Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 15 - Témoignages du 16 juin 2016
OTTAWA, le jeudi 16 juin 2016
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 14 heures, pour examiner la teneur complète du projet de loi C-15, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2016 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales à mes collègues et aux membres du public qui nous regardent. Notre comité a pour mandat d'examiner les questions qui concernent le budget fédéral en général, ainsi que les finances du gouvernement. Je m'appelle Larry Smith, sénateur du Québec et président du comité. Permettez-moi de vous présenter les autres membres de notre groupe : le sénateur André Pratte, du Québec; la sénatrice Salma Ataullahjan, de l'Ontario; le sénateur Percy Mockler, du Nouveau- Brunswick; la sénatrice Nicole Eaton, de l'Ontario; la sénatrice Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador; et la sénatrice Beyak, du Nord de l'Ontario.
[Français]
Cet après-midi, nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-15, qui porte exécution de certaines dispositions du budget de 2016.
[Traduction]
Au cours de la première partie de notre séance portant sur les diverses questions que soulève le projet de loi C-15, nous avons le plaisir de recevoir M. Jack Mintz, chercheur émérite du recteur, de l'École de politique publique de l'Université de Calgary. Pendant la deuxième heure de notre séance, nous entendrons des fonctionnaires de Statistique Canada et de Finances Canada, qui traiteront de certaines dispositions du projet de loi C-15 qui concernent les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le Yukon.
Monsieur Mintz, je sais que vous êtes très occupé. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir modifié votre horaire pour comparaître. Pourriez-vous prononcer un mot d'ouverture?
Jack Mintz, chercheur émérite du recteur, École de politique publique de l'Université de Calgary, à titre personnel : Oui. Merci beaucoup, sénateur Smith. Je suis enchanté de témoigner devant le comité des finances. J'ai déjà comparu devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce à plusieurs reprises au cours de la dernière année, et il est agréable de rencontrer un groupe différent.
Je tiens à formuler quelques observations au sujet du projet de loi C-15, que je considère comme le projet de loi portant exécution d'un certain nombre de promesses faites pendant la campagne du gouvernement. Vous comprendrez, en m'entendant parler, que certaines dispositions du projet de loi C-15 obtiennent mon soutien, alors que d'autres suscitent chez moi des critiques. Comme certains d'entre vous connaissent mes opinions, cela ne vous étonnera probablement pas. J'adhère à une solide philosophie en ce qui concerne deux points qui sont cruciaux au chapitre de la politique fiscale. Je pense d'abord que les gouvernements ont un rôle à jouer quand il s'agit de redistribuer la richesse et d'encourager la croissance. Il existe plusieurs autres objectifs, mais ce sont là les deux dont je traiterai en particulier.
En ce qui concerne l'imposition, je crois fermement que le régime fiscal devrait être équitable. J'entends par là que les taux d'imposition devraient être établis en fonction de la capacité de payer des gens et que les mieux nantis devraient payer plus d'impôt que les gens à faible revenu. Je suis également convaincu qu'il faut garder les assiettes fiscales aussi neutres que possible — entre les diverses activités commerciales, par exemple — et les taux aussi bas que faire se peut pour encourager la croissance. Vous verrez que certaines de mes observations s'appuient fortement sur cette philosophie.
En ce qui concerne les déficits, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de déposer un budget équilibré chaque année. Compte tenu de ce qui s'est passé en 2008-2009, il était absolument nécessaire d'accuser un déficit. Comme les pays du G20 avaient entrepris une action coordonnée pour fournir un stimulus fiscal, ce que le Canada a fait avec brio, j'ai appuyé sans réserve ce que nous avons fait en 2008-2009 pour réagir à ce qui était véritablement une récession mondiale.
Ayant travaillé avec le ministère des Finances, notamment à titre d'économiste invité Clifford-Clark en 1996 et 1997, pendant les années de Paul Martin, j'ai apprécié à sa juste valeur le travail formidable qu'ont accompli tant les libéraux que les conservateurs depuis 1995 pour rééquilibrer le paysage fiscal du Canada. En fait, si nous n'avions pas agi ainsi, au regard de la crise mondiale qui a frappé en 2008, nous aurions vraiment été en mauvaise posture si nous n'avions pas atténué notre problème d'endettement en affichant des surplus pendant plus d'une décennie. Je considère que les mesures prises étaient tout à fait appropriées.
Je considère qu'en cas de récession, on devrait envisager d'accuser un déficit, mais qu'en période de croissance, ce n'est pas nécessaire et il faudrait viser l'équilibre budgétaire. Vous verrez que certaines observations que je ferai brièvement sur quelques points portent sur ce sujet.
J'aimerais traiter de la réduction d'impôt accordée aux petites entreprises. J'ai effectué beaucoup de travaux à ce sujet, particulièrement avec mes collègues, Duanjie Chen et Phil Bezel. Dans ces travaux, nous montrons que le système d'imposition actuel pénalise la croissance.
Si les petites entreprises prennent de l'expansion, elles perdent leurs avantages fiscaux et se retrouvent ainsi devant un mur d'impôt qui peut nuire à leur croissance. Je considère que nous devrions éliminer la déduction accordée aux petites entreprises, mais la meilleure manière de le faire, c'est en réduisant le taux d'imposition général. Quand j'ai réalisé l'examen de l'impôt des entreprises pour Paul Martin en 1997, nous avons recommandé de réduire le taux d'imposition général et de maintenir le taux d'imposition des petites entreprises. C'est ce que le gouvernement fédéral a fait en faisant passer le taux général à 15 p. 100, alors que le taux des petites entreprises est de 11 p. 100. L'écart de quatre points n'était pas trop important. Je l'éliminerais entièrement, mais ce n'était pas une mauvaise intervention. Je me préoccupe toutefois beaucoup de ce qui se fait à l'échelle provinciale.
Quand les deux partis ont recommandé un taux de 9 p. 100 au cours de la campagne, je n'étais pas favorable à cette proposition. Je ne pense pas qu'il soit indiqué de réduire le taux à 9 p. 100 du point de vue de la déduction accordée aux petites entreprises. En fait, s'il n'en tenait qu'à moi, je m'inspirerais du système du Royaume-Uni. Ce dernier a fait passer son taux d'imposition sur le revenu des sociétés de 30 à 20 p. 100. Le taux d'imposition des petites entreprises, qui était de 19 p. 100, est maintenant de 20 p. 100. Il n'y a donc plus de différence entre les petites et les grandes entreprises. Nous savons que le Royaume-Uni entend passer à un taux d'imposition sur le revenu des sociétés de 17 p. 100 au cours des prochaines années. Il offre une mesure incitative différente aux petites entreprises en autorisant des passations en charges à hauteur de 750 millions de livres. C'est, à mon avis, une bien meilleure façon d'offrir des mesures incitatives aux petites entreprises. Même si elles prennent de l'expansion, elles ont encore ces passations en charges. Une passation en charges de 1 million de dollars est une broutille pour une entreprise canadienne de très grande taille, mais c'est considérable pour un grand nombre de petites entreprises.
Voilà le genre de mesures incitatives que nous devrions envisager. J'ai aussi d'autres commentaires, mais je n'irai pas plus loin à ce sujet. Nous devrions chercher de meilleures mesures incitatives à proposer aux petites entreprises. Je n'ai aucune objection à ce que le budget maintienne le taux d'imposition des petites entreprises à 10,5 p. 100, comme il l'a fait.
En ce qui concerne le crédit d'impôt pour capital de risque de travailleurs, un grand nombre d'études ont montré qu'il est non seulement inefficace, mais aussi nuisible aux marchés de capital de risque du Canada parce qu'il a fini par encourager un grand nombre de mauvais investissements à faible rendement. À un certain moment, alors que j'examinais les statistiques, le taux moyen de rendement du capital de risque avec les crédits d'impôt pour capital de risque de travailleurs était de 3 p. 100 à peine, alors que ce taux était de 16 à 19 p. 100 aux États-Unis.
Si je gérais un fonds de retraite et me demandais si je devais investir dans un fonds de capital de risque au Canada ou aux États-Unis, je choisirais certainement les marchés américains. Nous devons vraiment nous assurer de proposer des mesures incitatives appropriées, et le crédit d'impôt pour capital de risque de travailleurs n'en est pas une. J'étais très déçu quand le gouvernement l'a rétabli dans le budget, et d'une manière qui fait qu'il ne trouvera son équivalent que dans les provinces qui ont le crédit pour capital de risque actuellement. Plus étrange encore, le gouvernement fédéral provoque une balkanisation des provinces.
Le budget prévoit en outre que l'âge d'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse passe de 67 à 65 ans. Le gouvernement précédent avait pris à cet égard une mesure très importante qu'il convenait, selon moi, de prendre. De nos jours, les gens vivent et sont à la retraite bien plus longtemps. Quand la Sécurité de la vieillesse a été instaurée au début des années 1950, l'âge d'admissibilité était en fait de 70 ans, alors l'espérance de vie des gens était inférieure à cet âge à l'époque.
Au milieu des années 1960, l'âge d'admissibilité est passé à 65 ans, alors que tant les hommes que les femmes vivaient en moyenne de 72 à 74 ans; aujourd'hui, bien entendu, notre espérance de vie se situe dans les 80 ans. La plupart des pays du monde ont augmenté l'âge d'admissibilité et les niveaux. Par exemple, la Hollande a maintenant adopté une politique selon laquelle l'âge d'admissibilité est indexé à l'espérance de vie; il augmentera donc automatiquement à mesure que les gens vivent plus longtemps. C'est ainsi qu'on procède en Hollande.
Un certain nombre de pays, y compris les États-Unis, ont fixé à 67 ans l'âge d'admissibilité à leur régime de sécurité sociale. C'était exactement ce qu'il convenait de faire, car il faut s'inquiéter du vieillissement de la population et des exigences fiscales qui s'imposeront pour soutenir les gens. Il était, selon moi, rétrograde de faire passer l'âge d'admissibilité de 67 à 65 ans dans le budget, puisque ce changement exposera le gouvernement à des exigences plus élevées dans l'avenir.
Je voudrais enfin traiter du train de mesures fiscales, qui comprend deux grandes parties. Il y a notamment le plan de mesures fiscales relatives aux enfants, qui a simplifié les choses dans une certaine mesure, car il y a désormais un programme plutôt que deux. En outre, la classe moyenne bénéficie d'une réduction d'impôt, alors que le taux d'imposition maximal augmente de quatre points. Certains éléments de ce plan me plaisent, et je pense qu'il convenait de tenter de simplifier les choses en offrant un seul programme. Nous devons nous rappeler que les taux marginaux d'imposition des familles ayant un revenu supérieur à 45 000 $ ont augmenté, parce que les prestations sont récupérées à partir de ce niveau de revenu. Je ne me souviens pas de la limite pour l'instant, mais les taux marginaux d'imposition ont augmenté dans ces cas.
Le gouvernement a aussi éliminé le fractionnement du revenu, mais j'y reviendrai dans un instant.
Il a augmenté le taux d'imposition maximal de quatre points, ce que je considère comme était une erreur magistrale pour le Canada du point de vue de la politique publique.
Le taux supérieur moyen est maintenant de 53 p. 100 au Canada si on inclut les taux provinciaux, ce qui le place au quatrième rang des taux les plus élevés parmi les pays membres de l'OCDE. Il est légèrement moins élevé que celui de la France, et il est inférieur à ceux du Danemark et de la Suède, il me semble. Je pense qu'il n'est guère avantageux d'être près du sommet, surtout si on se compare aux États-Unis. Nous nous efforçons d'attirer le talent. Or, je sais déjà qu'un certain nombre d'entreprises se sont aperçues que l'effet combiné de la faiblesse du dollar et des taux marginaux d'imposition élevés nuit à leur capacité de recrutement.
Cette mesure a également des répercussions sur les jeunes qui envisagent une carrière d'entrepreneur et se promettent à un brillant avenir; ils voient ce régime bien plus graduel, lequel a, selon moi, une incidence. C'est là un effet négatif du taux supérieur de 53 p. 100.
L'autre effet négatif, c'est le fait que l'augmentation des taux marginaux d'imposition que comprend le plan de mesures fiscales relatives aux enfants et du taux d'imposition marginal des personnes à revenu moyen découragera les gens d'épargner, car ils pourraient obtenir un maigre rendement de 4 à 5 p. 100 de leurs investissements, et ce, sans compter l'inflation. Si les gens paient des taux marginaux de 40 à 50 p. 100, ce qui est en fait possible, même pour une famille de la classe moyenne avec des enfants, alors ils seront vraiment découragés d'épargner parce que leur rendement après impôt sera d'environ 2,5 p. 100. Une fois soustrait le taux d'inflation à long terme de 2 p. 100, les épargnes n'ont plus guère de rendement après impôt.
Nous cherchons à encourager les gens à épargner en vue de l'avenir et de la retraite, et nous avions un excellent régime en place. En fait, associée à l'augmentation des taux marginaux d'imposition et au fait que les cotisations versées dans un compte d'épargne libre d'impôt, ou CELI, sont passées de 11 000 à 5 500 $, cette mesure aura une incidence considérable en faisant augmenter l'impôt sur les économies de bien des citoyens à revenu moyen. Un grand nombre d'aînés ont profité du CELI, car il leur permettait de transférer des actifs imposables dans un compte libre d'impôt et d'accumuler ainsi de la richesse plus rapidement en vue de leur retraite, voire au cours de cette dernière quand ils ont de l'argent pour vivre. Je pense donc que c'est une mesure rétrograde.
L'autre problème, selon moi, c'est que même si je considère que c'était une bonne idée de réduire l'impôt de la classe moyenne — pour la raison opposée, puisque cela encourage le travail et la prise de risque chez les gens gagnant de 45 000 à 90 000 $ —, nous devons nous demander ce que nous entendons par « classe moyenne ». Je pense qu'il s'agit ici davantage la tranche inférieure de la classe moyenne.
Je pense toutefois qu'il y a aussi un autre point qui exige davantage d'analyse et de discussion, et c'est le fait que les gens et les familles ont des situations et des tailles différentes. Par exemple, si deux enseignants de Toronto gagnent chacun 85 000 $, cela fait un devenu familial de 170 000 $. S'agit-il d'une famille à revenu moyen ou pas? Du point de vue de la réduction d'impôt de la classe moyenne et de la fourchette de revenu de 45 000 à 90 000 $ à laquelle elle s'applique, ce serait effectivement une famille de la classe moyenne. Mais évidemment, comme bon nombre d'entre nous le savons, il est très difficile de posséder une maison à Toronto avec ce revenu.
Mais que se passe-t-il si une personne seule gagne 180 000 $ et a deux jeunes enfants avec un conjoint qui reste à la maison — et de nos jours, ce conjoint pourrait être un homme ou une femme — parce qu'ils jugent très important qu'une personne reste à la maison pour élever les enfants? Cette famille au revenu de 180 000 $, composée d'un soutien de famille, de deux enfants et d'un conjoint, n'appartient-elle pas à la classe moyenne? Il me semble que oui. Pourtant, comme le montrent mes calculs, le fait que le fractionnement du revenu ait été éliminé dans le budget désavantage les familles comptant un seul soutien de famille qui tente de rester à la maison pour élever les enfants. Je pense que cette mesure a des effets néfastes également.
Le président : Merci beaucoup. Vous nous avez donné beaucoup de matière au sujet de laquelle nous pouvons vous interroger : la redistribution, l'imposition, la capacité de payer, les bons et les mauvais côtés des déficits, la réduction du taux d'imposition général, la combinaison des taux d'imposition des petites et des grandes entreprises, le modèle du Royaume-Uni, le crédit d'impôt pour capital de risque de travailleurs et le passage de l'âge d'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse de 67 à 65 ans. Vous avez également indiqué que la modification du système de prestations pour enfants avait du bon, traité du taux d'imposition maximal de 53 p. 100, de la réduction de la limite des cotisations au CELI, de la définition de la « classe moyenne », de la taille des familles et de leur lieu de résidence, et demandé ce que cela signifie vraiment de gagner un revenu selon la fourchette dans laquelle on se situe.
Compte tenu de tout ce que vous nous avez dit, certains sénateurs sont impatients de vous poser des questions, monsieur.
La sénatrice Eaton : Merci, monsieur Mintz. L'impôt uniforme est-il inenvisageable? Est-ce la raison pour laquelle personne ne veut opter pour une solution aussi simple?
M. Mintz : Tout dépend de ce que vous entendez par impôt uniforme.
La sénatrice Eaton : Plutôt que d'avoir un impôt progressif en fonction du revenu.
M. Mintz : Laissez-moi vous expliquer pourquoi. L'Alberta a déjà eu un impôt uniforme, qui était, disons, de l'ordre de 10 p. 100. Cela s'appelait un impôt uniforme. Il faisait toutefois l'objet d'un niveau d'exemption considérable, qui était de 17 000 $ par personne. Si vous voulez savoir s'il s'agit vraiment d'un impôt uniforme, je dirais que ce n'est pas le cas parce qu'il y a en fait deux taux, à savoir 0 p. 100 et 10 p. 100, et le taux de 0 p. 100 s'applique à la première tranche de 17 000 $. À mon avis, quand les gens parlent d'impôt uniforme, ils ne parlent pas vraiment de la bonne chose, car il s'agit plutôt d'un régime moins progressif.
Dans le régime fiscal canadien actuel, vous constaterez que nous avons un très grand nombre de taux marginaux d'imposition. Il n'y a pas que les taux officiels d'imposition prévus dans la Loi de l'impôt sur le revenu, qui sont de 15, de 20,5, à l'heure actuelle, et de 29 et 33 p. 100. Les gens doivent également composer avec de nombreux taux de récupération. À titre d'exemple, un aîné qui touche le Supplément de revenu garanti est également visé par un taux marginal d'imposition de 50 p. 100 aux fins de récupération. Si vous touchez la Sécurité de la vieillesse, un taux marginal d'imposition de 15 p. 100 est ajouté pour ce qui est des revenus situés entre 70 000 et environ 110 000 $, selon la récupération prévue pour la Sécurité de la vieillesse. Nous avons donc dans le régime fiscal une pléthore de taux marginaux d'imposition. Je pense que certaines personnes sont arrivées au point de se dire qu'il est peut-être temps de commencer à réunir ces choses. C'est ce que ferait le concept dont les gens parlent, dans le cas, disons, d'un niveau minimal de revenu, alors que le gouvernement donne une subvention — elle pourrait être imposable, mais il s'agit d'un montant minimal —, et nous essayons de mettre en œuvre certains de ces programmes avec tous ces différents taux marginaux d'imposition. J'ai certainement déjà fait valoir que nous pourrions tenter de réunir certains de ces différents revenus et de mettre en place un taux de récupération qui s'appliquerait à différentes prestations pour pouvoir se débarrasser de certaines de ces choses qui s'accumulent, car elles finissent parfois par donner un taux marginal d'imposition de près de 100 p. 100 ou même davantage.
La sénatrice Eaton : Je suppose que j'ai entendu trop de discours politiques des deux côtés de la frontière. Pourquoi n'aurions-nous pas une chose simple comme un revenu annuel garanti, garanti de manière à ce qu'il n'y ait pas de récupération, pas de supplément. Il n'y aurait qu'un revenu garanti ainsi qu'un impôt uniforme pour les gens dont le revenu est inférieur.
M. Mintz : C'était la proposition de Milton Friedman, qui n'a jamais été adoptée en entier. Les études en matière de finances publiques dénonceraient probablement cette mesure. Du moins, ce ne serait pas aussi simple qu'on le pense, ce qui s'explique par le concept du ciblage. Il serait parfois plus efficace et moins coûteux de varier les mesures de soutien en fonction de certaines caractéristiques individuelles. Par exemple, vous pourriez vouloir donner plus d'argent à une personne handicapée qu'à une personne qui ne l'est pas. Le soutien offert à une famille de quatre personnes serait très différent de celui offert à une famille de deux personnes, et ainsi de suite. Il existe des arguments pour l'établissement d'une certaine distinction, et ce n'est pas aussi simple que ce que Milton Friedman avait décrit au départ, mais on peut sans aucun doute se poser la question. Ce qui m'intrigue à propos du concept, c'est peut-être le démantèlement de certaines des énormes bureaucraties ayant été mises sur pied pour offrir les divers programmes. Je pense entre autres à l'assurance-chômage, ce que nous appelons au Canada l'assurance-emploi, que nous pourrions bien remanier, car c'est un système très compliqué assorti d'une énorme bureaucratie au moyen de laquelle nous essayons de cerner les différentes régions à fort taux de chômage ainsi que les différents taux et les diverses prestations. C'est bizarre. Je pense qu'un Martien qui verrait ce système dirait qu'il s'agit sans aucun doute du système le plus déglingué qu'un pays peut mettre sur pied pour gérer la question. L'établissement d'un revenu minimum garanti pourrait probablement vous permettre de vous débarrasser de l'ensemble du régime d'assurance-chômage.
Une telle mesure pourrait s'avérer très avantageuse en vue d'inciter les gens à travailler. En fait, selon les études, le taux de chômage au Canada est plus élevé d'environ 1 p. 100 à cause de notre régime d'assurance-emploi. C'est attribuable à des mesures prises antérieurement. Les changements apportés en 1994 sous le gouvernement Chrétien et les changements apportés par la suite sous le gouvernement Harper ont permis de réduire partiellement les coûts du régime que nous avons au Canada. Toutefois, si j'ai bien compris, nous avons fait marche arrière à bien des égards, ce qui coûtera cher à l'économie canadienne et nuira aux mesures visant à inciter les gens à travailler.
Le président : Nous avons une liste complète. Je demande donc à tous les sénateurs d'être brefs dans leurs questions.
La sénatrice Marshall : Je crois qu'il y a une chose que vous n'avez pas abordée dans votre déclaration liminaire, et je vous saurais gré de faire des observations à ce sujet étant donné qu'il en est question dans les nouvelles aujourd'hui. Il s'agit de l'amélioration du RPC. Pouvez-vous formuler des commentaires à ce sujet? Voyez-vous cela comme un impôt visant les petites entreprises? Je suppose que les gens qui se situent au bas de l'échelle salariale devront maintenant verser des cotisations supplémentaires, ce qui aura une incidence sur leur salaire net. Pourriez-vous juste parler un peu de cette question d'actualité?
M. Mintz : Il faut se demander quel est le problème. C'est le problème associé à l'expansion du RPC. Les ministres des Finances fédéral, provinciaux et territoriaux m'ont demandé de diriger en 2009 un projet de recherche visant essentiellement à recueillir des données pour déterminer si le pays traversait une crise des pensions. Selon le portrait global dressé à l'aide du rapport produit et des études sous-jacentes de divers universitaires renommés au Canada, ainsi que de l'OCDE, 80 p. 100 des Canadiens s'en sortaient très bien. Nous avions un programme de soutien financièrement viable de préparation à la retraite. Et il n'y avait pas de problème majeur, mais quelques sujets de préoccupation. Il y avait entre autres ce que j'appelle les personnes à revenu modeste, qui gagnent environ de 25 000 à 50 000 $, dont certaines ont subi une baisse de revenu considérable.
Dans d'autres travaux sur les aînés que j'ai faits ultérieurement, j'ai constaté que le taux de pauvreté chez les aînés vivant seuls était beaucoup plus élevé que chez les aînés qui vivaient à deux. En fait, le taux de pauvreté chez les couples d'aînés vivant ensemble était inférieur à 5 p. 100, tandis que le taux chez les aînés visant seuls, que nous avons estimé en fonction du seuil de pauvreté le plus modéré de Statistique Canada, était de 20 p. 100. J'ai fait valoir que nous devrions bonifier le Supplément de revenu garanti, ce qui a été fait à l'aide du dernier budget, et j'appuie sans réserve les mesures prises dans le dernier budget. Cependant, si j'avais à prendre une mesure concernant l'expansion du RCP, je ferais passer les prestations de survivant de 60 p. 100 à 100 p. 100, car 70 p. 100 des aînés vivant seuls sont des femmes qui, tout d'abord, n'ont pas pu travailler une partie de leur vie, mais qui ont aussi vécu une rupture de mariage et d'autres situations de ce genre, et qui vivaient sous le seuil de pauvreté. Je pense que l'augmentation à 100 p. 100 des prestations de survivant serait utile, car lorsque votre conjoint décède, vous perdez ses prestations de la sécurité de la vieillesse et une partie de ses prestations du RPC. Le montant n'est peut-être que de 10 000 $, mais lorsque votre revenu familial passe de 35 000 $ à 25 000 $, comme c'est le cas pour beaucoup de monde dans ce groupe, les répercussions sont réelles. J'appuierais une approche très ciblée concernant le RPC. Ce que nous voyons actuellement, c'est un mouvement qui tente de mettre fin au Régime de retraite de la province de l'Ontario, le RRPO. Il en découle un grand effet de distorsion. Ce mouvement balkanise le marché du travail canadien et le marché des pensions. Il balkanise aussi le marché du travail ontarien étant donné que des entreprises sont exemptées du fait qu'elles ont un régime à cotisations déterminées assez riche ou leur propre régime à prestations déterminées, contrairement à d'autres entreprises. Des gens passeront d'un régime à l'autre. De plus, des entreprises décideront de se défaire de leur régime à prestations déterminées ou de leur régime à cotisations déterminées, car l'adhésion de leurs employés au RRPO leur coûtera moins cher.
Se défaire du RRPO est une très mauvaise idée, l'une des plus grandes erreurs de politique publique que j'ai vue depuis des années. On tente maintenant d'obtenir l'expansion du RPC pour essayer d'abolir le RRPO.
Ce qui importe surtout, c'est la façon dont cela touchera le reste du pays, à savoir 62 p. 100 de la population. Ces personnes ont-elles besoin d'une expansion du RPC? Selon les dernières études menées par McKinsey, ainsi que par Statistique Canada, les chiffres de 2009 concernant la partie de la population qui est menacée n'ont pas changé du tout. Autrement dit, malgré tout ce qui s'est fait depuis 2008, environ les quatre cinquièmes des Canadiens s'en sortent encore très bien et n'ont pas besoin d'une expansion du RPC. Donc, si une jeune personne veut acheter une maison — ce qui, en passant, est le plus important avoir de retraite au Canada; la propriété — et élever une famille, et qu'elle doit tout à coup cotiser davantage au RPC, il sera beaucoup plus difficile pour cette jeune famille de devenir propriétaire. Je pense que nous devons réfléchir très sérieusement à ce que nous faisons à la population. Dans la mesure où l'emploi a un effet sur les charges sociales des entreprises, à court terme, il pourrait y avoir une incidence négative et, à long terme, une incidence un peu moins négative. Selon les études, les charges sociales des employeurs ont tendance à être assumées de nouveau par les employés sous forme de salaires inférieurs. Donc, au bout du compte, l'employé finit par payer, ce qui complique la tâche aux jeunes familles.
Par conséquent, à moins que l'expansion du RPC soit très ciblée, je soutiens que nous commettrions une grave erreur en allant de l'avant avec cette mesure.
La sénatrice Marshall : Vous dites que s'il n'y a rien de cassé, il n'y a rien à réparer, et que c'est ce que vous envisageriez pour les groupes concernés.
M. Mintz : C'est exact.
La sénatrice Marshall : Ai-je le temps de poser une autre question?
Le président : Si vous pouvez faire preuve de patience, nous reviendrons à vous au deuxième tour.
La sénatrice Marshall : Bien, je serai patiente.
M. Mintz : Je tâcherai également d'être bref dans mes réponses.
La sénatrice Beyak : Merci de tout le travail exceptionnel que vous avez accompli au fil des ans. Vous êtes grandement respecté. C'est un honneur de vous avoir parmi nous.
M. Mintz : Merci.
La sénatrice Beyak : En tant qu'ancienne propriétaire de petite entreprise, je vous suis reconnaissante de vos commentaires. En Ontario, l'idée concernant le régime de pensions est très mauvaise. Tous les entrepreneurs qui communiquent avec moi me disent que cette mesure nuira à leurs résultats nets, à l'embauche et à leur compétitivité sur la scène internationale.
Je me demande si vous pouvez en dire un peu plus sur le fractionnement du revenu. Toutes les personnes présentes connaissent très bien cette mesure du gouvernement précédent et savent pourquoi le nouveau gouvernement l'a abolie. Les couples moyens ne savent pas vraiment ce que cela signifiera pour eux, et votre expertise en la matière serait très utile.
M. Mintz : L'idée du fractionnement du revenu est ce que j'appellerais une approche partielle de ce qu'on pourrait appeler l'imposition des familles. L'approche la plus générale ressemble à ce que fait la France, à savoir regrouper tous les revenus d'une même famille et diviser le total. Le dénominateur utilisé est habituellement un pour chaque adulte, plus une demie pour les deux premiers enfants et ensuite un pour le troisième. Le dénominateur d'une famille de cinq personnes est donc quatre. On divise le revenu par quatre, on applique le taux concerné du tableau des taux progressifs et on multiplie par quatre. On obtient ainsi l'impôt que la famille doit payer.
Peu importe qui est le membre de la famille qui a touché le revenu. Aucune règle régissant l'attribution des revenus n'est nécessaire. Cette façon de faire permet également de simplifier grandement les choses. Et, à mon avis, c'est très équitable.
Bien entendu, aux États-Unis, les familles ne produisent qu'une seule déclaration.
Je vois donc le fractionnement du revenu qui avait été proposé au Canada, grâce auquel une personne pouvait transférer jusqu'à 50 000 $ à son conjoint, comme un fractionnement partiel du revenu. Seules les familles ayant des enfants pouvaient s'en prévaloir. Ce n'est pas une mauvaise chose, car l'une des plus importantes décisions liées au choix de travailler ou non consiste à déterminer si on veut élever des enfants, surtout dans le cas des jeunes couples. De nombreuses familles aimeraient qu'un des deux parents puisse rester à la maison pour s'occuper des enfants.
Je pense donc que le fractionnement du revenu était très équitable à cet égard — plus que le fractionnement du revenu de pension, pour être franc. Cette mesure était très censée.
Malheureusement, je suis vraiment très déçu de certains groupes de réflexion qui ont formulé des critiques relatives au fractionnement du revenu, à savoir que c'était seulement destiné à un certain nombre de familles et que cela avantageait les familles à revenu élevé. Ce n'était pas nécessairement vrai. En fait, c'était très avantageux pour beaucoup de familles. Je vous donne l'exemple d'une famille de deux travailleurs, un à temps plein et un autre qui part en congé de maternité, dont le revenu diminue — disons un policier et une enseignante. Ils gagnent chacun environ 80 000 ou 90 000 $, mais l'un d'eux part en congé de maternité et leur revenu passe à 40 000 $ — l'assurance-emploi leur vient en aide. Le fractionnement du revenu leur était utile pendant cette période. Le transfert maximal était de 2 000 $.
Je pense donc que ce n'était pas une mauvaise idée d'avoir au moins une certaine forme d'imposition familiale au Canada. À mon avis, il n'est toujours pas utile de s'en être défait. À vrai dire, c'est nuisible parce que cela complique la tâche des familles qui veulent qu'un parent reste à la maison pour élever les enfants.
Le sénateur Pratte : Monsieur Mintz, vous avez parlé aujourd'hui —et vous avez également écrit à ce sujet — de vos préoccupations au sujet de la dette du Canada, surtout après le dernier budget. Je suis également préoccupé par la dette, mais j'ai pourtant remarqué, par exemple, que le FMI s'est réjoui du dernier budget, en indiquant que le Canada montre la voie à suivre en enregistrant des déficits compte tenu de sa bonne situation financière. Dans un article que vous avez publié dans le Financial Post, j'ai également remarqué un tableau dans lequel vous montrez la dette totale du Canada, où l'on voit la dette publique, la dette privée et la dette des entreprises. Et la dette totale des entreprises...
M. Mintz : La dette de l'intermédiaire.
Le sénateur Pratte : La dette de l'intermédiaire, c'est-à-dire du secteur non financier.
M. Mintz : C'est un peu plus vaste que la seule dette des entreprises.
Le sénateur Pratte : Et la dette totale des entreprises est en fait la dette de l'intermédiaire, qui a considérablement augmenté.
À vrai dire, c'est une question à deux volets. Premièrement, s'il est vrai que notre endettement est si inquiétant, pourquoi le FMI, qui est habituellement très prudent, nous félicite-t-il? Deuxièmement, la dette publique est-elle ce qui pose problème ou est-ce davantage la dette de l'intermédiaire?
M. Mintz : Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec les gens du FMI. Je pense qu'ils se sont trompés dans leur évaluation. Je m'explique. La situation du Canada n'est pas aussi mauvaise que celle d'autres pays, et il est donc possible qu'ils se contentent d'examiner la position actuelle d'autres pays et de penser que le Canada a une plus grande marge de manœuvre financière.
Ce qui me pose maintenant problème, c'est que le taux de croissance du Canada se situe entre 1 et 2 p. 100. À vrai dire, il se rapproche davantage de 2 p. 100, et, compte tenu de la baisse du dollar, je pense qu'il sera à peu près de l'ordre de 2 p. 100 l'année prochaine. Le taux de croissance de notre productivité n'est que de 1 p. 100, et notre croissance démographique se chiffre à seulement 1 p. 100. Notre taux de croissance en tant que pays pourra difficilement être supérieur à 2 p. 100.
Je ne crois pas que nous soyons en récession, et je ne crois pas que nous soyons dans le pétrin. Je constate cependant que le passif brut du secteur public — une mesure de Statistique Canada — vient d'atteindre 116 p. 100 du PIB. On se souviendra de temps moins heureux, en 1994, alors que le Fonds monétaire international a passé à un cheveu de faire basculer le Canada. À l'époque, le passif brut était à 135 p. 100 du PIB. Nous n'en sommes pas encore là, mais si on remonte à 2007, c'était près de 80 p. 100. Nous sommes donc peut-être à mi-chemin. Je m'inquiète surtout pour l'avenir.
Quant à la dette d'entreprise, elle a été à son plus bas, ou à peu près, en 2007. En fait, le ratio de levier financier n'était pas très élevé au Canada, sauf pour la dette bancaire, mais grâce aux exigences en matière de capital au Canada, notre ratio de levier bancaire n'était pas si mal non plus, comparativement à ceux de bien des pays. C'est là que l'intermédiaire entre en jeu, parce que c'est la dette bancaire qui compte le plus. Mais cela a grandement augmenté.
Puis, il y a la dette des ménages, et nous savons que la dette des ménages, du moins à titre de revenu disponible partagé, a atteint 165 p. 100. En 2007, elle avait 30 points de moins.
C'est donc un moment critique. Nous revenons en arrière.
Ce qui me préoccupe, c'est que je ne crois pas qu'il soit nécessaire pour le gouvernement fédéral d'enregistrer un gros déficit. Je peux le comprendre pour l'Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador à ce stade-ci, et aussi pour quelques provinces qui éprouvent des difficultés. À mon avis, le gouvernement fédéral n'avait pas besoin d'enregistrer un déficit supérieur à 1,5 p. 100 du PIB, s'il est de 30 millions de dollars pour l'année à venir; on verra à combien il se chiffrera au bout du compte au niveau fédéral.
Il faut se rappeler que les provinces enregistrent elles aussi, en général, des déficits. Si on additionne les déficits des provinces, on arrive à un peu plus de 3 p. 100 du PIB. Avec la hausse de la dette nette, c'est plus de 3 p. 100 du PIB, parce que les déficits sont calculés sans les dépenses en capital. Autrement dit, on amortit les immobilisations, et si une bonne partie de la dette va aux immobilisations, cela ne correspond pas à la définition de dette publique.
La hausse de la dette nette est donc de plus de 3 p. 100 du PIB; plus que la limite prévue par le traité de Maastricht dans les années 1990 en Union européenne.
J'ai donc peur qu'on ne s'aventure sur un terrain glissant. Qu'arriverait-il si nous devions vraiment faire face à une récession? Les déficits ne feront que s'amplifier. Je crois qu'il faudra faire preuve d'une grande prudence pour ne pas miner notre position.
Je suis par ailleurs très déçu de la façon dont la dette nette est calculée au Canada et dans certains pays. C'est problématique, selon moi, parce que le calcul veut qu'on déduise les avoirs financiers de la dette brute pour obtenir la dette nette. Cela semble approprié comme calcul.
Sont soustraits les avoirs du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec. Mais pour calculer la dette nette, on n'inclut pas les passifs futurs associés au versement de ces pensions. Autrement dit, on ajoute simplement les avoirs de ces régimes, moins les versements de l'année en cours, mais pas les versements futurs.
C'est donc dire que tous ces actifs de la sécurité sociale sont soustraits de la dette nette, et on fait fi de passifs énormes associés aux pensions futures, parce qu'il s'agit en réalité de promesses de paiement en vertu du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec.
Je crois qu'il faut être très prudent avec ces façons de calculer la dette nette, car il faut savoir ce qu'elles signifient vraiment. Si on ne compte pas les actifs excédentaires associés à la sécurité sociale, on se retrouve avec une dette nette beaucoup plus élevée en termes de pourcentage du PIB du Canada, car au niveau fédéral, elle est actuellement à quelque 35 ou 31 p. 100. La dette provinciale s'élève à 60 p. 100, mais la dette nette, elle, s'approche des 80 p. 100. La situation est beaucoup plus sombre qu'on pourrait le croire, mais pas autant que pour bien d'autres pays industrialisés après 2009. Nous n'avons pas le luxe de nous asseoir sur nos lauriers et de nous féliciter de nos bons coups, même si c'est vrai que nous avons fait de l'excellent travail; je crains seulement que nous ne soyons en train de régresser.
La sénatrice Ataullahjan : On a beaucoup parlé de redonner espoir à la classe moyenne. Il y a bien des façons de définir la classe moyenne. D'après votre grande expérience et vos vastes connaissances, comment définiriez-vous la classe moyenne?
M. Mintz : Je pense que tout le monde a l'impression d'appartenir à la classe moyenne. Les économistes ont des définitions différentes, mais généralement, il s'agit de déterminer le revenu médian. On peut ensuite tenter de définir la classe moyenne selon un écart-type — un terme de statistique — de un ou deux points à partir de la médiane. C'est ce qu'on pourrait définir comme la classe moyenne. Autrement dit, si le revenu familial moyen ou médian est d'environ 60 000 $ au Canada, la classe moyenne se situerait entre 30 000 $ et 90 000 $; cela englobe une bonne partie de la population.
Ce qui pose problème à mon avis, et je reviens à ce que je disais au sujet du fractionnement du revenu, c'est qu'est-ce qu'on entend par « classe moyenne » quand les familles sont plus ou moins nombreuses et qu'elles ont des besoins différents. Bien sûr, il y a aussi des personnes handicapées qui doivent peut-être engager des dépenses plus élevées que le reste de la population, et le coût de la vie n'est pas le même à la grandeur du pays. On pensera évidemment au prix des maisons à Toronto et à Vancouver. Pour les propriétaires, ce n'est pas un problème, mais pour ceux qui essaient de le devenir, c'est une autre histoire. Dans le Nord, le coût de la vie est plus élevé, car la nourriture et d'autres articles sont plus chers que dans le Sud, en raison des frais élevés de transport. Cela va aussi influer sur votre définition de « classe moyenne ».
Le sénateur Mockler : Vous avez écrit un article sur les politiques judicieuses en matière de fiscalité et de réglementation. Pourriez-vous nous en parler un peu?
M. Mintz : Les politiques judicieuses sur quoi?
Le sénateur Mockler : En Irlande, les politiques fiscales; on parlait du miracle irlandais dans les années 1990.
M. Mintz : Ah, d'accord.
Le sénateur Mockler : On dirait qu'on revient à cette situation.
M. Mintz : C'est en fait une très belle histoire pour les spécialistes en politiques fiscales comme moi, car elle démontre parfaitement toute l'influence que peuvent avoir les impôts. C'est connu, l'Irlande a été un cas désespéré en Europe pendant des siècles. C'était un des pays pauvres de l'Europe. À la fin des années 1960, l'Irlande a décidé de changer du tout au tout sa façon de faire les choses, car elle n'arrivait pas à freiner l'exode de sa population vers l'Europe et l'Amérique. Elle avait également un faible niveau de scolarité. En fait, ce n'est pas seulement que les gens abandonnaient leurs études avant l'université, c'est qu'ils ne se rendaient même pas au secondaire.
L'Irlande a ainsi adopté une stratégie à trois volets. La première consistait à investir dans l'éducation. Elle a offert les études universitaires gratuites pour encourager les gens à se rendre plus loin que le secondaire et à s'inscrire au collège et à l'université. Elle voulait accroître le niveau de scolarité de sa population et produire beaucoup plus de travailleurs qualifiés. L'Irlande avait compris qu'en créant des travailleurs qualifiés, elle devait aussi leur offrir des débouchés pour ne pas qu'ils s'exilent dans d'autres pays.
Deux politiques visant à attirer des entreprises en Irlande et à créer de l'emploi avaient été adoptées. Une prévoyait des investissements afin d'améliorer l'infrastructure en place. L'autre consistait à faire une refonte du régime, notamment en réduisant considérablement les taux des impôts sur le revenu et en instaurant des assiettes fiscales plus larges. La clé a été de réduire considérablement le taux d'imposition des entreprises. Au départ, c'est une réduction de 10 p. 100 qui a été accordée pour le secteur manufacturier et les revenus financiers; plus tard, c'est une réduction globale de 12,5 p. 100 qui a été appliquée.
Cela a permis d'attirer beaucoup de multinationales en Irlande après la fin des années 1960. En 2000, l'Irlande enregistrait un solde migratoire positif, pas négatif. Pendant une vingtaine d'années, l'Irlande a connu la plus forte croissance de tous les pays d'Europe. Conséquemment, sa productivité a également connu une hausse marquée. Sa grande erreur a été de bousiller le système de réglementation financière. Elle n'a pas été très prudente. Je me souviens qu'un chauffeur de taxi me disait, quand j'étais là-bas, qu'il pouvait obtenir une hypothèque équivalant à 125 p. 100 de la valeur de sa maison. Autrement dit, il pouvait aussi se permettre d'acheter des meubles et tout le reste. L'Irlande a ainsi été frappée très durement par la crise financière de 2009 et a dû sauver les banques qui se sont retrouvées dans le pétrin. L'économie a été gravement secouée. S'en est suivi une récession majeure, bien plus grave qu'au Canada et qu'en Australie. L'Irlande a véritablement payé les frais de sa piètre réglementation financière à ce moment-là.
Il est intéressant de voir qu'au cours des deux ou trois dernières années, l'Irlande a regagné son titre de pays d'Europe ayant la plus forte croissance. On est cependant assez loin des 6 ou 7 p. 100 de croissance d'antan. Le taux de croissance se situe maintenant à 3 ou 4 p. 100, ce qui est mieux que ce qu'on arrive à faire en Amérique du Nord et dans bien d'autres pays. L'Irlande a conservé ses politiques principales, celles qu'elle avait adoptées plus tôt, et cela contribue grandement à l'essor du pays.
Le sénateur Mockler : Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires sur le revenu annuel garanti?
M. Mintz : J'en ai parlé brièvement tout à l'heure, mais je peux vous en dire un peu plus à ce sujet.
L'idée de simplifier quelque peu notre système est intrigante, mais je ne crois pas que la notion d'un revenu minimum unique soit fonctionnelle, car les besoins de chaque famille sont trop différents. Je me répète, mais il y a des personnes handicapées et des familles plus ou moins nombreuses, qui ont des enfants d'âges différents, entre autres choses.
Les systèmes de soutien vont prévoir une discrimination des revenus. Il faut savoir que le recouvrement des prestations va se faire à un taux unique, si c'est ce qui doit arriver. On pourrait peut-être éliminer l'assurance-emploi et tous les processus administratifs qui l'entourent.
La sénatrice Marshall : Je veux revenir à la question de la sénatrice Ataullahjan à propos de l'essor de la classe moyenne. Le comité en a discuté à maintes reprises avec divers témoins. Cela commence avec le budget, qui prévoit « d'assurer la croissance de la classe moyenne ». Nous voulons ainsi définir la classe moyenne, de façon à ce que nous puissions comparer la situation à pareille date l'an prochain, pour voir si elle a effectivement connu une croissance.
Votre suggestion est probablement celle qui se rapproche le plus d'une définition assez définitive. Avez-vous donc des moyens à nous proposer pour que nous puissions déterminer l'an prochain si les changements prévus par le budget ont effectivement permis d'assurer la croissance de la classe moyenne?
M. Mintz : Je crois que ce sera difficile, car il y a un délai avant d'avoir ces données, n'est-ce pas?
La sénatrice Marshall : Oui.
M. Mintz : Cela prend plus qu'un an, alors vous ne pourrez pas le déterminer aussi facilement.
Par exemple, les économistes vont prédire une hausse du taux maximal, comme cela a été le cas avec le dernier budget et dans certaines provinces, comme l'Alberta, qui a appliqué une hausse de neuf points au total, mais ce n'est que dans trois ou quatre ans que nous saurons quelles répercussions cette mesure a eues pour le recouvrement des impôts sur le revenu en Alberta. Il faudra attendre tout ce temps pour obtenir les données afin de bien le comprendre. Du moins, c'est le cas pour les données publiques. Peut-être que le gouvernement peut y avoir accès plus rapidement, mais je doute qu'il puisse analyser la question dès l'an prochain, car il faut que l'Agence du revenu du Canada ait le temps de tout colliger.
La sénatrice Marshall : D'accord, parce que le budget parle aussi de prendre des décisions fondées sur des données probantes. Mais vous nous dites que ces données probantes ne seront colligées que quatre ou cinq ans plus tard.
M. Mintz : Oui, ou peut-être deux ou trois, selon le type d'information recueillie. Cependant, Statistique Canada mène des enquêtes qui recensent entre autres les salaires, et je pense que la seule chose qu'il est possible de déterminer est si les revenus familiaux ou individuels augmentent. Est-ce que la situation des gens s'est améliorée au bout de deux ou trois ans? Le problème, c'est qu'il y a un facteur de confusion qui va influer sur cette croissance.
Tout ne renvoie pas qu'au budget et aux dispositions qu'il contient; d'autres facteurs sont à prendre en considération, d'autres choses se passent dans le monde, comme le prix du pétrole, les taux d'intérêt, et cetera. Toutes ces choses ont des répercussions sur la croissance au pays, et on peut bien avancer que telle ou telle mesure aurait pu améliorer ou empirer la situation. Qui sait? C'est ce qui complique l'analyse. Pour y arriver, car c'est possible, il faut des données couvrant une période suffisamment longue pour dresser un bon portrait de la situation.
La sénatrice Marshall : Plusieurs périodes, d'accord.
Vous avez parlé du déficit et de ce qui nous attend à long terme. À ce sujet, le budget de cette année prévoit bien des dépenses, certaines qualifiées de dépenses visant à relancer l'économie, et cela va alourdir le déficit. N'aurait-il pas été préférable que le gouvernement réduise les impôts plutôt que d'accroître les dépenses? Avez-vous des commentaires à formuler là-dessus?
M. Mintz : Cela m'étonne que vous n'ayez pas cité la lettre d'opinion que j'ai publiée récemment sur le sujet.
La sénatrice Marshall : Je vous laisse le soin de le faire.
M. Mintz : Les effets des réductions d'impôt sont beaucoup plus immédiats que ceux des dépenses en infrastructure. En fait, je sais qu'en 2008-2009, le ministre Flaherty tenait mordicus au principe de la péremption, alors il fallait cerner les dépenses en infrastructure qui pouvaient être engagées immédiatement, comme remplir les nids de poule, plutôt que d'entreprendre de grands projets d'infrastructure qui sont peut-être nécessaires, mais qui prennent beaucoup plus de temps à concrétiser.
Je crois en fait qu'investir dans l'infrastructure est un mauvais moyen de stimuler l'économie, sauf pour ce qui est de remplir des nids de poule de temps en temps. À mon avis, l'infrastructure est importante pour bâtir la capacité voulue afin de produire des biens et des services, et c'est davantage un investissement à long terme, et il est important pour la productivité du pays que le secteur privé et le secteur public investissent suffisamment dans l'infrastructure.
C'est pour cette raison que j'estime qu'investir dans l'infrastructure n'est pas un bon moyen de stimuler l'économie. Le Canada doit surtout s'attarder sur des mesures qui permettront aux gens de se déplacer plus rapidement dans les centres urbains et de transporter nos biens et services en vue de leur exportation. Il faut aussi voir aux mesures d'importation, car c'est important pour la croissance.
Ce sont des projets d'infrastructure à beaucoup plus long terme que ce qu'on peut faire à très court terme.
La sénatrice Marshall : Merci.
La sénatrice Eaton : Je vais reprendre là où la sénatrice Marshall s'est arrêtée. Vous parlez de stimulation et d'infrastructure, mais qu'en est-il des oléoducs? Serait-ce une source de stimulation si le gouvernement décidait de construire l'oléoduc est-ouest et peut-être celui de Northern Gateway? Serait-ce une stimulation à long terme?
M. Mintz : Je ne veux pas utiliser le mot « stimulation », mais à long terme...
La sénatrice Eaton : Cela procurerait des avantages à long terme à notre pays et créerait de l'emploi.
M. Mintz : C'est un projet à long terme qui aurait des avantages à long terme pour le pays.
Je pense que cela ne se limite pas aux oléoducs. Je pense qu'il faut discuter de manière plus générale de la façon dont nous construirons l'infrastructure du Canada.
La sénatrice Eaton : Mais tout ce que nous semblons faire, c'est de discuter et de réfléchir.
M. Mintz : L'une des propositions qu'étudie l'École de politique publique en collaboration avec le CIRANO, de l'Université de Montréal, est celle de la mise en place de corridors. Nous parlons du corridor du Nord, qui nous permettrait de déplacer des minéraux, des produits forestiers, du pétrole et du gaz, de faire passer des lignes de transmission d'électricité ou quoi que ce soit d'autre. Il y aurait une préapprobation pour certains corridors, il serait donc beaucoup plus facile, sur le plan réglementaire, d'autoriser ce genre de projet.
La sénatrice Eaton : Je vois. Il suffirait d'ajouter ce dont nous avons besoin dans ce corridor.
M. Mintz : Si vous jetez un coup d'œil au document que nous avons apporté, nous exposons comment vous pourriez établir un corridor à travers le Nord, dans le cadre d'un grand projet qui relierait Terre-Neuve à la Colombie- Britannique, et il n'y aurait pas que les oléoducs. L'objectif serait d'y transporter tous nos biens et services, y compris ceux qui passent par des ports. Le problème, au Canada, c'est qu'il n'y a pas de mécanisme réglementaire qui permette l'approbation facile de ce genre de choses.
L'Australie le fait pourtant de manière très efficace. Par exemple, des gens de TransAlta m'ont dit qu'ils pouvaient bâtir une ligne de transmission d'électricité en Australie et obtenir toutes les approbations voulues en l'espace de six mois. Les mêmes démarches prendraient deux ans au Canada.
La sénatrice Eaton : Parce que le corridor serait déjà établi et qu'il suffirait de l'utiliser.
M. Mintz : Exactement.
La sénatrice Eaton : Cela semble très sensé.
M. Mintz : Tout à fait. Cela se fait dans divers pays africains. J'ai rencontré une personne, à Toronto, qui se spécialise dans ce genre de travail partout dans le monde. Nous pourrions gagner beaucoup en efficacité de cette manière.
Le président : C'est une idée intéressante que vous lancez, monsieur, parce que notre comité des banques se penche justement ce matin sur les projets futurs. L'un d'eux viserait la création du corridor du Nord, et nous avons l'article de l'Université de Montréal que vous venez de mentionner.
Avez-vous terminé, sénatrice Eaton? Pouvons-nous continuer?
La sénatrice Eaton : Oui, je vous en prie.
Le sénateur Mockler : Pour continuer dans la foulée de la question de la sénatrice Eaton, on parle beaucoup du concept de la redistribution de la richesse. Pourrions-nous qualifier l'oléoduc d'Énergie Est de véhicule de redistribution de la richesse d'une côte à l'autre?
M. Mintz : Il faut nous demander ce que le Canada dans son ensemble, plutôt qu'une région en particulier, retirera de l'oléoduc vers l'est. L'Alberta, peut-être la Colombie-Britannique et peut-être une partie de la Saskatchewan pourraient en profiter, puisqu'elles pourront vendre et expédier plus facilement leur pétrole. Mais je vous dirais qu'il ne faut pas oublier que l'oléoduc traversera littéralement des villes et des villages. Il y a des taxes foncières qui s'y rattachent et diverses choses qui aideront les collectivités visées, de même que les provinces, et elles en retireront des avantages économiques. Il faut aussi nous rappeler que toutes les taxes qui sont payées dans les diverses régions du Canada aboutissent dans les coffres du gouvernement fédéral, qui les redistribue aux diverses régions du pays.
Donc oui, il y a des aspects positifs à ce projet pour toutes les parties du pays, mais bien sûr, on peut en dire autant de différents projets et de différentes choses que nous faisons. Je pense que cela nous ramène à toute la question de ce que nous faisons globalement au pays. Nous parlons d'innovation, mais l'innovation consiste à faire les choses plus efficacement, donc à nous doter d'un cadre réglementaire qui nous permette de faire ce que nous avons à faire. Je pense que cela englobe beaucoup de choses, mais si nous voulons améliorer la croissance au Canada, nous devrions aller de l'avant avec ce projet.
Les États-Unis ont construit beaucoup d'oléoducs un peu partout sur leur territoire. Ils exploitent leurs ressources. L'exploitation des ressources suscite de l'opposition dans certaines régions du pays, mais ils vont tout de même de l'avant, n'est-ce pas, avec la construction d'usines de traitement du GNL, le gaz naturel liquéfié, par exemple. Pour notre part, nous attendons toujours l'approbation finale pour la création d'une usine de traitement du GNL sur la côte Ouest.
Le président : Monsieur, voudriez-vous résumer en 30 à 60 secondes le principal message que vous voudriez que nous retenions aujourd'hui?
M. Mintz : Je pense que nous avons besoin d'un meilleur plan pour assurer la croissance du Canada. Je pense que nous devons nous concentrer davantage sur la croissance, parce qu'en bout de ligne, compte tenu du vieillissement de la population et de nos problèmes de productivité, si nous voulons avoir des ressources à redistribuer pour aider les personnes à faible revenu à se sortir de la pauvreté — un concept avec lequel je crois que nous sommes tous d'accord, nous voulons aider les gens dans le besoin —, nous aurons besoin de croissance, des revenus qui en découleront, ainsi que des recettes fiscales qui permettront aux gouvernements de jouer leur rôle.
Le président : Vous avez dit une chose que j'ai remarquée : il faut développer ou simplifier notre cadre réglementaire, c'est l'une des principales solutions. Est-ce un élément fort de votre...
M. Mintz : Oui. Cela s'applique à toutes sortes de politiques gouvernementales. Nous devons adopter une orientation beaucoup plus axée sur la croissance qu'en ce moment.
Le président : Avez-vous eu la chance de prendre connaissance du rapport que le Comité des banques vient de publier sur le commerce interprovincial?
M. Mintz : J'en ai reçu copie, mais j'étais en voyage.
Le président : Vous aurez peut-être la chance de le lire dans l'avion.
M. Mintz : Je prévois le lire, parce que je l'ai en mains et qu'il m'intéresse beaucoup.
Le président : Au nom du comité, je vous remercie infiniment, monsieur, d'avoir pris le temps de venir échanger vos réflexions avec nous sur les incidences du budget de 2016.
Pour la seconde partie de la réunion d'aujourd'hui, nous nous pencherons plus précisément sur les dispositions de la partie 4, section 7 du projet de loi C-15, qui portent sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces. Plus particulièrement encore, nous nous intéressons aux modifications apportées à la formule de financement des territoires.
Pour discuter de cette question, nous accueillons James Tebrake, directeur général, Direction des comptes macroéconomiques chez Statistique Canada, de même que Tom Dufour, directeur, Statistique du secteur public. Nous accueillons également deux représentants du ministère des Finances du Canada, qui sont déjà venus souvent témoigner devant nous : Tom McGirr, chef, Péréquation et politique de la FFT, Division des relations fédérales-provinciales, Direction des relations fédérales-provinciales et de la politique sociale — j'ai presque besoin d'oxygène après cela, Tom —, ainsi que Duane Hayes, chef, Paiements et estimations des programmes, Division des relations fédérales- provinciales, Direction des relations fédérales-provinciales et de la politique sociale. J'ai pris une grande inspiration, Duane.
Monsieur Tebrake, avez-vous préparé un bref exposé? Le cas échéant, je vous donne la parole.
James Tebrake, directeur général, Direction des comptes macroéconomiques, Statistique Canada : Oui, nous vous avons remis une présentation, et j'espère que tout le monde l'a reçue. J'ai préparé une déclaration préliminaire, qui reprend beaucoup le texte de la présentation. Ce sera simplement un peu plus facile pour vous de suivre. En guise de préface, avant d'entrer dans le vif du sujet, je vous mentionnerai que ma déclaration préliminaire vise à vous expliquer un peu le Système canadien des comptes macroéconomiques et à vous expliquer la révision que nous y avons apportée en 2015, ce qui a été révisé et comment cela s'inscrit dans la FFT.
Sur ce, le Système canadien des comptes macroéconomiques est un ensemble de statistiques macroéconomiques qui fournit aux administrations publiques, aux entreprises et aux citoyens une vue d'ensemble à jour de l'évolution et de la structure de l'économie canadienne. Les statistiques sur le produit intérieur brut, la productivité du travail, la richesse nationale et la balance des paiements internationaux proviennent toutes du Système canadien des comptes macroéconomiques.
Chose assez unique au Canada, l'administration se sert également de ces données pour administrer divers programmes gouvernementaux, comme le programme de péréquation, la formule de financement des territoires et le programme de la taxe de vente harmonisée.
Statistique Canada révise régulièrement les estimations du Système canadien des comptes macroéconomiques afin d'y incorporer les plus récents renseignements sur l'économie canadienne, tirés des recensements et des enquêtes annuelles, et d'améliorer les méthodes d'estimations. Ces révisions visent généralement quelques années de données seulement. Périodiquement, le Système canadien des comptes macroéconomiques fait l'objet de révisions exhaustives dont la portée est beaucoup plus vaste. Celles-ci servent à introduire des changements touchant les concepts, la classification et la présentation, ou des améliorations statistiques majeures. Ces révisions portent généralement sur l'ensemble de la série chronologique. Elles améliorent la comparabilité internationale de nos données, mettent à profit les plus récentes innovations méthodologiques dans le domaine de la mesure économique et intègrent des données sources et des techniques statistiques à jour et de meilleure qualité afin d'accroître le niveau de détail et la pertinence des estimations économiques.
Cette stratégie vient appuyer la politique de l'organisme visant à s'assurer que les Canadiens et le gouvernement canadien ont accès à des statistiques économiques fiables, exactes et pertinentes, qui répondent à leurs besoins prioritaires en matière d'information.
En novembre et décembre 2015, Statistique Canada a publié ses estimations pour le Système canadien des comptes macroéconomiques révisées à la lumière de la dernière révision exhaustive. La révision exhaustive est l'aboutissement d'un projet de trois ans visant à harmoniser davantage le Système canadien aux normes internationales proposées par les Nations Unies et le Fonds monétaire international.
Au cours des trois dernières années, il y a eu de nombreuses communications entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, de même que les universitaires, le monde des affaires et divers organismes internationaux quant à la portée et au moment de cette révision.
Le 10 novembre 2015, Statistique Canada a diffusé les données des comptes économiques provinciaux et territoriaux de 2014 ainsi qu'un ensemble révisé des données des comptes économiques, provinciaux et territoriaux couvrant la période de 1981 à 2013. Quelques semaines plus tard, le 1er décembre, nous avons diffusé les données des comptes trimestriels nationaux des revenus et dépenses, qui comprenaient des estimations pour le troisième trimestre de 2015 ainsi que des estimations trimestrielles révisées couvrant la période de 1981 au deuxième trimestre de 2015.
Ces chiffres intègrent quelques grands changements : ils comprennent des améliorations statistiques découlant de l'ajout d'estimations de meilleure qualité et plus détaillées des revenus, des dépenses, des actifs et des passifs des administrations publiques. Ils intègrent également des améliorations statistiques découlant de l'ajout d'estimations révisées du stock de capital du Canada. Nous avons modifié notre traitement des retraites, des régimes de retraite et des régimes de retraite à prestations déterminées et nous avons ajouté du patrimoine en ressources naturelles aux comptes trimestriels du bilan national.
Puisque les données des systèmes des comptes macroéconomiques servent à administrer un certain nombre de programmes gouvernementaux, dont les programmes fédéraux de transferts aux provinces et aux territoires, ainsi que le programme de la taxe de vente harmonisée, les révisions apportées peuvent avoir une incidence sur les paiements effectués entre le gouvernement fédéral et les administrations provinciales et territoriales. Les estimations des comptes économiques provinciaux et territoriaux et des comptes trimestriels nationaux des revenus et dépenses produites par Statistique Canada sont utilisées par le ministère des Finances dans la formule de financement des territoires, conformément à la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces.
Parmi les estimations produites par Statistique Canada et utilisées par le ministère des Finances dans la formule de financement des territoires figurent les dépenses totales des administrations provinciales et territoriales; les paiements de transfert des administrations provinciales et territoriales aux administrations publiques locales; les dépenses totales des administrations publiques locales, les paiements de transfert des administrations publiques locales aux provinces et toutes sortes d'autres données, comme vous pouvez le constater.
Comme nous l'avons mentionné, l'un des principaux changements associés à la révision exhaustive de 2015 est l'amélioration des statistiques financières du gouvernement. Ces dernières années, Statistique Canada a modernisé son programme de statistiques des finances publiques, notamment en adoptant les concepts et les méthodes comptables énoncées dans le manuel de comptabilité publique du Fonds monétaire international et en intégrant des sources de données de meilleure qualité et plus détaillées. Les nouveaux concepts et méthodes comptables et les sources de données améliorées ont donné lieu à des mesures plus précises des revenus, des dépenses, des soldes de fonctionnement ainsi que des actifs et des passifs des administrations publiques.
La série de données que vous voyez ici a été révisée avec la publication des estimations des comptes trimestriels nationaux des revenus et dépenses. Si vous avez le jeu de diapositives en main, je crois que c'est à la page 10 qu'on voit le graphique qui illustre l'ampleur des révisions de données. Vous pouvez constater que nous avons amélioré nos statistiques financières gouvernementales et que nous avons effectué des révisions plus en profondeur pour les périodes les plus récentes que pour les plus anciennes.
Le rôle de Statistique Canada en ce qui a trait à la formule de financement des territoires est de fournir des données au ministère des Finances, tandis que le rôle du ministère des Finances est d'intégrer ces données dans la formule de financement des territoires, conformément à la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces.
À la suite de la diffusion du 1er décembre 2015, le ministère des Finances, conformément à la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, a pris les plus récentes données des comptes économiques provinciaux et territoriaux et des comptes trimestriels nationaux des revenus et dépenses et les a combinés à d'autres renseignements pour déterminer le montant des paiements de transfert versés au Nunavut, au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest.
C'est ici que se termine ma déclaration.
La sénatrice Elizabeth (Beth) Marshall (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : En gros, vous produisez des données, que vous donnez au ministère des Finances, qui les utilise ensuite pour calculer leur incidence sur les divers gouvernements provinciaux et territoriaux.
M. Tebrake : Exactement.
La présidente suppléante : Le sénateur Smith a été rappelé au Sénat. Je suis la sénatrice Marshall, de Terre-Neuve-et- Labrador. Je présiderai la séance jusqu'à son retour.
Est-ce que les représentants du ministère des Finances ont préparé un exposé en réponse à la présentation de Statistique Canada, ou voudriez-vous nous parler davantage du rôle du ministère des Finances?
Tom McGirr, chef, Péréquation et politique de la FFT, Division des relations fédérales-provinciales, Direction des relations fédérales-provinciales et de la politique sociale, ministère des Finances Canada : Je crois que mon collègue de Statistique Canada a décrit avec beaucoup d'éloquence que Statistique Canada produit les données.
Nous avons des lois et règlements détaillés qui prescrivent la formule de financement des territoires utilisée pour calculer les paiements de transfert versés aux territoires. Ces dispositions détaillées prescrivent exactement comment le calcul doit se faire. À l'aide des données, et nous utilisons justement les sources de données de Statistique Canada...
Comme mon collègue de Statistique Canada l'a dit, son ministère produit les données, le nôtre les utilise, si l'on veut, et nous utilisons ces intrants d'une manière bien définie pour calculer les paiements qui seront versés aux territoires.
La présidente suppléante : Pouvez-vous nous dire une chose : cette question a été mise en lumière en raison de son incidence sur le Yukon. Le sénateur Lang, un sénateur qui représente le Yukon, nous a dit que le Yukon s'attendait à un certain financement. Après les révisions effectuées au moyen de votre formule, qui n'a pas changé, si j'ai bien compris (il n'y a que les données utilisées qui ont changé), le territoire s'est vu accorder beaucoup moins d'argent.
Est-ce le seul territoire ou la seule province qui en a reçu moins ou cette révision a-t-elle eu une incidence sur d'autres provinces ou territoires aussi?
M. McGirr : Il y a des transferts aux trois territoires, soit le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, selon la formule de financement des territoires.
Permettez-moi d'abord de vous toucher un mot sur les attentes des territoires. Je ne peux pas vous dire exactement comment le Yukon a établi ses propres estimations, mais nous présumons que ses attentes se fondaient sur les données utilisées pour faire état des dépenses provinciales et locales avant la diffusion des données dont mon collègue de Statistique Canada vient de vous parler. Le Yukon a utilisé ces données pour estimer ce qu'il recevrait pour la prochaine année selon la formule de financement des territoires.
Bien sûr, la formule prescrite par la loi et le règlement exige que le ministre utilise les données disponibles les plus récentes. Quand nous avons effectué le calcul, le chiffre obtenu était inférieur à celui auquel s'attendait le territoire, et il l'était pour tous les autres territoires aussi, pas seulement le Yukon.
La présidente suppléante : Qu'en est-il des autres provinces?
M. McGirr : La formule de financement des territoires ne s'applique pas aux provinces.
La présidente suppléante : Non, mais pour la péréquation? Est-ce que cela modifie les paiements de péréquation?
M. McGirr : La série de données que vous a présentée mon collègue sert également à calculer les paiements de péréquation. Ces révisions de données auront des conséquences sur la répartition des sommes. Le total des paiements de péréquation est lié au taux de croissance de l'économie en général; nous avons une somme fixe que nous versons chaque année. La formule de péréquation est ensuite appliquée pour calculer comment répartir cette somme fixe entre les provinces.
La révision des données aura donc un impact sur la redistribution de l'argent. Dans quelle ampleur? Je n'ai pas l'information sous la main, mais je ne crois pas que les variations soient très importantes.
La présidente suppléante : Sénateurs, je vous cède la parole pour les questions. Sénatrice Eaton, avez-vous une question?
La sénatrice Eaton : Non, je m'excuse, je n'en ai pas. Vous avez posé ma question sur les transferts aux provinces.
La présidente suppléante : J'avais des questions à poser aux représentants de Statistique Canada. Vous avez parlé de l'effet sur trois ans et de la rétroactivité. À quand remonte la période de rétroactivité?
M. Tebrake : Dans le cadre de cette révision, nous sommes remontés jusqu'à 1981, qui est pour ainsi dire l'année où a été créée notre base de données sur les comptes nationaux. Comme vous pouvez le voir sur le tableau de la diapositive 10, qui présente les données du gouvernement, il y a des modifications qui remontent jusqu'à 1981. Les plus importantes visent la période la plus récente.
La présidente suppléante : Oui. Donc, nous dites-vous que l'incidence de la révision sur le Yukon découle de modifications qui remontent jusqu'en 1981?
M. Tebrake : Je dois peut-être préciser une chose avant d'aller plus loin. Nos statistiques se fondent sur les normes comptables macroéconomiques internationales. Ces normes sont révisées périodiquement. C'est la façon dont la communauté internationale atteste du fait que l'économie change, que nos façons de faire changent, si bien que nous devons également changer notre façon de les évaluer. Nous prenons ensuite ces nouvelles normes et les appliquons aux comptes nationaux du Canada.
Comme nos utilisateurs aiment bénéficier d'une belle et longue série de données longitudinales, nous appliquons ces révisions au plus grand nombre d'années possible. Dans ce cas-ci, nous les avons appliquées jusqu'en 1981. La première raison à ces révisions, c'est la publication de nouvelles normes internationales. En même temps, nous avons obtenu des statistiques de meilleure qualité des administrations provinciales, en particulier, et avons intégré ces données de meilleure qualité à l'équation. Ainsi, nous avons révisé les données de toutes les années depuis la création de la base de données.
La présidente suppléante : Des 35 ans?
M. Tebrake : Nous sommes remontés jusqu'à 35 ans.
La présidente suppléante : Merci. Sénatrice Beyak, avez-vous des questions à poser à nos témoins?
La sénatrice Beyak : Non. L'exposé était excellent. Je remplace le sénateur Neufeld, qui est malade. Je ne suis pas aussi au courant que les autres.
La présidente suppléante : Je remercie infiniment nos témoins. Comme il n'y a plus de questions, je lève la séance.
(La séance est levée.)