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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 26 septembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui à 18 h 45 pour l’étude du projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé); et, à huis clos, l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil..

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je suis Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick, président du comité. Au nom du comité, j’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux présents ici dans la salle et à tous les Canadiens qui nous regardent, à la télévision ou en ligne. Je rappelle à nos auditeurs que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne sur sencanada.ca.

[Français]

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, sénatrice du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Bonsoir. Pierre Dalphond, sénateur du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l’Ontario.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : J’aimerais maintenant vous présenter la greffière du comité, Mme Gaëtane Lemay, ainsi que notre analyste principal, Alex Smith qui, ensemble, soutiennent les travaux de notre comité.

[Traduction]

Ce soir, mesdames et messieurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé).

[Français]

Le projet de loi S-243 a été déposé au Sénat le 22 novembre 2017 par notre collègue, le sénateur Percy Downe, et a été adopté à l’étape de la deuxième lecture le 5 juin dernier et renvoyé à notre comité le même jour.

Nous recevons aujourd’hui trois organisations que nous avons invitées à commenter le projet de loi S-243.

[Traduction]

Nous accueillons d’abord M. Bruce Moore, membre du conseil d’administration de Transparency International Canada. Merci, monsieur Moore, d’avoir accepté notre invitation.

Nous recevons également M. Dennis Howlett, ancien directeur exécutif de Canadiens pour une fiscalité équitable. Monsieur Howlett, je tiens à préciser que vous êtes un habitué du comité et je vous remercie encore une fois d’avoir accepté notre invitation.

[Français]

Finalement, nous recevons deux représentants de l’Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC-Québec), soit M. Claude Vaillancourt, président, et M. Jacques Bouchard, secrétaire général.

Merci à vous deux d’avoir accepté notre invitation.

[Traduction]

Bienvenue à tous. Nous allons procéder dans l’ordre dans lequel vous avez été présentés, alors je demanderais à M. Moore de faire son exposé. Il sera suivi par M. Howlett et ensuite M. Vaillancourt. Les sénateurs poseront des questions après vos exposés.

[Français]

La parole est à vous, monsieur Moore.

[Traduction]

Bruce Moore, membre du conseil d’administration, Transparency International Canada : Bonsoir, monsieur le président et mesdames et messieurs. Merci de m’offrir cette occasion de témoigner devant le comité.

TI Canada est un membre de la plus importante organisation anticorruption au monde, laquelle compte plus de 100 sections à l’échelle internationale. Il travaille avec la société civile, le secteur privé et le gouvernement afin de faire avancer le programme anticorruption et de transparence du Canada.

TI Canada croit que définir le manque à gagner fiscal et présenter des rapports sur les mesures à prendre pour le combler devrait être une priorité pour n’importe quel gouvernement qui se préoccupe de la transparence, optimise ses revenus et s’assure que le régime fiscal est équitable pour tous.

Même si le manque à gagner fiscal comprend des revenus perdus en raison de comportements intentionnels ou involontaires, y compris l’évasion fiscale, les erreurs des contribuables et, dans certains cas, les dettes fiscales impayées et irrécouvrables, dans la mesure on peut le mesurer, TI Canada estime qu’il est également important de savoir le montant d’impôt non payé à la suite d’un évitement fiscal agressif en utilisant des mesures qui sont techniquement légales, mais qui vont à l’encontre de l’intention et de l’esprit de la loi.

On doit mesurer régulièrement le manque à gagner fiscal, premièrement, afin de déterminer s’il augmente ou s’il diminue; deuxièmement, afin de savoir pourquoi; et troisièmement, pour aider l’Agence à trouver des façons de réduire l’écart en améliorant la conformité. Je reviendrai plus tard sur une des façons de réduire l’écart.

Comme l’indiquent les propres études de l’Agence, il est difficile de déterminer précisément le manque à gagner fiscal. Ce n’est, bien sûr, pas surprenant. Les gens qui utilisent des stratagèmes d’évasion fiscale, mènent des activités de blanchiment d’argent et financent le terrorisme le font en secret afin d’éviter de se faire prendre. Les fraudeurs fiscaux et les autres personnes qui désirent dissimuler des gains mal acquis visent à empêcher les autorités fiscales de trouver les actifs, les investissements et l’argent qui contribuent au manque à gagner fiscal en utilisant des méthodes complexes comme la création de multiples sociétés fictives, les paradis fiscaux où le secret est primordial et un éventail de facilitateurs comme des professionnels juridiques et des comptables qui facilitent, sciemment ou non, la non-conformité.

Premièrement, TI Canada souhaite souligner que le manque à gagner fiscal est extrêmement important. Il est estimé à un montant allant de14,3 milliards de dollars à 16,5 milliards de dollars selon les estimations de 2014 de l’ARC. Cela exclut les revenus nationaux et internationaux des entreprises. Cela devrait, bien sûr, être une préoccupation de premier ordre aux échelons fédéral, provinciaux et territoriaux. Deuxièmement, même s’il peut être difficile de déterminer le manque à gagner fiscal, il est très important d’utiliser la même méthode pour l’estimer et de le faire régulièrement, ce qui est l’objectif du projet de loi S-243.

Pourquoi le manque à gagner fiscal devrait-il nous préoccuper? Si on le réduit, cela pourrait ajouter des milliards de dollars aux comptes publics des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ce qui libérerait des fonds supplémentaires pour les soins de santé, la sécurité sociale, l’éducation, les infrastructures et d’autres priorités du gouvernement.

En outre, s’attaquer au manque à gagner fiscal et à l’inobservation fiscale aidera à atténuer les préoccupations croissantes relatives à l’équité et à l’inégalité, qui ont contribué à une vague de cynisme et de populisme dans nombre de pays occidentaux, y compris le nôtre. Ce cynisme a été engendré, en partie, par le sentiment éprouvé par de nombreux électeurs qu’ils n’ont pas profité de la récente croissance économique, de la mondialisation ou du libre-échange, et que le renflouage des institutions financières à la suite de la crise économique de 2008 a profité, en grande partie, uniquement aux riches. En effet, il est de plus en plus évident que les riches s’enrichissent et utilisent leur argent pour payer des experts afin de se soustraire à leur part d’impôt dans divers paradis fiscaux à l’échelle mondiale.

TI Canada soutient pleinement tous les éléments des amendements actuellement proposés, y compris la mesure du manque à gagner fiscal annuellement, la déclaration des montants au directeur parlementaire du budget et la reddition de comptes sur les mesures prises afin de recouvrer l’argent qui aurait dû être payé.

Monsieur le président, j’aimerais ajouter un aspect. Des nombreux facteurs qui contribuent au manque à gagner fiscal, un élément clé est l’utilisation fréquente de structures complexes, y compris les sociétés fictives, les fiducies et la propriété bénéficiaire cachée. Une façon de décourager une telle activité, c’est de s’assurer que les propriétaires bénéficiaires de ces structures soient connus. Aujourd’hui, les vérifications et les enquêtes de l’ARC sont bloquées lorsque les propriétaires bénéficiaires ne sont pas connus. De même, lorsque la GRC ou la police locale enquêtent sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, souvent, elles n’ont pas l’information nécessaire pour suivre la trace de l’argent jusqu’aux propriétaires bénéficiaires.

Cette information devrait être fournie non seulement aux autorités fiscales et aux forces de l’ordre, mais également aux fournisseurs de services financiers comme les banques, les compagnies d’assurances et les maisons de courtage, qui ont maintenant l’obligation de recueillir une telle information dans des circonstances très difficiles et très onéreuses. TI Canada estime en outre que cette information devrait être rendue publique afin que les entreprises, les fournisseurs et les prêteurs puissent faire preuve de diligence raisonnable en vue de réduire les risques financiers et les risques liés à la réputation, et que la société civile et les journalistes puissent aider les autorités dans leurs efforts pour détecter l’évasion fiscale et les actes criminels.

À elles seules, à notre avis, l’ARC et les forces de l’ordre sont incapables de progresser suffisamment en matière d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Par exemple, les Panama Papers décrivent en détail la façon dont un cabinet d’avocats dans un seul pays traitait avec 500 banques, environ 16 000 entreprises et un éventail de gens riches et de dirigeants mondiaux, ainsi que leurs amis et leur famille, afin de frauder leurs propres gouvernements. Ce ne sont pas les autorités fiscales ou policières qui ont révélé cela, mais un dénonciateur, avec des journalistes enquêteurs et la société civile. Sans un registre public de propriété bénéficiaire, des personnes très organisées, leurs facilitateurs et les pays refuges fiscaux continueront d’avoir une longueur d’avance sur les enquêtes de l’ARC ou de la police.

Merci.

Dennis Howlett, ancien directeur exécutif, Canadiens pour une fiscalité équitable : Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant le comité et de parler du projet de loi S-243.

Je représente Canadiens pour une fiscalité équitable, un groupe de défense non partisan qui milite en faveur de politiques fiscales équitables et progressives visant à bâtir une économie forte et durable, à réduire les inégalités et à financer des services publics de qualité.

Canadiens pour une fiscalité équitable appuie le projet de loi S-243. En 2012, nous avons lancé la campagne Tackle Tax Havens, qui visait à sensibiliser le public et à demander la prise de mesures concernant le problème grandissant des paradis fiscaux. Le premier objectif de la campagne était d’amener le gouvernement à publier une estimation officielle de l’ampleur du problème d’évasion fiscale et d’évitement fiscal. Nous avons dit que cette estimation devrait comprendre les pratiques nationales et l’incidence des paradis fiscaux, et faire rapport sur ce qu’il en coûte aux trésors fédéral, provinciaux et territoriaux. Nous sommes très heureux que cette question soit maintenant prise au sérieux.

Plus de la moitié des gouvernements de l’OCDE mesurent les manques à gagner fiscaux pour un ou plusieurs secteurs, et un peu moins de la moitié de ces gouvernements publient leur analyse. Les gouvernements ont constaté que les estimations du manque à gagner fiscal sont utiles pour cerner les secteurs où il y a le plus de recettes fiscales perdues, ce qui leur permet ensuite d’établir l’ordre des priorités et de déployer des ressources là où elles obtiendront les meilleurs résultats, et de réformer les politiques fiscales en vue de les rendre plus efficaces. Un rapport, de l’OCDE sur la mesure des manques à gagner fiscaux, présenté en 2017 indiquait ce qui suit :

Même si les changements d’une année à l’autre sont limités, il y a des avantages à maintenir une série la plus à jour possible au fil du temps.

Le projet de loi S-243 en demande peut-être trop en exigeant des rapports annuels sur le manque à gagner fiscal, mais réclamer un rapport exhaustif sur le manque à gagner fiscal tous les deux ou trois ans serait une condition raisonnable et utile que l’on pourrait inclure dans ce projet de loi.

L’ARC a, en réalité, commencé à publier des rapports sur le manque à gagner fiscal en commençant par une étude conceptuelle sur des estimations du manque à gagner fiscal en 2016. Plus tard, la même année, elle a fourni une estimation du manque à gagner fiscal pour la TPS et la TVH. Un an plus tard, en juin 2017, elle a fait paraître un rapport sur l’observation fiscale en ce qui a trait aux revenus des particuliers gagnés au Canada. En juin passé, elle a remis un rapport sur le manque à gagner fiscal international pour le régime d’impôt sur le revenu des particuliers. Elle prévoit ensuite publier un rapport sur l’inobservation fiscale des petites et moyennes entreprises et des grandes sociétés.

C’est une bonne nouvelle, mais les estimations du manque à gagner fiscal réalisées d’une manière fragmentée ne brossent qu’un tableau partiel et ne permettent pas de faire des analyses comparatives pour déterminer le secteur où le plus de recettes sont perdues et où il serait préférable d’établir l’ordre des priorités et de déployer des ressources de mise en œuvre supplémentaires. Il faut une analyse complète du manque à gagner fiscal dans laquelle toutes les composantes du régime fiscal sont comparées. Nous obtiendrons peut-être un tableau plus complet lorsque la prochaine étude sera publiée, mais les études sont toutes fondées sur l’exercice 2014 et commencent maintenant à être dépassées.

Les rapports de l’ARC sur le manque à gagner fiscal ne comprennent pas non plus d’estimations de la perte de recettes pour les gouvernements provinciaux et territoriaux. L’ARC perçoit des impôts au nom de tous les gouvernements provinciaux à l’exception du Québec, et l’ampleur totale du manque à gagner fiscal n’est pas claire si on n’inclut pas également les recettes perdues par les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Il est utile d’établir une base de référence afin d’évaluer l’efficacité des ressources supplémentaires qui ont été mobilisées au cours des dernières années et des nouvelles stratégies d’application de la loi qui ont été appliquées par le gouvernement actuel, mais l’ARC doit réaliser une étude sur le manque à gagner fiscal plus à jour et plus exhaustive qui ne fournirait pas seulement un aperçu, mais révélerait les tendances au fil du temps.

Si l’ARC a déjà commencé à réaliser des estimations du manque à gagner fiscal, on peut se demander pourquoi nous avons besoin du projet de loi S-243. Je crois qu’il faut encore des exigences législatives pour s’assurer que les études sur le manque à gagner fiscal continuent d’être effectuées et publiées même s’il y a des changements de gouvernement.

Il est également avantageux, comme le propose le projet de loi, que le directeur parlementaire du budget réalise une estimation indépendante du manque à gagner fiscal. Encore une fois, elle n’a pas à être produite chaque année, mais une analyse indépendante — qui pourrait utiliser différentes méthodes et hypothèses et qui ne serait pas faussée comme celles de l’ARC, qui tendent à minimiser le problème — fournirait aux décideurs et au public un point de vue différent et complémentaire leur permettant de mieux comprendre le problème du manque à gagner fiscal.

Cependant, la raison la plus importante justifiant la réalisation et la publication régulières d’études sur le manque fiscal à gagner, c’est que l’on s’assure que les connaissances du public et des décideurs sur l’efficacité et l’équité fiscales soient mises à jour et que la pression du public soit utilisée afin que les gouvernements et l’Agence du revenu du Canada rendent davantage compte du travail qu’ils font pour rendre possibles le gouvernement et les services sociaux dont nous dépendons tous en augmentant les recettes fiscales.

Merci.

[Français]

Claude Vaillancourt, président, Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC-Québec) : Je représente l’Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne. Nous sommes en faveur des mesures proposées, mais nous nous sommes rendu compte que c’était insuffisant. Le problème le plus important est lié aux inégalités sociales qu’engendrent une finance hors contrôle et une financiarisation d’économie créatrice d’inégalités. Cela nous a amenés à nous intéresser à la question du paradis fiscal.

ATTAC est une association internationale qui existe dans une vingtaine de pays. Nous croyons que le problème doit se régler à l’échelle internationale, mais aussi à l’échelle nationale. Nous sommes une organisation citoyenne qui essaie de faire un lien entre le travail des experts et la population; nous nous situons quelque part entre les deux. Nous donnons le plus d’éducation et d’information possible sur ces sujets très ardus.

Pour les fins de la présente discussion, nous souhaitons rappeler que le problème de l’évasion fiscale est un problème bien réel, mais qu’il existe aussi un problème d’évitement fiscal. Pour nous, la différence entre les deux est importante. L’évasion fiscale est bel et bien de la fraude; il s’agit de cacher ou de réduire sciemment les revenus qu’on déclare. L’évitement fiscal est plus subtil et consiste à profiter des faiblesses et des zones grises des lois pour réduire légalement les revenus qu’on doit déclarer. L’évitement fiscal est une perversion du principe de l’imposition progressive sur le revenu par laquelle des individus fortunés et les grandes entreprises privées se soustraient légalement à leurs obligations fiscales.

C’est en ce sens que nous affirmons que l’évitement fiscal respecte la loi à la lettre, mais qu’il n’en respecte pas l’esprit. Il est difficile de se faire une idée juste de l’ampleur du phénomène des fuites fiscales, et plusieurs estiment que près de la moitié des transactions financières mondiales passent par les paradis fiscaux, sans compter les transactions illicites dans les domaines de la drogue, des armes, de la traite des personnes et des délits financiers. C’est un problème important.

L’Agence du revenu du Canada, dans un rapport rendu public en juin 2018, estime qu’entre 1 et 3 milliards de dollars de revenus ont été cachés en 2015 par de riches Canadiens à l’étranger. Nous ne parlons pas ici d’entreprises privées, mais bien d’évasion fiscale. Nous ne pouvons qu’accueillir ce chiffre comme étant une faible partie du manque à gagner fiscal.

C’est dans ce contexte particulier que nous vous présentons nos réflexions sur le projet de loi S-243. Nous nous sommes inspirés dans notre travail de la Commission des finances publiques du Québec, qui a permis une réflexion importante sur cette question. Nous ne la trouvons pas entièrement suffisante, mais elle est assez solide pour nous appuyer. Mon collègue Jacques Bouchard vous présentera nos idées sur le projet de loi S-243.

Jacques Bouchard, secrétaire général, Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC-Québec) : Bonsoir. Vous comprendrez que, dès le départ, nous allons procéder article par article pour présenter nos commentaires de façon rapide.

D’abord, nous trouvons que le titre de la loi ne correspond nullement à l’objectif des modifications proposées. Nous pensons qu’il faut inclure l’évitement fiscal, alors que le projet de loi ne touche que l’évasion fiscale.

En ce qui concerne l’article 2, qui traite du paragraphe 88(2), nous sommes heureux que le rapport d’activité de l’Agence du revenu du Canada permette d’informer les parlementaires et la population des résultats des travaux de l’agence, y compris les condamnations pour évasion fiscale. Nous approuvons le fait que l’ARC fasse part aux parlementaires et à la population de statistiques afin de cibler des règlements et des lois qui permettraient de lutter efficacement contre la fraude fiscale.

Sur le fond, nous reviendrons sur nos commentaires pour l’article 3. Nous proposons d’aller encore plus loin en ajoutant à la liste des professionnels — avocats, banquiers, comptables — ayant participé au processus d’évasion fiscale pour laquelle il y a eu condamnation. Nous rappelons que l’évasion fiscale est un vol et qu’il est normal que les firmes et individus en ayant profité soient condamnés et identifiés. Il devrait être tout aussi normal que les personnes ou sociétés ayant sciemment participé à cette fraude et accompagné ces firmes ou individus soient également poursuivies et identifiées dans le cadre de ce rapport. Nous croyons que le message d’une telle inclusion dans un rapport public incitera ces professionnels à renoncer, à court et à moyen terme, à accompagner des personnes et firmes dans la pratique de l’évasion fiscale.

Quant à l’article 3, qui modifie la définition de « manque à gagner fiscal », nous déplorons qu’on se limite à une définition très stricte de l’évasion fiscale en laissant de côté tout l’aspect lié à l’évitement fiscal ou à la planification fiscale agressive. Il faudrait que l’ARC ait le mandat d’estimer et d’inclure dans ses rapports les profits réalisés annuellement par les multinationales sises au Canada qui profitent de différents stratagèmes plus ou moins élaborés pour se soustraire à une juste et équitable part d’impôt à payer, là où elles font affaire.

Nous sommes convaincus, comme le concluait encore tout dernièrement le magazine Alternatives économiques dans son numéro de septembre dernier, que la lutte à l’évasion fiscale ne peut passer que par une remise à plat de la manière dont sont taxées les entreprises multinationales. Les consommateurs, à l’inverse des profits, ne peuvent pas être facilement déplacés. Ce simple constat suggère que c’est l’activité réelle, soit les ventes et les chiffres d’affaires, qui doit être prise en compte plutôt que les profits facilement manipulables. Le défi est à la fois celui de l’intelligibilité des stratégies d’évitement fiscal des entreprises et celui de la mise en place juridique et politique d’une telle réforme qui implique des renégociations de conventions fiscales. Nous pensons que le devoir de l’ARC est d’informer les parlementaires et la population de ces pratiques et des façons de les contrer.

Finalement, nous croyons que la modification législative devrait aussi confier le mandat à l’ARC de créer un registre visant à consigner les renseignements sur les bénéficiaires ultimes afin de lutter contre les fiducies et les sociétés-écrans anonymes. À ce titre, nous faisons écho à la recommandation no 32 contenue dans le rapport de la Commission des finances publiques sur le recours aux paradis fiscaux à des fins d’évasion et d’évitement fiscaux, et aux recommandations des spécialistes sur la question, comme Gabriel Zucman, qui considère cette disposition comme étant l’une des trois pistes de solutions incontournables pour amorcer une lutte efficace contre l’évasion fiscale.

À ce titre, nous vous rappelons que le Sénat avait d’ailleurs proposé de créer un registre des bénéficiaires ultimes pour percer le secret bancaire des paradis fiscaux et dévoiler l’identité des investisseurs dans le cadre de la Loi sur le cannabis. Malheureusement, l’amendement a été refusé. Il nous semble que la sensibilité du Sénat devrait s’étendre à l’ensemble des revenus et des investissements provenant de paradis fiscaux.

Finalement, concernant les dispositions des modifications à la loi qui permettent la diffusion d’information, nous sommes tout à fait d’accord avec l’idée que les informations soient disponibles et qu’elles soient élaborées. Il est important pour nous que la diffusion de l’information puisse atteindre le public et l’ensemble de la députation pour que nous soyons en mesure de prendre des décisions éclairées autant que possible. Voilà l’essentiel.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup de votre témoignage.

Monsieur Moore, vous avez dit dans votre exposé que l’ARC n’examinait pas le manque à gagner fiscal entre les provinces et les territoires et qu’il était de 14 à 16 milliards de dollars par année. Différentes estimations proviennent de différentes personnes, mais le manque à gagner fiscal est très important. Pourquoi croyez-vous que les gouvernements de toutes les allégeances ne sont pas plus inquiets? C’est beaucoup d’argent pour la santé, l’éducation, l’approvisionnement militaire et les infrastructures. Je suis abasourdie. À votre avis, pourquoi font-ils preuve d’autant de laisser-faire, si je peux m’exprimer ainsi? Qu’en pensez-vous?

M. Moore : À part ne pas être en mesure de nous poser des questions et avoir de la difficulté à y répondre — comme c’est votre cas —, il semble y avoir de puissants intérêts en place, tant politiques qu’économiques, qui croient qu’il n’est pas nécessaire d’apporter des modifications et qui n’acceptent pas cette perte et la pénalité qui en découlerait quant aux autres façons dont ces mêmes investisseurs investiraient ou non au Canada. Il est difficile de comprendre la situation au-delà de dire qu’on ne la comprend pas.

Dans notre organisation, nous savons que nos comités juridiques et financiers sont composés de certains des plus importants cabinets d’avocats au pays et de certaines organisations jouissant d’une excellente réputation. Ils font rapport, au sein de leur industrie, de la mesure dans laquelle des gens fournissent ces services habilitants — juridiques, financiers et autres — à l’industrie et aux riches et profitent ainsi de la situation. Si nous tenions compte de nos intérêts en combattant la corruption, on pourrait dire que ces personnes participent elles-mêmes à des activités en utilisant la loi pour aller en violation de l’esprit de celle-ci et qu’elles encouragent la poursuite de ces activités en raison des gains qu’elles réalisent. Mais cette réponse n’est pas satisfaisante parce qu’il n’y a pas de réponse claire à votre question.

La sénatrice Eaton : Je pensais que vous auriez peut-être des idées là-dessus. Cela m’amène à ma prochaine question, à laquelle n’importe lequel d’entre vous pourra répondre. Y a-t-il un plafond au-delà duquel les gens cherchent à éluder l’impôt? Devrions-nous simplifier le régime fiscal en prélevant un impôt uniforme dans lequel il n’y a aucune échappatoire fiscale? Voulez-vous tous répondre à la question?

M. Howlett : Je vais y répondre. Je ne préconiserais pas un impôt uniforme parce que cela serait injuste et accroîtrait les disparités de revenus au Canada. Toutefois, l’élimination de certaines échappatoires fiscales serait une très bonne idée, particulièrement pour résoudre le problème...

La sénatrice Eaton : Je ne crois pas que l’un puisse venir sans l’autre.

M. Howlett : Eh bien, le régime d’impôt sur le revenu des particuliers comprend toutes sortes de dépenses fiscales qui profitent, pour la plupart, aux riches et rendent le régime fiscal non seulement injuste, également beaucoup plus complexe et difficile à appliquer.

De même, les règles du régime fiscal des sociétés sont floues. Il y a, par exemple, la règle du lien de dépendance. Les entreprises qui effectuent des transactions au sein d’un groupe d’entreprises devraient avoir un prix qui serait similaire à ce qui se passerait s’il s’agissait d’une entreprise indépendante. Mais maintenant, il y a tellement de commerce qui se fait entre ces entreprises qu’il est très difficile d’appliquer ce type de règle, alors les entreprises s’en tirent en utilisant des paradis fiscaux pour réduire leurs impôts.

La sénatrice Eaton : Mais y a-t-il un plafond, à votre avis, au-delà duquel les gens vont à l’étranger, commencent à chercher des façons de manière agressive?

M. Howlett : Les riches sont ceux qui utilisent le plus les paradis fiscaux. Les contribuables ordinaires ne les utilisent pas.

La sénatrice Eaton : Je ne vais pas insister. D’accord. Vous n’avez pas répondu à ma question, mais merci beaucoup.

[Français]

M. Vaillancourt : Nous sommes tout à fait contre l’idée qu’il y ait un seul palier d’imposition, parce que nous trouvons cela profondément injuste, c’est-à-dire qu’une personne à faible revenu doive payer le même pourcentage qu’une personne qui a des revenus élevés.

La sénatrice Eaton : Il n’est pas nécessaire que ce soit une taxe.

[Traduction]

Vous pouvez avoir un impôt uniforme pour les revenus inférieurs à un seuil précis et un autre pour les revenus plus élevés.

[Français]

M. Vaillancourt : Ce que nous souhaitons, c’est qu’il y ait plus de paliers d’imposition et que ces nouveaux paliers soient ajoutés pour les revenus qui sont plus élevés. Il faut s’intéresser davantage à la question de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale de manière à s’attaquer prioritairement aux gens dont les revenus correspondent aux paliers d’imposition les plus élevés, et qui sont aussi les plus grands utilisateurs de paradis fiscaux. On trouve que le Canada n’en fait pas assez à ce chapitre.

Le sénateur Pratte : Monsieur Bouchard, je comprends de vos propos que vous trouvez que la définition de l’écart fiscal que propose le projet de loi est beaucoup trop étroite.

[Traduction]

J’ai une question pour M. Moore et M. Howlett. Que pensez-vous de la définition de l’écart fiscal qui se trouve dans le projet de loi? Est-elle trop étroite?

[Français]

Je pose cette question également à M. Bouchard. Comment définit-on cela? Dans un projet de loi, on ne peut pas seulement parler d’évitement fiscal, car c’est un peu vague. Il faut que ce soit défini de façon plus précise, et c’est là que ça se complique.

[Traduction]

M. Howlett : Je serais en faveur de faire en sorte que l’écart fiscal comprenne l’évitement fiscal agressif. Il existe une définition juridique. Elle est un peu vague, mais l’évitement fiscal agressif est plus que seulement de l’évitement, et le droit fiscal canadien prévoit une règle anti-évitement. Il y a des décisions judiciaires et d’autres choses qui aident en quelque sorte à définir la question, de manière encore un peu floue, mais cela devrait faire partie des estimations de l’écart fiscal. Le problème s’aggrave lorsqu’il s’agit de l’utilisation de paradis fiscaux par les entreprises parce que nombre de sociétés les utilisent pour transférer des bénéfices, mais elles sont en mesure de le faire en respectant la définition floue de la loi actuelle sur l’impôt des sociétés, alors il faut préciser cette définition en réformant la loi et en la rendant plus claire, mais l’estimation de l’écart fiscal devrait également comporter les véritables activités illégales, de même qu’un autre chiffre correspondant peut-être à l’estimation des pertes fiscales découlant de l’évitement fiscal agressif.

[Français]

M. Bouchard : Pour ce qui est de la façon d’inclure la définition dans le projet de loi, je ne suis pas avocat et je ne pourrais pas vous soumettre une idée.

Cependant, si on parle du principe de l’évitement fiscal, la plupart des fiscalistes et des gens savent exactement de quoi il en retourne. Dans le fond, ce sont des pratiques qui transforment l’esprit de la loi et qui amènent les gens à les interpréter à leur façon, et ça devient très compliqué.

D’ailleurs, l’ARC consacre énormément de temps devant les tribunaux à déterminer si la pratique fiscale est agressive ou si elle est légale ou pas. Il y a des débats sans fin sur le sujet. Je crois qu’il est tout de même important d’inclure une définition dans le texte de loi, et je fais confiance au législateur pour qu’il trouve les termes appropriés.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Ce projet de loi, s’il est adopté, représente vraiment une première étape. Il faut mesurer l’écart fiscal, et nous croyons qu’il sera de l’ordre de 15 milliards de dollars, mais l’objectif, au bout du compte, c’est de percevoir l’impôt, alors ce n’est que la première étape.

Que croyez-vous qu’il se produira après l’adoption du projet de loi et après les calculs du directeur parlementaire du budget? Restera-t-il sur les tablettes? Quelles sont vos attentes, par exemple, par rapport à l’Agence du revenu du Canada?

M. Moore : Nous croyons que ce projet de loi donnera à l’Agence plus d’outils pour atteindre ses objectifs. Lorsque nous avons rencontré des représentants de l’Agence, leur véritable préoccupation, comme d’autres l’ont exprimé, c’est d’avoir les ressources pour examiner en profondeur la façon d’éliminer certaines échappatoires fiscales. Peu importe le régime fiscal, il y sera toujours vulnérable, mais nombre de ces échappatoires sont déjà bien connues.

Lorsque vous dites qu’il s’agit d’une première étape, à notre avis, vous ne serez pas en mesure d’aller aussi loin que beaucoup de gens le voudraient si vous ne mettez pas en place des registres de propriété bénéficiaire parce que les personnes seront en mesure, au moyen de transferts de bénéfices, comme l’a mentionné M. Howlett, et d’autres mécanismes, de détourner des fonds dans ces mécanismes. Nous ne réglerons pas ce problème à moins de chercher à régler celui des sociétés qui exercent leurs activités dans le cyberespace, comme Google et Amazon, qui éludent l’impôt en utilisant ces paradis fiscaux. Nous n’avons pas encore trouvé le moyen de faire face à cette nouvelle façon de faire des affaires de ce monde international. Mais cela demeure une première étape très importante parce que c’est un signal à toutes ces sociétés et à tous leurs partenaires potentiels; cela aidera à détecter les échappatoires fiscales et à trouver des façons de les éliminer.

La sénatrice Marshall : Merci.

Monsieur Howlett, j’aimerais entendre votre point de vue. Je mentionnerais que j’ai lu un article sur votre site web, Qu’est-ce qui ne va pas à l’ARC? et comment y remédier?, alors je souhaiterais entendre vos commentaires.

M. Howlett : L’ARC a commencé à mesurer l’écart fiscal et elle a admis qu’elle perd, seulement selon les études qu’elle a effectuées jusqu’à maintenant, environ 18 milliards de dollars. C’est 8,6 p. 100 du régime d’impôt sur le revenu des particuliers. Nous parlons d’un énorme problème ici, mais on n’y a pas accordé suffisamment d’attention parce qu’on n’en connaissait pas précisément l’ampleur. Lorsque l’Agence terminera son étude de l’impôt des sociétés, je prévois qu’au moins 6 milliards de dollars de pertes de recettes seront ajoutés, et nous serons près de 25 milliards de dollars. Cela devrait exercer une certaine pression sur les décideurs pour qu’ils s’attaquent au problème.

Je me réjouis du fait que le gouvernement actuel a suivi certaines des recommandations énoncées dans l’article Ce qui ne va pas à l’ARC? et comment y remédier?, particulièrement en ce qui concerne les stratégies d’application de la loi, en accordant la priorité aux activités à l’étranger, aux sociétés et aux gens riches. C’est une bonne initiative. Mais la prochaine étape, c’est de réformer le régime fiscal — de le simplifier, de le clarifier, de faciliter son application et de le rendre équitable en même temps. Ce serait la prochaine étape. Lorsqu’il s’agit de possiblement 25 milliards de dollars, cela justifie qu’on élève au rang de priorité la prise de mesures législatives.

La sénatrice Marshall : Merci.

Monsieur Vaillancourt et/ou monsieur Bouchard? Ce peut être vous deux.

[Français]

M. Vaillancourt : Non, ça va.

Le président : Vous n’avez pas de commentaires?

[Traduction]

Il n’y a pas de commentaires, madame Marshall. Une autre question?

La sénatrice Marshall : Non, mais je dois dire que M. Vaillancourt ou M. Bouchard ont effectivement fait certaines observations dans leur déclaration liminaire, mais j’irai vérifier.

[Français]

M. Vaillancourt : J’aimerais intervenir. Nous croyons qu’il faut dénoncer la fraude fiscale. Cependant, derrière la fraude fiscale, il y a toute une infrastructure, c’est-à-dire qu’il y a des gens qui permettent que la fraude fiscale ait lieu. Si on juge qu’il y a un pas supplémentaire à franchir dans la loi, ce serait de cibler aussi ces personnes qui sont responsables.

Nous avons entendu des témoignages de personnes qui consultent des gens qui ne sont pas nécessairement des fraudeurs, mais qui leur proposent des façons d’échapper à l’impôt. Nous croyons que ces gens devraient aussi être ciblés par la loi.

M. Bouchard : Vous pouvez aussi aller sur Internet, c’est très facile.

La sénatrice Bellemare : Je trouve important de comprendre d’où viennent les manques à gagner pour savoir comment s’attaquer au problème. Je comprends que nous avons ici des estimations. Par exemple, M. Howlett a parlé de l’écart fiscal qui s’élevait à 16 milliards de dollars.

Ma question est la suivante. Est-ce qu’une grande proportion de cet écart fiscal provient de l’évitement fiscal et des paradis fiscaux? Il est peut-être lié à l’économie souterraine, auquel cas nous n’allons pas appliquer les mêmes mesures pour régler le problème. Dans le cas de l’économie souterraine, nous pouvons prendre des mesures beaucoup plus positives, comme la Suède l’a déjà fait, alors que pour l’évitement fiscal, c’est autre chose.

Selon vos estimations, pourriez-vous nous dire ce qui est à l’origine de l’écart fiscal? D’abord, on sait que vos estimations se basent sur des particuliers et non sur des entreprises. Est-ce bien le cas?

[Traduction]

M. Howlett : Les chiffres que j’ai communiqués sont les chiffres figurant dans les rapports de l’ARC sur l’écart fiscal. L’Agence a relevé 2,2 milliards de dollars non perçus et 6,5 milliards de dollars de revenus déclarés en partie seulement, ce qui comprend les revenus d’origine criminelle, alors cela totalise, du côté des revenus des particuliers, 8,7 milliards de dollars. Elle a ensuite produit un rapport distinct sur le non-paiement de la TPS et de la TVH et a conclu que c’était environ 7,8 milliards de dollars. Le plus récent rapport sur l’évasion fiscale internationale faisait état de 0,8 à 3 milliards de dollars. Il s’agit des études qu’elle a publiées jusqu’à maintenant. J’ai réalisé une estimation de l’évitement fiscal international et je crois qu’il est de l’ordre de 10 à 15 milliards de dollars. Les hypothèses et les méthodes diffèrent. À mon avis, il s’agit de chiffres peu élevés, et ils ne comprennent pas la prochaine étude sur l’impôt des sociétés.

Pour ce qui est de l’impôt des sociétés, la plus grande partie provient probablement de l’évitement, mais pour ce qui est de l’impôt sur le revenu des particuliers, c’est principalement de l’évasion fiscale, soit de l’évasion d’origine criminelle soit des revenus non déclarés.

Lorsqu’on additionne tous ces montants, cela donne une somme énorme. Je ne sais pas quelle méthode l’Agence va utiliser pour l’impôt des sociétés, mais c’est là où il devient très important de se pencher sur l’évitement fiscal agressif de même que l’évasion fiscale. Si vous examinez l’évitement fiscal agressif, je suis certain que le total dépassera 6 milliards de dollars et que le total général sera très près de 25 milliards de dollars.

M. Moore : Lorsqu’on examine ce problème en se demandant comment le diviser, peu importe la ventilation, il est clair pour l’ARC et d’autres fonctionnaires qu’il faut comprendre la nature du problème, non pas seulement le montant de chaque catégorie.

De toute évidence, le Canada est un des pays qui se conforme le moins aux accords qu’il a signés avec le G20 concernant la propriété bénéficiaire. En n’agissant pas à cet égard, nous permettons à beaucoup d’argent d’entrer au pays et, souvent, il s’agit d’argent qui avait été transféré à l’extérieur du Canada dans des paradis fiscaux à la suite d’activités criminelles dans notre propre pays, puis ramené ici et blanchi en étant investi dans des entreprises légales.

Nous ne sommes pas en mesure de savoir qui sont les propriétaires de l’ensemble du parc immobilier de Toronto et de Vancouver. Dans nos propres études, qui sont très précises selon les plus hautes instances gouvernementales, les prix et le marché de l’habitation sont grandement faussés par l’argent qui est blanchi dans des paradis fiscaux à l’étranger et ramené au pays afin d’acheter des biens immobiliers, et nos lois n’exigent pas que les véritables bénéficiaires et propriétaires de ces propriétés soient connus. Cela s’applique également à l’achat d’entreprises et à la réalisation d’autres formes d’investissements, où les facilitateurs sont parfois des avocats, des banques ou d’autres.

Mais il ne s’agit pas de pointer du doigt les personnes. Comme nous avons essayé de vous le souligner, nous pouvons relever le problème, mais il n’existe pas de panacée. À notre avis, il faut trouver une façon de savoir qui fait ces investissements — la « notoriété du client » comme on dit. Les banques ont des façons de faire cela pour la GRC, et les personnes spécialisées qui cherchent à faire du blanchiment d’argent et à utiliser des paradis fiscaux doivent être enregistrées.

Il est très triste que le Canada, le Brésil et la Corée du Sud soient les trois seuls pays du G20 à avoir reçu la cote la moins élevée pour ce qui est d’appliquer les accords sur la propriété bénéficiaire; le Canada est passé de la catégorie supérieure à la catégorie inférieure dans les cotes les plus récentes.

Ces choses, à notre avis, sont liées. Cela ne diminue en rien votre compréhension de la ventilation qu’a expliquée M. Howlett, mais certains des outils servant à s’attaquer au problème ne se concentrent pas nécessairement uniquement sur chaque secteur parce que la GRC et d’autres autorités policières disent que la propriété bénéficiaire leur permettrait de faire leur travail parce que les gens ne seraient pas en mesure de blanchir leur argent au Canada étant donné qu’il est très facile d’enregistrer une entreprise ou d’autres formes de fiducies et d’investissements.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, d’être ici. J’ai trouvé très intéressantes certaines des choses que vous avez dites.

Je crois comprendre que vous dites tous les quatre vous intéresser aux paradis fiscaux, aux grandes sociétés et aux gens riches, n’est-ce pas? C’est un peu l’impression que j’ai. Vous l’avez assez dit. Ce sont les gens riches, les paradis fiscaux et les grandes sociétés.

Je vis dans une province qui perçoit une taxe sur les ventes. La province voisine, 100 milles plus loin, n’impose pas une telle taxe. Nombre de citoyens ordinaires vont dans cette autre province pour y acheter des réfrigérateurs, des cuisinières, des matériaux de construction et toutes sortes de choses. Est-ce que votre estimation tient également compte de cela? Je ne sais pas comment vous en arrivez à tous ces montants. Je ne conteste pas vos chiffres, j’essaie seulement de comprendre. Examinez-vous également ces choses-là? Parce que c’est ce que font les personnes ordinaires dans de tels endroits. Est-ce que vous appelez cela de l’évitement fiscal? Est-ce que vous dites que c’est éviter de payer sa juste part d’impôt, ou ce n’est pas ce dont vous parlez?

M. Howlett : Ce dont je parlais, ce sont les rapports de l’Agence du revenu du Canada sur l’écart fiscal, et celui qu’elle a fait sur la TPS/TVH ne comprenait pas les personnes de la Saskatchewan ou de la Colombie-Britannique qui traversent la frontière pour acheter des biens en Alberta. Cela n’en fait pas partie, mais elle a examiné les plombiers ou d’autres gens de métiers qui ne perçoivent pas la TPS s’ils sont payés en argent comptant. Ce type de chose est inclus.

La plupart du temps, la plus grande partie de l’évasion fiscale provient des gens riches. Parce que si vous êtes salarié, votre employeur communique votre salaire à l’ARC. Si vous déclarez un montant différent dans votre déclaration de revenus, l’agence vous posera des questions, alors la possibilité d’éviter de payer de l’impôt ou de faire de l’évasion fiscale n’est pas accessible à 80 ou à 85 p. 100 des Canadiens. Nous parlons, dans une certaine mesure, de travailleurs autonomes et de propriétaires de petites entreprises qui ont plus de façons de déclarer leurs revenus en partie seulement, et il est plus difficile pour le gouvernement de les attraper.

Mais pour ce qui est des très grands montants, nous parlons des personnes qui utilisent les paradis fiscaux. Vous ne pouvez pas les utiliser sans facilitateurs. La plupart des gens ne peuvent pas aller dans les îles Caymans et mettre en place une telle structure. Ils ont besoin de l’aide de comptables fiscalistes, de cabinets comptables et d’avocats pour être en mesure de faire cela. C’est pourquoi il est tellement important de poursuivre les facilitateurs et non pas seulement la personne. J’ai entendu des gens dire : « Je ne voulais pas éviter de payer de l’impôt. Je ne voulais pas faire de l’évasion fiscale, mais mon comptable fiscaliste m’en a convaincu. »

Le sénateur Neufeld : Cela me semble une bonne idée. J’ai justement un pont à vendre.

M. Howlett : Il faut tenir compte de l’ensemble de la situation et tuer le problème dans l’œuf, pour ainsi dire, et s’attaquer aux facilitateurs d’évasion fiscale et d’évitement fiscal.

Le sénateur Neufeld : J’ai une autre question. Alors, vous ne parlez pas d’activités souterraines?

M. Howlett : Le rapport de l’ARC a inclus les activités illégales. Les ventes illicites de drogues font partie de l’estimation. L’agence a estimé les impôts qui auraient dû être payés sur ces activités économiques, alors ces activités illégales en font partie. Elle a essayé de proposer certaines estimations d’une partie du blanchiment d’argent et d’autres activités illégales, mais, comme l’a souligné M. Moore, il est très difficile de faire des estimations précises parce que le Canada est un des pires pays pour ce qui est de rendre accessible cette information aux forces de l’ordre et aux responsables du recouvrement de l’impôt.

[Français]

M. Bouchard : Au fond, vous soulevez également le problème de ce qu’on appelle la concurrence fiscale entre les provinces, entre les pays. Une partie de la réflexion est la suivante : Apple, qui vend des produits partout au Canada, profite de l’évitement fiscal en appliquant la politique du transfert de prix. Cela fait en sorte qu’elle ne paie pas beaucoup d’impôts par rapport aux chiffres de vente. Si, demain matin, on imposait Apple sur les ventes réalisées et non sur les profits déclarés, est-ce qu’elle quitterait le Canada parce qu’elle ne ferait plus affaire avec les consommateurs? La question ne se pose pas. Lorsqu’on parle d’évitement fiscal et de concurrence fiscale, il faut tenir compte de ces dispositions.

J’aimerais répondre aussi à la question posée par la sénatrice Bellemare. Lorsqu’on tente d’établir les sommes d’argent qui sont perdues par ces moyens, comme les prix de transfert et les différentes techniques permettant d’éviter de payer des impôts, c’est très difficile. Ce sont des gens qui ont dénoncé — des lanceurs d’alerte, par exemple — des sommes d’argent exponentielles, soit des chiffres dont on n’a même pas idée.

Par exemple, c’est de cette façon que nous avons appris que, au Luxembourg, Apple avait une entente secrète avec le pays. Ainsi, pour ses activités réelles — parce qu’elle est une multinationale —, c’est au Luxembourg qu’elle applique ses profits, et elle ne paie pas d’impôt, parce que c’est une entente secrète. Il est donc très difficile d’établir des sommes exactes. Il y a toutes sortes de techniques et d’évaluations qui se font, et il est donc très difficile de répondre à votre question.

M. Vaillancourt : J’aimerais ajouter quelque chose à ce sujet. À titre d’organisation internationale, nous sommes souvent en contact avec nos camarades européens. En ce qui concerne l’évitement fiscal, nous nous sommes rendu compte qu’ils ont beaucoup plus de données que celles dont on peut disposer ici. S’il y a un travail à faire au Canada, c’est de voir quelles sont les conséquences réelles de l’évitement fiscal.

En ce qui a trait à l’évasion fiscale, on fait des progrès, c’est intéressant, et le projet de loi va tout à fait en ce sens. Toutefois, sur la question de l’évitement fiscal, nous ne disposons pas des informations nécessaires. Nous étions tout de même assez étonnés de voir à quel point les Européens avaient des données précises et des montants précis qu’ils pouvaient évaluer pour telle et telle grande entreprise transnationale. De notre côté, lorsque nous essayions de faire la recherche pour trouver l’équivalent, nous n’y arrivions tout simplement pas.

Le président : Et eux avaient ces informations?

M. Vaillancourt : Oui, à l’égard de compagnies très ciblées, aussi.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici ce soir. J’espère que je vais rester sur le sujet, mais j’ai réfléchi à la question. Nous parlons d’un enjeu très important. Les chiffres continuent d’augmenter, et il ne s’agit pas de millions, mais bien de milliards.

Mardi prochain, au Sénat, nous avons l’occasion de recevoir le ministre des Finances pour la période des questions. Nous avons souvent cette occasion-là les mardis après-midi. Je réfléchis à ce que j’aimerais lui demander. Si le ministre des Finances était dans la salle, quelle question lui poseriez-vous à ce sujet?

M. Moore : Nous semblons avoir chacun nos propres enjeux. Comme nous nous concentrons sur la transparence, nous demanderions au ministre pourquoi son gouvernement ne se conforme pas aux accords conclus avec le G20 et ne suit pas l’exemple de l’Union européenne, et de ses 28 pays membres, qui a décidé d’établir des registres publics de la propriété bénéficiaire comme façon de s’attaquer au blanchiment d’argent, à l’utilisation de paradis fiscaux, et cetera. Alors que tous nos alliés vont de l’avant, qu’est-ce qui nous empêche d’établir ces registres comme un outil permettant à nos forces de l’ordre et à nos organismes fiscaux de réduire le montant de l’écart fiscal?

M. Howlett : Je demanderais au ministre s’il est prêt à envisager de réformer le régime législatif canadien sur l’impôt des sociétés afin de le rendre plus clair et qu’il soit plus difficile pour les sociétés de transférer des bénéfices dans des paradis fiscaux en vue de réduire leur fardeau fiscal. Il y a d’excellents exemples d’autres pays qui ont réformé leurs dispositions législatives sur l’impôt des sociétés pour faire exactement cela, et le Canada accuse beaucoup de retard à cet égard.

[Français]

M. Vaillancourt : De notre côté, nous aimerions demander au gouvernement canadien pourquoi il continue à signer des conventions fiscales avec des paradis fiscaux et des conventions fiscales qui incluent des dispositions sur la double imposition. Qu’est-ce que cela veut dire? Par exemple, cela veut dire que si une entreprise paie de l’impôt dans un paradis fiscal avec lequel il existe une convention, elle n’a pas besoin d’en payer ici. Dans le cas des conventions fiscales conclues avec des pays qui ont une fiscalité équivalente à la nôtre, nous n’avons strictement rien à redire. Nous croyons que c’est parfaitement correct et parfaitement compréhensible. Toutefois, dans un paradis fiscal où l’impôt est réduit à presque rien, cela permet des transferts financiers gigantesques, et c’est de l’argent perdu pour les contribuables québécois, parce que cet argent ne se retrouve pas dans les recettes fiscales.

Avec tous les scandales liés aux paradis fiscaux, pourquoi le gouvernement canadien continue-t-il à signer ces conventions? Cela nous laisse bouche bée.

M. Bouchard : Je pourrais peut-être rajouter un élément. Dans le cadre des ententes bilatérales et des accords trilatéraux, certaines choses pourraient être négociées dans le sens de l’application des lois fiscales, et c’est ce qu’on néglige de faire à l’heure actuelle.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Je pense que cela pourrait me convenir.

La sénatrice Moncion : Je peux répondre à la deuxième question concernant l’examen du régime législatif canadien sur l’impôt des sociétés. Je crois que le ministre a essayé, mais il y a eu une très forte réaction l’an dernier. Je comprends votre point de vue. Je ne crois simplement pas que cela puisse se faire dans un avenir prochain.

J’ai une question concernant votre commentaire sur la transparence. Vous parliez de la propriété bénéficiaire. En quelle année l’accord international a-t-il été conclu? Vous dites que le Canada n’en est pas signataire.

M. Moore : Non. Le Canada a effectivement signé un accord avec les autres pays du G20 concernant 10 principes qui régiraient la façon dont la propriété bénéficiaire serait traitée dans chaque pays. Il l’a signé en 2013. Dans chacune des évaluations depuis, il semble que nous accusons de plus en plus de retard par rapport aux autres pays. En fait, ce n’est même pas par rapport aux autres États parce que sept pays qui ne sont pas membres du G20 ont demandé aux dirigeants du G20 si leur pays, une fois évalué, pourrait faire partie de l’évaluation; ils pensent que ce serait un outil international pouvant encourager tous les gouvernements — par conséquent 27 gouvernements — à essayer d’être mesurés selon la même norme. Alors, nous accusons un retard parmi non pas 20, mais 27 pays.

La sénatrice Moncion : Merci.

Ma question porte sur certains des commentaires qui ont été faits sur les avocats et les comptables qui font de la planification fiscale. Ils utilisent ce que permet la loi pour effectuer de la planification fiscale. Lorsque nous parlons d’échappatoires fiscales, cela fait même partie de notre propre planification fiscale personnelle. Nous trouvons des façons d’investir, de faire plus d’argent et de payer moins d’impôt. Si vous avez un très bon planificateur financier, il trouvera des façons de vous faire économiser. C’est la même chose pour les comptables et les avocats spécialisés dans la planification fiscale. J’ai entendu beaucoup de commentaires négatifs sur ces groupes et j’aimerais que vous nous donniez plus de détails là-dessus. C’est comme si nous mettions tous nos œufs dans le même panier et que nous disions que ce que ces gens font est mauvais, ou est-ce que je me trompe?

M. Howlett : Eh bien, j’ai personnellement contribué à dénoncer l’escroquerie de l’île de Man qu’a facilitée KPMG. Une famille riche de Victoria a été condamnée pour évasion fiscale après avoir utilisé cette manœuvre frauduleuse. J’ai travaillé avec la CBC pour mettre au jour cette escroquerie, et elle a beaucoup attiré l’attention des médias dans un documentaire; le gouvernement a perçu certains impôts dus par ces gens riches. Parmi les documents de la Cour et les éléments de preuve présentés au cours du procès de cette famille riche de Victoria, nombre d’avocats-fiscalistes disent qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve qui auraient permis de condamner KPMG pour avoir facilité de l’évasion fiscale, ce qui est une autre activité criminelle. Le gouvernement n’a pas encore intenté de poursuites contre KPMG, et je ne comprends pas pourquoi.

Lorsque j’ai comparu devant le comité des finances de la Chambre des communes, qui a réalisé toute une étude là-dessus, la journée où je devais témoigner, ce comité a reçu une lettre d’avertissement de la part des avocats de KPMG, et je n’ai pas pu parler de l’affaire de KPMG. Cette société est très puissante, pourtant le gouvernement retient ses services de comptabilité. Il lui donne des millions et des millions de dollars, même si, à mon avis, des soupçons pèsent sur de telles entreprises. Je sais qu’elles sont innocentes jusqu’à preuve du contraire devant un tribunal, mais nous devrions au moins les poursuivre et laisser un tribunal décider si ce qu’elles ont fait est légal.

Dans l’affaire de l’île de Man, KPMG a conseillé aux gens de faire des dons en argent à un agent de l’île de Man et de dire qu’il s’agissait d’un don de bienfaisance, et leur a dit qu’ils pourraient récupérer leur argent quand ils le voudraient. Je suis persuadé que cela ne tiendrait pas la route devant un tribunal, mais le gouvernement n’a pas poursuivi KPMG. C’est le genre de chose auquel il faut vraiment s’attaquer, et même si les gouvernements poursuivent certaines personnes, ils n’ont pas poursuivi les facilitateurs dans une grande mesure.

[Français]

M. Vaillancourt : Je pense que vous avez raison de dire que nous essayons tous de jouer au chat et à la souris avec le fisc. Le problème est un problème de proportion. Je vais vous raconter une anecdote. Un homme d’affaires est venu se plaindre auprès de moi, un jour, en me disant : « ça coûte cher de ne pas payer d’impôt ». Derrière ça, il y a tout un système. Cela veut dire que cet individu était prêt à donner beaucoup d’argent pour économiser encore plus d’argent. Si le système est ainsi fait, on se pose la question, on prouve qu’il y a un vice à la base.

C’est pour cela que nous tenons tellement à dire que la question de l’évitement fiscal est une question fondamentale. Oui, il y a l’évasion fiscale, mais l’évitement fiscal l’est encore plus, parce que, finalement, ces organisations dont parlait mon collègue sont des organisations légitimes, qui élaborent des systèmes extrêmement complexes. C’est pour cela que nous croyons qu’il faut vraiment s’y attarder, ne pas dire « tout le monde le fait, fais-le donc », mais plutôt dire qu’à un moment donné il faut y mettre un frein.

D’autant plus que, entre les petits arrangements d’une personne qui gagne 40 000 $ par année et ceux d’une grande entreprise multinationale qui réalise des milliards de dollars de profits par année, il n’y a aucune commune mesure. C’est sur ces grands acteurs qu’il faut agir, parce que ça aura un impact sur les revenus de l’État.

M. Bouchard : Permettez-moi de vous citer la recommandation no 24 du rapport de la Commission des finances publiques du Québec, qui suggère ce qui suit :

[Reconnaître] dans les lois pertinentes que l’aide professionnelle à l’évasion fiscale ou à l’évitement fiscal abusif est une activité criminelle.

Évidemment, le Code criminel est de nature fédérale, mais ce sont tout de même les réflexions des parlementaires québécois.

Le président : Merci. Si vous pouviez transmettre ce rapport à la greffière, à titre d’information pour le comité, cela serait apprécié.

[Traduction]

M. Moore : J’espère que nos commentaires ne détourneront pas votre attention de l’importance de ce projet de loi. Nous devons travailler là-dessus sans relâche au fil du temps et réaliser des progrès lorsque c’est possible. Le secteur qui nous préoccupe tous — l’évitement fiscal — est le plus compliqué. Nous devrons trouver une façon de s’y attaquer en éliminant les échappatoires fiscales qui permettent cette activité légale.

Nous parlons à nombre de gens de l’industrie qui disent : « Nous entendons le débat, mais nous en avons un peu assez de nous faire dire que ce que nous faisons est mal. Modifiez les lois, et nous changerons notre comportement. » J’espère que les autres seront d’accord avec moi lorsque je dis que, dans le cadre de votre étude de ce projet de loi, ce qui est peut-être plus important, c’est de commencer à prendre un engagement par rapport à certains des autres secteurs auxquels il faut s’attaquer. Nous avons tous mentionné les secteurs qui sont similaires pour nos organisations, bien que différents. Lorsque je parle de propriété bénéficiaire et qu’une autre organisation en parle davantage du point de vue de l’orientation fiscale, au bout du compte, il s’agit de recettes publiques que nous perdons. Dans notre cas, lorsque nous rencontrons le gouvernement, le manque de propriétés bénéficiaires signifie que nos gouvernements embauchent sous contrat des gens, dépensent de l’argent public pour acheter des services et des biens, et ne savent pas nécessairement qui sont les propriétaires bénéficiaires de nombre de ces entités qui sont qualifiées conformément à notre système actuel à livrer concurrence pour obtenir des fonds et des projets publics.

Ce sont tous là des facteurs qui contribuent au problème, et j’espère qu’une partie de votre rapport décrira ceux que vous voulez examiner plus attentivement.

La sénatrice Andreychuk : Merci, monsieur Moore. Vous avez fait en sorte que ma question sera beaucoup plus brève. C’est exactement cela. Nous étudions un projet de loi. Nous parlons d’évasion fiscale, d’évitement fiscal, de facilitateurs, et cetera. Le projet de loi est assez précis, et c’est un début, mais je vous ai également entendu parler de transparence. Y a-t-il des façons d’améliorer ce projet de loi pour ce qui est de la transparence?

Pour commencer, je crois que nombre de professionnels vont réagir parce qu’ils sont honnêtes en général. Ils ont leurs propres comités de discipline, et cetera. Lorsque vous dites qu’ils sont tous des facilitateurs, je crois que cela ouvre une discussion différente de celle dont nous avons besoin. Vous ratissez large, et nous finirons par devoir nous attaquer à tous ces aspects.

J’ajouterais autre chose : nous devons conclure davantage d’accords internationaux afin de coordonner les efforts parce que je mènerais un débat intéressant avec vous concernant l’Europe et la façon dont l’évasion fiscale et l’évitement fiscal continuent là-bas. La situation n’est pas réglée là-bas non plus.

Y a-t-il une façon d’étudier le projet de loi S-243 comme un point de départ et d’y ajouter un élément sur la transparence tout en examinant les activités criminelles et l’évasion fiscale, puis, probablement de façon distincte, l’évitement fiscal et ainsi de suite? C’est trop de choses à absorber pour le public et certainement pour le comité et le projet de loi.

M. Moore : Nous n’avons pas essayé de voir comment les choses pourraient être améliorées parce que nous avons souvent vu les choses traîner dès que les gens tentent d’en faire plus que ce qui était prévu au départ. Si le travail du comité doit se poursuivre avant que le projet de loi aille de l’avant pour un dernier examen et que vous aimeriez recevoir cette information, nous serions heureux de vous la fournir. Toutefois, nous préférons mieux nous préparer à un débat plus large et, à cet égard, nous sommes très satisfaits du projet de loi.

M. Howlett : Je proposerais un petit élément pouvant être un amendement mineur qui pourrait améliorer le projet de loi. Il s’agirait de préciser que l’écart fiscal devrait inclure dans les recettes perdues des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Le libellé du projet de loi n’est pas clair, et je pense qu’il vaudrait mieux avoir un tableau complet.

Le président : Notre analyste en prendra note, monsieur Howlett. Merci.

[Français]

M. Vaillancourt : Nous aussi, nous trouvons que c’est clair. C’est un pas dans la bonne direction, il n’y a pas de doute là-dessus, mais nous voudrions que vous ne vous arrêtiez pas là et que vous teniez compte de ce que nous avons dit pour qu’il y ait des progrès dans ce dossier que nous considérons comme fondamental.

M. Bouchard : La solution ne vient pas des autres pays. Le Canada a un rôle à jouer, notamment en incluant dans sa politique étrangère cette lutte qui est si importante pour les citoyens.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup aux témoins d’avoir communiqué leurs recommandations et leurs points de vue.

Mesdames et messieurs, nous allons maintenant suspendre la séance et passer à une séance à huis clos pour des questions d’information et de décisions.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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