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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 31 - Témoignages du 3 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 3 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 18 h 47, pour étudier le programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures.

La sénatrice Anne C. Cools (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Je souhaite la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales à tous les téléspectateurs au Canada qui ont jugé bon d'allumer leur téléviseur. C'est pour moi un grand honneur que de représenter, ce soir, notre cher président, le sénateur Mockler, qui, comme vous le savez, est à l'extérieur avec un autre comité sénatorial. Il m'a demandé de lui faire la faveur de présider cette réunion à sa place. J'ai répondu que je le ferais avec plaisir, et me voilà donc.

Pour le bénéfice de tous les Canadiens qui suivent cette réunion et qui me regardent, je précise que ce comité, le Comité sénatorial permanent des finances nationales, a pour mandat d'étudier les questions financières, soit les prévisions budgétaires ainsi que les comptes publics, comme nous les appelons, soit deux documents représentant les finances du gouvernement, autrement dit, les finances publiques.

Je suis la sénatrice Cools, de l'Ontario, et je suis vice-présidente de ce comité.

Ce soir, comme je l'ai dit, je ne ressemble pas au sénateur Mockler, mais j'espère le remplacer de façon admirable. Je demande à mes collègues qui siègent au comité d'avoir la bonté et la générosité de se présenter. Nous pourrions peut- être commencer par le sénateur Woo.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Pratte : Sénateur André Pratte, du Québec.

La sénatrice Moncion : Sénatrice Lucie Moncion, de l'Ontario.

Le sénateur Forest : Sénateur Éric Forest, de la région du golfe du Saint-Laurent, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Eaton : Sénatrice Nicole Eaton, de Toronto.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La vice-présidente : Merci. La salle est assez remplie ce soir.

Je tiens aussi à mentionner aux téléspectateurs que, ce soir, nous poursuivons notre étude sur le programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures. Pour ceux que ça intéresse, le comité des finances nationales a amorcé cette étude spéciale le 4 mai 2016, il y a pratiquement un an. Il a depuis tenu 15 réunions et a entendu 40 témoins au sujet de ce programme du gouvernement fédéral portant sur les infrastructures.

Il y a deux mois, en fait le 28 février, le comité a présenté au Sénat son premier rapport provisoire, intitulé Mieux planifier, mieux investir : Atteindre le succès en infrastructure.

Ce soir, nous poursuivons nos audiences à ce sujet. Dans la première partie de la réunion, nous recevrons nul autre que notre très distingué directeur parlementaire du budget, Jean-Denis Fréchette, et ses collaborateurs Peter Weltman, directeur principal, Analyse des coûts et des programmes, et Jason Jacques, directeur, Analyse économique et financière. Messieurs, bienvenue à cette réunion du comité. Si vous avez des remarques liminaires, n'hésitez pas à procéder dans l'ordre que vous avez choisi de le faire. Je vous remercie beaucoup, messieurs.

Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci, madame la présidente, c'est un plaisir. Vous êtes trop gentille avec ces paroles flatteuses.

Honorables sénatrices et sénateurs, je suis enchanté d'être ici. Merci de m'avoir invité à poursuivre la discussion à propos du programme des infrastructures, que nous avons amorcée il y a longtemps, et le comité peut continuer à compter sur notre soutien au cours des prochains mois. Les deux collègues qui m'accompagnent feront l'exposé, avec votre autorisation.

Merci de l'invitation pour la semaine prochaine. Comme vous le savez, nous allons comparaître à propos de la réforme du mandat du directeur parlementaire du budget. Nous vous rappelons que nous avons publié aujourd'hui un document de travail pour aider les sénatrices et sénateurs à mieux comprendre ce projet de loi complexe.

Avec votre autorisation, je vais demander à mon collègue, Peter Weltman, de vous présenter notre exposé. Merci.

Peter Weltman, directeur principal, Analyse des coûts et des programmes, Bureau du directeur parlementaire du budget : Je vous remercie. Depuis notre dernier témoignage, nous avions pour objectif de recueillir des données auprès des 32 ministères responsables de l'exécution du plan en matière d'infrastructures du gouvernement. Je pense vous avoir dit la dernière fois 31 ministères. J'en ai trouvé un autre. En continuant notre fouille, nous en trouvons.

Il y a beaucoup d'information. Je me suis efforcé de trouver une façon logique de la présenter et c'est ce qui explique la tonne de documents que vous avez malheureusement devant vous. Je travaille encore avec du papier, ce qui, je suppose, trahit mon âge. Je ne suis pas encore totalement passé à l'ère électronique.

Il y a un tableau. Je le répète, je vais vous faire un portrait instantané des fonds attribués dans le budget et des montants prévus pour la réalisation des projets, ou la valeur de ces projets. Je vais vous donner un aperçu de la façon dont le gouvernement a divisé le programme. Nous jetterons un coup d'œil à certaines — je ne veux pas parler de statistiques — évaluations, essentiellement, de la situation actuelle et des prévisions sur la façon de dépenser les fonds sur deux ans de la phase 1. Simplement pour vous rassurer, les ministères ont raisonnablement bien collaboré pour la collecte de données et nous espérons poursuivre cette étude et revenir. Au fur et à mesure que nous obtiendrons d'autres données sur l'état d'avancement, nous pourrons actualiser ces données de base.

Nous allons commencer par la feuille de format légal. Il s'agit d'un aperçu sous forme d'illustrations de la façon dont les diverses initiatives budgétaires respectent les engagements qui ont été pris. La barre rouge correspond aux sommes affectées à cet engagement en particulier dans le budget de 2016. La barre bleue représente la valeur des projets financés dans le cadre de cet engagement budgétaire.

Vous remarquerez que, bien souvent, les barres bleue et rouge ne s'éloignent pas trop l'une de l'autre et que, parfois, elles s'éloignent passablement. J'en parlerai dans un instant, s'il y a des questions.

Sur l'autre page, il est encore question de progrès et de plans. C'est un aperçu du nombre de projets qui devaient être amorcés après l'adoption du budget de 2016, soit plus ou moins 8 600. Nous faisons actuellement le suivi d'environ 8 900 projets.

Il y a une colonne sur les projets déclarés amorcés. Au premier coup d'œil, sur les 8 500 projets, seulement 262 sont amorcés. Je tiens à vous rappeler que ces chiffres s'appuient exclusivement sur les données fournies par les ministères et les promoteurs des projets. Nous ne pouvons expliquer la situation qu'en fonction des données que nous avons en main. Ainsi, pour avoir l'heure juste, il faudrait se rendre sur place pour constater de visu. Certaines données réelles sur les projets devraient nous être transmises au cours du prochain mois. Avec de un peu de chance, ce chiffre changera. À la place du gouvernement, l'auteur de ce programme, j'espérerais fortement qu'il en soit ainsi. Je vais donc prendre du recul avec cette notion de chance. En ce qui a trait aux projets achevés, 83 le sont à ce jour.

À la page suivante, nous faisons un bref survol du plan des dépenses au cours des deux prochaines années, sur une base mensuelle. C'est un peu rudimentaire. Le but, c'est de vous donner une idée.

Vous verrez que bien des dépenses seront effectuées pendant l'été 2017, donc cet été. C'est logique dans une certaine mesure. Le programme dure deux ans; la saison de la construction étant surtout estivale, et c'est à ce moment-là que nous atteignons un sommet. D'habitude, dans le cadre d'un projet, les travaux démarrent un peu plus lentement, puis s'accélèrent avec le temps.

Si c'est intéressant en cours de route, au fur et à mesure que les projets sont achevés, nous pouvons commencer à illustrer l'évolution de ce graphique. Si les travaux se font dans les délais prévus ou à l'avance, ou si les choses dérapent, nous pouvons commencer à suivre, de façon très approximative, comment les fonds sont versés, si vous voulez.

La sénatrice Andreychuk : Dans la première colonne de votre première page sommaire, vous indiquez « Affaires autochtones et du Nord » et « Bureau de l'infrastructure »; c'est de là que les projets émanent, qu'ils sont conservés, élaborés, n'est-ce pas? Je pensais qu'ils émanent tous de deux ou trois ministères puis qu'ils sont distribués. Je ne sais pas trop comment interpréter cette colonne par rapport à ce qu'on nous a dit avant.

M. Weltman : C'est une très bonne question. Le nom de chaque ministère qui a reçu des fonds du budget de 2016 dans le cadre du programme national en matière d'infrastructures y figure. De leur côté, ces ministères affectent l'argent à divers projets et programmes et cela varie d'un ministère à l'autre.

Par exemple, rapidement, les 15 projets d'Agriculture et Agroalimentaire Canada sont surtout des projets de remise en état des immobilisations appartenant au ministère.

En ce qui concerne le Bureau de l'infrastructure du Canada, c'est tout à fait différent. Il n'a aucun actif. Il ne fait que transférer des fonds aux provinces, aux municipalités et à d'autres entités pour la réalisation de divers projets, qu'il s'agisse de transport en commun, d'infrastructures vertes ou autres. Une foule de projets sont inscrits à la liste. Cette information est-elle utile?

La sénatrice Andreychuk : Oui, merci.

M. Weltman : À la dernière page, une autre façon d'envisager les dépenses mensuelles, soit en fonction des thèmes du budget, est illustrée. Il n'y a pas beaucoup à en retirer pour l'instant, si ce n'est qu'il y a beaucoup d'argent et qu'il est sans cesse affecté au volet Infrastructures sociales du thème « Bâtir des collectivités plus vigoureuses. » C'est de l'argent qui est beaucoup moins axé sur les projets et beaucoup plus, sur le programme.

Il serait peut-être plus facile de lire la partie portant sur chaque thème budgétaire. À la première page, le thème de la série de mesures indiquées est l'investissement dans les infrastructures, les mesures en question figurant dans les boîtes vertes plus petites en dessous, puis le financement affecté aux mesures figurant dans ces boîtes et en dessous, les ministères qui sont responsables de l'exécution de ces initiatives et le montant ou financement identifié à ce jour.

C'est un bref aperçu. Autrement dit, voilà comment se présentaient plus ou moins les choses à la fin de mars 2017, et c'est notre référence.

Le sénateur Pratte : Les montants indiqués, ce sont pour les projets approuvés, n'est-ce pas?

M. Weltman : Il s'agit des projets qui ont été identifiés. D'habitude, ils sont aussi approuvés et je pense que c'est probablement une façon plus simple d'expliquer. Il s'agit des projets qui ont été approuvés par les divers ministères.

Le sénateur Pratte : Merci.

[Français]

Le sénateur Éric Forest : En fait, les sommes qu'on y retrouve, par exemple pour l'infrastructure verte ou pour bâtir des communautés rigoureuses, c'est de la part du gouvernement fédéral.

M. Weltman : C'est cela.

Le sénateur Forest : Ce n'est pas la valeur des projets; donc, l'effet de levier n'est pas comptabilisé.

M. Weltman : Non, cet aspect n'est pas inclus dans celui-ci.

Le sénateur Forest : Et il y en a pour près de 14,5 milliards.

M. Weltman : C'est cela.

Le sénateur Forest : Dans ce montant, à quoi correspondent les prévisions du budget de 2017-2018?

M. Weltman : Les 14 milliards correspondent aux deux premières années, c'est-à-dire 2016-2017 et 2017-2018. Les projets qui ont été définis se montent à 9 milliards de dollars; il y a de l'argent qui a été alloué dans cette phase.

Le sénateur Forest : La première phase était de l'ordre de 18 milliards?

M. Weltman : Non, d'environ 14 milliards.

Le sénateur Forest : Si on fait le calcul, on se rend à 14,5 milliards de dollars.

M. Weltman : On se rend à 14 milliards. La valeur des projets identifiés était d'environ 9 milliards, alors la différence sera reportée à la prochaine année, et peut-être à l'année suivante.

[Traduction]

Pour le moment, tout ce que je voulais, c'était expliquer où nous en sommes actuellement. Il pourrait être intéressant de comprendre les écarts entre les fonds alloués et les fonds identifiés. Si on m'en donne la permission, je peux le faire.

Il y a quelques notes, et une en particulier que je veux porter à l'attention du comité. Je ne sais pas si elle apparaît clairement dans ce graphique. Dommage, car je voulais vraiment attirer votre attention.

Au fil de nos travaux, nous avons constaté qu'une somme d'environ 896 millions de dollars a été affectée au thème Revitaliser l'infrastructure publique fédérale. Les fonds se trouvent dans cette enveloppe, mais n'ont pas été affectés à un ministère ou à un autre à des fins d'exécution. Simplement pour que vous le sachiez, j'ai demandé au Secrétariat du Conseil du Trésor de nous donner plus de détails quant à ses plans concernant ces fonds. J'attends toujours la réponse.

La vice-présidente : Que veut-on dire par « revitaliser le plan fédéral en matière d'infrastructure »?

M. Weltman : Il s'agit d'habitude de fonds qui ont été alloués à des ministères pour leur permettre de mettre à niveau des biens, par exemple, des laboratoires qui doivent être rénovés notamment à Agriculture Canada et au Conseil national de recherches. C'est à ce chapitre que la majeure partie de l'argent a été affectée. Ce sont les ministères qui en ont le contrôle. Pêches et Océans Canada, par exemple, a environ 600 projets distincts d'un océan à l'autre pour notamment réparer des ports pour petits bateaux, et une foule de projets semblables.

La vice-présidente : Cela semble très prometteur.

M. Weltman : Nous collaborons beaucoup avec Affaires autochtones et du Nord Canada, car le ministère a une grosse part du gâteau. À l'heure actuelle, il réorganise complètement sa façon de rendre compte des projets. Je pense que ce ministère nous a présenté, jusqu'à présent, 1 681 projets. Nous avons seulement une valeur monétaire globale — approximativement 800 millions de dollars. La valeur de chacun des projets n'a pas encore été établie. D'après ce que le ministère m'a dit, il a l'intention d'éventuellement publier ces données.

La sénatrice Eaton : Combien?

M. Weltman : Il s'agit de 1 681. Pour gérer son programme, il reçoit du financement de base, puis des fonds supplémentaires. Il parle de financement de projets. Il présente les données autrement que ce que nous avons demandé. Nous collaborons pour rectifier la situation. C'est pour cette raison qu'aucune valeur n'est encore indiquée pour le ministère des Affaires autochtones et du Nord.

Il convient aussi de souligner que la Société canadienne d'hypothèques et de logement n'a pas indiqué beaucoup de projets, mais que la plupart de ses programmes fonctionnent sur présentation de demandes de remboursement. Elle ne contrôle donc aucun des projets; elle ne fait qu'émettre un chèque une fois le projet achevé. Bien de ces projets sont réalisés par des tiers, donc les municipalités ou les provinces. Il s'agit davantage d'une approche fondée sur des programmes. En ce qui a trait aux projets dont elle assure le suivi, nous avons les données nécessaires. De nouveau, la loi n'oblige pas la société à nous fournir ces données, mais elle le fait, et elle explique en détail comment les fonds sont utilisés.

À Infrastructure Canada, depuis la dernière fois, nous constatons un nombre assez élevé de nouveaux projets d'infrastructure, en particulier dans le volet Investir dans les infrastructures vertes, comme il avait été prévu.

Certains ministères ont du mal, nul doute Emploi et Développement social Canada, car ils distribuent surtout de l'argent pour des programmes. Ils ne dirigent pas vraiment des projets, ils exécutent des programmes. Nous devons leur demander de rendre compte en fonction des projets — nous travaillons avec eux pour essayer de vous présenter des données utiles. Nous y sommes presque. Nous faisons tout ce que nous pouvons à cette fin.

La vice-présidente : Monsieur Jacques, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Jason Jacques, directeur, Analyse économique et financière, Bureau du directeur parlementaire du budget : Non, pas pour le moment. Merci.

La vice-présidente : Et vous, monsieur Fréchette?

M. Fréchette : Ça va. Je suis prêt à répondre aux questions.

La vice-présidente : Nous allons passer aux questions.

La sénatrice Marshall : J'ai beaucoup de questions. Vous devrez donc m'interrompre quand mon temps sera écoulé.

La vice-présidente : Je pense que, pour l'instant, vous pouvez prendre tout le temps que vous voulez.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup pour toute la documentation que vous nous avez remise. En février dernier, vous avez publié un rapport sur les infrastructures qui est très instructif. Avez-vous l'intention d'en publier un deuxième pour faire un suivi au premier paru en février?

M. Fréchette : Nous faisons maintenant un suivi de ces rapports sur les infrastructures dans nos perspectives économiques et financières. Vendredi dernier, nous avons publié les perspectives économiques et financières, document qui est présenté au printemps et à l'automne chaque année. Dans ce document, il y a une section supplémentaire portant spécifiquement sur les infrastructures. Nous suivons la piste des fonds exactement comme Peter l'a dit : de façon plus concise et aussi — je ne dirai pas « plus intéressante » — en tenant compte de l'impact sur l'économie. Jason pourrait vouloir ajouter quelque chose, mais ce que nous avons constaté, c'est que pendant la première année du plan en matière d'infrastructures, il n'y a pas eu tant d'argent dépensé. Il n'y a pas eu d'impact économique sur l'économie.

D'après nos projections qui figurent dans les perspectives en question, les choses vont reprendre et nous en avons déjà discuté avec certains sénateurs la dernière fois. Je regarde à ma gauche présentement. Les provinces prennent la relève et consultent les projets. Nous nous attendons à ce qu'à la fin de la deuxième année, 90 p. 100 des fonds qui étaient censés être dépensés le seront.

Cela étant, j'aimerais que Jason parle un peu de l'impact et de la productivité et de ce qui se passe à ce chapitre, madame la présidente.

La sénatrice Marshall : Monsieur Jacques, au début, nous pensions que la phase 1 permettrait de hausser de 0,2 p. 100 le PIB. Allez-vous aborder ces questions?

M. Jacques : Il y a deux volets ici. Comme Jean-Denis l'a mentionné, comparativement au budget de 2016 et à nos propres estimations initiales, le PIB n'a pas autant augmenté que nous l'avions prévu pour 2016-2017, et ce en raison de deux facteurs.

Le premier facteur, c'est qu'environ la moitié du financement prévu au départ et annoncé par le gouvernement dans le budget de 2016-2017 a été dépensée, ce qui ampute l'impact économique d'environ la moitié.

Le deuxième facteur que je tiens à signaler pour le comité, spécialement compte tenu du prochain témoin de l'Institut Fraser qui se présentera à 19 h 45, c'est que nos multiplicateurs économiques ont légèrement varié. Nos multiplicateurs économiques correspondent en fait à l'impact sur l'économie en général d'un dollar dépensé ou, dans la situation qui nous intéresse, de dépenses totalisant plusieurs milliards de dollars faites dans l'économie pour la réalisation de projets relatifs aux infrastructures. Nous avons en fait revu à la baisse nos multiplicateurs par rapport à ce qu'ils étaient avant. Ils étaient, dans l'ensemble, un peu moins élevés que ceux du ministère des Finances et maintenant, ils le sont encore un peu plus.

En 2016-2017, du moins pendant la première année, le multiplicateur est établi à 0,8; autrement dit, nous prévoyons que chaque dollar fédéral investi générera une activité économique supplémentaire représentant plus ou moins 80 cents pour la première année. En 2017-2018, le ratio devrait être de 1-1. Donc, chaque dollar fédéral dépensé générera un dollar de plus au titre du PIB ou de l'activité économique.

La sénatrice Marshall : Donc vous nous dites que le PIB n'a pas augmenté de 0,2 p. 100, mais d'à peu près la moitié de cela.

M. Jacques : À peu près la moitié.

La sénatrice Marshall : Est-ce que nous verrons une augmentation au cours de l'exercice quand l'argent commencera à sortir? Nous nous attendions à une augmentation de 0,2 p. 100 en 2016-2017 et de 0,4 p. 100 en 2017-2018. Comme l'argent n'est pas sorti, est-ce que le pourcentage de 2017-2018 sera plus élevé?

M. Jacques : Nous surveillons bien la situation, et tout indique une augmentation certaine.

La sénatrice Marshall : Pouvez-vous nous donner un chiffre?

M. Jacques : À l'heure actuelle, le pourcentage s'élèverait à environ 0,4, peut-être un peu moins, mais il atteindra 0,4 p. 100 du PIB. Soulignons à nouveau que tout cela est dû à l'apport dans l'économie de fonds supplémentaires à ceux dont disposaient initialement Finances Canada et le gouvernement fédéral et que nous avions présentés en avril 2016. Comme les effets multiplicateurs ont changé, nous avons observé une relance économique moins vigoureuse que ce à quoi nous — et le gouvernement aussi, je crois — nous étions attendus initialement.

La sénatrice Marshall : Si j'ai bien compris, le budget de cette année — celui de 2017 qui vient de sortir le mois dernier ou le mois d'avant — ne prévoit pas de fonds supplémentaires pour les infrastructures? On y prévoit les mêmes sommes que les fonds des programmes originaux avec les allocations prévues dans le budget de l'année dernière et lors de la mise à jour économique de l'automne? Il n'y a pas de nouveaux fonds prévus au budget de 2017, n'est-ce pas?

M. Jacques : Les fonds ont été répartis différemment.

La sénatrice Marshall : Mais pas de sommes supplémentaires, n'est-ce pas?

M. Jacques : Du point de vue matériel, il n'y a eu aucun changement.

La sénatrice Marshall : D'accord. C'est bien. Dans les tableaux que vous nous avez distribués, vous comparez les affectations budgétaires à la valeur des projets identifiés. Cependant dans certains cas, la valeur des projets identifiés dépasse l'affectation budgétaire. Que se passe-t-il donc? C'est étrange. On semble approuver des projets avec des fonds dont on ne dispose pas.

M. Weltman : C'est ce que l'on croit voir, mais ce n'est pas tout à fait exact. Je n'ai pas la ventilation par ministère. Je sais que vous regardez l'AAS, les ententes conclues avec les établissements d'enseignement postsecondaire. Ces fonds avaient été affectés à un autre programme, mais ils ont été ajoutés à ceux des infrastructures. C'est le cas pour à peu près tous ces ministères.

La sénatrice Marshall : C'est ce que nous appelons les programmes existants.

M. Weltman : Exactement. Les fonds existants ajoutés à cette base.

La sénatrice Marshall : Très bien. Dans le rapport sur les infrastructures que vous avez publié en février, nous avions relevé quelques problèmes. Je me demande si vous pouviez nous dire où nous en sommes maintenant. À un endroit, vous indiquiez qu'il n'existe pas de cadre de mesure du rendement. À la page 132 du budget de 2017, à la rubrique intitulée « Mesurer le succès », vous indiquez que le gouvernement utilisera de nouvelles méthodes pour mesurer les effets de son investissement dans les infrastructures. Cela correspond exactement à votre recommandation. Avez-vous aperçu des indices de l'élaboration de cette nouvelle méthode?

M. Weltman : J'en ai vu qui n'étaient pas officiels, parce que rien n'a encore été rendu officiel. Du côté non officiel, il y a eu des discussions avec les gens de Statistique Canada et d'Infrastructure Canada. Statistique Canada a lancé un examen du stock des infrastructures, si l'on peut l'appeler ainsi, pour déterminer ce qui existe à l'heure actuelle. On vient de lancer ce projet. Il est relativement complexe, alors il faudra du temps pour l'exécuter.

On a confié l'élaboration des mesures de rendement à quelques personnes, mais je n'ai pas de détails.

La sénatrice Marshall : Je les ai cherchés, mais je ne les ai pas trouvés.

M. Fréchette : Si vous me permettez, le président du Conseil du Trésor, le ministre Brison, a aussi annoncé que le Conseil du Trésor allait élaborer un certain type de mesures pour tous les ministères. Nous n'en avons plus eu de nouvelles.

La sénatrice Marshall : Si ma mémoire est bonne, je crois que dans votre rapport, vous aviez indiqué qu'Infrastructure Canada était le seul ministère qui ait divulgué ses projets au public canadien. Avez-vous vu des progrès dans ce domaine? Infrastructure Canada est-il encore le seul ministère qui divulgue ses projets?

M. Weltman : Oui, pour le moment, en effet. Je sais toutefois que le Conseil du Trésor a exhorté tous les ministères à faire de même, mais je ne sais pas quand ils le feront.

La sénatrice Marshall : Oui. Je les cherchais. On m'a suggéré quelques sites web, mais comme je n'ai rien trouvé, je me suis dit que je vous le demanderais ici. Je n'ai plus de questions pour le moment.

La sénatrice Eaton : Hier, Infrastructure Canada nous a montré un merveilleux graphique préparé sur ordinateur et indiquant le nombre de projets d'infrastructures en cours dans chaque ministère, comme vous l'avez fait ici. Je n'ai pas apporté ces documents, mais si je me souviens bien, on y trouvait Parcs Canada, Santé Canada et Pêches et Océans. Je crois que Parcs Canada avait 800 projets en cours. Cinq cents projets étaient considérés comme étant confidentiels; ils étaient menés par Parcs Canada et par Santé Canada. Nous avons insisté pour qu'on nous en parle, en soulignant que le Comité des finances du Sénat était chargé de surveiller les fonds. On nous a répondu que le Bureau du directeur parlementaire du budget sait de quels projets il s'agit. Alors savez-vous de quels projets il s'agit?

M. Weltman : Oui, mais je vois que ces portes sont verrouillées à double tour.

La sénatrice Eaton : Je serais d'accord avec vous si ces initiatives concernaient le renseignement ou la sécurité nationale, mais... les pêches et les océans? Les parcs? La santé?

M. Weltman : Quand nous demandons des données en suivant le processus établi pour l'accès aux données, nous demandons au sous-ministre — ou à la personne qui signe en son nom — si nous pouvons divulguer ces données ou non. Nous divulguons les données qui peuvent être publiées, et nous ne divulguons pas celles qui ne peuvent pas l'être. Pour autant que je le sache, il y a deux raisons pour lesquelles ces projets sont confidentiels. La raison principale est le fait que ces projets n'ont pas encore été annoncés au public. Nous devons respecter l'entente que nous concluons pour recevoir les données.

La sénatrice Eaton : Je comprends tout à fait. Mais de notre côté, il est très difficile de surveiller les fonds si un pourcentage élevé des fonds de chaque ministère demeure confidentiel. Alors à qui devons-nous nous adresser?

M. Fréchette : Vous avez tout à fait raison de poser cette question. Nous allons la soulever la semaine prochaine quand nous discuterons de notre réforme. C'est la manière dont les ministères contrôlent l'information. Comme l'a dit Peter — et le sénateur Forest a aussi parlé de cela au début de la séance — s'il y a une tierce partie, il est très difficile, même pour les ministères, de divulguer de l'information. Dans certains cas, c'est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Alors jusqu'à ce qu'on signe les contrats et que les tiers acceptent de divulguer l'information, personne — sauf nous, mais de manière globale — ne peut voir cette information. À qui vous adresser? On devrait peut-être l'ajouter aux lois du Bureau du directeur parlementaire du budget ou soulever la question auprès de chacun des ministères. Je vous décris exactement les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, et nous agissons avec transparence et honnêteté. Nous avons affirmé que nous avions vu cette information, mais que nous ne pouvions pas la divulguer. Cette situation se présente bien plus souvent qu'on le croirait.

La sénatrice Eaton : Merci. Ce débat est loin d'être clos, pour nous comme pour vous.

Disposez-vous des données nécessaires sur les projets d'infrastructures financés par le gouvernement fédéral pour en évaluer le rendement, ou parlons-nous ici des mesures de rendement que vous n'êtes pas à l'aise d'effectuer? S'agit-il d'un objectif de votre plan à long terme que vous ajouterez à chaque projet d'envergure? Si chaque ministère avait des mesures de rendement, examineriez-vous alors les mesures de rendement de chaque ministère? Auriez-vous là un autre moyen d'accomplir cette tâche?

M. Weltman : C'est une excellente suggestion. Nous pouvons par exemple examiner chaque ministère. C'est ce que nous faisons quand les ministères nous fournissent l'information nécessaire.

L'autre façon de faire — et nous l'avons déjà fait — est d'examiner les pratiques exemplaires appliquées ailleurs dans le monde. Nous chercherions à élaborer un cadre d'analyse à utiliser avec d'autres administrations pour mesurer ce même genre de choses en essayant de l'appliquer aux données dont nous disposons.

La sénatrice Eaton : À ce comité — et je n'ai pas l'habitude d'exprimer mes sentiments personnels — il est très décourageant de recevoir de grands ministères qui se comparaissent devant nous sans aucune mesure de rendement. Par exemple l'année dernière, nous avons étudié le logement dans le Nord. Combien de maisons avait-on construites? Avait-on respecté le code? Où en était le projet? Désolés, nous ne savons pas. À mon avis, on améliorerait beaucoup la situation en fixant des mesures de rendement. Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : C'est tout un travail que vous accomplissez, car il y a énormément de programmes et de sources. Il y a deux grandes catégories. Il y a des investissements en faveur d'infrastructures qui relèvent directement de ministères ou d'agences fédérales — je suis surpris que vous nous parliez d'un rendement à 84 cents ou à un dollar pour un dollar —, et pour une grande partie également, des investissements avec des partenaires pour lesquels il y a alors un effet de levier. On n'arrive pas à obtenir un portrait de cet effet de levier, parce que, au Canada, il y a un déficit important en matière d'infrastructures publiques.

À l'heure actuelle, on en est à la première phase d'investissement qui représente 14 ou 15 milliards de dollars. Pour la deuxième phase, l'investissement sera de plus de 100 milliards de dollars. Il est clair que le défi est de savoir si l'on peut atteindre les cibles données. Il y a deux grandes cibles : la première, c'est l'intention du gouvernement, par des investissements massifs, de contribuer à rendre l'économie canadienne plus vigoureuse.

Si on établit un parallèle avec une situation où l'effet de levier est d'un ratio de un pour un quand il y a beaucoup de programmes ou avec des partenaires municipaux, on comprend que, pour le milliard de dollars qu'investira le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial en investira un milliard à son tour, et la municipalité en investira un autre elle aussi. En fin de compte, on devrait normalement obtenir un ratio de deux pour un.

C'est un élément qui me préoccupe, parce que cette première phase est somme toute assez modeste avec un investissement de l'ordre de 14 milliards de dollars. Lorsqu'on amorcera la deuxième phase qui comportera un investissement de plus de 100 milliards de dollars, le défi sera de savoir si l'on a atteint nos cibles.

Est-ce qu'on pourra déterminer que, à la suite de l'investissement de 15 milliards de dollars, on aura contribué à bonifier ou à réduire le déficit des grandes infrastructures publiques? À titre d'exemple, cela me préoccupe de savoir qu'il y a des besoins énormes dans l'ensemble du Canada en ce qui a trait aux ports de pêche, alors que dans beaucoup de collectivités, aucun investissement n'est fait.

Pensons au budget de Transports Canada ou bien à celui de Pêches et Océans Canada; les crédits sont disponibles, mais ils ne sont pas dépensés. Pourquoi? C'est une question importante.

L'autre élément, c'est de pouvoir mesurer l'impact de l'effet de levier que ces programmes devraient avoir. Certains programmes sont pérennisés, comme celui sur la taxe d'accise sur l'essence, alors que d'autres sont, pour la plupart, ponctuels. Il faudra à un certain moment chiffrer cela pour savoir — on parle de 126 milliards de dollars — si on a atteint nos cibles.

Lorsqu'on se penche sur le nombre de programmes et le nombre d'enveloppes, si on compte les sous-programmes, cela représente un travail colossal de votre part, mais à un moment donné, il faudra que l'on puisse arriver à tirer une conclusion positive, neutre ou négative en ce qui a trait à cet investissement majeur des fonds publics canadiens.

M. Fréchette : Vous avez tout à fait raison, mais j'ajouterai une chose. Vous parlez de vos deux cibles, mais n'oubliez pas que pour la deuxième phase d'investissement qui représente 100 milliards de dollars et plus, l'objectif principal est d'accroître la productivité de l'économie canadienne.

Pour la première phase, il s'agissait de la vigueur de l'économie, mais pour la deuxième phase, c'est d'augmenter la productivité de l'économie et du Canada. Vous savez très bien, premièrement, qu'il est extrêmement difficile d'augmenter la productivité; c'est un vœu pieux que l'on fait depuis de nombreuses années. Deuxièmement, il est difficile de mesurer cette productivité.

Je relance donc un peu votre argumentation en vous disant que, effectivement, ce sera extrêmement important. Pour le moment, dans le cadre de nos premiers résultats préliminaires, on ne voit pas ce lancement de productivité comme tel à plus long terme avec les dépenses.

Le sénateur Forest : Quand on rajoute cet objectif important qui est un peu la toile de fond de la deuxième cible, quels sont les secteurs à privilégier? Doit-on privilégier, par exemple, les communications haute vitesse? Doit-on privilégier les infrastructures de transport? Que doit-on privilégier dans le but d'augmenter la productivité canadienne? C'est une question légitime, d'abord, que de se demander si les programmes sont orientés vers l'objectif principal de cette deuxième phase fort importante.

M. Fréchette : C'est une excellente question que vous pourriez poser à la future Banque de l'infrastructure.

Le sénateur Forest : On va essayer de la trouver pour commencer.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Je vais poser des questions précises sur l'effet multiplicateur, particulièrement à M. Jacques. Tout d'abord, vous avez mentionné les témoins que nous entendrons plus tard en ajoutant que votre observation concernait leur témoignage. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet? Je crois que je comprends pourquoi, mais je vous demanderais de nous l'expliquer à tous.

M. Jacques : Bien sûr. L'Institut Fraser a publié les résultats d'une étude de recherche sur les multiplicateurs économiques et sur les effets qu'ont les investissements gouvernementaux sur l'économie. Comme le gouvernement le souligne dans son budget de 2016, il existe différents points de vue sur les effets multiplicateurs des investissements gouvernementaux. Les experts conviennent cependant que l'économie actuelle est plus molle. Par exemple, en 2008 et en 2009, les multiplicateurs étaient beaucoup plus élevés. Alors au lieu du 0,8 que nous espérons ou estimons atteindre en 2016-2017, ils dépassaient 1 de beaucoup. Par conséquent, tout dollar investi par le gouvernement entraînait une activité économique de plus d'un dollar.

D'un autre côté, quand l'économie fonctionne, comme nous l'entendons à l'heure actuelle, à près de son plein potentiel, les multiplicateurs sont beaucoup moins élevés. L'Institut Fraser souligne cela en parlant de circulation des fonds et en indiquant que les mêmes sommes que le gouvernement fédéral investit à différentes époques peuvent avoir des effets différents sur l'économie.

Le sénateur Woo : Donc en fait, vous avez abaissé votre estimation du multiplicateur en fonction de votre estimation de l'utilisation des capacités. Est-ce là la raison principale pour laquelle vous abaissez votre estimation du multiplicateur?

M. Jacques : À la suite de l'annonce du budget de 2016, nous avons discuté avec des fonctionnaires du ministère des Finances pour déterminer comment les fonds circulent dans l'économie. Évidemment que les multiplicateurs diffèrent entre les investissements de l'entreprise et ceux du gouvernement. Au début, nous suivions cet effet multiplicateur et nous le traitions comme un investissement d'entreprise. Mais dès que nous avons constaté qu'il reposait avant tout sur les investissements gouvernementaux, nous l'avons transféré dans cette catégorie, dont le multiplicateur est moins élevé. Au Bureau du directeur parlementaire du budget, nous nous demandons ouvertement s'il faudrait abaisser ces multiplicateurs ou les ajuster en fonction des différents cycles économiques.

Le sénateur Woo : C'est cela. Il y a un énorme débat sur les capacités et sur les niveaux des multiplicateurs.

Est-ce que les multiplicateurs produisent les effets à long terme sur la productivité dont parlait M. Fréchette?

M. Jacques : Oui. Au cours des deux premières années — disons qu'il s'élève à 0,8 —, le multiplicateur devrait augmenter à long terme. Un autre excellent exemple est celui de la baisse de l'impôt des sociétés. Le multiplicateur est très bas au début et augmente avec le temps. Par conséquent, au bout de cinq, six ou sept ans, il se situe empiriquement bien au-dessus d'un dollar.

Le sénateur Woo : Donc au cours des années à venir, on ajustera les multiplicateurs à la hausse?

M. Jacques : On devrait les ajuster à la hausse, mais selon moi il ne faut pas oublier que les effets et le niveau de stimulation économique de certains investissements sont très faibles au début et qu'ils augmentent graduellement.

Le sénateur Woo : Les rendements d'échelle augmentent.

M. Jacques : Exactement. Les infrastructures l'illustrent bien. Comme d'autres sénateurs l'ont fait remarquer, lorsqu'on investit bien, le rendement se manifeste immédiatement, mais ce rendement devrait aussi augmenter avec le temps.

Le sénateur Woo : Est-ce que vos multiplicateurs ont un effet sur les améliorations de la qualité de vie?

M. Jacques : Malheureusement pas jusqu'à présent. La profession d'économiste a ses limites.

Le sénateur Woo : Pourriez-vous nous parler un peu des améliorations de la qualité de vie? Oui, la science économique est limitée, et je vous comprends tout à fait puisque je suis moi-même économiste, mais la qualité de vie est une chose réelle, c'est un enjeu important pour les Canadiens. Bien des gens comptent sur le Bureau du directeur parlementaire du budget pour présenter la réalité ultime des effets et des avantages des dépenses des Canadiens, notamment des dépenses sur les infrastructures.

Si l'on dit aux Canadiens que l'on ne tire un profit que de 0,8 p. 100 sur chaque dollar, ou 80 cents sur chaque dollar dépensé, et cetera, dirait-on avec justesse que cela ne représente pas toute la réalité puisque cela ne tient pas compte des améliorations que ces dépenses apportent à la qualité de vie?

M. Jacques : C'est tout à fait vrai. Dans le rapport que nous avons publié en février, nous avons souligné cela en faisant remarquer le manque d'indicateurs de rendement. Rappelons-nous qu'à l'époque du budget de 2016, la situation économique était axée sur les stimulations économiques à court terme et sur la croissance économique à long terme. Mais les catégories politiques comprenaient les infrastructures vertes, le logement social et l'investissement des capitaux dans les réserves. Les résultats politiques étaient donc plus qualitatifs. Nous soulignions dans ce rapport — et je crois que le gouvernement est d'accord avec nous, puisque la sénatrice y a fait référence en parlant du budget de 2017 — que jusqu'à cette époque, il n'existait pas d'indicateurs du rendement de ce genre.

Le sénateur Woo : Je suppose que les témoins qui vous suivent nous parleront d'une certaine équivalence découlant du fait que les dépenses sur les infrastructures seront compensées par la crainte qu'auront les consommateurs de dépenser ou de subir une hausse des impôts. Par conséquent à long terme, les dépenses sur les infrastructures n'apporteront pas d'avantages nets. Est-ce que votre Bureau est d'accord avec ce point de vue?

M. Jacques : Je ne crois pas que nous ayons développé un point de vue théorique solide à ce sujet. Je le répète, cela dépend beaucoup du type d'infrastructures dans lesquelles on investit. Pour le moment, nous n'avons pas assez de données et de renseignements sur les différents projets.

Je ne veux pas couper l'herbe sous les pieds de Charles Lammam, mais je vous dirai que nous avons aussi suivi le risque de faire face, à court terme, à un volume excessif d'investissements des gouvernements infranationaux. Par conséquent, outre notre surveillance détaillée des dépenses fédérales, nous suivons de très près le travail de Peter. Nous suivons aussi les budgets provinciaux. Nous savons tous que les provinces et les municipalités de tout le pays assument 90 p. 100 des dépenses sur les infrastructures publiques.

Nous avons remarqué que la majorité des budgets provinciaux de 2016 avaient été déposés avant celui du gouvernement fédéral. En comparant les dépenses en capital et les investissements sur les infrastructures envisagés avant 2016-2017 et ces mêmes dépenses estimées pour 2016-2017 dans les budgets les plus récents, on n'observe pas de changement net pendant cette année. Avant de déposer leur budget de 2016, les 10 provinces envisageaient de dépenser environ 50 milliards de dollars ou de transférer cette somme aux municipalités. Dans les budgets déposés plus récemment, les provinces estiment encore qu'en 2016-2017, elles dépenseront environ 50 milliards de dollars.

Le sénateur Woo : Vous nous dites donc qu'elles laissent le gouvernement fédéral assumer...

M. Jacques : On peut en effet tirer cette conclusion, puisqu'elles envisageaient de dépenser 50 milliards de dollars avant que le gouvernement fédéral annonce des transferts et des financements considérables pour les infrastructures, puis qu'elles prévoient d'y investir la même somme à la fin de l'exercice.

Je vais ajouter un peu de couleur à cela en soulignant que comme nous effectuons ces suivis tous les trois mois, nous avons observé cette situation à 50 milliards de dollars; après de dépôt du budget de 2016, cette somme a considérablement augmenté, pour redescendre ensuite à la fin de l'exercice.

Le sénateur Woo : Je voudrais être sûr de comprendre votre interprétation de cette série de chiffres. S'agit-il d'un effet d'assèchement, ou est-ce que les gouvernements provinciaux, dont les finances sont limitées, ne voulaient pas accroître leurs déficits en investissant des fonds provinciaux dans les infrastructures? Qu'essayez-vous de nous faire comprendre?

M. Jacques : Il y a deux explications. Nous avons seulement examiné les budgets fédéraux et provinciaux. J'en ai discuté avec les 10 ministres des Finances. Les explications touchent autant l'aspect de l'assèchement des investissements que celui du manque de capacités.

J'en ai discuté par exemple avec un fonctionnaire du ministère des Finances d'une province de l'Ouest que vous connaissez bien. Cette personne m'a dit que son gouvernement planifie les projets d'infrastructure des années à l'avance. Dans le cas de Vancouver par exemple, la capacité d'assumer d'autres projets d'infrastructure est limitée. Cette personne a ajouté qu'au besoin, son gouvernement pourrait obtenir les fonds nécessaires du gouvernement fédéral, mais qu'il faudrait pour cela verser des primes élevées. Il ne semblait donc pas logique de payer 20 cents de plus sur chaque dollar pour respecter une échéance artificielle. Il était plus logique de retarder le projet afin de ne pas soutirer 20 cents sur chaque dollar aux contribuables.

[Français]

Le sénateur Pratte : Très brièvement, monsieur Fréchette, dans votre dernier rapport, celui de février qui porte sur les infrastructures, lors de nos dernières discussions vous aviez cerné un problème potentiel quant au fait que les fonds ne sortaient pas assez rapidement.

Où en est-on? J'ai l'impression que le problème est « réglé ».

M. Fréchette : À 90 p. 100, si je peux dire. C'est ce qu'on a conclu dans notre rapport, dans nos perspectives économiques et financières dans lesquelles on a inclus cette mesure des infrastructures, des dépenses. On s'est rendu compte qu'effectivement, la première année, l'impact n'était pas là. Jason a parlé de 0,4 p. 100 d'incidence sur le PIB, et on s'attend, à la fin de l'exercice de deux ans, à ce que 90 p. 100 des dépenses soient faites. Évidemment, cela explique un roulement qui s'est fait plus lentement au départ et qui semble se faire plus rapidement maintenant.

C'est là où l'on en est; comme je vous le dis, ce rapport de mise à jour économique, on le fait deux fois par année et, à l'automne, on sera probablement plus fixé et on aura davantage d'information sur les infrastructures comme telles.

Le sénateur Pratte : Ce que cela m'indique, à la page 2 du document, à la colonne « projets commencés »...

[Traduction]

Ces renseignements ne signifient pas grand-chose. Ce sont des renseignements que les ministères n'ont pas, parce que les projets ont été approuvés et que les fonds sont débloqués. Il est évident que ce sont des renseignements qu'ils ne recueillent pas, ou qu'ils n'ont pas, ou qu'ils ne partagent pas.

M. Weltman : La plupart de ces projets relèvent d'Infrastructure Canada, et on recueille des données sur l'évolution de la situation tous les six mois. On n'a donc pas encore recueilli la première série de données. La plupart des autres ministères en sont encore à essayer d'avoir des données qu'ils puissent nous envoyer, sans parler des rapports de situation.

J'ai mis la colonne de planification là parce que c'était le plan. Les indications sur les projets effectifs ou dont le démarrage est enregistré ne signifient pas qu'aucun autre projet n'a commencé. Les données ne sont pas complètes.

La vice-présidente : Nous terminons juste à temps. Je tiens à remercier nos témoins. Je devrais vraiment vous appeler l'atelier du DPB. D'ailleurs, c'est comme cela que je vais vous appeler désormais. Encore une fois merci, et au plaisir de vous revoir très bientôt.

Nous poursuivons notre étude de ce fantastique programme fédéral de financement des infrastructures à plusieurs milliards de dollars. Accueillons maintenant Charles Lammam, directeur des études fiscales à l'Institut Fraser, et Ryan Gibson, professeur à la chaire Libro de développement économique régional de l'École de design environnemental et de développement rural, à l'Université de Guelph. Bienvenue à vous deux. J'espère que vous allez nous fournir quelque chose de solide à nous mettre sous la dent.

Avez-vous des remarques préliminaires à formuler?

Charles Lammam, directeur, Études fiscales, Institut Fraser : Oui. Je vais essayer de ne pas vous décevoir. Il est tard.

Merci de cette présentation et merci de me donner la possibilité de vous donner mon avis sur le plan d'infrastructure du gouvernement. J'espère que mes réflexions vous seront utiles et vous aideront à discuter de cet enjeu très important de la politique gouvernementale.

Comme vous l'avez dit, je suis le directeur des études fiscales à l'Institut Fraser. L'institut est un centre d'étude de la politique économique et un organisme indépendant et non partisan. Il a pour mission de mesurer les répercussions des politiques gouvernementales et d'expliquer aux Canadiens en quoi ces politiques touchent leur vie et celle des générations à venir.

La plupart des remarques que je vais formuler ici sont tirées des conclusions d'une récente étude parue sous le titre de Myths of Infrastructure Spending in Canada et dont je suis l'un des auteurs. Vous pouvez, si vous le désirez, en prendre connaissance sur le site de l'institut. Mes remarques traduisent mes propres opinions et observations, je ne parle au nom de personne d'autre à l'Institut Fraser.

Le gouvernement fédéral actuel a déclaré sans équivoque que son plan d'investissement dans les infrastructures pour les 12 prochaines années vise à faciliter la croissance économique et à accroître la prospérité des Canadiens, notamment de ceux de la classe moyenne. Le problème fondamental est cependant qu'une petite portion seulement des quelque 100 milliards de dollars que le gouvernement actuel propose d'investir dans les infrastructures est réservée à des projets effectivement susceptibles d'améliorer la situation économique.

En principe, les solides projets d'infrastructure peuvent améliorer la productivité de notre pays en permettant aux Canadiens de produire plus et de réduire les coûts associés à l'offre de biens et de services sur le marché. Une route, un chemin de fer ou un port qui permet de faire circuler plus de gens, de marchandises et de ressources plus efficacement et à moindre prix peut effectivement contribuer à la croissance économique.

Mais, dans la pratique, les investissements prévus par le gouvernement fédéral dans des projets d'infrastructure ne correspondent pas tous à cette description. En fait, seulement 10,6 p. 100 des quelque 100 milliards de dollars du budget d'infrastructure seront réservés au commerce et au transport. Autrement dit, le gouvernement entend consacrer près de 11 cents de chaque dollar de ce budget aux types de projets le plus susceptibles d'améliorer la productivité de notre pays.

Où ira donc le reste de l'argent? L'essentiel ira à ce qu'on appelle des projets d'infrastructure verte et d'infrastructure sociale, par exemple des parcs, des établissements culturels et des centres de loisirs. Les collectivités qui en profiteront apprécieront certainement ces initiatives, mais rien n'indique que ces dépenses amélioreront le potentiel économique à long terme. En fait, le gouvernement fédéral risque, en fin de compte, de faire du tort à l'économie en se concentrant sur ce genre de projets, surtout si les gains en productivité des projets d'infrastructure sont inférieurs aux coûts économiques imposés par les impôts qui permettront de les financer.

Ce n'est pas parce qu'on parle d'infrastructure qu'un projet est nécessairement une entreprise valable. Lorsque des citoyens ordinaires pensent aux investissements dans les infrastructures, ils pensent généralement à des routes et à des ponts, c'est-à-dire à l'infrastructure de base du pays. Selon des organismes réputés comme Infrastructure Canada, Statistique Canada et le Fonds monétaire international, la notion d'infrastructure doit, selon une définition raisonnable, être à tout le moins un bien physique. Et pourtant, le gouvernement fédéral a élargi le sens de ce terme pour y inclure de nombreux services et activités et obscurci sa définition.

Par exemple, le gouvernement estime que les 7 milliards de dollars réservés sur une période de 10 ans au subventionnement des garderies sont des dépenses d'infrastructure. Quoi qu'il en soit du bien-fondé, ou non, du subventionnement des garderies, on comprend bien qu'il y a loin de là à en faire des dépenses d'infrastructure. Songez également aux 2,1 milliards de dollars réservés sur 10 ans à la lutte contre l'itinérance par le biais de la prise en charge des problèmes de dépendance et de santé mentale. C'est un objectif fort louable, sans aucun doute, mais, selon les normes les plus raisonnables, ces dépenses concernent les services sociaux, pas l'infrastructure.

Par ailleurs, le plan d'infrastructure du gouvernement prévoit 77 millions de dollars pour élaborer une réglementation et mettre en place des programmes pilotes liés à l'adoption de voitures autonomes et de véhicules aériens télécommandés. La collecte de données et la recherche sont aussi considérées comme des éléments d'infrastructure par le gouvernement fédéral de nos jours. La liste des dépenses dissimulées sous l'appellation d'infrastructure est sans fin.

Pour résumer, le plan d'investissement du gouvernement fédéral dans des projets d'infrastructure est peu susceptible de favoriser la croissance économique parce qu'une petite partie seulement de ces dépenses est réservée à des projets susceptibles d'améliorer la productivité du Canada. Je vous remercie.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Ryan Gibson, professeur, chaire Libro de développement économique régional, École de design environnemental et de développement rural, Université de Guelph, à titre personnel : Je tiens à vous remercier de votre invitation et de me donner la possibilité de vous donner mon avis sur le programme d'investissement du gouvernement dans des projets d'infrastructure.

Mes remarques découlent du travail de trois organismes distincts, qui s'intéressent aux infrastructures rurales et aux enjeux ruraux au Canada : je veux parler de la Fondation canadienne pour la revitalisation rurale, de l'Institut du développement rural et de la Communauté d'apprentissage des politiques rurales. Chacun de ces organismes participe activement au développement rural dans l'ensemble du Canada et communique étroitement avec des chercheurs et des experts en politique de l'étranger. Les chercheurs, les décideurs et les praticiens de ces réseaux cherchent activement des solutions aux problèmes d'infrastructure qu'affrontent les collectivités rurales de tout le pays.

Ce soir, j'aimerais vous parler de certaines préoccupations concernant la politique et les programmes d'infrastructure du point de vue des collectivités rurales. Je voudrais discuter de certaines des relations entre l'infrastructure et le développement économique et rural et proposer quelques solutions ou du moins formuler certains principes dont vous pourriez tenir compte au moment où le gouvernement du Canada s'engage dans des dépenses d'infrastructure dans les zones rurales.

Mais il faut d'abord rappeler deux éléments contextuels fondamentaux pour comprendre le Canada rural : ce sont la distance et la densité. Le milieu rural se caractérise par des populations peu nombreuses et une faible densité de population et par un éloignement considérable des zones très densément peuplées. Les notions de distance et de densité sont cruciales dans l'analyse d'un programme ou d'une politique visant les zones rurales.

Il est important de comprendre que les besoins des zones rurales du Canada en matière d'infrastructure sont uniques. Les besoins en termes d'infrastructure et ce qui les motive sont différents. Il est important de comprendre la courbe de ruralité. Il n'y a pas deux collectivités semblables, et il s'agit de concevoir des projets qui soient utiles aux petites localités tout en réduisant le coût associé à la distance.

L'infrastructure est indispensable à la viabilité, à la pérennité et à la résilience des collectivités rurales du Canada. J'aimerais aborder quatre éléments essentiels de la relation entre infrastructure, développement rural et développement économique, qui, d'après moi, vous seront utiles.

Premièrement, l'infrastructure facilite la participation à l'économie nationale. Les ressources naturelles extraites des zones rurales du Canada constituent environ 50 p. 100 de nos exportations. Ces entreprises paient des impôts tous les ans, créent des emplois et favorisent la croissance dans les zones urbaines et rurales du Canada. Le manque d'investissement dans les infrastructures compromet l'avenir de ces agents de développement économique et menace la suite de leurs activités dans les collectivités rurales du Canada, au profit de tous les Canadiens.

Deuxièmement, et il en a été question dans la conversation avec le sénateur Woo, il faut tenir compte du contexte spatial et de son importance nouvelle dans le développement rural et le développement économique. Le rôle des stratégies de développement axées sur les caractéristiques d'un endroit est devenu un enjeu dominant, de sorte que les questions ne sont plus simplement d'ordre économique. Il est question des enjeux associés aux ressources naturelles et aux ressources matérielles et humaines qui sont propres à tel endroit.

Lorsqu'on élabore des stratégies de développement axées sur les caractéristiques d'un endroit, les infrastructures jouent un rôle fondamental au sens où ce sont elles qui permettent aux collectivités rurales d'attirer des gens et du capital et de les garder. On s'attend à ce que toutes les collectivités offrent une solide série de services comme de l'eau potable, des routes, des services d'enlèvement des ordures ménagères, et l'accès à Internet à haute vitesse. L'actuel déficit des zones rurales en matière d'infrastructure les empêche d'élaborer ce genre de stratégie, de conserver leurs infrastructures et d'en créer de nouvelles en attirant du capital humain et financier.

Il faut rappeler que le développement économique ne peut être séparé d'un développement global et holistique, où interviennent des facteurs d'ordre social, environnemental et culturel. Il est impératif de voir au-delà de la seule perspective économique lorsqu'il est question d'infrastructures rurales.

Il faut aussi dépasser la notion d'infrastructure comme subventionnement et l'envisager plutôt du côté de l'investissement. Nous savons, grâce au nouveau paradigme rural de l'OCDE, que cela encourage un investissement stratégique susceptible de produire des avantages dans la concurrence et que cela met l'accent sur de nouvelles formes de collaboration entre les gouvernements et les collectivités. Le développement rural durable suppose de nouvelles perspectives en matière d'infrastructure. L'investissement doit être à long terme et durable et il doit s'enraciner dans les réalités rurales de nos collectivités.

L'investissement dans les infrastructures doit faire partie d'un dialogue plus large sur le développement rural et ne pas être envisagé en soi.

Le quatrième élément que je vous propose de considérer est le fait que les infrastructures produisent de nouvelles possibilités de développement économique dans les zones rurales, notamment en termes de technologie, là où il est crucial de soutenir et de susciter de nouvelles initiatives en matière de développement économique. La connectivité à haute vitesse, récemment désignée comme service de télécommunications, représente l'occasion pour les collectivités rurales d'accroître les revenus d'emploi et de donner accès à des marchés plus importants. La connectivité à haute vitesse, comme beaucoup de sénateurs le savent très bien, est une infrastructure variable dans le pays.

Compte tenu des recherches de la Fondation canadienne pour la revitalisation rurale, de la Communauté d'apprentissage des politiques rurales et de l'Institut du développement rural, mes collègues et moi-même avons retenu huit observations qui, nous l'espérons, contribueront à éclairer les questions qui se posent au sujet de l'investissement dans les infrastructures des zones rurales du Canada.

La première est qu'il faut trouver des mécanismes de financement stable et à long terme pour que les collectivités rurales puissent dresser des plans à cet égard.

Associée à la première, la deuxième est que l'investissement dans les infrastructures rurales passe par une planification à long terme, une gestion des biens et une comptabilisation complète des coûts. C'est nécessaire parce que nous devons veiller à prendre les décisions qui s'imposent compte tenu de la situation concrète en milieu rural. Nous voulons également conserver le cycle de vie des infrastructures et veiller à augmenter l'efficacité financière de nos investissements.

Nous devons également veiller à ce que les décisions locales soient intégrées à l'investissement dans les infrastructures. On a besoin de programmes souples, aptes à tenir compte de la diversité rurale d'un bout à l'autre du pays. Il n'y a pas deux collectivités rurales identiques. Pourquoi la politique serait-elle la même?

Il faut aussi orienter les ressources vers le renforcement de la capacité. C'est peut-être un peu différent, mais cela tient compte du fait que, quand on parle d'infrastructure, on ne parle pas seulement de bâtiments et de dollars. Il faut aussi que les collectivités locales aient la capacité de construire et d'entretenir les infrastructures à long terme. Nous serions bien insouciants de ne pas prévoir de fonds pour le renforcement de la capacité.

Il faut aussi tenir compte des économies d'échelle quand on parle d'investir dans les infrastructures. Il en a été question plus tôt. Nous devons veiller à ce que les infrastructures du pays fonctionnent en réseau. Il faut rentabiliser au maximum les fonds limités dont nous disposons afin d'éviter le double emploi des efforts et accroître la complémentarité autant que possible dans les zones rurales.

Comme l'a dit la sénatrice Eaton tout à l'heure, nous avons besoin de mécanismes de suivi à long terme et d'évaluation des projets. À défaut de ce genre de mesures, il est incroyablement difficile de savoir ce que produisent nos investissements. C'est fondamental.

Enfin, je voudrais rappeler au Sénat que nous pouvons faire appel aux meilleures technologies disponibles sur le marché. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il faut toujours employer la technologie la meilleure, la plus sophistiquée et la plus récente, parce que ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus important pour les collectivités rurales. Il faut parfois se demander si la technologie que nous voulons employer convient au contexte. Elle doit permettre de répondre à la demande de capital humain et de capital financier. Si on construit une infrastructure énorme, impressionnante et de la meilleure qualité, mais qu'on ne peut pas l'entretenir, ce n'est pas un bon investissement. Il faut veiller à utiliser la meilleure technologie qui corresponde à la situation concrète de la localité.

Je vais m'arrêter là, mais je veux d'abord vous remercier de m'avoir permis de vous donner mon point de vue. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci à vous deux de vos exposés. Je crois que nous avons une longue liste de questions.

La sénatrice Eaton : Je vais commencer par M. Lammam. Pour garantir une meilleure efficacité et une meilleure efficience, pour permettre aux municipalités de planifier à plus long terme et pour s'éloigner de la politisation du terme « infrastructure », vous proposez, je crois, plusieurs éléments valables dans l'un de vos discours que j'ai ici, à savoir que certaines choses devraient relever des services sociaux et d'autres, de l'environnement.

Vaudrait-il mieux que le gouvernement remette aux municipalités une part plus importante de la taxe sur l'essence? Vous avez écarté l'aspect politique. Je vis à Toronto, et je ne sais pas si vous êtes venus à Toronto dernièrement, mais les routes ont l'air de ça : il y a des trous. On n'a pas construit de métro. Le réseau n'a pas été agrandi depuis 1980. On nous dit qu'il n'y a pas d'argent pour cela. Le Gardiner Expressway est en train de tomber en ruine. On l'a un peu consolidé. Serait-il plus efficace d'offrir aux municipalités une plus large part de la taxe sur l'essence pour qu'elles puissent planifier à long terme et construire leurs infrastructures, les conserver, entretenir les routes, allonger les lignes de métro?

M. Lammam : Merci de cette remarque, madame la sénatrice. Je pense qu'elle est fondamentale compte tenu de ce qui se passe en ce moment. Le gouvernement fédéral est en train d'élaborer un plan d'infrastructure à grande échelle. Il n'y a pas que les 100 milliards de dollars annoncés par le gouvernement actuel, il y a aussi le montant presque équivalent engagé par le gouvernement précédent.

La sénatrice Eaton : C'est un enjeu non partisan.

M. Lammam : Bien sûr. La raison pour laquelle votre remarque est si importante est que nous avons maintenant un gouvernement fédéral qui joue un rôle de plus en plus grand dans ce qui, selon moi, est d'ordre local. Vous avez raison de rappeler que les municipalités, et dans une certaine mesure les provinces, sont mieux placées pour prendre des décisions sur les projets d'infrastructure qui conviennent le mieux à leur région et à leur population, mais ce qui se passe en ce moment, c'est que, en raison des subventions conditionnelles, notamment dans le cadre du nouveau plan annoncé, les administrations locales acceptent des projets qui vont attirer des fonds plutôt que des projets qui répondent aux besoins les plus pressants de la région. Elles réagissent évidemment aux incitatifs qui leur sont adressés.

Le gouvernement fédéral devrait plutôt permettre aux ordres de gouvernement inférieurs de prendre ces décisions, tout simplement parce qu'ils sont mieux placés pour les prendre. Cela ne veut pas dire que le gouvernement fédéral n'a pas de rôle à jouer à cet égard. Il a un rôle fondamental à jouer, évidemment, lorsqu'il s'agit d'envisager la situation à l'échelle nationale. Il peut aussi jouer un rôle dans les enjeux interprovinciaux. Mais, compte tenu de ce que nous avons vu, par exemple, en matière de transport en commun, de construction de centres communautaires ou de construction d'usines d'assainissement des eaux usées, Ottawa n'est vraiment pas en mesure de prendre ces décisions. Il s'ensuit des situations où l'on n'a pas l'infrastructure qui répond le mieux aux besoins et qui produit les meilleures retombées économiques.

Je pense que c'est extraordinairement important. Les gens ne se rendent pas compte que, si on examine la prise en charge des infrastructures, la part du gouvernement fédéral représente ceci. Le chiffre est dans notre rapport : 5 p. 100 ou moins. Cinquante pour cent incombent aux administrations locales, et le reste revient aux provinces. Ce sont ces ordres de gouvernement, les municipalités et les provinces, qui sont le mieux placés pour prendre ces initiatives. Ils ont besoin de ressources pour passer à l'action, et le transfert de points d'impôt est un moyen de le faire.

La sénatrice Eaton : Ma dernière question s'adresse à M. Gibson. Monsieur Gibson, nous vivons dans un pays magnifique, mais vous avez absolument raison de signaler l'importance de la densité et de la distance au Canada. Quand on traverse le pays, on pense chemins de fer, routes, approvisionnement en eau, gestion des déchets, et tout ce dont vous avez parlé. Si vous aviez un moyen prioritaire d'aider les gens à rester dans leurs collectivités, quel serait-il? Si je vous demandais de me donner une priorité financière, quelle serait-elle?

M. Gibson : Voilà une question très intéressante, mais je pense, malheureusement, que la réponse est différente pour chaque collectivité. Cela dit, je pense que, si vous posiez la question aux collectivités rurales en ce moment même, la plupart vous parleraient de la connexion Internet à haute vitesse. Je crois que c'est ce qui permettrait de retenir et d'attirer les jeunes et d'ouvrir des possibilités d'investissement dans des entreprises, notamment pour les plans de relève, mais aussi pour l'incubation de nouvelles entreprises.

La sénatrice Eaton : Et les fermes.

M. Gibson : Et les fermes, oui, tout à fait. L'autre aspect de la connectivité à haute vitesse est que cela donne la possibilité de rester concurrentiel. Nos collectivités ne font plus concurrence à la collectivité voisine, mais à d'autres pays, et, la plupart des collectivités vous diraient probablement que, de toutes les infrastructures, c'est celle dont elles ont le plus besoin. Celles qui ont peut-être un service Internet faible souhaiteraient sans doute plus de vitesse ou une meilleure connectivité. Il y a beaucoup de collectivités rurales où la connexion Internet se fait encore par commutation manuelle.

La vice-présidente : Je crois que M. Lammam voudrait intervenir.

M. Lammam : À propos de ce que j'ai dit tout à l'heure, au sujet des pourcentages de prise en charge des infrastructures du pays, le gouvernement fédéral possède 2 p. 100, les municipalités, 57 p. 100, et les provinces, 41 p. 100. Je voulais le signaler parce que c'est important. Quand le gouvernement qui recueille les fonds n'est pas celui qui les dépense, on crée un énorme problème d'imputabilité pour les citoyens. Je pense que c'est une autre raison de chercher à mieux faire correspondre les dépenses d'infrastructure et la source des revenus.

La vice-présidente : Merci. Avez-vous terminé?

La sénatrice Eaton : Oui, merci beaucoup.

La sénatrice Moncion : J'ai quelques questions. L'une d'elles porte sur le genre de projets susceptibles d'améliorer la productivité à long terme. On parle ici de garderies et de choses comme cela. Ce sont des investissements à court terme dont nous avons besoin, mais du côté social. Quand on envisage le long terme, dans quoi le Canada devrait-il investir pour améliorer la productivité à long terme?

M. Lammam : Excellente question. Ce qu'il faut faire, c'est analyser chaque projet envisagé. S'agissant de projets susceptibles d'améliorer la productivité de notre économie, on parle généralement d'infrastructures de base. Ce sont les projets qui, selon les spécialistes, sont le plus susceptibles d'être profitables à l'économie.

La raison pour laquelle je m'intéresse ici à l'économie est que c'est la principale justification avancée par le gouvernement au sujet de ce vaste plan d'investissement. Il l'a présenté comme un moyen de favoriser la croissance économique du Canada, et je veux donc évaluer ce plan en fonction de sa propre justification.

Je tiens à être très clair ici. Si on construit un pont vers nulle part, cela n'améliorera pas la productivité. Donc, le simple fait d'avoir un projet entrant dans le budget des infrastructures de base, qu'il s'agisse de routes, de ponts, de chemins de fer ou de ports, n'est pas une condition suffisante, mais c'est certainement de l'ordre de ce que les spécialistes estiment être le plus apte à faciliter la circulation des personnes et des biens en direction des marchés étrangers.

Rappelons-nous que le Canada est une économie ouverte. Il y a évidemment des risques sur le front commercial de nos jours, mais nous avons besoin de mettre nos ressources à niveau. Nous avons besoin de faciliter la circulation des biens, des services et des personnes, et c'est le genre de choses qui nous font travailler plus intelligemment, qui facilitent la circulation des biens à moindre coût et qui, au final, favorisent la croissance économique. Il s'agit d'évaluer chaque projet. Il ne faut pas croire que tout ce qui entre dans la catégorie des infrastructures de base finira par favoriser la croissance économique. Il faut faire preuve de plus de discernement.

La sénatrice Moncion : Je suis d'accord avec vous. Vous parliez de réparer les trottoirs et les chaussées des villes. Je ne suis pas sûre que ce genre de dépenses améliore la productivité du Canada. Cela rend les choses plus faciles pour les navetteurs, mais, à mon avis, le genre de projet à long terme qu'on devrait envisager serait de construire la route du nord pour pouvoir faire circuler plus rapidement nos produits d'un bout à l'autre du pays. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet, l'un ou l'autre d'entre vous.

M. Lammam : Est-ce que c'est vous qui avez parlé de trottoirs?

M. Gibson : Peut-être une remarque rapide à ce sujet. Quand on examine la situation des collectivités rurales, je ne peux pas parler des trottoirs urbains à Toronto, mais, dans les collectivités nordiques, quand je pense à la route du nord, je me rappelle qu'une grande partie de cette infrastructure a été construite dans les années 1960 pour acheminer les ressources vers le sud et vers les marchés étrangers. Une grande partie de cette infrastructure n'a pas été correctement entretenue ou n'a pas été entretenue du tout. Cela fait 40 ou 50 ans qu'on n'a aucun plan à long terme pour cette infrastructure, et cela empêche les collectivités qui longent cette route ou d'autres couloirs de transport d'acheminer leurs biens, quels qu'ils soient — bois d'œuvre, poisson, minéraux — vers les marchés.

M. Lammam : Encore un mot à ce sujet. Je dirais que, quand on construit des routes, des ponts, des chemins de fer et des ports, on ne peut pas estimer que le travail est terminé. C'est seulement l'étape de la construction. En fait, 80 p. 100 des coûts liés au cycle de vie d'une infrastructure découlent de son utilisation et de son entretien, deux éléments cruciaux qu'on a tendance à oublier.

Quand on parle d'infrastructure, on parle de différentes étapes d'un processus. Nous devons donc entretenir comme il convient les infrastructures, mais il faut savoir exactement dans quoi nous investissons et être conscients du potentiel économique qui en découle. Je suis d'accord avec vous à ce sujet, mais il ne faut pas négliger les infrastructures que nous possédons, faute de quoi nous aurions d'autres problèmes à régler.

La sénatrice Moncion : Merci.

Le sénateur Woo : Merci de vos exposés. C'était vraiment intéressant. Je vais peut-être commencer par M. Lammam. Pouvez-vous me parler du calcul du pourcentage de projets que vous estimez susceptibles d'améliorer la productivité économique? Je crois que vous avez parlé de 10 p. 100. Quel était votre dénominateur? Était-ce une cible de 10 milliards de dollars fixée par le gouvernement?

M. Lammam : Bien sûr. Il est probablement utile de rappeler que le gouvernement fédéral continue de fournir des détails...

Le sénateur Woo : Précisément.

M. Lammam : ... sur ce plan, qui s'étend sur une décennie. Compte tenu de ce que nous savons actuellement, nos derniers calculs donnent à penser que le gouvernement actuel envisage d'investir 96 milliards de dollars dans de nouvelles infrastructures, dont 10,1 milliards dans la catégorie du commerce et des transports, c'est-à-dire, je le rappelle, dans un domaine susceptible de favoriser la croissance à long terme. Il n'y a aucune garantie, mais c'est la catégorie qui, selon les études et les faits, serait la candidate la plus probable.

Le sénateur Woo : Je suis d'accord. D'autres témoins nous ont parlé de l'importance, par exemple, de l'initiative relative à la porte d'entrée de l'Asie-Pacifique de ce point de vue.

Je suis curieux de savoir comment vous pouvez être aussi sûr de ce 10 p. 100, parce que nous venons juste d'apprendre que le DBP n'est même pas au courant des projets en question. En fait, on a pour l'instant circonscrit un très faible pourcentage de projets. Pour beaucoup d'entre eux, l'argent a été mis de côté dans le budget de 2016, et maintenant dans le budget de 2017, mais on ne sait pas encore de quels projets il s'agit. Il me semble donc un peu prématuré d'avancer un chiffre concernant le nombre de projets qui seraient plus ou moins susceptibles d'améliorer la productivité. C'est juste une remarque. Peut-être que vous pourrez affiner votre estimation à mesure que les données se feront plus précises.

On nous a également dit — en fait, cela préfigurait votre exposé — que, selon certaines de vos recherches, il a été tenu compte de l'impact différentiel de différents types d'investissements dans les infrastructures. On a donc ajusté les multiplicateurs pour les abaisser à 0,8 ou quelque chose comme ça. Pensez-vous que ce soit un multiplicateur raisonnable, étant donné qu'ils ont tenu compte...

M. Lammam : Pouvez-vous répéter le chiffre? Vous avez dit 0,8?

Le sénateur Woo : Oui, 0,8, c'est-à-dire un multiplicateur de 1,80 $.

M. Lammam : Il y a beaucoup à dire ici. Permettez que je commence par votre première question, après quoi je reviendrai sur le multiplicateur.

Quand je dis qu'environ 11 p. 100 du plan d'infrastructure est susceptible de favoriser la productivité, je dis bien « susceptible de », parce que nous n'avons pas encore toute l'information. On en apprend un peu plus chaque jour, mais le gouvernement a placé l'argent dans différents paniers : le transport en commun, l'infrastructure sociale, l'infrastructure verte, le commerce et les transports, et puis, dernièrement, les collectivités rurales et nordiques. C'est ainsi que nous calculons le 11 p. 100.

Ce qui est préoccupant, c'est que, à mesure que nous sommes informés, nous constatons que des projets de plus en plus discutables sont inscrits dans la catégorie du commerce et des transports. J'ai fait allusion dans mes remarques préliminaires à ce que le dernier budget, le budget de 2017, avait à dire sur le commerce et les transports. Il y a dans cette catégorie des choses comme la collecte de données et la recherche, à raison de 241 millions de dollars sur 11 ans versés à un organisme gouvernemental chargé d'améliorer la collecte et l'analyse des données relatives au logement. Il y a aussi 50 millions de dollars de dépenses destinées censément à l'infrastructure, mais qui sont réservés à un nouveau centre du gouvernement chargé de recueillir et de publier des données sur les transports au Canada. Il y a ensuite la réglementation des voitures autonomes et des véhicules télécommandés, qui sont également versés dans cette catégorie.

Si on soustrait, comme il convient, ces projets de la catégorie de ceux qui sont susceptibles d'améliorer la productivité, le calcul le plus récent donne un chiffre inférieur à 10 p. 100, soit 9,3 p. 100, compte tenu des derniers détails qui nous ont été fournis. Je pense donc que cela empire, et non l'inverse, sans poursuivre trop loin l'analyse.

La deuxième question que vous avez posée, au sujet du multiplicateur, est importante. Je ne suis pas sûr que tout le monde ici sache bien de quoi il s'agit. Dans sa forme la plus simple, disons qu'il s'agit de mesurer l'effet sur l'économie globale de l'investissement d'un dollar dans un projet d'infrastructure. Tout chiffre inférieur à 1 signifie que les dépenses du gouvernement sont, en fait, en train de réduire l'activité. Donc, dire que 0,8 est un bon...

Le sénateur Woo : Je dois intervenir ici, parce que ce qu'il a dit, c'est que cela produit 80 cents de plus, donc on parle de 1,8 si vous interprétez les choses ainsi.

M. Lammam : Si on s'en remet aux doyens des stimulants financiers, qu'il s'agisse de Robert Barro ou d'Alberto Alesina, de Harvard, et si on examine le travail qu'ils ont fait, on voit très bien que, pour qu'un multiplicateur soit le signe d'une amélioration effective de l'économie, il doit être supérieur à 1,0. On ne peut pas analyser les choses à court terme. Ce qui importe dans la recherche, c'est d'examiner les effets à long terme des dépenses d'infrastructure, parce qu'elles peuvent finalement réduire la production globale.

Le sénateur Woo : Je comprends, et c'est une théorie controversée. Je ne veux pas m'engager dans cette voie, parce que cela ennuiera mes collègues. C'est une théorie controversée que de dire qu'un des effets à long terme pourrait être une réduction des revenus du gouvernement et de la production globale.

Permettez que je pose une question à laquelle vous pourrez répondre tous les deux. Je veux me montrer équitable envers M. Gibson également. Je parle de la façon dont vous définissez les investissements dans des infrastructures susceptibles d'améliorer la productivité. Pour l'essentiel, vous avez une catégorie, la catégorie du commerce et des transports, je crois. Nous avons un peu discuté de la pertinence et de l'importance de l'investissement dans une infrastructure à large bande. Pourriez-vous, l'un et l'autre, nous expliquer ce que serait, d'après vous, l'impact d'un investissement important dans les services à large bande, notamment dans les zones rurales, en termes d'amélioration de la productivité à l'échelle du pays? M. Gibson nous en a un peu parlé. Je vous reviendrai. Peut-être que M. Lammam pourrait commencer, parce que cela ne faisait pas partie de votre catégorie d'investissements susceptibles d'améliorer la productivité.

M. Lammam : On ne peut pas dire avec précision où cela se produira.

Je tiens à revenir à notre échange précédent, parce qu'il y a beaucoup à dire à ce sujet. Encore une fois, si le comité ne veut pas s'engager dans cette voie, je ne le ferai pas, mais je serai heureux de vous dire en quoi la conjoncture économique du Canada est moins bonne depuis l'annonce de ce plan — j'entends la conjoncture comme étant la moyenne des résultats des prévisionnistes du secteur privé au pays. On peut discuter de cela, et je pense que ce serait une conversation importante pour des non-économistes, mais, encore une fois, je m'en remets au groupe.

Pour ce qui est des services à large bande, c'est un agent économique. Les résultats de la recherche sont clairs : cela peut en effet améliorer la productivité. Mais, quant à vous dire dans quelle mesure le plan entre dans cette catégorie, cela m'est impossible, parce que cela n'est pas affecté et garanti comme il convient dans le plan du gouvernement. Cela dit, ce serait un bien meilleur moyen que d'autres d'améliorer la productivité. Mais les données fournies par le gouvernement ne sont pas suffisantes pour permettre de faire le tri.

Le sénateur Woo : D'accord.

M. Gibson : Si je peux répondre à votre question sur les services à large bande, on ne manque pas de retombées économiques à en espérer. Je pense à une recherche que nous avons faite à Churchill, au Manitoba, dans une collectivité où, avant le programme BRAND du gouvernement fédéral, qui remonte au début des années 2000, les gens ont créé leur propre infrastructure, une infrastructure axée sur les besoins de la collectivité et lui appartenant. Ils ont eu des services Internet à haute vitesse pendant trois ou quatre ans, et puis tout s'est défait. Nous avons eu l'occasion d'examiner les répercussions économiques de ce changement, parce qu'ils ont eu des services Internet à haute vitesse pendant trois ou quatre ans, et, soudain, ils sont revenus à la commutation manuelle. C'est là que nous avons constaté des pertes d'emploi, parce que, tout à coup, les hôtels ne pouvaient plus prendre de réservations en ligne. Nous avons vu la production diminuer, depuis les attractions jusqu'aux artisans. On n'imprimait plus de catalogues, et les coûts d'entreprise ont de nouveau augmenté parce qu'il fallait imprimer des catalogues au lieu de tout mettre en ligne. Nous avons donc constaté les répercussions directes de la connectivité à haute vitesse. Nous l'avons vu aussi en Nouvelle- Écosse. On peut le constater partout au pays.

En termes d'amélioration de la productivité, je ne partage pas l'avis de mon collègue. Concernant les garderies, c'est une amélioration de la productivité. Un investissement dans l'infrastructure des garderies en milieu rural signifie souvent le retour, surtout des femmes, mais des deux sexes, sur le marché du travail et leur réengagement dans la population active. C'est aussi un multiplicateur d'emplois grâce aux projets de construction à court terme. Toutes sortes de choses tournent autour de cela. C'est pour cette raison qu'il est important de conserver une perspective plus large que la seule économie, parce qu'il est aussi question de qualité de vie. Est-ce que les gens veulent vivre dans ces collectivités? Cela a des répercussions énormes, parce que cela signifie la perte d'infirmières, de médecins, de services de vente au détail et de consommateurs.

Le sénateur Woo : Merci.

La sénatrice Andreychuk : Encore un mot à ce sujet, monsieur Gibson. Je suis d'accord avec vous concernant les garderies, surtout pour les femmes qui veulent retourner au travail et être productives. Ce n'est pas ce que faisons ici. Nous essayons d'analyser où est l'argent, comment il est dépensé et s'il permet de répondre aux besoins des programmes. Vous l'appelez infrastructure. Il existe une définition classique de la notion d'infrastructure, et voilà que, tout d'un coup, sous cette rubrique, vous nous vendez l'idée que cela améliorera l'économie, sous une forme ou une autre. Et puis vous commencez à investir dans les garderies, et cetera.

Cela soulève une difficulté. Je connais bien les enjeux de l'infrastructure sociale étant donné mes antécédents. Je veux une analyse de programme. Je veux une analyse des coûts des garderies, parce que cela dépend du type de garderie. Est-ce que cela répond aux besoins des collectivités rurales? Il ne s'agit donc pas de régler la question des garderies et des problèmes sociaux, mais, quand vous classez tout cela sous la rubrique classique de l'infrastructure, je pense que c'est probablement très astucieux sur le plan politique, mais ce n'est pas exactement une bonne chose sur le plan de l'imputabilité. C'est le dilemme dans lequel je me débats.

Pour rester dans la même veine, si vous voulez investir dans les garderies en milieu rural, qu'allez-vous faire pour les collectivités autochtones? Vous parlez de milieu rural, mais, à mes yeux, ce n'est pas simplement une opposition entre milieu rural et milieu urbain; il s'agit aussi des collectivités autochtones, des collectivités isolées et des collectivités nordiques.

Il ne s'agit de pas simplement de fournir ces services et de régler ces problèmes, mais de s'assurer que nous rentabilisons du mieux possible les fonds que nous investissons pour fournir tout cela : des infrastructures ici, des biens matériels là, des services sociaux là-bas, et cetera. C'est là que tout se mélange et qu'on ne sait plus à quoi servent les fonds. Et c'est la question que je vous pose.

M. Gibson : Je comprends. Au final, cela témoigne de la difficulté du comité, et du gouvernement en général, à distinguer, comme vous l'avez expliqué, ce qui relève de l'infrastructure et ce qui relève de l'investissement social, et c'est effectivement très difficile à faire. Vous avez raison : ce sont des questions qui concernent les collectivités rurales, les collectivités éloignées et les collectivités autochtones. Il s'agit de savoir la situation dans laquelle elles se trouvent et de connaître leurs besoins pour les aider à avancer.

Pour certaines collectivités, le problème, c'est l'eau potable et la possibilité d'avoir chez soi de l'eau saine et propre pour la consommation humaine. Pour d'autres collectivités, la situation peut être différente. C'est peut-être une garderie dont elles auront besoin pour avancer. Comme elles ont déjà une infrastructure de base, elles peuvent développer d'autres aspects.

C'est absolument spécifique du contexte. Je partage votre frustration à essayer de classer les choses et de comprendre comment tout cela se justifie, et la question est, au final, celle de l'évaluation. Comment savoir si l'on vient de faire un bon investissement?

La vice-présidente : Messieurs, on m'a demandé de vous demander si vous pourriez nous fournir un exemplaire de l'étude faite à Churchill.

M. Gibson : Bien sûr. Je peux l'envoyer par courriel à la greffière.

La vice-présidente : S'il vous plaît. C'est pour cela qu'elle est assise ici, pour tout recevoir.

M. Gibson : Nous pourrons l'envoyer par la suite. Il y a aussi deux autres documents que nous vous enverrons.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Pratte : Je voudrais revenir sur cette question des infrastructures sociales par opposition aux infrastructures productives. Je m'adresse surtout à M. Lammam, mais aussi à M. Gibson.

Lorsqu'on demande au gouvernement actuel si les infrastructures sociales sont bonnes pour l'économie, la réponse est généralement, par exemple, que les garderies permettent aux femmes de retourner au travail et que cela est bon pour l'économie. Et, si on aide les sans-abris, ils deviendront des citoyens productifs, et cela aussi est bon pour l'économie. Et, si on aide les Autochtones compte tenu de leur situation, ils pourront entrer sur le marché du travail et devenir des citoyens productifs, et cela aussi est bon pour l'économie. Et ainsi de suite.

N'est-ce pas une bonne raison d'appeler un investissement social un investissement, voire une infrastructure, puisque c'est bon pour l'économie? Je me fais l'avocate du diable ici, parce que je ne suis pas très sûre d'y croire, mais peu importe.

M. Lammam : Pour vous répondre, il s'agit d'un bon énoncé rhétorique, mais reste à savoir si cela s'appuie sur des faits. Pour se faire une idée réelle des véritables retombées économiques de ces divers projets d'infrastructure, il faut connaître les détails de ce qu'ils annoncent. Mais c'est une tendance très dangereuse, une pente très glissante, que de supposer que tout ce que fait le gouvernement produit un avantage économique. Il faut comprendre que, pour obtenir un avantage économique, il faut tenir compte des impôts qui vont les financer, et c'est un coût énorme pour l'économie qui doit être compensé par diverses initiatives, et ces initiatives ne sont pas assorties de données factuelles donnant à penser qu'elles vont effectivement permettre de concrétiser ces objectifs économiques.

Ce que je veux dire, c'est qu'on peut avancer n'importe quel argument pour prouver que telle ou telle dépense du gouvernement produira un avantage économique, mais ce n'est pas suffisant pour prouver que ce sera effectivement le cas dans la pratique. J'ai essayé d'expliquer dans mes remarques préliminaires que certaines de ces initiatives représentent une valeur pour la population, et cela ne fait aucun doute. Mais le gouvernement a dit aux Canadiens que son plan va favoriser la croissance économique, et c'est là que, d'après moi, il faut faire preuve d'un peu plus de discernement à l'égard des arguments qui sont avancés et de comprendre clairement qu'il existe des données solides attestant que, quand on tient compte des impôts nécessaires à ces investissements et du déplacement éventuel d'autres mesures du gouvernement, tout comme le déplacement du rôle du secteur privé dans ces projets — parce qu'il faut bien comprendre que les ressources ne tombent pas du ciel et qu'elles viennent des entreprises privées qui se désintéresseront d'autres projets pour s'engager dans ceux du gouvernement. Il n'y a donc pas suffisamment de preuves que ces projets vont effectivement produire un avantage net sous la forme d'une augmentation de la productivité.

Le sénateur Pratte : Est-ce qu'il n'y a pas de preuves valables concernant les garderies pourtant?

M. Lammam : Mes collègues ont produit un rapport, que je serai heureux de vous communiquer, sur le seul cas important que nous avons au Canada à cet égard et qui est l'expérience du Québec. Il est important de s'intéresser à cette analyse, parce qu'elle montre que beaucoup des avantages supposés de cette expérience ne sont pas, en fait, économiquement porteurs. Bien évidemment, beaucoup de gens le contesteront, mais j'invite le comité à examiner ce rapport, qui analyse vraiment les faits relatifs à l'expérience du Québec.

Le sénateur Pratte : Une dernière remarque : ce serait donc un bon argument en faveur d'une banque des infrastructures, puisque cela ferait appel au capital du secteur privé pour le financement de projets d'infrastructure, n'est-ce pas?

M. Lammam : Encore une fois, nous n'avons pas beaucoup d'information concernant la banque des infrastructures. Il y a une chose qui, d'après moi, est inquiétante...

Le sénateur Pratte : Je parle de l'idée d'une banque de ce genre.

M. Lammam : Je ne vois pas bien en quoi ce serait différent de ce que le Canada fait dans le cadre des partenariats public-privé, soit un accord interpartis sur les avantages des PPP pour financer des projets d'infrastructure.

Pour une raison ou une autre, le gouvernement actuel s'est éloigné de ce modèle, alors que celui-ci a fait ses preuves, et pas seulement au Canada, mais aussi au Royaume-Unis et en Australie. Le Canada est devenu un chef de file dans ce domaine, entre autres grâce aux efforts du gouvernement de la Colombie-Britannique en matière de PPP, et la raison pour laquelle ces projets se sont révélés avantageux est qu'on ne leur a pas donné l'objectif d'améliorer la productivité, mais, si le gouvernement décide de construire un pont ou une route, il peut le faire de façon plus efficace et novatrice que par les moyens d'approvisionnement traditionnels. Le modèle des PPP s'est révélé avantageux parce qu'il a permis de réaliser des projets à temps, généralement parlant, de respecter des budgets et d'employer des stratégies novatrices tenant compte du cycle de vie de l'infrastructure.

Il existe donc des moyens de réaliser tel ou tel type de projet d'infrastructure de façon plus efficace, et qui a fait ses preuves au Canada, et voilà que nous parlons de cette nouvelle banque des infrastructures dont le gouvernement va essayer de se servir pour obtenir du capital privé. On ne voit pas bien en quoi ce sera différent des PPP et en quoi ce sera avantageux. Je ne peux pas en dire plus parce que je n'ai pas encore d'information détaillée.

La vice-présidente : Ce n'est pas notre cas non plus, je pense, mais ce n'est pas un problème.

La sénatrice Marshall : Je vais commencer par M. Lammam, et je lui demande de me corriger si ma mémoire me trahit.

J'aimerais que vous explicitiez certaines remarques que vous avez faites. L'une d'elles était au début de votre exposé, quand nous parlions de l'infrastructure sociale et des 10 p. 100 des prévisions budgétaires du gouvernement fédéral applicables au secteur des transports. Vous avez parlé d'infrastructure verte et d'infrastructure sociale. Il me semble que vous avez dit que ces projets pourraient même faire du tort à l'économie. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Lammam : Oui.

La sénatrice Marshall : J'aimerais que vous nous expliquiez cela.

M. Lammam : C'est lié à la remarque que j'ai faite tout à l'heure. Quand on calcule tous les coûts d'un projet, il faut tenir compte non pas seulement des taux d'intérêt relatifs à la construction, mais de tout le cycle de vie, du fonctionnement, des frais d'entretien, ainsi que des coûts fiscaux. Comme le comité le sait probablement, quand un gouvernement prélève des impôts, il impose un coût à l'économie. Certains prélèvements imposent un coût plus élevé, et ils font plus de tort que d'autres. Mais il y a un coût associé au prélèvement de fonds, notamment en ce qui concerne les infrastructures financées par des emprunts.

Si on parle d'un projet en particulier, on peut y voir des avantages sociaux liés à telle ou telle activité, mais, si on ne peut pas en tirer d'avantages économiques du point de vue de l'augmentation de la production et du PIB, il se peut qu'on finisse par faire du tort à l'économie nette une fois calculée la réduction du PIB découlant des impôts à prélever.

Encore une fois, il s'agit d'une analyse projet par projet, mais ce travail a été fait par Ken McKenzie, par Bev Dahlby, de l'Université de Calgary, et par M. Leeper. Ils se sont penchés sur cette question. Il faut en être conscient quand on se demande si tel projet va favoriser ou entraver l'économie.

La sénatrice Marshall : J'aimerais que vous reveniez sur quelque chose que vous avez dit, je crois, à savoir que, depuis que le programme a été mis en place, l'activité économique a en réalité diminué. C'est bien cela?

M. Lammam : Non. J'ai dit que, dans le cadre de n'importe quel budget ou mise à jour financière, le gouvernement consulte une dizaine d'économistes, environ, des grandes banques et organisations du secteur privé pour connaître leur point de vue prospectif sur l'économie, le PIB et d'autres variables, et il en fait une moyenne. Il s'agit de dépolitiser, en théorie, le processus budgétaire pour employer un instrument de mesure de base pour élaborer le budget.

Dans le cadre de ce processus, depuis 2015, depuis la mise à jour, les prévisions de croissance économique de 2016 à 2020 ont en fait diminué selon le point de vue des économistes du secteur privé.

Il n'existe pas de prévisions exactes, mais celles-ci s'appuient sur plusieurs hypothèses, modèles et données étayant leur point de vue. Et les prévisions ont diminué, c'est indéniable. Les chiffres sont dans notre rapport, et...

La sénatrice Marshall : Et nous faisons aussi le suivi des chiffres.

M. Lammam : Les prévisions de croissance étaient de 2,1 à la mise à jour de l'automne, puis de 1,9 au moment du budget et de 1,7 à la mise à jour, et elles ont encore diminué au moment du dernier budget.

Est-ce que cela prouve que l'infrastructure n'est pas bonne? Bien sûr que non, mais cela vous donne une idée de ce à quoi s'attendent les gens. Je suis sûr que les représentants du directeur parlementaire du budget ont expliqué que la plus grande partie de ce que le gouvernement avait l'intention de dépenser au cours du dernier exercice et a l'intention de dépenser durant le présent exercice n'a pas encore été dépensé. Dans bien des cas, les projets ne sont même pas encore identifiés, sans parler de commencer à les réaliser. Cela renvoie plutôt au problème des dépenses d'infrastructure comme stimulant économique à court terme.

Nous ne sommes pas en période de récession, mais le gouvernement a décidé de réaliser ce plan à grande échelle. Nous ne sommes pas en période de récession. Pourquoi est-ce important? Cela veut dire que le gouvernement va déplacer des activités du secteur privé. Quant aux ressources dormantes de l'économie, elles ne sont pas celles qu'elles seraient en période de récession. Cela compte.

Excusez-moi, je me suis un peu écarté du sujet. Je vais arrêter ici et laisser la parole à mon collègue.

La sénatrice Marshall : J'ai des questions à l'intention de M. Gibson, mais vous avez parlé de financement par emprunt. On n'en parle pas beaucoup, mais il le faut, parce que le gouvernement emprunte d'importantes sommes d'argent, et beaucoup de ces programmes sont financés par des emprunts, et ce n'est pas un problème pour l'instant puisque les taux d'intérêt sont faibles. Cela dit, viendra un moment où il faudra probablement refinancer une grande partie — je dirais le tout — de cet emprunt à des taux d'intérêt plus élevés.

Compte tenu de sa propre stratégie de gestion de la dette, le gouvernement dit maintenant que l'échéance de la dette contractée sur le marché intérieur devrait rester à environ 5,5 à 6,5 ans. Il semblerait que le coût des intérêts va augmenter. Le financement de la dette va coûter plus cher. J'ai remarqué que vous le mentionnez brièvement dans votre rapport, mais pourriez-vous nous parler un peu plus des conséquences que cela aura?

M. Lammam : Certainement. Premièrement, je pense qu'il est important de comprendre que le gouvernement fédéral est en situation déficitaire. Il dépense plus qu'il ne perçoit annuellement. Collectivement, à l'échelle fédérale et à l'échelle provinciale, nous avons ajouté plus de la moitié d'un billion de dollars de dette au cours des 10 dernières années. À l'échelle fédérale, nous payons 25 milliards de dollars par an d'intérêts sur la dette, seulement en intérêts. On ne rembourse pas la dette. Beaucoup de problèmes financiers affligent les provinces, en Ontario et en Alberta.

Nous ne sommes pas nécessairement en situation de contracter un supplément de dette. En fait, d'après le rapport même du ministère des Finances, le gouvernement fédéral pourrait être endetté, en déficit, pendant les 30 prochaines années. Et voilà qu'on y ajoute des dépenses à la valeur économique contestable. Cela soulève d'importantes préoccupations.

J'ai parlé rapidement du fait que la plupart des coûts d'infrastructure sont à venir. Il faut donc tenir compte de bien plus que la construction. La construction, dans la mesure où il y a un avantage du côté des taux d'intérêt, est bien là, mais, si on tient compte des frais ultérieurs en termes de fonctionnement et d'entretien, plus de 80 p. 100 des coûts sont à venir. On n'aura plus alors les mêmes taux d'intérêt faibles. L'argument du taux d'intérêt ne suffit donc pas. Il y a d'autres facteurs. Il faut tenir compte de la situation financière actuelle du gouvernement. Encore une fois, il faut s'intéresser aux coûts économiques produits par l'imposition nécessaire au financement des projets d'infrastructure financés par emprunt.

Rappelez-vous que les taux d'intérêt ne seront pas aussi faibles d'ici une dizaine d'années, ni d'ici une vingtaine ou une trentaine d'années quand il faudra tenir compte de beaucoup de frais de fonctionnement et d'entretien. C'est un argument moins probant. Il vaudrait mieux se concentrer sur les bons projets que de s'intéresser aux taux d'intérêt actuels pour orienter les dépenses.

La sénatrice Marshall : Monsieur Gibson, j'ai quelques questions à vous poser. Vous parlez d'infrastructure dans les économies rurales, mais nous n'avons pas vraiment abordé l'analyse des coûts et des avantages. Nous n'avons pas parlé d'argent. Je sais bien que c'est une bonne chose que d'investir dans des projets d'infrastructure dans les collectivités rurales, mais il faut les payer, et on voudrait bien que cela ait des répercussions économiques avantageuses. Pourriez- vous nous en parler brièvement, parce que cette question n'est pas vraiment abordée dans le document de travail?

M. Gibson : On en revient au problème de la distance et de la densité. Très peu de gens vivent en milieu rural, et les coûts de portage de n'importe quel projet d'infrastructure, qu'on parle de 2 $ ou de deux millions de dollars, est réparti sur une population beaucoup plus petite.

En même temps que j'écoutais les échanges précédents, j'ai écrit une note pour moi-même au sujet du fait que, dans certaines collectivités rurales, nordiques et autochtones, avant même de songer à la productivité économique ou à l'augmentation de la productivité, il faut avoir des infrastructures de base. Il ne s'agit pas d'augmenter la productivité économique, il s'agit de garantir l'accès à de l'eau potable et à des services que nous classons parmi les services d'absolue nécessité, et qui n'existent pas encore dans certaines collectivités.

C'est là que ces collectivités rurales et nordiques échappent à une partie de cette discussion si on s'intéresse uniquement à la perspective économique. Si on divise par le nombre de membre d'une petite collectivité, mettons 350 personnes, l'argument économique n'a pas de sens.

L'autre difficulté, et je suis sûr que vous pouvez le comprendre dans le contexte de Terre-Neuve, c'est le manque de données sur les petites collectivités. Il est très difficile d'obtenir des données pour étayer les arguments énoncés dans le rapport de mon collègue. Il n'existe tout simplement pas de données assez solides pour cela.

La sénatrice Marshall : Vous avez parlé des collectivités autochtones, et il en est question aussi dans votre document de travail. Selon le programme d'infrastructure du gouvernement, on prévoit qu'Affaires autochtones en financera une bonne partie. Je ne sais pas si vous connaissez bien le budget de ce ministère ou si vous pouvez nous en parler, mais pensez-vous que ce financement est suffisant et que cela pourra améliorer la situation dans ces collectivités?

M. Gibson : Je ne sais pas précisément ce qu'on a prévu d'accorder comme budget dans le cadre du programme actuel, mais je pense que tout le monde sait qu'il y a d'énormes besoins d'infrastructure dans beaucoup de collectivités autochtones, notamment dans les zones nordiques et éloignées. Nous savons aussi que, depuis 30, 40 et 50 ans, que les sommes investies ne répondent pas aux besoins actuels, ne serait-ce que pour entretenir l'infrastructure, et on ne parle pas de créer quoi que ce soit de neuf. Je crains que le budget prévu soit très modeste en comparaison de la demande.

La sénatrice Marshall : Puisque vous mentionnez le fait que certaines collectivités ont besoin d'avoir accès à de l'eau potable, il faut donc financer ces services très essentiels avant de passer au niveau d'infrastructure suivant.

M. Gibson : Effectivement. Et c'est là que nous constatons certaines répercussions négatives sur l'économie, quand les gens ne peuvent pas subvenir à leurs besoins dans leur propre collectivité et qu'ils doivent s'installer ailleurs parce qu'ils n'ont pas accès à certaines infrastructures de base. Nous savons que le ministère publie des chiffres sur les collectivités qui n'ont pas accès à de l'eau potable et qui manquent de logements. Je crains que le budget prévu soit modeste, mais c'est un premier aperçu.

M. Lammam : Je voudrais expliquer pourquoi je m'intéresse à la croissance économique et à ce que nous appelons des infrastructures susceptibles d'augmenter la productivité. C'est ce à quoi le gouvernement invite les Canadiens à s'attendre. Nous devons donc évaluer le plan en fonction de certains critères. Ma perspective est celle que le gouvernement a circonscrite lui-même.

Je tiens à préciser une chose au sujet du déficit. Le déficit fédéral est de près de 30 milliards de dollars, et les Canadiens, comme beaucoup de gens, croient à tort que la part du lion dans le déficit revient au financement des infrastructures. L'infrastructure n'est pas un problème, et son financement par emprunt n'est pas toujours un problème non plus, mais ce qui se passe en réalité est très différent de ce que les gens pensent. Comme l'a mentionné le DBP, j'en suis sûr, à la session antérieure, la plus grande partie du budget réservé et prévu au cours du dernier exercice et pour l'exercice en cours n'a pas été dépensée. Donc le financement des infrastructures représente une toute petite portion du déficit de 30 milliards de dollars. Le plus gros sert à financer toutes sortes de programmes de transfert, dont je ne dis pas qu'ils ne créent pas de valeur, mais on se trompe sur l'origine ou la raison du déficit.

La sénatrice Marshall : En effet, excellente remarque.

[Français]

Le sénateur Forest : Monsieur Lammam, avez-vous fait le bilan des infrastructures publiques pour mesurer les impacts?

Quand le toit d'une maison coule, il faut l'entretenir. Vous parlez de pourcentages. Au Québec, 57 p. 100 des infrastructures publiques sont de propriété municipale et 2 p. 100 appartiennent au gouvernement fédéral. On investit peu dans les infrastructures fédérales. Ce sont des infrastructures de base qui contribuent à l'activité économique. On peut penser aux voies ferrées, aux ports, aux infrastructures de transport et de communication qui sont la base même. Lorsqu'on considère que les municipalités ont 57 p. 100 des propriétés publiques, qu'elles touchent 8 p. 100 des revenus de toutes formes, taxes, impôts et autres, on voit tout de même un déséquilibre important. Un bilan nous permettrait de constater l'impact des investissements.

L'autre élément que j'aimerais soulever est le suivant. Lorsqu'on regarde les modèles ou les matrices, en termes d'évaluation des coûts d'infrastructure, de fonctionnement et de financement, ils révèlent que si on veut favoriser l'activité économique au Canada, il faut prévoir des infrastructures de base, comme des routes et des aqueducs. Aucune entreprise ne va s'installer sans infrastructure de base. Il faut considérer cette condition comme un prérequis.

Un des éléments qui m'apparaît fort important dans le contexte actuel, c'est tout le défi de la démographie. On est dans un contexte où, de plus en plus, les gens choisissent leur milieu de travail. Les collectivités doivent être attrayantes — ici, je parle de qualité de vie. Or, cela est impossible si on n'investit pas dans les infrastructures.

Si j'ai envie, par exemple, d'aller m'installer quelque part au Canada et que je veux élever ma famille, je veux au moins qu'il y ait une bibliothèque ou une patinoire. Il faut un minimum, au-delà des infrastructures de base, pour avoir une certaine qualité de vie. Cela permet aux collectivités rurales, mais aussi de taille moyenne, de même qu'aux grandes villes d'être attrayantes. On est dans un contexte où le défi de la démographie va beaucoup influencer notre capacité en matière de productivité et de relève des entreprises.

Enfin, il y a aussi les infrastructures que j'appellerais de modernité. Je suis tout à fait d'accord avec M. Gibson sur ce point, étant moi-même d'une région très rurale. Le réseau à large bande et l'accès au cellulaire sur l'ensemble du territoire sont des facteurs de localisation. Ce sont des facteurs de développement incontournables aujourd'hui, même dans les petites collectivités.

Je connais une personne qui fait de la traduction à l'échelle de la planète. Il se trouve à New Richmond, en Gaspésie, et fait son travail installé sur le cap Noir. Il y a certains de ses clients qu'il n'a jamais vus de sa vie et qui lui envoient des textes à traduire. Sans cet ensemble d'infrastructures, il ne serait pas là.

Dans les matrices ou modèles d'évaluation, quand on regarde l'impact de nos investissements en infrastructure, il y a le volet de la responsabilité publique du gouvernement fédéral de maintenir à jour ses infrastructures. Il y a aussi le volet d'accompagnement des gouvernements provinciaux, mais pas uniquement pour les infrastructures de base. Il y a une modélisation qui est beaucoup plus large. Vos matrices tiennent-elles compte de ces éléments?

M. Lammam : Mon français n'est pas très bon. Je n'ai pas tout compris, mais je sais ce que vous voulez dire.

[Traduction]

Excusez-moi si j'ai mal compris, mais je crois que vous avez parlé de l'écart entre la capacité fiscale des administrations locales du Canada et ce que le gouvernement fédéral perçoit d'une part et possède en termes d'infrastructure d'autre part.

Il y a une autre chose dont nous parlons dans notre rapport et qui est, je crois, une autre idée reçue, c'est que les administrations locales manquent de ressources financières. Il se trouve que, lorsqu'on se penche sur leurs revenus de sources propres d'un bout à l'autre du pays, on constate qu'ils ont augmenté beaucoup plus rapidement — je parle de revenus de sources propres, c'est-à-dire après soustraction des transferts issus d'autres gouvernements — à l'échelle locale qu'à l'échelle combinée de toutes les provinces et du gouvernement fédéral.

Nous avons un peu parlé de la nécessité de confier à l'ordre de gouvernement qui dépense les outils fiscaux dont il a besoin. Cela reste la solution idéale, mais ce qui se passe actuellement, c'est que les administrations locales n'affectent pas correctement les budgets ou changent les priorités budgétaires pour financer des choses qui, à mon avis, on de la valeur à nos yeux et qui améliorent les économies locales et renforcent leurs infrastructures.

Il y a donc un certain écart entre ce que les administrations locales financent et la façon dont elles traitent et hiérarchisent leurs infrastructures. Elles peuvent, en fait, réaffecter une plus grande partie de leur budget pour financer des infrastructures, mais je pense tout de même qu'il devrait y avoir une meilleure correspondance entre les ordres de gouvernement.

[Français]

Le sénateur Forest : Vous comptabilisez les coûts d'investissement, d'immobilisations et de fonctionnement. Dans votre analyse des investissements, tenez-vous compte des coûts d'immobilisations et des coûts de fonctionnement? Il y a tout un contexte aujourd'hui. Nos communautés doivent avoir des attraits pour assurer la relève. Tenez-vous compte des infrastructures de base qui permettent d'avoir accès à des marchés et à nos collectivités rurales ou urbaines de disposer de bibliothèques, de piscines, et cetera? Si on n'a pas de relève au sein de notre entreprise, cela affecte notre productivité à la fin de la journée. Il y a des infrastructures incontournables, notamment le réseau à large bande. Dans le contexte de la mondialisation, tenez-vous compte d'autres facteurs que ceux qui sont strictement économiques dans l'évaluation de l'impact des investissements en matière d'infrastructure?

[Traduction]

M. Lammam : Encore une fois, cela renvoie à la façon dont on évalue le plan. Je ne dirais sûrement pas que rien, dans les 100 milliards de dollars de nouvelles dépenses, n'améliorera nos collectivités. Ce n'est pas ce que je dis. Mais la part du lion, tel que le plan nous est révélé jusqu'ici, ne va pas favoriser l'économie. La raison pour laquelle je tiens mordicus à évaluer les répercussions économiques du plan est que c'est ainsi que le gouvernement l'a vendu aux Canadiens.

Si le gouvernement avait dit qu'il voulait augmenter le déficit pour améliorer nos collectivités, construire plus de bibliothèques, de patinoires à hockey et de centres communautaires, ce serait différent. On pourrait alors, évidemment, se demander si le gouvernement concrétise cet objectif. Mais le gouvernement a dit aux Canadiens qu'il faut favoriser la croissance économique et que c'est en s'enfonçant dans la dette que ce sera possible. Et nous présentons un plan d'infrastructure de 100 millions de dollars pour faire évoluer les choses. Jusqu'ici, ce n'est pas ce qui s'est passé, et il semble que ce soit parce qu'une petite portion de ce plan seulement est vouée à ce qui pourrait effectivement améliorer l'économie.

Je ne suis pas en désaccord. Je tiens seulement à expliquer pourquoi ma perspective est d'ordre économique.

[Français]

Le sénateur Forest : Je vais donc laisser tomber mes huit autres questions.

[Traduction]

La vice-présidente : Je remercie mes collègues et les sénateurs de ce débat extrêmement agréable, animé et intéressant. Un grand merci à vous tous.

Je vous remercie, messieurs Lammam et Gibson. Je suis toujours très impressionnée et touchée par des gens comme vous, qui font tant de recherches et d'études et qui sont disposés à venir nous voir pour partager leur savoir.

M. Lammam : Je vous en prie. Merci de nous avoir invités.

La vice-présidente : Je vous remercie au nom du comité. Cela a été très agréable.

(La séance est levée.)

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