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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule no 66 - Témoignages du 8 mai 2018 (séance du matin)


OTTAWA, le mardi 8 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, se réunit aujourd’hui, à 9 h 33, afin de poursuivre son étude de la teneur complète du projet de loi.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs et honorables sénatrices, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je m’appelle Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je préside le comité.

Je tiens à accueillir officiellement, à titre de membre permanente du Comité des finances, la sénatrice Deacon.

Sénatrice Deacon, vous êtes la première à vous présenter.

La sénatrice Deacon : Marty Deacon, Ontario.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, Saskatchewan.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : Ce matin, nous poursuivons l’étude de la teneur du projet de loi C-74, que nous avons entamée la semaine dernière.

[Traduction]

Le projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions sur le budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, est ce qu’on appelle une « loi d’exécution du budget », ou « LEB ».

Aujourd’hui, nous voulons explorer davantage les effets des dispositions concernant l’imposition des sociétés privées, du point de vue des entreprises. Pour la première heure de notre réunion, nous recevons les témoins suivants : M. Trevin S. Stratton, économiste en chef, Chambre de commerce du Canada.

Monsieur Stratton, merci d’avoir accepté notre invitation à venir nous faire part de vos opinions, de vos commentaires et de vos recommandations.

Par vidéoconférence depuis Toronto, nous entendons M. Dan Kelly, président et chef de la direction de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.

Nous sommes prêts pour votre déclaration liminaire, monsieur Stratton, après quoi suivra celle de M. Kelly. Après les deux exposés, les sénateurs vous poseront des questions.

[Français]

Monsieur Stratton, la parole est à vous.

Trevin S. Stratton, économiste en chef, La Chambre de commerce du Canada : Merci beaucoup, sénateur Mockler et membres du comité. C’est un grand plaisir pour moi d’être parmi vous aujourd’hui.

[Traduction]

Au nom de la Chambre de commerce du Canada, j’aimerais remercier le comité du travail remarquable qu’il a fait durant les audiences pancanadiennes qui se sont tenues sur ce sujet l’automne dernier. C’est avec enthousiasme que nous acceptons les recommandations formulées dans le rapport qui en a découlé.

Vous vous rappelez peut-être que la Chambre de commerce du Canada a eu, c’est le moins qu’on puisse dire, une divergence d’opinions avec le gouvernement, lorsqu’il a décidé l’an dernier d’apporter des modifications au traitement fiscal des sociétés privées sous contrôle canadien.

Bon nombre des 200 000 entreprises qui font partie du réseau de la chambre sont des petites et moyennes entreprises, et, pour elles, ces modifications proposées représentaient le principal enjeu.

Ce qui est tout à son honneur, le gouvernement a écouté les préoccupations soulevées par la chambre et ses membres. Les changements annoncés dans le budget de 2018 constituent une amélioration. Nous accueillons la réduction du taux d’imposition des PME, le plus grand nombre de détails sur le processus que doivent suivre les membres de la famille pour démontrer qu’ils contribuent de façon utile à une entreprise et qu’ils sont payés pour le faire et le seuil de 50 000 $ pour les placements passifs annuels. Nous sommes aussi heureux d’apprendre que les nouvelles règles relatives au fractionnement de l’exonération cumulative des gains en capital pour les membres de la famille ne seront pas créées.

Nos membres demeurent préoccupés au sujet du surcroît de paperasserie et de l’incertitude entourant le critère du caractère raisonnable pour le fractionnement du revenu. Nous ne croyons pas que cela reflète les nombreux moyens officiels et informels par lesquels les membres de la famille contribuent à une entreprise. Nous nous préoccupons aussi du fait que les nouvelles règles sur les revenus tirés de placements passifs ne prévoient pas de clause de droits acquis pour les placements passés.

Même si la chambre est ravie de constater que certaines des propositions originales ont été modifiées, elle estime qu’elles se perdent dans les détails. Ces modifications n’auraient jamais dû être proposées en premier lieu.

Le gouvernement doit aussi se concentrer sur le tableau d’ensemble. Comment ces modifications fiscales font-elles prospérer l’économie du Canada? Comment rendent-elles les petites entreprises canadiennes plus concurrentielles? Malgré le débat considérable qui se tient au sujet de ces modifications, nous n’avons pas trouvé de réponses satisfaisantes à ces questions.

Cela fait 40 ans que l’on fait du couper-coller depuis le dernier examen exhaustif du régime fiscal du Canada. Les changements actuellement proposés, même avec des modifications, non seulement pénalisent les petites entreprises, mais elles compliquent davantage notre régime fiscal anticoncurrentiel déjà complexe. L’ajout de ces changements fera en sorte que les propriétaires de petites entreprises auront moins de temps et d’argent à investir dans la croissance, l’innovation et la création d’emplois. C’est particulièrement troublant et urgent à la lumière des récentes réformes fiscales introduites dans d’autres pays.

Les politiques fiscales connaissent une période d’innovation partout dans le monde. L’administration américaine actuelle a créé un environnement attrayant pour les entreprises qui cherchent à prendre de l’expansion ou à investir en réduisant de façon radicale l’impôt des entreprises et en prenant des mesures pour éliminer les formalités administratives. La France et le Royaume-Uni ont aussi exploré des réformes fiscales majeures au cours des dernières années. En comparaison, le Canada est devenu une destination fiscale moins concurrentielle pour ce qui est d’établir ou d’élargir une petite entreprise. Notre économie n’existe pas en vase clos. Une perte relative de compétitivité fiscale au détriment d’autres pays va nuire à notre capacité d’attirer et de retenir des investissements de partout dans le monde.

Imaginez à quel point nous pourrions être plus compétitifs si nous faisions un meilleur travail pour maintenir les petites entreprises et les faire prendre de l’expansion pour qu’elles deviennent de grandes entreprises concurrentielles à l’échelle mondiale. Mais de nombreuses petites entreprises ont du mal à prendre de l’expansion, et le Canada compte peu de réels joueurs sur la scène mondiale.

En ce qui concerne le G7 dans son ensemble, les petites et moyennes entreprises comptent pour la moitié du produit intérieur brut. Au Canada, elles contribuent dans un rapport de moins d’un tiers. Notre feuille de route pour ce qui est de transformer des entreprises en démarrage en sociétés durables et de faire croître nos petites et moyennes entreprises pour qu’elles deviennent de grandes sociétés mondiales doit s’améliorer. L’amélioration, ou, au besoin, la réforme du système fiscal va contribuer à soutenir la croissance des petites entreprises et à promouvoir les investissements dans l’innovation et le capital. L’exploration de solutions modernes en matière de politiques fiscales, comme l’amélioration de l’efficacité du système fiscal ou le fait d’autoriser les entreprises à passer entièrement en charges le coût de leurs actifs peuvent aider à mettre les petites entreprises canadiennes sur un même pied d’égalité que leurs concurrents mondiaux.

Le Canada peut et devrait créer un système concurrentiel à l’échelle internationale d’imposition des petites entreprises qui récompense l’entrepreneuriat, encourage les entreprises à investir dans les technologies, les compétences et les capacités dont elles ont besoin pour croître et attire les capitaux et les personnes hautement qualifiées des quatre coins du monde. Cela va nécessiter un système fiscal qui donne la priorité à la croissance, aux investissements et à la compétitivité des petites entreprises, plutôt qu’à la complexité et aux formalités administratives. En mettant l’accent sur les modifications fiscales présentées dans le budget de 2018, nous ratons une occasion de créer ce type de système fiscal.

La Chambre de commerce du Canada soutient l’examen exhaustif des lois fiscales du Canada guidé par les principes de la simplification, de la modernisation et de la réduction des coûts d’observation.

Merci de m’avoir fourni l’occasion de vous rencontrer ce matin. J’ai hâte de discuter avec vous.

Dan Kelly, président et chef de la direction, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Mesdames et messieurs, je suis ici pour vous demander de l’aide supplémentaire au nom de la communauté des petites et moyennes entreprises du Canada. Comme vous le savez peut-être, la FCEI représente 110 000 petites et moyennes entreprises partout au Canada, dont toutes sont des entreprises établies au Canada dont la propriété et l’exploitation sont indépendantes.

Nous remercions sincèrement le Comité sénatorial des finances d’avoir formulé une série de recommandations lors de son étude du projet de loi. En fait, la seule étude en laquelle les petites sociétés avaient confiance durant la série de changements apportés, c’était le travail entrepris par le Comité sénatorial des finances.

Comme je l’ai dit à bon nombre d’entre vous de façon individuelle, nous sommes incroyablement reconnaissants des recommandations que vous avez présentées. Vous avez écouté la communauté des petites et moyennes entreprises, et, bien que le gouvernement ait fait quelques pas pour réagir aux mesures, je suis certainement d’accord avec le point de vue de la chambre, c’est-à-dire qu’il reste encore beaucoup à faire avant que la question ne soit réglée.

Or, nous avons besoin d’aide supplémentaire. Je voulais vous faire part de quelques nouvelles données — et je crois qu’elles ont circulé — que nous avons recueillies auprès des propriétaires de petites et moyennes entreprises au sujet de la taille et de la portée des modifications fiscales des petites entreprises et de leurs préoccupations restantes. Environ 40 p. 100 de nos membres ont une certaine forme de placements passifs dans leur entreprise et environ 44 p. 100 d’entre eux partagent leur revenu avec des membres de leur famille dans leur entreprise.

En ce qui concerne les règles sur le fractionnement du revenu, nous remarquons que les changements sont déjà en vigueur. Le gouvernement est allé de l’avant pour les mettre en œuvre, malgré le fait que vous soyez toujours saisi du projet de loi à l’heure actuelle.

Nous remarquons que, même si quelques modifications ont été apportées à ces dispositions sur la répartition du revenu ou le fractionnement du revenu, le gouvernement est allé de l’avant avec une bonne partie de son plan. Les détails finaux ont été fournis moins de trois semaines avant la mise en œuvre, ce qui n’a laissé pratiquement aucun temps aux propriétaires d’entreprise au Canada pour bien faire les choses.

Je soutiens qu’il n’y a pas un seul propriétaire d’entreprise au Canada qui comprend ces règles. Même les fiscalistes nous disent qu’ils ont du mal à les comprendre. L’ARC elle-même, pour l’amour de Dieu, n’est pas en mesure d’interpréter une partie de ces nouvelles règles et de ces nouveaux règlements, et pourtant, ils sont entrés en vigueur. Je crois que d’ici deux à trois ans, lorsque les vérifications de petites et moyennes entreprises commenceront, bon nombre d’entre elles échoueront à la vérification et s’exposeront à de lourdes pénalités et à des intérêts importants parce qu’elles auront fait des choses qu’elles croyaient autorisées.

Nous avons besoin de votre aide à cet égard. Ma recommandation rapide pour vous, c’est d’utiliser toute influence officielle et informelle que les sénateurs individuels et les groupes de sénateurs ont pour essayer d’amener le gouvernement, à tout le moins, à faire en sorte que la mise en œuvre effective de ces nouvelles règles soit déplacée du 1er janvier 2018 au 1er janvier 2019, ce qui donnerait aux petites entreprises un peu de temps et un peu d’espoir pour bien mettre cela en œuvre et se protéger relativement à la vérification.

Le deuxième sujet majeur dont je voulais vous faire part concerne les règles touchant les placements passifs. Oui, le gouvernement est allé de l’avant et a créé, je crois, un meilleur plan que sa proposition originale de juillet, la proposition inapplicable, mais je voulais souligner que ces règles demeurent incroyablement lourdes.

Essentiellement, les nouvelles règles sur les placements passifs, comme vous le savez probablement, ont changé; s’il s’agissait au départ d’un taux d’imposition supérieur sur le revenu tiré des placements passifs mêmes, on utilise maintenant des placements passifs comme critère pour déterminer si une société est admissible ou non, carrément, au taux d’imposition des petites entreprises.

C’est assurément un meilleur système que celui qui existait dans le passé, mais celui-ci a créé un tout nouvel ensemble de perdants. Les perdants sont maintenant les entreprises qui ont eu l’impression, selon les commentaires du ministre Morneau, qu’elles allaient faire l’objet d’une clause de droits acquis, que leurs placements passifs passés ne viendraient pas les hanter et qu’ils ne les forceraient pas à payer plus d’impôts. Malheureusement, ce qui se passe en ce moment, c’est que si vous avez un revenu tiré de placements passifs supérieur à 150 000 $ par année, vous perdrez l’accès au taux d’imposition des petites entreprises, et serez considéré, dans l’avenir, comme une grande société du point de vue fiscal.

C’est profondément troublant. Nous entendons les petites et moyennes entreprises de partout au pays nous dire qu’elles se croyaient entièrement en sécurité, parce qu’elles détenaient des placements passifs passés. Le ministre a clairement exprimé que vos décisions juridiques passées n’allaient pas vous attirer des ennuis dans l’avenir, et maintenant, ce concept de clause de droits acquis est bel et bien éliminé dans ce nouvel ensemble de mesures.

Un de nos membres à Terre-Neuve-et-Labrador qui possède quelques restaurants franchisés de restauration rapide dit qu’il utilise les placements passifs pour épargner en vue des rénovations majeures qui sont requises tous les cinq ans par ses franchisés. À partir de maintenant, l’argent qu’il épargne signifie qu’il devra payer, à partir de maintenant, 80 000 $ par année de plus en impôt sur son revenu provenant d’une entreprise exploitée activement. Selon nous, c’est profondément injuste.

Les propriétaires d’entreprise ont constitué ces fonds de placement passifs en se fondant sur l’ensemble actuel d’hypothèses; or, tout cela a maintenant été changé. Même s’il s’agit d’un ensemble amélioré de politiques en ce qui concerne les placements passifs, un nouveau groupe de perdants est créé, et une petite entreprise a très peu de marge de manœuvre pour faire quoi que ce soit à ce sujet.

Nos recommandations semblent beaucoup correspondre à celles du Comité sénatorial des finances. Encore une fois, nous vous remercions d’avoir écouté la communauté d’affaires à l’automne dernier et nous vous pressons de prendre toutes les mesures possibles, mesdames et messieurs, pour influencer le gouvernement, que ce soit par des moyens officiels ou informels, afin de trouver des solutions à ces problèmes restants.

Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Kelly.

J’aimerais que les trois sénateurs qui viennent d’arriver se présentent.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

[Français]

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Cools : La sénatrice Cools, de Toronto, en Ontario.

Le président : Nous allons maintenant entendre en premier la sénatrice Marshall, suivie du sénateur Pratte.

La sénatrice Marshall : J’aimerais parler des changements apportés au revenu tiré de placements passifs. Il y a deux changements : le plafond des affaires et le remboursement des impôts. Le document budgétaire du gouvernement montre que cette mesure ira chercher 3,3 milliards de dollars dans les poches des petites entreprises au cours des cinq prochaines années.

Lorsqu’il a expliqué les changements, le ministre a dit que moins de 3 p. 100 des SPCC seront touchées, ce qui représente environ 50 000 sociétés privées, et que plus de 90 p. 100 des recettes fiscales attribuables aux deux mesures seront générées par des sociétés dont le revenu issu du ménage des propriétaires les classe dans le 1 p. 100 de la répartition des revenus. On dit que les propriétaires, dont le revenu est inférieur au seuil du 1 p. 100 et dont les sociétés sont touchées par les mesures, auraient néanmoins généralement accumulé une richesse importante. Il semble donc que le gouvernement cible les particuliers et les petites entreprises qui gagnent trop ou ont accumulé trop de richesse à son avis.

Les gens à qui je m’adresse ne font pas partie du 1 p. 100 et, selon ce que je sais, ils n’ont pas accumulé de richesse importante.

Qu’entendez-vous dire de la part de vos membres? Qui exactement est touché par ces deux changements? C’est ce que j’aimerais savoir.

M. Stratton : Absolument. Je pense qu’il y a une petite contradiction entre ce que le directeur parlementaire du budget dit par rapport au montant des recettes qui seront perçues et ce que le ministère des Finances dit.

Pour ce qui est de nos membres, nous avons entendu ce qu’un certain nombre de membres de petites entreprises, des agriculteurs qui n’ont pas beaucoup de richesse accumulée, avaient à dire. Ils sont vraiment inquiets au sujet des répercussions de ces changements sur la durabilité de leur entreprise.

Dans n’importe quel contexte, ces changements auraient des répercussions négatives sur les petites entreprises, mais je pense qu’il y a deux autres facteurs, ou deux variables, dans ce contexte particulier qui sont très importants.

Si ces changements étaient entrés en vigueur en 1998 ou en 2008, ils auraient eu une incidence négative. Cependant, ils surviennent en 2018, et c’est une période de grands changements dans l’économie mondiale. On mise beaucoup sur l’innovation, sur la vitesse du changement et sur la façon dont cela touche les entreprises. Beaucoup de petites entreprises ont besoin de capitaux accumulés afin d’être en mesure d’investir dans le recyclage professionnel ou dans de nouvelles technologies, et si on parle de seuil, 50 000 $ pourraient ne pas leur suffire.

Le deuxième facteur, c’est le facteur international. Si le Canada devait apporter ces changements, mais pas les autres pays, cela aurait tout de même une incidence négative. Pendant que le Canada apporte ces changements, d’autres pays créent peut-être un régime fiscal plus propice aux petites entreprises, et nous perdons une compétitivité relative à leur profit, ou cela exacerbe le problème. Ensemble, ces facteurs sont préoccupants pour un certain nombre de nos membres.

La sénatrice Marshall : Certains des propriétaires de petites entreprises à qui j’ai parlé disent qu’ils pourraient aussi bien abandonner leur entreprise. D’autres cherchent à la vendre à de grandes sociétés. Entendez-vous dire cela par vos membres? Qu’est-ce que les propriétaires d’entreprise envisagent?

M. Stratton : Oui. Ils envisagent ces deux choses.

Ils songent aussi à se déplacer dans un pays où les impôts sont plus favorables. S’ils se trouvent à la frontière du Canada et des États-Unis et qu’ils voient les modifications fiscales qui sont apportées aux États-Unis, ils pourraient songer à déménager là-bas; ou s’ils investissent dans l’expansion, ils pourraient songer à s’étendre aux États-Unis plutôt qu’au sein du Canada.

La sénatrice Marshall : Monsieur Kelly?

M. Kelly : Nous avons sondé nos membres sur ce sujet précis, sénatrice. Comme je l’ai dit au début, 38 p. 100 des petites et moyennes entreprises, nos 110 000 membres de la FCEI, ont une certaine forme de placements passifs. À son honneur, le gouvernement exonère bon nombre d’entre elles comme résultat de l’inclusion de ce seuil de 50 000 $, mais si vous regardez le document que vous avez en main, à la diapositive 13, vous voyez des données qui présentent une ventilation des revenus tirés de placements passifs que nos membres utilisent. Parmi ceux qui détiennent des revenus tirés de placements passifs, près de 25 p. 100 pourraient être visés par les nouvelles règles. Cela signifie qu’ils possèdent plus de 50 000 $.

À l’époque, nous avions conclu que 21 p. 100 possédaient entre 50 000 et 250 000 $ par année, et 3,7 p. 100 de nos membres avaient tiré des revenus de plus de 250 000 $ par année en placements passifs dans l’entreprise. Cela nous donne à penser que notre point de vue s’est révélé fidèle aux règles sur la répartition du revenu, que le gouvernement sous-estime considérablement les chiffres pour évoquer des répercussions plus modestes qu’elles ne le sont en réalité.

C’est une situation qui nous préoccupe vraiment. Le directeur parlementaire du budget a estimé, par rapport au fractionnement du revenu, que les mesures employées par le gouvernement permettront de tirer entre deux et trois fois plus de revenus que ce que le ministère des Finances a en fait estimé. Nous n’avons jamais cru à ce chiffre de 3 p. 100, et cela demeure notre préoccupation. Cela va nuire à un vaste échantillon de petites et moyennes entreprises.

Rappelez-vous, comme mon collègue de la chambre vient de le souligner, que les revenus tirés de placements passifs ne sont pas seulement de l’argent qui est mis de côté dans l’intérêt futur du propriétaire d’entreprise. Il est souvent utilisé par les entreprises pour des raisons commerciales réelles et importantes. Il y a une tonne de nos membres en Alberta en ce moment qui sont bien chanceux d’avoir pu compter sur quelques revenus tirés de placements passifs pour surmonter la période de turbulences économiques. Autrement, s’ils n’avaient pas eu cette autre forme de revenu pour subvenir à leurs besoins pendant que leur principal revenu d’entreprise était modeste ou inexistant, leurs employés seraient au chômage.

La sénatrice Marshall : Je représente Terre-Neuve-et-Labrador et j’ai parlé à beaucoup de propriétaires de petites entreprises. Je leur ai demandé quelles seraient les répercussions des modifications fiscales proposées. Beaucoup d’entre eux l’ignorent.

Je remarque, sur le tableau auquel vous venez de faire allusion, que vous dites que 25 p. 100 dépassent le seuil de 50 000 $; n’oubliez pas que 4 p. 100 disent ne pas le savoir, et près de 10 p. 100 préfèrent ne pas répondre.

J’ai une autre préoccupation, et je vais vous donner un exemple. J’ai rencontré deux personnes qui possèdent des terrains de camping. Ce sont des petites entreprises. Les gens vont là-bas avec leur véhicule récréatif durant l’été. Ces personnes m’ont dit que tous leurs revenus seront considérés comme des revenus passifs.

Je ne suis pas certaine de savoir qui sera visé par cette mesure, mais je suis d’accord avec vous. Je pense que cela touchera beaucoup plus de gens que ce que le gouvernement dit.

Le sénateur Pratte : Vous avez tous les deux exprimé votre préoccupation au sujet du fait que les placements passifs passés ne feraient pas l’objet d’une clause de droits acquis. Évidemment, cela semble être le cas, mais je suis perplexe. Dans le budget de 2018, le gouvernement a répété son engagement voulant que « les placements passifs déjà effectués par des propriétaires de sociétés privées, y compris le futur revenu tiré de tels placements, seront protégés. » Il a donc répété ce principe, et, apparemment, il n’y donne pas suite. Avez-vous eu des communications avec le ministère des Finances pour essayer d’expliquer cette divergence?

M. Kelly : Permettez-moi d’aider un peu à ce sujet, sénateur.

Je crois que le gouvernement fédéral analyse les mots à l’extrême. Il est vrai de dire qu’on peut faire valoir, de façon légitime, que la clause de droits acquis n’est essentiellement plus nécessaire ni prévue, parce que le gouvernement a complètement changé la façon dont les règles touchant les placements passifs vont influencer les petites et moyennes entreprises. La proposition précédente, celle annoncée en juillet et modifiée en octobre, c’était que si vous aviez un revenu tiré de placements passifs, environ 50 000 $, cette source de revenus serait imposée selon un pourcentage supérieur dans l’avenir, mais vos placements passifs précédents qui génèrent un revenu seraient protégés. Ce qu’il dit maintenant, c’est que les placements passifs que vous avez constitués dans votre entreprise ne seront pas imposés différemment dans l’avenir que dans le passé. Il a donc raison de dire qu’une clause de droits acquis n’est pas prévue ou qu’elle n’est effectivement plus nécessaire, parce qu’il ne change pas le traitement fiscal des placements passifs eux-mêmes.

Ce qu’il fait en ce moment, c’est utiliser la somme du revenu tiré des placements passifs que vous avez pour déterminer si vous êtes admissible ou non, à partir de maintenant, à un taux d’imposition inférieur, à la déduction accordée aux petites entreprises, par rapport à votre revenu provenant d’une entreprise exploitée activement. Cela signifie que si vous détenez plus de 150 000 $ en revenus tirés de placements passifs passés, ces revenus ne seront pas touchés ni traités différemment. Ce que cela veut dire, c’est que si vous êtes nettoyeur à sec, votre revenu tiré du nettoyage à sec sera imposé selon le taux d’imposition des grandes sociétés, ou le revenu de votre restaurant sera imposé selon le taux d’imposition des grandes sociétés. Par conséquent, pour le contribuable, cela ne ressemble pas du tout à une clause de droits acquis.

Dans l’exemple que je vous ai donné du restaurant de restauration rapide à Terre-Neuve-et-Labrador, s’il paie chaque année 80 000 $ de plus sur son revenu provenant d’une entreprise exploitée activement parce que ses placements passifs sont utilisés comme critère, cela ne ressemble pas du tout à une clause de droits acquis.

Le sénateur Pratte : Merci de votre explication.

Monsieur Stratton, vous avez dit que nous devrions regarder le tableau d’ensemble et vous avez parlé de l’environnement international et de la réforme fiscale des États-Unis. Le gouvernement a exprimé un point de vue disant que, avant de progresser dans ce sens, on devrait attendre un peu et voir exactement comment cette réforme fiscale américaine sera mise en œuvre et quels en seront les effets.

Avez-vous des suggestions quant à la façon dont le gouvernement fédéral devrait réagir ou aux types de changements qu’il devrait envisager pour réagir à la réforme qui a été adoptée par nos voisins du Sud?

M. Stratton : Absolument. Je pense que les chiffres sortent, maintenant que les gains de sociétés américaines ont augmenté de plus de 3 p. 100 l’année dernière, et je crois que cela pourrait contribuer à notre compétitivité.

Pour ce qui est de vous fournir des suggestions, je dirais qu’il y a trois éléments. Le premier, c’est d’avoir un taux d’imposition plus concurrentiel. Notre taux d’imposition était auparavant très concurrentiel, mais maintenant que d’autres pays ont réduit leur taux ou envisagent de le faire, nous perdons notre compétitivité.

À cela vient s’ajouter le fardeau administratif des règles fiscales et des lois qui sont en place. Nous avons coupé et collé différentes lois au cours des 40 dernières années. Un certain nombre de pays cherchent à rationaliser leur régime fiscal. Cela pourrait se révéler une mesure neutre sur le plan des revenus et n’aurait pas nécessairement une incidence négative sur notre situation budgétaire.

Puis, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, les entreprises pourront soustraire immédiatement leur investissement en capital de l’impôt, d’ici un an. En ce moment, au Canada, l’amortissement sur deux ans est possible seulement dans un certain nombre de secteurs, et cela comprend l’inventaire qui a récemment été adopté aux États-Unis.

Le sénateur Pratte : Êtes-vous d’accord avec la plus récente modification concernant la répartition du revenu et les placements passifs, soit que, à tout le moins, ces modifications ont beaucoup simplifié les choses? La complexité était une des critiques les plus importantes exprimées par rapport à ces changements. Assurément, il serait beaucoup plus simple qu’auparavant pour les propriétaires de petites entreprises d’appliquer ces changements.

M. Stratton : Je serais d’accord avec cela. Je crois que les nouveaux changements dans le budget de 2018 représentent une amélioration par rapport aux propositions formulées plus tôt au cours de l’année, et nos membres en sont reconnaissants. À la chambre, nous en sommes aussi reconnaissants.

La façon dont l’ARC pourrait appliquer les nouvelles règles n’est pas assez claire. Nous le saurons probablement au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années. Cette incertitude a une incidence sur la planification des activités chez beaucoup de nos membres. Cependant, nous nous réjouissons des améliorations apportées dans le budget de 2018.

M. Kelly : Je suis d’accord pour dire que les propositions sur l’investissement passif sont une amélioration marquée du point de vue administratif. La proposition précédente prévoyait que les comptables et les aides-comptables soient tenus de faire le suivi de multiples flux d’investissement et du moment où ils étaient survenus, ce qui aurait été un cauchemar, tandis que la nouvelle proposition est beaucoup plus rationalisée, même si elle est injuste pour un nouveau groupe, comme je l’ai mentionné.

Je dois dire, cependant, qu’il y a eu très peu de progrès en ce qui concerne la simplification des règles sur le fractionnement du revenu. Le gouvernement, en décembre, a proposé ce qu’il a appelé des « critères de ligne de démarcation nette ». Je dois dire que, quant à moi, ces critères de ligne de démarcation nette semblent très flous à mon avis. L’ARC n’est même pas capable actuellement de répondre à des questions de base. Par exemple, aucun des critères de ligne de démarcation nette ne s’applique aux entreprises de services. Il faut tout de même tenir compte de ces critères supplémentaires qui sont requis relativement au caractère raisonnable des dividendes ou des salaires versés, et le gouvernement ne peut même pas nous dire quelles entreprises sont des entreprises de services. C’est quelque chose que nous avons demandé à répétition au ministère des Finances et à l’ARC, mais nous n’avons obtenu aucune réponse. On nous dit que les choses évoluent encore. C’est assez peu réconfortant pour un propriétaire de petite entreprise dans le secteur des services. Prenons l’exemple d’un restaurateur. S’agit-il d’une entreprise de service ou d’une entreprise de prestation de biens? Si on ne peut même pas être sûr si, oui ou non, ces critères s’appliquent, eh bien, bonne chance.

Le directeur parlementaire du budget a dit être incapable de déterminer à qui ces règles s’appliqueront et de quelle façon on les appliquera. Pensez à certains des critères qui sont utilisés, lorsqu’il faut revenir en arrière pour voir combien de temps un enfant adulte ou un époux consacre à une entreprise, afin de savoir si c’est équitable. Certains critères exigent de faire un suivi du nombre d’heures que le conjoint du propriétaire d’entreprises a consacrées à l’entreprise au cours des cinq dernières années.

Laissez-moi vous dire que nous avons 110 000 membres et que je n’ai parlé à aucun propriétaire d’entreprise dont l’époux ou l’épouse enregistre le nombre d’heures par jour consacrées à l’entreprise du conjoint. Cela ne se produit tout simplement pas, et, même s’il fallait le faire, c’est extrêmement injuste de le faire immédiatement sans que les propriétaires des entreprises aient le temps de s’adapter.

La sénatrice Andreychuk : Je veux revenir sur cette notion de services. Nous n’arrivons pas à obtenir une définition définitive; les comptables n’en savent rien, et les entreprises non plus. Vous avez dit que, à l’avenir, il ne faut pas s’attendre à des réponses. Cependant, il s’agit vraiment de revenir en arrière, parce que tout cela entre en vigueur à compter de janvier. Alors, que font les entreprises? Elles font des suppositions ou elles sont immobilisées? Je pose la question parce que les propriétaires d’entreprise à qui je parle ont peur.

M. Kelly : Les propriétaires d’entreprise craignaient déjà beaucoup l’Agence du revenu du Canada, et cette peur n’a pas disparu. En fait, il y a eu tellement de miniscandales liés à l’Agence du revenu du Canada récemment que, en fait, la crainte augmente, plutôt que de diminuer. Puis, lorsqu’on ajoute de nouvelles règles financières que l’ARC n’est même pas en mesure d’interpréter et au sujet desquelles elle n’arrive même pas à fournir de l’information claire, cela ajoute au stress auquel le propriétaire d’entreprise moyen est confronté au quotidien.

On parle de gros, gros changements. Le fait que ces règles s’appliquent maintenant relativement au traitement des dividendes oblige le gouvernement à décider qui est le propriétaire effectif de l’entreprise et qui ne l’est pas.

Madame la sénatrice, puisque c’est vous qui avez posé la question, l’une des choses que nous demandons au gouvernement de faire — et nous venons de présenter une demande d’accès à l’information à ce sujet —, c’est de déterminer si, oui ou non, tout ça a été analysé du point de vue de l’égalité entre les sexes. Il faut savoir que 70 p. 100 des parts d’entreprises appartiennent à des hommes. Si cela signifie que, du point de vue de l’ARC, on permettra un seul propriétaire par entreprise, la majeure partie des gens qui perdront au change en raison de ces changements sont des femmes, ce qui signifie qu’elles ne pourront tirer un salaire ou tirer des dividendes de l’entreprise comme elles le faisaient dans le passé. Je ne suis pas certain de la façon dont tout ça cadre avec les objectifs énoncés du gouvernement.

La sénatrice Andreychuk : La semaine dernière, j’ai posé la question suivante : ces changements ont-ils été examinés sous l’angle de l’égalité entre les sexes et en quoi influeront-ils tout particulièrement sur les femmes dans les petites entreprises? On nous a dit que peut-être 68 p. 100 des femmes qui participent aux activités de ces petites entreprises seraient touchées. S’agit-il, selon vous, d’un chiffre juste?

M. Kelly : Je crois que c’est tout à fait exact, parce que, comme je l’ai dit il y a quelques instants, 70 p. 100 des parts des entreprises appartiennent à des hommes. Par conséquent, si leur épouse n’est plus considérée comme bénéficiaire de l’entreprise, soit grâce à un revenu, soit grâce à des dividendes, cela me semble tout à fait juste.

La sénatrice Andreychuk : Toutes les petites entreprises que je connais ont commencé par une idée, puis par un risque : « Je crois que je vais tenter ma chance. » Puis, il y a une discussion en famille, et on se demande ensuite si on y arrivera. Par la suite, il y a la question de l’hypothèque, et l’épouse doit signer si elle prenait soin de la famille. La situation des femmes a évolué. Elles veulent lancer leurs propres entreprises et elles sont confrontées aux mêmes facteurs de risque.

À la lumière des changements, on avait l’impression que certaines choses avaient été améliorées, mais ce qui me trouble le plus, c’est qu’on parle encore, lorsqu’il est question de la répartition du revenu, du « nombre d’heures par semaine ». Ce n’est pas de cette façon que fonctionnent les entreprises. Les entreprises passent d’une crise à l’autre, et la question est de savoir qui peut mettre l’épaule à la roue. On ne peut donc pas mesurer tout ça en heures, ce qui ressemble davantage à la façon dont on traite un employé, et n’a rien à voir avec la façon dont on gère une entreprise. Différentes décisions doivent être prises à différents moments, et différentes activités sont nécessaires pour que tout fonctionne au bout du compte. Si on en revient aux heures, ce ne sera pas possible.

Comment pouvons-nous faire comprendre au gouvernement que ce n’est pas la façon de répartir les revenus dans les petites entreprises? Ce n’est pas juste pour les unités familiales. Ce n’est assurément pas juste dans le secteur de l’agriculture.

M. Stratton : J’aimerais ajouter aussi que ce n’est pas de cette façon que fonctionnent beaucoup de petites entreprises non plus.

Le nombre d’heures qu’on consacre à une entreprise n’est pas nécessairement défini de façon rigoureuse. Prenons l’exemple de deux époux : le père prend peut-être soin des enfants pour permettre à la femme de faire plus d’heures au sein de l’entreprise. Comment fait-on pour déterminer la façon dont les heures sont effectuées? Et quel en sera le traitement comptable? C’est ce dont nous ont parlé nos membres, surtout les petites entreprises.

M. Kelly : À ce sujet, madame la sénatrice, pour être juste envers le gouvernement, je dirais qu’il y a une diversité de critères, pas seulement des critères fondés sur les heures. Il y a aussi des critères liés au niveau de risque qui est pris au sein de l’entreprise.

Selon moi, le point fondamental que vous soulevez est tout à fait valide, soit le fait qu’il y a un malentendu, je crois, de la part du ministère des Finances et, assurément, au niveau politique, sur le fonctionnement des petites et moyennes entreprises. Les petites entreprises sont, de par leur nature même, beaucoup plus informelles dans leur structure que les grandes entreprises. On n’utilise pas les mêmes systèmes de suivi. Lorsqu’on se présente sur place, comme je le fais, chaque jour, et qu’on rend visite à ces propriétaires d’entreprise, ces gens ont un classeur rouillé pour toute l’entreprise, un endroit où ils jettent tous les reçus et tous les documents qu’ils peuvent, espérant que l’ARC ne va pas frapper à leur porte bientôt, pas avant qu’ils aient demandé à leur comptable ou à leur aide-comptable de mettre un peu d’ordre dans tout cela. Les petites et moyennes entreprises de partout au Canada travaillent d’arrache-pied tout simplement pour survivre.

L’une des données que je ne vous ai pas communiquées et qui m’a surpris, c’est le fait que les deux tiers des propriétaires de petites entreprises au Canada nous ont dit que les modifications fiscales proposées par le gouvernement les ont amenés à se demander s’ils veulent continuer à faire des affaires au Canada. C’est quelque chose qui m’a vraiment surpris. Je ne dis pas que les deux tiers des propriétaires d’entreprise fuiront le pays, mais cette réalité me dit tout de même que cela a suscité un certain niveau de colère au sein des propriétaires d’entreprise, un certain niveau de mécontentement qui ne s’est pas dissipé.

Oui, les changements fiscaux ont permis d’améliorer beaucoup les choses à certains égards. Par exemple, le fait de laisser tomber les modifications fiscales liées aux gains en capital était une bonne idée. Cependant, je crois que le gouvernement a sous-estimé la façon dont les propriétaires d’entreprise se sentent relativement à ces changements, à quel point ils les voient d’un œil négatif et à quel point ils se sentent attaqués et toujours sans soutien de la part de leur gouvernement.

M. Stratton : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, l’alourdissement du fardeau administratif imposé aux petites entreprises ou aux entreprises familiales aura une incidence disproportionnée sur les petites entreprises, du moins en ce qui a trait à leur compétitivité, comparativement aux grandes sociétés. Les grandes sociétés ont des employés et des capitaux à dépenser pour composer avec le fardeau administratif, même s’il est lourd, tandis que, dans le cas des petites entreprises, des entreprises familiales, leur temps et leurs capitaux sont déjà répartis de façon assez serrée.

La sénatrice Andreychuk : Merci.

La sénatrice Jaffer : J’ai aussi beaucoup de questions, mais une des choses que vous avez dites, monsieur Stratton, m’a rappelé que les petites entreprises luttent aussi contre les grandes entreprises. De plus en plus, les grandes entreprises veulent les engloutir. C’est une autre menace, en plus de la possibilité de quitter le pays et tout le reste. Très souvent, le principal concurrent des petites entreprises, c’est une plus grosse entreprise. Il en est ainsi parce que ces grandes entreprises peuvent être plus concurrentielles que les petites, alors cela ne les aide pas non plus.

M. Stratton : Absolument. Les propriétaires de petites entreprises peuvent décider de vendre leur entreprise à une plus grande société pour cette raison.

Je parlais de perte relative de compétitivité, y compris la compétitivité fiscale, et tout ça nous rend aussi moins compétitifs du point de vue des fusions et des acquisitions dans un contexte international.

La sénatrice Jaffer : Une des choses qui me dérangent, c’est que, dans trois ans, il y aura le critère du caractère raisonnable. Vous avez peut-être eu vent d’une définition, mais vous ne l’avez pas vue. Les responsables tiennent compte du risque et du capital. Nous savons que l’ARC déterminera ce qui est raisonnable. Quel genre de conseil pouvez-vous donner à vos clients? Qu’est-ce qui est raisonnable? Qu’est-ce qui est raisonnable, aujourd’hui, et qui pourrait ne plus l’être dans trois ans, lorsque les livres seront vérifiés?

M. Kelly : Si je m’appuie sur votre instinct relativement à votre question précédente, madame la sénatrice, vous serez triste de constater que les changements qui ont été apportés aux investissements passifs ne s’appliquent pas aux grandes sociétés. Les grandes sociétés ont aussi des flux passifs de revenu de placement, et ceux-ci ne seront pas touchés par ces changements. Cependant, ce sont les petites entreprises privées, qui ont du mal à concurrencer leurs homologues plus grandes, qui seront touchées par ces changements. Cette situation est encore plus injuste, puisqu’elle donne encore plus d’avantages aux grands comparativement aux petits.

Pour ce qui est de votre question sur les vérifications des petites entreprises liées aux règles sur la répartition du revenu et le fractionnement du revenu, il y a une crainte profonde à ce sujet de la part des petites et moyennes entreprises. Comme je l’ai déjà souligné, une bonne partie des documents et des justifications nécessaires pour confirmer si on respecte les règles ou non ne sont pas créés, générés ni conservés par les propriétaires de petites entreprises en ce moment.

Actuellement, au Canada, durant la première moitié de 2018, des propriétaires d’entreprises versent des salaires et des dividendes en fonction de la façon dont ils procédaient dans le passé et, dans deux ou trois ans, on déterminera que tout cela ne respectait pas les règles de vérification. Ces personnes seront alors assujetties à des taux d’imposition plus élevés ainsi qu’à des pénalités et des intérêts.

Voilà pourquoi nous avons fait la demande et implorons le Comité sénatorial permanent des finances nationales d’avoir recours à tous les moyens possibles pour influencer le gouvernement et l’amener à au moins accorder aux petites entreprises une autre année pour mettre en œuvre ces nouvelles règles.

Nous voudrions qu’une exemption complète soit prévue pour les conjoints. Nous ne croyons pas qu’il soit possible pour le gouvernement de déterminer exactement où commence et où se termine le rôle d’un conjoint. Oui, il a formulé un argument au sujet des enfants adultes, peut-être d’âge universitaire. Nous sommes prêts à comprendre que des problèmes se posent à cet égard. Toutefois, nous voulons au moins obtenir une exemption complète pour le conjoint du propriétaire d’entreprise, et nous voudrions que la mise en œuvre de ces règles soit reportée jusqu’au 1er janvier 2019.

M. Stratton : Je ne suis pas fiscaliste, alors, quand nos membres nous font part de ces problèmes, malheureusement, nous ne pouvons pas leur donner de conseils quant à la façon de les régler.

Je peux vous dire que, quand nos membres s’adressent à nous, ils nous font part de préoccupations sincères au sujet du manque de clarté lié à la façon dont ces règles devront être appliquées, ce qui fait qu’il est très difficile pour eux de planifier la prochaine année, de prévoir des investissements et de planifier l’embauche de personnel ou l’offre d’une formation en cours d’emploi. Il est certain que ces préoccupations nous ont été communiquées.

Par ailleurs, je souscris à l’opinion de M. Kelly. Nous entendons les préoccupations de nos membres, et nous tentons de faire valoir leurs droits auprès de divers comités.

La sénatrice Deacon : Bonjour, et merci d’être des nôtres aujourd’hui.

J’écoute et, en même temps, j’apprends beaucoup de choses. Nous avons ces craintes communes. Il s’agit de la peur du changement, de la complexité et des conséquences inconnues de certaines de ces décisions, ainsi que de la peur de comprendre. Un aspect positif est peut-être lié à la possibilité que certains de ces changements puissent forcer une certaine responsabilisation; certains des éléments que les petites entreprises ne considèrent peut-être pas comme des priorités dans le cadre de leurs activités quotidiennes en raison du genre d’activités qu’elles mènent — il suffit de penser au classeur rouillé — pourraient avoir besoin d’être renforcés.

Quand j’écoute le débat d’aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher d’adopter le point de vue d’une femme, d’un jeune adulte qui se lance en affaires, d’un Autochtone et d’un enfant du millénaire. J’encadre des entreprises en démarrage, et j’ai eu des discussions avec ces groupes au sujet de la nécessité d’arriver avec des idées; l’important, ce ne sont pas les infrastructures ni le leadership, ce sont les excellentes idées. Beaucoup sont des enfants du millénaire.

Si la prorogation d’un an n’est pas accordée — ce que j’entends clairement dire —, quel est le plus grand risque? Vous avez dit bien des choses, mais j’essaie de comprendre, du point de vue des gens que vous servez, ce qui vous tient éveillé la nuit, si ces règles sont bien mises en place pour s’appliquer dès janvier 2018.

M. Kelly : La disposition rétroactive au 1er janvier 2018 porte sur les règles en matière de répartition ou de fractionnement du revenu. Les autres règles applicables au revenu passif entreront en vigueur pour l’année d’imposition 2019, alors les entreprises bénéficient d’un peu de temps pour se restructurer à cet égard.

Je pense que cela nous ramène aux commentaires qu’a formulés M. Stratton il y a une minute, concernant la divergence entre le traitement fiscal des petites entreprises au Canada et aux États-Unis.

Un grand nombre de nos membres exercent certaines activités des deux côtés de la frontière. Le projet de loi incite-t-il les entreprises canadiennes à envisager une expansion aux États-Unis, où on va dans une autre direction? Il se passe beaucoup de choses dans ce pays, et je ne veux pas du tout laisser entendre que le Canada devrait faire pareil. Toutefois, sur ce front, les États-Unis semblent être en train de dérouler le tapis rouge pour les entreprises et, actuellement, le gouvernement a l’intention d’augmenter considérablement le fardeau fiscal des petites entreprises.

Même dans le budget de 2018 — et nous croyons qu’il s’agit d’une importante sous-estimation —, on prévoit 1 milliard de dollars de plus par année en impôts provenant des petites et moyennes entreprises canadiennes que dans le passé; c’est 1 milliard de dollars de moins dans les poches des petites et moyennes entreprises.

Quand vous songez à la situation du secteur canadien que vous représentez, vous savez à quel point ces propriétaires de petites entreprises triment dur. Vous savez combien d’heures ils y consacrent tous les jours et tout ce qu’ils font pour leur collectivité locale, à appuyer tous les groupes et organisations communautaires qui viennent leur demander du soutien. Ils contribuent à faire croître le nombre de leurs employés, et le gouvernement leur demande maintenant de payer au moins 1 milliard de dollars de plus par année, somme qui, selon l’estimation du directeur parlementaire du budget, pourrait être deux ou trois fois plus importante.

M. Stratton : J’ajouterais que, en ce qui concerne les risques et les changements qui ont lieu — et je les ai un peu abordés dans ma déclaration préliminaire —, l’économie change. Vous avez mentionné les enfants du millénaire et les entreprises en démarrage, et j’ai mentionné l’innovation et la technologie. Pendant que d’autres pays créent des régimes fiscaux qui encouragent les gens à se lancer en affaires et à dépasser le stade de l’entreprise en démarrage, parce qu’ils ont accès à plus de capitaux pour investir dans les choses dont ils ont besoin, nous poussons les petites entreprises presque dans la direction opposée en récoltant au moins 1 milliard de dollars de recettes supplémentaires tirées de leurs proches.

Le sénateur Oh : Merci, messieurs les témoins. Une partie de ma question a été posée par la sénatrice Jaffer.

Je suis un sénateur qui fait la promotion du commerce et des investissements internationaux. Un grand nombre de petites, moyennes et grandes entreprises sont membres de vos organisations. La politique de notre pays ne semble pas accorder une grande priorité à la compétitivité des entreprises en matière d’exportations. Les exportations sont importantes parce que notre marché intérieur est très petit. Beaucoup de moyennes ou grandes entreprises veulent prospérer, et elles ont besoin d’exporter leurs produits. Le projet de loi C-74 aide-t-il les sociétés qui ont besoin d’exporter leurs produits? Pouvez-vous formuler un commentaire à ce sujet?

M. Kelly : Rapidement, monsieur le sénateur, votre intuition est bonne, c’est-à-dire que je crois que le projet de loi d’exécution du budget nuira considérablement aux entreprises axées sur l’exportation.

Nous devons nous rappeler pourquoi un taux d’imposition inférieur a été accordé aux petites entreprises en tout premier lieu. Le principe, c’est que ces entreprises ont plus de difficulté à accéder à du financement et qu’en conséquence du taux d’imposition des sociétés plus bas, elles sont en mesure de réinvestir leurs économies afin d’aider à faire croître l’entreprise.

C’est exactement ce que font les règles relatives à l’investissement passif : elles aident les entreprises à épargner afin de pouvoir faire des investissements plus importants, car le propriétaire sait qu’il pourrait ne pas être en mesure d’obtenir un prêt auprès d’une grande banque afin d’acheter l’équipement dont il a besoin pour mieux accéder au marché de l’exportation. Ces propriétaires d’entreprise épargnent pendant plusieurs années afin d’avoir l’argent nécessaire pour obtenir un plus gros prêt bancaire ou pour réinvestir directement dans leur entreprise.

Les entreprises qui font de l’exportation ne sont qu’un exemple de sociétés qui, nous le croyons, subiront un revers en conséquence des nouvelles règles relatives à l’investissement passif qu’a proposées le gouvernement.

M. Stratton : Les petites et moyennes entreprises représentent 98 p. 100 de nos sociétés, au Canada, et 71 p. 100 de l’emploi dans le secteur privé. Elles ne comptent que pour 25 p. 100 des exportations de biens et de services.

Si nous voulons être en mesure de faire croître ces petites entreprises afin qu’elles puissent être compétitives à l’échelle mondiale, nous devons établir un régime fiscal plus concurrentiel comparativement aux autres pays.

Le sénateur Neufeld : Je crois savoir que quelques-uns des changements apportés avaient entraîné une amélioration par rapport à la situation de départ de l’été dernier, mais que cet effet n’était pas si positif que cela.

J’ai toujours tendance à penser que le gouvernement devrait apporter des changements qui favorisent les investissements au lieu de piger davantage dans vos poches. On appelle cela augmenter la taille du gâteau.

Pour utiliser cette analogie, certains des changements récents apportés par le gouvernement relativement au régime fiscal des petites entreprises encouragent-ils les gens à créer de nouvelles entreprises, ou bien les changements que nous voyons visent-ils seulement à accroître les recettes du gouvernement?

M. Kelly : Dans son ensemble initial de mesures, en juillet, il a laissé entrevoir la possibilité de permettre aux propriétaires d’entreprise de vendre leur entreprise à des membres de la famille sans avoir à payer des impôts élevés. Actuellement, il est plus abordable pour le propriétaire d’une entreprise canadienne de vendre son entreprise à une société multinationale ou à une personne qu’il ne connaît pas que de la vendre à ses propres enfants.

Le gouvernement envisageait d’apporter des modifications afin de rendre ce processus plus simple. Afin d’être juste envers le gouvernement actuel, j’ajouterai que le député libéral Emmanuel Dubourg a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire durant la dernière législature, quand les conservateurs étaient au pouvoir, exactement dans ce but. Nous avons appuyé ce projet de loi d’initiative parlementaire, à l’époque.

Malheureusement, ce projet de loi ne s’est pas rendu jusqu’à l’ensemble final de modifications, mais, si le gouvernement devait l’adopter — et des rumeurs circulaient concernant cette possibilité —, ce serait positif de notre point de vue.

Tout le reste de cet ensemble de mesures — malheureusement — entraînera des conséquences négatives pour les entreprises, pour la croissance et pour l’économie canadienne.

M. Stratton : Nous accueillerions aussi favorablement le changement dont M. Kelly vient tout juste de parler. Autrement, aucun des changements prévus dans le budget de 2018, comparativement à ce qui avait été proposé auparavant, ne sera utile du point de vue de la mise sur pied d’une entreprise.

Le sénateur Neufeld : Dans ce cas, vous me confirmez que, si l’actuel gouvernement libéral avait apporté les modifications proposées par son propre député, cela aurait pu aider les Canadiennes et les Canadiens à créer de nouvelles entreprises. Cependant, ces changements n’apportent rien qui encourage les gens à investir dans une entreprise et à en démarrer une; ce n’est qu’une question de recettes gouvernementales. Vous me l’avez tous deux confirmé, et c’est très triste.

La sénatrice Cools : Je voudrais vous remercier tous les deux de votre temps et de votre lucidité. C’est toujours une bonne chose dans le cadre d’un échange.

Nous croyons tous que nous avons l’obligation de payer des impôts en tant que bons citoyens. Nous croyons également — je le crois, quoi qu’il en soit — que l’imposition par le gouvernement de ses citoyens tient à une confiance sacrée qui ne doit jamais être trahie, et cette croyance se reflète dans nos pratiques constitutionnelles depuis de nombreuses années. On applique des mesures de contrôle constitutionnelles très strictes en ce qui concerne ce que nous appelons les projets de loi ayant pour but l’approbation d’une portion du revenu public ou des taxes et impôts. Selon la coutume, ces projets de loi doivent voir le jour à la Chambre des communes grâce à une motion proposée par un ministre; autrement dit, il doit s’agir d’un membre du Cabinet de Sa Majesté.

Aujourd’hui, tout est différent, et il n’y a plus beaucoup de gens qui connaissent ces principes. Ils n’ont probablement même jamais entendu ces termes. Toutefois, avez-vous la moindre idée des limites quant à ce que peut faire un gouvernement en ce qui a trait à l’imposition, ou bien le gouvernement a-t-il le pouvoir absolu d’aller aussi loin qu’il le veut?

M. Stratton : Sénatrice Cools, c’est ce que nous tentons de faire. Des changements ont été proposés. Vous avez entendu nos membres et ceux de la FCEI expliquer haut et fort l’incidence qu’auront ces changements sur les petites entreprises. Nous sommes heureux de constater que des améliorations ont été apportées, et cet événement fait partie du processus démocratique et parlementaire.

Nous n’allons pas nous arrêter là, bien entendu. Nous pensons qu’il reste encore beaucoup d’aspects qui peuvent être améliorés.

Nous adoptons également un point de vue d’ensemble sur la réforme fiscale en général. Comme il perd de sa compétitivité au fil du temps, notre système actuel doit être amélioré. Il s’agit d’un aspect dont nous avons entendu nos membres parler et à l’égard duquel nous allons de l’avant. Il est à espérer que le Parlement emboîtera le pas.

M. Kelly : Je dois vous dire que je fais ce travail depuis 24 ans à la FCEI. À un poste ou à un autre, je travaille avec les gouvernements de toutes les allégeances politiques aux échelons provincial et fédéral.

Je n’ai jamais vu les propriétaires de petites entreprises aussi en colère qu’ils l’ont été au cours de l’été 2017. Cette colère a commencé à s’estomper un peu parce que le gouvernement — et c’est tout à son honneur — a adouci certains des changements. Il a rétabli sa propre promesse de réduire à 9 p. 100 le taux d’imposition des sociétés imposé aux petites entreprises, qu’il avait lui-même annulée dans son premier budget.

Je suis très fier du fait que les propriétaires de petites entreprises, qui sont des personnes occupées et qui ne sont pas portées à pousser des hauts cris, ont exprimé leur mécontentement pendant l’automne. C’est un signe que certains de nos principes démocratiques sont encore bien vivants.

Notre dernier espoir, c’est que le Sénat franchisse un autre pas et tente d’influencer le gouvernement en ce qui a trait à ce projet de loi pour que d’autres améliorations soient apportées. Il faut reconnaître que le gouvernement a amélioré le projet de loi par rapport à la version initiale. Toutefois, je ne peux pas affirmer aujourd’hui que, au sein de la communauté des propriétaires de petites entreprises, ce soit perçu comme un ensemble équitable de politiques. De fait, ce n’est tout simplement pas le cas. Nous continuons notre travail à l’échelon fédéral, et nous nous tournons de plus en plus vers les gouvernements provinciaux, qui ont le choix d’appliquer ou non des changements semblables.

Le président : Monsieur Stratton et monsieur Kelly, je vous remercie de nous avoir fait part des opinions et des commentaires de votre organisation.

Pour la deuxième partie de notre réunion, nous souhaitions connaître le point de vue des membres de grandes associations nationales sur les dispositions du projet de loi C-74 et les modifications qu’on propose au régime d’imposition des sociétés privées au titre de la loi d’exécution du budget.

C’est un honneur de saluer et de remercier les groupes de témoins suivants : de la Fédération canadienne de l’agriculture, M. Ron Bonnett, président, et M. Scott Ross, directeur exécutif adjoint.

Des Comptables professionnels agréés du Canada, ou CPA Canada, Bruce Ball, vice-président, Fiscalité.

Pour terminer, de l’Association médicale de l’Ontario, nous avons la Dre Nadia Alam, présidente.

Je vous remercie tous de votre présence. Nous allons commencer par M. Bonnett.

Ron Bonnett, président, Fédération canadienne de l’agriculture : Merci, mesdames et messieurs les membres du comité, de nous donner l’occasion de nous exprimer à propos des mesures fiscales que renferme le projet de loi C-74.

Avant de commencer, je souhaite vous présenter brièvement la Fédération canadienne de l’agriculture. Nous représentons des agriculteurs de partout au Canada par l’entremise des organismes provinciaux et des organisations de produits membres. Donc, dans l’ensemble, nous représentons environ 200 000 agriculteurs établis partout au pays.

Tout d’abord, en ce qui concerne la mise en œuvre des mesures fiscales de l’été dernier, je n’ai pas souvenir d’avoir vu une réponse aussi forte de la part de la communauté agricole que celle qui s’est manifestée à propos de ces modifications. Cela est dû en grande partie au fait que les agriculteurs étaient occupés à travailler dans leur champ et que, tout à coup, ils ont réalisé qu’on apporterait des modifications qui auraient des incidences importantes à l’avenir.

Je dirais aussi que beaucoup de progrès ont été accomplis depuis la première annonce faite en juillet 2017 concernant ces mesures fiscales.

Des responsables de la Fédération canadienne de l’agriculture et d’autres associations — la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, la Chambre de commerce, les Comptables professionnels agréés et l’Association médicale — se sont réunis pendant l’été et l’automne et ont collaboré avec les responsables du ministère des Finances pour se pencher sur un grand nombre des conséquences inattendues, en particulier celles qui touchent la relève en agriculture. Nous sommes heureux de constater que des modifications ont été apportées en réponse à un certain nombre de ces préoccupations, en particulier la décision de ne pas mettre en œuvre les propositions relatives à la conversion de revenus en gains en capital. Même si certaines dispositions du projet de loi nécessitent encore des modifications, nous sommes d’avis qu’on a apporté des améliorations importantes.

La réduction du taux d’imposition des petites entreprises et la diminution de la compétitivité à l’échelle internationale sont deux points qui doivent être traités. J’aimerais souligner que nous appuyons le taux d’imposition réduit pour les petites entreprises, et que cela constitue à nos yeux une contribution valable à la compétitivité des fermes. Toutefois, il est important de noter que les entreprises agricoles canadiennes évoluent dans un marché mondial. Même si nous approuvons le taux d’imposition réduit, notre partenaire commercial le plus important vient d’entreprendre de vastes réformes fiscales qui auront de graves incidences sur la compétitivité dans le domaine agricole au pays. Le Canada demeure le principal marché d’exportation des produits agricoles américains, et les échanges commerciaux entre les États-Unis et le Canada totalisent plus de 47 milliards de dollars annuellement au chapitre des produits agricoles et agroalimentaires.

Les agriculteurs canadiens doivent aussi composer avec de nouveaux coûts sans précédent liés à l’augmentation du salaire minimum, aux taxes sur le carbone et aux coûts élevés de l’énergie, entre autres. Ces dépenses constituent un fardeau et nuisent à la compétitivité des entreprises canadiennes.

Le gouvernement du Canada doit envisager la mise en œuvre immédiate de réformes approfondies en réponse à ces changements, pour réussir à atteindre son objectif de 75 milliards de dollars en exportation de produits agroalimentaires en 2025. Même s’il n’est pas nécessaire ici de s’attarder aux réformes possibles, les responsables de la Fédération canadienne de l’agriculture seraient heureux d’en discuter davantage avec les membres du comité à leur convenance.

En ce qui concerne le fractionnement du revenu, nous sommes satisfaits de constater qu’on a tenu compte de bon nombre des préoccupations soulevées par les agriculteurs en adoptant une approche plus ciblée. Les mesures apportées pour permettre des exclusions à l’impôt sur le revenu fractionné, comme les gains en capital provenant de la vente de biens agricoles ou de pêche admissibles, constituent des pas importants dans la bonne direction.

Ces mesures, entre autres, aideront les agriculteurs à conserver la souplesse dont ils ont besoin dans le cadre de leur planification de la relève. L’âge moyen des agriculteurs canadiens dépasse maintenant 55 ans, et notre système fiscal doit faciliter davantage les transferts intergénérationnels. Toutefois, il importe de souligner que le grand nombre d’exclusions particulières font que la complexité des règles crée de grandes difficultés pour les propriétaires d’entreprises, vu la date de mise en œuvre fixée au 1er janvier 2018.

Par exemple, le critère du caractère raisonnable fait en sorte que les contributions antérieures en matière de main-d’œuvre font l’objet d’un examen attentif. Même si nous sommes d’avis que la plupart des membres des familles des agriculteurs satisferont à cette exigence, il n’est pas clair quels renseignements devront être fournis pour faire la preuve de ces contributions. Toute personne qui a travaillé dans une ferme familiale sait qu’on ne compte pas les heures.

Les responsables de nombreuses entreprises agricoles ont aussi recours à une fiducie familiale pour un certain nombre de raisons liées à la planification de la relève et des affaires. Cette structure du capital social fait en sorte que les bénéficiaires ne détiennent pas au moins 10 p. 100 de la valeur de la société ou du capital-actions, comme il est exigé pour se prévaloir d’une exclusion, ce qui a pour effet de rendre nécessaire la modification de la structure du capital et du plan de relève. C’est pourquoi nous recommandons fortement d’amender le projet de loi pour repousser la date d’entrée en vigueur au 1er janvier 2019, ce qui accordera le temps nécessaire pour discuter avec des conseillers et établir des plans en conséquence.

Pour terminer, en ce qui concerne le fractionnement du revenu, nous sommes satisfaits des exclusions dont peuvent se prévaloir les époux ou les conjoints âgés de plus de 65 ans, ce qui aidera la gestion des revenus de retraite. Les époux et les conjoints des agriculteurs contribuent aux activités en remplissant une multitude de rôles qui ne sont pas faciles à documenter. C’est pourquoi nous persistons à dire qu’une exemption complète pour les époux ou les conjoints est nécessaire afin d’éviter les problèmes de conformité et de donner aux propriétaires d’entreprises agricoles l’assurance qu’ils peuvent rémunérer de façon adéquate les deux époux pour leur contribution à l’entreprise.

Pour ce qui est du revenu de placement passif, nous sommes aussi heureux de constater qu’on a adopté une approche plus ciblée. Toutefois, nous sommes préoccupés par le fait que l’engagement précédent d’exonérer les actifs existants n’a pas été conservé. Même si les résultats de notre analyse préliminaire montrent qu’une majorité d’entreprises agricoles ne subiront pas de répercussions directement, le traitement fiscal des revenus de location de terres agricoles pourrait poser un problème dans certains cas, en particulier pour les agriculteurs qui prennent leur retraite, selon le lien entre les terres agricoles et leur ancienne entreprise. Dans le cas des agriculteurs qui approchent la retraite, ces considérations individuelles pourraient complexifier la planification de la relève et de la retraite, en plus d’entraîner des coûts supplémentaires. Il y aura aussi vraisemblablement des coûts indirects liés au fardeau fiscal qui incomberait à d’autres entreprises en raison de cette mesure.

Les agriculteurs sont des preneurs de prix et ont des marges de profit serrées, ce qui les rend vulnérables aux nouveaux coûts imposés par le système fiscal. Toutefois, il est inapproprié d’imposer des taxes de dissuasion sur des investissements qui ont été amassés de façon légale sous le régime actuel, et qui sont importants pour les propriétaires qui cherchent à faire grandir leur entreprise, à atténuer les risques et à s’adapter sur le plan technologique.

Tous ces éléments sont essentiels à la croissance dans le secteur, qui englobe bien plus que les fermes. Les membres de la FCA seraient heureux de collaborer avec les responsables du ministère des Finances pour élaborer une solution qui conserve la simplicité, mais qui exonère quand même les revenus tirés de biens existants.

En terminant, on doit indexer le seuil de 50 000 $ en fonction de l’inflation pour s’assurer qu’il continue de correspondre à la réalité des entreprises et à l’augmentation des coûts. Sans cette mesure, les entreprises agricoles seront de plus en plus touchées par cette limite, à mesure qu’elles continueront de croître et de devenir plus sophistiquées.

Encore une fois, je souhaite remercier les membres du comité de leur attention et je serai heureux de répondre aux questions. Merci.

Bruce Ball, vice-président, Fiscalité, Comptables professionnels agréés du Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je m’appelle Bruce Ball, et je suis vice-président, Fiscalité, auprès de Comptables professionnels agréés du Canada, connu sous le nom de CPA Canada.

CPA Canada compte parmi les plus importantes organisations comptables au monde, et représente plus de 210 000 membres. Créée à la suite de l’unification de trois titres comptables d’origine, l’organisation célèbre cinq années au service de la profession, à défendre l’intérêt public et à soutenir l’établissement de normes en comptabilité, en audit et en certification.

Avant d’aborder le projet de loi C-74, je souhaite souligner l’excellent travail accompli par le comité, en particulier en ce qui a trait au rapport diffusé en décembre 2017 intitulé Un régime fiscal équitable, simple et concurrentiel : la voie à suivre pour le Canada. Comme le reconnaît ce comité, la fiscalité est un sujet important pour les Canadiens. CPA Canada salue votre engagement à l’égard d’une bonne politique fiscale et soutient sans réserve les recommandations formulées dans le rapport.

C’est dans cette perspective — l’importance d’avoir une bonne politique publique et d’agir dans le meilleur intérêt du public — que CPA Canada aborde les mesures fiscales proposées dans la loi d’exécution du budget. Mes commentaires porteront sur trois points importants : les questions non réglées quant aux mesures d’imposition des sociétés privées; les incidences des modifications récentes apportées au régime fiscal américain sur la compétitivité des entreprises canadiennes; et la nécessité d’examiner le système fiscal canadien pour régler ces questions, et d’autres, liées à la compétitivité, à la simplicité, à l’équité et à l’efficience.

En ce qui concerne les mesures d’imposition des sociétés privées, comme vous le savez, les propositions initiales du ministre des Finances visant à modifier les dispositions fiscales qui s’appliquent aux sociétés privées sous contrôle canadien ont suscité de vives critiques. Le ministre et les responsables de son ministère ont écouté les récriminations et ont agi. Les dispositions que renferment le budget 2018 et le projet de loi C-74 sont grandement améliorées.

Toutefois, certains aspects doivent encore être améliorés. En particulier, les nouvelles dispositions concernant l’impôt sur le revenu fractionné sont encore complexes, difficiles à lire et à interpréter et causent des difficultés aux propriétaires d’entreprise et aux praticiens quant à leur application concrète. Une exemption générale pour les conjoints simplifierait grandement les mesures, et c’est ce que nous recommandons fortement.

Le Comité mixte sur la fiscalité de l’Association du Barreau canadien et de CPA Canada a aussi formulé des propositions, qu’il importe de prendre en compte, pour préciser davantage les règles. Ces recommandations ont été présentées dans un mémoire il y a environ deux mois. Les propositions des membres du comité mixte sont plutôt de nature technique, donc je n’entrerai pas dans les détails, mais je serai heureux d’en parler durant la période de questions.

Les modifications de l’impôt sur le revenu fractionné, même si elles n’ont pas encore été adoptées, devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2018. Nous proposons, tout comme d’autres témoins qui ont comparu ce matin, de repousser l’entrée en vigueur de ces modifications au mois de janvier 2019. Certaines personnes ont mentionné que c’est pour mieux les comprendre, mais je suis d’avis qu’il est aussi possible de les améliorer. Selon moi, il est possible d’apporter d’autres améliorations pour les rendre plus claires.

Quant à la compétitivité, peu importe ce que l’on pense des réformes fiscales adoptées aux États-Unis, elles changeront les règles du jeu pour le Canada. Selon le budget de 2018, le ministère des Finances doit mener une analyse détaillée des réformes fiscales adoptées par le gouvernement fédéral américain, ce qui est en soi une bonne nouvelle, mais le processus doit être mené avec empressement. La compétitivité des entreprises canadiennes en dépend.

Selon les résultats du plus récent sondage CPA Canada Tendances conjoncturelles, deux tiers des chefs d’entreprises canadiennes sondés estiment que, en tant que pays où investir et faire des affaires, le Canada est moins concurrentiel par rapport aux États-Unis comparativement à il y a un an. Il est vrai qu’un grand nombre de facteurs peuvent avoir une incidence sur la compétitivité. Toutefois, il ne fait aucun doute que le système fiscal, dans son ensemble, est un élément essentiel pour créer un contexte fiscal concurrentiel. Il est indéniable que les mesures proposées par la réforme fiscale aux États-Unis représentent une véritable menace à l’avantage du Canada sur le plan fiscal.

Cela m’amène à mon dernier point : le besoin d’examiner dans l’ensemble notre régime fiscal. Si nous voulons que le Canada ait le régime fiscal le plus compétitif, le plus équitable, le plus simple et le plus efficient possible, il est temps de charger un groupe d’experts indépendant d’examiner l’ensemble du régime fiscal. Vous m’avez peut-être déjà entendu faire cette proposition, mais chaque fois que je viens témoigner devant un comité parlementaire, j’ai l’impression qu’il est de plus en plus urgent et justifié d’entreprendre un tel examen, vu la façon dont les choses évoluent.

Une refonte du régime fiscal suppose de tenir de vastes consultations et d’adopter un point de vue holistique sur le régime au lieu de mettre l’accent sur la compétitivité des entreprises. Cependant, le jeu en vaudra la chandelle. À l’issue du processus, nous aurons une approche efficace qui nous permettra de régler les problèmes fiscaux à long terme du Canada.

La réforme fiscale aux États-Unis a mis en lumière le besoin d’examiner le régime fiscal canadien, et la controverse entourant les modifications proposées des sociétés privées sous contrôle canadien met en relief la nécessité d’adopter une approche holistique au lieu de mettre en œuvre des modifications progressives. Le Conseil consultatif en matière de croissance économique a également recommandé de corriger les problèmes relatifs à la compétitivité dans le régime fiscal canadien. Si nous voulons que notre régime fiscal favorise la compétitivité à long terme, appuie la croissance solidaire et profite à tous les Canadiens, alors la première étape essentielle est d’entreprendre un examen de l’ensemble de notre régime fiscal.

Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de témoigner ce matin. Je répondrai maintenant à vos questions avec plaisir.

Dre Nadia Alam, présidente, Association médicale de l’Ontario : Je suis la Dre Nadia Alam, présidente de l’Association médicale de l’Ontario. Je suis également médecin de famille et anesthésiste et je pratique à Georgetown, en Ontario.

L’Association médicale de l’Ontario est fière de s’être associée à d’autres entreprises indépendantes, à des professionnels et à des contribuables pour former la Coalition pour l’équité fiscale envers les PME. Ensemble, nous employons des millions de Canadiens dans tous les secteurs de l’économie et dans toutes les régions du pays. Ensemble, nous avons déployé énormément d’efforts de sensibilisation à propos des impacts que ces modifications auront sur les PME. En ce qui nous concerne, même notre capacité à fournir des soins à nos patients sera touchée.

Il est aussi important de mentionner que ces modifications auront un impact disproportionné sur les femmes médecins qui comptaient sur les mesures en place pour épargner de l’argent en prévision d’un congé de maternité, des frais de garderie ou d’autres initiatives de planification financière. Je suis sûre que tous les parlementaires conviendront que les femmes ne devraient pas avoir à choisir entre avoir une famille et pratiquer la médecine au Canada.

Les cabinets de médecins sont des petites entreprises. En moyenne, un médecin a quatre employés à temps plein; il contribue au PIB à hauteur d’environ 205 000 $ et génère 50 000 $ en recettes fiscales liées aux frais généraux de ses activités. Ces recettes profitent à tous les ordres de gouvernement : les administrations municipales, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Pour ce faire, deux tiers des médecins de l’Ontario ont constitué leur cabinet en société, ce qu’on appelle une société médicale professionnelle, ou SMP.

En 2000, le gouvernement de l’Ontario a finalement reconnu que les médecins sont de petits entrepreneurs et il nous a autorisés, nous ainsi que d’autres professionnels, à toucher un revenu provenant de l’exercice d’une profession libérale à titre de société. Cinq ans plus tard, le gouvernement de l’Ontario a modifié sa Loi sur les sociétés par actions afin d’ajouter à la liste des actionnaires admissibles d’une SMP les parents proches. Ainsi, les médecins pouvaient eux aussi adopter les stratégies de planification fiscale déjà utilisées par un grand nombre de petites entreprises.

En Ontario, nous devons déjà composer avec certaines décisions que le gouvernement avait prises sans évaluer d’abord les impacts sur les soins offerts aux patients. Nous avons déjà vécu une situation similaire pendant les années 1990 où, à la suite de décisions prises aveuglément par le gouvernement, un médecin de famille sur 12 a quitté l’Ontario. En conséquence, 1,2 million de patients, ou un Ontarien sur quatre, se sont retrouvés sans médecin de famille. Ces patients ont donc dû se rendre à l’urgence ou à une clinique sans rendez-vous pour recevoir des soins qui auraient été fournis plus efficacement par le médecin de famille.

Selon les études menées auprès de patients atteints de maladies chroniques comme le diabète, de maladies du cœur, d’hypertension, et cetera, un suivi régulier par un médecin de famille peut améliorer énormément l’état de santé jusqu’à neutraliser les effets d’une affection donnée. Les impacts sur la santé et les impacts financiers associés à une affection sont neutralisés ainsi au complet.

En 2017, il y avait environ 2,4 millions de personnes âgées de 65 ans et plus en Ontario. D’ici 2041, il y en aura le double et, lorsque les gens vieillissent, ils sont plus susceptibles d’être atteints de maladies chroniques. Nous devons tout faire pour prévenir une nouvelle pénurie de médecins. Tous les ordres de gouvernements doivent prendre des mesures et adopter des politiques pour retenir les médecins, mais aussi pour en attirer de nouveaux.

Le régime fiscal que vous mettez en place aura un impact concret sur la capacité des médecins à exploiter leur cabinet de façon durable, et les médecins ont besoin d’un cabinet qui fonctionne efficacement afin de prendre soin de leurs patients et de leur famille. Compte tenu de l’importance de ces modifications, nous recommandons au gouvernement de s’arrêter un instant, le temps d’effectuer une évaluation exhaustive des impacts économiques, comme l’ont recommandé d’autres personnes ici présentes aujourd’hui.

Je vais maintenant passer au sujet des placements passifs. Il semble y avoir eu certains progrès depuis l’été dernier, lorsque les premières propositions ont été faites. Même si cela me rassure, certains aspects des nouvelles règles concernant les placements passifs préoccupent toujours les médecins, et nous espérons que vous allez vous pencher sur la question avant que le projet de loi ne soit adopté.

Les médecins qui exploitent une SMP l’utilisent pour élargir leurs activités professionnelles au fil des différentes étapes de leur carrière, mais le seuil qui a été proposé va assurément leur nuire. Les sociétés doivent souvent épargner pendant plusieurs années pour financer un accroissement des activités ou d’autres projets, par exemple un congé de maternité, un congé de maladie, un congé de formation, un départ à la retraite ou des achats importants, par exemple pour la mise à niveau de l’équipement médical de base ou pour le renouvellement d’appareils de radiologie ou d’ophtalmologie. Ces appareils peuvent coûter des centaines de milliers de dollars. Dans mon cabinet, une simple table d’examen peut coûter entre 2 000 $ et 3 000 $ et 15 000 $. Il y a aussi les frais liés à l’installation et à l’entretien d’un système de dossiers médicaux électroniques : cette année, notre serveur a cessé de fonctionner, et nous avons dû faire une dépense imprévue de 16 000 $ pour le remplacer et continuer d’utiliser notre système de dossiers médicaux électroniques.

Toutes ces dépenses nous permettent d’améliorer les soins que nous prodiguons à nos patients, et ces propositions pourraient nous empêcher de continuer à le faire. L’imposition du revenu passif des sociétés au-delà d’un certain seuil, un seuil irréaliste qui n’est même pas indexé sur l’inflation, menace ce que nous avons accompli. Selon la nouvelle règle, le revenu des sociétés non dépensé serait imposé à un taux plus élevé, et ce, même s’il est mis en réserve pour un projet futur lié à l’exploitation du cabinet de médecins.

Si nous voulons donner des soins de qualité à nos patients, nous avons d’abord besoin d’un cabinet exploité efficacement, et c’est pourquoi nous encourageons fermement le comité à étudier la possibilité d’éliminer les modifications proposées aux placements passifs. Dans le cas contraire, nous recommandons que les placements passifs antérieurs soient exclus de l’évaluation de l’admissibilité à la déduction accordée aux petites entreprises dans l’avenir.

Nous recommandons également d’indexer les limites d’exonération de 50 000 $ et de 150 000 $. Ainsi, on évitera que les petites entreprises glissent d’une tranche d’imposition à une autre en raison de l’imposition de leurs revenus de placements passifs dans les années à venir.

Je vais maintenant parler du fractionnement du revenu. Dans le document de consultation publié l’été dernier, il y avait un exemple mettant en scène deux personnes, Jean et Suzanne, pour illustrer la réforme fiscale proposée par le gouvernement fédéral. Dans le document, on comparait l’impôt sur le revenu payé par un employé salarié à l’impôt payé par un entrepreneur qui tire un revenu d’une société privée.

Il s’agit d’une fausse comparaison. Il existe des différences fondamentales entre la situation d’un employé salarié et celle d’un entrepreneur. Dans la comparaison, on a fait fi des risques liés au lancement et à l’exploitation d’une entreprise. Les médecins et leur famille courent aussi ces risques : les médecins doivent contracter une dette et s’en porter garants pour démarrer leur cabinet, embaucher des employés, leur offrir des avantages sociaux, payer le loyer, l’équipement, et les frais généraux, sans parler des règles gouvernementales régissant leur revenu.

Les employés salariés ne s’exposent à aucun risque de ce genre. De plus, ils jouissent d’avantages sociaux et de régimes de retraite subventionnés par leur employeur. Ils sont aussi protégés financièrement en vertu du droit du travail et de la Loi sur l’assurance-emploi, ce qui n’est pas le cas des petits entrepreneurs.

Malgré les efforts déployés par le gouvernement pour réagir aux préoccupations des petits entrepreneurs, le problème refuse de disparaître. Nous croyons qu’il est crucial que le comité envisage de modifier les règles relatives au fractionnement du revenu. Après lecture du plus récent rapport du directeur parlementaire du budget, il est extrêmement clair que les organismes gouvernementaux et les contribuables ne comprennent toujours pas entièrement la portée de ces nouvelles règles. En outre, selon le rapport du directeur parlementaire du budget, l’augmentation d’impôt à laquelle les petites entreprises familiales feraient face pourrait être considérablement plus élevée que ce qui est prévu par le gouvernement.

Nous recommandons au comité de reporter l’entrée en vigueur de ces changements, au moins — tenez-vous bien — jusqu’au 1er janvier 2019. Si on prend la décision d’aller quand même de l’avant, nous encourageons fortement le comité, à tout le moins, à exonérer complètement le fractionnement du revenu entre conjoints et les dividendes de l’application des nouvelles règles sur le fractionnement du revenu.

Je vous remercie de votre temps, et je répondrai à vos questions avec plaisir.

La sénatrice Marshall : Merci à tous de nous avoir présenté vos exposés. Ma première question s’adresse à M. Ball, en sa qualité de vice-président, Fiscalité, auprès de CPA Canada.

CPA Canada compte beaucoup de membres qui fournissent des conseils en matière de fiscalité. Selon les témoins que nous avons entendus précédemment, les règles semblent être compliquées et déroutantes. Le ministre Morneau a beau avoir ajouté six exemples à son document sur le budget, les nouvelles règles ne s’appliquent pas à cinq d’entre eux. Pour couronner le tout, le seul exemple où les nouvelles règles s’appliquent est extrêmement simpliste.

Quelles sont les mesures prises par CPA Canada pour aider ses membres qui fournissent des services fiscaux? Des témoins nous ont dit qu’ils avaient communiqué avec l’Agence du revenu du Canada ou avec le ministère des Finances, mais que l’information qu’ils ont obtenue ne leur semblait pas particulièrement fiable. CPA Canada doit néanmoins fournir des conseils quelconques à ses membres, et je serais intéressée de savoir exactement ce que CPA Canada fait pour ses membres.

M. Ball : Nous avons surtout misé sur l’éducation de nos membres. Nous avons organisé deux webinaires, et les associations provinciales liées à CPA Canada ont commencé à donner des cours à propos des modifications, maintenant qu’elles ne changeront probablement plus… Nous offrons des renseignements actualisés, si on peut dire. Une partie du problème tenait au fait que les choses n’arrêtaient pas de changer. Au bout du compte, je crois que nous avons eu… maintenant que j’y pense, nous avons organisé trois webinaires, à dire vrai. Les deux derniers avaient été organisés en réaction aux modifications apportées depuis le premier.

Je veux souligner que cette complexité tient à deux choses : il y a, d’une part, la nature intrinsèque des règles, et d’autre part, la recherche de ce qui est raisonnable.

En théorie, les méthodes utilisées pour déterminer ce que vaut une personne semblent logiques, j’imagine, mais en pratique, c’est très difficile à faire. Précédemment, quelqu’un a demandé si l’ARC allait donner des exemples de cas où des règles précises s’appliquaient. Le problème, avec ce genre de situation au cas par cas, c’est qu’il faut examiner la contribution de tout un chacun pour savoir si l’une des exceptions s’applique.

Du reste, et c’est quelque chose d’important, les exceptions ne vous seront habituellement pas d’une grande aide, ou du moins, le critère des 10 p. 100 ne vous aidera pas si vous êtes un entrepreneur du secteur des services. Il faut que vous conserviez des fiches de présence et tout ce genre de choses. Je suis d’accord avec les observations précédentes quant au fait que la plupart des petites entreprises ne tiennent pas de feuilles de temps.

La sénatrice Marshall : Vous dites que vous avez organisé deux ou trois webinaires. Est-ce que CPA Canada a aussi des publications? Menez-vous ce genre d’activité de rayonnement pour vos membres?

M. Ball : Nous avons effectivement publié des choses avec le comité mixte. Je crois que cela a aidé à cerner certaines des préoccupations. Le comité mixte a produit trois documents sur les trois des principaux domaines de préoccupations, et CPA Canada a aussi produit un document. Cependant, nous mettons davantage l’accent sur nos webinaires que sur nos publications pour le transfert des connaissances.

L’autre chose que nous voulons savoir — et nous allons reposer la question prochainement à une autre réunion —, c’est quels sont les projets de l’ARC pour fournir de l’information aux gens. L’ARC a déjà fourni quelques renseignements, mais il s’agissait d’information de nature très générale, et il y a beaucoup de questions précises à aborder. Par exemple, disons que vous êtes un agriculteur qui loue la terre agricole de quelqu’un d’autre, c’est quelque chose qui est à mi-chemin entre le passif et l’actif. Comment est-ce que ça va être traduit? Il y a beaucoup de questions qui restent sans réponse.

La sénatrice Marshall : C’est ce que d’autres témoins ont mentionné.

Vous affirmez que CPA Canada compte plus de 200 000 membres. Combien d’entre eux fournissent des conseils fiscaux? Il y en a qui sont des conseillers fiscaux, et d’autres qui fournissent des conseils généraux sur la fiscalité. Sur les 200 000 membres, savez-vous combien fournissent des conseils fiscaux?

M. Ball : Je ne peux pas lancer un chiffre comme ça.

Je dirais que, parmi les membres de notre organisation qui aident les gens à faire leurs déclarations de revenus, la majorité ne sont pas des conseillers fiscaux. Le comité mixte a notamment fait remarquer que le libellé de ces règles était très compliqué alors qu’elles doivent être interprétées par des entreprises et des professionnels qui ne sont pas fiscalistes. C’est préoccupant. Même les fiscalistes et les autres membres doivent examiner les règles ensemble afin de bien les comprendre. C’est très compliqué.

La sénatrice Marshall : Docteure Alam, vous avez indiqué un nombre précis de médecins qui sont partis. Pouvez-vous nous rappeler ce chiffre, et savez-vous où ils sont maintenant?

Dre Alam : L’exemple que j’ai donné avait trait aux années 1990, période durant laquelle le gouvernement imposait des politiques sans tenir compte des préoccupations des intervenants sur le terrain à cet égard.

Nous ne voulons pas que cela se reproduise. Nous craignons un retour en arrière, à une époque qui n’est pas si lointaine. Dans les années 1990, un médecin de famille sur 12 quittait l’Ontario en raison des politiques gouvernementales et parce que le gouvernement provincial de l’époque imposait des politiques qui nuisaient énormément au bon fonctionnement des cliniques.

La sénatrice Martin : Savez-vous où sont allés ces médecins? Ont-ils pris leur retraite ou se sont-ils installés dans une autre province ou un autre pays? Très souvent, lorsqu’un gouvernement propose un changement, les médecins menacent de partir ou de prendre leur retraite, mais il arrive parfois qu’ils ne mettent pas leur menace à exécution. J’essaie de savoir où ils sont rendus.

Dre Alam : C’est une excellente question. Ils ont changé de province, et certains ont même quitté le pays, notamment pour s’installer aux États-Unis. C’était pour ces trois raisons, mais la plupart ont changé de province à ce moment-là.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Pratte : Monsieur Ball, d’autres organismes et vous-mêmes recommandez une exception générale pour les conjoints relativement à la répartition du revenu. Si le gouvernement allait dans cette direction, il ne resterait plus grand-chose de cette réforme. Il y a aussi les enfants devenus adultes, mais, dans la plupart des cas, c’est le conjoint qui est touché, alors il ne resterait pas grand-chose de ce changement, si le gouvernement adoptait une exception générale pour les conjoints.

M. Ball : Il est difficile de généraliser, mais dans la grande majorité des cas, je crois que si l’on compare les conjoints aux enfants adultes, il est fort probable que le conjoint participe bien davantage aux activités de l’entreprise qu’un enfant adulte qui va à l’université ou quelque chose du genre. C’est ce que dirait le ministère des Finances : de diverses façons, vous versez un revenu à une personne qui ne participe peut-être pas du tout à l’entreprise.

Examinons les exemptions et la réalité; il y a une exception pour les personnes âgées de 65 ans et plus et une autre pour les conjoints qui gagnent plus de 10 p. 100 du revenu. Il est probable que les conjoints participent beaucoup plus. Étant donné la réalité des couples, il pourrait y avoir d’autres façons de partager le revenu, comme en utilisant le REER du conjoint.

Selon nous, si l’on prend le temps de tout regarder, on se rendrait peut-être compte qu’une exemption visant les conjoints ne serait pas si coûteuse que cela. Il existe probablement une façon pour beaucoup de conjoints de se soustraire aux règles, et une exemption particulière serait beaucoup plus simple.

Le sénateur Pratte : Vous, tout comme les autres témoins, avez demandé de reporter d’un an la mise en œuvre de la mesure touchant la répartition du revenu. Ce qui m’inquiète, c’est que, même dans un an, certains désireront faire encore d’autres changements.

Je pense notamment au fait que, d’après ces propositions, l’impôt sur le revenu fractionné s’appliquerait à la plupart des entreprises de service et des entreprises professionnelles. Par conséquent, même si, au cours de l’année supplémentaire, le gouvernement réussit à simplifier ou à clarifier le critère du caractère raisonnable, la plupart des entreprises de service et des entreprises professionnelles ne voudraient pas être automatiquement visées par l’impôt sur le revenu fractionné, et l’on nous demanderait encore de retarder l’adoption d’un an.

Je ne suis pas sûr que le fait d’accorder une année supplémentaire apportera grand-chose.

M. Ball : Je ne suis pas certain que nous ayons eu l’occasion de nous asseoir avec des représentants des Finances et d’explorer en profondeur les autres solutions, ce qui aurait été une véritable consultation. Je ne crois pas que cela se soit produit. Il y a eu des propositions, en guise de consultation, et les intéressés ont ensuite réagi.

Je crois qu’on pourrait obtenir de bons résultats si les deux parties se rencontraient en toute bonne foi pour décortiquer les problèmes et simplifier les règles. Le fait de réduire la complexité de moitié constituerait un énorme pas vers l’avant, car on passera beaucoup de temps à essayer de s’y conformer.

M. Bonnett : En ce qui concerne le report d’un an, il faut comprendre que le ministère des Finances établit les règles et que les conseillers fiscaux sont consultés par la suite. Ils doivent savoir précisément quels types de conseils ils pourront donner aux agriculteurs et aux autres petits entrepreneurs.

Tout cela entraîne des retards. Si la date de mise en œuvre reste la même, les conseillers fiscaux ne seront pas certains d’avoir la bonne information, et, si une vérification est faite dans deux ou trois ans, ils pourraient se rendre compte qu’ils n’ont pas donné les bons conseils dès le départ.

Un report permettrait de clarifier la situation pour tous. Évidemment, certaines questions demeureront en suspens, mais au moins, on serait au courant des changements apportés, et les conseillers fiscaux pourront ainsi aider convenablement les entrepreneurs et les agriculteurs à faire leur déclaration de revenus.

Dre Alam : En plus de leur permettre de mieux comprendre les règles, le report permettrait aux médecins de modifier la façon dont ils ont établi ces sociétés et stratégies de planification fiscale.

Par exemple, le partage du revenu devient très important pour les médecins qui sont l’unique gagne-pain de leur famille; je pense notamment à ceux dont le conjoint est un avocat ou un autre professionnel et qui déménagent dans une région rurale ou mal desservie, dans laquelle le conjoint n’arrive pas à trouver du travail. Le partage du revenu devient très important dans cette situation pour maintenir un style de vie adéquat et continuer d’exploiter son entreprise.

J’ai une amie qui est sous-spécialiste au centre-ville de Toronto. Mère célibataire de deux enfants, elle travaille dans une clinique de génétique et des maladies métaboliques et elle traite des patients de l’Ontario, mais aussi du Québec, du Manitoba et même des Maritimes et de Terre-Neuve. Compte tenu de ces changements fiscaux soudains et sans délai possible, elle a dû apporter d’importants changements à sa clinique. Elle a fermé une partie de sa clinique et elle touche un revenu distinct en travaillant pour une compagnie pharmaceutique; elle est donc davantage une employée salariée.

Ces changements ont des conséquences énormes et des effets imprévus qui n’ont pas vraiment été envisagés. Je suis d’accord avec mes collègues : on n’a pas pris le temps de mener des consultations ou de se pencher sur les conséquences économiques potentielles qui, en plus de toucher l’économie au sens large, touchent la prestation de soins médicaux dans des spécialités et des secteurs mal servis.

Le sénateur Neufeld : Merci à tous d’être venus présenter vos témoignages et de répondre à nos questions.

Les changements qui se produisent relativement à notre plus grand partenaire commercial, les États-Unis — moins de taxes, moins de lourdeur administrative —, stimulent les entreprises, le développement et l’emploi; le rêve pour n’importe quel pays. En fait, il est possible que des médecins nous quittent, comme nous l’avons entendu, pour aller chez nos voisins du Sud, beaucoup plus accueillants en ce qui a trait aux impôts. J’essaie d’avoir une vue d’ensemble.

Je vais vous poser une question que j’ai posée au groupe de témoins précédent. Parmi les changements fiscaux touchant les petites et moyennes entreprises qui sont apportés par le gouvernement, y en a-t-il qui pourraient encourager des gens à devenir agriculteurs? Je ne parle pas ici de ceux qui exercent le métier de génération en génération, mais bien de ceux qui voudraient devenir de nouveaux agriculteurs. Parmi les changements déjà réalisés, y en a-t-il qui pourraient encourager quiconque à se lancer en agriculture ou dans le secteur médical, à devenir médecin et à travailler dans une région où il manque de services? Je viens d’une région où il y avait peu de services. Il faut attendre six semaines pour consulter un médecin, et ça n’est pas jojo pour ceux qui ont des problèmes cardiaques. Y a-t-il un autre objectif que celui de mettre encore plus d’argent dans votre coffre? Est-ce que c’est cela, le véritable objectif?

Monsieur Ball, avez-vous remarqué un changement pour le mieux? Les gens sont-ils encouragés à mettre sur pied des entreprises au Canada ces derniers temps? Vous pouvez répondre tous les trois à la question.

M. Ball : Je ne peux pas répondre à votre question. Je n’ai pas assez de contacts directs, je suppose.

Je peux toutefois vous dire que le projet de loi prévoyait une réduction du taux pour les petites entreprises, mais autrement, je suis d’accord pour dire qu’il ne propose rien à l’avantage des entreprises.

Je partage toutefois vos préoccupations par rapport aux États-Unis. Outre les changements visant les sociétés, il y a l’impôt des particuliers. Cette question est importante, particulièrement pour les médecins. Il peut être très avantageux sur le plan financier de pratiquer aux États-Unis, et je crois qu’il faut se pencher sur cette question.

M. Bonnett : Certains des changements visant les gains en capital étaient bons. Après analyse, je crois que cela était très important pour les agriculteurs. Le gouvernement a reculé et modifié sa proposition, et ça lui a permis de regagner une certaine confiance.

Pour revenir à votre question sur la stimulation des investissements, il faut aller au-delà de la politique fiscale. Nous menons actuellement une discussion après coup. Cela pourrait avoir des conséquences graves sur les investissements au Canada. La signature d’accords commerciaux, que ce soit le nouveau Partenariat transpacifique ou l’AECG, stimule réellement les investissements en agriculture, car ces accords ouvrent les marchés.

Je crois que la politique fiscale est un élément parmi d’autres qui peut influer sur la décision. J’ai mentionné les taxes sur le carbone durant mon exposé. La semaine dernière, j’ai présenté à un comité du Sénat un témoignage sur la question du carbone et ce qui va s’ensuivre, et, encore une fois, tout revient à la compétitivité.

Un examen exhaustif de la politique fiscale a été demandé plus tôt aujourd’hui, et vous l’avez également demandé. Il faut presque examiner la politique fiscale des administrations fédérale, provinciales et municipales pour connaître l’impact global, l’évaluer et l’analyser afin de trouver des solutions pour stimuler les investissements.

Scott Ross, directeur exécutif adjoint, Gestion des risques et de la politique agricole, Fédération canadienne de l’agriculture : J’aimerais me faire l’écho des commentaires formulés durant la séance précédente au sujet de certains engagements annoncés à l’automne visant à équilibrer le jeu entre les opérations d’entreprises familiales et celles auxquelles participe une tierce partie ou un tiers sans lien de dépendance. Certains engagements proposés initialement n’ont pas été retenus dans le projet de loi actuel, et nous tenons à ce que les discussions se poursuivent à cet égard. Par contre, dans le projet de loi actuel, outre la réduction du taux d’imposition des petites entreprises, nous ne voyons rien qui pourrait vraiment stimuler les investissements chez les petites entreprises.

Dre Alam : En ce qui me concerne, lorsque je suis entrée en médecine, je ne pensais pas du tout à l’argent. Ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai choisi la médecine. J’ai vraiment senti qu’il s’agissait d’une vocation, et c’est encore le cas aujourd’hui, non seulement pour moi, mais également pour mon époux et mes enfants, qui ont sacrifié beaucoup de temps qu’ils auraient passé avec moi afin que je puisse m’occuper de mes patients.

L’aspect financier de la profession, cependant, est important parce que je dois être en mesure de rémunérer mes secrétaires, d’acheter de l’équipement et d’assurer le fonctionnement de mon bureau. Alors, même si ce n’est pas ce qui m’a motivée à aller en médecine, cela me permet de faire mon travail et de poursuivre ma vocation.

Je crois que les gens voudront encore devenir médecins. La question devient alors la suivante : pourront-ils demeurer médecins? Je connais déjà des médecins de famille qui ont commencé à pratiquer et puis, six mois plus tard, ont dû arrêter parce qu’ils ne pouvaient pas maintenir en fonction leur clinique, même s’ils travaillaient de 12 à 14 heures par jour; leur conjoint leur demandait : « Quand auras-tu du temps pour nous? J’attends depuis si longtemps. Quand auras-tu du temps pour nous? »

Je connais également des médecins de famille, fraîchement diplômés, qui ont déjà une stratégie de sortie en place. Ils vont travailler dans une clinique sans rendez-vous, gagner assez d’argent pour rembourser leur dette d’études en médecine, qui peut souvent s’élever à environ 200 000 $ et quitter ensuite la médecine.

Je me soucie également du maintien en poste des médecins. Je crois que les gens continueront d’aller en médecine parce que c’est une vocation, mais il s’agit de savoir s’ils demeureront en médecine, conserveront des cliniques ouvertes et continueront de travailler dans des collectivités mal desservies et d’offrir les soins dont ont besoin les Ontariens.

Je ne suis pas certaine si vous savez que le gouvernement de l’Ontario a apporté une série de changements dernièrement, au cours des quatre ou cinq dernières années, qui ont déjà réduit le revenu des médecins de 30 p. 100. C’est en Ontario. D’autres gouvernements envisagent de faire la même chose. Ces modifications fiscales auront une grande incidence sur notre revenu. Encore une fois, ce revenu n’est pas le facteur déterminant qui nous a amenés à pratiquer la médecine, mais il nous aide à maintenir en fonction une clinique.

[Français]

La sénatrice Moncion : Quels sont les impacts financiers pour les entreprises, par exemple, dans le domaine de l’agriculture? On entend beaucoup d’opinions, et je voudrais savoir lesquelles sont corroborées par des chiffres.

Par exemple, monsieur Ball, vous préparez probablement des déclarations de revenus pour vos clients. Avez-vous sélectionné une dizaine ou une quinzaine de clients, en comparant la situation de l’impôt de 2017 avec les nouvelles règles de 2018, pour être en mesure d’illustrer l’impact financier sur ces entreprises?

Monsieur Bonnett, pour votre part, avez-vous fait les calculs? Vous avez parlé des impacts financiers. Nous regardons toujours de façon globale, mais j’aimerais voir des cas réels et plus spécifiques. Je n’ai pas besoin de connaître les noms des entreprises, de même pour les médecins, mais j’aimerais connaître des cas réels dont on peut comparer la situation avant et après, et évaluer l’ampleur de l’impact financier.

[Traduction]

M. Ball : Je crois qu’un des plus gros problèmes dans tout ce débat est le manque d’information permettant de comprendre l’impact financier. Le gouvernement a cité quelques chiffres. C’était difficile. Je ne crois pas qu’il a fourni d’explication sur la façon dont il les a obtenus.

Je sais que le Bureau du directeur parlementaire du budget a éprouvé de la difficulté à découvrir et à expliquer ce qui se passerait. Je crois qu’un des problèmes, c’est le manque d’information.

La plupart des choses que j’entends sont empiriques. Encore une fois, il s’agit de 50 000 sociétés, selon le gouvernement, mais, si on se fie à ce qu’on entend, il semble que ce nombre soit plus élevé. Je ne peux pas donner rapidement un chiffre précis, mais j’entends parler de choses qui se produisent. Je me demande si le gouvernement peut même savoir que cela posera problème, comme les agriculteurs qui louent leurs terres ou une entreprise qui possède peut-être un immeuble commercial. Cette dernière utilise, disons, 40 p. 100 de l’immeuble pour elle-même et loue les autres 60 p. 100. Je ne crois pas qu’on tient compte de ces nuances lorsqu’on regarde la règle des 50 000 $. Une partie du problème, c’est que nous ne savons pas exactement comment cela touchera les entreprises, et c’est la raison pour laquelle nous devrions reporter cela à plus tard et nous assurer de tout comprendre.

M. Ross : Il est difficile, sur le plan systémique, de comprendre les conséquences en raison du manque d’information; le revenu qui provient de la location de terres agricoles est une importante source d’inquiétude pour notre industrie en particulier.

Je pourrais citer en exemple certaines des conséquences concernant les modifications du traitement fiscal des fiducies familiales, qui sont un élément courant des plans d’affaires des agriculteurs et également des plans de relève. Avec ces nouvelles règles qui entrent en vigueur, quiconque a créé une fiducie familiale doit revenir au point de départ et immédiatement réanalyser le processus. Dans bien des cas, cela prend plus d’une décennie du début jusqu’à la fin. Le coût financier immédiat pour restructurer ce plan peut s’élever à plus de 40 000 $ ou 50 000 $ pour chaque exploitation agricole. Il s’agit d’une information empirique, certainement, mais je pense à ce que Bruce a dit plus tôt : il est très difficile pour nous de comprendre les conséquences sur le plan holistique, parce qu’il y a énormément de questions concernant les tenants et les aboutissants de la façon dont cela s’appliquera à chaque exploitation agricole.

M. Bonnett : Nous avons en réalité rassemblé un certain nombre d’organisations agricoles lorsqu’on discutait des modifications des gains en capital. Une des choses que nous avons comprises assez rapidement en réalisant l’analyse, c’est que cela peut devenir très complexe parce qu’il existe différents types d’exploitations agricoles et différents produits destinés à la production, et dire en un mot quelles seraient les retombées, c’est très difficile.

Je crois que c’étaient les témoins précédents qui ont parlé d’effectuer une analyse des retombées économiques avant de mettre en place les règles. Je crois que c’est une des choses qu’on peut faire parce que, très souvent, lorsqu’on modifie quelque chose à un endroit, quelque chose d’autre change ailleurs. Ce processus est complexe. Ce n’est pas aussi simple que de réaliser une analyse, et nous l’avons constaté lorsque nous avons examiné les études qui portaient précisément sur le traitement fiscal des gains en capital. Alors, avec la répartition du revenu et les placements passifs, ce serait probablement le même genre de choses. Selon le type d’exploitation, l’incidence pourrait être différente, et la quantifier peut être difficile.

Scott a mentionné une chose qu’on peut quantifier très rapidement, c’est lorsque les agriculteurs doivent retenir les services d’un conseiller fiscal. On peut recevoir rapidement une grosse facture seulement pour changer la structure afin de s’adapter aux modifications qui sont apportées… ce n’est pas que ça nous dérange de vous rémunérer.

Dre Alam : Comme mes collègues l’ont dit, il y a tellement d’incertitude concernant la forme finale de ces règles et leur véritable incidence qu’il est difficile de vous donner les chiffres que vous demandez. Je vous félicite de vouloir obtenir ces chiffres parce que vous devez prendre des décisions rationnelles et réfléchies fondées sur des données.

Je peux vous dire que, en raison de ce climat d’incertitude, les médecins, ainsi que les autres petites entreprises, ont eu beaucoup de mal à même ouvrir des cliniques ou à lancer des entreprises en Ontario, et c’est inquiétant.

L’Ontario commence à peine à se remettre de l’exode des médecins des années 1990. Cette incertitude et ce climat font en sorte qu’il est beaucoup plus difficile de continuer de s’en remettre. Même si j’espère ne jamais assister à nouveau à un tel exode, il a quand même eu lieu par le passé. Il est difficile de dire qu’il ne se reproduira plus jamais.

Le président : Merci.

La sénatrice Andreychuk : En passant, même si les règles de la Loi de l’impôt sur le revenu semblent être claires, elles sont tout de même interprétées par l’ARC, et nous venons donc d’ajouter une autre couche d’incertitude, si je comprends bien ce que vous dites.

Docteure Alam, nous avons entendu des médecins la première fois et cette fois-ci, et j’ai demandé aux représentants du ministère des Finances qui ont témoigné devant nous si on tenait des consultations entre le ministère des Finances et le ministère de la Santé; on m’a répondu que non.

Vous êtes-vous adressée à la ministre de la Santé? Selon moi, la santé est la chose la plus importante; nous avons une population vieillissante, et cetera. Et le ministère des Finances fait des choses qui toucheront énormément les soins de santé offerts aux Canadiens. Avez-vous parlé à des représentants du ministère de la Santé pour leur faire les mêmes observations que vous nous faites? Leur avez-vous demandé ceci : « Avez-vous connaissance de ce que votre autre ministère fait et des conséquences pour les médecins, mais également pour tous les patients? »

Dre Alam : Nous leur avons parlé. Nous sommes un peu à couteaux tirés avec notre gouvernement provincial et le ministère de la Santé à l’heure actuelle. C’est une question qui finira en arbitrage parce que nous n’arrivons pas à nous rejoindre sur un terrain d’entente. En raison des incidences importantes que cela aura non seulement sur le lancement d’une entreprise et la gestion d’un bureau de médecin, mais également sur le congé de maternité, la planification de la retraite, les congés de formation et les congés de maladie imprévus, pour lesquels vous devez rémunérer un autre médecin afin qu’il s’occupe de votre pratique pendant votre rétablissement, ces modifications auront des incidences concrètes sur les soins au patient.

Je suis tout à fait favorable à une réforme fiscale. Je le dirai d’emblée. Notre régime fiscal est désuet, et je vous félicite de vouloir l’examiner, mais, encore une fois, je le ferais lentement, attentivement et méthodiquement et j’examinerais l’ensemble du régime, non pas seulement une partie précise. Vous devez d’abord définir ce que vous voulez accomplir et ensuite créer la structure nécessaire selon une approche itérative et progressive de consultation.

Le président : Je remercie les témoins d’avoir fait part de leurs opinions, de leurs commentaires et de leurs recommandations.

Mesdames et messieurs les sénateurs, notre prochaine séance avec les témoins se tiendra à 13 h 30, à la salle 257 de l’édifice de l’Est, dans le cadre de laquelle nous étudierons le projet de loi C-74, le cadre pour les produits du cannabis et la taxe d’accise.

(La séance est levée.)

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