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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 33 - Témoignages du 16 mai 2017 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le mardi 16 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 14 h 16, en séance publique et à huis clos, pour poursuivre son étude de la teneur complète du projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en oeuvre d'autres mesures.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à toutes les personnes ici présentes ainsi qu'à toutes celles qui nous regardent, partout au pays, à la télévision ou en ligne.

Je rappelle à nos auditeurs que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne sur le site web du Sénat, à l'adresse : sencanada.ca.

Vous y trouverez de l'information concernant tous les autres travaux du comité, y compris ses rapports, les projets de loi étudiés et les listes de témoins.

Je demanderais maintenant aux honorables sénateurs de se présenter, en commençant à ma droite, s'il vous plaît.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, sénateur de la région du Golfe, au Québec.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, sénatrice de Toronto.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, sénatrice de l'Ontario.

Le sénateur Pratte : André Pratte, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : J'aimerais également vous présenter la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sylvain Fleury et Olivier Leblanc-Laurendeau, qui, ensemble, appuient les travaux de ce comité.

[Traduction]

Honorables sénateurs, membres du public et mesdames et messieurs les témoins, aujourd'hui nous continuons notre étude de la teneur du projet de loi C-44.

[Français]

Le projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en oeuvre d'autres mesures, est ce qu'on appelle une loi d'exécution du budget.

[Traduction]

Pour discuter de la hausse du droit d'accise à la partie 3 du projet de loi C-44, nous accueillons, de l'Organisation mondiale de la santé, le Dr Shekhar Saxena, directeur, Département de la santé mentale et de l'abus de substances psychoactives. Et de Genève, nous accueillons...

[Français]

— M. Jeremias N. Paul, coordonnateur, Aspects économiques de la lutte antitabac, Organisation mondiale de la Santé, et Mme Catherine Paradis, analyste principale, Recherche et politiques, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

[Traduction]

Bienvenue aux témoins. Nous voulons profiter de l'occasion pour vous remercier d'avoir accepté notre invitation.

La greffière m'a informé que les présentations seront les suivantes :

[Français]

Dr Shekhar Saxena, directeur, Département de la santé mentale et des abus de substances psychoactives, Organisation mondiale de la Santé, suivi de monsieur Jeremias N. Paul Jr., coordonnateur, Aspects économiques de la lutte antitabac, Organisation mondiale de la Santé, et madame Catherine Paradis, analyste principale, Recherche et politiques, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

[Traduction]

Après les présentations, les sénateurs poseront des questions.

Shekhar Saxena, directeur, Département de la santé mentale et de l'abus de substances psychoactives, Organisation mondiale de la Santé : Monsieur le président, membres du comité, merci de donner à l'OMS l'occasion de témoigner dans le cadre de cette étude. Je parlerai d'alcool, tandis que mon collègue, Jeremias Paul, parlera du tabac.

L'usage nocif de l'alcool est un des principaux risques pour la santé à l'échelle mondiale. L'alcool influe sur les gens et les sociétés de bien des façons. Ce risque est déterminé par la quantité d'alcool consommée, les habitudes de consommation et, à de rares occasions, la qualité de l'alcool en question.

L'inclusion d'une cible en vue de renforcer la prévention et le traitement de la toxicomanie, y compris l'abus de stupéfiants et la consommation nocive d'alcool, dans le cadre de l'objectif en matière de santé du Programme de développement durable à l'horizon 2030 de l'ONU illustre la diversité accrue du nouveau programme de développement mondial et le fait qu'il reconnaisse clairement que la consommation nocive d'alcool constitue une question de développement à l'échelle mondiale.

La réduction de la consommation nocive d'alcool nécessitera des actions concertées en ce qui concerne les niveaux de consommation, les habitudes et le contexte qui s'y rapportent, ainsi que les déterminants sociaux de la santé au sens plus large. On a relevé divers facteurs aux niveaux personnel et social qui influent sur les niveaux et les habitudes de consommation d'alcool et l'ampleur des problèmes liés à l'alcool dans les populations.

L'ampleur de ces facteurs est telle que réduire la consommation nocive d'alcool représente un défi considérable pour bien des gouvernements, mais il est possible de réduire efficacement les problèmes sanitaires, sécuritaires et socioéconomiques attribuables à l'alcool. On a dégagé le prix et la disponibilité des boissons alcoolisées comme des facteurs clés pour déterminer la consommation d'alcool et les problèmes qui en découlent partout dans le monde.

L'OMS vise à réduire le fardeau sanitaire causé par la consommation nocive d'alcool et, de ce fait, à sauver des vies, à prévenir les blessures et les maladies, et à accroître le bien-être des personnes, des collectivités et de la société en général.

En 2010, l'Assemblée mondiale de la Santé a approuvé une résolution pour appuyer une stratégie mondiale de réduction de l'usage nocif de l'alcool, de concert avec le Canada.

La résolution exhorte les pays à renforcer les réponses nationales aux problèmes de santé publique causés par l'usage nocif de l'alcool. Les politiques d'établissement des prix dans la stratégie, y compris l'imposition, font partie des principales méthodes que l'on recommande aux gouvernements d'utiliser.

L'usage nocif de l'alcool figure aussi dans le Plan d'action mondial pour la lutte contre les maladies non transmissibles 2013-2020 de l'OMS. L'annexe 3 de ce plan d'action contient une liste d'options stratégiques et d'interventions économiques pour prévenir et contrôler les principales maladies non contagieuses, et englobe l'usage nocif de l'alcool. L'annexe fait actuellement l'objet d'une mise à jour, mais tant l'ancienne que la nouvelle version recommandent une hausse des taxes d'accise sur les boissons alcoolisées comme une des principales interventions économiques que peuvent faire les gouvernements pour réduire l'usage nocif de l'alcool.

Il est aussi important de prendre note que la cible relative à l'alcool dans le cadre de surveillance du plan d'action consiste en une réduction relative de l'usage nocif de l'alcool d'au moins 10 p. 100, au besoin, en contexte national.

Les effets des changements apportés à l'imposition d'une taxe sur l'alcool au Canada ont été étudiés en profondeur. Je laisse le soin aux experts nationaux d'expliquer ces résultats, mais l'OMS considère l'imposition d'une taxe d'accise sur l'alcool comme une triple victoire potentielle pour les pays.

Premièrement, si une hausse des droits d'accise se reflète dans le prix final des produits, l'imposition d'une taxe sur l'alcool est une des interventions les plus économiques pour réduire l'usage nocif de l'alcool. Des preuves récentes montrent aussi que l'imposition d'une taxe est une façon de prévenir l'initiation à la consommation d'alcool.

Deuxièmement, puisque le prélèvement de la taxe d'accise est relativement facile à faire, et compte tenu de la façon dont les consommateurs réagissent aux changements apportés au prix de l'alcool, c'est une bonne manière pour les gouvernements de générer des recettes fiscales.

Troisièmement, étant donné que l'imposition de droits d'accise sur l'alcool représente une intervention génératrice de recettes, le revenu peut servir à réduire une partie des coûts sociaux de l'usage nocif de l'alcool ou servir directement à corriger ou à prévenir certains des effets néfastes qu'une hausse de prix pourrait avoir.

Lorsque nous examinons les prix, les impôts ou les recettes au fil du temps, nous devrions toujours tenir compte des valeurs réelles. Pour garantir l'efficacité et la rentabilité des droits d'accise, il importe que ces droits soient majorés au fil du temps, tant en fonction de l'inflation que de la hausse des prix abordables, surtout dans des groupes cibles sélectionnés. Les valeurs nominales ont tendance à augmenter, car presque tous les pays connaissent de l'inflation. Il faut toujours regarder les valeurs réelles vu qu'elles ne sont pas faussées et gonflées par l'inflation. Voilà aussi pourquoi la stratégie mondiale visant à réduire l'usage nocif de l'alcool recommande que les pays examinent régulièrement les prix par rapport aux niveaux de l'inflation et des revenus.

En terminant, mes principaux arguments aujourd'hui sont que l'usage nocif de l'alcool fait partie des principaux facteurs de risque pour la santé à l'échelle mondiale; que l'imposition d'une taxe sur l'alcool est l'une des interventions les plus économiques dont les gouvernements peuvent se servir pour réduire l'usage nocif de l'alcool; que les droits d'accise devraient être majorés tous les ans pour rester en phase avec le coût de la vie futur et faire en sorte que l'alcool ne devienne pas plus abordable qu'il ne l'est maintenant; et que l'imposition d'une taxe d'accise devrait s'inscrire dans l'effort global en vue de réduire l'usage nocif de l'alcool dans un pays, idéalement dans le cadre d'une stratégie nationale sur l'alcool.

Je vous remercie.

Le président : Merci, docteur. Nous allons maintenant nous tourner vers Genève pour demander à M. Paul de prononcer ses remarques liminaires.

Jeremias N. Paul Jr., coordonnateur, Aspects économiques de la lutte antitabac, Organisation mondiale de la santé : Merci, monsieur le président, et merci aussi aux membres du comité de donner à l'OMS l'occasion de s'exprimer aujourd'hui sur l'important sujet qu'est la taxe d'accise sur les produits du tabac. Comme j'ai présenté une déclaration écrite, je ne vous en donnerai que les grandes lignes.

Je me contenterai aujourd'hui de jeter l'éclairage sur les pratiques exemplaires relatives à la politique d'imposition des produits du tabac que l'OMS recommande aux pays pour qu'ils atteignent leurs objectifs en matière de santé. Pour se rappeler facilement de ces pratiques exemplaires, on peut se servir de l'acronyme SIRE.

Le « S » signifie « structures fiscales simples et spécifiques ». Des données probantes ont démontré que les structures fiscales qui dépendent en grande partie de taxes spécifiques ont tendance à mener à des prix de détail des cigarettes plus élevés que les structures fiscales ad valorem. Une structure fiscale simple facilite l'administration de l'impôt, réduit l'évasion et l'évitement fiscaux, et a une incidence plus marquée sur le tabagisme en réduisant les incitatifs à remplacer les produits du tabac et les marques en réponse à des hausses des taxes.

Le « I » signifie « imposition », c'est-à-dire la hausse de l'imposition et la part de l'imposition sur les prix de détail. Les expériences dans le monde entier montrent que plus la hausse de l'imposition sur le tabac est élevée, plus la réduction du tabagisme est importante. Une hausse des taxes sur le tabac et des prix des produits du tabac est surtout efficace pour réduire le tabagisme chez les jeunes. Pour ce qui est de la part de l'imposition, l'OMS recommande que les taxes d'accise représentent au moins 70 p. 100 des prix de détail des produits du tabac et qu'elles continuent d'augmenter pour dépasser l'inflation et la croissance du revenu après avoir atteint ce seuil.

Le « R » signifie « résultat ». L'imposition devrait tenir compte de l'incidence de l'inflation et des hausses de revenu sur le caractère abordable des produits du tabac. Il faut régulièrement hausser des taxes précises pour faire en sorte que les produits du tabac soient moins abordables au fur et à mesure que les revenus augmentent et les indexer automatiquement sur l'inflation.

Le « E » signifie « ensemble ». Une hausse des taxes sur le tabac est plus efficace lorsqu'elle s'inscrit dans un programme complet de lutte contre le tabagisme. L'adoption simultanée d'autres mesures et politiques de lutte antitabac rehausse l'efficacité des augmentations de la taxe sur les produits du tabac.

Lorsque vous songez aux pratiques exemplaires en matière d'imposition des produits du tabac pour la santé, pensez à l'acronyme SIRE : le « S » signifie « structures fiscales simples et spécifiques »; le « I » signifie « imposition », c'est-à- dire la hausse de l'imposition et la part de l'imposition sur les prix de détail; le « R » signifie « résultat » en ce qui concerne le caractère abordable; et le « E » signifie « ensemble ».

En outre, nous privilégions une administration fiscale vigilante et renforcée, ainsi que le réinvestissement des revenus de la taxe sur les produits du tabac dans la santé et le bien-être des gens, en particulier dans les initiatives de lutte antitabac.

En conclusion, je fais remarquer que les avantages d'une hausse des taxes sur les produits du tabac et de structures fiscales bien établies à cet égard sont bien connus dans le monde. Une hausse des taxes sur les produits du tabac réduit la consommation, empêche les jeunes de commencer à en utiliser et est primordiale pour sauver des vies dans chaque pays; il s'agit donc d'une solution gagnante à tous les points de vue contre une épidémie qui fera des millions de morts à moins que le gouvernement contrôle la situation avec tous les instruments stratégiques dont il dispose.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Paul.

[Français]

Nous allons demander à Mme Catherine Paradis de faire sa présentation.

Catherine Paradis, analyste principale, Recherche et politiques, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies : Je vous remercie de m'avoir invitée. Mon organisme, le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, a été créé par une loi du Parlement afin d'assurer un leadership national pour aborder la consommation de substances au Canada. À titre d'organisme digne de confiance, il offre des conseils aux décideurs partout au pays en profitant de son pouvoir de recherche, en cultivant les connaissances et en rassemblant différents points de vue.

Le CCLT copréside le Comité consultatif sur la Stratégie nationale sur l'alcool, qui est composé de représentants des gouvernements fédéral et provinciaux, du monde universitaire, des agences de réglementation et aussi de l'industrie de l'alcool, incluant Beer Canada, Spirits Canada et Canadian Vintners Association. Ce groupe, qui se réunit annuellement, a élaboré, en 2007, 41 recommandations en vue d'une stratégie nationale sur l'alcool. Parmi ces recommandations, deux touchent précisément au prix de l'alcool, voire à la nécessité, par le biais de la taxation ou de la majoration des prix, d'augmenter le prix que paie le consommateur pour un verre standard d'alcool. Cet après-midi, au nom du CCLT et du Comité consultatif sur la Stratégie nationale sur l'alcool, mon intention est de faire valoir que l'augmentation de la taxe d'accise sur l'alcool, que vous êtes invités à voter, est une bonne chose pour la santé et la sécurité des Canadiens et est sans conséquence négative pour l'économie et l'emploi.

J'ai trois messages principaux à vous livrer. Le premier message, c'est que, dans les limites de ce qui est raisonnable, plus les prix de l'alcool sont élevés, moins il y a de problèmes de santé et de sécurité publique. En 2010, des chercheurs ont effectué de la modélisation quant aux effets de l'établissement de différents prix planchers ou ce qu'on appelle « le prix minimum par verre standard d'alcool ». Bien que cette modélisation soit assez complexe, elle peut néanmoins être réduite à deux grands principes de base. Plus le prix minimum de l'alcool est élevé, plus sa consommation au sein de la population diminue. Et plus la consommation au sein de la population diminue, plus les méfaits liés à l'alcool diminuent à leur tour. Ce modèle a été testé au Canada sur les données officielles de vente d'alcool de deux provinces : l'Ontario et la Colombie-Britannique. Au terme de leurs analyses, les auteurs ont montré qu'en 2012, établir un prix minimum de 1,50 $ par verre standard aurait permis une réduction annuelle des décès de 31, et une réduction du nombre d'hospitalisations en Ontario de 1 393. En Colombie-Britannique, on aurait eu une réduction de 39 du nombre de décès et une réduction de 1 244 du nombre de cas d'hospitalisation.

Je vais aussi vous parler de la Saskatchewan où, en 2010, une hausse de 9,1 p. 100 du prix de vente de l'alcool par verre standard a été associée à une réduction de la consommation et à un déplacement vers la consommation de produits avec une plus faible teneur en alcool, de même qu'à une amélioration de la sécurité publique. En effet, dans cette province, les policiers ont rapporté de manière informelle que, suivant la hausse du prix minimum de l'alcool, ils avaient observé une diminution de la criminalité nocturne liée à l'alcool.

C'est sur la base de telles études que le Comité consultatif sur la Stratégie nationale sur l'alcool préconise un prix minimum de l'alcool. D'ailleurs, les brasseurs de ma province, le Québec, revendiquent une augmentation du prix minimum de la bière, et vous seriez avisés de les aider en ce sens.

Notre deuxième message, c'est que les consommateurs d'alcool sont effectivement sensibles au prix des boissons alcooliques, et ceux pour qui cela est encore plus vrai, ce sont les plus gros buveurs, ceux qui ont une dépendance à l'alcool, et les jeunes, nos jeunes, nos adolescents. Ne vous en faites pas pour les consommateurs de Château Margaux 1949, car leur consommation d'alcool ne sera pas touchée par l'augmentation de la taxe d'accise sur l'alcool. Cependant, les jeunes le seront, et ils seront mieux protégés par cette augmentation.

Un des chapeaux que je porte depuis un an est celui de coprésidente du PEP-MA, le Partenariat en éducation postsecondaire — Méfaits de l'alcool, qui regroupe actuellement 35 universités et collèges canadiens de 9 provinces. Dans le cadre de cette fonction, j'interagis continuellement avec des intervenants sur le terrain, des directeurs aux services étudiants sur les campus, qui me rapportent la grande réceptivité, la grande vulnérabilité et la sensibilité des jeunes au prix de l'alcool. D'ailleurs, on n'a qu'à faire l'inventaire des promotions d'alcool à prix réduit que font les bars pour constater que le prix de l'alcool est déterminant. Il y a quelques années, au Canada, on a mené une enquête d'envergure qui incluait notamment des questions sur les types de produits alcoolisés que consomment les jeunes. Ces questions nous ont notamment permis d'analyser la quantité d'alcool que consommaient par occasion les jeunes de 18 à 25 ans, selon les différents types de produits alcoolisés, qui, on le sait, sont vendus à des prix différents. Je ne vous maintiendrai pas dans un suspens à vous couper le souffle... Sans surprise, les données indiquent un lien direct entre les quantités usuelles de consommation par occasion des jeunes et le prix des produits. Ce que les jeunes ont rapporté consommer en plus grande quantité par occasion, c'était la bière, le produit vendu le moins cher par verre standard.

Une récente étude américaine réalisée auprès de plus de 1 000 consommateurs d'alcool âgés de 13 à 20 ans a comparé les prix moyens entre les marques populaires et les marques impopulaires. Or, les marques les moins dispendieuses étaient associées à des niveaux plus élevés de consommation. Parmi l'ensemble des marques de tous les types d'alcool, le prix moyen des marques populaires était de 1,80 $, comparativement à 3,40 $ pour les marques impopulaires.

Dans un souci pour la santé des plus vulnérables et des jeunes Canadiens, il est donc souhaitable d'établir des prix de vente qui soient juste assez élevés, pour permettre d'encadrer l'accessibilité aux produits alcoolisés. Nous souhaitons tous que nos jeunes réalisent leur plein potentiel et, à l'heure actuelle, il y a beaucoup trop de jeunes qui ne réussissent pas à atteindre leurs objectifs, parce qu'ils connaissent trop de méfaits liés à l'alcool. Aidons-les en augmentant la taxe d'accise, ce qui aura pour effet de réduire leur consommation.

Le troisième message est fort simple. Bien sûr, il faut tenir compte des conséquences économiques de nos décisions, mais à 2 p. 100, l'augmentation de la taxe d'accise proposée est très raisonnable, elle n'est absolument pas abusive et, non, elle ne se traduira pas par des pertes d'emploi, ni par une hausse d'achats transfrontaliers, ni par de la production à domicile. Elle ne peut avoir que des effets positifs pour les citoyens et ... pour le Trésor public fédéral.

En conclusion, le CCLT et le Comité consultatif sur la Stratégie nationale sur l'alcool vous assurent de leur appui non équivoque à une mesure très positive pour la santé des Canadiens, très positive pour les revenus du Canada et sans conséquence négative pour l'économie. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, madame.

[Traduction]

Nous allons maintenant entamer la période des questions. Le président donne la parole au sénateur Woo, parrain du projet de loi.

Le sénateur Woo : Merci beaucoup pour les témoignages que vous avez livrés.

Premièrement, j'aimerais vous poser une question, docteur Saxena, sur l'expression que vous avez employée à maintes reprises dans vos remarques liminaires, soit « l'usage nocif de l'alcool ».

Pourriez-vous la définir un peu pour nous aider à comprendre ce qui représenterait alors un usage non nocif de l'alcool?

Ensuite, j'ai une question de suivi.

Dr Saxena : Merci beaucoup. J'ai employé l'expression « usage nocif de l'alcool », car en 2010, l'Assemblée mondiale de la Santé, dont fait partie le Canada, a adopté la Stratégie mondiale visant à réduire l'usage nocif de l'alcool. Je reconnais pleinement qu'il n'existe aucun usage d'alcool qui soit complètement inoffensif.

Je dirais que l'usage de tout alcool peut être nocif, mais qu'il ne l'est pas nécessairement, si bien que tout usage d'alcool est potentiellement nocif. Cependant, aux fins de cette stratégie, l'usage nocif s'entend de celui qui est très susceptible de nuire, notamment à la santé d'une personne, à son bien-être et à sa position sociale, ainsi que de potentiellement nuire aux autres, dont aux membres de sa famille, à la collectivité et au pays.

Le sénateur Woo : C'est très utile. Je vais faire le suivi, car je consulte souvent les guides qui recommandent les soi- disant « quantités sécuritaires » d'alcool à consommer : le nombre de consommations de vin ou de chopines de bière par semaine. Je suis toujours frappé de voir à quel point les quantités recommandées sont moins élevées que je ne l'aurais imaginé.

Pouvez-vous vous prononcer sur les connaissances dont nous disposons concernant les quantités d'alcool qui sont moins susceptibles de nuire à un adulte moyen?

Dr Saxena : L'OMS n'a pas de limites sécuritaires en ce qui concerne la consommation d'alcool, bien que nous soyons très conscients du fait que nombre de pays et de sociétés, y compris des associations professionnelles, possèdent des lignes directrices sur ce qui pourrait être considéré comme étant « sécuritaire ».

C'est précisément pour la raison que j'ai donnée plus tôt que l'OMS ne prescrit pas de limite sécuritaire : il n'y a pas d'usage d'alcool qui ne soit pas potentiellement nocif. Tout dépend du contexte. Tout dépend de la personne qui boit, de la vitesse à laquelle elle boit et du type d'autres comportements risqués qu'elle adopte en conjonction avec l'usage d'alcool.

Nous croyons qu'il est préférable de limiter la consommation d'alcool.

Le sénateur Woo : Mme Paradis aimerait-elle aussi dire quelque chose à ce sujet?

[Français]

Mme Paradis : Au CCLT, une consommation d'alcool sans méfait s'inscrit à l'intérieur des directives de consommations à faible risque développées par le Comité consultatif sur la Stratégie nationale sur l'alcool. Au Canada, pour les hommes, ce sont 3 consommations par jour, un maximum de 15 par semaine, et pour les femmes, ce sont 2 consommations par jour, pour un maximum de 10 par semaine.

J'ai fait partie des six experts qui, en 2010, ont reçu le mandat d'élaborer ces directives de consommation à faible risque. Nous avions à notre disposition plusieurs méta-analyses. Au fil des ans, ces analyses ont accumulé des données sur la consommation d'alcool et les maladies chroniques qui pouvaient se manifester par la suite. On sait qu'environ 200 maladies chroniques sont liées à la consommation d'alcool. Pour dresser un tableau simple, on a examiné le risque pour une personne de développer, par exemple, un cancer de l'œsophage si elle ne consomme aucun alcool. Ensuite, on a examiné le même risque si elle prend un verre ou deux d'alcool par jour, et ainsi de suite.

Cela nous a permis d'établir des courbes de risques. L'ensemble de ces maladies comporte diverses courbes de risques. Chez les femmes, l'un des risques les plus prévalents est celui du cancer du sein, qui a une relation linéaire. Dès qu'il y a consommation d'un verre par jour, on observe une augmentation du risque. Par contre, lorsqu'on a mis toutes ces courbes ensemble, on a constaté que les Canadiens ont besoin de directives et de comprendre la situation pour réduire leur risque de développer des maladies. On est arrivé à la conclusion que, pour les femmes, la recommandation allait être de 2 consommations par jour, pour un total de 10 par semaine, et que pour les hommes, 3 consommations par jour, et 15 par semaine.

On a fait le même exercice pour les accidents et les blessures. On disposait de moins de données pour cet exercice, mais on croyait important d'en donner, parce que tout Canadien fête Noël chaque année ou a une occasion où il aurait envie de boire un peu plus. Dans de telles occasions, on veut limiter le risque de blessures et d'accidents. Donc, la recommandation est de trois consommations pour les femmes et de quatre pour les hommes.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : C'est toujours intéressant. Je crois que ce qui, pour moi, est problématique, est qu'on ait déposé un projet de légalisation de la marijuana à la Chambre des communes. D'un côté, on modifie les emballages des paquets de cigarettes et on hausse les taxes sur la bière et les spiritueux au détriment des emplois, comme un témoin l'a mentionné la semaine dernière, dans les industries de la bière et des spiritueux.

Pourquoi n'est-il jamais question de sensibilisation? Je sais que vous avez des données qui révèlent que, plus une bière coûte cher, moins les jeunes boiront. Faisons-nous autant de sensibilisation avec la hausse de la taxe d'accise? Comment allez-vous tous composer avec la marijuana? Si la bière ou les spiritueux deviennent trop chers, ou si le prix des cigarettes devient trop prohibitif, les gens vont-ils commencer à consommer des biscuits à la marijuana? Au lieu de biscuits aux pépites de chocolat, nous aurons de délicieux biscuits à la marijuana et nous commencerons à fumer dans des bongs.

Comment pouvez-vous justifier ce que vous dites à la lumière du fait que nous sommes sur le point de légaliser la marijuana?

[Français]

Mme Paradis : Ce qu'on sait pour ce qui est de la réduction des méfaits, notamment chez les jeunes, c'est qu'une seule stratégie ne fonctionnera pas. On regarde la chose dans un modèle circulaire et on sait que, pour réussir à réduire les méfaits, il faut s'y attaquer sur tous les fronts. Il faut faire de la prévention, offrir des services, réglementer la disponibilité économique et physique de l'alcool, et il faut aussi assurer un soutien dans la communauté où les jeunes consomment.

La sénatrice Eaton : Si vous pensez à l'histoire des cigarettes, ce ne sont pas les taxes qui ont changé les habitudes des gens. C'est plutôt parce que ce n'était plus à la mode de fumer et à cause du cancer.

[Traduction]

C'est plutôt la campagne de sensibilisation qui a fait en sorte que les gens ne veuillent plus que les fumeurs s'assoient près d'eux et qu'ils leur exhalent de la fumée au visage. Cependant, ce n'est pas le cas de l'alcool, car on ne mène pas pareilles campagnes de sensibilisation. Il sera intéressant de voir ce que l'on fera dans le cas de la marijuana.

Réussira-t-on à ostraciser les consommateurs d'alcool comme on l'a fait dans le cas des fumeurs? Les gens avaient coutume de fumer lors de dîners et à la télévision. Ensuite, soudainement, la cigarette a disparu. Fumer est devenu une chose à ne pas faire.

[Français]

Mme Paradis : Pour ce qui est du cas de la marijuana, je laisserai la parole à mes collègues, qui sont les spécialistes de la marijuana. On pourra transmettre des documents à la greffière en ce sens. Le tabac et l'alcool ne sont pas tout à fait la même chose. Une seule cigarette peut être nocive. Il n'y a pas de taux sécuritaire de consommation de cigarettes alors que pour la consommation d'alcool, tant que cela se fait à l'intérieur des directives de consommation à faible risque, les risques sont effectivement minimisés. Oui, on a réussi à réduire le tabagisme à coup de grandes campagnes de prévention, mais aussi parce que ces préventions ont été accompagnées d'un bon nombre de mesures réglementaires liées au contexte où il était permis de fumer. Les gens ne fument plus dans le visage l'un de l'autre, parce qu'ils ne peuvent plus le faire. On ne peut plus fumer dans un restaurant, dans un bar ou à la sortie d'un lieu public.

Il y a tout un ensemble de réglementations qui ont accompagné la prévention. C'est toujours ce que je fais valoir pour l'alcool. Les universités font de la prévention sans fin. On éduque les jeunes aux méfaits liés à l'alcool. Sans un soutien en matière de réglementation et de taxation, sans un soutien pour réduire l'accessibilité économique et physique, on n'y arrivera pas. En ce moment au Québec, une bouteille de bière coûte moins cher qu'une bouteille d'eau au dépanneur. Ce n'est pas normal, surtout lorsqu'on sait à quel point les jeunes sont vulnérables au prix. Il faut donc se pencher sur cette question.

Je suis certaine que mes collègues souhaitent qu'il y ait de la prévention, mais qu'on mette sur pied un système très serré de réglementation.

Le sénateur Forest : Lorsque je regarde ce qui se passe avec l'augmentation de la taxe d'accise, qui se retrouve dans le coût du produit, ce qui me préoccupe, c'est que vous créez actuellement un précédent où, automatiquement, cela sera indexé au niveau de l'IPC canadien, qui ne tient pas compte des particularités régionales.En bout de piste, l'effet pernicieux que je crains... Dans le cas des produits locaux fabriqués chez nous, que ce soit les microbrasseries ou les microdistilleries, où de plus en plus de Canadiens souhaitent le chemin court de la consommation, qui est un élément intéressant, je constate les écarts entre les coûts de ces produits artisanaux et les autres produits. Or, comme le coût des produits artisanaux est beaucoup plus dispendieux, l'impact sera plus grand pour eux, et les gens vont se rabattre sur les produits moins dispendieux de grandes distilleries internationales qui, pour le même produit, peuvent quelquefois offre un prix de 50 p. 100 inférieur, ou presque.

Il n'y aura pas là un effet qui va aller à l'encontre de ce qu'on poursuit comme objectif, soit d'être en mesure de consommer de façon responsable. Cependant, comme il s'agit de produits de fabrication canadienne, on risque de pousser les consommateurs vers des produits de grande série; ils vont se rabattre sur des produits moins dispendieux. J'ai beaucoup d'appréhension quant à cette question. Je crois que le taux de 2 p. 100 n'avait pas été ajusté depuis longtemps, mais le fait d'inscrire automatiquement la norme selon laquelle cela sera indexé tous les ans en fonction de l'IPC, j'ai un problème avec cela.

Mme Paradis : Je ne suis pas économiste, je suis sociologue de la santé. Je ne connais pas toutes les règles économiques, mais ce que je sais, par contre, c'est qu'en matière d'alcool au Canada en ce moment, le prix d'un verre standard d'alcool n'a pas suivi l'augmentation de l'IPC. Il y a un rattrapage à faire; on va arriver au bout, mais il y a un rattrapage.

L'autre inquiétude dont vous nous faites part, si je vous comprends, c'est que vous avez l'impression que si l'on parle, par exemple, de microbrasserie, c'est la microbrasserie qui va absorber le coût de la taxe d'accise sans nécessairement la refiler aux consommateurs, parce qu'elle va vouloir demeurer compétitive et conserver sa part de marché. Je suis ici pour défendre les intérêts des Canadiens en matière de santé publique et de sécurité publique. Ce que les alcooliers décideront de faire lorsqu'il s'agit de refiler la taxe aux consommateurs, cela ne me regarde pas, mais je comprends bien la problématique et, c'est pourquoi, dans mon témoignage, j'ai bien fait de vous dire que je vous encouragerais avec tous les moyens que vous aviez de faire en sorte que les provinces instaurent un prix minimum de l'alcool. De cette façon, on pourra s'assurer que les microbrasseurs ou les alcooliers locaux ne soient pas pénalisés par rapport aux grandes multinationales, parce qu'effectivement, les grandes multinationales peuvent se permettre d'absorber cette taxe sans la refiler aux consommateurs, ce qui est beaucoup plus difficile pour les plus petits.

C'est pourquoi, dans le cadre de la Stratégie nationale sur l'alcool, nous avons trouvé ce qu'on appelle parfois le « sweet spot » entre les intérêts de l'industrie et ceux de la santé et de la réglementation, et c'est le prix minimum de l'alcool, tout en veillant à ce qu'il soit indexé chaque année.

Le sénateur Forest : Sur le plan de la stratégie et du marketing, on a connu dans les dernières années l'arrivée de prix très bas pour certaines marques, particulièrement pour la bière, et on constate que les jeunes se tournent vers ces produits, dont les prix constituent presque du dumping.

Mme Paradis : Effectivement, en tant que mère d'une adolescente, je peux vous assurer que je suis très préoccupée par cette situation. La taxe d'accise, c'est une bonne idée, et mes collègues de l'OMS vous le diront, c'est ce qu'ils appellent un « best buy », une mesure qui ne coûte pas cher à instaurer et qui est connue pour avoir des effets positifs sur la santé des gens. Cependant, au Canada, cette mesure devrait être accompagnée d'autres mesures, comme l'instauration du prix minimum et son indexation annuelle.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Merci d'être venus aujourd'hui. Je vois la logique de ce que vous dites concernant la hausse des taxes et la diminution de l'usage, mais j'aimerais qu'on discute davantage des conséquences involontaires.

Nous savons que les gens fument. Avec la hausse des taxes, je suis sûre que certaines personnes chercheront des solutions de rechange. Je dirais que d'aucunes roulent leurs propres cigarettes avec du tabac et d'autres substances à l'intérieur.

Je suis persuadée qu'une fois qu'elle sera légale, la marijuana deviendra aussi une alternative. La hausse des taxes a des conséquences involontaires. On en a peu parlé. Nous ignorons toujours la nature du régime fiscal dans le cas de la marijuana, mais s'il n'est pas comparable à celui du tabac, les gens diront qu'ils vont arrêter de fumer la cigarette en faveur de la marijuana.

Je pense qu'il faudrait tenir compte de toutes ces questions. Il en va de même pour l'alcool. Je penserais qu'une fois que le prix de l'alcool a atteint un certain niveau, les gens chercheront des solutions de rechange, ou ils feront leur propre alcool. Je sais que nous avons eu une période de prohibition il y a de nombreuses années et que ce ne fut pas exactement une expérience réussie.

Je ne sais pas si nous nous sommes penchés sur les conséquences involontaires. Peut-être que les gens se tourneront vers l'usage d'opioïdes. Je ne sais pas, mais il semble qu'on se limite à parler de hausser les taxes et à dire que cela augmentera les revenus du gouvernement et fera diminuer l'usage. Les conséquences involontaires sont un aspect de la question. Je regrette que nous ne disposions pas de plus d'information à ce sujet.

Avez-vous des commentaires à formuler à cet égard? J'aimerais aussi savoir ce que M. Paul en pense. Si vous avez des renseignements, je serais très intéressée à les entendre.

Mme Paradis : Un chef de file mondial, en fait un Canadien, Tim Stockwell, directeur du Centre for Addictions Research of BC, a corédigé un document qui décrit les conséquences involontaires. Je serais heureuse de vous le faire parvenir.

Pour ce qui concerne votre crainte que la hausse des taxes et des prix encourage nos jeunes à opter pour les opioïdes ou d'autres produits, c'est un exemple d'occasion où il est utile de ne pas être économiste, mais plutôt sociologue. Vous ne devriez pas écarter le fait que la consommation d'alcool est un comportement social. Les gens ne boivent pas seulement pour s'enivrer.

Au Canada, nous avons une culture des temps libres. Nous buvons pour marquer la différence entre les jours de la semaine et les week-ends, entre le travail et les loisirs, et entre la vie de tous les jours et les occasions spéciales. Voilà pourquoi nous buvons de l'alcool aux mariages, aux fêtes et à d'autres occasions semblables.

L'alcool occupe une place spéciale et nécessaire dans nos vies. C'est pourquoi même les gens qui ne boivent pas beaucoup lèveront leur verre pour porter un toast lors d'occasions spéciales. Je ne m'inquièterais pas, surtout pas avec la hausse de 2 p. 100, que les gens se tournent soudainement vers d'autres produits. Je serais très surprise si, à un mariage, tout le monde se mettait à prendre des opioïdes au lieu de boire une coupe de champagne. Je ne m'inquiéterais pas de cela.

La sénatrice Marshall : Prenons la hausse de cette année. Nous allons maintenant indexer les taxes sur l'indice des prix à la consommation, et l'an prochain, il y aura d'autres hausses. Nous continuerons et dirons « D'accord, si nous continuons à hausser les taxes, l'usage continuera à diminuer », mais ce n'est pas ce qui se produira. Il ne s'agit pas d'une ligne de tendances directe. À un moment donné, cette ligne se brisera pour une raison ou une autre.

Je me demande quel type de recherche on a mené sur cette question. Je suis consciente du fait que ce n'est pas juste cette année, mais bien l'année prochaine ou l'année après celle-là ou même l'autre année.

Mme Paradis : La plupart des études réalisées au Canada se sont penchées sur les conséquences d'une hausse minimale du prix de 10 p. 100, ou cinq fois ce que vous pensez. À ce niveau, nous avons vu que les personnes qui consomment de l'alcool avec modération n'étaient pas touchées par le prix. Les jeunes ou les alcooliques faisaient partie des plus vulnérables. Nous avons vu une réduction du nombre d'hospitalisations et de décès attribuables à l'alcool, en Saskatchewan, en Ontario et en Colombie-Britannique.

Tim Stockwell vous dira que les chiffres que je vous ai présentés plus tôt sont très prudents. Lorsqu'ils ont étudié les données réelles en Colombie-Britannique, les résultats étaient encore plus positifs que ce que le modèle avait estimé au départ.

Le prix de l'alcool n'a pas augmenté au même rythme que l'indice des prix à la consommation. Nous avons du rattrapage à faire puisque 2 p. 100 est un peu plus élevé que l'indice normal. Cependant, il est clair que c'est un point auquel les consommateurs peuvent s'attaquer.

Le président : Le Dr Saxena voulait aussi répondre à la question. Nous entendrons ensuite M. Paul, à Genève, qui a certainement une opinion lui aussi.

Dr Saxena : Pour ce qui concerne le prix de l'alcool, le Canada est loin de subir les conséquences involontaires de la hausse de prix à ce niveau.

Grâce à cette augmentation du prix, les conséquences positives volontaires seront beaucoup plus nombreuses que d'éventuelles conséquences involontaires. On observera une diminution du nombre de décès, des maladies physiques et mentales, et de la violence.

Dans le cas du Canada, nous estimons que cette hausse de prix, y compris la hausse annuelle indexée sur le taux d'inflation, sera très appropriée et aura moins de conséquences involontaires.

Le président : Monsieur Paul, avez-vous des commentaires?

M. Paul : En ce qui concerne les conséquences involontaires, lorsque vous décidez d'une structure fiscale aux fins de santé publique, vous devez faire en sorte qu'elle soit simple. C'est donc dire que vous devez imposer des taxes et des hausses de taxes comparables pour tous les produits du tabac.

À titre d'exemple, la hausse la plus récente que je connaisse aux États-Unis a été une hausse de la taxe sur les cigarettes, mais pas sur le tabac à rouler, ce qui a fait augmenter la demande pour ces types de produits.

Lorsque vous concevez une mesure fiscale, vous ne devriez pas l'appliquer qu'aux cigarettes, mais aussi aux autres produits du tabac semblables.

[Français]

Le sénateur Pratte : J'aimerais clarifier une question, madame Paradis. Je crois que vous avez dit tantôt que votre organisation est composée de gens de l'industrie. Quand vous prenez position comme vous le faites, parlez-vous aussi au nom des gens de l'industrie qui font partie de votre organisation?

Mme Paradis : Mon collègue, Luke Harford, président de Beer Canada, qui est ici derrière moi, pourra vous l'expliquer plus tard. Le CCLT copréside la Stratégie nationale sur l'alcool, et le comité consultatif est composé de représentants de l'industrie qui étaient d'accord avec l'ensemble des membres en ce qui a trait aux 41 recommandations de la stratégie nationale, laquelle propose deux recommandations sur la hausse des prix, notamment la taxation et un prix minimum pour assurer une hausse du prix du verre standard.

Le sénateur Pratte : Des représentants de l'industrie ont comparu devant notre comité la semaine dernière. Ils nous ont décrit un scénario un peu apocalyptique. Ils nous ont parlé de l'augmentation de la taxe et de l'indexation annuelle de l'augmentation de la taxe. Selon les cas, on parlait de pertes d'emplois ou d'une industrie qui serait mise à mal par ces augmentations. Vous venez de nous dire exactement le contraire. C'est la raison pour laquelle je trouve cela paradoxal. Vous avez même dit que les brasseurs du Québec revendiquent une augmentation du prix.

Mme Paradis : Au Québec, à l'heure actuelle, le prix minimum de la bière est le plus bas au Canada. Donc, la bière se vend très mal. M. Harford sera mieux placé que moi pour répondre à cette question. Le prix est tellement bas en ce moment que les microbrasseurs n'arrivent pas à faire concurrence avec eux. J'ai compris que, même s'il y a une augmentation de la taxe, pour conserver leur part de marché, ils devront continuer à chercher à être le brasseur qui vend le produit le moins cher. Ils ne passeront pas cette taxe au consommateur. Dans ce cas-là, les microbrasseurs auront une moins grande marge de profit s'ils sont obligés eux-mêmes d'absorber la taxe. Par conséquent, ils pourraient vous annoncer ces scénarios apocalyptiques où il y aurait des pertes d'emplois et ainsi de suite. La mesure de taxation devrait-elle être accompagnée d'une mesure exigeant l'augmentation du prix minimum par verre standard? Absolument. Toutefois, dans une perspective de santé, ce n'est pas à moi de vous dire de ne pas imposer de taxe, parce que les brasseurs jouent du coude entre eux pour savoir qui augmentera son prix le premier. J'agis dans l'intérêt des jeunes Canadiens en protégeant leur santé et en assurant leur sécurité, et toutes les données dont je dispose révèlent qu'une hausse du prix est une bonne chose.

Le sénateur Pratte : Quand vous parlez à vos partenaires de l'industrie de la santé des Canadiens, ils sont d'accord avec vous, mais pas autour de la table?

Mme Paradis : Je suis cosignataire d'un document produit l'an dernier dans le cadre de la Stratégie nationale sur l'alcool en ce qui concerne une demande d'instauration d'un prix minimum pour les produits alcooliques. Je crois fermement que, dans toute problématique au sein d'une société, il faut trouver le « sweet spot » entre les intérêts sanitaires, juridiques et économiques. Effectivement, l'instauration d'un prix minimum pour l'alcool est l'un des « sweet spots » que nous avons trouvés. Ce document dans lequel on propose un prix minimum a été signé par des spécialistes de la recherche et de la santé publique, mais aussi par les présidents de Beer Canada, de Spirits Canada et, si je ne m'abuse, par l'Association des vignerons du Canada.

[Traduction]

La sénatrice Cools : Je tiens à remercier les personnes qui sont venues témoigner devant nous. Je vous souhaite la bienvenue au Sénat.

Je trouve votre témoignage, vos suggestions et vos propositions concernant le phénomène dans son ensemble très intéressants et, pour moi peut-être, un peu originaux. L'imposition est supposément une question très importante dans nos collectivités. Ce phénomène engendre toutes sortes d'institutions importantes comme le Parlement en tant que tel : il n'y a pas d'imposition sans représentation.

La plupart des êtres humains, des Canadiens et, je pense, des Nord-Américains, voient l'imposition comme le devoir de contribuer au bien et au bien-être publics. Vous proposez maintenant de vous servir de l'imposition de façon originale. Je n'en ai jamais entendu parler auparavant, mais je comprends maintenant. En gros, votre proposition, si je puis reprendre le passage de votre déclaration où il en est question, docteur Saxena, est que :

La résolution exhorte les pays à renforcer les réponses nationales aux problèmes de santé publique causés par l'usage nocif de l'alcool. Les politiques d'établissement des prix dans la stratégie, y compris l'imposition, font partie des principales méthodes que l'on recommande aux gouvernements d'utiliser.

Je crois comprendre que vous voulez dire que les gouvernements peuvent fouiller dans les poches des membres du public pour aller chercher plus d'argent. Nous savons que l'industrie du vin et de la bière se voit déjà imposer des taxes extrêmement élevées. À quels motifs? Est-ce parce que le gouvernement va nous sauver ou sauver la vie des membres du public? Je n'ai jamais entendu ce raisonnement de la part de personnes au pouvoir. Voilà pourquoi j'affirme que c'est original pour moi.

Comme la sénatrice Eaton l'a indiqué à juste titre — et nous espérons que c'est bien le cas — il faut que l'on opte pour une stratégie de réduction du tabagisme qui soit sensée et justifiable, et qui puisse être remise en question. Une pièce enfumée n'est pas plaisante, et cetera. Je n'ai jamais entendu parler de votre solution qui dit : « Haussez les taxes, car c'est bon pour vous et votre santé ». C'est peut-être le cas, mais la plupart des gens respecteront vos recommandations de s'en tenir à deux consommations — je crois que c'est ce que vous avez dit. Je ne sais pas si vous parliez de deux consommations de doubles ou de triples scotchs ou de simple vin rouge. La plupart d'entre nous prendront un verre ou deux de vin rouge.

Le fondement ou les principes qui le sous-tendent ne me semblent pas être si bien que cela parce que vous ne pouvez pas simplement dire au gouvernement : « Puisez dans les poches des gens. C'est bon pour eux ».

Le président : Docteur Saxena, avez-vous quelque chose à dire à ce propos?

Dr Saxena : Oui, merci. Je pense que les principes que l'Assemblée mondiale de la santé — y compris le Canada — a adoptés étaient fondés sur des preuves empiriques qui montrent qu'il s'agit de mesures qui sont bonnes pour la santé des gens et pour réduire les cas de maladie.

Il ne s'agit pas d'une discussion conceptuelle, mais d'une décision très empirique des ministres, et c'est ce que nous préconisons. Cette décision s'appuie sur des données probantes, qui indiquent que cette mesure est bénéfique pour la population.

C'est à vous, à titre de parlementaires, qu'il revient de décider d'utiliser ou non cette mesure. Selon nous, elle est efficace.

Le président : Docteur Saxena, comme nous allons passer les 45 prochaines minutes avec d'autres témoins, je tiens à dire que nous allons continuer de nous pencher sur la responsabilité, la transparence et toutes les procédures relevant du mandat que nous avons reçu du Sénat du Canada.

Nous remercions de nouveau les témoins d'avoir comparu.

[Français]

Nous allons procéder à la deuxième partie de notre réunion qui a pour but d'étudier la partie 3 du projet de loi C-44. Nous accueillons, par vidéoconférence, M. Frédérick Tremblay, président, Association des microbrasseries du Québec.

[Traduction]

Nous recevons aussi Mme Barbara Feit, trésorière de l'Alberta Small Brewers Association. Je devrais également informer les distingués sénateurs et ceux qui regardent la séance que Mme Feit est également directrice générale par intérim de Big Rock Brewery, à Calgary.

Notre troisième témoin aujourd'hui est M. John E. Peller, président et chef de la direction d'Andrew Peller Limited.

Nous remercions tous les témoins d'avoir accepté notre invitation à faire part de leurs opinions à notre comité de parlementaires.

À titre de président, je demanderai à M. Tremblay de faire son exposé. Nous entendrons ensuite ceux de Mme Feit et de M. Peller.

[Français]

Frédérick Tremblay, président, Association des microbrasseries du Québec : Monsieur le président, je vous remercie de me recevoir aujourd'hui par la magie d'Internet. Je m'appelle Frédérick Tremblay. Je suis président de l'Association des microbrasseries du Québec et également président de la microbrasserie de Charlevoix. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui pour plaider la cause du retrait des augmentations permanentes de la taxe d'accise que le gouvernement a imposées sur la bière dans le budget de 2017. L'annonce faite en mars dernier a laissé un vent d'inquiétude parmi les microbrasseries québécoises, et je souhaite vous présenter notre point de vue sur la question.

D'abord, sachez que je représente plus de 80 microbrasseries québécoises, dont certaines sont de grandes microbrasseries, et d'autres, de plus petites. D'autres encore ont un permis de brasseur artisan. Ce sont des entrepreneurs compétents, talentueux et créatifs qui forment notre industrie. En termes d'occupation du territoire, les microbrasseries québécoises se retrouvent dans 10 régions administratives sur 17 et prennent racine dans une très grande majorité des 78 circonscriptions fédérales québécoises.

Les membres de l'AMBQ représentent plus de 90 p. 100 de la bière brassée par les microbrasseries au Québec. Dans la plupart des cas, le volume produit, ou encore, l'esprit de la production artisanale limitent les économies d'échelle possibles.

C'est toute une filière de la terre à la bière qui s'est développée au Québec au cours des 10 dernières années. En plus des microbrasseries qui sont passées de 34 en 2002 à 166 en 2017, des producteurs d'orge de houblon, des malteries et des fournisseurs de services ont vu le jour et se sont développés autour de notre industrie.

Pour vous permettre de comprendre l'environnement d'affaires dans lequel nous évoluons, je vais me permettre de vous donner quelques données et, surtout, quelques détails sur la façon dont les décisions qui entourent la taxe d'accise peuvent influencer notre industrie.

Dans l'industrie de la bière au Québec, les microbrasseries oscillent autour de 9,5 p. 100 de la consommation. C'est une industrie qui a connu une croissance formidable dans la dernière décennie et qui, malgré son dynamisme, demeure une industrie jeune et relativement fragile. D'une part, le coût des intrants de matières premières augmente significativement année après année. Par ailleurs, de façon générale, la consommation de bière des Québécois tant à diminuer depuis plusieurs années au profit des autres alcools. Également, la bière importée gagne en popularité. La multiplication des microbrasseries a également eu l'effet d'augmenter la compétitivité sur le terrain. Le prix au détail est donc une dimension sensible pour le consommateur grâce à laquelle les microbrasseries tendent de se distinguer pour maintenir leur positionnement face aux autres. Afin de rendre leurs produits accessibles pour les consommateurs sur le plan de la consommation à domicile ou de la consommation sur place, les microbrasseries s'appuient sur différents détaillants, bars ou restaurants et utilisent parfois les services d'un distributeur pour couvrir l'ensemble du territoire.

Nous sommes toujours étonnés de constater l'incompréhension des économistes lorsqu'ils suggèrent d'augmenter une taxe manufacturière comme la taxe d'accise, qui est en amont de tout le processus économique de fixation de prix de détail. Il ne faut pas comprendre ce qui se passe sur le plancher des vaches pour croire qu'une augmentation de 1 cent de la taxe d'accise se traduira par une augmentation de 1 cent sur la facture du consommateur.

Donc, face à la taxe d'accise, deux options s'offrent aux microbrasseries. La première, c'est que, pour conserver son positionnement, la microbrasserie aura le réflexe d'absorber cette taxe qui sera donc une taxe aux producteurs et qui limitera d'autant sa capacité d'investir, de se développer et de créer des emplois. Ce réflexe sera d'autant plus fort si la bière a un prix de détail qui est situé tout près du plafond psychologique d'achat des consommateurs. L'impact sera donc absorbé par le producteur à 100 p. 100.

La deuxième décision que la microbrasserie pourrait prendre serait de tenter de récupérer la perte encourue par l'augmentation en augmentant elle aussi le prix de vente de ses produits. Ce qui se produit dans ce cas c'est qu'au passage, le distributeur et le détaillant arrondiront le prix de façon à augmenter leur propre marge de profit, sans compter l'application subséquente des taxes de vente provinciales et fédérales.

Le résultat pour la microbrasserie, c'est qu'il n'y a pas d'impact quant à sa rentabilité sur une bouteille, mais il y a fort à parier que l'effet se fera sentir sur son positionnement et le total de ses ventes. Dans tous les cas, une augmentation de taxe vient bouleverser le modèle économique et le plan d'affaires, soit en diminuant les profits, soit en diminuant la compétitivité des microbrasseries. La décision gouvernementale d'indexer la taxe d'accise à l'IPC aura certainement un impact important sur les marges de manoeuvre des microbrasseries et fera en sorte de limiter leur pouvoir d'investir et de se développer.

Bien qu'on considère souvent la bière comme un produit de luxe, il n'en demeure pas moins qu'elle fait partie du quotidien d'une majorité de Canadiens, en particulier ceux de la classe moyenne. Ce n'est pas un produit réservé à une élite. Une augmentation de la taxe sera susceptible d'avoir un effet sur le portefeuille d'une grande partie des Canadiens. Quand on sait que le titre du budget est Bâtir une classe moyenne forte, l'indexation automatique de la taxe d'accise ne va pas tout à fait dans cette direction.

Nous sommes d'avis qu'il serait temps que le gouvernement fasse preuve de plus d'originalité quand il est temps d'augmenter ses intrants au lieu de continuellement viser la bière, qui est déjà fortement taxée. Nous nous permettons de soulever qu'il est très clair, selon plusieurs études sur la santé, que le sucre est un mal de notre époque qui coûte très cher à la santé publique. Ne serait-il pas temps que toutes boissons sucrées fassent leur part du point de vue du Trésor public?

En conclusion, le budget de 2017 a entraîné une réelle inquiétude chez les microbrasseries. Nous espérons que le Comité sénatorial permanent des finances nationales entendra notre perspective et soutiendra l'élimination de l'augmentation automatique de la taxe d'accise.

Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui.

Le président : Merci, monsieur Tremblay.

[Traduction]

Madame Feit, veuillez faire votre exposé. Nous poursuivrons ensuite la séance.

Barbara Feit, trésorière, Alberta Small Brewers Association : Monsieur le président et distingués membres du comité, j'agis à titre de directrice et de trésorière de l'Alberta Small Brewers Association, ou ASBA. Merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous faire part des préoccupations de l'association et vous expliquer pourquoi il faudrait éliminer l'augmentation annuelle automatique des droits d'accise sur la bière.

L'ASBA est une association commerciale de brasseurs de l'Alberta établie pour représenter et promouvoir l'industrie brassicole d'une voie unifiée et respectée dans notre province, et pour favoriser la collaboration et l'échange de pratiques exemplaires parmi ses membres.

Notre industrie connaît une croissance rapide en Alberta depuis trois ans et demi, soit depuis l'établissement de notre organisation. Le nombre de brasseries a quadruplé dans notre province, qui en compte maintenant 50. De plus, un grand nombre de nouvelles brasseries sont en planification ou en construction.

Une consultation menée auprès de nos brasseries membres et d'autres parties prenantes de l'industrie a permis de déceler une préoccupation commune quant à l'augmentation annuelle automatique des droits d'accise sur la bière proposée dans le projet de loi C-44, déposé plus tôt cette année. Nous nous inquiétons de la nature automatique de ces augmentations et considérons que le gouvernement devrait accorder une réflexion et une attention prudentes aux augmentations de taxe, en tenant compte des conditions économiques à l'échelle nationale et régionale au moment de l'augmentation. En Alberta, nous pouvons certainement attester que ces conditions peuvent fluctuer considérablement et changer très rapidement dans les provinces.

L'augmentation fondée sur l'indice des prix à la consommation prévue à l'article 42 du projet de loi C-44 est un mécanisme trop imprécis pour tenir compte de ces facteurs, et ne devrait pas remplacer la surveillance prudente et la prise de décision consciencieuse du gouvernement quand vient le temps d'imposer de tels droits.

Les membres de l'ASBA s'inquiètent également des répercussions multiplicatives et cumulatives que l'augmentation automatique aura sur les prix de la bière que paie le consommateur. Cette augmentation correspond à un pourcentage du taux de l'année précédente et est donc cumulative en soi, mais comme la TPS est imposée avec les droits d'accise sur le coût des intrants, l'impact de cette taxe augmente aussi. Cela fait donc augmenter continuellement le prix de détail que paie le consommateur.

En outre, les pressions inflationnistes sous-jacentes à l'indice des prix à la consommation sont habituellement représentatives d'augmentations semblables des coûts des intrants que paient nos membres lors de la fabrication de leur bière. Pour éviter de demander des prix trop élevés à leurs consommateurs, nos brasseries pourraient ne pas pouvoir leur refiler tous les coûts qu'ils assument. En pareille situation, le gouvernement empêche les producteurs de compenser les augmentations des coûts de leurs intrants. Par conséquent, ils ont moins d'argent à réinvestir dans la croissance ou à remettre aux employés et aux propriétaires.

C'est particulièrement le cas en Alberta, le seul marché de vente au détail d'alcool entièrement privatisé au Canada. Ce marché ouvert, combiné à l'accroissement rapide du nombre de nouvelles brasseries souligné plus tôt, crée un contexte où la concurrence est féroce et où les producteurs doivent peser soigneusement toute augmentation de prix de peur de perdre des ventes. C'est particulièrement vrai maintenant, puisque les consommateurs albertains n'ont jamais été aussi sensibles aux prix en raison des taux de chômage élevés et des conditions économiques anémiques avec lesquels ils doivent composer.

Même si en Alberta, les ventes au détail sont privatisées et ne relèvent pas d'un organisme gouvernemental provincial, les brasseries ne peuvent pas exploiter leur propre magasin de détail ou maison de restauration, et doivent donc faire appel à des détaillants tiers pour vendre leurs produits aux consommateurs. En moyenne, les profits que font ces détaillants égalent ou dépassent ceux que dégagent les brasseries. Sachez en outre que le fardeau fiscal global est déjà élevé. Aux taux actuels, le total des diverses taxes que les gouvernements provinciaux et fédéraux imposent sur la bière est égal ou supérieur aux profits des brasseurs.

En dépit des pressions de la concurrence, il y a un air d'optimisme dans notre industrie en Alberta. Notre région compte certaines des usines qui produisent le malt et l'orge brassicole de la plus grande qualité dans le monde. Nous voulons jouer un rôle dans la diversification de l'économie de l'Alberta, qui repose principalement sur l'énergie. D'après les exemples que nous observons aux États-Unis, nous savons que dans des conditions adéquates — au chapitre des structures de réglementation et de taxation, notamment —, une industrie brassicole florissante peut produire un dividende économique substantiel. L'Oregon, qui compte environ la même population que l'Alberta, comprend 246 installations brassicoles dont l'impact économique direct et indirect est évalué à 4,5 milliards de dollars.

Au Canada, le droit d'accise sur la bière est imposé en fonction du volume sur chaque hectolitre de bière produit; la croissance de l'industrie et les augmentations potentielles des taux font donc augmenter les revenus du gouvernement. L'effet cumulatif des accroissements de prix effectués pour compenser l'augmentation constante du droit d'accise proposé peut inciter les consommateurs à réduire leurs achats, ce qui se traduit par une stagnation ou une réduction du volume de bière produite et vendue. La diminution des volumes peut ainsi réduire à néant l'avantage théorique des augmentations de taux.

Nous sommes convaincus que la meilleure manière de permettre à toutes les parties prenantes — c'est-à-dire les brasseries, les consommateurs et les gouvernements — de gagner consiste à créer un environnement où la production et les ventes de bière peuvent croître. Le gouvernement fédéral profiterait ainsi non seulement de l'impact des droits d'accise prélevés en fonction du volume, mais aussi de la TPS imposée sur les achats des consommateurs. Pour leur part, les gouvernements provinciaux bénéficieraient des augmentations de taxes qu'ils appliquent sur les ventes de bière dans leur territoire. En outre, l'activité économique découlant de la création d'emplois et des investissements effectués dans les économies locales au chapitre des ingrédients agricoles et des matériaux d'emballage profite également aux deux ordres de gouvernement sous la forme d'impôt sur le revenu.

Nous demandons donc, en terminant, au Comité sénatorial permanent des finances nationales d'appuyer notre proposition d'éliminer l'augmentation automatique du droit d'accise en enlevant l'article 42 du projet de loi C-44. Ce faisant, vous permettrez à notre industrie de créer plus facilement des emplois et de l'activité économique, ce qui se traduira au bout du compte par des rentrées d'agent plus élevées pour le gouvernement.

Merci du temps et de l'attention que vous nous accordez aujourd'hui.

Le président : Merci beaucoup, madame Feit.

Monsieur Peller, la parole est à vous.

John E. Peller, président et chef de la direction, Andrew Peller Limited : Je suis un fabricant de vin de la quatrième génération. Ma famille œuvre dans le domaine vinicole depuis les années 1960 et exploite maintenant une société ouverte qui compte aujourd'hui des milliers d'actionnaires.

Je pense être à la tête d'une de ces grandes multinationales auxquelles quelqu'un a fait référence plus tôt. Nous exploitons neuf fabriques de vin à titre de producteurs-éleveurs et possédons une distillerie artisanale. Nous exportons du vin de glace aux quatre coins du monde. Nous sommes très fiers de nos activités vinicoles à grande valeur. Comme je l'ai indiqué, nous avons planté nos premières vignes dans la région de l'Okanagan dans les années 1960 avec la tribu autochtone d'Inkaneep. Nous cultivons maintenant plus de 10 000 hectares de raisins au Canada, y compris en Nouvelle-Écosse.

Notre industrie a réussi au-delà des rêves les plus fous des investisseurs initiaux et certainement des attentes du gouvernement. Je me souviens que j'étais ici quand l'ALENA et l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ont été signés. Les perspectives de notre industrie n'étaient guère reluisantes, mais grâce au labeur et aux efforts d'un grand nombre de gens, nous avons pu faire croître notre industrie, qui compte maintenant 700 fabriques de vin. Nous fabriquons le produit agricole ayant la valeur la plus élevée au pays. Notre industrie appuie un immense secteur de culture et d'hébergement qui est en croissance. Notre avenir est très brillant. Comme mes collègues l'ont fait remarquer avant moi, nous vivons dans un monde très concurrentiel. Notre secteur n'est pas assujetti à la gestion de l'offre, comme c'est le cas pour certains produits agricoles au Canada. Nous luttons bec et ongles contre des entreprises et des pays étrangers très forts et compétents.

Dans le domaine des boissons et de l'alcool, il est bien connu que l'industrie vinicole affiche les marges les plus faibles. Comme vous pouvez le lire dans mon exposé, les marges que nous dégageons à titre de société ouverte sont de 10 p. 100. Cette marge peut aller jusqu'à 25 et 40 p. 100 pour la bière et les spiritueux. Nous sommes le reflet d'une production agricole où le coût de fabrication exige beaucoup de capital. Nous constituons des stocks onéreux et les conservons longtemps. Les défis financiers de notre industrie sont assurément redoutables. Voilà pourquoi je suis consterné par l'intérêt du gouvernement à augmenter la taxe d'accise et je m'oppose farouchement, à l'instar de mes collègues, au mécanisme d'augmentation automatique.

Je voudrais vous donner un exemple simple. En Ontario, un marché vinicole typique au Canada, presque 80 à 85 p. 100 du volume de vin est vendu à moins de 10 $ la bouteille. Quand cette bouteille à 10 $ est vendue à la LCBO, 6,60 $ vont dans les coffres des gouvernements fédéral et provincial. Ce montant n'inclut pas seulement la taxe d'accise, mais aussi toutes les taxes provinciales. Il existe toutes sortes de noms et de termes pour ces taxes, mais il serait complètement faux de prétendre que nos produits ne sont pas fortement taxés d'entrée de jeu.

Depuis 2010, nous n'avons pas augmenté le prix des bouteilles de vin à 10 $ parce que la concurrence internationale ne nous permet pas de le faire. Au cours de cette période, nous avons subi des augmentations de taxe successives qui ont réduit nos marges, lesquelles sont passées de 40 à 34 p. 100. Cela a pour effet de commencer à établir une course aux armements entre les gouvernements fédéral et provincial afin de savoir qui empochera nos marges le plus rapidement. C'est pourquoi je considère que la taxe de 2 p. 100 n'est pas équitable et que la mesure d'augmentation automatique est une abomination.

Je voudrais donne suite à la remarque de la sénatrice Cools sur la validité constitutionnelle de cette mesure, que je ne considère pas justifiée. J'ai étudié le droit quand le gouverneur général, David Johnston, était doyen à l'Université de Western Ontario. J'espère qu'il est fier de moi. Dans la décision rendue en 1960 dans l'affaire Catholic Teachers' Association c. Ontario (Procureur général), la cour a statué qu'aucun Parlement n'a le droit d'adopter une taxe sans que les représentants élus en poste à ce moment-là aient tenu un débat rigoureux et ouvert sur la validité de cette mesure. Or, on propose ici d'imposer une taxe sans même que quelqu'un ait été élu ou nommé. Il me semble que la responsabilité d'imposer des augmentations de taxe dans l'avenir devrait relever des personnes qui feront partie du Parlement à ce moment-là.

Ma dernière observation est un simple commentaire que je formule en passant sur la santé. Nous savons tous que c'est un sujet délicat et pertinent dans notre communauté. Je suis d'accord avec vous, sénateur. Je ne pense pas que les taxes élevées permettront d'éliminer la dépendance et les problèmes sociaux, bien que nous travaillions activement avec le Canadian Centre for Addictions. Nous considérons que l'éducation constitue la stratégie la plus pertinente.

Nous payons des taxes élevées actuellement. Nous savons qu'elles sont importantes pour notre système, mais au titre du régime fiscal proposé, nous savons tous ici que les gouvernements fédéral et provinciaux peinent à boucler leurs budgets ces temps-ci. Ils ont besoin d'argent, car les Canadiens ont une soif insatiable de services sociaux, mais n'aiment pas devoir les payer. Le gouvernement peut augmenter l'impôt sur le revenu, l'impôt des sociétés ou les taxes de vente, mais comme il craint de le faire, il se tourne régulièrement vers les mêmes sources de revenus. Je vous assure que nos taxes ont augmenté considérablement et grugent maintenant un pourcentage de nos marges. Nous ne manquerons pas de dire pourquoi le gouvernement agit de la sorte et ne mâcherons certainement pas nos mots à propos de l'indexation automatique, qui fera augmenter les taxes que nous ne pouvons refiler aux consommateurs. Cela est totalement inacceptable, selon nous.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Woo : Je remercie tous les témoins. Tout d'abord, permettez-moi de dire qu'il est fort impressionnant de voir que deux industries de régions différentes du pays connaissent le succès dans le secteur agroalimentaire canadien et suscite une grande admiration de par le monde.

Je veux vous interroger sur l'augmentation automatique. J'ai entendu Mme Feit indiquer que vous acceptez 2 p. 100 à contrecœur, mais que vous rejetez l'augmentation automatique parce qu'elle ne tient pas compte de l'évolution des conditions économiques ou des périodes de vaches maigres qui touchent le pays ou certaines régions.

Accepteriez-vous alors en principe un ajustement de la taxe d'accise pour maintenir sa valeur réelle à mesure que l'inflation augmente sans l'ajuster en fonction du volume? Vous ne voulez pas que cette augmentation soit automatique. Il faudrait peut-être procéder à un examen de la situation tous les 5 ou 10 ans au lieu d'imposer une augmentation automatique chaque année.

Mme Feit : Je pense certainement que cela correspondrait davantage à nos attentes. Je tiens à souligner de nouveau que l'aspect inflationniste de la mesure a beaucoup de répercussions sur le producteur. Le fait est qu'une taxe fondée sur le volume signifie que le gouvernement gagnera encore. Tout le monde y gagne si l'industrie continue de croître.

L'examen effectué aux 5 ou aux 10 ans semble certainement plus raisonnable. Nous proposons de dire que la taxe est cumulative. Les revenus du gouvernement peuvent augmenter si on favorise la croissance de l'industrie.

Le sénateur Woo : Je comprends l'argument relatif au volume. Le projet de loi n'est pas exactement clair. Un des problèmes vient du fait que le gouvernement n'énonce pas d'objectif stratégique clair. S'il souhaite accroître les revenus, la mesure relative à l'offre pourrait être la solution. S'il cherche à augmenter le volume grâce à la croissance, les revenus augmenteront. Il ne précise pas non plus son objectif stratégique en matière de santé, qui consiste à réduire la consommation. Mais c'est une tout autre affaire.

Je voudrais vous interroger, particulièrement M. Peller, à propos de la concurrence, qui vous préoccupe beaucoup. La taxe d'accise s'appliquera à tous les produits importés, ainsi qu'aux produits nationaux. Dans un certain sens, cela met tout le monde sur un pied d'égalité. Je présume que vous pensez que vos concurrents absorberont l'augmentation et ne modifieront pas leurs prix de vente au détail.

M. Peller : Ils l'ont certainement déjà fait. En ce qui concerne votre dernière question, si cela ne vous dérange pas que j'ajoute quelque chose, comment pensez-vous que les contribuables canadiens réagiraient si on leur annonçait que l'impôt sur le revenu serait désormais indexé à l'inflation? Il y aurait une révolte armée.

Le sénateur Woo : Il y a des fourchettes fiscales pour régler la question.

M. Peller : Je parle d'une augmentation d'impôt automatique que tout le monde subirait en fonction de l'indice des prix à la consommation. Si vous proposiez aux contribuables moyens une pareille mesure concernant la TVH, la TPS ou l'impôt des sociétés, vous provoqueriez certainement une révolte armée au pays.

Voilà ce que nous en pensons. Quant au point que vous avez soulevé sur la concurrence, le prix de ma bouteille de French Cross, actuellement fixé à 9 $, n'a pas augmenté depuis sept ans. J'aimerais certainement pouvoir l'augmenter. Les seuls dont les marges bénéficiaires ont augmenté au cours des sept dernières années sont les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, qui ne cessent d'augmenter les taxes, augmentations que je ne peux transférer à la clientèle.

On parle de 85 p. 100 du volume au pays; ce n'est pas négligeable. En tant que producteurs nationaux, nous occupons une part importante de ce marché. Cette mesure nuit à la fabrication à l'échelle nationale et représentera un fardeau pour notre secteur à l'avenir.

Je tiens à faire une précision, aux fins du compte rendu. Nous reconnaissons l'importance des initiatives en matière de santé, mais nous payons actuellement les taxes sur l'alcool les plus élevées au monde. Notre taxe d'accise est de 63 cents le litre, contre 7 cents en France, zéro en Allemagne et 38 cents aux États-Unis, en devise canadienne.

On fait valoir que nous ne contribuons pas suffisamment et qu'il y a un manque de reddition de comptes sur l'utilisation de ces recettes. Il apparaît évident pour la plupart des gens d'affaires que notre secteur est le dernier recours lorsqu'on ne veut pas toucher à d'autres aspects fiscaux. Je trouve cela quelque peu insultant.

[Français]

Le président : Monsieur Tremblay, avez-vous un commentaire?

M. Tremblay : À propos de la question précédente, notre point de vue serait que la taxe d'accise et toute taxe manufacturière devrait être abolie. Je ne crois pas que la question est de savoir quand nous pourrions discuter d'une augmentation.

L'effet pervers d'une taxe en amont est qu'à peu près tous les intermédiaires se graissent la patte en montant. Le gouvernement va décréter une hausse. Si le producteur décide de la refiler, elle le sera et le distributeur prendra une marge sur cette taxe. Ensuite, le détaillant prendra une marge sur le montant qui est déjà marginé par le distributeur, et le consommateur se retrouvera avec un produit où le prix de vente aura été arrondi. Au bout du compte, pour une augmentation de 1 cent, le consommateur va payer de 10 à 12 cents de plus. Le gouvernement veut diminuer les impôts des contribuables pour leur donner plus de pouvoir d'achat. Le gouvernement va chercher 1 cent, mais il diminue le pouvoir d'achat du consommateur de 10 à 12 cents. Ce n'est pas la bonne façon d'augmenter les revenus du gouvernement. On fait vraiment très mal à l'économie canadienne.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Un des enjeux auxquels M. Peller a fait allusion a aussi été soulevé précédemment par d'autres témoins. Ce que je veux dire, c'est que cette mesure n'est pas seulement une nouvelle taxe. C'est une taxe cumulée. Vous avez donné l'exemple d'une bouteille de vin à 10 $ — la moyenne, selon vous —, et parlé de toutes les taxes applicables.

Nous avons demandé à d'autres témoins de nous donner la répartition des taxes. Mme Feit et M. Tremblay pourraient-ils nous donner les chiffres sur les taxes respectives qu'ils paient déjà, en Alberta et au Québec, et nous indiquer à combien s'élèveront les taxes lorsque le projet de loi C-44 sera adopté? Je leur en serais reconnaissante. Personnellement, je n'ai pas une idée précise des taxes que vous payez déjà. Il s'agira de taxes cumulées; j'aimerais donc avoir une idée précise des taxes que vous payez déjà et de l'ampleur de l'augmentation lorsque le projet de loi C-44 entrera en vigueur.

La hausse ne semble pas très importante, mais lorsqu'on examine les documents budgétaires du gouvernement pour les cinq prochaines années, cette hausse de taxes représente pour le gouvernement des recettes d'un demi-milliard de dollars. C'est une somme considérable et je vous serais reconnaissante de nous fournir ces renseignements. J'aimerais avoir ces chiffres.

J'aimerais soulever un autre point. On appelle le budget qui vient d'être présenté « le budget de l'innovation ». Selon vous, en quoi cela se rapporte-t-il à votre propre industrie? Vous parlez des entreprises vinicoles et des microbrasseries, des secteurs qui doivent certainement innover. Selon mon point de vue, ce budget est censé être une stratégie sur l'innovation, mais on propose maintenant une augmentation considérable des taxes sur les spiritueux. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

Voilà les deux enjeux qui me préoccupent. J'aimerais avoir des renseignements supplémentaires sur l'aspect financier et des observations sur la stratégie d'innovation.

M. Peller : J'ai mentionné que pour une bouteille de vin dont le prix de détail est de 10 $, les taxes — les taxes de vente provinciales et fédérales — s'élèvent à 6,60 $. Le prix de détail d'une bouteille de vin que nous vendons 3 $ sera de 10 $, dont 6,60 $ en taxes diverses : taxe environnementale, taxe sur la commercialisation, taxes d'accise et de ventes fédérales. Les taxes fédérales s'appliquent à la taxe provinciale, ce qui a un effet multiplicateur. Donc, une taxe d'accise de 2 cents pourrait atteindre jusqu'à 10 cents sur une certaine période.

Cela n'aurait pas posé problème si on n'avait pas mis en place ce genre de mécanisme il y a 30 ans. Nous approchons de la limite raisonnable en matière de taxation de ces produits.

La sénatrice Marshall : Quelles sont les différences entre les provinces? Est-ce comparable?

M. Peller : L'Alberta fait figure d'exception, car elle a une taxe uniforme plutôt qu'une taxe ad valorem, soit une taxe de 3,26 $ le litre. Le montant est le même, mais cela a pour effet de surtaxer les produits à bon marché. La taxe est d'environ 3 $, que le prix de la bouteille de vin soit de 10 $ ou de 50 $. Voilà l'effet de cette mesure.

Votre deuxième question est excellente. Innovation Canada et M. Dominic Barton, de la société McKinsey, qui collabore avec le gouvernement, estiment que le potentiel de croissance du secteur agroalimentaire est élevé. On considère que l'industrie vinicole — les vignobles et les établissements vinicoles — se prête à merveille aux activités de transformation à valeur ajoutée et aux activités culturelles liées à l'hôtellerie et au tourisme. Nous croyons que le gouvernement devrait trouver des façons de favoriser les investissements dans notre industrie plutôt que d'adopter des mesures qui nuisent aux investissements.

Le président : Si vous voulez nous envoyer des renseignements supplémentaires, je vous prie de le faire par l'intermédiaire de la greffière.

M. Peller : Je vous assure que vous aurez ces renseignements.

Mme Feit : J'aimerais ajouter deux ou trois choses. Sur le plan des coûts, la question est plus complexe parce que la plupart des provinces, y compris l'Alberta, ont des taux différents selon le volume. Pour résumer, je dirais que la taxe applicable pour une caisse de six bouteilles dont le prix de gros est de 12 $ s'élève à environ 1,50 $ ou 1,60 $ pour les produits bas de gamme, contre près de 3 $ pour les produits haut de gamme.

Les frais de commercialisation pour les bières produites par nos membres sont assez élevés, parce que la plupart de ces produits sont non pasteurisés, de sorte que leur durée de conservation est limitée. Nous avons tout intérêt à ce que nos produits ne restent pas sur les tablettes près de la date de péremption, ou après. Nos représentants consacrent beaucoup de temps dans les points de vente pour veiller à la fraîcheur des produits et retirer les produits périmés. La structure des coûts est quelque peu différente.

À l'échelle provinciale, les marges varient également d'un type de boisson alcoolisée à l'autre. La plupart des provinces ont une structure fondée sur le volume, en hectolitres, tandis que d'autres se fondent sur un pourcentage, comme dans l'industrie vinicole. Cela a évidemment une incidence sur la croissance, car le fardeau fiscal augmente en fonction du volume, donc du succès de l'entreprise.

Enfin, en ce qui concerne l'innovation, le lien manifeste qu'on peut établir est que la hausse des taxes réduit les liquidités nécessaires pour réinvestir. Notre industrie compte beaucoup de nouveaux joueurs. Le lancement d'une entreprise brassicole exige beaucoup de capitaux, que ce soit pour les locaux, l'équipement, et cetera. Souvent, au début, ils peuvent seulement acquérir l'équipement de base, comme un fût à bière, et n'ont pas assez de fonds pour investir dans du matériel d'emballage. Plus ils mettront de temps à réaliser un profit, plus ils tarderont à réinvestir, et cela nuira également à leur capacité d'innover et de croître.

[Français]

Le sénateur Forest : On sait que la taxe d'accise est une taxe qui dépend des volumes de production. Donc, combien d'hectolitres peuvent être produits sur une base annuelle par une microbrasserie moyenne au Québec ou en Alberta?

M. Tremblay : Au Québec, il y a au-delà de 160 microbrasseries. On en a de toutes les tailles. Les plus grandes produisent environ 100 000 hectolitres par année, et les plus petites, environ 200 à 300 hectolitres par année. Les microbrasseries moyennes produiront de 5 000 à 20 000 hectolitres par année. Il s'agit donc d'une industrie dans laquelle se retrouvent beaucoup de joueurs avec tout de même des volumes de production assez réduits, et l'économie d'échelle est de ce fait très difficile à obtenir en raison des matières premières et de tous les intrants.

Le sénateur Forest : Et en Alberta, quelle est la moyenne des microbrasseurs en termes de volumes de production?

[Traduction]

Mme Feit : La situation en Alberta ressemble à celle du Québec. Les entreprises sont de tailles diverses. Beaucoup de nouvelles entreprises ont une production de 2 000 à 5 000 hectolitres. Deux ou trois autres ont une production de 5 000 à 20 000 hectolitres. Outre mon rôle au sein de l'association, je travaille pour la plus importante microbrasserie de la province, Big Rock, qui a été fondée il y a 30 ans environ. Nous produisons entre 150 000 et 200 000 hectolitres.

En raison des obstacles aux échanges interprovinciaux imposés à l'industrie, notre entreprise a choisi d'investir dans des installations dans d'autres provinces. Dans certains cas, la notion d'économie d'échelle est à la fois trompeuse et mal comprise. Nous avons construit deux petites brasseries. L'une d'elles, à Vancouver, produit 4 000 hectolitres. L'autre est à Etobicoke. Il va sans dire que ces deux brasseries combinées ne permettent pas des économies d'échelle aussi importantes que celles que nous aurions avec une brasserie unique produisant 200 000 hectolitres.

[Français]

Le sénateur Forest : Le tourisme représente une industrie très importante au Canada. L'analyse du marché fait état d'une industrie qui, sans être miraculeuse, a le mérite d'amener le consommateur chez nous et d'investir directement de nouveaux flux monétaires intéressants au pays. Deux grands phénomènes interactifs sont les grands espaces et tout le phénomène de la gastronomie canadienne, incluant les microbrasseries, les exploitations vinicoles locales et ainsi de suite. Un des éléments — peut-être innovateurs — figurant au budget est le fait d'inscrire cette taxe qui sera constamment ajustée à l'indice des prix à la consommation. Quel impact cela pourrait-il avoir, compte tenu de votre connaissance du marché pour l'industrie touristique?

[Traduction]

M. Peller : Je peux vous parler de la région de la péninsule du Niagara, que je connais très bien, même si je suis né en banlieue d'Hamilton.

Lorsque nous nous sommes lancés dans l'industrie du vin, l'industrie principale était la fabrication de moteurs de camions pour General Motors. Puis, lorsque l'économie s'est effondrée, ces usines ont fermé leurs portes. L'activité économique dans la région du Niagara était au point mort. Trente-cinq ans plus tard, le tourisme culturel est la principale industrie de la péninsule. La majorité des touristes s'y rend pour visiter un vignoble plutôt que pour admirer les chutes Niagara.

La région compte 150 établissements vinicoles et de nombreux restaurants. Nous exploitons deux établissements vinicoles. C'est une industrie formidable qui a pour clientèle des touristes internationaux et la population locale.

Les petites entreprises types peinent à atteindre le seuil de rentabilité, même dans notre industrie, et je suis généreux, car c'est un secteur où les coûts d'exploitation sont très élevés. Les petits exploitants ont tendance à mieux s'en tirer à long terme, en raison de la hausse de la valeur de leurs propriétés. Le gouvernement provincial leur accorde une exonération pour certaines taxes provinciales, mais ils paient les taxes fédérales. Je peux vous assurer que les hausses de la taxe d'accise fédérale ne sont pas bien accueillies.

Le sénateur Forest : Le montant de 6,60 $ en taxes ne comprend pas les taxes foncières pour votre maison ou votre propriété.

M. Peller : Non. La taxe d'accise s'applique aux spiritueux et aux produits brassicoles. Certes, la taxe d'accise ne s'applique pas aux vins entièrement certifiés VQA, mais elle s'applique aux vins mélangés.

La sénatrice Eaton : Lors de son témoignage, la semaine dernière, M. Luke Hartford a indiqué que les brasseries canadiennes emploient 13 000 Canadiens et qu'elles soutiennent indirectement 163 emplois équivalents temps plein dans l'ensemble du pays.

Monsieur Peller, avez-vous des chiffres pour les vignerons?

M. Peller : Je sais que l'industrie emploie 14 000 personnes à l'échelle nationale, voire 17 000 ou 18 000, maintenant. La contribution de notre industrie à l'économie est passée de 6 à 9 milliards de dollars au cours des cinq ou six dernières années. Elle connaît une croissance exponentielle.

La sénatrice Eaton : Selon vous, la hausse récurrente de la taxe d'accise aura-t-elle une incidence sur les emplois?

M. Peller : J'ai essayé d'aborder le sujet sans détour. Je sais que certains pensent que le montant est minime, mais il ne l'est qu'en comparaison des montants énormes que nous payons déjà.

Il est tout à fait fantaisiste de s'attendre à ce que nous transmettions ces hausses aux consommateurs à l'avenir. Notre seule possibilité est de suivre les augmentations de prix des produits importés. L'industrie nationale n'a que 33 p. 100 des parts de marché au pays. Le volume de ventes de vins importés de Californie, de France et d'Italie est beaucoup plus élevé, et les importateurs ne transfèrent pas les hausses de coûts. Dans le passé, nous avons absorbé ces hausses.

J'estime que nous payons bien plus que notre juste part de taxes. Tant de produits devraient être taxés. Soyons francs; si la préoccupation première est la santé, il convient de lutter contre le principal enjeu de santé au Canada : l'obésité. Une multitude de produits pourraient être taxés davantage avant de hausser les taxes de vente sur nos produits, qui sont de l'ordre de 110 p. 100. Voilà le fondement de ma position.

La sénatrice Eaton : Avez-vous des commentaires au sujet des emplois?

Mme Feit : Je dirais qu'au lieu de chercher à connaître l'incidence d'une hausse de taxes sur les emplois, il convient de regarder du côté des États-Unis, qui sont un excellent exemple de l'effet d'une faible taxation. Denver, l'Oregon et une partie de la Caroline du Nord ont connu une explosion du nombre de microbrasseries et un essor du tourisme lié aux activités brassicoles.

Il est prouvé qu'un faible taux de taxation favorise les nouveaux investissements et la création de tels pôles. Je reçois probablement au moins un appel tous les deux mois. Des gens de partout aux États-Unis tentent de nous inciter à établir une brasserie dans leur région parce que cela crée de l'emploi et stimule les dépenses locales et l'industrie touristique. C'est ce qui s'est produit dans l'industrie vinicole; on observe maintenant la même tendance du côté des microbrasseries.

La sénatrice Eaton : La question n'est pas tant de savoir combien d'emplois pourraient être perdus, mais plutôt la possibilité de créer plus d'emplois.

[Français]

Monsieur Tremblay, qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Tremblay : Le Québec est un très grand territoire dans lequel il y a beaucoup de petites municipalités. Nous constatons que les microbrasseries actuelles, pour la majorité, sont installées dans des communautés de moins de 10 000 habitants. Cela a un impact majeur. On parle d'emplois, mais il faut parler aussi d'implication dans la communauté. Tout le monde le sait autour de la table; là où se trouve une brasserie, on peut régler les problèmes de l'humanité... Cela génère un esprit et un réinvestissement au sein de la communauté.

Notre crainte, à l'heure actuelle, c'est que, pour la plupart de ces brasseries, ce sont des jeunes qui ont quitté les grands centres pour aller démarrer ces microbrasseries par passion et qui ne se paient pas encore des salaires décents.

Quand on parle d'investissements et de taxes, on a toujours l'impression que ce sera refilé aux consommateurs, mais la réalité, c'est qu'il s'agit là de la troisième augmentation au Québec au cours des cinq dernières années. Je peux vous dire que la majorité de ces taxes ont été absorbées par les entreprises. Dans le moment, l'économie n'est pas à son maximum; le consommateur ne peut plus payer plus cher pour sa bière. Ce sont alors les entreprises qui absorbent l'augmentation des taxes. On parle de faire de l'investissement en innovation qui pourrait nous aider inévitablement à contrer la hausse du coût de toutes les matières premières dont nous sommes victimes présentement, mais la réalité, c'est que tout cet argent qui devrait servir à l'innovation, on doit l'absorber en raison de toutes ces taxes qui ont été augmentées au cours des dernières années. Cela devient inquiétant pour les petites brasseries situées dans les petits centres.

Le président : Message reçu, monsieur Tremblay. Les membres du comité continueront, selon l'ordre de renvoi du Sénat, de travailler dans l'optique de la prévisibilité, de la reddition de comptes et de la transparence.

[Traduction]

Je remercie les témoins de nous avoir présenté leurs observations. Nous allons poursuivre nos travaux en fonction des objectifs du Sénat du Canada en matière de prévisibilité, de reddition de comptes et de transparence.

Sur ce, chers collègues, nous passons à huis clos pour discuter de nos travaux futurs.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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