salaire, les sociétés de prêt sur salaire au pays, sauf celles au Québec, imposaient des taux d’intérêt supérieurs au taux d’intérêt considéré comme étant criminel. Certaines de ces entreprises ont fait l’objet de recours collectifs, mais je n’ai entendu parler d’aucune action gouvernementale où le taux d’intérêt criminel a été invoqué contre les sociétés de prêt sur salaire durant la période avant l’exemption. De plus, les prêteurs sur salaire continuent d’exercer leurs activités dans les provinces sans l’exemption relative au taux d’intérêt, notamment à Terre-Neuve-et-Labrador.
Enfin, d’autres banques marginales telles que les prêteurs sur gages, qui ne sont pas assujetties à l’exemption relative au prêt sur salaire, imposent des taux qui dépassent le taux d’intérêt criminel. Je n’ai pas entendu parler que des actions gouvernementales ont été intentées dans l’un ou l’autre de ces cas.
Je voulais conclure en vous faisant part de quelques réflexions au sujet de réformes que vous pourriez envisager en plus du travail que vous faites en ce qui a trait au plafond des taux usuraires.
Premièrement, pour renforcer et appliquer le Règlement sur l’accès aux services bancaires de base du Canada déjà en vigueur, nous avons actuellement une réglementation qui oblige les banques classiques à offrir des services financiers aux Canadiens à faible revenu. Cependant, cette réglementation est limitée et, à mon avis, n’est pas appliquée adéquatement, alors elle pourrait être améliorée.
Deuxièmement, je crois que la réglementation sur la protection financière des consommateurs doit être renforcée. C’est à cause du phénomène de la financialisation qu’il y a de plus en plus de produits de crédit, et un témoin a expliqué comment de nouveaux produits arriveront sur le marché lorsque le règlement limite un ancien produit. Il faut une réglementation pour protéger les consommateurs contre tous ces différents produits.
Un troisième problème auquel nous sommes confrontés dans ce marché est une absence de bonnes données. À la dernière réunion, on a discuté des prêteurs sur salaire au Québec. Malheureusement, nous avons très peu de données au Canada pour prendre ce genre de décisions, alors nous devons recueillir plus de données à propos de cette industrie.
Le quatrième point que je veux soulever, c’est que nous devons établir un plan unifié pour traiter de l’exclusion financière dans certains secteurs que j’appellerais des déserts de services financiers. Ces déserts se trouvent plus particulièrement dans les quartiers urbains défavorisés. Les coopératives de crédit ont vraiment fait leur part — Assiniboine, Vancity, Alterna — pour combler les lacunes dans les services financiers de certaines villes, mais les banques doivent être de la partie car elles sont beaucoup plus importantes, elles sont universelles et elles doivent assumer leur part de responsabilité.
Il y a aussi les communautés éloignées, rurales et autochtones. Les services financiers sont extrêmement limités dans ces communautés, et ils doivent être abordés. Il y a des expériences intéressantes qui sont menées partout dans le monde, y compris à la Commonwealth Bank en Australie. Elle a effectué des travaux intéressants en Australie. Je tiens à signaler que c’est une occasion.
Encore une fois, un grand merci de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de mes réflexions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Buckland.
Monsieur Robinson, s’il vous plaît.
[Français]
Chris Robinson, professeur, finance, École d’études administratives, Université York, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de vous présenter mon point de vue au sujet du projet de loi S-237. Je sais que la sénatrice Ringuette est francophone, mais je vais devoir vous parler en anglais.
[Traduction]
Je suis désolé. J’ai beaucoup oublié mon français. C’est peut-être parce que je suis séparé de mon ex-épouse francophone.
Le président : Trop d’information, monsieur Robinson.
M. Robinson : Je partage les préoccupations de M. Buckland au sujet de l’exclusion financière. Nous travaillons ensemble depuis de nombreuses années.
Je salue votre intention concernant le projet de loi S-237, mais je ne suis pas d’accord avec vous. Je pense que le projet de loi entraînera des conséquences néfastes imprévues, et certains d’entre vous ont soulevé des questions à ce sujet.
Allons droit à l’essentiel. La raison pour laquelle vous voyez ces frais extrêmement élevés, notamment — surtout avec les prêts sur salaire, ce qui est un problème beaucoup plus grave —, c’est que c’est une industrie extrêmement inefficace.
Je parle en tant qu’expert. Pourquoi devriez-vous me croire? Je suis comptable professionnel agréé. Je suis planificateur financier agréé. C’est ce que j’ai fait toute ma vie. Mes livres et mes travaux de recherche sont utilisés dans le monde entier. La règle des 15 $ par 100 qui a été adoptée en Ontario est fondée sur mes recherches, qui ont été initialement menées au Manitoba.
Ce ne sont pas des prédateurs, au sens courant du terme, pour la plupart. Il y en avait un, mais plus maintenant. Ce sont tout simplement des entreprises extrêmement inefficaces. Un prêteur sur salaire consent en moyenne 11 prêts par jour de 460 $. Essayez de payer les factures, à moins que vous exigiez des frais très élevés.
Je veux vous mettre au défi d’adopter une approche différente. Je suis pratiquement le seul parmi les professeurs en finance au Canada qui sont de l’extrême gauche. Je veux que vous obligiez les banques à prendre la relève de cette industrie. Interdisez-la, et demandez aux banques de s’en occuper. Elles peuvent le faire à beaucoup moins cher.
De plus, selon mon avis professionnel — et j’insiste sur le terme « professionnel » —, les banques n’en souffriront pas. En amenant toutes les entités à faire partie du courant dominant, on leur fera gagner plus d’argent.
La raison pour laquelle elles n’ont pas réglé la question comporte deux volets. Je suis très préoccupé par les prêts sur salaire. Vous pouvez vous débarrasser des prêteurs par versements échelonnés. Leurs emprunteurs se tourneront ainsi vers les prêteurs sur salaire à des taux beaucoup plus élevés. Le Colorado, par exemple, a mis fin aux prêts sur salaire il y a quelques années et a adopté les prêts par versements échelonnés. Les affaires ont diminué du tiers, et les taux sont beaucoup plus élevés que 60 p. 100, mais c’est mieux que les prêts sur salaire à tout le moins.
Je veux que les banques s’en occupent. Les banques peuvent le faire par l’entremise de leurs caissiers. Les dirigeants n’ont même pas à s’en occuper. Elles peuvent utiliser leurs systèmes informatiques. Elles peuvent le faire.
Si cela n’a pas été fait encore, c’est seulement parce que, de un, c’est mauvais pour leur image; les banques ne veulent pas s’affubler du titre de prêteurs sur salaire; et, de deux, c’est minime. J’estime que le grand total de prêts sur salaire impayés n’excède jamais le portefeuille hypothécaire d’une seule succursale bancaire. Je pourrais posséder personnellement une grande partie de l’industrie des prêteurs sur salaire. C’est petit à ce point. Les banques pourraient donc l’absorber sans problème. Elles n’ont seulement jamais pris la peine de le faire, puisque c’est un projet qui ne vaut guère plus que des miettes pour elles.
Grâce à la Loi sur les banques, le Sénat pourrait forcer les banques, oserais-je dire — les persuader —, à le faire, et il n’y aurait pas de conséquences fâcheuses pour elles. C’est possible.
Et elles pourraient enseigner à leur personnel de première ligne, mes anciens étudiants, à traiter tous les clients avec respect. Dites aux banquiers de ranger leurs beaux habits, de renoncer à leurs cartes de crédit et d’essayer d’ouvrir un compte bancaire en se présentant comme un Autochtone. Je sais de quoi je parle, puisque mon fils adoptif est en partie Autochtone. Qu’ils essaient d’avoir le même respect sans leurs pièces d’identité d’homme blanc fortuné. Je fais partie de ces hommes blancs fortunés, et on ne manque jamais de respect à mon égard. Par contre, les entrevues que nous avons menées, et celles que je mène encore, nous révèlent que bien des gens ont du mal à se faire respecter dans les banques. Tout le monde n’a pas la même chance que nous. Pourtant, je sais que les employés des banques sont parfaitement capables de se montrer respectueux envers tout le monde, puisque ce sont mes étudiants. Il s’agit de leur en donner la consigne.
Je vous mets au défi de changer ce climat, de convaincre les banques du bien-fondé de tout cela, et d’oublier ce projet de loi. Je sais que vous éprouvez sans doute une grande fierté à l’égard de ce projet de loi qui vise à aider les gens, mais je ne crois pas qu’il sera réellement utile. La solution que je propose cadre clairement avec ce qu’avancent le professeur Buckland et nombre de nos collaborateurs, y compris les témoins que vous avez déjà entendus. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Robinson.
Nous passons maintenant aux questions.
Le sénateur Tannas : Supposons un moment que nous n’allons pas convaincre les banques d’absorber cette industrie, et que nous allons faire de notre mieux pour assurer un certain équilibre entre le prix de ces produits pour les consommateurs et leur rentabilité pour les prêteurs, afin de préserver cette industrie, et par conséquent, l’accès aux prêts en question.
Vous avez parlé de la piètre rentabilité de l’industrie, monsieur Robinson. D’accord, mais il y a de plus en plus de prêteurs en ligne. Pourquoi l’industrie est-elle encore si peu rentable, si les transactions peuvent s’effectuer sur Internet?
M. Robinson : Je vais répondre à cette question, et aussi à une question que vous avez posée à la dernière réunion. En fait, je vais vous dire pourquoi je ne peux y répondre.
De ce que je sais, il est très difficile d’obtenir des données fiables sur les prêteurs virtuels. Je présume que vous allez entendre les témoignages de prêteurs sur salaire. Vous devriez rester sceptiques devant tout ce qu’ils vous diront.
Les prêteurs virtuels disparaissent aussi vite qu’ils sont arrivés. D’après les renseignements que j’ai eus, ils accusent des pertes considérables, à un point tel que ce n’est pas un modèle d’affaires viable, à mon avis. Money Mart gère ses affaires de façon très efficace. En succursale, les pertes varient entre 1,3 et 5 p. 100. Les prêteurs virtuels se situent à 10 p. 100 ou plus, et c’est 10 p. 100 de plus que le principal.
C’est simple d’empocher de l’argent gratuitement. Les mauvais payeurs se moquent des prêteurs virtuels, car les prêteurs ne peuvent rien faire : pas de tache au dossier de crédit, pas de poursuite judiciaire, puisqu’ils n’ont pas de stature devant les tribunaux, et ce ne serait pas rentable pour eux de toute façon d’entreprendre de telles démarches. Quelqu’un pourrait ainsi emprunter tout ce qu’il peut de tous les prêteurs virtuels qui soient, et se sauver en riant de bon cœur. Je ne le ferais pas, parce que j’ai un bon sens de l’éthique, mais je ne crois pas que la menace vienne d’Internet. Les prêteurs sur salaire qui ont pignon sur rue vous diront qu’Internet est le grand méchant loup. Ils mentent. Ce n’est pas le cas. Je ne vois pas de problème de ce côté.
Bien sûr, il n’y a pas de locaux à payer, mais les pertes sont insoutenables. J’ai pu consulter les pertes sur prêts du volet Internet de Money Mart. Je dois me tourner du côté des États-Unis pour extraire des données sur Money Mart. Les dernières informations disponibles datent de 2014, avant que la société mère ne soit privatisée. L’entreprise, la meilleure de l’industrie, affichait des pertes de 11,7 p. 100 sur les prêts Internet. Imaginez donc ce qui arrive aux prêteurs véreux. Ils croient avoir trouvé un bon filon, mais ils ne font pas long feu.
Il y a deux ou trois entreprises au Canada qui s’en tirent bien, mais elles suivent aussi les règles. Elles sont réglementées. Il y a Progressive, Mogo et 310-LOAN, par exemple.
Votre autre question portait sur les intérêts de 35 p. 100 du côté du Québec. C’est très important de le relever. Nous n’avons aucune donnée sur les prêts remboursables par versements. Les seuls chiffres que j’ai réussi à trouver à ce sujet proviennent des formulaires américains 10-K et 10-Q, qui font état des données canadiennes pour Money Mart. Si j’avais pu obtenir les chiffres, j’aurais pu vous confirmer si 35 p. 100 est un taux juste. C’est ainsi que j’ai calculé que 15 $ par tranche de cent est le taux juste des prêteurs sur salaire. Mais je n’ai pas ces données, alors je ne peux que présumer que le taux juste se situe entre 40 et 60 p. 100, car c’est ce qui est facturé.
Le sénateur Mockler : Merci beaucoup, messieurs. C’était très intéressant.
Monsieur Robinson, d’après votre proposition sur les banques, le projet de loi S-237 aurait des conséquences négatives inattendues. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire?
M. Robinson : Oui. Si j’ai raison de croire que ce taux est trop bas… Comme je le disais, je n’ai pas les données nécessaires pour appuyer mes suppositions, mais à en juger par la concurrence que se livrent les compagnies de carte de crédit en facturant un taux d’intérêt mensuel de 2 p. 100, je crois qu’un taux aussi bas ne peut pas être viable.
Money Mart n’a pas choisi d’offrir ces prêts par hasard; c’est à cause des contraintes qui les accompagnent. L’entreprise essaie de me donner tort là-dessus depuis 2004.
Le sénateur Mockler : Elle n’a pas encore réussi.
M. Robinson : Elle n’a pas réussi. Elle s’est permis d’aller de l’avant pendant un certain temps partout, sauf au Manitoba. À un moment donné, elle a retiré certaines choses du Web, parce qu’elle s’est rendu compte que je m’en servais. Mais je dois vous dire que Money Mart est le prêteur le plus honnête et le plus efficace du lot. Mon instinct me dit toutefois qu’il faudra de 40 à 60 p. 100 pour que ces prêts soient offerts.
Il faut donc s’attendre à ce que les gens qui opteront pour un prêt sur salaire… Ce type de prêt, comparativement à un prêt remboursable par versements, pose un autre problème : il vise une clientèle bien précise, soit les gens qui n’ont pas de fonds d’urgence, pas de carte de crédit et qui n’arrivent pas à équilibrer leur budget. Prenons quelqu’un qui emprunte 500 $ au courant du mois. À sa prochaine paye, il doit rembourser ces 500 $. Peu importe les frais facturés, qui pourrait se permettre de rembourser une telle dette en ayant déjà eu du mal à joindre les deux bouts le mois précédent? Ces gens sont pris dans un cercle vicieux.
L’idée des prêts remboursables par versements dans certains États américains, ainsi qu’en Colombie-Britannique et maintenant en Ontario, est de donner un peu de jeu aux emprunteurs, qui peuvent étaler la dette sur une plus longue période. Combien d’entre nous pourraient rembourser leur hypothèque d’un seul coup? C’est difficile pour eux de rembourser 500 $.
Je pense qu’ils vont essayer de couper l’accès à cette solution intermédiaire — de 40 à 60 p. 100. Soit dit en passant, ils parlent de 391 p. 100, et c’est parce qu’ils ne comprennent pas les finances. Le taux d’intérêt annuel effectif s’élève à des milliers, voire à des dizaines de milliers et même à un million de pour cent, parce que les prêts s’échelonnent sur de très courtes périodes. Emprunter dans de telles conditions à répétition ne peut que mener à la faillite. C’est ce qui pose problème avec cette tendance qui veut qu’on délaisse les prêts remboursables par versements au profit des prêts sur salaire. C’est ce qui va arriver, j’en ai bien peur.
Le sénateur Mockler : J’aurais une autre question. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi les banques n’offrent pas ces services, et que pourrait-on faire à cet égard?
M. Robinson : Il faudrait exercer des pressions sur elles. Je suis un professionnel dans le domaine. J’ai d’ailleurs écrit mon premier ouvrage sur les finances personnelles en 1985 pour l’Institut des banquiers canadiens, en anglais et en français. Les banques sont capables de le faire. Vous n’avez qu’à vous adresser à votre directeur de succursale; il vous répondra que le siège social ne leur permet pas de le faire.
D’après mon expérience, les banques se soucient des gens, pas seulement de l’argent — mais ce sont de très grandes organisations. L’argent que représentent les prêts sur salaire est très minime. Les banques, par exemple, en particulier la CIBC, voient le commerce des produits financiers dérivés comme un jeu à somme nulle et elles ont l’impression qu’elles peuvent aller à New York et faire des milliards de dollars. Évidemment, l’année suivante, c’est le contraire qui se produit. Je sais comment ce marché fonctionne. Cela fait partie de mon expertise. Alors elles ne s’intéressent pas vraiment aux petites entreprises.
En fait, elles réalisent tous leurs profits à partir de leurs succursales. Si on ne faisait que développer la succursale… On aurait la même succursale, le même personnel. On pourrait accorder davantage de prêts et une meilleure protection de découvert. En fait, on pourrait l’offrir à tout le monde. On sait que les frais associés à la protection de découvert sont très élevés. En fait, ils dépassent les 20 p. 100, mais au bout du compte, ils sont beaucoup moins élevés que ce que les gens paient à l’heure actuelle. Ils auraient donc accès aux services bancaires courants. Ils pourraient ainsi améliorer leur cote de crédit et faire tout ce que Jerry et moi-même préconisons.
N’empêche que cela ne règle pas le problème des gens qui vivent dans les réserves autochtones du Nord de l’Ontario et du Manitoba. Je pense qu’il faudrait mettre en place d’autres mesures, comme des services bancaires postaux, mais au moins, cela réglerait le problème de la population qui vit dans les quartiers défavorisés de la ville, dont une grande partie est autochtone.
En 2016, nous avons interrogé des clients de sociétés de prêt sur salaire. Nous les avons convaincus de nous parler. Ce n’est pas moi qui les ai interrogés, mais un de mes collègues. Jerry, avez-vous réalisé des entrevues?
M. Buckland : C’était l’une de nos équipes.
M. Robinson : Il y avait une équipe responsable des entrevues. Quarante-huit pour cent des personnes interrogées étaient des Autochtones. Dix pour cent de la population du Manitoba est autochtone. Voilà le problème. À défaut d’avoir des prêts à tempérament, les gens vont se tourner vers les prêteurs sur salaire, et ces prêteurs sont encore pires. Ce n’est pas qu’ils sont méchants; ils sont juste trop coûteux.
La sénatrice Ringuette : Mon imagination s’emballe en ce moment en ce qui a trait aux banques canadiennes, même si je dois dire que le Groupe Desjardins — et c’est tout à son honneur — finance les collectivités locales et les groupes de bénévoles qui souhaitent offrir des prêts d’urgence. Ils font un travail remarquable, et je veux les féliciter. Je tiens à dire que les six grandes banques à charte, qui sont bien protégées par le ministère des Finances, devraient suivre leur exemple. Je comprends et je suis d’accord avec vous, même si ce que vous nous demandez est une mission impossible pour l’instant, mais, comme nous serons ici encore un bon moment, il y a peut-être de l’espoir.
D’un point de vue constitutionnel, vous savez que le gouvernement fédéral est chargé de fixer le taux d’intérêt. En 2006, nous avons accordé aux provinces qui le souhaitaient le pouvoir de réglementer des prêts sur salaire d’au plus 1 500 $, dont l’échéance ne pouvait être supérieure à 62 jours. C’était la limite, et il s’agissait du seul produit financier que les provinces pouvaient réglementer. Douze ans plus tard, on se retrouve avec tous ces nouveaux prêteurs sans surveillance.
Ma première question est la suivante : le gouvernement fédéral devrait-il conférer plus de pouvoirs de réglementation aux provinces à l’égard des produits financiers, ou devrions-nous revenir sur ce que nous avons fait en 2006 et dire qu’il s’agit d’un champ de compétence strictement fédérale et que, par conséquent, nous allons nous occuper de la réglementation et de la surveillance à l’échelle du Canada?
M. Buckland : Qu’il s’agisse d’une réglementation fédérale ou d’une harmonisation de la réglementation entre les provinces et les territoires, je pense que l’une ou l’autre de ces options pourrait être réalisable. Personnellement, je préfère que ce soit le gouvernement fédéral qui s’en occupe. Il me semble que ce serait plus efficace. Je suis un économiste de formation. Cependant, je pense qu’une réglementation harmonisée pourrait aussi fonctionner.
La question est de savoir comment les gens comprennent la loi. Je n’en ai pas parlé dans mon exposé, mais je crois savoir que les gens ne comprennent pas très bien ce qu’est le taux d’intérêt criminel. Ma collègue, Gail Henderson, a fait des recherches sur le sujet, et il semble qu’un grand nombre de décideurs pensent que la loi s’applique seulement aux organisations criminelles et non aux détaillants financiers. Par conséquent, il semble y avoir une profonde incompréhension de la question que vise à régler ce projet de loi. Est-ce vrai que le taux de 60 p. 100 ne s’applique qu’aux produits de crédit offerts par les prêteurs criminels? Que la réglementation soit fédérale ou harmonisée, il est important de comprendre ce qu’elle signifie.
La sénatrice Ringuette : Nos recherches démontrent qu’au cours des 10 dernières années, les trois affaires qui se sont retrouvées devant la Cour suprême du Canada concernant le taux d’intérêt criminel portaient sur le droit contractuel.
M. Robinson : C’est exact. Je suis intervenu dans un dossier avant cela, plus précisément l’affaire Dunphy. Il s’agissait d’un cas d’espèce très intéressant.
Je préférerais que le gouvernement fédéral s’occupe de la réglementation. Dans mon mémoire, j’ai proposé d’abroger l’article 347.1 du Code criminel et de prévoir deux ans pour mettre fin aux activités des sociétés de prêts sur salaire. Toutefois, il faudrait également exercer des pressions auprès des banques. Je préférerais que ce soit fait à l’échelle fédérale.
Il faudrait entreprendre des mesures à leur égard. Comme on n’a pas de données, on n’a qu’à appliquer le taux du financement à un jour en vigueur de la Banque du Canada, majoré de 36 p. 100, et voir ce qui se passe. Ce n’est pas une approche déraisonnable. Je pense que le taux que vous avez établi sera certainement trop bas. Si vous allez dans le sens de ma proposition, vous n’allez pas cibler les cartes de crédit des grands magasins, et cetera, mais vous allez peut-être régler le problème des prêteurs à tempérament. Cela pourrait ne pas être suffisant; je n’en sais rien. Cependant, cela pourrait être une option. Quoi qu’il en soit, je pense que le gouvernement fédéral devrait être celui qui se charge de ce dossier.
Le sénateur Marwah : Monsieur Robinson, je suis heureux d’avoir pris ma retraite du secteur des banques. Je ne voudrais surtout pas m’engager dans un débat avec vous sur ce sujet.
Vous deux, de même que d’autres témoins avant vous, avez dit que le problème se situait également au niveau de l’application de la loi, et à mes yeux, une loi n’a aucune valeur si on ne peut l’appliquer.
Pourquoi en est-il ainsi? Je suis porté à croire que c’est parce que ce n’est pas assez important. Si on n’arrive pas à appliquer la règle à 60 p. 100, comment pourra-t-on y arriver à 20 p. 100? Les chiffres vont augmenter de façon exponentielle. J’aimerais connaître votre avis là-dessus. Quels sont les facteurs qui expliquent ce manque de rigueur dans l’application de la loi?
M. Buckland : Je pense que c’est une très bonne question. L’ambiguïté de la part des décideurs reflète peut-être un manque de volonté politique de régler la question de l’exclusion financière. Je pense que bon nombre des gens qui vont avoir recours à des prêts à intérêts élevés, des prêts sur salaire, des prêts sur gages, des locations avec option d’achat ou des prêts à tempérament sont des personnes à faible revenu. Ces gens sont impuissants, et très peu d’options s’offrent à eux. Ils ont très peu d’influence politique. Cela dit, lorsqu’ils sont insatisfaits de leurs services financiers, ils ne savent pas vraiment à qui s’adresser pour déposer une plainte, contrairement à un consommateur de la classe moyenne qui connaît sans doute davantage les recours qui sont à sa disposition.
L’Agence de la consommation en matière financière du Canada, par exemple, applique le Règlement sur l’accès aux services bancaires de base en fonction des plaintes. Les consommateurs appellent et déposent une plainte. Toutefois, est-ce que les personnes à faible revenu savent qu’elles peuvent faire une plainte? Est-ce qu’elles savent qu’il existe un règlement? Probablement pas. Les gens de la classe moyenne sont plus conscients de leurs droits et savent les faire respecter. Je pense que cela fait partie du problème.
Le sénateur Marwah : Pourquoi les protecteurs des consommateurs, y compris vous, ne lancent-ils pas une campagne pour amener les gens à se plaindre? Pourquoi cette question d’application n’a-t-elle jamais été soulevée? Depuis que je suis ici, je n’ai jamais vu qui que ce soit organiser une telle campagne. Nous connaissons tous pratiquement des centaines de prêteurs, et si on inclut les frais et les assurances, qui sont essentiellement des taux d’intérêt cachés, nous avons des taux d’intérêt annuels supérieurs à 60 p. 100 depuis des décennies, et pourtant, personne ne s’en est plaint, pas même les organismes de protection des consommateurs ou les firmes de counseling en matière de crédit. Je trouve cela inconcevable. Il y a pourtant des défenseurs. Pourquoi ne fait-on rien?
M. Buckland : Je sais qu’il y a des porte-parole, et je crois que les consommateurs à faible revenu peuvent se faire entendre. Il y a des organismes qui les représentent, dont ACORN Canada. Nous avons entendu Courtney Mo, qui représente une organisation à Calgary. Je vis à Winnipeg. SEED Winnipeg est un organisme qui fait un travail semblable. Il y a assurément des porte-parole.
Encore une fois, je suis très ravi que vous accordiez de l’attention à ce dossier, car cela n’arrive pas souvent. C’est merveilleux. Je vous prierais de prêter une oreille attentive à ces gens et de recueillir leurs points de vue. Il s’agit d’un grave problème social. Les personnes à faible revenu sont exclues financièrement. Elles n’ont pas accès aux services bancaires courants dont se plaignent les gens de la classe moyenne. Je suis totalement d’accord avec vous.
M. Robinson : C’était une excellente réponse.
La sénatrice Unger : Je suis assise ici et j’essaie de me rappeler si c’est Stephen Leacock qui a dit un jour : « Je déteste les banques .» J’ai en quelque sorte toujours eu ce sentiment à l’égard des banques.
Monsieur Buckland, que pensez-vous du point de vue de votre collègue? Seriez-vous d’accord tous les deux pour dire qu’il y a un grand manque de littératie financière au Canada en ce moment? L’éducation financière devrait être obligatoire dans toutes les écoles secondaires au pays, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Pensez-vous qu’il faudrait envisager d’autres recommandations, notamment en vue d’améliorer la littératie financière, avant qu’on adopte un projet de loi comme celui-ci?
M. Buckland : Je travaille avec M. Robinson depuis de nombreuses années. En fait, nous sommes en train d’écrire un livre sur les prêts sur salaire au Canada. Nous sommes parfois en désaccord, mais nous nous entendons sur de nombreux points. Chose certaine, pour ce qui est de son analyse financière de l’industrie des prêts sur salaire, je respecte totalement son point de vue et je sais ce que les prêteurs sur salaire doivent facturer pour être rentables.
Quant au rôle de la littératie financière, je suis d’accord, car je considère qu’il y a tout un phénomène de financiarisation qui est rattaché à la société de consommation et qui nous oblige à en apprendre davantage et à faire preuve de vigilance. C’est très important.
Ma seule réserve serait que parfois, on suppose que parce qu’une personne a un faible revenu, elle n’a aucune connaissance financière. Dans le cadre de mes recherches, je me suis rendu dans des quartiers défavorisés et j’ai discuté avec des personnes à faible revenu. J’ai été renversé de voir à quel point ces personnes s’en tiraient bien avec si peu de ressources. Je conviens que tout le monde gagne à être mieux outillé en matière de finances, parce qu’il s’agit d’un marché fort complexe. Les connaissances financières sont importantes dans la vie quotidienne de toutes les classes de revenu. Toutefois, il ne faut pas croire que parce qu’une personne gagne un faible revenu qu’elle est ignorante. En fait, les gens de la classe moyenne en auraient beaucoup à apprendre des gens à faible revenu sur la gestion de leurs finances personnelles.
M. Robinson : Je suis plus ou moins d’accord. Je ne crois pas que l’enjeu ici soit la littératie financière. Je suis partagé sur la question. Il y a des gens qui m’écrivent constamment à ce sujet. La question est beaucoup plus profonde que ça. C’est une question de comportement. Certains d’entre vous ont sans doute remarqué que Richard Thaler, un spécialiste de la finance comportementale, a remporté le prix Nobel d’économie cette année. Je fais des recherches dans le domaine de l’économie comportementale relativement aux finances des consommateurs. Nous sommes d’ailleurs en train d’élaborer un cours sur le sujet à l’Université York.
Les comportements innés des gens sont incrustés dans leur cerveau; la neuroscience l’emporte complètement sur le cortex préfrontal, soit la partie qui nous aide à prendre de bonnes décisions rationnelles. Vous avez sans doute entendu parler de l’expérience de la guimauve, mais sachez qu’il y a des tonnes de données scientifiques là-dessus. J’ai d’ailleurs publié un ouvrage sur le comportement et notre fonctionnement.
J’ai beau avoir une longue formation en finance et en économie, la seule raison pour laquelle j’ai une aussi grande discipline, c’est parce que mes parents me l’ont transmise lorsque j’avais environ deux ans. Ce n’est donc pas nécessairement une question de littératie financière.
Par ailleurs, il ne faudrait pas se fier à toutes les mesures de littératie financière que l’on voit. Je regarde les questions qu’on pose aux gens, et elles n’ont aucun sens. On ne leur pose pas les questions que M. Buckland et moi leur poserions au sujet de leurs finances. On demande aux gens de la classe moyenne s’ils savent gérer des fonds en fiducie. On ne leur demande pas s’ils comprennent réellement que ce qu’ils dépensent aujourd’hui, ils ne l’auront pas demain.
Cela dit, pour ce qui est des mesures de littératie financière, je crois que les Canadiens ne s’en tirent pas plus mal que les autres. Je ne veux pas m’opposer à votre proposition, mais je ne crois pas que cela va aider.
La sénatrice Unger : Vous avez parlé de sensibiliser davantage les gens, d’effectuer plus de recherches et de prendre les mesures dont a parlé M. Buckland, mais diriez-vous que cela devrait être fait avant l’adoption du projet de loi?
M. Buckland : C’est une bonne question. Il faut avant tout que le gouvernement fédéral élabore un plan pour lutter contre l’exclusion financière, et dans le cadre de cette réforme des politiques, il conviendrait effectivement de mener davantage de recherches.
Quant à savoir si cela devrait être fait avant l’adoption de ce projet de loi, je crois que oui. On s’est interrogé sur les conséquences indues des mesures qui seront prises. Je crois fermement qu’il faut préciser l’objectif du taux d’intérêt criminel. Est-ce qu’on vise des organisations criminelles ou tous les fournisseurs de crédit? Selon moi, cela doit être clarifié avant toute chose.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Avant de poser ma question, j’aimerais faire une petite parenthèse. On parlait de littérature qui pourrait aider les gens à économiser. Il y a un comptable québécois très populaire qui a récemment publié un livre intitulé En as-tu vraiment besoin? Les gens pourraient lire ce livre très abordable qui traite de ce sujet.
Vous avez parlé des grandes banques canadiennes. On sait que le système bancaire canadien est reconnu pour sa qualité ainsi que pour sa réglementation. Les grandes banques sont très profitables, peut-être parce qu’elles ont décidé de ne plus prendre de risques. Je suis peut-être un peu biaisé, puisque ma conjointe a travaillé 30 ans pour une grande banque.
J’aimerais revenir à une éventuelle avenue qui pourrait être considérée, avec un encadrement national. Au-delà du taux d’intérêt criminel, est-ce qu’on ne pourrait pas obliger les prêteurs sur salaire à utiliser des espèces de contrats types ou à enregistrer ces contrats? Ce serait peut-être une solution. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
M. Robinson : Je crois que vous parlez des contrats. Ils ont des contrats officiels, bien qu’il faille faire preuve de prudence. Légalement, ces contrats sont obligatoires dans chacune des provinces, mais le problème, c’est que ces prêteurs ne font pas rapport aux agences de crédit, alors leurs clients n’améliorent jamais leur cote de crédit. Il y a eu des propositions en ce sens. Comme il s’agit d’un très petit secteur d’activité, il est très coûteux de recueillir des données. On ne le fait pas à l’heure actuelle. Contrairement aux grandes banques, les prêteurs sur salaire ne font pas rapport aux agences de crédit. Cela aiderait pourtant les gens à rétablir leur solvabilité, mais je ne crois pas que ce soit le principal enjeu ici. Selon moi, ce sont les banques qui devraient satisfaire les besoins de ces gens, de sorte qu’ils n’aient pas à se tourner vers ces prêteurs sur salaire et d’autres prêteurs. Parfois, ils prétendent faussement qu’ils vont vous aider à améliorer votre cote de crédit. Habituellement, c’est un mensonge. Il y en a peut-être certains qui le font, certains prêteurs à tempérament, mais la plupart ne le font pas.
Quant à l’enregistrement des contrats, on le fait dans un ou deux États américains, et il y a des coûts additionnels qui s’y rattachent, mais il y a tout de même des règles aux États-Unis qui ne s’appliquent pas ici.
M. Buckland : Au Canada, nous savons que l’industrie des prêts sur salaire relève de la compétence provinciale. L’Agence de la consommation en matière financière du Canada, qui est un organisme fédéral, est responsable de l’application du Règlement sur l’accès aux services bancaires de base. Elle a également un mandat d’éducation des consommateurs en matière financière, et elle a notamment mené des sondages sur les prêts sur salaire. À certains égards, j’estime que cette agence serait l’organisation fédérale idéale pour veiller à la réglementation des prêts sur salaire, mais cet aspect ne figure pas dans son mandat à l’heure actuelle.
En Australie et aux États-Unis, il y a des règlements fédéraux. Chris a mentionné que, aux États-Unis, les plafonds des taux usuraires sont réglementés par chaque État. Cependant, le nouveau Consumer Financial Protection Bureau, qui a été mis sur pied par le président Obama, vient tout juste d’établir un règlement qui oblige les prêteurs sur salaire américains à garantir les prêts qu’ils consentent. Je considère que c’est une très bonne chose.
L’une des conséquences regrettables des prêts sur salaire que nous constatons, c’est que les gens entrent dans un cycle d’emprunt à répétition. Ils essaient de répondre à un besoin financier à long terme avec un prêt sur deux semaines : il y a un décalage. Le prêteur réalise un profit sur ces prêts à répétition, mais l’emprunteur ne répond toujours pas à ses besoins financiers, c’est la raison pour laquelle le Consumer Financial Protection Bureau, aux États-Unis, exige des garanties. Je pense que l’ACFC pourrait faire quelque chose du genre.
En Australie, il y a une réglementation fédérale sur ce qu’on appelle le « crédit responsable » et c’est l’ASIC, soit l’Australian Securities and Investments Commission qui a la responsabilité d’administrer la réglementation sur le crédit responsable.
C’est donc, encore une fois, un règlement fédéral qui permet de faire un peu ce à quoi je crois que vous faites allusion.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à nos deux témoins. Nous parlons ici d’un emprunt à 40 p. 100 d’intérêt. Si une personne se trouve dans l’obligation d’emprunter à 40 p. 100 d’intérêt, ses chances de pouvoir rembourser sont minimes. La personne pourrait faire affaire avec un autre prêteur pour rembourser son premier emprunt. Finalement, si elle ne gagne pas à la loterie, la personne sera endettée pendant très longtemps. Quelle est votre opinion au sujet d’un taux de 40 p. 100?
[Traduction]
M. Buckland : Je trouve que c’est un taux élevé et qu’il serait risqué pour certains emprunteurs. Il pourrait les faire plonger dans un cycle de crédit tel qu’ils ne pourront jamais rembourser leur emprunt. Pour d’autres emprunteurs, ce pourrait être correct.
C’est un constat que nous tirons de notre recherche sur les prêts sur salaire. Certaines personnes sont très stratégiques et utilisent les prêts sur salaire de façon très stratégique. Nous l’avons vu dans un groupe de travail récemment, à Winnipeg. Ce groupe rassemblait une douzaine de personnes, dont deux l’utilisaient de façon très stratégique. Elles contractaient des prêts sur salaire une ou deux fois par année et ce, même si elles avaient des économies. Pourquoi? Parce qu’elles savaient qu’elles pourraient rembourser leurs prêts, donc c’était très stratégique.
Il y avait toutefois d’autres personnes dans le groupe qui étaient prises dans un cycle de prêts sur salaire à répétition. Elles n’arrivaient pas à les rembourser, et elles devaient en contracter un deuxième pour payer le premier, et ainsi de suite, dans un cycle d’emprunt perpétuel. Bref, la réglementation actuelle concernant les prêts sur salaire ne suffit pas pour protéger la population. Je m’excuse si je n’ai pas directement répondu à votre question.
M. Robinson : Il y a une chose qui arrive assez souvent, nous l’avons entendu dans les témoignages recueillis. Nous savons que cela arrive, et les prêteurs sur salaire comme leurs clients le savent aussi. Ils traverseront la rue pour aller en voir un autre s’ils ne peuvent pas obtenir assez du premier. Tout le monde sait que c’est ce qui arrive. Or, s’il existait un registre provincial ou national, on pourrait peut-être empêcher les gens de le faire, mais ce serait alors très intrusif et coûteux. C’est la même chose aux États-Unis. Les prêteurs sont si nombreux que les gens empruntent encore et encore. Comme il n’y a aucune garantie obligatoire et qu’il n’y a pas de registre non plus, tel prêteur ne peut pas savoir qu’il y en a un autre dans l’équation. Il y a un homme qui nous a raconté qu’il avait recours à trois prêteurs en séquence. Il empruntait de l’argent du deuxième pour payer le premier, avec ce qui ressemble à de faux chèques.
La sénatrice Wallin : Pour résumer brièvement ce que vous dites, monsieur Robinson, ce n’est pas un problème de littératie financière, mais qu’il y a des gens qui gèrent bien leurs finances et d’autres non, puis il y a aussi bien sûr toute la question de la discrimination. En gros, vous nous dites ceci : il faut forcer les banques à le faire puisqu’elles peuvent utiliser leur système de découvert ou de marges de crédit; elles perdront de l’argent, parce que les clients ne changeront pas de comportement, mais les banques n’auront qu’à amortir ces pertes, parce qu’elles représentent une somme assez infime, au fond.
M. Robinson : C’est une très bonne question. Ce n’est pas tout à fait ce à quoi je pensais. Je vous citerai mon fils.
Je propose plutôt que les banques créent ce que nous appelons un « système d’échafaudages », c’est-à-dire qu’on crée, à une échelle personnelle ou sociale, des mécanismes qui imposent une forme d’autodiscipline. C’est ce que nous faisons tous. Nous le faisons pour arrêter de manger du chocolat, de dépenser compulsivement ou d’utiliser nos cartes de crédit. Chacun se crée des mécanismes.
Cela transférerait aux banques le pouvoir de faire ce que font parfois les prêteurs sur salaire, c’est-à-dire de créer un mécanisme qui oblige les gens à rembourser leurs prêts. Ce serait les banques qui toucheraient l’argent les premières. De nos jours, presque tous les dépôts sont faits par voie électronique. Donc, la banque perçoit l’argent, couvre le découvert, puis exerce le mantra des planificateurs financiers « paye-toi toi-même d’abord », que vous avez peut-être déjà entendu. Elle pourrait aussi ouvrir un compte à part ou quelque chose du genre.
De même, les coopératives de crédit essaient de se doter de mécanismes du genre, mais elles sont tellement petites qu’elles n’arrivent pas à joindre assez de gens. Elles essaient très fort, mais c’est difficile. Pour les banques, ce serait relativement facile. Elles pourraient ouvrir un compte spécial pour les clients, dans lequel de l’argent serait versé; ce compte servirait à rembourser le prêt sur salaire ou à combler le découvert, mais les clients y garderaient leurs économies. J’espère que c’est ainsi que cela fonctionnerait.
Le président : Au nom du comité, je souhaite vous remercier tous les deux d’avoir pris le temps de vous préparer à votre comparution d’aujourd’hui. Je pense que vos points de vue nous seront très utiles pour y voir clair dans cette problématique, qui comme beaucoup d’autres, peut sembler relativement simple tant qu’on ne la comprend pas. Merci beaucoup. Nous vous remercions beaucoup du temps que vous nous avez consacré.
Sur ce, je vais interrompre la séance, après quoi nous reprendrons très brièvement à huis clos.