Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 22 - Témoignages du 7 décembre 2016
OTTAWA, le mercredi 7 décembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 18 h 48, pour étudier le projet de loi C-29, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 2 mars 2016 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales, distingués collègues et téléspectateurs. Notre mandat consiste à examiner les questions liées aux prévisions budgétaires fédérales en général ainsi qu'aux finances du gouvernement.
Je m'appelle Larry Smith, sénateur du Québec, et je préside le comité. Permettez-moi de vous présenter rapidement les autres membres du comité.
À ma gauche, le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta; et à sa gauche, de Montréal, le sénateur André Pratte. À ma droite, du Nord de la Colombie-Britannique, le sénateur Richard Neufeld; de la Saskatchewan, la sénatrice Raynell Andreychuk; et à sa droite — nous l'appelons « le marteau » — l'ancienne vérificatrice générale du « Rocher », la province de Terre-Neuve, la sénatrice Beth Marshall.
Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-29, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2016 et mettant en œuvre d'autres mesures.
[Français]
Ce soir, dans le cadre de notre étude du projet de loi C-29, nous avons réuni un groupe de représentants du monde médical.
[Traduction]
Au cours de la première heure de notre réunion, nous accueillons des experts venant d'organismes médicaux.
[Français]
Nous recevons, de l'Association médicale canadienne, le Dr Laurent Marcoux, président élu.
[Traduction]
Nous accueillons également John Feely, vice-président, Pertinence pour les membres. John, bienvenue.
De l'Ontario Association of Radiologists, deux représentants, le Dr Mark Prieditis, président, et Ray Foley, directeur exécutif. Bienvenue.
Du Réseau universitaire de santé, nous accueillons le Dr Barry Rubin, directeur médical du Centre de cardiologie Peter Munk, un endroit où il fait chaud au cœur de travailler.
Finalement, de l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa, nous accueillons le Dr Richard Davies, professeur, Division de cardiologie. Bienvenue, docteur.
Nous vous remercions tous de vous être déplacés. Chaque organisme a cinq minutes. Nous vous demandons de vous assurer de limiter vos commentaires à cinq minutes afin de nous donner l'occasion de poser des questions par la suite.
Allons-nous procéder de gauche à droite?
[Français]
Docteur Marcoux, voulez-vous commencer?
Dr Laurent Marcoux, président élu, Association médicale canadienne : Avec votre permission, je ferai ma présentation en français.
Je suis le Dr Laurent Marcoux, président désigné de l'Association médicale canadienne, et j'exerce la médecine de famille au Québec.
Je suis accompagné aujourd'hui de M. John Feely, comme vous l'avez bien présenté, vice-président, Pertinence pour les membres, à l'AMC. M. Feely fera une partie de notre déclaration d'ouverture.
J'aimerais commencer par remercier les membres du comité d'avoir invité l'AMC à venir témoigner dans le cadre de son étude du projet de loi C-29.
Le budget fédéral de 2016 comportait une modification au régime d'imposition qualifiée de « mesure d'intégrité fiscale », qui s'est trouvée, par inadvertance, à inclure les médecins qui exercent en vertu de modèles de partenariat. Or, le gouvernement fédéral semble faire la sourde oreille aux préoccupations exprimées par les médecins, ce qui nous inquiète énormément. Nous nous présentons donc devant vous en espérant qu'il en résultera une intervention responsable.
Le ministère des Finances du Canada sous-estime énormément les répercussions pour les structures de médecine de groupe et, ce faisant, il sous-estime aussi les risques pour les soins de santé offerts à la population. Nous sommes venus ici aujourd'hui faire valoir que les risques sont réels. Si cette proposition est appliquée aux structures de médecine de groupe, elle aura des incidences négatives sur plusieurs aspects, y compris la recherche en médecine, la formation des médecins et la prestation des soins spécialisés. Nous vous expliquerons ce fait dans quelques instants et nous vous présenterons nos arguments.
Ces structures de groupe existent depuis longtemps et sont là pour soutenir des éléments importants de notre système de santé, comme la recherche médicale et la formation des médecins, qui, autrement, ne seraient pas financées du tout ou seraient sous-financées et ne recevraient qu'un financement insuffisant. En effet, les groupes permettent aux médecins de mettre en commun et de redistribuer leurs revenus de façon à appuyer leurs collègues qui s'occupent de la prestation des services, qu'ils soient ou non financés par le gouvernement fédéral.
Ces soins en équipe jouent un rôle essentiel dans l'éducation et la formation des étudiants en médecine et des médecins résidents dans les hôpitaux d'enseignement, ainsi que dans le domaine de la recherche médicale.
Je vais maintenant céder la parole à M. Feely, qui vous présentera les aspects plus techniques de ce dossier.
[Traduction]
John Feely, vice-président, Pertinence pour les membres, Association médicale canadienne : Contrairement à d'autres professions, les structures de médecine de groupe n'ont pas été créées pour des raisons fiscales ou commerciales. Elles ont été formées pour fournir un bien public. Contrairement aussi à d'autres professions, la rémunération des médecins est établie à la suite de négociations avec les provinces et elle repose sur le cadre fiscal en vigueur.
Il est essentiel de maintenir le cadre actuel de la déduction accordée aux petites entreprises afin de préserver la viabilité de ces structures, car leur création repose sur ces assises. La modification de l'admissibilité à la déduction accordée aux petites entreprises aura une incidence fiscale beaucoup plus importante que la simple différence de 4,5 p. 100 entre le taux d'imposition des petites entreprises et le taux général établi à l'échelon fédéral, comme l'affirme le ministère.
De fait, les médecins qui exercent au sein de structures de groupe feront face à une augmentation du taux d'imposition combiné qui pourrait atteindre jusqu'à 17,5 p. 100, selon la province. Il s'ensuit que ce changement du régime fiscal fédéral dissuaderait énormément la pratique au sein de telles structures.
Pour mieux comprendre les répercussions de la mesure proposée, l'AMC a collaboré de près avec Gestion financière MD pour créer des scénarios financiers concrets fondés sur des renseignements réels provenant de deux médecins dont la pratique est constituée en société au sein de structures de médecine de groupe. Gestion financière MD est une filiale de l'AMC qui fournit des services de gestion financière aux médecins du Canada.
Ces calculs financiers réels ont montré que les montants annuels nets seraient amputés de dizaines de milliers de dollars. Cette analyse a été confirmée par une évaluation indépendante réalisée par Deloitte.
Depuis le dévoilement du budget, l'AMC a reçu un volume sans précédent de messages de médecins qui expriment leurs vives préoccupations face à cette proposition fédérale. Jusqu'a maintenant, nous avons reçu copie de près de 2 000 communications transmises au ministère des Finances du Canada, au ministre des Finances et aux députés. En guise de comparaison, lorsque nous avons informé nos membres de l'augmentation du taux maximal d'impôt sur le revenu des particuliers, nous n'avons pas reçu un seul message — pas un seul.
Certains prétendent que cette proposition fiscale aura pour effet de chasser les médecins vers les États-Unis. Or, d'après notre recherche, il est beaucoup plus probable qu'ils quitteront simplement les structures de groupe. En résultat, les provinces et les territoires se trouveront forcés de trouver rapidement un nouveau modèle de formation des médecins résidents, de financement de la recherche médicale et de prestation des soins spécialisés. Ce sont les patients qui en souffriront.
J'encourage vivement le comité à adopter la recommandation de l'AMC afin d'accorder aux structures de médecine de groupe l'exemption qui constitue le seul moyen d'éviter ces effets négatifs et non voulus.
Le Dr Marcoux et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Feely.
Allez-y, docteur.
Dr Mark Prieditis, président, Ontario Association of Radiologists : Merci, monsieur le président, et bonsoir, distingués sénateurs. Je m'appelle Mark Prieditis. Je suis le président de l'Ontario Association of Radiologists. M. Ray Foley, notre directeur exécutif m'accompagne. Dans la salle, parmi le public, se trouve le Dr Fabiano Taucer, qui a fait l'exposé à vos collègues du Comité des finances de la Chambre des communes.
Je vous remercie de nous avoir demandé de comparaître devant vous pour exprimer nos préoccupations relativement à la déduction fiscale accordée aux petites entreprises qui a une incidence sur les médecins au Canada. Nous croyons que vous avez la capacité d'influer de façon positive sur un texte législatif qui aura des conséquences non voulues.
Je représente plus de 1 000 radiologistes de l'Ontario et, par extension, je traduis les préoccupations également exprimées par l'Association canadienne des radiologistes au nom des 2 800 spécialistes en radiodiagnostic prodiguant des services de soins aux patients d'un bout à l'autre du Canada dans les hôpitaux universitaires, les hôpitaux communautaires et les cliniques communautaires.
Les radiologistes sont des médecins spécialistes qui utilisent une technologie de pointe, notamment des appareils de tomographie par ordinateur, des ultrasons et des IRM, pour diagnostiquer chez les patients pratiquement toutes les maladies connues. Nous avons également recours à ces outils pour la chirurgie endoscopique qui a révolutionné la médecine.
Effectivement, les médecins exploitent des petites entreprises. Nous tirons nos revenus du gouvernement. C'est ce que nous appelons la facturation. Ces factures servent à payer toutes nos dépenses, y compris le coût de notre matériel et du personnel, et cetera. Il en va ainsi que vous exerciez seul, ce qui ne se fait plus vraiment de nos jours, ou que vous exerciez au sein d'un groupe. La situation est la même.
Nous croyons que les décisions découlant du projet de loi C-29 auront les conséquences non voulues sur le plan des soins de santé de dissoudre un grand nombre de ces groupes. Plus précisément, il mettra fin à plus de 30 ans d'une politique de soins de santé spécialisés.
Les deux questions que le comité doit étudier sont les suivantes : est-ce que les mesures budgétaires dont vous êtes saisis ont la capacité de nuire à la prestation des soins de santé; et est-il raisonnable de recommander une exemption afin de protéger les soins au patient? Nous croyons que la réponse aux deux questions devrait être « oui ».
Indépendamment de la position que vous adoptez aujourd'hui, une chose demeure constante et courante pour nous tous dans cette pièce et ailleurs : nous aurons tous besoin des compétences de radiologistes, de médecins de famille, de cardiologues, d'anesthésistes, de radiologistes et de nombreux autres médecins qui œuvrent au sein de groupes. Voilà pourquoi nous vous exhortons à recommander l'annulation de cette disposition du projet de loi C-29 aujourd'hui.
Le gouvernement libéral voudrait vous faire croire qu'il n'y aura aucune répercussion. La question devient alors qui croire; les spécialistes des soins de santé de première ligne ou l'aperçu très sommaire des hauts fonctionnaires du ministère des Finances qui nous ont dit que l'incidence sur les soins aux patients n'avait pas été prise en considération au moment de l'élaboration de cette proposition budgétaire, ni que cela les concernait?
Nous savons que l'élimination de la déduction fiscale accordée aux petites entreprises entraînera la dissolution de quelques-uns de ces groupes, parce que cette mesure élimine l'un des plus importants incitatifs utilisés par les autorités provinciales de la santé pour encourager la pratique de groupe, ce qu'elles font activement depuis de nombreuses années. D'ailleurs, c'est déjà commencé en raison en partie de l'absence de clarté. Le récent vote pris au comité de la Chambre des communes qui dévoile les véritables motifs ne fera qu'accélérer ces dissolutions, ce qui aura une incidence négative sur les soins aux patients.
La médecine de groupe multispécialités offre de nombreux avantages tant aux médecins qu'aux patients. Elle crée une masse critique qui permet d'enseigner aux médecins de demain, d'effectuer des recherches dans les traitements et des procédures nouvelles et plus sécuritaires. Elle assure un leadership clinique, crée de nouveaux gains d'efficacité pour le système de soins de santé grâce à l'intervention de rôles administratifs multiples. Elle nous permet d'améliorer l'assurance et le contrôle de la qualité dans le choix de l'équipement médical, et cetera.
L'éclatement de ce modèle de groupe interrompt les aptitudes des médecins de s'acquitter de ces fonctions largement volontaires qui passent inaperçues à l'extérieur du monde de la médecine. Un grand nombre de ces fonctions ne sont pas rémunérées. La médecine de groupe incite les médecins à communiquer les pratiques exemplaires et à créer des lignes directrices normalisées qui améliorent la qualité des soins médicaux. Sous sa forme agrégée, la médecine de groupe contribue de façon significative à des soins coordonnés, collaboratifs et globaux aux patients.
En terminant, j'aimerais vous proposer les observations suivantes. Des membres du gouvernement libéral nous ont dit à maintes reprises que ce texte législatif n'a aucune incidence sur les médecins. La semaine dernière, nous avons constaté qu'il n'en était pas ainsi. Nombreux sont ceux qui estiment que l'objet véritable était demeuré caché afin d'empêcher une plus grande opposition à cette initiative fiscale, indépendamment des retombées pour les soins aux patients. Beaucoup d'entre nous se sont sentis trompés.
Certains ont décrit la déduction accordée aux petites entreprises comme une échappatoire. Ce n'est pas exact, puisque l'ARC a rendu des décisions en matière d'impôt à de nombreux groupes de médecins d'un bout à l'autre du pays depuis plus d'une décennie, indiquant qu'il s'agit d'une structure légitime. De bonne foi, les cabinets de médecins ont consacré des heures innombrables d'effort pour créer un modèle de médecine de groupe qui est maintenant menacé de fragmentation.
Chaque médecin a un numéro de facturation unique qui lui appartient. Ce numéro de facturation et les services qui s'y rattachent sont assurés par un médecin précis et constituent une petite entreprise dans le contexte médical. Ils comprennent les frais généraux et les mêmes caractéristiques de n'importe quelle autre petite entreprise. Dans le but d'assurer une prestation plus intégrée des services requis, ces petites entreprises ont travaillé en groupe afin d'offrir le spectre de leurs services médicaux et de regrouper les revenus afin de s'assurer que le travail moins rémunéré a un poids égal et afin d'éviter des lacunes au niveau des soins au patient.
Sans lien à ce qui se passe ici à Ottawa, le degré de discorde et de méfiance entre les médecins et les autorités provinciales de la santé d'un bout à l'autre du Canada est élevé. Nous sommes confrontés à des modifications unilatérales aux services des médecins, à des attaques politiques visant les médecins, à des réductions importantes du financement médical et à la non-prise en compte des frais généraux médicaux qui ne cessent d'augmenter d'année en année. Cette orientation négative produit un changement turbulent chez les médecins qui remettent en question leur avenir en médecine. Je le sais, parce que je suis un médecin de première ligne et je l'entends tous les jours. Les dispositions du projet de loi C-29 et d'autres augmentations de nature fiscale viennent inutilement aggraver la situation.
Il ne s'agit pas d'une stratégie d'évitement fiscal ou d'économies fiscales. Il s'agit d'un report d'impôt bien reconnu qui est devenu plus essentiel et important pour les médecins afin de leur permettre de compenser pour leurs frais généraux élevés pendant qu'ils exercent la médecine, l'absence d'un filet de sûreté, par exemple les régimes de pension et d'autres avantages, et d'autres exigences reliées à des normes de formation professionnelle plus élevées tout au long de leurs carrières.
David Dodge, l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, a été cité la semaine dernière relativement à la probabilité nouvellement apparue d'une compétitivité fiscale nettement réduite entre le Canada et les États-Unis, ce qui constituerait un autre facteur qui amènerait les professionnels à envisager de déménager. Indépendamment de tout cela, nous avons émis une mise en garde qui pourrait s'appliquer aussi aux médecins, étant donné que cela s'est produit par le passé lorsque des conditions semblables sont survenues. M. Easter dit que les bureaucrates de Finances Canada et de Santé Canada l'ont convaincu que cela ne se produirait pas. Sauf votre respect, les médecins ne consultent pas les fonctionnaires lorsqu'ils prennent leurs grandes décisions professionnelles. La même assurance n'offre aucune garantie aux Canadiens à revenu faible et moyen qui dépendent d'un système médical stable que beaucoup estiment attaqué.
Il s'est écoulé beaucoup de temps depuis le discours du budget. Si cette mesure législative va de l'avant, malgré notre avis contraire, il devrait y avoir une mise en œuvre différée afin de permettre une restructuration ordonnée et organisée dans le but d'atténuer les décisions hâtives qui auront une incidence sur les soins au patient.
Mesdames et messieurs, il ne s'agit pas de médecins qui cherchent à obtenir un privilège particulier au niveau de l'imposition. Le modèle actuel existe pour desservir les patients et ce seront eux qui seront touchés. La population canadienne a chargé ses médecins de devenir une force du bien, et nous récompenserons cette confiance en travaillant tous les jours dans l'intérêt de chaque patient au Canada.
Merci.
[Français]
Dr Barry Rubin, directeur médical, Centre de cardiologie Peter Munk, University Health Network : Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler ce soir.
[Traduction]
Je suis un chirurgien vasculaire au Toronto General Hospital; je suis le directeur médical du Centre de cardiologie Peter Munk, et je dirige un laboratoire de recherches en biologie moléculaire depuis 18 ans. Je suis également le responsable des organisations de gouvernance qui représentent les 6 000 médecins enseignants répartis dans 16 hôpitaux universitaires de l'Ontario, et c'est à ce titre que je vous adresse la parole aujourd'hui.
Le Canada est un chef de file mondial de l'enseignement, de l'innovation et de la recherche dans le domaine de la médecine. L'apprentissage axé sur les problèmes, la méthode la plus efficace pour enseigner, et l'évaluation fondée sur la compétence, un processus permettant d'évaluer la formation médicale, ont été en grande partie mis au point au Canada et sont maintenant mis en pratique partout dans le monde.
Les chercheurs canadiens comptent parmi les plus cités dans les publications scientifiques, et l'innovation mise au point par des médecins canadiens assure l'évolution continue de notre système de soins de santé. Par exemple, les médecins canadiens ont été les premiers à mettre au point le stimulateur cardiaque, les premiers à effectuer une greffe pulmonaire simple et sont actuellement à l'avant-scène pour ce qui est du remplacement des valves cardiaques sans incision. Nous travaillons également à des approches novatrices pour utiliser les cellules souches afin de traiter l'arthrite et le diabète et pour soigner ces maladies, et pour mettre au point des médicaments qui réduisent au maximum les lésions cérébrales après un accident vasculaire cérébral.
Il est important de reconnaître que la grande majorité de l'enseignement et de la recherche en médecine au Canada se fait dans des hôpitaux universitaires. C'est également un fait que les activités liées à l'enseignement et à la recherche sont rémunérées beaucoup moins que la prestation de soins cliniques, ce qui comprend la consultation de patients, des interventions chirurgicales et bien plus.
Il faut donc se poser la question suivante : comment est-ce que notre système de soins de santé rémunère les médecins pour enseigner et faire de la recherche, c'est-à-dire l'objet de la discussion de ce soir?
C'est en formant des plans de pratique, où des groupes de médecins dans des hôpitaux universitaires se regroupent et mettent en commun leurs revenus. Habituellement, les plans de pratique comptent de 20 à 100 médecins et, dans mon centre, ce sont 360 médecins qui travaillent ensemble. D'ailleurs, ces plans sont en place au Canada depuis 30 à 40 ans.
Grâce à ces plans de pratique, les médecins qui font relativement plus d'argent en prodiguant des soins cliniques transfèrent effectivement une partie de ce revenu aux médecins qui font moins d'argent à enseigner et à faire de la recherche, et ils le font parce que l'enseignement et la recherche ne sont pas très rémunérateurs. Il s'agit de la mission universitaire des plans de pratique.
L'entreprise sociale n'est pas conçue pour enrichir les partenaires qui font partie du plan de pratique. Elle est conçue pour rémunérer de façon appropriée les médecins pour leur travail clinique, de même que pour l'enseignement et la recherche qu'ils font dans le domaine de la médecine.
Chose très surprenante, les deux tiers du soutien à la recherche effectuée par des médecins dans des hôpitaux universitaires au Canada provient de la redistribution du revenu clinique gagné par ces médecins. Le tiers restant provient des gouvernements provinciaux et fédéral.
De plus, les deux tiers des 30 000 médecins qui exercent en Ontario ont été formés dans un hôpital universitaire de l'Ontario, et il en est ainsi partout au Canada.
En vertu du budget fédéral de 2016, si le plan de pratique continue de redistribuer les fonds afin de soutenir l'innovation, l'enseignement et la recherche, les membres de ces plans de pratique qui se sont constitués en société devront partager la déduction accordée aux petites entreprises. Donc, en plus de remettre leur rémunération clinique pour appuyer l'enseignement et la recherche, ces médecins feront l'objet d'une deuxième pénalité financière, parce qu'ils n'auront plus accès à la déduction accordée aux petites entreprises.
Pour ces raisons, les médecins dans les hôpitaux universitaires reconnaissent que les structures de rechange pour leurs plans de pratique, notamment des associations à frais partagés, devront être prises en considération, parce que le fait de rester au sein du partenariat pénalisera financièrement les médecins qui transfèrent déjà une partie de leur revenu clinique pour soutenir l'enseignement et la recherche que font leurs collègues.
Le problème fondamental de former une nouvelle structure comme une association à coûts partagés, qui était une option proposée par le ministre Morneau, est que les plans de pratique ne constitueront plus un mécanisme viable pour redistribuer le revenu regroupé requis pour soutenir l'innovation, l'enseignement et la recherche. C'est ce qui a amené 1 600 médecins, au moment où j'ai rédigé mon allocution — maintenant 2 000 médecins — de partout au Canada à écrire au ministre des Finances et à exprimer leur inquiétude quant au budget fédéral de 2016.
À l'heure actuelle, je sais que 50 plans de pratique dans des hôpitaux universitaires de l'Ontario envisagent de modifier leurs structures de partenariats pour une autre structure, en réaction directe aux modifications prévues par le projet de loi C-29.
Si les plans de pratique ne peuvent pas rémunérer les médecins pour enseigner, qui formera les médecins dont nous aurons besoin demain? Qui fera la recherche et dirigera l'innovation pour mettre au point les nouveaux traitements et les stratégies de prévention nécessaires pour soigner la population canadienne vieillissante et toujours plus nombreuse?
Limiter la capacité de groupes de médecins d'accéder à la déduction accordée aux petites entreprises risque de détruire par inadvertance le mécanisme fondamental que les plans de pratique dans les hôpitaux universitaires du Canada utilisent depuis des décennies pour soutenir l'innovation, l'enseignement et la recherche dans le domaine médical — la redistribution du revenu gagné à prodiguer des soins cliniques.
Cela pourrait déstabiliser le fondement du système de soins de santé pour lequel le Canada est si respecté et si bien connu, et aura une incidence sur notre capacité de rester un chef de file en innovation médicale. Ce serait très difficile pour tous les exemples que j'ai mentionnés : utiliser les cellules souches, première utilisation d'un stimulateur cardiaque, greffes d'un seul poumon. Ces réalisations ont toutes été rendues possibles grâce aux plans de pratique qui transféraient des fonds pour soutenir l'enseignement et la recherche.
Cependant, au final, nuire à la capacité de médecins et d'hôpitaux universitaires d'innover, d'enseigner et de faire de la recherche aura une incidence négative durable sur les résidents et les citoyens du Canada à qui nous prodiguons des soins.
Merci beaucoup.
Dr Richard Davies, professeur, Division de cardiologie, Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa : Merci de nous donner la chance de faire un exposé. Je suis un cardiologue ici, à Ottawa. Je suis aussi l'associé directeur du groupe de 34 cardiologues qui travaillent à l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa.
Je parle également au nom d'un grand nombre de mes homologues d'un bout à l'autre du pays avec lesquels nous avons discuté et qui disent tous essentiellement que les observations que je fais traduisent exactement la situation à laquelle ils sont confrontés dans leurs propres centres.
Des médecins universitaires de partout au pays ont participé pendant de nombreuses années à des partenariats, non pas pour faire de l'argent, mais pour soutenir une mission d'excellence en éducation, recherches novatrices et soins à la fine pointe de la technologie. Grâce à ce mécanisme, mon propre partenariat soutient la totalité du temps que nos médecins consacrent à l'enseignement des jeunes médecins. Les centres universitaires de partout au pays font la même chose.
Cela a permis aux centres universitaires canadiens comme le nôtre d'élaborer et de maintenir des programmes d'enseignement considérés parmi les meilleurs n'importe où. Ils attirent aussi les jeunes docteurs les meilleurs et les plus brillants pour travailler avec eux tant au Canada que partout dans le monde.
Des partenariats comme le nôtre soutiennent également la recherche. Mon propre groupe soutient l'un des meilleurs programmes de recherche dans le domaine cardiaque au Canada et maintient une concurrence et une collaboration continues saines avec d'autres programmes, notamment celui du centre du Dr Rubin. Ces partenariats ont rendu possibles de nombreuses innovations et avancées canadiennes dans les soins au patient. Si je prends mon propre centre en exemple, nous avons été l'un des premiers centres au monde à établir un programme régional pour traiter les victimes de crise cardiaque. Il est maintenant la norme de soins au Canada et partout dans le monde.
Lorsque j'ai entrepris ma carrière, le taux de mortalité des victimes de crise cardiaque dépassait 13 p. 100. Grâce à ce programme, il est désormais de 3,5 p. 100. On atteint ce niveau de soins est réalisé en attirant la crème de la crème en médecine universitaire et en permettant à chaque médecin de se concentrer sur un aspect particulier afin de pouvoir acquérir des compétences exceptionnelles dans cet aspect, puis de mettre ces compétences à la disposition des patients.
Des partenariats comme le nôtre soutiennent aussi l'excellence dans des domaines cliniquement importants, mais mal rémunérés. Les patients souffrant d'insuffisance cardiaque avancée, y compris ceux qui auraient besoin d'une greffe cardiaque et des appareils de soutien mécaniques, en sont un bon exemple. Les médecins qui occupent des sous- spécialités mieux rémunérées et qui se sont joints à ce partenariat permettent à leur revenu clinique d'être redistribué de façon à ce que, comme groupe, nous puissions prodiguer les meilleurs soins possible à tous nos patients. Un tel succès a été rendu possible dans tous les aspects de la médecine dans des centres de partout au Canada. La capacité de former des partenariats universitaires sans pénalité a joué un rôle important à cet égard.
En ma qualité d'associé directeur d'un groupe tel que le nôtre, il m'incombe de retirer l'argent de la table pour que mon groupe puisse réussir dans sa mission d'excellence. Ce faisant, je dois composer avec une différence presque quadruple dans la capacité de gains parmi les docteurs possédant des niveaux semblables de compétence, mais dans des domaines différents, une absence de financement ferme pour les médecins enseignants et la plupart des médecins chercheurs.
Les partenariats universitaires constituent un outil puissant qui a fait ses preuves et que mes homologues de partout au pays et moi utilisons pour le faire. Nous avons maintenant besoin de votre aide pour maintenir l'infrastructure sur laquelle repose la plus grande partie de notre succès.
Dans sa forme actuelle, le texte législatif en question pénalisera d'après nous par inadvertance les médecins qui souhaitent se joindre à des partenariats universitaires pour les motifs altruistes que je viens de décrire. Nous demandons tout simplement que vous modifiiez ce texte législatif afin que ces médecins soient traités de la même façon que ceux qui exercent seuls en pratique communautaire. Vous enverrez ainsi un message clair de reconnaissance et d'appui pour le travail qu'ils font.
Cela conclut mes remarques, mais j'aimerais aussi en terminant vous lire quelques commentaires du Dr Juan Carlos Monge, mon homologue responsable du plan de pratique au St. Michael's Hospital à Toronto.
Il dit que cela dépasse l'entendement que des médecins universitaires qui ont pris l'initiative au cours des dernières décennies de regrouper leurs gains afin de financer ce que le gouvernement ne finance pas soient maintenant pénalisés par une mesure qui, même si elle n'est pas clairement dirigée vers les groupes de médecine en milieu universitaire, menace néanmoins notre existence et notre capacité de soutenir la recherche, de faire progresser l'enseignement de la médecine et les soins cliniques superspécialisés.
Cette conséquence non voulue défie toute logique, et nous croyons qu'une personne sensée peut facilement constater qu'il faut des mesures législatives pour fournir une solution acceptable aux groupes de médecine en milieu universitaire.
La solution proposée par le ministère des Finances — une entente de partage des coûts — ne répond pas à nos besoins étant donné que nous devons mettre en commun et redistribuer des ressources pour soutenir notre mission universitaire. Tel n'est pas l'objectif d'une entente de partage des coûts, qui permet à peine la répartition des coûts de faire affaire entre les membres d'un groupe — ce qui est loin de satisfaire à ce que nous devons faire et à ce que nous avons fait dans certains cas depuis presque 50 ans.
Ceci dit, je conclus mes remarques.
Le président : Merci beaucoup.
Nous avons une liste très longue de sénateurs qui sont intéressés, parce que je pense que vous avez piqué notre intérêt; un grand nombre d'entre nous sont au stade de leur vie où ils pourraient devoir passer du temps avec vous.
Pour commencer, j'inviterais le sénateur André Pratte, de Montréal, à poser ses questions.
Le sénateur Pratte : J'ai de nombreuses questions.
On a mentionné ici et ailleurs que les gouvernements provinciaux ont pendant des années encouragé les médecins à former des partenariats. Pouvez-vous élaborer? Combien de provinces vous encouragent à former des partenariats?
Dr Prieditis : Bien sûr. Il est bien connu que le passage à un modèle de groupe est en général la façon dont la médecine devrait progresser. Il a été inventé aux cliniques Mayo et Cleveland et à d'autres. Certaines spécialités sont nettement plus avancées que d'autres, notamment la radiologie et la cardiologie, mais on a atteint le point où il y a quelque six ou sept ans — peut-être un peu plus —, dans le cadre d'une négociation entre l'Ontario Medical Association et le gouvernement de l'Ontario, les médecins ont été autorisés à se constituer en société, en remplacement d'une augmentation des frais. Ils ont été encouragés à se constituer en société pour cette raison.
Je suis convaincu que nous en entendrons davantage à ce sujet, mais en plus, les AFP ont tous été encouragés à se former à ce moment-là, ou plus tard, et ils ont tous été encouragés à utiliser ces structures pour le faire.
Le président : Y a-t-il d'autres commentaires?
Dr Rubin : Si vous travaillez dans un hôpital universitaire, vous devez détenir un poste universitaire, et un poste universitaire relève d'une école de médecine affiliée à une université. Pour obtenir cette affiliation, toutes les universités exigent que vous travailliez dans une structure de groupe. On les appelle des plans de pratique, et ils existent depuis 30 ou 40 ans. Il existe des variantes entre les écoles de médecine, mais elles reposent toutes sur le même principe : que vous aurez la capacité d'élire et de destituer des dirigeants; que vous aurez des finances transparentes; que vous aurez un mécanisme de règlement des différends. Nous sommes donc tenus de travailler en groupe.
Cela a d'ailleurs été renforcé lorsque le plan de financement de rechange provincial est né — et je parle uniquement de l'Ontario; c'était en 2003 — où pour recevoir un soutien supplémentaire pour enseigner et faire de la recherche, ce qui, comme je l'ai mentionné, couvre à peu près le tiers du coût de l'enseignement et de la recherche, vous deviez faire partie d'un plan de pratique.
C'est très différent de travailler dans un hôpital communautaire où les médecins fonctionnent comme des médecins qui exercent seuls et n'ont pas besoin de faire partie de groupes. Cela crée des règles du jeu différentes parce que les médecins dans les hôpitaux universitaires doivent participer à des ententes de groupe, tandis que les médecins en milieu communautaire ne sont pas tenus de le faire.
Si vous obtenez votre diplôme au terme d'un programme de formation et que vous décidez de l'endroit où vous voulez travailler — dans un hôpital universitaire ou dans un hôpital communautaire —, en vertu de l'actuelle mesure législative, les répercussions fiscales peuvent être telles qu'au fil du temps les médecins ne voudront pas travailler dans les hôpitaux universitaires; ils travailleront dans les hôpitaux communautaires.
Au fil du temps, cela soulève des questions : qui va former les futurs médecins? Qui va effectuer la recherche? Et, fait très important, qui va prodiguer les soins spécialisés qui ne peuvent être fournis que dans des hôpitaux universitaires, notamment les greffes, la plupart des formes de chirurgie cervicale, la chirurgie cardiaque avancée et j'en passe? Les répercussions sont donc considérables.
Le sénateur Pratte : J'ai une brève question à l'intention de l'Association médicale canadienne. Au tableau de la page 4, où sont mentionnées les différentes provinces, il y a trois colonnes avec un premier taux, qui est, d'après ce que je peux comprendre, le taux d'imposition des petites entreprises. Quelle est la deuxième colonne?
M. Feely : La deuxième colonne est le taux général d'imposition des sociétés, et la troisième colonne représente la différence entre les deux.
Le sénateur Pratte : Donc, si l'on vous privait du taux d'imposition des petites entreprises, vous seriez alors imposés au taux général d'imposition des sociétés?
M. Feely : Oui, c'est exact.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais me concentrer un peu sur les nombres. L'exemple qui est donné dans ce mémoire — 7 décembre, l'Association médicale canadienne — d'une réduction nette de 32 000 $ des fonds en raison de la différence de 4,5 p. 100, si je fais le calcul, cela signifierait que quiconque perd 32 000 $ gagnerait en réalité environ 750 000 $, ou à peu près. Est-ce exact? Vous devez gagner 750 000 $ pour qu'un différentiel de 4,5 p. 100 réduise vos impôts de 32 000 $?
M. Feely : Je serai heureux de vous donner les détails à cet égard, mais on ne tient pas simplement compte du revenu total de la pratique. On tient compte des différents facteurs, mais ils se fondent sur les données réelles des médecins qui travaillent dans des groupes qui ont fourni ces données. Je ne peux pas me rappeler du montant le plus élevé. Je serai heureux de vous le fournir.
Le sénateur Mitchell : Soyons clairs, 32 000 $ ce n'est pas une réduction négligeable. Je le comprends, mais c'est certainement moins important si vous gagnez 750 000 $ que si vous gagnez 175 000 $. J'aimerais seulement savoir comment tout cela s'intègre.
M. Feely : Je serai heureux de vous donner les détails.
Il est important de se rappeler également que, comme l'ont mentionné les autres intervenants, les médecins financent également leurs autres collègues. Donc, en plus de cette contribution, qui constituerait le différentiel fiscal de 32 000 $, ils contribuent à la mise en commun de leurs revenus pour aider les membres qui gagnent moins. C'est une autre sorte de structure en ce sens qu'ils aident leurs collègues qui, je dirais, sont moins bien rémunérés de façon à mieux équilibrer le revenu. Ainsi, ils peuvent fournir une gamme plus complète de services spécialisés.
Le sénateur Mitchell : Disons que dans l'un de ces plans ou partenariats il y a 30 médecins, et vous dites que certains d'entre eux subventionnent les autres. Est-ce que cela signifie que 15 font seulement des opérations et que 15 font des opérations et de l'enseignement? Comment est-ce que cela fonctionne? Pourquoi seraient-ils des associés?
Est-ce que les professeurs ne sont pas également rémunérés par l'hôpital, par les universités? J'ai des amis qui sont rémunérés ainsi.
Dr Prieditis : C'est plus compliqué que cela. Il y a beaucoup de choses que les médecins font qui ne sont pas de l'enseignement ou de la recherche. Il y a aussi un travail administratif que nous faisons, puisque nous sommes des chefs de département, des chefs de section. Il y a toutes sortes de travaux de contrôle de la qualité que les gens font. Il y a des sous-spécialités très différentes et des pratiques différentes.
Je fais partie d'un groupe de 18 radiologistes. Je fais beaucoup d'IRM et de tomographies. D'autres font ce que l'on appelle de la radiologie d'intervention. Certains radiologistes se spécialisent en échographie mammaire. Nous avons un radiologiste qui fait surtout de l'administration; une personne fait beaucoup de contrôle de la qualité et met au point des programmes informatiques pour examen par les pairs, et leur facturation serait beaucoup, beaucoup moindre qu'une autre personne au sein du groupe. Comme incitatif, pour les amener à faire ce travail vraiment important et pour nous permettre d'assurer une présence tous les jours, 24 heures sur 24, pour quiconque se rend à l'hôpital, nous devons avoir une façon de redistribuer ce revenu. Si nous ne le faisons pas ou s'il y a une véritable pénalité pour le faire en travaillant ensemble, alors des écarts se développeront et il sera très difficile d'amener des gens à faire ces autres choses vraiment importantes et novatrices.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais approfondir un peu plus la question. La répercussion est donc que les groupes commenceraient à se séparer et à se dissoudre. Est-ce que cela n'entraîne pas des coûts supplémentaires? Tout d'un coup, je ne partage plus de locaux ou je dois engager quelqu'un pour l'administration de toute façon. C'est ma première question.
Ma deuxième question est celle-ci : ne finissez-vous pas par payer ces impôts de toute façon? C'est simplement une question de les reporter pendant un certain temps. Même si je sais que vous reculez sur la question de « déménager aux États-Unis », il n'en demeure pas moins qu'il n'y a aucun report du genre aux États-Unis. Cette caractéristique est propre au Canada, n'est-ce pas? Premièrement, vous pouvez reporter et, deuxièmement, le « report » signifie tout simplement que vous devrez payer les impôts de toute façon plus tard.
Dr Prieditis : Le report est un aspect, et je pense qu'il est important pour les médecins, parce que beaucoup d'entre nous sont en formation jusqu'au milieu de la trentaine, parfois même plus tard, avant de commencer à exercer. Notre carrière est très brève. Le fait de pouvoir reporter ce revenu nous aide à avoir une retraite raisonnable. Nous n'avons aucun régime de pension ou quoi que ce soit. C'est donc un facteur.
Par contre, la redistribution est vraiment importante. N'oubliez pas qu'il pourrait y avoir un médecin qui gagne, comme nous l'avons déjà entendu, le quart de ce qu'un autre médecin facture. Pour permettre à cette personne de le faire, nous devons avoir une façon de redistribuer ces fonds, et je pense que c'est la question fondamentale qui se perd dans tout ce débat.
Comme vous l'avez mentionné, il y a un coût associé à la dissolution de ces structures, mais je pense que vous créez une véritable désincitation à la formation de groupes et à la formation de ces soins au patient. Cela est déjà en train de se produire. Nous voyons déjà des groupes qui essaient de dissoudre leurs pratiques. Nous entendons de nouveaux médecins qui arrivent dire : « Je ne veux pas me joindre à un groupe. Je préférerais exercer seul. » Il devient très difficile de bâtir une équipe.
Le président : Pourrais-je poser une question? Je ne sais pas si cela se trouve dans notre documentation, puisque nous venons de la recevoir. Pourriez-vous nous donner un exemple simple de 20 praticiens et d'en former un groupe? Montrez-nous comment cela fonctionne afin que nous puissions comprendre exactement les répercussions. Si vous pouviez nous donner des chiffres, et il n'est pas nécessaire que vous divulguiez vos propres pratiques, mais ce serait vraiment utile si nous pouvions, tout comme les gens qui vous écoutent, comprendre les répercussions. Nous comprenons la façon dont votre groupe fonctionne, mais donnez-nous des exemples de la logistique réelle du flux de fonds et comment cela fonctionne.
Il n'est pas nécessaire de rattacher tout cela à des situations personnelles, mais vous avez suffisamment d'expérience pour nous donner un exemple d'un groupe de 20, la ventilation entre enseignants et praticiens, leurs rôles, et comment l'argent est distribué au sein du groupe. Cela pourrait être très utile pour nous permettre de comprendre exactement ce dont vous parlez sur le plan des répercussions.
Parlez-nous aussi de l'incidence de la mesure législative. Quel est le résultat essentiel pour vous?
Dr Davies : Je suis peut-être le mieux placé. Je vais parler d'un groupe de 34 plutôt que de 20, parce que c'est la taille de notre groupe.
Il n'y en pas beaucoup dans notre groupe qui facturent — et je ne parle pas de revenu, mais de facturation — au niveau de 750 000 $. Habituellement, c'est beaucoup moins. Au sein de notre groupe, en ce qui concerne la facturation totale pour le groupe, il faut d'abord savoir qu'au sein de notre institut, nous assumons beaucoup de frais généraux. Nous embauchons le personnel qui travaille dans notre clinique.
Le président : C'est en sus des 34 praticiens?
Dr Davies : Oui, en sus de nos 34 praticiens. Au total, notre groupe compte plus de 60 personnes. Nous engageons ces personnes, qui travaillent à l'institut, mais qui sont payées par nous. Essentiellement, pour commencer, les revenus sont bruts.
Deuxièmement, il importe de savoir que dans des centres comme le nôtre, ce que nous faisons quand nous embauchons un médecin, nous l'encourageons à se spécialiser et à exceller dans un petit domaine. C'est ainsi que nous maintenons notre expertise. Je vais donner l'exemple d'une insuffisance cardiaque, parce que c'est un très bon exemple.
Nous avons recruté quelqu'un que l'on nous avait décrit comme étant le meilleur cardiologue d'Australie, et cette personne est vraiment très bonne. Il travaille très fort. Sa capacité de gains est très faible, parce que quelqu'un qui voit des patients et s'occupe de patients très malades est rémunéré au même niveau qu'un interniste général. Nous avons d'autres personnes qui sont hautement qualifiées et qui font des choses techniques, qui peuvent gagner beaucoup plus que cette personne, et, comme groupe, nous nous rendons compte que nous avons besoin de toute la gamme d'activités. Nous voulons certainement pouvoir garder une telle personne, mais à moins de fonctionner comme groupe et de redistribuer le revenu à cette personne, nous ne serons pas en mesure d'avoir une telle personne au Canada. Vous n'aurez pas de gens qui se spécialisent à ce niveau dans ce domaine tout simplement parce que, sans redistribution, nous ne pouvons pas le faire.
Par conséquent, dans notre groupe, nous mettons nos revenus en commun. Nous payons entièrement les frais généraux du médecin qui traite ce type de patients. Je multiplie la totalité de ses gains cliniques par 1,5 et nous avons établi une formule qui tient compte également de la productivité universitaire, de la recherche et de l'enseignement. Nous redistribuons nos revenus selon cette formule afin d'être sûrs que la personne en question est rémunérée à sa juste valeur.
Dans ce cas particulier, la province a commis une erreur, mais ce système fonctionne très bien et si personne n'y a prêté attention, c'est probablement parce que cela a très bien fonctionné depuis 40 ou 50 ans.
Le président : Compte tenu de l'écart entre ceux qui gagnent le plus et ceux qui gagnent le moins parce qu'ils sont en formation, si vous avez 34 praticiens et 60 employés, pouvez-vous nous dire quel est le coût approximatif de votre personnel?
Dr Davies : Oui. Nous avons, en moyenne, 28 p. 100 de frais généraux.
Le président : Vingt-huit pour cent de quoi?
Dr Davies : Nous consacrons 28 p. 100 de nos gains totaux à la rémunération de notre personnel.
Le président : Les 34 praticiens financent donc ces 28 p. 100. Sur les 34 praticiens, il y en a combien en formation qui gagnent moins que leurs collègues les plus performants afin que nous ayons une idée de l'écart?
Dr Davies : Désolé, pourriez-vous répéter votre question, car je n'ai pas bien compris.
Le président : Si je comprends bien, vous avez 34 praticiens. Certains d'entre eux sont en formation et ils sont subventionnés ou rémunérés par les médecins les plus performants ou les personnes qui sont...
Dr Davies : Désolé. Je suis fier de dire que tous les membres de mon groupe sont très performants et que ces personnes sont payées par les médecins les plus performants, ce qui n'est pas la même chose.
Le président : Désolé. Vous êtes tous très performants. Ceux qui gagnent le plus paient les autres. Sur les 34, combien ont des gains élevés et combien sont en formation?
Dr Davies : C'est environ un tiers, un tiers, un tiers. Bien entendu, le tiers de nos praticiens gagnent plus que le salaire net qu'ils reçoivent. Autrement dit, ils facturent plus que leur salaire net, et il y a donc un tiers des médecins qui gagnent moins. Le tiers restant se situe probablement au milieu; dans la tranche médiane. Les activités des uns et des autres se complètent bien.
Le président : Pourriez-vous me donner une idée des gains des praticiens du tiers médian et du troisième tiers?
Dr Davies : Le revenu brut du troisième tiers se situe aux environs de 250 000 $. Le revenu moyen du premier tiers est probablement trois fois plus élevé.
Dr Prieditis : Je voudrais faire une brève observation au sujet des dépenses, car elles varient selon le domaine de la médecine dans lequel vous exercez. La moyenne pour les médecins du pays est de l'ordre de 40 p. 100 environ. En radiologie, les dépenses peuvent atteindre 70 p. 100 à cause de la nature très coûteuse de l'équipement, selon le cadre dans lequel ils travaillent. Je pense qu'il faut faire preuve de prudence à l'égard de ces chiffres. Je tiens à souligner, une nouvelle fois, qu'il ne faut pas confondre facturation et revenus.
Dr Davies : Merci de le mentionner. Je dois apporter une précision. De nombreuses factures comportent des honoraires techniques et professionnels. Les revenus que j'ai cités excluaient les coûts techniques qui sont quand même attribués à ces médecins. Si je les incluais, nos frais généraux augmenteraient largement.
Les radiologues ont l'air de gagner beaucoup d'argent, mais ils doivent financer de l'équipement très coûteux. Je suis entièrement d'accord avec vous. Il faut tenir compte de la situation.
La sénatrice Marshall : Certains des 34 praticiens de votre groupe de 60 personnes bénéficient de la déduction pour les petites entreprises, n'est-ce pas?
Dr Davies : Oui.
La sénatrice Marshall : C'est beaucoup plus complexe que je ne le pensais, mais je comprends ce que vous dites.
Qu'est-ce qui a suscité ce changement? Le savez-vous? D'après ce qu'un de nos témoins a dit, j'ai eu l'impression que c'était en vigueur depuis l'an 2000 ou même avant. C'est en vigueur depuis un certain temps, n'est-ce pas?
Dr Davies : Qu'est-ce qui est en vigueur?
La sénatrice Marshall : Le fait que tout le monde peut demander la déduction pour les petites entreprises.
Dr Davies : Oui. Je crois que cette déduction est en place en Ontario depuis que les médecins ont pu se constituer en société et d'ailleurs, de nombreux groupes ont obtenu des décisions anticipées le confirmant.
La sénatrice Marshall : Depuis combien de temps? Cinquante ans?
Dr Davies : Depuis 2004, je pense.
La sénatrice Marshall : Savez-vous pourquoi il en est question maintenant, pourquoi ce changement est apporté maintenant? Quelle en est la raison?
Dr Davies : Oui. C'est en raison du traitement injuste des médecins qui participent à des groupes universitaires par rapport à leurs collègues qui exercent simplement dans la collectivité. Ces derniers peuvent tous bénéficier entièrement de la déduction pour les petites entreprises. On ne s'est pas rendu compte que les médecins qui se joignent à un groupe universitaire, pour les raisons que j'ai décrites, seraient traités différemment.
Dr Prieditis : Pourrais-je faire une remarque à ce sujet, car je ne pense pas que ce soit entièrement vrai?
Les médecins qui exercent en groupe sont traités différemment de ceux qui exercent seuls, mais cela vaut aussi pour ceux qui exercent dans des centres de médecine communautaire. Il y a d'importants groupes de radiologues et autres spécialistes qui exercent dans les hôpitaux communautaires. Il y a actuellement en Ontario un important groupe de médecins généralistes, là où le gouvernement a favorisé la création d'équipes de médecine familiale. Vous pouvez avoir 20, 30, 40 et même davantage de médecins généralistes qui peuvent ainsi desservir les patients 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela touche vraiment les groupements de praticiens et je pense que cela pose des problèmes particuliers aux universitaires. Mais cela touche tout médecin qui exerce en groupe.
La sénatrice Marshall : Ce que vous nous dites, ce soir, est beaucoup plus complexe que je ne le pensais.
Avez-vous eu des discussions avec les fonctionnaires des finances ou le ministre pour leur expliquer comment le système fonctionne et quelles seraient les conséquences de son démantèlement, si ce que prévoit la loi est appliqué?
Dr Davies : Oui.
Dr Rubin : Quand nous avons été informés de ces nouvelles dispositions fiscales, j'ai écrit une lettre aux 6 000 médecins universitaires de l'Ontario pour les inciter à écrire au ministère des Finances. Nous avons rencontré les autorités provinciales, l'Ontario Medical Association qui a communiqué directement tous ces faits au ministère des Finances.
J'ignore pourquoi nous n'avons pas été entendus. Peut-être que notre modèle selon lequel les médecins qui gagnent partagent leurs revenus avec ceux qui en gagnent moins ne correspond pas au modèle de la plupart des autres entreprises de la société. En général, ceux qui gagnent peu — par exemple dans un cabinet d'avocats — facturent leurs services et transfèrent de l'argent à ceux qui gagnent le plus. C'est une entreprise à but lucratif. Ce n'est pas ce que nous faisons. L'argent de ceux qui gagnent le plus va à ceux qui gagnent le moins. En nous associant, nous avons pu disposer de plus d'argent pour soutenir l'enseignement et la recherche.
Cette mesure est un pas en arrière. Ce n'est pas parce qu'il y aura moins d'argent; c'est parce que les médecins devront adopter un autre mode d'organisation, car ils ne pourront plus transférer de l'argent entre eux sans pénalité financière supplémentaire. Non seulement vous perdez de l'argent, mais vous êtes encore plus pénalisé parce que vous exercez en groupe.
La sénatrice Marshall : Le ministre de la Santé de l'Ontario a-t-il pris position à ce sujet ou reste-t-il entièrement en dehors de tout cela? Car cette mesure va toucher les provinces. Le ministre provincial de la Santé n'ignore certainement pas que vous allez commencer à démanteler vos groupes et que cela aura des conséquences. Quelle a été la réaction en Ontario?
Dr Rubin : Je ne suis pas en mesure de réponse au nom du gouvernement de l'Ontario. Nous l'en avons informé.
Le président : Monsieur Feely?
M. Feely : Nous avons rencontré les fonctionnaires du ministère des Finances fédéral, et l'Ontario Medical Association pour expliquer la situation. Nous leur avons demandé s'ils avaient consulté le ministère provincial de la Santé, et ils nous ont répondu que non et qu'ils n'avaient pas l'intention de le faire.
Le président : Monsieur Foley, avez-vous quelque chose à dire?
Ray Foley, directeur exécutif, Ontario Association of Radiologists : J'aurais une ou deux choses à dire. Quand il y a eu le discours du budget, on nous a dit clairement et à plusieurs reprises que cette annonce ne toucherait pas les médecins. Ensuite, on nous a dit qu'ils seraient peut-être touchés et maintenant on nous dit qu'ils le sont. On nous déclare maintenant que ce n'était pas voulu et que l'on compte exclure les médecins de la portée de la loi ou apporter un amendement quelconque pour régler la question parce qu'on a reconnu, comme chacun des témoins l'a mentionné, que cela posait de nombreux problèmes et des « conséquences inattendues ».
La sénatrice Marshall : Je suppose que cela devrait beaucoup inquiéter les ministres de la Santé des provinces. D'après ce que vous dites ici, ce soir, si ce changement est apporté, cela va démanteler ou risque de démanteler une bonne partie de notre système de soins de santé. C'est donc assez inquiétant.
Si vous décidez de changer la façon dont vous exercez la médecine, que se passera-t-il? Disons que le projet de loi est adopté la semaine prochaine, que va-t-il se passer? Les médecins vont-ils commencer à se réorganiser?
Dr Rubin : Nous nous attendons à une migration vers des ententes de partage des coûts qui ne prévoient pas de partage des revenus entre les partenaires, c'est-à-dire avec ceux qui font de l'enseignement et de la recherche, ce qui rapporte nettement à l'heure. Pour répondre à votre remarque précédente, sénatrice, les soins cliniques rapportent beaucoup plus d'argent que l'enseignement et la recherche. Il y a des subventions, mais c'est loin d'être aussi payant. Par conséquent si les modalités de partage des coûts ne permettent pas de partager les revenus entre ceux qui gagnent beaucoup d'argent et ceux qui en gagnent peu, les activités peu rémunérées vont cesser ou ralentir.
La sénatrice Marshall : Quand le ministre des Finances a comparu hier au sujet de ce projet de loi, nous lui avons demandé combien ce changement rapporterait au gouvernement. Quand la loi de l'impôt est modifiée, nous sommes toujours désireux de savoir si ce sera avantageux pour le gouvernement ou coûteux pour le Trésor public. Je pense qu'il a cité un chiffre de 70 millions de dollars, ce qui m'a paru assez faible.
Cela m'amène donc à vous poser deux questions. Ce chiffre vous semble-t-il raisonnable et réaliste? Quelqu'un a parlé dans sa déclaration d'ouverture du travail réalisé par Deloitte. Je crois que ce chiffre de 70 millions de dollars n'est pas seulement pour les médecins et inclut d'autres professionnels. Il ne semble pas justifié de mettre le système de santé en danger pour 70 millions de dollars. Ce chiffre de 70 millions de dollars vous semble-t-il raisonnable?
Dr Rubin : C'est pour toutes les professions et pas seulement pour les médecins.
La sénatrice Marshall : C'est exact. C'est ce que j'ai voulu dire.
Dr Rubin : En réalité, si les médecins laissent tomber leurs partenariats pour des modalités de partage des coûts afin de continuer à bénéficier de la déduction pour les petites entreprises, le gouvernement ne tirera aucun revenu supplémentaire net de ce groupe de médecins, parce que...
La sénatrice Marshall : Tout le monde continuera de bénéficier de la déduction.
Dr Rubin : Les médecins obtiendront la déduction, mais ils ne pourront plus financer l'enseignement et la recherche. Par conséquent, vous ne gagnerez rien sur le plan fiscal et vous aurez détruit le mécanisme que nous utilisons depuis quatre ou cinq décennies pour financer l'enseignement et la recherche.
M. Foley : Nous avons rencontré les fonctionnaires du ministère des Finances qui ont rédigé les dispositions budgétaires à cet égard et nous leur avons demandé : quelle analyse d'impact avez-vous faite pour évaluer les conséquences que cela aura pour la centaine de milliers de médecins du pays? Ils ont dit qu'ils n'en avaient fait aucune. Ils ont dit que cela ne les regardait pas, que ce n'était pas leur fonction première. Leur fonction première est d'élaborer la politique fiscale. Nous nous soucions de la politique à l'égard des soins aux patients. Cela aura un impact en fonction du médecin qui sera touché.
Je dirais que le chiffre de 70 millions de dollars est très douteux. Il n'est étayé par aucun calcul et aucune donnée. S'il y en a eu, ils ne nous ont pas été révélés.
La sénatrice Marshall : Ce n'est pas un chiffre fiable, de toute façon.
M. Foley : Nous avons parlé au comité de la Chambre des communes des répercussions que cela aurait sur les médecins et ces répercussions sont multiples. Celle dont on a surtout parlé est l'exode des médecins vers les États-Unis. C'est un problème bien réel. Nous l'avons déjà constaté au Canada dans les années 1980, 1990 et au début des années 2000.
Mais il n'y a pas que cela. Les médecins vont changer la façon dont ils exercent la médecine, comme l'a dit le Dr Rubin. Ils vont quitter ou modifier leur champ d'exercice. Cela va toucher un grand nombre de leurs activités, comme le Dr Prieditis l'a mentionné : des choses invisibles pour les personnes en dehors du monde médical. C'est ce qui fait toute la différence dans la qualité des soins. Tout cela va diminuer ou disparaître.
Le président : Nous devons avancer. Vous avez fait un excellent travail jusqu'ici.
Nous venons d'apprendre que le premier ministre du Québec a demandé au Sénat de l'aider à convaincre le gouvernement fédéral d'accéder à sa demande à cet égard. Les choses sont donc en train de progresser.
La sénatrice Ataullahjan : Excusez-moi de mon retard. Il y a une réception à l'extérieur et la circulation est assez lente.
La sénatrice Marshall a posé plusieurs des questions que je désirais poser. J'ai entendu certaines des réponses, mais j'ai quand même une question à vous adresser.
Hier, j'ai expliqué au ministre des Finances que toutes les petites entreprises qui paient des impôts refilent une partie de cette dépense à leurs clients, mais que les médecins ne peuvent pas le faire parce qu'ils sont payés par le gouvernement. Par contre, si vous imposez les dentistes ou les avocats, ils peuvent toujours augmenter leurs honoraires.
Les médecins ont deux choix : soit absorber les impôts plus élevés, soit — et c'est ce qui m'inquiète beaucoup — déménager, comme ils l'ont fait dans les années 1980, comme vous l'avez dit. Nous avons déjà une pénurie de médecins. Il est très difficile, dans les grandes villes, de trouver un médecin généraliste ou d'obtenir un rendez-vous chez un spécialiste. Je crois que le changement apporté à la déduction pour les petites entreprises dans le projet de loi C-29 risque d'aggraver encore la situation.
Je dois dire que le ministre a été incapable de répondre à ma question au sujet des répercussions négatives que ces changements auraient pour les médecins et du coût de ce changement.
À part le fait que les médecins songent à partir, avez-vous rencontré le ministre? Avez-vous tous rencontré le ministre des Finances? Avez-vous demandé à le rencontrer? Vous a-t-on répondu?
Dr Prieditis : Nous avons rencontré son chef de cabinet, certains bureaucrates et de nombreux membres du Comité des finances. Ce que nous trouvons un peu déconcertant, c'est qu'il ressort de ces réunions que nous avons eues au cours des 10 derniers mois qu'on ne s'attendait pas à ce que cette mesure touche les médecins ou les soins aux patients et qu'il s'agit, en quelque sorte, de dommages collatéraux ou de conséquences imprévues. Nous avons essayé de souligner, comme vous l'avez mentionné, la possibilité que les médecins quittent le pays. Néanmoins, ce qui nous inquiète vraiment, c'est que la politique fiscale incite énormément à adopter une autre façon de faire et qu'on ignore quelles en seront les conséquences. Nous nous attendons à celles que nous avons décrites. Nous avons déjà constaté certaines de ces répercussions qui, selon nous, nuiront aux soins aux patients. Nous savons que ce sera le cas.
La politique actuelle a eu un effet très positif sur les soins aux patients parce qu'elle a favorisé la formation de grands groupes de médecine universitaire et a incité les médecins généralistes et tous les autres à travailler ensemble. Elle a été très efficace et a permis de faire progresser la médecine. Cela va maintenant cesser et nous ignorons quelles en seront les conséquences alors que la somme en jeu est peu importante. Nous ne sommes même pas certains du chiffre cité. Je crois qu'il faut vraiment y repenser à deux fois.
La sénatrice Ataullahjan : J'ai demandé au ministre combien d'argent le gouvernement espérait tirer, non pas des autres entreprises, mais des médecins, et il m'a de nouveau cité le chiffre de 70 millions de dollars.
Le président : Je dois reconnaître que je me suis un peu trop excité. C'est au sujet du premier ministre du Québec qui faisait allusion à un autre élément du projet de loi relevant du sénateur Pratt et de notre Comité des banques. Je n'ai pas reçu la nouvelle sur une serviette, mais sur du vrai papier.
C'est au tour du sénateur Neufeld.
Le sénateur Neufeld : Merci, docteurs, d'être venus. J'ai été hospitalisé, à Ottawa, à cause de mon cœur et comme j'ai un stimulateur cardiaque, je ne veux pas vous laisser partir.
Un grand nombre de bonnes questions ont été posées. Le ministre est venu ici, hier, et à propos de la disposition concernant la protection des consommateurs dont le président vient de parler — un autre élément du projet de loi —, le ministre a eu l'air de dire : « Peu m'importe les conséquences; telle est notre décision. »
Vous semblez être du même avis : les conséquences lui importent peu; c'est comme ça et pas autrement. C'est vraiment regrettable. À mon avis, c'est une décision irréfléchie. J'évite généralement de faire trop de politique dans ces réunions, mais c'est vraiment une mauvaise décision.
Néanmoins, si cette mesure est adoptée et que le gouvernement n'apporte pas d'amendements et si de nombreux médecins vont exercer chacun de leur côté, pensez-vous que cela transférera un coût énorme à la province, quelle qu'elle soit, qui devra alors se charger de ce que vous faites actuellement?
Avez-vous une idée de ce qui arrivera si vous ne faites plus de formation ou si la province doit débourser de l'argent pour que vous en fassiez? Seriez-vous obligé d'augmenter vos honoraires pour financer ces activités? Pouvez-vous nous citer au moins un chiffre pour l'Ontario afin de nous éclairer?
Le président : Monsieur Feely, voulez-vous répondre à cette question?
M. Feely : Certainement, et je suis sûr que les autres témoins aimeraient fournir certains renseignements.
D'après les données que nous avons reçues, je peux vous dire deux choses : 61 p. 100 des médecins ont déclaré qu'ils cesseraient d'exercer en groupe; 75 p. 100 ont dit qu'ils perdraient des associés.
Vous pouvez considérer la situation du point de vue financier, mais le véritable impact sera sur les soins aux patients. Les patients n'auront plus accès aux services spécialisés très appréciés et très recherchés que ces groupements de médecins apportent aux Canadiens.
Le sénateur Neufeld : Je comprends très bien la question des soins aux patients. Je comprends ce que vous voulez dire.
Apparemment, le ministre ne se soucie pas des soins aux patients, mais peut-être s'intéressera-t-il à certains chiffres. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi le ministre de la Santé de l'Ontario ne s'en mêle pas.
Je vais téléphoner demain au ministre de la Santé de la Colombie-Britannique pour lui demander ce qu'il va faire, car cela va imposer des coûts énormes aux provinces. Ayant été député à la Chambre législative de la Colombie- Britannique pendant des années, je sais combien il est difficile de financer les soins de santé.
M. Feely : Le Dr Rubin a mentionné un chiffre sidérant, ce soir, quand il a dit qu'actuellement, les deux tiers de l'argent déboursé pour la recherche et l'enseignement médical sortent de la poche des médecins. Ce n'est pas le gouvernement qui paie.
Le sénateur Neufeld : Exactement. Quelle somme représente ces deux tiers? Avez-vous un chiffre?
Le président : Avez-vous des chiffres? Ce serait très utile.
Le sénateur Neufeld : Si vous n'avez pas les chiffres, je préfère que vous n'en citiez pas au hasard. Je vous demanderais plutôt de les fournir au greffier, si vous le voulez bien.
Dr Rubin : Je peux vous répondre que ce chiffre des deux tiers vient de mes collègues qui dirigent les 16 hôpitaux universitaires de l'Ontario et à qui j'ai demandé : « Combien coûte chacun de vos plans de pratique? » C'est une moyenne cumulative.
Nous n'avons jamais essayé d'établir une valeur monétaire et je ne vais donc pas citer des chiffres. Merci de ne pas nous le demander. Quel que soit ce chiffre, il est considérable et ce sont les médecins qui l'assument. Exactement comme le président l'a laissé entendre, à l'avenir, cette dépense devra être assumée par les provinces ou les activités diminueront.
La sénatrice Andreychuk : Je suis contente que la sénatrice Marshall m'ait précédée. Elle m'a très bien préparé le terrain.
J'essaie de comprendre. Vous êtes ici pour parler des groupes de médecins qui font de la formation universitaire. Qu'en est-il de ceux qui s'unissent pour partager les frais? Vous ne les représentez pas, n'est-ce pas? Certains groupes ne font aucun enseignement, n'ont aucune activité universitaire. Néanmoins, dans ma province, on incite les médecins à créer des cliniques communautaires pour qu'ils puissent être disponibles 24 heures sur 24. Représentez-vous certains de ces groupes ou reconnaissent-ils que ce sera différent pour eux?
Dr Davies : Les médecins qui se regroupent uniquement pour partager les frais, comme vous l'avez décrit, ne sont pas touchés. Nous ne les représentons pas, car ils n'en ont pas besoin.
La sénatrice Andreychuk : Vous vous souciez surtout de l'enseignement et du soutien aux médecins qui apportent des innovations et des connaissances spécialisées?
Dr Davies : Les médecins qui sont touchés sont ceux qui exercent en groupe et redistribuent les revenus entre eux. Les médecins qui se regroupent seulement pour partager les frais ne sont pas touchés.
Dr Prieditis : Pour répondre à votre question, je crois important de souligner qu'il ne s'agit pas seulement des centres de médecine universitaire. Ces centres sont particulièrement touchés en raison de la façon dont ils travaillent, mais cela s'applique à tous les groupes de médecins du pays qui travaillent conjointement. Tout groupe de médecins qui met ses revenus en commun et se les partage remplit d'autres fonctions dont les médecins doivent se charger.
La sénatrice Andreychuk : Cela dépend donc de la mise en commun des revenus plutôt que du partage des coûts. Les cabinets d'avocats ou d'autres professions partagent également leurs coûts. Si un groupe de médecins met ses revenus en commun, c'est là que le problème se pose. C'est encore plus vrai, bien sûr, s'il a des activités d'enseignement.
Dr Prieditis : Cela semble être le problème. Je tiens à souligner, encore une fois, que les médecins font un tas de choses pour lesquelles ils ne sont pas rémunérés. L'enseignement et la recherche en sont des exemples, mais il y a aussi l'administration, le contrôle de la qualité et la supervision d'autres membres de la profession médicale ou des technologues. Toutes ces fonctions exigent une certaine quantité de travail non rémunéré. Ce n'est pas réparti proportionnellement. Dans chacun de ces groupes, il y a des gens chargés de tâches différentes, certaines personnes qui s'occuperont toujours des patients tandis que d'autres se consacreront davantage à d'autres activités. Nous cherchons à ce que ce soit plus équitable et à inciter les médecins à se livrer à ces différentes activités.
La sénatrice Andreychuk : Je connais des médecins qui sont regroupés et je crois qu'ils partagent leurs frais. De nombreux médecins fournissent des services supplémentaires à la collectivité. Les avocats et les comptables le font aussi, les gens conscients de leurs responsabilités.
Voilà où j'essaie d'en venir : est-ce surtout la mise en commun des ressources qui vous pose un problème et cela touche-t-il aussi les cliniques autres que les centres de médecine universitaire?
M. Feely : Oui. Il y a la mise en commun des revenus dans les centres universitaires, mais aussi dans les cliniques communautaires qui mettent leurs revenus en commun afin de pouvoir fournir une gamme complète des services de soins spécialisés.
Dr Rubin : J'insiste sur le fait que tous les médecins des centres de sciences de la santé ou des hôpitaux universitaires mettent leurs revenus en commun, 100 p. 100 d'entre eux, et que quelques groupes de médecins de la collectivité le font peut-être aussi, mais pas la majorité d'entre eux. Les médecins travaillent seuls ou se regroupent pour partager les frais. Voilà pourquoi nous parlons de la différence relative des répercussions de cette mesure fiscale dans les centres de médecine universitaire par rapport aux autres médecins.
La sénatrice Andreychuk : Avez-vous mentionné aux fonctionnaires que le fardeau inversé de la preuve s'applique parfois à l'égard de l'impôt sur le revenu? Vous devez prouver que vous n'avez pas organisé votre système pour éviter l'impôt ou augmenter vos bénéfices au maximum, mais dans l'intérêt de la santé. Se sont-ils rendus à cet argument? Autrement dit, au lieu de vous exonérer entièrement, une solution serait de dire que vous pouvez prouver le bien-fondé de votre position et maintenir votre mode d'organisation actuel ou avez-vous simplement présenté vos arguments pour défendre votre position?
Dr Rubin : Il est difficile de dire pourquoi les fonctionnaires ne comprennent pas. Peut-être que la structure, l'idée d'avoir une redistribution des revenus au sein du groupe s'écarte tellement de ce qui se passe dans la plupart des autres secteurs de la société que cela n'évoque rien pour eux, mais c'est une simple hypothèse. Le fait est que si cette mesure est adoptée, il y aura moins d'enseignement et de recherche au Canada et que ce sera aux dépens de notre système de soins de santé et de nos patients.
Dr Davies : Je crois important de se rendre compte que cela les a probablement surpris, car l'idée de mettre les revenus en commun pour financer ce genre de choses date d'avant la mise en place du système de soins de santé canadien où vous avez un payeur central. Cela n'existe pas non plus uniquement au Canada. La clinique Mayo est bien connue. Elle a des cliniciens et des chercheurs qui se respectent mutuellement et qui travaillent ensemble. Le clinicien sait que le chercheur est important, le chercheur sait que le clinicien est important et ils se respectent mutuellement.
Les médecins ont adapté le nouveau système pour continuer à faire ce qui constituait, en fait, une tradition. Il se trouve que cela a très bien fonctionné au Canada. L'enseignement et l'éducation n'ont jamais été au centre des discussions parce que nous avons toujours réussi à adapter le système pour qu'il fonctionne bien. Les gens n'en ont pas parlé parce que cela n'a jamais posé de problème.
Ce qui se passe maintenant, c'est qu'on a apporté, par inadvertance, un changement aux règles fiscales qui bouleverse tout à coup l'ordre établi. Cela ne nous est jamais arrivé avant.
Dr Rubin : J'ajouterais que non seulement ce n'était pas arrivé, mais que nous nous surpassons. Nous sommes des chefs de file mondiaux de l'enseignement de la médecine. Choisissez une maladie et je vous parlerai d'un Canadien qui est un chercheur renommé dans ce domaine. Nous n'avons pas attiré l'attention sur nous parce que nous nous débrouillons très bien.
Si les meilleurs traitements viennent des cliniques Mayo et Cleveland, il y a une bonne raison à cela. C'est parce que ces cliniques ont adopté les modèles de soins où différents praticiens travaillent ensemble pour le bien commun, en reconnaissant qu'étant donné la façon dont le système de santé est organisé, vous êtes mieux payé pour une intervention médicale comme une angioplastie, une endoprothèse vasculaire, et cetera, qu'en parlant avec le patient.
La sénatrice Andreychuk : Je connais très bien votre clinique. La clinique Mayo doit son succès aux relations entre les médecins. Vous pouvez consulter un généraliste et il va vous adresser à un spécialiste. Nous avons besoin de médecins qui parlent entre eux et travaillent ensemble. Selon moi, c'est la clé du succès en médecine.
Dr Davies : Nous faisons du bon travail et nous vous demandons de nous laisser continuer.
M. Foley : Nous avons parlé avec les fonctionnaires du ministère des Finances de la question que vous avez posée tout à l'heure et leur point de vue était très clair. Ils considèrent que les médecins travaillent en partenariat, au sens juridique du terme. Ils ne pouvaient pas vraiment concevoir la notion de partage des coûts et ils n'ont pas non plus vraiment cherché à comprendre quelles seraient les conséquences de ce changement.
D'autre part, l'exercice de la médecine en groupe tel que nous le connaissons a évolué si bien que dans des provinces comme l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique, les provinces les plus urbanisées, les cliniques communautaires sont aussi nombreuses que les groupes de médecine universitaire. Peut-être à l'exception du groupe de l'Université de Toronto, du moins dans le contexte de la radiologie. Néanmoins, il est assez fréquent que les radiologues travaillent en groupe de 30, 40 et même parfois 50, et fournissent des programmes très spécialisés de soins tertiaires en faisant aussi de l'enseignement dans le cadre de leurs activités médicales.
Lorsque nous parlons de groupes, pour vous en donner une idée précise, en radiologie, comme dans d'autres domaines, il peut y avoir entre 10 et 50 radiologues. Le groupe d'Edmonton, par exemple, compte environ 110 radiologues.
Le président : Nous devons avancer. Avez-vous une brève question?
La sénatrice Andreychuk : Les médias ont annoncé que le ministère des Finances, je crois, songerait à taxer les prestations médicales et dentaires des régimes privés, ce qui me pousse à me demander pourquoi on cherche tellement à taxer les soins de santé alors que notre système est si fragile? Nous allons entamer des négociations avec les provinces. Nous voulons au moins conserver les soins médicaux que nous avons maintenant et les améliorer.
Apparemment, le ministère des Finances cherche des moyens de les effriter. Je me demande pourquoi la ministre de la Santé ne commence pas par examiner tout cela pour voir de quel genre de plan il s'agit et combien cela coûterait, quelles sont les iniquités et les raisons d'imposer ces taxes? Je suppose que cela vient entièrement du ministère des Finances, n'est-ce pas?
M. Foley : Nous pensons que oui.
Le président : Combien de médecins avons-nous au Canada? Combien de médecins travaillent dans le genre de groupe dont vous parlez afin que nous en ayons une meilleure idée?
M. Feely : Il y a environ 82 000 médecins en exercice. À peu près 15 000 exercent au sein d'un groupe.
Le président : Donc 15 000 à 16 000?
M. Feely : C'est exact.
Le sénateur Mockler : Docteurs, merci beaucoup. Je tiens à vous féliciter de ce que vous faites pour le système de soins de santé du Canada. Vous avez d'excellentes réputations, mais je peux vous dire, à titre de parlementaire et de sénateur, que c'est un dossier dont on a beaucoup parlé, dans la région de l'Atlantique, au cours des dernières 48 heures. Je sais que les premiers ministres des provinces seront en ville demain pour rencontrer le premier ministre et je crois qu'un certain gouvernement a une drôle de façon de faire les choses.
Dans la région de l'Atlantique, les services que nous obtenons résultent largement du fait que nos cliniques sont petites. Pour obtenir des services plus spécialisés, certains de nos concitoyens vont à la clinique Mayo. D'autres vont à Halifax ou à Saint John. Les gens de ma région, du nord-ouest du Nouveau-Brunswick, vont à Québec. Cela dit, pouvez-vous me donner une idée du nombre de cliniques médicales qui seraient touchées?
[Français]
Docteur Marcoux, qu'en est-il pour les provinces de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador?
Dr Marcoux : Je ne peux pas vous répondre de façon sectorielle pour ces provinces, mais on retrouve des organisations de pratique de groupe pour la médecine spécialisée dans tous les hôpitaux.
[Traduction]
Le président : Nous savons, sénateur, que 16 000 médecins font partie de ces groupes.
Le sénateur Mockler : Savez-vous combien ils sont dans la région de l'Atlantique?
M. Feely : Nous n'avons pas ventilé les chiffres par province, mais ce doit être environ 20 à 30 p. 100.
Le sénateur Mockler : Si je prends votre chiffre, 20 à 30 p. 100 me semblent très raisonnables.
M. Feely : Je pense que je dirais plutôt 20 p. 100.
Le président : C'est pour les provinces des Maritimes.
Dr Prieditis : Si vous le permettez, j'ajouterais que pour la radiologie, c'est plus de 95 p. 100. Presque tous les radiologues du pays exercent en groupe.
Le sénateur Mitchell : Docteur Rubin, je m'intéresse à votre comparaison avec la clinique Mayo où il y a, dites-vous, un modèle vraiment solide qui fonctionne extrêmement bien. Je n'en doute nullement, mais comme ces médecins n'ont pas ces abris fiscaux, comment expliquez-vous que ce modèle fonctionne là-bas? Est-ce dû à des facteurs qui ne fonctionneraient pas ici?
Dr Davies : Désolé; je ne pense pas que nous ayons parlé du modèle fiscal ou économique de la clinique Mayo. Nous parlions du modèle selon lequel des gens font de la recherche et partagent leurs ressources avec des gens qui se consacrent surtout des activités cliniques, avec qui ils travaillent et qu'ils respectent. Ce modèle sert également la clinique Mayo, car il a fait ses preuves pour donner d'excellents résultats.
Le sénateur Mitchell : Je veux dire que la clinique Mayo le fait sans l'avantage fiscal accordé aux petites entreprises, sans report d'impôt.
Dr Rubin : Je me fais un plaisir de répondre. Nous connaissons de nombreux médecins qui travaillent à la clinique Mayo et nous collaborons avec eux. Nous sommes en train de réaliser actuellement avec eux les plus grands essais cliniques au monde dans le domaine de la médecine moléculaire de précision. Nos collègues peuvent le faire grâce aux honoraires tirés des services qu'ils fournissent et du soutien philanthropique incroyable dont bénéficie la clinique Mayo. Les gens qui vont là-bas ont tendance à payer davantage que les honoraires exigés. Ils soutiennent la clinique et partagent sa vision.
Cela arrive également dans les hôpitaux canadiens, mais pas dans la même mesure. C'est pour cela que nous avons besoin de cette disposition fiscale. Pour Mayo, ce n'est pas essentiel et cela fonctionne très bien.
Le président : Et il est assez coûteux de se faire opérer aux États-Unis si vous n'avez pas une assurance formidable.
[Français]
Le sénateur Mockler : Ma dernière question s'adresse au Dr Marcoux. Vous connaissez peut-être l'initiative « Vivre sa santé en français », qui est en vigueur au Nouveau-Brunswick. Quel impact cette mesure dont il est question aujourd'hui aurait-elle sur une jeune organisation comme la Société Santé en français?
Dr Marcoux : Toute atteinte à la pratique de groupe aura des impacts, surtout en ce qui a trait à la médecine spécialisée dans le cadre de laquelle des médecins spécialistes se regroupent pour exercer leur domaine d'expertise pointu. Ils sont soutenus par leurs collègues qui font des expertises et qui rapportent plus d'argent et, à la fin, ils partagent les revenus et cela crée un équilibre.
Au Nouveau-Brunswick comme ailleurs, ces pratiques existent. On retrouve également l'enseignement et la recherche dans tous les milieux, à différents niveaux. On perdra donc beaucoup d'expertise. Il est certain que les très grands centres de pointe au Canada qui recrutent des gens de l'extérieur y perdront davantage, car, quel médecin souhaiterait venir pratiquer ici selon un modèle où celui qui a peu de volume et peu de revenus ne sera pas soutenu par ses collègues? Ce médecin restera où il est ou bien il ira ailleurs.
Si je peux me permettre, sénateur Smith, j'aimerais ajouter que, en ce qui concerne le modèle actuel, on n'aurait pas à discuter de cela si notre modèle n'était pas un modèle de régime de santé public. Dans le cadre d'un régime de santé public, nous ne pouvons pas, en tant que médecins, transférer à notre patient les coûts à notre charge et qui s'accroissent, parce que les soins sont gratuits pour lui. Si nous ne transférons pas ces coûts au patient, il faudra les transférer à l'État ou ailleurs, probablement aux provinces, qui vont devoir les assumer. Sinon, comme cela a été bien démontré ici, ces services seront diminués, anéantis, et c'est tragique pour le Canada, qui est un chef de file dans le domaine de la recherche. Nous en avons eu des exemples très éloquents tantôt.
Au Canada, la qualité de nos médecins est liée à l'enseignement qui leur est donné. C'est un enseignement qui est généreux et postuniversitaire, en particulier. Quand on sort de l'université, on est médecin, mais c'est dans les hôpitaux que se fait particulièrement cet enseignement. Les médecins acquièrent une expertise de pointe, parce qu'ils sont pris en charge par des groupes de médecins qui donnent généreusement de leur temps pour les former.
Alors, en ce qui concerne la recherche, l'enseignement et la médecine de pointe, comment faire vivre, même dans un très grand centre, un médecin qui exerce une spécialité de pointe où il y a peu d'actes? Souvent ces actes-là ne sont pas plus reconnus que ceux qui sont plus fréquents. Il y a vraiment là un problème qui est lié à notre système de santé public. S'il ne s'agissait pas d'un système de santé public, on refilerait la facture au patient. C'est pour cela que le domaine de la médecine n'est pas comparable à celui des comptables et des avocats. Bien entendu, la mesure leur fera un peu mal et ils ne l'aimeront pas, mais la différence apparaîtra sur la facture, et quelqu'un va l'absorber.
Le président : Merci, docteur Marcoux.
[Traduction]
Qui va conclure?
Dr Rubin : Pourrais-je suggérer que M. Feely récapitule pour nous?
Le président : Monsieur Feely, voulez-vous dire quelques mots en guise de conclusion?
M. Feely : Merci beaucoup.
Je pense que l'essentiel est qu'il faut exempter de cette mesure les médecins qui exercent en groupe afin qu'ils puissent continuer à fournir un vaste éventail de soins spécialisés, soutenir la recherche médicale et l'enseignement au Canada.
Le président : Docteur Prieditis, vous avez 15 à 30 secondes, car je sais que vous vouliez dire quelque chose.
Dr Prieditis : Nous avons entendu de nombreux arguments quant aux raisons pour lesquelles nous croyons qu'il faudrait modifier cette loi ou en exempter les médecins. Le principal problème, je pense, est l'incertitude à l'égard de ses répercussions sur les soins aux patients. Nous croyons qu'elles seront très importantes alors que cela rapportera très peu d'argent. Nous recommandons vivement au Sénat d'examiner cette mesure attentivement.
Le président : Messieurs, nous vous remercions au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales. C'était très intéressant. Nous aurions pu vous garder ici plus longtemps, mais nous avons un autre témoin qui attend.
Chers collègues, pour la deuxième partie de notre séance de ce soir, nous avons un témoin qui va nous donner son avis au sujet de l'objet du projet de loi C-29. Nous avons le plaisir d'accueillir Kim Moody, directeur, Canadian Tax Advisory, Moodys Gartner Tax Law. Je dois souligner que M. Moody est également coprésident du Comité mixte sur la fiscalité de l'ABC et de CPA Canada.
Bienvenue, monsieur Moody. Veuillez nous excuser de vous avoir fait attendre.
Kim G C Moody, directeur, Canadian Tax Advisory, Moodys Gartner Tax Law LLP, à titre personnel : Merci beaucoup. J'ai fait tous les efforts que j'ai pu pour me retenir, mais je suis heureux d'être ici.
Merci à vous monsieur le président, et à tous les membres du comité, de m'avoir invité à témoigner devant vous dans le cadre de votre étude du projet de loi C-29. Je m'appelle Kim Moody et je suis comptable agréé à Calgary. Je suis directeur des services de conseils fiscaux au cabinet de droit fiscal Moodys Gartner Tax Law LLP.
Comme vous pouvez le constater en lisant mon curriculum vitae et en voyant ma taille et mon poids, j'ai rêvé un jour d'être footballeur professionnel. En cours de route, j'ai été intrigué par la fiscalité et j'ai abandonné mes rêves de football pour étudier la fiscalité et travailler dans ce domaine. J'ai occupé divers postes de cadre dans ce milieu depuis 20 ans. Je suis donc heureux de vous présenter mes observations et de répondre à vos questions concernant le projet de loi C-29.
Le projet de loi C-29 contient plusieurs modifications importantes. Comme vous le savez, certaines d'entre elles sont assez controversées chez les fiscalistes et les gens d'affaires. Les modifications relatives à la déduction accordée aux petites entreprises, les règles relatives aux prêts adossés, les modifications au paragraphe 152(9), les modifications relatives aux immobilisations admissibles, la mise en œuvre de la norme commune de déclaration de l'OCDE, la déclaration par pays et une foule d'autres modifications techniques figurent dans ce projet de loi complexe.
Je serai heureux de répondre aux questions sur tout le matériel, mais le projet de loi contient des modifications qui sont un casse-tête pour les fiscalistes les plus chevronnés, et je ne fais certainement pas exception. Par conséquent, je ne serai peut-être pas en mesure de répondre correctement à vos questions pointues, selon l'aspect sur lequel vous vous concentrerez, mais je ferai certainement de mon mieux.
Dans le temps qui me reste cependant, j'aimerais me concentrer sur un aspect que je connais particulièrement bien, soit les règles concernant la déduction pour les petites entreprises. Lorsque j'ai témoigné devant votre comité la dernière fois, j'ai parlé des quatre principes d'un bon régime fiscal selon Adam Smith. De nombreux observateurs ont analysé ces principes au fil du temps. Ces principes me paraissent justes.
Premièrement, les contribuables devraient contribuer également au revenu de l'État. On peut bien sûr discuter de ce qu'on entend par « également ». Deuxièmement, les contribuables devraient connaître avec certitude le montant de l'impôt à payer. Troisièmement, tous les impôts devraient être perçus de manière commode, mais en temps opportun. Quatrièmement, l'impôt devrait apporter une valeur semblable à la société.
Je n'ai pas l'intention de débattre ici du bien-fondé de la déduction accordée aux petites entreprises. Ce débat sera pour un autre jour.
En ce qui concerne les modifications relatives à cette déduction, je comprends l'intention de la politique sous- jacente, soit tenter de limiter l'accès à la déduction accordée aux petites entreprises aux situations où son utilisation n'était pas visée au départ et insister sur le principe d'une déduction par entreprise. C'est tout à fait logique. J'ai critiqué vigoureusement, oralement et par écrit, la soi-disant planification qui multiplie de façon inappropriée l'accès à la déduction accordée aux petites entreprises.
Mais les propositions présentées par le ministère des Finances et qui se trouvent actuellement dans le projet de loi C- 29 vont beaucoup plus loin que le simple ciblage. Elles ont une vaste portée et s'appliquent à de nombreuses situations courantes, qui ne devraient pas être ciblées, à mon avis. Comme vous le savez, je suis actuellement coprésident du comité mixte, et je suis l'un des auteurs du mémoire que le comité mixte a présenté au ministère des Finances. Je suis très fier de ce mémoire, dans lequel nous avons décrit une foule de problèmes techniques et d'exemples où les règles vont trop loin et auront probablement des conséquences imprévues.
Malheureusement, à part quelques corrections mineures apportées après la présentation de notre mémoire, le projet de loi C-29 ne répond pas correctement aux préoccupations des fiscalistes et du milieu des affaires à l'égard des modifications relatives à la déduction accordée aux petites entreprises. Par conséquent, de nombreuses sociétés privées sous contrôle canadien qui pensaient avoir droit à la déduction accordée aux petites entreprises réaliseront malheureusement plus tard qu'elles ne sont pas admissibles, à cause de la portée et de l'ampleur de la nouvelle loi. Le principe de la certitude cher à Adam Smith sera nettement compromis.
Dans l'ensemble, les règles actuelles relatives à la déduction accordée aux petites entreprises sont complexes. Mais les modifications rendent ces règles horriblement plus complexes. En tant que fiscaliste, je m'attends à la complexité, et à vrai dire, je m'en réjouis. J'aime la complexité, mais je dois aussi la concilier avec des réalités pratiques. Comme je l'ai indiqué, j'étudie la fiscalité depuis plus de 20 ans. La nouvelle loi proposée fera sans doute partie des cinq lois les plus complexes durant cette période.
Quand on sait que la vaste majorité des préparateurs de déclarations de revenus au Canada ne sont pas des fiscalistes, mais qu'ils ont la responsabilité ultime d'aider les propriétaires de sociétés privées à remplir leurs obligations en matière de déclaration de revenus, je me demande quel sera le degré de conformité de l'entrepreneur moyen lorsque les nouvelles règles s'appliqueront. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l'entrepreneur moyen ne sera même pas en mesure de déterminer s'il est admissible à la déduction accordée aux petites entreprises sans des conseils très spécialisés en fiscalité.
Même si les formulaires de déclaration peuvent masquer une grande complexité, je crois que les nouveaux formulaires que l'ARC publiera un jour ne masqueront pas la complexité des nouvelles règles ou délégueront au contribuable l'application des aspects difficiles de ces règles. Résultat : une fois de plus la non-conformité et le non- respect du principe de la certitude énoncé par Adam Smith.
Compte tenu de ces observations, qu'est-ce que je recommande? Je suis ravi que vous ayez posé la question. Voici une courte liste.
Premièrement, il faudrait idéalement repenser complètement les nouvelles règles relatives à la déduction accordée aux petites entreprises. Il y a quelques façons différentes de rédiger les nouvelles règles pour réaliser l'objet de la loi. Le mémoire du comité mixte a fourni de nombreuses suggestions, que je ne répéterai pas ici. Dans la pratique cependant, les nouvelles dispositions sont si vastes qu'un petit entrepreneur doit posséder une connaissance détaillée des actifs financiers de tous les actionnaires de l'entreprise et de toutes les personnes reliées aux actionnaires, ce qui rend donc presque impossible l'application des nouvelles propositions.
Deuxièmement, si une refonte complète n'est pas possible, je crois qu'il faudrait cibler certaines conséquences imprévues et exclure leur application. Je reconnais qu'une loi mieux ciblée pourrait créer encore plus d'exceptions, notamment les secteurs et les structures frappés injustement par les restrictions. Mais si je devais choisir mon poison, je préférerais accorder la déduction aux petites entreprises conformes à la politique sous-jacente, ne pas l'accorder aux petites entreprises non conformes, et limiter les dommages collatéraux pour les autres entreprises qui pourraient se retrouver par inadvertance sous les feux croisés. Contrairement à ce que pensent mes amis qui se sont exprimés avant moi, je crois que cette approche ne devrait pas non plus accommoder certains groupes qui se pensent spéciaux ou qui crient le plus fort.
Franchement, toutes les petites entreprises ont leurs spécificités et leurs défis particuliers. Les nouvelles règles devraient s'appliquer uniformément à tous les types d'entreprises. Ce faisant, le principe de l'égalité énoncé par Adam Smith serait respecté lui aussi.
Troisièmement, les règles devraient être simplifiées considérablement afin qu'elles soient compréhensibles pour l'entrepreneur moyen et pour le préparateur de la déclaration de revenus qui n'est pas fiscaliste. Même si je reconnais que c'est plus facile à dire qu'à faire, je suis fermement convaincu qu'il faudrait tenter à nouveau de simplifier ces nouvelles règles. La simplification de ces règles est encore plus importante lorsque la loi cible les petites entreprises et leurs propriétaires. J'estime qu'il est plus acceptable d'adopter des lois complexes lorsque le contribuable visé est une multinationale ou une grande société qui a plus de ressources et qui peut faire appel à des fiscalistes plus facilement et à moindre coût. Cela contribuerait grandement à assurer la conformité aux nouvelles règles.
Pour résumer mes observations et mes recommandations :
Un, je conviens qu'il faudrait réduire la multiplication inappropriée des déductions accordées aux petites entreprises. C'est ce que je préconise depuis des années. Le principe d'une déduction par petite entreprise est un bon principe.
Deux, les propositions actuelles sont trop vastes et imparfaites.
Troisièmement, idéalement, il faudrait repenser les règles.
Quatre, en l'absence d'une refonte, les nouvelles règles devraient être mieux ciblées et viser principalement à réduire au minimum les dommages collatéraux provoqués par les feux croisés.
Cinq, le ciblage devrait être large et ne pas exclure certains groupes, secteurs ou entreprises.
Enfin, toute refonte devrait avoir pour objectif principal la simplicité.
J'ose espérer qu'Adam Smith serait fier de mes recommandations. Si elles restent lettre morte et qu'on se retrouve dans un guêpier inévitable, alors, il faudrait envisager de supprimer la déduction accordée aux petites entreprises et de la remplacer par une autre mesure qui ciblerait mieux l'objectif de la politique sous-jacente, sans provoquer cette horrible complexité. Le débat sera évidemment pour un autre jour. Mais comme je l'ai déclaré publiquement à la récente conférence nationale de la Fondation canadienne de fiscalité à Calgary, où j'ai pris la parole à une plénière, les nouvelles propositions concernant la déduction accordée aux petites entreprises sont tout simplement inapplicables.
Merci de votre attention. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
La sénatrice Marshall : J'essaie de digérer ce que vous venez de dire. En vous écoutant, je pensais aux témoignages que nous avons entendus ces derniers jours. Alors, vous avez examiné les modifications.
M. Moody : Oh, je suis un expert des modifications.
La sénatrice Marshall : Lorsque les fonctionnaires des Finances sont venus et que nous avons examiné ensemble chacune des modifications, chaque fois que nous avons demandé si les revenus du gouvernement allaient augmenter ou diminuer par suite de la modification, chaque fois, ils nous ont répondu que les revenus allaient augmenter. Ils ne nous ont donné aucun exemple du contraire.
M. Moody : Il ne fait aucun doute que les revenus augmenteront. Je ne saurais dire de combien, je ne suis pas économiste, mais il n'y a aucun doute.
La sénatrice Marshall : Cela m'a paru inhabituel. J'aurais pensé que lorsqu'on apporte des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu, pour tenter de la simplifier ou la rendre plus équitable, il arrive que les revenus augmentent, mais il y a aussi des fois où on renonce à des revenus.
M. Moody : Je ne suis pas certain d'être d'accord, mais je ne comprends peut-être pas bien votre question. Désolé.
La sénatrice Marshall : Nous avons discuté de certaines modifications vendredi dernier avec les fonctionnaires des Finances, entre autres celles visant à s'assurer que les gains de change accumulés à l'égard d'une dette en monnaie étrangère seront réalisés lorsque la dette devient une dette remisée. Quand nous avons discuté de chacune des modifications avec les fonctionnaires des Finances, j'ai eu l'impression qu'un grand nombre de nos questions restaient sans réponse. Nous n'avons pas eu de bonnes réponses de leur part. C'était le cas, par exemple, au sujet des pertes de change accumulées à l'égard d'une dette en monnaie étrangère. J'ai demandé ce qui arriverait en cas de perte? Ils n'ont pas pu répondre.
Est-ce que cette information ne devrait pas être fournie?
M. Moody : Idéalement, je pense qu'elle le serait.
La sénatrice Marshall : Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.
La sénatrice Andreychuk : En ce qui concerne la déduction accordée aux petites entreprises, avez-vous pu déterminer pourquoi elle est visée? Quel problème voulait-on résoudre en proposant ces modifications? Nous disons qu'il faut encourager les petites entreprises — l'épine dorsale du Canada. Comme vous l'avez dit, il me semble que la portée est vaste.
Vous a-t-on expliqué pourquoi ils n'ont pas accepté certaines de vos recommandations et pourquoi ils semblent causer plus de problèmes qu'ils n'en règlent? Quel était le problème qu'ils essayaient de régler?
M. Moody : Je répondrai à votre première question.
Du point de vue d'un praticien, je crois qu'ils voulaient attaquer le principe de la multiplication des déductions accordées aux petites entreprises lorsqu'il n'y a en réalité qu'une seule entreprise. Voici un exemple classique. Supposons que papa possède une entreprise — une société privée sous contrôle canadien — et que cette entreprise est très prospère. Un comptable proposera que maman crée l'entreprise Mamanco et que Mamanco impute des charges à Papaco. De cette façon, une partie du revenu est transféré de Papaco à Mamanco.
Actuellement, les règles en vertu de l'article 256 de la loi ne s'appliquent pas à cette situation, parce que ces sociétés ne sont pas associées. Si elles l'étaient, elles n'auraient droit qu'à une déduction accordée aux petites entreprises. Mais dans cet exemple flagrant, le transfert de revenu à une entreprise est assez artificiel. Cela se fait depuis que je suis dans le métier. La loi actuelle ne traite pas explicitement de ces cas, sauf par quelques règles anti-évitement qui sont assez larges. Je crois que l'ARC a eu beaucoup de mal à les appliquer. C'est mon impression.
Mais je ne pense pas que les outils législatifs actuels traitent de cet exemple flagrant, qui me paraît être au cœur de l'objectif visé. De toute évidence, les modifications proposées mettront fin à ces situations, sans règle anti-évitement. C'est réglé.
Est-ce que cela répond à votre question? J'espère que oui.
La sénatrice Andreychuk : D'une certaine manière, oui.
Je connais des entreprises qui essaiment, et il est encourageant de voir des femmes à la tête de leur entreprise. Elles quittent peut-être l'entreprise du père ou du mari et elles ont de bonnes raisons de lancer leur propre entreprise. Cela encourage l'innovation et une utilisation différente des compétences familiales. Qu'y a-t-il de mal à cela?
M. Moody : Rien du tout, à condition que l'entreprise soit légitime, pas artificielle, comme dans l'exemple que j'ai donné. Je pense que les règles actuelles encouragent ces comportements.
La sénatrice Andreychuk : Il vaudrait mieux ne rien changer?
M. Moody : À mon avis, oui.
La sénatrice Andreychuk : Pourquoi ne pas avoir accepté vos conseils? Avez-vous eu une réponse? Ils n'aiment pas Adam Smith?
M. Moody : Adam, mon héros. Quant au pourquoi, je ne saurais répondre.
La sénatrice Andreychuk : Ils ne vous ont pas expliqué pourquoi vos propositions n'étaient pas faisables?
M. Moody : Vous parlez du comité mixte? Non, ils ne l'ont pas fait. Nous avons eu une discussion, c'est à leur honneur. Ils travaillent dur, j'en conviens. Il y a des gens consciencieux au ministère des Finances, j'en conviens. Mais malheureusement, non, nous n'avons pas eu de rétroaction directe à propos de certaines de nos préoccupations, ou plutôt de la plupart de nos préoccupations.
Le sénateur Neufeld : Dans votre quatrième recommandation, à défaut d'une refonte complète, vous avez déclaré que les nouvelles règles devraient être mieux ciblées et viser principalement à réduire au minimum les dommages collatéraux provoqués par les feux croisés. Quelle est la situation la plus flagrante, sans que je doive lire ceci du début à la fin? Vous comprenez, pas moi. À votre avis, quelle est l'erreur la plus flagrante? Pouvez-vous me donner un exemple?
M. Moody : Voici un bref exemple. C'est l'une des questions sur lesquelles j'ai beaucoup écrit. Supposons une femme qui possède une entreprise de comptabilité. En réalité, j'emprunte cet exemple d'un collègue, alors je le remercie publiquement. Donc, une femme possède une société comptable. Son frère possède une usine de fabrication. L'un des principaux clients de la société comptable est l'entreprise de fabrication. Supposons que la société comptable a un revenu de 500 000 $, dont 300 000 $ qui proviennent de l'entreprise de fabrication du frère. Dans cette situation, il est assez évident que 70 p. 100 du revenu de la société comptable provient de sources non apparentées. On pourrait penser que la société comptable serait admissible à toute la déduction accordée aux petites entreprises, mais malheureusement, à cause de la manière dont les règles sont rédigées, parce que la sœur fournit des services à un membre de sa famille, ce revenu de 300 000 $ provenant de l'entreprise de fabrication est retranché, et elle n'est admissible que sur 200 000 $.
Du point de vue des politiques, c'est ridicule et ce n'est pas juste. Nous l'avons dit au ministère des Finances. Mais c'est malheureusement tombé dans l'oreille d'un sourd.
Le sénateur Pratte : Je veux être certain d'avoir bien compris. Vous n'êtes pas du tout d'accord avec l'idée d'exclure certains groupes, même après ce que vous avez entendu.
M. Moody : Pas du tout d'accord, en effet. Vraiment pas.
Le sénateur Pratte : Pouvez-vous expliquer pourquoi? D'après le témoignage que nous venons d'entendre juste avant vous, les médecins semblaient se trouver dans une situation assez particulière par rapport à d'autres petites entreprises. Vous dites que toutes les petites entreprises sont spéciales.
M. Moody : Tout à fait. Je possède directement et indirectement un cabinet. J'emploie 50 personnes et elles font vivre beaucoup de monde, dont moi. Nous dirigeons un cabinet d'avocats auquel s'ajoute un cabinet comptable. En quoi les médecins sont-ils plus spéciaux, mis à part le fait qu'ils sauvent des vies? Je comprends cela. Mais je ne comprends pas le but de la politique selon laquelle ils devraient avoir droit à une déduction accordée aux petites entreprises. Je travaille moi aussi dans une structure de groupe et j'emploie des gens.
Je ne suis pas du tout d'accord que les cabinets d'avocats sont des modèles à but lucratif où les profits des jeunes subventionnent les profits des hauts placés. Si vous avez travaillé dans un cabinet d'avocats ou de comptables, vous savez qu'en réalité c'est souvent le contraire. On subventionne les jeunes afin qu'ils finissent par devenir associés eux aussi. C'est à ce moment-là qu'on peut gagner plus.
Cet argument me laisse froid. Franchement, je ne parle pas pour ma profession, mais je dirais qu'un bon nombre des membres de ma profession et des avocats seraient probablement d'accord avec moi. À mon avis, il n'y a pas de place pour des exceptions, malgré le fait qu'ils accomplissent un travail formidable. Ils me sauveront probablement la vie un jour et je les remercie d'avance. Mais devraient-ils payer moins d'impôt que moi ou que mes collègues? Cela ne tient pas la route.
Le sénateur Pratte : Nous sommes des législateurs et nous devons décider ce que nous ferons avec le projet de loi et ses différentes parties. Si je vous comprends bien, vous nous demandez de retirer cette partie du projet de loi pour l'étudier davantage.
M. Moody : Ce serait fantastique. Il y a, je le répète, de bonnes raisons de politique de limiter la déduction accordée aux petites entreprises et de prévenir sa multiplication. Bravo au ministère des Finances pour cette initiative, mais je pense qu'il faut y repenser.
Le sénateur Pratte : Au lieu d'essayer d'apporter des modifications, par exemple?
M. Moody : Au lieu d'essayer de nous sortir du guêpier qui nous attend.
Le sénateur Pratte : Merci.
Le sénateur Mitchell : Ce que nous entendons, c'est que cette modification résout le problème qui vous préoccupe, soit qu'un certain groupe de personnes obtient un avantage spécial que vous n'obtenez pas. En même temps, vous affirmez que vous n'aimez pas la modification et que nous devrions la reconsidérer.
M. Moody : Exactement. Par exemple, je gagne bien ma vie. Disons que je veux transférer un revenu et que je demande à mon frère de créer une société pour pouvoir lui transférer ce revenu. Pensez-vous que c'est bien? C'est très artificiel.
Je pense que l'esprit des modifications et les raisons de politique qui les justifient consistent justement à mettre fin à ce genre de situations, ce qui n'est pas facile à faire en vertu de la loi actuelle, à cause de la non-application de la loi anti-évitement. Je suis d'accord avec cela, mais je ne suis pas d'accord avec la complexité. C'est un vrai casse-tête. Je n'ai rien contre la complexité, mais ces règles provoquent beaucoup de feux croisés et de dommages collatéraux.
Le sénateur Mitchell : Il me semble que deux aspects sont complexes. Ce qui existe actuellement, avant même le changement prévu, est déjà complexe.
M. Moody : Mais nous pouvons vivre avec.
Le sénateur Mitchell : Mais soudainement, cette modification particulière fait déborder le vase, et ce n'est plus vivable. Qu'est-ce qui rend cette énorme complexité fiscale dont vous vous inquiétez, mais qui est vivable, soudainement insoutenable parce qu'un seuil est atteint, alors qu'une partie du problème est réglée?
M. Moody : Belle question. Je pourrais en parler pendant des heures, mais je sais qu'il commence à se faire tard. Je pourrais vous parler d'impôt toute la nuit si vous le vouliez.
Le sénateur Mitchell : Ne vous gênez pas. J'aime ce type. Il est formidable.
M. Moody : Je vais tenter de répondre brièvement à votre question.
À l'heure actuelle, je dirais que les règles peuvent s'appliquer. Les modifications obligent à fouiller dans les sources de revenus de chaque entreprise pour voir d'où proviennent les revenus, et pour chaque type différent — par exemple, pour la société comptable dont je vous ai parlé — il faut examiner qui sont les clients. Y a-t-il un lien avec les clients? Actuellement, les règles obligent à examiner la source de revenus, j'en conviens, mais la question principale est s'agit-il d'une entreprise? C'est la première question à poser. Et s'agit-il d'un revenu d'entreprise active gagné au Canada? La complexité s'arrête là.
Désormais, les mêmes critères s'appliqueront, mais il faudra aussi déterminer si le revenu provient d'une partie liée, d'une source avec lien de dépendance. C'est très difficile à suivre et à examiner quand on ne contrôle pas l'entreprise.
Le sénateur Mitchell : Voici une question philosophique. Les médecins présentent l'argument convaincant que la structure fiscale actuelle, qui serait changée, permet aux médecins dont les revenus sont plus élevés de subventionner les jeunes médecins, par exemple. En un sens, si vous parlez d'Adam Smith et du bien public et de la manière dont la fiscalité devrait l'appuyer ou pas, en réalité nous demandons à une certaine catégorie de médecins de subventionner la fonction de formation d'une autre catégorie de médecins, alors que cette fonction est un vaste bien public. Nous leur disons que nous voulons ce bien public, la formation des médecins et que nous ne les obligerons pas à le financer. Pourquoi?
M. Moody : Là encore, cet argument me laisse froid parce que la structure de groupe existe dans la plupart des professions. Prenons les avocats, par exemple. C'est la même chose. Les comptables. Ils se regroupent pour exercer leur profession. Pourquoi? Parce qu'il est difficile d'exercer ces professions seuls et qu'on enseigne aux jeunes, ce qui assure une longévité dont profite l'ensemble de la société.
L'avantage dans le cas des médecins est qu'ils sauvent des vies et font de la recherche, mais on peut en dire autant des comptables et des avocats.
Le sénateur Mitchell : L'avantage n'est pas le même avec les médecins.
M. Moody : Pourquoi faire des exceptions? À mon avis, cela n'a pas de sens du point de vue des politiques.
La sénatrice Andreychuk : Je n'ai pas entendu les médecins affirmer qu'ils ne contribuent pas au bien public, tout comme je crois que les avocats le font, étant moi-même avocate.
M. Moody : Je ne les ai pas entendus dire cela, moi non plus.
Le sénateur Mitchell : Je ne l'ai pas dit moi non plus.
La sénatrice Andreychuk : Je sais que vous ne l'avez pas dit. J'ai dit les médecins. Vous disiez que tout le monde contribue au bien public, médecins, avocats, et cetera. Mais l'argument convaincant des médecins est que le gouvernement les encourage à jouer ce rôle. C'est ainsi que nous stimulons la recherche et le développement.
M. Moody : Les comptables et les avocats sont encouragés eux aussi, soit dit en passant.
La sénatrice Andreychuk : Ils sont dans un régime de santé public et leur revenu est plafonné. C'est ce qu'a fait la politique publique pour limiter leurs options. Si nous n'avions pas ce système, ils auraient peut-être trouvé d'autres façons de poursuivre les recherches, et ils affirment que nous aurions peut-être une stratégie différente en matière de subventions, de recherche et d'innovation. Mais les gouvernements provinciaux les ont obligés à se structurer d'une certaine façon; ils ont encouragé la formation.
M. Moody : Je comprends cela.
La sénatrice Andreychuk : C'est la différence avec les autres professions. Vous ne l'avez pas compris? Ce n'est pas seulement qu'ils sauvent des vies.
M. Moody : Je suis tout à fait d'accord, mais les comptables et les avocats ont été poussés eux aussi vers des structures de groupe. Avec tout le respect que je vous dois, en Ontario, la loi sur les ordres professionnels n'existe que depuis 2004. En Alberta, elle existe depuis 1982. Avant 1982, les médecins exerçaient en groupe. Je ne crois pas que c'est la politique fiscale qui les encourageait à le faire.
La sénatrice Andreychuk : Non, il s'agit d'une politique de pratique médicale, pas d'une politique fiscale.
M. Moody : Je peux vous assurer qu'à titre de comptable, mon ordre professionnel en Alberta m'a encouragé, et m'encourage encore, à exercer en groupe.
Je pense que nous sommes sur la même longueur d'onde. La pratique de groupe a été encouragée par tous les ordres, pour des raisons évidentes.
Le sénateur Mitchell : Mais vous n'obtenez pas l'avantage fiscal.
M. Moody : Je l'obtiens actuellement, mais est-ce que je l'obtiendrai après que le projet de loi sera adopté? Non, et les médecins non plus.
La sénatrice Marshall : J'aimerais résumer tout ceci. Vous avez répondu à la question du sénateur Pratte que c'était formidable, puis le sénateur Mitchell est intervenu et a abordé d'autres sujets. J'aimerais revenir sur ce que vous avez répondu au sénateur Pratte.
Si vous deviez conseiller le ministre sur cette section de la loi, lui diriez-vous de renoncer à cette modification? De l'oublier, de repartir à zéro et d'étudier le problème avant de proposer...
M. Moody : Ma recommandation est une refonte. Je suis très sensible à ce qu'ils font, et je crois que c'est admirable.
La sénatrice Marshall : Mais cela n'améliore pas la situation.
M. Moody : Je pense que le vieil adage « tuer une mouche avec un canon » s'applique ici. Je crois qu'il y a nettement place à amélioration dans ce domaine. Cela ne fait aucun doute. Mais les dommages collatéraux provoqués par les feux croisés sont très élevés.
Le président : Monsieur Moody, vous avez été succinct, très clair et précis dans votre processus mental. Vous avez soulevé diverses questions. Nous vous remercions de votre présence, d'avoir attendu et d'avoir entendu un autre groupe avant de pouvoir prendre la parole. Merci beaucoup pour votre participation.
M. Moody : Merci beaucoup.
(La séance est levée.)