Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 16 - Témoignages du 25 octobre 2016
OTTAWA, le mardi 25 octobre 2016
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier le projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, chers collègues. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales. Chers collègues et chers téléspectateurs, le mandat de notre comité est d'examiner les questions relatives aux budgets fédéraux en général, ainsi qu'aux finances du gouvernement.
[Français]
Ce matin, nous entamons notre étude du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu.
[Traduction]
Je m'appelle Larry Smith, je représente le Québec au Sénat, et je suis président de ce comité. Je vais rapidement présenter les autres membres du comité : le sénateur André Pratte, le sénateur Joseph Day, ex-président du comité, le sénateur Richard Neufeld, du Nord de la Colombie-Britannique, le très distingué sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Nicole Eaton, de Toronto, et la sénatrice Beth Marshall, ex-vérificatrice générale de Terre-Neuve.
Aujourd'hui, pour analyser le projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, nous avons invité trois spécialistes des questions sociales, économiques et financières.
[Français]
Tout d'abord, nous accueillons le directeur parlementaire du budget, M. Jean-Denis Fréchette.
[Traduction]
Plus tard, nous entendrons également Angella MacEwen, économiste principale au Service des politiques sociales et économiques et sociales pour le Congrès du travail du Canada. J'ai ici une petite note sur Angella : « Mme MacEwen est une figure marquante de la défense des travailleurs à faible revenu et de la revalorisation des femmes dans le milieu de travail. Elle a fait énormément de travail dans le domaine du salaire minimum. Elle est favorable à une redistribution des salaires et à un taux d'imposition supérieur sur les plus nantis dans l'échelle fiscale. Mme MacEwen invite le comité à lire l'article d'Andrew Jackson, intitulé « So-called 'Middle Class' Tax Cut Leaves Out Most Canadians » (la soi-disant réduction des impôts de la « classe moyenne » échappe à la plupart des Canadiens).
Nous aurons aussi, de Vancouver, M. Charles Lammam, directeur des études fiscales à l'Institut Fraser. M. Lammam est un spécialiste de la politique fiscale et des études fiscales. Il n'est pas favorable à l'augmentation des impôts et préférerait une refonte complète de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il estime que des impôts plus élevés découragent la croissance économique et la prospérité.
Peut-être que nous pouvons commencer par une introduction.
[Français]
Monsieur Fréchette, pouvez-vous nous donner un bref aperçu du projet de loi C-2?
Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Avec plaisir.
[Traduction]
Le président : Nous commencerons par vous.
[Français]
M. Fréchette : Je vous remercie, monsieur le président, honorables sénateurs, de cette invitation à comparaître pour discuter du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu.
[Traduction]
Je suis vraiment heureux d'être ici et d'avoir Angella à ma gauche. Je ne comprends pas que M. Lammam, de l'Institut Fraser, puisse être à gauche de Mme MacEwen, du moins ici à Ottawa.
Le Bureau du directeur parlementaire du budget n'a pas publié de rapports spécifiques sur l'ensemble du projet de loi C-2, mais nous avons en main des analyses de certains éléments du projet de loi. Je voudrais vous présenter les grandes lignes de ces analyses, qui, je l'espère, faciliteront l'examen de ce projet de loi important.
[Français]
Le document qui vous a été fourni est bilingue, soit sur la même page ou encore au verso de chacune des pages.
[Traduction]
La première diapositive porte sur l'impact financier des changements qui seraient apportés à l'imposition des particuliers. Le projet de loi C-2 ajouterait un nouveau taux de 33 p. 100 aux particuliers dont le revenu imposable est supérieur à 200 000 $, ce qui toucherait environ 340 000 personnes en 2016. La deuxième tranche d'imposition passerait de 22 à 20,5 p. 100, ce qui concernerait environ 7,5 millions de personnes dont le revenu imposable entre dans cette catégorie.
Les gains estimatifs tirés du nouveau taux d'imposition de 33 p. 100 sur les revenus imposables de plus de 200 000 $ ne couvrent pas les pertes estimatives découlant de la réduction du taux sur la deuxième tranche d'imposition. Comme vous pouvez le voir dans le tableau, l'écart est d'environ 8,9 milliards de dollars entre 2015-2016 et 2020-2021, soit environ 1,7 milliard de dollars par an.
Dans notre rapport, nous avons calculé que la nouvelle tranche d'imposition ferait augmenter de 5 255 $ le montant d'impôt payable par les personnes ayant des revenus supérieurs à 200 000 $ et ferait diminuer de 226 $ le montant payé par les contribuables de la deuxième tranche d'imposition.
La prochaine diapositive porte sur le compte d'épargne libre d'impôt. Qui tire profit de ce type de compte? Où en est-on concernant la limite annuelle de 10 000 $, en vigueur en 2016, mais qui sera ramenée à 5 500 $ par le projet de loi?
Le CELI est un compte régressif. Les ménages plus riches ou plus vieux en tirent des avantages relativement plus importants, et ce pour une excellente raison : ils peuvent contribuer jusqu'à la limite du CELI. Le programme du CELI aurait à peu près doublé en quatre ans en proportion de l'économie, pour passer de 0,7 p. 100 du PIB en 2015-2016 à 0,13 p. 100 en 2019-2020. Autrement dit, la tendance va se renverser, et c'est ce que vous voyez sur la diapositive suivante, qui indique l'impact financier cumulatif des changements apportés au CELI dans le budget de l'année dernière. Les chiffres que vous voyez dans le tableau montrent ce renversement de situation, et, par conséquent, au lieu de 80 millions de dollars en 2015-2016, on reviendra à la situation en vigueur en 2014-2015.
Ensuite, il y a les diagrammes à barres. Quand mes collègues et moi-même sommes venus en juin, nous avons présenté au comité quelque chose qui, je crois, monsieur le président, était votre rapport du DPB préféré.
[Français]
Cela a sans doute été le cas parce que nous l'avions produit à votre demande. Ce rapport, intitulé Analyse financière d'un crédit d'impôt ciblé pour les contribuables dans la deuxième tranche d'imposition, présentait différents scénarios de redistribution de recettes fiscales aux contribuables de cette deuxième tranche.
J'ai extrait deux graphiques de ce rapport qui avaient fait l'objet de discussions lors de notre rencontre en juin dernier. Le premier montre comment les contribuables sont répartis à l'intérieur de la deuxième tranche d'imposition. On constate que le nombre de contribuables n'est pas distribué également ou uniformément selon le revenu; il diminue plutôt — d'où la présentation des barres plus grandes du côté gauche jusqu'aux barres plus petites du côté droit du graphique. En ce sens, le graphique est éloquent, parce qu'il montre les difficultés de cibler, si tel est l'objectif, une catégorie restreinte de contribuables pour recevoir un bénéfice quelconque.
Finalement, le dernier graphique comporte un résumé des quatre options que nous avions élaborées pour vous. Comme on en fait mention dans le titre, ce ne sont que quatre options parmi plusieurs autres possibilités.
[Traduction]
Merci, monsieur le président. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. C'est à vous, madame MacEwen.
Angella MacEwen, économiste principale, Service des politiques économiques et sociales, Congrès du travail du Canada : Merci beaucoup de m'avoir invitée ici aujourd'hui. Je représente les 3,3 millions de membres du Congrès du travail du Canada. Je vous remercie de me donner la possibilité de présenter notre point de vue sur le projet de loi C-2.
Le CTC regroupe des syndicats nationaux et internationaux ainsi que des fédérations provinciales et territoriales de travailleurs et 130 conseils du travail locaux dont les membres travaillent dans presque tous les secteurs d'activité de l'économie canadienne, dans toutes les professions et dans toutes les régions du Canada.
Personnellement, je pense qu'il est important d'analyser ces changements du point de vue de leur capacité à accroître l'équité et à réduire les inégalités, comme vous pouvez le déduire de la présentation que le sénateur Smith a faite à mon sujet. Dans le cas du projet de loi C-2, je pense que les résultats sont mitigés.
La première partie du projet de loi porte sur la réduction d'impôt qui serait applicable à la classe moyenne. Cette proposition vise à réduire le taux d'imposition des particuliers dont le revenu va de 45 000 à 90 000 $ par an, puis à augmenter le taux d'imposition des particuliers dont le revenu est supérieur à 200 000 $ par an. Cette définition de la classe moyenne écarte la plupart des travailleurs, puisque la plupart d'entre eux ne gagnent pas assez pour profiter de cette baisse.
Selon les données de l'Agence du revenu du Canada, seulement un contribuable sur trois avait un revenu imposable de plus de 45 000 $ en 2013. On en est donc déjà au tiers supérieur des contribuables quand on parle de 45 000 $ par an. Étant donné la façon dont notre système fiscal est structuré, le gain maximum de 670 $ par an n'est accessible qu'aux personnes qui gagnent plus de 90 000 $. On est donc déjà en dehors du tableau présenté par le directeur parlementaire du budget, et le gain maximum revient donc aux contribuables qui gagnent entre 90 000 et 200 000 $. On peut affirmer que ce groupe n'en a pas besoin et que ce n'est pas ce qu'on peut appeler la classe moyenne.
Et, par-dessus le marché, on sait très bien que les réductions d'impôt sont le moyen le moins efficace de réduire les inégalités ou de stimuler l'économie.
Il y a une autre façon d'évaluer ce projet de réduction du taux d'imposition de la classe moyenne, et c'est en fonction de son objectif déclaré. Au cours de la campagne électorale, promesse a été faite de réduire les impôts de la classe moyenne et de compenser cette perte fiscale par une augmentation du taux d'imposition des plus riches. Le projet de loi du gouvernement n'est pas fidèle à l'esprit de cette promesse. Comme je viens de l'expliquer, la réduction n'avantage pas les travailleurs à revenu moyen, et le gouvernement a admis depuis que l'augmentation prévue pour la tranche supérieure ne suffira pas, à raison d'un écart d'au moins 1 milliard de dollars, à compenser la réduction du taux d'imposition de ce qui est en fait la classe moyenne supérieure. Le directeur parlementaire du budget a dit qu'il manquera plus de 1 milliard de dollars, peut-être 1,7 milliard.
J'ai utilisé l'instrument de budgétisation en ligne du directeur parlementaire du budget, le Simulateur budgétaire, pour envisager quelques possibilités simples de tenir effectivement cette promesse.
On pourrait modifier le crédit fiscal pour la TPS. On pourrait augmenter le seuil d'élimination progressive du crédit pour la TPS. Il est actuellement d'environ 35 000 $ par an. On pourrait le faire passer à 40 000 et ajouter 50 $ à la prestation pour adulte et 50 $ à la prestation pour personne à charge. Cela coûterait environ 1,2 milliard de dollars par an, et cela correspondrait à ce qu'on prélèverait sur le seuil supérieur.
Pour une famille de quatre personnes, cela augmenterait le crédit annuel d'environ 200 $ par an. Et cela permettrait d'accorder l'intégralité du crédit aux familles dont le revenu est de 35 000 à 40 000 $ par an, et un crédit partiel aux familles dont le revenu maximal serait 61 000 $, comparativement au seuil actuel de 52 000 $. Ce serait donc au bénéfice d'un plus grand nombre de contribuables de la classe moyenne.
On pourrait aussi, tout simplement, faire passer la première tranche d'imposition de 15 à 14,5 p. 100, ce qui coûterait environ 1,8 milliard de dollars et permettrait de réduire l'impôt net de 200 $ par an au maximum. On pourrait réduire un peu plus le premier taux si on augmente un peu le troisième et le quatrième pour compenser, parce que, quand on réduit le taux de la première tranche d'imposition, c'est avantageux pour tout le monde.
Concernant la deuxième partie du projet de loi C-2, qui porte sur le compte d'épargne libre d'impôt, nous pensons que le renversement des changements apportés par le gouvernement antérieur est une mesure positive. En ramenant la limite de contribution annuelle à 5 500 $, on reconnaît que très peu de Canadiens ont les moyens de tirer parti du relèvement de la limite. En fait, environ 8 p. 100 seulement des Canadiens admissibles ont cotisé au niveau maximal au cours des quatre premières années du programme.
Il y a des Canadiens à faible revenu qui cotisent à des CELI, mais il s'agit souvent de personnes âgées qui passent d'un type de placement à un autre, et on n'encourage ni ne favorise pas plus d'épargne. Il y a aussi les parents qui épargnent pour les études universitaires de leurs enfants, et c'est une bonne chose, mais cela ne vise pas nécessairement la classe moyenne.
Le président : Merci beaucoup, madame MacEwen.
Écoutons M. Lammam, de l'Institut Fraser.
Charles Lammam, directeur, Études fiscales, Institut Fraser : Merci, monsieur le président. Merci au comité de me donner l'occasion de faire part de mes réflexions sur le projet de loi C-2. J'espère que mes remarques seront utiles et instructives dans le cadre de vos délibérations sur ces importants enjeux de politique gouvernementale.
Je suis le directeur des études fiscales à l'Institut Fraser. Permettez que je dise quelques mots sur l'institut : c'est un groupe de réflexion indépendant et non partisan sur les politiques économiques. Sa mission est d'évaluer l'impact des politiques gouvernementales et d'expliquer aux Canadiens en général les répercussions de ces politiques sur leur vie et celle des générations à venir.
Mes recherches portent sur les politiques économiques en général, mais sur les politiques fiscales en particulier. Au début de l'année, j'ai rédigé, en collaboration avec un autre auteur, un rapport d'étude intitulé Canada's Rising Personal Tax Rates and Falling Tax Competitiveness (l'augmentation des taux d'imposition des particuliers et la chute de la compétitivité fiscale au Canada). Beaucoup de mes observations sont tirées des conclusions de cette étude, qu'on peut trouver sur notre site web.
Je dois préciser que les observations que je vais formuler aujourd'hui ne traduisent que mes propres opinions et observations sur l'étude que nous avons effectuée. Je ne parle pas au nom d'autres membres de l'Institut Fraser.
Je voudrais commencer en disant qu'un climat économique positif a besoin d'un système fiscal concurrentiel. Des données empiriques recueillies dans le monde entier attestent que les impôts peuvent influencer la décision des gens de s'engager dans des activités économiques productives, qu'il s'agisse de travailler dur, de perfectionner ses compétences, d'investir ou de créer une entreprise. En décourageant ces activités économiques productives, les taux d'imposition élevés et en augmentation, notamment sur les particuliers très qualifiés, comme le nouveau taux proposé dans le projet de loi C-2, finissent par entraver la croissance économique et la prospérité, alors que c'est ce que cherchent à réaliser tous les gouvernements du pays.
En fait, c'est à cause de taux d'imposition élevés et en augmentation qui nuisent à l'économie que le gouvernement, bien souvent, a une assiette fiscale moins importante que prévue. Ce n'est pas différent dans le cas du présent projet de loi.
Les impôts sur les revenus des particuliers sont particulièrement importants quand on veut développer une économie fondée sur le savoir et attirer et garder des travailleurs très qualifiés comme des entrepreneurs, des avocats, des hommes d'affaires, des ingénieurs et des comptables, et là encore, c'est ce que veut le gouvernement. Le nouveau taux d'imposition marginal fédéral supérieur proposé dans le projet de loi C-2 et les récentes augmentations des taux d'imposition adoptées dans beaucoup de provinces canadiennes entravent notre capacité à attirer et à garder des travailleurs qualifiés et, en fait, découragent les Canadiens de réaliser leur plein potentiel.
Ce qui est problématique, c'est que le nouveau taux d'imposition supérieur fédéral de 33 p. 100 s'ajoute à plusieurs augmentations d'impôt, à l'échelle provinciale, sur le revenu des travailleurs très qualifiés. Pour ne prendre qu'un exemple, compte tenu des hausses d'impôt fédérales et provinciales, en Ontario, le taux marginal supérieur combiné fédéral/provincial est passé d'environ 46 p. 100 en 2009 à un peu moins de 54 p. 100 cette année. C'est plus de 7 points de pourcentage en à peine quelques années.
Selon les dernières données disponibles, le taux marginal supérieur combiné en vigueur en Ontario classe maintenant la province au septième rang de 34 pays industrialisés à cet égard. La compétitivité fiscale du Canada est encore plus compromise par le fait que des taux supérieurs applicables s'appliquent souvent aux niveaux de revenu inférieurs. Et il faut s'en souvenir, car il n'y a pas que les taux qui comptent, il y a aussi les niveaux de revenu auxquels ils s'appliquent.
Plus généralement, à cause des récentes hausses d'impôt, le taux supérieur combiné est maintenant de plus de 50 p. 100 dans 6 provinces sur 10. Si on y réfléchit un instant, cela veut dire que, dans la plupart des provinces du Canada, dont les deux plus grandes, les travailleurs très qualifiés peuvent perdre plus de la moitié de chaque dollar supplémentaire de rémunération en impôt sur le revenu des particuliers.
Il n'y a pas que le taux supérieur qui n'est pas concurrentiel au Canada. Dans la plupart des provinces, les Canadiens qui gagnent 50 000 $ de revenu de travail sont assujettis à un taux d'imposition supérieur à ce qu'on trouve dans la plupart des États américains, et ce même si le taux fédéral passe de 22 à 20,5 p. 100. Autrement dit, le projet de loi C-2 ne fait pas grand-chose pour régler le problème des taux d'imposition non concurrentiels, même pour les Canadiens de la classe moyenne.
Pour le dire sans détour, le projet de loi C-2 réduira la compétitivité des taux d'imposition au Canada et finira par compromettre la croissance économique et la prospérité.
Il faut se souvenir que les gouvernements fédéraux antérieurs, aussi bien libéraux que conservateurs, étaient conscients de l'importance d'un système concurrentiel d'imposition du revenu des particuliers. Par exemple, dans le plan économique de Paul Martin, en 2005, on peut lire que « la diminution de l'impôt des particuliers profiterait également aux Canadiens à revenu moyen ou élevé, et elle les encouragerait encore plus à travailler, à épargner et à investir (...) [et qu'un régime plus concurrentiel d'impôt sur le revenu des particuliers] inciterait un plus grand nombre de Canadiens à investir dans leurs compétences et à demeurer au Canada, où leurs talents aideront à bâtir une économie plus forte et plus prospère ». Quelques années plus tard, le gouvernement conservateur de Stephen Harper affichait le même point de vue dans son propre plan économique. Malheureusement, depuis, les taux marginaux imposés aux travailleurs très qualifiés sont devenus de moins en moins et non pas de plus en plus concurrentiels.
C'était ce que je voulais vous dire à titre d'introduction. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Lammam. Souhaitons la bienvenue au sénateur Grant Mitchell, à la sénatrice Diane Bellemare et à la sénatrice Andreychuk.
La sénatrice Marshall : J'ai des questions pour tous nos témoins. Et je vais commencer par le directeur parlementaire du budget. Vous avez dit, dans vos remarques préliminaires, que vous n'aviez pas analysé le projet de loi dans son entier. Je sais que votre rapport était centré sur la deuxième fourchette et la fourchette supérieure.
Même si vous n'avez pas examiné le projet de loi dans son entier, est-ce que vous pouvez nous dire quel groupe il avantage le plus? Je vous demande cela parce qu'il n'y a pas que les taux qui ont changé, il y a aussi les fourchettes. Est-ce que vous pouvez nous dire quel groupe profite le plus de la réduction d'impôt?
M. Fréchette : Merci de cette question. En effet, nous avions deux scénarios, et Mme MacEwen a fait allusion à la première tranche. Le premier scénario ne concernait que le projet de loi C-2, c'est-à-dire la réduction du taux d'imposition de la deuxième tranche. Nous avons constaté, comme je l'ai dit, que, bien sûr, dans la deuxième tranche, sept millions de personnes seront avantagées, mais pas également, comme vous l'avez vu dans le graphique que je vous ai montré tout à l'heure, mais que les contribuables de la tranche supérieure seront avantagés aussi. En conséquence, ce sont 30 p. 100 de tous les contribuables qui profiteront de la réduction d'impôt dans la deuxième tranche.
Dans notre scénario, si on commence par la première tranche, on a évidemment un plus grand nombre de contribuables qui profiteront de la réduction : on parle de 60 p. 100. À 50 p. 100, on commence à enregistrer des avantages pour les contribuables, incluant, évidemment, les contribuables à revenus plus élevés.
La sénatrice Marshall : D'accord. Et la fourchette des revenus, disons, de 126 000 à 140 000 $? Est-ce que vous avez pu faire les calculs pour différentes fourchettes?
M. Fréchette : Nous nous sommes seulement intéressés à la deuxième tranche de ce qui est proposé dans le projet de loi C-2.
La sénatrice Marshall : Quel est le salaire en plein dans la moyenne? Est-ce que vous pouvez nous dire le nombre de contribuables ayant produit une déclaration qui se trouvent en deçà de ce seuil d'imposition et l'autre moitié de revenus supérieurs? Est-ce possible?
M. Fréchette : Non. Nous avons examiné cette tranche, et ce sont les scénarios que nous avons envisagés dans le deuxième rapport destiné au président et au Parlement dans son ensemble. Nous avons retenu quatre scénarios parmi beaucoup d'autres.
Ce que nous avons montré à ce moment-là, c'est qu'il est très difficile de viser un groupe précis. Le président a parlé de la classe moyenne comme étant constituée des contribuables qui gagnent entre 55 000 et 56 000 $, et nous avons expliqué que le BCP n'a pas de définition de la classe moyenne : on se sert des notions de faible revenu et de revenu moyen. Il est très difficile, comme vous pouvez le voir dans le graphique, de viser le groupe des contribuables gagnant 56 000 $ tout simplement parce que la répartition se fait parmi les gens de toute cette deuxième tranche. Ceux dont les revenus sont plus élevés, à l'extrémité supérieure de cette tranche, profiteront un peu plus que ceux dont les revenus se trouvent à l'extrémité inférieure.
La sénatrice Marshall : J'ai parcouru vos deux rapports, celui que vous avez fait pour le sénateur Smith et celui que vous avez fait pour un député dont je ne me rappelle pas le nom. J'ai regardé les chiffres, et vous y parlez de quelque chose que vous appelez les réactions comportementales induites des contribuables concernés, et, pour moi qui suis comptable, c'est quelque chose de nouveau. En fait, vous avez fait des ajustements à votre tableau. Est-ce que vous pourriez nous expliquer ce que cela veut dire?
M. Fréchette : La demande est venue du sénateur Smith, mais je rappelle que nous faisons cela pour tous les parlementaires. Nos rapports sont publiés à l'intention de tous les parlementaires.
La sénatrice Marshall : Merci.
M. Fréchette : Quand vous parlez de comportement, les gens n'aiment pas payer d'impôts, et je pense que M. Lammam en a parlé. Il y a de l'élasticité dans le revenu imposable à un certain moment. Quand les gens doivent payer plus d'impôts, ils cherchent à les éviter. Nous avons tenu compte des conséquences de ce comportement dans notre analyse. Évidemment, les contribuables à revenus plus élevés ont plus de possibilités, grâce aux gens qualifiés qui travaillent pour eux, de réduire leur revenu imposable d'une façon ou d'une autre.
Hier, nous avons publié un rapport sur les recettes du gouvernement pour l'exercice 2015-2016, et nous avons remarqué que l'annonce de l'augmentation du taux d'imposition à 33 p. 100 a probablement déjà eu un certain impact. Les recettes découlant des impôts sur le revenu des particuliers ont légèrement augmenté en conséquence.
La sénatrice Marshall : Et les contribuables à faible revenu? Est-ce qu'il y a eu un impact sur leur comportement aussi?
M. Fréchette : Oui, mais, comme ils gagnent moins d'argent, ils ont plus de mal à trouver des moyens de payer moins d'impôt. L'impact sur le comportement est un peu moins marqué que sur celui des contribuables à revenus plus élevés.
M. Lammam : À ce sujet, je voudrais dire un mot concernant l'impact sur le comportement des contribuables. Il est certain que les contribuables à revenu plus élevé sont plus susceptibles de réagir aux changements de taux d'imposition en faisant de la planification et en déplaçant des revenus pour éviter des taux plus élevés. La plupart des économistes seront d'accord. La question est de savoir dans quelle mesure cela modifie le comportement des contribuables.
Rappelons-nous que, quand le gouvernement a d'abord proposé son plan fiscal, avec un nouveau taux sur les revenus les plus élevés et une réduction pour les contribuables de la classe moyenne, on pensait que les recettes supplémentaires tirées des taux supérieurs compenseraient les pertes fiscales aux échelons inférieurs. Le gouvernement n'a pas tenu compte, comme il aurait fallu, de cette réaction et il l'a même reconnu dans son budget en disant que le coût net serait plus près de 1,3 milliard de dollars parce que les contribuables à revenu plus élevé réduiront leur main-d'œuvre et ajusteront leurs affaires fiscales en conséquence. Je crois que, selon les estimations du BCP, le coût net sera de 1,6 milliard de dollars à cause de cette réaction, et d'autres pensent que ce sera plus encore. Il faut vraiment comprendre qu'on reconnaît bien ici que les impôts changent le comportement des gens. Ces hausses d'impôt ont souvent des conséquences inattendues.
Pour en revenir à la question de l'impact, c'est vrai que le projet de loi C-2 a un impact sur l'impôt des particuliers, mais il faut voir les choses du point de vue holistique, à l'échelle des plans fiscaux du gouvernement. Quand on examine les divers changements annoncés et mis en œuvre ou qui seront annoncés, il faut vraiment comprendre que les Canadiens à revenu moyen paieront en fait plus d'impôt.
Si on réfléchit aux changements apportés au Régime de pension du Canada, par exemple, il faudra que les Canadiens paient plus d'impôt sur le revenu et tiennent compte de l'élimination du fractionnement des revenus des couples et l'élimination de divers autres crédits fiscaux, et les Canadiens à revenu moyen vont en fait payer plus d'impôt quand tous ces changements seront effectifs.
Mais, surtout, les Canadiens à faible revenu, ceux qui gagnent moins de 45 000 $ par an, ne profiteront en rien de la réduction d'impôt sur le revenu des particuliers, parce que le taux s'applique seulement à la tranche des revenus de 45 000 à 90 000 $. Ils ne profiteront pas de cette baisse d'impôt, mais ils devront payer plus à cause de l'augmentation des cotisations au RPC et de l'élimination de divers autres crédits fiscaux.
Merci de m'avoir permis d'attirer l'attention sur ces deux points.
La sénatrice Marshall : Dans vos remarques préliminaires, en dehors des particuliers et de la fourchette supérieure qui paieront plus d'impôt, vous avez dit aussi que cela aura un impact sur l'ensemble du pays parce que cela va décourager l'innovation. Je n'ai pas le texte ici, mais est-ce que vous pouvez nous rafraîchir un peu la mémoire à ce sujet?
M. Lammam : Bien sûr. Il y a en fait deux manières dont les changements fiscaux vont se répercuter négativement sur notre pays. La première concerne les stimulants économiques et la deuxième concerne notre compétitivité.
Quand on augmente les impôts, surtout le taux supérieur proposé dans le projet de loi C-2, on décourage les travailleurs les plus mobiles, qui ont les moyens de planifier leurs affaires fiscales et qui peuvent trouver des possibilités ailleurs. À la base, on leur envoie un signal négatif sur la façon dont nous voulons favoriser un environnement économique stimulant un comportement économique productif.
Il faut examiner la situation du Canada actuellement, après ces changements, dans une perspective internationale. Nos taux sont de moins en moins concurrentiels, et je ne parle pas seulement des changements apportés à l'échelle du gouvernement fédéral. Beaucoup de provinces ont aussi apporté des changements. La hausse de sept points de pourcentage en Ontario et le fait que 6 provinces sur 10 affichent des taux de plus de 50 p. 100 envoient un signal négatif à l'étranger sur la compétitivité de l'économie canadienne.
Franchement, nous sommes à un carrefour important, parce que la croissance économique est en train de ralentir. Il y a beaucoup de choses à l'échelle internationale que le gouvernement ne peut pas contrôler. Ce qu'il peut contrôler, ce sont ses politiques. Les impôts ne sont certainement pas la seule chose qui compte dans notre performance économique, mais, marginalement, c'est une chose qui peut faciliter l'activité économique ou la décourager. Malheureusement, les changements proposés dans le projet de loi C-2 découragent la croissance, et cela arrive à un moment où le Canada a besoin de plus de croissance.
La sénatrice Marshall : Merci. Je sais que je n'ai plus de temps, mais mettez-moi dans la deuxième série, parce que j'ai une question pour Mme MacEwen.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Merci à vous tous pour votre participation. Ma question s'adresse à vous trois, mais plus particulièrement à M. Fréchette. C'est toujours difficile de parler de fiscalité et d'augmentation de taxes. Par contre, c'est toujours facile de trouver des problèmes. Quand on parle de taxes, il faut aussi parler des transferts, de ce qu'on reçoit en revenus.
J'examinais dernièrement les coefficients qui mesurent les inégalités de revenus au Canada, et je constate qu'il y a eu une tendance à l'augmentation du coefficient de Gini depuis les années 1980. Dans l'équation, il y a donc les taxes et les transferts.
Avez-vous analysé l'impact budgétaire global? Par exemple, quand on accorde d'importantes allocations familiales non imposables à tout le monde, cela coûte plus cher que l'ancien système, et il faut payer avec les taxes.
Avez-vous étudié l'impact, sur la classe moyenne, de l'ensemble des mesures budgétaires, y compris l'abolition du fractionnement du revenu, les allocations, les changements fiscaux? Avez-vous observé l'impact en valeur absolue ou en pourcentage du revenu imposable?
Dans le cadre du projet de loi C-2, peut-on examiner l'impact en pourcentage du revenu imposable? Est-ce différent de l'impact en valeur absolue?
[Traduction]
Le président : Je voudrais avoir l'avis de Mme MacEwen, s'il vous plaît.
[Français]
M. Fréchette : Comme je l'ai dit dans mes notes d'allocution, on n'a pas réalisé d'examen global du projet de loi C-2. On aimerait bien le faire, mais on a une limite de capacité dans nos analyses.
Vous avez tout à fait raison en ce qui concerne le coefficient de Gini. Effectivement, il y a eu un certain déplacement au cours des dernières années. Le Canada se situe à un niveau relativement respectable par rapport à d'autres pays de l'OCDE.
Quant à la difficulté que vous avez soulevée, nous sommes trois économistes ici avec probablement trois visions tout à fait différentes sur ce sujet. Le seul point qui nous rallie est sans doute une réforme assez complète des 3 000 pages de la Loi de l'impôt sur le revenu.
J'aimerais revenir sur un point de ma présentation. Lorsque vous voulez faire payer les riches, par exemple, pour financer ou subventionner les personnes à revenu plus faible, c'est extrêmement difficile de cibler. Tout le monde autour de la table sera d'accord pour dire que diminuer les impôts de la classe moyenne ou des revenus plus faibles ou intermédiaires, c'est une bonne chose. Par contre, personne ne sera d'accord pour dire qu'il faudra faire payer essentiellement les riches. Certains l'affirmeront, d'autres non. C'est la difficulté qu'on a et c'est le choix difficile que vous avez à faire lorsque le directeur parlementaire du budget vous fournit des chiffres. On a dit que cela coûtait 8,9 milliards de dollars supplémentaires pour changer le taux d'imposition sur la deuxième tranche, comme M. Lammam l'a dit, au lieu d'être tout à fait neutre. Ce n'est pas neutre. Il y a un coût associé à cela. Doit-on décréter un 33 p. 100 supplémentaire ou tout simplement imposer selon les revenus globaux et l'espace fiscal du gouvernement? Il s'agit d'une question ouverte à laquelle je ne peux pas vraiment répondre.
[Traduction]
La sénatrice Bellemare : Est-ce que vous avez pensé à associer tous ces changements et à calculer l'effet net de la prestation pour enfants, du fractionnement des revenus, des nouveaux taux d'imposition du revenu, tout cela ensemble? Est-ce que vous avez une idée de qui profitera de ces changements?
Mme MacEwen : Je fais partie du budget fédéral alternatif proposé par le Centre canadien de politiques alternatives. Quand nous proposons une mesure comme la prestation fiscale pour enfants ou l'amélioration du Supplément de revenu garanti pour les personnes âgées, nous faisons une analyse pour déterminer qui profitera de ces mesures et évaluer l'impact de tout ce que nous proposons.
Nous avons proposé au gouvernement de faire la même chose. Quand il élaborera son budget en mars, il devrait procéder à une évaluation de son impact pour déterminer en quoi il permettra de réduire les inégalités, de lutter contre la pauvreté. Il faut savoir comment ces changements interagissent pour produire les résultats escomptés, parce que, comme vous le dites, il faut payer la note quelque part. Si on ne paie pas en augmentant les impôts, on le fera en réduisant les services. On sait aussi que cela a un impact sur les inégalités, sur le bien-être, et cela a un impact bien plus important sur notre productivité qu'une augmentation du taux fiscal de la tranche supérieure.
Si on examine des endroits vraiment productifs et propices à l'entreprise, comme la Silicon Valley et New York, on constate que les taux marginaux de la tranche supérieure sont très élevés, et on comprend qu'il est très difficile d'accepter l'argument de M. Lammam, à savoir que cela suffirait à décourager l'esprit d'entreprise des gens créatifs.
On sait que la prestation fiscale pour enfants et l'élimination du fractionnement des revenus contribueront à réduire la pauvreté et les inégalités. Il faudra attendre un peu pour voir comment cela se joue.
On sait que le gouvernement précédent a abandonné beaucoup d'espace fiscal en réduisant la TPS de 2 p. 100. On sait aussi qu'il y a eu une réduction des services publics. Il faudra trouver un moyen de payer tout cela, soit en augmentant les impôts quelque part ou en réduisant encore les services. C'est le choix que doit faire le gouvernement, et il faut analyser les répercussions de ce choix sur la pauvreté et les inégalités.
M. Lammam : Angella, nous avons comparé les taux à l'échelle du Canada, dans les provinces et dans les États américains et nous sommes non concurrentiels au sens empirique du terme. Évidemment, je vous invite à faire cette analyse.
Pour ce qui est de l'impact effectif de ces changements fiscaux sur les inégalités de revenu, j'invite les membres du comité à consulter une étude de référence effectuée par le professeur Kevin Milligan et Michael Smart, qui ont examiné la capacité des taux d'imposition supérieurs à se répercuter sur ces inégalités ou à les réduire. Ils ont constaté que ce n'est pas une mesure très productive à cet égard.
Plus généralement encore, si on incorpore les transferts dans cette analyse, qui n'a rien à voir avec le projet de loi, mais qui fait partie de ce que fait le gouvernement en ce moment, il faut aussi aborder l'évaluation des taux d'imposition d'un point de vue holistique.
Les économistes font ce qu'ils appellent l'évaluation de la part efficace des impôts payés par les contribuables. Cela dépend en partie des impôts sur le revenu des particuliers, mais aussi de la réduction des transferts de divers programmes gouvernementaux en fonction de l'augmentation du revenu. Ce qui s'est passé dans le cas de la Prestation fiscale pour enfants, c'est que le taux de réduction ou de récupération applicable a augmenté pour beaucoup de Canadiens. Quand on tient compte de l'augmentation du taux de récupération et du système d'imposition du revenu des particuliers, on se rend compte que les familles canadiennes, notamment celles qui ont des enfants, pourraient bien être encore plus dissuadées de gagner plus d'argent.
Voilà l'essentiel. Nous devons examiner les modifications fiscales, mais pas à un moment précis dans le temps. Il faut se rendre compte qu'en apportant des modifications fiscales, qu'il s'agisse de l'impôt des particuliers ou de programmes divers récupérés par le gouvernement, vous modifiez en même temps le comportement futur des contribuables, et c'est très important. Non seulement ces modifications auront une incidence sur la répartition des revenus aujourd'hui même, mais elles auront aussi des effets dynamiques sur la répartition des revenus dans l'avenir.
Le fait d'augmenter les taux d'imposition des travailleurs hautement qualifiés envoie aux contribuables à revenu moyen le message négatif qu'en ayant plus de revenus, ils seront en fin de compte pénalisés pour ce succès. Le message est tout aussi négatif quand l'augmentation découle de taux de récupération élevés, c'est-à-dire qu'il y a une perte de sommes importantes lorsque les revenus provenant des transferts gouvernementaux augmentent. La mobilité des revenus, qui est plus importante que la répartition des revenus, risque alors d'être réduite.
Les hauts salariés au Canada paient déjà une somme disproportionnée d'impôt sur les revenus qu'ils gagnent. Cette affirmation provient de Statistique Canada. La tranche supérieure de 1 p. 100 des contribuables, soit ceux qui ont un revenu de plus de 220 000 $, touche 10 000 $ du revenu total de la nation et verse plus de 20 p. 100 du total de l'impôt sur le revenu fédéral et provincial de la nation, de sorte qu'ils assument déjà une somme disproportionnée du fardeau fiscal.
[Français]
Le sénateur Pratte : Mes questions s'adressent au directeur parlementaire du budget.
[Traduction]
Les témoins sont aussi invités à se joindre à la discussion, bien sûr.
[Français]
Monsieur Fréchette, il y a quelque temps, dans un discours remarqué et remarquable, le sénateur Smith a mentionné à maintes reprises l'une de vos recherches. Selon les informations qu'il nous a transmises, près de 65 p. 100 des Canadiens ne bénéficient pas de la baisse d'impôt ou que la baisse d'impôt prévue dans le projet de loi C-2 ne bénéficie qu'à 35 p. 100 des Canadiens ou quelque chose du genre.
Qui fait partie du 65 p. 100 qui ne bénéficiera pas de la baisse d'impôt? Est-ce les personnes qui se situent dans la fourchette des contribuables qui paient moins de 22 p. 100 d'impôt et ceux qui ne paient pas du tout d'impôt?
M. Fréchette : Les contribuables qui ne paient pas du tout d'impôt, je crois que Mme MacEwen l'a évoqué plus tôt, ce sont ceux qui gagnent jusqu'à 45 000 $. Bon nombre de personnes ne paient pas beaucoup d'impôts. Essentiellement, c'est là que l'on retrouve les chiffres que vous mentionnez.
On parle toujours de l'échelle, c'est-à-dire que ceux qui gagnent 200 000 $ et plus profitent de la diminution d'impôt du deuxième palier d'imposition qui baissera à 19 p. 100. Dans tous les calculs, c'est ce que l'on prend en considération. Tout le monde est favorable à une baisse d'impôt pour cette catégorie de personnes à l'intérieur de ce palier. Vous payez moins d'impôt pour des gens dont le niveau d'imposition est à 50 000 $, ce qui est une bonne chose pour ces gens. Par contre, cela profite également à ceux qui gagnent beaucoup plus que 90 000 $.
Le sénateur Pratte : Dans le 65 p. 100 qui ne bénéficiera pas de la baisse d'impôt, de 30 à 35 p. 100 de contribuables ne paient pas d'impôt. Donc, quelle que soit la baisse d'impôt qu'on accorde, ils ne profiteront jamais d'une baisse d'impôt, puisqu'ils n'en paient pas.
M. Fréchette : Ils n'en paient pas du tout ou très peu ou pourraient en payer moins. Comme le démontre notre deuxième scénario, au lieu d'affecter la deuxième tranche d'imposition, si on allait à la première, les baisses de 15 p. 100 réduites à 14 p. 100, on ciblerait beaucoup plus de gens parce que les niveaux sont plus bas. Il est plus important pour ces gens de payer moins d'impôts, pour ceux qui en paient, dans cette catégorie.
Le sénateur Pratte : Par contre, baisser les impôts au niveau de la première fourchette coûte très cher.
M. Fréchette : Cela coûte 21,3 milliards de dollars au cours de la période de cinq ans.
Le sénateur Pratte : Ma deuxième question porte sur l'augmentation du déficit en raison des coûts qui découlent de cette mesure. L'augmentation d'impôt pour les contribuables qui gagnent plus de 200 000 $ ne suffit pas à combler l'écart. Donc, cela augmente le déficit à 1,8 ou 1,9 milliard de dollars en moyenne par année pour une période de quatre ans, soit un total de 8,9 milliards de dollars. Maintenant, si je me fie à vos dernières projections, ce 1,8 milliard de dollars est sur un déficit d'environ 24 milliards de dollars pour 2017-2018. Proportionnellement, ce n'est pas si important?
M. Fréchette : Vous faites référence à notre rapport d'hier où l'on a fait nos perspectives économiques et financières, notre mise à jour. Effectivement, on montre que le déficit sera de 22 milliards de dollars. Cela dit, si on regarde l'objectif budgétaire du gouvernement, soit la cible de 30 p. 100 dette/PIB en 2020-2021, on s'aperçoit qu'il pourrait atteindre cet objectif deux ans plus tôt, c'est-à-dire en 2018-2019. Cette cible sera déjà à 30 p. 100. On prévoit qu'en 2020-2021, la cible budgétaire sera de 29 p. 100. Le gouvernement dispose d'un espace fiscal de 6 milliards de dollars au cours des prochaines années soit pour réduire les impôts, soit pour augmenter les dépenses.
Le sénateur Pratte : Donc, 1,8 ou 1,9 milliard de dollars, c'est énormément d'argent, mais dans l'ensemble de la situation financière du gouvernement, ce n'est pas la fin du monde.
M. Fréchette : Ce n'est pas la fin du monde. Il y a un espace fiscal que les décideurs publics peuvent utiliser à leur guise.
[Traduction]
Mme MacEwen : Selon M. Fréchette, tout le monde est d'accord pour réduire l'impôt des contribuables qui gagnent 50 000 $. J'ai souligné qu'il existe probablement une façon plus efficace de dépenser cet argent que de réduire l'impôt
Une somme de 1,8 milliard de dollars peut sembler petite par rapport au budget global, mais elle pourrait servir par exemple à la construction d'un bon nombre de maisons et à créer ainsi des emplois. Elle pourrait servir à la rénovation de maisons, ce qui aiderait à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Des mesures plus efficaces auraient eu des incidences et des effets multiplicateurs plus importants que de donner à tout le monde un chèque de 200 $ avec lequel chacun pourrait acheter une chose dont il a besoin. Ce n'est que 200 $ par personne, mais globalement, il s'agit d'une somme importante.
M. Lammam : J'aimerais revenir sur un point que j'ai soulevé plus tôt en ce qui concerne l'analyse des effets que peut avoir le projet de loi C-2. J'élargirais l'analyse pour examiner toutes les modifications fiscales qui ont été apportées, ce qui nous donnera une meilleure idée de l'incidence nette de ces modifications sur les Canadiens.
Je voudrais aborder juste un point en ce qui concerne le dernier sujet de discussion sur le déficit et si nous avons la capacité financière de nous lancer dans ce type de réforme. Les gens peuvent être en désaccord avec la situation financière du gouvernement, mais nous devons nous rappeler que si la croissance économique est lente, nous ne sommes pas pour autant en récession. Les dépenses gouvernementales qui entraînent des déficits augmentent le niveau de risque. En effet, lorsque survient un changement au chapitre des perspectives de croissance économique du Canada et que la croissance faiblit, le fait d'être alors dans une position déficitaire aura une incidence négative encore plus importante sur le budget du gouvernement en raison de la diminution des revenus et de l'augmentation automatique des autres dépenses. Il ne s'agit donc pas d'une façon prudente d'aller de l'avant en terme d'accroître le déficit, surtout au moment où nous ne sommes pas en récession économique.
[Français]
Le sénateur Pratte : Je suis également toujours inquiet de voir les gouvernements dépenser beaucoup d'argent, mais quand on compare cette dépense au gigantesque programme d'infrastructure, même s'il représente un investissement, il reste que, relativement parlant, l'impact sur le déficit est vraiment très modeste.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Ma question s'adresse à M. Lammam. Quand vous dites que les taux d'imposition sont non concurrentiels au Canada et qu'un grand nombre de contribuables seront au-dessus de 50 p. 100, quelle sera l'incidence sur la TPS? Nous parlons de l'impôt sur le revenu des particuliers que nous payons à même notre chèque de paye hebdomadaire et chaque fois que nous faisons un achat. Ça doit également avoir une incidence, notamment sur les contribuables gagnant de 45 000 $ à 1 million de dollars. Aurait-il été plus efficace de réduire la TPS pour certaines tranches d'imposition plutôt que de réduire ou augmenter les taux d'imposition? Il y a toujours un choix à faire. Il m'apparaît que la TPS aurait été une meilleure façon d'aller de l'avant.
M. Lammam : Je répondrai à cette question en examinant les faits. Les faits ne mentent pas, et je pense même qu'Angella en conviendrait. Si on examine les différentes formes d'imposition, l'impôt sur le revenu a tendance à représenter des coûts élevés pour l'économie du fait qu'il menace la croissance économique. Qu'il s'agisse d'impôt sur les activités commerciales, d'impôt sur les sociétés, d'impôt sur le capital ou d'impôt sur le revenu, l'impôt réduit l'activité économique dans une mesure plus grande que les taxes sur la consommation, comme les taxes de vente. Dans la hiérarchie des taxes, mieux vaut en fait réduire les formes d'imposition les plus dommageables que de réduire la TPS, qui est généralement l'une des formes d'imposition les moins dommageables.
En fait, je pense que c'était une erreur de la part du gouvernement précédent de réduire la TPS. Au lieu de réduire la TPS, il aurait dû la maintenir, voire l'augmenter, pour réduire d'autres taxes plus dommageables, ce qui aurait eu une plus grande incidence sur les dividendes de croissance économique.
La sénatrice Eaton : Si au contraire nous avions abaissé le taux d'imposition, adopté un système à deux ou trois tranches d'imposition, mais augmenté la TPS; n'est-ce pas là un moyen plus équitable et plus efficace d'augmenter les impôts?
M. Lammam : C'est sans aucun doute un moyen plus efficace en termes d'effet sur l'économie. Nous avons effectivement calculé ce qu'il faudrait pour que le gouvernement fédéral adopte un système à deux tranches d'imposition, soit un taux minimum de 15 p. 100, que nous avons actuellement, et un seul taux maximum de 29 p. 100. En éliminant tous les taux d'imposition intermédiaires, nous avons calculé qu'il en coûterait 20 milliards et quelques pour procéder à ces modifications fiscales.
Le gouvernement fédéral, pour financer ces modifications fiscales, pourrait supprimer toute une série de crédits d'impôt inefficaces, que le gouvernement appelle les dépenses fiscales. Voilà qui non seulement pourrait améliorer considérablement les incitations économiques, mais viendrait aussi simplifier le système fiscal. En effet, beaucoup de ces crédits d'impôt qui font partie du système fiscal réduisent effectivement les impôts des contribuables, mais n'incitent pas réellement à poser des gestes productifs sur le plan économique. Ils n'amènent pas de changement de comportement, mais ils compliquent le système fiscal et augmentent les coûts réels pour les familles canadiennes qui se perdent dans les méandres de notre code de l'impôt sur le revenu des particuliers.
Bref, il existe d'autres façons de réformer nos impôts des particuliers et d'accroître réellement la croissance économique tout en simplifiant le système et en maintenant un code fiscal progressif selon lequel les contribuables à revenu élevé paieront plus que ceux qui sont au bas de l'échelle. Malheureusement, nous n'avons pas progressé dans cette direction.
Je suis ravi d'apprendre que le gouvernement examine actuellement la possibilité de faire un examen des dépenses fiscales, mais il ne s'agit pas...
La sénatrice Eaton : Les conservateurs ont évidemment abaissé la TPS. Il s'agissait d'une manœuvre politique. Je dirais que le projet de loi C-2 est une manœuvre politique. N'êtes-vous pas d'accord avec moi? Comme vous l'avez dit...
M. Lammam : Je ferais une mesure comparative avec les objectifs établis. Ce gouvernement, comme d'autres l'ont fait, a déclaré vouloir encourager la croissance économique. Il veut attirer une économie fondée sur la croissance. Il veut réduire les impôts des Canadiens de la classe moyenne.
Si on examine tous les objectifs établis, le projet de loi lui-même et les autres changements que le gouvernement a mis en place, il ne travaille pas vers ce but. Il m'apparaît évident que nous devons envisager d'autres perspectives. Je ne veux pas donner l'impression que les impôts sont la seule chose qui importe ici, mais dans une autre perspective, ils peuvent aider le Canada à établir une base économique plus solide, surtout en cette période où la croissance est lente et où règne une grande incertitude à l'échelle mondiale.
Le président : Madame MacEwen, avez-vous quelque chose à ajouter, car M. Lammam a dit qu'il était certain que vous seriez d'accord avec lui?
Mme MacEwen : C'est en effet ce qu'il a dit. Je suis d'accord pour dire que la TPS est un moyen plus efficace d'augmenter la taxe parce qu'il est plus difficile de l'éviter, non? Il s'agit des hauts salariés qui peuvent faire de la planification fiscale et éviter ces dépenses.
La sénatrice Eaton : Et c'est un choix, non?
Mme MacEwen : Pour certaines personnes, c'est un choix. Mais je ne pense pas nécessairement que l'effet sur notre économie est tel qu'il le suggère. Selon moi, plutôt que d'abandonner la TPS, les conservateurs auraient dû éliminer certains incitatifs fiscaux réellement inefficaces — qui bénéficient aux gens les plus nantis, et je suis d'accord — en vue d'inciter les enfants à jouer au hockey, ou quelque chose du genre. Ces incitatifs fiscaux sont coûteux et compliquent encore davantage le système fiscal. D'une certaine façon, je suis d'accord avec Charles.
Le président : Avant que nous passions à autre chose, avez-vous une question rapide?
La sénatrice Eaton : Non. Mon seul commentaire est que nous devons maintenant nous pencher sur la taxe sur le carbone. Peut-être en discuterons-nous l'an prochain en plus de l'impôt sur notre revenu.
Le sénateur Mitchell : Discutons-en dès maintenant. Monsieur Lammam, selon vous, la TPS est plus efficace que l'impôt sur le revenu et devrait le remplacer. Je dirais, d'une certaine façon, qu'une redevance sur le carbone est en fait une taxe de vente comme la TPS. Prétendez-vous qu'une redevance sur le carbone utilisée pour recueillir des fonds qui pourraient être utilisés à des choses que nous ne voulons pas et qui serviraient ensuite à réduire les impôts sur le revenu serait un moyen efficace de percevoir des impôts?
M. Lammam : Pour affirmer que la TPS est moins dommageable sur le plan économique que les autres taxes, je me fonde sur quantité de recherches économiques effectuées par le ministère des Finances. Je serais heureux de vous envoyer ces références fournies par l'OCDE. Je ne fais qu'émettre une opinion.
C'est que vous taxez la consommation et que la consommation n'est pas un facteur d'augmentation de la capacité de production dans l'économie. Il s'agit vraiment de proposer de meilleures choses, d'innover, d'adopter de meilleures façons de faire ce que nous faisons. Voilà ce qui stimule vraiment la croissance économique, et c'est pourquoi les impôts fondés sur le capital sont beaucoup plus coûteux, parce qu'ils minent tous ces efforts.
Pour répondre à votre question, la taxe sur le carbone est un peu plus compliquée. Une taxe sur le carbone, selon la conception ou la forme qu'elle prend, peut partiellement représenter une taxe à la consommation, mais elle peut aussi prendre la forme d'une taxe sur la production et s'apparenter étroitement au type d'imposition que nous avons en Colombie-Britannique.
La Colombie-Britannique maintient une TVP. Nous n'avons plus la même assiette fiscale que celle de la TPS. La TVP est de nature semblable étant donné qu'elle est une taxe sur les intrants des entreprises. Elle consiste à taxer le processus de production, ce qui constitue d'ailleurs l'une des formes d'imposition les plus dommageables sur le plan hiérarchique, du fait qu'on impose une taxe sur le processus de production.
La taxe sur le carbone, selon la forme qu'elle prend, pourrait avoir une incidence sur la taxe de vente, comme vous l'avez mentionné, ce qui est beaucoup moins coûteux, mais si on prend en considération cette autre composante par laquelle on taxe la production, cela pourrait être très coûteux. Pour répondre réellement à la question, tout dépend de la façon dont la taxe sur le carbone sera structurée. Mais chose certaine, la taxe sur le carbone ne doit pas être motivée par une volonté gouvernementale de générer des revenus. En théorie, cette taxe devrait être mise en œuvre en vue de corriger ce que l'on appelle une externalité négative. Le gouvernement devrait donc, bien sûr, chercher des façons de compenser l'augmentation des revenus provenant de la taxe sur le carbone, et examiner les formes très préjudiciables d'imposition, qu'il s'agisse des impôts sur le capital, des sociétés ou sur le revenu des particuliers pour compenser les revenus supplémentaires.
Cela a-t-il du sens?
Le président : C'est formidable, je le reconnais, de vouloir explorer d'autres pistes de solution et aborder le sujet de l'impôt et de son incidence générale, mais je voudrais rester aussi près que possible du projet de loi C-2 pour tenter de l'analyser.
Avez-vous une autre question?
Le sénateur Mitchell : J'en ai deux, si je peux me permettre.
J'apprécie vraiment ce que M. Lammam dit. Peut-être l'Institut Fraser — je ne sais pas ce que vous pensez d'une taxe sur le carbone — pourrait réaliser ce genre d'analyse, parce que nous comptons en faire une. Il serait très intéressant de savoir comment elle pourrait répliquer l'effet bénéfique de l'augmentation de la TPS dont vous parlez, et l'Institut Fraser pourrait être utile.
Cela soulève aussi un inconvénient : selon certaines personnes de l'Institut Fraser, une telle taxe pourrait en fait être compensée par une taxe sur le carbone appliquée en vertu du projet de loi C-2 par les provinces afin qu'elles puissent ajuster les circonstances particulières de leur économie respective en fonction de leurs caractéristiques démographiques. En fait, si tout se fait correctement et de façon coordonnée, la redevance sur le carbone que nous avons, et que nous aurons de plus en plus, va compléter et renforcer l'application des modifications au projet de loi C-2. N'est-ce pas exact, madame MacEwen?
Mme MacEwen : À mon avis, vous devriez utiliser les revenus provenant d'une taxe sur le carbone pour compenser davantage votre rendement environnemental. En effet, il y a beaucoup à faire, qu'il s'agisse de construction d'infrastructures comme le transport en commun, la rénovation de bâtiments ou l'investissement dans les énergies renouvelables, entre autres.
Je ne suis pas sûre qu'il faille utiliser une taxe sur le carbone pour compenser les impôts sur le revenu des particuliers comme l'a fait la Colombie-Britannique. Je suis toutefois d'accord pour qu'une partie de ce crédit soit peut-être appliquée comme le crédit pour la TPS, où un rabais est accordé aux contribuables de la tranche d'imposition la plus basse pour les aider à faire face à l'augmentation des coûts de chauffage de la maison, par exemple. Se rapprocher du principe d'un crédit pour TPS représente sans doute, selon moi, un bon moyen d'imposer une taxe sur le carbone sur le modèle de la TPS.
M. Fréchette : Juste un bref commentaire à ce sujet : il est encore un peu tôt pour examiner la taxe sur le carbone. La proposition a été déposée et elle sera étudiée éventuellement. Le gouvernement fédéral a déclaré qu'il respectera les façons de faire des provinces. En Colombie-Britannique, la taxe sur le carbone est de 20 $ la tonne. L'Ontario et le Québec ont un programme de plafonnement et d'échange tout à fait différent. Le résultat visé est le même : réduire les émissions de carbone. Mais le marché établit la tarification et le programme de plafonnement et d'échange établit la tarification des émissions de carbone. Il sera intéressant de voir l'effet qu'aura éventuellement cette nouvelle politique sur les finances publiques.
M. Lammam : J'aimerais ajouter quelque chose sur ce point. Il est très difficile de faire une évaluation significative de la taxe sur le carbone pour deux raisons. Tout d'abord, nous ne savons pas quelle forme elle prendra dans les provinces et le gouvernement fédéral a dit qu'il imposerait une taxe aux provinces. Il n'est pas clair si la taxe sera administrée par le fédéral ou les provinces. Beaucoup de questions sont soulevées sur le fonctionnement de la taxe sur le carbone et la façon dont elle s'intégrera aux barèmes de tarification du carbone en vigueur dans les provinces. Je pense qu'il est réellement difficile de faire ce genre d'évaluation.
Le sénateur Mitchell : Il serait très utile si des organismes, comme l'Institut Fraser, essayaient de répondre à ces questions et nous donnaient des orientations stratégiques.
Ma dernière question s'adresse à Mme MacEwen. Ce que vous avez dit sur l'importance du maintien des services a retenu mon attention. Souvent, nous en venons à penser que l'économie n'est qu'une question de chiffres. Ce n'est pas le cas. Elle concerne aussi les gens. Les gens ont besoin de soutien et de services. S'ils n'y ont pas accès, l'optimisme s'émousse et l'économie meurt. Il est impossible d'avoir une économie robuste sans optimisme. J'appuie votre raisonnement selon lequel le projet de loi C-2 peut favoriser le maintien des services, s'il est appliqué adéquatement, et que maintenir les services signifie soutenir les gens. L'optimisme de la population stimule l'économie.
Mme MacEwen : Pour être honnête, je ne sais pas comment le projet de loi C-2 y parviendra.
Le sénateur Mitchell : Le résultat net sera que vous aurez plus d'argent, je crois.
Mme MacEwen : Bien sûr. Par contre, le projet de loi n'aide pas les services. Il n'aide pas non plus les gens qui en ont réellement besoin. Il n'aide pas les soins de santé et ce que les gens voient dans leurs municipalités. Il n'augmentera pas le nombre de professeurs dans les écoles. Il y a toute sorte de choses dont nous avons désespérément besoin et ce n'est pas un retour de 200 $ d'impôt sur le revenu à la fin de l'année qui nous les donnera.
La sénatrice Cools : Je suis très impressionnée par ces échanges, les grandes différences d'opinions et les accords auxquels nous parvenons de temps à autre.
Deux choses : Je crois que, lorsque l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a été adopté et que le pouvoir d'augmenter les impôts a été ajouté aux articles 53 et 54, les parties ne voyaient pas l'augmentation des impôts de la même façon. Au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années, monsieur le président, nous pourrions peut-être nous pencher sur ce que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique signifie aujourd'hui sur le plan de la perception et de l'augmentation des impôts dans les collectivités où les impôts prennent toutes sortes de nouvelles formes. Il serait intéressant de faire une comparaison. Mais, nous le ferons un autre jour.
Ma question porte sur la sorte et la qualité des tranches d'imposition. Ce que M. Lammam a dit au sujet de la tranche de 200 000 $ a particulièrement piqué ma curiosité. Je me demande si quelqu'un ici peut dire combien de Canadiens se trouvent dans chacune des tranches. J'aimerais le savoir, car nous entendons souvent parler des gens dans une tranche d'imposition donnée, mais nous ne savons pas combien de personnes sont visées.
[Français]
Le président : Monsieur Fréchette, voulez-vous répondre à cette question?
[Traduction]
M. Fréchette : Permettez-moi de formuler une brève observation avant. Ce qui est intéressant dans les propos de l'honorable sénatrice au sujet de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est qu'elle parle également d'une réforme de l'ensemble du régime fiscal au Canada, réforme à laquelle j'ai fait allusion auparavant. J'ai dit que probablement M. Lammam, Mme MacEwen et moi serions d'accord sur un point : je ne vais probablement pas voir ce genre de réforme de mon vivant. Mais c'est une autre histoire.
Pour répondre à votre question sénatrice : selon notre analyse, il y avait 340 000 personnes en 2016 dans la tranche de revenu imposable de 200 000 $ et plus et environ 7,5 millions de personnes dans la deuxième tranche.
M. Lammam : Cela me paraît juste. Le seuil pour qu'une personne soit dans le 1 p. 100 des contribuables à revenu le plus élevé au Canada est tout juste supérieur à 220 000 $. On parle ici du revenu personnel et non du revenu familial. Si l'on prend 1 p. 100 d'une population d'environ 35 millions, nous arrivons à 350 000 personnes qui seraient dans le 1 p. 100 des mieux nantis. Ces calculs ne sont que pour répondre à la question.
Je pense que la réforme du régime fiscal devrait faire l'objet d'une discussion approfondie. J'espère que je verrai de mon vivant de grandes améliorations à notre régime fiscal, qu'il sera simplifié et plus efficace. La dernière réforme fiscale majeure au Canada a eu lieu en 1997. Nous sommes en retard de 30 ans. L'an prochain, nous célébrerons le 150e anniversaire du Canada. Je pense qu'il est très important de repenser les fondements de l'impôt sur le revenu des particuliers, non seulement en raison des problèmes que j'ai soulevés aujourd'hui, mais également parce que la complexité de notre régime a augmenté — je crois — de façon déraisonnable.
Il n'est pas raisonnable que la plupart des Canadiens ne puissent comprendre leur régime fiscal ni s'y retrouver. Nous avons créé une industrie, essentiellement improductive, qui sert seulement à aider les Canadiens à se retrouver et à se conformer à un régime fiscal très complexe.
Nous procédons actuellement à un examen des dépenses fiscales fédérales. Je pense que c'est une excellente initiative, mais je pense aussi que nous devons réfléchir au type de réforme fiscale dont le Canada a besoin pour simplifier et orienter ce régime vers la croissance.
Mme MacEwen : Je ne sais pas si vous connaissez les travaux des professeurs Wolfson et Mike Veall sur les gens qui utilisent les petites entreprises et les sociétés privées sous contrôle canadien en gros pour éviter de payer des impôts.
Beaucoup de petites entreprises, de médecins, d'avocats et d'autres professionnels ont créé ces sociétés simplement pour éviter de payer des impôts. Il faudrait peut-être s'y attarder. Les professeurs ont été étonnés de voir combien de gens avaient créé ce genre de sociétés. Au cours de la dernière élection, le NPD et le Parti libéral ont promis de se pencher sur cette question et de corriger cette faille. Il y a probablement plus de Canadiens qui gagnent un revenu supérieur à ce montant, mais qui évitent de payer les impôts en tirant profit de cette faille.
Je suis d'accord avec ce que MM. Fréchette et Lammam ont dit : nous avons besoin de faire un examen complet du régime et nous devons nous assurer qu'il est équitable pour tout le monde. Certaines personnes n'ont pas accès à toutes les mesures auxquelles d'autres ont accès.
La sénatrice Cools : Pensez-vous qu'éviter de payer des impôts est la même chose qu'essayer de réduire son assujettissement aux impôts.
Mme MacEwen : Oui. Le fait d'éviter de payer des impôts est différent de l'évasion fiscale. Si une personne essaie de réduire son assujettissement aux impôts en respectant la loi, il s'agit, selon moi, d'éviter de payer des impôts. L'évasion fiscale se produit lorsqu'une personne contrevient à la loi.
Je dis que la structure de la loi actuelle n'est pas vraiment équitable. Nous devons donc nous pencher là-dessus et changer le fonctionnement de la loi afin de la rendre plus équitable.
La sénatrice Cools : Monsieur le président, voilà des éléments très intéressants. Nous devrions envisager que ce comité examine cette question à un moment donné en ce qui a trait aux finances nationales et aux dépenses publiques dans le cadre des finances nationales, ce qui lui conférerait un pouvoir constitutionnel pour cet examen. Il est évident qu'il faut faire une étude approfondie et sérieuse et peut-être qu'il serait opportun de le faire.
Le président : J'en prends note. Monsieur Lammam, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Lammam : Je ne peux pas rater l'occasion de mentionner que je suis une fois de plus d'accord avec Angella. Je souhaite donner du poids à ses propos concernant la nécessité de procéder à une réforme fiscale.
Pour vous donner une vue d'ensemble de toute la complexité du régime, je dirais que les dépenses fiscales au fédéral s'élèvent à plus de 150 milliards de dollars chaque année, selon la façon dont on les calcule. Voilà le coût que doit assumer le fédéral pour les dépenses fiscales, comme l'exemption personnelle de base. Le fait est qu'il coûte très cher d'appliquer toutes ces exceptions, les crédits d'impôt spéciaux et les déductions pour les groupes et les personnes ayant des besoins spéciaux.
Actuellement, le gouvernement fédéral perçoit près de 140 milliards de dollars en impôt sur le revenu des particuliers. Ces dépenses fiscales, soit les privilèges particuliers accordés à quelques Canadiens, coûtent plus que l'ensemble de l'impôt sur le revenu des particuliers perçu par le gouvernement fédéral.
En fait, nous avons évalué à quel point la complexité du régime fiscal a augmenté depuis son adoption au Canada et le régime est toujours de plus en plus complexe. Il est très important que nous nous dotions d'un régime fiscal que les gens peuvent comprendre et qui favorise la croissance économique.
Nous proposons d'avoir seulement deux taux d'imposition : 15 p. 100 pour pratiquement tous les Canadiens et 29 p. 100 pour 2 p. 100 des Canadiens. Nous pourrions aller chercher les fonds nécessaires pour financer la réforme fiscale — censée rendre le système plus équitable/juste — en diminuant simplement de 20 milliards de dollars les dépenses fiscales inefficaces du gouvernement qui se chiffrent actuellement à 150 milliards de dollars. Le système serait plus efficace et certainement plus simple que si nous conservons le statu quo.
La sénatrice Cools : Il ne faut jamais oublier que lorsque le régime fiscal a été adopté, il n'était qu'une mesure temporaire. Tout le monde l'a oublié, mais il est devenu permanent et a évolué au petit bonheur.
Le comité devrait également se pencher sur l'Agence du revenu du Canada. Comme vous le savez, avant l'agence, il y avait le ministère du Revenu national. Ils ont pris cette nouvelle structure et se sont engagés dans cette voie pour éviter certains problèmes. Nous devrions également en tenir compte dans notre étude, car j'ai entendu beaucoup de Canadiens se plaindre de l'agence.
Le président : Avant de lancer la deuxième ronde, je souhaite la bienvenue aux sénatrices Lankin et Omidvar. Je suis heureux de vous voir. Il y a foule dans l'assemblée aujourd'hui.
La définition de « classe moyenne » a été écrite dans la présentation du projet de loi C-2. J'ai demandé au ministre des Finances lorsqu'il est venu nous présenter le budget comment définir la classe moyenne. J'aimerais entendre nos témoins.
Lorsque le premier ministre était en campagne électorale, il a dit essentiellement qu'il demandait au 1 p. 100 d'aider la classe moyenne. Lorsque je lis le projet de loi — je l'ai dit publiquement comme tout le monde —, je ressens de la frustration, car on ne détermine pas qui on aide. On a changé les tranches, mais les a-t-on réellement définies? Il semble que le résultat ne cadre pas avec l'objectif visé.
Pourrions-nous entendre les témoins là-dessus? Devrions-nous définir la classe moyenne? Avons-nous défini la classe moyenne? S'agit-il d'une mesure d'encouragement fiscal ou une prestation fiscale pour la classe moyenne? Peut-on en savoir plus?
J'imagine que nous devons être prudents. Prenons une minute, chers collègues, pour revoir la responsabilité du directeur parlementaire, parce qu'il n'est pas juste de demander des opinions. Vous pourriez répondre, mais d'un point de vue analytique. Le directeur parlementaire est habilité à faire un travail d'analyse pour les parlementaires et non pour les groupes d'opinion. Monsieur Fréchette, si vous voulez commencer.
M. Fréchette : Merci. Tout d'abord, je dirais que le directeur parlementaire n'utilise pas la « classe moyenne ». Nous utilisons, comme je l'ai mentionné précédemment, revenu moyen et faible revenu selon les données de Statistique Canada. Permettez-moi de répéter ce que j'ai dit en juin. Je vous ai dit que la classe moyenne pour les politiciens est comme un ailier éloigné. Elle est une cible en mouvement qui est parfois très difficile à atteindre.
Le président : J'aime que vous utilisiez l'analogie du football pour ce vieux joueur éreinté.
Mme MacEwen : Une cible en mouvement est une excellente façon de le décrire. Je n'aime pas non plus le terme « classe moyenne ». Le terme semble vouloir dire qu'il y a le 1 p. 100 et qu'il est synonyme des 99 p. 100 restants, soit tout le reste du monde. Je préfère « revenu moyen », car le terme est précis.
Si l'on parle de classe moyenne, on ne peut oublier la classe ouvrière. Il faut admettre que le terme signifie beaucoup plus que seulement le revenu. Il inclut les ressources qui sont accessibles : l'éducation, la richesse, le soutien familial et la discrimination dont on peut être victime si on souffre d'une incapacité ou appartient à une minorité raciale. Tout cela touche à l'identité des personnes et des classes.
Le président : Si je comprends bien, la « classe moyenne » n'est pas l'expression que vous préférez, mais « revenu moyen » serait un qualificatif possible?
Mme MacEwen : Si on parle du code fiscal, je parlerais définitivement de « revenu moyen », car « classe moyenne » est davantage un terme sociologique qu'un terme économique.
M. Lammam : Je crois que c'est le débat le plus déroutant qui soit. Il est évident qu'il y a des motifs politiques derrière le fait de catégoriser quelqu'un dans la classe moyenne, car on peut donner la définition que l'on souhaite à ce terme. La signification du terme varie d'une personne à l'autre. Nous avons fait des recherches pour tenter de définir la classe moyenne. Il y a tellement de nuances dans les définitions possibles.
Pour vous donner une idée des nuances, je vous demanderais : lorsque nous utilisons « classe moyenne », parlons-nous des personnes? En effet, le revenu moyen ou de la classe moyenne déterminé en fonction du revenu individuel diffère grandement du revenu moyen ou de la classe moyenne déterminé en fonction du revenu familial. Nous devons tout d'abord déterminer duquel nous parlons.
Ensuite, nous devons déterminer s'il s'agit du revenu avant impôt, qu'il s'agisse du revenu familial ou individuel. Il faut prendre une décision. Parlons-nous du revenu après impôt et après transferts du gouvernement? Le résultat serait très différent. Ne voilà que quelques exemples des complexités à prendre en considération pour obtenir une réponse significative à cette question.
La façon de faire que je privilégierais serait de simplement utiliser le niveau de revenu présenté dans l'analyse qui, si nous prenons le revenu des particuliers, serait de moins de 50 000 $. Si nous prenons le revenu des familles qui comptent un, deux ou plusieurs membres, le revenu pourrait alors se situer entre 55 000 et 100 000 $. Bien entendu, ces montants varieront en fonction du revenu avant ou après impôts.
Certains utilisent le revenu médian, qui correspond au milieu exact de la répartition des revenus. D'autres divisent la répartition des revenus en pourcentage, les 20 p. 100, et trouvent le milieu de cette répartition des revenus.
Le fait est qu'il n'y a pas de réponse simple. Cette question est très ambiguë. Il serait plus utile de parler d'un niveau de revenu en particulier et d'indiquer clairement si nous parlons du revenu familial ou individuel, avant ou après impôt.
Le président : Passons à la deuxième ronde. La parole est au sénateur Mockler du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Mockler : Je vous remercie, monsieur le président. J'aimerais aussi vous féliciter du discours que vous avez prononcé au Sénat sur le projet de loi C-2.
[Traduction]
J'aimerais parler du projet de loi C-2. J'aimerais avoir votre avis. Nous sommes à une époque où de plus en plus de gens cherchent un logement d'un bout à l'autre du pays et où les files s'allongent aux soupes populaires et dans les banques de vêtements. J'aimerais vous suggérer une lecture et j'espère que vous prendrez le temps de la lire : A Tale of Two Countries par Donald Savoie et le professeur Richard Saillant. On peut y lire ceci : « Plus on va vers l'est, plus la population vieillit et plus le vieillissement est rapide. »
Selon votre opinion professionnelle, est-ce que les modifications prévues au projet de loi C-2 appauvriront des Canadiens? Le cas échéant, pouvez-vous indiquer les secteurs qui seront les plus touchés?
Le président : Nous avons un langage corporel très intéressant de la part de nos panélistes. Madame MacEwen, vous avez la parole.
Mme MacEwen : Je pense que nous avons déterminé les personnes qui seront appauvries. Les personnes qui recevront de l'argent sont celles dont le revenu imposable est supérieur à 45 000 $. Celles qui retireront le maximum sont celles dont le revenu imposable se situe entre 90 000 et 200 000 $. Les gens qui seront appauvris sont ceux dont le revenu est inférieur à 40 000 $. Leurs services seront probablement plafonnés à 1,8 milliard de dollars.
Le président : Intéressant.
M. Lammam : Nous pouvons parler de l'incidence directe du projet de loi C-2 ainsi que des autres modifications fiscales qui ont été annoncées et qui seront promulguées. Bien entendu, nous avons fait cette analyse. Si vous prenez les Canadiens dans la répartition des revenus, Angella a raison de dire que ceux dont le revenu est inférieur à 45 000 $ ne profiteront pas d'une réduction de l'impôt sur le revenu des particuliers; par contre ils auront encore moins d'argent dans leurs poches en raison des cotisations plus élevées au RPC. Dans les conditions actuelles, ils seront en quelque sorte appauvris. Au net, les personnes aux revenus plus élevés paieront davantage d'impôt sur le revenu net. Autrement dit, leur revenu après impôt diminuera.
Ce n'est qu'une partie de l'analyse. Il est absolument essentiel de tenir compte du portefeuille ou de la facture d'impôt aujourd'hui. Toutefois, nous devons également analyser dans quelle mesure le projet de loi incitera les gens à aller de l'avant. Encore une fois, nous parlons de la façon dont le taux plus élevé à l'égard du revenu supérieur incitera moins les gens à passer des fourchettes inférieure et médiane d'imposition aux fourchettes supérieures en raison de la pénalité accrue. En travaillant plus fort et en investissant dans leurs compétences, ils seront en mesure de conserver moins de leur revenu.
Comme Angella l'a mentionné, nous avons besoin de services publics et nous les voulons, mais il nous faut une économie plus solide, qui encourage l'entrepreneuriat et qui incite les Canadiens à travailler davantage. Pour cela, il faut un cadre de politique économique qui favorise la croissance. Nous avons besoin de la croissance pour pouvoir nous permettre les services publics auxquels les Canadiens tiennent.
Il est essentiel — non seulement dans les conditions actuelles, mais aussi dans l'avenir — que nous adoptions des politiques qui améliorent effectivement notre économie et qui aident à générer un revenu plus stable et axé sur la croissance.
Les gens font de l'évitement fiscal parce que le système fiscal est devenu non concurrentiel. Ils trouvent des façons de canaliser leurs revenus par le truchement de petites entreprises, comme l'a mentionné Angella. Cela indique vraiment à quel point le système fiscal n'est pas concurrentiel. La dernière chose que nous voulons, c'est de le rendre encore moins concurrentiel, d'empêcher plus de gens de gagner davantage, de compliquer la tâche du Canada pour ce qui est d'attirer et de garder des travailleurs qualifiés et de réduire les incitatifs économiques, qu'il s'agisse d'entrepreneuriat ou de quoi que ce soit d'autre qui fait croître l'économie.
Examinons la question dans son ensemble et voyons comment les modifications apportées par le projet de loi C-2, y compris celles qui ont trait à la diminution du plafond du CELI, entraveront la croissance. Elles ne vont pas la favoriser. En fin de compte, c'est ce dont nous avons besoin pour toutes les autres choses que nous voulons en tant que Canadiens.
Le président : Vous avez été logique en ce qui concerne ces points en particulier.
Le sénateur Mockler : Quelles seront les répercussions pour les personnes âgées? Le Canada est-il à la croisée des chemins en tant que pays? Est-ce que le gouvernement ne devrait pas se lancer sur la voie du revenu annuel garanti pour relever les véritables défis du vieillissement et avoir ainsi une meilleure stabilité économique d'un océan à l'autre?
Le président : Excellent point, sénateur Mockler. L'une de nos prochaines études portera sur la population vieillissante. C'est le prélude.
[Français]
M. Fréchette : Le sénateur Mockler a tout à fait raison. La démographie du Canada vieillissant, comme on la connaît, jusqu'à au moins 2030-2035, et également, comme dans les rapports du DPB, lorsqu'on fait nos protections de 75 ans, on reconnaît effectivement que c'est un problème majeur.
J'aimerais revenir sur un point que M. Lammam a mentionné et qui rejoint la question du sénateur. Lorsqu'on parle des personnes plus âgées et du CELI, on s'aperçoit que ceux qui y contribuent disposent non seulement un revenu élevé, mais possèdent aussi un patrimoine important.
[Traduction]
Les gens possédant un important patrimoine, c'est ce que j'ai dit dans mon exposé. Les gens plus âgés et possédant un important patrimoine peuvent cotiser jusqu'au maximum. Vous avez effectivement des gens plus âgés dont le revenu est faible ou peu élevé. Ce sont des gens à revenu faible ou moyen, mais ils disposent d'un important patrimoine du fait de leurs actifs, et cetera. Ils peuvent tirer un revenu de dividendes, à l'égard duquel ils ne paient pas beaucoup d'impôt.
Si vous prenez l'étude à venir sur les groupes démographiques plus âgés et le système fiscal au Canada, vous devrez tenir compte du patrimoine des gens, aspect que tous les autres témoins ont déjà mentionné.
Mme MacEwen : Je ne pense pas que ce projet de loi cible la plupart des personnes âgées. Comme l'a dit M. Fréchette, les personnes âgées possédant un important patrimoine ne pourront pas cotiser autant dans leur CELI, mais c'est fait de façon équitable. Je ne suis pas d'accord avec M. Lammam quand il dit que les gens font de l'évitement fiscal en raison de la compétitivité. Je pense qu'ils le font par souci d'équité. Si vous savez que votre voisin évite de payer des impôts, pourquoi n'en feriez-vous pas autant?
Lorsque les gens savent que le système fiscal est juste et lorsqu'ils font confiance au système fiscal et qu'il y a de l'intégrité dans ce système, ils acceptent alors de payer leur part. Par contre, s'ils pensent que des personnes le contournent, pourquoi paieraient-ils? Pourquoi ne profiteraient-ils pas des mêmes choses que les autres?
M. Lammam : Deux remarques : premièrement, quelle est l'incidence du projet de loi C-2 sur les personnes âgées. Il ne fait aucun doute que la population vieillit. Il y a un résultat du projet de loi C-2 qui n'est pas bien examiné, à savoir dans quelle mesure la réduction du plafond du CELI pourrait effectivement nuire aux personnes âgées à faible revenu. Le revenu d'un CELI, dans la mesure où les personnes âgées le retirent à la retraite, ne va pas à l'encontre des transferts de leur gouvernement. S'ils retirent tout l'argent de leur CELI, ils ne perdent pas leurs droits à la Sécurité de la vieillesse ou au Supplément de revenu garanti qu'ils reçoivent peut-être déjà.
Ce point est important, et ce, pour plusieurs raisons. Si vous êtes déjà un aîné dont le revenu est relativement faible et si vous avez cotisé à votre CELI tout le temps que vous avez travaillé, c'est peut-être une bonne décision de votre part puisque cela vous permet d'augmenter votre niveau de vie à la retraite puisque vous ne perdrez aucun revenu supplémentaire, ce qui se produirait si vous aviez cotisé dans un REER à la place. Les personnes âgées à faible revenu pourraient plus particulièrement perdre l'avantage de cotiser à un CELI étant donné que ce revenu est à l'abri d'une récupération fiscale. Voilà un aspect à prendre en considération à cet égard.
Rapidement, au sujet du revenu annuel garanti, il se trouve que mes collègues et moi avons rédigé un rapport détaillé sur ce sujet et le potentiel qu'il représente au Canada. Je vous encourage tous à y jeter un coup d'œil. Je me ferai un plaisir de fournir les références.
Selon mes recherches, le revenu garanti doit être compris dans le sens de ce qu'il cherche à atteindre. La pauvreté est une question compliquée. Même si en théorie la notion semble intéressante du fait que nous aurions un transfert, peu importe son montant, qui procurerait un revenu de base aux Canadiens, un revenu annuel garanti suppose au départ que le problème de la pauvreté persistante dépend uniquement d'un manque de revenu.
La pauvreté est plus compliquée que cela. Les personnes qui vivent dans la pauvreté pendant longtemps ont tendance à souffrir de problèmes de santé mentale, d'accoutumance et de déficiences graves qui ne leur permettent pas de travailler. À cause de ces complexités, la pauvreté doit être traitée comme telle. Un revenu garanti pour tous, indépendamment des causes de leur pauvreté, peut avoir des effets pervers, non voulus pour ce qui est de leur volonté de travailler davantage.
La pauvreté est un enjeu délicat, et je ne cherche pas ici à éviter de parler du projet de loi C-2, mais j'ai deux préoccupations à ce sujet au Canada. La première est de savoir s'il est effectivement réaliste pour le Canada d'aller dans ce sens. Il y a d'importants défis d'ordre pratique en cause et nous les délimitons dans notre rapport. De plus, nous devons être conscients du fait que les moteurs de la pauvreté persistante sont subtils et le fait d'avoir une politique uniforme pour tous peut créer de nouveaux problèmes que nous n'avons pas actuellement. Nous devons examiner cette question minutieusement.
Le président : Nous vous serions reconnaissants de nous donner le lien ou l'accès à votre étude.
La sénatrice Marshall : Je voulais revenir à la question qu'a posée le président au sujet de la définition de classe moyenne. Madame MacEwen, dans vos remarques liminaires vous avez fait référence à la classe moyenne, mais vous avez également parlé de travailleurs à revenu moyen et j'ai eu l'impression que vous utilisiez les deux de façon interchangeable. Je prends note de votre réponse au président, mais j'espérais avoir plus de précisions sur le revenu imposable, en dollars.
Êtes-vous en mesure de nous donner des indications? Nous n'avons pas réussi à nous entendre sur une définition de classe moyenne ou de travailleurs à revenu moyen. Je compte sur vous pour résoudre ce problème.
Mme MacEwen : Aucun problème. Je ne faisais que substituer ma propre définition de revenu moyen au libellé du projet de loi relativement à la classe moyenne.
La sénatrice Marshall : Cela me va.
Mme MacEwen : Dans le cas du revenu moyen, si nous le divisons en trois, approximativement, où nous disons qu'un tiers des personnes ne paie pas beaucoup d'impôts, qu'un tiers forme la première fourchette des revenus et qu'un tiers se trouve au-dessus; vous cibleriez donc le tiers des contribuables qui payent des impôts, dans la première fourchette des revenus.
La sénatrice Marshall : Vous prenez le tiers des contribuables au milieu, peu importe la fourchette dans laquelle ils se trouvent.
Mme MacEwen : Tout à fait. Si vous voulez le faire à l'aide des quintiles, je prendrais les trois quintiles de revenu du milieu et dirais que la tranche inférieure de 20 p. 100 est habituellement celle des gens qui vivent dans la pauvreté ou sous le seuil de pauvreté; en ce qui me concerne, les travailleurs dans la tranche supérieure de 20 p. 100 s'en tirent. Ils ont peut-être de la difficulté à joindre les deux bouts, mais...
La sénatrice Marshall : Ils survivent?
Mme MacEwen : Ils survivent.
[Français]
Le président : Monsieur Fréchette, avez-vous des commentaires à ajouter quant à cette question?
M. Fréchette : Non, je n'ai pas de commentaires.
[Traduction]
Le président : Monsieur Lammam, avez-vous autre chose à ajouter? Vous hochiez la tête.
M. Lammam : Elle l'a bien expliqué, tant et aussi longtemps que nous nous entendons sur la façon de définir la classe moyenne. C'est important. Par contre, il y a d'autres questions auxquelles il faut répondre, à savoir si nous parlons du revenu personnel ou du revenu familial, mais j'ai déjà fait part de mes observations à ce sujet.
La sénatrice Marshall : Il s'agirait, bien sûr, du revenu personnel.
M. Fréchette : M. Lammam l'a mentionné à deux reprises, au sujet du revenu personnel et du revenu familial, ce qui constitue un aspect intéressant du système fiscal au Canada. Ce système se fonde sur les particuliers, contrairement à la France, par exemple, où vous pouvez avoir un revenu familial dans le système fiscal. C'est pour cette raison que c'est intéressant compte tenu de la situation que nous avons au Canada, mais le système canadien repose d'abord et avant tout sur le revenu des particuliers, puis vous avez tous les crédits destinés aux familles. Je suis d'accord avec cela.
Je suis d'accord avec M. Lammam à ce sujet. Nous nous entendons sur bien des points jusqu'à maintenant.
M. Lammam : Au Canada, la déclaration des revenus repose sur la déclaration des particuliers. J'ai mentionné la distinction entre le revenu familial et le revenu personnel parce que bien d'autres initiatives du gouvernement fédéral se fondent sur le revenu familial. L'Allocation canadienne pour enfants, le nouveau programme qui a regroupé d'autres programmes existants, en est le meilleur exemple. L'admissibilité repose sur le revenu familial. Si vous prenez l'analyse qu'a faite le gouvernement sur le niveau adéquat du revenu de retraite publiée ces derniers mois, elle se fondait sur les familles.
Nous devons faire attention parce que si nous ne disons pas clairement ce dont nous parlons et passons d'une initiative stratégique à une autre, cela peut semer de la confusion. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles le comité et de nombreux analystes sont confus. La clarté est très importante, que nous parlions de revenu avant ou après impôt et de transferts du gouvernement.
[Français]
La sénatrice Bellemare : En ce qui concerne la répartition des revenus et la classe moyenne, l'ancien Conseil économique du Canada avait étudié la question et s'était basé sur l'analyse de deux mesures, soit 25 p. 100 supérieur et 25 p. 100 inférieur, ou 50 p. 100 supérieur et 50 p. 100 inférieur au revenu médian.
À l'époque, le Conseil économique du Canada avait conclu que depuis les années 1970, le nombre d'individus qui gagnaient un revenu médian supérieur ou inférieur avait diminué. Il y avait donc un rétrécissement de la classe moyenne.
Ma question va un peu dans le même sens. On parle de plus en plus de l'analyse d'impact sur le genre, soit le gender-based analysis. Avez-vous mené ce type d'analyse?
M. Fréchette : Le DPB n'a pas réalisé d'étude selon le genre, mais il y a beaucoup de pression provenant d'un autre comité sénatorial. La sénatrice Nancy Ruth nous pose régulièrement cette question. Oui, l'analyse d'impact sur le genre pourrait se faire, mais pour le moment on ne l'a pas faite.
Lorsqu'on nous préparons notre rapport sur le marché de travail, on nous demande si l'analyse se fait uniquement de façon agrégée hommes femmes ou si elle se fait également pour les Autochtones. C'est quelque chose qu'on envisage de faire éventuellement, mais cela rendra la tâche plus complexe.
Une analyse basée sur le genre ou sur d'autres catégories de Canadiens serait favorable même si ce type d'analyse risque de compliquer le travail. De toute évidence, une telle analyse serait fort intéressante pour tous les parlementaires.
La sénatrice Bellemare : Sur le plan des revenus provinciaux, avez-vous fait l'analyse d'impact du projet de loi C-2 en fonction des provinces?
M. Fréchette : Non, parce que cela relève du gouvernement fédéral.
La sénatrice Bellemare : On parle essentiellement de moyenne fédérale?
M. Fréchette : On parle d'une moyenne agrégée pour l'ensemble des Canadiens.
[Traduction]
Mme MacEwen : Je tiens à remercier la sénatrice Bellemare de sa question. C'est une excellente question. Je crois que Mme Kathleen Lahey, professeure à l'Université Queen's, en fait une excellente analyse. En termes généraux, ses recherches concluent qu'une réduction d'impôt serait plus avantageuse pour les hommes et que les réductions dans les services publics seraient probablement plus préjudiciables pour les femmes.
Nous le savons. Nous savons que les budgets ont des effets disproportionnés chez les hommes et chez les femmes et des effets disproportionnés chez les personnes ethnicisées et les Autochtones selon l'endroit où ces personnes se trouvent sur le marché du travail et au pays. Cela ferait l'objet d'une autre analyse. Je demanderais au gouvernement d'analyser à fond les répercussions sexospécifiques en fonction des choix que ces personnes font.
M. Lammam : J'ai deux observations générales. La première a trait à la participation des femmes à la population active. Il y a eu une augmentation marquée de la participation des femmes à la population active et je suis certain que vous en êtes tous conscients. Toute analyse qui examine des enjeux sexospécifiques, en particulier lorsqu'ils ont trait aux revenus, doit tenir compte des différents facteurs qui agissent sur les revenus. Toute analyse des différences de salaires ou des différences de revenus doit tenir compte des diverses caractéristiques qui influent sur les salaires et le revenu outre le genre, des choses comme les fonctions et le niveau de scolarité. Dans une analyse, il est très important de s'assurer de comparer des pommes avec des pommes.
Comme dernier point sur la notion qui veut que la classe moyenne au Canada ne s'améliore pas ou stagne, nous venons de rédiger un document qui examinait la question du revenu médian des familles canadiennes depuis les années 1970 et tout ce qui a changé. Nous avons constaté que pour la famille médiane, les revenus ont augmenté de plus de 50 p. 100. Il s'agit des revenus après impôt et après transfert, mais il est aussi important d'effectuer un rajustement relativement à la taille de la famille.
Ce qui s'est passé au Canada depuis littéralement un siècle, c'est que la taille moyenne des familles a diminué de façon marquée. Depuis les années 1970, la taille moyenne est passée de trois à près de deux. Cela a son importance parce que si vous prenez un revenu donné, disons 100 000 $ en dollars indexés, dans les années 1970 et vous le répartissez entre trois personnes, puis si vous prenez le même montant et le répartissez entre deux personnes aujourd'hui, par membre de la famille vous obtenez beaucoup plus.
Nous avons observé un changement et il existe des façons pour Statistique Canada d'effectuer ce rajustement de sorte qu'au fil du temps, par membre de la famille, les revenus des Canadiens après impôt, après les transferts gouvernementaux, augmentent et ils ont augmenté de façon significative depuis les années 1970 — plus de 50 p. 100.
La sénatrice Bellemare : Au fil du temps, il y a aussi eu une augmentation des taux de participation des familles au marché du travail. Cela aussi pourrait expliquer la situation.
Mme MacEwen : Au tout début, M. Lammam a effectivement mentionné la hausse considérable du nombre de femmes sur le marché du travail. Il y a eu cette grande augmentation de l'emploi rémunéré de sorte que si vous rajustez les heures travaillées par famille, je pense que vous obtiendriez une différence substantielle, et les gens oublient que vous avez alors perdu ce travail non rémunéré que les femmes effectuaient. Elles s'occupaient des enfants. Elles conduisaient leurs parents à l'hôpital. Ce travail non rémunéré n'existe plus et les familles sont stressées à essayer soit de le remplacer, soit de le payer. Vous avez maintenant intégré une partie de cela dans le marché et vous devez payer pour plus.
[Français]
M. Fréchette : Le meilleur exemple que je peux vous donner, c'est lorsqu'on a fait une analyse sur le fractionnement du revenu. C'est probablement l'exemple le plus frappant en termes d'analyse sexospécifique. Vous savez très bien que le fractionnement du revenu fonctionne bien s'il y a un grand écart entre les revenus. Pour ce qui est des femmes, on s'est rendu compte qu'il y avait des revenus inférieurs. C'est un excellent exemple de ce genre d'analyse.
[Traduction]
Le sénateur Pratte : Que savons-nous de l'augmentation de la limite de cotisation à 10 000 $ qui a été adoptée? Elle a été à 10 000 $ pendant un an, n'est-ce pas? Je suppose que nous ne disposons pas de statistiques à ce sujet parce que c'est trop récent. Par contre, savons-nous qui a pu profiter de cette augmentation que le gouvernement propose maintenant de ramener à 5 500 $? Qui a été en mesure d'en profiter et quels seront les perdants après cette réduction?
Mme MacEwen : Les personnes qui perdront le plus sont les personnes âgées qui ont été obligées de retirer leur argent de leur REER et de le mettre ailleurs. C'est en grande partie ce qui avait été à l'origine de la hausse. Les grands perdants seraient les personnes âgées possédant un important patrimoine.
Le sénateur Pratte : Un important patrimoine ou un important revenu, ou les deux?
Mme MacEwen : Patrimoine.
Le président : Les témoins ont-ils d'autres observations sur ce sujet?
[Français]
M. Fréchette : Lorsque la limite du CELI a été augmentée à 10 000 $, ceux qui en profitaient le plus étaient clairement les ménages plus âgés possédant un important patrimoine. Par patrimoine, je fais référence à l'ensemble des actifs d'une famille. Parmi ces gens, bon nombre d'entre eux avaient des revenus relativement faibles, pour toutes sortes de raisons, mais possédaient un patrimoine élevé. Ils avaient des actifs un peu partout, des résidences, et cetera. Ce sont eux qui pouvaient contribuer le maximum de 10 000 $.
Le sénateur Pratte : Ces gens déplaçaient leurs actifs d'une forme de placement vers le CELI.
M. Fréchette : Voilà. Pour faire fructifier leurs avoirs, donc avoir par exemple un rendement plus élevé à l'intérieur du portefeuille CELI, ce qui leur permettait d'accroître encore leur patrimoine.
[Traduction]
La sénatrice Lankin : Je suis heureuse d'avoir la possibilité de participer.
Je pourrais demander que le comité envisage d'examiner dans le cadre de son étude du projet de loi de peut-être engager quelqu'un pour effectuer une analyse sexospécifique. Je sais que d'excellents exposés ont été présentés au comité des droits de la personne sur la façon dont ce travail se fait, et c'est peut-être quelque chose que nous pourrions envisager.
Je m'excuse de mon retard. Je vous assure que je vais lire tous vos commentaires. J'assistais à une autre réunion.
J'ai une question précise. J'ai eu l'occasion de participer aux travaux d'une commission pour la réforme de l'aide sociale dans la province de l'Ontario. L'une des choses que nous avons constatées, c'est l'effet pervers des taux effectifs marginaux d'imposition sur le comportement de gens qui essaient de quitter l'aide sociale et de passer à des fourchettes d'imposition plus élevées. Cette commission ne concernait pas seulement les bénéficiaires de l'aide sociale. Elle examinait aussi des enjeux liés aux travailleurs à faible revenu.
Nous parlons de réductions d'impôt, mais ces réductions peuvent également créer des pauvres immédiatement au-dessus de ces seuils — les taux effectifs marginaux d'imposition. Si vous en avez déjà parlé en détail, n'hésitez pas à me le dire et je lirai les commentaires. Par contre, si vous n'en avez pas parlé, pourriez-vous tous nous dire ce que vous pensez que sera l'incidence du projet de loi sur les taux effectifs marginaux d'imposition?
M. Lammam : J'ai effectivement abordé ce sujet plus tôt. C'est une question vraiment importante qui ne reçoit pas suffisamment d'attention. Le projet de loi dont nous parlons est véritablement axé sur les modifications à l'impôt sur le revenu des particuliers. Ma suggestion est d'examiner de façon globale le changement qu'apporte le gouvernement, ce qui comprend l'Allocation canadienne pour enfants. Si vous prenez ce programme, l'interaction avec les cotisations sociales plus élevées concernant le Régime de pensions du Canada qui seront mises en œuvre au courant des prochaines années, malgré la réduction de l'impôt sur le revenu des particuliers, certaines familles canadiennes seront assujetties à un taux effectif marginal d'imposition plus élevé. Il s'agit d'une préoccupation passablement importante puisque l'on décourage les gens d'améliorer leur sort et de travailler fort pour gagner un meilleur revenu. À mon avis, cet aspect ne reçoit pas une attention suffisante.
Dans certains cas, en fonction de la province, du niveau de revenu et du nombre d'enfants, vous pouvez avoir des taux effectifs marginaux d'imposition supérieurs à 80 p. 100. Donc, chaque dollar additionnel que vous gagnez sur le marché du travail serait récupéré à hauteur de 80 p. 100, y compris les récupérations du gouvernement de même que l'impôt sur le revenu des particuliers et les autres impôts et taxes que vous devez payer. Cet aspect est très important et il faut l'examiner.
Il y a une leçon à tirer et nous avons au Canada une prestation fiscale pour le revenu de travail. Pour ceux qui ne la connaissent pas, cette prestation fiscale pour le revenu de travail est un programme fédéral qui, au lieu de récupérer le revenu, du moins au début de la fourchette, offre un supplément aux personnes qui gagnent un revenu. Le programme offre donc un montant additionnel de transfert, un montant graduel à mesure que vous gagnez davantage, jusqu'à concurrence d'une certaine somme. Ce programme vient des leçons tirées du projet d'autosuffisance que nous avons eu au Canada, qui consistait essentiellement à subventionner un salaire ou un revenu pour les gens qui travaillaient. Donc, au lieu de créer une mesure qui tendait à décourager les gens de gagner davantage, cette prestation devenait un incitatif que les gens recevaient, à la condition de travailler.
C'est le genre de choses qui à mon avis devraient être scrutées et nous devrions de toute évidence examiner tous les programmes du gouvernement, l'incidence totale, et ce que cela donnera pour les familles canadiennes.
Mme MacEwen : J'ai offert plusieurs options pour la prestation fiscale destinée aux personnes à revenu moyen, et ce que je considérais être un élargissement de la prestation fiscale pour le revenu de travail, mais cela touche vraiment la classe ouvrière.
En ce moment, le maximum de la prestation fiscale pour le revenu de travail est de 1 000 $, et la récupération se fait dès que vous gagnez 11 000 $. Si nous élargissions la prestation fiscale pour le revenu de travail, cela aurait un effet positif sur les taux marginaux d'imposition du revenu, et favoriserait plus le travail et l'innovation que quoi que ce soit d'autre à la tranche supérieure.
La sénatrice Omidvar : À l'instar de la sénatrice Lankin, je m'excuse également de mon retard. Si ma question a déjà été posée, je serai heureuse de lire la transcription.
J'aimerais revenir aux détails du projet de loi C-2 et à la diminution proposée du plafond du CELI, qui passerait de 10 000 $ à 5 500 $. D'après ce que je comprends, même à la limite inférieure, qui a été mise en place l'an dernier, moins de 8 p. 100 des Canadiens ont en réalité utilisé tous leurs droits de cotisation, ce qui n'est pas beaucoup, et je pense à la véritable classe moyenne, qui d'après moi n'est pas celle dont le revenu est de 45 000 $ par année, mais un peu moins.
Je me demande ce que vous pensez d'une limite de cotisation à vie plutôt que d'une limite annuelle. Une limite de cotisation à vie serait intéressante pour les gens qui gagnent moins de 45 000 $, disons pendant quelques années, mais dont le revenu finit par augmenter. Eux aussi aimeraient profiter de cet instrument fiscal qui est actuellement hors de leur portée.
Mme MacEwen : Je pense que cette solution serait acceptable parce qu'au fil du temps, elle sera bénéfique étant donné que vous mettez de l'argent de côté maintenant, au début du programme. De toute évidence, cela engendre des coûts, mais je pense qu'un plafond à vie constitue une solution de rechange acceptable.
M. Lammam : Je pense que c'est un point vraiment important de savoir que des gens n'utilisent peut-être pas tous leurs droits de cotisation à un CELI en ce moment, mais c'est peut-être en raison de l'étape de la vie dans laquelle ils se trouvent en ce moment. Peut-être qu'ils sont aux études à l'université, qu'ils fondent une jeune famille avec des priorités concurrentes, des priorités financières, et cotiser au CELI n'est peut-être pas au sommet de cette liste.
Je pense que nous avons effectivement en partie un plafond à vie en ce moment parce que vous pouvez utiliser tous les droits inutilisés plus tard. Mais la question n'est pas de savoir combien vous cotisez cette année, il faut vraiment examiner la question sous l'angle d'un cycle de vie. Je ne m'attends pas à ce que beaucoup de jeunes puissent cotiser à leur CELI ou même leur REER, mais ce n'est pas parce que l'instrument de politique ne leur sera pas utile dans l'avenir. Il est fonction de l'étape de la vie dans laquelle vous vous trouvez.
M. Fréchette : Vous pouvez consulter le rapport du DPB du 27 avril 2015, qui présente quatre tableaux sur les effets du projet de loi C-2, parce que vous revenez au plafond de 5 500 $, et la comparaison à long terme jusqu'en 2075, si le plafond avait été de 10 000 $, et vous verrez exactement la répartition du patrimoine au cours de cette période.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons eu une excellente discussion. Merci, monsieur Lammam, madame MacEwen et monsieur Fréchette. À la prochaine.
(La séance est levée.)