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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 2 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, pour étudier la teneur complète du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Français]

J’aimerais souhaiter la bienvenue aux gens présents dans la salle et à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent à la télévision ou en ligne.

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, et président du comité.

[Traduction]

Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, Alberta.

Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, Ontario.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, Ontario.

Le président : Je tiens à souligner la présence de la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et de nos deux analystes, Sylvain Fleury et Alex Smith, qui, ensemble, appuient le comité dans ses travaux.

Ce soir, mesdames et messieurs, nous poursuivons notre étude de la teneur complète du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Aujourd’hui, nous accueillons des fiscalistes chevronnés venant de cabinets comptables de renom. Nous les avons invités à venir nous présenter leur point de vue sur certains aspects du projet de loi.

Nous voulons débattre des changements proposés à l’imposition des sociétés privées, un sujet que nous avons examiné en profondeur au cours de notre étude spéciale, l’automne dernier.

Nous accueillons donc ce soir, du cabinet MNP, Jennifer Kim Drever, associée, Fiscalité. Merci d’avoir accepté notre invitation, madame Drever.

Nous avons aussi Peter Weissman, associé chez Cadesky Tax. Merci, monsieur Weissman d’avoir accepté notre invitation.

Enfin, de BDO Canada, nous accueillons Rachel Gervais, associée, chef des services en fiscalité du groupe de la RGT. Merci d’avoir accepté notre invitation.

Mesdames et monsieur, bienvenue, et merci d’avoir accepté de nous faire part de vos points de vue et de vos connaissances.

J’invite maintenant les témoins à présenter leur déclaration préliminaire, en commençant par Mme Drever, qui sera suivie de M. Weissman puis, pour conclure, de Mme Gervais. Après le dernier exposé, les sénateurs poseront des questions.

Madame Drever, vous avez la parole.

Jennifer Kim Drever, associée, Fiscalité, MNP s.r.l. : Merci de nous avoir donné l’occasion de vous parler de nouveau.

MNP est fortement d’avis qu’une réforme fiscale complète s’impose, sans quoi le système fiscal deviendra de plus en plus complexe et onéreux. Il est crucial de le simplifier et de le moderniser.

MNP représente plus de 150 000 petites entreprises au Canada, y compris 16 000 exploitations agricoles. Nous sommes les experts au pays en matière de fiscalité des petites entreprises. Personne au Canada ne travaille autant que MNP avec les petites entreprises au quotidien.

Je félicite le gouvernement d’avoir pris le temps d’écouter les inquiétudes soulevées par le milieu concernant les propositions fiscales relatives aux sociétés privées. L’avant-projet de loi publié le 13 décembre 2017 sur les règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné, que nous appelons IRF, de même que sur les nouvelles règles annoncées dans le budget fédéral de 2018 au sujet du revenu de placement passif ont permis de répondre à plusieurs de nos préoccupations. Toutefois, nous estimons qu’il reste encore du travail à faire.

Compte tenu du temps qui nous est alloué aujourd’hui, je m’attarderai principalement sur le sujet de l’IRF. Les nouvelles règles relatives à l’IRF ciblent injustement les entreprises de services qui représentent 78 p. 100 des petites entreprises canadiennes.

Il y a aussi le nouveau critère de 20 heures par semaine travaillées en moyenne dans l’entreprise. La plupart des entreprises de famille, y compris les entreprises agricoles familiales, n’ont jamais jusqu’à présent fait un suivi du nombre des heures travaillées par les propriétaires de l’entreprise. Nous nous demandons comment nous pourrons satisfaire l’ARC lors d’audits. Nous n’aurons aucune autre preuve à l’appui que les témoignages personnels.

Cette loi pourrait être rétroactive. Cela étant, nous serons pénalisés pour n’avoir pas tenu des dossiers que nous n’étions pas obligés de tenir au moment où le travail était accompli.

Le dernier critère est celui du caractère raisonnable. Ces règles relatives à l’IRF créent de nouveaux facteurs pour lesquels le caractère raisonnable devra être pris en compte. Le travail n’est qu’un facteur. Dans son cas, nous pouvons nous reporter au caractère raisonnable présenté dans la Loi de l’impôt sur le revenu, mais ce nouveau critère de caractère raisonnable estompe la distinction entre un rendement du capital investi et l’élément travail. C’est tout à fait nouveau.

À cet égard, nous demandons que l’ARC et le ministère des Finances travaillent ensemble pour produire une façon équilibrée d’interpréter ou de déterminer le caractère raisonnable. Cela permettrait aux Canadiens tout autant qu’à l’ARC d’appliquer le cadre de travail de façon uniforme.

Sans un cadre définissant le caractère raisonnable, et compte tenu du nombre important d’entreprises qui compteront sur ce critère pour que l’IRF ne s’applique pas à elles, on peut s'attendre à ce que nous finissions souvent devant les tribunaux. Il faudra des années avant que nous n’ayons une notion de la façon dont ces différents critères de caractère raisonnable fonctionnent.

J’aimerais vous présenter un exemple, le cas de Bob et Karen, propriétaires de BK Transport. Cette entreprise représente un client type un peu partout au Canada. Au cours des 30 dernières années, leur entreprise a connu une croissance constante, passant d’une petite entreprise de camionnage à une entreprise ayant un capital important, avec de nombreux employés et des activités dans trois provinces.

Karen est malade. Elle a réduit ses activités et vient désormais rarement au bureau. Par le passé, comme de nombreux propriétaires d’entreprise, Bob et Karen se versaient des dividendes plutôt que de se payer un salaire. Personne n’avait besoin de remplir une feuille de temps et, donc, personne ne le faisait.

En raison des changements relatifs à l’IRF, nous devons maintenant déterminer la valeur relative dans l’entreprise du rôle de Bob comparativement à celle du rôle de Karen. Il va falloir déterminer le partage des bénéfices retirés de l’entreprise qu’ils ont créée ensemble.

Tout d’abord, il faut déterminer si l’IRF s’applique. Étant donné que les deux sont actionnaires de l’entreprise, l’IRF s’applique à moins que je ne trouve un moyen de l’éviter. Il s’applique automatiquement jusqu’à preuve du contraire.

Dans le cas de Bob, il faut commencer à compter ses heures. Cela alourdira son fardeau administratif, mais c’est possible. Dans le cas de Karen, ce ne sera pas possible, parce qu’elle vient désormais rarement au bureau.

BK Transport œuvrant dans le secteur du camionnage, c’est une entreprise de services. Ainsi donc, elle ne sera pas admissible à l’exclusion. Quand on explique ceci à Bob et Karen, ils n’arrivent pas à comprendre comment une compagnie manufacturière ayant à son service un nombre comparable d’employés et qui est tenue aux mêmes exigences en matière de capital requis serait admissible alors que BK Transport ne le serait pas pour la simple et unique raison que c’est une entreprise de camionnage.

En vertu de l’avant-projet de loi, le dernier recours possible est le critère du caractère raisonnable. Ce critère est très subjectif. Sommes-nous d’avis que les dividendes versés à Bob et Karen sont raisonnables? Oui, nous le croyons. Pouvons-nous être certains que l’ARC en conviendra? Non, nous ne le pouvons pas.

Bob et Karen bénéficieraient d’une meilleure orientation administrative quant à ce qui serait considéré comme étant raisonnable, et une plus grande clarté quant aux entreprises que l’on vise à attraper. À notre avis, attraper des entreprises comme BK Transport est une conséquence non voulue de ce projet de loi.

En ce qui concerne le revenu passif, l’avant-projet de loi représente une nette amélioration par rapport aux propositions publiées en juillet. Nous reconnaissons l’engagement du gouvernement à atteindre un équilibre acceptable à ce sujet.

Dans notre mémoire, nous présentons trois observations à votre intention sur ces propositions.

En conclusion, le projet de loi C-74 représente une amélioration marquée par rapport à ce qui avait été proposé en juillet. Ceci étant dit, il importe de simplifier encore de beaucoup les règles applicables à l’IRF. Il est crucial que les petites entreprises du Canada et leurs propriétaires puissent les comprendre.

Nous vous prions de prendre en considération nos trois recommandations. La première recommande une réforme fiscale approfondie. C’est une chose dont nous avons grandement besoin au Canada, et elle devrait couvrir toutes les formes de taxation et non simplement l’impôt sur le revenu.

Les nouvelles règles relatives à l’IRF ciblent injustement les entreprises de services. Que cela soit intentionnellement ou non, nous estimons que les entreprises de services devraient être spécifiquement exclues dans la définition d’actions exclues. À notre avis, il est injuste que les entreprises de services soient assujetties à l’IRF quand d’autres entreprises actives ne le sont pas.

Nous vous encourageons à poursuivre la collaboration avec tous les intervenants et experts pour que nous avancions vers une équité fiscale pour tous les Canadiens, comme cela s’est produit dans le cas des propositions sur le revenu passif.

C’est avec plaisir que je répondrai aux questions du Comité au sujet de l’IRF, du revenu passif et du régime de l’IMRTD.

Peter Weissman, associé, Cadesky Tax, à titre personnel : Je ne serais pas très orthodoxe dans ma démarche ce soir. J’ai des notes d’allocution, mais je m’en écarterai de temps à autre.

En chemin pour venir ici, enfin sans un manteau d’hiver, je pouvais sentir le printemps dans l’air. Les paroles d’une chanson me sont venues à l’esprit, et j’ai pensé que l’hiver avait été long. C’est alors que j’ai pensé à la chanson « A Long December » de Counting Crows:

Un mois de décembre qui s’éternise, et on peut espérer

Que peut-être cette année sera meilleure que l’année passée

J’ai pensé que ces paroles étaient parfaites, car, sincèrement, le 13 décembre 2017 était une journée de contrastes. C’était le jour où votre comité a fait d’excellentes recommandations et a demandé au gouvernement de mettre au rebut ses propositions concernant l’impôt sur les sociétés privées et d’entreprendre un examen approfondi du régime fiscal du Canada.

Je vous remercie d’avoir eu le courage de faire cette demande au gouvernement. Je crois qu’elle a eu un certain effet, mais le gouvernement a ignoré vos recommandations ou y a répondu par un silence, chose peu surprenante.

En outre, vous avez demandé qu’il reporte au 1er janvier 2019 la mise en œuvre des règles concernant l’IRF. Là encore, je vous remercie pour ce conseil judicieux. Les fiscalistes et les propriétaires d’entreprise vous en sont reconnaissants.

Je vais parler des diverses règles. Si je dis que le 13 décembre était une journée de contrastes, c’est que nous avons eu votre rapport, qui était la voie de la raison, puis, plus tard cette journée-là, le ministre Morneau est sorti de la Chambre après l’ajournement pour la période des fêtes, et nous a donné le projet de loi de l’IRF.

Le 13 décembre, on nous a annoncé une nouvelle loi qui, je vous assure, ne sera pas facile. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier, pendant l’intersession. Il n’y a pas de petits rajustements; j’y reviendrai dans un moment. Je suis un fiscaliste; je peux me tromper dans mes calculs, mais cela a donné aux fiscalistes et aux entreprises exactement 18 jours pour comprendre ces règles compliquées.

Les règles que nous avions auparavant n’étaient pas des exemples de ce que nous pouvions gérer. Les nouvelles règles sont passées de 27 pages à 11 pages sur la répartition du revenu. Quand nous avons déjà l’impôt des enfants mineurs et le régime de fractionnement du revenu, 11 pages, c'est scandaleux. Disons les choses comme elles sont.

J’aimerais parler de trois éléments du projet de loi C-74. Je serai très bref et serai heureux de répondre ensuite à vos questions ou observations. J’ai mes propres idées au sujet de l’observation de Mme Drever concernant les entreprises de services. Je vous les présenterai volontiers.

En ce qui concerne la baisse du taux d’imposition des petites entreprises, j’aimerais vous dire certaines choses dont vous et le public n’avez pas été informés. Quand il a fait son annonce, le gouvernement l’a présentée comme étant une grâce extraordinaire pour les entreprises. Une réduction du taux d’imposition de 11,5 p. 100 à 9 p. 100 d’ici 2019 signifie que, sur un revenu de 500 000 $, une entreprise paiera 7 500 $ de moins en impôt. Le gouvernement a présenté ceci comme étant un bienfait extraordinaire pour les entreprises.

En réalité, si l’on regarde les notes de bas de page du document d’information publié le 16 octobre, je crois, une petite note précise qu’il y aura une augmentation du taux d’imposition des dividendes. Nous avons d’une part 1,5 p. 100 de réduction du taux d’imposition des petites entreprises à compter de 2019, et nous avons d’autre part une augmentation de 1,5 p. 100 du taux d’imposition des dividendes à compter de cette date.

Les taux applicables aux dividendes en Ontario s’élèvent actuellement à environ 45,3 p. 100. En 29 ans d’expérience de la fiscalité, je ne pense pas les avoir vus aussi hauts. Ils iront jusqu’à 47 p. 100 à cause de ce cadeau aux petites entreprises.

Disons qu’une société gagne 100 000 $. Elle économise 1 500 $ d’impôt avec ce cadeau du gouvernement, mais tous les autres gains qu’elle a accumulés jusqu’à présent et n’a pas encore tirés seront imposés à un taux augmenté de 1,5 p. 100.

Prenons une société en exploitation depuis 10 ans, dont le chiffre d’affaires est de 100 000 $ et qui paye son impôt de petite entreprise; l’actionnaire paiera 13 500 $ de plus en impôt, mais n’économisera que 1 500 $ en raison de la réduction de l’impôt sur les petites entreprises. C’est un calcul que le gouvernement n’a annoncé à personne, et il est crucial.

Le taux d’imposition des petites entreprises, croyez-moi, n’est pas accepté, ou accepté de bon gré. Le gouvernement pense avoir réalisé un coup de circuit. Les contribuables sont la foule, et elle veut renvoyer la balle sur le terrain.

En ce qui concerne la répartition du revenu, dès le départ, le 18 juillet, nous avons déclaré que le fractionnement du revenu est une cible juste, mais la complexité et la subjectivité de la Loi de l’impôt sur le revenu mèneront tout droit à des litiges fiscaux, à des honoraires élevés, à une planification incertaine, à des relations difficiles avec un ARC qui a la capacité de vous déclarer coupable jusqu’à preuve du contraire, et à l’engorgement du système judiciaire de l’impôt qui est déjà sous-financé. Ce n’est pas du tout nécessaire.

Nous avons déjà des règles liées à la répartition du revenu. Nous appelons cela l’impôt des enfants mineurs. Un moyen simple de générer des recettes additionnelles, et de restreindre le fractionnement du revenu lorsque celui-ci est trop fréquent, serait d’étendre simplement à 25 ans l’âge applicable à l’impôt des enfants mineurs. C’est simple et peut se faire au moyen de quelques phrases dans la loi et non de 11 pages de règles compliquées et subjectives.

Jetons un coup d’œil à ces 11 pages. Certaines personnes ont tracé des arbres de décision. Je voulais vous en montrer un ce soir, mais ce ne sont pas des arbres de décision, ce sont, à mon sens, des buissons de décision. Ces règles sont extrêmement compliquées et tout à fait inutiles.

S’il faut régler la question, optons pour le critère de l’âge. Il est simple et subjectif. Il ne règle pas la question pour les conjoints et d’autres personnes, mais c’est certainement une meilleure solution que les propositions liées à la répartition du revenu.

Celles-ci sont si compliquées que même le directeur parlementaire du budget, ou DPB, ne les comprend pas. J’ignore si plusieurs d’entre vous ont lu le rapport du 8 mars, mais le DPB n’a pas réussi à déterminer à qui ces règles s’appliquent. Nous non plus d’ailleurs. Elles s’appliquent maintenant à des personnes dont nous ne sommes pas au courant parce que leur date d’entrée en vigueur était le 1er janvier 2018.

Le DPB a fait quelques calculs et le gouvernement nous a dit que ces mesures représenteraient un gain de peut-être 250 millions de dollars, ce qui n’a aucun sens à notre avis, parce que le coût administratif que ces règles représentent pour le gouvernement s’élèvera à bien plus que 250 millions de dollars.

Le DPB a déclaré penser que cela représenterait peut-être 660 millions de dollars. Quand on ajoute l’effet provincial, ces règles compliquées liées au fractionnement du revenu représenteront un fardeau fiscal de plus de 1 milliard de dollars pour les petites entreprises. Ce n’est pas ce que le gouvernement avait dit qu’il allait faire. Je ne crois pas qu’il se rend compte de ce qu’il a fait. Je ne mettrai pas des gants blancs ici. Il ne l’admet pas.

Le gouvernement est revenu sur ses pas pour beaucoup de ce qu’il avait annoncé en juillet. Je crois que cela est largement attribuable aux travaux de votre comité et d’un grand nombre de fiscalistes. Il y a lieu de retirer du projet de loi les règles liées au fractionnement du revenu. Elles ne devraient pas figurer dans la loi.

Enfin, j’ai quelque chose de gentil à dire au sujet du revenu passif. Les fiscalistes estiment que ce qui avait été proposé pour le revenu passif était absolument horrible. Ce que nous avons maintenant semble être une indication que le gouvernement nous a écoutés, et qu’il est revenu avec quelque chose que, à mon avis, nous pouvons tous accepter. Nous pouvons ne pas tous convenir que c’est nécessaire, mais je crois que nous pouvons tous l’accepter. Je remercie quiconque a participé à la prise de cette décision.

J’aimerais maintenant parler de deux aspects des propositions liées au revenu passif. Ces propositions rajustent à la baisse l’accès au taux d’imposition inférieur en fonction des revenus d’investissement réalisés par une entreprise. Ces seuils ne sont pas indexés. Je vais vous donner un exemple.

Le rajustement à la baisse commence à un revenu d’investissement de 50 000 $. Ce chiffre est fondé sur une décision arbitraire du gouvernement selon laquelle un capital de 1 million de dollars avec un rendement de 5 p. 100 est tout ce dont une entreprise a besoin pour fonctionner. J’ignore comment les intéressés sont arrivés à cette décision de 1 million de dollars, mais je crois que certaines de ces personnes n’ont jamais géré une entreprise privée ou travaillé dans une entreprise privée. Elles ne devraient vraiment pas prendre de telles décisions. Toujours est-il qu’elles l’ont fait.

Dorénavant, ce nombre est passé de 50 000 $ à 150 000 $. Avec un rendement de 5 p. 100, cela commence avec un capital de 1 million de dollars. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais les taux d’intérêt montent. La TD vient tout juste d’augmenter à 5,59 p. 100 son taux débiteur, soit une augmentation de 45 points de base. Si l’on prend ce 5 p. 100 et le montons à 7 p. 100, le nombre de 50 000 $ est atteint avec un capital d’environ 700 000 $.

Ces règles sont contre-intuitives compte tenu du climat actuel. Il n’y a pas d’indexation. Les seuils ne sont pas rajustés, et ils devraient l’être. Nous sommes soudainement passés d’un point de référence de 1 million de dollars à presque 700 000 $ du jour au lendemain. Et tout cela à un moment où les taux d’intérêt montent et les entreprises ont besoin de capital plus que jamais. C’est le gros problème que je vois dans les propositions liées au revenu passif.

Enfin, quand une entreprise est transmise des parents aux enfants, bien souvent, les parents mettent un gel sur la valeur, parce qu’ils ont atteint le capital dont ils ont besoin pour prendre leur retraite, et ils confient la croissance de l’entreprise aux enfants. Les enfants doivent gérer l’entreprise et bâtir leur propre capital. Selon les propositions liées au revenu passif, le capital des parents élimine pour les enfants la possibilité d’accéder au taux d’imposition des petites entreprises que le gouvernement a déclaré être très important pour les entreprises en démarrage.

Une entreprise familiale dont le capital a été gelé et qui a été transmise aux enfants n’est pas très différente d’une entreprise en démarrage. Les enfants n’ont pas accès au capital qui s’y est accumulé pour pouvoir exploiter l’entreprise. Ce capital est consacré aux parents pour leur retraite. Les propositions ne tiennent pas compte non plus de ce facteur.

Je vous remercie de m’avoir donné la possibilité d’exprimer mes pensées, et je suis prêt à répondre à vos questions.

Rachel Gervais, associée, chef des services en fiscalité du groupe de RGT, BDO Canada s.r.l. : Je suis une fiscaliste associée chez BDO. Je suis à la tête du groupe des services en fiscalité pour la région du Grand Toronto, et je fais partie de l’équipe de direction en fiscalité de la société.

J’ai eu le plaisir de comparaître devant votre comité le 24 octobre 2017 pour présenter le point de vue de notre société quant aux propositions liées à l’impôt des sociétés privées faites en juillet et octobre par le ministère des Finances. Cette fois-ci, j’ai le plaisir de passer en dernier et cela me permet de vous dire qu’il y a une cohérence certaine dans la perspective des fiscalistes sur notre situation aujourd’hui.

Comme je l’ai mentionné la dernière fois, BDO Canada est une société de services professionnels de renom dans le marché canadien. Nous servons des milliers de propriétaires d’entreprise qui travaillent fort, de familles et de particuliers qui sont de véritables entrepreneurs et des moteurs de l’économie canadienne.

Ainsi, nous avons un point de vue unique sur ce segment important de l’économie canadienne, les difficultés auxquelles il est confronté et le type de politiques fiscales dont notre pays a besoin pour appuyer adéquatement les entreprises canadiennes et leurs propriétaires.

Vous nous avez demandé ce que nous pensons de certaines des mesures du projet de loi C-74, et en particulier des dispositions sur la répartition du revenu, la restriction de l’accès au taux d’imposition des petites entreprises quand il y a un revenu passif et la baisse du taux d’imposition des petites entreprises.

Avant de vous présenter notre point de vue sur chacune de ces mesures précises, j’aimerais commencer par quelques observations d’ordre général concernant la compétitivité fiscale du Canada. Le projet de loi d’exécution du budget n’aborde pas la question de la compétitivité fiscale du Canada à l’échelle mondiale, et notamment avec les États-Unis, surtout en ce qui concerne les taux d’imposition des entrepreneurs et des particuliers.

Par exemple, les États-Unis ont récemment réduit leurs taux supérieurs d’imposition des particuliers. Ces taux s’appliquent à des seuils de revenu imposable beaucoup plus élevés comparativement au Canada. En outre, les États-Unis ont récemment prévu la déduction immédiate de certaines dépenses en capital. Si l’on compare ceci au Canada, nous avons des taux de dépréciation fiscale bien plus faibles et plus lents.

Aussi, comme je vous l’ai mentionné la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, nous avons recommandé un examen approfondi du régime fiscal du Canada afin de faire en sorte que le Canada ait un système compétitif qui appuie les investissements des entreprises et encourage les particuliers possédant les compétences requises par les entreprises à travailler et vivre au Canada. Les entreprises canadiennes et leurs propriétaires ont besoin de clarté, et nous avons besoin d’un système fiscal qui soit équitable, simple et beaucoup moins complexe.

Les dispositions sur la répartition du revenu contenues dans le projet de loi C-74 tentent de simplifier l’expansion initiale de juillet 2017 des règles concernant le fractionnement du revenu, ou l’IRF. De nombreux fiscalistes étaient d’avis que les propositions initiales de juillet étaient bien trop larges et bien trop complexes pour que l’on puisse fonctionner. C’est ce qui a été dit clairement durant la période de consultation.

Le ministère des Finances a écouté nos préoccupations, il a publié des annonces en octobre et produit une deuxième version de l’avant-projet de loi concernant la répartition du revenu en décembre 2017.

L’avant-projet de loi présente une approche simplifiée avec des exclusions et des règles de la ligne de démarcation très nette qui permettent de déterminer quand une personne est assujettie aux règles.

Cependant, l’avant-projet de loi comporte encore des concepts très larges et des exigences de conformité qui rendront l’interprétation et l’application de ces règles très difficiles pour les contribuables, en particulier les petites entreprises et leurs conseillers.

Compliquant encore plus les choses, si les règles sont adoptées sous leur forme actuelle, elles sont déjà en vigueur, comme les deux autres témoins l’ont mentionné, nous laissant dans la triste situation de ne pas pouvoir planifier correctement nos dossiers.

La généralité des concepts et l’ambiguïté de la formulation de l’avant-projet de loi sont les aspects qui nous inquiètent le plus dans les changements apportés à l’impôt sur le revenu fractionné. Nous estimons que le ministère des Finances et l’ARC ne donnent pas des directives claires pour l’application de ces règles. Celles-ci donneront lieu à des exigences de conformité et à des coûts supplémentaires pour prouver que l’exclusion au titre des règles sur le fractionnement du revenu s’applique.

Enfin, il y a le problème de la mise en œuvre qui, comme nous l’avons mentionné, met en vigueur les règles au 1er janvier 2018, alors que nous n’avons vu l’avant-projet de loi que le 13 décembre. Il y a beaucoup d’incertitude quant à la façon d’appliquer les règles. Les contribuables et leurs conseillers seront confrontés au risque de ne pas pouvoir planifier correctement leurs stratégies de rémunération pour 2018. Nous estimons que cela n’est pas juste pour les contribuables. Notre système fiscal devrait offrir davantage de certitude de sorte que les contribuables puissent planifier correctement leurs affaires.

Nous recommandons fortement que la mise en œuvre des règles soit reportée d’un an, en attendant que nous obtenions du gouvernement une meilleure explication de la façon d’appliquer ces règles.

En ce qui concerne les changements portant sur le revenu passif et la récupération de la déduction des petites entreprises, les changements proposés dans le budget fédéral de cette année attestent le fait que le gouvernement a écouté les préoccupations formulées au sujet des idées initiales proposées en juillet, puis en octobre.

D’un point de vue stratégique, nous estimons que les nouvelles propositions sont logiques: si une société est utilisée essentiellement comme un outil d’épargne, elle perdra la déduction pour les petites entreprises et assumera un coût fiscal.

Le seuil autorisé de 50 000 $ pour le revenu passif signifie que les épargnes temporaires représentées par les investissements d’une société ne seront pas assujetties à un impôt punitif à ce niveau. Nous remarquons aussi que ces mesures sont bien plus simples à appliquer que les propositions initiales.

Cependant, la récupération de la déduction accordée aux petites entreprises semble être très punitive avec 5 $ pour chaque dollar de revenu passif dépassant 50 000 $. Peut-être qu’une récupération plus modeste serait plus indiquée.

Enfin, en ce qui concerne la réduction du taux d’imposition des petites entreprises, c’est certainement une chose positive pour la communauté des PME, car cela permet aux propriétaires de laisser de l’argent à réinvestir dans la société. Nous remarquons, cependant, que du point de vue de l’intégration, ces mesures maintiendront essentiellement les coûts d’intégration à environ 1 p. 100.

Pour terminer, malgré le fait que les dernières versions de l’avant-projet de loi sont une nette amélioration par rapport aux versions de juillet et octobre 2017, nous sommes d’avis que d’autres modifications s’imposent encore.

Notre société est fortement d’avis que notre système fiscal doit être équitable, simple et clair. Nous restons tout à fait disposés à travailler avec le gouvernement canadien, les entreprises canadiennes et tous les intervenants pertinents pour collaborer à la production de telles modifications et participer à un examen fiscal approfondi.

Je vous remercie d’avoir écouté notre point de vue, et répondrai volontiers à vos questions.

Le président : Je demanderais aux trois sénatrices qui viennent d’entrer dans la salle de se présenter.

[Français]

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan. Je suis désolée, ma présence à un autre comité m’a empêchée d’être ici dès le début et d’entendre vos témoignages complets.

La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto. Elle m’a gardée longtemps à sa réunion.

La sénatrice Marshall : Ma question porte sur le revenu de placement passif. Le budget précise le montant des recettes qu’il s’attend à recevoir de ces changements fiscaux. Dans le cas de la limite de revenu de placement passif des entreprises, c’est 1,2 milliard de dollars sur cinq ans. C’est la récupération fiscale dont vous avez parlé, madame Drever. Je comprends cela.

Hier, quand nous avons entendu les représentants du ministère des Finances, j’ai posé des questions sur la nature remboursable de l’impôt sur le revenu de placement.

Voici ce que j’ai demandé : cet impôt remboursable sera-t-il un jour remboursé aux contribuables? On me dit que oui, que c’est simplement une question de report et que cela sera fait à un moment donné dans le futur. On peut voir qu’au cours des cinq prochaines années, le gouvernement percevra plus de 1 milliard de dollars d’impôt remboursable sur le revenu de placement.

Je commencerais peut-être par vous, madame Gervais. Vous pourrez peut-être nous parler de cela. S’agit-il d’un problème d’échéancier? Le gouvernement va-t-il percevoir ces recettes puis rembourser l’impôt très loin dans le futur?

Mme Gervais : C’est l’échéancier.

La sénatrice Marshall : C’est le moment, n’est-ce pas?

Mme Gervais : C’est ce que je comprends, parce qu’on va limiter la capacité de rembourser l’impôt perçu des sociétés s’il y a différents portefeuilles de revenu, dividendes admissibles et dividendes non admissibles.

À l’heure actuelle, il y a dans la Loi de l’impôt sur le revenu une légère nuance selon laquelle on peut verser un dividende admissible au contribuable, l’actionnaire, mais quand même recevoir le remboursement d’impôt dans la société. Cette capacité sera limitée.

Quand je lis « revenu perçu », je ne vois pas cela comme un revenu pris définitivement. Je le prends en fonction du nombre d’années subséquentes avant que cela se produise; c’est ainsi que la loi a été rédigée. À un moment donné, l’impôt remboursable pourra être remboursé à la société pour le paiement des dividendes.

La sénatrice Marshall : À un moment donné. Monsieur Weissman, avez-vous une opinion là-dessus?

M. Weissman : Oui, merci. Ces propositions portent toutes sur le report. Elles ne concernent pas les nouveaux revenus générés.

De fait, le report a deux éléments. Je n’ai pas vu les chiffres que vous avez, mais l’impôt remboursable en est un et l’impôt remboursable existe déjà. L’élimination de la déduction accordée aux petites entreprises est probablement prise en compte dans les chiffres dont vous parlez parce que cela augmente l’impôt de la société.

En réalité, cependant, comme je l’ai expliqué plus tôt en ce qui concerne la déduction accordée aux petites entreprises, on ne pourrait peut-être pas le payer au niveau de la société. Cela signifie simplement que l’on se retrouve à payer d’avance l’impôt que l’on paierait sur les dividendes au moment de les retirer à une date ultérieure.

Je ne crois pas qu’il s’agit réellement d’une nouvelle source de revenu. Il s’agit simplement de percevoir un certain revenu plus tôt.

La sénatrice Marshall : Vous parliez aussi des dividendes, de la majoration des dividendes et du crédit d’impôt pour dividendes qui sera changé pour compenser la réduction des taux d’imposition des petites entreprises. Pouvez-vous expliquer ça de nouveau?

M. Weissman : Oui. Notre système fiscal est quelque peu unique. Il se fonde sur la théorie de l’intégration selon laquelle il ne devrait pas y avoir grande différence entre le revenu d’entreprise ou le revenu passif perçu personnellement ou par le truchement d’une société; autrement dit, en fin de compte, le total de l’impôt de la société et de l’impôt personnel payés devrait être le même que si la personne avait gagné ce revenu individuellement.

La théorie de l’intégration signifie que s’il y a une réduction de l’impôt de la société, le seul moyen d’égaliser l’impôt de la société et l’impôt personnel serait d’augmenter les taux d’imposition personnels. C’est ce qui se produit.

La sénatrice Marshall : Cela est-il sans incidence sur les recettes du gouvernement, ou celui-ci accumule-t-il des recettes supplémentaires?

M. Weissman : Je crois qu’il accumule des recettes supplémentaires. Dans l’exemple que j’ai donné, il perd 1 500 $ d’impôt des sociétés et gagne 13 500 $. Il accorde un allègement fiscal pour les revenus d’entreprise futurs, et il applique un taux d’imposition plus élevé aux dividendes sur tous les gains accumulés à l’ancien taux. Pour moi, cela a une incidence sur les recettes. Ce n’est pas sans incidence.

La sénatrice Marshall : Pour ma prochaine question, je commencerai par Mme Drever. Un d’entre vous, ou peut-être vous tous avez mentionné que cela aurait une incidence sur les entreprises de services.

Lors des témoignages avant Noël, beaucoup de médecins ont participé. Font-ils partie du groupe des entreprises de services dont vous parlez?

Mme Drever : Ils ne font pas partie de ce dont je parle. Les médecins sont des sociétés professionnelles, et les sociétés professionnelles ont été spécifiquement exclues de cette définition.

Le fractionnement du revenu de toutes les sociétés professionnelles sera assujetti à l’impôt à moins qu’elles ne répondent au critère des 20 heures ou que le dividende soit raisonnable dans les circonstances.

Les sociétés professionnelles n’ont pas été touchées, mais on a aussi parlé des entreprises de services. Le fait que les entreprises de services ont été spécifiquement exclues de la définition des conditions d’exclusion nous laisse très perplexes.

Un grand nombre des sociétés canadiennes sont des entreprises de services. Ce sont des hôtels et des sociétés de camionnage, et nous nous demandons pourquoi cette exclusion.

Nous pensons que le terme service a été utilisé pour désigner le capital. Nous nous demandons si c’est ce que cela voulait dire, que les sociétés hautement capitalistiques ne devraient pas avoir l’IRF, mais les sociétés non capitalistiques le devraient. Si c’est là l’intention, ce n’est pas ce qui a été rédigé.

La sénatrice Marshall : Cela me paraît être un changement, parce que quand nous avons eu les séances avant Noël, nous avons eu l’impression que c’était peut-être les médecins que le gouvernement visait.

D’après ce que vous dites maintenant, ce n’est pas le cas.

Mme Drever : Il vise toute société professionnelle. Les médecins, les dentistes, les comptables et les avocats sont tous visés, mais les entreprises de services le sont également.

La sénatrice Marshall : Vous serez tous intéressés à cette question.

Quels sont les conseils que vous donnez à vos clients au sujet de l’impôt sur le revenu fractionné? Vous avez parlé du critère des 20 heures, et vous avez mentionné le fait que vous n’avez eu que 18 jours de préavis avant que les règles n’entrent en vigueur.

Quels sont les conseils que vous donnez à vos clients? Vous ne leur donnez pas des conseils pour l’avenir seulement. Vous tentez de les conseiller sur ce qu’ils auraient dû faire par le passé et comment ils peuvent réparer les dommages, si possible.

Pouvez-vous nous parler un peu de cela?

Mme Drever : Comme les règles sont parues en décembre, nous avons eu quelques jours pour aider un petit nombre de personnes qui, à notre avis, seraient le plus gravement touchées, en accélérant peut-être les dividendes ou d’autres choses de ce genre aux conjoints ou aux membres de la famille pour qui, à notre avis, il n’y aurait pas la possibilité de verser des dividendes à l’avenir.

Nous avons fait un peu de planification avec certains clients qui ont reporté de l’impôt à 2017. Nous tentons vraiment de voir avec les clients comment planifier en supposant qu’ils pourront éviter l’IRF dorénavant.

Nous examinons les faits de chaque client individuellement. Si nous ne trouvons pas un moyen de l’éviter, on en arrive à voir comment nous pourrons documenter le caractère raisonnable. C’est très difficile pour nous de déterminer ce qui est raisonnable quand nous ne savons pas ce qui est raisonnable.

La sénatrice Marshall : Vous ne savez pas comment l’Agence du revenu du Canada appliquera les règles.

Mme Drever : En effet, nous ne savons pas comment ils appliqueront les règles. Le 13 décembre, le jour même où vous avez présenté votre rapport et l’avant-projet de loi a été déposé, certaines questions et réponses ont été publiées. Elles n’ont pas réellement touché la question du caractère raisonnable.

Le caractère raisonnable sera la plus grande difficulté des règles de l’IRF. Il y a mention du caractère raisonnable un peu partout dans la loi. Nous ne disons pas qu’il ne devrait pas s’y trouver. Il devrait y être.

Il figure dans la loi parce qu’il n’est pas possible de légiférer sur chacune de ces règles. Il est là pour réconforter un peu les contribuables et les Canadiens, mais l’ARC pourrait avoir un point de vue très différent de celui que nous, les conseillers, avons.

Nous prévenons les clients qu’il y a des risques, beaucoup de risques. On peut tirer des dividendes, mais on ne sait pas quel est le taux d’imposition. On peut penser que nous avons un certain taux d’imposition puis, plus tard, faire l’objet d’une réévaluation et devoir payer 45 p. 100 d’impôt.

M. Weissman : C’est une excellente question. La première chose que nous avons faite a été de dire aux clients, ceux que nous avons pu joindre et qui n’étaient pas en vacances à ce moment-là, de maximiser leurs dividendes pour 2017 et d’en profiter autant que possible.

Il y aura une augmentation des revenus pour 2017, pour la simple raison qu’il y aura moins de revenus à l’avenir. Les gens ont maximisé les revenus pour 2017.

Ensuite, nous avons examiné les règles. Quelque chose se produit quand les taux d’imposition augmentent. L’élimination du fractionnement du revenu constitue une augmentation de l’impôt. Nous avons des taux d’imposition courants de 53,5 p. 100 en Ontario, et le fractionnement du revenu est maintenant éliminé. Quand les taux d’imposition augmentent, je crois que les revenus diminuent parce que les gens deviennent plus agressifs et certains d’entre eux passent à la clandestinité. C’est la réalité.

À un moment donné, les gens se demandent pourquoi ils travaillent si fort et donnent au gouvernement 53,5 p. 100 de ce qu’ils ont gagné. Et maintenant, ils auront à lui en donner davantage. Un grand nombre de clients demandent quelles seraient des stratégies agressives. Honnêtement, notre travail consiste à les empêcher d’être trop agressifs et veiller à ce qu’ils fonctionnent dans les bornes de la légalité.

À dire franchement, nous sommes la première ligne pour l’ARC, parce que nous voyons plus de contribuables que ne le fait l’ARC. Je doute que n’importe qui d’entre nous à cette table ou des gens dans notre profession seraient prêts à perdre leur licence ou leur réputation en participant à quelque chose d’excessivement agressif. Nous devons conseiller les clients qui tentent d’être trop agressifs.

En troisième lieu, il y a d’autres stratégies pour retirer un revenu d’une entreprise et déterminer s’il y a d’autres possibilités légales qui leur permettront de bénéficier d’un meilleur taux d’imposition.

Mme Gervais : Je suis tout à fait d’accord. Il s’agissait à ce moment-là d’éduquer nos clients le plus rapidement possible en tenant un webinaire un ou deux jours après la publication en décembre de l’avant-projet de loi, mais aussi en tentant d’aider nos clients à qui les règles de la ligne de démarcation très nette s’appliquaient, une des exclusions ou portes de sortie dont il était question. Nous tentions d’aider nos clients à comprendre qu’une de ces portes de sortie les aiderait probablement.

Pour tous les cas où il y a cette incertitude sur le rendement raisonnable et le critère relatif à l’entreprise, nous avons choisi de dire qu’il valait mieux attendre de voir quel type de consignes nous donneraient le ministère des Finances et l’ARC en 2018 pour essayer d’y voir clair.

Dans la deuxième moitié de l’année, nous cherchions encore à résoudre le problème.

La sénatrice Marshall : Ça a beaucoup bougé dans la seconde moitié de décembre.

Mme Gervais : Beaucoup, en effet.

Le sénateur Pratte : Je voudrais revenir sur deux questions. Les représentants du ministère des Finances qui ont comparu devant nous nous ont expliqué qu’en gardant des critères de caractère raisonnable, on donnait une certaine latitude aux entreprises qui ne satisfaisaient pas aux critères de ligne de démarcation nette.

Pensez-vous que ce soit logique? Vous a-t-on laissé entendre que le gouvernement, l’ARC ou le ministère des Finances allaient vous donner d’autres consignes dans les prochains mois, afin que vous en sachiez plus pour conseiller vos clients?

Mme Drever : Je serais d’accord pour dire qu’ils confèrent une certaine latitude. C’est pourquoi notre cabinet souhaite que ces critères soient maintenus. Nous voulons simplement plus de consignes.

À ce que je me souvienne, nous n’avons rien reçu de l’ARC annonçant que l’Agence allait nous fournir d’autres consignes. Nous aimerions vraiment qu’elle travaille en concertation avec le ministère des Finances.

Le ministère des Finances a rédigé le projet de loi. Nous aimerions savoir ce qui est raisonnable selon lui et voudrions voir une concertation avec l’ARC parce que c’est elle qui applique la loi.

Nous ne voyons encore rien venir, et nous aimerions beaucoup qu’il se passe quelque chose sur ces points. Nous souhaitons conserver le critère du caractère raisonnable. Il est supposé aider lorsque nous ne satisfaisons pas à une des conditions des portes de sortie ou à un des critères de ligne de démarcation nette.

Le sénateur Pratte : Vous préconisez tous une réforme fiscale majeure, pas seulement une réforme de l’impôt sur le revenu. Le gouvernement trouve tellement difficile de réformer l’impôt sur le revenu, étant donné son expérience des tout derniers mois, qu’il ne tentera plus jamais rien en matière de réforme fiscale.

Bref, si vous pouviez changer une chose en matière de réforme fiscale, ce serait quoi?

Mme Gervais : Je répondrai en premier, car le sujet me passionne.

Je conviens tout à fait que tout ne se déroule pas sans encombre, mais je crois que c’est une question d’approche. Le gouvernement publie un projet de loi, puis il lance des consultations pour demander l’avis des contribuables et des intervenants concernés.

Si on veut mieux s’y prendre en matière de réforme fiscale et quand on propose une nouvelle loi, on réunit toutes les parties concernées au moment de la préparation du projet de loi. On inclut des représentants du gouvernement, des contribuables et des fiscalistes, ainsi que les politiques, l’administration et l’éducation, et on met tout le monde dans une salle avec pour instruction de trouver les bonnes solutions, au lieu de lancer un projet de loi très compliqué, d’attendre la réaction des fiscalistes et des contribuables, et d’avoir à apporter des changements par la suite.

M. Weissman : Je peux vous dire ce que j’en pense en quelques mots. Je suis du même avis que Mme Gervais.

En octobre, j’ai écrit un article pour le Globe and Mail. Mon principal message au gouvernement était de collaborer avec nous. Nous ne sommes pas l’ennemi. Nous savons ce qui se passe sur le terrain. Nous pouvons aider le gouvernement à atteindre ses objectifs. Mon principal message était le suivant, mot pour mot: « Ralentissez et faites bien les choses. »

J’ai entendu le ministre et d’autres personnes dire qu’ils essayaient de régler ce qui n’allait pas. Peut-être ont-ils entendu en partie mon message, mais pas la partie où je leur demandais de ralentir, et c’est ce que je recommanderais pourtant.

Mme Drever : Je ferais écho aux observations qui ont déjà été faites. Nous avons besoin de certitude, de prévisibilité et d’équité dans le régime fiscal. Ce sera propice à la confiance, à la prospérité du Canada et à la croissance économique. C’est impératif pour un Canada fort, surtout quand nous voyons ce qui se passe dans le monde.

Je dirais aussi qu’on a adopté une approche descendante, au lieu d’opter pour la collaboration. Si nous faisons quelque chose en réelle concertation et que nous examinions tous les régimes fiscaux et autres, nous découvririons ce qui donnerait les meilleurs résultats et partirions de là. Nous devons savoir ce que nous cherchons à accomplir avant de pouvoir instaurer un très bon régime fiscal qui fonctionne au Canada.

La sénatrice Eaton : Je pense la nuit au fiasco des pipelines qui pointe à l’horizon, aux réductions d’impôt controversées de Trump et à notre revenu passif qui a été changé. Cela m’inquiète un peu, en ceci que les gens ne peuvent pas épargner pour vivre une retraite décente, développer les activités de leurs entreprises et toutes sortes de choses.

On dirait que nous perdons notre esprit compétitif. Certes, le ministre a déclaré réfléchir très soigneusement à ce qui nous rendrait concurrentiels par rapport aux États-Unis sur le plan fiscal.

Je suis plus préoccupée pour les petites entreprises, qui ont toujours employé beaucoup de monde et qui sont des piliers de l’économie canadienne. Il est regrettable d’abaisser le seuil de ce qu’une petite entreprise peut gagner ou mettre de côté pour des pensions, une expansion ou un renouvellement.

Qu’en pensez-vous tous? Je pense, pour ma part, que c’est très dangereux. Nous ne parlons pas de compétitivité dans ce pays à l’heure actuelle ou d’encourager les Canadiens à être plus productifs et à prendre plus de risques. Ces propositions fiscales ne semblent pas le faire.

Mme Gervais : Je suis tout à fait d’accord. À propos des propositions relatives à l’imposition du revenu passif notamment, en juillet et en octobre, quand le gouvernement parlait de ce qu’il n’aimait pas, on n’aurait pas pensé qu’il allait s’en prendre aux petites entreprises en particulier.

Lorsque le projet de loi s’est précisé dans le budget, on s’est aperçu que le gouvernement s’engageait dans une autre voie pour s’attaquer au revenu passif. Pour finir, ce sont les petites entreprises en particulier qui se sont retrouvées dans le collimateur.

Il ne touche pas aux entreprises qui paient le taux général d’imposition des sociétés. Elles ne sont pas visées par ces propositions relatives au revenu passif. Elles se trouvent fondamentalement dans la même position qu’avant la présentation du budget.

Je suis tout à fait d’accord que ce sont les petites entreprises en particulier qui sont assurément touchées par ces changements. Je dirais, pour ce qui est de l’IRF, que les grandes multinationales ou les grosses sociétés privées sous contrôle canadien ont les moyens d’engager des conseillers solides pour les aider à comprendre une loi très complexe.

Je ne trouve pas qu’il soit raisonnable de dire que les propriétaires de très petites entreprises et leurs conseillers généraux éventuels seront en mesure d’examiner les propositions relatives à l’IRF. Les organigrammes que mentionnait M. Weissman sont géants, des pages pleines de réponses oui ou non qu’il faut éplucher. Il y a neuf questions et définitions de base, toutes étroitement liées. Il faut les parcourir ne serait-ce que pour savoir si ces règles s’appliquent à vous ou pas.

Du point de vue des petites entreprises, l’impact sur elles est certainement important.

M. Weissman : Nous avons maintenant affaire à deux régimes fiscaux différents. Aucune des propositions dont nous parlons ne s’applique aux sociétés publiques, aux grandes sociétés étrangères ou aux sociétés étrangères tout court.

Pour ces entreprises, il est bon de faire des affaires au Canada. Nous avons un taux d’imposition des sociétés de 26,5 p. 100. Il n’est pas aussi faible que le taux américain, mais notre marché du travail est très intéressant.

Nous offrons des incitatifs aux genres d’entreprises dont nous avons besoin au Canada, mais elles ne sont pas le moteur de notre économie. Nous offrons des incitatifs et, en fait, nous donnons un avantage concurrentiel à des multinationales et à des sociétés ouvertes. Nous nous attaquons aux petites entreprises avec ces règles compliquées qu’elles ne peuvent pas comprendre.

Nous rendons les petites entreprises moins concurrentielles. Certaines d’entre elles ferment parce que cela ne vaut plus la peine de travailler. Je sais que beaucoup d’entreprises n’investissent plus de capitaux au Canada. Il est facile d’investir aux États-Unis. Ce n’est pas difficile. Au Canada, les sociétés multinationales qui reprendront des sociétés privées feront une affaire.

Ce qui se passe n’est pas bon du tout pour notre économie. Je ne suis pas économiste, mais c’est comme cela que je vois les choses. Il nous faudra des décennies pour nous remettre des répercussions de ces changements une fois qu’ils seront appliqués, même tels qu’ils sont proposés maintenant.

Mme Drever : Je serais d’accord avec les commentaires formulés. La question de la compétitivité est une autre raison pour laquelle il nous faut une réforme fiscale globale afin de déterminer comment instaurer un climat concurrentiel au Canada pour nos entreprises privées et pour d’autres entreprises qui viennent dans notre pays.

La sénatrice Eaton : Le gouvernement parle souvent d’investir dans l’innovation et d’encourager les jeunes entreprises, mais je ne penserais pas que ces mesures encourageraient l’innovation ou les jeunes entreprises.

Mme Drever : À l’heure actuelle, comme beaucoup de petites entreprises commencent à constituer un capital pour pouvoir innover, par exemple, elles perdent la déduction qui leur serait accordée autrement. Le ministère des Finances a réglé la question du revenu passif de manière très intéressante.

Nous nous demandons si 50 000 $, c’est assez comme niveau le plus bas. Si c’est 1 million de dollars, comme M. Weissman le disait tout à l’heure, beaucoup d’entreprises ont besoin de disposer de plus de capitaux pour survivre à des crises économiques, pour prendre de l’expansion et pour faire toutes sortes de choses qu’il est bon qu’elles fassent pour l’économie canadienne.

La sénatrice Eaton : Dans son témoignage devant le comité, le propriétaire d’une petite entreprise de radiologie de Gatineau a déclaré que s’il devait remplacer ses machines, cela lui coûterait plus de 50 000 $. Il devrait mettre de côté plus de 50 000 $.

Mme Drever : En effet, et nous le comprenons. À la dernière récession, nous avons vu que les entreprises dont le bilan était solide ont survécu. Les autres et celles qui étaient lourdement capitalisées, c’est-à-dire qui avaient des emprunts par opposition à des liquidités, ont connu de grosses difficultés. Certaines ont fait faillite et des emplois ont disparu.

Ces nouvelles propositions n’aident pas vraiment sur ce plan.

M. Weissman : Comment cette entreprise de radiologie survivra-t-elle? Elle sera rachetée par une autre qui n’est pas assujettie à ces règles ou par quelqu’un qui regroupe des entreprises, qui la rachètera au propriétaire puis l’exploitera.

En ce qui concerne les dépenses d’innovation, ces propositions m’ont amené à faire partie d’un très petit groupe de réflexion informel qui réunit des fiscalistes qui ont très bien réussi, quelqu’un qui est dans l’émission Dragons’ Den et plusieurs personnes venant de différents domaines. La dernière chose dont veuille le secteur de la technologie, ce sont des cadeaux du gouvernement.

On donne des subventions aux entreprises. On leur donne de l’argent qu’elles ne savent même pas nécessairement comment dépenser.

Je connais bien depuis longtemps la question des dépenses donnant droit à un crédit d’impôt à la R-D. Ce crédit d’impôt est une très bonne idée, mais il est administré dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu. Or, la Loi de l'impôt sur le revenu est là pour percevoir des recettes, pas pour donner de l’argent.

Il a été question de peut-être déplacer ailleurs les incitations à la R-D, de les confier à Innovation Canada, par exemple. Ce serait plus pratique parce que le ministère offre des incitatifs aux entreprises qui dépensent en fait. Signer de gros chèques à certaines entreprises capables d’exercer des pressions pour obtenir ces fonds et qui n’ont même pas l’argent à dépenser ne permettra pas de développer nos incitations fiscales.

Le sénateur Marwah : J’ai deux questions pour M. Weissman, mais vous pouvez tous répondre. Il est difficile d’être opposé à l’intention de principe des règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné. Vous avez vous-même dit y être favorable, je crois. Je suis tout à fait d’accord avec vous, mais les nouvelles règles sont inutilement complexes.

Entre l’exclusion, les critères de ligne de démarcation nette, les personnes de plus de 65 ans, de plus de 18 ans ou de plus de 25 ans, c’est compliqué. L’incertitude est plus grande, les litiges avec l’ARC sont plus nombreux et les coûts de conformité augmentent.

Je suis également d’accord avec vous que si on changeait une ligne pour faire passer l’âge des enfants de 18 à 25 ans, on ne ramasserait pas tout le revenu, mais l’immense majorité. En faisant ce changement-là, au lieu de toute la gamme, quelle proportion de l’impôt serait perçue? Est-ce que ce serait 70, 80, 90 ou 10 p. 100?

M. Weissman : Je n’ai pas fait le calcul, évidemment, mais je dirais de 60 à 70 p. 100, de cet ordre-là.

Le sénateur Marwah : Étant donné la complexité croissante, de 30 à 40 p. 100, grosso modo.

M. Weissman : Oui, et cela fait augmenter les coûts pour les entreprises qui contestent ces mesures. Cela augmente le fardeau administratif.

Mme Gervais : Beaucoup de professionnels disent la même chose et le disaient déjà à la publication des propositions en juillet. Il est plus simple de modifier l’impôt des enfants pour qu’il s’applique à toute personne âgée de 25 ans et moins.

Le sénateur Marwah : Nous sommes tous d’accord sur ce point. Quelle proportion de l’impôt serait perçue et quelle proportion ne le serait pas?

Mme Gervais : Je n’ai aucun chiffre devant moi et je n’ai pas fait le calcul, mais je serais d’accord avec M. Weissman. À mon avis, ce serait proche de 50, 60 ou 70 p. 100 de ce qu’on laisse entendre qu’on collecte actuellement.

Le sénateur Marwah : J’ai une autre question pour vous. Vous avez mentionné que la réduction pour les petites entreprises est un bon point, mais vous semblez l’écarter parce que, dites-vous, le taux d’imposition des dividendes augmente, ce qui en annule l’effet. L’augmentation du taux d’imposition des dividendes s’applique à tous les Canadiens, pourquoi considérez-vous, alors, qu’elle est injuste?

M. Weissman : En fait, cela explique pourquoi elle est sans doute encore plus injuste parce que le taux augmente pour tous les Canadiens sur les dividendes versés par les sociétés canadiennes.

Le sénateur Marwah : Tout le monde est touché. Les petites entreprises sont touchées, mais elles obtiennent au moins quelque chose en contrepartie. Elles bénéficient d’une réduction de taux et seraient donc, selon moi, mieux loties.

M. Weissman : Ce n’est pas le cas parce que le montant de la réduction du taux des petites entreprises et l’avantage qu’elles en retirent est minime en comparaison de l’augmentation immédiate de l’impôt qui les frappe.

Disons que nous avons une baisse de 1,5 p. 100 du taux d’imposition des sociétés qui se traduit, à cause de l’intégration, par une augmentation d’environ 1,5 p. 100 du taux sur les dividendes. La baisse de 1,5 p. 100 du taux sur les sociétés concerne uniquement le revenu que j’ai gagné à partir du 19 janvier. L’augmentation de 1,5 p. 100 du taux sur les dividendes que je perçois s’applique à tous mes gains accumulés, même ceux que j’ai gagnés au cours des 20 dernières années. Quand je sors de l’argent de mon entreprise, je suis imposé sur un très gros montant et je ne le serai pas que sur un montant relativement faible à l’avenir.

Le sénateur Marwah : On ne peut pas comparer les deux 1,5 p. 100. La baisse de 1,5 p. 100 représente, en fait, une baisse de 10 à 15 p. 100, alors que l’augmentation de 1,5 p. 100 du taux sur les dividendes s’applique sur 30 p. 100. On parle de 2 p. 100. Il n’y a donc pas de comparaison possible. Elles sont bien mieux loties avec le taux des petites entreprises. Vous comparez les deux taux de 1,5 p. 100 sur une base totalement différente.

M. Weissman : Non, je comprends ce que vous dites et, surtout, ce n’est pas ce que j’ai fait. Permettez-moi de rappeler les chiffres que je vous ai donnés. Je vous ai donné l’exemple d’une entreprise qui a dégagé un bénéfice de 100 000 $ par an au cours des 10 dernières années et payé le taux de 15,5 p. 100 des petites entreprises. Il lui restait 84,5 p. 100 pour verser un dividende, et elle dégage aujourd’hui 100 000 $ de bénéfices auxquels s’applique le nouveau taux plus faible. Elle économise 1 500 $ sur son nouveau bénéfice, mais sur ces 854 000 $ qui lui restent, elle paiera 1,5 p. 100, c’est-à-dire 13 500 $, pour sortir l’argent.

Le sénateur Marwah : Quand elle le sort, cette augmentation du taux sur les dividendes s’applique à tout Canadien qui perçoit des dividendes.

Mme Drever : Toutes les personnes qui perçoivent des dividendes ne sont pas concernées. Ce sont seulement celles qui perçoivent des dividendes pour lesquels l’entreprise a bénéficié du taux de la déduction pour petite entreprise. Si vous détenez des dividendes de portefeuille, par exemple, ou des actions dans des entreprises qui versent des dividendes et qui ne bénéficient pas du taux de la déduction pour petite entreprise, votre dividende n’augmente pas. Il reste le même.

Cela ne concerne que les dividendes versés par les entreprises qui bénéficient de la déduction pour petite entreprise. Dans leur cas, le dividende change.

Le sénateur Marwah : Parce que la base est beaucoup plus importante.

M. Weissman : L’actionnaire de Loblaws, par exemple, ne se verra pas appliquer un taux plus élevé sur ses dividendes.

Mme Drever : Comme quiconque perçoit des dividendes d’une société publique.

Mme Gervais : Tous les contribuables ne sont pas logés à la même enseigne.

Le sénateur Marwah : J’ai une question pour vous, madame Drever. Vous avez dit que les entreprises de services devraient être exclues.

Pourriez-vous préciser pourquoi? Est-ce uniquement parce que la définition du caractère raisonnable n’est pas claire? Avez-vous une meilleure définition et une clarification du critère du caractère raisonnable à proposer? Pourquoi ces entreprises devraient-elles être exemptées ou exclues?

Mme Drever : À l’heure actuelle, le texte dit que si on retire plus de 90 p. 100 des revenus de services ou si on est une société professionnelle, on ne répond pas à la condition relative aux actions exclues, qui font partie des exemptions.

Nous avons demandé pourquoi les entreprises de services. Que reproche-t-on aux entreprises de services, aux entreprises de camionnage ou aux hôtels? Ce sont des entreprises très capitalistiques. Ce n’est pas comme un ordinateur. Les propriétaires prennent de vrais risques. C’est différent. Ce n’est pas comme d’avoir un faible capital ou un très peu d’obstacles à l’entrée. Il existe des entreprises de services pour lesquelles il y a peu d’obstacles à l’entrée, mais il y a aussi des entreprises très capitalistiques.

Je viens de l’Alberta, où les entreprises sont nombreuses dans le secteur gazier et pétrolier. La plupart d’entre elles fournissent des services. La plupart offrent un service aux sociétés pétrolières. Toutes ces entreprises ne satisferont pas à la condition relative aux actions exclues. Une entreprise de camionnage n’y satisfera pas. Si au lieu de faire du transport, elle fabriquait et vendait des gadgets, elle n’aurait pas de problème.

Le sénateur Marwah : Ne pas autoriser l’exclusion parce qu’elles ne sont pas considérées comme capitalistiques, est-ce la politique? J’essaie de comprendre l’intention de la politique en ne les excluant pas. À votre avis, quelle est l’intention de la politique du gouvernement?

Mme Drever : Je n’en ai aucune idée parce qu’il ne l’a pas précisé, mais nous croyons qu’il essaie d’utiliser les services pour dire qu’il ne faut pas beaucoup de capital pour créer ce type d’entreprise.

M. Weissman : Tout ce que nous pouvons faire, c’est réfléchir parce qu’on ne nous a pas éclairés sur le sujet. Au début, ces propositions visaient vraiment les sociétés professionnelles, des gens comme moi qui se constituent en société. Un jour, je suis indépendant et je suis imposé à 53 p. 100, puis je me constitue en société et je commence à payer 26,5 p. 100. Je le comprends. À mon avis, c’est le point de départ.

Qui s’est ensuite élargi à : nous allons nous attaquer aux sociétés professionnelles parce que nous sommes automatiquement visés par ces règles, mais nous allons élargir la mesure à d’autres entreprises de services parce que nous n’avons pas seulement affaire à des professionnels; il y a aussi les consultants en informatique. À un moment donné, on a voulu appliquer le nouveau taux à bien plus de monde, mais ce faisant, on a créé beaucoup d’incertitude.

Un mécanicien, est-ce que c’est une entreprise de services? Probablement. Est-ce qu’elle est capitalistique? Très. Un hôtel a des chambres et des salles de banquet. Quelle partie doit-on considérer comme de service et quelle autre pas? Pour prendre un exemple extrême, si j’ai un client qui est coiffeur, j’enlève maintenant les shampoings et tout ce qu’il vend et le compte dans une activité séparée parce qu’il ne s’agit pas d’un service, contrairement à la coiffure.

On a créé un jeu inutile et difficile à jouer.

Mme Gervais : Si le gouvernement veut cibler les sociétés professionnelles et d’autres entreprises de services en particulier, il peut le faire en définissant un groupe précis d’entreprises de services, au lieu de dire les entreprises de services parce que c’est un fourre-tout où on ne fait aucune distinction. Il serait plus facile pour le gouvernement de cibler spécifiquement les entreprises de services qu’il veut imposer.

M. Weissman : Même les professionnels comme moi ont des capitaux investis dans leur entreprise. Je me suis constitué en société juste pour bénéficier de l’avantage, soit. Si j’ai une société professionnelle qui emploie 100 personnes, ce qui est très possible et c’est ainsi que beaucoup d’entreprises fonctionnent, et si j’ai des salaires à verser, un loyer à payer, des ordinateurs à acheter et des conférences auxquelles je dois envoyer des gens, j’ai une vraie société professionnelle. Elle ne se contente pas de bénéficier du taux de 26,5 p. 100. Cette société professionnelle est visée par ces règles et je ne crois pas que ce soit juste.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup de votre analyse très intéressante. J’ai plusieurs questions. Si je comprends bien ce que vous dites tous, au fond, c’est qu’à votre avis, une entreprise ne devrait pas verser de salaire à quelqu’un qui n’y travaille pas. Pour vous, quelqu’un qui n’a pas investi d’argent ou d’énergie dans l’entreprise pour la bâtir ne devrait pas percevoir de dividendes. Est-ce bien cela? Vous ne le contesterez pas.

Si mon fils est à Harvard et que je lui verse 35 000 $ par an pour faire la comptabilité, ce qu’il ne fait évidemment pas, il ne devrait pas être payé. Sommes-nous en désaccord sur ce point?

Mme Drever : Pour bien comprendre votre question, si les personnes ne font rien dans l’entreprise, elles ne devraient recevoir aucune rémunération de sa part.

Le sénateur Mitchell : Non. Si elles ne font rien dans l’entreprise, elles ne devraient pas recevoir de salaire. Si elles investissent dans l’entreprise, mais n’y font rien ou si elles y ont consacré des efforts pendant 10 ans pour la bâtir et n’y font rien, elles devraient être payées, certainement. Ce que je dis, c’est que si elles n’ont fait ni l’un ni l’autre et qu’elles n’y travaillent pas, elles ne devraient pas toucher de salaire ni de dividendes. Elles ne devraient rien toucher si elles ne l’ont pas gagné.

Mme Drever : Cela dépend. Je serais d’accord avec vous en partie, mais je crois que certaines personnes participent à une entreprise sans forcément y travailler tous les jours, mais elles prennent une part des risques ou apportent des capitaux. Elles ne sont peut-être pas présentes tous les jours sur place, mais leur investissement devrait leur rapporter.

Le sénateur Mitchell : Certes, mais si elles ont apporté des capitaux, il y a un problème. Leur investissement leur rapportera. Nous sommes d’accord là-dessus. Ce n’est pas ce qui est en cause, si elles ont vraiment investi. Le problème, c’est quand elles n’ont pas vraiment investi dans l’entreprise.

Un jeune de 18 ans, qui étudie à Harvard, n’a jamais eu d’argent à investir et qui ne travaille pas, pourquoi devrait-il être payé?

Mme Drever : C’est un peu jouer sur les mots, mais un des critères est une définition de ce que le capital peut être si on a moins de 24 ans. On ne peut même pas aller emprunter à la banque pour investir dans une entreprise et toucher des dividendes.

Le sénateur Mitchell : Entre 18 et 24 ans.

M. Weissman : Je vous répondrai honnêtement. Je suis d’accord avec vous, je le dis depuis le début. Si mon enfant est à l’université et ne travaille pas dans mon entreprise, non. Est-ce que je devrais pouvoir lui verser de l’argent sur l’économie d’impôt? Je suis d’accord. Je me pénalise moi-même, mais je suis d’accord.

Le sénateur Mitchell : Si vous laissez l’argent dans votre SPCC pour le réinvestir dans l’entreprise pour la faire croître, c’est très bon pour l’économie, pour l’entreprise et pour la création d’emplois. Il s’agirait donc, de la part du gouvernement du Canada, d’un objectif de politique publique très important, acceptable et compréhensible, et vous obtiendrez un taux d’imposition raisonnable. En fait, il sera de 9 p. 100 si vous le laissez et le réinvestissez.

Votre argument sur la complexité m’intéresse. Je le comprends. Si on met cela de côté un instant, ces règles disent que si on sort l’argent, on devrait être imposé comme tout autre Canadien, soit au titre de dividendes ou de salaires. La finalité de la politique publique est d’inciter à le laisser dans l’entreprise pour l’investir et croître. C’est bon pour l’entreprise. C’est bon aussi pour l’emploi et pour l’économie canadienne. Qu’y a-t-il de mal à cela? Ensuite, les règles disent qu’on imposera l’entreprise comme tout autre contribuable si on en sort de l’argent. Qu’y a-t-il de mal à cela?

M. Weissman : Elles disent aussi autre chose entre les deux. À savoir que si on accumule trop, ce qui sera déterminé de façon arbitraire, on sera imposé différemment. Le capital qui n’est pas aussitôt investi rapporte un revenu passif.

Faire croître l’entreprise est une chose pour ce qui est de créer des emplois et d’aider l’économie. Il est très important aussi de sauver l’entreprise, tout comme d’épargner en prévision de récessions. Je conviens que notre système repose sur l’imposition des sociétés et sur le paiement d’impôts quand on en sort de l’argent, et personne ne s’en plaint.

Mme Gervais : Je voulais aussi faire écho aux observations de M. Weissman. Ce que nous voyons avec nos clients, c’est qu’en effet, ils économisent de l’argent en vue d’améliorations des immobilisations, mais il peut s’agir d’une tendance sur cinq ou six ans où ils doivent économiser parce qu’ils travaillent d’arrache-pied. Ils ne gagnent pas encore beaucoup et ils doivent mettre tout ce qui leur reste dans la société. Ils ne se versent pas de salaire. Ils ne se paient pas. Ils laissent l’argent dans l’entreprise. La somme augmente au fil des ans. C’est ce qui se passera sur toute la période en question.

Le sénateur Mitchell : Je pose la question à Mme Drever sur l’exemple de Karen et Bob. Je me montre un peu agressif, mais le sujet est très intéressant. J’apprécie beaucoup la discussion et j’admire ce que vous disiez.

À propos de Karen et Bob, est-ce que Karen a travaillé plusieurs années dans cette entreprise de camionnage et contribué à en consolider le capital? Si tel est le cas, elle ne devrait pas avoir de problème. Elle peut recevoir des dividendes, même si elle ne met jamais les pieds dans cette entreprise.

Mme Drever : Notre problème tient plus au fait que je doive maintenant prouver les 20 heures par semaine en moyenne.

Le sénateur Mitchell : Ce n’est pas ce que je lis.

Mme Drever : Je n’en ai aucune preuve à présenter.

M. Weissman : On a deux critères. Il y a le critère de démarcation nette des 20 heures par semaine et, si on n’y satisfait pas, on passe au critère du caractère raisonnable. C’est là que le bât blesse.

Le sénateur Mitchell : Si elle paie des impôts depuis 20 ans comme associée dans cette entreprise, le caractère raisonnable devrait être assez simple à établir, à mon sens. Elle devrait être payée maintenant parce qu’il est évident qu’elle a participé à l’édification de cette entreprise.

Mme Drever : Dans mon exemple, elle a perçu des dividendes toutes ces années. Ce n’était donc pas une employée qui reçoit un T4. Il est très courant que des propriétaires d’entreprise ne se versent pas de salaire, souvent pour des questions de trésorerie. Ils ne veulent pas de ce fardeau où, chaque mois, une certaine somme d’argent doit sortir parce qu’il est possible qu’ils doivent la laisser en caisse ce mois-ci ou ils ne se paient pas.

Beaucoup de propriétaires d’entreprises se versent des dividendes plutôt qu’un salaire. Dans notre exemple, le fait qu’elle ait travaillé dans l’entreprise dans le passé et qu’elle ait reçu des dividendes ne signifie pas forcément qu’elle ait travaillé dur.

Le sénateur Mitchell : Elle payait moins d’impôt sur les dividendes qu’elle n’en aurait payé sur un salaire, aussi. C’est une des autres raisons pour lesquelles ils ont choisi cette solution. Il n’y a rien de mal à cela.

Mme Drever : Vous avez raison dans son cas, mais si vous regardez les chiffres, elle paie exactement le même montant que l’entreprise. Une entreprise familiale qui examine sa stratégie de rémunération regardera ce qu’elle paie en impôt sur les bénéfices et ce que ses membres paient à titre individuel.

Le régime canadien est configuré de manière à ce que l’intégration fonctionne. On paie le même montant. Si je me verse un salaire, j’aurai une réduction de mon impôt sur les bénéfices parce que j’obtiens une déduction pour le salaire. J’ai moins de revenus, et je paierai plus à titre personnel. Si je me verse des dividendes, mon impôt sur les bénéfices sera plus élevé et mon impôt personnel un peu moins, mais on arrive au même chiffre.

Mme Gervais : Je fais écho des commentaires qui ont été formulés.

Le président : Si, une fois rentrés chez vous, vous lisez la transcription du comité et que vous souhaitez ajouter d’autres renseignements, n’hésitez pas à le faire en vous adressant à la greffière.

Pour le deuxième tour, avez-vous une question, sénatrice Marshall?

La sénatrice Marshall : Non, on a répondu à toutes mes questions.

Le président : Avez-vous d’autres questions, chers collègues?

La sénatrice Andreychuk : On a répondu à une de mes questions.

Pardonnez-moi si le sujet a été traité avant que j’arrive. Après le deuxième tour, le gouvernement a dit avoir entendu. Je ne parle pas de juillet, mais d’octobre. Un des journalistes m’a dit, « Vous avez un an avant de faire votre déclaration de revenus, alors quel est votre problème? Pourquoi soulever la question tout le temps, alors que vous avez toute une année pour y réfléchir avant de faire votre déclaration? » Ce à quoi j’ai répondu que je ne savais pas quelle documentation je devais réunir, que c’était plus de travail et ainsi de suite.

Quand vous dites qu’il faut prouver qu’on a travaillé plus de 20 heures par semaine dans l’entreprise, pour le critère du caractère raisonnable, est-ce qu’un des problèmes est qu’on ne sait pas quel genre de preuves il faut fournir et qu’on se retrouve dans une situation où, peut-être dans un an, des précédents auront été établis, et cetera, et on inventera?

Mme Drever : Un des problèmes est que nous ne voulons rien inventer. Nous voulons nous assurer que nos clients ont les preuves nécessaires à l’appui des règles, tout à fait.

Un de nos problèmes par rapport au critère de ligne de démarcation nette de 20 heures est qu’il s’applique à n’importe quelle période précédente de cinq ans. Ces cinq années antérieures peuvent être par rapport à 1979, à 1984 ou à 1991. Il suffit de choisir. Or, je n’ai aucune preuve pour cette période. Très peu d’entreprises privées tiennent des relevés horaires de leurs propriétaires. Autrement dit, le critère des 20 heures sur cinq années peut nous aider dans cinq ans, quand nous aurons été en mesure de collecter des données, mais il ne m’aide pas maintenant. En fait, il est rétroactif parce qu’on nous demande des éléments de preuve que nous n’avons jamais eu à recueillir auparavant.

M. Weissman : Le commentaire du journaliste est une erreur compréhensible. Le fait que l’impôt doive être payé en avril 2019 au moment de la déclaration de revenus de 2018 n’est pas le problème. Le problème, c’est que nous soyons maintenant assujettis à des règles sans même savoir quelles sont les règles.

Ce n’est pas la question du moment où l’impôt doit être payé, mais du moment où les règles entrent en fait en vigueur. On ne peut rien faire maintenant. On ne comprend pas les règles. Nous ne les comprenons tout simplement pas.

Mme Gervais : J’ajouterais que les contribuables et les propriétaires de ces entreprises veulent un semblant de certitude quand ils se rémunèrent ou qu’ils rémunèrent des membres de leur famille en 2018, pas qu’on leur dise de ne pas s’inquiéter, qu’on déterminera le montant de l’impôt qu’ils devront payer en avril 2019.

La sénatrice Andreychuk : Par ailleurs, je siège à un comité qui, je l’espère, produira un rapport sur l’analyse comparative entre les sexes et sur la façon dont elle devrait être appliquée. Nous avons également produit un rapport au Sénat où il était question d’encourager les femmes à se lancer en affaires et, souvent, elles commencent par une petite entreprise.

Avant ces règles, elles disaient déjà combien il était difficile de s’occuper d’une famille tout en essayant de faire croître une entreprise. Avec toutes les formalités administratives, la bureaucratie et les justifications, c’était trop stressant. Tout changement apporté par le gouvernement semblait avoir plus de répercussions négatives sur les femmes.

Des entrepreneures vous ont-elles dit que c’est un obstacle de plus dont elles n’ont pas besoin? Savez-vous si on s’est préoccupé de l’équité entre les sexes dans l’élaboration de ces règles?

Mme Drever : Ce que je sais, c’est que le document publié en même temps que le projet de loi mentionnait que 68 p. 100 des personnes recevant les dividendes du revenu fractionné étaient des femmes, pas tous les dividendes, mais ceux du revenu fractionné. Pour moi, c’est préoccupant et beaucoup de femmes craignent d’être celles qui auront bien plus à défendre le caractère raisonnable.

Mme Gervais : C’est aussi ce que nous disent nos clients à propos du critère du caractère raisonnable et du fait que les femmes propriétaires d’entreprise et les conjointes de propriétaires d’entreprise devront se défendre.

Le sénateur Mitchell : Vous présentez des arguments très convaincants en faveur d’une clarification et au sujet des problèmes d’incertitude que suscitent les règles. Il me semble que chaque fois qu’on modifie le régime fiscal, on veut opérer un changement global. D’une part, vous dites qu’il y a trop d’incertitude. D’autre part, il me semble que chaque fois qu’on modifie le régime fiscal, il y aura une incertitude et on devra poser des questions pour obtenir des clarifications. Le gouvernement peut procéder de différentes façons à cet égard, et il l’a déjà fait dans le passé.

Le fait est qu’il n’est pas déraisonnable de se trouver confronté à une certaine incertitude, à ce type de questions et à la nécessité de consignes quand on modifie ainsi le régime fiscal. C’est inévitable avec tout changement, n’est-ce pas?

M. Weissman : J’ai vu beaucoup de modifications fiscales en près de 30 ans. Déjà 30. Je ne me plains pas de la plupart. Cette série de modifications est la première pour laquelle je me passionne et dont je parle autant. La raison en est l’incertitude qui est imposée et le fait qu’on cible les entreprises privées.

Tout d’abord, l’incertitude n’est pas nécessaire. Je peux vous dire qu’il ne devrait pas y avoir d’incertitude inutile dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle n’amène rien de bon. Elle ne peut qu’être source de litiges. Je peux facturer beaucoup d’honoraires à mes clients pour les défendre et les emmener à l’ARC. Ce n’est pas ce que je veux faire et ce n’est pas ce qui devrait arriver.

En effet, les modifications fiscales s’accompagnent d’incertitude. Les gens n’aiment pas toutes les modifications fiscales. On a supprimé une exonération des gains en capital qui s’appliquait à tous les biens et qui ne s’appliquait qu’aux petites entreprises. Nous avions l’impôt des enfants. Il n’a été créé qu’en 2000. J’étais là avant cela. Je me suis mis à l’utiliser et, tout à coup, il n’existait plus.

Ce sont des choses qui arrivent. C’est la vie dans la fiscalité et c’est bien ainsi. La raison pour laquelle l’incertitude est inutile est qu’il n’y a pas eu de collaboration.

La sénatrice Moncion : Pourquoi de cette façon et pourquoi maintenant?

M. Weissman : Je vais parler franchement. C’est une réaction à des politiques irresponsables et mal conçues qui ont été élaborées, pour tout dire, par des personnes qui n’ont jamais été en affaires et par des universitaires, sans consulter les personnes qui sont en affaires et qui représentent des personnes en affaires.

L’approche adoptée traite avec mépris les petites entreprises et les conseillers fiscaux, alors qu’ils font partie de l’équipe. Si j’aide un client à payer moins d’impôt, cela veut dire que je dois en payer plus. Nous sommes tous dans le même bateau. Nous voulons que le Canada prospère. Nous voulons que nos clients prospèrent. Nous voulons prospérer.

Pourquoi maintenant? C’est à cause de l’approche adoptée par le gouvernement.

La sénatrice Moncion : Ce n’est pas une nouvelle mesure. Cette mesure était à l’étude depuis un certain nombre d’années déjà et le présent gouvernement l’a mise en œuvre. Elle était là, ce n’est rien de nouveau.

M. Weissman : Quelle mesure?

La sénatrice Moncion : Le fractionnement du revenu.

M. Weissman : Le fractionnement du revenu était dans la loi, un fractionnement du revenu ciblé. Avec le gouvernement actuel, il y a eu graduellement, au cours des deux ou trois dernières années, un retrait des déductions accordées aux petites entreprises pour les sociétés professionnelles. On a resserré la vis. On a retiré la réserve des travaux en cours dont j’ai parlé à ce comité au sujet du projet de loi C-63.

Des choses ont été retirées, et vous ne nous avez pas entendus nous plaindre. C’est l’étendue et l’ampleur de ces dispositions et la façon irresponsable dont elles ont été produites qui nous mettent en colère et nous incitent à demander que les choses soient faites correctement.

Votre comité a fait un excellent travail pour retenir le gouvernement et l’inciter à être honnête. C’est un gouvernement majoritaire. Vous avez fait quelques progrès et nous avons fait quelques progrès. C’est parce que les gens sont passionnés et que ce n’est pas tout à fait correct. Ce n’est pas tout à fait faux non plus. C’est simplement que les choses n’ont pas été faites correctement.

Mme Gervais : Je doute qu’il y en ait parmi nous ici qui pensent que c’est faux. Cependant, nous sommes tous préoccupés par l’énorme bassin qui est touché et la complexité de l’avant-projet de loi.

Il y a incertitude, et c’est une loi immense dans laquelle il y a trop de complexité pour les petites entreprises. C’est probablement la raison pour laquelle il y a tant de fiscalistes qui se soulèvent pour les petites entreprises, disant qu’elles ne peuvent gérer de telles règles. Elles n’ont tout simplement pas la capacité de comprendre tout ceci.

M. Weissman : J’ai décidé de venir ici en personne plutôt que par vidéoconférence parce que c’est très important. J’en ferais autant si le gouvernement avait un peu d’humilité et nous disait: « Vous savez, nous avons de bons objectifs, mais nous pensons que nous nous y sommes mal pris. Venez nous aider à défricher tout cela. » Je sauterais dans un avion le lendemain. Mais ce n’est pas ce que nous entendons.

Nous entendons : « Vous êtes fous. Vous ne faites que vous plaindre. Vous représentez les riches. »

La sénatrice Moncion : Non, je crois que nous avons entendu cela.

M. Weissman : Nous n’avons pas entendu ces mots exacts. Vous avez raison.

Mme Drever : J’aimerais préciser que ce que nous avons devant nous aujourd’hui est une amélioration considérable par rapport à ce qu’il y avait en juillet. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas entendu, le jour du budget, quiconque se déclarer déçu par ce qu’il y avait dedans concernant le revenu passif. La plupart des gens ont été agréablement surpris de ce que nous avons obtenu par rapport à ce qui avait été avancé précédemment.

Nous ne disons pas que tout cela est faux. Nous disons simplement qu’il y a de petits rajustements qui doivent encore être faits.

Mme Gervais : Ces règles peuvent être améliorées. C’est ce que nous souhaitons.

Le président : L’incertitude m’a motivé à poser des questions aux fiscalistes. Oui, il y a incertitude. On nous l’a dit. Si l’on en juge par ce que nous avons entendu ce soir et la façon dont vous l’exprimez, il y a matière à inquiétude. Cependant, il nous faut produire un rapport à l’intention du Sénat du Canada, et nous le ferons.

D’après votre expérience sur le terrain et votre collaboration avec l’ARC, estimez-vous que les mesures auxquelles nous sommes confrontés maintenant puissent donner lieu à une augmentation de l’évitement fiscal de la part des entreprises ou que celles-ci puissent même envisager de sortir du pays ou penser à des paradis fiscaux?

Mme Gervais : Je peux parler des réactions que j’ai entendues de clients ces derniers mois: « Rachel, ils sont allés trop loin avec ces propositions et toute cette complexité. Parle-moi des stratégies qui me permettront de sortir mon entreprise du Canada et de mener des activités à l’étranger. »

Avec tous ces derniers changements, je peux vous dire que les contribuables sont assurément plus enclins à s’informer davantage au sujet de stratégies agressives qu’ils ne l’étaient il y a quelques années.

M. Weissman : Je n’entends pas de clients parler de fraude fiscale et je ne les écouterais pas. Je ne les écouterais pas parler du recours aux paradis fiscaux pour les mauvaises raisons. J’ai effectivement des clients qui sont disposés à faire preuve de plus d’agressivité dans leur planification. J’ai certainement des clients qui veulent partir. Quand ils quittent le Canada, il y a un impôt, mais les épargnes fiscales subséquentes compensent cela largement. J’ai des clients qui ont décidé d’agrandir leur entreprise à l’extérieur du Canada au lieu de le faire au Canada.

Mme Drever : Je suis d’accord. Nous avons eu plus de demandes de la part de personnes cherchant à savoir comment quitter le pays que nous n’en avions avant ces règles. L’impôt change le comportement. Quand les taux d’imposition atteignent un niveau où les gens se sentent crouler sous le fardeau, leur comportement change.

Je suis d’accord avec M. Weissman. Je ne veux pas entendre parler de stratégies de fraude fiscale, mais les gens les recherchent.

Le président : Aux trois témoins, merci de votre professionnalisme et de vos observations.

(La séance est levée.)

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