Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 37 - Témoignages du 15 juin 2017
OTTAWA, le jeudi 15 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d'autres mesures, se réunit aujourd'hui, à 14 h 4, en séance publique, pour étudier ce projet de loi, puis à huis clos pour étudier une ébauche de rapport concernant le Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l'exercice se terminant le 31 mars 2018.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
[Traduction]
Je m'appelle Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je préside le comité.
[Français]
Merci d'avoir accepté notre invitation. Je profite de l'occasion pour vous dire que votre personnel a toujours collaboré lorsque nous avons demandé votre présence. De plus, nous avons reçu un grand soutien de la part de votre ministère pour répondre aux questions des membres du comité.
[Traduction]
J'aimerais souhaiter la bienvenue à toutes les personnes ici présentes et aux téléspectateurs de toutes les régions du pays qui nous regardent à la télévision ou en ligne. Je leur rappelle que les séances du comité sont publiques et qu'ils peuvent les regarder sur le site sencanada.ca.
[Français]
De plus, vous y retrouverez de l'information concernant le comité, y compris ses rapports, les projets de loi étudiés et la liste des témoins.
[Traduction]
J'aimerais maintenant demander officiellement aux sénateurs membres du Comité des finances nationales de se présenter, en commençant par ma droite, s'il vous plaît.
Le sénateur Neufeld : Sénateur Neufeld, Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Andreychuk : Raynell Andreychuk, Saskatchewan.
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
[Français]
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l'Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Fraser : Joan Fraser, Québec.
Le président : J'aimerais également présenter la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et nos deux analystes, Sylvain Fleury et Olivier Leblanc-Laurendeau, qui, ensemble, soutiennent les travaux de notre comité.
Honorables sénateurs, nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Nous avons l'honneur d'accueillir l'honorable Bill Morneau, C.P., député, ministre des Finances. Il est accompagné de son sous-ministre, M. Paul Rochon. D'autres fonctionnaires sont présents parmi nous et pourront eux aussi répondre aux questions si le ministre désire ajouter des renseignements.
[Français]
Monsieur le ministre, vous êtes chez vous chez nous. Cela dit, la parole est à vous.
[Traduction]
L'honorable Bill Morneau, C.P., député, ministre des Finances : Merci beaucoup. C'est un plaisir d'être ici. C'est une très grande salle, et si je ne mentionne pas votre nom en répondant à une question, c'est que je ne vois pas assez bien pour lire tous les noms. Je vais devoir y aller de mémoire. Je me souviens évidemment du nom du sénateur Pratte. Je n'arrive pas à l'effacer de ma mémoire. J'ai déjà hâte d'entendre ses questions. Le sénateur Massicotte vit dans le même édifice que moi, et je le reconnais lui aussi, même si je ne l'avais jamais vu en complet.
Je suis heureux d'être ici pour discuter du projet de loi C-44 portant exécution du budget. J'aimerais pour commercer dire qu'un vote va se tenir à la Chambre des communes à 15 heures. Mais que j'ai dit au whip que je ne serais probablement pas présent. Je tiens à ce que vous sachiez que je resterai ici tant que vous aurez besoin de moi. Si vous avez des questions à me poser, je n'ai pas d'autres rendez-vous avant demain 13 heures. Mon fils de 18 ans termine ses études secondaires, et je ne vais pas manquer cela. D'ici là, je suis à votre entière disposition. Je répondrai avec plaisir à toutes les questions que vous pourriez avoir.
Le projet de loi dont nous parlons est à notre avis l'étape suivante de notre programme visant à consolider la classe moyenne de notre pays et à assurer sa prospérité. Nous savons que ce projet de loi permettra au gouvernement de continuer à faire le type d'investissements dont nous avons besoin, nous le savons, pour créer des emplois, assurer la croissance de notre économie et donner davantage de débouchés aux Canadiens de toutes les régions du pays.
[Français]
Au cours de la dernière année, l'économie a créé plus de 250 000 nouveaux emplois. La grande majorité de ces emplois sont à temps plein et dans le secteur privé. Les économistes du secteur privé s'attendent à une accélération de la croissance économique au Canada au cours des deux prochaines années. Les données publiées récemment sur notre économie chiffrent le taux de croissance au pays à 3,7 p. 100 au premier trimestre, ce qui surpasse la plupart des prévisions. Le Canada est maintenant le chef de file du G7 en matière de croissance, et nous continuons d'afficher la meilleure situation financière du G7.
[Traduction]
En tant que ministre des Finances, je comprends que, malgré ces bonnes nouvelles, de nombreux Canadiens sont toujours angoissés quand ils pensent à leur avenir. J'imagine que je devrais d'abord dire que leurs préoccupations sont très réelles. Nous savons que l'automatisation augmente. L'économie change, et elle change rapidement, ce qui crée de véritables défis pour les Canadiens et pour les familles. Les Canadiens veulent être rassurés sur le fait qu'en travaillant dur, ils assureront un meilleur avenir à leurs enfants et à leurs petits-enfants.
C'est pourquoi notre gouvernement s'est attaché à mettre en œuvre un plan qui vise à renforcer la classe moyenne tout en assurant la croissance de l'économie. Notre projet de loi, le projet de loi C-44, est la prochaine étape de ce plan.
J'ai pensé commencer aujourd'hui en parlant d'un sujet dont il a beaucoup été question ces dernières semaines au Sénat, à la Chambre des communes et dans les journaux, à savoir la Banque de l'infrastructure du Canada. À notre avis, cette banque est essentielle à notre plan consistant à faire des investissements inédits dans l'infrastructure publique afin de construire des communautés plus fortes et plus saines et de préparer notre économie pour l'avenir. C'est exactement pour cette raison qu'il en est question dans ce projet de loi d'exécution du budget; cette banque est un élément essentiel de notre plan économique.
L'an dernier, nous avons présenté un plan visant à investir plus de 180 milliards de dollars dans l'infrastructure au cours des 12 prochaines années. Nous savons que nous en sommes rendus au point où ces investissements sont extrêmement nécessaires.
Selon certaines estimations, le Canada accuse du retard au chapitre des dépenses en infrastructures, même après des dépenses de 570 milliards de dollars.
[Français]
La satisfaction de ces besoins en matière d'infrastructure exerce donc des pressions financières importantes sur tous les ordres de gouvernement. Le financement du déficit de l'infrastructure en utilisant uniquement des fonds publics imposerait un lourd fardeau aux familles canadiennes. Aucun ordre de gouvernement ne peut régler ce déficit à lui seul. Il faut des solutions novatrices et de nouveaux partenariats.
[Traduction]
Le projet de loi C-44 propose l'établissement d'une nouvelle société de la Couronne, la Banque de l'infrastructure du Canada. J'aimerais prendre quelques instants pour vous expliquer ce que cela veut dire.
La banque sera régie par un conseil d'administration. Les membres qui y seront nommés en assureront également l'indépendance et la responsabilité, reflétant ce qui constitue à notre avis des considérations essentielles et importantes.
Premièrement, le gouvernement est, au bout du compte, responsable de l'utilisation des deniers publics par la Banque de l'infrastructure du Canada, et le conseil d'administration devra s'assurer de mettre en place des mesures de protection qui permettront de corriger au besoin l'orientation des activités de cette banque ou la façon dont elle est gérée.
[Français]
Deuxièmement, la banque investira uniquement dans des projets d'intérêt public. Le modèle proposé de nomination des administrateurs aidera à faire en sorte que les activités de la banque soient toujours harmonisées avec les priorités en matière d'infrastructure du gouvernement ainsi que celles des administrations provinciales, territoriales et municipales qui souhaitent aller de l'avant en partenariat avec la banque.
[Traduction]
Le modèle de nominations proposé pour la Banque de l'infrastructure du Canada n'est pas inhabituel. Il est similaire, par exemple, au modèle adopté par Exportation et développement Canada, une autre société de la Couronne. Le gouvernement aura la responsabilité d'établir de manière générale l'orientation stratégique et les priorités en matière d'investissements. Un résumé du plan d'activités et du rapport annuel de la banque seront présentés chaque année au Parlement.
Voilà pour la structure de la banque.
Je vais maintenant vous dire ce que nous voulons que fasse la banque. Elle investira au moins 35 milliards de dollars sur 11 ans, grâce à toute une gamme d'outils financiers, y compris des prêts et des placements en actions, et elle pourra engager des dépenses supplémentaires de 15 milliards de dollars. Cela veut dire que son incidence financière maximale sera de 15 milliards de dollars sur 11 ans. C'est le maximum de l'incidence financière que la banque aura sur les ressources du gouvernement.
Nous avons beaucoup parlé des risques liés aux projets au sujet de la Banque de l'infrastructure du Canada, mais je ne crois pas que nous l'ayons fait dans le bon contexte, et c'est pourquoi j'aimerais maintenant vous présenter ce contexte.
Lorsque le gouvernement construit des infrastructures, les contribuables, les citoyens canadiens, assument la totalité du risque. C'est ainsi que se font les choses aujourd'hui, en général. Le risque peut toucher différents ordres de gouvernement, mais, dans les faits, ce sont les citoyens et les contribuables du Canada qui assument ce risque. En travaillant avec le secteur privé, la banque pourra s'assurer que les risques sont partagés et que les risques que les contribuables assument sont réduits, y compris les risques associés aux dépassements de coûts des travaux de construction.
La banque ne soutiendra que des projets qui, selon plusieurs gouvernements, sont d'intérêt public et elle s'assurera du concours d'experts de façon à pouvoir efficacement négocier un prix avec les investisseurs qui protègent ces intérêts.
Dans ce modèle de partenariat, les promoteurs publics et la banque exercent le contrôle. Cela veut dire que la banque et les gouvernements qui participent au projet pourront au bout du compte décider ce qu'ils veulent faire d'un actif donné, quelle réglementation devrait s'y appliquer, quel sera le processus d'approbation et comment tout cela sera géré.
[Français]
Les investissements de la banque seront réalisés de façon stratégique en mettant l'accent sur les grands projets transformateurs, comme les plans de transport en commun régionaux, les réseaux de transport et les interconnexions des réseaux électriques.
[Traduction]
En conséquence, ces grands projets seront davantage innovateurs et, fait plus important encore, ils seront plus nombreux. Même si, selon notre vision de la banque, les bénéfices seront produits à long terme, nous estimons qu'il s'agit ici d'une urgence. Il faut que les travaux commencent aujourd'hui de façon que tous les ordres de gouvernement puissent profiter du fait que les infrastructures dont ils ont besoin seront construites plus rapidement et à moindre coût qu'autrement.
Passons à un autre sujet; j'aimerais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour parler des mesures liées à la taxation des produits du tabac et de l'alcool, qui ont suscité une assez grande attention. Le budget de 2017 propose d'augmenter de 2 p. 100 la taxe d'accise, à compter du 23 mars 2017, le jour suivant l'annonce du budget.
J'aimerais donner aux sénateurs présents le contexte dans lequel ce changement a été proposé. Cela fait plus de 30 ans que le gouvernement n'a pas modifié la taxe d'accise sur les produits de l'alcool, indépendamment d'autres changements des taxes imposées à ces produits. C'est pourquoi, avec le temps, la proportion que représente la taxe d'accise sur le prix total des produits de l'alcool n'a cessé de diminuer. Cela réduit d'autant l'efficacité de cette taxe d'accise.
Pour conserver l'efficacité de la taxe d'accise sur les produits de l'alcool, le gouvernement propose également de l'indexer automatiquement à l'indice des prix à la consommation le 1er avril de chaque année, à compter de 2018. L'augmentation proposée de 2 p. 100 de cette taxe n'aura qu'une faible incidence sur leur prix, puisqu'elle représentera moins de 1 cent pour une bouteille de vin ordinaire, 5 cents sur une caisse de 24 bières, et 7 cents sur une bouteille de spiritueux ordinaire.
[Français]
L'indexation du taux des droits d'accise sur les produits alcoolisés se traduira par une prévisibilité accrue pour les producteurs et maintiendra l'efficacité de ces taux au fil du temps. Si nous convenons qu'un régime fiscal équitable en est un qui évolue au fil des ans afin de tenir compte de la réalité économique, j'exhorte donc les honorables sénateurs à appuyer l'adoption du projet de loi C-44.
[Traduction]
Pour terminer, j'aimerais aborder une question qui a été soulevée hier, pendant le débat sur le pouvoir d'emprunt. Les changements proposés dans ce projet de loi accorderaient au Parlement et au Sénat plus de pouvoirs qu'ils n'en ont jamais eus dans le passé en ce qui concerne l'approbation des besoins de financement du gouvernement fédéral.
Ce pouvoir du Parlement a été révoqué il y a 10 ans par le gouvernement précédent, et seul le Cabinet pouvait l'exercer. Nous tenons notre promesse en conférant de nouveau au Parlement le pouvoir d'approuver les besoins de financement du gouvernement.
Notre gouvernement croit en une transparence et une ouverture accrues, et nous estimons que le Parlement doit toujours contrôler les demandes d'emprunt. Ainsi, nous nous assurons que le gouvernement est responsable devant les Canadiens et qu'il gère comme il le faut ses finances.
J'aimerais vous expliquer pourquoi le Parlement sera plus fort que jamais auparavant s'il peut exercer ses pouvoirs d'emprunt comme nous le proposons dans ce projet de loi.
Premièrement, le Parlement aura le pouvoir d'approuver les dettes négociables du gouvernement fédéral et des agents de la Couronne. Ce pouvoir s'exercera non seulement sur les besoins d'emprunt actuels, mais sur l'ensemble de la dette, ce qui est important. Le pouvoir du Parlement n'a jamais été aussi grand en ce qui concerne la supervision des besoins d'emprunt du gouvernement.
Deuxièmement, la transparence sera accrue puisque l'on demandera au ministre des Finances de mettre le Parlement au courant de la situation de la dette au moins tous les trois ans, même dans les cas où l'endettement est stable ou qu'il diminue. Cela veut dire que lorsque les besoins d'emprunt du gouvernement dépasseront la limite préapprouvée fixée par le Parlement, pour une période de trois ans, le gouvernement devra demander de nouveau au Parlement d'approuver ses emprunts. C'est un point extrêmement important.
En ce qui concerne le processus, quelqu'un a demandé pourquoi le gouvernement n'avait pas mis cette disposition en vigueur en 2016. Dès le départ, notre objectif était de relier le cadre général, toujours en cours d'élaboration à ce moment-là, au processus du budget et aux données budgétaires à jour. Autrement dit, ce processus devait se faire en deux étapes. À la première étape, le gouvernement a modifié la Loi sur la gestion des finances publiques en 2016 pour rétablir le pouvoir d'approbation du Parlement. À la deuxième étape, nous nous présentons devant vous avec un projet de loi sur le pouvoir d'emprunter, qui détermine ce que le Parlement devra approuver en se fondant sur les données budgétaires à jour. Une fois que le pouvoir d'emprunter sera inscrit dans la loi, le gouvernement devra revenir devant le Parlement, au moins tous les trois ans, pour lui demander de renouveler son approbation.
Pour terminer, le projet de loi que nous vous présentons comprend des mesures concrètes qui feront avancer le Canada et avancer notre économie.
[Français]
Mais nous pouvons en faire plus et nous en ferons plus pour aider les membres de la classe moyenne et ceux qui travaillent fort pour en faire partie. J'invite instamment les membres du comité à appuyer le projet de loi C-44.
[Traduction]
Encore une fois, merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je répondrai avec plaisir à toutes les questions que vous aurez sur le projet de loi C-44, de façon que nous puissions avancer, parce que je crois que c'est important pour les travaux que nous essayons de mettre en œuvre afin de maintenir et d'accélérer la réussite économique. Merci.
Le président : Avant de passer aux questions, je vais demander à la vice-présidente de se présenter.
La sénatrice Cools : Je m'appelle Anne Cools, je suis sénatrice depuis 33 ans. Je vais prendre ma retraite du Sénat l'année prochaine, au mois d'août, dans un an environ. Je fais partie du comité depuis des lustres.
En fait, monsieur Morneau, vous devriez savoir que des libéraux des plus partisans m'ont approchée au début de votre mandat, après l'élection, après l'ouverture des chambres, pour me demander d'assurer la vice-présidence de ce comité. Je ne sais pas si vous le savez, mais c'est depuis des années une pratique de ce comité sénatorial : la présidence est toujours assurée par un partisan de l'opposition, et la vice-présidence, par un partisan du parti au pouvoir. Étant donné que j'assume ce rôle depuis une éternité, je peux vous affirmer que les projets de loi de crédit exigent beaucoup de travail. Vous pouvez me croire.
Je m'en occupe depuis très, très longtemps, et j'aimerais vous dire, monsieur Morneau, que c'est pour moi un privilège et un devoir de le faire, surtout quand il s'agit d'un nouveau gouvernement dont les ministres sont relativement inexpérimentés. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite la bienvenue. Vous occupez une place bien particulière dans mon cœur. J'ai bien hâte de travailler de plus près avec vous sur certains de vos dossiers.
Le président : Nous attendons tous les questions avec impatience.
M. Morneau : Ce sera un plaisir de les entendre si elles commencent toutes comme ça.
Le président : Tous les sénateurs ont dit vouloir poser des questions. En conséquence, pendant le premier tour, j'aimerais que les sénateurs restent brefs et ne posent pas plus de deux questions.
Nous ferons un second tour en respectant la disponibilité du ministre, comme il nous l'a fait savoir.
Le sénateur Pratte : Monsieur le ministre, merci de vous être rendu disponible. Vous serez bien sûr on ne peut plus surpris d'apprendre que mes deux questions concernent la Banque de l'infrastructure du Canada.
Dans une lettre au sujet du modèle de gouvernance que vous avez fait parvenir à notre collègue, le sénateur Woo, vous donnez en effet quelques détails sur la façon dont vous envisagez le rôle du gouvernement et celui du conseil d'administration de la BIC. Vous avez encore une fois expliqué aujourd'hui, assez clairement, leurs rôles respectifs. Je comprends de mieux en mieux, je parle pour moi, avec le temps, ce que seront exactement leurs rôles.
Serait-il possible de le dire ainsi, en termes plus clairs, dans le texte de la loi? En effet, les rôles respectifs du gouverneur en conseil et du conseil d'administration ne sont pas expliqués, dans la loi.
M. Morneau : Avez-vous aussi une deuxième question?
Le sénateur Pratte : Ce sont des questions très différentes; j'aimerais mieux poser la seconde au second tour.
M. Morneau : Nous avons choisi le modèle de gouvernance de la Banque de l'infrastructure du Canada après mûre réflexion, en fonction de ce que la banque devait faire. Nous avons examiné les modèles de gouvernance d'autres institutions, des sociétés de la Couronne actuelles, des institutions qui se sont bien acquittées de leur mandat. Nous avons évalué les avantages et les inconvénients de tous ces modèles.
À notre avis, les modèles de gouvernance des autres sociétés de la Couronne du Canada donnent d'excellents résultats. Ces sociétés ont bien fonctionné. Évidemment, nous avons déjà une façon de faire quand il s'agit de nommer les membres du conseil d'administration, de définir pour eux un mandat approprié et de nous assurer que le gouvernement a la capacité de les superviser. Cette pratique, utilisée depuis longtemps, a donné d'excellents résultats.
Nous avons la capacité, en tant que gouvernement, de retirer aux membres du conseil d'administration leur autorité sur ces organisations, et nous croyons que cette capacité est appropriée. Toutefois, comme nous l'enseigne l'histoire, nous n'utilisons que très rarement cette prérogative. En fait, c'est un aspect de la Banque de l'infrastructure qui est jugé très positivement, car nous avons parlé à des investisseurs du monde entier. Ils estiment que notre pays présente un très faible niveau de risque, sur le plan politique, et que ce modèle de gouvernance a donné des résultats.
Nous ne voyons aucune raison de changer cela. Pour nous, ce qui est important, c'est de nous assurer que, conformément à la procédure de gouvernance, les mandats confiés à l'équipe de la direction sont des mandats clairs, de façon que nous puissions nous assurer qu'ils sont sur la bonne voie; qu'ils présentent chaque année au Parlement leur plan d'activités, ce qui nous donne l'occasion de corriger leur parcours s'il le faut; et que, en pratique, cette institution résistera à l'usure du temps et n'obligera pas les futurs gouvernements, qui sont, bien sûr, souverains, à proposer encore des changements. Quand nous choisissons un modèle éprouvé, qui s'inscrit dans la continuité, nous n'avons pas besoin de réinventer la roue; nous choisissons un modèle qui a fait ses preuves. Cela nous placera, croyons-nous, dans la meilleure position qui soit pour assurer la réussite à long terme de cette institution.
Le sénateur Pratte : Vous avez très souvent insisté, et vous l'avez fait encore aujourd'hui, sur le fait que l'incidence financière maximale de la banque est de 15 milliards de dollars, et que l'autre tranche de 20 milliards de dollars sera constituée de prêts de capitaux, ou d'autres prêts adossés à des actifs, peu importe, et qu'ils ne figureront donc pas dans les comptes du gouvernement.
Vous êtes sans aucun doute davantage un expert de la question que je ne le suis. Je suis journaliste, donc je ne suis pas un expert en quoi que ce soit; cependant, seriez-vous d'accord pour dire que cette somme de 20 milliards de dollars pourrait un jour figurer dans les comptes du gouvernement, par exemple si un prêt pose problème, s'il faut le radier ou je ne sais quoi d'autre? On pourrait donc dire que, dans l'immédiat, l'incidence financière maximale serait de 15 milliards de dollars, mais qu'il pourrait arriver qu'une partie de l'autre tranche de 20 milliards de dollars pourrait alors figurer dans les comptes du gouvernement?
M. Morneau : Voici comment je vois les choses. Premièrement, nous le savons, l'approche actuellement utilisée pour les projets d'infrastructure fait en sorte que le gouvernement assume 100 p. 100 des risques. Si un projet prend trop de temps et coûte plus cher, le risque est entièrement assumé par le gouvernement.
Dans ce nouveau cas, nous disons que le capital disponible est de deux sortes. La tranche de 15 milliards de dollars pourrait fort bien ne pas servir du tout, si nous n'en avons pas besoin; mais elle pourrait servir pour nous assurer qu'un projet est viable. Cela limite donc le montant d'argent que le gouvernement devra affecter à un projet quelconque.
Ce qu'il est essentiel de souligner, c'est que, puisque nous examinons les projets très tôt dans le processus, nous réfléchissons aussi à la part de la tranche de 15 milliards de dollars que nous pourrions utiliser, à des conditions de faveur, pour qu'un projet quelconque puisse voir le jour. En outre, l'autre tranche de 20 milliards de dollars, comme vous le dites, pourra servir d'une autre façon, pour faire en sorte que le modèle financier fonctionne.
Je dirais que le gouvernement a vraiment un très bon dossier pour ce qui est des autres institutions détenant du capital. Il y a au Canada d'autres institutions qui doivent produire un bilan et qui réalisent un rendement, pour le gouvernement. La Société canadienne d'hypothèques et de logement, la Société d'aide aux entreprises du Canada, Exportation et Développement Canada, la Société du crédit agricole : toutes ces organisations doivent présenter un bilan. Toutes ces organisations, comme toutes les institutions qui doivent présenter un bilan, sont tenues d'utiliser judicieusement ce bilan. Il est impossible d'éliminer complètement le risque, mais nous avons un très bon dossier en ce qui concerne la gestion du risque et sa transformation en débouchés.
En fait, ces institutions génèrent toutes un rendement à partir du capital dont elles sont dotées, et c'est bien notre objectif. Pour réaliser cet objectif, nous devons assurer une surveillance appropriée. Nous allons nous assurer de l'expertise du conseil d'administration et de la direction; la direction élaborera le plan et le conseil d'administration l'approuvera, la direction concevra chacun des projets, et le conseil d'administration approuvera chacun des projets. De notre côté, bien sûr, nous allons approuver le plan et chacun des projets.
Nous avons mis à la fois une ceinture et des bretelles à l'approche que nous vous proposons. Nous croyons qu'elle entraînera les résultats désirés. Nous estimons en outre qu'il est important d'aller de l'avant rapidement, puisque nous réaliserons des résultats dès que les choses seront en marche. Je crois que nous avons choisi une approche prudente sur le plan financier, mais prometteuse sur le plan des débouchés.
La sénatrice Marshall : Merci, monsieur le ministre, d'être venu ici aujourd'hui.
Ma question concerne la situation financière du gouvernement. Les déficits sont aujourd'hui d'environ 30 milliards de dollars par année, ou environ. Dans votre loi sur le pouvoir de dépenser, le projet de loi C-44, vous dites vous- mêmes que notre dette va un jour atteindre 1 000 milliards de dollars. Les documents du budget montrent que les frais d'intérêt vont passer de 25 à 33 milliards de dollars sur quatre ans, une augmentation du tiers, environ. Plus nous avançons, plus notre risque augmente, selon moi.
Vous avez dit vous-même, dans votre déclaration préliminaire, que la situation était bonne. L'économie va assez bien. Il y a peut-être deux ou trois faiblesses, mais tout semble aller comme sur des roulettes. Toutefois, nous accumulons ces déficits incroyables et une dette épouvantable. Cela n'est pas du tout conforme au programme électoral présenté en 2015.
Il faudra bien un jour voir les choses en face. Il faudra rembourser la dette. Il faudra donc soit augmenter les impôts, soit diminuer les dépenses.
Ma question est la suivante : avez-vous fait des plans quelconques pour diminuer les dépenses et éliminer ou réduire le déficit, ou pensé à un mécanisme quelconque pour restreindre les dépenses du gouvernement?
M. Morneau : Nous l'avons dit très clairement : nous croyons qu'il est important, pour nous, de faire des investissements à long terme dans la capacité de production de notre économie. Nous avons commencé par ce qui nous semblait le défi le plus urgent pour rétablir la confiance des Canadiens, qui estiment que les changements technologiques et la situation de l'emploi sont un défi auquel nous devions nous attaquer. Bonne nouvelle : nous avons obtenu des résultats.
Vous l'avez vu, depuis que nous sommes au pouvoir, il y a eu un changement important, je dirais même soutenu, de notre situation économique. Vous pourriez soutenir que nous n'en sommes pas les seuls responsables, mais je suis assez certain que, si la situation avait empiré, on nous aurait fait porter le blâme.
Ce que je peux dire, c'est que lorsque le taux de chômage passe de 7,1 p. 100 à 6,5 ou à 6,6 p. 100, que 250 000 emplois à temps plein sont créés et que la croissance économique évolue pour passer d'un problème important qui exigeait le changement qui a mené au déficit prévu jusqu'au point où elle se trouve maintenant, où elle est bien supérieure à ce qu'elle était, nous pouvons tous convenir que nous allons dans la bonne direction.
Nous croyons qu'il importe que nous continuions à investir dans les domaines où nous savons qu'il y aura un impact important à long terme. Les chiffres que vous examiniez et qui ont suscité votre question, bien sûr, étaient des chiffres publiés par le ministère des Finances, en fonction des politiques du moment. La bonne nouvelle, c'est que vous avez aujourd'hui la possibilité d'aider.
Ce que vous pouvez faire, c'est approuver le projet de loi C-44, qui met en place la Banque de l'infrastructure du Canada, un élément important pour nous aider à faire croître l'économie à long terme. Bien sûr, cela aidera nos perspectives économiques. Les perspectives, à l'heure actuelle, juste pour replacer les chiffres dans leur contexte, qui s'offrent à nous au chapitre du niveau de la dette, comprennent un ratio dette-PIB décroissant.
Comme vous parlez de risques potentiels, nous croyons qu'il est extrêmement important de réduire les risques éventuels pour l'économie. Sur le plan des perspectives financières, cela réduit la proportion nette de la dette en fonction du PIB au fil du temps. Comme vous le soulignez à juste titre, cela nous permet d'avoir la souplesse nécessaire, advenant que la situation économique change, et c'est exactement ce que nous faisons.
Nous croyons qu'il s'agit pour nous de la bonne façon de faire. Le fait de montrer cette voie nous permet, à court terme, d'inspirer de la confiance aux Canadiens et à leur famille et, à long terme, d'inspirer un sentiment que nous sommes responsables sur le plan financier dans la façon dont nous gérons nos résultats et notre bilan, qui est proportionnellement plus petit en proportion de l'ensemble de notre économie.
La sénatrice Marshall : Nous avons parlé de la dette et du fait qu'elle est élevée, à 1 000 milliards de dollars. Vous proposez cette nouvelle loi sur les emprunts. Dans la loi, vous vous engagez ou alors vous dites que vous déposerez un rapport tous les trois ans. Pourquoi présenteriez-vous un rapport aux trois ans alors que la norme au sein du gouvernement consistera à déposer un rapport annuel?
Le déficit et la dette du pays sont très élevés, alors pourquoi ne pas produire un rapport annuellement? Pourquoi ne pas informer les Canadiens chaque année? La présentation d'un rapport tous les trois ans est vraiment un choix surprenant. Je n'ai jamais vu quoi que ce soit dans la loi qui exige un rapport tous les trois ans. Pourquoi tous les trois ans? Pourquoi pas chaque année?
M. Morneau : Puis-je commence par commenter un fait que vous utilisez? Le chiffre que vous avez mentionné, cette somme de 1 000 milliards de dollars, comprend la dette de nos sociétés d'État, qui possèdent également des actifs. Ce n'est pas vraiment une bonne mesure à prendre en considération.
Juste pour être clair, nous nous attendons à ce que le niveau actuel de la dette de notre pays pour 2016-2017 soit de 637 milliards de dollars. Je veux corriger cela pour le compte rendu.
J'aimerais expliquer maintenant la façon dont l'approche que nous avons adoptée concernant la surveillance parlementaire de l'établissement du budget est, à notre avis, appropriée. Il est important d'examiner, tout d'abord, où nous en sommes.
L'ancien gouvernement a décidé, de manière inappropriée, selon nous, de se débarrasser de la surveillance parlementaire sur les emprunts du gouvernement. Tout d'abord, nous avons entendu de nombreux intervenants, surtout des sénateurs, qui croyaient que c'était quelque chose dont nous devrions nous occuper. Nous avons écouté et compris et allons de l'avant à cet égard. Il s'agit d'une amélioration par rapport au stade où nous en étions. Nous avons ensuite dit : « Assurons-nous de ne pas mettre en place une approche qui est inappropriée par rapport au but que nous essayons en réalité d'atteindre. »
Comme vous le savez tous, des experts siègent en réalité au Sénat. Vous avez en fait des gens qui se sont occupés de bilans très importants. Le sénateur Marwah est un bon exemple. Il s'est occupé d'un bilan substantiel.
Le cycle d'emprunt du gouvernement est différent du cycle annuel que vous proposez. C'est un cycle à long terme. Nous voulons nous assurer que le cycle est cohérent, vu l'approche que nous adoptons pour ce qui est de vraiment gérer les ressources du gouvernement. Nous croyons qu'il n'est pas logique d'imposer un cycle qui n'est pas approprié au problème en cause. Pensons à ce que nous essayons en fait de faire ici. Nous disons que, tous les trois ans, le Parlement devra examiner l'autorisation d'emprunter du gouvernement. C'est différent de ce qu'il y avait en place avant 2007.
Avant 2007, le Parlement avait la capacité de l'examiner, mais il ne le faisait pas vraiment. Entre 1996 et 2007, le Parlement n'a pas examiné l'autorisation d'emprunter du gouvernement, pas une seule fois. Nous mettons en place cette obligation, alors l'examen doit être effectué tous les trois ans. Fait plus important encore, si l'autorisation d'emprunter doit être plus élevée, nous devons revenir, même au cours de ces trois ans. C'est un examen effectué aux trois ans et, au cours de la période intérimaire, si nous avons besoin d'emprunter davantage, nous revenons devant le Parlement.
Il s'agit d'une surveillance assez rigoureuse et certainement très supérieure à ce qui s'est produit avant 2007, infiniment supérieure parce qu'il n'y avait rien entre 2007 et 2009. Nous croyons que nous avons adopté une approche qui est conforme aux objectifs. Nous avons utilisé une approche qui correspond à la façon dont nous gérons en fait le gouvernement; à notre avis, elle résistera au passage du temps.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie de votre explication, mais je ne suis pas convaincu concernant le rapport triennal.
La sénatrice Andreychuk : Je ne suis pas une experte financière comme la sénatrice Marshall. Je m'intéresse davantage à la politique publique et à la façon dont elle touche les gens. Je reviens à mon sujet préféré avec vous : la classe moyenne.
Vous continuez d'utiliser cette expression, et je m'inquiète qu'elle ne soit pas très populaire lorsque je parle aux gens. Nous avons toujours le même problème. Qui la mesure couvre-t-elle? Est-ce la classe moyenne inférieure ou la classe moyenne supérieure, et qu'en est-il des personnes qui ne font même pas partie de la classe moyenne?
Il me semble que nous devrions parler des Canadiens et des possibilités pour eux de maintenir leur mode de vie. D'une part, vous dites que vous voulez une Banque de l'infrastructure parce qu'elle créera des emplois, contribuera au PIB et sera merveilleuse pour la classe moyenne. J'espère que vous parlez de tous les Canadiens. D'autre part, j'ai lu les journaux, et ils disent que ce ne sera pas suffisant. Nous devons faire plus en infrastructure si nous voulons vraiment être concurrentiels.
Je vois une lacune ici. Comment allez-vous résoudre le problème du manque d'infrastructure, ce qui semble être un des problèmes où nous accusons un retard? Comment expliquez-vous tous les risques que je vois dans vos énoncés? Ce sont des promesses de ce que vous allez faire. Où sont les repères sur lesquels les Canadiens peuvent s'appuyer? Nous ne pouvons pas attendre 5, 10 ou 20 ans parce que c'est le temps dont on aura besoin pour vraiment faire bouger les choses avec les infrastructures. Comment savons-nous que nous allons dans la bonne direction?
M. Morneau : Laissez-moi commencer par là où je crois que nous sommes d'accord à 100 p. 100. Nous croyons que nous devons nous concentrer sur la façon dont nous construisons des infrastructures qui améliorent la vie des Canadiens. Nous reconnaissons qu'il existe des besoins liés au transport en commun, particulièrement dans nos plus grandes villes. Nous constatons que les défis relativement aux logements abordables sont importants et nous devons nous en occuper. Nous savons que les réseaux d'assainissement, dans de nombreuses régions du pays, tombent en morceaux en raison des changements climatiques. Nous voyons ces choses se produire.
Nous sommes tout à fait d'accord sur le fait que le but de lancer davantage de projets d'infrastructures est logique du point de vue de ce que nous essayons en réalité de réaliser au chapitre de la qualité de vie. Nous sommes également d'avis que faire plus, dans la mesure de notre capacité, est logique.
Nous avons pris des engagements assez importants. Le fait que nous avons pris ce qui était proposé par l'ancien gouvernement et l'avons plus que doublé au cours des 12 prochaines années est vraiment important. Ces 180 milliards de dollars sur 12 ans ne sont pas la somme totale que nous avons réservée aux infrastructures parce que nous demanderons du financement sur plusieurs exercices de la part des provinces et des municipalités. Vous pourriez soutenir qu'il s'agira de deux ou trois fois cette somme en ce qui concerne le montant réel des dépenses en infrastructure.
Même après cela, comme je l'ai mentionné au cours de mon exposé, nous voyons un écart continu de plus de 500 milliards de dollars. Nous sommes d'avis qu'il y a une limite à respecter avec le bilan du gouvernement. Je vous encouragerais à en parler à la sénatrice à votre gauche. À mesure que nous pensons à des façons d'aller de l'avant, nous devons trouver d'autres solutions de rechange, et c'est pourquoi nous nous sommes concentrés sur la Banque de l'infrastructure du Canada.
Nous le savons parce que nous sommes allés à l'échelle internationale. L'Office d'investissement du régime de pensions du Canada, l'OMERS, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario et la Caisse de dépôt nous ont dit qu'ils désirent réaliser des investissements dans des projets d'infrastructures. Ils chercheront à faire cela parce que ces actifs correspondent au passif. Ils font déjà ce type d'investissements. Nous devons maintenant trouver une façon de développer l'expertise du gouvernement afin de jouir de la confiance des investisseurs et devenir leur partenaire pour réaliser ces projets. Cela augmentera le nombre de projets d'infrastructures auxquels nous serons en mesure de participer.
Les Canadiens nous jugeront sur le fait que nous sommes en mesure de participer à ces projets. Avons-nous les projets transformateurs qui feront avancer les choses à long terme? Cela prendra du temps, alors nous ne pouvons pas nous imaginer que nous reconstruirons un réseau de transport en commun en deux ans. Ça ne se produit pas de cette façon. Il faut du temps. Nous devons nous y mettre dès maintenant pour que les gens voient l'impact au cours d'une période raisonnable. Nous avons besoin de ces infrastructures, car la population de nos villes augmente de plus en plus.
Vous prêchez aux convertis ici. Nous sommes d'accord avec vous. Nous croyons qu'il est essentiel de lancer ces projets et pensons que nous avons mis en place une structure qui nous permet de le faire d'une manière mesurée et appropriée.
La sénatrice Andreychuk : C'est placer beaucoup d'espoir dans le fait que vous allez accomplir cela. Je crois qu'une partie de ce que j'essaie de dire est : comment pouvons-nous juger le rendement de la banque à mesure que la dette augmente? Je pense à votre enfant qui va obtenir son diplôme. Sur le plan intergénérationnel, allons-nous nous réveiller un jour avec une dette écrasante, mais sans résultats?
Je veux des repères et des assurances. Que ce soit un examen effectué plus souvent qu'aux trois ans, je désire quelque chose que nous pouvons examiner parce qu'on fait des promesses constamment. Je suis dans le milieu depuis assez longtemps pour avoir vu trop de gouvernements promettre de changer le système. Certaines choses se sont produites, mais ce n'est pas suffisant pour nous rendre continuellement concurrentiels. C'est ce que je vous réponds.
Mon autre commentaire porte vraiment sur la clause d'indexation touchant la taxe d'accise. Vous dites qu'elle n'ajoutera pas grand-chose à une cannette de bière. D'autres personnes sont en désaccord avec vous, des gens de l'industrie. Nombre d'emplois dépendent de ces industries, du tourisme, et cetera, et beaucoup de ces emplois soutiennent des familles à faible revenu. Chaque sou peut compromettre beaucoup plus d'emplois. C'est quelque chose que j'entends souvent.
Ce qui m'a troublée, c'est qu'on n'a effectué aucune étude d'impact dans le cadre de notre étude préliminaire. Cela n'était pas vraiment propre à cette industrie. C'est l'indice des prix à la consommation en général. Il me semble que nous vous donnons beaucoup en incluant une clause d'indexation qui continuera encore et encore et qui sera liée à un indice des prix à la consommation que nous ne connaissons pas. Nous mettons en péril des industries qui ont été développées : l'industrie viniviticole et les distilleries. Nous savons ce qui s'est produit auparavant.
Il s'agit de types d'emplois que nous avons maintenant dans nombre de petites collectivités et villes. Il me semble que ce n'est pas le temps d'utiliser la clause d'indexation. Vous pouvez justifier l'augmentation parce qu'il n'y en a pas eu, mais engendrer beaucoup d'incertitude est troublant.
M. Morneau : Laissez-moi revenir sur les deux choses que vous avez dites. Commençons d'abord par les repères relatifs à l'infrastructure. Je ne sais pas comment je peux mieux expliquer la façon dont les repères seront mis en place qu'en pensant à la Banque de l'infrastructure du Canada. Prenons ce qui va se produire ici. Cette nouvelle Banque de l'infrastructure proposera un projet. Ce projet devra être examiné et approuvé par plusieurs ordres de gouvernement parce que c'est la façon dont cela fonctionne. Les municipalités, les provinces et le gouvernement fédéral devront tous l'examiner. Nous ne pouvons absolument pas ici donner aux financiers la responsabilité des infrastructures. Nous travaillons dans un système où nous avons plusieurs ordres de gouvernement. Nous approuvons le projet.
Nous aurons ensuite un modèle financier qui sera mis en place pour ce projet. À ce stade, ce modèle financier sera approuvé. Nous l'approuverons et inviterons ensuite les investisseurs à participer au projet. Il existe une formule de contrat à cette étape. Le contrat prévoit que les investisseurs investiront dans un projet parce qu'ils chercheront à obtenir un taux de rendement. Ils seront probablement les propriétaires majoritaires du projet.
La conclusion qu'on tire, c'est que ces investisseurs, des personnes qui ont connu un succès sans égal en infrastructures, comme le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario, le OIRPC et la Caisse de dépôt, participeront à ces projets parce qu'ils voient un rendement. Ce rendement sera en réalité fondé sur la réalisation du projet. Nous mettons en place un mécanisme qui fait exactement ce que vous demandez. La façon dont vous pouvez nous aider est d'approuver le projet de loi C-44.
Quant à la taxe d'accise, j'aimerais examiner ce qui se passe vraiment ici. Par le passé, les gouvernements ont jugé bon d'augmenter de manière importante et périodique la taxe d'accise, allant même jusqu'à 44 p. 100, à une occasion. Nous ne croyons pas qu'il s'agit d'une bonne façon de traiter avec l'industrie. Comme vous le savez, je suppose, avant de remplir ce rôle, j'étais en affaires. Si je savais qu'il y avait de l'imprévisibilité concernant un coût, qu'il pourrait être augmenté de 44 p. 100, il était très difficile pour moi de réaliser un investissement.
Les entreprises cherchent la prévisibilité. Nous examinons la situation et disons qu'il est beaucoup mieux pour nous d'adopter une approche qui conserve le véritable montant de cette taxe de manière constante au fil du temps. Je prierais tout le monde ici d'arrêter de parler d'indexation parce que c'est faux. L'inflation est une chose réelle; elle existe en réalité. À mesure que nous pensons à ce que nous faisons, nous disons que cette taxe demeurera constante au fil du temps.
Admettons que je suis ce propriétaire d'entreprise. Je me demande si je vais embaucher des gens. Si je crois que le gouvernement peut augmenter la taxe d'accise de 44 p. 100, je ne sais pas ce que je devrais faire, mais si je sais que la situation sera constante en valeur réelle au fil du temps, cela me permet de réaliser un investissement. C'est ce que nous cherchons à faire ici. Comme nous le disons, il s'agit de quelque chose qui nous donne du pouvoir à long terme. Cela nous permet de rester dans la réalité.
N'oublions pas ce qui se produit dans d'autres secteurs du gouvernement. La Sécurité de la vieillesse, le Supplément de revenu garanti et le salaire des fonctionnaires augmentent tous avec l'inflation. Nos dépenses augmentent avec l'inflation. Les impôts augmentent selon le pourcentage des revenus dont disposent les gens, et les revenus augmentent avec l'inflation. Actuellement, nous avons un système où les taxes et les dépenses augmentent avec l'inflation. Cela fait en sorte qu'on colle à la réalité, et c'est exactement ce que nous faisons ici.
Je vais vous dire en terminant que, même s'il n'est pas facile d'effectuer des analyses d'impact sur des choses qui ne changent effectivement pas, parce que, en réalité, la situation ne change pas, le ministère a réalisé des analyses d'impact et serait heureux de vous les présenter. Ce que vous constaterez, c'est que l'impact est négligeable. C'est le mieux que je peux dire. C'est la réalité parce qu'il n'y aura pas d'augmentation au fil du temps. À moins de penser que l'inflation n'est pas une chose réelle, c'est la seule conclusion qu'on peut tirer.
La sénatrice Andreychuk : Je crois que je n'ai plus de temps, mais j'aimerais continuer.
La sénatrice Fraser : Bienvenue au Sénat, monsieur le ministre. J'aimerais revenir à l'autorisation d'emprunter. Lorsque vous dites que vous donnez au Parlement plus de pouvoir qu'il en ait jamais eu, j'imagine que vous dites cela parce que, selon votre proposition, il y aurait un plafond de la dette imposé par la loi. À mon avis, on dirait plutôt le système américain, et cela laisse entrevoir une perspective d'impasse. C'est pourquoi, j'imagine — et dites-moi si mes hypothèses sont fausses —, que, au sens de l'article 6 de la loi proposée, le ministre peut dépasser le plafond de la dette à titre exceptionnel.
Cela ne fait-il pas en sorte, en réalité, que le plafond de la dette est plutôt un nuage qu'un véritable plafond concret?
M. Morneau : Vous avez passé beaucoup de temps à examiner le projet de loi, ce que nous apprécions. Vous avez tout à fait raison pour ce qui se trouve en réalité dans notre proposition. Nous aurons un plafond de la dette. Ce qui se produira, c'est que le plafond sera approuvé par le Parlement. Il y aura un plafond de la dette. Si le gouvernement veut le dépasser dans le cours normal de ses activités, nous devrons revenir devant le Parlement.
Dans le cas d'une crise économique avec laquelle nous devons composer immédiatement, je peux vous dire que, le lendemain du Brexit, j'étais au téléphone avec tous les ministres des Finances et tous les gouverneurs des banques centrales du G7 pour penser à ce que nous devrions faire dans le cas d'un défi financier important. Il s'est avéré que le problème n'en était pas un parce que l'impact a été en réalité assez faible, mais à ce moment-là, nous ne pouvions pas le savoir avec certitude.
Le gouvernement doit être capable d'agir immédiatement dans le cas de crises financières, mais nous devons revenir chaque année avec notre plan de réduction de la dette. La disposition qui fait en sorte que nous faisons rapport chaque année au Parlement se trouve également dans le projet de loi.
Nous croyons que nous avons une approche qui reconnaît l'importance de la question, qui permet au Parlement d'assurer la surveillance appropriée et qui nous permet d'avoir la capacité d'agir au cours d'une crise ou pour régler un véritable problème; elle prévoit une exigence de revenir devant le Parlement selon la situation.
La sénatrice Fraser : Je crois que quelque chose m'a échappé. Je n'ai pas trouvé l'exigence du rapport annuel, mais si elle fait partie du projet de loi, c'est merveilleux. Je suis heureuse d'avoir votre assurance à cet égard.
M. Morneau : Elle figure à l'annexe 2 sur la stratégie en matière de gestion de la dette.
La sénatrice Fraser : Je regarde actuellement le projet de loi proposé. Pardonnez-moi.
Lorsqu'il s'agit de légiférer à nouveau concernant un nouveau plafond de la dette, ce qui serait probablement nécessaire chaque fois que vous auriez à le faire, pouvez-vous nous assurer qu'on demandera l'autorisation dans un projet de loi distinct plutôt qu'elle fasse partie d'un projet de loi omnibus comme celui-ci?
M. Morneau : Laissez-moi commencer par contester le fondement de votre question. Tout ce qui se trouve dans le projet de loi concerne notre budget. Nous étions très clairs lorsque nous nous sommes portés candidats aux élections. Nous croyons que c'est important. Les choses qui figurent dans notre loi d'exécution du budget doivent concerner notre budget. Si vous trouvez un élément dans notre loi qui ne le concerne pas, j'aimerais que vous nous le disiez parce que nous ne le voyons pas de cette manière. Nous croyons que nous demeurons absolument fidèles à ce que nous avons dit que nous ferions.
Quant à la façon dont nous ferons cela dans trois ans, je vais vous dire honnêtement que nous n'avons pas encore décidé de la bonne façon de faire, si on procédera de manière distincte ou dans le contexte d'un budget. On pourrait soutenir que la dette de notre pays est quelque chose qui pourrait être considéré comme une mesure financière de notre budget, mais nous n'avons pas effectué l'analyse pour tirer une conclusion. Je ne peux pas vous dire « oui » ou « non ». Je veux vous dire qu'on examinera notre approche. Nous aurons établi les raisons pour lesquelles nous avons choisi cette approche et nous vous en ferons part à ce moment-là.
La sénatrice Fraser : Merci.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Comme je ne suis pas membre de ce comité, je suis reconnaissant du fait que l'on me permette de poser une question.
[Traduction]
Merci, monsieur le ministre, encore une fois d'être ici devant le comité. Je suis très en faveur de la Banque de l'infrastructure, et je l'aime beaucoup. Je suis d'accord avec vous sur le plan économique. C'est important pour notre pays. Il est important d'augmenter la productivité. Comme vous le savez, notre PIB diminue. Cela nous aidera de manière importante à être plus concurrentiels. Je n'ai rien contre l'idée ni l'ensemble du concept de tirer profit de notre capital afin d'obtenir un meilleur rendement de l'investissement.
Je note également que votre propre comité consultatif sur la croissance économique, présidé par M. Barton, associé directeur de McKinsey, a recommandé fortement la création de la Banque de l'infrastructure. Je remarque également que les membres du comité ont mis un accent important sur l'importance de la nature indépendante de la banque. Selon eux, elle devrait comprendre la nomination d'un conseil d'administration hautement indépendant et d'un premier dirigeant possédant une expérience pertinente de calibre mondial. Je crois que c'est fondamental.
Si vous regardez les PPP ou des projets d'infrastructure dans le monde qui ont mal tourné, c'est habituellement parce qu'on ne les avait pas bien structurés. L'intérêt n'est pas mutuel, ou ils ne sont pas harmonisés pour être mutuels. Il est extrêmement important de bien structurer la banque. Il est extrêmement important d'avoir un conseil d'administration et un premier dirigeant très solides. J'appuie cela.
La préoccupation que j'ai, c'est la façon de nous assurer d'y arriver. Je m'inquiète toujours de la gouvernance. Je crois que j'aime beaucoup le contenu de votre lettre de 2017. Je crois que c'était la lettre d'hier.
M. Morneau : Je suis certain que c'était la lettre d'hier.
Le sénateur Massicotte : Je pense que j'aime ce qu'elle précise, mais je ne suis pas certain qu'elle dit ce que je crois qu'elle dit. Ça ne me dérangerait pas de l'examiner avec vous. Pour être franc, je m'inquiète particulièrement — et je crois que tout le monde en est inquiet — des gens qui investissent avec nous qui sont convaincus que le conseil d'administration et l'organisation prendront des décisions fondées sur le mérite financier. C'est la préoccupation capitale.
Ce qu'ils ne disent pas, c'est que, trop de fois auparavant, on a pris des décisions à des fins électoralistes, particulièrement au cours des élections. Récemment, il y a environ un an et demi de cela, j'ai examiné ma propre ville natale : Montréal. Le pont Champlain était censé être construit selon le principe de l'utilisateur-payeur. Comme vous le savez, ce principe est une affectation très efficace des capitaux. Cette affectation compte actuellement de grands avantages, mais, oups, une campagne électorale est lancée, et le maire de Montréal fait son travail en exerçant des pressions sur le gouvernement et, soudainement, on oublie le principe de l'utilisateur-payeur pour le pont Champlain; il s'agit d'un cadeau de 4 milliards de dollars entièrement payé. Boum, c'est fait.
Nous voulons nous assurer que, dans l'intérêt des Canadiens, les décisions futures ne sont pas prises selon ce fondement, mais qu'elles sont prises selon le mérite, comme des décisions économiques sages. La structure de la banque est très pertinente.
Voilà ce que je vais dire dans mes propres mots sur ce que je crois que votre lettre indique. Vous pouvez me dire si je fais erreur. Ce que vous dites vraiment, et à juste titre, c'est que, chaque année, vous recevrez un budget et un plan opérationnel de l'organisation. Vous les approuverez ou les désapprouverez, mais, pour que les dirigeants aillent de l'avant, vous devez approuver ce plan. N'oubliez pas, les projets d'infrastructure prennent des années. Un projet ne sera pas lancé un mois et réalisé le prochain. Ce plan sera exhaustif. Il portera probablement sur les projets que vous examinez et, du moins sur le plan conceptuel, quels devraient être les critères de réussite.
Je crois savoir qu'une fois que vous aurez approuvé cela, la banque, le conseil et son PDG auront les pleins pouvoirs pour négocier ce qu'ils considèrent comme la meilleure affaire au nom des Canadiens. Vous n'allez pas intervenir à la toute dernière minute, ni vous, ni votre successeur, ni personne d'autre du côté du gouvernement. Aucune orientation politique ne sera donnée pour dire : « Nous ne sommes pas d'accord à ce sujet. Pourquoi ne concluez-vous pas un marché dans telle circonscription? », ou bien : « Pourquoi ne passez-vous pas un marché dans tel intérêt? » Ils auront les pleins pouvoirs sur l'entente et concluront le marché à la suite de votre approbation du plan annuel et du budget.
Voilà mon interprétation de votre lettre, mais vous avez déjà déclaré devant notre comité des banques que vous alliez approuver tous les projets. Je suppose que c'est là que certains d'entre nous — y compris moi — sommes devenus préoccupés et nous sommes dit : « Oh oh, cela pourrait prendre une tournure politique. » « Politique » n'est pas un terme péjoratif. Si c'était électoraliste, il pourrait s'agir d'un terme péjoratif. Cela voudrait dire que c'est dans l'intérêt d'un parti politique, pas dans celui des Canadiens.
Ai-je raison de croire que vous allez approuver le plan directeur, que vous allez approuver le plan d'affaires et que vous allez approuver le budget, mais qu'ensuite, vous ne toucherez plus à rien, sauf si vous voyez quelque chose qui ne va vraiment pas?
M. Morneau : Non. L'énoncé que vous venez tout juste de formuler est inexact. Prenons le projet de REM, à Montréal. Ce projet est approuvé par la Ville de Montréal, le gouvernement du Québec et, depuis ce matin, le gouvernement fédéral. Imaginez si, maintenant, nous affirmions que c'était un projet pour la Banque de l'infrastructure du Canada, ce qui pourrait être le cas. Espérons que, si nous réussissons à faire adopter le projet de loi, il pourrait s'agir de quelque chose que la Banque de l'infrastructure du Canada pourrait envisager.
Nous avons dit que nous allions le financer, mais nous avons affirmé que ce serait quelque chose que la banque envisagerait. Disons simplement que la banque l'aurait pris en considération et aurait investi dans ce projet. Il nous faudra obtenir l'approbation du projet, et nous avons dit que nous l'approuvions. Nous allons avoir besoin de faire approuver les dépenses, c'est-à-dire ce que la banque de l'infrastructure viendrait présenter. Elle étudierait le modèle et présenterait les dépenses. Il faudrait que nous les approuvions. La somme, quelle qu'elle soit, les 15 ou 20 milliards de dollars, pourrait être utilisée comme levier financier ou pour rendre le projet plus attrayant.
Disons que nous décidions que, oups, nous voulons maintenant mettre ce projet en œuvre à Winnipeg. Pensez-vous que les investisseurs resteraient? Là où je veux en venir, c'est qu'il faut que d'autres ordres de gouvernement participent à l'approbation, car il s'agit de la nature des projets. Nous devons approuver le modèle financier pour indiquer que nous croyons qu'il est convenable. À partir de ce moment-là, les investisseurs feront partie du projet.
Voilà qui nous fait maintenant passer au droit contractuel. La banque présente une occasion de marché pour AIMCo, en Alberta, pour la Caisse de dépôt, au Québec, ou bien pour le fonds d'infrastructure du Danemark. Les responsables ont dit : « Nous allons adhérer à ce marché pour 100 millions de dollars. » Notre marché est conclu. Nous ne pourrons pas, ensuite, rompre subitement ce marché en disant : « Nous faisons passer le projet de Montréal à Winnipeg. » Ce serait absurde.
C'est ainsi. Les approbations doivent être faites au début, par définition. Le modèle financier doit être établi au début, car ce n'est qu'une fois les approbations obtenues et le modèle financier approuvé que nous pourrons aller chercher des investisseurs qui vont adhérer au projet en question.
L'élimination de l'ingérence politique provient du fait que le gouvernement d'aujourd'hui ou celui de demain ne vont pas annuler ce contrat. Je veux dire que nous vivons dans un pays qui respecte les lois. On ne va pas annuler ce marché s'il ne présente pas de problèmes assez importants pour nous à long terme.
Le sénateur Massicotte : Je ne m'inquiète pas de ce qui se passera une fois le marché conclu. Des poursuites pourront être intentées pour dommages-intérêts, et ainsi de suite. Le problème se posera si le comité d'investissement n'est pas convaincu que les décisions ont été prises se selon le mérite ou s'il soupçonne qu'elles sont fondées sur des motifs électoraux. Vous subiriez alors le même sort que la Northern Australia Infrastructure Fund, qui a mis sur pied une installation, comme l'appelaient les Australiens, en 2010. Les investisseurs ne se sont pas manifestés adéquatement. En 2016, les Australiens ont modifié la loi de manière à ce que — vous avez raison — le ministre ait le droit de ne pas souscrire à la décision; toutefois, cela doit être fait par écrit, et la lettre doit expliquer exactement pourquoi il n'est pas d'accord.
Autrement dit, il faut à tout le moins s'assurer que la décision demeure fondée sur le mérite, qu'elle est prise de façon logique et qu'un cadre de référence est établi. Je veux vraiment que cette banque de l'infrastructure réussisse. Voilà pourquoi je soulève cette question. J'espère qu'elle sera assez crédible pour que les gens se disent que, même si vous disposez de toute la marge de manœuvre au monde pour imprimer une tournure politique ou électoraliste à la situation, vous n'allez va pas le faire. Si les gens pensent que vous allez le faire avant que le contrat soit signé et que vous allez leur faire perdre tout leur temps, ils ne vont pas négocier avec la banque.
M. Morneau : Regardez, je suis ravi que vous voyiez le mérite de ce que nous tentons de réaliser. Nous écoutons les avis qui proviennent de cette salle, et nous écoutons ceux qui proviennent des autres salles. Nous allons devoir mettre en place des pratiques que va appliquer cette organisation et qui tiendront compte de ces observations. Nous allons devoir mettre en place des pratiques nous permettant de nous assurer qu'au moment où un mandat sera conféré aux équipes de direction, des pratiques seront en place pour leur permettre d'améliorer l'efficacité probable de cette organisation. Nous allons pouvoir tirer profit de l'expérience d'autres administrations, comme l'administration australienne que vous avez mentionnée.
Nous ne voyons tout simplement pas un monde où nous ne sommes pas tenus de suivre le processus politique pour en arriver à déterminer quel projet pourra être pris en compte. Il est question de projets d'infrastructure transformateurs. Nous allons être tenus de nous adresser à la municipalité, si nous pensons que nous allons faire quelque chose sur la ligne bleue, à Calgary. Rien ne nous permet de faire cela sans nous adresser à la ville de Calgary. Si nous voulons le faire, il sera impossible de le faire sans amener l'Alberta à participer. Nous devons faire cela, et nous devons nous assurer que le modèle financier est approprié.
Une fois que ce sera fait, une fois que ce sera présenté, la banque aura le pouvoir et la capacité d'en arriver au contrat. Les freins et contrepoids sont les 150 années d'histoire où, dans notre pays, nous avons respecté le droit contractuel et reconnu que c'est ainsi que nous devrions procéder dans ce cas.
Notre succès dépendra entièrement de notre efficacité à cet égard. Nous aurons un avantage politique si nous arrivons à faire en sorte qu'un plus grand nombre de projets soient effectués, ce qui signifie que nous devrons créer la dynamique nécessaire pour permettre aux investisseurs de trouver les projets qui fonctionnent.
Vos préoccupations sont notées. Nous avons d'autres mesures à prendre, par la suite, pour nous assurer que cette organisation travaille efficacement. Il s'agit là de certaines des considérations qui seront essentielles.
Le président : Je voudrais souligner le fait que le sénateur conservateur Larry Smith, leader de l'opposition au Sénat, était présent. En outre, avant que nous passions aux questions, je voudrais rendre hommage au doyen des parlementaires du Canada, l'honorable George Baker, de Terre-Neuve-et-Labrador, qui est membre du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
Le sénateur Neufeld : Merci de votre présence, monsieur le ministre. Beaucoup de questions ont été soulevées au sujet de la Banque de l'infrastructure, mais laissez-moi revenir en arrière pour seulement une minute. Il a également été question de financement destiné aux collectivités autochtones pour certaines des choses dont elles auront besoin.
Quand les membres du conseil d'administration seront nommés, y aura-t-il de la place au sein de ce conseil pour une personne provenant d'une collectivité autochtone? Pouvez-vous vous engager à étudier sérieusement la possibilité que les Autochtones soient représentés au conseil d'administration?
M. Morneau : Je peux prendre ici même l'engagement selon lequel, au sein de ce conseil d'administration, nous allons chercher à obtenir deux choses.
D'abord et avant tout, nous allons chercher à obtenir l'expertise, l'expérience, les antécédents et le jugement qui nous permettront de rendre cette organisation opérationnelle et de nous assurer que nous avons la capacité de mettre sur pied une organisation nouvelle et ambitieuse d'une manière qui garantit que les projets seront menés à bien et que la contribution financière importante du gouvernement fédéral sera prise en compte dans toutes les décisions.
Deuxièmement — et nous croyons que nous pouvons atteindre ces deux buts —, nous allons chercher à nous assurer que ce conseil reflète le Canada, dans la plus grande mesure possible, car nous savons qu'il importe d'y nommer des gens qui comprennent notre pays. À cet égard, nous allons certainement envisager la possibilité que le conseil soit formé de femmes et d'hommes, ainsi que de gens provenant des diverses régions du pays et ayant des antécédents différents, y compris — fait important — des Canadiens autochtones.
Ce à quoi je ne m'engage pas auprès de vous, car nous n'allons pas adopter cette approche, c'est l'établissement d'un système de quota pour tout membre de ce conseil, ou le fait que nous allons réserver des places uniquement à des gens ayant certains antécédents, car cela pourrait limiter inutilement notre capacité d'attirer les experts requis.
J'affirmerai qu'on ne sait pas vraiment si les gens qui siégeront au conseil seront nécessairement des Canadiens. Nous n'avons pas encore envisagé cette possibilité, mais nous pourrions nous demander si une expertise particulière pourrait être obtenue d'une personne qui pourrait avoir un autre passeport. Dans le même ordre d'idées, nous allons adopter la même approche en ce qui concerne l'équipe de la direction.
La question que vous soulevez est importante, et il s'agit certainement de quelque chose que nous allons prendre en considération. La magie consistera à tenter d'atteindre ces buts en même temps.
Le sénateur Neufeld : Je suis certain que vous pourrez trouver un membre des Premières Nations possédant toutes ces qualifications. Le fait que vous insinuiez que vous pourriez ne pas en trouver ne me plaît pas. De fait, je peux vous donner le nom de certaines personnes qui pourraient siéger à ce conseil.
Ma deuxième question portait sur l'indexation en ce qui concerne l'alcool, et ainsi de suite. Je ne la poserai pas encore, mais je formulerai un commentaire sur la question de la sénatrice Fraser, dans laquelle elle a mentionné un projet de loi omnibus. Vous vous êtes un peu offusqué de cette question, et vous avez affirmé que, durant les élections, vous aviez promis de ne pas faire cela.
Je suppose que, durant vos élections, vous aviez également promis que vous n'alliez pas dépenser plus de 10 milliards de dollars de déficit par année. Pardonnez-moi si je suis un peu... Je ne sais pas si on pourrait dire que je suis cynique ou un peu méfiant.
M. Morneau : S'agit-il d'une question? Je serai heureux d'y répondre.
Concernant le premier enjeu, au moment où nous allons créer le conseil d'administration, je veux déclarer officiellement que je suis absolument certain que nous allons trouver des personnes hautement compétentes ayant divers antécédents, y compris des Autochtones, des Métis et des Inuits du pays qui pourraient posséder une expertise qui serait utile.
En ce qui concerne notre approche par rapport aux déficits, cette question a été soulevée deux ou trois fois aujourd'hui. Il est très important d'établir le contexte. Pendant notre campagne électorale, à l'automne 2015, à ce moment-là, bien entendu, les prévisions économiques étaient fondées sur ce qui était arrivé plus tôt cette année-là. Comme vous vous en souviendrez, le prix du pétrole avait changé de façon assez précipitée, et les prévisions concernant la croissance à venir avaient changé de façon draconienne.
Si vous examinez les chiffres que nous avons présentés, vous verrez qu'environ la moitié du déficit prévu présenté dans notre premier budget était liée à des changements au chapitre des prévisions économiques. Pendant que vous y réfléchissez, je crois que c'était 29,4. Environ la moitié de cette prévision était liée à des changements touchant la situation économique et la croissance à venir.
La bonne nouvelle, c'est que notre approche commence à avoir l'incidence que nous espérions qu'elle ait sur l'économie. Je sais qu'au moment où vous ferez le calcul, vous verrez que les chiffres correspondent à ce que nous avions proposé dans notre campagne et à ce que nous avons fait. Compte tenu des changements survenus dans l'environnement économique, c'est assez près. Nous croyons qu'il s'agit de l'approche appropriée pour faire face à cette situation économique.
[Français]
Le sénateur Forest : Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre présence.
Ma première question concerne la taxe d'accise sur les produits alcoolisés. J'aimerais vous sensibiliser à un enjeu. Je pense, effectivement, qu'il y a longtemps que la taxe d'accise de 2 p. 100 n'a pas été majorée, mais l'indexation automatique annuelle à l'IPC varie d'un territoire à l'autre du pays. La valeur absolue est minime.
Nous sommes actuellement dans un monde où les gens cherchent à acheter près de chez eux, donc des produits plus locaux. L'aspect touristique est important. Le Canada attire par sa culture, ses paysages, mais aussi par ses produits régionaux.
Je vous donne un exemple, pour cette taxe, d'une microdistillerie de chez nous, à Rimouski, la Distillerie du St. Laurent, qui produit un excellent gin à découvrir, d'ailleurs. C'est un produit qui est vendu à la Société des alcools du Québec pour près de 10 $. En magasin, on le paie 48 $; l'écart est énorme, en raison des taxes. Pour être en mesure d'encourager cette petite entreprise qui crée cinq ou six emplois, il faut vraiment être convaincu, car l'on peut obtenir un produit haut de gamme à 28 $. Il est clair que les microdistilleries et microbrasseries seront touchées davantage, parce que leurs produits sont plus dispendieux.
On retrouve beaucoup de ces petits producteurs en région. Je ne suis pas en défaveur de l'augmentation de 2 p. 100, mais quant au fait de l'inscrire automatiquement, il y a un principe selon lequel il n'y a pas de taxation sans représentation. Donc, le fait d'inscrire automatiquement une augmentation de la taxe tous les ans m'inquiète beaucoup, compte tenu de la réalité des petits producteurs. Il y a de grands champs de taxation, et je pense aux grandes compagnies internationales, telles qu'Amazon, Netflix et Facebook, qui vendent des produits de chez nous, qui font des milliards en chiffres d'affaires et qui n'ont pas à payer de taxe. Alors, pourquoi inscrire cette taxe automatiquement majorée sur l'IPC qui varie d'une région à l'autre?
M. Morneau : Nous pensons que c'est très important d'avoir un système qui fonctionne pour tous les producteurs, donc l'implication des changements dans le niveau d'impôt pour les producteurs locaux et les producteurs internationaux est le même. Il n'y a pas de différence entre les deux, le petit et le grand, le système canadien et le système international. C'est la même situation pour les deux produits côte à côte.
Je vous comprends lorsque vous souhaitez une meilleure situation pour les producteurs canadiens, mais nous avons une autre façon d'encourager les compagnies canadiennes. C'est d'avoir un environnement qui fonctionne pour eux, un système où ils ont la possibilité de trouver du capital de risque, des capitaux qui fonctionnent pour les petites entreprises. Nous avons donc décidé de créer un fonds canadien pour l'expansion des entreprises avec les grandes banques pour offrir plus d'accès aux capitaux pour les compagnies qui sont en train d'augmenter leur chiffre d'affaires très rapidement. C'est très important. Je suis d'accord, mais la façon de le faire, à notre avis, ce n'est pas avec notre système d'impôt, parce que le système est égal pour les petits et les grands. C'est notre décision pour le marché.
Le sénateur Forest : Mon propos visait plutôt à se garder une marge de manœuvre pour poser le geste sur une base annuelle, au lieu de l'inscrire sur une base permanente.
Ma deuxième question concerne le grand chantier des infrastructures. Effectivement, c'est l'un des très grands chantiers de votre gouvernement, un effort tout à fait incroyable de 180 milliards de dollars sur 10 ans, qui, comme vous l'avez dit, sera appuyé par un effort de la part des provinces, des territoires et des municipalités. Plusieurs des programmes sont des partenariats du type un tiers, un tiers, un tiers qui créent tout de même un effet de levier important.
La Banque de l'infrastructure du Canada est pour vous un outil et non pas une fin en soi. C'est un outil très important dans votre stratégie et qui, à mon avis, demande à être raffiné davantage en ce qui a trait aux pratiques et au modèle opérationnel. La réalité du parc des infrastructures au Canada, actuellement, lorsqu'on regarde la propriété, c'est que le déficit est évalué à 570 milliards de dollars; 57 p. 100 des infrastructures sont de responsabilité municipale, 41 p. 100 de responsabilité provinciale et 2 p. 100 de responsabilité fédérale. Quelle est la raison pour laquelle on ne peut pas se donner quelques mois pour mieux raffiner la Banque de l'infrastructure?
L'an dernier, en 2016-2017, on a dépensé 48 p. 100 des crédits alloués en faveur des programmes d'infrastructure. On pourrait améliorer les partenariats, et accorder à très court terme la priorité aux partenariats entre les entités provinciales et municipales. Je suis en faveur de la Banque de l'infrastructure du Canada, mais je souhaiterais qu'on se donne un peu plus de temps pour y réfléchir et pour s'assurer d'en raffiner le modèle opérationnel et le concept de gestion.
M. Sabia, de la Caisse de dépôt et placement du Québec, nous disait que la caisse était attirée par des projets rentables. Or, des projets rentables en matière d'infrastructures publiques, il y en a quelques-uns. À mon avis, ce ne sont pas des projets qui vont se réaliser à très court terme, tandis qu'il y a des gains importants à réaliser avec les partenaires tels que les provinces et les municipalités. Bref, ma question est simple : pourquoi ne pas se donner quelques mois pour mieux réfléchir aux pratiques, au modèle opérationnel et à la structure de gestion et de gouvernance de la banque afin de bonifier à très court terme l'efficacité et l'efficience des partenariats avec les municipalités, les provinces et les territoires?
M. Morneau : Nous avons amorcé la création de la Banque de l'infrastructure du Canada il y a plus d'un an et demi. La banque occupe une position centrale dans notre modèle économique. C'est un investissement important. C'est pour cela qu'elle figure dans notre budget. Nous investissons 15 milliards de dollars pour transformer notre économie et permettre à des projets de voir le jour. Nous avons expliqué comment nous voulons travailler dans les prochains mois. Nous sommes conscients que c'est toujours difficile avec un projet de loi budgétaire, à cause de son ampleur, mais nous croyons que nous avons une approche claire. La banque sera similaire aux autres sociétés d'État, donc ce n'est pas très difficile à comprendre.
Selon nous, il faut commencer dès maintenant. D'ailleurs, nous en avons un bon exemple aujourd'hui : nous avons pris une décision concernant le Réseau électrique métropolitain de Montréal. Il s'agit d'un investissement fédéral de 1,3 milliard de dollars, mais, à mon avis, le projet est viable pour la banque. Si on attend, cela ne sera plus possible, le moment ne sera plus opportun. D'autres projets importants sont prêts et, si on attend, on va manquer le bateau. C'est important pour soutenir notre économie maintenant et à l'avenir. Nous pensons que notre façon de faire est claire et, avec l'arrivée des premiers projets, on pourra expliquer davantage la façon de fonctionner.
[Traduction]
Le président : Avant que nous passions au prochain sénateur... Nous entendons la sonnerie retentir dans le Sénat. Il y aura une sonnerie de 30 minutes, puis le vote se tiendra à 15 h 54.
Monsieur le ministre, vous avez été très généreux de votre temps. Quelques sénateurs de plus voudraient vous poser des questions, et, si vous le permettez, nous allons poursuivre.
[Français]
La sénatrice Moncion : Ma première question concerne la période de recouvrement que vous prévoyez pour rentabiliser la banque et le retour sur investissement que vous envisagez.
M. Morneau : Le but de la banque n'est pas de faire des profits. Le but, c'est de trouver des projets avec lesquels on peut avoir la possibilité de travailler avec les investisseurs institutionnels.
Nous allons utiliser les 15 milliards de dollars pour soutenir des projets économiques pour les investisseurs. Les grands projets transformateurs doivent pouvoir compter de temps en temps sur le soutien gouvernemental. Nous croyons que chaque projet pourrait rapporter des profits, mais ce n'est pas vraiment le but. En outre, nous devons nous assurer que chaque projet aura un impact positif sur le Canada.
Finalement, nous devons utiliser l'autre tranche de capitaux, les 20 milliards de dollars, de façon à garder les capitaux pour le long terme; les 15 milliards de dollars serviront à accélérer le nombre et le type de projets et les 20 milliards de dollars permettront d'améliorer le projet à l'aide des autres modes de financement et de garder les capitaux pour le long terme. C'est le but, tout simplement.
[Traduction]
La sénatrice Cools : Je veux remercier le ministre encore une fois de sa générosité relativement au temps qu'il nous accorde.
Monsieur le ministre, je veux vous encourager à être plus généreux envers la population du Canada. Au cours de la dernière semaine, ou il y a quelques jours, nous avons écouté, au sein du comité, le témoignage convaincant de certains négociants en vins, brasseurs et producteurs de spiritueux. Je dois dire que je suis très empathique à l'égard de votre position, de vos préoccupations et de votre engagement à apporter des rajustements inflationnistes annuels fondés sur l'indice des prix à la consommation. Mon esprit est très empathique à tout cela, mais mon cœur dit autre chose.
Monsieur le ministre, mon cœur me dit que vous ne devriez pas donner l'impression d'être un ministre ou un gouvernement radin. Je vais vous dire pourquoi. C'est parce que les êtres humains — les Canadiens — travaillent très dur, et ils devraient se voir accorder des pauses pour se divertir en sirotant un ou deux verres de vin, ou quoi que ce soit. Là où vous allez taxer les gens, c'est dans leurs moments de détente, durant leurs rassemblements sociaux, leurs fêtes, leurs mariages, leurs événements festifs et même leurs bals des finissants. Tout récemment, j'ai vu un bal de finissants organisé pour des ados et même pour de petits bambins qui terminaient la maternelle.
Je vous demanderais, monsieur le ministre, de réévaluer certaines de ces mesures. Ce n'est pas très sain que de taxer les gens dans ces domaines vulnérables. Je vais vous dire que Mackenzie King a instauré l'allocation familiale il y a un bon moment.
Le président : Y a-t-il une question là-dedans?
La sénatrice Cools : Il y a beaucoup de questions à ce sujet. J'essaie de vous encourager à être généreux, comme l'a été Mackenzie King.
C'était une allocation familiale, et le gouvernement avait décidé de la verser aux femmes parce que, s'il l'avait versée aux hommes, elle aurait servi à rembourser l'hypothèque ou à payer le loyer. Il a décidé que, si elle était versée aux femmes, elles allaient la dépenser pour organiser une fête ou acheter un gâteau ou quelque chose de spécial, de la crème glacée ou quelque chose pour les enfants.
Je voudrais vous encourager, monsieur le ministre, à réévaluer votre décision sur cette question de la taxe indexée annuellement en fonction de l'indice des prix à la consommation. Les Canadiens devraient se voir accorder un peu plus de liberté, pouvoir se détendre davantage avec leurs amis. On consomme souvent de la bière et du vin lorsque l'on se réunit pour se divertir. Je vais vous demander d'y réfléchir, monsieur le ministre. Vous n'êtes pas tenu d'être aussi avare avec l'argent des contribuables.
M. Morneau : Eh bien, je vous remercie de cette question intéressante. Laissez-moi aborder l'esprit de votre question. Mes commentaires ne seront pas de la petite bière, je vous le promets.
Nous sommes très sensibles aux problèmes auxquels font face les Canadiens dans des situations difficiles. Je pense que vous avez pu l'observer grâce aux nombreuses choses que nous avons faites depuis que nous sommes arrivés au pouvoir. Quand nous avons décidé de modifier l'Allocation canadienne pour enfants, nous avons décidé que les familles qui s'en tirent le mieux n'avaient pas besoin de cette allocation. J'avais encore deux enfants de moins de 18 ans quand nous avons pris cette décision. Je ne suis plus admissible à cette allocation parce qu'elle est maintenant fondée sur les revenus. Nous avons vraiment changé les choses pour les familles qui touchent l'allocation. C'est vraiment important. C'est en moyenne 2 300 $ par année, libre d'impôt, pour neuf familles sur dix.
C'est 1 ¢ sur la bouteille de vin ou 5 cents sur la caisse de 24 bouteilles de bière. Je ne peux pas faire le calcul assez rapidement dans ma tête dans le cas des 5 cents sur la caisse de 24 bouteilles de bière, mais il faut acheter vraiment beaucoup de bière. Si vous tentiez de consacrer l'ensemble des 2 300 $ à l'achat de bière, cela pourrait poser un risque pour la santé.
Ce qu'il faut retenir, c'est que nous nous efforçons d'aider les familles canadiennes. Quand nous avons dit que nous allions augmenter de 10 p. 100 le Supplément de revenu garanti pour les personnes âgées qui sont les plus vulnérables, c'est en moyenne 924 $ par année. Nous nous concentrions sur les gens qui avaient de réels besoins et difficultés. Voilà ce que nous croyons être important.
Au fil du temps, ces dépenses feront face à l'inflation. Au moment où nous déciderons de changer les choses pour les Canadiens, il faudra que nous reconnaissions qu'il y a un prix à payer. M. Rochon m'a donné le chiffre, mais l'absence d'inflation sur la bière, le vin et les spiritueux signifie — et M. Rochon m'a donné le chiffre — que, depuis 1986, ces taxes d'accise ont été réduites de 47 p. 100 en chiffres absolus au fil du temps.
Nous tenons les prix constants au fil du temps. Je comprends qu'une modification des taux de taxation donne aux lobbyistes la possibilité de parler aux gens, mais, selon nous, le fait de les tenir constants au fil du temps, c'est ce qu'il convient de faire. Cela nous donne la capacité de nous concentrer sur la façon dont nous pouvons vraiment aider les gens.
La sénatrice Cools : Vous frappez tout de même les gens à un endroit vulnérable.
Le sénateur Massicotte : Monsieur le ministre, j'essaie encore de contribuer à faire de cette banque un succès. Je ne suis peut-être pas assez convaincant, ou peut-être que vous êtes trop avare, je ne suis pas certain.
Laissez-moi aborder la nomination du PDG. Selon le processus que vous proposez actuellement, le premier PDG sera évidemment nommé par vous-même, et, par la suite, ce sera le conseil d'administration, sous réserve de l'approbation du gouvernement. Toutefois, au titre de la loi, vous avez la permission de congédier le PDG, après avoir consulté le conseil d'administration.
N'oubliez pas que nous recherchons un expert de calibre mondial en matière d'infrastructure, parce que c'est crucial. Si vous ne faites pas bien les choses, vous allez gaspiller des millions de dollars des contribuables. Vous les embauchez « à titre amovible », ou « during pleasure », en anglais.
Expliquez-moi ce que cela signifie. J'envisage d'embaucher une femme ou un homme qui a une expérience importante de la direction d'un important fonds d'infrastructure, qui touche probablement deux ou trois millions de dollars par année, et vous allez lui demander de se joindre à cette organisation, dont il pourra se faire congédier à tout moment, sans indemnisation. Est-ce que je comprends mal le sens de ces termes? Pourriez-vous me dire quelle assurance vous allez donner à la personne concernant le fait qu'il s'agit d'une organisation sérieuse qui n'est ni trop partisane ni trop électoraliste?
M. Morneau : Cela ne diffère aucunement du cas d'une personne qui irait travailler n'importe où ailleurs. Si cette personne choisissait plutôt d'aller travailler pour la Banque royale du Canada, pour la Financière Manuvie ou pour le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario ou pour toute autre organisation où elle pourrait être en mesure de jouer un rôle lié aux infrastructures, elle pourrait être congédiée.
Le sénateur Massicotte : Le terme « à titre amovible » ne signifie pas qu'on peut mettre fin à l'emploi. Il est possible de rompre tout contrat, si on le veut, mais, lorsque l'on conclut un contrat de travail ou un autre contrat, on doit verser des dommages-intérêts. Est-ce aussi le cas en ce qui concerne le PDG?
M. Morneau : Bien sûr, oui.
Le sénateur Massicotte : C'est l'équivalent d'une entente contractuelle typique.
M. Morneau : Oui.
Le sénateur Massicotte : Ce n'est pas ce que j'avais cru comprendre, mais merci beaucoup.
M. Morneau : Encore une fois, au moment où on embauche quelqu'un, on établit un contrat avec la personne à ce niveau, et on établit les modalités du contrat; toutefois, les lois du pays, bien entendu, demeurent en vigueur. Un congédiement injustifié demeure injustifié, sans égard au contrat.
Le sénateur Massicotte : Laissez-moi répéter ce que je pense comprendre. Si vous embauchez une personne « à titre amovible », évidemment, il s'agit de la durée du contrat que vous allez conclure avec cette personne. Si vous souhaitez la congédier parce que vous n'aimez pas quoi que ce soit, que ce soit justifié ou non — supposons que le congédiement est injustifié —, cette personne obtiendra-t-elle tout de même l'indemnité de licenciement et les dommages-intérêts qui lui sont dus?
M. Morneau : Oui.
Le sénateur Massicotte : Selon la définition établie par les provinces.
M. Morneau : Oui. Laissez-moi qualifier cela. Cette personne sera comme toute autre personne embauchée, du fait qu'elle pourrait avoir passé un contrat particulier qui lui procure certains avantages en fonction de la possibilité qu'elle soit congédiée.
Certes, au pays, selon la loi, les gens ne peuvent pas être congédiés sans justification. Ces personnes auront la possibilité de jouir des mêmes droits que toute autre personne. Il s'agit simplement du processus de gouvernance qui entoure ces postes. C'est un peu comme le poste d'un PDG d'une société celui d'autres PDG dans le secteur public que nous employons actuellement.
Le sénateur Massicotte : Je suis heureux d'entendre cela.
Le président : Avant que je demande aux deux sénateurs suivants de conclure, les sénateurs Pratte et Woo, je voudrais souligner que le leader de l'opposition au Sénat, M. Larry Smith, est maintenant présent.
Sénateur Smith, voudriez-vous entrer et nous rejoindre à la table?
Le sénateur Smith : Je vais vous laisser le soin d'en décider. Je voulais simplement entrer et ressortir parce que nous examinons les lois et que nous devons aborder certains projets de loi.
Le président : Merci, sénateur.
Le sénateur Pratte : Monsieur le ministre, je n'arrive pas à me rappeler si je vous ai déjà posé cette question. Quoi qu'il en soit, je vais vous la poser de nouveau : les projets auxquels la banque participerait relèveraient-ils de la compétence provinciale et municipale?
Je sais que votre ministère et vous vous êtes prononcés très clairement à ce sujet, mais des préoccupations ont été soulevées par des experts en droit constitutionnel et par le gouvernement du Québec, qui croient qu'on devrait amender le projet de loi de manière à clarifier cette question.
Comme votre gouvernement a affirmé très clairement que ce n'était pas son intention et que ce n'était pas le but du projet de loi, et comme certains experts et le gouvernement du Québec croient que le projet de loi permet cela, pourquoi ne pas simplement prévoir clairement dans le projet de loi que ce n'est pas le cas et que les projets dans lesquels la banque investit seront assujettis aux lois provinciales et aux règlements municipaux?
M. Morneau : J'ai beaucoup de façons de répondre à cette question.
Premièrement, nous n'amendons pas un projet de loi afin de préciser ce qu'il ne fait pas. Le projet de loi ne nous confère pas la capacité de contourner d'autres lois.
Deuxièmement, nous n'avons trouvé aucun exemple — et personne n'en a mentionné de situation où cela pourrait se produire. Théoriquement, nous pourrions intégrer d'autres éléments relatifs à des situations que nous n'avons aucune raison de penser qu'elles pourraient un jour se produire, mais nous n'avons aucun exemple nous indiquant d'une façon ou d'une autre que cela pourrait poser problème.
Troisièmement — et c'est ce qui est le plus important —, ces projets ne seront mis en œuvre qu'avec l'approbation de la municipalité et de la province. Nous n'allons pas imposer de projet fédéral à une municipalité et à une province. Aucun investisseur ne voudrait investir dans un projet dont l'administration ne veut pas parce qu'il s'agirait d'une utilisation irresponsable des fonds.
Avec la meilleure des intentions, nous n'arrivons à trouver aucun exemple de situation possible où cette préoccupation serait fondée.
Le président : Le prochain intervenant est le parrain du projet de loi, le sénateur Woo.
Le sénateur Woo : Je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que tous vos représentants et collègues qui ont passé de nombreuses heures ici et dans les autres salles à témoigner.
Vous avez déclaré sans équivoque que la Banque de l'infrastructure du Canada est un élément central de la stratégie de votre gouvernement et un élément central du projet de loi budgétaire. Peut-être que, au cours des prochaines heures, nous saurons, au moment où nous reviendrons dans la Chambre, si le Président a tranché la question concernant la capacité des sénateurs de scinder le projet de loi, puis nous tiendrons un débat afin de déterminer si nous allons le scinder ou non.
Je ne formulerai aucune hypothèse au sujet du résultat, mais, si par malheur — à mon avis — nous scindions le projet de loi, êtes-vous bien placé pour nous dire quelle sera la position du gouvernement si une version du projet de loi revient, qui contiendrait la majeure partie des dispositions, mais que la section 18, la Banque de l'infrastructure du Canada, en était retirée?
M. Morneau : En me présentant ici, aujourd'hui, j'avais l'intention d'écouter tous vos commentaires et toutes vos préoccupations. J'espère que vous avez saisi que nous écoutons vos points de vue.
Nous allons avoir de nombreuses autres choses à faire avec cette institution. Nous devons nous assurer d'obtenir un excellent conseil d'administration. Le commentaire concernant le fait de réfléchir à la configuration de ce conseil est d'une importance cruciale. Nous devons veiller à penser à la façon dont nous pouvons nous assurer que les projets ne sont pas sujets à l'ingérence politique, car il s'agirait d'un élément très négatif pour l'organisation, et je pense que cela compromettrait le succès de ce que nous tentons d'obtenir.
Nous allons nous protéger contre les contestations législatives comme celle que vient tout juste de mentionner le sénateur Pratte et nous assurer que nous n'avons que des projets auxquels les provinces et les municipalités participent entièrement. Nous essayons d'écouter votre point de vue.
Nous voulons affirmer très clairement que nous pensons que c'est au cœur de notre plan. En tant que gouvernement, nous n'avons pas fait preuve de timidité à cet égard. Nous avons abordé ce sujet dès le premier jour. Il n'y a là aucune nouvelle information. Nous croyons que cela peut avoir une incidence très importante sur notre économie. Nous pensons que la façon la plus importante dont nous pouvons avoir une incidence du point de vue de l'indexation des retombées économiques, c'est grâce aux dépenses dans les infrastructures. Par conséquent, la façon la plus efficiente dont nous pouvons utiliser les ressources gouvernementales, c'est en amplifiant leur incidence par la recherche de nos investisseurs. Nous pensons qu'il s'agit d'une idée très importante qui aura une grande incidence.
Je sais que vous devez vous dépêcher, mais nous espérons que vous ne prendrez pas la décision de le faire, car c'est crucial pour nous. Nous n'allons pas prendre des décisions à l'avance de la vôtre, mais c'est crucial pour nous. Vous pouvez interpréter cela comme vous voulez. Nous croyons que c'est important. C'est au cœur de notre budget. Nous croyons que c'est d'une importance cruciale. Nous croyons que c'est important pour les Canadiens. Nous souhaitons obtenir votre appui afin de concrétiser ce projet.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Sénateurs, avant que nous passions immédiatement au vote, je veux vous rappeler que nous allons revenir ici pour aborder le rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses.
Monsieur le ministre des Finances du Canada, je vous remercie infiniment de votre grande générosité du point de vue du temps que vous nous avez accordé ainsi que du professionnalisme dont vous avez fait preuve.
(La séance se poursuit à huis clos.)