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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES ET DU COMMERCE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 7 décembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour examiner le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence.

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Bonjour, chers collègues, mesdames et messieurs, qui prenez part ou assistez, en personne ou par Internet, à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m’appelle Doug Black et j’ai l’honneur de présider ce comité.

Le 28 septembre 2016, le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique présentait à la Chambre le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence. Le projet de loi, dans sa version modifiée, a fait l’objet d’une deuxième lecture et d’un renvoi à ce comité le 23 novembre 2017.

La semaine dernière, nous avons entendu l’honorable Navdeep Bains, C.P., député, ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique; il était accompagné de ses collaborateurs. Hier, nous avons entendu un grand nombre d’organisations et de représentants, tout comme nous le ferons aujourd’hui, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi.

Je suis heureux d’accueillir Wendy Cukier, fondatrice et directrice du Diversity Institute, Frédéric Duguay et Susan Kushneryk, associés chez Hansell LLP, et Matthew Fortier, vice-président, Politiques, de l’Institut des administrateurs de sociétés.

Avant d’entendre les témoins, j’aimerais que les sénateurs se présentent. Chacun saura ainsi qui sont ses interlocuteurs.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, Ontario.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, Saskatchewan.

La sénatrice Unger : Betty Unger, Alberta.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

Le président : Nous sommes assistés par une greffière et par l’analyste au service du comité à la Bibliothèque du Parlement.

Sans plus de cérémonie, j’invite Mme Cukier à prendre la parole.

Wendy Cukier, fondatrice et directrice du Diversity Institute : Je vous remercie beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l’occasion de vous adresser la parole. Je crois comprendre que chacun d’entre vous a obtenu copie de mon mémoire et, par conséquent, je n’ajouterai qu’une ou deux observations avant de me mettre à votre disposition pour répondre aux questions que vous pourriez avoir.

Le Diversity Institute étudie essentiellement tout ce qui intéresse l’inclusion et sa mise de l’avant. Aujourd’hui, je ne suis pas seulement la représentante du Diversity Institute, mais également la porte-parole d’organisations qui ont contresigné le mémoire, et notamment l’Association canadienne des juristes noirs, le Mosaic Institute, le Conseil des technologies de l’information et des communications, le Toronto Region Immigrant Employment Council, pour ne nommer que celles-là, des groupes qui s’intéressent aux questions de diversité et d’inclusion.

Je travaille sur les questions liées à la présence des femmes aux postes de direction depuis près de 30 ans et il ne fait aucun doute qu’il reste beaucoup à faire. Selon nos travaux de recherche, les femmes restent sous-représentées à ces postes prestigieux et au sein des conseils d’administration. Malgré tout, heureusement, nous observons une légère amélioration de la situation. Depuis trois ans, tant à Toronto qu’à Montréal, par exemple, la représentation des femmes au sein des conseils d’administration des entreprises dont le siège social est situé à Toronto a augmenté de 40 p. 100 et celles dont le siège social est à Montréal montrent un pourcentage d’augmentation de 30 p. 100.

Cependant, quand il est question des minorités raciales, la situation se présente beaucoup moins bien pour elles. À Toronto, où la moitié de la population est issue de minorités raciales, leur poids n’atteint pas 7 p. 100 aux postes de direction dans le secteur privé. De la même façon, si vous recoupez race et sexe, vous constatez qu’il y a 16 fois plus de femmes blanches que de femmes issues de minorités raciales au sein des conseils d’administration, même si la moitié de la population est issue de minorités raciales.

Ces données et nos travaux sur la présence d’Autochtones aux postes de direction, sur les personnes handicapées, et cetera, nous amènent à croire fortement que le projet de loi doit absolument considérer les quatre groupes visés par l’équité en matière d’emploi comme un minimum dans sa définition de la diversité. Nous sommes donc très heureux des remarques exprimées par le ministre à cet égard.

De plus, on sait que tout ce qui est quantifiable est réalisable, donc les déclarations et rapports que ce projet de loi veut rendre obligatoires détermineront si les progrès espérés ont bel et bien été accomplis en matière de représentation.

Le troisième point que j’aimerais apporter concerne la raison souvent donnée pour ne rien faire: « Nous aimerions avoir des femmes et des personnes issues de minorités raciales au conseil d’administration, mais il n’y a personne en vue. » Une chose que notre recherche a fait ressortir, c’est qu’il y a d’énormes différences entre les entreprises d’un même secteur d’activité. Par exemple, quelques-unes comptent 30 p. 100 de femmes au sein de leur conseil d’administration, alors que d’autres n’en ont aucune. Cette donnée est vraiment importante, car elle révèle que certaines organisations sont volontaires et prennent les moyens pour attirer et retenir les femmes dans des postes de direction, alors que d’autres organisations ne font rien. La même constatation s’applique aux minorités raciales.

Je sais que ces enjeux ont fait l’objet de nombreux débats et ont été largement discutés. Je crois qu’il y a toujours plus d’un moyen d’atteindre un même objectif. Parmi les groupes que j’ai rencontrés, il y en a, bien sûr, qui considère que des modifications législatives intégrant la définition de la diversité dans le texte de loi doivent être apportées. D’autres appuient l’idée de l’inscrire dans la réglementation. Certains sont d’avis qu’il faut fixer des quotas stricts, d’autres pensent que la définition de cibles offrirait une plus grande flexibilité. Je suis contente de fouiller ces questions plus avant, mais je pense que ce qui est d’une importance capitale, c’est que ces mesures législatives cherchent véritablement à amener la Loi canadienne sur les sociétés par actions dans le XXIe siècle, et, au XXIe siècle, la diversité ne s’applique pas uniquement au genre des personnes.

Je vous remercie.

Susan Kushneryk, associée chez Hansell LLP : Je vous remercie, mesdames et messieurs, de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Susan Kushneryk et je suis associée dans le cabinet Hansell. Frédéric Duguay, également associé chez Hansell, m’accompagne.

Hansell LLP et Hansell McLaughlin Advisory sont des cabinets qui offrent des conseils juridiques et d’affaires et qui sont spécialisés en relations et en communications avec les gouvernements. Ils servent les conseils d’administration, les dirigeants et les membres de la haute direction de grandes entreprises ou de petites et moyennes entreprises canadiennes. Dans le cadre de notre pratique, nous attribuons d’importantes ressources à la recherche de pointe.

Les modifications à la Loi canadienne sur les sociétés par actions que propose le projet de loi C-25 en ce qui concerne l’élection des administrateurs sont significatives et créent un risque inutile pour les sociétés constituées en vertu de cette loi.

Notre inquiétude à cet égard nous a amenés à consacrer un grand nombre de mois à l’étude et à l’examen des modifications proposées. Nous avons également consulté de nombreux participants et autorités de contrôle sur le marché financier afin d’amorcer la discussion et un examen approfondi des dispositions pertinentes.

L’analyse que nous avons effectuée et ses conclusions ont inspiré nos positions et sont présentées dans le document de travail que vous a communiqué la greffière, si j’ai bien compris.

Nous souhaitons soumettre trois points au comité.

Premièrement, bien que nous appuyions sans réserve les améliorations apportées à la participation des actionnaires et au vote majoritaire, nous sommes d’avis que la loi sur les sociétés n’est pas le bon outil pour apporter ces changements. Le vote majoritaire existe déjà au Canada grâce à la Bourse de Toronto, laquelle exige le vote majoritaire dans les sociétés représentant plus de 98 p. 100 du cours en bourse des marchés financiers canadiens.

De plus, comme vous l’a fait remarquer le sénateur Wetston à la réunion du comité jeudi dernier, la Loi canadienne sur les sociétés par actions n’est que l’une des 14 lois sur les sociétés au Canada, et seulement 40 p. 100 des sociétés cotées à la Bourse de Toronto sont constituées en vertu de cette loi. Une aussi grande différence entre les critères électoraux pourrait amener des sociétés à simplement changer de personnalité juridique. Si l’on se fie à notre expérience, il faut s’attendre à ce que le nombre de sociétés envisagent de réagir ainsi et que les nouvelles entreprises décident de ne pas se constituer en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. De plus, l’application de critères aussi différents de ceux d’autres autorités de contrôle va à l’encontre de l’objectif d’une approche compatible dans les diverses réglementations des sociétés ouvertes au Canada.

Deuxièmement, le mode d’organisation du vote majoritaire que définit le projet de loi risque de semer la confusion dans les sociétés constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Pour être plus précise, le caractère aléatoire du vote « subit » induit le risque de conséquences négatives notables.

Finalement, nous croyons que le gouvernement devrait envisager de parer aux pires risques qu’entraîne un vote « subit » en prévoyant un battement ou en fixant un délai de maintien en fonction après l’élection d’un remplaçant ou d’une remplaçante.

Mon associé, Frédéric Duguay, va préciser ces trois points.

Frédéric Duguay, associé chez Hansell LLP : Depuis 2014, la Bourse de Toronto exige que chaque administrateur soit élu à la majorité absolue de l’assemblée lors d’une élection sans concurrent. Pour s’y conformer, les sociétés doivent adopter une politique qui oblige tout administrateur non élu à la majorité à remettre sa démission. Cette démission doit être acceptée par le conseil, à moins de circonstances exceptionnelles, et en cas de refus, le conseil doit en indiquer le motif dans un communiqué diffusé dans un délai de 90 jours.

Les résultats des trois dernières années prouvent que le régime électoral de la Bourse de Toronto fonctionne comme prévu. En moyenne, les administrateurs élus sans concurrent obtiennent le suffrage de plus de 94 p. 100 des actionnaires. Dans les rares cas où le candidat n’obtient pas la majorité nécessaire, les résultats révèlent aussi que le conseil réagit en acceptant la démission de l’administrateur concerné.

Les données recueillies par notre cabinet sur les assemblées et les élections d’administrateurs au cours des trois dernières années révèlent que le problème des « administrateurs automates » n’existe pas au Canada. Si le comité le souhaite, nous serons heureux de lui fournir de plus amples détails à ce sujet.

Les avantages qu’offre le régime de la Bourse de Toronto sont la cohérence et la flexibilité face à l’évolution des choses. Toutes les sociétés cotées à la Bourse de Toronto doivent se conformer aux mêmes exigences. La Bourse de Toronto surveille de près les élections d’administrateurs afin d’assurer le respect des objectifs du scrutin majoritaire, et elle offre d’autres conseils, s’il y a lieu. Ces avantages seraient érodés dans un régime éclaté.

[Français]

Notre deuxième préoccupation concerne le risque de perturbations découlant des élections à « mort subite » proposées par le projet de loi. À la suite d’une élection à « mort subite », le conseil n’aura aucune flexibilité envers un administrateur qui a été rejeté, même pendant une période de transition pour gérer ses affaires.

Les sociétés publiques sont régies par un nombre d’exigences. Les élections à « mort subite » introduisent des risques réglementaires, entre autres relatifs à la composition du comité d’audit et concernant les dispositions de changement de contrôle dans les accords commerciaux clés.

Nous sommes également préoccupés par le fait que le processus d’élection pourrait être utilisé à des fins qui ne sont pas compatibles avec les objectifs du vote majoritaire. Par exemple, un actionnaire dissident pourrait prendre le contrôle du conseil d’administration en votant contre des administrateurs particuliers qui ne sont pas favorables à son programme, et ce, sans avoir à recourir à une sollicitation de procuration dissidente.

L’objectif sous-jacent du droit des valeurs mobilières est de fournir des renseignements suffisants pour permettre à un actionnaire de se former une opinion éclairée. La possibilité d’apporter un changement important au conseil d’administration et, par conséquent, de contrôler l’orientation de l’entreprise sans une sollicitation de procuration dissidente n’est pas compatible avec cet objectif.

[Traduction]

Pour terminer, nous aimerions suggérer des méthodes moins troublantes de mise en œuvre du scrutin majoritaire. Le projet de loi devrait au moins prévoir un délai de maintien en fonction de 90 jours, ce qui réduirait le risque d’infraction aux règles et donnerait l’occasion au conseil d’assurer effectivement la transition et de prévoir la relève.

Cela dit, nous serons heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Matthew Fortier, vice-président, Politiques, Institut des administrateurs de sociétés : Merci, monsieur le président, et membres du comité, de m’avoir invité aujourd’hui.

[Traduction]

L’Institut des administrateurs de sociétés constitue l’association canadienne des conseils d’administration et des administrateurs et administratrices dans le secteur privé, avec ou sans but lucratif, et dans les sociétés d’État. Il représente plus de 12 000 dirigeants d’organismes et de sociétés qui jouent un rôle significatif dans la définition des stratégies d’un grand nombre des institutions parmi les plus importantes du pays.

Le régime canadien de gouvernance des sociétés est fondé sur des principes. Les appels publics à l’épargne sont soumis à tout un ensemble de règles d’application des réglementations provinciales harmonisées des valeurs mobilières et des marchés boursiers, et ce système nous est utile.

À la fin de l’année dernière, j’ai quitté mes fonctions de président du Global Policy Committee du Global Network of Director Institutes, un réseau d’organismes de 19 pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Pakistan et la Malaisie. Après avoir travaillé et voyagé dans un grand nombre des pays membres, je me sens autorisé à vous dire que la gouvernance stable et éthique du Canada représente un avantage concurrentiel à une époque où les pays cherchent des moyens d’attirer les ressources humaines et financières.

Pour terminer à temps, je vais limiter mes commentaires à deux éléments du projet de loi, soit le vote majoritaire et la présentation de renseignements relatifs à la diversité.

Dans la lettre soumise en 2014 en réponse à l’invitation à commenter d’Industrie Canada, l’Institut des administrateurs de sociétés soutient que les changements à la Loi canadienne sur les sociétés par actions ne devraient pas faire obstacle aux mandats ou aux décisions des autorités réglementaires provinciales ou des bourses ni accroître le fardeau des sociétés en redoublant les exigences qui existent déjà. Il ajoute que la Bourse de Toronto exige déjà le vote majoritaire et des politiques en ce sens.

L’approche de la Bourse de Toronto prévoit de réelles conséquences lorsque l’administrateur n’est pas élu à la majorité, mais les conseils jouissent de mesures de protection adéquates en cas d’élections manquées. En effet, ils peuvent évoquer des circonstances exceptionnelles pour maintenir en fonction un administrateur qui n’a pas obtenu la majorité des voix. Il faut savoir que cette exception à la règle n’a été évoquée qu’une seule fois au cours de la dernière année.

À l’instar des élections manquées, le vote majoritaire est assorti d’autres répercussions involontaires en cas d’échec. Un document de travail publié par le cabinet Hansell, là où travaillent mes confrères assis à ma table, en indique un certain nombre, notamment le manque d’efficacité des conseils dont les administrateurs n’obtiennent pas la majorité des voix, l’impossibilité pour les actionnaires d’intervenir dans la désignation des remplaçants, ou, le pire, la possibilité pour les actionnaires rebelles de profiter de ces modifications à la loi pour cibler des administrateurs dans une campagne de dénigrement d’intérêt personnel. Pour éviter ces possibilités, nous conseillons vivement au gouvernement de prévoir un délai raisonnable afin que le conseil visé ait le temps de réfléchir aux conséquences du rejet de la candidature d’un administrateur de la part des actionnaires. Le conseil en question aura alors le temps de se reconstruire en conformité avec la stratégie adoptée par l’entreprise.

Le régime électoral de la Bourse de Toronto accorde 90 jours aux conseils d’administration pour accepter la démission d’un administrateur. L’Institut des administrateurs de sociétés pense que ce serait là un délai raisonnable qu’on pourrait introduire dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Nous espérons que le gouvernement étudiera cette proposition, et nous serions heureux d’avoir l’occasion de travailler avec lui.

J’aimerais maintenant parler de la présentation de renseignements relatifs à la diversité pendant une minute ou deux.

L’Institut des administrateurs de sociétés croit que plus les Canadiens considéreront la diversité comme un moteur de l’innovation, meilleurs seront les rendements des conseils d’administration, des sociétés et de l’économie en général. Malheureusement, les résultats récents de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario révèlent que le Canada est assez loin du point où il doit se rendre s’il veut tirer parti de la diversité de sa population de manière à favoriser l’innovation et la compétitivité.

Bien que la situation soit décevante, elle n’est pas vraiment surprenante. Nos marchés publics sont alimentés par des sociétés à faible ou moyenne capitalisation souvent dirigées par des administrateurs qui essaient simplement de maintenir la société à flot. Bien que la diversité devrait être notre première préoccupation, ce n’est pas toujours le cas, donc il faut non seulement convaincre les sociétés ouvertes du Canada que la diversité est bonne pour les affaires, mais aussi les aider à y arriver.

L’an dernier à pareille époque, l’Institut des administrateurs de sociétés, en collaboration avec le cabinet d’avocats Oslers, a lancé un modèle de politique en matière de diversité au sein d’un conseil d’administration. Toutes les sociétés peuvent le consulter et s’en inspirer pour décider de la façon dont elles assureront la diversité au sein de leur conseil d’administration selon un calendrier normal pour leur secteur d’activité. Je crois que la greffière vous a remis une copie du modèle.

Le mois dernier, avec Catalyst Canada, la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, le 30 % Club du Canada, Women in Capital Markets, le Conseil canadien des affaires et le Clarkson Centre, nous avons formé l’Alliance canadienne pour la mixité et la bonne gouvernance afin de proposer aux sociétés canadiennes des moyens pratiques d’améliorer la diversité des genres. Je crois que la greffière vous a également distribué le Manuel de l’administrateur, qui est la première publication de l’Alliance.

La diversité, bien sûr, ne se limite pas au genre. C’est là en effet la position qu’affiche depuis longtemps l’Institut des administrateurs de sociétés et c’est exactement ce que visent également les modalités du projet de loi portant sur la diversité.

Dans une enquête auprès de ses membres dont les résultats ont été publiés à la fin du mois dernier, l’Institut des administrateurs de sociétés a appris que les deux principales préoccupations sociétales des conseils d’administration sont l’intégration des nouveaux Canadiens au marché du travail et l’augmentation de la participation des Autochtones au marché du travail. C’est un phénomène encourageant, mais un rapport récent du Diversity Institute montre que les minorités visibles n’occupent que 3 p. 100 seulement des sièges aux conseils d’administration; il reste donc beaucoup de travail à faire.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, l’Institut appuie la définition élargie de la diversité que propose le gouvernement. Il faut néanmoins être attentif au progrès nécessaire en ce qui concerne la diversité des genres.

On gagne du terrain sur ce plan, mais, bien que toutes sortes de diversités comptent, il est inadmissible que plus de la moitié de la population du pays soit sous-représentée dans les conseils d’administration. L’Institut des administrateurs de sociétés a la ferme intention de continuer à encourager ce mouvement vers une plus grande diversité des genres au sein des conseils d’administration au Canada.

J’ai terminé. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie tous pour vos exposés très convaincants. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie d’être tous là. J’ai beaucoup de questions à vous poser.

La première s’adresse à Mme Cukier. Je vous remercie, madame Cukier, d’avoir pris les devants en matière de diversité, non seulement dans cette salle, mais dans d’autres cadres également. Vous n’avez pas de position sur les cibles à atteindre. Vous avez parlé du fait que vous refusez de prendre position sur les cibles, mais je veux vous demander ce que vous pensez de l’idée que les sociétés touchées par cette loi, en tenant compte du contexte et des circonstances, fixent elles-mêmes leurs cibles. Hier, il a été question du fait que nulle formule ne saurait convenir à tout le monde, car le secteur des mines et du gaz n’a pas le même cadre d’activité que le secteur des services financiers ni de celui de la fabrication, et cetera. Que répondriez-vous à cette proposition?

Mme Cukier : En fait, vous me pardonnerez de ne pas avoir été assez claire. Je pense que les cibles sont absolument essentielles. C’est sur les quotas que nous n’avons pas d’opinion.

D’abord, je pense que le gouvernement devrait vraiment avoir à l’esprit la situation dans laquelle il veut être dans cinq ans. C’est essentiel.

L’avantage des cibles, c’est qu’elles sont variables, comme vous l’avez dit. Elles ne s’appliquent pas seulement aux secteurs d’activité, car on parle beaucoup de quotas pour assurer la diversité des genres, mais il est difficile de fixer des quotas pour les Autochtones et les minorités raciales en raison de la grande différence des cadres de vie. À Montréal, 20 p. 100 de la population est issue de minorités raciales. À Toronto, ce pourcentage est supérieur à 50 p. 100. À Estevan, en Saskatchewan, je n’avancerais pas de chiffre, alors qu’une ville comme Thunder Bay compte une communauté autochtone beaucoup plus importante.

Le fait d’avoir fixé des objectifs permet au Canada de s’adapter. Ce sont généralement des sociétés très homogènes qui ont mis en place des quotas.

La sénatrice Omidvar : J’ai trouvé très élégant de votre part de ne pas prendre position dans le débat entourant l’intégration des définitions de la diversité dans la loi plutôt que dans le règlement. Vous vous en êtes tenue aux propos des uns et des autres, mais j’aimerais entendre ce que vous vous en pensez.

Mme Cukier : Je suis pragmatique. Si vous pouvez inscrire la définition dans le projet de loi et le faire adopter par la Chambre et le Sénat, c’est une excellente idée. Dans le contexte actuel, l’inscrire dans le projet de loi pourrait être la meilleure chose à faire. Bien que la loi soit un véhicule plus permanent et moins soumis aux caprices des gouvernements, le fait d’inclure la définition dans le règlement est un compromis parfaitement acceptable.

La sénatrice Wallin : Bienvenue. Merci. Il est bon de revoir certains d’entre vous.

J’ai une question à double volet. En ce qui concerne le débat entre les cibles et les quotas, il semble que la formule consistant « à se conformer ou à s’expliquer » conduit essentiellement les entreprises à fixer leurs propres cibles. Suggérez-vous que, dans ce cas, une telle formule pourrait très bien fonctionner dans ce cas?

Mme Cukier : Je suis consciente de la présence du sénateur Wetston, mais j’affirme qu’une loi imposant la nécessité de « se conformer ou de s’expliquer » pourrait fonctionner. La Loi canadienne sur l’équité en matière d’emploi a eu un impact mesurable sur les entreprises de régie fédérale, mais cette approche est certainement plus lente que d’autres.

L’obligation de rendre compte et la transparence sont essentielles, car si vous avez une loi de type « se conformer ou s’expliquer », mais que les gens ne font que se conformer ou s’expliquer au nom d’un représentant du gouvernement et que le public ne peut pas accéder facilement aux renseignements, l’effet de la mesure est nul. Je crois fermement au militantisme des consommateurs et des entreprises. Si vous facilitez l’accès à ces données, les gens voteront avec leur portefeuille et vous parviendrez, mieux que de tout autre façon, à faire avancer les entreprises plus rapidement.

La sénatrice Wallin : Comme nous l’avons dit hier, si les conseils d’administration continuent d’être formés uniquement d’hommes d’un certain âge, les gens le remarqueront.

J’ai un commentaire rapide qui s’adresse à vous et à M. Fortier, parce que nous avons fait le tour de la question: le ministre a clairement dit qu’il ne veut pas se contenter d’utiliser les cibles fondées sur le sexe ou sur l’ethnicité ou les cibles relatives aux personnes handicapées; il cherche autre chose et tente de travailler dans le domaine des idées. Il veut des gens qui aient des opinions, des approches et des idées différentes, ce qui mènera probablement à la création d’un tout autre genre de conseil. Êtes-vous d’accord avec cette approche? Dans l’affirmative, pourriez-vous nous donner une définition?

M. Fortier : Tout à fait. Nous avons discuté des définitions fondées sur le genre, l’ethnicité et d’autres critères; c’est sans doute un bon point de départ. On se met un peu les pieds dans les plats quand on parle simplement de bagage et d’expérience diversifiés, qui sont tout de même importants. Cependant, le fait d’avoir deux hommes blancs ayant dirigé deux banques différentes ne constitue pas nécessairement de la diversité. Il faut se méfier de ratisser trop large. Ces éléments doivent être définis et le genre est un bon point de départ.

Dans de son exposé, Mme Cukier a dit que ce qui se mesure peut être accompli. J’aimerais revenir là-dessus. Si nous pouvions inciter plus d’entreprises canadiennes à adopter des politiques et à établir des cibles, elles indiqueraient aux actionnaires qu’il faut agir dans ce sens, sinon, il y a un problème. Voilà où nous voulons en venir. À terme, je crois que c’est à l’entreprise de définir ses objectifs en termes de genre ou autre, mais gardons-nous de ne pas nous retrouver avec une définition trop large de la diversité.

Mme Cukier : J’abonde dans le même sens. Nous avons besoin d’au moins quatre catégories d’équité en matière d’emploi. C’est ce que nous faisons au Canada depuis 1986. Les entreprises relevant de la réglementation fédérale ont rédigé un rapport à ce sujet. C’est dommage que le sénateur Marwah ne soit pas ici, car je suis convaincue qu’il pourrait nous parler des incidences de cette situation. Les quatre catégories représentent un minimum, mais je crois que nous pouvons aller plus loin. Il faut se méfier de ratisser trop large; l’astrologie pourrait devenir une catégorie de diversité, par exemple, une personne pouvant affirmer qu’elle est Sagittaire et pas vous.

L’équité en matière d’emploi doit être notre point de départ. De nombreuses entreprises croient déjà que l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont incluses. Certaines grandes banques veulent analyser les minorités raciales et les décomposer encore plus. L’âge peut aussi être un enjeu. Je siège à des conseils résolument déterminés à assurer la diversité générationnelle, car il est souhaitable d’avoir divers points de vue.

Mais j’insiste pour dire que les catégories d’équité en matière d’emploi doivent nous servir de base.

La sénatrice Wallin : Il ressort de nos échanges qu’une femme de couleur peut être tout aussi traditionnelle que n’importe qui d’autre, et qu’un homme blanc d’âge moyen peut estimer que le Canada devrait être le pays le plus diversifié du monde. Voilà l’ennui.

Mme Cukier : En général, la matrice des compétences aide, mais je crois que les différences à l’intérieur du groupe peuvent être aussi importantes que les différences entre les groupes. Je ne suis pas une femme typique. Par contre, nous savons qu’en moyenne, les femmes vivent des expériences différentes. Les Autochtones vivent des expériences différentes, tout comme les minorités raciales et les immigrants. Donc, ces catégories élargies ont leur utilité, mais je comprends votre point de vue.

M. Fortier : Nous disons souvent que c’est une question de résultats et non de conformité. Votre exemple est juste. Vous ne voulez pas vous retrouver dans une position où vous avez une personne qui, bien qu’elle réponde à une certaine définition de la diversité, n’est pas nécessairement la meilleure pour occuper le poste. La solution n’est pas simple, mais au final, ce que vous voulez, ce sont des conseils d’administration très performants.

La sénatrice Stewart Olsen : Il n’y a eu aucune réaction aux initiatives liées au genre et à la diversité. Mais d’après les témoignages que nous avons entendus, c’est très lent et difficile, donc tout le monde recommande que nous établissions des cibles. Je ne comprends pas d’où proviennent les réactions en ce qui a trait aux conseils existants. J’ai toujours pensé que la crème remontait à la surface et que ce n’était pas important. Je sais que les choses avancent lentement, mais pouvez-vous simplement m’éclairer un peu sur ce sujet? Pourquoi est-ce si compliqué? Est-ce vraiment compliqué ou est-ce que certains de nos témoins ont l’impression erronée que cela ne se produit pas au Canada?

M. Fortier : Non. Je crois que les statistiques confirment que cela ne se produit pas au rythme souhaité par l’IAS.

Pour ce qui est des défis, lorsque les gens pensent aux conseils d’administration d’entreprises, ils pensent souvent aux conseils des grandes banques ou des sociétés à très grande capitalisation. Or, ce n’est pas ce que font ces conseils: ils ont pourtant les ressources pour cela et ils devraient tout simplement le faire. Les femmes qualifiées qui pourraient occuper ces postes ne manquent pas. En vérité, nos marchés boursiers sont surtout composés de sociétés à petite ou moyenne capitalisation, surtout dans le secteur de l’extraction et de l’exploitation des ressources. Ce n’est pas une question qui les préoccupe beaucoup. Nous savons que les sièges au conseil d’administration sont souvent comblés par des personnes connues des autres membres, ce qui est problématique.

Il y a beaucoup de choses à tirer au clair. Il ne suffit pas d’obliger les gens à passer aux actes d’ici l’an prochain, par exemple. C’est beaucoup plus complexe que cela. Cela nous ramène à ce que je disais plus tôt: si vous réussissez à convaincre les entreprises qu’un conseil diversifié a toutes les chances d’être plus efficace et plus innovant, parce qu’il est composé de gens ayant des expériences différentes, alors vous pourrez lancer le débat et affirmer que nous pourrons y arriver d’ici 2022. Mais c’est plus difficile qu’il n’y paraît à première vue.

Mme Cukier : Je siège à des conseils de PME. D’abord, selon moi, une partie du problème réside dans le fait que, si la diversité des origines n’est pas en tête de liste, les gens pensent à leurs amis ou aux amis de leurs amis ou alors ils se tournent vers leur réseau social. La plupart d’entre nous avons des réseaux sociaux assez homogènes, composés de collègues d’université ou d’amis d’enfance. Il faut donc que la quête de diversité obéisse à une véritable intention.

Deuxièmement, c’est une voie à double sens. Les conseils doivent agir intentionnellement, mais le gouvernement doit aussi organiser des activités de sensibilisation dans les collectivités et demander aux gens s’ils ont déjà songé à siéger à un conseil. En effet, si le citoyen moyen ne se retrouve pas dans les membres des conseils d’administration, leurs ambitions en sont affectées. Celui ou celle qui travaille dans un organisme où les membres de la direction ont l’air différents et qui croit que les dirigeants se nomment par cooptation, pourra hésiter à poser sa candidature. Nous le constatons chez les femmes, en particulier au sein des conseils. Elles ont besoin de parrainage et de beaucoup plus d’encouragement que les hommes afin de se porter candidates. Il n’y a pas de solution simple. Il y a beaucoup de travail à faire sur le terrain et les conseils doivent aussi faire leur part.

La sénatrice Stewart Olsen : J’ai écouté ce que vous aviez à dire sur le vote majoritaire. Pouvez-vous nous parler un peu plus des raisons qui motivent ces témoignages? J’ai l’impression que vous voulez que les conseils soient plus diversifiés, mais que vous préférez plutôt le statu quo dans le cas du vote majoritaire. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, si vous le voulez bien.

M. Duguay : Je crois que ce sont deux dossiers distincts. La diversité des genres concerne les administrateurs. Quant au vote majoritaire, nous parlons de la mécanique de l’élection des administrateurs.

En vertu du régime actuel de la Bourse de Toronto, qui prévoit déjà le vote majoritaire, un administrateur qui n’obtient pas la majorité des voix doit remettre sa démission sur-le-champ, après quoi le conseil dispose d’un délai de 90 jours pour l’accepter ou la refuser en raison de circonstances exceptionnelles. Si le projet de loi devait être adopté, l’assemblée annuelle deviendrait essentiellement l’occasion d’une élection unique. Si vous n’obtenez pas une majorité des voix à l’élection lors de l’assemblée annuelle, vous serez contraint de quitter immédiatement le conseil.

Nous craignons les conséquences imprévues d’un tel mécanisme, s’il devait être adopté. Par exemple, outre qu’elles doivent se conformer à la loi sur les sociétés, les sociétés publiques doivent respecter d’autres exigences réglementaires prévues dans les lois sur les valeurs mobilières. En vertu de ces lois, le comité de vérification doit être composé uniquement d’administrateurs indépendants qui ont également de l’expérience dans le domaine de l’information financière. Le président du comité de vérification qui serait subitement radié des cadres lors de l’assemblée annuelle perdrait immédiatement son siège au conseil, ce qui revient à dire que l’entreprise ne serait plus conforme à cette disposition de la réglementation des valeurs mobilières.

Nous essayons de répondre à ces préoccupations en recommandant l’adoption d’une période de latence destinée à donner au conseil le temps de composer avec les conséquences du vote et de ne pas risquer d’enfreindre certaines de ses obligations, car il aurait besoin de temps pour trouver des remplaçants, pour embaucher un nouveau chef de la direction, pour se réorganiser et pour communiquer avec les actionnaires de façon à bien comprendre les conséquences d’un tel vote.

Il faut se demander comment s’appliquera la disposition du projet de loi concernant le vote majoritaire et essayer d’éviter les conséquences imprévues, parce que celles-ci ne ressemblent pas à ce que prévoit actuellement le régime de la Bourse de Toronto.

M. Fortier : Il faut reconnaître qu’il ne s’agit pas uniquement d’une question de gouvernance d’entreprise ou de conformité ou d’une question de mécanique, ce qui est également le cas. Vous risquez de basculer dans les hypothèses, ce qui est toujours périlleux.

Voici un exemple de ce qui nous inquiète. Disons qu’un conseil recrute une personne très talentueuse, une spécialiste de la technologie de chaîne de blocs qui conseillera la direction et jouera un rôle un peu plus actif qu’à l’habitude. Le conseil a décidé que l’avenir de l’entreprise passerait par cette technologie. Un peu plus tard, cette personne est expulsée lors d’un vote, pour un motif quelconque. Les raisons peuvent être multiples et plus ou moins légitimes, car les avis juridiques que les membres du conseil ont reçus de leur société d'expertise-conseil en matière de procurations, par exemple, n’étaient pas particulièrement judicieux. Donc, cette personne ne fait plus partie du conseil et vous vous retrouvez soudainement avec un fauteuil vide. Vous ne savez pas ce que vous allez faire. Si c’est une élection unique, cette personne est partie. Comment allez-vous faire avancer la stratégie? Comment superviser ce pan d’activité si important pour l’avenir de l’entreprise? Si vous disposez d’un délai de 90 jours, vous pouvez atténuer les conséquences négatives. C’est ce qui nous intéresse, d’après moi. Comme Frédéric l’a dit, ce n’est pas la même chose que la diversité des genres.

La sénatrice Stewart Olsen : Sans aucun doute. Je comprends. Donc, vous êtes d’accord avec le vote majoritaire qui offre un horizon à plus longue échéance.

M. Fortier : Nous l’avons déjà au Canada, à la Bourse de Toronto.

La sénatrice Ringuette : La première question que j’ai posée au ministre Bains, lorsqu’il s’est présenté devant nous la semaine dernière, portait sur le délai d’examen du projet de loi et du règlement afin de déterminer s’il y avait eu des progrès. Il m’a indiqué qu’il faudrait de trois à cinq ans. Croyez-vous que nous aurons progressé dans trois à cinq ans? Nos attentes sont-elles trop élevées?

Mme Cukier : Eh bien, comme je l’ai dit, nous avons constaté, sans cette mesure législative, une augmentation de 40 p. 100 de la représentation des femmes dans les sociétés ayant leur siège social à Montréal. À Toronto, cette augmentation a été d’environ 30 p. 100, ce qui revient à dire que des gens décidés peuvent changer les choses. Ce qui m’inquiète, c’est la baisse constatée de la représentation des minorités raciales. Voilà pourquoi je souhaite que nous accordions autant d’attention à ces autres éléments qu’à la diversité des genres.

Toutefois, je crois qu’en se fondant sur les données et sur ce qu’il sait de la composition des conseils d’administration et des sociétés, le gouvernement peut dire que nous devrions atteindre un niveau de représentation de 30 p. 100 d’ici cinq ans. Je ne crois pas que ce soit un objectif déraisonnable, étant donné l’état actuel des choses. Le gouvernement pourrait dire que nous devrions être à 15 p. 100, par exemple, pour les minorités raciales. Il y a suffisamment de données pour qu’il puisse fixer des objectifs à l’échelle mondiale, puis en faire le suivi et les rendre publics. Si nous voulons faire avancer les choses, nous devons avoir une bonne idée de l’objectif à atteindre.

La sénatrice Ringuette : Je ferai un commentaire en guise de deuxième question. Corrigez-moi si je me trompe. Vous y avez, en quelque sorte, fait allusion plus tôt. J’ai l’impression que les membres des conseils se réélisent eux-mêmes ou élisent leurs amis. Le processus est presque incestueux. Est-ce bien le cas? À quelle fréquence cela se produit-il? Que pouvons-nous faire pour que cela change? Je sais que ce projet de loi devrait contribuer à abolir cette culture, car il s’agit bel et bien d’une culture. Mais à quel point est-ce que cela se produit en ce moment, selon vous?

M. Fortier : Puisque je représente l’Institut des administrateurs de sociétés, j’éviterai d’utiliser le terme « incestueux », mais je ne pense pas que vous ayez tort. Je crois que c’est ainsi que les conseils se sont constitués au fil du temps. Le changement est en cours, mais vous ne faites pas fausse route en disant que tout dépend de qui l’on connaît, de la confiance qu’on a dans telle ou telle personne et de la qualité de son apport pour le groupe, exception faite de la question du genre. C’est souvent de cela que nous parlons et, bien sûr, les compétences non techniques sont très importantes.

Je vais nous faire un peu de publicité. Nous avons 12 000 membres qui assistent à 130 événements dans tout le pays pour rencontrer d’autres administrateurs. C’est de l’éducation. Ils découvrent ce qui se passe, que ce soit du côté de la chaîne de blocs, de l’intelligence artificielle ou simplement de détails pratiques. Une large part de cette éducation consiste à apprendre à connaître différentes personnes qualifiées afin d’agrandir le réseau de contacts. Oui, vous pouvez faire appel à des recruteurs professionnels, ce qui se fait souvent en ce moment, mais cela dépend encore beaucoup des gens que vous connaissez et de ceux à qui vous faites confiance. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais vous devez connaître plus de gens et leur faire davantage confiance.

Mme Cukier : Je suis d’accord avec vous. J’ai siégé à plusieurs conseils. À moins que vous n’ayez quelqu’un qui soulève vraiment cette question et qui s’en préoccupe, c’est un parti pris inconscient. Ce n’est pas que les gens aient nécessairement l’intention d’exclure certaines personnes. C’est qu’ils choisissent celles qu’ils connaissent et avec qui ils sont à l’aise.

L’autre aspect important est celui de la longévité au conseil. Si l’on choisit quelqu’un très différent du reste du conseil, qui ne pense pas et n’interagit pas comme les autres, et s’il n’y a pas de processus en place pour appuyer cette personne et s’assurer qu’elle se sente la bienvenue, elle ne fera que passer.

Le gros travail qui a été réalisé sur le plan de la bonne gouvernance commence à faire avancer les choses sous la forme de processus rationnels, axés sur les objectifs, qui nous permettront de progresser.

M. Duguay : Je dois dire que les conseils sont très attentifs à la planification de leur relève. À l’examen des résultats des trois dernières années, soit depuis la mise en place du régime de conformité ou d’explication pour les sociétés inscrites à la Bourse de Toronto, force est de constater que, si les améliorations ont été lentes et progressives, les conseils se sont sentis obligés à recruter en fonction de l’avenir et à réfléchir au type d’administrateurs dont ils auront besoin plus tard. De plus, les faits démontrent que les conseils s’étant fixé des objectifs sur ce plan sont très conscients qu’ils doivent recruter en fonction de l’avenir et avoir des critères d’évaluation. Ils ont été contraints à réfléchir de façon plus globale au recrutement de leurs administrateurs, qu’en faisant simplement appel à des tierces parties, comme des chasseurs de têtes ou en tentant d’élargir leurs réseaux.

Par le passé, nous avons travaillé avec un conseil d’administration situé dans les Prairies qui faisait beaucoup affaire au Canada atlantique et qui devait recruter un administrateur de cette région. Il a communiqué avec un éminent politicien du Canada atlantique pour lui dire: « Nous aimerions recruter plus de femmes au sein du conseil d’administration. Connaissez-vous quatre ou cinq femmes de la région qui, selon vous, conviendraient à ce conseil? » C’est essentiellement de cette façon que ces gens-là ont recruté ce membre du conseil.

Il s’agit d’adopter une approche plus globale quant au recrutement des administrateurs et à la planification de la relève. Encore une fois, l’expression que j’utiliserai et répéterai est « recruter pour l’avenir. » C’est essentiel.

Mme Cukier : Dans le cadre de nos activités, nous faisons la promotion des relations entre pairs, étant donné que bon nombre de ces entreprises sont en démarrage et de petite taille, et que leurs réseaux sont plus limités. Nous savons que les immigrants ont plus tendance à être des entrepreneurs que les gens nés au Canada. Or, la sensibilisation des petits entrepreneurs à la façon dont ils peuvent nouer des partenariats avec leurs homologues et apprendre à connaître des gens avec qui ils ne seraient pas normalement associés, dans le but progresser dans le sens des objectifs généraux, s’est avérée très efficace à petite échelle. C’est ainsi qu’on commence à bâtir ces réseaux.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je m’excuse de mon retard. J’ai deux questions qui s’adressent à M. Fortier et à M. Duguay. Pour faire partie d’un conseil d’administration, il faut avoir certaines compétences pour accéder à ces postes. Si vous n’avez pas les compétences nécessaires, cela risque de ralentir ou de compliquer la gestion d’une société. Pouvez-vous me donner un exemple de difficultés que vous rencontrez dans le recrutement des membres en ce qui a trait à la diversité? Le problème est-il différent d’une province à l’autre? Je sais qu’on a parlé tantôt des Maritimes.

M. Duguay : Premièrement, cela dépend de la société et de l’industrie dans laquelle elle se situe. On met beaucoup d’efforts, par exemple, à définir quelles sont les compétences clés qu’on doit avoir pour siéger à un conseil d’administration. Avec le vote majoritaire, si on a besoin d’un administrateur avec une compétence clé, par exemple, dans le domaine de l'informatique ou dans une industrie émergente, il n’y a pas nécessairement des centaines d’administrateurs qui seront prêts à prendre la relève au moment même où l’administrateur est voté hors du conseil d’administration. Cela rend les choses difficiles. Lorsqu’on parle de diversité régionale, encore, cela dépend de la société. Si la société fait beaucoup affaire dans différentes régions du Canada, il est important pour elle d’avoir une représentation de cette région-là. Comme je l’ai dit plus tôt, les conseils d’administration déploient des efforts pour définir les compétences dont ils ont besoin au sein du conseil. Ces compétences dépendent de bon nombre de facteurs liés à l’expérience dans une industrie particulière, dans une région particulière, et de plus en plus, à la diversité en termes de sexe et d’origine.

M. Fortier : J’aimerais seulement ajouter que, clairement, les banques n’ont pas beaucoup de problèmes à trouver des directeurs qualifiés. Dans les secteurs plus petits, notamment dans les secteurs de l’extraction, c’est plus difficile, parce que les réseaux sont plus petits aussi. C’est pour cette raison qu’on a rédigé notre politique de diversité. On la rend disponible à toutes les compagnies, parce que c’est important qu’elles commencent à réfléchir à la diversité. Cela ne signifie pas nécessairement que, d’ici 2020, il y aura 30 p. 100 ou 40 p. 100 de femmes siégeant aux conseils d’administration, mais il faut que les sociétés commencent à y réfléchir. C’est plus difficile dans le secteur de l’extraction minière, dans l’Ouest, et dans le secteur technologique. Ce sont souvent des organisations très petites où les réseaux ne sont pas très importants.

Le sénateur Dagenais : Je vais être prudent dans mes propos, mais j’aimerais parler de certains conseils d’administration où je devais siéger, parce que je faisais partie d’un organisme gouvernemental. Au Québec, lorsque vous faites partie d’un organisme gouvernemental, automatiquement vous êtes catapulté sur un conseil d’administration. Cela ne nuit pas nécessairement à la gestion de l’organisme gouvernemental, mais croyez-vous qu’on devrait aller chercher des gens à l’extérieur? Souvent, les gens qui font partie du conseil d’administration, implicitement, font déjà partie de l’organisme gouvernemental. On ne va pas à l’extérieur. J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

M. Fortier : Il y a de nombreux avantages à trouver des personnes à l’extérieur. Comme on l’a dit plus tôt, souvent, on recycle les mêmes personnes au sein des conseils d’administration. On doit trouver du sang neuf et des personnes qui connaissent les nouvelles technologies, les nouvelles façons des entreprises. Ce n’est pas facile. On a 12 000 membres. Ils ne sont pas tous des administrateurs. Au moins 60 p. 100 des membres le sont, mais 40 p. 100 essaient de trouver leur premier siège. Ils sont très accomplis et sont tous des experts dans leur domaine. Oui, c’est très important, et si vous avez des idées, j’aimerais les connaître.

M. Duguay : Je dirais que cela dépend beaucoup du processus de recrutement. Je pense qu’il y a une distinction à faire entre une société d'État où il y a peut-être une structure de gouvernance qui fait en sorte que certains administrateurs de tel secteur, par exemple, feront partie d’un conseil d’administration, par opposition à une société publique, où on cherche vraiment à trouver les administrateurs les mieux qualifiés pour siéger à un conseil d’administration.

Des organisations comme l’Institut des administrateurs de sociétés — qui ont une grande base de données, des chapitres dans toutes les provinces, dans plusieurs secteurs, y compris le secteur à but non lucratif et le secteur public pour les sociétés d'État — sont un bon point de départ pour plusieurs conseils d’administration lorsqu'il s'agit de chercher les administrateurs et les candidats potentiels.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, messieurs.

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup d’être parmi nous. Ma question pourrait s’adresser à M. Fortier ou aux gens de Hansell. Le projet de loi proposé ne parle pas du concept « say on pay ». C'est quelque chose, cependant, parmi les sociétés publiques qui est d'actualité. Est-ce un manque important? Je suis surpris, parce que la tendance est très importante, et que la loi fédérale n’est pas seulement une loi sur l'incorporation. Elle doit aussi être un exemple et parler de valeurs. Étant donné le problème d’équité salariale qu’il y a dans notre pays, on aurait pensé qu’il aurait pu y avoir une section sur le « say on pay ». Auriez-vous des commentaires sur cette lacune?

M. Duguay : Ce n’est pas une lacune importante. Il est important de faire une distinction entre la Loi canadienne sur les sociétés par actions, qui est vraiment la loi visant l'incorporation, et les 14 autres lois permettant l'incorporation au Canada. Une société qui a son siège social en Ontario peut s’incorporer selon la loi de la Colombie-Britannique, et il y a beaucoup d’exemples semblables, parce que c’est une loi qui donne un peu plus de flexibilité. Lorsqu’on parle de gouvernance ou d’imposition de règlements pour des sociétés publiques, la Bourse de Toronto et les commissions à valeurs mobilières ont déjà la compétence pour imposer ces règlements.

Au Canada, c’est vrai, on n’a pas de régime de « say on pay » où on laisse le droit aux actionnaires de voter sur la rémunération des hauts dirigeants. Lorsque l’on regarde les statistiques des sociétés cotées en bourse, soit le Toronto Stock Exchange, il s'agit de plus de 75 p. 100 des sociétés, au moins les 250 sociétés parmi les plus importantes au Canada. Je dirais que c’est quelque chose que le marché a déjà imposé selon les sociétés d'envergure, et je ne vois pas vraiment l'utilité ou le besoin d’avoir un règlement spécifique, surtout au sein d'une loi sur les sociétés.

M. Fortier : J’ajouterais deux choses. Premièrement, le Canada n’a pas vécu les mêmes abus qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Le sénateur Massicotte : Pas autant, mais pas loin derrière.

M. Fortier : Oui, je comprends.

Deuxièmement, c’est vraiment le rôle de l’investisseur d’indiquer à son conseil d’administration qu’il n’aime pas sa structure. Nous encourageons nos conseils d’administration d’entrer en dialogue avec leurs investisseurs. C’est manifestement la meilleure façon de réussir une entente.

Le sénateur Massicotte : Avez-vous un commentaire sur la séparation des postes de PDG et de président du conseil d’administration?

M. Duguay : Au Canada, il n'y a pas eu de situation où, encore aujourd’hui, les postes sont combinés. On n’a jamais eu ce problème au Canada. Les pratiques du marché, depuis au moins les 15 ou 20 dernières années, visaient à séparer les postes de président de conseil d’administration et de président-directeur général au sein des grandes sociétés publiques. C’était une recommandation de la TSX en 1994, et qui figure dans nos règles de gouvernance de sociétés par les commissions de valeurs mobilières. Il n’y a pas vraiment de point à ajouter par rapport à cela, parce que ce n’est pas une situation qui existe au Canada où il y aurait des abus.

Le sénateur Massicotte : Vous êtes d’accord, monsieur Fortier?

M. Fortier : Tout à fait.

[Traduction]

Le sénateur Wetston : Il me faut souligner que je suis très fier de l’ancien employé de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario qui a si brillamment témoigné devant le comité sénatorial, dans les deux langues officielles de surcroît. Je tenais à le souligner pour le compte rendu.

Le président : Je soupçonne qu’il a reçu une bonne formation, sénateur.

Le sénateur Wetston : Je crois que M. Duguay serait d’accord. Mais faisons abstraction de cela pour un instant et permettez-moi de souhaiter la bienvenue à tout le monde.

J’aimerais en savoir davantage sur l’approche dite « se conformer ou s’expliquer », qui est évidemment l’instrument de choix dans ce projet de loi. Nous reconnaissons tous qu’il y a eu des progrès au cours des deux premières années et que les choses semblent avoir ralenti. Les statistiques laissent entendre qu’il y a eu des améliorations dans certains domaines, mais nous semblons nous concentrer sur le 1 p. 100 et je peux le comprendre. Certes, l’approche « se conformer ou s’expliquer » est unique au Canada, et nous le comprenons tous. Cet examen et vos discussions à ce sujet sont très utiles, car il va de soi que toutes les politiques doivent être examinées au moment opportun.

À votre avis, comment pourrait-on améliorer l’approche « se conformer ou s’expliquer », si le Sénat rendait une décision à cet égard et renvoyait cette question à la Chambre des communes? Pouvez-vous m’éclairer à cet égard?

Mme Cukier : À mon avis, il s’agit beaucoup moins du projet de loi que de ce qu’on en fait. Je crois que la visibilité et l’attention accordée aux effets du projet de loi ont un impact énorme sur la façon dont le public réagit et, franchement, sur la façon dont réagissent les clients de bon nombre des entreprises touchées.

Je vous donne l’exemple de Legal Leaders for Diversity. Certains d’entre vous connaissent ce groupe qui a dit que la diversité des cabinets d’avocats serait l’un des critères qu’il utiliserait pour choisir ses membres. Le groupe représente les avocats de plusieurs des plus importants cabinets du pays, comme Deloitte et d’autres. Cela a plus d’impact sur le comportement des cabinets d’avocats que toute disposition qui pourrait être inscrite dans une loi.

Le lien entre ces deux éléments fait toute la différence, je crois. La mesure dans laquelle on met en évidence le rendement des entreprises quant à la diversité aura un effet mesurable seulement si les clients et le public pensent que c’est important. À mon avis, les clients et le public pensent de plus en plus qu’il s’agit d’une question importante. Les deux vont de pair.

Le sénateur Wetston : Monsieur le président, mon intention n’est pas de m’en tenir à une simple conversation, mais j’aimerais bien en savoir davantage.

Le président : Absolument.

Le sénateur Wetston : Pour ma part, je crois que la diversité fait partie de la bonne gestion. Monsieur Fortier, êtes-vous d’accord?

M. Fortier : Oui, absolument.

Le sénateur Wetston : Si vous êtes d’accord, j’espère que l’instrument de choix que l’on retiendra changera la culture et qu’il sera durable. Lequel permettrait d’atteindre ce but?

M. Fortier : Parmi les options…

Le sénateur Wetston : Celles dont nous discutons. Beaucoup de recherches ont été faites. Pour ma part, j’ai lu nombre de documents sur les quotas, les objectifs et sur le principe « se conformer ou s’expliquer », un peu moins sur ce dernier principe, même s’il s’agit plus ou moins de l’approche adoptée au Royaume-Uni et en Australie. Admettons que la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont adopté cette option il y a moins de trois ans, mais ce n’est pas une raison pour ne pas instaurer une plus grande diversité.

Lorsqu’on place les choses dans ce contexte et qu’on demande si la diversité améliorera la performance financière des entreprises, certains diront oui, d’autres donneront une réponse plus floue. Je suis de ceux qui croient que cela représente un progrès, surtout parce que j’ai une grande expérience des contacts avec diverses personnes dans les milieux de travail et je crois que cela améliorera le dialogue, les discussions et les occasions qui existent au sein des organismes. Il s’agit d’une opinion personnelle.

Cela dit, quand je parle de bonne gestion, ce que je vous demande réellement, c’est de faire ce genre d’analyse générale des raisons qui vous portent à croire que le Canada devrait endosser le principe « se conformer ou s’expliquer » par rapport aux objectifs, par exemple.

M. Fortier : À mon avis, les objectifs et le principe « se conformer ou s’expliquer » peuvent coexister, mais s’il s’agit de quotas…eh bien, permettez-moi de commencer en vous parlant de la gouvernance des sociétés. Je définis la gouvernance comme étant plus que les activités du conseil d’administration. La gouvernance est en fait un écosystème où coexistent le conseil d’administration, la direction, les investisseurs et les organismes de réglementation.

Lorsqu’il s’agit de la dynamique autour des actionnaires, du conseil d’administration et de la direction, je crois que les actionnaires s’attendent à ce que l’entreprise fasse preuve d’innovation et qu’elle donne de meilleurs rendements. Je suis d’accord qu’un conseil diversifié est, à la longue, plus susceptible d’innover davantage et de donner un meilleur rendement. Non seulement je le crois, mais j’ai des preuves qui me permettent de le corroborer. Je crois que les actionnaires en ont besoin. Nous vivons dans un monde assez concurrentiel où l’on recherche tous les avantages possibles.

Tout à l’heure, j’ai dit que le Canada a un très bon système de gouvernance et que cela est un avantage. J’ai souligné qu’il s’agissait d’une ressource naturelle, mais comme toute ressource, elle n’est renouvelable que si elle est renouvelée. Il faut faire participer un plus grand nombre de personnes différentes.

Pour ce qui est des quotas, la Norvège est l’un des exemples les plus célèbres. La femme qui les a mis en œuvre, Turid Solvang, est une amie. J’ai beaucoup travaillé avec elle, et nous l’avons invitée à Toronto pour qu’elle nous explique le fonctionnement des quotas et qu’elle nous fasse part de son expérience à cet égard. Comme Mme Cukier l’a dit, la Norvège est une société très homogène. Il s’agit d’un contexte très différent et qui, soit dit en passant, fonctionne très bien à certains égards, mais pas autant à d’autres égards. Très peu d’entreprises ont dépassé les 40 p. 100, par exemple. Plusieurs femmes ont fini par être débordées parce que trop peu d’entre elles avaient été désignées. Beaucoup d’entreprises ont été radiées de la liste et ce n’est donc pas une solution automatique. Le Canada est simplement un marché différent.

Pour cette raison, je crois que le principe « se conformer ou s’expliquer » est la meilleure voie à suivre et qu’il peut coexister avec les objectifs.

Mme Cukier : J’ajouterais que la législation est un outil, mais le fait de légiférer des choses qui ne sont pas acceptées par les gens concernés peut souvent avoir des conséquences imprévues. C’est l’un des arguments avancés à ce sujet.

Comme je l’ai dit, à mon avis, la loi sur l’équité en matière d’emploi au Canada, qui existe depuis 30 ans, est effectivement une loi inspirée du principe « se conformer ou s’expliquer. » On ne l’appelait pas ainsi, mais elle l’était dans une certaine mesure. Les organisations qui ont été soumises à cette exigence ont réussi à atteindre leurs objectifs en la matière et je crois que les institutions financières, par exemple, mènent le du peloton.

M. Duguay : Sénateur Wetston, j’ajouterai que le Canada a très bien réussi, depuis plusieurs décennies, à mettre en place une solide gouvernance d’entreprise en appliquant le principe « se conformer ou s’expliquer »; à mon avis, cela s’applique aussi lorsqu’il s’agit de la diversité.

Nous constatons que les actionnaires expriment davantage leurs attentes. Les services-conseils en matière de vote par procuration ont ajouté de nouvelles lignes directrices selon lesquelles les conseils d’administration qui négligent de…

Le sénateur Wetston : Comme l’ISIS l’a fait récemment.

M. Duguay : C’est cela.

Le sénateur Wetston : L’ISS en fait. Me suis-je trompé? Je m’excuse auprès de l’ISS.

M. Duguay : Par ailleurs, n’oublions pas Glass Lewis qui est toujours exclu.

À compter de 2019, les conseils d’administration qui ne comprennent pas de femmes subiront des conséquences immédiates et c’est là que le vote à la majorité devient très pertinent à cet égard. Les services-conseils en matière de vote par procuration recommanderont aux actionnaires de s’abstenir de voter pour les présidents des comités de nomination d’administrateurs qui négligent de faire au moins un effort et de proposer des solutions.

À titre d’exemple, j’ajouterais également que les sociétés publiques canadiennes sont probablement parmi les plus diversifiées qui soient. Certaines de nos sociétés sont parmi les plus importantes au monde et nos capitalisations boursières représentent plusieurs milliards de dollars. Un grand nombre de nos sociétés ont des capitalisations boursières de 5, 10 ou 15 millions de dollars. Il s’agit de petites sociétés qui deviennent publiques. Le principe « se conformer ou s’expliquer » permet à chacune d’entre elles d’agir en fonction de ses besoins. Elles peuvent juger ce qui leur convient si elles adhérent au principe de la diversité et proposer une approche que tous les membres du conseil d’administration et, plus généralement, tous les intervenants appuieront.

Le sénateur Wetston : Je dois poser une question relative au vote à la majorité, si cela ne vous dérange pas.

Le président : Bien sûr que non.

Le sénateur Wetston : Le rapport que vous avez préparé est utile et exhaustif et je vous en remercie. Évidemment, comme vous le savez peut-être, ce n’est pas la première fois que nous avons l’occasion de parler du vote majoritaire ou à la majorité. Je suis certain que vous conviendrez que le bon endroit, comme point de départ pour ce type de vote, serait une loi sur les sociétés.

M. Duguay : En gros, oui. L’élection des administrateurs est un droit fondamental des actionnaires. Or, si nous traitons des dispositions relatives à l’élection des administrateurs, alors oui, elles devraient être inscrites dans la loi sur les sociétés.

Le sénateur Wetston : C’est là l’intention.

M. Duguay : C’est l’intention du projet de loi. Toutefois, nous devons comprendre que la loi sur les sociétés n’est pas principalement destinée aux sociétés multimilliardaires. Je crois que Loi canadienne sur les sociétés par actions régit plus de 250 000 sociétés. Bon nombre d’entre elles sont de petites sociétés privées et le vote majoritaire n’a absolument aucun effet sur ces types de sociétés.

Le sénateur Wetston : Vous savez que je ne débattrai pas de cette question ici. Je voulais simplement savoir si le vote et les élections à la majorité sont bien inscrits dans la loi sur les sociétés.

M. Duguay : Ils sont bien inscrits en vertu de la loi sur les sociétés. Ce que je dirais, cependant, c’est que les choses se compliquent pour les sociétés publiques lorsque la loi sur les sociétés prévoit trop de règlements à leur égard.

La dernière fois que la LCSA a été modifiée, en 2001, ce comité et le Parlement ont supprimé des dispositions qui étaient régies par les lois sur les valeurs mobilières. Ce qui est intéressant, c’est que nous allons en fait dans la direction opposée.

Mme Kushneryk : Sénateur Wetston, votre question est de savoir si cela est inscrit dans une loi sur les sociétés et la seule chose que j’ajouterai aux propos de M. Duguay, c’est qu’il s’agit d’une question sans contexte.

S’agissant de ce que M. Duguay a dit quant à ce qui a été fait au Canada au cours des dernières années, je soulignerai que notre pays dispose de 14 lois différentes sur les sociétés. Nous nous trouvons dans un contexte où la Bourse de Toronto a adopté une approche qui est en cours; or, chercher à savoir si cela est pertinent dans une loi sur les sociétés…

Le sénateur Wetston : Je ne vous pose pas cette question hors de tout contexte. Bienvenue au Canada. Nous comprenons bien le contexte. Vous avez omis de mentionner les 13 organismes de réglementation des valeurs mobilières. Nous avons donc beaucoup de règlements.

Pour conclure, je ferais observer que je suis tout à fait d’accord que nous avons besoin d’un délai, et je le dis pour deux raisons. Malgré ce que vous avez décrit comme une période de 90 jours pour la Bourse de Toronto, celle-ci a défini des circonstances exceptionnelles où elle permettrait que cela se produise et elle a même resserré ce critère récemment. Je suggère simplement qu’il conviendrait de recommander un délai quant à la LCSA et au vote à la majorité. Êtes-vous d’accord?

M. Duguay : Oui. Nous avons souligné dans l’un de nos documents qu’un délai donne au moins l’occasion au conseil d’administration de discuter des conséquences du vote lors de la réunion. À l’heure actuelle, le projet de loi ne prévoit rien à cet égard. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une élection à mort subite. On est immédiatement exclus du conseil. Un délai est important à cet égard, étant donné qu’on ne voudra pas faire face aux conséquences imprévues que nous avons tenté de souligner dans les mémoires que nous avons présentés à ce comité.

Le sénateur Tkachuk : Pour ce qui est des conseils d’administration, il n’y a pas nécessairement un grand nombre de gens qui veulent y siéger, par exemple. Il y a beaucoup de responsabilités, de risques, un bassin limité de talents et c’est un travail difficile.

Alors pourquoi la diversité est-elle importante? En d’autres termes, si une entreprise se porte bien, si elle est rentable — c’est de cela dont il s’agit — et que je suis un investisseur qui épargne pour ma caisse de retraite, pourquoi est-il important d’avoir de la diversité si tout va bien? En quoi est-ce utile?

M. Fortier : Je suis d’accord qu’il s’agit d’un travail difficile. En fait, nous avons un registre des administrateurs qui compte environ 4 000 personnes, dont 1 300 sont des femmes, accréditées par l’Institut des administrateurs de sociétés. Nous leur demandons parfois pourquoi elles voudraient faire ce genre de travail, pour toutes les raisons que vous avez énumérées. C’est un travail exigeant et, contrairement aux idées préconçues, rarement bien rémunéré. Cela dit, j’aimerais peut-être apporter une précision à votre affirmation, à savoir qu’il s’agit principalement de rentabilité. C’est un objectif très important, mais le travail d’un administrateur consiste à être attentif et à veiller à la santé à long terme de la société, pas seulement des actionnaires. Il y a une distinction et nous pouvons en parler un peu plus. Je demanderais à mes amis avocats d’intervenir à cet égard aussi.

Sur le plan de la diversité, il faut mieux comprendre le contexte dans lequel on travaille, donc il faut d’abord et avant tout tenir compte des actionnaires. Toutefois, je crois qu’il n’y aura pas une grande diversité d’opinions si les mêmes personnes siègent au conseil pendant 15 ans. Même si une société est rentable et que les choses semblent aller bien, il existe un grand nombre d’imprévues, de cygnes noirs. Si on ne comprend pas bien le contexte, on risque d’être frappé par l’un de ces cygnes noirs.

Le sénateur Tkachuk : On pourrait faire faillite et on en paierait le prix.

M. Fortier : Bien sûr, mais je crois que personne ne souhaite cela.

Le sénateur Tkachuk : Je le sais, mais il ne nous appartient pas de dire aux gens précisément comment gérer leur entreprise parce que nous ne sommes pas garants de leurs profits. Les gens prennent des risques avec leur argent et vaquent à leurs affaires. S’ils gagnent de l’argent, tant mieux; s’ils en perdent, tant pis. Si la diversité est une bonne idée, et je crois qu’elle l’est, les gens feront alors ce qu’ils doivent pour gagner de l’argent.

À l’heure actuelle, les universités comptent plus de femmes que d’hommes en médecine, en droit et en comptabilité. En ingénierie, c’est loin d’être le cas. Elles font des progrès, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Je vois peu d’électriciennes, de plombières ou d’éboueuses. Ce ne sont pas des domaines traditionnellement féminins. Mais nous avons des hommes infirmiers. Dans la plupart des cas, il s’agit de soins infirmiers.

Je dis tout simplement que chacun de ces domaines exige des compétences différentes. Les données que vous compilez, tiennent-elles compte des compétences? Autrement dit, les données que vous compilez et que vous nous faites parvenir tiennent-elles compte des compétences, par exemple, dans le domaine de l’ingénierie ou de la plomberie? Parce je suis d’avis que la diversité est, en quelque sorte, une importante industrie.

M. Fortier : Pour commencer, très brièvement, je vous répondrais oui. Comme Frédéric l’a mentionné plus tôt, les conseils d’administration les plus responsables utilisent des matrices de compétences pour pourvoir les postes de direction. À mon avis, on a à peu près complètement tordu le cou à l’idée qu’il y aurait trop peu de femmes qualifiées et spécialisées.

Le sénateur Tkachuk : Je n’ai pas dit cela.

M. Fortier : Je sais. Mais je crois que nous devons être conscients qu’il existe un réseau beaucoup plus vaste que celui que nous avons utilisé jusqu’à présent. Nous devons, par ailleurs, miser sur le talent de ces personnes — de ces 1 300 femmes, dans notre cas, mais il y en a des milliers d’autres — pour pourvoir les postes au sein des conseils d’administration. Mais pas seulement les femmes ou les personnes appartenant à des groupes qui représentent la diversité dont nous avons parlé aujourd’hui. J’imagine qu’il nous faut simplement élargir le réseau.

Mme Cukier : Vous avez tout à fait raison de dire qu’il y a des groupes sous-représentés dans certaines professions. À ma connaissance, il n’y a pas beaucoup de conseils d’administration qui ont besoin d’éboueurs et de plombiers, mais je suis certaine que dans le secteur de la gestion des déchets, par exemple, ce sont des compétences recherchées par les conseils d’administration. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’établissement de cibles, ou le principe « se conformer ou s’expliquer », donnera une marge de manœuvre aux entreprises de secteurs particuliers.

J’aurais deux commentaires à faire. Premièrement, si vous êtes pour le recrutement au mérite, vous devez vous assurer que les règles du jeu sont équitables afin que les personnes qualifiées puissent être recrutées. Je vous signale que la recherche démontre que des personnes hautement qualifiées se heurtent aujourd’hui à des obstacles qui les empêchent d’apporter la contribution qu’elles pourraient apporter. C’est un premier point.

Deuxièmement, un simple examen des matrices de compétences de nombreux conseils d’administration permet de constater combien il est important d’avoir une expertise sectorielle approfondie. Dans le secteur pétrolier, par exemple, on recherche généralement des gens du secteur. Mais la plupart des conseils d’administration souhaitent également avoir des personnes qui possèdent un sens aigu des affaires et une expertise en matière de droit et de gouvernance. Dans les conseils d’administration dont je fais partie, les matrices de compétences sont le résultat d’une réflexion stratégique. Dans le secteur des télécommunications, par exemple, les conseils d’administration sont de plus en plus nombreux à rechercher des personnes possédant une expertise approfondie de leurs marchés. Ils veulent enrichir leurs connaissances des soins de santé, ce qui les incite à regarder du côté des conseils d’administration des hôpitaux en se disant que ces personnes pourraient leur être utiles.

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que nous voulons des entreprises hautement performantes. Il est d’ailleurs clairement démontré que si vous faites bien les choses, vous stimulerez non seulement le rendement des entreprises, mais renforcerez également leur responsabilité sociale et les encouragerez à se comporter comme les Canadiens souhaitent qu’elles se comportent.

La sénatrice Unger : Je vous remercie tous pour vos interventions fort intéressantes.

J’aimerais aborder la question des femmes. Je suis en faveur de la diversité, mais je crois que la plupart des Canadiens, hommes et femmes, ne sont pas très favorables à l’imposition de quotas. Madame Cukier, croyez-vous que l’imposition de quotas pourrait avoir un effet négatif sur la perception des femmes dans les milieux de travail? Cette mesure ne risquerait-elle pas de compromettre les relations de travail avec les femmes qui ont travaillé fort au sein de leur entreprise avant d’être nommées au conseil d’administration? Y a-t-il une différence avec celles qui ont obtenu ce poste à la faveur d’un quota?

Mme Cukier : Je vais vous répondre en revenant sur ce que j’ai dit plus tôt, à savoir qu’il existe une grande différence entre l’établissement de cibles et l’imposition de quotas. Un quota, pour moi, c’est lorsque nous sommes obligés d’avoir 30 p. 100 de femmes dans un conseil d’administration. Une cible, c’est lorsque nous essayons d’avoir 28 ou 35 p. 100 de femmes au conseil d’administration, en fonction de notre analyse du bassin de candidats ou de nos objectifs et ainsi de suite. Je pense qu’il est très important de faire cette distinction.

Le sénateur Wetston a fait remarquer, tout comme Matthew, que les résultats de la recherche portant sur la différence entre les quotas et les cibles ne font pas consensus. Selon moi, les quotas risquent davantage d’avoir des conséquences non voulues dans un large éventail de domaines, notamment parce que je me suis intéressée non seulement aux femmes, mais aux personnes issues de minorités raciales, aux Autochtones et à d’autres groupes marginalisés. Je ne vois pas vraiment comment nous pourrions appliquer les quotas à la grandeur du pays, en raison de la grande diversité démographique d’une ville comme Montréal, Toronto ou Thunder Bay. Il serait donc préférable, à mon avis, que les organisations se fixent des cibles au lieu de se voir imposer des quotas.

Parallèlement, je suis fermement convaincue que le gouvernement doit réfléchir aux cibles qu’il juge raisonnables dans le cadre de ce projet de loi afin que nous ayons des repères pour mesurer nos progrès. Êtes-vous d’accord?

La sénatrice Unger : Oui, tout à fait. Dans un autre ordre d’idées, dans le secteur des sables bitumineux, les entreprises ont commencé à embaucher des femmes pour manœuvrer les énormes rétrocaveuses pour la simple raison qu’elles sont plus prudentes et causent moins d’accidents. On peut donc parler de diversité à un niveau inférieur.

Le sénateur Tannas : Je tiens d’abord à exprimer mon grand soulagement d’apprendre que le parrain du projet de loi propose un amendement. Cet amendement est important. J’ignore si vous serez d’accord pour le proposer ou si vous préférez que nos témoins nous suggèrent un modèle d’amendement, mais je pense que le comité ne doit pas laisser passer ce projet de loi sans recommander un amendement concernant le délai de maintien en fonction.

Le cas d’un administrateur qui n’obtiendrait pas la majorité des votes n’a cessé de revenir dans nos discussions, mais le scénario-cauchemar serait que la totalité des administrateurs ne l’obtiennent pas à cause d’un problème financier ou d’un événement qui aurait attisé la colère des actionnaires. Il n’y aurait peut-être pas une action collective dans ce sens, mais les actionnaires pourraient très bien le faire par des actions individuelles motivées par la colère. S’ils sont tous en colère, ils pourraient finir par causer du tort à l’entreprise dans la mesure où ils seraient en position de force, sans aucune structure de gouvernance. C’est un scénario-catastrophe qui — je vous pose la question, j’aimerais que vous en parliez — pourrait avoir de graves conséquences non voulues. Ai-je raison de penser cela?

Mme Kushneryk : Monsieur le sénateur, nous sommes tout à fait d’accord avec vous. Dans notre article, nous proposons justement aux actionnaires des solutions de rechange pour exprimer leurs frustrations. Actuellement, les bulletins de vote permettent de voter pour ou de s’abstenir de voter. Nous proposons une autre option: certaines instances utilisent une case d’abstention, qui pourrait cependant être désignée autrement, qui permet aux votants d’exprimer leur désaccord. Je sais que cela dépasse le cadre du projet de loi, mais il existe des moyens de régler ce problème. Ce qui est certain, c’est que le délai de maintien en fonction devrait atténuer les potentielles conséquences non voulues les plus graves.

M. Duguay : Vous avez soulevé un point très préoccupant, sénateur Tannas, concernant le vote majoritaire; les données démontrent que la participation des actionnaires aux assemblées annuelles est très faible, en particulier au Canada dans les secteurs comme l’exploitation minière où il existe beaucoup de petites entreprises à actionnariat concentré. De nombreux actionnaires minoritaires ne vont pas voter à l’assemblée annuelle. Par exemple, il pourrait arriver qu’un actionnaire dissident, en désaccord avec un sous-groupe d’administrateurs, utilise le vote majoritaire pour prendre le contrôle du conseil d’administration, ce qui est incompatible avec le but du vote majoritaire. L’obtention du contrôle d’une entreprise dans une élection se fait par la communication de renseignements et la sollicitation d’opinions dissidentes, ce qui n’est pas possible avec le vote à la majorité.

M. Fortier : J’aimerais ajouter quelque chose. C’est une question dont on ne parle probablement pas assez souvent: la relation entre le conseil d’administration et les actionnaires. Il est très important que les administrateurs comprennent les points sensibles des actionnaires, faute de quoi, ils risquent de perdre leur vote. Au Canada, nous avons un bilan assez moyen en ce qui concerne nos relations avec les actionnaires, et ce, pour une foule de raisons. Les choses s’améliorent, mais une grande partie du problème réside dans le fait que les entreprises ne savent même pas qui sont leurs actionnaires. Ce n’est pas parce qu’il y a des millions d’actionnaires minoritaires, mais parce que les règles en place vous permettent de dissimuler votre position. Il y a de bonnes raisons pour cela, mais c’est la réalité. Mieux vous comprendrez pourquoi les gens détiennent vos actions, mieux l’actionnaire comprendra votre stratégie et tout le monde y trouvera son compte. Sans régler tous les problèmes, cela permettrait probablement d’en atténuer certains.

Le sénateur Tannas : Au Canada, nous sommes un peu à part, en ce sens que certaines de nos grandes sociétés ont vu le jour grâce à une émission initiale d’actions de 500 000 $, ce qui est très peu. Comme vous l’avez dit, ou c’est peut-être un autre intervenant qui a dit ça, il y a énormément de sociétés cotées en bourse qui ont des seuils de marché oscillant entre 5 et 20 millions de dollars. J’ai acquis une partie de mon expérience au sein de ces entreprises où les administrateurs sont en phase avec les actionnaires. Certains actionnaires occupent même des postes très importants. Il serait fou de vouloir leur imposer les mêmes normes que celles imposées à la Banque Royale, n’est-ce pas? C’est complètement insensé.

Le sénateur Marwah a fait remarquer hier que les sociétés à forte capitalisation réagissent assez rapidement en nommant de nouveaux administrateurs et en renouvelant la composition de leur conseil et que les sociétés à capitalisation moyenne n’ont peut-être pas encore été touchées, mais cela ne devrait tarder. Nous avons d’ailleurs constaté que des cabinets d’experts-conseils par procuration décotent les entreprises qui ne s’orientent pas dans cette voie.

Personne ne nous a encore dit que nous devrions nous préoccuper des petites entreprises évoluant dans un domaine précis, dont le conseil d’administration est souvent en phase avec l’actionnariat et où les actionnaires et les administrateurs sont les mêmes personnes; nous ne devrions pas fausser tous nos chiffres en fonction de ce groupe d’entreprises qui en sont vraiment à la phase de démarrage. Certaines d’entre elles deviendront de grandes entreprises, auront une gouvernance extraordinaire et seront capables de réfléchir à toutes ces questions, mais les petites entreprises ne pensent pas de cette manière et, à mon avis, elles ne devraient pas. Elles ne devraient pas penser à cela, mais devraient plutôt chercher à croître et à assurer leur survie. Ensuite, elles pourront réfléchir à ces grands principes. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Mme Cukier : Je travaille avec de nombreuses jeunes entreprises. J’ai été vice-présidente de la recherche et de l’innovation à l’Université Ryerson. Nous avons créé le plus important réseau de pépinières d’entreprises du pays. Je dirais que la notion de bonne gouvernance est, en fait, plus importante pour certaines de ces petites entreprises que pour les grandes banques, par exemple.

Pour revenir à votre argument, c’est également pour cette raison que la discussion que nous avons eue, et qui est largement générée par les entreprises elles-mêmes et porte sur ce dont elles ont besoin pour prospérer et appliquer des principes de bonne gouvernance, correspond tout à fait aux arguments que nous avancerions pour aider les entreprises à démarrer, à se développer rapidement et à prendre de l’expansion.

Nous constatons que le syndrome du fondateur est omniprésent. Un grand nombre d’entreprises finissent par se retrouver en mauvaise posture — je pense que le mot « incestueux » a été employé — à cause des liens incestueux au sein du conseil d’administration et parce qu’elles ne vont pas chercher des personnes ayant une vision plus globale ou une expertise plus vaste, par exemple. Je ne vois pas en quoi ce que nous avançons est en contradiction avec ce que vous dites.

Par ailleurs, les grandes entreprises réfléchissent de plus en plus à ces questions par rapport à leur chaîne d’approvisionnement. Si une de ces petites entreprises fait affaire avec de grandes entreprises, certaines grandes institutions ou certains gouvernements finiront par en tenir compte dans leur processus d’attribution de marchés.

Ces facteurs sont souvent pris en compte séparément : d’une part, les objectifs de l’entreprise et de l’autre, une diversité d’objectifs. Le sénateur Weston a bien expliqué qu’il s’agissait là de deux choses distinctes.

M. Fortier : À l’IAS, nous travaillons beaucoup avec de petites entreprises, notamment du secteur privé, et je dirais qu’il existe un véritable appétit pour la bonne gouvernance. Elles savent que leurs connaissances sont limitées et elles ont l’impression que si elles étaient mieux organisées ou se dotaient d’un meilleur système de gouvernance, elles y gagneraient un avantage concurrentiel. Nous faisons donc beaucoup d’efforts pour les aider à cet égard, surtout dans les petits marchés.

Au sujet de mes commentaires sur la présentation de renseignements relatifs à la diversité, j’ajouterais que l’objectif même de notre modèle de diversité était d’encourager ces petites entreprises à réfléchir à la diversité. Notre but n’était pas de leur dire qu’elles doivent faire ceci ou cela, mais de leur demander ce qu’elles pourraient faire et d’essayer de leur expliquer pourquoi elles auraient intérêt à le faire. Notre principale intention était de les aider à s’engager sur la voie de la diversité. Cela ressemble en fait à un argument de marketing, mais c’est vrai. Il faut sensibiliser un plus grand nombre d’entreprises à la diversité, non seulement au sein de leur conseil d’administration, mais dans les postes de direction également.

Mme Cukier : J’aimerais revenir sur ce que j’ai dit un peu plut tôt. Nous savons que les entreprises qui exportent se développent plus vite que les autres et qu’elles sont également plus importantes. Il est très difficile de se tailler une place sur les marchés internationaux si vous ne vous démarquez pas et si vous ne possédez pas une expertise très pointue. Là encore, il y a une étroite corrélation entre comprendre ces questions et réussir.

Le président : Nous allons commencer notre deuxième ronde de questions et je vous demanderais de rester concentrés sur le sujet, dans la mesure du possible.

La sénatrice Omidvar : J’ai une question à poser à M. Fortier de l’IAS. À la page 8 de votre mémoire, vous faites l’éloge de la diversité — de belles paroles —, tout en ajoutant qu’il faut faire beaucoup plus, sans toutefois dire ce qu’il faudrait faire. Selon vous, quelles mesures doivent être prises dans le cadre de la loi pour concrétiser vos belles paroles sur la diversité?

M. Fortier : Je ne dirais pas qu’il faut faire plus dans le cadre de la loi. Ce que je veux dire, c’est qu’il reste du travail collectif à faire au sein des conseils d’administration, dans les organisations et par des organisations comme la nôtre. Nous devons notamment faire profiter la société de l’impact positif de la diversité. Nous relions la diversité à l’innovation et nous sommes persuadés que l’innovation repose sur une réflexion sur la diversité. Nous avons d’ailleurs écrit sur ce sujet et j’ai suffisamment lu la question pour en être convaincu.

Est-ce que je proposerais un amendement au projet de loi? Non, je ne crois pas. Je pense que la vision du gouvernement à cet égard est juste. Ce que je propose, c’est d’appliquer le principe « se conformer ou s’expliquer ». La définition de la diversité est élargie et va plus loin que tout ce qui a été dit au cours des dernières années. Je sais que le ministre est venu témoigner et qu’il a parlé d’un échéancier de trois à cinq ans, s’il n’y a pas de progrès notable. Cet échéancier me semble bon. Cela donnerait le temps non seulement au gouvernement fédéral, mais également aux organismes de réglementation de revoir la loi et de réfléchir à d’autres solutions, si jamais ça ne fonctionne pas, et nous espérons que ce ne sera pas le cas?

La sénatrice Ringuette : Ma question s’adresse à M. Duguay. Je suis perplexe face à vos commentaires concernant l’élection à « mort subite », pour reprendre votre expression, et ce que vous avez dit sur ce président du comité d’audit du conseil d’administration. Il n’y a pas qu’un seul membre au sein du conseil d’administration. Je ne comprends pas pourquoi, si un administrateur n’est pas élu par vote majoritaire, il n’y a personne pour le remplacer au pied levé au sein du conseil durant la transition.

M. Duguay : L’exemple du comité d’audit est pertinent parce qu’un conseil d’administration est une équipe et que chacun des membres a une contribution à apporter. Comme nous l’avons dit, les sociétés se dotent de matrices de compétences qui reflètent la diversité des compétences que les membres doivent posséder collectivement. Il est fort plausible que dans un conseil de sept administrateurs, par exemple, il y ait trois administrateurs indépendants possédant une expertise financière et qu’ils soient membres du comité d’audit et que le président de ce comité soit un administrateur de longue date du conseil et qu’il soit bien apprécié. Si cet administrateur n’obtient pas la majorité des votes, vous ne trouverez peut-être pas un autre administrateur possédant le même ensemble de compétences, que nous appellerons expertise financière.

Oui, vous pouvez trouver quelqu’un pour remplacer cet administrateur, mais il n’y a pas forcément un candidat dans les coulisses prêt à le remplacer au pied levé. Nous avons dit que les conseils d’administration doivent recruter à l’avance. Cela veut dire qu’ils doivent se constituer une relève d’administrateurs qui pourront éventuellement siéger au conseil, dans un ou deux ans, lorsqu’ils se seront libérés de leurs engagements actuels. Ils auront alors plus de temps à consacrer au conseil d’administration.

En fait, nous parlons du risque posé par l’immédiateté du remplacement d’un administrateur qui n’a pas obtenu la majorité des votes, ce qui oblige le conseil à résoudre un problème à la seconde près. C’est vraiment la conséquence de ce projet de loi.

La sénatrice Ringuette : Nous avons un dicton en français.

[Français]

Le pape se remplace.

[Traduction]

Le pape se remplace.

Bien entendu, ce ne sont pas tous les actionnaires qui ont la possibilité de voter.

[Français]

M. Duguay : Le pape se remplace. Cependant, il y a un processus pour remplacer le pape qui prend quelquefois plus d’une journée.

[Traduction]

M. Fortier : Je ne m’aventurerai pas sur le sujet de la religion, mais je veux simplement vous raconter qu’à l’occasion d’un événement auquel j’ai récemment participé à Ottawa, je discutais avec le président du comité d’audit d’une entreprise de technologie à capitalisation moyenne. L’événement était organisé par le comité d’audit et mon interlocuteur m’a dit qu’il faisait partie de ce comité, mais qu’il n’était ni comptable agréé, ni membre de l’ordre des comptables professionnels agréés, qu’il avait seulement des connaissances en finance, tout comme les deux autres administrateurs. Voilà qui pourrait faire peur, étant donné qu’il s’agit d’une entreprise assez importante. Cette conversation m’a rappelé que si jamais cette personne n’obtenait pas la majorité des votes et qu’il fallait la remplacer immédiatement, l’entreprise aurait un problème, n’est-ce pas? La personne dont je parlais était un bon gars et je n’imagine que personne ne souhaite le sortir du conseil d’administration, mais il faut simplement garder à l’esprit que cela peut arriver n’importe quand. Il faut attendre quelques années avant qu’un administrateur soit vraiment « embarqué » et qu’il acquière une bonne connaissance de l’entreprise et du secteur.

Le président : Je remercie chacun de vous d’avoir apporté votre précieuse contribution aujourd’hui. Vos témoignages nous ont été très utiles. Vous avez tous des connaissances très approfondies et je pense que nous en avons profité. Merci à tous pour votre précieuse contribution.

(La séance est levée.)

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