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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 30 - Témoignages du 12 avril 2017


OTTAWA, le mercredi 12 avril 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 18 h 46, pour poursuivre son étude sur les incidences financières et considérations régionales du vieillissement démographique au pays.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Français]

Mon nom est Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité.

[Traduction]

Bienvenue à toutes les personnes présentes sur place, ainsi qu'à toutes les personnes à l'échelle du pays qui nous regardent à la télévision ou en ligne. Je rappelle aux gens qui nous regardent que les séances du comité sont ouvertes au public et qu'il est possible de les voir en ligne sur le site web du Sénat : sencanada.ca.

[Français]

De plus, vous y retrouvez de l'information sur le comité, y compris ses rapports, les projets de loi étudiés et la liste des témoins.

[Traduction]

J'aimerais maintenant que les sénateurs se présentent, à commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Cools : Je suis Anne Cools, et je suis de Toronto, en Ontario. Je suis ravie de voir mes collègues, car je les aime beaucoup et que nous travaillons bien ensemble, ce qui est toujours bon.

[Français]

Le sénateur Forest : Bonsoir. Mon nom est Éric Forest. Je suis un sénateur du Québec, plus spécifiquement de la région du Golfe.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l'Ontario.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : J'aimerais aussi reconnaître la greffière du comité, Mme Gaëtane Lemay, et nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, M. Sylvain Fleury et M. Olivier Leblanc-Laurendeau qui, ensemble, appuient les travaux de ce comité. Merci à vous également.

[Traduction]

Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur les incidences financières et considérations régionales du vieillissement démographique au pays. Chers collègues, nos témoins de ce soir vont nous parler de certains des aspects du sujet de l'ordre de renvoi du Sénat. Nous allons entendre Joseph Marchand, professeur agrégé en science économique de l'Université de l'Alberta.

[Français]

De l'Université de la Saskatchewan, nous accueillons aussi M. Daniel Béland, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques publiques.

[Traduction]

Merci à vous deux de votre présence. Je vais maintenant inviter les témoins à présenter leurs exposés.

Dans l'ordre, ce sera M. Marchand, puis M. Béland. Après les exposés, les sénateurs poseront des questions.

[Français]

Monsieur Marchand, la parole est à vous.

[Traduction]

Joseph Marchand, professeur agrégé en science économique, Université de l'Alberta, à titre personnel : Je vais commencer par remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de comparaître. Je veux aussi féliciter le comité pour la prévoyance dont il fait preuve en abordant l'enjeu du vieillissement de la population canadienne avant que les effets économiques de ce vieillissement se fassent sentir intégralement.

Je vais parler un peu du vieillissement de la population en général : par comparaison avec des pays semblables de l'OCDE, le pourcentage de la population canadienne âgée d'au moins 65 ans n'est pas le plus élevé. Le Japon, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni affichent des pourcentages plus élevés. Il n'est pas le plus faible non plus, car il dépasse ceux de l'Australie et des États-Unis. Cependant, ce pourcentage continue d'augmenter.

En même temps que ce pourcentage augmente, il y a le groupe des 55 à 64 ans qui est important, et le pourcentage des enfants de 14 ans et moins qui diminue. Du point de vue régional, l'ouest du pays est plus jeune que l'est. Pour ce qui est des provinces, c'est à Terre-Neuve-et-Labrador que la population est la plus vieille — avec les autres provinces atlantiques —, et c'est en Alberta qu'elle est la plus jeune.

Cela étant dit, la structure démographique varie beaucoup à l'intérieur des provinces, il y a beaucoup de variation dans la structure démographique, surtout à l'échelle des divisions de recensement, et vous pouvez en constater les détails dans les Estimations démographiques annuelles : Niveau infraprovincial récemment rendues publiques par Statistique Canada.

Pourquoi le vieillissement de la population est-il source de préoccupations d'ordre économique? Premièrement et avant tout, on estime qu'il y a une corrélation entre une population vieillissante et l'absence de croissance de la population, et de là, on établit une corrélation avec l'absence de croissance économique. J'étais curieux de voir quelle était cette corrélation entre le pourcentage de la population âgée d'au moins 65 ans et la croissance de la population à l'échelle des divisions de recensement au Canada. J'ai utilisé les données de Statistique Canada que j'ai mentionnées précédemment et j'ai constaté, non sans surprise, que la corrélation est de moins 0,54, ce qui signifie qu'ils sont anticorrélés — la croissance de la population et le pourcentage d'adultes âgés —. Je m'attendais en fait à ce que la corrélation soit nettement plus élevée et plus près de 1. Je soupçonne que la différence est attribuable aux tendances en matière d'immigration.

Il y a une autre préoccupation que je souhaite lier au vieillissement de la population, et c'est la moindre participation au marché du travail en raison des gens qui prennent massivement leur retraite, ce qui entraverait la croissance économique et ferait augmenter les dépenses publiques à cause d'une augmentation du rapport de dépendance.

Heureusement pour le Canada et les États-Unis, du moins pour le moment, la participation à la vie active des aînés demeure élevée, mais cela ne durera pas toujours et il pourrait en découler de meilleures perspectives d'emploi pour les jeunes adultes à l'avenir.

En ce qui concerne les dépenses publiques, la préoccupation la plus évidente, en particulier pour votre comité, c'est que le vieillissement de la population mènera à une augmentation des dépenses publiques, surtout en ce qui concerne l'assurance-maladie et l'assurance sociale, mais également dans d'autres domaines. Dans le premier volume du Handbook of the Economics of Population Aging, qui a été publié récemment, en 2016, et qui devrait en général servir de référence pour le comité, Tim Smeeding et moi avons rédigé un chapitre sur l'intersection de la pauvreté et de l'âge. Nous y avons documenté une importante réduction de la pauvreté chez les aînés, au cours des 50 dernières années, aux États-Unis et dans les plus grands pays de l'OCDE, ainsi qu'une augmentation de la pauvreté chez les enfants et les personnes en âge de travailler.

Nous lions donc partiellement cette réduction au fonctionnement du marché du travail, mais elle est en fait soutenue par les énormes augmentations des dépenses publiques qui ciblent de façon disproportionnée les aînés et que nous mettons en évidence en particulier pour les États-Unis dans ce chapitre du manuel. On pourrait donc voir cela aussi bien comme une réussite que comme une source de préoccupations.

Essentiellement, le vieillissement de la population suscite des préoccupations au sujet de la croissance, de la population active et des dépenses publiques, mais ce changement s'accompagne de possibilités réalisables grâce à des solutions uniques. Par exemple, une population vieillissante demandera plus de biens et de services destinés aux aînés, en particulier des services de soins de santé, et cette augmentation des besoins des aînés pourrait créer des occasions d'emploi pour les jeunes. C'est peut-être là qu'avec vision, il faut canaliser les dépenses publiques : vers la formation des jeunes à la réponse aux besoins des aînés.

Maxime Fougère et ses coauteurs ont au moins deux articles dans le journal Economic Modelling, en 2007 et en 2009, à l'appui de cette perspective pour le Canada en particulier. Bien entendu, ce qu'il faudrait, c'est que le gouvernement fédéral réorganise les ressources pour qu'elles servent à ces types d'investissements dans le capital humain sans que la situation des aînés empire.

Tim Smeeding et moi tirons une conclusion semblable concernant la pauvreté et le vieillissement, dans notre chapitre du manuel.

Daniel Béland, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques publiques, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à témoigner devant le comité sur la question du vieillissement et de la sécurité de la retraite, sujet sur lequel je vais me concentrer aujourd'hui.

Cet enjeu requiert des engagements à long terme de la part des particuliers, des familles, des employeurs et des gouvernements. Nous avons de la chance au Canada : nous avons un système de pensions public qui, par comparaison, réussit efficacement à lutter contre la pauvreté et à améliorer la sécurité économique des aînés. Une grande quantité de données venant de l'OCDE et d'universitaires — dont moi, John Myles et plusieurs autres — confirment que notre système de sécurité à la retraite au Canada — notre système de pensions public — est un moyen efficace de lutter contre la pauvreté étant donné le pourcentage des dépenses destinées aux pensions par comparaison à celui d'autres nations.

Ce qu'il est important de comprendre, c'est que nous aurons des défis à relever même si en tant que pays nous avons travaillé efficacement à réduire la pauvreté chez les aînés. Si vous regardez l'évolution de 1970 aux années 1990 et au début des années 2000, nous avons réalisé des progrès gigantesques.

Cependant, certains facteurs suscitent de l'anxiété à propos de l'avenir concernant la sécurité à la retraite. La faible cotisation à des REER et à des régimes de retraite enregistrés ainsi que le déclin des régimes à prestations déterminées ont donné lieu à de nouveaux défis concernant la sécurité économique des aînés. Certains Canadiens n'épargnent pas assez d'argent pour la retraite, et c'est ce que la bonification du Régime de pensions du Canada annoncée récemment cherche à résoudre.

Cette réforme proposée devrait maintenir la viabilité à long terme du RPC grâce à une augmentation modérée des cotisations prélevées sur la paye, ce qui est une bonne nouvelle pour les Canadiens, car la sécurité économique et la viabilité financière doivent aller de pair.

Je suis pour la réforme du RPC annoncée récemment. Aujourd'hui, j'ai décidé de me pencher sur la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, deux programmes très importants, surtout si vous cherchez à réduire la pauvreté chez les aînés du pays.

Comme je vais le démontrer, il est important que nous envisagions la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti en fonction de la viabilité financière, en l'occurrence celle du trésor fédéral, tout en tenant compte de ce qui se passe concernant la situation des Canadiens à faible revenu et de la façon dont les changements à ces programmes au nom de la viabilité financière pourraient les affecter.

[Français]

Le Canada fait mieux que la moyenne des pays de l'OCDE en matière de réduction de la pauvreté chez les personnes âgées. Cette bonne performance est liée en partie à la création en 1967 du Supplément de revenu garanti, un programme d'aide sociale lié directement à la Sécurité de la vieillesse qui prend la forme d'une modeste pension de base. Financé par le Trésor fédéral et ciblant seulement les personnes âgées à faible revenu, le Supplément de revenu garanti est un programme explicitement redistributif, qui demeure cependant beaucoup moins controversé que les programmes de bien-être social qui s'adressent aux sans-emploi et qui sont des programmes provinciaux. Le Supplément de revenu garanti verse une somme totale de plus de 10 milliards de dollars par année aux personnes âgées à faible revenu.

Quant à la Sécurité de la vieillesse, ses dépenses annuelles dépassent aujourd'hui 45 milliards de dollars. Parce que ces sommes vont augmenter de façon importante au cours des prochaines décennies en raison du vieillissement démographique, le gouvernement précédent, le gouvernement Harper, avait annoncé une hausse graduelle de l'âge d'admissibilité à ces deux programmes de 65 à 67 ans entre les années 2023 et 2029. L'an dernier, le gouvernement Trudeau a annulé cette décision lors du budget de 2016, en partie parce qu'elle aurait eu un effet particulièrement négatif sur les personnes âgées à faible revenu qui dépendent davantage de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti que les Canadiens plus aisés.

[Traduction]

Il y a donc la décision du gouvernement Trudeau d'annuler l'augmentation de l'âge d'admissibilité à la SV, mais cela s'accompagne d'un coût pour le gouvernement fédéral de plus de 10 milliards par année à compter de 2030. Ce sont de gros montants. Il serait pertinent de penser à d'autres manières d'améliorer la viabilité financière sans imposer des pertes disproportionnées aux aînés à faible revenu qui dépendent tellement de la SV et du SRG pour leur bien-être économique.

On pourrait notamment répondre aux préoccupations financières entourant le coût croissant de ces deux programmes sans pénaliser les aînés canadiens à faible revenu en excluant du SRG un grand nombre d'aînés ayant des revenus plus élevés. En ce moment, les gens qui gagnent plus de 119 000 $ par année n'ont pas droit aux prestations du SRG. Au moins, grâce à la récupération fiscale, s'ils reçoivent de l'argent, au bout du compte, ils doivent le rembourser entièrement.

Il s'agirait simplement de geler ce plafond de revenu ou d'abaisser ou de partiellement indexer cette augmentation du plafond sur un certain nombre d'années, et le gouvernement fédéral pourrait ainsi exclure du SRG un nombre croissant de personnes ayant des revenus élevés, ce qui améliorerait la viabilité financière du programme sans pénaliser les Canadiens à faible revenu. C'est loin d'être nouveau, et cela correspond aux politiques que les gouvernements conservateur et libéral ont tous les deux adoptées dans le passé, à commencer par la récupération fiscale des prestations du SRG qui a été instaurée en 1999, et la prestation aux aînés proposée en 1996 par le ministre des Finances de l'époque, Paul Martin, et ultérieurement annulée avant sa mise en œuvre qui devait avoir lieu en 2011.

Donc, pour les deux grands partis fédéraux, la tradition est de réorienter les personnes à revenu élevé de manière à économiser de l'argent, et je pense que c'est la bonne solution. Pour les Canadiens à faible revenu, c'est une meilleure solution que l'augmentation de l'âge d'admissibilité à la Sécurité du revenu et au SRG, deux programmes étroitement liés.

Augmenter l'âge d'admissibilité n'est pas la seule manière qu'Ottawa a d'améliorer la viabilité financière en période de vieillissement démographique. Exclure du SRG les personnes qui ont des revenus élevés est tout simplement une approche plus sensée si nous avons à l'œil les inégalités, en partie attribuables au SRG, lequel est étroitement lié à la SV. Notre système de pensions publiques est déjà axé sur la redistribution, et il n'y a rien de mal à accentuer cette caractéristique, surtout si cette approche est conjuguée au désir légitime d'en assurer la viabilité financière à long terme.

Parlant d'inégalités, j'aimerais terminer ma déclaration en soulevant trois aspects menant à des inégalités qui sont liés à l'avenir de notre système de sécurité à la retraite, en particulier à la SV et au SRG.

Premièrement, en partie parce que je vis en Saskatchewan, je suis particulièrement au fait des défis de politique sociale liés aux difficultés des Autochtones, qui représentent plus de 15 p. 100 de la population de notre province. Soit dit en passant, cette proportion augmente. Même si l'âge médian des Autochtones est inférieur à la moyenne nationale, et même si les difficultés sociales et économiques des Autochtones sont à juste titre au centre de nos débats politiques sur l'éducation, les soins de santé et le logement, il faudrait accorder plus d'attention au nombre croissant d'aînés autochtones qui risquent nettement plus vraisemblablement de vivre dans la pauvreté et de souffrir d'invalidité que les autres Canadiens de la même catégorie d'âge. Il faudrait faire plus de recherche et accorder plus d'attention en matière de politiques à la question de la sécurité économique des aînés autochtones.

[Français]

Deuxièmement, étant donné que la Saskatchewan accueille de plus en plus d'immigrants chaque année, j'aimerais aborder la question des critères de résidence quant à l'admissibilité aux prestations de la Sécurité de la vieillesse.

Actuellement, pour obtenir une pleine pension, il faut avoir résidé au Canada comme adulte, après l'âge de 18 ans, pendant au moins 40 ans. Cette très longue période pénalise les immigrants qui sont arrivés au Canada après l'âge de 25 ans.

Une réduction du nombre nécessaire d'années de résidence pour obtenir une pleine prestation de la Sécurité de la vieillesse pourrait être envisagée. Une autre solution proposée par Patrik Marier et Suzanne Skinner serait d'éliminer les critères de résidence pour les remplacer par un accès basé uniquement sur la citoyenneté. La réflexion sur ces propositions devrait toutefois s'accompagner d'une discussion au sujet du financement à long terme de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti. Ce sont des options qu'il faut étudier en matière d'équité envers les immigrants.

Toutefois, il y a la question fiscale qui est également importante. Si on réduisait le nombre nécessaire d'années de résidence, cela augmenterait les coûts. Je crois qu'il faut garder ces questions en tête.

[Traduction]

Enfin, sur le plan de la sécurité économique des aînés, la situation des femmes mérite qu'on y accorde de l'attention. Les femmes âgées, surtout celles qui vivent seules, risquent plus la pauvreté, et nous devons garder cela à l'esprit quand nous pensons à resserrer nos pensions publiques, particulièrement un programme comme le SRG, très important pour la lutte contre la pauvreté chez les femmes âgées seules.

Dans l'ensemble, quand on regarde la viabilité financière à long terme et la pertinence sociale de notre système de sécurité à la retraite, nous devons accorder plus d'attention aux populations plus vulnérables comme les Autochtones, les immigrants, les femmes et, plus généralement, les personnes à faible revenu de tous les milieux. C'est un impératif politique que les membres du comité ont aussi.

Je vous remercie de votre attention et je serai ravi de discuter avec vous.

Le président : Avant que nous passions aux questions, j'aimerais demander à deux sénateurs de se présenter.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique. Je suis désolé d'être arrivé un peu en retard.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan. Je vous fais aussi mes excuses. Nous étions à une autre réunion.

Merci à vous deux de l'information fournie et de la discussion que nous aurons. J'ai plusieurs questions sur la SV et le SRG, mais je vais d'abord vous interroger sur ma province d'origine, la Saskatchewan. Vous avez souligné la situation intéressante et unique de la Saskatchewan. Nous avons une population autochtone qui connaît une croissance rapide. Ils sont jeunes. Ils ont besoin d'écoles. Nous exploitons des ressources dans les réserves.

Dans l'intervalle, les aînés du secteur agricole déménagent dans des villages et réclament des soins de santé qui n'existent pas. Nous vivons une période de réductions et accumulons une première dette depuis longtemps. Je pense que ces problèmes existent dans la province depuis longtemps.

Comment une province peut-elle trouver l'équilibre entre les besoins des jeunes et les besoins des aînés? Ce n'est pas comme une population urbaine. Nous avons Regina et Saskatoon, mais nous parlons réellement de collectivités isolées dans lesquelles nous soutenons les structures des réserves. Il y a les questions liées à l'autonomie gouvernementale des Autochtones. Nous parlons de cogestion des ressources naturelles, et cetera. Comment veiller à ce que ce système fonctionne? Je suis ce que vous faites. J'ai participé à l'étude de Johnson Shoyama. Nous avons cerné cela, sans pour autant nous y attaquer. Comment se lancer pour résoudre ce problème?

M. Béland : Je vous remercie de votre question. Il n'y a pas de réponse facile, car il y a diverses dimensions.

En Saskatchewan, il est vrai que nous avons de grands besoins en raison des gens qui vivent dans les régions nordiques éloignées. Je pense qu'il existe des façons novatrices de répondre à certains de ces besoins grâce à la nouvelle technologie, par exemple les besoins en soins de santé. Nous avons maintenant des robots qui peuvent aider les médecins ou les infirmières de Saskatoon à exécuter leur travail grâce à la technologie à distance. Bien des choses sont possibles.

En ce qui concerne les dépenses publiques, il faut comprendre que ce n'est pas une situation gagnant-perdant et qu'investir dans l'éducation des enfants est extrêmement important quand il est question des Autochtones. En Saskatchewan, comme je l'ai dit, les nombres sont encore plus élevés quand il est question d'enfants. En raison des taux de fécondité supérieurs, entre autres facteurs, le pourcentage d'enfants de descendance autochtone en Saskatchewan est nettement supérieur à 15 p. 100, comme vous le savez. Il faut un investissement massif dans l'éducation.

Le nombre croissant d'Autochtones qui vivent hors des réserves et qui vont et viennent entre leur foyer, leur réserve et la ville représente un autre enjeu de taille. En plus des difficultés que cela cause aux gouvernements fédéral et provincial, cela rend difficile la coordination des efforts entre les divers ordres de gouvernement. Je crois que c'est la même chose pour le vieillissement. Nous devrions passer un peu plus de temps à discuter des problèmes que cela comporte. Le gouvernement fédéral a un rôle essentiel à jouer concernant la sécurité du revenu dans ce domaine, malgré les régimes complémentaires des provinces. Quand nous parlons de la SV, par exemple, c'est un programme qui vient en aide aux Canadiens à faible revenu, y compris les Autochtones. Il arrive que certaines mesures qui ne ciblent pas des segments particuliers de la population produisent au bout du compte des effets positifs sur certains des groupes désavantagés. Il faut penser aussi à cela.

Quant à savoir ce qui pourrait être fait pour régler ces questions en Saskatchewan, je crois qu'il faut que les instances provinciales aient la volonté politique de mobiliser les collectivités autochtones afin qu'elles puissent jouer un rôle dans le processus. C'est un contexte qui peut être très changeant et il n'existe pas de consensus clair quant aux mesures à prendre. Les gens sont de plus en plus conscients de ces problématiques en Saskatchewan. En soi, cette prise de conscience est capitale. Les choses étaient bien différentes il y a 30 ou 40 ans, surtout à l'échelon provincial. Si l'on pense à ce qui se fait à ce niveau pour les Autochtones, notamment au chapitre des bourses, il faut bien avouer que la Saskatchewan ne s'en tire pas très bien par rapport aux autres provinces. C'est d'ailleurs ce que révèle une étude menée par Alain Noël et l'un de ses collègues concernant les politiques publiques provinciales ciblant les Autochtones. Il y a un problème à régler au niveau de la province. J'estime que la situation est en partie attribuable à un manque de volonté politique.

Comme la Saskatchewan est une province tributaire des ressources naturelles, nous devons composer, comme nos voisins albertains, avec les aléas d'un cycle d'expansion et de ralentissement. Je ne pense pas que la Saskatchewan gère ses finances publiques de façon très viable à long terme. En effet, nous avons dépensé lorsque les choses allaient bien, mais nous procédons maintenant à des coupures et l'austérité fait mal à tout le monde, y compris aux enfants et aux aînés. Je pense notamment à notre entreprise provinciale de transport par autocar qui a cessé ses activités et qui était surtout utilisée par les personnes âgées.

Nous devons analyser le portrait général des finances publiques tout en nous efforçant de mieux comprendre ces problématiques qui doivent demeurer au cœur de notre plan d'action, car il ne suffit pas d'en discuter et de les avoir à l'esprit.

Le sénateur Pratte : À l'occasion du débat sur l'élargissement du RPC, j'ai consulté différentes études dont une menée par le groupe Mackenzie, si je ne m'abuse, qui révélait que la majorité des aînés et des futurs aînés étaient en fait en bonne situation financière, si l'on tenait compte de tous leurs actifs.

Je m'interroge sur les impacts possibles. Lorsqu'il est question du vieillissement de la population, nous parlons généralement des dépenses publiques qui devront être engagées dans ce contexte, notamment au chapitre des soins de santé et des pensions. Je ne sais pas dans quelle mesure le fait que la plupart des aînés se retrouveront dans une meilleure situation financière que ce que nous avions prévu pourra avoir un impact. Il est bien évident que je ne parle pas ici des aînés qui vivent bel et bien dans la pauvreté, car leur cas demeure des plus préoccupants. Étant donné que leur situation sera meilleure que ce que l'on semblait vouloir laisser entendre et que leur modèle de consommation ne correspondra pas à ce que l'on prévoyait, il est possible que les recettes du gouvernement fédéral s'en ressentent. Il y a donc peut-être aussi un aspect positif que nous devrions garder à l'esprit.

M. Marchand : Je suis d'accord. Je crois que la situation s'apparente à celle des États-Unis. Dans ce chapitre que j'ai rédigé avec Tim Smeeding, nous notions que le lien entre pauvreté et âge a toujours pris la forme d'un U, c'est-à-dire que les risques de pauvreté sont plus élevés aussi bien pour les enfants que pour les aînés. Au fil des ans, ce lien s'est atténué à un point tel que la pauvreté chez les personnes âgées a pour ainsi dire disparu. Le taux est de quelques points de pourcentage à peine aux États-Unis, et c'est la même chose au Canada et dans les autres pays de l'OCDE, alors même que la pauvreté augmente au sein de la population active et chez les enfants. La situation est en grande partie attribuable à l'accroissement généralisé des dépenses publiques au titre des pensions sociales et, dans le cas du Canada, des soins de santé également. Les aînés semblent donc mieux s'en tirer du point de vue de la pauvreté. On dirait qu'ils sont plus fortunés.

Il ne fait aucun doute que ce constat va dans le sens des politiques que Daniel préconise. Peut-être pourrait-il d'ailleurs vous en dire plus long sur la façon dont ces sommes sont récupérées auprès des Canadiens les mieux nantis.

Le sénateur Pratte : Je me demande s'il ne vaudrait pas mieux cibler les mesures prises pour enrayer ce problème de dépenses publiques dans le contexte du vieillissement. Plutôt que de considérer que c'est un problème qui touche l'ensemble du gouvernement et de la population canadienne, il serait peut-être préférable de l'envisager comme une problématique exigeant des interventions bien définies.

M. Béland : Oui. Je crois que nous sommes d'accord à ce sujet. Voilà donc un point positif, car il est très rare que des universitaires s'entendent sur quoi que ce soit.

Si l'on considère la structure de nos dépenses pour les pensions, il faut dire que notre régime est plus ciblé que certains autres, comme ceux de l'Allemagne et de la France, où les charges sociales sont élevées et où l'on ne fait pas toujours mieux que le Canada dans la lutte contre la pauvreté. Selon moi, il convient de miser sur des politiques plus ciblées, surtout lorsqu'elles sont financées directement par le Trésor comme c'est le cas pour notre Supplément de revenu garanti. Nous devrions nous appuyer sur les mesures déjà en place. Si l'on tient compte des sommes engagées pour les pensions en pourcentage du PIB, on constate que les autres pays ne font pas mieux que le Canada ou ont même de moins bons résultats que nous dans la lutte contre la pauvreté chez les aînés.

J'ai déjà publié un article à ce sujet. Je pourrais vous faire parvenir une copie de cet article que j'ai rédigé avec John Myles, de l'Université de Toronto. Cela remonte à quelques années déjà, mais je pense que l'essentiel demeure tout à fait valable. Il faut souligner le fait que l'efficacité de notre régime public de pensions repose notamment sur l'existence du Supplément de revenu garanti qui a été créé en 1967 à titre de programme temporaire. Il visait alors à faciliter le passage du système en place au nouveau Régime de pensions du Canada qui avait été instauré l'année précédente. Il est donc vraiment intéressant de noter que le SRG ne devait être qu'une mesure temporaire, mais s'est révélé un outil très efficace dans la lutte contre la pauvreté. Il est donc devenu un programme permanent dans les années 1970. C'est encore aujourd'hui l'un des meilleurs outils à notre disposition pour lutter contre la pauvreté.

Il nous en faudrait d'autres semblables.

Je conviens avec vous que des mesures ciblées s'imposent dans le cas de la Sécurité de la vieillesse, car le versement de cette pension, qui est d'un montant plutôt réduit de toute manière, n'est sans doute pas requis dans le cas des personnes qui gagnent 120 000 $ par année. Nous pourrions donc faire le nécessaire de façon plutôt discrète en excluant progressivement un nombre croissant d'aînés à revenu élevé du bénéfice de la SV, ce qui nous permettrait de réaliser des économies. Nous pourrions par exemple utiliser cet argent pour assouplir les critères de résidence applicables aux immigrants qui doivent établir leur admissibilité à des prestations.

Nous pourrions en fait nous en servir à n'importe quelle autre fin, car il s'agit de sommes financées par le Trésor. Ce n'est pas un fonds de fiducie indépendant comme celui du Régime de pensions du Canada. La SV et le SRG sont financés à même les recettes générales du gouvernement fédéral. Nous le savons tous, mais nous devons le garder à l'esprit.

Il nous faut mettre de l'ordre dans nos priorités. Je veux surtout faire valoir, et je pense que nous sommes d'accord à ce sujet, que les mesures ciblées représentent la voie à privilégier dans le cas de ces programmes et même de la Sécurité de la vieillesse.

La sénatrice Marshall : Vous dites que le nombre d'aînés vivant dans la pauvreté diminue, mais avez-vous cherché à savoir comment se répartissaient ceux qui se retrouvent encore dans une telle situation? S'agit-il de femmes qui vivent seules? Est-ce que ce sont des Autochtones? Des personnes handicapées? Dans quelle mesure avons-nous des données précises sur ces différents groupes?

Comme vous envisagez de cibler vos ressources pour aider certains groupes, je me dis qu'il vous faudrait savoir en quoi consistent exactement ces groupes. Avez-vous une réponse à cette question?

M. Béland : Nous avons ces données, mais je vais laisser mon ami vous répondre d'abord.

M. Marchand : Les groupes que vous avez nommés sont effectivement touchés. Dans le chapitre dont je vous parlais, nous avons notamment établi une comparaison en fonction des sexes. Non seulement la courbe de répartition en U pour les différentes tranches d'âge est-elle beaucoup plus élevée pour les femmes — ce qui signifie qu'elles sont nettement plus touchées par la pauvreté quel que soit leur âge —

La sénatrice Marshall : Est-ce que vous parlez des femmes qui vivent seules?

M. Marchand : Ce n'est pas un aspect sur lequel nous nous penchons tout spécialement, mais il y a des preuves documentaires à ce sujet. Ce sont celles qui s'en tirent le moins bien parmi l'ensemble des femmes.

La sénatrice Marshall : Est-ce que les femmes représentent le principal groupe touché par la pauvreté? J'essaie d'y voir plus clair. D'après les informations que nous avons, il y aurait 4 p. 100 des aînés et 15 p. 100 des enfants qui vivent dans la pauvreté. Est-ce que les femmes représentent le quart de ce 4 p. 100 des aînés? Est-ce la moitié? Quels sont les différents groupes touchés et quelle est leur importance relative?

Si nous devons cibler nos ressources pour aider certains groupes, il faut que nous soyons mieux informés sur leurs tailles respectives.

M. Marchand : Parmi les 4 p. 100 d'aînés qui sont pauvres, je crois que les deux tiers sont des femmes.

La sénatrice Marshall : Il y en a autant que ça? Les deux tiers du 4 p. 100. Pouvez-vous nous en dire davantage? J'aime bien les chiffres.

M. Marchand : J'allais revenir à cette courbe en U de l'augmentation des taux de pauvreté en fonction de l'âge qui est surtout marquée pour les femmes. Nous avons souligné que cette hausse était particulièrement prononcée chez les jeunes femmes en âge de procréer, soit celles dans la vingtaine et la trentaine. C'est à ce niveau que l'on observe la plus forte augmentation des taux de pauvreté dans la pyramide des âges.

La sénatrice Marshall : Êtes-vous à même de dire si la situation s'aggrave ou est-ce que vous constatez des améliorations? Avez-vous établi une tendance au fil d'une certaine période?

M. Marchand : Nos données ventilées entre les sexes portent sur la période de 1987 à 2014. Je rappelle que ce sont des chiffres pour les États-Unis. Il semblerait que la situation s'aggrave surtout pour ces femmes dans la vingtaine et la trentaine.

La sénatrice Marshall : C'est incroyable.

Qu'en est-il des femmes du groupe des aînés? Est-ce que les choses se détériorent également ou est-ce qu'elles s'améliorent? Comme le taux de pauvreté diminue chez les aînés, on pourrait croire que c'est la même chose pour les femmes de ce groupe d'âge. Est-ce effectivement le cas ou est-ce qu'elles continuent à être surreprésentées parmi les gens vivant dans la pauvreté?

M. Béland : Il faudrait que je vérifie les chiffres, mais je sais que nous avons réalisé des progrès sur tous les fronts. Reste quand même que les femmes âgées célibataires étaient les plus vulnérables au départ et qu'elles le sont encore aujourd'hui, malgré que leur situation se soit améliorée en moyenne par rapport aux années 1970. C'est un simple fait que je constate.

Je pourrais vous transmettre de la documentation à ce sujet. Je pense notamment à un article publié par Wiseman et Ycas dans une revue américaine. On y compare la situation au Canada à celle observée aux États-Unis, au Royaume- Uni et dans d'autres pays. Il en ressort que le Canada a obtenu d'assez bons résultats dans ses efforts de réduction de la pauvreté chez les aînés.

Les résultats ne sont toutefois pas aussi réjouissants pour les aînés vivant seuls. Prenons l'exemple de la Suède. Au moment où l'étude a été menée, nous faisions à peu près aussi bien que les Suédois, ce qui est positif quand on sait que la Suède dépense proportionnellement davantage que nous au chapitre des pensions, en pourcentage du PIB.

Cependant, la situation n'était pas aussi favorable pour les aînées vivant seules. Je ne veux pas dire par là qu'aucun progrès n'a été réalisé au fil des ans. C'est juste qu'il s'agit d'un groupe particulièrement vulnérable.

Il y a d'autres groupes qui sont vulnérables. J'ai déjà parlé des Autochtones. Nous traitons moins souvent de la problématique du vieillissement chez les Autochtones du fait que leur population est si jeune en moyenne. Ainsi, 6 ou 7 p. 100 des Autochtones canadiens ont 65 ans et plus, ce qui est bien moins que dans la population en général où cette proportion dépasse les 15 p. 100. Ces chiffres augmentent toutefois à chaque année. En outre, les risques de pauvreté sont beaucoup plus élevés pour les aînés autochtones. C'est une question qu'il convient de garder à l'esprit, car nous serons appelés à en discuter de plus en plus.

La sénatrice Marshall : Après les femmes, que serait le deuxième groupe en importance parmi les aînés vivant dans la pauvreté? Les personnes handicapées? Je pense aux programmes. Des programmes spéciaux sont destinés aux personnes handicapées. J'essaie d'établir un lien entre les programmes et les caractéristiques du groupe.

M. Marchand : C'est difficile à dire.

M. Béland : Encore une fois, il faut diviser les catégories en sous-catégories diverses. J'ai indiqué que cela touche les Autochtones en général. C'est un problème. En ce qui concerne les immigrants, par exemple, cela dépend de beaucoup de facteurs, notamment le moment de leur arrivée au pays. La personne qui est arrivée au Canada à la fin de la quarantaine ou au début de la cinquantaine ne reçoit pas une pension intégrale de la SV. La personne pourrait ne pas avoir eu le temps de connaître une carrière comparable à celle qui est arrivée dans la vingtaine.

On ne peut donc affirmer que les immigrants sont généralement plus vulnérables. Vous verrez une grande différence si vous divisez cela en plusieurs catégories.

Il convient d'éviter de trop généraliser. Cela dit, nous avons cerné des groupes qui connaissent plus de difficultés, comme les Autochtones et les femmes âgées célibataires.

La sénatrice Marshall : Lorsqu'on observe le graphique... Vous avez bien dit que vous vous attendez à une baisse de la pauvreté chez les aînés, à l'avenir? Ai-je bien compris, ou avez-vous dit quelque chose qui me porterait à en arriver à cette interprétation?

M. Béland : Il faut faire attention. Si vous regardez les données, vous constaterez que la baisse qu'on a observée était surtout des années 1970 aux années 1990, voire au début des années 2000. Le Canada n'a pas un seuil de pauvreté officiel. Par conséquent, nous avons des indicateurs différents pour l'évaluation de « faible revenu » et de « pauvreté ». Toutefois, Statistique Canada, par exemple, n'a pas d'indicateur — une définition — pour la pauvreté. Cela peut devenir très complexe.

Les progrès que nous avons réalisés ont surtout été faits des années 1970 aux années 1990 et au début des années 2000. On observe actuellement une stagnation. On a même observé une légère hausse de la pauvreté, selon certains indicateurs. Encore une fois, cela varie d'une catégorie à l'autre, et cetera.

Je ne pense pas qu'on puisse dire que la baisse se poursuivra. Ce n'est pas le cas actuellement, selon les données que j'ai vues. La situation s'est stabilisée, à tout le moins. Nous avons toutefois fait d'immenses progrès et, en moyenne, les personnes plus âgées sont en assez bonne posture, comparativement à d'autres groupes de la société. Cela dit, lorsqu'on divise cette population en sous-catégories...

La sénatrice Marshall : On voit des groupes.

M. Béland : Oui, exactement.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci beaucoup de votre participation. La démographie est un enjeu fondamental tant au chapitre social qu'économique.

J'ai deux questions. L'une sera plus large, et l'autre plus spécifique. On dit que la cohorte de retraités qui approche sera probablement l'une des mieux nanties. Il y aura les chanceux qui ont un régime à prestations déterminées, d'autres chanceux qui ont un régime à cotisations déterminées, et ceux qui n'ont pratiquement pas de soutien.

Vous me parlez du chiffre de 4 p. 100. On dit que l'écart est en progression entre les retraités bien nantis et ceux qui le sont beaucoup moins. Comme l'a indiqué le sénateur Pratte, les mieux nantis, effectivement, vont contribuer à la richesse collective et au PIB. En même temps, ces gens représenteront un certain poids, en matière de soins de santé, de par leur nombre. Ce fardeau sera de responsabilité fédérale. Le volet santé jouit également d'un soutien provincial et municipal. Or, ces personnes sont de plus en plus exigeantes et veulent une retraite active. Elles demandent des services aux municipalités qui, il y a 10 ans, n'étaient pas offerts; on se contentait de fournir un local aux clubs de l'âge d'or.

Pour les trois ordres de gouvernement, cette cohorte aura certes plus de moyens, mais aussi plus d'exigences. En même temps, ces ordres de gouvernement auront à composer et devront porter une attention particulière à ceux qui sont beaucoup moins nantis. Il y a des gens qui arrivent et qui exigeront beaucoup des gouvernements. Il y a aussi des personnes âgées qui seront isolées et qui n'arriveront pas à joindre les deux bouts.

Avez-vous évalué, pour les trois ordres de gouvernement, l'impact de cette cohorte de gens, dont les ressources financières sont importantes? Normalement, ces personnes devraient être en meilleure santé, étant donné qu'elles se nourrissent mieux et font plus d'exercice. Avez-vous fait un bilan global de ce phénomène sociodémographique?

[Traduction]

M. Marchand : Ce que je comprends, d'après ce que vous dites, c'est que le vieillissement de la population n'est pas nécessairement un problème, en particulier pour les mieux nantis. Je crois que vous laissez entendre que l'offre de biens et de services destinés à ce groupe précis est une occasion d'affaires considérable, étant donné sa richesse.

Je tiens également à faire valoir ce point, parce qu'il faut établir un lien avec la croissance économique future du pays — cette cohorte a de l'argent à dépenser — et trouver des façons de satisfaire à ces besoins. Même si cette cohorte est en meilleure santé, il semble pertinent d'orienter davantage les jeunes vers la formation en santé, ce qui pourrait se faire aux divers ordres de gouvernement, soit à l'échelle municipale, provinciale et fédérale. Sur le plan de la politique, la question est de déterminer la meilleure façon d'en faire une priorité.

Je suis incertain de la façon d'y parvenir, mais je crois que vous abordez la question sous le même angle que moi; nous avons maintenant la possibilité d'orienter le pays, en quelque sorte, en fonction de la demande des biens et de services de cette cohorte de gens bien nantis.

Je considère qu'il s'agit là d'un incitatif pour investir davantage dans le capital humain que représentent les jeunes. Il s'agirait donc d'investir davantage dans l'éducation et le recyclage professionnel de façon à satisfaire à ce besoin, mais en fonction de diverses orientations stratégiques.

[Français]

M. Béland : Le vieillissement crée aussi des emplois. Le poids fiscal est important, mais la croissance dans le secteur de la santé crée des emplois. Les soins à long terme représentent des dépenses publiques, et il est vrai qu'elles augmenteront. C'est pourquoi il faut cibler ceux qui sont vraiment dans le besoin.

Je crois qu'il y a toute une économie du vieillissement qui se développe. On ne le constate pas seulement dans le secteur de la santé, mais aussi dans celui des loisirs. Il faut donc penser à la transformation de l'économie associée au fait qu'un jour, plus de 20 p. 100 des gens seront âgés de 65 ans et plus.

Aujourd'hui, avoir 65 ans, ce n'est pas comme il y a 50 ou 60 ans. Les gens sont en meilleure santé et peuvent travailler plus longtemps, dans certains cas. Pour les travailleurs manuels, il est plus difficile de continuer. Il ne faut pas évaluer cette population comme un bloc. C'est vraiment très stratifié, comme tous les groupes d'âge. Certains dépenseront beaucoup et stimuleront l'économie en dépensant, parce qu'ils ont de l'argent et des loisirs. Il faut essayer de faire en sorte que ces gens dépensent au maximum au Canada plutôt qu'en Floride ou ailleurs.

Il faut penser à ces choses. Ce sont des sommes importantes qui continueront d'augmenter. De plus en plus de gens se trouvent dans cette catégorie d'âge, dont un grand nombre ont des moyens. On doit penser à la redistribution en ciblant les plus pauvres, mais aussi aux retombées économiques du vieillissement et aux aspects positifs en termes de création d'emplois. On doit aussi essayer d'articuler notre économie autour du vieillissement. Il ne faut pas voir cela uniquement comme un problème, mais aussi comme une opportunité économique.

Le sénateur Forest : Effectivement, il y a une opportunité, mais aussi une réalité politique. Il faut avouer que 65 ans, c'est très jeune. D'ailleurs, je les ai eus la semaine dernière.

M. Béland : Félicitations!

Le sénateur Forest : Il n'en demeure pas moins que cela représente un poids politique important.

M. Béland : Les personnes âgées, par exemple, votent davantage que les personnes de 18 à 25 ans. Ce n'est pas le cas seulement au Canada, mais aussi ailleurs. Ils ont donc un poids politique disproportionné.

Le sénateur Forest : Ma deuxième question est peut-être plus précise, mais elle me préoccupe beaucoup. On a comme objectif, particulièrement au sein des gouvernements fédéral et provinciaux, le maintien à domicile. Pour maintenir nos personnes âgées à domicile, il faut qu'elles aient un domicile. Un des phénomènes qu'on a constatés au cours des dernières années, c'est une augmentation de la valeur des résidences. Celle-ci a augmenté d'une façon très importante dans certaines régions — je pense notamment à Vancouver et à Toronto. Même dans une région comme Rimouski, on a pu voir une appréciation de 39 p. 100 sur un rôle d'évaluation.

On est confronté à un phénomène, quand on parle d'écart, où des personnes âgées n'arrivent plus à supporter ce poids fiscal. Trois ordres de gouvernement perçoivent des taxes et des impôts auprès d'un seul niveau de contribuables payeurs qui n'arrivent pas toujours à assumer. D'un côté, ils accumulent un capital, car leur propriété prend de la valeur. D'un autre côté, ils n'arrivent plus à assumer le poids de l'impôt foncier.

J'ai essayé de mettre en œuvre un programme de report de l'impôt foncier, comme un dispositif où il est possible de capitaliser la propriété tout en étant à l'abri de l'augmentation de la taxe foncière. Lors de la vente, le propriétaire doit alors rembourser. Avez-vous pensé à une telle politique? Pour que les personnes âgées puissent rester à domicile, il faut qu'elles soient en mesure de conserver leur domicile.

[Traduction]

M. Marchand : Le marché des prêts hypothécaires inversés est un marché en émergence, même s'il n'est pas encore pleinement fonctionnel. Toutefois, cela pourrait être le genre de solution que vous évoquez, où les adultes plus âgés peuvent récupérer une partie de la valeur de leur maison — de l'argent qu'ils ont investi — et l'utiliser à des fins de consommation.

Les politiques gouvernementales pourraient viser à favoriser ce marché, comme on le fait pour l'économie verte.

[Français]

Le sénateur Forest : On en a vu beaucoup dans des secteurs peu prisés. Prenons l'exemple d'un cours d'eau qui était peu prisé il y a 10, 15 ou 20 ans. Aujourd'hui, il y a des transactions qui font exploser la valeur des propriétés. Cela a créé un déséquilibre dans la capacité des gens qui étaient là depuis 30 ou 40 ans à assumer.

J'ai essayé de mettre en œuvre un bassin où l'on pouvait assumer, notamment pour le gouvernement provincial, qu'il y ait un lien hypothécaire lors de la revente.

M. Béland : C'est une question intéressante, parce qu'historiquement, être propriétaire d'une maison, pour une personne âgée, c'est souvent une protection contre la pauvreté. On montre la corrélation entre les deux. C'est une question importante.

Je pense qu'il faudra penser à des solutions novatrices, parce qu'il est vrai qu'on parlait d'hypothèque renversée, mais il faut que ce soit bien réglementé. On a vu ce qui s'est passé aux États-Unis, et il faut faire attention, mais ici, au Canada, on est plus prudent, et il faudrait continuer dans cette veine. On pourrait imaginer un système où l'impôt foncier pourrait être réduit, du moins dans le cas des propriétaires à faible revenu, des personnes âgées. Cependant, il faut trouver un moyen, trouver l'argent ailleurs, et compenser ces pertes.

Je n'ai jamais vraiment réfléchi à cette question, vous me faites réfléchir, ce qui est très bien, merci. Cependant, il faut penser à des solutions novatrices, parce qu'avec l'augmentation de la valeur des propriétés, il est vrai que, pour des gens qui ne travaillent plus et qui gagnent moins qu'avant, leurs revenus sont plus bas que lorsqu'ils travaillaient, peut- être à 70 p. 100 de ce qu'ils avaient ou peut-être moins. Dans ce cas, il est beaucoup plus difficile de payer l'impôt foncier lorsque la valeur des propriétés augmente. Il faudra trouver une façon de cibler les personnes âgées à faible revenu, surtout dans les villes touchées par l'augmentation très rapide de la valeur des maisons.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Premièrement, en ce qui concerne l'impôt foncier, la Colombie-Britannique offre une subvention relative à l'impôt foncier, qui est offerte à tous, mais ce sont surtout les personnes âgées qui en bénéficient, évidemment. Deuxièmement, il est possible de se prévaloir d'un report d'impôt dès l'âge de 60 ans, et ce, jusqu'au décès. L'impôt est versé à la province au moment de la vente de la propriété. Toutefois, entretemps, la province ne perçoit pas ces impôts.

C'est un excellent mécanisme, pour toutes les raisons que vous avez mentionnées, car ces gens n'arrivaient plus à payer l'impôt foncier en raison de l'augmentation considérable de la valeur de leur propriété. Ces gens vivaient dans la pauvreté, dans une maison d'une valeur de 2 millions de dollars. Ce mécanisme a été mis en place en Colombie- Britannique depuis de nombreuses années déjà.

M. Béland : Vous n'aviez pas vraiment le choix, étant donné la nature du marché immobilier de Vancouver.

Le sénateur Neufeld : Cela a été fait bien avant; ce n'est pas nouveau. Cela existe depuis 10 ou 15 ans.

Le sénateur Woo : J'aurai droit à cette subvention dans un an. Il faut payer des intérêts, mais à un taux inférieur au taux préférentiel. C'est une excellente stratégie financière pour un marché comme celui de Vancouver.

J'ai une question plus longue de portée générale. D'un point de vue historique, l'accumulation de richesse chez les aînés, en particulier ceux de la génération des baby-boomers — si vous me permettez cette généralisation — est-elle sans précédent dans l'histoire moderne? De quel angle doit-on aborder cette richesse accumulée?

On dit que la génération du baby-boom l'a eue facile et que tous les baby-boomers ont eu un emploi à vie, ce qu'appuient des données empiriques. Les jeunes, particulièrement ceux de ma région, Vancouver, se plaignent des inégalités intergénérationnelles sur le plan du revenu, évidemment, mais aussi sur le plan de la richesse.

J'aimerais me concentrer sur la richesse et sur la question de savoir s'il convient de tenir compte des effets de richesse dans nos politiques visant à réduire les inégalités intergénérationnelles. Ma question est vague. Avons-nous des renseignements quelconques sur les caractéristiques comportementales des baby-boomers sur l'utilisation qu'ils font de cette richesse de leur vivant et, si je puis oser le dire, sur ce qu'il advient de cette richesse après leur décès?

Cela pourrait-il représenter une occasion d'orienter les politiques publiques en vue de favoriser une société plus juste, une société où la proportion des personnes défavorisées et les inégalités sont réduites le plus possible?

M. Marchand : Les chiffres confirment le problème que vous avez soulevé. Lorsqu'on examine les taux de pauvreté selon l'âge et qu'on les analyse en fonction de sous-catégories distinctes comme l'effet d'âge, l'effet de cohorte ou les effets cycliques annuels, on constate que les milléniaux et les gens nés à la fin de la génération X sont ceux qui s'en sortent le moins bien, tandis que les baby-boomers sont ceux qui s'en sortent le mieux. C'est ce que révèlent les données.

Le sénateur Woo : Cela a-t-il une incidence sur les politiques publiques?

M. Béland : Je sais que l'impôt sur les successions n'est pas une mesure populaire, mais il conviendrait d'y réfléchir. Je répète que je ne suis pas un spécialiste de ces politiques. À mon avis, il faut faire preuve d'une grande prudence, car cela a suscité des plaintes dans le passé, notamment chez les agriculteurs. Nous devons y réfléchir, par rapport à la population des personnes les plus fortunées, car cet argent pourrait servir à aider les personnes à faible revenu et les jeunes. Je suis conscient que ce n'est pas une mesure populaire, sur le plan politique, et je sais que cela ne fait pas l'unanimité chez les économistes. Certaines personnes la surnomment la « taxe de décès ».

La sénatrice Cools : Premièrement, messieurs, je tiens à vous remercier de vos années de travaux et de recherches et à vous dire que dans des situations de ce genre, tous les sénateurs qui sont ici vous sont très reconnaissants de votre travail. Je sais qu'être boursier est parfois fastidieux et difficile, mais je tiens à vous dire que vous faites un travail remarquable. Vous avez tout mon respect. Comme je lis beaucoup; vos travaux me sont très utiles, à bien des égards.

M. Béland : Merci.

La sénatrice Cools : En ce qui concerne les baby-boomers et les raisons pour lesquelles ils sont parvenus à se tirer si bien d'affaire, sur le plan de la richesse, cela pourrait-il être lié au double revenu, puisque dans un couple, l'homme et la femme travaillent? Est-ce un facteur dans l'accumulation de la richesse? C'est une question qui m'est venue tandis que j'écoutais le sénateur Woo.

Ma véritable question a une portée plus large. Vous avez mentionné, presque en passant, que beaucoup de jeunes femmes dans la vingtaine et la trentaine vivent dans la pauvreté. C'est un enjeu qui nous interpelle tous, vous comme moi. Je vous serais reconnaissante de répondre à ces questions.

M. Marchand : En ce qui concerne les ménages à deux revenus, ce phénomène statistique ne touche pas uniquement la génération des baby-boomers. Donc, l'avantage d'avoir des couples formés de personnes hautement scolarisées et ayant un revenu élevé vaut toujours pour la génération X et les milléniaux.

Quant aux jeunes femmes dans la vingtaine et la trentaine, j'ai analysé les tendances relatives à la pauvreté dans un document de suivi du travail que j'ai réalisé en collaboration avec Tim Smeeding. J'ai examiné ces tendances dans l'ensemble de la distribution par âge en fonction de la cohorte d'âges et des effets annuels, comme je l'ai indiqué plus tôt. J'ai toutefois omis un phénomène lié à la pauvreté, même si j'y ai fait allusion; Tim Smeeding et moi l'appelons le « pic universitaire ». Lorsqu'on regarde les tendances du taux de pauvreté en fonction de l'âge, on voit une courbe en forme de « U », mais dont le côté gauche est plutôt en pente douce.

On observe un déclin de l'enfance à l'âge de l'entrée dans la population active, mais à compter de 1990 — ce sont les données américaines, encore une fois, mais cela se confirme dans l'ensemble des pays de l'OCDE —, on observe une augmentation abrupte chez les personnes de 18 à 24 ans. Le taux de pauvreté commence à décliner dans cette partie du « U », puis il augmente de façon marquée à l'âge de 18 ans avant de redescendre autour de 24 ans. Ensuite la baisse se poursuit.

Mes travaux ne sont pas assez avancés pour me permettre de savoir à quoi cela est attribuable. Lorsque je parle d'un pic universitaire du taux de pauvreté, je ne parle pas nécessairement des gens inscrits à l'université, mais des gens de cette tranche d'âge en général. Cependant, la situation est bien pire chez les femmes que chez les hommes. Le pic est beaucoup plus prononcé chez les femmes que chez les hommes, mais je ne suis pas assez avancé pour en connaître précisément la cause.

La sénatrice Cools : C'est évidemment contraire à toutes les informations selon lesquelles les femmes se tirent bien d'affaire et sont des chefs de file dans divers domaines. Donc, c'est contraire à tout ce qu'on entend habituellement.

Le président : Monsieur Béland, souhaitiez-vous répondre aussi?

M. Béland : Je pense qu'un des enjeux importants, dans le cas présent, est celui des prêts étudiants. Ils sont évidemment de plus en plus élevés, de nos jours, en raison des taux d'attrition plus élevés. Ils sont extrêmement élevés aux États-Unis, mais dans la plupart des provinces canadiennes — le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador ont des taux d'attrition plus faibles —, on a observé une hausse marquée. De nos jours, les gens étalent le remboursement de leurs prêts étudiants sur des décennies; ils ne les remboursent plus deux ou trois ans après l'obtention du diplôme. Il faut beaucoup de temps pour rembourser un prêt étudiant de 100 000 $, surtout lorsqu'on ne trouve pas l'emploi de ses rêves après l'obtention du diplôme. C'est un problème qui peut certainement empêcher les gens d'épargner. Parfois, ceux qui poursuivent des études supérieures et qui obtiennent un doctorat dans la trentaine ne peuvent commencer à épargner en vue de leur retraite avant l'âge de 50 ans parce qu'ils doivent rembourser leur prêt étudiant, ce qui peut parfois prendre jusqu'à 20 ans. Donc, cela peut être un fardeau important qui peut nuire considérablement au bien-être économique des gens et à leur capacité d'épargner pour leur retraite.

Nous devrions réfléchir à cela aussi, mais encore une fois, il convient de faire davantage de recherches à ce sujet. Notre ami fera des recherches et vous fournira des réponses ultérieurement.

La sénatrice Cools : Si vous pouviez nous fournir tout article que vous pourriez avoir rédigé à ce sujet, nous vous en serions reconnaissants.

Le président : Nous allons conclure le premier tour avec le sénateur Neufeld, puis nous commencerons le deuxième tour avec la sénatrice Andreychuk.

Le sénateur Neufeld : Premièrement, je suis heureux que vous ayez décrit ce dont le sénateur Woo a parlé dans sa question sur la redistribution de la richesse comme étant une « taxe de décès », car c'est exactement de cela qu'il s'agit.

Quel est le seuil d'admissibilité? Je ne sais pas ce qu'il en est, mais je crois vous avoir entendu dire que c'était 110 000 $ ou quelque chose du genre.

M. Béland : C'est près de 120 000 $. Au-delà de ce montant, tout est récupéré. C'était beaucoup plus bas au milieu des années 1970; cette récupération fiscale réduit une partie de la pension de la SV. Ensuite, rendu au seuil de près de 120 000 $... Cela augmente chaque année en raison de l'indexation. Il y a de nombreuses dispositions fiscales, et la récupération fiscale est indexée.

Le sénateur Neufeld : Quel devrait être le seuil? Vous avez indiqué que nous devrions songer à le réduire et à redistribuer...

M. Béland : Il n'est pas nécessaire de le réduire. Il suffit de mettre un terme à l'indexation, ou du moins de le faire de façon à ce que cela n'augmente pas aussi rapidement. Ainsi, au fil du temps, plus de gens cesseront de recevoir une pension de SV complète; ils ne pourront garder cet argent. Il faut laisser le temps faire son œuvre.

En fait, c'est ce que le gouvernement Mulroney a fait en 1989 lorsqu'il a instauré cette mesure. Initialement, l'augmentation devait être moins rapide, de façon à ce que le nombre de personnes n'ayant pas droit à la pension de la SV augmente au fil du temps. Le ministre des Finances de l'époque, Paul Martin, a annulé cette décision il y a 15 ou 16 ans, mais nous pourrions certainement revoir le système d'indexation. Il n'est pas nécessaire de réduire le montant; il suffit de le maintenir au niveau actuel ou de l'augmenter plus lentement. Ainsi, moins de personnes seront admissibles aux prestations de la SV. Il suffit de laisser le temps faire son œuvre. La plupart des gens ne s'en rendront compte que lorsqu'il sera trop tard. Donc, sur le plan politique, le gouvernement Mulroney a été astucieux lorsqu'il a adopté cette mesure en 1989.

Le sénateur Neufeld : Si vous procédiez ainsi, quelles sommes cela pourrait-il dégager pour aider les gens de la tranche inférieure? Je suppose que vous avez étudié la question, puisque vous en avez parlé.

M. Béland : Encore une fois, cela dépend de la durée du gel de l'indexation ou de l'indexation à un taux inférieur. Je n'ai pas de chiffre précis, puisque cela dépendrait de la décision de mettre un terme à l'indexation ou non, mais vous pourriez réaliser des économies considérables. C'est d'ailleurs pour cette raison que le gouvernement Mulroney l'a fait en 1989. Nous pourrions assez facilement évaluer les économies réalisées au fil du temps. Je ne l'ai pas fait, mais vous pourriez manifestement économiser, étant donné que moins de gens recevraient des prestations.

Le sénateur Neufeld : Nous pourrions demander aux analystes du Sénat de déterminer le montant. C'est une possibilité.

M. Béland : Cela dépend du rythme auquel vous voulez l'augmenter. Vous pourriez aussi choisir de cesser l'indexation pendant un certain temps, ce qui donnerait un résultat très différent. Vous pourriez réaliser des économies, évidemment, mais cela dépend de la solution que vous choisirez.

Le sénateur Neufeld : Vous avez indiqué que la Suède offre des pensions plus généreuses. J'ai peut-être mal compris. Vous pourriez m'aider à comprendre. Je crois simplement que le coût de la vie est plus élevé en Suède que dans certaines régions du Canada. Je ne parle pas de Vancouver ou de Toronto, mais plutôt dans bon nombre des autres régions du pays. Êtes-vous d'accord avec moi sur ce point?

M. Béland : Je fais de la recherche comparative. En Suède, le taux de cotisation au régime de retraite — le taux combiné — est de 18,5 p. 100. Il faut donc comparer cela au RPC et étudier le résultat qu'on obtiendrait après l'augmentation. Ce serait beaucoup plus faible. Je pense qu'il est important de le comprendre. Les Suédois paient beaucoup plus d'impôt que nous.

Dans des pays comme l'Allemagne et la France, les gens paient encore plus d'impôt, car leurs cotisations sont encore plus élevées. Au Canada, étant donné que notre régime est relativement ciblé... Même après l'expansion, le taux de remplacement du Régime de pensions du Canada ne sera que de 33 p. 100, ce qui est relativement bas comparativement aux régimes de pension de nombreux pays européens. Voilà pourquoi j'estime qu'il faut miser là-dessus et nous concentrer sur les gens qui sont vraiment dans le besoin.

Le régime de pension de la Suède est, de toute évidence, plus coûteux que le nôtre. Je ne dis pas que nous devrions imiter ce pays. Je pense que nous pouvons adopter des mesures ciblées plus efficaces. L'approche suédoise n'est pas vraiment axée sur cet aspect.

Le sénateur Neufeld : Vous avez indiqué que les milléniaux ont le sentiment d'avoir été laissés pour compte et que les baby-boomers ont tout eu. On ne nous a pas donné ce surnom, mais lorsque j'étais beaucoup plus jeune — le même âge que les jeunes de cette génération —, j'avais l'impression que tous les autres avaient tout alors que j'étais si pauvre. C'était un fait. J'étais un jeune homme ordinaire; je ne possédais pas grand-chose.

Donc, je comprends ce que vous dites; c'est le portrait qu'on brosse de la situation, mais ce n'est pas très différent de la situation qui prévalait lorsque la sénatrice Marshall et moi étions jeunes. Êtes-vous d'accord? Je n'aime pas particulièrement la comparaison, mais les choses étaient ainsi. Je travaillais fort.

Le président : Monsieur Marchand, monsieur Béland, avez-vous des commentaires?

M. Marchand : Oui. Vous soulevez un point intéressant, évidemment. Cela dit, nous ne savons pas quelle sera la situation des gens de cette génération lorsqu'ils atteindront la cinquantaine ou la soixantaine. Ils pourraient très bien être beaucoup mieux nantis que la génération des baby-boomers. Cela pourrait aller dans un sens ou dans l'autre.

Toutefois, lorsqu'on examine les effets de cohorte des données américaines des 28 dernières années, on voit que les milléniaux sont ceux qui s'en sortent le moins bien. Vous avez donc raison de dire que les baby-boomers sont les mieux placés.

Je dirais que cela nous amène à un enjeu plus vaste dont je n'ai pas encore parlé, soit le fait que les milléniaux et les cohortes subséquentes retardent leur entrée sur le marché du travail, et c'est l'une des raisons pour lesquelles ils sont au bas de l'échelle, lorsqu'on examine les statistiques sur la pauvreté. Si c'est ce que l'avenir nous réserve, au Canada, aux États-Unis et dans les autres pays de l'OCDE — je parle d'une situation où les gens renforcent davantage leur capital humain, retardent leur entrée sur le marché du travail et restent plus longtemps au bas de l'échelle —, il conviendrait alors de modifier nos politiques en conséquence. À mon avis, une partie de la solution est de cibler les fonds vers la période où les gens investissent dans leur capital humain. Il ne s'agit pas nécessairement de cibler certaines cohortes, mais plutôt de cibler certains groupes d'âge afin de les aider à intégrer le marché du travail et leur offrir la possibilité de se doter d'un patrimoine, à l'instar des baby-boomers.

M. Béland : Je suis d'accord.

Le sénateur Moncion : Sénateur Neufeld, vous avez indiqué que vous n'aviez pas d'argent, dans votre jeunesse. De nos jours, pour l'achat d'une maison, la jeune génération est confrontée à divers obstacles. Lorsque j'ai acheté ma première maison, j'avais un salaire annuel d'environ 25 000 $, et ma maison coûtait trois fois ce montant. Donc, j'ai acheté une maison de 75 000 $ avec un salaire de 25 000 $, et j'arrivais financièrement.

De nos jours, nos jeunes ont peut-être des salaires de 100 000 $, mais le prix des maisons est de 500 000 $, 600 000 $ ou 700 000 $. Le ratio dont nous avons bénéficié, le triple, est chose du passé. Tout a augmenté.

Vous parliez des prêts hypothécaires inversés. Un moment donné, nos jeunes ne pourront plus acheter une propriété, car les prix seront trop élevés. Les gens de la génération antérieure ne pourront plus les vendre, faute d'acheteurs de la jeune génération. Les propriétaires locateurs d'appartements seront ceux qui feront de l'argent, puisque c'est la seule chose que les jeunes auront les moyens de payer.

Il vient un moment où les personnes plus âgées doivent quitter leur maison; la conserver n'est pas la chose à faire. C'est ainsi que je vois les choses. Quoi qu'il en soit, pour vendre sa maison, cela prend des acheteurs. Il y a de moins en moins d'acheteurs sur le marché, parce que nos jeunes n'ont pas les moyens d'acheter une maison. Certains ont les moyens, mais beaucoup ne peuvent se le permettre. Ce qu'ils disent aux gens de notre génération, c'est que sans notre aide pour acquérir une maison, ils ne deviendront jamais propriétaires. Il y a un changement de génération, actuellement.

Ma question porte sur la politique gouvernementale actuelle en matière de prêts hypothécaires. Les jeunes sont confrontés à des critères plus contraignants; ils doivent composer avec des taux d'intérêt plus élevés pour l'achat d'une maison. Cela aura une incidence sur le marché. Quel sera cet effet, à votre avis?

M. Marchand : Je reconnais que c'est maintenant devenu un problème grave. Cela pourrait être évitable, si on observait une augmentation des transferts de la maison familiale des parents aux enfants. Cela pourrait être la solution en soi. Est-ce déjà le cas? Non. Toutefois, si cela devait se produire, cela pourrait atténuer le problème.

La question est de savoir si nous pensons que cela va se produire, ce qui réglerait le problème, ou si le problème prendra une ampleur aussi grave que celle que vous anticipez. Je ne connais pas la réponse.

La sénatrice Moncion : Les gens vivent plus longtemps, de sorte qu'on se retrouve avec une population vieillissante, mais mieux nantie. Toutefois, ces gens auront éventuellement besoin de liquidités lorsqu'ils devront être hébergés dans un foyer de soins infirmiers, ce qui coûte très cher, de nos jours. La richesse accumulée se compte en milliards et en milliers de milliards de dollars. J'ai des chiffres à l'esprit, mais je n'ai pas les données réelles pour le moment. On a indiqué qu'il y a plus de 7 300 milliards de dollars en fonds communs de placement. Il y a environ 500 milliards de dollars dans les REER, et je crois qu'il y a 9 400 milliards dans les comptes d'épargne libres d'impôt. Donc, oui, l'argent est là, sans aucun doute. Le fait est qu'il y a beaucoup d'argent; la question est de savoir qui va le dépenser.

M. Béland : Il y a certes beaucoup d'argent, mais comme vous le savez, cet argent n'est pas redistribué de façon équitable. Certains ont les moyens d'être hébergés dans des foyers de luxe; ils sont dans une situation enviable. D'autres doivent s'en remettre au système public et ont vraiment de la difficulté à joindre les deux bouts.

L'industrie des centres de soins est en croissance. Je parle du potentiel économique du vieillissement de la population. C'est une industrie en croissance. Certains ont les moyens de payer pour être hébergés dans ces centres, et c'est tant mieux. Toutefois, je pense davantage aux personnes qui sont laissées pour compte. Il y a en effet beaucoup de gens qui ne peuvent pas économiser en vue de leur retraite ou qui ne le font pas. Ces gens n'ont pas de REER. C'est sur ces gens que nous devrions nous concentrer.

Vous avez cependant raison de dire que des sommes considérables ont été accumulées au fil du temps. Cela a même transformé le capitalisme. Nous avons ici un économiste qui pourra vous en parler, contrairement à moi, car je ne suis pas économiste. Cette situation a eu un effet marqué sur notre économie. Les caisses de retraite sont un levier économique extrêmement important, mais elles ont aussi des conséquences dramatiques. Il convient de ne pas oublier que malgré toute cette richesse, beaucoup de gens n'ont pas de régime de pension agréé ou de REER, et que c'est vers ces personnes que nous devons cibler les mesures visant à renforcer la sécurité économique des aînés. Il convient de ne pas les oublier.

Le contraste est frappant : d'une part, il y a ces sommes astronomiques accumulées dans les caisses de retraite et, d'autre part, il y a les nombreuses personnes qui n'ont pas de régime de retraite professionnel ou qui n'ont pas épargné pour leur retraite. L'enjeu, ici, c'est l'inégalité qui caractérise la société dans laquelle nous vivons; il convient de garder cela à l'esprit. Ce contraste est très troublant.

M. Marchand : J'ai deux brèves observations. Premièrement, à l'instar du marché des hypothèques inversées, le marché des soins de longue durée est un marché émergent qui n'a pas atteint la maturité. Il convient certainement de favoriser son développement, comme celui des hypothèques inversées.

Ma deuxième observation est liée aux propos du sénateur Woo. Il faut inciter les gens à prendre certaines décisions et à adopter certains comportements. Sur le plan des politiques, il conviendrait peut-être de réfléchir au type de politique qui favoriserait le transfert de richesse.

La sénatrice Andreychuk : Prenez l'exemple de la Suède, où la mentalité est totalement différente de la nôtre. Les gens sont favorables à l'intervention de l'État et sont prêts à payer beaucoup plus d'impôt. Je ne pense pas que ce soit la façon de faire canadienne, d'où la grande difficulté d'utiliser cet exemple. Il semble cependant que nous y revenons continuellement. Je vais en rester là.

Nous n'avons pas abordé un aspect dont j'entends beaucoup parler; cela me ramène au point soulevé par le sénateur Neufeld. Nous avons grandi dans un pays où notre génération tentait de faire mieux que la génération précédente. Nos parents nous ont aidés, et nous étions des épargnants. Maintenant, je pense que les gens sont dépensiers, à commencer par les baby-boomers, et même les milléniaux. Je pense que cela se voit dans les petits détails, lorsqu'il est question des mesures à prendre par rapport à la pension et que certains répondent qu'ils vont gagner à la loterie. Bien entendu, c'est le cas de peu de gens.

Beaucoup de suggestions que vous nous avez présentées visent des gens qui mettront de l'argent de côté, mais pour être franche, quand j'avais 25 ou 35 ans, je ne voulais pas entendre parler de pension, et je pense que cela n'a pas changé chez les jeunes d'aujourd'hui.

Lorsque vous procédez à l'étude comparative, à l'aide de toutes les données sur les générations antérieures, comment tenez-vous compte du fait qu'ils dépensent plus et qu'ils s'endettent en utilisant leurs cartes de crédit personnelles, notamment? Je pense qu'on a affaire à des concepts distincts. C'est la première question.

L'autre est liée aux femmes, dont on parle continuellement, et à leur rôle de soignantes, ce qui est très révélateur de la situation qui prévalait dans les années 1920 et 1930. Je pense que cela en dit long sur la pauvreté qui les touche.

Qu'en est-il des grands-parents actuels? On dit qu'ils sont bien nantis. Beaucoup d'entre eux aident leurs petits- enfants; on en entend d'ailleurs de plus en plus parler. Ils semblent peut-être avoir assez d'argent, mais quand ils auront payé pour tout le monde... N'essayons-nous pas de régler un enjeu générationnel qui évolue constamment?

M. Marchand : En ce qui concerne les épargnants et les dépensiers, le point de vue optimiste consiste à croire qu'ils ont remis l'épargne à plus tard. Actuellement, les milléniaux dépensent et n'épargnent pas. Ils ont l'intention d'épargner, mais ils investissent peut-être dans leur capital humain et reportent ces choses jusqu'à un âge où ils pourraient avoir un emploi mieux rémunéré, espérons-le, de sorte qu'ils accumuleront et épargneront plus tard dans la vie. C'est du moins une façon optimiste de voir les choses. C'est à espérer. Je ne sais pas si c'est vrai ou non.

M. Béland : Je trouve intéressant le point que vous avez soulevé au sujet du transfert intergénérationnel. Nous n'avons pas toujours des données à cet égard, puisque ce n'est pas du domaine public. Cela dit, il est vrai que les grands-parents et les parents aident leurs enfants à acheter une maison, à rembourser leurs prêts étudiants, et cetera. Nous pouvons avoir des données là-dessus, mais avec difficulté. Il y a beaucoup de transactions de nature privée entre membres d'une même famille, mais on ne peut miser là-dessus. Cela fonctionne dans certaines familles, mais pas dans d'autres, car les parents n'ont pas nécessairement les moyens. Il peut aussi y avoir des conflits ou d'autres problèmes.

Voilà pourquoi nous avons un État providence et des politiques publiques : certaines familles sont brisées; parfois, la solidarité familiale n'existe pas. Si vous avez la chance d'avoir des parents qui ont de l'argent et qui veulent le partager, tant mieux pour vous, mais d'autres personnes n'ont pas du tout cette chance. Il ne faut pas oublier cela.

La sénatrice Andreychuk : Il y a 30 ou 40 ans de cela, nous avions la Parents Maintenance Act, en Saskatchewan. Je ne sais pas si elle existe encore. Les parents avaient l'obligation de s'occuper de leurs enfants; en revanche, les enfants étaient aussi responsables de leurs parents démunis.

Je ne sais pas combien de temps cette loi a été en vigueur, mais c'était une politique publique intéressante qui visait les responsabilités de la famille et du gouvernement de la province. Je crois que d'autres provinces avaient aussi adopté une telle loi. Je ne sais pas si elle existe encore.

M. Béland : La Chine a adopté une loi similaire il y a quelques années pour forcer les enfants à prendre soin de leurs parents, mais je ne crois pas que ce soit la meilleure façon de faire pour la société. Cela soulève de nombreuses questions relatives aux droits individuels.

La sénatrice Andreychuk : Ce que je veux dire, c'est qu'il y a eu de nombreuses tentatives de transfert et je me demande si cela fonctionne.

M. Béland : Oui, je suis d'accord.

La sénatrice Marshall : Nous parlions du taux de pauvreté des aînés. Vous dites que nous avons réalisé d'importants progrès. Toutefois, en termes de pourcentages, il y a plus d'enfants que de personnes âgées qui vivent dans la pauvreté. Le taux de pauvreté des personnes âgées diminue parce que nous avons mis en place de nombreux programmes comme le Supplément de revenu garanti et la Sécurité de la vieillesse. Est-ce que la prestation aux enfants a eu une incidence sur le nombre d'enfants qui vivent dans la pauvreté? Avez-vous pu mesurer cela ou est-il trop tôt pour le faire?

M. Marchand : Cette politique semble efficace, mais elle ne permettra pas de réduire les taux de pauvreté aussi efficacement que ce que nous avons connu entre les années 1960 et les années 1990 pour les aînés. Les taux de pauvreté ont baissé très rapidement et on a beaucoup investi pour régler le problème.

La sénatrice Marshall : Pouvez-vous nous donner un chiffre ou un pourcentage de réduction de la pauvreté chez les enfants au cours des dernières années? On a modifié la prestation aux enfants l'année dernière, mais elle était tout de même offerte depuis quelques années. Est-ce que quelqu'un comptabilise les chiffres pour mesurer le succès de ces programmes au cours des dernières années?

M. Marchand : Je crois que oui. Je n'ai peut-être pas les chiffres pour le Canada, mais je pourrais au moins vous donner ceux des États-Unis. Je pourrais vous revenir à ce sujet.

La sénatrice Marshall : Ce serait très bien. Merci beaucoup.

Nous parlions de cibler les programmes pour réduire la pauvreté chez les aînés. Avez-vous songé à offrir un revenu garanti aux personnes âgées plutôt que de mettre en œuvre des programmes d'aide financière ciblés, de sorte que toutes les personnes âgées de 65 ou 67 ans et plus aient droit à un certain revenu? Avez-vous étudié la question?

M. Béland : Non. On pourrait le faire et d'une certaine façon, le Supplément de revenu garanti et la Sécurité de la vieillesse ont un effet similaire, même si le revenu garanti constitue une politique distincte. Tout dépend du montant minimal fixé, parce que cela pourrait coûter très cher. Cela dépend de la façon de faire.

Nous testons le revenu garanti ici au Canada et dans d'autres pays comme la Finlande, pas seulement pour les personnes âgées, mais de façon générale. Nous avons des données provenant d'études précédentes, mais je crois qu'il faut étudier la question dans le contexte actuel. J'hésiterais à adopter une telle politique sans avoir les résultats des expériences en cours.

Il faut regarder ce qui se passe au Canada, mais aussi dans d'autres pays qui ont recours à une telle politique, comme la Finlande. Oui, le Canada est différent et je ne dis pas qu'il faut faire exactement comme les autres, mais il faudrait tenir compte de ces expériences, parce que nous pouvons certainement tirer des leçons des autres pays.

La sénatrice Marshall : Il n'y a pas qu'une seule solution; il y a de nombreuses solutions et il faut choisir la plus efficace.

M. Béland : Tout à fait. Je suis d'accord avec vous.

[Français]

Le sénateur Forest : Comme mon père disait : « Pas besoin de passer d'entrevue, regarde un gars marcher, tu vas savoir s'il est vaillant. » Je suis un peu de ce style.

Vous avez tous les deux travaillé aux États-Unis, vous avez peut-être remarqué que, par le passé, beaucoup de personnes âgées travaillaient dans des épiceries comme emballeurs, par exemple. Aujourd'hui, on s'aperçoit que ces mêmes personnes âgées sont passées à un autre niveau, si je puis dire, parce qu'on les voit maintenant dans les bureaux d'information, dans les clubs de golf. Ceux qui occupent ces emplois peuvent même avoir un léger handicap intellectuel parfois.

Au Canada, le défi d'assurer une relève est énorme. Pour assurer notre niveau de productivité, pour maintenir le PIB, la relève compte pour beaucoup. L'immigration est une solution, mais ce n'est pas la solution complète ou unique. Comment envisagez-vous la relève dans nos organisations, et dans nos entreprises?

Constatez-vous également que les personnes âgées qui n'ont pas les revenus nécessaires occupent des emplois, que ce soit dans les épiceries, dans le commerce de détail ou ailleurs, pour compenser un manque de revenus? Avez-vous constaté ce phénomène au Canada?

[Traduction]

M. Marchand : À cet égard, les changements à long terme sont presque trop importants pour qu'on puisse envisager l'avenir. À l'heure actuelle, certaines personnes âgées occupent ces postes et ce sera probablement le cas aussi dans un avenir rapproché. À long terme, les machines remplaceront peut-être les humains pour effectuer ces tâches routinières. À l'heure actuelle, certaines personnes âgées qui ont quitté leur emploi permanent font une transition et travaillent un peu pendant leur retraite, mais ces emplois routiniers n'existeront peut-être plus à l'avenir. Il nous faudra donc comprendre les changements à long terme.

Certains auteurs ont publié des articles intéressants à ce sujet, surtout David Autor du MIT et ses coauteurs, mais c'est un phénomène nouveau et je crois qu'on ne pourra pas tirer de conclusion au sujet du vieillissement avant de comprendre ce changement à long terme.

[Français]

M. Béland : Il s'agit d'une question importante pour ce qui est de la relève. On n'a pas abordé beaucoup la question de l'immigration et la façon dont nos politiques d'immigration sont conçues. On a mis beaucoup l'accent sur le système de points. Une partie de la réponse provient de l'immigration, mais aussi des conditions de travail et du salaire minimum. Si on est retraité et qu'on a déjà d'autres revenus, on peut se permettre de travailler au salaire minimum ou un peu au-dessus, pour compléter les revenus qu'on a déjà. Cependant, s'il s'agit du seul revenu, ou même si on travaille à temps partiel parce qu'on ne veut pas travailler à temps plein ou qu'on travaille à temps plein, mais au salaire minimum, il est très difficile de gagner sa vie et de passer au-dessus du seuil d'un faible revenu.

Il faut penser à cela et investir dans ces emplois. Il faut que ces emplois soient attrayants d'une façon ou d'une autre. S'ils ne le sont pas, ils vont disparaître et seront remplacés par des robots. D'autres emplois ne disparaîtront jamais et il faudra trouver des gens pour les occuper.

Les employeurs devront faire preuve d'imagination et offrir des salaires décents. C'est important, parce que cette économie qui comprend des personnes âgées qui travaillent à temps partiel ne permettra pas de construire une économie à long terme.

C'est vrai qu'il y a un nombre grandissant de personnes âgées qui travaillent à temps partiel après la retraite; parfois, c'est simplement parce qu'elles s'ennuient et qu'elles veulent s'occuper et sortir de la maison. Il s'agit parfois de gens qui partent à la retraite assez tôt, à la fin de la cinquantaine ou au début de la soixantaine, mais qui continuent à travailler après pendant 10 à 15 ans, souvent à temps partiel. Ils reçoivent une pension et ils travaillent. Cette réalité fait partie de l'économie, et il faut en tenir compte.

Il y aura aussi une relève de futures personnes âgées qui travailleront à temps partiel, parce qu'on les y encouragera. Il faudra, par contre, que les employeurs fassent des investissements s'ils veulent attirer des jeunes pour travailler à temps plein dans ces secteurs. C'est une question importante, mais il n'y a pas de solution facile.

Les jeunes d'aujourd'hui ont souvent l'envie de faire toutes sortes de choses et à travailler, mais ils n'arrivent pas à trouver un emploi à temps plein ou, à tout le moins, un emploi bien rémunéré qui leur permettra de vivre dans des conditions ou dans des milieux tels que les grandes villes où les coûts de logement ont augmenté de façon importante. Il faut penser à cela aussi. Les employeurs devront trouver des solutions.

Le président : Nous allons terminer avec le sénateur Woo.

[Traduction]

Le sénateur Woo : J'aimerais faire un commentaire, rapidement, avant de vous poser une question. Vous êtes tous deux experts en sciences sociales et je sais que vous aimez vous fier aux expériences dans le vrai monde pour comparer les diverses politiques publiques. Je vous recommande de vous pencher sur l'expérience bien réelle de l'Alberta et de la Saskatchewan, en réponse à une diminution globale du prix des produits; des réponses très différentes. Il ne s'agit pas d'une question futile. Les conséquences se feront sentir sur la production et l'inflation, mais aussi sur les indicateurs sociaux, notamment les indicateurs de la santé et les indicateurs associés aux personnes âgées. Vous devriez continuer de vous parler.

Ma question est d'ordre factuel ou du moins, elle se fonde sur les projections. Combien d'années faudra-t-il avant que le profil démographique des aînés atteigne son sommet et qu'il se stabilise, si l'on veut, étant donné l'espérance de vie actuelle?

M. Marchand : J'aimerais revenir sur votre commentaire.

Le sénateur Woo : La sénatrice Andreychuk vous a demandé quelle était la norme : quand le rapport de dépendance correspondra-t-il à la moyenne de l'OCDE? Est-ce que cela vous aide?

La sénatrice Andreychuk : Merci.

M. Marchand : Pour revenir à votre commentaire sur l'expansion et le ralentissement, en plus d'étudier le vieillissement, j'étudie aussi les effets du marché du travail local sur l'expansion et le ralentissement du secteur de l'énergie dans l'Ouest canadien. Ce qui est intéressant, c'est qu'une grande partie des avantages associés à l'augmentation des revenus n'a pas disparu avec le ralentissement. Cela remonte aux années 1970 à 1980. Ce n'est peut- être pas le cas pour le ralentissement actuel. J'attends la publication des données du recensement, mais je pourrais vous revenir à ce sujet.

En ce qui a trait aux projections relatives à l'âge, le rapport de dépendance est assez intéressant. On constate une augmentation de ce rapport chez les aînés, mais une diminution du nombre d'enfants dépendants également. On ne parle pas de la même ampleur, mais dans une certaine mesure, il y a un certain déplacement favorable à cet égard. Ce ne sera peut-être pas le cas à plus long terme, mais selon mes projections, c'est ce qui se produira au cours des 20 ou 25 prochaines années. Je ne sais pas si vos projections ressemblent aux miennes.

M. Béland : Il ne faut pas oublier les variations régionales, que vous avez étudiées en comité, et qui sont très importantes. Elles varient selon les cycles économiques. En Saskatchewan, par exemple, la situation s'est améliorée par rapport aux deux recensements précédents : le pourcentage de personnes de 65 ans et plus a diminué, parce qu'un plus grand nombre de personnes habitent la province ou parce que des jeunes viennent y travailler, comme c'est le cas en Alberta depuis longtemps. Or, on ne sait pas ce qui arrivera, parce que l'Alberta et la Saskatchewan connaissent un ralentissement. Voilà qui rejoint votre commentaire.

La situation est quelque peu incertaine à l'heure actuelle en Saskatchewan, en raison du contexte économique, mais dans le Canada atlantique et même au Québec, le pourcentage de personnes de 65 ans et plus est plus élevé, et cette tendance devrait se maintenir. Ces disparités régionales sont très importantes et auront une incidence sur les dépenses du gouvernement fédéral, mais aussi sur les habitudes de dépenses des provinces. Le fardeau de certaines provinces est plus lourd en ce qui a trait aux soins de longue durée et aux soins de santé généraux offerts aux personnes âgées.

Je crois que ces disparités sont importantes et je n'ai pas parlé des territoires, dont la population est très jeune en moyenne et dont nous ne parlons pas beaucoup. Nous nous centrons sur les provinces. Bien sûr, les territoires représentent un pourcentage relativement faible de notre population, mais ils sont confrontés à des défis très différents de ceux des provinces. Leur population est très jeune et le pourcentage d'Autochtones est très élevé, surtout au Nunavut.

Pour ce qui est des Autochtones, l'espérance de vie des Inuits, des Premières Nations et des Métis n'est pas la même : les Inuits vivent beaucoup moins longtemps que les Premières Nations et les Métis. Il y a donc des défis importants auxquels il faut s'attaquer au Nunavut, par exemple, et j'aimerais attirer votre attention sur ce sujet.

On se plaint que les gens qui vivent vieux coûtent cher à l'État, mais il faut accroître l'espérance de vie de tous les groupes de population du Canada et surtout réduire les écarts entre ces groupes. Ces écarts sont très importants entre les Autochtones et les non-Autochtones, surtout entre les Inuits et le reste de la population. Nous devons aussi aborder cette question et y réfléchir en tant que Canadiens.

Le président : En guise de conclusion, je tiens à vous remercier, au nom du Sénat du Canada, de votre présence ici ce soir et de nous avoir fait part de vos idées. Vos commentaires ont été très instructifs. Je sais que vous avez l'ordre de renvoi. Si vous souhaitez y ajouter des renseignements, veuillez le faire par l'entremise de notre greffière. Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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