Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 8 - Témoignages du 10 mai 2016
OTTAWA, le mardi 10 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 9 h 3, pour étudier le programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures.
Le sénateur Larry Smith (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour chers collègues et téléspectateurs. Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales.
Le mandat de notre comité est d'étudier les questions se rapportant aux budgets fédéraux en général ainsi que les affaires financières du gouvernement. Je suis Larry Smith, sénateur du Québec et je suis président du comité. Permettez-moi de vous présenter brièvement les autres membres du comité. À ma gauche, anciennement de La Presse, le sénateur André Pratte. À ma droite, de Terre-Neuve, l'ancienne vérificatrice générale, la sénatrice Beth Marshall et, de Toronto, la sénatrice Nicole Eaton.
[Français]
Et tout droit du Nouveau-Brunswick, le sénateur Percy Mockler.
[Traduction]
Nous poursuivons aujourd'hui, notre étude de la conception et de l'administration du programme de financement des infrastructures du gouvernement fédéral, un programme de plusieurs milliards de dollars. Nous avons invité des universitaires réputés dont les noms ont été proposés pendant l'élaboration de notre plan de travail pour cette étude, parce que ces témoins s'intéressent à notre sujet.
[Français]
Pour nous parler du programme de financement des infrastructures, nous sommes heureux d'accueillir trois universitaires, qui ont tous publié des articles sur le sujet. Il y a Éric Champagne, professeur agrégé en administration publique à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa.
[Traduction]
Bev Dahlby, professeur distingué de l'École de politique publique de l'Université de Calgary, et Christopher Stoney, professeur agrégé de l'École de politique et d'administration publiques de l'Université Carleton.
Bienvenue, messieurs. Je vais vous demander de présenter chacun un court exposé puis, nous passerons aux questions des sénateurs.
[Français]
Monsieur Champagne, vous avez la parole.
Éric Champagne, professeur agrégé en administration publique, École d'études politiques, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je vous remercie de l'invitation. Il est toujours intéressant pour les universitaires d'avoir l'occasion de transmettre nos connaissances et les résultats de nos recherches. Aujourd'hui, je présenterai brièvement les résultats d'une recherche que je viens de terminer. Les dernières entrevues ont été réalisées en avril. Vous êtes donc les premiers à recevoir les résultats de cette étude.
J'ai complété une recherche qualitative financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Je tiens à le préciser, car c'est le gouvernement du Canada qui finance en partie nos recherches. J'ai interviewé et visité 14 municipalités, soit 7 en Ontario et 7 au Québec. C'est plus au centre du Canada que se déroule ma recherche.
Mon étude avait pour but d'examiner l'influence des programmes fédéraux de 2007 à 2014 sur la planification financière des municipalités du point de vue de leur processus décisionnel ou de leur planification. Nous avons interviewé une quarantaine d'élus, notamment des maires, des personnes responsables des infrastructures ou des finances. Nous avons interviewé aussi, dans chacune des municipalités, un gestionnaire responsable des infrastructures ou un gestionnaire en charge des finances.
Au départ, ce qui nous a intéressés, c'était de savoir si les municipalités ont mis en œuvre des mécanismes de planification pour établir leurs priorités. Notre étude montre que les municipalités, par la force des choses, sont contraintes à utiliser des outils et des mesures de planification très perfectionnés pour leurs dépenses en infrastructure. Ce sont souvent les provinces qui l'imposent. Les municipalités, petites ou grandes, comme Montréal et Toronto, disposent de plans et d'outils pour bien connaître leurs infrastructures. Selon moi, dans ce cas-ci, il y a un principe de subsidiarité, soit de laisser les municipalités déterminer leurs priorités, ce qui devrait prédominer dans une réflexion sur les dépenses en infrastructure.
Par la suite, nous avons étudié quatre instruments de financement utilisés par le gouvernement fédéral : la taxe sur l'essence, le programme de financement partagé, aussi appelé le matching fund — mieux connu selon le concept un tiers, un tiers, un tiers —, le programme de stimulation économique dans lequel, de 2009 à 2012, on a versé des sommes importantes — et dont nous voulions connaître les impacts sur la gestion municipale —, et enfin, le fonds de partenariat public-privé, qui est moins connu, mais auquel les municipalités peuvent faire appel pour investir dans leurs infrastructures. Nous examinerons très brièvement chacun des instruments.
En ce qui concerne le fonds de la taxe sur l'essence, nous ne sommes pas surpris de constater que les municipalités apprécient beaucoup ce programme. Il comporte peu de conditions et l'enveloppe budgétaire est déterminée au prorata de la population. Les municipalités connaissent donc le montant qu'elles recevront au cours de l'année. Ce programme est d'une grande utilité pour les municipalités lorsqu'il s'agit d'établir le budget. Il leur assure une certaine autonomie, soit la possibilité d'investir selon leurs priorités. Ce programme comporte aussi un processus simple de reddition de comptes. Tous les ans, les municipalités doivent produire un rapport global sur l'utilisation de leurs fonds. Il s'agit d'un programme fiable, prévisible, durable et désormais permanent. Il est donc rassurant pour les municipalités de disposer de cette enveloppe budgétaire.
En ce qui concerne le Fonds Chantiers Canada, le programme de financement partagé — un tiers, un tiers, un tiers —, les fonds sont répartis entre le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les municipalités. Ce programme comporte de grands avantages, particulièrement pour le gouvernement fédéral. Les investissements permettent de mettre en œuvre une politique urbaine. En établissant un certain nombre de priorités à l'échelle fédérale, cela permet d'orienter les fonds vers celles-ci, notamment en matière de transport en commun et d'infrastructures vertes. En fait, cette approche permet d'appliquer une politique fédérale.
De plus, depuis le milieu des années 1990, le financement partagé a entraîné une augmentation des investissements. À l'instar des provinces, les municipalités sont prêtes à investir des fonds. Nous avons constaté une recrudescence des investissements en infrastructure, ce qui a été profitable pour le bilan du déficit en matière d'infrastructures au Canada.
En outre, selon les municipalités, la gestion de ce programme est extrêmement complexe pour plusieurs raisons. En fait, il y a deux principaux problèmes, entre autres l'imprévisibilité des fonds — une fois qu'elles ont soumis leurs propositions, les municipalités ignorent si elles recevront du financement — et la reddition de comptes, qui est très complexe. Les municipalités proposent des projets en respectant les critères déterminés par le gouvernement fédéral et les provinces. Une fois leur projet soumis, elles attendent la décision d'un comité composé de représentants du gouvernement fédéral et des provinces à savoir quels projets seront financés. Selon les municipalités, l'un des grands problèmes, c'est qu'on ne leur donne pas de compte rendu quant à la décision qui a été prise en matière de financement. Lorsqu'elles reçoivent des crédits, elles sont heureuses de pouvoir tirer parti du programme, mais lorsqu'elles ne reçoivent rien, elles ne comprennent pas pourquoi. Elles évoquent toutes sortes de raisons pour ces décisions, comme des motifs politiques, et cetera. Il y une espèce de doute qui s'installe quant aux interventions politiques.
Dans le cas des plus petites municipalités, il est encore plus difficile d'obtenir les ressources nécessaires pour préparer les dossiers. Elles font souvent appel à la sous-traitance pour préparer les dossiers, sans savoir exactement s'il y aura un retour sur l'investissement. Bref, il y a sans doute du travail à faire au chapitre de la procédure à suivre.
D'autre part, le fonds de stimulation des investissements en infrastructure a eu une incidence directe sur la création d'emplois. De toute évidence, l'investissement en faveur des infrastructures exige un nombre important d'effectifs, ce qui a un impact positif sur la création d'emplois et sur l'économie. Toutefois, ce programme n'a pas nécessairement généré des investissements stratégiques à l'échelon municipal. Les municipalités se dépêchent à préparer des projets qui sont prêts à être financés, qu'on appelle en anglais shovel-ready projects, mais elles ne sont pas toujours en mesure de concrétiser leurs initiatives prioritaires. Par exemple, si leur priorité réelle est de transformer leur système d'aqueduc, il leur est impossible de préparer tous les documents nécessaires dans un laps de temps aussi court. Donc, leur financement servira à l'aménagement d'un terrain de soccer, d'un terrain de baseball, à la rénovation d'un aréna, soit des projets qui ne sont pas nécessairement prioritaires pour elles.
Ainsi, le fait de prévoir des investissements importants ou un flux de ressources n'est pas nécessairement toujours la bonne approche. Nous avons également observé que le marché des fournisseurs de services est saturé dans certaines municipalités, ce qui fait augmenter les prix liés à l'obtention d'un même service en temps normal.
Enfin, les municipalités profitent peu du fonds des partenariats public-privé. Elles affirment ne pas savoir utiliser cet outil à bon escient et ne pas disposer de suffisamment d'information sur le fonds et sur la société d'État qui le gère, soit la PPP Canada. Elles ont donc de la difficulté à interagir avec les institutions fédérales pour toutes sortes de raisons. Entre autres, les renseignements sont insuffisants, le potentiel de l'instrument n'est pas connu à sa juste valeur, et la réputation de l'instrument n'est pas à la hauteur. Certains partenariats public-privé ont connu des échecs, et les municipalités éprouvent un peu de réticence face à cet outil, d'autant plus que son processus d'utilisation les insécurise, car l'expertise à l'échelle municipale n'est pas à niveau; leur service du contentieux n'a pas cette expertise, alors que le secteur privé a de meilleures ressources, ce qui crée une espèce d'iniquité.
La seule municipalité à avoir fait appel à PPP Canada dans notre échantillon de 14 municipalités s'est plainte de la lourdeur du processus administratif et des négociations complexes. Je crois qu'il serait impératif d'offrir davantage d'outils et d'accompagnement aux municipalités, si on veut continuer dans cette voie avec les PPP. Le débat à ce sujet est d'ailleurs souvent trop idéologique au Canada. De toute évidence, PPP Canada devra jouer un rôle d'accompagnement plus dynamique si nous décidons de continuer dans cette voie.
Je vais donc m'arrêter ici, disons, pour favoriser la discussion.
Le président : Grâce à votre excellente présentation, nous pourrons vous accorder plus de temps. Nous vous remercions, monsieur Champagne.
[Traduction]
Bev Dahlby, chercheur émérite, École de politique publique, Université de Calgary, à titre personnel : Merci pour l'invitation. C'est tout un honneur de venir vous parler.
Je ne peux m'empêcher de penser à la première fois que j'ai travaillé à Ottawa, en 1972, dans le cadre d'un emploi d'été au Bureau de la consommation. Ce pourrait être l'apogée de mon rôle de consultation auprès du gouvernement fédéral.
Je n'ai pas préparé d'observations parce que selon mon expérience de groupes de témoins et de comités comme celui- ci, vous voulez surtout tirer le meilleur parti possible de vos témoins dans un très court laps de temps. Le mieux, pour ce faire, n'est pas forcément de les laisser présenter ce qu'ils ont déjà préparé; mais plutôt de poser des questions et d'en tirer de l'information.
Vous avez reçu, dans les deux langues officielles, un exposé PowerPoint que j'ai présenté il y a un mois à Toronto. Il résume un document publié l'automne dernier sur des recherches que nous avons entreprises. On y fait une analyse de tous les programmes d'infrastructure fédéraux qui se sont déroulés de 2002 à 2015, pour lesquels il y a eu des fonds de contrepartie.
Je peux dire en deux mots que l'objet de ce document est tout d'abord de déterminer ou de décrire le rôle du gouvernement fédéral dans les versements de fonds d'infrastructure. La plus vaste partie de l'infrastructure, de fait, appartient aux gouvernements provinciaux et aux administrations municipales. Quel est donc le rôle du gouvernement fédéral dans l'offre de fonds pour l'infrastructure?
Deuxièmement, nous avons traité des retombées des bénéfices, des avantages que pouvait retirer le gouvernement fédéral de l'infrastructure, de la hausse des recettes fiscales, du déséquilibre fiscal entre les gouvernements fédéral et provinciaux, tel qu'il est, et des enjeux entourant les priorités nationales. Nous nous sommes intéressés aux formules appropriées de taux de contrepartie pour ce genre de projets. Nous avons donné l'historique de certains de ces programmes. Quelque 8 000 projets ont été financés, pour quelque 20 milliards de dollars, pendant cette période. Au bout du compte, nous avons conclu que les dispositions sur le financement de contrepartie correspondaient raisonnablement à la théorie que nous avions élaborée.
Pour terminer, nous avons traité de programmes alternatifs ou complémentaires. Peut-être que ces programmes ont financé trop de petits projets et qu'il vaudrait mieux augmenter le financement global, comme celui du Fonds de la taxe sur l'essence, du Transfert canadien en matière de programmes sociaux ou encore du Transfert canadien en matière de santé pour les remplacer.
Cela résume en gros les résultats de nos travaux. Je serai heureux maintenant d'entendre vos questions ou observations.
Christopher Stoney, professeur agrégé, École de politique et d'administration publiques, Université Carleton, à titre personnel : Bonjour et merci de m'avoir invité. C'est un honneur d'être ici et c'est formidable de pouvoir m'exprimer sur une question qui nous intéresse tous les trois.
Je vais prendre quelques minutes pour vous parler des constatations. À l'Université Carleton, nous avons des subventions pour la recherche et l'éducation. Je crois que c'est lors de la création du Fonds de la taxe sur l'essence que le Conseil de recherches en sciences humaines nous a octroyé une subvention de trois ans pour étudier la mise en œuvre de ce fonds. Un peu comme Éric, nous avons abordé la question du point de vue des municipalités. Nous sommes donc allés dans des municipalités de diverses tailles, dans cinq provinces.
À la troisième année de notre projet, la crise financière avait frappé et le projet de relance de l'économie avait été mis en place. Nous n'avions pas pour mandat d'examiner les mesures de relance, mais lorsque nous avons demandé aux municipalités ce qu'elles pensaient du Fonds de la taxe sur l'essence, elles la comparaient au fonds de relance.
Comme le disait Éric, les municipalités aiment beaucoup le Fonds de la taxe sur l'essence, surtout lorsqu'il le compare à d'autres genres de financement. Elles trouvent qu'elles ont davantage d'influence sur les priorités locales, qu'il est prévisible et durable et qu'elles peuvent vraiment compter sur cet argent.
Dans l'ensemble, les municipalités préféraient de loin le Fonds de la taxe sur l'essence aux autres formes de fonds d'infrastructure, y compris les fonds de relance. Soyons francs, il présente les mêmes problèmes qui sont généralement associés à tous les fonds d'infrastructure du gouvernement fédéral depuis un certain nombre d'années, et ce, pas seulement dans notre pays. Notre Constitution est un des facteurs qui aggravent le problème chez nous, tout comme notre géographie. Je vais vous dire quelques mots au sujet de ces inconvénients.
Je dirais que la reddition de comptes fait partie du problème. Il n'y a pas de responsabilisation si l'argent dépensé dans la localité vient d'un autre ordre de gouvernement. En matière de comptabilité, les fonds d'infrastructure qui ne viennent pas de la municipalité peuvent mener à des décisions mal avisées. Le problème vient entre autres du fait que les décideurs locaux craignent de perdre l'argent s'il n'est pas dépensé.
Le fait que le taux de participation aux élections municipales avoisine les 35 p. 100 n'aide en rien. C'est bien dommage, mais je pense que les gens s'intéresseraient plus à ces dépenses si les fonds provenaient des coffres de la municipalité. C'est clair que le transfert des fonds d'un ordre de gouvernement à l'autre complique les choses. Mais nous devons reconnaître que c'est la réalité actuelle.
La reddition de comptes aux contribuables et aux citoyens est difficile, car il y a parfois plus de 300 sources de fonds d'infrastructure si on compte les échelons provincial et fédéral. On n'a qu'à imaginer la complexité de toute cette administration.
Le contexte est également différent selon chaque municipalité. Toronto a sans doute assez de personnel pour gérer ces fonds, mais les petites municipalités ont dû embaucher de nouveaux employés pour gérer ces nouveaux fonds.
La population ne sait plus qui paie ces infrastructures. On ne sait pas qui verse les fonds et qui en est responsable à l'échelle provinciale ou municipale.
Il a également été mentionné qu'un des principaux critères pour justifier les dépenses était la création d'emplois, mais aucune mesure ne porte là-dessus. L'effet multiplicateur qui a été avancé ne repose sur aucun fondement solide. C'est une grave lacune sur le plan de l'évaluation et de l'imputabilité.
L'autre grand problème que j'aimerais soulever brièvement, c'est que ce genre de financement devient une question politique. Puisque c'est le gouvernement qui recueille les fonds, il veut bien sûr les dépenser pour des projets qui sont situés dans ses circonscriptions ou qui l'intéressent particulièrement. Par exemple, les conservateurs voulaient se retrouver sur les affiches, signer ces chèques énormes et y apposer le logo de leur parti.
Mais je pense que tous les partis politiques prennent des libertés avec l'affichage. Cela nuit à la prise de décisions et retarde les annonces. Avant d'ouvrir une infrastructure, le gouvernement attend souvent que son ministre soit libre pour une séance de photographies. C'est un autre aspect important de la question.
Le gouvernement libéral nous parle maintenant d'investissements dans l'infrastructure stratégique. Mes collègues ont déjà mentionné qu'il n'existe pas de collectivités trop petites dans le système de financement, en vertu de la taxe sur l'essence. Paul Martin avait pris la décision politique de disséminer l'argent un peu partout. Par conséquent, on pourrait financer de petits projets de 3 000 $ visant à construire une remise de jardin, mais ce n'est pas ce qu'on appelle de l'infrastructure. La population canadienne vit maintenant à 85 p. 100 dans les grandes villes. Pour améliorer la productivité et l'économie au pays, il faut cibler les grandes villes, même si cela peut déplaire à certaines personnes dans les milieux politiques.
Il y aura toujours des récessions qui exigent une relance. Pourtant, aucune priorité n'a été établie en matière d'infrastructure stratégique, comme un train à grande vitesse entre les grandes villes ou de nouveaux ports. Les décideurs se disent qu'il faut créer des emplois et répartir les fonds entre les projets prêts à être mis en œuvre. Selon moi, il s'agit d'un manque de planification à tous les ordres de gouvernement. Nous devrions miser sur une banque de projets prioritaires à financer, sans qu'on puisse forcément tout de suite les mettre en œuvre. Il s'agit à mon avis d'un autre aspect du problème.
Il faut le dire, l'application constitue toujours un problème, surtout au Québec. Le Québec n'apprécie pas qu'on lui impose des conditions. Mais, dans les autres provinces, ce serait la même chose, on nous dirait : « Merci beaucoup pour l'argent » et le gouvernement ne ferait pas forcément le suivi s'il est incapable de faire respecter toutes ses conditions.
Autre problème relatif aux petits projets : nous sommes attirés par les partenariats public-privé et voulons susciter l'intérêt des caisses de retraite. Les caisses de retraite ont besoin de grands projets. On ne suscite pas leur intérêt avec de petits projets. Elles s'intéressent aux grands projets stratégiques, ce à quoi il faut aussi penser.
Voilà selon moi les points clés. J'aimerais discuter de quelques points avec mes collègues et avec vous à savoir comment faire progresser certains de ces enjeux, et je serais ravi d'en discuter. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Stoney.
Nous avons hâte de vous entendre tous les trois. Prévoyons un peu de temps avant la fin pour entendre vos recommandations. Nous avons entendu les représentants du ministère de l'Infrastructure et voilà ce que nous avons reçu. Nous avons demandé un état des lieux depuis 2007, parce que le gouvernement conservateur, entre 2007 et aujourd'hui, a investi 33 milliards de dollars puis, 53 milliards de dollars et ensuite, 120 milliards de dollars. Nous avons posé une question simple : Où sont les projets et comment progressent-ils? Et nous avons reçu ce document.
Nous voulons créer une vigie où nous pourrions revenir sur ce qui a été fait, savoir où nous allons et comment nous allons y arriver. Toutefois, nous voulons nous assurer de comprendre les stratégies requises afin d'optimiser les ressources financières, l'effet multiplicateur et les résultats économiques, ce qui rejoint ce que vous avez tous les trois abordé jusqu'à présent. Pendant les tours de table, nous vous demanderons à tous les trois de nous donner un aperçu des principales mesures qui doivent être prises, d'après vous.
[Français]
En autres mots, il s'agirait des trois points les plus importants qui nous permettraient d'avoir du succès à l'avenir.
[Traduction]
Nous voulons nous assurer que ce que produira le comité entraînera des résultats et sera porteur de réussite. Sans être trop émotif — et pour que chacun comprenne son rôle — il s'agit d'un sujet très important pour notre pays.
Nous sommes prêts à commencer, sénatrice Marshall, vous avez la parole.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup pour vos exposés. Ils étaient très intéressants.
Ma première question est la suivante : vous avez tous examiné les investissements passés en infrastructure. Le gouvernement fédéral, dans son budget, a pris une grande décision. Le gouvernement prendra des décisions fondées sur des données probantes, en ayant recours aux conseils d'experts indépendants. Votre examen ne dresse pas un portrait très reluisant des évaluations ou de ce que nous avons fait par le passé.
Croyez-vous que ce sera un gros problème? Le gouvernement fédéral a annoncé un très grand programme d'infrastructure s'étalant sur 10 ans. Le gouvernement veut prendre des décisions fondées sur des données probantes, mais il semble que nous n'avons pas vraiment de système sur lequel nous baser. J'aimerais vous entendre tous les trois à ce sujet. Croyez-vous que nous mettons la charrue devant les bœufs? Pouvons-nous faire le rattrapage avant que les fonds ne soient débloqués.
Commençons par entendre M. Champagne. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
M. Champagne : Les choses seront différentes par rapport aux cycles d'investissement en infrastructure passés du gouvernement fédéral. On constate un virage actuellement. Auparavant, le débat portait sur le développement économique et la création d'emplois. Le principal argument avancé était que l'infrastructure est synonyme de croissance économique. Maintenant, on remarque un virage dans le débat politique; le gouvernement fédéral semble vouloir une politique urbaine.
S'ils veulent avoir une politique urbaine, ils doivent investir dans le transport en commun, le logement ou l'infrastructure verte. Ils considèrent que c'est de l'infrastructure, et c'est vrai dans un sens, mais ce n'est plus comme avant. Je pense que les choses ont changé. Qui dit cadre stratégique dit également résultats. Il faut que ces résultats soient mesurables pour que nous connaissions les fruits de ces investissements.
Je pense que les analystes politiques, ceux qui vont créer un genre de politique urbaine, ont un rôle très important à jouer. C'est toujours délicat, car les provinces veulent en garder la mainmise, plutôt que de la perdre au profit des municipalités.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement semble avoir une conception des choses, et personne ne se plaint. Le gouvernement fédéral aurait pu s'attirer de grands ennuis en investissant dans les municipalités; c'est délicat. Toutefois, depuis le milieu des années 1990, les provinces ne s'y sont pas trop opposées parce qu'elles ont besoin de l'argent, et il est important qu'elles en aient une part. Évidemment, certaines provinces comme le Québec préféreraient recevoir l'argent tout simplement : « Envoyez-nous l'argent, et nous ferons ce que nous avons besoin de faire. »
Il semble qu'il y ait maintenant un cadre stratégique. Il nous faut commencer par cela. En quoi les Canadiens seront- ils avantagés si nous créons de nouveaux systèmes de transport en commun dans les villes de taille moyenne et grande, ou si nous créons cette infrastructure verte, dans une perspective de lutte contre les changements climatiques? Ce cadre stratégique doit être accompagné d'indicateurs et de politiques fondées sur des données probantes.
Nous devons également pouvoir compter sur les municipalités pour construire cette infrastructure. Il nous faut respecter leurs capacités. Je vais y revenir plus tard.
M. Dahlby : Je suis d'accord avec ce qu'a dit le professeur Champagne.
L'évaluation de projets fondée sur les données probantes serait bien sûr idéale, mais elle est coûteuse et difficile. On dispose de peu de ressources. Autrement dit, c'est possible seulement pour les très gros projets. Cela renforce la notion selon laquelle le programme d'infrastructure du gouvernement fédéral devrait s'attacher à des projets stratégiques d'importance considérable. S'il est nécessaire de financer de l'infrastructure à plus petite échelle, cela devrait se faire par le biais de subventions globales, plutôt que par une multitude de petits projets ciblés.
Mettons de côté la question de la relance budgétaire. La période de 2008-2009 est comme le feu de forêt de Fort McMurray. Il fallait agir vite. On a peut-être commis des erreurs mais, dans l'ensemble, l'approche privilégiée était sans doute judicieuse.
Je ne pense pas qu'il soit facile de planifier des mesures de relance budgétaire ni de les évaluer. Mes recherches m'amènent à penser que, tout compte fait, c'était l'approche appropriée. Je ne suis pas sûr que passer à la vitesse supérieure maintenant soit indiqué.
La sénatrice Marshall : Monsieur Stoney, sauf erreur de ma part, vous avez écrit des articles sur la transparence et la responsabilité. Quelle est votre opinion?
M. Stoney : Je suis peut-être en désaccord avec le dernier point. J'estime qu'il est possible d'être prêt pour le moment où un plan de relance pourrait être nécessaire. Il est possible de cibler des projets clés pour remettre les gens au travail tout en stimulant la productivité. Pour cela, il faut cependant une planification à long terme, luxe rarement permis en politique.
Il est difficile de nier l'intérêt de politiques fondées sur des données probantes, mais elles nécessitent un investissement d'argent et de temps. Il y a eu des tentatives pour voir quels rapports coûts-effets produisent différents types d'infrastructure, qu'il s'agisse de communications, de transports ou d'infrastructure matérielle. J'ai récemment vu des rapports sur la question, avec des tentatives de quantification. J'ignore jusqu'à quel point ils sont fondés et fiables. Ils proviennent de différents centres d'études et de recherche, la plupart du temps.
On serait porté à penser qu'Infrastructure Canada voudrait adopter une stratégie à long terme et examiner ce qui se fait à l'échelle internationale et les données disponibles. Le ministère le fait peut-être déjà, mais cette planification s'inscrit certainement dans la diligence raisonnable qu'il faut pour trouver l'infrastructure stratégique, quelle qu'en soit la définition.
La sénatrice Marshall : Par expérience, je dirais que les gouvernements s'intéressent plus aux intrants qu'aux extrants. C'est un programme très vaste et coûteux qui s'échelonnera sur 10 ans. Je doute que le gouvernement ait mis en place le système nécessaire pour colliger des renseignements qui me paraissent assez pertinents. J'espère qu'il pourra en mettre un en place avant 10 ans.
Merci.
La sénatrice Eaton : J'habite le centre-ville de Toronto, où la plupart des rues sont en piètre état et les trottoirs sont crevassés. Le transport en commun n'est pas aussi bon qu'à Montréal, en raison du bras de fer auquel se livrent les trois ordres de gouvernement. Pourquoi les trois ordres de gouvernement doivent-ils participer au processus? Le Grand Toronto compte 6 millions de résidants. La province de l'Ontario, 8 ou 9 millions. La gouvernance de Toronto pourrait être remise en question, tout comme le fait qu'il n'y a pas de système de parti et que le maire a un vote. Pourquoi les priorités de la ville ne sont-elles pas examinées en premier? Pourquoi Toronto ne peut-elle pas établir ses priorités et indiquer quels sont les fonds fédéraux dont elle a besoin, par exemple pour construire huit kilomètres de métro au cours des 10 prochaines années?
Je peux me tromper, mais selon moi, les querelles internes à Toronto n'augurent rien de bon. Le gouvernement provincial ne fait rien de plus que de surveiller attentivement la situation, tandis que le fédéral promet d'accorder un peu d'argent s'il approuve les plans. Ne serait-il pas plus simple que le gouvernement fédéral prévoie une enveloppe qui servirait à répondre aux priorités de la ville chaque année, comme le transport ou le logement? Il me semble bien que l'approche est descendante, mais pourquoi n'est-elle pas ascendante? Pourquoi la province a-t-elle voix au chapitre?
M. Champagne : Merci de la question, madame la sénatrice.
Vous avez tout à fait raison. Nous employons un système complexe dans lequel les municipalités sont perçues comme inférieures et les provinces et le fédéral savent ce qu'il y a de mieux pour elles. Nous devrions repenser et changer cette culture.
Nous avons parlé des investissements stratégiques. De Toronto à Sudbury, ce sont les municipalités qui sont les mieux placées pour connaître leurs besoins et choisir leurs investissements stratégiques. Nous devons trouver un système dans lequel les municipalités peuvent mener la prise de décisions, mais c'est plus facile à dire qu'à faire.
Pourquoi les municipalités ne sont-elles pas toutes indépendantes et pourquoi sont-elles tributaires des gouvernements provincial et fédéral pour l'infrastructure? En 2016, elles s'occupent bien de la prestation des services locaux, comme la police et les rues locales, mais leur assiette fiscale n'est pas suffisante pour réaliser des investissements massifs. Leur assiette fiscale, dont l'impôt foncier qui représente plus de 50 p. 100 de leur budget, ne peut pas assurer la croissance économique comme l'impôt sur le revenu ou la taxe à la consommation. Les municipalités attendent passivement l'aide des gouvernements fédéral et provincial pour investir.
La sénatrice Eaton : Je comprends, mais pourquoi n'en venons-nous pas à un système qui permettrait aux villes comme Montréal ou Calgary de recevoir les fonds nécessaires en indiquant simplement quelles sont leurs priorités pour une année donnée ou pour les trois prochains exercices? Le gouvernement fédéral ne procède pas de cette façon. Ce n'est pas une question d'affiliation libérale ou conservatrice ni de promesses électorales. Pourquoi serait-ce le fédéral qui déciderait que les municipalités vont investir dans les questions sociales?
Par exemple, lors de notre dernière réunion, nous avons entendu des témoins qui ont dit que le gouvernement libéral avait présenté une plateforme électorale d'infrastructure sociale et portant aussi sur des centres de formation en petite enfance. Incombe-t-il vraiment au gouvernement fédéral de prendre des décisions à cet égard ou s'agit-il d'une priorité municipale?
Je comprends que les municipalités manquent de moyens financiers, mais n'est-ce pas l'inverse qui devrait se passer? Le gouvernement fédéral, peu importe le parti, devrait-il vraiment décider qu'il va faire telle ou telle chose dans telle province et lui transmettre les fonds?
M. Champagne : Cela fait partie de la complexité de notre système fédéral, de sorte que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux luttent un peu les uns contre les autres pour imposer leur volonté dans les affaires municipales. Je pense qu'il doit y avoir un changement de culture. Les maires des grandes villes travaillent fort pour amener ce changement afin d'être plus respectés dans les relations intergouvernementales, c'est ce qu'ils tentent de faire. Mais il faut un changement politique.
Je vais laisser mon collègue vous donner des détails.
M. Dahlby : Je ne veux pas parler des décisions de Toronto, mais il incombe au gouvernement fédéral de faire ce genre de travail et de mettre sur pied du financement et des programmes en matière d'infrastructure.
La sénatrice Eaton : Ou de décider des priorités en matière d'infrastructure.
M. Dahlby : Oui.
Il faut déterminer si les priorités locales sont vraiment dans l'intérêt national. Y a-t-il des projets qui ne seraient pas prioritaires à l'échelle locale mais qui auraient tout de même des retombées positives et des avantages pour les personnes vivant à l'extérieur de la municipalité et dans les régions avoisinantes ou bien à l'échelle de la province ou de celle du gouvernement fédéral? Je pense que c'est là où les intérêts provinciaux et fédéraux entrent en ligne de compte dans la prise de décisions locales. Je pense qu'il faut essayer de favoriser les projets ou les activités qui généreront des retombées lorsque les décisions locales ne permettront pas d'optimiser les investissements. Bien sûr, le gouvernement fédéral et les ordres supérieurs de gouvernement — il en est ainsi pour les provinces — devraient être plutôt conservateurs à cet égard et ne pas établir leurs propres priorités qui n'auraient rien à voir avec ce type de retombées économiques.
La capacité financière des municipalités varie grandement d'une province à l'autre et même à l'intérieur d'une province. Je ne peux parler que pour ma propre province, l'Alberta. D'après nos recherches, les grandes villes ont une grande capacité financière puisqu'elles peuvent augmenter l'impôt foncier et emprunter pour financer l'infrastructure. Néanmoins, nos travaux indiquent qu'il y a un déséquilibre financier entre le fédéral, les provinces et les municipalités, ce qui justifie la participation financière du gouvernement fédéral.
Le gouvernement fédéral a intérêt à promouvoir des projets qui rehaussent la productivité, comme le transport en commun à Toronto, de manière à réduire la congestion et à améliorer la productivité, ce qui fait augmenter les revenus et les recettes fiscales du fédéral. Ainsi, les décisions locales sont avantageuses pour le gouvernement fédéral, et les retombées doivent être prises en compte au moment de prendre des décisions, mais pas nécessairement par l'administration locale.
M. Stoney : Je comprends cette frustration : si nous rédigions une constitution aujourd'hui, elle serait très différente de celle que nous avons, malheureusement, étant donné que nous sommes maintenant un pays très urbanisé. Je pense que nous avons créé une culture de dépendance dans laquelle les conseillers municipaux ont une plus grande marge de manœuvre financière, mais ils préfèrent recevoir de l'argent gratuitement d'ailleurs parce que c'est politiquement plus facile.
Nous l'oublions, mais avant, les municipalités avaient le droit d'imposer les revenus. Ce pouvoir a été transféré au gouvernement fédéral pour soutenir l'effort de guerre mais, curieusement, il a oublié de le rendre. Cela plaisait au gouvernement fédéral. Franchement, quel politicien céderait de bon cœur l'argent, le pouvoir et l'influence? Je n'en connais aucun. Ils aiment se voir sur les panneaux, les autocollants — appelez-les comme vous voudrez — ils aiment les annonces. Je vous comprends très bien lorsque vous dites que les priorités devraient être établies au niveau local, mais je comprends également pourquoi ceux qui dépensent cet argent veulent y attacher certaines conditions pour justifier la façon dont les fonds sont dépensés et pour en obtenir leur part du mérite.
Je suppose que ce n'est pas satisfaisant, mais je pense que c'est inévitable avec ce modèle de financement. Ceux qui paient voudront toujours imposer des conditions. Pour en revenir à ce que vous disiez, cela fausse effectivement les priorités et le processus décisionnel locaux.
La sénatrice Eaton : Pour terminer, je pense que vous auriez votre part de crédit si vous me disiez que votre priorité, c'est le transport en commun, et que je vous disais : « Très bien, monsieur le professeur, c'est 6 milliards de dollars pour les quatre prochaines années ». Je peux me tenir près de vous sur l'estrade et faire prendre ma photo parce que c'est moi qui fournis l'argent, mais ça reste votre priorité. Je ne vous impose pas les miennes.
M. Stoney : Mais disons qu'il s'agit de construire une patinoire de hockey, par exemple, plutôt que d'améliorer le transport en commun. Mettons que c'est un casino dans lequel quelqu'un veut investir de l'argent. Dans ces cas-là, le gouvernement fédéral a plus de difficulté à justifier sa participation.
La sénatrice Eaton : Oui, les conseillers municipaux ont des comptes à rendre aux électeurs. Je peux toujours dire, en tant que représentante du gouvernement fédéral : « C'est formidable, j'ai trouvé de l'argent pour votre casino, mais moi je veux investir ailleurs. Ce n'est pas un impératif fédéral et il n'y aura pas de retombées nationales ».
Le sénateur Pratte : J'ai deux choses à dire.
Premièrement, au sujet de l'infrastructure nationale stratégique, monsieur Stoney, vous avez dit — et j'ai été ravi de l'entendre — que le gouvernement fédéral devrait avoir une liste ou une banque de projets stratégiques. Je crois fermement que le gouvernement fédéral devrait se limiter aux projets d'infrastructure stratégique qui revêtent une importance nationale plutôt que de semer de l'argent ici et là pour des petits projets.
Quelle proportion du financement d'un grand programme national pluriannuel devrait être réservée pour ce genre de projets d'infrastructure? De l'argent qui reste — puisqu'Ottawa a une vaste capacité financière et peut emprunter à des taux très faibles comparativement aux administrations municipales — quelle part devrait être réservée? Je ne vous demande pas un pourcentage précis. Le reste de l'argent pourrait être utilisé pour d'autres programmes de transfert. Avez-vous une idée de la part qui devrait être réservée?
M. Stoney : La totalité.
Je le répète, nous essayons de trouver le juste équilibre entre la productivité et l'optimisation des ressources, d'une part, et la redistribution équitable et, dans une certaine mesure, la création d'emplois, d'autre part. Au Canada, nous allons toujours semer un peu d'argent ici et là dans les régions car je pense qu'il y aurait un véritable tollé de protestations si on se rendait compte que le gros de l'argent allait à Toronto, Montréal ou peut-être Vancouver. Je pense simplement que dans la mesure du possible, l'argent devrait être réservé à ces grands projets.
Cela peut également se faire sur une base régionale. Chaque région a un besoin, que ce soit le pont de la Confédération ou un TGV entre Ottawa et Montréal. Ces projets interprovinciaux permettent de mieux distribuer l'argent. Ce n'est pas nécessaire d'ouvrir les valves jusque dans les plus petits endroits. Je pense qu'il faudra un changement de mentalité mais, dans la mesure du possible, d'un point de vue économique, je pense que l'argent devrait être investi dans les grands projets stratégiques.
M. Dalhby : Pour n'importe quel programme, les priorités devraient probablement être des projets qui ont des retombées provinciales qui débordent les limites des provinces pour fournir des avantages nationaux.
D'autre part, je crois toujours que les grands programmes de transport en commun dans certaines villes comme Montréal, Toronto, Vancouver ou Calgary sont avantageux pour l'ensemble du pays. Ces villes sont les centres de productivité des affaires et c'est là que les gens vivent. Le gouvernement fédéral bénéficie de la productivité accrue dans ces régions, de sorte qu'ils sont également stratégiques d'un certain point de vue, mais peut-être de manière secondaire.
Mais il ne faut pas oublier les petits projets non plus. Il faut financer, ou nous pouvons financer, les projets d'eau potable et de traitement des eaux usées à l'échelle du pays. Je le répète, les priorités locales ne recevraient peut-être pas autant d'attention si le gouvernement fédéral n'encourageait pas l'investissement dans ces projets.
[Français]
M. Champagne : Sénateur Pratte, j'aimerais préciser que je crois que, pour des raisons de déséquilibre fiscal, il ne faut pas oublier les transferts fédéraux. Il ne faut pas oublier non plus le rôle qui doit être joué. Donc, je crois que les transferts doivent toucher toutes les municipalités, pour des raisons de déséquilibre fiscal.
Cela dit, dans le cadre des investissements stratégiques, je suis d'accord avec vous que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle dans les grands centres pour avoir un impact, à condition, bien sûr, de conserver l'aspect stratégique comme objectif avant tout, et ce, dans toutes les municipalités. Il faut donc une mesure qui soit davantage axée sur un modèle ascendant. Qu'il s'agisse d'une ville moyenne ou d'une grande ville, cela aura un effet sur le Canada dans l'ensemble du territoire. Dans la mesure où nous pouvons être mieux préparés pour la prochaine crise économique — car le phénomène est cyclique et il est fort probable qu'il se produise à nouveau — et éviter de distribuer des fonds un peu partout sans prévoir une approche plus stratégique, nous devrions envisager cette optique comme une conjoncture heureuse. Le fait de disposer de 120 milliards de dollars en investissements doit être considéré comme une occasion de transformation. Il faut que ce soit transformateur pour notre économie, et nous devons donc être stratégiques.
Le gouvernement fédéral doit avoir une vision des choses qu'il veut transformer au Canada. Les municipalités, pour leur part, doivent avoir des axes stratégiques pour déterminer la façon dont elles contribueront et dans quelle voie elles veulent aller. À partir de là, les gouvernements de niveaux supérieurs, comme on les appelle, soit les provinces et le gouvernement fédéral, devraient se préoccuper davantage de la stratégie régionale et municipale de ces centres.
Nous sommes donc d'accord sur la stratégie. Toutefois, il ne faudrait pas oublier, pour des raisons de déséquilibre fiscal, de veiller à ce que les municipalités aient accès à des fonds pour financer leurs infrastructures de base, ce qui a été négligé depuis très longtemps. C'est peut-être une coïncidence, mais on a vu, avec les programmes fédéraux, des investissements importants en faveur des infrastructures depuis le milieu des années 1990.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, certains d'entre vous ont eu l'occasion d'examiner le document du professeur Dahlby, Trouver le juste équilibre. Les pages 17 et 18 démontrent l'attribution des fonds, le nombre de projets et les taux d'appariement par catégorie d'infrastructure. C'est très intéressant de voir les divers taux d'appariement et le nombre de projets. Si vous n'avez pas encore eu l'occasion de le lire, c'est une lecture fascinante.
Monsieur le professeur, vous avez fait un excellent travail en préparant ce document. Combien de temps cela vous a- t-il pris?
M. Dahlby : Pas très longtemps, parce que j'avais une excellente adjointe de recherche, une de nos étudiantes à la maîtrise en politique publique, qui a travaillé très fort pour avoir accès à ces données. Elle a maintenant un emploi au gouvernement de l'Ontario, pour l'aider avec le financement des projets municipaux.
Le président : Passons au sénateur Mockler.
[Français]
Le sénateur Mockler : J'ai écouté attentivement les commentaires et, monsieur Champagne, je ferai la remarque suivante, mais ma question s'adresse à tous les témoins.
Au Canada, on nous dit, et cet énoncé a été répété ce matin, que 85 p. 100 de la population habite dans les grands centres urbains. Toutefois, il y a une réalité canadienne, et c'est celle des régions rurales. On ne peut pas fermer tous les petits villages et les petites municipalités et dire qu'on prendra l'avion pour atterrir dans les grands centres. Vous avez certainement pris connaissance de deux ouvrages volumineux du Dr Donald Savoie, dont l'un s'intitule Governing from the Center, et l'autre, What is Government Good At? Je crois que, dans l'esprit de ce que le président est en train d'élaborer, on peut se demander quelle sera la prochaine étape. En parlant de la prochaine étape, on peut faire allusion à ce qui suit.
[Traduction]
Est-ce que les fonds devraient être accessibles partout au Canada? Est-ce qu'ils devraient être attribués dans le cadre d'un programme X, pelle en main ou pas? Devraient-ils être attribués selon les besoins ou seulement selon le pourcentage de la population?
Vous avez l'expérience et vous avez fait l'analyse. Si vous aviez cinq minutes avec le premier ministre du Canada et son cabinet pour leur expliquer exactement comment ils devraient répondre aux besoins de tous les Canadiens, que leur diriez-vous?
[Français]
Le président : Monsieur Champagne, désirez-vous commencer?
M. Champagne : Merci de votre question. Si j'avais M. Trudeau en face de moi, je lui dirais la chose suivante. On pourrait peut-être songer à augmenter les sommes accordées aux municipalités dans le cadre des transferts, en leur imposant moins de conditions, comme la taxe sur l'essence, par exemple. On pourrait accroître ce transfert, car il est basé sur le nombre de personnes. Il donne donc l'impression aux municipalités qu'il y a une certaine équité. En fait, ce n'est pas la façon la plus progressive de transférer de l'argent. Toutefois, elle leur donne une espèce d'étalon de mesures selon lequel le transfert a été prévu de façon équitable, et cela leur permet surtout de planifier.
Comme l'a dit Mme la sénatrice un peu plus tôt, lorsqu'il s'agit de respecter le champ de compétences des municipalités, car elles connaissent mieux leurs besoins que le gouvernement fédéral ou provincial, c'est un bon moyen de leur donner cette responsabilité. D'ailleurs, je prévoirais une somme assez constante pour la raison du déséquilibre fiscal.
Ces fonds ont amené les municipalités à investir davantage. Parfois, elles les utilisent pour appuyer leur capacité d'emprunt, mais, en général, elles s'en servent dans le cadre de leurs priorités, ce qui réduit le nombre de conditions auxquelles elles doivent répondre.
Les seuls cas au sein du gouvernement fédéral où on devrait consentir des sommes pour des projets spécifiques, peut- être sous la forme de financement partagé, ce sont dans les domaines qui relèvent davantage de compétence fédérale, qui sont dotés d'une stratégie ou d'une vision nationale afin que ces fonds puissent jouer un rôle transformateur pour l'économie ou la société, par exemple dans le cadre de grands projets liés au transport en commun. Il pourrait s'agir aussi de projets de transformation économique.
Après la crise économique, bien des régions se sont rendu compte qu'elles étaient trop dépendantes d'une certaine économie. Donc, il y a peut-être lieu de favoriser des transformations au chapitre de l'économie. Est-ce que des infrastructures seraient nécessaires pour leur permettre d'entamer une transition économique? Le gouvernement fédéral aurait peut-être un coup de pouce à leur donner à ce chapitre, et dans le cadre de ses propres stratégies. Par exemple, les changements climatiques touchent tout le Canada. J'imagine que nous avons une vision du travail à faire dans ce domaine, donc un cadre de politiques publiques qui est assumé et mené par le gouvernement fédéral. Il y a des champs de compétence au sein desquels le gouvernement fédéral est responsable d'orienter les investissements provenant des autres ordres de gouvernement. Cependant, ils doivent être bien définis, et ils ne l'étaient pas auparavant. Peut-être que, grâce aux orientations plus stratégiques qui ont été énoncées dans le dernier budget — même si les politiques ne sont pas encore bien campées —, il y aura une orientation plus stratégique en matière d'investissements.
[Traduction]
M. Dahlby : Étant donné le titre de notre document, Trouver le juste équilibre, je dirais qu'il faut faire les deux. Pour trouver le bon équilibre, il faut trouver l'équilibre entre les transferts en bloc, comme le Fonds de la taxe sur l'essence. On pourrait songer à une expansion du Transfert canadien en matière de programmes sociaux et du Transfert canadien en matière de santé, que je perçois comme des transferts en bloc pour appuyer les gouvernements provinciaux et, par extension, les administrations municipales, et pour réduire le déséquilibre fiscal vertical entre la capacité de percevoir des recettes entre les paliers municipaux provinciaux et fédéraux. Sinon, beaucoup de plus petits projets ne seraient pas financés comme ils le devraient si le gouvernement fédéral ne s'occupait pas directement d'une grande partie des coûts administratifs et si les programmes avec des taux d'appariement ne se poursuivaient pas avec des divers taux, qui dépendraient en partie du degré de retombée — les avantages financiers pour le gouvernement fédéral et le reste. Notre analyse indique que les taux d'appariement des programmes existants à partir de 2002 correspondaient en général à ce qu'une bonne théorie économique aurait prédit.
Je crois que la base est là. Évidemment, il y a toujours place à l'amélioration, mais je suis résolument en faveur des deux. Je crois qu'il faut essayer de trouver le juste équilibre.
M. Stoney : Il ne faut pas oublier qu'on a tendance à examiner les enjeux régionaux et provinciaux comme étant des questions internes. C'est un cliché, mais c'est quand même vrai de dire qu'ils sont en concurrence à l'échelle internationale.
Je reviens de Hong Kong et de Singapour; il est toujours intéressant de voir comment fonctionnent d'autres villes de classe mondiale. Ensuite, on revient à Ottawa et on se rend compte qu'on n'a même pas de train vers l'aéroport. C'est frappant de voir à quel point beaucoup de nos grandes villes manquent de vision.
J'ai examiné le modèle de Copenhague il y a deux ans, et j'ai constaté que 60 p. 100 des impôts perçus dans le pays sont perçus par la ville de Copenhague, et les gouvernements régionaux et national se battent pour le 40 p. 100 qui reste. Quand on pense que Toronto reçoit environ 7 ou 8 p. 100 — c'est dans ces eaux-là — on est tellement en retard par rapport aux infrastructures stratégiques que l'on pourrait créer dans nos villes.
Que cela nous plaise ou non, je pense que c'est une réalité que les grandes villes sont les vaches à lait de ce pays. Ce sont elles qui doivent se faire concurrence pour attirer les entreprises, les créateurs et les investissements bancaires. Ces gens s'attendent à ce que l'infrastructure soit en place; sinon, ils ne viendront pas.
J'ai une préoccupation à ce sujet. Nous mettons en place des structures de gouvernance pour les villes, surtout en Ontario après les fusions forcées, où on gouverne à partir de la périphérie. Pour modifier ce que Savoie a dit, nos villes sont maintenant dirigées par d'anciens conseillers de banlieue. Que ce soit dans la ceinture où Rob Ford était particulièrement populaire, ou à Ottawa où je crois que 9 conseillers viennent de la ville et 23, ou le reste, viennent de la banlieue, ils sont généralement contre le fait d'investir dans l'infrastructure stratégique. C'est un autre problème que le gouvernement fédéral pourrait, actuellement, essayer de régler.
En bref, voici ce qu'on en pense : si on ne profite pas des vaches à lait — les villes — il n'y aura plus d'argent à redistribuer aux petites régions ou aux secteurs ruraux du pays. Il ne faut certainement pas confondre les objectifs et se servir des infrastructures pour redistribuer la richesse. S'il faut injecter de l'argent dans les régions rurales, que ce soit pour l'aide sociale ou pour investir dans des projets en démarrage, soit pour du développement économique, c'est bien, mais il ne faut pas s'illusionner et croire qu'on peut y arriver avec un programme d'infrastructure qui ne servira qu'à construire des remises de jardin. Je pense que c'est vraiment un fiasco. C'est ce que j'en pense.
[Français]
Le sénateur Mockler : L'argument peut être défendu facilement, compte tenu de l'interdépendance rurale-urbaine.
[Traduction]
Les citadins ont besoin de se nourrir. Qui produit la nourriture? Il faut aussi des infrastructures en régions rurales, pour mettre de la nourriture sur la table. Autrement, où ira-t-on chercher la nourriture?
L'équilibre est un facteur nécessaire. Chez les politiciens, chez les politiciennes qui se font élire il y a certes de la politique, mais au bout du compte, qui prend les vraies décisions? Ce sont les électeurs.
Comment le gouvernement fédéral peut-il veiller à ce que les provinces respectent les priorités municipales quand elles font des choix en matière d'infrastructure? Vous pouvez nous dire, à partir des résultats que vous avez constatés, comment on peut améliorer les choses.
[Français]
M. Champagne : J'apprécie votre référence à l'interdépendance rurale-urbaine. Je crois qu'il faut occuper notre territoire.
Le sénateur Mockler : Absolument.
M. Champagne : Dans les zones rurales, le déficit en matière d'infrastructures est aussi important, toutes proportions gardées, que dans les grands centres. Il faut garder en tête cet état de fait. J'ai mentionné quatre instruments un peu plus tôt, et le seul instrument qui garantit un minimum... Je dis bien un minimum, puisque ce n'est pas parfait, parce que ce sont toujours les négociations entre le gouvernement fédéral et les provinces qui, au bout du compte, imposent des conditions aux municipalités. Souvent, les provinces en rajoutent un peu.
À la base, en ce qui a trait aux critères d'investissement du gouvernement fédéral, les programmes sont assez larges; il s'agit d'infrastructures de base, soit les aqueducs, les égouts, les routes et les infrastructures à usage récréatif. C'est donc assez large. Par la suite, on négocie avec les provinces, et certaines conditions sont ajoutées en fonction de leurs priorités. Le seul véhicule dans tout cela qui permet aux villes d'avoir un minimum d'autonomie, c'est la taxe sur l'essence. Il faut donc s'assurer d'être en mesure de faire face aux déficits en matière d'infrastructures.
Je tiens à mentionner ceci : l'impact le plus important des programmes d'infrastructure fédéraux depuis le milieu des années 1990 a eu pour effet d'augmenter les investissements en faveur de l'infrastructure. Le déficit en matière d'infrastructures était vraiment important, et on se retrouvait à la croisée des chemins. À l'heure actuelle, nous avons commencé à reprendre le dessus, mais des investissements supplémentaires seront nécessaires, car il reste encore beaucoup de travail à accomplir. En outre, la contribution du gouvernement fédéral a provoqué un effet d'entraînement et d'autres intervenants ont mis l'épaule à la roue. Cela a éveillé les consciences sur cet enjeu très important.
Maintenant, afin de nous assurer que les zones rurales comme les zones urbaines reçoivent un minimum de fonds, il nous faut une base fiscale, comme la taxe sur l'essence, comme on l'appelle, cet instrument qui permet d'assurer le minimum. Ne pourrions-nous pas l'augmenter pour les projets à plus petite échelle? M. Dahlby a mentionné qu'on pourrait alléger un peu les conditions à respecter lorsqu'il s'agit de projets de moins grande envergure. Évidemment, la condition d'investir dans les infrastructures est fondamentale, mais on pourrait peut-être alléger la démarche en ce qui a trait à d'autres conditions. Cela permettrait alors aux municipalités de déterminer leurs propres priorités. Je crois que cela pourrait être intéressant.
Pour les autres, soyons stratégiques. En ce qui concerne les financements partagés, quelle serait la vision du Canada par rapport aux changements à venir? Peut-être qu'à ce moment-là, il pourrait y avoir un cadre de politiques publiques plus élaboré.
[Traduction]
M. Dahlby : Les distinctions entre les secteurs ruraux et urbains sont bien entendu très importantes. Les subventions de contrepartie conditionnelles sont justifiées, notamment parce que beaucoup de gens qui vivent dans les régions rurales — et je pense seulement à l'Alberta — profitent des infrastructures urbaines comme les parcs, les installations récréatives et les transports. L'inverse est aussi vrai, et les citadins profitent aussi des infrastructures rurales.
Pour ce qui est de la dépendance des municipalités envers la province, c'est une question très importante. Encore une fois, je parle surtout du contexte albertain, mais ce doit être semblable dans les autres provinces. De plus en plus, l'assiette fiscale foncière est partagée par les gouvernements provinciaux et municipaux. Ainsi, en Alberta, environ le quart de ma facture de taxes foncières est consacré à une taxe sur la propriété provinciale pour l'éducation. L'argent n'est pas directement consacré à l'éducation mais plutôt au trésor de la province.
L'année passée, le gouvernement provincial a bonifié sa part de la taxe foncière provinciale, ce qui réduira la capacité des gouvernements municipaux de rehausser leurs recettes découlant des taxes foncières. Si le gouvernement provincial cédait une partie de cet espace fiscal et laissait les municipalités taxer davantage la propriété, au lieu de leur transférer des fonds pour financer les infrastructures et autres choses, on aurait une plus grande transparence, et les électeurs auraient une meilleure idée de ce pourquoi ils payent et de qui profite de ces taxes. Actuellement, la plupart de ceux qui payent une taxe sur la propriété sont confus, à ce sujet. Les administrations municipales auraient aussi davantage de marge de manœuvre. Les provinces pourraient ainsi améliorer la capacité des municipalités, du moins certainement celle des grandes villes, de financer les infrastructures, en laissant une plus grande part de l'assiette fiscale foncière aux administrations municipales.
M. Stoney : Mes deux collègues ont donné de bonnes réponses à ces questions clés. Il est préférable de ne pas imposer un trop grand nombre de conditions.
Il y a une chose à laquelle il faut réfléchir soigneusement. On ne peut pas être contre les infrastructures vertes, mais lorsque se présentent des besoins fondamentaux, comme la réparation des nids de poule, c'est un peu un luxe. Je ne voudrais pas qu'on se limite à mettre des infrastructures vertes un peu partout. Cela ne comble pas vraiment les lacunes de nos infrastructures, qui sont trop grandes.
Deuxièmement, la taxe sur l'essence avait notamment une grande innovation qui a très bien fonctionné. Je ne sais pas si vous avez constaté la même chose, Éric. Les municipalités pouvaient accumuler les fonds. C'est très important. Si je ne m'abuse, c'était jusqu'à cinq ans. Elles pouvaient donc ne pas dépenser chaque année ces recettes et au lieu de cela, les mettre de côté pour construire quelque chose quatre ou cinq ans plus tard. L'argent était réservé pour une dépense ultérieure, en temps opportun. L'argent était donc dépensé plus stratégiquement, au lieu d'être dépensé chaque année parce qu'il le fallait si on ne voulait pas le perdre. La conditionnalité et la possibilité de réserver les fonds sont très importantes.
M. Champagne : Pour le train léger, je pense qu'Ottawa met de l'argent de côté pour investir de manière stratégique.
Le sénateur Mockler : Il y a des freins et contrepoids et le vérificateur général en a souligné quelques-uns. Nous constatons souvent que les ministères ne respectent pas les normes qu'ils ont eux-mêmes fixées. Cela a un effet sur les mouvements de trésorerie, quand les fonds sont libérés et administrés et qu'il faut voir qui s'en attribue le mérite.
Il y a cinq régions, l'Atlantique, le Québec, l'Ontario, l'ouest du Canada et la Colombie-Britannique. Combien des régions que vous avez étudiées comptaient moins de 250 000 habitants? Quelle était la répartition en pourcentage entre les régions rurales et urbaines? On ne plante pas des pommes de terre à Winnipeg.
M. Dahlby : Nous n'avons pas calculé la répartition entre les secteurs ruraux et urbains. Je ne peux pas vous répondre.
Au total, environ la moitié des projets avait une valeur inférieure à un million de dollars. Bon nombre avaient une valeur inférieure à 100 000 $. Beaucoup de ceux-là étaient destinés à des petites localités, mais je ne peux pas vous donner une réponse plus détaillée.
M. Champagne : Je ne dispose d'aucune donnée sur lesquelles appuyer une réponse.
M. Stoney : Je suis désolé, c'est la même chose pour moi. L'étude sur la taxe sur l'essence remonte à quelques années, toutefois nous voulions étudier tout l'éventail, des grandes villes aux petites localités. Il faudrait que je reconsulte les données.
Le sénateur Mockler : Monsieur le président, si les témoins ne disposent pas des renseignements ce matin, pourraient-ils nous les envoyer?
Le président : Croyez-vous avoir accès à ces renseignements?
M. Dahlby : Nous avons accès à la base de données et aux fichiers d'Infrastructure Canada, nous pourrions cerner les écarts entre les milieux urbains et ruraux.
Quel serait votre seuil pour définir les zones rurales? Cette question pose parfois problème.
Le président : Que proposez-vous?
M. Dahlby : J'ai grandi sur une ferme près de Star City, en Saskatchewan, et ma famille vit à Star City. Cinq cents habitants, est-ce une zone rurale ou urbaine?
Le président : Sénateur, que proposez-vous aux professeurs, si nous avons besoin d'une réponse?
Le sénateur Mockler : Je prends l'exemple de ma région — l'Atlantique. La Fédération canadienne des municipalités s'est réunie, mais aucun maire de l'Atlantique n'y était présent parce que les villes de cette région ne comptent pas 500 000 habitants ou plus. Le seul maire invité était celui de Halifax. Bien sûr, il y a St. John's, à Terre-Neuve; Saint John, au Nouveau-Brunswick; et Charlottetown. L'infrastructure est aussi importante pour ces villes qu'elle l'est pour le centre-ville de Vancouver.
Le président : Professeurs, quelle serait une réponse sensée?
M. Dahlby : Peut-être qu'il n'est pas nécessaire d'établir un seuil précis. Peut-être que nous pourrions ventiler les résultats selon la population — le nombre de projets d'investissement dans les villes de 500 000 à un million d'habitants, jusqu'aux villes comptant moins de 5 000 habitants.
Il y a une municipalité en Alberta qui compte 100 habitants et aucun centre urbain. La fourchette est grande.
Le sénateur Mockler : Cent mille.
M. Dahlby : Moins de 100 000?
Le président : Professeur, est-ce réalisable?
M. Dahlby : Je devrai vérifier. Mon assistante occupe un emploi bien rémunéré au gouvernement de l'Ontario, mais nous avons une cohorte d'excellents étudiants à l'Université de Calgary.
Le président : Pourrions-nous obtenir un document d'ici deux à quatre semaines?
M. Dahlby : Je vérifierai la faisabilité et vous le confirmerai.
Le président : Notre greffière assurera un suivi. Il est important que nous obtenions ces renseignements parce qu'ils formeront la base de notre projet.
M. Dahlby : Les données porteront sur les programmes énumérés dans la feuille de calcul. Elles n'incluront pas les données de la taxe sur l'essence. Je laisserai le soin à mes collègues de déterminer les paramètres.
Le président : M. Champagne est en faveur de la taxe sur l'essence. Il s'agissait d'une des plus importantes recommandations pour la réattribution de fonds aux municipalités, surtout pour les petites localités.
[Français]
Monsieur Champagne, peut-être que vous pourriez nous en faire une petite analyse?
M. Champagne : Avec plaisir, monsieur le président.
Le président : Merci.
[Traduction]
Quand nous avons reçu le ministre la semaine dernière, il a affirmé se concentrer sur trois domaines. En premier lieu, les logements sociaux publics dans le cadre de l'infrastructure sociale. En deuxième lieu, l'infrastructure verte, et finalement les grands projets de transport en commun.
Il a dit souhaiter que la première phase comprenne des projets prêts à démarrer, et nous avons passé en revue ce type de projets. Je veux m'assurer que nous comprenions votre définition de projets prêts à démarrer. Sont-ils utiles ou est- ce du gaspille de fonds? Le message véhiculé à propos des projets prêts à démarrer me laisse perplexe.
Une des choses que nous avons constatées au Québec, c'est que bon nombre de municipalités n'ont jamais soumis leurs propositions. Les représentants des municipalités sont des députés, et ils ont dit que leurs gens ne savaient pas quoi faire, ou ne l'avaient pas fait. Ils ne présentaient pas de propositions. Nous avons un milliard de dollars qui n'ont jamais été investis dans un projet. C'est pourquoi nous voulons voir un gros graphique sur le mur qui illustre la phase 1 de 2007, la phase 2 de 2014 et, en 2016, les grandes dépenses de 120 milliards de dollars. Qu'avons-nous accompli? Nous voulons le savoir. On parle beaucoup de report des fonds, au gouvernement. Si on ne dépense pas l'argent, on peut reporter les fonds ou les réserver pour l'avenir. Qu'arrive-t-il de cet argent? Où est-il passé?
Revenons donc aux projets prêts à démarrer. Je me suis un peu laissé emporter par l'enthousiasme.
M. Stoney : Je pense qu'on parle maintenant plutôt de projets « valables » un peu à la blague, évidemment, mais c'est en quelque sorte une façon de dire que tout ce qui est prêt à démarrer ne vaut pas forcément la peine de démarrer, ou ne devrait pas forcément être financé par le gouvernement fédéral.
La réponse à votre question c'est que nous constaterons très probablement que de tous les projets qui ont été réalisés dans le cadre du plan de relance et de la taxe sur l'essence, certains projets en valaient vraiment la peine et d'autres ont été du gaspillage. Je sais que c'était un fonds différent, mais il me vient à l'esprit l'exemple des pavillons de jardins de Muskoka.
C'est l'un des problèmes qui ont été soulevés plus tôt — l'aspect de l'évaluation. Je dois souligner que le vérificateur général se penche sur l'absence d'évaluation des projets. C'est plutôt une question d'intrants et d'extrants. Qu'est-ce qui est sorti? Était-ce en temps opportun? Est-ce que les fonds, évidemment, n'aboutissaient pas dans des comptes en banque privés? Ce genre d'évaluation est fait, mais qu'en est-il du suivi de l'incidence économique réelle? Évidemment, c'est une tâche monstre, mais pour ce genre de montant, on pourrait s'attendre à ce que ce soit prévu — la contribution à plus long terme —, de façon à ce qu'on puisse créer une base de données sur les types de projets qui donnent vraiment des résultats. Une fois qu'Infrastructure Canada a versé les fonds, on a l'impression qu'il n'a plus rien à faire.
Le président : Y a-t-il autre chose?
M. Dahlby : J'ai effectué une évaluation du programme de relance budgétaire de 2008-2009. Je l'ai intitulée Once on the Lips, Forever on the Hips. Le titre était inspiré du slogan qui était sur un aimant. J'y disais essentiellement que dans les circonstances, beaucoup de projets qui n'auraient pas été retenus dans le cadre d'une évaluation normale valaient la peine d'être entrepris dans les conditions extrêmes de 2008-2009.
Je suis sceptique quant au pouvoir des gouvernements de bien choisir le moment où des mesures de relance budgétaire seront efficaces pour amortir les effets du cycle économique. Mais s'ils en sont capables, je crois qu'il est préférable de subventionner un grand nombre de petits projets répartis partout au pays plutôt que de financer quelques grands projets stratégiques, qui pourraient rapporter plus au bout du compte, mais dont l'effet sera finalement que les dépenses se produiront bien après, et non quand le besoin est criant.
Je préfère donc les petits projets dont les avantages ne sont peut-être pas énormes, mais qui tombent lorsque la relance budgétaire est opportune. Je ne suis pas tout à fait convaincu que c'est aussi important maintenant que dans la situation où nous nous trouvions en 2008-2009, qui présentait des circonstances uniques.
M. Champagne : Si l'on considère le rôle de chaque intervenant, le gouvernement fédéral finance ces infrastructures, mais ce sont les municipalités qui administrent les fonds. Elles y sont mêlées de très près et ont donc la large part de la responsabilité de la livraison des infrastructures.
Quand on parle de projets prêts à démarrer, elles y voient quelque chose de conceptuel et théorique. La préparation d'un grand projet d'infrastructure ne se fait pas à court terme. Il y a d'abord la prise de nombreuses décisions, parfois des emprunts, un processus d'acquisition, un recrutement puis, la construction et la surveillance de la construction.
Pour eux le terme « prêt à démarrer » est plutôt théorique. Ils trouvent cette idée un peu frustrante parce qu'elle les pousse quelquefois à prendre de mauvaises décisions. Encore une fois, nous faisons face à un dilemme, les laissons- nous décider de ce qui est le mieux pour les municipalités? Personnellement, je préfère le principe de « subsidiarité » parce que les municipalités sont mieux placées que le gouvernement fédéral pour le savoir.
Cette notion de « prêt à démarrer » pose problème pour les municipalités. Cela mène parfois à de mauvais investissements. C'est-à-dire qu'elles profitent de l'occasion pour financer tel ou tel projet parce qu'il est plus facile de le réaliser que de vaquer aux principales priorités, mais les municipalités pourraient profiter de subventions et les accumuler pendant quelques années afin d'acquérir l'autonomie nécessaire pour déterminer ce qu'elles veulent en faire.
Le président : Ce que vous dites est très intéressant. Si j'ai bien compris, le ministre a une enveloppe et il veut la distribuer puisque la saison approche. En écoutant votre point de vue, il me semble que si la saison est sur le point de commencer, mais que personne n'est prêt et que cela mène à de mauvaises décisions — je ne veux pas présumer des résultats parce que manifestement, tout le monde veut aller de l'avant — on peut se demander à quelle vitesse les choses vont avancer.
M. Champagne : Je pense que les intervenants vont accepter l'argent. Je pense qu'ils s'en serviront pour financer des projets qu'ils connaissent et pour lesquels ils sont sûrs de respecter le calendrier. Il se peut qu'ils prennent des raccourcis relativement à leurs propres priorités et à ce dans quoi ils aimeraient investir cet argent.
La sénatrice Marshall : En écoutant la conversation de ce matin, je constate que la partie la plus facile est déjà derrière nous. Comme vous le savez, le programme comprend une enveloppe de 120 milliards de dollars sur 10 ans. Le gouvernement devra emprunter de l'argent pour payer ce programme, mais il me semble que de nombreuses composantes n'ont toujours pas été déterminées.
Nous avons beaucoup parlé de l'attribution. Je doute qu'avec un peu de recul, les petites provinces se diront qu'elles comprennent que les fonds soient attribués aux grandes provinces ayant de grands projets. Les fonds doivent être répartis. J'estime qu'il y a beaucoup de travail à faire.
J'ai une question concernant la Fédération canadienne des municipalités pour lesquelles des fonds sont prévus. Je crois savoir qu'auparavant, le gouvernement attribuait des fonds spéciaux pour les infrastructures à la fédération pour qu'elle les distribue. Est-ce que l'un d'entre vous a examiné ce que la fédération fait de cet argent? Je pense que nous allons entendre ses représentants prochainement.
Le président : Oui, demain.
La sénatrice Marshall : L'un d'entre vous a-t-il fait cet examen?
M. Dahlby : Non.
M. Stoney : Oui, mais pas d'une manière approfondie, mais j'ai effectivement examiné certains projets. À l'heure actuelle, j'étudie son système de récompenses parce que nous nous intéressons à l'innovation et à ce que la fédération qualifie d'innovation. S'agit-il d'une question régionale ou fondée sur le mérite?
J'appuie la FCM sans réserve. Elle joue un rôle important, mais je dirais ceci : la FCM est un organisme politique qui représente de nombreuses petites localités. La fédération a été très tenace auprès de Paul Martin, faisant valoir que si elle devait être responsable des fonds, il fallait les répartir sur le plan politique ne jugeant aucune localité trop petite. C'est important que vous le sachiez avant de parler avec ses représentants. Cette approche présente un intérêt pour la fédération, en raison de la façon dont elle est constituée.
La sénatrice Marshall : Je me posais justement la question. Je représente une petite province, celle de Terre-Neuve- et-Labrador, et nous voulons toujours recevoir notre juste part.
Savez-vous s'il y a eu des évaluations, des études ou des examens rétrospectifs sur cette affectation?
M. Stoney : Je n'en ai pas vus non.
La sénatrice Eaton : Recommanderiez-vous des changements à la gouvernance de certaines villes? Je pose encore une fois la question sur Toronto, parce que c'est là que j'habite. Le maire n'a qu'une seule voix et il est très difficile d'obtenir un consensus, contrairement à ce qui se produit lorsqu'il y a un système de parti et une plateforme. On peut présenter une certaine politique, et les gens votent pour ou contre.
Seriez-vous aussi en faveur de l'augmentation de la taxe sur l'essence afin que les fonds fédéraux, plutôt que d'être versés à la ville, soient filtrés par le truchement de cette taxe? Ainsi, la ville pourrait décider de ses propres priorités et réaffecter l'argent comme le font les ministères. C'est ce que nous avons vu ici avec le ministère de la Défense et d'autres ministères fédéraux.
En outre, l'argent fédéral pour l'infrastructure devrait-il être réservé pour des projets dans l'Arctique, des autoroutes nationales, des ports, des aéroports et des chemins de fer qui permettent véritablement d'unir l'ensemble du pays?
Et finalement, l'autoroute 407 a-t-elle vu le jour dans le cadre d'un projet de partenariat public-privé? Le cas échéant, est-ce un bon exemple de PPP?
M. Champagne : Votre première question portait sur la gouvernance des municipalités et sur le système qui fonctionne le mieux. Cette question déborde un peu de notre sujet d'aujourd'hui, mais je comprends où vous voulez en venir.
La sénatrice Eaton : C'est au cœur de la façon dont on détermine les priorités.
M. Champagne : Oui, c'est vrai. N'oublions toutefois pas les administrateurs, les professionnels et les gens qui appuient...
[Français]
La sénatrice Eaton : Vous pouvez parler en français.
M. Champagne : Pensons aux fonctionnaires municipaux. Ils font un gros travail pour présenter les faits à l'échelle municipale. Dans une ville comme Toronto, lorsqu'on les rencontre, on voit qu'ils ont une capacité professionnelle. Il n'y a pas que la capacité politique. On voit aussi des évidences rationnelles pour déterminer les priorités des municipalités.
En ce qui concerne la gouvernance, c'est assez complexe. Il y a des systèmes, qu'on voit davantage au Québec peut- être, des systèmes politiques municipaux liés à des partis politiques. C'est le cas à Gatineau. Je crois que cette question relève davantage de la science politique et qu'elle pourrait donner lieu à un débat assez large. Est-ce mieux? Je ne peux pas répondre à cette question.
J'aimerais passer à la question de la taxe sur l'essence. Vous avez demandé si on ne devrait pas l'augmenter. Je crois qu'on devrait l'augmenter dans la mesure où on accepte l'idée que les municipalités sont les mieux placées pour déterminer leurs priorités en matière d'infrastructures. On évite ainsi les approches du type shovel ready qui imposent des...
La sénatrice Eaton : Tout à fait.
M. Champagne : Je crois donc que l'on devrait augmenter cette taxe, lorsqu'il ne s'agit pas d'une priorité fédérale nationale. C'est un très bon véhicule, qui a fait ses preuves et qui fait l'unanimité parmi les municipalités. Ce mécanisme existe déjà, donc utilisons-le. S'il n'existait pas, il serait difficile de le créer.
La sénatrice Eaton : De plus, cela évite le côté politique. Lorsqu'il s'agit de remplacer les conduites d'eau ou les égouts, qui ne sont pas des secteurs très sexy d'un point de vue politique, les municipalités peuvent le faire.
M. Champagne : Vous avez tout à fait raison. Elles utilisent la taxe sur l'essence à cette fin. Dans le cas des autres projets à coûts partagés, il y a plus de conditions et de critères. Elles essaient donc de répondre aux critères, alors que dans l'autre cas, il y a une certaine marge.
La dernière question concernait les aéroports et les ports. Je crois que ces secteurs relèvent de compétence fédérale.
La sénatrice Eaton : C'est ce que je vous demande. Le gouvernement devrait-il se concentrer sur les projets nationaux, par exemple les autoroutes de l'Arctique, les ports et les aéroports?
M. Champagne : Je ne crois pas qu'ils devraient se concentrer uniquement sur ces projets. Le gouvernement fédéral a fait ses preuves à la fois pour appuyer l'économie et pour renverser l'énorme déficit que nous avions en matière d'infrastructures. Je pense qu'il faut valoriser ce programme pour ce qu'il est. Il a changé un peu la culture et la mentalité selon lesquelles on n'investit pas dans les infrastructures tant que les choses tiennent le coup. Jusqu'au milieu des années 1990, il y avait un évitement total. Tout à coup, on a vu un changement. Ce programme apporte donc une valeur ajoutée pour toutes les infrastructures au Canada. À mon avis, il ne devrait pas se concentrer sur ce point. Il faut des axes prioritaires plus transformateurs, par exemple, en ce qui concerne les changements climatiques et ce genre de chose. Le gouvernement doit-il investir dans ces dossiers? Oui, parce qu'il doit conserver les responsabilités qui lui sont propres. C'est un véhicule aussi pour favoriser le développement régional.
J'aimerais rappeler que le gouvernement fédéral possède environ 13 p. 100 des infrastructures au Canada. Les provinces en possèdent environ 35 p. 100, et les municipalités, plus de 50 p. 100. La plus grande partie du poids des infrastructures revient aux municipalités, et c'est pourquoi il est très important de leur transférer de l'argent. Avoir des projets stratégiques spécifiques est aussi très important. En outre, le gouvernement fédéral doit investir dans ses propres infrastructures, car cela profite également aux régions.
Le projet de construction de l'autoroute 407 était un PPP, si je me souviens bien. On pourrait donc parler du modèle 407. Certaines autoroutes ou certains ponts au Canada représentent une occasion pour les PPP, car on peut les commercialiser. On peut facturer à l'usage du service ou du bien. Vous connaissez le projet de l'autoroute 407, car il a été documenté.
Les PPP sont souvent difficiles, car il y a toujours des enjeux. On ne maîtrise pas bien l'outil aujourd'hui, et il faut apprendre à l'utiliser. Les municipalités pourraient peut-être l'utiliser davantage. Elles n'ont pas toujours la capacité d'emprunt nécessaire. Elles pourraient donc faire des partenariats. Je ne dis pas qu'il faut en faire partout, mais il s'agit d'un véhicule que les municipalités n'utilisent pas très bien. Le projet de l'autoroute 407 n'a pas la meilleure réputation, étant donné que des problèmes sont survenus en ce qui a trait à la facturation et qu'il y a eu aussi de petits scandales. Il faut améliorer notre maîtrise de ces instruments.
[Traduction]
Le président : Comme je l'ai dit au début de la séance, j'aimerais que vous preniez une minute pour prendre quelques notes. Vous avez chacun trois à quatre minutes pour présenter une conclusion qui contiendrait vos recommandations au premier ministre du Canada sur l'approche à adopter relativement à la façon d'investir dans les infrastructures à l'avenir.
Prenez quelques notes. Nous allons d'abord écouter M. Stoney, ensuite M. Champagne et M. Dahlby.
M. Stoney : Merci de me donner cette occasion.
Je suis d'accord avec M. Champagne pour dire que la « subsidiarité » est une bonne chose et qu'autant que possible, les priorités devraient être établies au niveau local.
Pour différentes raisons, j'aimerais que le gouvernement fédéral crée une banque pour l'infrastructure. Tel que mentionné, elle présenterait certains avantages. En plus d'offrir la possibilité d'obtenir des fonds à de meilleures conditions et taux, si la banque était indépendante du gouvernement, le processus serait moins politisé. Si les employés de la banque faisaient les vérifications nécessaires pour savoir quels projets devraient être financés, les politiciens locaux qui emprunteraient cet argent devraient rendre des comptes parce que l'argent ne serait pas gratuit. Ce serait de l'argent à rabais, mais pas gratuit. Ce qu'ils feraient localement avec cet argent serait examiné par les citoyens.
Les faits montrent également qu'une banque pour l'infrastructure peut attirer les caisses de retraite grâce à sa prévisibilité à long terme, ce qui est un autre point à considérer.
Je pourrais présenter cinq ou six autres raisons, mais je crois qu'une banque pour l'infrastructure est importante, si elle est indépendante et n'est pas limitée par le genre de conditions dont on a parlé plus tôt. Il faut supprimer ces conditions. Ainsi, les politiciens locaux devront rendre des comptes localement. Pas besoin de parler d'infrastructure verte dans les conditions. Jugeons les projets selon leur mérite. Si la banque ne pense pas qu'un projet vaut la peine d'être financé, alors elle ne le financera pas parce que les fonds disponibles sont limités. Surtout, les politiciens fédéraux ne participeront plus à la prise de décisions. Voilà les raisons qui en font ma recommandation principale.
Pour répondre à la question posée par la sénatrice Eaton, j'aimerais que le gouvernement fédéral fasse ce qu'il est censé faire, tout comme il l'a fait avec les chemins de fer, en construisant une nation. Il faudrait que le gouvernement commence à songer aux projets interprovinciaux pour lesquels il a l'autorité d'agir en vertu de la constitution. Dans des villes telles qu'Ottawa, où il existe si peu de connectivité avec Gatineau — qui représente à vrai dire l'autre moitié de la ville —, le gouvernement fédéral aurait l'occasion de jouer un rôle de chef de file que les municipalités ne pourront pas exercer, et ce, pour bon nombre de raisons.
Oui, j'aimerais particulièrement que le gouvernement fédéral tienne compte des projets interprovinciaux et des projets liés au réseau national de transport — tels que les ports et les aéroports — lorsqu'il prend des décisions qui portent sur les investissements stratégiques.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le professeur.
Professeur Champagne?
[Français]
M. Champagne : Merci, monsieur le président. Je vais répéter ce que j'ai dit plus tôt. Dans le cas des petits projets, afin de maintenir notre élan en ce qui concerne les investissements en faveur des infrastructures, nous devons maintenir ou accroître l'utilisation de mécanismes, comme celui de la taxe sur l'essence. Ce mécanisme est à notre disposition et nous pouvons l'utiliser pour tous les projets qui sont moins liés à la vision et aux priorités du gouvernement fédéral. Dans le cas des programmes qui ont une connotation d'intérêt national, nous pourrions faire appel plutôt au financement partagé, à l'aide de cadres de politiques publiques mesurables, c'est-à-dire, afin que nous puissions mesurer l'impact réel des politiques grâce à un cadre bien établi. Ainsi, le gouvernement fédéral pourrait exprimer sa vision dans le cadre de ces projets, qui lui permettraient de transformer l'économie fédérale. L'intérêt fédéral quant aux dépenses en infrastructure serait plus clair.
En ce qui concerne les partenariats public-privé, en ce moment, la situation est assez indéterminée. Sous l'ancien régime, on prêchait davantage pour les PPP. À l'heure actuelle, on ne sait pas quelle direction ce modèle prendra. Si on continue dans cette voie, il faudra appuyer les municipalités afin qu'elles puissent adopter ce genre d'approche, parce qu'à l'heure actuelle, elles ne le font pas. Si PPP Canada continue d'exister telle quelle, elle devra jouer un rôle d'accompagnateur afin d'offrir des lignes directrices et d'appuyer les municipalités, ou de les éduquer, si elles souhaitent prendre cette direction. Il y aurait peut-être aussi la question des fonds de pension. On n'est pas loin des PPP avec les fonds de pension. Ils ressemblent à des investisseurs principaux avec lesquels on peut s'allier. On pourrait commencer à explorer cette avenue et être créatif dans l'élaboration de ces instruments, mais, pour l'instant les municipalités sont mal outillées.
[Traduction]
M. Dahlby : J'aimerais réaffirmer que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en ce qui a trait au financement de l'infrastructure. Il s'agit d'un point fondamental.
Les programmes de subvention de contrepartie sont utiles, mais devraient se limiter aux projets d'envergure qui ont une portée nationale. Je songe ainsi à tout projet à Toronto qui améliorerait la productivité et les déplacements, pour les allers-retours entre le travail et la maison comme pour la circulation des biens. Ces projets sont d'une envergure et d'une importance nationales.
Il existe également d'autres projets — et c'est là où le gouvernement pourrait et devrait être un peu plus visionnaire — qui permettent de relier les économies des diverses régions. J'aimerais vanter les mérites de notre projet de Couloir du Nord — auquel prend part Tom Jenkins, qui est associé à l'École de politique publique. Ce projet tente de faire la promotion d'un couloir public qui relierait de manière notable les régions du Nord du Canada. Cela ferait appel au réseau de transport d'électricité, aux chemins de fer et aux pipelines.
Le gouvernement fédéral devrait réfléchir au rôle qu'il pourrait assumer, un rôle qui pourrait, peut-être, être visionnaire.
Deuxièmement, pour compléter les subventions, je pense que le gouvernement fédéral devrait imposer des conditions, notamment sur la tarification des infrastructures. Nous voulons dépenser afin de régler le problème de surcharge de l'infrastructure, mais si nous ne réglons pas le problème de tarification et n'établissons pas de tarifs pour les ressources en infrastructure, qui sont limitées, nous nous retrouverons tout simplement avec une autre source de surcharge.
Je vous parle à titre de membre de la Commission de l'écofiscalité du Canada. L'automne dernier, nous avons publié un rapport qui portait sur la tarification de cette surcharge. Nous indiquions qu'il fallait établir des tarifs pour les réseaux de transport urbain. Je pense que le gouvernement fédéral pourrait assumer un rôle de chef de file dans ce domaine. Nous publierons également un rapport sur l'eau. Il faut établir des tarifs sur l'eau afin de préserver cette ressource rare.
Lorsque le gouvernement fédéral finance ce genre de projet, il pourrait et devrait se demander si la tarification ne devrait pas faire partie des conditions associées à cette infrastructure. Le gouvernement devrait contribuer à financer les coûts supplémentaires qui pourraient être liés à l'établissement de mécanismes de tarification.
Troisièmement, j'aimerais revenir à ce que mon collègue a mentionné. Il faut accroître le financement global afin que certains projets de moindre envergure puissent sortir de la sphère de financement direct du gouvernement fédéral, qu'il s'agisse de la taxe sur l'essence ou encore du Transfert canadien en matière de santé ou du Transfert canadien en matière de programmes sociaux, afin de réduire le déséquilibre fiscal entre les deux ordres de gouvernement.
Le président : J'aimerais vous poser une dernière question, elle porte sur vos conclusions.
Infrastructure Canada nous a fourni une multitude de programmes. Y a-t-il trop de programmes? De toute évidence, certains sont sans doute devenus caducs et n'existent plus. On avait suggéré de réduire le nombre de programmes et d'en garder seulement trois ou quatre. Je crois que c'est ce que vous aviez suggéré tous les trois. Y a-t-il moyen de simplifier ce processus complexe? Tout à l'heure, quelqu'un a souligné qu'il était parfois difficile de s'orienter dans ce dédale de financement. En avez-vous beaucoup parlé entre vous?
M. Stoney : Pas entre nous, mais c'était un thème récurrent dans toutes les municipalités que j'ai visitées. On aime bien nous faire visiter un local où se trouvent tous les livres et les programmes informatiques utilisés pour traiter cette pléthore de mécanismes de financement, tous assortis de conditions différentes. Les fonds sont destinés à un projet précis, doivent être dépensés dans un délai prescrit, il est possible ou non de mettre les fonds de côté selon les programmes. C'est un cauchemar. Je ne comprends pas comment un citoyen pourrait tenir la municipalité responsable compte tenu de tous ces modes de financement. Alors je dirais oui, absolument.
M. Dahlby : J'estime qu'il serait possible de regrouper certains programmes, surtout si on retire les petits projets du système et qu'on se concentre sur les plus grands projets d'importance nationale.
Bien sûr, les municipalités doivent aussi traiter la pléthore de programmes provinciaux, et non seulement les programmes fédéraux. Le gouvernement fédéral peut faire sa part, mais il n'est pas l'unique coupable.
M. Champagne : Je suis d'accord. En visitant les municipalités, on constate qu'il est difficile de traiter de tous les programmes fédéraux et provinciaux. C'est complexe.
Je pense que trois instruments demeurent : le transfert de fonds de l'assiette fiscale, les fonds de contrepartie, qui peuvent se prêter à différents investissements puis, les partenariats public-privé et les autres instruments associés au marché. Les instruments comme tels pourraient être très simples.
Le président : Messieurs, au nom de mes collègues je vous remercie. La rencontre fut très intéressante, nous avons été ravis de vous accueillir.
(Le comité poursuit à huis clos.)