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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 47 - Témoignages du 8 novembre 2017 (séance de l'après-midi)


SASKATOON, le mercredi 8 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 13 h 3, afin d’étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale employées.

[Traduction]

Le sénateur Mockler : Mesdames et messieurs, je constate que nous avons le quorum et je déclare la séance ouverte.

Je demanderais aux sénatrices et aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche, s’il vous plaît.

La sénatrice Jaffer : Bon après-midi. Je m’appelle Mobina Jaffer et je viens de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

Le sénateur Pratte : Bon après-midi. André Pratte, du Québec.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk. Je suis née à Saskatoon et je vis maintenant à Regina.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique. Je ne vis pas à Vancouver, mais à Fort St. John.

La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick.

Avant de présenter officiellement les témoins, Le Comité sénatorial permanent des finances nationales est autorisé par ordre de renvoi du Sénat du Canada à étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale employées, puis à faire rapport à ce sujet.

Nos premiers témoins représentent MNP LLP : Tanya Knight, associée et vice-présidente principale, Services aux clients, et Kim Drever, associée, Services de fiscalité.

Merci beaucoup, mesdames, d’avoir accepté notre invitation et de bien vouloir faire part de vos commentaires, de vos opinions et de vos suggestions à notre comité durant sa tournée pancanadienne.

Notre greffière m’informe que Mme Knight fera l’exposé, après quoi on passera aux questions.

Madame Knight, à vous la parole.

Tanya Knight, vice-présidente principale, Services aux clients, MNP LLP : Permettez-moi d’abord de vous souhaiter la bienvenue à Saskatoon. Je vous félicite. Je pense que vos escales à travers le pays sont remarquées et bien accueillies. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous accordez. Je sais combien c’est difficile dans n’importe quel horaire. Merci de vous arrêter chez nous.

Comme on vient de le dire, je m’appelle Tanya Knight et je suis associée de MNP ici à Saskatoon, où je travaille avec de nombreuses sociétés privées. Je suis accompagnée de mon associée, Kim Drever, qui est spécialiste en fiscalité des sociétés privées canadiennes.

Chez MNP, nous travaillons avec plus de 150 000 petites entreprises, dont 16 000 du secteur agricole. Nous sommes les experts en matière de fiscalité des petites entreprises. Aucun cabinet ne travaille quotidiennement avec autant de petites entreprises que MNP.

Il y a consensus dans le milieu des affaires : les propositions du 18 juillet nuisent aux petites entreprises canadiennes. Nous sommes de cet avis, mais nous voulions présenter un autre point de vue, celui de nos clients. Nous tenons à vous faire connaître leurs histoires, qui illustrent bien les répercussions de ces propositions sur les petites entreprises et les fermes familiales.

Nous sommes ici pour vous aider, en votre qualité de sénateurs, à trouver des solutions. Nous le disons clairement : à moins d’une réforme exhaustive, nous aurons un régime fiscal beaucoup plus complexe et coûteux qui nuira aux petites entreprises. Il n’y a pas de solution miracle.

Laissez-moi vous présenter Marie, une de nos clientes. Marie possède une petite entreprise. Elle a fait des affaires pendant les trois dernières décennies ici en Saskatchewan avant de décider il y a quelques années de prendre sa retraite. Son plan de transition faisait passer l’entreprise à ses enfants. Suivant sa planification de retraite, l’entreprise lui rachète des actions privilégiées à raison de 40 000 $ par année. Sur ce montant, Marie verse environ 7 000 $ en impôt des sociétés, plus 1 000 $ en impôt des particuliers lorsqu’elle retire ses actions.

Selon les modifications proposées, Marie paiera maintenant 16 000 $ en impôt des particuliers, soit 16 fois plus qu’avant. Elle verra fondre de 41 p. 100 son revenu disponible après impôt pour régler ses factures mensuelles. Il ne lui reste plus qu’environ 2 000 $ par mois et elle craint que ce ne soit pas suffisant. Sur son revenu total, Marie versera 23 000 $ en comptant l’impôt des sociétés et l’impôt des particuliers.

Or, un salarié qui gagne le même montant doit verser 7 000 $ en impôt. On est loin de l’équité ou de la neutralité souhaitées. Marie ne gagne pas un revenu élevé, pourtant elle est durement touchée. Nous comprenons que le ministère des Finances est au courant des effets pervers des règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné, mais nous attendons toujours ses révisions. Nous voulons juste nous assurer que les particuliers comme Marie ne sont pas oubliés.

Laissez-moi maintenant vous présenter John et Heather. L’agriculture repose sur les fermes familiales, qu’elles soient exploitées par des frères et sœurs, des couples mariés ou plusieurs générations d’une même famille. Elles sont souvent exploitées par des sociétés de personnes ou des sociétés par actions. Heather et son mari John exploitent une ferme familiale en Saskatchewan. Partenaires depuis plus de 20 ans, ils ont monté ensemble une entreprise agricole très prospère. John est souvent au champ à diriger les employés, à conduire des machines et à prendre des décisions, tandis que Heather s’occupe des finances de la ferme et prépare les repas pour les ouvriers durant les semences et la récolte. De plus, elle doit gérer les tâches domestiques quotidiennes, élever leurs trois enfants et se rendre en ville pour faire les emplettes et les opérations bancaires, sans parler des pièces de machines à aller chercher en chemin. C’est leur travail à tous deux qui fait le succès de l’entreprise.

Les règles de l’impôt sur le revenu fractionné nous forceront bientôt à déterminer si le rôle de John dans l’entreprise est plus important que celui de Heather. Nous devrons établir le montant qui serait versé à un tiers sans lien de dépendance. Nous devrons considérer l’apport en capital et le risque assumé. Cela peut fonctionner pour certaines entreprises, mais ne fait que minimiser le rôle des épouses dans les entreprises familiales, en particulier les fermes.

Par le passé, notre société s’est demandé si ces rôles étaient égaux. Nous, les femmes, avons travaillé avec acharnement au cours des dernières années et des dernières décennies pour le prouver. Ce type de loi fait reculer toute initiative entreprise par le gouvernement pour favoriser l’égalité des sexes.

Les mesures proposées touchent toutes les entreprises privées. Elles nuiront aux projets de retraite de Marie et réduiront ses liquidités. Elles nuiront à Heather et John, qui seront obligés d’attribuer une valeur économique de travail à chacun des différents rôles qu’ils exercent dans la ferme familiale.

Nous prévenons souvent nos clients de ne pas laisser la fiscalité dicter la conduite des affaires; c’est malheureusement l’effet qu’auront ces mesures. Leurs répercussions sont considérables et pourraient entraîner des comportements irrationnels qui nuiraient à l’économie canadienne.

Avec la mesure proposée sur les revenus passifs, des entrepreneurs n’auraient plus les capitaux nécessaires pour résister aux fluctuations de l’économie et financer l’innovation, la croissance et l’expansion. Le moule ne convient pas à tout le monde. Un seuil annuel de 50 000 $ sur un revenu passif peut convenir à une petite entreprise ou une entreprise en démarrage, mais il est trop bas pour une moyenne ou grande entreprise.

Kim et moi, nous pourrions vous parler de nombreux clients qui s’étaient ménagé assez de réserves pour affronter le dernier ralentissement économique, ce qui leur a permis de maintenir des emplois, de rembourser leurs dettes, de payer les dépenses mensuelles, bref de survivre à la récession. Beaucoup d’autres par contre n’avaient pas ce filet de sécurité et ont dû se résoudre à des décisions déchirantes : congédier des employés, vendre de l’équipement aux enchères et faire tout ce qui était possible pour éviter la faillite.

Nous applaudissons la décision du gouvernement d’abandonner les propositions visant à refuser l’exonération des gains en capital et ce qu’il appelait la conversion du revenu en gains de capital, parce que cela revenait à imposer en double la succession familiale.

Les modifications proposées nous préoccupent parce qu’elles sont très complexes et qu’elles suscitent de l’incertitude en raison de leur application générale et du manque de directives claires sur leur administration. Nos recommandations cadrent avec les principes de création et de mise en œuvre d’une réforme fiscale exhaustive et d’une loi qui soit juste et prévisible pour tous les contribuables canadiens.

Nous avons deux recommandations à vous soumettre : D’abord, écarter les propositions actuelles et entreprendre dans un esprit de collaboration une consultation approfondie auprès de tous les intervenants, pour des besoins d’équité, de certitude et de prévisibilité. En second lieu, veiller à ce que les nouvelles propositions soient simples et faciles à administrer pour les propriétaires de petites entreprises.

Nous sommes conscientes de la nécessité de moderniser le régime fiscal. Toutefois, les règles et les normes proposées actuellement sont trop vagues et elles entraîneront des litiges pendant des années à venir. À cause de l’incertitude, de nombreux propriétaires exploitants hésiteront à investir dans leur entreprise, ce qui réduira la création d’emplois, la croissance économique et les débouchés pour les femmes et la génération du millénaire. Nous avons bon espoir que les parlementaires, en travaillant de concert avec des intervenants ouverts d’esprit, pourront élaborer une meilleure politique fiscale que si on s’en remet au système judiciaire.

Merci de votre attention. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup, madame Knight.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup pour votre exposé et merci pour le document que vous nous avez remis.

Vous nous avez offert un aperçu de vos clients qui seront touchés directement par les changements proposés, mais je suis certaine que vous en avez qui ne le sont pas directement. Ce que j’aimerais savoir, c’est qui d’autre il y a parmi vos clients et comment ils peuvent être touchés par les propositions.

Je sais qu’ils ne le sont pas directement, mais nous avons été témoins d’un certain nombre de changements ces deux dernières années avec le nouveau taux d’imposition de 33 p. 100. Nous les voyons maintenant se produire dans les sociétés privées. Cela envoie un message à travers le système. Quels échos avez-vous de ces autres clients qui ne sont pas touchés directement?

Mme Knight : Je vais répondre et je laisserai Kim prendre le relais. Kim Drever est notre spécialiste de la fiscalité, aussi je m’en remettrai à elle pour les aspects plus techniques.

Nous avons une clientèle diversifiée. Je pratique en Saskatchewan et la grande majorité de nos clients sont visés par ces règles fiscales, avec leurs entreprises familiales. Pour répondre à votre question, je dirais que ceux qui ne sont pas touchés directement se trouvent plongés dans l’incertitude. Ce qui ressort le plus souvent de mes conversations avec eux, c’est que lorsqu’il y a de l’incertitude, les gens ont tendance à appuyer sur « pause ». Ils prennent un temps d’arrêt et attendent de voir ce qui s’en vient. Ils sont prêts à prendre des risques calculés, mais ils veulent connaître les règles du jeu. Ce qui m’inquiète le plus, c’est que nous soyons en train de créer un climat où les gens arrêtent tout ou vont voir ailleurs si les règles sont plus simples. Le capital peut aller n’importe où de nos jours et j’ai bien peur qu’il parte de chez nous.

La sénatrice Marshall : Nous ne savons pas vraiment à quoi ressemblera le régime dans sa forme finale. Nous ne le saurons pas avant de voir le budget de 2018. Vous voudrez peut-être en tenir compte dans votre réponse, madame Drever.

Kim Drever, associée, Services de fiscalité, MNP LLP : Les règles proposées touchent toutes les entreprises privées. Une société canadienne privée est une société qui n’est pas aux mains des pouvoirs publics. Elle n’a pas d’actions à la bourse. Elle n’appartient pas à des non-résidents. La grande majorité de nos clients est constituée de sociétés privées qui appartiennent à des Canadiens.

Nous avons entendu les témoignages de ce matin. Un des représentants de la Chambre de commerce de la Saskatchewan a déclaré qu’une petite partie de ses membres seraient touchés. Il s’est trompé. C’est une grande partie des membres qui seraient touchés parce que la plupart sont des sociétés canadiennes privées, pas des entités publiques.

Nous disons que les règles proposées ont une incidence sur chaque entreprise privée. J’emploie le mot « entreprise » à dessein plutôt que « société », parce qu’il englobe toutes les sociétés de personnes. Il englobe les entreprises personnelles qui partagent le revenu avec d’autres membres de la famille. La ferme familiale où les époux sont associés ou la ferme familiale avec un parent et un enfant sont bel et bien visées par les règles de l’impôt sur le revenu fractionné.

Quant à nos clients qui ne sont pas touchés, ce serait seulement ceux des sociétés publiques qui n’en ressentent pas l’effet direct dans leurs portefeuilles. Ils voient bien ce qui se passe et beaucoup d’entre eux font appel à des entreprises privées dans leur chaîne d’approvisionnement. À mesure que les taxes augmentent, les coûts augmentent et probablement aussi les prix. Ce sont toutes des choses qui se répercuteront dans l’économie. On n’a pas fini de voir des gens appuyer sur « pause ».

La sénatrice Marshall : Que conseillez-vous aux clients qui attendent la sortie des propositions finales? Je sais que Mme Knight a dit que c’était comme appuyer sur le bouton « pause ».

Mme Drever : Oui.

La sénatrice Marshall : Les gens se contentent-ils d’attendre, ou bien font-ils quelque chose pour se préparer? Si c’est le cas, que font-ils?

Mme Drever : Les gens se préparent. Il y a deux choses à considérer, les règles de l’impôt sur le revenu fractionné et les règles concernant les placements passifs. Beaucoup de gens décident dès maintenant ce qu’ils doivent faire en 2017 en ce qui concerne la rémunération de leur famille. Bien franchement, il existe de nombreuses entreprises de couple et nous ne savons pas comment se présentera bientôt tel ou tel aspect de la loi et comment nous y préparer. Il se peut que nous retirions de gros dividendes cette année de crainte de ne pas pouvoir le faire à l’avenir, peut-être. Nous ne savons pas comment nous défendre, nous attendons.

La sénatrice Marshall : Qu’en est-il des revenus passifs?

Mme Drever : Nous savons qu’il y aura des clauses d’antériorité, des droits acquis, et c’est pourquoi des conseillers en placements encouragent leurs clients à commencer à profiter de leur entreprise et à la bourrer d’éléments passifs. Ce n’est peut-être pas une bonne idée après tout. Les taux d’intérêt ne nous aident pas du tout. Il y a des entreprises qui contractent des dettes qu’elles ne devraient pas. En prévision de ce qu’elles voient venir, elles font des choix qui vont les protéger à l’avenir, pensent-elles, mais ce n’est pas le cas.

La sénatrice Marshall : C’est un pari.

Mme Drever : C’est un pari. Tout ce que nous faisons en ce moment est un pari. Il nous reste environ sept semaines avant que ces règles-là entrent en vigueur et nous ne savons toujours pas en quoi elles consistent.

La sénatrice Marshall : Vous ne savez pas en quoi elles consistent.

Mme Drever : Nous ne savons pas quelles seront les règles du jeu.

La sénatrice Marshall : Il est permis de penser qu’il y aura des droits acquis, mais nous ne savons pas vraiment quelle forme ni quelle ampleur ils prendront.

Mme Drever : Nous ne savons pas quelle forme ils prendront. Il y a autre chose au sujet des propositions sur les revenus passifs. J’ai suivi pas mal d’audiences et il n’en a pas été question, à ce que je sache. Le placement passif n’est pas un paquet d’argent coincé dans un dépôt à terme ou quelque chose du genre. On parle ici de biens locatifs. On parle d’entreprises avec de petits entrepôts. C’était des fermes auparavant, mais depuis la retraite des exploitants, les terres agricoles sont louées.

C’est aussi une des choses qui seront considérées comme des gains en capital. Vous pourriez vendre un bien d’équipement de votre entreprise toujours active. Vous pourriez vendre votre terre et vos bâtiments. Votre société pourrait se départir de ses terres agricoles. Vous pourriez vendre tous vos actifs, y compris ce qu’on appelle le fonds de commerce. Tout cela constitue un gain en capital.

Un seuil de 50 000 $ sur un revenu passif équivaut en fait à un gain en capital de 100 000 $. Quand une société se départira de ses éléments d’actif, son taux d’imposition atteindra 73 p. 100 éventuellement, tandis qu’il atteindra environ 60 p. 100 pour un gain en capital. En ce moment, le taux applicable au gain en capital est d’environ 26 p. 100. Avec les propositions actuelles concernant les revenus passifs, les gains en capital dans les sociétés privées seront très lourdement grevés. Je doute que ce soit juste.

La sénatrice Marshall : J’ai encore une question. D’après des experts que nous avons entendus, il faudra maintenant constituer différentes cagnottes pour distinguer ce qui est passif, ce qui est actif, et cetera. Un témoin nous a même dit hier qu’il y aurait désormais cinq cagnottes d’argent.

Voyez-vous là un gros obstacle à ce que nous faisons? Cela ajoute-t-il à la complexité? Qu’en pensez-vous?

Mme Drever : La complexité des déclarations d’impôt des sociétés a augmenté encore et encore au fil des années. Cela ne fait que l’augmenter encore une fois. Nous devons maintenant commencer à tenir les comptes de cinq cagnottes différentes. Je me demande combien d’entreprises privées en seront capables. Elles vont renoncer aux revenus passifs parce que ce sera trop compliqué.

La sénatrice Marshall : Sans compter que l’Agence du revenu devra vérifier.

Mme Drever : Ce qui n’ira pas sans problèmes. La notion de caractère raisonnable, par exemple, est ambiguë : le caractère raisonnable du travail exécuté, de l’apport en capital et du risque assumé. Quand on s’y arrête un instant, on se rend compte que des milliers de vérificateurs à travers le Canada vont devoir user de leur jugement personnel pour déterminer ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas. Il n’y aura aucune uniformité à travers le pays et il faudra des années et des années de contestation judiciaire pour avoir la moindre idée de ce qu’on entend par là.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie toutes les deux pour votre rapport. Il soulève énormément de questions, que vous avez réussi à regrouper pour nous. Je vous en félicite. Il me servira de document de référence pendant un bon moment.

J’ai toujours demandé s’il n’y avait pas une évaluation de l’incidence économique, et vous venez de présenter un document très utile à cet égard. Je pourrais continuer longtemps dans cette veine, mais j’ai beaucoup de questions et, comme vous pouvez le deviner, mon temps de parole est limité.

Toutes deux vous avez dit que les gens, comme il se doit, vous font confiance. Ils viennent à vous et sollicitent vos conseils. Vous les conseillez, mais en bout de ligne vous dites que vous n’êtes pas certaines. Où alors peuvent-ils aller? Je ne m’attends pas à ce que vous répondiez à cette question. C’est notre dilemme, mais c’est ce que je retiens de votre intervention.

Très rapidement. En lisant les documents, il y a deux choses, à la page 6 de votre mémoire, qui m’ont frappée. Vous dites que beaucoup de Canadiens risqueront de perdre leur retraite pour répondre aux critères d’un investisseur providentiel et de faire des placements beaucoup plus risqués qu’ils ne le feraient autrement.

Cela me préoccupe vraiment. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Drever : Nous savons qu’une dérogation a été proposée pour les investisseurs providentiels. Il y aura probablement une définition très précise de ce que sont les investisseurs providentiels, du montant qu’ils investissent et de leurs niveaux de tolérance au risque. Les gens risquent du capital qu’ils ne devraient pas risquer.

Les investisseurs providentiels sont là pour les riches. Ils apportent un financement aux entreprises en démarrage ou ils achètent leurs actions privilégiées. Ce faisant, ils contribuent à la croissance de l’économie.

La sénatrice Jaffer : Ce n’est pas un investisseur providentiel. Un retraité n’est pas un investisseur providentiel.

Mme Drever : Non, un retraité n’est pas un an investisseur providentiel. Je suis vraiment inquiète. Dans tous les cas où il y a une incidence fiscale très punitive sur quelque chose comme un investissement passif et une incidence fiscale beaucoup plus faible sur quelque chose de beaucoup plus risqué, les gens optent spontanément pour le placement plus risqué. Ils font entrer le coût fiscal dans leur détermination du taux de rendement. Tel investissement a un coût fiscal de peut-être 73 p. 100. À vrai dire, les taux de dividende sont à la hausse parce que le taux de la déduction accordée aux petites entreprises a été réduit. Il n’est plus de 73 p. 100 en moyenne, mais plutôt autour de 75 p. 100. Si, en déterminant le taux de rendement d’un placement, vous y ajoutez le coût fiscal, vous vous trouvez à accepter un niveau de tolérance au risque beaucoup plus élevé et à risquer un capital que vous ne devriez probablement pas risquer.

La sénatrice Jaffer : Ce n’est pas pour un retraité.

Mme Drever : Ce n’est pas pour un retraité, ni pour les gens qui n’ont que quelques millions à investir.

La sénatrice Jaffer : Ma deuxième question porte sur une observation qui figure à la même page, à savoir que des conseillers encouragent les sociétés privées à s’endetter dès maintenant pour remplir leurs sociétés d’actifs passifs qui pourraient faire l’objet de droits acquis aux termes des propositions relatives au revenu passif. C’est vraiment dangereux.

Mme Drever : C’est en effet dangereux. En tant que comptables, nous avons de vives préoccupations à ce sujet et craignons que nos clients acceptent un risque qu’ils ne devraient pas prendre.

La sénatrice Jaffer : Ma dernière question concerne le client qui vient à vous pour se faire conseiller sur ces trois points. Vous en savez autant que vos clients, et vos clients ont un risque énorme à assumer. Comprenez-moi bien; je ne vous jette pas le blâme. Vos clients ont un risque énorme à assumer et ils en savent moins que vous deux.

Mme Drever : C’est exact. Nous dirons à nos clients que, n’ayant même pas vu les propositions législatives sur le revenu passif, une attitude attentiste s’impose. Nous ne devrions pas faire des choses comme charger nos sociétés d’actifs excédentaires. Pour ma part, je n’ai rien à gagner à ce qu’ils le fassent, alors que ce ne serait pas le cas d’un conseiller en placements. Il y a un peu de ça qui se passe.

Le sénateur Neufeld : Mesdames, je vous remercie beaucoup de vous être déplacées, ainsi que pour votre excellent exposé. Par vos exemples tirés du vécu des gens, vous montrez ce qui se passera concrètement si toutes les mesures proposées par le gouvernement sont adoptées.

Cela nous sera très utile dans la préparation du rapport que nous remettrons au gouvernement. Il se peut qu’il ne le lise pas. Il en fera ce qu’il voudra. À nos yeux, il serait souhaitable qu’il se donne la peine d’en prendre connaissance parce que tout ce que nous avons entendu, non seulement au cours de nos audiences à Ottawa, mais aussi à Vancouver, à Calgary et maintenant ici, est passablement ressemblant. Dans ce que nous avons entendu jusqu’à présent dans les différentes régions du Canada, il n’y a pas de grandes différences.

Je suppose, pour ajouter à cela, que ces situations réelles que vous avez mises en lumière illustrent bien ce qui se passe à Saskatoon, à Calgary ou ailleurs. Nous les connaissons. C’est un tout autre monde que celui où un universitaire conseille ces changements à un fonctionnaire à Ottawa, ceux-ci n’ayant aucune expérience sur le terrain.

J’aurais quelques questions à vous poser. Au sujet de votre première recommandation, êtes-vous en train de dire qu’il faut mettre ces propositions de côté et les étudier ou les mettre de côté et revoir l’ensemble du régime fiscal au Canada?

Vous pourriez peut-être éclaircir ce point parce que je n’ai pas très bien saisi ce que vous recommandez.

Mme Knight : Votre deuxième interprétation est la bonne. Nous disons qu’il faudrait mettre ces propositions de côté et revoir à fond l’ensemble du régime.

Le sénateur Neufeld : Un examen global?

Mme Knight : Oui.

Le sénateur Neufeld : Vous croyez qu’un examen global est nécessaire. Je voulais m’assurer que cela figure dans le procès-verbal parce que c’est essentiellement ce que nous entendons partout.

Je veux vous lire la réponse du ministre à une question posée par le comité. Le ministre des Finances a informé le comité que le gouvernement reconnaît le besoin de retenir des fonds dans une société à des fins d’affaires, mais qu’il veut décourager le recours aux sociétés privées comme moyen d’épargne-retraite.

Combien des personnes pour qui vous préparez les rapports d’impôt, et vous dites que c’est surtout dans le privé, songent réellement à prendre leur retraite grâce aux revenus tirés de leurs entreprises? S’agit-il d’une situation factuelle?

Étant exploitants d’une entreprise, passent-ils leur vie à se dire qu’ils n’ont pas de soucis à se faire pour leur retraite ou veillent-ils plutôt à faire croître leur entreprise afin de pouvoir prendre leur retraite à un certain moment?

Mme Knight : Je dirais que les propriétaires d’entreprise et les entrepreneurs cherchent à développer leur entreprise.

En premier lieu, s’ils se lancent en affaires c’est parce que quelque chose les passionne. Ils sont prêts à prendre un risque et à investir dans l’économie. Ce faisant, ils continuent, c’est à espérer, de regarder loin devant, à la planification de la relève et à la planification de la transition. Ils n’accumulent pas des tonnes d’argent simplement pour financer leur retraite. Ils amassent des fonds en vue de réinvestir dans leur entreprise, de prendre des décisions pour son expansion et, aussi, de planifier leur retraite.

Je pense que Mme Drever peut vous parler de certains des mécanismes applicables aux employés et à d’autres personnes. Les propriétaires d’entreprise et d’autres personnes en ont parlé. Les propriétaires d’entreprise n’ont pas le même accès aux régimes de pension et aux divers REER. Il y a d’autres raisons pour lesquelles ils voudraient conserver les flux de trésorerie dans leur société.

Mme Drever : Il ne s’agit pas ici simplement de fonds de retraite. S’il ne s’agissait que de cela, le texte législatif serait tout différent de celui que nous avons reçu. Lorsque ces règles ont été publiées, étant un peu maniaque de fiscalité, je me suis donné la peine de les lire d’un bout à l’autre, puis de faire des analyses afin de déterminer si ces règles répondaient à des objectifs de politique fiscale ou si elles procédaient de la politique.

J’ai fait une comparaison. Si nous nous inquiétons des fonds de retraite, prenons le cas d’une personne qui gagne 200 000 $ par année, soit comme propriétaire d’une petite entreprise, soit comme employé. Dans le cas du propriétaire d’une petite entreprise, il s’agirait de son revenu annuel, déduction faite des dépenses.

Nous avons repris cette analyse dans notre mémoire aux Finances. Nous avons reproduit tous les graphiques et tout le reste. Si vous prenez, disons, 50 000 $ par année du revenu avant impôt de l’employé, en comparaison avec le propriétaire d’une petite entreprise, et payez l’impôt, il est vrai que la personne qui bénéficie de la déduction accordée aux petites entreprises peut constituer un portefeuille plus étoffé au bout de 25 ans que l’employé qui a un portefeuille imposable.

Cela n’est pas le cas de l’employé qui a un portefeuille enregistré. Cet employé peut prendre 26 000 $, qui est la limite de cotisation au REER et, disons, les mettre dans son remboursement. Ainsi, il peut mettre environ 38 000 $ de côté par année. Au bout de 25 ans, avant de commencer de l’encaisser, il aura environ 2,2 millions de dollars dans son REER, et c’est alors qu’il pourrait fractionner le revenu. Il aurait pu investir dans le REER du conjoint et, s’il s’agissait d’un RPA, le revenu pourrait être fractionné. Il a maintenant 2,2 millions de dollars.

L’employé a un portefeuille imposable d’un peu moins de 1,5 million de dollars. Le propriétaire d’une petite entreprise qui a bénéficié de la déduction accordée aux petites entreprises a un peu plus de 1,5 million de dollars. Au bout de 25 ans, il y a une différence inférieure à 100 000 $ entre ces deux personnes. Le propriétaire d’une petite entreprise ou le propriétaire d’une société privée qui n’aurait pas bénéficié de la déduction accordée aux petites entreprises aurait alors moins que l’employé.

L’histoire n’est pas terminée parce qu’au bout de 25 ans, j’ai de l’argent qui est à l’intérieur et à l’extérieur de la société. L’argent à l’extérieur de la société a été imposé et, à tout dire, est dans mes poches. Quant à l’argent à l’intérieur de la société, je devrai payer de l’impôt personnel lorsque je le retirerai.

Ce que nous avons fait ensuite, c’était de projeter cette situation un autre 25 ans dans l’avenir. Je touche maintenant un paiement annuel de ce fonds. Après impôt, l’employé avec un REER a environ 140 000 $ dans ses poches provenant du REER ou du régime de pension. L’employé qui avait un portefeuille imposable et qui y mettait chaque année 50 000 $ avant impôt a environ 100 000 $ après impôt dans ses poches. Le propriétaire d’une petite entreprise ayant bénéficié de la déduction accordée aux petites entreprises reçoit environ 75 000 $. Le propriétaire d’entreprise n’ayant pas bénéficié de la déduction accordée aux petites entreprises touche environ 68 000 $.

Si j’applique ensuite les mesures proposées à la situation que je viens de décrire, j’investis au départ 50 000 $ par année dans la société. Après avoir investi pendant 25 ans et au cours des 25 prochaines années de ma retraite, j’aurai, si ce texte législatif est adopté dans sa version actuelle, environ 52 000 $ par an après impôt dans mes poches. Il n’est pas possible qu’un tel résultat réponde à un objectif de politique fiscale. C’est insensé.

Nous considérons le taux de la déduction accordée aux petites entreprises et le taux applicable à l’employé et nous disons 50 ou 85 p. 100 dans les poches du propriétaire d’une société. En cours de route, nous avons complètement négligé le fait que beaucoup d’entreprises, beaucoup de sociétés privées ne bénéficient pas de la déduction accordée aux petites entreprises et qu’elles sont imposées à 27 p. 100. Nous ne cessons de comparer les gens qui bénéficient de la déduction accordée aux petites entreprises aux personnes qui sont des employés. Je pense que cette comparaison est erronée.

Le sénateur Pratte : Vos observations sont très intéressantes. Comme beaucoup des témoins qui ont déjà comparu devant nous, vous préféreriez que le gouvernement fasse une pause et procède à un examen exhaustif de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cependant, quand il a comparu devant nous, le ministre a semblé exclure ce scénario et a exprimé son intention d’aller de l’avant avec le reste des propositions.

Nous devons aussi envisager d’autres scénarios ou recommandations en vue d’améliorer les propositions actuelles et d’en atténuer les conséquences non voulues, par exemple, les idées sur le revenu passif. Devrions-nous recommander une augmentation du seuil ou d’autres possibilités pour atteindre l’objectif du gouvernement, par exemple, la répartition du revenu pour le critère de raisonnabilité?

Nous savons que vous privilégiez un autre scénario. S’il ne devait pas être retenu. Auriez-vous d’autres idées pour améliorer les propositions, si le gouvernement décidait d’aller de l’avant?

Mme Drever : Nous en avons un. Ce qui nous préoccupe grandement au sujet des propositions relatives au revenu passif, c’est qu’elles s’appliquent uniformément à tous et que c’est 50 000 $ pour tout le monde. La Loi de l’impôt sur le revenu définit ce qu’est une société exploitant une petite entreprise, à savoir une société privée dont 90 p. 100 ou plus des éléments d’actif sont utilisés dans le cadre d’une entreprise exploitée activement par elle-même ou par une société liée dont elle est actionnaire. L’uniformisation dont vous parliez n’aidera pas beaucoup d’entreprises, quelle qu’en soit la taille, ni beaucoup d’employeurs, ni même une société ayant 20 employés. Je suis de la région de la rivière de la Paix, en Alberta, où il y a une très forte concentration d’entreprises agricoles, pétrolières et gazières, et forestières. Ces sociétés achètent beaucoup d’équipement, pour des millions de dollars. La limite de 1 million de dollars n’est pas suffisante, mais elles pourraient avoir des biens d’une valeur de 20 millions de dollars inscrits dans leur bilan. La limite de leur revenu passif devrait être plus élevée que pour une société de services professionnels, par exemple.

Nous pensons qu’il devrait y avoir une exemption dans le cas de la société qui demeure une société exploitant une petite entreprise. Si elle ne satisfait pas au critère de la société exploitant une petite entreprise, il faudrait peut-être alors envisager un autre genre de seuil. À ce point-là, vous englobez les très petits entrepreneurs qui, pour l’essentiel, ont leur fonds de retraite dans leur société, ce qui semble être le problème.

Un autre problème qui concerne le revenu passif, c’est que ces règles ne devraient pas s’appliquer à la sortie des biens actifs d’une société. Si vous ne pouvez pas vendre les biens de votre société, vous serez, au fond, obligé de vendre des actions. Ce n’est pas toujours ainsi que la transaction devrait se faire. Nous devons nous pencher sur ce problème également et décider qu’une société qui vend des biens actifs ne devrait pas être assujettie à ces règles.

Pour ce qui est de l’impôt sur le revenu fractionné, j’aurais quelques questions. Pour le moment, je l’appellerai une règle refuge. Il n’y a pas de règle refuge de raisonnabilité pour les sociétés qui gagnent un revenu passif ou dont plus de 50 p. 100 du revenu provient d’un gain en capital. Cela signifie qu’au moment de sa vente des règles punitives s’appliqueront au revenu passif, mais que tout ce qui est retiré de la société sera frappé par l’impôt sur le revenu fractionné.

En ce qui concerne l’impôt sur le revenu fractionné, il devrait également y avoir une exemption qui s’appliquerait à une situation comme celle de Marie, où il y a rachat de ses actions privilégiées. Si quelqu’un détient une valeur dans une société, ou possède des actions privilégiées, il devrait pouvoir racheter ces actions privilégiées sans être assujetti à ce critère de raisonnabilité.

Quand j’ai lu ce texte législatif, j’ai eu la perception qu’on cherchait à empêcher les gens de fractionner leur revenu avec leur « conjoint » et leurs enfants en vue de financer des études. Beaucoup de sociétés appartiennent à un couple mari-femme ou encore, disons, à deux frères. Chaque actionnaire individuel de ces entités sera désormais assujetti à l’impôt sur le revenu fractionné. C’est vraiment une faille majeure de ce texte législatif.

Le sénateur Pratte : Je ne suis pas sûr si vous avez remis au comité le mémoire que vous avez adressé au ministère des Finances.

Mme Drever : Je ne l’ai pas fait.

Le sénateur Pratte : Il nous serait très utile de l’avoir.

Mme Drever : Nous pourrions l’envoyer au comité. Si nous ne l’avons pas fait, c’est qu’il compte quelque chose comme 40 pages.

Le sénateur Pratte : Néanmoins, je pense qu’il nous serait très utile. De plus, je serais très intéressé de voir le détail des calculs que vous avez faits dans le cas de Marie.

Mme Drever : Nous pourrons certainement vous le faire parvenir.

Le sénateur Pratte : Si vous pouviez l’envoyer à la greffière, j’apprécierais beaucoup. Je vous remercie à l’avance.

La sénatrice Andreychuk : Je vous remercie des exposés que vous avez faits aujourd’hui. Nous abordons le côté concret de la mise en œuvre. Nous avons appris ce qu’il pouvait en résulter, mais vous nous avez donné des cas réels. Vous nous avez aussi, entre autres choses, adressé des recommandations.

Ai-je bien compris que vous disiez que ces mesures ne visaient probablement pas les situations fiscales saines et, par conséquent, les recettes fiscales du gouvernement? Dit très simplement, elles ont été formulées en fonction d’une certaine idée de politique. Je pense que le sénateur Neufeld a signalé que nous avons obtenu du ministre quelque déclaration selon laquelle le revenu passif ne devrait pas servir à financer les retraites. Puis il y a eu certaines autres questions de politique au sujet du fractionnement du revenu qui déplaît au gouvernement.

Ce que vous avez fait ressortir, ce sont certaines des ramifications ou conséquences non voulues de ce qu’il se proposait de faire.

Mme Drever : D’accord.

La sénatrice Andreychuk : Comment démêler tout cela? Le monde des affaires a parlé sans ménagements au gouvernement. Celui-ci se dit victime d’une charge sournoise. Il n’en a pas aimé le ton. Il n’aime pas se sentir accusé. Il a répliqué avec toutes ces propositions. Le gouvernement a cédé sur un point, le point intergénérationnel. Il l’a retiré de la table, mais l’inquiétude subsiste qu’il pourrait réapparaître.

Mme Drever : D’accord.

La sénatrice Andreychuk : Le gouvernement est rapidement revenu à la charge avec deux propositions. Comme vous l’avez signalé, chacune a ses propres failles. Elles viennent s’ajouter aux autres. Ensuite le gouvernement nous dit qu’il reste moins de deux mois pour établir tous les protocoles et les directives pour l’ARC. L’ARC dit que oui, c’est très complexe, mais je suppose qu’elle devra trouver moyen de s’en sortir. Elle reçoit des directives. Comment pouvons-nous obtenir l’attention du gouvernement dans les prochains deux mois?

Le dilemme viendra du fait qu’il s’agit d’une stratégie de mise en œuvre. Il ne semble pas que la voix des entreprises ait eu beaucoup d’écho auprès du ministre pour ce qui est de changer d’idée concernant la politique.

Mme Drever : Nous croyons que ces questions devraient être mises de côté et qu’une réforme globale devrait être entreprise avec tous les intervenants concernés. Si le ministre et le ministère des Finances étaient tout à fait honnêtes au sujet de leurs buts et objectifs, ils feraient appel à des gens pour les aider à élaborer quelque chose en conséquence.

Dans les faits, nous ne savons pas vraiment quels sont ces buts et objectifs, parce que dans certains cas, les mesures prévues ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui a été énoncé. Il est très difficile pour nous, à l’heure actuelle, en tant que comptables ou que fiscalistes, d’examiner cette question et de déterminer la suite à donner de façon à ce que leurs objectifs soient atteints.

Nous ne croyons pas que ce soit le cas. Nous pensons que tout ce qu’ils ont fait, c’est de créer beaucoup d’ambiguïté et d’incertitude. Nous sommes dans une situation où les gens ne savent pas quoi faire. Il faudrait à tout le moins empêcher que ces mesures entrent en vigueur le 1er janvier.

Mme Knight : Je peux peut-être vous donner un exemple. Je crois que cela peut éclairer le contexte et nous aider à comprendre ce que vivent les Canadiens. Je parlais à un client qui est médecin et qui a une clinique. Il est arrivé au Canada, il y a 20 ans peut-être, en provenance de l’Afrique du Sud. Il avait de jeunes enfants à l’époque et il a beaucoup investi. Il vit dans une collectivité rurale. Il savait qu’il était en quelque sorte « le médecin » dans une ville où il y avait beaucoup de gens à aider, ce qui représentait une occasion à ses yeux. Il a travaillé un nombre incroyable d’heures. Il sait bien que cela a entraîné beaucoup de sacrifices pour son entourage. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, il se rend compte qu’il n’a pas vu ses enfants grandir. Il m’a fait part de sa situation. Après avoir examiné ces changements fiscaux, il s’est demandé s’il valait la peine de faire ce sacrifice, et s’il ne devait pas plutôt réduire sa pratique et mettre à pied certains de ses employés.

C’est cela qui nous préoccupe. Si un client venait à nous et nous disait qu’il souhaite procéder à un changement majeur ou se lancer dans un nouveau secteur d’activité, il vaudrait la peine de s’asseoir avec lui et de lui répéter exactement ce que Mme Drever a dit. Nous lui demanderions quels sont ses buts et objectifs. Nous lui proposerions de faire une étude de faisabilité, un examen de l’impact économique, peut-être. Nous lui suggérerions de bien comprendre les enjeux et de procéder à une réelle planification.

Nous croyons que c’est ce qui devrait être fait ici. Il devrait y avoir une étude complète de l’impact économique. Combien de clients, à l’instar du mien, réduiront leurs investissements dans les faits, ainsi que leur effectif? Quel effet cela aura-t-il sur notre économie?

La sénatrice Andreychuk : Est-il possible d’aller plus loin que le ministère des Finances? De l’autre côté, nous avons le gouvernement qui dit que la petite entreprise, la moyenne entreprise, sont l’épine dorsale de l’économie canadienne. Nous devons leur permettre de prendre de l’expansion. Elles doivent être concurrentielles dans le monde. Elles doivent être durables pour assurer l’avenir du Canada.

J’entends des ministres parler de cela, en faire la promotion partout dans le monde. Cela semble être la voie à suivre. Nous concluons des accords commerciaux dans un contexte très instable, et pendant ce temps, le ministère des Finances prend des mesures qui vont à l’encontre du but recherché.

J’essaie de voir ce qui se produit. D’accord, vous faites ceci, ce qui semble être la bonne chose à faire, mais cela sabote tout le reste. Devons-nous faire passer le message ailleurs qu’au ministère des Finances?

Mme Knight : C’est une excellente question. Plus les gens relaieront les faits, mieux ce sera. Nous avons parlé très précisément de fiscalité, mais nous n’avons pas abordé tous les accords commerciaux, l’ALENA, et tous les autres problèmes auxquels sont confrontées les entreprises, comme la taxe sur le carbone pour les agriculteurs en Saskatchewan.

L’incertitude est grande à l’heure actuelle. Je crois qu’il doit y avoir davantage de communication entre les ministères concernant les répercussions. Le défi le plus grand qui se pose dans ce cas, c’est qu’il n’y a pas suffisamment d’information à mettre en commun. Nous ne connaissons tout simplement pas l’impact économique de ces décisions.

Mme Drever et moi disions que nous n’avons jamais eu autant de clients qui nous demandent d’investir dans d’autres secteurs. Ils s’intéressent notamment à l’immobilier aux États-Unis. Ils étudient d’autres possibilités. Ils posent des questions. Ils n’en sont pas encore à prendre des décisions, parce que tout est à l’état d’ébauche pour le moment. Cela nous préoccupe beaucoup.

La sénatrice Andreychuk : Pour faire suite à ce que vous avez dit, madame Drever, je crois, il pourrait arriver qu’ils s’endettent pour éviter ce dilemme du revenu passif auquel ils font face.

Mme Drever : Oui.

La sénatrice Andreychuk : Les statistiques du gouvernement nous indiquent constamment que les consommateurs s’endettent. Autrement dit, le Canadien moyen s’endette, et le gouvernement s’endette encore plus.

Mme Drever : C’est exact.

La sénatrice Andreychuk : Et vous me dites maintenant que les entreprises s’endetteront davantage.

Mme Drever : C’est bien cela.

La sénatrice Andreychuk : C’est probablement ce qui m’a ouvert les yeux aujourd’hui : apprendre que c’est ce qui va se passer maintenant dans les entreprises. Je croyais qu’elles allaient générer des revenus, mais vous m’apprenez maintenant qu’elles vont générer des dettes.

Mme Drever : Un grand nombre d’entre elles généreront des dettes à court terme parce qu’elles essaient de prévoir ce qui va arriver. Ce qu’elles font à l’heure actuelle, c’est de s’endetter de quelques millions de dollars de plus, pour pouvoir mettre quelques millions de dollars de plus dans leur bilan, comme actifs passifs, afin de pouvoir bénéficier d’une clause de droits acquis.

La sénatrice Andreychuk : Je trouve cela effrayant.

Nous avons parlé des entrepreneurs. Certains parmi nous ne prennent pas de risques. Mes parents m’ont enseigné qu’un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Cela venait de leur éducation. Il y a tous ces autres gens qui ont l’idée folle que les agriculteurs s’adapteront. En fin de compte, ils se retrouveront avec une entreprise à Yorkton et une autre à Asquith.

Ces gens prennent des risques, mais pour chacun d’entre eux qui arriveront à résoudre le problème du revenu passif, combien feront faillite ou abandonneront leur entreprise? Combien de bonnes idées ne réussiront pas à faire leur chemin et à se transformer en petite entreprise fructueuse?

Mme Drever : C’est une question très difficile. Il s’agit de l’un des problèmes inhérents à ces mesures, car nous ne savons pas combien de personnes modifieront leur comportement en raison des conséquences fiscales.

Combien d’entreprises ne verront pas le jour? Combien d’entreprises ne parviendront pas à se développer? Combien de gens ne feront pas cet effort supplémentaire parce qu’ils sont incertains et qu’ils craignent d’être imposés à un taux de 73 p. 100? Comment voulez-vous réussir si vous devez verser au gouvernement la grande majorité de votre revenu?

La sénatrice Andreychuk : Merci de nous avoir fait part de ces cas pratiques. Je crois que nous avons du pain sur la planche.

Le sénateur Oh : Merci aux témoins d’avoir comparu devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Avant que nous prenions la route et depuis, le message que nous avons reçu et que nous recevons des Canadiens est clair et net. Nous n’avons entendu personne parler d’appuyer les réformes fiscales. Tout ce que nous entendons, ce sont des inquiétudes. Il semble que chaque jour, nous constatons que de plus en plus de taxes nous sont imposées. Je vous remercie de ce rapport très instructif concernant la vraie classe moyenne et les petites familles au Canada.

J’ai une question à vous poser au sujet du document de consultation publié en juillet par le ministère des Finances du Canada. En ce qui a trait aux changements proposés concernant la conversion du revenu en gains en capital, le gouvernement a décidé de ne pas y donner suite en raison des répercussions qu’ils auraient sur le transfert intergénérationnel des entreprises familiales. Pouvez-vous nous indiquer comment le gouvernement pourrait améliorer la capacité des familles de transférer leurs entreprises d’une génération à l’autre? Je crois que cela concerne dans une large mesure la Saskatchewan.

Mme Drever : Il s’agit en fait d’une question fiscale très technique. Les dispositions dont nous parlons sont celles de l’article 84.1. Si vous tentez de transférer des actions d’une société à une autre société qui appartient à quelqu’un qui vous est apparenté, si ces sociétés sont liées ou s’il existe un lien de parenté entre leurs propriétaires, les taux d’imposition des dividendes s’appliquent. Vous pouvez vendre vos actions à une société ouverte, ou encore à votre voisin ou à quelqu’un qui n’est pas parent avec vous. Si j’essayais de vendre une entreprise qui vaut 1 million de dollars, je paierais environ 40 000 $ d’impôt en vendant cette entreprise à mon voisin ou à une société ouverte, parce que j’obtiendrais une exemption pour gains en capital.

Toutefois, si je souhaitais vendre cette entreprise à mon enfant, je paierais plus de 450 000 $ d’impôt, ou je pourrais choisir de payer l’impôt au taux s’appliquant aux gains en capital, soit 240 000 $, ce que ces nouvelles dispositions ne permettent pas de faire. À l’heure actuelle, nous faisons beaucoup de planification fiscale lorsque nous nous occupons de la relève des entreprises familiales, afin de nous assurer qu’elles ne paieront pas plus que ces 240 000 $ pour le transfert d’une entreprise d’une valeur de 1 million de dollars. Elles continuent toutefois d’être grandement désavantagées par rapport aux 40 000 $ d’impôt qu’elles paieraient si elles vendaient l’entreprise à quelqu’un d’autre.

Deux projets de loi émanant de députés ont été présentés à la Chambre, les projets de loi C-691 et C-274. Ces deux projets de loi comportaient beaucoup d’éléments positifs. Je crois que nous devrions y revenir et les étudier. L’un d’eux prévoyait un délai de cinq ans, et l’autre, un délai de deux ans. Nous voyons les avantages que comporte l’imposition d’un délai à cet égard. Cela contribuerait à réduire les problèmes qui pourraient se poser, mais nous ne croyons pas qu’un délai de cinq ans soit une bonne chose. Nous ne croyons pas que cela soit raisonnable, parce qu’à la fin des cinq années, le rendement au moment de comptabiliser ce gain est déjà prescrit par la loi. Le délai de cinq ans ne fonctionne pas réellement. Le délai ne devrait pas dépasser trois ans, ce qui correspond à la période de prescription. Un délai de trois ans semble aussi très logique, parce que dans le contexte agricole, il permet le transfert d’une génération à l’autre. Tant que ces actions ou ces terres ne sont pas vendues pendant ces trois années, le transfert libre d’impôt est possible. Dans le contexte agricole, nous avons déjà un concept de trois ans. Il serait raisonnable que nous fassions quelque chose selon un critère de trois années.

Si nous envisageons une réforme fiscale globale, cela doit aussi être sur la table. Ces changements sont toujours prévus à l’article 84.1. Nous souhaitons ne jamais revoir ce que contenait l’article 246.1, parce que ces dispositions étaient un véritable cauchemar lorsqu’il fallait déterminer ce qu’elles englobaient. Si vous lisez le projet de loi, il semble bien que chaque élément soit pris en compte. Chaque sortie de fonds d’une entreprise, même en tant que prêt aux actionnaires, pourrait donner lieu à une nouvelle cotisation par l’ARC. Selon le ministère des Finances, cela n’était pas prévu, mais les Finances et l’ARC sont des entités distinctes.

La sénatrice Marshall : Nous avons l’article 84.1 Il n’est pas modifié, n’est-ce pas?

Mme Drever : Oui.

La sénatrice Marshall : Laissons cela de côté. Nous nous en occuperons plus tard.

Mme Drever : D’accord.

La sénatrice Marshall : J’ai trouvé très intéressants les exemples que vous avez donnés tout à l’heure, et tous les chiffres que vous avez mentionnés. Je ne les ai pas notés.

Si je comprends bien ce que vous avez dit, les exemples fournis par le ministère des Finances dans le document de recommandation ne tracent pas un portrait complet. Est-ce bien cela que vous avez dit?

Mme Drever : C’est exact. C’est ce que j’ai dit.

La sénatrice Marshall : Certains des autres mémoires présentés ont indiqué la même chose. Je ne sais pas si vous avez pris connaissance de celui soumis par CPA Canada, qui mentionnait des choses assez similaires.

Mme Drever : Vous avez raison.

La sénatrice Marshall : Je sais que vous allez remettre une copie de votre mémoire au ministère des Finances, mais est-ce que ces exemples en font partie? Vous avez mentionné beaucoup de chiffres.

Mme Drever : Oui.

La sénatrice Marshall : J’ai trouvé cela très intéressant, mais est-ce que ce mémoire comprend les exemples?

Mme Drever : Il comprend les exemples et présente tout cela sous forme de graphiques.

La sénatrice Marshall : Parfait. Lorsque je regarderai la transcription de votre témoignage d’aujourd’hui, je devrais pouvoir suivre dans votre mémoire.

Mme Drever : C’est exact.

La sénatrice Jaffer : Tout cela est absolument fascinant. Nous avons appris beaucoup de choses. Veuillez vous assurer de nous remettre votre mémoire, afin que nous puissions vraiment l’étudier.

Nous avons comme mandat de faire des recommandations. Madame Drever, vous avez parlé de certaines choses qui concernent précisément le revenu passif. Si elles ont les effets que vous avez mentionnés, elles doivent en avoir d’autres aussi.

Pouvez-vous nous faire des recommandations? Vous êtes les expertes et vous devriez nous dire ce que nous devrions recommander. Si le ministre décide d’aller de l’avant, il devrait à tout le moins pouvoir étudier A, B et C?

Mme Drever : Oui.

La sénatrice Jaffer : Cela nous aiderait beaucoup si vous pouviez toutes les deux nous faire des recommandations. Évidemment, nous les étudierons, mais elles devraient nous aider. Vous êtes les expertes. Ce serait donc bien d’avoir votre avis.

Mme Drever : Oui.

La sénatrice Jaffer : Je suis désolée de vous donner plus de travail.

Mme Drever : Non, ce n’est pas grave. Nous abordons quelques brèves questions techniques à la toute dernière page. Certaines d’entre elles sont incluses, mais nous vous ferons part de nos suggestions, absolument.

La sénatrice Jaffer : Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour examiner cela, mais je suis réellement intéressée par vos deux propositions, parce qu’il s’agit de quelque chose dont nous entendons parler partout. La dernière proposition serait simple et facile à appliquer au niveau administratif pour les propriétaires de petites entreprises. Je souris parce que partout où nous sommes allés, on nous a demandé de simplifier les choses, mais chaque fois qu’il est question de la Loi de l’impôt sur le revenu, cela devient de plus en plus compliqué.

Mme Drever : C’est exact.

La sénatrice Jaffer : À quoi songiez-vous?

Mme Drever : La Loi de l’impôt sur le revenu dans sa forme actuelle découle de la réforme fiscale de 1972. Je vais utiliser une analogie. Disons que la loi de 1972 est un pneu de vélo. Ce pneu a subi tellement de crevaisons, qu’on ne le voit plus. Tout ce qu’on voit, ce sont les rustines. Chaque fois que nous adoptons une nouvelle loi, nous nous contentons d’apporter un nouveau correctif pour faire en sorte que quelque chose arrête de se produire ou pour tenter de faire réagir la société d’une certaine façon.

Notre pneu de vélo est tellement mal réparé, qu’il est presque méconnaissable. Je crois que nous devrions procéder à une réforme fiscale globale. L’une des conditions de la réforme doit être la simplicité. Nous devons revenir à cela.

J’ai entendu un des témoins parler des nombreuses personnes qui tentent de distinguer les virgules et les points-virgules qui s’appliquent dans leur cas. La Loi de l’impôt sur le revenu est très complexe. J’ai passé une vingtaine d’années à travailler dans le domaine fiscal, et il m’arrive encore parfois de prendre connaissance de dispositions législatives qui me donnent mal à la tête parce qu’elles sont trop complexes. Cela est excellent pour les comptables et pour les avocats-fiscalistes, mais ce n’est vraiment pas bon pour la population en général.

La sénatrice Jaffer : C’est incroyable. Je vous remercie.

Le sénateur Mockler : Madame Knight et madame Drever, vous nous avez certainement bien informés et éclairés, voire même éduqués. Merci beaucoup de nous avoir fait part de votre opinion. Nous déposerons notre rapport final le 15 décembre. Si vous souhaitez ajouter quelque chose entretemps, n’hésitez pas à envoyer vos documents à la greffière.

Notre prochain groupe de témoins est composé de Todd Lewis, président de l’Agricultural Producers Association of Saskatchewan, et de Terry Youzwa, un agriculteur indépendant.

Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Vous pouvez faire part de votre vision, de vos observations et de vos opinions au comité.

J’ai été informé par la greffière que M. Lewis fera le premier exposé, qui ne devrait pas durer plus de cinq minutes, mais il y a une certaine latitude, et ce sera la même chose pour M. Youzwa. Ensuite, les sénateurs poseront des questions.

Monsieur Lewis, la parole est à vous.

Todd Lewis, président, Agricultural Producers Association of Saskatchewan : Bienvenue en Saskatchewan et merci de nous rendre visite dans notre belle province. J’espère que vous profitez bien de ce début d’hiver.

Je parlais à mon frère, ce matin, et à pareille date l’an dernier, c’était notre meilleure journée pour moissonner, à 17 degrés. C’était bien différent il y a un an. Nous avions encore beaucoup de récoltes à faire à la fin de novembre. Nous avons eu la chance d’avoir du temps clément, mais en général, l’hiver arrive tôt ici.

Je représente l’APAS, l’Agricultural Producers Association of Saskatchewan. Nous sommes l’organisme général qui représente les agriculteurs de la Saskatchewan. Nous avons des liens étroits à l’échelle nationale avec la Fédération canadienne de l’agriculture. Notre mandat est de parler d’une même voix pour les agriculteurs de la Saskatchewan. Nous comptons des milliers de producteurs agricoles dans notre groupe. Nous nous plaisons à dire que la chose la plus importante pour nous, c’est la politique agricole. C’est notre raison d’être.

Il est certain que la politique fiscale a aussi suscité un grand intérêt ici au cours des 90 derniers jours. Nous avons été très surpris d’en prendre connaissance de cette façon. Je crois que les agriculteurs étaient déçus de voir à quel point le calendrier était serré ou comprimé. Il s’agit d’une période chargée dans la saison pour nous. Nous avons certainement résisté assez fort à ce qui était proposé.

La Fédération canadienne de l’agriculture n’a pas été en mesure de rencontrer votre groupe, mais elle lui a soumis sa proposition. Vous pouvez vous y reporter pour un grand nombre des questions techniques qui ont été soulevées.

Près de 25 p. 100 des fermes familiales en Saskatchewan sont constituées en société, mais cela ne veut pas dire que ce ne sont pas des fermes familiales. La ferme familiale est ce qui a fait le succès du secteur agricole, et cela continuera d’être ainsi. Il est important de s’en souvenir dans ce contexte.

Plus de 50 milliards de dollars d’actifs agricoles canadiens vont être transférés à la prochaine génération. Une grande partie de ces transferts auront lieu en Saskatchewan. Nous possédons plus de 40 p. 100 des terres arables du pays. Il s’agit d’un fardeau fiscal énorme, ce qui explique pourquoi les agriculteurs se sont montrés si enthousiastes au sujet de certaines de ces propositions.

En ce qui a trait au critère du caractère raisonnable de la répartition du revenu, l’enjeu le plus grand pour les familles d’agriculteurs est qu’il ne s’agit pas d’un emploi de neuf à cinq. Il s’agit plutôt d’un travail difficile, de cinq à neuf, sept jours par semaine ou 365 jours par année. Il faut que le critère du caractère raisonnable ne soit pas trop subjectif. Nous sommes à la recherche de règles qui peuvent être adaptées. Chaque famille d’agriculteurs est différente. Il n’y a pas de solution pouvant s’appliquer à tous les cas. De toute évidence, il faut tenir compte de la façon dont ces familles vivent à la ferme. Dans de nombreux cas, elles sont isolées. Elles sont loin des services. Des choses comme des services de garde pour les enfants ou des services similaires ne sont pas disponibles. Les places en garderie dans les régions rurales de la Saskatchewan sont très limitées.

Si ce critère devient trop subjectif et trop difficile à respecter dans bien des cas, les familles ne pourront plus vivre sur leur ferme. Elles devront vivre dans des villes plus grandes pour pouvoir se permettre des services de garde et des services similaires. Si le critère adopté par l’ARC est trop subjectif, il ne sera pas appliqué de façon uniforme. Nous sommes à la recherche de critères qui pourront s’appliquer à une gamme variée de situations à l’échelle d’une province comme la Saskatchewan. Nous avons plus de 30 millions d’hectares de terres cultivées, auxquels viennent s’ajouter les prairies. Il s’agit d’une superficie énorme. Il est difficile de faire entrer les familles d’agriculteurs dans la même case, c’est certain.

En ce qui a trait aux investissements passifs, il y a certainement beaucoup d’inquiétude. Nous sommes très capitalisés. Il n’est pas rare de nos jours qu’une petite exploitation agricole ait une valeur de 3, 4 ou 5 millions de dollars sur papier. Beaucoup d’agriculteurs sont très riches en actifs, mais pauvres en liquidités.

Les prix des terres ont augmenté. J’exploite moi-même une ferme de cinquième génération. Nous avons des terres dans notre entreprise familiale que mon arrière-grand-père a achetées 2 $ ou 3 $ l’acre. Ces terres valent maintenant 3 000 $ l’acre. Elles n’ont jamais été cultivées. Si nous devons payer des impôts sur ce montant chaque fois qu’un transfert se produit, notre facture fiscale sera élevée. Nous avons réussi avec succès à transférer nos activités à la troisième génération. J’appartiens à la quatrième et, comme je l’ai dit, nous avons maintenant une ferme de cinquième génération. Je souhaite pouvoir la transmettre à la sixième. Si nous devons payer une grosse facture d’impôt chaque fois qu’un transfert se produit, il ne restera pas grand-chose pour mes petits-enfants, c’est certain.

En ce qui a trait aux investissements passifs, pour beaucoup d’agriculteurs, il s’agit d’une part importante de leur retraite. Du fait des valeurs élevées des terres, notamment, les terres louées au comptant sont chose courante à l’heure actuelle. Si un agriculteur ne cultive plus sa terre et que celle-ci est considérée comme un investissement passif, la facture fiscale pourrait être énorme pour ceux qui reçoivent un loyer en argent à l’hectare. S’ils ont un taux d’imposition élevé, cela les obligera à vendre. L’une des principales sources de terres pour les jeunes agriculteurs et les personnes qui entrent dans le secteur est la location de terres agricoles de leurs voisins, dans le cadre de ce genre d’arrangements.

J’ai parlé un peu des transferts intergénérationnels. Le fait de pouvoir transférer des terres de père en fils ou en fille ou de mère en fils ou en fille est l’épine dorsale de notre industrie. Pour la première fois depuis longtemps, lors du dernier recensement, on a noté un plus grand nombre de jeunes s’intéressant à l’agriculture. Le secteur est prospère. Dans toutes les statistiques et tous les chiffres que nous consultons, nous constatons que l’agriculture sera un moteur économique important pour l’avenir. Elle joue certainement ce rôle dans notre économie provinciale, et je crois qu’elle a aussi fait sa place comme moteur important de l’économie canadienne.

Je souhaite que les exploitations agricoles demeurent des unités familiales. Une unité familiale peut compter 10 000, 15 000 ou 20 000 hectares. Il s’agit toujours d’une entreprise agricole familiale. Les économies d’échelle en agriculture sont comme dans n’importe quelle autre industrie, mais les fermes familiales demeurent la base ou continuent de représenter la grande majorité de ses nombreuses exploitations. Il est très important de déterminer la façon de les traiter au moment des transferts générationnels, si nous voulons que l’agriculture familiale se poursuive.

Le sénateur Mockler : Merci.

Monsieur Youzwa, la parole est à vous.

Terry Youzwa, agriculteur indépendant, à titre personnel : Merci d’avoir accepté cette tâche et de nous donner l’occasion de nous prononcer à ce sujet et de faire entendre notre message, par votre entremise, ainsi que par tous les autres moyens qui s’offrent à nous.

J’interviens aujourd’hui à titre d’agriculteur indépendant. J’ai siégé à diverses organisations agricoles pendant plus de 25 ans. Je continue d’être administrateur de Cereals Canada et je suis l’ancien président du Conseil canadien du canola.

J’ai fait circuler deux documents. L’un d’eux est un article d’opinion que j’ai rédigé en septembre et qui a été publié dans le Financial Post. L’autre a été élaboré ces derniers jours pour être plus d’actualité.

Sachez que je suis un Canadien fier d’être intervenu dans le secteur agricole bien au-delà de sa collectivité. Je ne vois pas cela comme un enjeu politique. Pour moi, il s’agit davantage d’une question de bonne ou de mauvaise décision, alors que le gouvernement envisage de changer la structure de notre pays.

Comme vous le savez tous, lorsqu’il est question de réforme exhaustive des lois fiscales, et cette réforme est la plus importante en 50 ans, il faut consulter les experts financiers. Nous en avons entendu quelques-uns ici plus tôt. Leur intervention était très opportune et a été très appréciée. Je suis heureux d’avoir pu assister à leurs présentations. Vous devez les consulter d’abord, afin que les problèmes soient résolus avant la mise en œuvre. Les experts financiers sur lesquels nous comptons nous donnent des conseils. Ils interprètent la loi de la même façon que le gouvernement et le ministère des Finances. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est produit depuis le début de ce processus. Cela est très frustrant pour ceux d’entre nous qui exploitent des petites entreprises.

Après son attaque à l’endroit des petites entreprises, pendant 75 jours durant les récoltes, comment peut-on se fier aux déclarations du gouvernement au sujet des améliorations? Au départ, jamais une réforme aussi imparfaite n’aurait dû être proposée. Où est l’analyse des répercussions économiques?

Le ministre Morneau m’a appelé en septembre. Au fait, je suis Terry le fermier. Il s’est servi de moi comme coup médiatique pour faire de la publicité. Je crois que cela a plutôt eu l’effet contraire, car cela m’a donné l’occasion de faire davantage entendre ma voix. J’ai répété à de nombreuses reprises dans des entrevues que c’est le Golgotha. Je ne vais certainement pas me taire sur cette question.

Quoi qu’il en soit, nous avons constaté au moment de cet appel téléphonique qu’il y avait un écart énorme entre ce que le ministère des Finances concoctait à ce moment-là et la façon dont les experts financiers interprétaient les propositions. La situation est la même aujourd’hui, parce que nous n’avons toujours pas les dispositions législatives détaillées. Quand seront-elles disponibles pour que nous puissions les examiner attentivement? Nous nous retrouvons dans la situation où nous recevons des communiqués de presse remplis de belles paroles, mais en fait, c’est plutôt : « Croyez-moi, je suis du gouvernement et je suis ici pour vous aider », ce qui ne nous rassure pas vraiment.

Pourquoi le ministère des Finances continue-t-il, comme il l’a vraiment fait tout au long de ce processus, à gaspiller le temps, l’énergie et les ressources des experts financiers de tout le pays?

Parlons maintenant du stress auquel ont été soumis tous les propriétaires de petites entreprises, du fait de l’absence de consultations, d’étude et de démarche appropriées.

Parlons des conséquences imprévues. S’il s’agissait d’un bon plan, les conséquences imprévues auraient été étudiées et prises en compte avant la mise en œuvre. Nous devons croire qu’il s’agit d’objectifs. Autrement, les choses auraient été corrigées. Il est à prévoir qu’au rythme où vont les choses, d’autres feront surface au cours des prochains mois.

Par suite de la révolte qu’a suscitée la réforme fiscale, nous commençons à voir le gouvernement faire marche arrière relativement à un certain nombre de ces initiatives. Si cette révolte n’avait pas eu lieu, la situation aurait été encore pire. Il semble que le gouvernement a lancé un gros ballon d’essai, a reculé un peu et est déterminé à nous faire avaler le reste de force.

Quel genre de gouvernement sème les graines d’une lutte des classes dans notre grand pays? Pourquoi susciter une situation si chaotique pour si peu de revenus?

Chaque ménage, chaque gouvernement et chaque entreprise doit équilibrer les deux côtés de son grand livre. Il n’est pas possible de s’occuper d’un aspect et de laisser l’autre de côté. Il faut examiner les revenus et les dépenses et faire en sorte qu’ils concordent. Ce n’est pas sorcier. Il s’agit seulement de bon sens. Il est fondamentalement erroné de mettre les personnes et les entreprises privées sur le même pied.

Je remercie le gouvernement d’avoir abaissé l’impôt des petites entreprises. Cela favorisera la compétitivité et encouragera les investissements. Toutefois, dans les faits, en raison de l’harmonisation, lorsque vous faites des retraits personnels, vous vous retrouvez avec le même taux d’imposition que les particuliers. Je remarque que le gouvernement a commencé à parler un peu moins de cette question et à ne plus en faire mention dans ses allocutions. Cela n’a jamais eu aucune valeur.

Il faut que le Canada permette aux Canadiens de se préparer au succès. Nous sommes en concurrence à l’échelle mondiale pour le capital, les talents et la qualité de vie. L’objectif du gouvernement devrait être de faciliter ce processus. Il semble plutôt se concentrer sur les domaines où il pourrait imposer davantage de taxes.

Les gens et le capital sont mobiles. Nous devons être concurrentiels au pays et à l’étranger. Pourquoi compromettre tout cela? Vous venez d’entendre deux expertes parler des petites entreprises qui prennent un temps d’arrêt. C’est vraiment là où nous en sommes.

Il y a un an, mon fils a quitté son emploi à temps plein avec un chèque de pension de retraite pour rentrer à la maison et faire de l’agriculture. Un nuage de plus plane au-dessus de nos têtes, et il est assez noir à l’heure actuelle en raison de tous les changements qui sont dans l’air.

Notre avenir n’est pas aussi brillant qu’il y a un an. Nous tenons le coup. Nous sommes coincés dans une situation attentiste, jusqu’à ce que nous sachions quelles sont les règles et comment nous pouvons y faire face. Nous ne savons toujours pas. Il nous reste la solution de continuer à mettre de la pression sur les députés libéraux pour essayer d’être entendus.

Il a été dit que l’exonération cumulative des gains en capital serait protégée. Les experts financiers sont d’avis que l’accent sera mis sur les transactions entre les parents et les enfants. Ils s’inquiètent aussi des transferts entre frères et sœurs. Lorsqu’un agriculteur souhaite acheter l’exploitation de son frère, cela est considéré comme un dividende réputé plutôt que comme un gain en capital, avec un taux d’imposition supérieur.

Il y aura toujours des incitatifs à vendre à une tierce partie puisque le ministère des Finances ne reconnaît pas les transferts entre frères et sœurs comme des opérations sans lien de dépendance. De nombreux détails sur l’admissibilité à l’exonération cumulative des gains en capital demeurent inconnus. Cela fait partie du manque de diligence qui a été noté. On nous dit qu’ils sont protégés, mais selon les règles d’admissibilité, cela pourrait ne pas fonctionner dans certains cas. On ne sait rien de tout cela.

L’agriculture est une entreprise à forte intensité de capital, riche en actifs et pauvre en liquidités. Nous devons céder des actifs pour payer des impôts, chaque fois que nous transférons des terres. Nous n’avons plus la masse critique nécessaire, non seulement pour soutenir notre entreprise, mais aussi pour la préparer au succès. Si de nombreux facteurs sont laissés de côté, les agriculteurs seront incités à vendre à des sociétés publiques ou des tiers, plutôt qu’à des membres de leur famille.

La répartition du revenu, c’est jouer sur les mots. Un conjoint doit fournir une garantie personnelle à l’entreprise. Il ressent les effets de la perte d’argent par l’entreprise. Il se peut qu’il ne soit pas en mesure de travailler pour pouvoir soutenir l’entreprise au besoin, même s’il n’en tire pas un salaire régulier. En cas de rupture du mariage, le conjoint obtient la moitié de l’entreprise. Un conjoint est réellement un preneur de risques dans l’entreprise. Par conséquent, il devrait être exempté de ces critères de caractère raisonnable et des nouvelles règles de répartition du revenu. On peut se demander si le coût du contrôle de la conformité aux critères de caractère raisonnables est justifié.

J’ai quelques commentaires à faire au sujet du revenu passif. Un agriculteur possède des terres au sein d’une entreprise. Beaucoup d’entre nous se trouvent dans cette situation. Il ne cultive plus. Je me préparais à la retraite et je n’avais pas de successeur. J’en étais là, mais mon fils a changé d’avis et est rentré à la maison, il y a un an. C’est une bonne nouvelle, mais cela aurait été ma situation. Il loue maintenant ses terres, et c’est son revenu pour la retraite. C’est là que se trouvent ses actifs. Les règles proposées concernant le revenu passif feront en sorte qu’il paiera 73 p. 100 d’impôt sur les terres au-delà de son revenu de 50 000 $.

Quels autres retraités sont assujettis à ce taux d’imposition? Est-ce que ce sont les employés de l’État, les employés des sociétés publiques, les professeurs et les députés? Qui paie 73 p. 100 d’impôt à la retraite? Quel genre de pays ce gouvernement recherche-t-il?

Pourquoi aucune de ces dispositions concernant le revenu passif ne s’applique-t-elle pas aux sociétés publiques? S’agit-il d’un autre objectif? On semble vouloir nuire aux petites entreprises, et non pas les aider.

En conclusion, je dirais que si vous voulez poursuivre cette réforme fiscale, prenez un temps d’arrêt et faites ce qu’il faut, et surtout, consultez les experts financiers, afin que les dispositions législatives et la mise en œuvre soient cohérentes et que les conséquences imprévues soient moins grandes. L’exonération cumulative des gains en capital comporte de nombreuses répercussions pour l’avenir de nos fermes familiales. Je le répète, consultez les experts financiers, afin d’atténuer ces risques, d’accorder une exemption complète aux conjoints en ce qui a trait aux nouvelles règles sur la répartition du revenu et des dividendes, et dites-moi que le gouvernement ne peut pas avoir comme objectif de saboter les plans de retraite de personnes qui ont travaillé 30 ou 40 ans pour y arriver.

Les petites entreprises sont un puissant moteur économique. Nous devrions faciliter leur réussite, et non pas essayer de les imposer davantage. Merci.

Le sénateur Mockler : Merci, monsieur Youzwa. Je ne vous ai pas appelé Terry le fermier, mais bien M. Youzwa.

La sénatrice Marshall : Dans votre allocution d’ouverture, vous avez parlé de l’analyse des répercussions économiques. Rien ne figure dans les propositions originales, ni dans les propositions révisées. Nous ne savons pas quelles seront les répercussions sur l’économie ou sur les particuliers.

Ma préoccupation à titre de membre du Comité des finances est que nous soyons mis en présence d’un projet de loi d’exécution du budget, que nous aurons deux semaines pour étudier. Ce sera très complexe.

Nos témoins précédents ont parlé de ce que font les particuliers en prévision des changements. J’ai deux questions. La première est la suivante : que font les familles d’agriculteurs en prévision des changements? Est-ce qu’elles restent là à attendre, ou est-ce qu’elles vendent leurs terres ou empruntent de l’argent pour mettre de côté des actifs passifs, en pensant que tout cela sera protégé par des droits acquis? Nous ne savons pas si ce sera le cas, mais y a-t-il des choses de ce genre qui se passent? Est-ce que les agriculteurs parient sur ce qui va arriver?

M. Youzwa : Je crois que les gens continuent de se poser des questions dans un mode d’attente. Vous verrez beaucoup plus d’activités au cours des trois dernières semaines de décembre, lorsque nous en saurons un peu plus au sujet des nouvelles règles. Pour notre part, nous sommes en mode attente.

Tout dépend réellement de la situation de chacun. Si vous êtes déjà dans une situation de société de portefeuille et de société exploitante, les questions que vous devez vous poser sont différentes. Il n’est tout simplement pas possible d’exercer une diligence raisonnable, parce que le gouvernement n’a pas fait preuve de diligence raisonnable.

La sénatrice Marshall : Dans l’un ou l’autre cas, vous n’avez pas les renseignements nécessaires. Pour ce qui est de vous, il y a un an, vous ne pensiez pas que votre fils allait revenir. Vous auriez pu vous retrouver dans la situation où vous auriez vendu vos terres. Maintenant que votre fils est revenu, cette option n’est plus possible. Je m’intéresse à ce que font les autres. Que font les autres agriculteurs?

M. Lewis : Ce que j’entends de nos membres s’apparente beaucoup à ce que dit M. Youzwa. On est en attente. Pendant l’été et à l’automne, un grand nombre d’agriculteurs, qui étaient en pleine récolte, devaient discuter au téléphone avec leur comptable pour savoir ce que cela signifiait pour eux. Lorsque les annonces ont été faites, ils ont complètement fait marche arrière pour certaines des propositions. On a beaucoup parlé des changements à venir, sans que cela soit totalement clair. On ne savait pas très bien ce qui allait se passer.

Je dirais aussi que nous sommes en mode attente. Nous attendons de voir ce qui se produira. Au bout du compte, certaines décisions seront prises, mais l’échéancier sera extrêmement serré. De la façon dont les choses se présentent, je ne crois pas que les comptables soient certains non plus de ce qui se produira.

Vous pouvez vous adresser à nos membres. L’un d’entre eux a envisagé la possibilité de consulter trois comptables différents et en vue d’obtenir trois réponses différentes concernant les éventualités et ce qui pourrait se produire.

La situation est difficile. Il est certain que les agriculteurs essaient toujours des choses. Nous sommes des planificateurs. Nous planifions la récolte de l’année prochaine. Nous planifions le retour de nos fils à la ferme et des enfants à l’école, par exemple. Tout cela vient compromettre ces plans.

Dans le dernier recensement, il était question des plans de relève. Je pense qu’en fait, moins de 12 p. 100 des agriculteurs en avaient un. On pourrait dire que maintenant, ce sera pratiquement aucun, vu que personne ne sait vraiment quelles seront les conséquences de ces règles et ce qu’il en ressortira.

On a dit que le gouvernement allait y renoncer. Nous espérons que c’est bien le cas. C’est ce que nous voudrions croire, mais quand nous parlons aux comptables, ils ne sont pas sûrs du tout qu’il n’y aura pas d’autres modifications ou que certains des changements proposés ne vont pas bouleverser les plans des gens. Dans bien des cas, ces plans sont en place depuis des décennies. Cela a vraiment changé les choses.

La sénatrice Marshall : Certains des témoins que nous avons entendus espèrent que ces mesures seront retirées, comme certaines autres propositions l’ont été. Le ministre, M. Morneau, a témoigné devant nous, la semaine dernière et nous avons l’impression qu’il tient absolument à ce que ces changements soient adoptés.

Même si nous ignorons les détails concernant le revenu passif, nous savons certaines choses. Nous savons qu’il y a une limite de 50 000 $. Cela peut nous donner une idée de ce que seront les droits acquis.

Que feront les agriculteurs, selon vous, si les choses se passent comme nous nous y attendons?

M. Lewis : Ils vont prendre des décisions. Nous espérons qu’au moins ce sera clair et définitif de façon à ce que nous sachions sur quel pied danser. Si l’incertitude persiste, des gens prendront, dans 6, 12 ou 18 mois, des décisions qui ne seront pas les bonnes parce qu’ils n’auront pas su clairement quelles étaient les intentions du gouvernement ou ce qui allait se passer.

L’un des principaux risques est que les gens prennent des décisions en fonction de ce qui pourrait se produire ou de ce qu’ils espèrent. L’incertitude représente une grosse partie du problème.

M. Youzwa : J’ai parlé hier à un comptable qui travaille chez MNP. Il m’a aidé à évaluer certaines décisions que j’ai prises. Les comptables ne savent pas vraiment quels seront les droits acquis.

La sénatrice Marshall : C’est exact.

M. Youzwa : Nous ignorons quand cela va commencer, comment ce sera appliqué, ce qui sera visé ou non et quels seront les critères d’admissibilité. Si nous ignorons tout cela, comme vous en avez parlé avec le groupe précédent, c’est un pari risqué. Si vous transférez le maximum dans votre portefeuille passif, s’agira-t-il de revenus passifs existants ou aurez-vous un certain délai pour faire ce transfert? Il faut attendre. Vous ne pouvez pas décider maintenant en toute connaissance de cause.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie infiniment de votre présence aujourd’hui et du travail que vous accomplissez.

Comme le savent mes collègues, je viens d’une famille de producteurs d’œufs de la région d’Abbotsford. Un des sujets dont on n’a pas parlé ici est que les agriculteurs vendent leurs fermes. Ce n’est pas dans notre mentalité. Pour nous, il n’est pas question de vendre. Nous gardons notre ferme pendant cinq ou six générations, comme vous l’avez dit. Nous voulons la garder éternellement. Nous ne voulons pas la vendre, mais nous sommes forcés de le faire pour payer notre facture d’impôt sur le revenu. Nous ne pouvons plus posséder une ferme parce que nous n’en avons plus les moyens.

Comme vous êtes des agriculteurs activistes, autrement dit, vous militez au sujet de ces enjeux, la grande question est de savoir à quoi ressemblera notre pays si nous n’avons pas d’agriculteurs? Comme vous le savez, un agriculteur est une personne d’un genre particulier. Je ne le répéterai pas, mais nous faisons les choses autrement. Nous avons consenti certains sacrifices parce que c’était dans l’intérêt de la ferme. Tout tourne autour de la ferme. Nous nous imaginons qu’elle restera éternellement dans la famille.

Ma famille n’est pas ici depuis aussi longtemps que la vôtre, mais c’est toujours notre ferme. C’est un sujet dont il faudrait également parler. Nous céderons nos fermes pour payer les impôts. La famille cédera sa ferme pour payer les impôts. Je voudrais connaître vos opinions à ce sujet.

M. Lewis : Merci de le mentionner. Vous avez parfaitement raison. J’ai parlé, en partie, de la capitalisation de l’agriculture moderne. C’est une grande entreprise, mais en même temps, c’est une entreprise très risquée.

Une famille assume ce risque, un membre de la famille qui travaille jusqu’à minuit, ou deux ou trois heures du matin, qui va aider un veau à naître à quatre ou cinq heures du matin dans le blizzard, et ce genre de choses. Ce sont les membres de la famille qui le font, et non pas un employé ou quelqu’un qui est payé 8 $ ou 12 $ de l’heure.

C’est à la ferme familiale que l’on doit le succès de l’agriculture au Canada. Pour que le secteur agricole continue de prospérer et de croître, nous devons préserver ce modèle. Il faut que nous puissions le soutenir. Il y a beaucoup de capitaux à la recherche d’investissements. Les terres agricoles constitueront un placement de plus en plus attrayant pour les gros investisseurs au Canada. Les gens veulent ces terres. Ils reconnaissent la validité du rapport Bart et d’autres. L’agriculture est un secteur d’avenir. On en est conscient.

Les gens qui veulent se lancer dans l’agriculture ont de nombreuses difficultés à surmonter, mais c’est la cellule familiale qui permet de réussir. Elle doit trouver le moyen de prospérer et de perdurer parce que le succès de l’agriculture en dépend.

M. Youzwa : Il est très opportuniste de la part du gouvernement d’avoir choisi ce moment pour réexaminer l’exemption pour gains en capital et la façon dont elle s’applique. De nombreuses terres vont être cédées d’une génération à l’autre au cours des 10 prochaines années.

S’il est plus rentable pour les agriculteurs de vendre à un tiers plutôt qu’à leur propre famille, quel est l’objectif du gouvernement? Qui veut-il voir cultiver la terre à l’avenir? Les entreprises publiques ont d’autres avantages. Les sociétés étrangères pourraient commencer à jouer un rôle plus important.

Il y a un tout autre aspect de l’imposition du revenu passif dont on n’a pas encore parlé. Le Régime de pensions du Canada possède déjà une importante quantité de terres en Saskatchewan. Vous pourriez avoir d’autres joueurs publics au fil des années. Ils ne seront pas imposés de la même façon que les détenteurs d’un portefeuille passif. Quel effet cela aura-t-il sur le loyer des terres? Cela a toutes sortes de ramifications dont on ne sait absolument rien, mais qui changent totalement la dynamique du risque pour les décisions que vous prendrez à l’avenir et pour ce qui est de la viabilité de votre exploitation familiale.

La sénatrice Jaffer : Un autre sujet dont on n’a pas beaucoup parlé au cours de nos audiences est que les agriculteurs ont déjà suffisamment de soucis actuellement à cause de l’ALENA. L’avenir de la gestion de l’offre est un enjeu extrêmement important pour un producteur d’œufs ou un producteur laitier. Tout cela s’ajoute aux inquiétudes quant à savoir ce qui se passera au Sud de la frontière avec l’ALENA ou avec l’AECG et quand ce n’est pas une chose, c’est l’autre. On a l’impression qu’on veut se débarrasser de nos fermes. Comment allons-nous manger?

M. Lewis : Je suis entièrement d’accord avec vous. Nous devrions nous tourner vers l’avenir. Nous pouvons nous assurer un avenir extrêmement prometteur en raffermissant l’ALENA et le PTP sans les États-Unis, ce qui nous permettra de développer nos entreprises, d’apporter une contribution positive à l’économie et d’avoir un meilleur pays. On nous met plutôt des bâtons dans les roues, ce qui n’est pas une situation saine.

Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup, messieurs, de nous parler de certaines des conséquences auxquelles vous vous attendez.

J’ai entendu dire, pas seulement par vous, qu’il aurait fallu réaliser une étude d’impact économique. Je ne dis pas le contraire, mais une étude d’impact économique aussi défectueuse que le projet de réforme fiscale, vu qu’elle aurait été faite par les mêmes personnes, nous aurait seulement fourni des raisons supplémentaires de formuler des critiques. Relativement parlant, il vaut mieux qu’on n’ait pas fait une étude d’impact économique bâclée, car cela nous permet de nous attaquer vraiment au cœur du problème. Je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi, mais c’est ainsi que je vois les choses.

Monsieur Lewis, vous avez parlé de fermes d’une superficie d’environ 10 000 à 20 000 hectares. Ce sont des grandes exploitations. Cela représente beaucoup d’activités, beaucoup plus que les bureaucrates d’Ottawa n’en ont idée. Pouvez-vous me dire combien de fermes de ce genre peuvent survivre avec un seuil de 50 000 $ pour le revenu passif? Je devrais peut-être plutôt demander : une ferme de quelle taille pourrait survivre avec un seuil de seulement 50 000 $? Apparemment, personne n’a étudié ce seuil de 50 000 $. Nous ne pouvons trouver personne. Que nous parlions aux fonctionnaires du ministère, à des comptables ou à qui que ce soit d’autre, tout le monde nous dit : « Je suppose que ce chiffre a été choisi au hasard. » Tout cela est le fruit du hasard.

M. Lewis : Selon l’explication qui a été donnée, il s’agit d’un revenu d’intérêts de 50 000 $, alors si vous avez 2 à 3 millions de dollars, à 5 p. 100. Pour 1 million de dollars, vous ne savez pas si ce sera 2,5 p. 100 ou un autre chiffre. Choisissez-en un.

Le sénateur Neufeld : Prenons 5 p. 100.

M. Lewis : Dans notre ferme, par exemple, je dirais que nous avons probablement pour 7 millions de dollars de machinerie. Un bon semoir pneumatique et un tracteur coûtent environ 1,2 million de dollars ou un chiffre de cet ordre. La taille de notre ferme n’a vraiment rien d’exceptionnel. Je travaille avec mon frère, mon neveu et deux employés.

Quand vous commencez à jongler avec ce genre de chiffres et que vous devez mettre de l’argent de côté pour faire ce genre de dépenses, on peut dire qu’il faut disposer d’une réserve de 4 millions ou 5 millions de dollars. Il est parfois difficile d’avoir l’argent nécessaire pour acheter la machinerie ou pour remplacer du matériel. C’est juste pour vous expliquer que l’agriculture est très capitalisée.

Il y a beaucoup d’argent qui entre et qui sort dans les exploitations agricoles. Les risques sont élevés. L’imposition d’une limite de 50 000 $, si c’est le véritable chiffre, pourrait être problématique pour certains producteurs. Comme vous l’avez mentionné, personne ne sait vraiment d’où sort ce chiffre ou pourquoi. Cela ne touchera pas forcément les très gros exploitants. Ce chiffre posera également des problèmes à certaines fermes de taille moyenne qui se retrouveront avec une facture d’impôt plus lourde.

Le sénateur Neufeld : Je vais également vous demander de répondre, monsieur. Vous pensez que cela toucherait très peu d’agriculteurs. Leur ferme serait relativement petite.

M. Lewis : Non. Pour prendre une moyenne, cela pourrait toucher 50 p. 100 des fermes.

Le sénateur Neufeld : Diriez-vous 50 p. 100 des fermes?

M. Lewis : Oui, ou moins.

M. Youzwa : Cela pourrait être moins, car en fin de compte il s’agit de vos bénéfices non répartis et du rendement qu’ils ont produit.

M. Lewis : C’est exact, en effet.

M. Youzwa : Je vais prendre un exemple auquel j’ai fait allusion dans ma déclaration. Disons que vous n’avez pas de relève. Vous possédez 10 sections de terre au sein d’une société parce que vous avez suivi les conseils financiers des avocats et des comptables. Vous avez pris des décisions éclairées. Vous avez tout fait comme il faut. Maintenant, vous louez ces terres au lieu de les vendre afin de conserver au moins votre patrimoine au sein de votre famille, même si personne ne cultive la terre. Vous allez payer 73 p. 100 d’impôt sur toute somme supérieure à 50 000 $. La location de 10 sections de terre va vous rapporter un revenu locatif dépassant largement 50 000 $.

En quoi est-ce équitable? Où est l’équité? Il n’y en a pas. Je pense que ce chiffre correspond à 5 p. 100 de un million. Beaucoup de gens touchent des pensions de plus de 50 000 $. Il faut éliminer cette règle ou au moins revenir au taux punitif de 52 p. 100 lors du retrait.

M. Lewis : Oui. Je suis d’accord avec M. Youzwa pour dire que si vous comptez les terres, 80 p. 100 des agriculteurs ou peut-être davantage seraient touchés.

Le sénateur Neufeld : Exactement.

M. Lewis : Oui.

Le sénateur Neufeld : Vous prêchez un converti. Je suis certainement d’accord avec vous. Sans vouloir être méchant, ce qui n’est pas toujours le cas, je trouve dur à digérer que le gouvernement impose un seuil en vous disant : « Vous allez faire ce que je vous dis, sinon je vais vous écraser d’impôts. »

C’est quelque chose de totalement inconcevable pour moi. Merci pour ces réponses. Je les apprécie.

Le sénateur Pratte : Merci d’être venus. Je voudrais d’abord clarifier une ou deux choses.

Si je comprends bien les changements que le gouvernement a apportés à la mi-octobre à l’égard de l’exemption pour gains en capital, les mesures qui auraient limité l’accès à l’exemption à vie pour gains en capital ont été retirées. Je crois qu’il n’en est plus question, n’est-ce pas?

M. Youzwa : C’est le message, mais il y a toujours les critères d’admissibilité qui toucheront différemment les gens. La question n’est pas que le risque soit écarté; c’est plutôt la façon dont cela touche les gens. Oui, cette annonce m’a largement rassuré, mais il faut que les choses soient plus claires.

Le sénateur Pratte : Pour ce qui est du transfert intergénérationnel, les changements ont été annoncés le 18 juillet. Le gouvernement a décidé d’y renoncer. Les problèmes actuels existaient déjà avant, n’est-ce pas?

M. Lewis : Dans l’ensemble, je dirais que oui. Il y a eu un projet de loi d’initiative parlementaire qui n’a pas été adopté et qui contenait un grand nombre de bonnes dispositions. Nous avons fait valoir sur la Colline du Parlement qu’il fallait le réexaminer. J’espère que les législateurs qui sont là-bas examinent sérieusement la question. Même avec les règles actuelles, une transaction sans lien de dépendance est plus avantageuse que le transfert à un membre de la famille. C’est exact.

M. Youzwa : Vous pourriez peut-être demander à un comptable si nous pourrions réexaminer les exemptions pour gains en capital que le gouvernement va mettre en place après le 15 décembre.

M. Lewis : Vous avez raison.

Le sénateur Pratte : Pour ce qui est du caractère raisonnable du fractionnement des revenus, vous voudriez, je crois, que le conjoint soit au moins exempté, n’est-ce pas? C’est ce que j’ai cru comprendre.

M. Youzwa : Je ne suis pas seul de cet avis. Cela semble être un bon point de départ. Certaines autres choses sont plus discutables. Celle-ci me semble évidente. Les conjoints assument les mêmes risques. Pourquoi faudrait-il les punir? Souvent, ils doivent renoncer à travailler à l’extérieur pour épauler l’autre conjoint sans être rémunérés.

Si vous prenez les médecins, leurs conjoints doivent rester à la maison afin qu’ils puissent aller travailler à trois heures du matin. Je ne suis pas ici pour parler en leur nom, mais le problème est le même sur tous les fronts.

M. Lewis : J’ajouterais une chose. Certaines des propositions initiales semblaient viser les jeunes de 18 à 24 ans. C’est la période où nous voulons que nos jeunes quittent la ferme pour aller recevoir une formation. Ils doivent quitter entièrement la ferme et ne touchent plus aucun salaire. Dans la majorité des cas, ils doivent quitter la Saskatchewan. Ils doivent se rendre dans une grande ville.

Par exemple, dans ma famille, j’ai une fille qui fait des études. Elle opère un semoir pneumatique pendant tout le printemps et c’est elle qui a conduit la moissonneuse cet automne. Elle a probablement fait 75 p. 100 du travail cette année. Si elle devient étudiante à plein temps et ne peut plus toucher de salaire dans notre exploitation, je vois mal en quoi ce serait juste. Elle a vendu des fèves de soja la semaine dernière. Cela pose toutes sortes de problèmes.

Des règles qui sont les mêmes pour tous ne peuvent absolument pas convenir aux exploitations familiales. Chaque ferme familiale est différente. Si l’on ne tient plus compte de la contribution des enfants et du conjoint au succès de la ferme, dans bien des cas, la ferme disparaîtra. Les gens ne pourront plus payer l’impôt sur le salaire. Cela ne fonctionnera pas. Les agriculteurs auront beaucoup de difficulté à continuer.

Le sénateur Pratte : À propos du revenu passif, par exemple, si le gouvernement relevait le seuil ou trouvait une formule pour fixer les seuils en fonction des revenus de l’entreprise, à un certain pourcentage des revenus de l’entreprise, par exemple, cela serait-il acceptable?

M. Lewis : Il existe des moyens de régler la question du revenu passif dans une situation comme celle dont M. Youzwa a parlé lorsque l’agriculteur loue ses terres contre un loyer en espèces. Il peut rester un agriculteur actif dans le cadre d’une coentreprise avec un voisin qui lui loue des terres. Cela complique les choses inutilement. Les gens vont toujours trouver un moyen de s’en sortir. Les experts qui nous ont précédés ont parlé de la complexité de notre code fiscal. Si vous imposez ces règles, les gens trouveront un moyen de maintenir leur présence et de ne pas vendre leurs terres. Ils devront trouver un autre moyen de rester. Cela va compliquer davantage les ententes entre eux et ceux qui désirent exploiter la terre.

Pour l’instant, ce n’est pas compliqué. Les agriculteurs peuvent louer leur terre contre de l’argent. C’est simple et pratique. Ce n’est pas trop difficile à comprendre, mais ce genre d’arrangements va devenir de plus en plus fréquent. Cela va seulement compliquer encore les choses pour les gens qui veulent se lancer dans l’agriculture ou en sortir.

M. Youzwa : Lorsque vous exploitez une petite entreprise, en général, vous ne touchez pas un salaire aussi important que dans d’autres secteurs ou d’autres entreprises. Vous laissez l’argent et les capitaux dans l’entreprise afin qu’elle puisse prospérer et se développer.

Votre situation change et tout à coup, vous devez quitter l’agriculture. Vous n’avez pas un REER bien garni parce que vous avez simplement consacré 30 ans à votre entreprise. Voilà la situation dans laquelle vous vous retrouvez.

Je pourrais poser la question à l’envers. Pourquoi le revenu passif des petites entreprises n’est-il pas traité de la même façon que celui des entreprises publiques? Ces dernières n’ont pas de règles à cet égard. Pourquoi y en a-t-il pour les petites entreprises?

M. Lewis : Un grand nombre de nos membres ont leur ferme comme capital retraite. C’est dans cette optique qu’ils travaillent depuis 40 ans. Si les règles sont modifiées, ce sera très injuste pour eux.

La sénatrice Andreychuk : Merci. Je pense que mes collègues ont couvert un grand nombre de questions touchant les modifications et les propositions initiales.

Je voudrais m’intéresser davantage à la politique sociale. Il y a eu de nombreux débats, dans la province, au sujet de la ferme familiale ou de la société familiale. Je pense qu’au niveau tant fédéral que provincial, nous avons convenu que les fermes familiales devaient évoluer. Elles l’ont fait. Nous nous sommes constitués en société tandis que d’autres agriculteurs ne l’ont pas fait. Les fermes sont maintenant une entreprise viable ainsi qu’une unité familiale.

La ferme familiale a changé et les agriculteurs ont changé aussi, mais nous voulons préserver l’essence même de la ferme familiale. Ce n’est pas la question de la relève comme telle. J’ai tout intérêt à ce que nous ayons des produits agricoles salubres et à ce que nous puissions compter sur une utilisation optimale des terres. Il y a eu toutes sortes de politiques sociales pour renforcer le transfert intergénérationnel parce que nous savons que nous pouvons nous y fier.

Nous venons d’avoir un débat dans la province quant à savoir qui devrait posséder les terres. Je vois des multinationales acquérir des gros portefeuilles fonciers dans d’autres pays uniquement pour réaliser des bénéfices. Nous avons toujours été très conscients du fait que la terre est très précieuse et que notre approvisionnement alimentaire devrait être très précieux.

J’ai l’impression que, quel que soit le parti au pouvoir, le gouvernement a estimé qu’il valait mieux que les terres restent entre les mains de familles qui l’apprécient. La France a été bâtie sur ce concept. Aux États-Unis, c’est un ensemble des deux. J’ai l’impression que nous ne nous attaquons pas seulement aux questions fiscales. Nous nous attaquons aussi à certains problèmes sociaux fondamentaux dont je n’ai pas beaucoup entendu parler. Voilà une première chose.

D’autre part, il y a 40 ans, j’ai fait partie de ceux qui disaient que la cellule familiale était importante et qu’on ne devait pas dévaloriser la contribution des femmes comme c’était le cas à l’époque. Nous avons fini par obtenir la règle du partage 50-50. Des témoins nous ont dit qu’elle est seulement appliquée, actuellement, en cas de divorce ou de dissolution. C’était la dernière possibilité de fractionner le revenu. Je n’aime pas le fractionnement parce que c’est assez sélectif. Cela reconnaissait qu’aucune norme ne pouvait s’appliquer à la famille. Chaque famille est différente. Elle fonctionne différemment. Nous établissons des normes minimales uniquement en cas d’abus, par exemple. Au Canada, nous laissons les familles fonctionner comme elles le peuvent et comme elles le désirent. C’est le meilleur contexte dans lequel les générations futures peuvent assurer leur avenir. J’ai l’impression que nous ne parlons pas de l’intérêt que la participation de toute la famille à la ferme familiale présente pour la société.

Pour conclure, écoutez cet agriculteur qui après les incendies que nous avons eus en Saskatchewan, disait combien la terre était précieuse, combien la couche arable était précieuse et que cela n’avait pas changé après l’incendie, depuis les années 1970. Il disait : « Je vais devoir planter du blé dur l’année prochaine, ce qui ne sera pas la culture la plus rentable, mais je me soucie de la terre. Il va falloir trois, quatre ou cinq ans pour qu’elle se rétablisse. »

Je ne vois pas ce genre d’attitude chez les multinationales qui veulent venir ici, mais je la vois chez les familles d’agriculteurs parce que vous êtes fiers de ce que votre père a fait et vous voulez le transmettre à la génération suivante. Que pensez-vous des dimensions sociales de l’agriculture?

M. Youzwa : Vous avez soulevé d’excellentes questions. Comme vous l’avez probablement remarqué, nous sommes tous les deux de fiers agriculteurs. Je suis de la troisième génération. Mon fils est de la quatrième génération. Nous sommes des nouveaux venus dans la région. Mon grand-père a déménagé de Wakaw à Nipawin en 1946 et nous sommes donc encore des nouveaux venus dans notre région. Les gens ne se rendent pas toujours compte de la longévité des exploitations agricoles.

J’ai été interviewé par Arlene Bynon pour l’émission Canada Talks et c’est un des sujets dont nous avons parlé. Nous pouvons certainement être fiers des soins que nous apportons à notre terre. Nous voulons la léguer à la génération suivante en meilleur état que nous l’avons trouvée. C’est notre patrimoine. C’est notre objectif ultime. Nous sommes fiers de le faire. Les agriculteurs sont davantage prêts à défendre publiquement leur secteur.

Lorsque je faisais partie de Sask Canola, il y a deux ans, nous avons lancé un film intitulé License to Farm. Si vous ne l’avez pas vu, je vous invite à le faire, car beaucoup de gens croient que l’agriculture ne devrait pas évoluer et devrait demeurer dans les années 1950 pendant que le reste du monde progresse. Ce n’est pas le cas. Nous sommes fiers de nous servir de technologies sûres pour défendre nos intérêts communs.

Si ces technologies ne produisent pas des aliments salubres, nous ne voulons pas les utiliser. Nous devons mieux faire valoir notre version des faits. Nous essayons de prendre des mesures dans ce sens, mais l’auditoire n’est jamais assez grand et nous prêchons trop souvent les convertis.

M. Lewis : Si nous prenons l’histoire récente de l’agriculture, les 10 dernières années ont été assez bonnes, mais les 20 à 30 années précédentes ont été assez difficiles. C’est certainement ce qui a permis à l’agriculture de s’en sortir. Il suffit de voir ce que nous vendons. M. Youzwa a parlé du canola. Son existence date seulement de 50 ans. On la doit aux efforts et aux investissements des agriculteurs de notre province. Le canola a été créé ici, à l’Université de la Saskatchewan. Les légumineuses sont un autre grand succès que l’on doit à l’Ouest du pays et plus particulièrement à la Saskatchewan.

Ces producteurs ont pris des risques. L’augmentation de la superficie de production du soja résulte de ces prises de risques. Les agriculteurs investissent dans la technologie. Ils le font parce que cela donne des résultats. Ils assument les risques. Lorsque vous plantez une nouvelle culture, les choses peuvent se gâter très rapidement, mais les agriculteurs en prennent le risque et c’est ce qui a créé le canola et les légumineuses.

L’esprit d’entreprise des agriculteurs est le moteur de l’économie canadienne et les familles soutiennent ces entrepreneurs. Voilà pourquoi les gens le font. C’est pour leur famille. Cela joue un rôle social très important. Il y a d’énormes régions de la Saskatchewan qui sont sous-peuplées. Si les agriculteurs n’étaient pas là pour clôturer les terres ou les labourer, les choses risqueraient de mal se passer. S’il n’y avait pas le bétail pour empêcher l’herbe qui a brûlé de pousser trop haut, la situation aurait été bien pire qu’elle ne l’a été. Je suis entièrement d’accord avec certaines de vos observations.

Le sénateur Mockler : Avant de donner la parole à la sénatrice Marshall, je voudrais revenir sur ce que vous avez déclaré, monsieur Youzwa. Je lis ceci : « Je suis Terry l’agriculteur. M. Morneau a parlé de réformes fiscales. » Comment se fait-il qu’il vous ait téléphoné?

M. Youzwa : Apparemment, un député conservateur a répondu à cela à la Chambre des communes en citant mon nom. M. Morneau a posé la question à la Chambre.

Le sénateur Mockler : Pouvez-vous dire au comité quelle a été votre impression lorsque vous avez raccroché?

M. Youzwa : En fait, cet appel ne m’a pas appris grand-chose. Le message était : « J’ai entendu vos préoccupations. Ce n’est pas vrai. » J’ai soulevé la question du revenu passif et de l’exemption à vie pour gains en capital, et il m’a dit : « Ce n’est pas vrai. » J’ai dit alors : « Comment se fait-il que les comptables interprètent cela autrement? » « Ce n’est pas vrai. » J’ai dit alors : « En fait, c’est ce qui s’est passé. Pourquoi ne vous attaquez-vous pas davantage aux comptes à l’étranger? » et il m’a répondu : « Je vais vous envoyer de la documentation. Nous avons financé l’ARC pour qu’elle s’en occupe. » Je lui ai donné mon adresse courriel, mais je n’ai encore rien reçu à ce sujet.

Le sénateur Mockler : Y a-t-il d’autres renseignements dont vous voudriez nous faire part?

M. Youzwa : Oui, il y en a. C’était une conversation de neuf minutes. Je croyais l’avoir enregistrée, mais le bouton n’a pas fonctionné. J’ai moi-même, un témoin et des notes. J’ai obtenu trois choses du ministre : « J’ai entendu vos préoccupations, » « Ce n’est pas vrai », et ...

Le sénateur Neufeld : Soyez content.

M. Youzwa : Oui, « Soyez content ».

Le sénateur Mockler : Pourrais-je dire une chose, Terry l’agriculteur? C’est probablement la raison pour laquelle le Financial Post a écrit cet article et vous avez fait part de vos observations.

M. Youzwa : J’ai envoyé mes observations à 9 ou 10 journaux. Je crois qu’elles ont été publiées dans le Manitoba Cooperator, le Parkland Review et également quelques autres petits journaux, mais le Financial Post a été beaucoup plus rapide. Je croyais que ce serait publié dans The Western Producer, mais deux semaines plus tard, le journal a changé d’avis. Il avait commencé par m’envoyer de nombreux signes positifs.

La sénatrice Marshall : Monsieur Youzwa, vous avez dit une chose qui a stimulé mon intérêt pour cette question. Qui achète des terres agricoles? Avez-vous dit que c’était des étrangers et le Régime de pensions du Canada?

M. Youzwa : J’ai parlé du Régime de pensions du Canada. Il y a encore des règles régissant la propriété des terres en Saskatchewan, mais je vais me fier à ce qu’a déclaré la sénatrice Batters. Si vous apportez des changements aussi draconiens, qui sait ce qui se passera à l’avenir? Quel est votre objectif, pour parler également de sa question, qui voulez-vous voir cultiver la terre à l’avenir? Si vous trouvez qu’une exploitation de 10 000 ou 20 000 hectares est très grande, voyez ce qui se passe au Brésil ou en ex-Union soviétique où vous avez des producteurs qui ont 20 moissonneuses pour exploiter 180 000 hectares. Cela n’a rien de rare.

Ici, nous travaillons à une échelle différente. Si vous voulez assurer une certaine continuité, ce doit être un élément essentiel. Si vous voulez des terres cultivées par des entreprises publiques avec beaucoup moins de rationalisation, vous y contribuez en incitant les producteurs qui se retirent à vendre leur ferme.

La sénatrice Marshall : Vous avez mentionné les sociétés cotées en bourse.

M. Youzwa : Je ne me souviens pas de ce que le Régime de pensions du Canada possède déjà. Il a repris la fiducie foncière Assiniboia en Saskatchewan. Il possède maintenant une bonne quantité de terres dans la province. Il y a davantage de sociétés cotées en bourse qui gèrent des terres en Alberta qu’en Saskatchewan parce que les règles foncières sont différentes. L’équilibre entre la compétitivité et le tissu social est problématique. Oui, les règles actuelles sont différentes en Saskatchewan.

La sénatrice Marshall : Les choses évoluent constamment. Nous voyons ce qui se passe actuellement avec les sociétés privées, mais l’année dernière, il y a eu le taux de 33 p. 100 pour le 1 p. 100 de contribuables les plus riches. Cette année, ce sont les sociétés privées et nous entendrons peut-être parler bientôt des sociétés cotées en bourse. Je vois cela comme un cycle de changements.

M. Youzwa : Vous avez parfaitement raison. De nombreux agriculteurs se disent : « Ma ferme n’est pas constituée en société pour le moment » ou « Comme mes terres ne sont pas encore dans une société, cela ne me touche pas vraiment. »

Quelle sera, selon vous, la prochaine étape? Cela vous touche ou vous touchera.

La sénatrice Marshall : Oui, cela vous touchera.

M. Youzwa : Si nous ne protestons pas énergiquement contre ce genre de choses, on continuera à nous écraser. Je ne l’ai pas dit, mais vous le savez tous. Nous travaillons de père en fils dans nos fermes depuis des décennies. J’ai commencé avec mon père, en 2005. Je travaille maintenant avec mon fils. Les comptables ne comprennent rien à cette réforme et ce sont pourtant des experts. Ils ne peuvent pas nous conseiller parce qu’ils ne connaissent pas les règles.

La sénatrice Marshall : Ils ne les connaissent pas.

M. Youzwa : Quand vous allez mettre ces réformes en œuvre, cela aura d’énormes répercussions et départagera les gagnants et les perdants. Est-ce juste, approprié ou équitable? J’estime que non.

La sénatrice Marshall : Les règles changent. Il y a parfois des changements rétroactifs.

M. Youzwa : Vous n’êtes pas suffisamment informé sur le plan des dates et de la rétroactivité. La société de portefeuille passif pourrait bénéficier de droits acquis, mais est-ce une certitude? Si je l’établis l’année prochaine, s’agira-t-il quand même de droits acquis?

Le sénateur Mockler : Je remercie infiniment M. Lewis et pourrais-je dire, Terry l’agriculteur?

M. Youzwa : D’accord, mais seulement si vous le dites à la presse.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup pour les renseignements dont vous avez fait part au comité.

Notre dernier groupe de témoins se compose de Chris Guérette, chef de la direction de la Saskatoon & Region Home Builders’ Association et de Stu Niebergall, président-directeur général de la Regina & Region Home Builders’ Association.

Merci d’avoir accepté notre invitation à venir nous faire part de vos opinions, de vos avis et de vos observations. Je vous invite à faire vos exposés, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Chris Guérette, chef de la direction, Saskatoon & Region Home Builders’ Association : Merci de nous accorder le temps de vous rencontrer aujourd’hui pour vous donner notre point de vue au sujet des changements que le gouvernement propose d’apporter à la planification fiscale et à la gestion des sociétés privées. Je sais qu’une tâche très ardue vous attend et je vous remercie donc infiniment de nous accorder votre temps.

Je m’appelle Chris Guérette et je suis chef de la direction de la Saskatoon & Region Home Builders’ Association. J’ai le plaisir d’être ici avec mon collègue de Regina. Même si nos deux associations sont très similaires, elles sont tout à fait indépendantes. Ce sont toutefois les deux seules associations professionnelles qui représentent le secteur de la construction résidentielle dans notre province.

Comme nous témoignons tous les deux aujourd’hui, nous avons travaillé ensemble pour veiller à ne pas faire de répétitions inutiles. Je vais couvrir un peu l’aspect technique tandis que mon collègue, M. Niebergall, parlera un peu de l’esprit d’entreprise et de quelques exemples concrets dans sa région.

Notre association est le porte-parole du secteur de la construction résidentielle à Saskatoon et la région depuis près de 65 ans. Cela veut dire que nous représentons environ 270 entreprises membres qui participent d’une façon ou d’une autre au secteur de l’aménagement et de la construction résidentielle. Les promoteurs, les constructeurs, les rénovateurs, les artisans, les fournisseurs, les professions de la finance et du droit, toutes les entreprises locales ont travaillé fort non seulement pour bâtir leur propre entreprise, mais pour aider à bâtir Saskatoon grâce à leur esprit d’entreprise et à leur succès.

Chacun de nos membres à qui j’ai parlé m’a confirmé que les changements fiscaux proposés auront un impact sur leur entreprise et leurs projets d’avenir, sur le plan de l’expansion et de la croissance ou de leur retraite. Même si le gouvernement a annoncé certains ajustements aux changements fiscaux proposés et si nous nous sommes réjouis de certaines de ces modifications, plusieurs sujets d’inquiétude demeurent, surtout en ce qui concerne le manque de précisions et de clarté, de même que la nécessité de faire une solide évaluation d’impact.

Les questions auxquelles une solide évaluation d’impact devrait répondre sont les suivantes : Quel revenu ces mesures permettront-elles de percevoir et quand? Quel sera leur impact sur la résilience des entreprises? Quel sera l’impact sur la disponibilité des capitaux de démarrage et sur l’expansion des entreprises? Quel sera l’impact sur l’épargne-retraite? Particulièrement dans le cas de notre secteur, nous nous demandons quel sera l’impact sur la croissance de tout changement de politique. Sans croissance, notre secteur ne peut pas prospérer.

Le secteur de la construction résidentielle et de la rénovation se compose surtout de petites entreprises familiales. Environ 83 p. 100 des entreprises de construction, de rénovation et d’activités connexes ont moins de neuf employés et fournissent les deux tiers de tout l’emploi local. À Saskatoon, par exemple, 65 p. 100 de nos constructeurs construisent moins de cinq maisons par année. Soixante-quinze pour cent d’entre eux construisent moins de 10 maisons par année. Cela a un impact économique assez conséquent. Cela signifie 5 800 emplois ou 355 millions de dollars en salaires ainsi qu’un investissement de 1,5 milliard de dollars pour Saskatoon et les régions avoisinantes. Ce sont les chiffres de 2016.

Le secteur de la construction résidentielle est cyclique et vulnérable aux conditions économiques régionales. En raison du caractère fragmenté des travaux effectués par les artisans et les sous-traitants, et surtout de la responsabilité inhérente à ces activités, le secteur se compose en grande partie de petites entreprises et d’entrepreneurs constitués en société. En raison de ces facteurs, le secteur est particulièrement sensible aux changements survenant dans le contexte commercial. Les changements récemment apportés au niveau provincial en Saskatchewan en témoignent.

Au départ, quand les intentions du gouvernement ont été annoncées, nous nous sommes inquiétés à l’égard de certaines pratiques et de l’impact de la participation importante des familles dans l’entreprise qui doit conserver des capitaux considérables pouvant être liquidés rapidement pour profiter des débouchés commerciaux, comme l’achat d’un terrain, et de la possibilité de faire racheter votre entreprise par vos enfants pour financer votre retraite.

Malgré les récents changements, il reste de nombreux détails à clarifier. Nous formulons les observations ci-après au sujet de certains d’entre eux : nous ne sommes toujours pas convaincus qu’il soit nécessaire d’apporter le moindre changement aux règles actuelles à l’égard de l’investissement passif. Certaines entreprises risquent d’être confrontées à des taux d’imposition exorbitants. Nous avons entendu parler d’un taux allant jusqu’à 73 p. 100. Cela pourrait très bien intensifier la fuite des capitaux qui quittent notre pays ou notre province.

Dans notre secteur, les entreprises doivent toujours avoir plus d’argent dans leurs coffres pour fonctionner. Si nous regardons l’exemple des petites entreprises, nous constatons que celles de taille moyenne doivent choisir entre rester petites ou de prendre de l’expansion parce que pour fonctionner dans ce secteur, il faut avoir de gros moyens.

Le gouvernement a également fait savoir qu’il élargira sa définition de contribution appréciable à une entreprise en ce qui a trait à sa proposition sur la répartition du revenu. Il n’en reste pas moins que les restrictions continueront à s’appliquer aux entreprises de tous les niveaux de revenus, et non seulement aux plus nanties.

Les modifications proposées ne tiennent pas compte de la diversité des pratiques formelles et informelles. Vous avez beaucoup entendu parler de la participation de membres d’une famille à l’entreprise familiale, surtout du rôle joué par les conjoints. Nous sommes d’accord avec la recommandation d’inclure, à tout le moins, une pleine exemption pour conjoint dans les règles sur le fractionnement des revenus. Cette mesure prendrait en compte le rôle clé joué par les conjoints au sein d’une entreprise, un rôle qu’il n’est pas toujours facile de quantifier avec précision.

Nous sommes également d’accord avec la tenue de nouvelles consultations sur les transferts intergénérationnels afin de trouver des moyens de faciliter la transmission, à moindre coût, d’une entreprise familiale à la prochaine génération.

Enfin, les plans visant la réduction du taux d’imposition des petites entreprises sont certes bien accueillis, mais ce bénéfice sera amoindri si vous mettez fin, comme vous l’envisagez, au crédit pour l’emploi au début de l’année. Même si les cotisations globales d’assurance-emploi ont été réduites, celles des petites entreprises ont augmenté. Réduire le taux d’imposition des profits est une mesure efficace quand les affaires vont bien, mais comme l’ont fait remarquer d’autres témoins, elle ne l’est pas quand les affaires vont mal.

De la même manière, l’incertitude est toujours une mauvaise chose pour les affaires. Les propositions du gouvernement ont créé une grande incertitude au sein du secteur, et ce climat d’incertitude est encore présent aujourd’hui. Il est impératif que le gouvernement adopte des règles définitives et détaillées et établisse des calendriers de mise en œuvre des dispositions afin que les entreprises puissent procéder aux ajustements nécessaires.

Il est également essentiel que le ministère des Finances, l’Agence du revenu du Canada et le secteur privé conjuguent leurs efforts pour s’assurer que les directives d’interprétation de la loi sont claires. Je peux vous donner quelques exemples de modifications fiscales importantes adoptées dans notre province. Quand le volet politique n’est pas coordonné avec le volet administratif, les entreprises ont du mal à s’y retrouver. Au bout du compte, elles doivent se débrouiller toutes seules, ce qui leur impose une foule de démarches administratives.

Nous exhortons le gouvernement à prendre du recul par rapport à toutes ses propositions et à lancer des consultations sérieuses, y compris des études d’impact de toute proposition, en collaboration avec le milieu des affaires, visant à corriger les lacunes de la politique fiscale, sans cibler injustement les petites entreprises et les autres entreprises du secteur privé.

Je vous remercie. Je cède maintenant le micro à mon collègue, M. Niebergall.

Stu Niebergall, président-directeur général, Regina & Region Home Builders’ Association : Je vous remercie de nous donner l’occasion d’exposer notre point de vue sur les propositions présentées par le ministre des Finances pour rendre le régime fiscal plus équitable.

Le Sénat du Canada prend le temps d’entendre le point de vue des Canadiens et de comprendre les répercussions de ces modifications législatives. C’est le genre de leadership que les Canadiens attendent du Sénat et nous vous remercions de les avoir écoutés.

Vous avez entendu et entendrez encore beaucoup de gens ayant une plus grande expertise que moi en matière fiscale. J’aimerais cependant vous donner quelques exemples de conséquences non voulues sur nos jeunes, sur les gens de la classe moyenne et sur les nouveaux arrivants au Canada qui portent un grand intérêt à la concrétisation de leurs rêves d’entrepreneur.

Je vais vous lire un courriel adressé au ministre Morneau et à moi en copie conforme. L’auteur m’a demandé de ne pas divulguer son nom. À l’instar de beaucoup de nos membres qui ont communiqué avec moi, cette personne craint d’être ciblée par l’ARC si son nom était rendu public. Ce détail est assez révélateur. Voici ce qu’a écrit ce jeune entrepreneur : « Je suis propriétaire d’une petite entreprise à Regina. J’ai 28 ans et je dirige une entreprise de toiture depuis neuf ans avec mon partenaire d’affaires. Tout en gérant mon entreprise, j’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur de l’Université de Regina. À la fin de mes études, j’aurais pu aller travailler pour une grande entreprise. J’ai plutôt opté pour le monde des petites entreprises parce que j’aime travailler sur le terrain avec des gens ordinaires. Nous employons actuellement 25 à 30 personnes âgées de 18 à 35 ans. Je me sens lié à chacun de ces employés. Nous avons bâti notre entreprise grâce aux économies que nous a permis de faire l’actuelle structure d’imposition des sociétés et nous avons réussi à prendre de l’expansion. Nous avons structuré nos régimes d’épargne-retraite en fonction de ce modèle. Le changement que vous proposez augmente le risque de fermeture de nombreuses petites entreprises et représente une menace pour chaque famille dont un membre travaille dans ces entreprises. J’espère sincèrement que vous réexaminerez cette modification fiscale et épuiserez toutes les autres options avant de mettre en péril nos familles et notre avenir. Si les modifications fiscales ne sont pas bien calibrées, combien de jeunes entrepreneurs décideront de ne pas prendre le risque et iront travailler pour une entreprise déjà établie? »

Au cours des cinq dernières années, un autre jeune couple de 35 ans a lancé une entreprise novatrice de construction domiciliaire à Regina. Aujourd’hui, ces jeunes construisent entre 30 et 40 maisons par année. Ils ont fait savoir que si les modifications fiscales étaient pleinement mises en œuvre, ils continueront à construire des maisons, mais ils envisagent déjà d’investir chez nos voisins du Sud où le régime fiscal et le traitement des investissements sont beaucoup plus attractifs.

J’aimerais enfin vous parler d’un autre jeune couple qui a fui la Serbie dévastée par la guerre pour venir au Canada en tant que réfugié. Ils ont tous les deux travaillé fort et acquis des compétences, lui dans les métiers et elle en tant qu’ingénieure. Ils se sont établis à Regina, ont mis leurs ressources en commun et lancé une entreprise de construction domiciliaire, créant ainsi des emplois et des retombées économiques pour l’ensemble de la collectivité.

Combien d’immigrants entrepreneurs se sont illustrés au Canada? Nous félicitons le gouvernement fédéral d’avoir annoncé de nouvelles cibles en matière d’immigration. J’espère que les nouveaux immigrants seront nombreux à trouver, tout comme moi, que Regina, en Saskatchewan, est un endroit accueillant. Mais de quoi aurons-nous l’air si nos lois fiscales découragent les nouveaux arrivants à poursuivre leur rêve de devenir entrepreneur en Saskatchewan ou, pire encore, laissent entendre qu’ils fraudent l’impôt d’une certaine manière. Nous avons besoin de règles fiscales qui encouragent l’esprit d’entreprise, et non le contraire.

Pas plus tard que cette semaine, les Paradise Papers ont révélé que près de 3 300 sociétés et particuliers tiraient profit de fiducies à l’étranger aux fins d’évitement fiscal légal ou d’évasion fiscale, pour un montant évalué entre 6 et 8 milliards de dollars par année. La première chose à faire pour réaliser l’équité fiscale au Canada est peut-être de cesser de faciliter la création de paradis fiscaux pour les sociétés par le biais de ce qu’on appelle des traités ou lois sur le secret fiscal.

J’aimerais remercier le caucus conservateur de la Saskatchewan pour son appui à cet égard. Le chef conservateur Andrew Scheer a pris le temps de rencontrer des représentants de la Regina & Region Home Builders’ Association. Le 2 octobre, la députée Cathay Wagantall et la sénatrice Batters ont marché à nos côtés lors du rassemblement que nous avons organisé pour faire entendre notre point de vue.

Je tiens également à remercier le ministre Ralph Goodale qui est venu nous rencontrer après notre rassemblement pour nous faire part des ajustements que le gouvernement prévoyait apporter aux taux d’imposition des sociétés et aux propositions initiales.

Comme vient de le dire Mme Guérette, nos membres se réjouissent de voir le gouvernement modifier certaines des modifications initiales, mais ils souhaitent qu’il entreprenne également une étude d’impact portant sur quatre questions précises et fasse preuve de transparence dans son argumentation en faveur du changement.

Quel sera le montant des recettes générées par cette mesure et quand seront-elles générées? Quelle en sera l’incidence sur la résilience des entreprises? Quelle en sera l’incidence sur la disponibilité des capitaux pour le démarrage et l’expansion d’entreprises? Quelle en sera l’incidence sur les régimes d’épargne-retraite?

Compte tenu de la complexité de ces propositions, il y a lieu de les analyser plus en profondeur et de mener d’autres consultations afin de bien comprendre toutes les répercussions qu’elles auront sur l’entrepreneuriat au Canada.

Nous remercions à nouveau le Sénat pour le leadership dont il fait preuve dans cet important dossier. Nous répondrons maintenant à vos questions.

La sénatrice Marshall : Avant de poser mes questions, j’aimerais attirer l’attention sur deux points soulevés par M. Niebergall. Le premier est la réticence du jeune homme cité en exemple à accepter que son nom soit rendu public par crainte d’être ciblé par l’ARC. Ce n’est pas la première fois que j’entends un commentaire du genre. Cette réaction est très préoccupante pour le gouvernement. L’autre point est ce qu’il a dit au sujet des Paradise Papers et de l’injustice de cette situation.

Madame Guérette, ma première question est pour vous. Dans votre allocution d’ouverture, vous avez dit que l’étude d’impact n’avait pas été réalisée par le gouvernement. Il semblerait que vous l’avez réalisée vous-même. Vous avez fourni quelques renseignements supplémentaires.

Nous avez-vous donné toute l’information dont vous disposez ou avez-vous d’autres renseignements à nous fournir? Vous semblez avoir effectué une étude assez détaillée.

Mme Guérette : Non, nous ne possédons malheureusement pas cette expertise. Il faudrait vraiment pousser l’analyse afin de bien comprendre la dynamique de ces changements stratégiques.

Certains de nos membres nous ont cependant dit que ces politiques auront un impact sur les décisions qu’ils choisiront de prendre ou de ne pas prendre. Nous connaissons l’impact économique sur notre secteur, mais il serait très difficile pour notre association professionnelle d’évaluer l’impact que pourraient avoir ces changements sur le marché et sur le secteur.

M. Niebergall : Si vous me permettez, j’ajouterais que nous avons entrepris une étude ici à Regina en 2011. Nous venons juste d’en terminer une deuxième en 2017. Il s’agit d’une étude très spéciale, la seule du genre à avoir été menée au Canada. Nous avons réussi à convaincre une cohorte de promoteurs immobiliers et de constructeurs de nous ouvrir leurs livres, des documents souvent bien protégés. En collaboration avec l’Université de Regina, nous avons effectué une étude exhaustive des projets de construction domiciliaire exécutés en 2006, 2011, 2014 et 2017 afin de bien comprendre l’évolution de la structure des coûts sur le marché du logement au cours de cette période. Tous les acteurs nous ont fourni les ingrédients qui nous permettent de bien comprendre les règles du jeu.

Je peux vous donner une idée générale de l’importance de cette étude. Elle est complexe, mais je peux la résumer ainsi : si vous regroupez le prix des logements sur le marché de Regina, vous obtenez une marge brute moyenne d’environ 10 p. 100 sur une maison.

C’est un élément important de ce débat parce que cela vous permet de vous faire votre propre idée. Nous avons expliqué à maintes reprises l’importance de cet enjeu à l’administration municipale et au gouvernement provincial de la Saskatchewan. Oui, vous allez apporter des changements et prendre des décisions relatives aux règles fiscales que vous avez mises en place, mais si vous pensez un instant que c’est l’entreprise qui en absorbera le coût, vous vous trompez. Le coût sera refilé à l’acheteur final de la maison.

Il est intéressant de penser que vous apportez des changements fiscaux qui auront un impact négatif sur les entreprises au moment même où le gouvernement fédéral démontre, de diverses manières, qu’il se préoccupe des possibilités d’accession à la propriété au Canada. L’application de ces deux politiques distinctes aura pour effet de continuer à éroder l’accessibilité à la propriété parce que ces modifications fiscales finiront par se retrouver dans le prix des futures maisons.

Si on va encore plus loin, compte tenu du nombre de maisons achetées au Canada au moyen d’hypothèques, cette augmentation fiscale est maintenant amortie sur une période de plus de 25 ans, soit la durée de l’hypothèque. Vous n’avez qu’à prendre une calculatrice, y inscrire des chiffres au hasard et calculer l’intérêt qui sera exigé, tout en modifiant certains facteurs, vous constaterez que 100 $ d’impôts se transforment en un montant variant entre 180 et 225 $ pour chaque tranche de 100 $ d’augmentation.

Un autre résultat très intéressant de cette étude nous a beaucoup étonnés. Lorsque vous additionnez les différentes taxes que les trois ordres de gouvernement perçoivent du secteur du logement auprès des acheteurs d’une maison neuve à Regina, et je pense que les chiffres sont assez similaires dans l’ensemble du pays, vous obtenez un total équivalant à près de 25 p. 100 du prix d’une nouvelle maison.

Le fait est que beaucoup de gens font de l’argent dans le processus d’achat d’une maison en raison de la multitude de joueurs et d’intervenants, entre l’achat du terrain jusqu’à l’installation des gouttières. Aucun groupe ne touche un aussi gros pourcentage du prix d’une maison que les trois paliers de gouvernement. Aucun acteur du secteur ne perçoit 25 p. 100 du prix d’une maison.

Je pense qu’il s’agit là d’un élément à retenir dans ce débat.

La sénatrice Marshall : Voilà qui sont les gagnants.

M. Niebergall : C’est le gagnant dans cette partie. Le gouvernement s’en tire déjà très bien.

La sénatrice Marshall : Et les constructeurs de maisons aussi.

M. Niebergall : S’il y a de nouveaux projets de construction domiciliaires dans le pays, oui.

La sénatrice Marshall : La structure des coûts des constructeurs domiciliaires est très intéressante. Ils ont ouvert leurs livres. Je ne peux m’empêcher de poser cette question, même si je crois connaître la réponse.

M. Niebergall : Allez-y.

La sénatrice Marshall : Cet exercice vous a-t-il donné une idée du revenu passif qu’ils détiennent? C’est l’un des sujets que nous abordons dans notre examen. Puis-je me permettre de poser cette question? Pouvez-vous vous permettre d’y répondre?

M. Niebergall : Non.

La sénatrice Marshall : Non, nous ne pouvons pas.

M. Niebergall : Si nous avons eu un défi à relever dans cette étude, c’est celui d’arriver à comprendre comment les constructeurs répartissent leurs frais administratifs. Ils le font différemment. Comme l’ont dit les intervenants qui nous ont précédés, cela dépend vraiment de la manière dont ils gèrent leurs bénéfices non répartis. Cela varie.

Ce qui m’a intéressé et surpris tout au long de cet exercice mené au cours des deux derniers mois auprès de nos membres, c’est de voir à quel point cette question préoccupe nos grandes entreprises de construction présentes sur le marché, parce que certaines d’entre elles ne sont pas du tout touchées à cet égard. Pourtant, ce sont elles qui ont fait entendre leur voix le plus fort. La raison de cette réaction, c’est qu’elles savent pertinemment qu’elles en sentiront l’impact par le biais de leurs clients, étant donné que la grande majorité d’entre eux ne sont pas des acheteurs de maisons. Ce sont tous des entrepreneurs et de petites entreprises qui travaillent ensemble dans le cadre de projets de promotion immobilière ou de construction résidentielle.

La sénatrice Marshall : Pour revenir aux propositions, c’est Mme Guérette qui a dit, si je ne me trompe, que les entreprises restent petites ou prennent de l’expansion. L’un de vous a ensuite dit qu’un petit entrepreneur envisageait d’aller investir au sud de la frontière. D’où vient donc cette envie d’aller chez nos voisins du Sud si ces propositions ne les touchent pas directement? Pouvez-vous m’expliquer cela?

M. Niebergall : Pour ce qui est du jeune couple qui songe à s’établir au sud de la frontière, il y a une foule de facteurs liés au marché. Ces jeunes évoluent dans un environnement extrêmement concurrentiel. Au cours des cinq dernières années, ils ont réussi à assurer la prospérité de leur entreprise de construction domiciliaire. Ils ont réussi à accumuler des revenus passifs qu’ils comptent réinvestir sur le marché. Bien qu’il s’agisse d’une entreprise locale, lorsque vous ajoutez cet élément à tous les autres, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ils comprennent qu’ils ont intérêt à investir ce capital ailleurs que sur le marché local.

La sénatrice Marshall : Cela répond à ma question. Merci beaucoup.

Le sénateur Pratte : M. Niebergall, le premier jeune entrepreneur dont vous avez parlé a dit que ces mesures fiscales doivent être calibrées correctement. Nous essayons justement de voir comment ces changements pourraient être calibrés.

Le ministre nous a dit qu’il allait de l’avant avec le reste du train de mesures fiscales. Même si la majorité des témoins que nous avons entendus ont exprimé le souhait que le gouvernement fasse une pause, je pense que le gouvernement poursuivra sa réforme fiscale.

Avez-vous des suggestions à nous faire quant aux ajustements que le gouvernement pourrait apporter à sa proposition relative au revenu passif et à celle sur la répartition du revenu, afin de les rendre plus acceptables.

M. Niebergall : Je voudrais bien que nous puissions vous offrir cette expertise. C’est tout un défi. J’espérais en parler dans notre exposé, c’est pourquoi je suis ravi de votre question. Comme d’autres intervenants l’ont dit, le gouvernement devrait évaluer l’ensemble des répercussions de ces mesures. Avant tout, il doit réfléchir à ce qu’il souhaite accomplir pour promouvoir l’entrepreneuriat dans notre société.

Je le répète, nous accueillons tous ces immigrants, ce qui est fantastique. Bon nombre d’entre eux viennent au Canada pour avoir de meilleures chances; dans le passé, ils ont certainement favorisé l’esprit d’entreprise, créé leur propre entreprise et contribué, de diverses manières, à l’édification de ce grand pays. Nos lois fiscales les aideront-elles à prendre ces décisions stratégiques et à faire ces investissements?

Dans l’exemple que j’ai donné — celui du jeune homme qui a lancé une entreprise de toiture —, voilà bien ce qui m’inquiète par-dessus tout ou me confond : étant donné les règlements à venir, se risquerait-il à investir dans le secteur de la toiture s’il obtenait aujourd’hui son diplôme de l’Université de Regina, ou ne serait-il pas mieux avisé de travailler pour l’une des nombreuses entreprises canadiennes?

La société a besoin et des entreprises établies, et des entrepreneurs. Cela dit, dans l’histoire, c’est sans contredit l’entrepreneuriat qui a constitué le fer de lance de notre réussite économique. À cette étape-ci de la discussion, il me semble que ce serait l’occasion, pour le gouvernement, de commencer à réfléchir à ses objectifs. Alors, toutes les modifications et tous les contrepoids trouveront éventuellement leur raison d’aide.

Mme Guérette : Nous n’avons pas encore parlé d’un autre article qui pourrait faire l’objet d’une étude d’impact, à savoir l’incidence sur l’économie souterraine. Lorsque nous modifions certaines politiques fiscales — sur les cigarettes, par exemple —, nous savons bien que le gouvernement n’encaissera pas toutes les recettes. Qu’en serait-il du secteur de la construction résidentielle? On évalue à 42 milliards de dollars la valeur de l’économie souterraine; de ce nombre, notre secteur peut revendiquer — sans fierté aucune — une large part, voire la plus large part, à savoir 28 p. 100 du total. Au prorata, cette proportion représente 1 million de dollars en Saskatchewan.

Il faut chiffrer les changements proposés. Cet enjeu constitue une source de frustration pour les professionnels du secteur qui tentent de contrecarrer le travail au noir. À quel genre d’augmentation pouvons-nous nous attendre? Cet argent n’ira pas dans les coffres de l’État. Selon nous, il s’agit d’une question importante qui devrait faire partie de l’étude d’impact.

Le sénateur Pratte : Je veux m’assurer que je saisis bien l’incidence des modifications sur les membres de votre association. Je ne parle pas ici des effets que, selon vos membres, ces changements pourraient avoir sur certains de leurs fournisseurs, mais bien de l’incidence sur le revenu passif des membres eux-mêmes.

Le gouvernement a fixé une limite de 50 000 $ sur le revenu passif. Je sais bien qu’il reste beaucoup de choses à tirer au clair, mais en principe, est-ce que vos membres verront quelque changement que ce soit?

M. Niebergall : C’est une tâche complexe pour le gouvernement que de tenter de comprendre l’effet que les modifications auront sur les entreprises de toutes sortes — celles du secteur agricole dont nous avons parlé ici, par exemple. Tout le monde en ressentira les effets d’une manière ou d’une autre.

Les constructeurs d’habitations doivent trouver le moyen — par le biais d’un financement compliqué et d’un tas de composantes complexes — de payer pour la maison ou le projet de construction avant même de percevoir l’argent de l’acheteur, ce qui requiert de vastes quantités de capitaux.

Voilà qui m’amène à un aspect plus large de la question, à savoir l’aménagement foncier et les quantités de capitaux exigés. Au cours des 30 dernières années, on en est venu à exiger du secteur de l’aménagement résidentiel des niveaux d’infrastructure gigantesques. Il faut beaucoup d’argent pour faire des affaires dans le secteur. Il s’agit souvent de l’argent des entreprises, mais il doit aussi exister à travers le pays des sociétés privées qui investissent de telles sommes dans l’aménagement foncier à l’échelle locale et qui ont besoin de revenus passifs énormes, puisque ces projets ne généreront pas de retours avant cinq, 10, voire 15 ans. Dans ce contexte, 50 000 $ est une somme dérisoire, n’est-ce pas?

Vous avez posé une bonne question. Il faut y regarder de plus près. Est-ce que les petits promoteurs immobiliers seraient rayés du marché dans son ensemble? Est-ce que les changements proposés favoriseraient exclusivement les grandes sociétés du secteur de l’aménagement foncier?

Notre situation est délicate puisque nous représentons les entreprises grandes et petites, mais on n’a sans doute pas bien mesuré les conséquences accidentelles des modifications proposées.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les deux pour vos exposés. Beaucoup de choses que vous avez dites sont revenues de manière récurrente pendant les témoignages. Il ne faut pas se priver de les redire pour autant. Plus nous les entendons, plus elles ont de chances d’influencer un représentant du gouvernement. C’est du moins ce que nous espérons.

La question de l’investissement passif semble être de la plus grande importance. Quelle limite devrait-on imposer aux investissements passifs? À moins que vous ne croyiez qu’aucune limite ne devrait être imposée? Si une limite est nécessaire, pourquoi?

Mme Guérette : Le témoignage de la représentante de MNP était très éclairant. Sa suggestion d’imposer une limite en fonction de la taille de l’entreprise me paraît judicieuse, si je l’ai bien comprise. Ce serait une idée. Entre un constructeur qui bâtit cinq maisons par an et un promoteur immobilier qui a besoin d’une quantité considérable de capitaux pour saisir les occasions d’affaires qui se présentent, la réalité est bien différente.

Il ne semble pas qu’une solution unique puisse fonctionner. On peut penser à un calcul au prorata en fonction de la taille de l’entreprise. Je n’ai pas la réponse, puisque je ne suis pas une experte en la matière, mais cette solution semblerait plus convenable.

Le sénateur Neufeld : Qu’est-ce qui vous fait penser qu’une limite devrait être imposée aux entrepreneurs? Voilà où je veux en venir. Pourquoi croyez-vous qu’une limite est nécessaire?

Mme Guérette : Comme nous l’avons indiqué dans nos notes, nous soutenons qu’il ne devrait pas y avoir de limite.

Le sénateur Neufeld : Il ne devrait pas y avoir de limite.

Mme Guérette : En effet.

M. Niebergall : Nous sommes bien d’accord là-dessus. Tout le monde se réjouit de l’allègement de l’impôt sur les sociétés. Je m’exprime ici à partir de simples remarques officieuses que différents membres de notre association ont formulées, mais je pense que, bien franchement, ils préféreraient encore que l’on augmente les impôts sur les sociétés et que l’on oublie toutes ces modifications. Il s’agit seulement de remplir les coffres du gouvernement. Comme je l’ai déjà dit, la tâche sera plus complexe pour les entreprises. La somme de travail paraît imposante.

Le sénateur Neufeld : Oui, pour le peu que ces entreprises recevront en échange.

M. Niebergall : Oui.

Le sénateur Neufeld : Selon ce que j’en comprends, on parle ici de saupoudrer 250 millions de dollars sur un budget de 300 milliards. Comprenez-moi bien, 200 millions ou 250 millions de dollars, c’est beaucoup d’argent, mais en regard du budget de 300 milliards de dollars, ce n’est pas une somme énorme, étant donné la complexité que vous avez mentionnée. Qui plus est, les gens ignorent encore en quoi consistera cette complexité et comment la mesure sera appliquée. Selon qu’ils seront basés en Ontario ou dans ma région, par exemple, les agents de l’ARC ne l’appliqueront sûrement pas de la même manière, sans que cela soit volontaire. S’il revient à ces agents de se faire une idée de la loi, c’est simplement dans la nature humaine que d’agir ainsi, ne croyez-vous pas?

M. Niebergall : En effet. Lorsque l’on s’attarde aux détails concrets, les vérifications fiscales deviennent assez subjectives et diverses. C’est là, je crois, une chose prouvée, bien documentée et bien comprise.

Si le vérificateur de l’impôt voit les choses sous un certain angle, vous n’avez d’autre choix que de passer par certaines structures pour faire valoir votre désaccord, obtenir une décision fiscale et gérer toute cette complexité. De telles situations risquent de survenir plus souvent. Je le répète : il faudra abattre beaucoup de travail pour obtenir des résultats différents.

Le sénateur Neufeld : Des résultats très modestes.

La sénatrice Andreychuk : Merci de votre présence; vous représentez une province qui m’est chère. Je voudrais faire une déclaration. Monsieur Niebergall, je crois que votre approche a suscité l’intérêt de certains de mes collègues. En affaires, vous les avez incités à rendre des comptes et à faire preuve de transparence, d’une certaine manière. Aussi, vous avez travaillé avec l’université. Vous avez donc su rassembler des universitaires, des théoriciens et des praticiens. C’est précisément ce qui manquait à notre étude. Nous avons des gens du ministère des Finances, mais nous n’avons pas encore établi de relation significative avec les gens qui travaillent sur le terrain. À l’université et à vous-même, je dis bravo pour ce genre de partenariat. Selon moi, c’est ce qui fait que nous accomplirons des progrès.

Ma question porte plutôt sur les nouveaux immigrants, c’est-à-dire les nouveaux arrivants dont vous avez parlé. Les premières personnes qui ont immigré au Canada en masse — sans oublier toutes les exceptions — étaient des gens qui cherchaient des terres. Ils connaissaient la terre. Ils étaient plutôt d’origine paysanne; ils accordaient de l’importance à l’agriculture. En revanche, les nouveaux immigrants ont un bagage marqué par l’urbanité et l’entrepreneuriat dans les marchés — les vrais marchés, tels les souks. J’ai été étonnée de voir un si grand nombre d’entre eux aller prendre des risques financiers dans la campagne saskatchewanaise. Pourquoi ouvrir une nouvelle franchise là-bas? Pourquoi ce commerce est-il ouvert 24 heures sur 24? Ils utilisent leur argent et leurs compétences. Aussi, ils sont souvent amenés à se constituer en société, puisqu’ils possèdent des franchises. Il est possible qu’ils aient de l’argent quelque part, certains en ont apporté au Canada, mais ils n’ont pas d’antécédents au pays. La constitution en société leur donne la légitimité nécessaire à leur expansion.

Est-ce que le gouvernement a abordé ce sujet? Nous avons accueilli de nouveaux immigrants. Nous aurons besoin d’encore plus d’immigrants. La constitution en société est un outil dont ils ont besoin pour obtenir une légitimité. On ne semble pas en avoir tenu compte, sans compter que votre étude portait sur le logement abordable. Les taux observés en Saskatchewan sont restés fixes pendant un certain temps, avant de monter en flèche. Il n’y avait pas d’immeubles locatifs, pas de logements locatifs pour les jeunes familles, et cetera.

À mon sens, il ne s’agit pas d’une simple politique fiscale; cela a des ramifications dans le domaine de la citoyenneté et de l’immigration, ainsi que des politiques en matière de logement.

Avez-vous pu attirer l’attention de quelqu’un, y compris du ministre de la Saskatchewan, et lui dire ceci : « Les effets de ces mesures fiscales se répercuteront sur tous les autres domaines que vous tentez de bâtir? »

M. Niebergall : Non. C’est une merveilleuse idée, puisqu’il s’agit d’une mesure très importante. Au nombre des difficultés, il y a l’idée que l’on se fait parfois, au gouvernement, de l’industrie de la construction. On a tendance à voir l’ensemble du secteur comme un tout uni. En fait, il existe trois domaines dans la construction : l’industriel, le commercial et le résidentiel. Notre mode de fonctionnement est très différent de celui du domaine résidentiel. À bien des égards, dans le domaine résidentiel, on n’embauche pas du personnel; on requiert les services d’entreprises.

Prenons l’exemple d’un travailleur spécialisé dans les cloisons sèches. S’il va voir un constructeur pour lui demander du travail, il est possible que ce dernier lui réponde qu’il n’a besoin de personne. En revanche, si quelqu’un se présente est disant ceci : « Mon entreprise se nomme Stu’s Drywall Contracting Limited. Avez-vous du travail pour moi? », on lui répondra : « Oui, j’ai des cloisons qui doivent être faites dans 10 maisons. » C’est ainsi que les choses fonctionnent dans notre domaine. Sur un grand chantier industriel, les embauches passeront plutôt par les syndicats.

Si l’entrepreneuriat est si important dans notre secteur, c’est que nous tentons d’attirer des travailleurs qualifiés au pays. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral a établi de nouvelles cibles en matière d’immigration. Notre secteur a grand besoin de ces immigrants. Si nous voulons modifier de façon fondamentale le coût du logement sur le marché, nous avons besoin de travailleurs compétents, certes, mais il doit aussi y avoir davantage de concurrence, c’est-à-dire plus d’entrepreneuriat.

À titre d’exemple, supposons qu’il y a trois finisseurs de béton à Saskatoon. Un bon nombre de travailleurs qualifiés sont accueillis à Saskatoon et ils se retrouvent tous à l’emploi de ces trois entreprises bien établies. Certes, le travail sera fait rapidement, ce qui est très bien. Or, pour ce qui est d’achever les travaux de finition sur place, la structure de coûts demeurera inchangée.

En revanche, supposons que ces personnes arrivent dans un environnement plus ouvert à l’entrepreneuriat et que ce ne sont plus trois, mais bien six entreprises qui se font maintenant concurrence pour les mêmes contrats, l’effet sur le prix du produit final — c’est-à-dire de la maison — sera bien plus grand en fin de compte. Il y aura davantage de concurrence sur le marché.

L’esprit d’entreprise règle bien des problèmes au pays, dans plusieurs domaines. Je réitère donc la question que j’ai déjà posée, à savoir : la loi sur l’impôt encouragera-t-elle l’entrepreneuriat de façon fondamentale, ou va-t-elle au contraire le miner?

Vous avez entendu les témoignages de tous ceux qui éprouvent des difficultés. Même si on ne comprend pas, quelle impression cette mesure donne-t-elle en fin de compte? Même MNP, Deloitte & Touche et autres ne sauraient bien vous conseiller à ce sujet.

Le simple fait qu’il y ait une discussion à propos de ces modifications commence à générer des risques artificiels qui, pour un entrepreneur qui vient d’arriver au Canada, compromettent l’investissement de son propre capital dans l’entreprise en démarrage qu’il souhaite lancer.

La sénatrice Andreychuk : Je dirai, pour faire suite à ce que vous dites, que je connais les échappatoires fiscales. Un avocat fiscaliste peut extraire différents avantages et interprétations de la loi, mais l’interprétation finale revient à l’ARC. C’est vrai dans tous les systèmes. L’évasion fiscale est complètement différente. En tant qu’avocate, je disais à mes clients : « Vous pouvez tirer le meilleur parti possible de la loi selon la manière dont vous entendez gérer votre entreprise. Je vous aiderai. » Il existe toutes sortes de cas de personnes qui ont dépassé les bornes en me demandant d’envisager l’évasion fiscale. Elles n’inventent pas de nouvelles lois. Elles savent quand elles ont dépassé les bornes.

On a laissé entendre qu’elles avaient peut-être dépassé les bornes et qu’on voulait les coincer. D’une manière ou d’une autre, on a convaincu le ministre que le système qu’il met en place sera plus restrictif, alors que l’esprit d’entreprise nécessite une plus grande flexibilité.

Selon moi, nous faisons fausse route. Le débat ne devrait pas porter sur ceux qui ont dépassé les bornes. La question est plutôt la suivante : comment faire, dans le cadre d’un système fiscal soumis à l’interprétation, pour donner autant de flexibilité que faire se peut aux entrepreneurs ingénieux avec lesquels vous travaillez?

M. Niebergall : Bien dit.

La sénatrice Andreychuk : Je viens de Regina. Je ne vous contredis pas.

Le sénateur Mockler : Merci. Voilà qui conclut notre journée à Saskatoon.

Je remercie la sénatrice Andreychuk pour l’hospitalité.

Je remercie les deux témoins que nous venons d’entendre, Mme Guérette et M. Niebergall, pour leurs observations.

(La séance est levée.)

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