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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 38 - Témoignages du 18 avril 2018


OTTAWA, le mercredi 18 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 17 h 17, afin d’étudier les enjeux nouveaux et émergents pour les importateurs et exportateurs canadiens dans les marchés nord-américains et mondiaux.

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, mesdames et messieurs, bonjour et bienvenue à ceux qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, qu’ils soient dans la salle ou sur le Web. Tout d’abord, je tiens à présenter mes excuses auprès de nos témoins pour notre retard. C’était tout à fait indépendant de notre volonté, mais les membres du comité et moi vous sommes reconnaissants de votre indulgence.

Je m’appelle Doug Black. Je suis un sénateur de l’Alberta et président du comité. J’invite maintenant mes collègues à bien vouloir se présenter.

Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l’Alberta.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.

Le président : Comme toujours, nous profitons de l’aide inestimable de notre greffière, qui revient tout juste d’un congé de maladie — bon retour au travail — et de nos analystes.

Aujourd’hui, notre comité poursuivra ses délibérations sur les enjeux nouveaux et émergents pour les importateurs et exportateurs canadiens en ce qui a trait à leur compétitivité internationale. Le comité s’intéresse aux répercussions possibles de ces changements sur la compétitivité des importateurs et exportateurs canadiens, ainsi qu’à la façon dont les importateurs et exportateurs canadiens et le gouvernement fédéral pourraient y réagir. Je suis heureux de vous présenter nos témoins pour cette séance importante : Charles Lammam, directeur, Études fiscales, à l’Institut Fraser, à Vancouver, et Fred R. O’Riordan, dirigeant national, Politique fiscale, et dirigeant canadien de l’économie et des services d’analyse à Ernst & Young s.r.l.

Commençons, messieurs, par vos déclarations préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions et réponses. Je crois comprendre que, dans son invitation, la greffière vous a demandé de formuler des observations sur le sujet à l’étude aujourd’hui en mettant l’accent sur les récentes modifications apportées au régime américain de fiscalité fédérale des sociétés.

Monsieur Lammam, je vous prie de commencer, puis ce sera au tour de M. O’Riordan.

Charles Lammam, directeur, Études fiscales, Institut Fraser, à titre personnel : Je remercie le comité de me donner l’occasion de présenter mes réflexions sur les récents changements apportés au régime fiscal des États-Unis et sur leurs conséquences pour le Canada. Mes propos d’aujourd’hui reflètent strictement mes opinions et observations, et pas nécessairement celles d’autres employés, chercheurs affiliés ou membres du conseil d’administration de l’Institut Fraser. J’ose espérer que vous trouverez mes observations utiles et éclairantes dans le cadre de vos délibérations sur ces importants enjeux de politique d’intérêt public.

De nombreux facteurs nuisent à la capacité du Canada d’attirer et de conserver des investissements, des entrepreneurs et des travailleurs qualifiés. Certains de ces facteurs, comme les fluctuations des prix des produits de base sur les marchés mondiaux, échappent au contrôle direct du gouvernement. En revanche, les politiques gouvernementales peuvent façonner le climat d’investissement du Canada, et elles le façonnent effectivement; par conséquent, les gouvernements peuvent influer sur l’attrait qu’exerce notre pays auprès des travailleurs et des gens d’affaires. Et la compétitivité fiscale est un élément important du climat d’investissement.

Avant les récentes réformes radicales apportées au régime fiscal des États-Unis, le Canada jouissait d’un avantage par rapport à ses voisins du Sud au chapitre de l’impôt des sociétés, et ce, depuis près de deux décennies. En fait, il existait un énorme écart entre nos taux généraux réglementaires d’imposition des sociétés. En 2016, selon les données de l’OCDE, le taux réglementaire d’imposition des sociétés au Canada, fédéral-provincial combiné, se chiffrait à environ 27 p. 100 par rapport à 38 p. 100 aux États-Unis.

À cet égard, il est important d’examiner le taux d’imposition effectif. À en juger par le taux effectif marginal d’imposition, qui est une mesure plus globale puisqu’il comprend les taxes sur les intrants, les crédits et les déductions, l’avantage fiscal du Canada était, en réalité, plus prononcé en 2007, soit environ 21 p. 100 par rapport à 35 p. 100 aux États-Unis, selon les calculs de Jack Mintz, un économiste de l’Université de Calgary.

C’est grâce à cet avantage fiscal de longue date que le Canada a pu attirer et conserver des investissements aux dépens des États-Unis. Un exemple très médiatisé était celui de la récente fusion de Burger King avec Tim Hortons et de son déménagement subséquent au Canada. Jusqu’ici, cette année, le Canada a complètement perdu son avantage par rapport aux États-Unis sur le plan du taux d’imposition des sociétés. Les réformes adoptées par nos voisins du Sud ont eu pour effet d’abaisser le taux réglementaire de l’impôt fédéral des sociétés, en le faisant passer de 35 à 21 p. 100, d’autoriser la passation en charges immédiates pour les investissements de capitaux et d’inciter les sociétés à transférer les bénéfices accumulés à l’étranger vers les États-Unis. Ensemble, ces réformes ont réduit de façon draconienne le taux d’imposition effectif sur les nouveaux investissements aux États-Unis, en le faisant passer d’environ 35 à 19 p. 100, ce qui est bien plus bas que le taux actuel du Canada, soit 21 p. 100.

Maintenant que le Canada a perdu son avantage au chapitre du régime fiscal applicable aux sociétés, il lui sera plus difficile de livrer concurrence à la plus grande économie mondiale pour ce qui est d’attirer des investissements. En plus des changements fiscaux visant les sociétés, les États-Unis ont réduit le taux supérieur d’impôt fédéral sur le revenu des particuliers, qui est passé de près de 40 à 37 p. 100. Avant cette modification, le Canada était déjà très désavantagé à cet égard sur la scène internationale, et plus particulièrement par rapport aux États-Unis, parce que son taux supérieur d’impôt fédéral-provincial combiné sur le revenu des particuliers était d’un peu moins de 54 p. 100, comparativement à 46 p. 100 aux États-Unis. Et, fait crucial, le taux supérieur du Canada s’applique généralement à un niveau de revenu beaucoup plus faible, ce qui ne fait qu’exacerber le problème.

L’écart entre le taux supérieur du Canada et celui des États-Unis s’est considérablement élargi en raison de la réduction du taux supérieur américain, mais aussi en raison des hausses du taux supérieur canadien à l’échelle fédérale et provinciale au cours des dernières années. Ces changements nuisent à la compétitivité fiscale du Canada. Compte tenu de l’augmentation du taux d’imposition des particuliers, le Canada a plus de mal à attirer et à garder des travailleurs hautement qualifiés, y compris des entrepreneurs.

Alors que le gouvernement fédéral américain rend les États-Unis plus attrayants pour les travailleurs qualifiés et les investisseurs en modifiant le régime fiscal et la réglementation, le Canada fait le contraire. Ottawa et plusieurs provinces ont miné la compétitivité canadienne en adoptant un assortiment de politiques qui découragent l’investissement. Mentionnons, entre autres, l’augmentation des taux d’impôt sur le revenu des particuliers, le revenu des sociétés et les charges sociales, l’accumulation de déficits budgétaires persistants qui risquent de hausser les taux d’impôt à l’avenir, l’adoption de nouveaux règlements sur le carbone, les projets d’exploitation de ressources et la main-d’œuvre, l’augmentation des dépenses d’affaires à la suite de la hausse du salaire minimum et du prix de l’énergie et, maintenant, comme nous le voyons dans le cas du projet d’expansion du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan, une incertitude accrue quant aux règles et aux politiques touchant le développement économique et la mise en valeur des ressources au Canada.

L’effet cumulatif de telles politiques, conjugué à un virulent discours anti-grandes sociétés de la part de nombreux gouvernements au Canada, a porté un coup dur au climat d’investissement au pays. La réforme fiscale américaine, ainsi que l’incertitude entourant les renégociations de l’ALENA et l’accès au marché américain ne font que tourner le fer dans la plaie que le Canada s’est infligé lui-même en adoptant pareilles politiques. Il y a plusieurs exemples notoires de grandes sociétés qui ont décidé de retirer leurs investissements du pays, signe inquiétant que le Canada est de plus en plus considéré comme un endroit où il ne fait pas bon investir. Comme l’a récemment dit le président et chef de la direction de la Banque Royale du Canada, « nous pouvons voir les capitaux quitter le pays en temps réel ».

Le problème de l’investissement au Canada est loin d’être anecdotique. Les données d’ensemble brossent un tableau inquiétant. Les investissements commerciaux, excluant les constructions résidentielles, ont chuté de près de 20 p. 100 depuis le troisième trimestre de 2014, en tenant compte de l’inflation. Et il n’y a aucun signe d’amélioration en vue au cours de l’année à venir. Selon la dernière enquête de Statistique Canada sur les intentions d’investissement pour 2018, les investissements du secteur privé devraient diminuer encore une fois pour la quatrième année consécutive. Entre-temps, les investissements étrangers directs au Canada sont en chute libre depuis 2013.

Le déclin des investissements des entreprises, conjugué au fait que le Canada a maintenant le deuxième plus bas niveau d’investissements commerciaux par rapport à la taille de son économie parmi un groupe de 17 pays avancés, devrait grandement préoccuper les décideurs parce que les investissements ont un effet positif sur la croissance économique et le niveau de vie général. Si les investissements au Canada continuent de diminuer, les Canadiens verront leur situation économique s’aggraver à l’avenir.

Malheureusement, en dépit des commentaires négatifs d’une foule de chefs d’entreprise qui estiment que le Canada n’est plus un endroit propice aux investissements et malgré les données agrégées qui font état d’un grave problème d’investissement, le ministre fédéral des Finances a déclaré que l’incidence de la réforme fiscale américaine nécessite une étude plus poussée.

Il est absolument indispensable que les gouvernements fédéral et provinciaux prennent des mesures pour améliorer le climat d’investissement du Canada, non seulement en réponse aux réformes adoptées aux États-Unis, mais aussi, de façon plus générale, à la lumière de la diminution des investissements. Non seulement cela rendrait le Canada plus attrayant pour les investisseurs, mais cela enverrait aussi un message clair que le Canada est bel et bien prêt à brasser des affaires et qu’il est un endroit accueillant pour les entrepreneurs et les investisseurs. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Lammam. C’était très utile.

[Français]

Fred R. O’Riordan, dirigeant national, Politique fiscale, dirigeant canadien, Économie et services d’analyse, Ernst & Young s.r.l. : Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité. Je suis heureux d’être ici avec vous cet après-midi au nom d’Ernst & Young pour discuter de l’importante question de la réforme fiscale américaine et de ses conséquences potentielles pour le Canada.

[Traduction]

Ernst & Young, aussi appelée EY, offre des services professionnels mondiaux dans le domaine des assurances et de la fiscalité, ainsi que des services consultatifs, à des clients des secteurs public et privé. Depuis que l’administration Trump a dévoilé son projet initial de réforme fiscale en septembre 2017, une vaste réforme fiscale a été entreprise et progresse à une vitesse ahurissante. Les mesures législatives finales prévues dans la Tax Cuts and Jobs Act, c’est-à-dire la loi sur les emplois et les réductions d’impôt, ont été adoptées par la Chambre des représentants et par le Sénat le 20 décembre; elles ont été promulguées par le président le 22 décembre et elles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2018.

Parmi les principaux éléments de la nouvelle loi, signalons l’abaissement des taux d’imposition des particuliers et des sociétés, l’élargissement de l’assiette fiscale par l’établissement de limites sur les déductions et les crédits, l’adoption d’un régime de territoire international pour les multinationales, qui est assorti de mesures visant à prévenir les abus et d’une redevance sur les bénéfices accumulés à l’étranger qui, auparavant, n’étaient pas assujettis à l’impôt.

Les économistes ne s’entendent guère sur l’incidence qu’auront, au final, ces changements sur l’économie américaine. Certains redoutent leur effet à long terme sur le déficit fédéral, sur la dette nationale et sur la répartition après impôt du revenu des particuliers, mais la grande majorité s’accorde à dire qu’à court et à moyen terme, ils auront pour effet de stimuler considérablement la croissance de l’économie, l’investissement en provenance de l’étranger et la création d’emplois.

Dans la mesure où ces changements profitent à l’économie américaine, il est probable que le Canada en tirera parti grâce à l’accroissement des exportations attribuable à l’intégration des deux économies et à l’accès au vaste marché américain que permet l’Accord de libre-échange nord-américain.

Il existe cependant un risque considérable que la réforme fiscale américaine ait, globalement, une incidence économique négative sur le Canada si l’on tient compte de l’environnement fiscal plus concurrentiel de nos voisins du Sud et de l’accroissement possible du protectionnisme commercial des États-Unis, qui attireront les capitaux et la main-d’œuvre spécialisée du Canada vers le vaste marché américain.

La décision d’une entreprise d’effectuer un investissement dépend du taux de rendement du capital. Toutes choses étant égales par ailleurs, les capitaux affluent vers les pays où le taux de rendement est plus élevé.

Les taxes perçues auprès des entreprises réduisent le taux de rendement, ce qui influe à la fois sur le montant des investissements et sur le lieu où ils sont effectués.

Depuis 2000, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada diminuent progressivement le fardeau fiscal des entreprises pour attirer l’investissement, notamment en réduisant peu à peu le taux d’impôt des sociétés, en éliminant les taxes sur le capital et en abaissant les taxes sur les intrants.

Cette stratégie fiscale s’avère efficace, car, au cours de la même période, les recettes de l’impôt des sociétés n’ont cessé de progresser, tandis que le rapport entre le revenu imposable des sociétés et le PIB est demeuré stable. L’orientation stratégique du Canada correspond à une tendance mondiale parmi les pays membres de l’OCDE et les membres du G7, l’exception la plus notable jusqu’ici étant les États-Unis.

Avec la réforme fiscale américaine, le taux fédéral d’imposition des sociétés est passé de 35 à 21 p. 100, alors que le taux fédéral canadien est de 15 p. 100. Aux États-Unis, le taux d’impôt moyen, des sociétés fédéral-étatique combiné, est passé de 39,1 à 26 p. 100; il est maintenant inférieur au taux moyen combiné fédéral-provincial canadien, soit 26,7 p. 100, et vient annihiler l’avantage fiscal concurrentiel dont jouissait le Canada jusqu’ici.

Une mesure utile de l’affaiblissement de la position concurrentielle du Canada, qui est plus éclairante qu’une simple comparaison des taux réglementaires, est la comparaison des taux effectifs marginaux d’imposition, ou TEMI, des pays sur les nouveaux investissements des entreprises. Le TEMI englobe non seulement le taux d’impôt des sociétés, mais aussi les déductions et les crédits liés à l’achat de biens de production et autres taxes sur le capital payées par les sociétés. En fait, le TEMI mesure le rendement additionnel que doit produire un investissement pour permettre de payer les taxes et de conserver le même rendement global ou, autrement dit, la part du taux de rendement avant impôt d’une unité supplémentaire de capital nécessaire pour payer l’impôt des entreprises sur ce capital.

Le TEMI du Canada est inférieur à celui des États-Unis depuis 2006. Cela profite énormément à notre pays : non seulement des entreprises décident en conséquence du lieu où s’établir, mais des multinationales décident également de localiser leurs fonctions ayant la plus grande valeur et, partant, de déclarer leur revenu et de payer l’impôt connexe dans le pays où le taux d’imposition est le moins élevé.

La réforme fiscale des États-Unis a également eu pour effet de réduire abruptement le TEMI agrégé du pays, qui était de 34,6 p. 100 et qui n’est maintenant plus que de 18,8 p. 100; celui du Canada s’établit à 20,9 p. 100. Subdivisé par secteur d’activité, l’avantage concurrentiel relatif du Canada passe aux mains des États-Unis dans tous les secteurs, sauf dans trois : manufacturier, pétrole et gaz, et autres services.

Bien que la main-d’œuvre soit moins mobile que le capital, l’incidence de la réforme américaine de l’impôt sur le revenu des particuliers menace également la compétitivité du Canada : aux États-Unis, les taux d’impôt sur le revenu des particuliers ont été temporairement réduits alors qu’ils sont en hausse au Canada. Le taux marginal d’impôt maximal sur le revenu d’emploi, fédéral-provincial combiné, dépasse aujourd’hui la barre des 50 p. 100 dans 6 des 10 provinces du Canada. Cela est particulièrement important, car attirer et retenir les plus brillants talents est une priorité absolue pour les entreprises canadiennes qui veulent maintenir leur compétitivité.

Les entreprises canadiennes, tout comme les décideurs, doivent prendre sérieusement en considération la réforme fiscale américaine et l’intégrer à leur propre processus de prise de décisions stratégiques.

En particulier, nous sommes d’avis que la réforme fiscale américaine devrait inciter le fisc canadien à repenser comme il se doit sa politique et son intervention. Au lieu d’apporter des changements ponctuels à la pièce, le gouvernement devrait entreprendre un examen complet de la politique fiscale.

Il conviendrait d’examiner l’éventail complet de taxes et d’impôts, y compris les questions relatives aux taux et à l’assiette fiscale. Un examen exhaustif permettrait d’évaluer le rendement de notre régime actuel à l’aune des caractéristiques d’un bon régime fiscal. Ces caractéristiques comprennent la justice et l’équité, la neutralité et l’efficience économique, la simplicité, la faisabilité sur le plan administratif et la certitude, et — dernier élément, mais non le moindre — la compétitivité au niveau international.

Enfin, cet examen devrait comporter l’évaluation des dépenses pertinentes et des programmes de dépenses fiscales afin qu’on puisse s’assurer qu’ils répondent aux objectifs établis de la politique et que ces objectifs s’harmonisent au lieu d’aller à contre-courant.

Voilà qui conclut ma déclaration préliminaire. Je serais heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur M. O’Riordan. Nous avons un certain nombre de questions à vous poser.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci à vous deux d’être venus. Si vous me le permettez, j’ai une question peut-être un peu générale pour vous.

Monsieur O’Riordan, je note que votre suggestion d’un examen complet de la politique fiscale est excellente et, bien sûr, nous devrions le faire continuellement. Cependant, je pense que nous devrons prendre des mesures plus rapidement qu’on ne pourrait jamais le faire. Je me demande si vous pourriez tous les deux me donner une idée du point auquel le gouvernement devrait commencer.

M. O’Riordan : Si je devais formuler des recommandations de changements immédiats, dans un sens, je me contredirais parce que j’estime honnêtement qu’il est préférable de mener un examen complet, en partie parce que la politique fiscale est compliquée et qu’un changement particulier dans un secteur influera inévitablement sur d’autres secteurs, tant dans le régime fiscal que non fiscal.

Alors, en termes simples, je pense que j’ai énoncé les principales questions à étudier; c’est-à-dire, les changements de taux et d’assiette. En réponse aux mesures prises par les États-Unis, une question à examiner serait celle de savoir s’il est possible de réduire encore certains impôts. Nous avons perdu notre compétitivité fiscale avec les États-Unis, mais pas avec d’autres pays. Je suis conscient du fait que certaines personnes craignent le nivellement par le bas si on envisage de réduire davantage le taux d’imposition des sociétés. En réalité, le Canada se situe environ dans la moyenne à l’heure actuelle. Nous ne sommes pas un pays où l’impôt est faible. Nous ne sommes pas un pays où l’impôt est élevé. En conséquence, nous avons la latitude d’envisager des changements de taux.

Si j’ai mentionné l’éventail de taxes et d’impôts, c’est en partie parce que nous devrions considérer l’impôt des sociétés comme une source de revenus, mais pas de manière isolée. Nous percevons clairement beaucoup de revenus du côté de l’impôt sur le revenu des particuliers et un montant non dédaignable du côté de la TPS, celui de la valeur ajoutée. C’est un point à examiner. J’ai aussi mentionné les changements d’assiette fiscale. Je dirais que, dans tous ces cas, nous devrions envisager des changements d’assiette fiscale. Je veux dire qu’on devrait se pencher sur les programmes de dépenses fiscales, notamment du côté des sociétés, mais aussi de celui des particuliers. Prenez la taxe sur la valeur ajoutée, la TPS, et penchez-vous sur les exemptions et les exceptions relatives à notre taxe sur la valeur ajoutée. Nombre de régimes fiscaux dans le monde sont meilleurs que le nôtre. Prenez l’administration fiscale, en particulier les régimes de la TPS et de la TVH, dans le contexte desquels un certain nombre de provinces canadiennes sont harmonisées à des fins fiscales, mais d’autres pas.

Il est clair que si ce secteur était mieux harmonisé, nous réduirions les coûts administratifs. Nous rendrions aussi ces taxes plus neutres, et nous réduirions les coûts en capital dans la mesure où il y a toujours des coûts en capital associés à certaines d’entre elles; prenez, par exemple, la Colombie-Britannique, qui est passée d’une taxe de vente provinciale à une TVH pour revenir à une taxe de vente provinciale. Je vais m’arrêter là pour donner aux autres témoins la chance de dire quelque chose.

M. Lammam : Je suis d’accord avec les autres témoins quant au besoin de mener un examen général du régime d’impôt sur le revenu du Canada. Il ne fait aucun doute que nous sommes mûrs pour un examen, et il est clair que ce qui s’est produit l’an dernier a rehaussé l’importance de le faire. Cependant, en réalité, nous avons un problème de compétitivité. Je dirais probablement que, côté impôt sur le revenu des particuliers, nous sommes en marge. Nous ne sommes pas dans la moyenne en ce qui concerne notre dépendance à l’impôt personnel, mais plutôt en ce qui concerne le taux. Si on prend l’Ontario comme province représentative au Canada, notre taux maximal actuel se situe à presque 54 p. 100, si on combine l’impôt fédéral et provincial. C’est l’un des plus élevés; je pense que c’est le huitième plus élevé de tous les pays développés. C’est le plus élevé de tous les pays anglophones et bien plus élevé qu’un quelconque taux aux États-Unis. Par-dessus tout, les taux d’impôt sur le revenu des particuliers les plus élevés au Canada s’appliquent à un niveau de revenu beaucoup moins élevé qu’aux États-Unis, et notre façon de faire nos déclarations de revenus ajoute au problème de compétitivité sur le plan de l’impôt sur le revenu des particuliers.

Oui, il est important pour nous d’examiner le régime de façon holistique. Au cours du dernier siècle, nous avons vu le régime d’impôt sur le revenu des particuliers devenir beaucoup plus compliqué qu’il a besoin de l’être. Les exemptions sont nombreuses. Il y a des dépenses au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers qui correspondent environ au montant que perçoit actuellement le gouvernement fédéral en impôt sur le revenu des particuliers. Les possibilités de simplifier le système, de générer des revenus en éliminant les dérogations spéciales qui existent dans le code de l’impôt sur le revenu des particuliers et de réduire les taux de façon dramatique pour tout le monde sont nombreuses.

Mes collègues et moi avons fourni une analyse détaillée de ce à quoi cela pourrait ressembler pour le Canada en fait de taux d’imposition plus bas et généraux pour tout le monde si on élimine des dépenses, au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers, grandement inefficaces.

Cependant, du côté des sociétés, il y a fort à faire. Je ferais d’abord remarquer que, puisque nous avons vu une hausse des taux d’imposition sur le revenu des particuliers au Canada au cours des six dernières années environ, nous avons observé des augmentations concomitantes de nos taux d’imposition des gains en capital. Ces taux s’appliquent à 50 p. 100 du taux marginal. Nous savons que l’impôt applicable aux gains en capital peut émousser l’entrepreneuriat, l’offre de capital et la demande d’entrepreneurs au Canada. C’est une initiative stratégique relativement très peu coûteuse que nous pouvons utiliser. L’impôt sur les gains en capital génère très peu de revenus pour le gouvernement, étonnamment, mais son effet néfaste sur l’entrepreneuriat et les investissements est très coûteux. Réduire le taux d’inclusion, éliminer complètement l’impôt sur les gains en capital ou envisager d’autres options comme un mécanisme de transition pourraient grandement contribuer à stimuler l’économie canadienne à très faible coût pour le gouvernement.

Mon collègue a énoncé nombre de développements positifs que nous avons observés au Canada au chapitre de l’impôt sur le revenu des sociétés, développements qui ont été réalisés par tous les partis au cours des 15 dernières années. Cela a été une bonne chose, mais il reste fort à faire, peu importe ce qui est arrivé aux États-Unis. Je dois dire que, en réalité, ce pays ne fait que nous inciter à faire des changements au Canada.

Il est important de souligner, comme j’ai essayé de le faire dans mes remarques liminaires, que nous avons du mal à attirer des investissements. Un régime fiscal favorable aux entreprises qui soit plus concurrentiel nous permettrait de le faire et de bénéficier d’investissements accrus au pays.

On peut faire bien des choses. Malheureusement, nous avons vu des retours en arrière au cours des dernières années alors que des gouvernements provinciaux ont haussé leur taux réglementaire d’imposition sur le revenu des sociétés. Les réductions de ce taux, tant à l’échelon fédéral que provincial, pourraient être bien accueillies. Il serait extraordinairement utile de rehausser la neutralité du traitement fiscal des secteurs industriels d’affaires. L’harmonisation des régimes provinciaux de taxe de vente avec la taxe sur les produits et services, la TPS, serait merveilleuse pour des provinces comme la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et le Manitoba, qui n’ont toujours pas harmonisé leur taxe de vente provinciale. Il faut réexaminer généralement notre régime d’impôt sur le revenu; cependant, à court terme, je pense qu’il incombe aux gouvernements de mettre en œuvre des mesures fiscales en faveur de la croissance économique qui les aideront à combattre le déclin des investissements que nous avons observé, le manque de compétitivité…

Le sénateur Tannas : J’ai une question brève, plus par curiosité qu’autre chose.

Dans cette comparaison, y a-t-il quelque chose qui élargit ou réduit l’écart sur le plan fiscal? À titre d’exemple, aux États-Unis, les employeurs paient l’assurance-maladie, dont le coût est considérable. J’ai lu quelque part que la contribution moyenne d’un employeur est de 7 000 $ par employé.

Y a-t-il des exemples de normalisation sur lesquels on devrait se pencher lorsqu’on essaie de comprendre la compétitivité plutôt que de comparer des pommes et des oranges dans le contexte de notre régime fiscal?

M. O’Riordan : Vous voulez dire s’il y a des attributs au Canada qui sont, en quelque sorte, différents ou plus attirants?

Le sénateur Tannas : Ici, c’est une taxe; là-bas, c’est un coût. C’est bien cela?

M. O’Riordan : Exactement. Les comparaisons que mes collègues et moi avons mentionnées en ce qui a trait aux taux effectifs marginaux d’imposition sont des impôts sur le capital, pas sur le revenu du travail. Elles illustrent clairement les coûts en capital dans ces pays.

Il est clair qu’au Canada nous n’offrons pas les services de soins de santé de la même façon que nos voisins du Sud, ce qui peut être perçu comme un avantage. Il ne s’agit pas pour moi d’un avantage évident en ce sens que, lorsqu’elles décident de leur emplacement et tout, les entreprises tiennent compte des coûts de la main-d’œuvre spécialisée en particulier et examineront aussi leurs fardeaux fiscaux.

Comme mon collègue l’a fait remarquer, le fardeau fiscal au Canada est considérablement plus élevé que celui aux États-Unis, mais les entreprises prendront aussi en considération le fait que les services de santé relèvent des provinces. Elles pourraient choisir d’avoir de l’assurance complémentaire afin d’offrir d’autres avantages, et cetera.

Si je comprends le sens de votre question, non, je ne pense pas que l’un d’entre nous dirait que l’imposition est le seul facteur qui motive les décisions concernant l’emplacement d’une entreprise, et cetera, et le Canada offre clairement des avantages par rapport aux États-Unis.

M. Lammam : Je pense que c’est là où vous vouliez en venir. Je ne veux pas mal interpréter votre question. Il y a d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte au-delà du régime fiscal. Au chapitre de l’impôt sur le capital, je ne connais aucune autre mesure exhaustive que le taux effectif marginal d’imposition dont nous avons parlé qui donne une idée de la nature des répercussions fiscales des nouveaux investissements dans un pays par rapport à un autre. Il s’agit d’une mesure exhaustive comparable, selon moi, mais qui s’accompagne d’un avertissement que d’autres facteurs influent sur les décisions concernant les investissements.

Je voulais renforcer l’argument que j’ai soulevé tout à l’heure dans mes remarques liminaires selon lequel nous ne devrions pas uniquement comparer le régime fiscal des sociétés au Canada et aux États-Unis pour comprendre les investissements requis. J’ai essayé de brosser un tableau général de l’impôt, de la réglementation et du coût d’exploitation d’une entreprise au Canada qui augmente et, faute de pouvoir faire court, de l’approche anti-investissements que nous avons adoptée ici par rapport à ce qui se passe aux États-Unis sur le plan fiscal et réglementaire.

Si nous élargissons l’analyse pour examiner d’autres politiques que la politique fiscale des sociétés, il est préoccupant de voir qu’à l’extérieur du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, nous allons de l’avant avec des politiques très anti-investissements au pays.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Vous l’avez mentionné dans votre présentation, l’économie américaine est forte. Les mesures protectionnistes de l’administration Trump exercent une pression ardue sur les importateurs et les exportateurs canadiens, ce qui finira par avoir un impact négatif. J’aimerais entendre votre opinion sur l’incidence globale à long terme. On a beau dire qu’on se compare à d’autres pays, mais notre principal partenaire économique est les États-Unis. Ce pays est limitrophe, donc il est plus facile de faire affaire avec lui. J’aimerais vous entendre sur l’incidence globale à long terme.

[Traduction]

M. O’Riordan : Comme les économistes se plaisent à le dire, à long terme, nous sommes tous morts. Il convient d’envisager les choses à court et à moyen terme, sans vouloir exprimer mon désaccord avec votre perspective qu’à long terme nous devrions étudier la relation commerciale en fonction des États-Unis pour déterminer s’il vaudrait mieux diversifier nos échanges commerciaux, par ecemple. Je pense que l’avenir est prometteur pour ce qui concerne les accords commerciaux déjà conclus ou ceux que nous cherchons à signer avec d’autres pays, entre autres ceux de l’Union européenne, ceux du Pacifique et la Chine. Ce qui nous préoccupe, c’est notre capacité d’exploiter plus à fond notre relation avec les États-Unis.

J’aimerais insister sur la taille et l’importance de l’économie étatsunienne par rapport à la nôtre. Nous avons une petite économie ouverte. Nous avons toujours été un pays commerçant et notre meilleur avantage à exploiter est inévitablement l’accès au grand marché américain. Nous sommes actuellement menacés sur deux fronts : ceux de l’accès et de la compétitivité fiscale.

J’estime que la question de la compétitivité fiscale est plus menaçante que les arrangements relatifs à l’ALENA. J’ai bon espoir que nous menions à bien la renégociation de l’ALENA avec les Américains et les Mexicains, mais même si nous n’y arrivons pas, nombre d’études économiques portent sur les conséquences de ne pas réussir. Que nous concluions un accord ou non, nous serons toujours très liés à l’économie des États-Unis.

L’économie des États-Unis est très importante et concrète. Les entreprises qui cherchent à faire des affaires en Amérique du Nord ont deux choix, en gros : se situer directement dans ce marché ou se situer ici au Canada et profiter de certains des attributs qu’un des honorables sénateurs a déjà mentionnés.

Nous sommes attirants à certains égards par rapport aux États-Unis, mais les coûts en capital et le rendement sur l’investissement sont un point décisif pour les entreprises. Nos investissements d’entreprise tirent de l’arrière, ils sont faibles, et rien n’indique que la situation va s’améliorer. Les points qui influeraient là-dessus et qui amélioreraient la situation, non seulement au chapitre de l’impôt, mais aussi de notre capacité d’innover et d’accroître notre productivité, sont des choses que, selon moi, le comité devrait prendre en considération et étudier.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous prévoyez qu’il y ait une nouvelle entente de l’ALENA. Toutefois, ce ne sera sûrement pas une entente symbolique, comme on l’a entendu la semaine dernière au sommet qui s’est tenu au Pérou.

M. O’Riordan : Je crois qu’on parle plutôt à court terme. Les motivations sont davantage politiques qu’économiques, si je comprends bien.

[Traduction]

M. Lammam : Pour ajouter à la question concernant la nature des répercussions à long terme, je suis d’accord avec une bonne partie de ce que mes collègues ont dit. C’est très difficile d’avoir une idée des conséquences à long terme pour un certain nombre de raisons.

Il y a déjà eu une hausse des investissements aux États-Unis. Bien que notre secteur de l’énergie soit en déclin, le leur est en plein essor, en partie grâce aux changements réglementaires au sud de la frontière. Dans la mesure où nous continuons à faire de nombreux échanges commerciaux avec les États-Unis, nous verrons une partie du rendement économique étatsunien à la hausse avoir des retombées au Canada. Il y a évidemment des défis sur ce point au vu des mesures protectionnistes des États-Unis et des risques entourant l’ALENA qui, en passant, ont déjà eu pour effet de refroidir bien des gens d’affaires et entrepreneurs canadiens à qui je me suis adressé. L’incertitude concernant les négociations a, à elle seule, eu un effet de frein.

S’il y avait des obstacles importants après la renégociation, ils limiteraient une partie des retombées et de l’augmentation que voient les États-Unis et qui déborderait au Canada. À mon sens, il est d’autant plus important pour nous de bien jeter nos bases. Nous ne voulons pas être un pays qui s’en remet exclusivement au rendement économique des autres.

Lorsque vous voyez des fondements économiques au Canada comme les investissements des entreprises s’effondrer dans le contexte d’un éventail de mesures, c’est inquiétant, car les investissements sont un indicateur de réussite économique future.

Je recommande qu’on prenne des mesures indépendantes de ce qui se produit avec l’ALENA, et en grande partie indépendantes de ce qui se passe aux États-Unis au chapitre de la réforme fiscale, afin de s’assurer d’avoir un climat d’investissement holistique qui favorise les investissements, l’innovation et l’entrepreneuriat.

Malheureusement, je ne pense pas que nous l’ayons vu ni du côté du gouvernement fédéral ni de celui des gouvernements provinciaux au cours des dernières années. Il faudrait faire volte-face par rapport à l’approche que nous avons privilégiée à ce jour.

Avec l’attention internationale que reçoit maintenant le Canada, il est très préoccupant que The Economist vienne de publier un article dans lequel il se demande si le Canada est un endroit où faire des affaires. Ce n’est pas le type d’attention que souhaite avoir le Canada ou dont il a besoin, en particulier à l’heure actuelle.

Notre réputation, qui est malheureusement ternie à cause du différend concernant le pipeline, ne joue pas en notre faveur, car non seulement l’avantage fiscal a disparu et l’ALENA suscite des préoccupations, mais les investisseurs s’inquiètent du fait que les règles et les politiques qui réglementent l’activité économique et la mise en valeur des ressources en particulier ne sont ni solides ni respectées au pays.

Je ne veux pas paraître trop pessimiste, mais je crois que nous devons être conscients de ce qui se passe du côté des investissements au pays, parce que cela dictera à quel point se portera bien notre économie à long terme.

La sénatrice Unger : M. Lammam vient de répondre à ma question; je voulais savoir dans quelle mesure la saga Kinder Morgan a miné nos efforts en vue de rétablir la confiance des investisseurs. Au cours des dernières années, j’ai vu le financement pour de nombreux futurs mégaprojets être réaffecté ailleurs.

J’ai une autre question. L’examen de la politique fiscale dont il est question doit-il être réalisé par le gouvernement ou pourrait-il être fait par des gens du secteur privé comme vous?

Merci.

M. O’Riordan : Pour répondre à votre première question, oui. C’est inquiétant. Il y a plusieurs années, j’ai participé à une évaluation de l’incidence économique d’un projet de gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique, et nous avons démontré que l’acheminement de gaz naturel liquéfié vers des marchés d’exportation entraînerait des retombées économiques considérables au pays. À l’époque, nous étions convaincus que les premiers promoteurs prendraient leur décision finale d’investissement et que le gaz naturel liquéfié coulerait à flots. Or, il y a encore loin de la coupe aux lèvres en la matière.

Cette analyse a aidé à persuader le ministère des Finances de modifier la politique fiscale en ce qui concerne la déduction pour amortissement concernant une partie de l’infrastructure liée au gaz naturel liquéfié.

C’est vrai que c’est préoccupant, et nous espérons que nous réglerons ces problèmes relatifs à la mise en valeur des ressources et que nous arriverons à un consensus pour la suite des choses au sujet de l’environnement, des droits des Autochtones, et cetera.

En ce qui concerne votre deuxième question sur l’examen, je crois qu’il y a des avantages à avoir un examen indépendant de la politique fiscale. Ce n’est pas que nous n’avons pas d’excellentes ressources au ministère des Finances ou à l’Agence du revenu du Canada pour accomplir le travail, mais ces organismes sont limités dans ce qu’ils peuvent faire. Je crois que nous pourrions avoir un autre point de vue sur la question en faisant appel à des spécialistes externes.

À mon avis, voici un autre avantage de procéder ainsi. Soyons réalistes. Nous avons tous ici parlé des dépenses et des avantages fiscaux dont jouissent certains. Sur le plan politique, c’est beaucoup plus facile d’accorder des avantages que de les enlever.

De mon point de vue, si vous avez un groupe externe objectif et indépendant qui examine ces éléments et qui formule des recommandations, je crois que ce sera plus facile, sur le plan politique, pour le gouvernement en place d’examiner le tout, de reconnaître l’expertise des participants, de proposer des mesures et de les mettre en œuvre que de le faire par lui-même. Il est évident que dans le cadre de consultations, ce qui serait la façon adéquate de procéder, le gouvernement ferait face à beaucoup d’opposition de la part de nombreux intervenants.

M. Lammam : J’aimerais rappeler les sommes qui ne sont pas investies au Canada, parce que des projets sont annulés ou non approuvés.

En voici quelques exemples : l’annulation par Petronas d’un projet de gaz naturel liquéfié de 36 milliards de dollars en Colombie-Britannique; l’annulation du projet Énergie Est de 16 milliards de dollars par TransCanada; la sortie du PDG de Suncor, soit l’une des plus importantes sociétés énergétiques au monde, qui a affirmé ne pas vouloir investir au Canada en raison de l’augmentation des fardeaux réglementaire et fiscal; et enfin, le PDG de RBC qui dit être témoin d’un exode des capitaux au pays.

Je pourrais continuer à vous énumérer tous ces différents projets qui ont été annulés ou qui n’ont pas été approuvés par le gouvernement, et cela s’additionne au fil du temps. Voilà pourquoi je crois que nous ne devons pas minimiser le problème auquel nous sommes confrontés.

Pour ce qui est de l’examen, j’étais très enthousiasmé par l’intention du gouvernement fédéral actuel de réviser le code fiscal. À mon avis, cette initiative n’a vraiment pas été à la hauteur des attentes de bien des gens, loin de là. Il n’y a rien qui exige que ce soit le gouvernement qui le fasse. Comme je l’ai mentionné, nous avons fourni un plan fiscal détaillé qui inclut des dépenses fiscales à éliminer en vue de pouvoir réduire le taux d’imposition marginal de pratiquement 98 p. 100 des Canadiens.

Il y a des manières de le faire. Je suis d’accord pour dire qu’il peut être utile de consulter des organismes à l’extérieur du monde politique pour réduire les pressions politiques exercées en vue de faire ceci ou cela avec la politique fiscale.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Wallin : J’aimerais poursuivre dans la même veine et vous entendre tous les deux à ce sujet. Je vais poser mes questions, puis vous pourrez y répondre.

Étant donné que la réforme fiscale américaine a été mise en œuvre en janvier et que notre budget a été déposé par la suite, dans le cadre des consultations prébudgétaires — de notre point de vue, surtout les consultations postbudgétaires au pays —, le gouvernement vous a-t-il consultés pour vous demander à quel point c’était un problème et les changements que nous devons apporter? Je ne parle pas de vous demander officiellement de réaliser un examen externe complet de la question, mais bien de vous consulter pour voir si vous aviez des conseils à lui donner en la matière.

Ma deuxième question porte vraiment sur les grands enjeux dont nous avons discuté, c’est-à-dire l’ALENA, la taxe sur le carbone et le pipeline — et les préoccupations des investisseurs étrangers. Savons-nous dans quelle mesure les effets de ces décisions ou de l’absence de décisions se sont déjà fait sentir? Vous voyez où je veux en venir avec ma question.

M. O’Riordan : Oui. Je vais tout d’abord répondre à votre première question.

L’un de mes collègues chez Ernst & Young et moi avons rencontré des cadres supérieurs du ministère des Finances pour discuter des questions fiscales et commerciales, la réforme fiscale américaine et les négociations de l’ALENA. Ils sont au courant que nous pensons qu’un examen exhaustif du régime fiscal serait une bonne chose dans le contexte actuel. Ils ont entendu des commentaires similaires d’autres partenaires. Nous verrons bien. Ils ne m’ont pas encore offert d’occasion d’emploi personnellement pour l’instant. Le ministre lui-même a indiqué que le personnel se penche sur la question dans le contexte du budget et des consultations post-budgétaires.

Pour ce qui est de votre deuxième question sur les intentions des sociétés, j’aimerais dire quelques mots. À Ernst & Young, nous réalisons un sondage actuellement auprès de nos clients sur leurs décisions quant à l’affectation de capitaux. Je serai ravi de vous communiquer ce sondage lorsqu’il sera terminé.

Je crois que le sondage est important; cela contribuera à éclairer la prise de décisions en vue de prendre des mesures adaptées à la situation, parce que nous aurons une meilleure idée non seulement des mesures que les sociétés prennent actuellement, mais aussi des mesures qu’elles prévoient prendre. Nous avons posé une série de bonnes questions, pour le dire ainsi, notamment sur les mesures que les participants pensent que les gouvernements au Canada devraient prendre.

Le sondage est réalisé auprès d’un grand nombre d’entreprises de diverses tailles se trouvant dans diverses régions géographiques au pays et provenant de divers secteurs de l’industrie. Nous serons donc en mesure d’en tirer une très bonne banque de données que nous pourrons analyser.

Le président : Quand l’aurez-vous?

M. O’Riordan : D’ici probablement un mois environ.

Le président : Parfait. Je suis persuadé que ce sera très utile. Merci beaucoup.

M. O’Riordan : Le sondage est réalisé en notre nom par la maison de sondage Abacus Data, et nous vous communiquerons les résultats.

Le président : Monsieur Lammam, aimeriez-vous répondre aux questions de la sénatrice Wallin?

M. Lammam : Oui. À mon avis, le débat l’année dernière sur les questions fiscales entourant les petites entreprises a permis à beaucoup d’intervenants d’exprimer leurs réserves concernant non seulement les modifications, mais aussi le régime d’impôt sur le revenu des particuliers au Canada dans son ensemble. Cette situation a permis de braquer les projecteurs sur cet aspect. D’après mon expérience de ce débat public, de nombreux intervenants s’entendaient largement pour dire que pour avoir une réforme fiscale acceptable pour un large éventail d’intervenants il fallait réaliser une analyse plus vaste et plus exhaustive que l’approche très étroite qui avait été adoptée dans le cas des modifications proposées l’année dernière.

En ce qui a trait à l’étude de la question, je suis inquiet, parce que nous avons vu, comme nous nous y attendions, des réformes fiscales importantes aux États-Unis depuis un an. Lorsque les choses se sont mises en branle, cela s’est fait rapidement, mais la nouvelle administration qui arrivait en poste avait très clairement fait connaître son intention et fait savoir que c’était une possibilité. Je ne crois pas que c’est vraiment juste de dire que cela a pris par surprise des gouvernements. Je crois que cela dépend vraiment de l’appétit de l’organe politique du gouvernement de prendre au sérieux ces changements.

Je rappelle que le ministre des Finances a dit, en réponse à ces changements, qu’une étude plus approfondie est nécessaire, et je trouve que cela ressemble à une personne qui refuse de reconnaître les conséquences de ces modifications fiscales.

Pour ce qui est des conséquences à venir, j’attire l’attention du comité sur le sondage de Statistique Canada réalisé auprès de 25 000 organisations des secteurs privé et public concernant leurs intentions en matière d’investissement. Selon les résultats du sondage, Statistique Canada a conclu que les perspectives d’investissement au Canada cette année devraient être inférieures. C’est la quatrième année consécutive où il y a une diminution. Même si j’ai hâte de voir le sondage commandé par mon collègue, nous avons déjà un sondage assez imposant qui a été réalisé par l’organisme statistique national et qui nous donne des résultats assez préoccupants.

Le président : Merci beaucoup.

M. O’Riordan : je suis d’accord que le sondage de Statistique Canada était intéressant, mais il ne faut pas oublier que ce sondage a été réalisé l’automne dernier. Nous avons posé des questions précises dans notre sondage notamment sur les conséquences de la réforme fiscale aux États-Unis. C’est vraiment ce qui nous intéresse. Nous sommes conscients que les investissements commerciaux sont en baisse depuis quelques années, mais nous voulons particulièrement en connaître les futurs effets. Il pourrait y avoir des effets mixtes au sens où les considérations liées à la chaîne d’approvisionnement peuvent être assez encourageantes, étant donné que nous avons, par exemple, des chaînes d’approvisionnement intégrées au Canada et aux États-Unis.

Cela va dans les deux sens. J’ai déjà mentionné que nous assisterons probablement à une hausse des exportations dans certains secteurs. Ce n’est donc pas négatif sur toute la ligne, mais ce l’est dans l’ensemble.

Le président : C’est très utile.

Le sénateur Marwah : Comme vous le savez tous les deux, une réduction des taux d’imposition s’accompagne souvent d’une hausse des déficits. Vous avez vu ce qui est arrivé aux États-Unis. La dette a augmenté de 1 500 milliards de dollars, mais les autorités peuvent s’en tirer, parce que ce sont les États-Unis. Personne ne peut dire ce qu’en seront les répercussions à long terme. Nous avons réagi et nous avons diminué les impôts, ce qui a fait grimper notre déficit qui se chiffre déjà à 18 milliards de dollars. Pouvons-nous gérer la situation?

M. O’Riordan : Suis-je le premier?

Le sénateur Marwah : L’un ou l’autre.

M. O’Riordan : Je tiens à rappeler que je n’ai formulé aucune recommandation précise concernant la réduction du fardeau fiscal. Je crois que ces recommandations devraient être examinées. L’une des raisons pour lesquelles je préconise un examen exhaustif est exactement la raison que vous avancez. Toute modification aura des effets que nous devons prendre en considération. Il ne faut pas le faire à la pièce.

Si vous réduisez les taux et que vous prenez des mesures qui permettent l’élargissement de l’assiette fiscale, il est possible de le faire sans avoir d’incidence sur les recettes, par exemple.

J’en ai déjà parlé non seulement au sujet de l’examen en vase clos des taux d’imposition des sociétés, mais aussi de l’examen des taux en général pour l’ensemble des autres formes d’impôt.

Je suis d’accord avec la question et les préoccupations du sénateur concernant l’augmentation des déficits, en particulier compte tenu de la hausse des taux d’intérêt et du niveau d’endettement des particuliers au Canada. Il faut évidemment tenir compte de la dette accumulée, et je m’attends à ce que le gouvernement en tienne compte lorsqu’il envisage de modifier les taux.

M. Lammam : Je crois qu’on peut modifier en profondeur l’impôt des sociétés en gardant une neutralité quant aux revenus ou aux coûts nets. Par exemple, le gouvernement fédéral dépense au total environ 14 milliards de dollars chaque année en crédits d’impôt et dépenses fiscales, qui se trouvent en fait à subventionner des entreprises et des secteurs en particulier au détriment des autres. Or, les études montrent que ces programmes ne stimulent pas l’activité économique, mais privent les entreprises productives de ressources au profit d’entreprises improductives. Ainsi, le gouvernement aurait tout avantage à laisser tomber le soi-disant bien-être des entreprises dans le but de générer des revenus ou de recouvrer ses coûts et à utiliser cet argent pour financer des réductions d’impôt, en portant une attention particulière aux exceptions qu’on trouve dans les régimes d’imposition des particuliers et des sociétés, pour favoriser autrement une réforme fiscale neutre sur le plan des revenus. Mes collègues et moi avons parlé de changements importants aux taux d’imposition marginaux qui pourraient être financés grâce à des réductions ou à l’élimination de certaines dépenses fiscales. Je conviens qu’il est politiquement difficile de retirer des exceptions, mais si vous offrez en même temps aux Canadiens des réductions marquées des taux d’imposition marginaux, ce serait plus acceptable.

Il y a certainement moyen d’accorder des réductions d’impôt aux particuliers ou aux sociétés sans faire de distinctions en fonction des revenus. Il faut simplement que cette démarche s’accompagne d’un vaste examen des autres dépenses et mesures fiscales.

Le sénateur Marwah : Vous avez tous deux mentionné le taux d’imposition marginal, qui est un outil de mesure utile, puisqu’il tient compte des déductions et des autres crédits. Y aurait-il des éléments flagrants parmi les déductions et les crédits que le gouvernement pourrait examiner pour agir rapidement? J’ai simplement peur qu’une révision fiscale en profondeur prenne beaucoup de temps. Devrions-nous changer quelque chose à l’amortissement accéléré? Apporter des modifications réglementaires? Qu’en est-il des exceptions dont vous parliez, monsieur Lammam? Y a-t-il d’autres mesures que nous pourrions prendre relativement vite, le temps que cette réforme prenne forme?

M. O’Riordan : Eh bien, le ministère des Finances publie un compte des dépenses fiscales qui contient plus de 200 dépenses fiscales. Il y a donc beaucoup de choix, si le gouvernement souhaite prendre des mesures à court terme, tant pour l’impôt des particuliers que pour l’impôt des sociétés.

Le sénateur Marwah : Recommanderiez-vous des mesures en particulier ou y en a-t-il qui vous sembleraient simples?

M. O’Riordan : En fait, pour toutes les raisons que j’ai déjà mentionnées, j’hésiterais à conseiller le gouvernement à cet égard.

Il y a un sentiment d’urgence, mais le gouvernement a du temps. Les réformes fiscales américaines entreront en vigueur à cet exercice-ci. Si le gouvernement acceptait d’enclencher une réforme assez rapidement et qu’il recueillait de l’information détaillée sur ce que les entreprises font, par divers sondages, entre autres, je crois personnellement qu’il pourrait adopter un ensemble de modifications plutôt que d’opter pour un train de mesures isolées, à court terme, impulsives.

Le président : Merci. Souhaitez-vous ajouter quelque chose, monsieur Lammam?

M. Lammam : Oui, concernant les dépenses fiscales à éliminer, je porterais à l’attention du comité le rapport que j’ai déjà cité. Je pourrai vous le transmettre. Nous avons fait une analyse en 2015, qui nous a permis de définir plusieurs dépenses fiscales. Je pense que le coût total ou les revenus supplémentaires pour le gouvernement étaient de l’ordre de 20 milliards de dollars.

Le menu est bien garni. Il y a beaucoup de mesures que le gouvernement pourrait choisir. Pour répondre à votre question, concernant les mesures les plus urgentes à prendre pour stimuler l’investissement, certains économistes proposent de comptabiliser immédiatement les investissements de capitaux comme aux États-Unis. C’est une possibilité pour réduire l’impôt payé sur les nouveaux investissements de manière assez importante.

Il y a diverses mesures possibles. Je pense qu’il faut surtout nous demander si nous voulons avoir cette conversation ou si nous choisirons de continuer d’étudier ce qui semble constituer un rapport de force assez important, qui prive le Canada d’investissements, et cela sans compter l’effet des politiques nationales.

Le sénateur Tkachuk : Je n’ai que quelques questions. J’aimerais entendre vos observations à tous les deux sur la réforme fiscale dont vous parlez. Pensez-vous à quelque chose comme une commission Carter indépendante qui réfléchirait aux changements fiscaux possibles ou peut-être à une étude du Comité sénatorial des banques? Pensez-vous à un organe politique, mais apolitique?

M. O’Riordan : J’hésite à recommander un mécanisme aussi gros qu’une commission Carter ou une autre commission royale, mais ce serait sûrement une possibilité. Je pense que la grande question, c’est en combien de temps cette étude peut être accomplie et à quel point elle peut être détaillée et apolitique.

Le président : Merci. Monsieur Lammam?

M. Lammam : Je crois que le fait est que nous avons, dans l’immédiat, un problème de compétitivité au Canada, particulièrement en ce qui concerne l’impôt des particuliers, et que nous sommes en train de perdre notre avantage par rapport aux États-Unis en ce qui concerne l’impôt des sociétés. Ce sont des préoccupations immédiates, qui s’ajoutent au fait qu’il y a de moins en moins d’investissements au Canada.

Autant j’aimerais vous recommander une deuxième commission Carter maintenant, avant que nous n’adoptions de réforme nous-mêmes, autant je pense que c’est irréaliste. Je ne crois pas que nous puissions nous le permettre. Je pense qu’il serait tout à fait à propos d’adopter des mesures immédiates, qui pourraient s’accompagner d’une révision plus en profondeur du code fiscal, qui s’impose depuis longtemps, soit dit en passant. La dernière grande réforme fiscale de l’impôt des particuliers au Canada date de 1987; le gouvernement avait alors réduit les taux d’imposition marginaux pour éliminer plusieurs dépenses fiscales. Trente ans plus tard, il serait opportun d’envisager des changements similaires, mais aussi d’évaluer plus en profondeur s’il devrait y avoir un taux d’imposition sur le revenu des petites entreprises, s’il y a lieu de prévoir des exceptions pour certaines entreprises ou certains secteurs ou s’il convient d’engager des dépenses fiscales pour telle ou telle activité dans le code sur le revenu des particuliers.

Ce sont là autant de questions importantes, mais je dois souligner que je m’inscris en faux avec l’autre témoin sur une chose, parce que bien que je convienne qu’il y ait un sentiment d’urgence, je crois que cela ne nous empêche pas de faire une analyse approfondie de notre régime fiscal en même temps.

Le sénateur Tkachuk : Je pense qu’il y a une chose que le gouvernement pourrait faire. Je pense que les entreprises ont besoin de certitude et de stabilité autant qu’elles se préoccupent de l’impôt et de leurs coûts d’exploitation. L’an dernier, le Comité des banques s’est rendu à Washington, D.C., et à New York, où nous avons rencontré diverses personnes du milieu des finances. C’était en mai, si je ne me trompe pas. La nouvelle administration venait d’être élue, mais l’économie avait déjà commencé à s’emballer.

Il y avait toutes sortes d’annonces de nouveaux investissements. Le marché boursier s’emballait.

Nous avons demandé à des gens d’affaires pourquoi tout cela arrivait, et la réponse qu’ils nous ont donnée est assez simple : peu importe que des modifications fiscales s’en viennent ou non. Nous savons une chose : il n’y aura pas d’augmentations. Qu’il n’y ait que quelques modifications réglementaires en fin de compte ne change pas grand-chose, parce que nous savons une chose : il n’y aura pas de nouvelles taxes. C’était le fond du message.

J’ai l’impression que dans notre pays, le problème est la stabilité et la certitude. Personne ne sait ce qui se passe. Le cas de Kinder Morgan en est un excellent exemple. Cette question fera frémir non seulement toute l’industrie des ressources, mais elle aura des conséquences sur la relation commerciale entre l’Alberta et la Colombie-Britannique. Il y a un accord commercial entre les quatre provinces de l’Ouest canadien. Cela portera ombrage à leurs relations et nous fera reculer de quelques dizaines d’années sur le plan du commerce interprovincial. Tout cela compte dans l’équation. C’est un beau gâchis.

Je pense que ce sont là des enjeux stratégiques sur lesquels le gouvernement a une incidence, sans toutefois avoir besoin de réduire l’impôt. Il faut que les entreprises puissent faire des affaires en toute équité.

Le président : Avez-vous des commentaires à exprimer, monsieur O’Riordan ou monsieur Lammam?

M. Lammam : Je suis totalement d’accord avec les observations du sénateur. Je pense que l’incertitude est plus grande qu’avant au Canada et ce, depuis déjà longtemps. Les gens ne se rendent pas compte du fait que la succession de gouvernements qui enregistrent des déficits importants et alourdissent notre dette crée de l’incertitude et une crainte que l’impôt et les taxes augmentent ensuite pour rembourser la dette et ses intérêts.

Il y a beaucoup d’incertitude à l’heure actuelle concernant les règles et règlements régissant l’exploitation des ressources. On ne sait plus si tel ou tel projet sera approuvé même si le gouvernement fédéral affirme qu’il le sera. Le gouvernement fédéral lui-même a créé un nouvel organisme chargé des études d’impact, qui a beaucoup de critères subjectifs pour analyser les projets d’exploitation de ressources. Cela ajoute à l’incertitude.

Nous ne pouvons pas faire fi non plus de ce qui se passe dans les provinces. Il y a un nouveau gouvernement en Colombie-Britannique, il pourrait y en avoir un nouveau en Ontario et il y en aura certainement un en Alberta l’an prochain. Tous ces bouleversements ont une incidence sur la perception de certitude et de stabilité à l’égard de notre régime politique, comme le sénateur vient de l’exposer. Je pense que nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte. Je crois toutefois qu’il faut faire une distinction entre l’incertitude politique qui découle des décisions prises par les gouvernements fédéral et provinciaux au Canada et l’incertitude qui se répercute sur le Canada mais qui vient de l’extérieur du pays, soit des États-Unis.

Toute l’incertitude qui entoure l’ALENA ne vient pas de nos propres gouvernements, mais c’est une incertitude qui aura une incidence sur l’activité économique au Canada — qui en a déjà une —, c’est la même chose pour l’incertitude liée à notre compétitivité fiscale. Elle vient en partie des décisions de nos gouvernements, mais il y a évidemment aussi des facteurs externes qui entrent en jeu.

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que l’un des malheureux constats qu’on peut tirer au Canada, c’est que le niveau d’incertitude a augmenté depuis trois ou quatre ans et qu’il a atteint un point de bascule ce mois-ci.

Le président : Sénateur Tkachuk, avez-vous quelque chose à ajouter?

Le sénateur Tkachuk : Non.

Le président : Sénateurs, je vous remercie. Vous avez posé d’excellentes questions, c’était une excellente séance.

Monsieur O’Riordan et monsieur Lammam, vous nous avez été extrêmement utiles dans nos délibérations. J’espère que vous pourrez nous fournir l’information promise quand Ernst & Young aura terminé son sondage.

Monsieur Lammam, vous nous avez aussi parlé de travaux que vous avez menés avec l’Institut Fraser. Nous aimerions beaucoup les voir.

Je vous remercie tous les deux. Je m’excuse encore une fois de notre retard, mais l’attente valait la peine, à notre avis.

(La séance est levée.)

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