Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule no 66 - Témoignages du 8 mai 2018 (séance de l'après-midi)
OTTAWA, le mardi 8 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, se réunit aujourd’hui, à 13 h 32, afin de poursuivre son étude de la teneur complète du projet de loi.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
[Traduction]
Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui sont dans la salle ainsi qu’aux téléspectateurs un peu partout au pays qui nous regardent peut-être à la télévision ou en ligne sur le site sencanada.ca. Je m’appelle Percy Mockler. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je préside le comité.
De plus, je rappelle à tous ceux qui nous regardent que les audiences du comité sont ouvertes au public et accessibles en ligne sur le site sencanada.ca.
Je vais maintenant demander aux sénateurs de se présenter en commençant par ma gauche.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le président : Je voudrais aussi vous présenter la greffière du comité, Mme Gaëtane Lemay, et nos deux analystes parlementaires, Sylvain Fleury et Alex Smith qui, ensemble, soutiennent les travaux de ce comité.
[Traduction]
Nous poursuivons cet après-midi notre étude de la teneur complète du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposées au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures. C’est ce que nous appelons la LEB, soit la loi d’exécution du budget.
Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur la partie 3, qui met en œuvre un nouveau cadre fédéral de droit d’accise pour les produits du cannabis.
Je remercie beaucoup les témoins d’avoir accepté notre invitation de façon à ce qu’ils puissent faire part au Comité sénatorial des finances de leurs commentaires, points de vue et recommandations.
Durant la première heure, nous accueillons les témoins suivants : Luke Harford, président, de Bière Canada, Allan Rewak, directeur général du Conseil Cannabis Canada, et, à titre personnel, Sarah Diamond, directrice générale et conseillère juridique de la Halton Regional Police Association.
J’informe les sénateurs que les déclarations seront présentées dans l’ordre suivant : M. Harford, en premier lieu, M. Rewak, en second lieu, puis Mme Diamond, qui passera en troisième. Je signale aux témoins que les sénateurs poseront ensuite des questions.
Monsieur Harford, la parole est à vous.
Luke Harford, président, Bière Canada : Bière Canada est une association nationale qui représente tous les producteurs de bière au Canada.
Je suis heureux de l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui de comparaître devant vous pour vous expliquer les préoccupations de l’industrie brassicole relativement à la partie 3 du projet de loi C-74. Cependant, avant tout, j’aimerais vous remercier au nom de tous les brasseurs canadiens — et je crois que je peux ajouter ici les vignerons et producteurs de spiritueux canadiens aussi — des efforts du comité au printemps dernier pour abroger l’augmentation automatique de la hausse annuelle du droit d’accise du budget de 2017.
La modification apportée au budget de 2017 a été déposée par la sénatrice Marshall, et l’appui qu’elle a reçu des autres membres du comité a été très apprécié par Bière Canada, ses entreprises membres, leurs employés et les consommateurs de bière partout au pays.
Au bout du compte, l’amendement n’a pas pu tenir la route jusqu’au bout. L’augmentation annuelle de la taxe sur la bière est maintenant en place, inscrite dans la loi, mais nous ne baissons pas les bras. Nous poursuivons nos efforts pour faire abroger cette augmentation automatique et nous espérons pouvoir continuer de compter sur le soutien du Comité des finances nationales.
Bière Canada compte parmi ses entreprises plus de 50 entreprises brassicoles, des grandes et des petites. Il y en a aussi de taille moyenne en passant par tout ce qu’il y a entre les deux. Ensemble elles comptent pour 90 p. 100 de la bière brassée au Canada et sont établies dans 10 provinces et un territoire.
Les brasseurs canadiens emploient directement 12 000 Canadiens et versent près de 1 milliard de dollars en salaires et avantages sociaux tous les ans. Selon une étude du Conference Board du Canada, les ventes de bière au Canada soutiennent 149 000 emplois à temps plein. Le modèle interprovincial des entrées et des sorties de Statistique Canada révèle à quel point les provinces tirent profit de la vente de bière à l’intérieur de leurs frontières, mais aussi de la vente de bière dans le reste du pays. Au Canada atlantique, par exemple, 11 000 emplois à temps plein dépendent de la vente de bière, dont 43 p. 100 sont le résultat de la vente de bière à l’extérieur de la région atlantique.
La partie 3 du projet de loi C-74, la loi d’exécution du budget, propose de modifier la Loi de 2001 sur l’accise dans le but d’introduire un nouveau cadre de droit d’accise sur les produits du cannabis. Le gouvernement fédéral a structuré ce cadre de droit d’accise sur le cannabis de façon à assurer une coordination avec les provinces et de garder les taxes sur les produits du cannabis à un niveau bas. Le gouvernement vise à garder les droits d’accise sur le cannabis à un faible niveau pour encourager les ventes par les canaux légaux du marché.
Le projet de loi C-74 propose un droit d’accise fixe de 25 cents par gramme de cannabis produit, ce qui sera la portion du gouvernement fédéral, et prévoit plus tard introduire un droit de 75 cents par gramme, portion qui reviendra aux provinces et territoires. Bière Canada estime que cette proposition fiscale est déraisonnablement basse dans le contexte de la politique fiscale actuelle du Canada et étant donné les données probantes provenant des États-Unis.
Du côté des États-Unis, les données probantes indiquent que le prix du cannabis chutera au fur et à mesure que les producteurs de cannabis à plus grand volume entreront en exploitation et produiront à plein rendement, tandis que l’analyse du marché récréatif faite par l’industrie au Canada indique également que le prix du cannabis baissera de moitié avec la légalisation.
Au Colorado, depuis 2014, les recettes provenant de la taxe d’accise sur la marijuana pour la consommation récréative ont connu une croissance de 540 p. 100, l’État ayant fait passer la taxe de vente de la marijuana de 10 à 15 p. 100 en juillet 2017.
Dans l’État de Washington, où la taxe d’accise sur la marijuana pour consommation récréative est établie à 37 p. 100, les ventes ont augmenté de plus de 1 milliard de dollars au cours des deux dernières années, les recettes tirées des droits d’accise passant de 65 millions de dollars en 2015 à 314 millions de dollars durant l’année fiscale 2017.
Au Canada, les niveaux de taxation de la marijuana ne devraient pas dépendre uniquement d’une préoccupation exagérée au sujet du prix trop élevé dans le but de cannibaliser le marché noir de la marijuana. La commodité, la connaissance du produit, l’assurance de la qualité et la sécurité personnelle mèneront les ventes dans les marchés légaux en dépit des taux de taxe plus élevés.
Ce qui mérite d’être tout particulièrement souligné au sujet de l’expérience américaine, c’est que les taxes des États sur la marijuana sont beaucoup plus élevées que les taxes sur la bière. Le Colorado, Washington et l’Oregon ont tous mis en place des taux de taxe sur la marijuana qui équivalent au double et même au triple des taxes qui s’appliquent à la bière.
Au Canada, la possibilité que la marijuana légale cannibalise la bière est beaucoup plus importante qu’aux États-Unis en raison de nos taxes plus élevées sur la bière et de nos prix plus élevés.
Au Canada, la taxe sur une caisse de bière est cinq fois plus élevée qu’aux États-Unis. Les taux de taxe sur la marijuana doivent être établis à la lumière de principes de base d’équité et compte tenu des répercussions économiques potentielles, en plus des activités sur le marché noir.
Depuis 2010, il y a eu 45 augmentations de taxe sur la bière au Canada. Ces taxes sur une caisse de bière représentent maintenant en moyenne 47 p. 100 du prix que paye un Canadien pour une caisse de bière. L’an dernier, le gouvernement fédéral a augmenté la taxe d’accise sur la bière de 2 p. 100. Cette taxe a été augmentée de 1,5 p. 100 de plus en avril dernier, et on prévoit l’augmenter chaque année conformément au nouveau cadre d’augmentation automatique annuelle de la taxe sur la bière adopté par le gouvernement fédéral.
Les Canadiens sont mécontents des taxes élevées sur la bière : quelque 50 000 Canadiens se sont inscrits à notre campagne Supprimer les hausses de taxes sur la bière. Ils ont démontré qu’ils veulent participer dans ce dossier. La frustration à l’égard du taux élevé des taxes sur la bière s’est également manifestée par les sentiments exprimés par les Canadiens sur les médias sociaux au sujet de l’arrêt Comeau de la Cour suprême le 19 avril.
Les brasseurs canadiens sont préoccupés par l’arrivée de la marijuana à des fins récréatives. Le cannabis aura une incidence négative sur les ventes de bière qui, au prorata de la population, ont déjà décliné de 10 p. 100 au cours des 10 dernières années.
Les répercussions sont claires : de faibles taxes sur le cannabis feront augmenter les ventes de cannabis tandis que les taxes élevées sur la bière feront diminuer les ventes de bière, ce qui fera en sorte que, au bout du compte, le gouvernement aura moins de recettes. Nous en sommes au point où nous nous demandons s’il vaut la peine d’investir dans l’industrie brassicole canadienne.
Aux États-Unis, les taxes sur le cannabis sont non seulement plus élevées que les taxes sur la bière, mais le gouvernement fédéral américain a récemment réduit les taxes fédérales d’accise sur la bière afin d’aider les brasseurs américains à prospérer et à livrer concurrence. La Tax Cuts and Jobs Act de 2017 aux États-Unis abaisse les taxes sur la bière tandis que le Canada fait le contraire.
Du début de 2017 à la fin de 2019, le Canada aura ajouté 63 millions de dollars en coûts d’accise sur la bière, tandis que les États-Unis réduisent le fardeau d’accise fédéral de 280 millions de dollars. Au début de 2017, un brasseur qui produisait un million d’hectolitres de bière au Canada était assujetti à un taux d’accise de 60 p. 100 supérieur à celui d’un brasseur américain ayant la même production. En avril 2019, la différence s’élèvera à 93 p. 100.
Les Canadiens savent qu’ils payent plus pour la bière que leurs voisins du Sud. Ils le savent parce qu’ils vont aux États-Unis et reviennent en disant à quel point la bière est chère ici. Bière Canada cherche à expliquer cette situation, à expliquer que les Canadiens versent 20 $ de taxe pour une caisse de bière, alors que les Américains ne payent que 4 $. L’organisme tente aussi d’expliquer que les gouvernements fédéral et provinciaux empilent les taxes les unes sur les autres en espérant que les Canadiens ne le remarqueront pas.
Bière Canada croit que l’approche fondée sur une faible taxe sur le cannabis proposée par le projet de loi C-74 est déraisonnablement faible dans le contexte des taxes élevées sur la bière que payent les consommateurs canadiens. Ce n’est pas juste pour les consommateurs de bière canadiens. Il n’est pas raisonnable que le gouvernement fixe les taxes sur la marijuana à un niveau aussi bas, tout en augmentant l’un des taux de taxe sur la bière les plus élevés au monde, et ce, année après année.
Bière Canada exhorte le Comité des finances nationales à tenir compte des répercussions qu’aura sur les ventes de bière et les recettes du gouvernement l’imposition d’une faible taxe sur la marijuana. Les taxes plus élevées sur la bière n’inciteront pas les brasseurs canadiens à investir dans leurs installations, et les ressources humaines, et n’aideront pas non plus à inverser le déclin dans les ventes de bière.
Le Canada doit avoir une approche plus équilibrée en matière de politique fiscale juste, tant pour les consommateurs de bière que pour les brasseurs. Nous demandons que les augmentations à venir de la taxe d’accise fédérale soient éliminées et que le gouvernement envisage un taux de taxes plus élevé sur les produits de marijuana, un taux qui sera plus conforme à son approche relative aux produits concurrentiels. Merci.
Allan Rewak, directeur général, Conseil Cannabis Canada : Je vous remercie de nous donner l’occasion de présenter au comité notre point de vue sur le projet de loi C-74.
Le Conseil Cannabis Canada est une association commerciale de tous les producteurs de marijuana thérapeutique autorisés par Santé Canada en vertu du RACFM. Notre groupe a récemment procédé à une transition importante et positive dans le cadre de notre récente réunion générale annuelle. Il y a tout juste deux semaines, les membres de l’Association Cannabis Canada, le Conseil canadien du cannabis médical et la Canopy Growth Corporation se sont réunis en une seule organisation d’intervenants, le Conseil Cannabis Canada.
Notre objectif est d’être une ressource pour vous, les décideurs, pour la collectivité et pour les médias afin de bien faire les choses en ce qui concerne la politique sur le cannabis surtout lorsqu’il est question de taxation, de production et de nouvelles formes posologiques.
Notre organisation renforcée et élargie peut maintenant dire avec confiance qu’elle représente la vaste majorité des producteurs autorisés du pays, y compris les grands producteurs qui ont investi des centaines de millions de dollars dans nos collectivités et qui continueront à le faire, tout comme les plus petits producteurs artisanaux, qui créent des emplois dans les petites régions du pays.
Nous croyons à la création d’un cadre commun d’inclusion pour nos membres et pour les Canadiens. C’est la raison pour laquelle nous voulons vous parler de la composante liée à la taxe d’accise du cadre fiscal proposé dans le projet de loi C-74 relativement au cannabis médical.
Comme bon nombre d’entre vous le savent sans doute, notre industrie et nos patients s’inquiètent à juste titre de l’application d’une sainte taxe sur des médicaments. C’est une mesure qui touchera plus de 300 000 Canadiens et, selon nous, c’est une mesure injuste.
Nous reconnaissons et apprécions les efforts déployés par le gouvernement fédéral dans le projet de loi C-74 pour trouver un juste équilibre entre le fait de répondre aux besoins des patients tout en reconnaissant que des consommateurs adultes qui consomment du cannabis devraient et doivent être taxés équitablement. Nous sommes heureux de payer notre juste part à cet égard.
Cependant, les seuils proposés pour être exclus de la taxe d’accise proposée dans le projet de loi C-74 sont problématiques et trop normatifs. Le mélange proposé CBD/THC de 0,3 p. 100 pour le THC exclurait en fait tout sauf 1 p. 100 du cannabis thérapeutique actuellement vendu. En fait, il resterait 0,6 p. 100, et nous croyons que c’est beaucoup trop peu.
En fin de compte, le THC joue un rôle important dans divers traitements thérapeutiques. Le THC a une incidence sur la vie des gens aujourd’hui. Qu’il s’agisse du syndrome de Dravet, du VIH ou des traitements contre le cancer, les gens bénéficient de la consommation de cannabis et se détournent des opioïdes. Ce n’est pas quelque chose qu’il faut combattre, c’est quelque chose qu’il faut encourager.
C’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui, et non pas pour vous parler du cadre général d’accise que nous approuvons. Nous devons pousser les consommateurs illégaux, qui ne paient pas de taxes et qui soutiennent des organisations criminelles, à adopter le marché légal où nous pourrons percevoir des taxes, bâtir une industrie dominante à l’échelle mondiale et continuer d’investir dans nos collectivités. Nous voulons que ces revenus fiscaux servent à bâtir des hôpitaux, des routes et des infrastructures, pas à subventionner le crime organisé.
En même temps que nous nous attaquons à ce vaste problème social, il faut aussi s’assurer de protéger les droits et besoins des patients. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici pour recommander que Santé Canada exclue le cannabis thérapeutique de la taxe sur le tabac et l’alcool durant la première année. Il faut bien faire les choses.
Nous demandons au comité de recommander au gouvernement fédéral de créer un groupe de travail plutôt que de taxer des patients innocents. Ce groupe de travail pourrait évaluer de quelle façon encadrer le système du cannabis thérapeutique et de quelle façon l’exploiter et en assurer la croissance en collaboration avec des professionnels de la santé, des défenseurs des patients et l’industrie, en prévoyant des seuils appropriés pour la teneur en CBD/THC aux fins d’exclusion de l’application de la taxe d’accise.
En ce qui a trait aux commentaires de Bière Canada sur la taxation injuste appliquée à la consommation de cannabis par des consommateurs adultes, je dois signaler avec respect mon désaccord. Je le dis parce que nous sommes heureux d’investir dans les collectivités canadiennes. Nous continuerons de le faire. Nous ne créons pas un nouveau marché. Nous tentons d’attirer vers un système légal les 22 p. 100 de Canadiens qui consomment illégalement du cannabis, que ce soit chaque jour, chaque semaine ou deux fois par mois. À mesure que ce système prendra de l’ampleur, arrivera à maturité et se développera, nous pourrons voir là un processus d’intégration progressif et nous continuerons à définir des taux de taxation appropriés pour notre industrie.
Nous sommes prêts à investir au Canada. Nous sommes prêts à veiller à ce que les enfants n’aient pas accès au cannabis. Nous sommes prêts à empêcher le crime organisé de faire des profits. Nous sommes aussi prêts à défendre les droits de nos patients.
C’est la raison pour laquelle nous encourageons respectueusement le comité et les honorables sénateurs à recommander au gouvernement d’exclure le cannabis thérapeutique de l’application de la taxe d’accise durant la première année tandis que nous étudions la question et créons un système médical approprié. Merci.
Sarah Diamond, directrice générale et conseillère juridique, Halton Regional Police Association, à titre personnel : Avant d’occuper le poste de directrice générale et de conseillère juridique de la Halton Regional Police Association, j’ai également été agente en uniforme dans la ville de Toronto. J’ai travaillé pour le Service de police de Toronto et, avant cela, j’étais avocate sur Bay Street.
J’espère vous présenter aujourd’hui un point de vue axé sur les entreprises et les aspects budgétaires, commerciaux et en plus de refléter l’incidence d’un régime de légalisation sur les agents de première ligne.
Je limiterai mes commentaires au marché récréatif. J’aimerais vous donner un aperçu du marché actuel, comme je l’appelle. Il est aussi connu sous le nom de marché illicite, et c’est quelque chose qui est mal défini ou pas assez souligné lorsqu’on parle de la légalisation de la marijuana.
Si les objectifs du projet de loi sur la légalisation de la marijuana sont de réduire la consommation par les jeunes, d’assurer la sécurité des consommateurs, de générer des recettes grâce à des taxes et, plus particulièrement, de détourner les profits des mains des criminels, j’espère avoir le temps d’établir dans le temps qui m’est alloué que la première étape doit être l’élimination du marché actuel. Je crois que le fait de taxer le marché légal aura un impact important sur ce processus. Plus précisément, je crains que le marché illicite puisse continuer de prospérer si le régime fiscal n’est pas correctement appliqué d’entrée de jeu.
Dans un premier temps, j’aimerais discuter de la nature du marché. Ensuite, j’aimerais décrire brièvement qui sera la compétition du gouvernement. Troisièmement, j’offrirai une brève explication en ce qui a trait à l’établissement actuel des prix et à la rentabilité parce que je crois que c’est extrêmement pertinent.
Le marché actuel, le marché illicite, existe depuis des décennies. En fait, il n’a fait que gagner en force, particulièrement depuis l’annonce de la légalisation de la marijuana consommée à des fins récréatives. Le marché est tellement important, sain et solide qu’un expert provincial m’a décrit le travail d’application de la loi connexe comme étant une tâche colossale et un exercice futile.
Le marché actuel est très perfectionné, fortement capitalisé, largement établi, et de portée internationale. Il y a aussi une notion d’égalité des chances, ici, puisque ce marché a des clients de tous âges, de toutes races et de tous les milieux socioéconomiques. Il n’est pas composé ou dominé par ce que ma mère appellerait les durs du quartier, comme c’était probablement le cas par le passé. Je dirais que sa composition est un aspect crucial de sa réussite en tant que marché.
Actuellement, le marché est dominé par les bandes de motards criminalisées, le crime organisé traditionnel, les gangs de rue qui sont passés de petits groupes épars à ce que j’appelle des conglomérats et d’autres groupes de personnes qui se sont regroupées à des fins corporatives plus traditionnelles, tout en respectant la définition d’organisation criminelle.
Comme le marché est dominé par des organisations criminelles, on est aux prises avec d’importants réseaux criminels d’un point de vue géographique et d’autres activités criminelles qui incluent le trafic de stupéfiants, comme la cocaïne et l’héroïne, et la traite de personnes. Autrement dit, il est rare de se limiter au trafic de la marijuana. Il y a toujours d’autres secteurs générant des recettes plus élevées qui y sont associés.
En raison de l’étendue des réseaux et du niveau de capitalisation, les activités d’application de la loi sont souvent considérées par ces intervenants comme étant ce que j’appellerais le coût de faire des affaires. Il n’est pas du tout inhabituel actuellement qu’une importante descente permette de récupérer 150 kilogrammes de marijuana séchée, par exemple. Les gens qui font partie de l’organisation haussent à peine le sourcil lorsqu’ils perdent une telle quantité de drogue, parce que leur réseau leur permettra d’avoir un nouvel approvisionnement en quelques jours, ce qui m’amène à mon point suivant.
En ce qui concerne mes interactions avec des producteurs légitimes, dans la situation actuelle, avant l’imposition de toute taxation, j’estime que les producteurs légitimes ne peuvent pas livrer concurrence au marché illicite en ce qui a trait au coût de production ou aux revenus de vente au gramme. Je vais vous parler de tout cela en fonction du prix par gramme.
On m’a dit que les coûts pour les producteurs autorisés légitimes — et, si j’ai bien compris, il y en a entre 90 et 100 à l’heure actuelle — se situent entre 1,50 $ et 3 $ le gramme. Ce prix inclut des facteurs comme les coûts d’électricité, des engrais, du sol, de l’équipement, de l’éclairage, de la ventilation, des systèmes informatiques ou de tout ce dont une entreprise légitime a besoin pour réussir.
À l’opposé, les cultivateurs illicites peuvent produire un gramme pour si peu que 10 ou 20 cents ou, tout au plus, 1 $ par gramme. Ces personnes volent souvent leur électricité. Elles possèdent peu d’infrastructures essentielles, voire aucune, elles adoptent des pratiques de travail inappropriées et ne paient aucun impôt.
Pour ce qui est de la chaîne d’approvisionnement, les producteurs légitimes autorisés vendent à l’étape suivante de leur chaîne leur production de 8 à 12 $ le gramme, tandis que, sur le marché illicite, on parle plutôt de 2 ou 3 $ le gramme, une différence importante.
De là, sur le marché illicite, on passe à l’utilisateur final, qui paie entre 10 à 20 $ le gramme, selon la qualité ou la qualité perçue. En fait, certaines organisations sont si évoluées, qu’elles possèdent toute la chaîne d’approvisionnement et peuvent tout faire, du début à la fin.
L’incidence sur les grands producteurs mieux organisés qui, en moyenne, ont de cinq à sept points de vente actuellement c’est que, au bas mot, ils tirent des revenus bruts de 8,5 millions à 18 millions de dollars par année, soit environ 75 p. 100 de profit directement pour eux. Ils perçoivent régulièrement des produits tirés de saisies valant de 250 000 $ à 1 million de dollars dans le cadre d’importantes initiatives d’application de la loi.
Avec une rentabilité aussi élevée, afin d’éliminer le marché illicite, le marché légitime doit avoir une chance équitable de s’établir. La meilleure possibilité serait d’éliminer le marché noir.
Les taxes n’auront, bien sûr, aucune incidence sur le marché noir ou sur le marché illicite, mais, comme le directeur parlementaire du budget serait probablement mieux placé que moi pour vous le dire, les taxes imposées au marché légitime pourraient être un facteur déterminant majeur quant au niveau de réussite du cadre général, y compris l’objectif d’éliminer le marché illicite. Merci.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie tous de vos exposés. Je vais commencer par Mme Diamond, parce qu’elle a fourni des renseignements assez intéressants. Elle a mentionné le directeur parlementaire du budget, que nous devons rencontrer plus tard cet après-midi.
Lorsque je pense au marché illicite, j’imagine qu’il s’agit d’un secteur privé où tout est mis en place pour favoriser les affaires. Vous semblez dire la même chose. Je ne vois pas en quoi la légalisation du cannabis pourrait avoir une incidence importante sur le marché noir. Vous avez dit à peu près la même chose, mais en utilisant des termes différents.
L’un des objectifs du gouvernement en ce qui a trait à la légalisation du cannabis, c’est de réduire les activités criminelles en imposant de lourdes sanctions pénales à ceux qui ne respectent pas le cadre juridique. Même le directeur parlementaire du budget estime que 50 p. 100 — et c’est selon mon interprétation — viennent du marché illicite.
J’aurais pensé que, si les gens ont le choix de payer, même un prix plus élevé, pour un produit venant d’un approvisionnement réglementé, la majorité le ferait.
Pourquoi ne croyez-vous pas que c’est vers de tels fournisseurs que les gens se tourneront pour acheter leur cannabis plutôt que vers le marché illégal, alors qu’ils ne savent pas exactement ce qu’ils achètent, même si le produit coûte moins cher?
Mme Diamond : Je dirais qu’il y a un certain nombre de facteurs qui entrent en jeu. Je pense que la commodité sera un facteur important. Je crois savoir que deux dispensaires ont été approuvés dans la région : un dans la région de Barrhaven, et l’autre quelque part dans le sud-ouest d’Ottawa. Ce serait un assez grand défi de se rendre à l’un de ces dispensaires légaux. S’ils ne sont pas assez accessibles, ce sera déjà là un facteur.
Je pense qu’il faut vraiment reconnaître le fait que le marché actuel est un véritable marché. Il y a des images de marque, de la publicité. Lorsque je dis que ce marché est perfectionné, ce que je dis, c’est qu’il est exploité de façon assez similaire à la façon dont tous les autres marchés que nous connaissons le sont.
Les gens veulent des choses précises. Avec le temps, si les gens ont l’impression qu’un produit est meilleur et que le prix est à tout le moins compétitif, peut-être qu’on réussira à les attirer.
La sénatrice Marshall : Vous voulez dire vers le marché légal?
Mme Diamond : Vers le marché légal ou le marché légitime. C’est la raison pour laquelle je dis que, du moins dans un premier temps, il faut selon moi éliminer le marché noir. Le prix sera un facteur déterminant à la lumière de tout ce qu’on a vu. Avec une marge de profit de 75 p. 100, le marché illicite a beaucoup de marge de manœuvre. Les criminels peuvent réduire leurs prix de façon importante et tout de même faire beaucoup d’argent. Le cannabis restera un de leurs secteurs d’activités.
Même si ces gens continuent de produire du cannabis illégalement, du point de vue des producteurs, c’est intéressant de noter qu’il y a un très grand marché au sud de la frontière pour les produits canadiens. Le cannabis canadien est renommé pour sa qualité et est très recherché, particulièrement aux États-Unis. Si on ne peut pas le vendre ici, on peut l’exporter aux États-Unis en échange de cocaïne ou d’armes à feu, par exemple.
Le marché continuera d’exister. Le mieux qu’on peut espérer, c’est exactement ce que vous croyez qui arrivera, c’est-à-dire que le consommateur moyen décidera de se tourner vers le marché légal. Je crois vraiment que le prix sera un facteur déterminant.
La sénatrice Marshall : Je vais demander à M. Harford de se joindre à la discussion. Il propose des taxes plus élevées sur le cannabis. Ce qu’il suggère contredit vos propos. Vous dites qu’il faut réduire les taxes, et il dit qu’il faut les augmenter. C’est ainsi que j’interprète les choses.
Monsieur Harford, vous parlez d’augmenter les taxes, parce que vous considérez la bière et le cannabis comme des produits récréatifs. En ce moment, en raison de la différence des taxes, les gens pourraient choisir le cannabis plutôt que la bière. C’est mon interprétation de ce que vous dites.
M. Harford : C’est exact. Dans les marchés américains qui sont devenus légaux, nous avons constaté une baisse importante du prix de gros de la marijuana.
Nous disons que la modélisation que le gouvernement a utilisée pour établir son taux d’accise de 25 cents et une taxe de 75 cents pour les provinces repose sur un prix qui ne reflète pas ce qui se produira, à notre avis, et ce qui s’est produit aux États-Unis.
C’est une conversation intéressante à avoir par rapport à la façon dont le gouvernement doit maintenant utiliser la taxation et l’établissement des prix pour vaincre le marché noir. S’il souhaite vraiment y arriver, pourquoi ne choisirait-il pas d’être le propriétaire et de donner le produit gratuitement? Il pourrait ainsi éliminer le marché noir et avoir le monopole.
Dans des moments comme ceux-ci, lorsque vous avez une taxe de 43 p. 100 sur une demi-douzaine de bières et que vous proposez une taxe de 23 p. 100 sur un gramme de marijuana, nous croyons que c’est injuste. Nous croyons que la modélisation effectuée ne reflète pas l’information que nous obtenons des États-Unis, soit que les prix vont diminuer d’eux-mêmes.
La sénatrice Marshall : Cela donne l’impression qu’une bonne partie de la compétition ne va pas venir du marché du cannabis légal. Elle viendra du marché noir. Vous ne comparez pas des pommes avec des pommes.
Je sais que mon temps est presque écoulé. Monsieur Rewak, vous parliez de la taxation de la marijuana à des fins médicinales. Quels arguments avez-vous fait valoir auprès du gouvernement? J’ai reçu beaucoup de courriels et d’observations sur cette question, donc pourriez-vous juste nous dire quels arguments vous avez fait valoir auprès du gouvernement? Il a pris une décision consciente en ce qui concerne la taxation. Pourriez-vous juste nous renseigner?
M. Rewak : Nous avons été très uniformes dans notre position en ce qui concerne tant le fait de payer notre juste part pour le cannabis destiné à des consommateurs adultes que la migration des consommateurs d’un marché illégal vers un marché légal.
Nous avons été clairs au sujet de la taxation du cannabis à des fins médicinales. Nous croyons que toutes les formes de taxation des médicaments sont mauvaises. Nous avons plus de 300 000 Canadiens, et je suis sûr que vous l’avez vu dans le Globe and Mail... Nous voyons une transition entre la consommation d’opioïdes et la consommation de cannabis, mais les opioïdes sont exempts de taxes. Nous croyons que c’est une erreur. Nous estimons que le cannabis devrait être traité de la même façon. Nous devrions apprendre à bien le calibrer.
Nous avons été uniformes en ce qui concerne l’absence de taxation. Nous reconnaissons les préoccupations du gouvernement, qui veut s’assurer que le système est à l’abri des abus, et nous avons donc toujours proposé de travailler avec lui pour déterminer les bons seuils et les troubles appropriés au sein de la communauté médicale pour nous assurer que les patients ne paient pas de taxes sur les médicaments.
La sénatrice Marshall : Vous avez présenté des observations au gouvernement, au ministre Morneau.
M. Rewak : C’est exact, mais nous avons aussi soutenu les défenseurs des droits de nos patients, parce que c’est pour eux que cela compte vraiment. Je suis sûr que vous êtes nombreux à avoir entendu parler de CAEMM, Canadiens pour l’accès équitable à la marijuana médicale. L’organisation a lutté activement pour leurs droits à l’accès équitable aux médicaments.
Notre philosophie ne consiste pas à parler pour les patients; il s’agit plutôt de leur donner le pouvoir de le faire. Au bout du compte, il importe de préciser que l’exclusion du cannabis à des fins médicinales nous coûtera de l’argent en tant que producteurs. Nous nous préparons tous au marché des consommateurs adultes. Nous investissons des millions et des millions de dollars dans des emballages et des chaînes de transformation. Il serait beaucoup plus facile pour nous d’estampiller un timbre sur chaque produit qui sort de la chaîne.
Nous adoptons cette position parce que nous croyons que les Canadiens ne devraient pas payer de taxes sur les médicaments. Nous croyons que c’est une mauvaise chose. Nous soutenons nos patients à cet égard.
Le sénateur Pratte : Monsieur Harford, si je vous comprends bien, les producteurs de bière voient maintenant le cannabis comme un concurrent, est-ce exact?
M. Harford : Oui.
Le sénateur Pratte : Je trouve intéressant que vous les voyiez comme un concurrent. Ainsi, puisque la taxe d’accise sera très basse, vous les voyez comme étant en mesure de vous faire de la concurrence déloyale au chapitre du prix.
M. Harford : On leur accorde un avantage fiscal injuste par rapport à ce qu’on donne à une industrie établie depuis 400 ans au pays.
Le sénateur Pratte : Du point de vue du gouvernement, je ne peux remonter si loin en arrière dans le temps, mais je suis sûr que lorsque les gouvernements ont commencé à imposer une taxe sur le vin, la bière et l’alcool, c’était généralement à un niveau assez bas, et cela a augmenté progressivement. Je suppose que c’est probablement ce qu’il fera avec le cannabis. Il va commencer à un niveau bas pour être en mesure de déplacer le marché illicite, on l’espère, puis, si le Colorado est un exemple, il va rapidement se rendre compte qu’il peut peut-être se permettre d’imposer une taxe légèrement supérieure, et il le fera.
C’est peut-être simplement une question d’être assez patient. Je suis sûr que si le gouvernement se rend compte qu’il peut gagner plus d’argent, il le fera.
M. Harford : Je n’ai aucun doute que c’est vrai. J’essaie d’exprimer la préoccupation de l’industrie. Le gouvernement a proposé un mécanisme pour augmenter la taxe sur la bière chaque année, et en même temps, il introduit une taxe basse sur la marijuana. Cela crée un environnement qui n’est pas attrayant pour les investissements et qui ne semble pas offrir de possibilités pour ce qui est de pouvoir livrer une vive concurrence.
Le sénateur Pratte : Monsieur Rewak, je crois comprendre que vous suggérez la création d’un groupe de travail qui serait chargé d’établir le seuil approprié avec le gouvernement.
Y a-t-il une raison évidente pour laquelle le gouvernement a choisi le seuil de 0,3 p. 100? Y a-t-il une raison ou quelque raison que ce soit qui explique ce seuil?
M. Rewak : Nous sommes en réalité un peu confus par rapport à cela. Nous avons des bienfaits prouvés en ce qui touche le cancer, le VIH et la spasticité avec la sclérose en plaques. La plupart des huiles de cannabis disponibles qui procurent des bienfaits thérapeutiques doivent généralement comprendre une certaine teneur en THC. Je connais une huile qui est vendue dans le marché canadien et qui présente une teneur en THC parmi les plus faibles : c’est une des huiles CanniMed. C’est le premier producteur autorisé au Canada qui a récemment été acquis par Aurora Cannabis. C’est une teneur en THC de 0,7 p. 100. C’est une dose si faible que les effets psychotropes sont négligeables.
Cela veut dire qu’un patient qui en donne à un enfant souffrant du syndrome de Dravet va payer des taxes sur ce médicament, et les opioïdes seraient gratuits. Je pense que c’est une mauvaise chose.
Le sénateur Pratte : Vous avez dit que cela profiterait à 0,6 p. 100 des patients.
M. Rewak : Ce chiffre est fondé sur les ventes des seuils réels de cannabis pour ce produit. En réalité, certains produits sont principalement des fleurs séchées, plutôt que des huiles. Nous faisons la transition vers les huiles et les capsules de gel pour la consommation à des fins médicinales. C’est mieux pour assurer le contrôle du dosage. C’est une question de sécurité. Les parents et les membres de la famille estiment que c’est plus sécuritaire.
Du point de vue de l’industrie, nous croyons que c’est bénéfique, parce que cela ne banalise pas le fait de fumer chez les jeunes, quelque chose dont nous sommes très conscients.
La production d’huile a augmenté de 800 p. 100 chaque année. Elle va continuer d’augmenter, et nous croyons que cela deviendra le point de distribution normatif pour les médicaments. Nous devons acquérir de meilleures connaissances pour déterminer des seuils différents. C’est quelque chose qui se produira uniquement après l’adoption du projet de loi C-45. Nous n’avons juste pas encore les données probantes, parce que pendant 94 ans, tout le monde avait peur d’étudier cette chose.
Le sénateur Pratte : Comment prévoyez-vous régler le problème selon lequel, à mesure que vous augmentez le seuil, il y a évidemment un risque que les gens veuillent profiter du fait que le cannabis est exempt de taxes pour en consommer à des fins récréatives?
M. Rewak : Cette question a été soulevée. Nous avons la possibilité de vraiment créer quelque chose de spécial au Canada. Le marché thérapeutique mondial, qui compte 30 pays qui légalisent le cannabis à des fins médicinales, sera une industrie de 75 milliards de dollars centrée au Canada d’ici 2025. Ce marché devrait seulement exister s’il est légitime.
Je dirais au comité que les mélanges de CBD et de THC ne sont pas les facteurs qui définissent complètement les répercussions du cannabis. Les terpènes comptent, et tout le reste en fait partie. Personne ne va déjouer le système pour du cannabis dont la teneur en THC est de 12 p. 100 lorsque vous pouvez acheter du cannabis ayant une teneur en THC de 17 ou de 23 p. 100 dans votre boutique de cannabis de l’Ontario.
Ça ne sera simplement pas quelque chose qui va le stimuler. Ce serait l’équivalent de vendre une bière qui a une teneur en alcool microscopique, par opposition au type de bière que nous achèterions au magasin. Cela n’arrivera tout simplement pas, parce qu’un meilleur cannabis pour l’expérience des consommateurs sera disponible à votre magasin du coin.
Le sénateur Pratte : Peu importe les seuils qui finiront par être choisis pour le cannabis médicinal, vous croyez que ce seraient habituellement des seuils inférieurs à ce que les consommateurs préféreraient pour le cannabis récréatif.
M. Rewak : Absolument. Dans les rares cas où un seuil de THC supérieur serait lié à un trouble particulier ou à un trouble prouvé qui pourrait être supérieur à ce seuil, nous croyons que les professionnels de la santé devraient vraiment définir ce que cela représente, de sorte que seules les personnes qui ont les troubles particuliers, que ce soit le VIH ou un cancer, puissent accéder à un seuil supérieur qui n’est pas assujetti à la taxe d’accise.
Personne ne veut pénaliser les vétérans. Personne ne veut pénaliser ceux qui souffrent du VIH. Personne ne veut pénaliser ces personnes. Nous devons seulement travailler ensemble afin de trouver les bons niveaux.
La sénatrice Eaton : Mes questions s’adressent à M. Harford. Je ne peux pas croire que le gouvernement s’en est tiré en imposant une taxe ascenseur sur la bière. C’est une industrie qui emploie beaucoup de personnes. Nous avons déjà vu des problèmes lorsqu’une province prend une trop grande part, comme c’est le cas entre le Québec et le Nouveau-Brunswick.
Pensez-vous que c’est parce que vous n’avez pas un lobby fort? Est-ce parce que vous n’avez pas perdu assez d’emplois? Pourquoi croyez-vous que le gouvernement a trouvé cela si facile d’imposer une taxe ascenseur?
M. Harford : C’est possible que nous ne parlions pas suffisamment de nos répercussions économiques, mais assurément, le budget fédéral de 2017 a motivé et mobilisé les troupes, pour ainsi dire. Nous avons lancé notre campagne « Supprimez les hausses de taxes sur la bière » sur notre plateforme, parce qu’il y a eu 45 augmentations de taxes distinctes depuis 2010 dans l’ensemble des provinces et du pays.
Nous avons vu que les augmentations de taxes sur la bière sont le double du taux de l’inflation. En janvier, nous avons publié notre étude qui révélait que la vente de bière permet de soutenir 149 000 emplois. C’était 163 000 en 2013.
La sénatrice Eaton : En guise de comparaison, les prix de la bière sont nettement inférieurs aux États-Unis. J’imagine que c’est surtout attribuable aux taxes.
M. Harford : Nous venons de faire paraître une étude hier qui compare les taxes sur la bière au Canada et les taxes sur la bière aux États-Unis. En moyenne, il y a une taxe de 20 $ sur une caisse de bière au Canada. C’est 4 $ sur tous les 51 États américains.
La sénatrice Eaton : Croyez-vous qu’elle est presque entièrement responsable des 20 000 emplois perdus entre 2013 et maintenant?
M. Harford : La taxation fait grimper le prix de la bière et pousse assurément les gens à se tourner vers d’autres choses.
La sénatrice Eaton : Le cannabis vient juste d’arriver dans le portrait. Avant le cannabis, les gens se tournaient vers le vin?
M. Harford : Le vin, les spiritueux, le café et le thé sont des marchés surchargés. Nous croyons que, à l’échelle fédérale et provinciale, ce qui est attirant au sujet des taxes sur la bière, c’est qu’on peut les imposer sans en parler. C’est pratiquement caché au consommateur. On a la taxe d’accise, puis on ajoute les taxes provinciales, et la TVP et la TPS viennent s’ajouter automatiquement.
Les gouvernements cherchent des sources de revenus, mais ne vont pas les demander aux Canadiens, et ils essaient donc de les dissimuler dans les taxes sur la bière.
La sénatrice Eaton : Avez-vous comparé le taux des taxes qu’on impose à un produit fabriqué au Canada à la façon dont les vins canadiens sont taxés? Est-ce égal, ou est-ce que les taxes sur les vins canadiens sont de beaucoup inférieures?
M. Harford : C’est un peu différent dans chaque province. À l’échelle fédérale, nous sommes taxés à des taux différents. Vous payez une taxe d’accise sur la toute première goutte de bière que vous produisez, tandis que si vous êtes un viticulteur 100 p. 100 canadien, qui utilise uniquement des produits agricoles canadiens, vous ne payez pas de taxe d’accise. Il y a là une différence.
La sénatrice Eaton : Les vignerons ne sont taxés qu’à la vente.
M. Harford : Ils acquittent la majoration imposée par la régie des alcools provinciale, puis la TVP et la TPS, tout comme dans le cas de la bière.
La sénatrice Eaton : Vous payez toutes ces taxes en plus d’une taxe d’accise.
M. Harford : C’est exact.
La sénatrice Eaton : Nous savons qu’un pourcentage important de notre population vit au bord de la frontière. Avez-vous déjà effectué des études qui montrent les ventes de bière potentielles que vous perdez en raison des gens qui traversent la frontière?
M. Harford : Nous n’avons pas de chiffres à ce sujet. Ce qui nous a motivés à mener l’étude que nous avons publiée hier, c’était tous les commentaires formulés par les Canadiens quand nous avons lancé notre campagne, en janvier. Nous avons reçu plus de 20 000 commentaires sur notre page Facebook. Cinquante mille Canadiens se sont inscrits à notre plateforme de campagne.
De nombreuses personnes ont mentionné la mesure dans laquelle la bière est bien plus abordable aux États-Unis : « Voilà pourquoi j’achète ma bière aux États-Unis. » C’est pour cette raison que nous avons décidé de procéder à une étude approfondie et d’examiner la taxe provinciale applicable à une caisse de bière par rapport à la taxe imposée sur une caisse de bière dans un État frontalier.
Elle est beaucoup plus élevée. La taxe applicable à une caisse de bière est en moyenne cinq fois plus élevée au Canada qu’aux États-Unis.
La sénatrice Eaton : Je vais terminer par un commentaire. Je suis une femme qui aime boire de la bière, surtout en été.
La sénatrice Moncion : Moi aussi.
La sénatrice Eaton : Si on la boit dans une coupe à vin avec de la glace, c’est délicieux. J’ai mes marques préférées.
On ne voit pas souvent des publicités de bière qui s’adressent aux femmes. Vous penserez à la sénatrice Moncion et à moi la prochaine fois que vous en ferez une. On voit toujours de gros costauds.
M. Harford : Bien sûr. Si vous pouviez seulement mettre ce message dans une bouteille, je la rapporterais à mes membres en disant : « Voici un problème à corriger. »
La sénatrice Eaton : Merci.
La sénatrice Moncion : Pourquoi pensez-vous que la bière est taxée dans une telle mesure?
M. Harford : Si nous retournons dans notre histoire, c’était parce que le gouvernement disposait de très peu d’outils pour mesurer, imposer et percevoir des taxes. C’est là qu’intervient la taxe d’accise. L’autre élément, c’est que nous reconnaissons — tout comme d’autres Canadiens — qu’il ne s’agit pas d’une nécessité. C’est un luxe que de pouvoir acheter de la bière, tout comme ce sera le cas du cannabis récréatif, alors le gouvernement fait payer les Canadiens pour ce privilège.
Nous n’affirmons pas que nous nous opposons à la taxation. Nous disons que trop, c’est trop. Nous ne voulons pas que les taxes augmentent davantage. Elles comptent déjà pour la moitié du prix de la bière, et nous voulons simplement faire cesser leur augmentation.
La sénatrice Moncion : Je comprends. L’argument que vous utilisez selon lequel les gens achètent de la bière aux États-Unis parce qu’elle coûte moins cher s’applique aussi aux gens qui achètent des vêtements en ligne pour la même raison. Une grande part du marché canadien va à des entreprises américaines parce que les Canadiens veulent payer moins cher.
Le problème, c’est la taxe. Ce n’en est pas un de consommation. Grâce au système en ligne, les consommateurs peuvent acheter tout ce qu’ils veulent. Je ne pense pas qu’ils puissent acheter de la bière et se la faire livrer, mais ils peuvent aller la chercher.
Je considère cet argument comme une question de choix pour le consommateur.
M. Harford : C’est certain. Tout ce que nous disons, c’est qu’actuellement, aux États-Unis, on réduit les taxes sur la bière, alors que nous les augmentons.
Le gouvernement cherche des façons d’augmenter la valeur ajoutée des industries agricoles. La bière en fait partie. Notre question est la suivante : pourquoi crée-t-on un environnement où il est moins attrayant d’investir que chez nos voisins du Sud?
La sénatrice Moncion : Madame Diamond, vous affirmez que le coût de la production de cannabis au Canada est de l’ordre de 1,50 $ à 3,50 $. Je pense que vous avez affirmé que nous devrions le vendre à ce prix si nous voulons nous débarrasser du marché illégal. Dans ce cas, le marché noir ne s’y intéresserait pas parce que le prix serait trop modique.
Vous ai-je bien comprise?
Mme Diamond : Je ne proposais pas de prix. J’espérais plutôt faire valoir un point de vue à la lumière de la différence importante entre la marge de profit des producteurs légitimes et celle des producteurs illicites. Si les taux de taxation ne sont pas fixés adéquatement, le prix écartera les producteurs légitimes du marché. L’effet sera insuffisant pour avoir une incidence sur le marché noir.
Si on en produit pour 10 à 20 cents le gramme par rapport à une moyenne de 2 $ le gramme, c’est une différence importante. Sans aucun des coûts indirects, les marges de profit sont incroyablement différentes.
La sénatrice Moncion : Monsieur Rewak, je souscris complètement à votre opinion selon laquelle le cannabis thérapeutique ne devrait pas être taxé. Si nous devions envisager de réduire le prix de la marijuana parce que nous voulons nous débarrasser du marché illicite ou, du moins, lui causer du tort, comment envisageriez-vous cette proposition?
M. Rewak : Dans un monde parfait, nous traiterions cela comme un processus intégratif. Nous n’appliquerions aucune taxe durant la première année, jusqu’à ce que nous soyons prêts et ayons pleinement compris la dynamique du marché.
Une grande partie du coût et de la structure d’établissement des prix sera influencée par le commerce de détail et les réseaux de distribution provinciaux, car, sur la plupart des marchés, il y aura un grossiste et un distributeur provinciaux, puis un commerce de détail gouvernemental ou privé. Dans bien des cas, cela crée un intermédiaire, même là où il existe des marchés privés, lequel fait augmenter le coût.
Mme Diamond a tout à fait raison. Le coût que doivent assumer les producteurs autorisés est immense. Nous avons investi des centaines de millions de dollars au Canada. Nous allons continuer de le faire.
Ce qui est tout à fait merveilleux au sujet de cette industrie, c’est qu’un grand nombre de ces investissements sont presque contre-intuitifs. Ils sont destinés à des collectivités qui ont été anéanties par le départ de l’industrie légère. Nous arrivons et investissons dans ces installations, qu’il s’agisse d’une chocolaterie ou d’une station de compression. Nous créons des emplois à ces endroits. Nous créons la chaîne d’approvisionnement à valeur ajoutée du point de vue de l’emballage et de l’assurance de la qualité. Beaucoup de coûts se rattachent à ces activités.
Nombre de nos entreprises ne réalisent même pas encore de recettes, car elles attendent l’entrée en vigueur du projet de loi C-45. Dans un monde parfait, nous voudrions qu’aucune taxe ne soit imposée durant la première année et qu’on en impose après.
Cela dit, nous ne vivons pas dans un monde parfait. D’après les commentaires que nous formulons aujourd’hui, vous verrez que le cannabis est un peu différent. Nous sommes un secteur important, et nous continuerons de l’être. Il y a une culture, une communauté et une croyance selon laquelle il faut s’entraider et prendre soin des Canadiens.
Nous ne voyons pas d’inconvénient à payer notre juste part. Nous paierons nos taxes durant la première année. Nous sommes prêts à le faire, car nous savons que le Canada nous donne une possibilité. C’en est une que nous prenons comme une obligation sacrée. Nous reconnaissons et apprécions les taux de taxation proposés dans le projet de loi. Nous pensons qu’il s’agit d’un bon point de départ pour la première année. Nous estimerons peut-être que nous devrons réduire ce taux durant la deuxième année, ou bien que nous réussissons à remplacer le marché noir et que nous pouvons même envisager de l’accroître. Nous le ferons en collaboration avec nos partenaires du gouvernement, car nous voulons bien faire les choses.
Le sénateur Neufeld : Monsieur Harford, vous avez dit 149 000 emplois. Est-ce ce sont des emplois directs, ou bien indirects et directs?
M. Harford : Ce sont des emplois directs et indirects. Il s’agit de l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement, du cultivateur d’orge jusqu’au serveur dans le restaurant.
Le sénateur Neufeld : Ensuite, vous affirmez que la taxe compte déjà pour la moitié du prix de la bière. Quand vous en avez parlé, des questions ont été soulevées concernant une hausse des taxes.
Les gouvernements trouvent qu’il est très facile d’augmenter les taxes sur les vices de tout genre, pour être tout à fait honnête. Vous affirmez que la taxe compte pour la moitié du prix de la bière. Simplement en guise de comparaison, je voudrais que vous sachiez que, lorsque la taxe sur le carbone passera à 50 $ la tonne, le prix du carbone sera deux fois celui du gaz naturel servant à chauffer votre maison.
C’est, en fait, dans cette direction que va le gouvernement, simplement pour qu’on ne l’oublie pas. Il s’agit plus d’un commentaire que de quoi que ce soit d’autre.
M. Harford : Je vous en suis reconnaissant. Le taux de taxation de 47 p. 100 auquel je fais allusion représente l’ensemble des taxes propres aux denrées, comme la taxe d’accise, la majoration de la régie des alcools et la TVP/TPS. Les taxes sur le carbone, les taxes sur la masse salariale et toutes ces choses s’additionnent et font augmenter le prix.
Le sénateur Neufeld : Je parle non pas de la TPS ou de quoi que ce soit qui s’y rattache, mais simplement de la taxe sur le carbone.
Madame Diamond, il semble qu’il soit question de la nécessité de légaliser la marijuana afin que nous puissions nous débarrasser du marché noir.
Existe-t-il tout autre moyen dont nous pourrions nous débarrasser du marché noir? N’y a-t-il pas un quelconque autre moyen dont nous n’ayons pas fait l’essai dans le but d’éliminer le marché noir?
Mme Diamond : Je pense que nous pourrions avoir espoir qu’une application de la loi adéquate puisse fonctionner. Selon moi, les coûts seraient énormes.
Au stade où nous en sommes, nous avons permis au marché de croître. Il est devenu plus socialement accepté de consommer du cannabis à des fins récréatives au cours des 20 dernières années.
De manière anecdotique, quand j’étais au secondaire, c’était les jeunes voyous qui sortaient fumer de l’herbe. Maintenant, la consommation de cette drogue est beaucoup, beaucoup plus courante que cela, et des professionnels, des mères au foyer et des grands-parents en consomment.
Actuellement, l’application de la loi ne fonctionne pas parce que les forces de l’ordre ne disposent pas d’assez de ressources pour effectuer la quantité de travail qu’elles doivent faire. C’est en partie hors de notre contrôle; nous n’arrivons pas à avoir un réel impact.
Quand on effectue une descente, les trafiquants perdent 250 000 $ en espèces, et cela n’a aucune importance pour eux. Les sanctions qui sont imposées au bout du compte par le système de justice ne suffisent pas à dissuader les gens d’entrer sur le marché noir.
Quand je fréquentais la faculté de droit de Windsor, on nous mettait fortement en garde contre le fait de traverser la frontière avec de la marijuana en raison des peines qui étaient imposées au Michigan.
Quant au marché au Colorado, dont a parlé M. Harford, je pense que c’est différent là-bas, parce que l’application de la loi n’est pas la même. Je ne pense pas que la culture avait atteint le stade où elle en est maintenant, en ce qui concerne la consommation de cannabis récréatif, au Canada. Je ne pense pas qu’on avait déjà atteint le niveau d’acceptation sociale qui prévaut au Canada depuis au moins les 10 dernières années.
C’est possible, mais je pense qu’il faudrait qu’un engagement important soit pris.
Le sénateur Neufeld : Ma dernière question s’adresse à M. Rewak. Vous parlez constamment de la marijuana comme d’un médicament, du moins d’après mon interprétation de vos propos. L’AMC approuve-t-elle cette désignation?
Je crois savoir que seulement un médecin sur neuf prescrit de la marijuana à des fins médicales. Je n’en suis pas tout à fait certain, mais c’est ce qu’on m’a dit. Vous appelez cela un médicament, mais pas eux. Qu’en est-il?
M. Rewak : La position des membres de l’AMC à ce sujet est un élément de dissension. C’est quelque chose de nouveau. Après 95 ans de prohibition, notre compréhension évolue. Je pense que nous devrions nous inspirer du Dr Mark Ware. Un grand nombre d’entre vous ont assisté au récent déjeuner, lors duquel il a décrit toutes les diverses répercussions thérapeutiques des cannabinoïdes sur le cerveau.
Ce n’est pas que lui. Le rapport intitulé The Health Effects of Cannabis and Cannibinoids a été publié en janvier 2017. Il s’agissait d’un examen complet de toutes les données scientifiques et de certaines études par observation. Comme la recherche universitaire a été touchée par une certaine prohibition, nous sommes encore en train de peaufiner ces connaissances.
Le rapport était clair. Le cannabis a des effets éprouvés sur la nausée et le vomissement induits par la chimiothérapie, sur le VIH et sur l’hypertonie spastique chez les patients atteints de la sclérose en plaques. J’ai entendu des histoires. Vous les avez observées. Certains d’entre vous ont rencontré Mandy McKnight. D’autres ont entendu l’histoire de Liam McKnight. Vous avez vu ce qu’a fait le cannabis pour cet enfant, grâce à un taux de THC très peu élevé, mais supérieur au seuil proposé. Cela fonctionne.
Nous observons des gens qui tournent le dos aux opioïdes. Vous avez tous constaté une réduction de la consommation d’opioïdes à hauteur de 32 p. 100 chez les anciens combattants des Forces canadiennes qui consomment de plus en plus du cannabis thérapeutique.
L’AMC fait des progrès, mais n’offre pas encore son soutien total; cependant nous pouvons compter sur celui de certaines associations de pharmaciens et celui de dizaines de milliers de médecins et de professionnels de la santé canadiens. J’ai personnellement entendu des histoires et constaté les avantages dans la vie des gens. Nous y sommes presque.
Le sénateur Neufeld : D’après ce que j’ai entendu, l’Association médicale canadienne est d’accord avec certains éléments, mais elle ne souscrit certainement pas à l’idée qu’il s’agit d’un médicament en raison d’une foule d’autres mesures qui doivent être prises. Nous pourrions en débattre pendant un bon moment.
Vous dites que des centaines de millions de dollars ont été investis au Canada depuis un certain temps en attendant la légalisation de la marijuana. Pouvez-vous me dire d’où proviennent ces investissements?
M. Rewak : Je crois savoir où vous voulez en venir.
Le sénateur Neufeld : Je ne veux pas en venir à quelque chose en particulier. Je vous pose la question.
M. Rewak : La plupart de ces fonds ont été recueillis sur les marchés. Nombre de sociétés de financement par capitaux propres ont fait ce type d’investissement. Récemment, des banques ont procédé à des investissements, et des organisations comme Constellation Brands et d’importants fabricants d’alcool ont investi dans des entreprises de cannabis parce qu’ils veulent avoir une part de ce miracle économique.
La réalité, c’est que le cannabis crée moins de dépendance et est moins dangereux que l’alcool ou le tabac, et 22 p. 100 de la population en consomme malgré son illégalité. Les banques, différentes organisations et d’importants fabricants d’alcool veulent leur part du gâteau.
Le sénateur Neufeld : Tout l’argent investi dont vous parlez est de l’argent provenant de sources légitimes. C’est bien ce que vous dites?
M. Rewak : Il doit l’être. L’examen de tout producteur autorisé de cannabis thérapeutique, réalisé en vertu du RACFM, est extrêmement rigoureux. Il est beaucoup plus rigoureux que pour tout autre produit dans cette pseudo-catégorie, que ce soit l’alcool ou le tabac, grâce aux vérifications de sécurité de la GRC, selon cinq degrés de séparation, et à la surveillance des membres de la famille, pour s’assurer qu’il n’y a pas de corruption ni d’élément négatif.
Je suis dans ce domaine parce que je désire qu’il y ait une transition d’un marché illégal vers un marché légal. Je crois que l’interdiction a été un échec. Nous avons une occasion économique de bâtir quelque chose au Canada et de réglementer cette industrie d’une manière qui profitera à tous. C’est ce que je veux continuer à faire.
Le président : Monsieur Rewak, si vous voulez ajouter quelque chose que vous avez déjà consigné au compte rendu à la suite de la dernière question du sénateur Neufeld, veuillez le faire par écrit par l’intermédiaire de la greffière.
M. Rewak : Absolument.
Le président : Merci beaucoup, madame Diamond et messieurs Rewak et Harford.
Nous allons poursuivre notre étude et nos discussions sur la partie 3 du projet de loi C-74. Nous accueillons maintenant Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget. Encore une fois, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation à donner votre avis et à formuler vos recommandations au Comité sénatorial permanent des finances nationales.
[Français]
Nous accueillons aussi M. Jason Jacques, directeur principal, Analyse budgétaire et des coûts, Bureau du directeur parlementaire du budget, qui accompagne M. Fréchette. Monsieur Jacques, je vous remercie d’être parmi nous.
[Traduction]
Nous recevons C.T. (Manny) Jules, commissaire en chef de la Commission de la fiscalité des premières nations. Monsieur Jules, vous faites notre fierté. Nombre de sénateurs éprouvent sans aucun doute le même sentiment. Merci d’être ici et de nous faire part de vos commentaires, de votre vision et de vos recommandations.
[Français]
Monsieur Fréchette, la parole est à vous.
Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci, monsieur le président, madame la vice-présidente, monsieur le vice-président et honorables sénatrices et sénateurs, de nous avoir invités afin de discuter de l’incidence financière de la légalisation du cannabis à des fins récréatives.
[Traduction]
Vous étudiez actuellement un cadre de taxes d’accise proposé par le gouvernement dans le budget de 2018 en vue de la légalisation du cannabis à des fins récréatives.
Plus précisément, le gouvernement du Canada imposerait une taxe d’accise de 1 $, avec une répartition fédérale/infranationale de 25/75. Vous avez le tableau devant vous parce que nous vous avons distribué notre rapport.
La part du gouvernement fédéral serait de 25 cents le gramme de fleur de cannabis, de 0,075 le gramme de retaille de cannabis, de 25 cents la graine de cannabis et de 25 cents le semis de cannabis.
En se basant sur une assiette fiscale qui repose sur des données de Statistique Canada montrant une consommation en 2017 de plus de 770 tonnes de produits tirés de la plante du cannabis et une croissance annuelle de consommation moyenne de 4 p. 100 depuis 2010, nous prévoyons que la légalisation aura lieu le 1er octobre 2018.
Les recettes nominales du gouvernement fédéral seraient de l’ordre de 50 millions de dollars en 2018-2019 et de 100 millions de dollars en 2019-2020. Ce deuxième montant a été établi compte tenu de l’engagement du gouvernement fédéral visant à imposer un plafond pendant les deux années suivant la légalisation.
En formulant l’hypothèse que la vente au détail des produits dérivés sera légalisée le 1er octobre 2019, et en se basant sur l’expérience de l’État de Washington de 2015 à 2017 pour les ratios moyens de consommation entre les produits dérivés et ceux issus directement de la plante, les prévisions des recettes fédérales augmentent à 195 millions de dollars en 2021 et à 350 millions de dollars l’année suivante.
[Français]
Enfin, je reconnais que le Sénat jette un regard critique sur la production personnelle de cannabis ou qu’il en préconise la prohibition, plus précisément. Il faut s’attendre à ce que cette production proposée de quatre plants ait une incidence à la baisse sur les ventes au détail, entre autres, pour les utilisateurs qui consomment quotidiennement et qui sont aussi les plus sensibles à la variation de prix.
La décision de certaines provinces, notamment dans l’Est du Canada, d’établir un réseau de commerce de détail moins important que ceux de certains États américains nuira aussi au mouvement des consommateurs du marché illégal vers le marché de détail reconnu. Ainsi, l’État de Washington, avec une population de 7,5 millions d’individus, compte 523 points de vente, alors qu’on dénombre 831 établissements médicaux et de détail au Colorado pour une population de 5,6 millions d’individus. Comparativement, l’Ontario, avec une population de 14,2 millions de personnes, prévoit 40 points de vente en 2018, qui augmenteront à 150 en 2020. Le Québec en prévoit 20 au début de la légalisation, et une centaine de comptoirs de vente trois ans plus tard.
Je vous remercie. Mon collègue, Jason Jacques, et moi serons heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci.
C.T. (Manny) Jules, commissaire en chef, Commission de la fiscalité des premières nations : Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant le comité dans le cadre de votre étude sur les dispositions de la Loi de 2001 sur l’accise dans le projet de loi C-74, la loi d’exécution du budget de 2018.
Le 28 février, j’ai témoigné devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui étudie le projet de loi sur le cannabis. J’ai dit craindre que le projet de loi sur le cannabis ne tienne pas compte de notre compétence en matière de fiscalité. J’ai souligné qu’on avait demandé que cela soit pris en considération avant le dépôt du projet de loi sur le cannabis en avril 2017.
À la suite de mon exposé, j’ai proposé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones une série d’amendements visant à faciliter notre compétence. Certains de ces amendements concernaient la Loi sur l’accise, mais nous ne pouvions pas compter sur le projet de loi C-74 à ce moment-là.
J’aimerais passer en revue avec vous ces amendements proposés, mais je veux préciser deux choses dès le départ.
D’abord, la Commission de la fiscalité des premières nations reconnaît le défi d’établir et de mettre en œuvre une compétence des Premières Nations en matière de fiscalité. Nous l’avons inventée. Nous savons que vous devez créer une marge fiscale pour nos gouvernements dans le projet de loi, que nos gouvernements doivent intégrer cette marge dans leurs propres lois, que vous devez utiliser une méthode efficace de recouvrement de l’impôt et que nos institutions doivent appuyer nos gouvernements dans la mise en œuvre de leurs compétences de manière efficiente et efficace.
Toutefois, cela prendra du temps. Nous sommes ravis que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soutienne notre compétence en matière de fiscalité. Nous espérons que vous l’appuyez également.
Nous osons espérer que vous allez démontrer votre engagement envers notre compétence en matière de fiscalité à court terme en apportant quelques amendements au projet de loi C-74. Nous allons ensuite travailler ensemble au cours de l’été en vue de rédiger des modifications de dispositions législatives autres que celles du projet de loi C-74 afin d’établir notre propre compétence en matière de fiscalité à l’égard du cannabis d’ici l’automne. De cette façon, l’établissement de notre compétence en matière de fiscalité n’aura pas pour effet de ralentir l’adoption du projet de loi sur le cannabis.
Pour commencer, j’ai présenté le fondement politique de notre compétence en matière de fiscalité à l’égard du cannabis en février et j’ai abordé trois points. Premièrement, le fait de ne pas reconnaître notre compétence est la différence entre la parole et les actes. L’adoption de la DNUDPA, l’établissement d’une nouvelle relation financière, la reconnaissance de nos droits et de nos compétences et d’autres engagements en matière de réconciliation doivent être mis en œuvre de manière pratique, et voici une occasion d’entamer ce processus.
Deuxièmement, la légalisation du cannabis touchera nos collectivités, et nous avons besoin d’une compétence en la matière et de recettes sûres comme les autres gouvernements au Canada.
Troisièmement, si vous faites fi de notre compétence en matière de cannabis, cela entraînera une réduction des recettes fiscales pour tous les gouvernements, comme cela s’est produit avec le tabac.
Je tiens à rappeler, tout comme je l’ai fait lors de mon exposé de février, que nous avons créé un cadre visant à mettre en œuvre une compétence des Premières Nations en vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations. Comme vous le savez peut-être déjà, la Loi sur la gestion financière des premières nations et les institutions qui y sont assujetties fournissent des exemples de lois, du soutien administratif, des formations accréditées, une relation financière transparente, un accès à du financement à long terme et des systèmes de gestion financière améliorée afin d’appuyer la compétence des Premières Nations.
Plus de 230 Premières Nations ont adhéré volontairement au régime de la Loi sur la gestion financière des premières nations. Il s’agit de la méthode la plus efficace, la plus efficiente et la plus fructueuse de l’histoire canadienne pour mettre en œuvre la compétence des Premières Nations. L’élargissement de la portée de ce régime est la meilleure façon de soutenir efficacement la compétence des Premières Nations en matière de cannabis.
Nous croyons également que la meilleure approche juridique et administrative pour mettre en œuvre une compétence en matière de taxe d’accise pour le cannabis est un régime similaire à la TPSPN, le régime de la taxe sur les produits et services des Premières Nations. Selon cette approche, les Premières Nations qui choisissent d’exercer cette compétence promulgueront leurs propres lois sur la taxe d’accise.
La taxe ou le droit d’accise, auquel fait référence la Loi sur l’accise, sera coordonné avec le taux de droit d’accise fédéral et le taux provincial supplémentaire. On appliquerait les mêmes règles et les mêmes exigences que pour le cadre de l’accise sur le cannabis du gouvernement fédéral.
Chaque Première Nation participante signera un accord administratif avec le Canada afin de faciliter l’administration et l’application du cadre. Ces accords permettraient que les bénéfices du droit reviennent efficacement à la Première Nation participante. Le Canada assurerait la conformité avec l’application générale et les règles administratives du droit sur le cannabis.
Étant donné que nous nous appuyons sur ce fondement politique, ce cadre institutionnel et ce système administratif, voici les recommandations précises que nous soumettons au comité. Les modifications suivantes témoigneraient de l’engagement du Canada de créer et de mettre en œuvre une compétence des Premières Nations en matière de fiscalité à l’égard du cannabis.
Il faut amender le projet de loi C-74 afin qu’il fasse référence aux Premières Nations, aux lois sur le droit des Premières Nations sur le cannabis sous le régime de la Loi sur la gestion financière des premières nations, aux terres des Premières Nations, au droit des Premières Nations sur le cannabis et aux accords administratifs des Premières Nations.
Il est nécessaire d’amender le projet de loi C-74 afin qu’il prévoie l’imposition du droit des Premières Nations sur le cannabis pour les Premières Nations visées afin qu’on puisse signer des accords administratifs avec ces Premières Nations et appliquer le cadre du droit sur le cannabis existant au droit des Premières Nations sur le cannabis.
On doit amender le projet de loi C-74 en vue de mettre en place une réglementation qui décrit le contenu des accords administratifs, la formule pour déterminer le droit attribuable à une Première Nation et les dispositions visant les paiements versés à une Première Nation.
Également, la réglementation prévoirait la coordination du droit sur le cannabis et tout droit sur le cannabis supplémentaire imposé à l’égard d’une province en particulier.
J’aimerais souligner que le projet de loi C-74 prévoit déjà un système de droit sur le cannabis coordonné entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Cette approche peut facilement être adaptée en vue de mettre en place un système tripartite coordonné qui inclut les Premières Nations visées.
Grâce à ces amendements, nous pourrions travailler avec le Canada afin d’élaborer la réglementation nécessaire en vue de compléter le cadre juridique.
En résumé, j’aimerais rappeler au comité la stratégie à deux volets visant à établir notre compétence en matière de fiscalité à l’égard du cannabis.
D’abord, vous devez travailler avec nous au cours des prochaines semaines afin de présenter nos amendements proposés à la Loi de 2001 sur l’accise dans le cadre du projet de loi C-74. Ce signal nous indiquerait qu’il n’y a pas lieu de retarder l’adoption du projet de loi sur le cannabis.
Ensuite, vous devez continuer à travailler avec nous au cours de l’été en vue de proposer les amendements nécessaires pour établir une compétence des Premières Nations à l’égard du cannabis, comme nous l’avons proposé. Ces amendements pourraient être déposés et adoptés à la session d’automne.
Enfin, je crois que le travail que nous réalisons ici constitue les rouages d’une réconciliation appliquée. J’espère que nous pouvons saisir cette occasion et continuer à travailler ensemble de manière concrète afin de réconcilier nos gouvernements dans la fédération.
À cet égard, nous espérons revenir devant le comité à une date ultérieure pour présenter des approches concernant l’établissement de notre compétence en matière de fiscalité à l’égard du tabac et des ressources. En plus des améliorations de la TPSPN, nous aimerions également discuter de la façon d’établir deux nouvelles institutions assujetties à la Loi sur la gestion financière des premières nations en vue de soutenir de meilleures statistiques et de meilleures infrastructures pour les Premières Nations.
Également, nous aimerions discuter des dispositions législatives proposées en matière de droits et de compétences qu’a récemment promises le premier ministre. Nous espérons aborder la relation financière fondée sur les compétences et le cadre institutionnel nécessaires en vue de mettre en œuvre cette proposition.
Merci de nous avoir offert l’occasion de franchir une nouvelle étape dans notre démarche commune.
Le président : Mesdames et messieurs, n’oubliez pas que votre groupe doit terminer ses interventions à 15 h 15, car le comité de direction doit se réunir pour conclure et préparer l’étude continue du projet de loi C-74, le projet de loi d’exécution du budget.
La sénatrice Marshall : J’aimerais commencer par M. Fréchette, parce qu’il a publié un rapport sur la légalisation du cannabis à des fins récréatives. Je fais référence à ce rapport. Ce qu’on y trouve de plus surprenant, c’est la répartition 50/50 entre le marché légal et le marché illicite.
Vous avez cité vos raisons, mais comment en êtes-vous arrivé à ces chiffres? Pourquoi pas 60/40 ou 25/75? J’aimerais que vous expliquiez cela. Puis, j’aimerais que vous me disiez en quoi vos prévisions de recettes sont différentes de celles du gouvernement. Je sais que l’effet sur les comportements y est pour beaucoup. La répartition 50/50 a été une grosse surprise pour moi.
M. Fréchette : Ces chiffres viennent de la documentation et de ce que nous avons observé dans les autres administrations au début. Bien sûr, lorsque le marché gagnera en maturité, il pourrait y avoir un changement.
Ce que nous avons relevé est vraiment important. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, si vous avez un plus petit nombre de points de vente au début et si vous n’autorisez pas la production, ce que semble vouloir recommander le présent comité, il y aura des répercussions sur la consommation.
Il devient plus difficile d’amener les consommateurs à quitter le marché illicite pour aller sur le marché légal. À cela s’ajoutent le comportement, et, bien sûr, le prix lui-même. C’est ce qui explique les résultats au commencement d’un marché.
La sénatrice Marshall : De quelle manière avez-vous quantifié la chose pour en arriver à une répartition de 50/50? Est-ce seulement subjectif?
M. Fréchette : Non. Voulez-vous répondre?
Jason Jacques, directeur principal, Analyse budgétaire et des coûts, Bureau du directeur parlementaire du budget : Bien sûr. En ce qui a trait à l’établissement des prix, un sondage a été réalisé dans l’État de Washington avant la légalisation dans cet État, et on a demandé aux gens combien ils étaient prêts à payer de plus pour un produit de cannabis légal.
Nous avons utilisé les données de ce sondage pour déterminer combien de plus ou de moins les Canadiens seraient prêts à payer une fois le produit légalisé ici.
Je ne surprendrai probablement personne en disant que la majorité des gens de l’État de Washington n’étaient pas prêts à payer un prix élevé pour un produit légal.
Dans la mesure où les consommateurs de produits de cannabis sont très sensibles aux prix et, pour appuyer l’autre point soulevé par M. Fréchette, un petit groupe de personnes consomment entre la moitié et les deux tiers du cannabis à l’échelle du pays. Selon les données venant de Statistique Canada, ces personnes consomment très fréquemment et, dans de nombreux cas, sur une base quotidienne. Nous avons donc des gens qui consomment beaucoup et des gens qui sont sensibles aux prix.
En fonction des niveaux de prix actuels sur le marché illicite par rapport à ce que le gouvernement propose en matière de marché de détail, les prix seront en quelque sorte semblables à l’échelle du pays. Les données de l’État de Washington montrent qu’il pourrait y avoir une répartition de 50/50 d’entrée de jeu.
La sénatrice Marshall : Est-ce pour cette raison que vos prévisions de recettes sont plus basses que celles du gouvernement? Il semble que le facteur le plus déterminant soit l’impact sur le comportement. Est-ce pourquoi vous prévoyez des recettes moins élevées que le gouvernement?
M. Fréchette : Après deux ans?
La sénatrice Marshall : Oui.
M. Fréchette : Il est entre autres question de la sensibilité des consommateurs à l’égard des prix. Il s’agit également de la disponibilité du produit, de la capacité de produire son propre cannabis ou d’avoir accès à des points de vente qui ne s’inscriront peut-être pas dans le contexte d’un marché provincial, mais plutôt dans celui des marchés privés qui se font concurrence. Les prix vont varier au sein de ce marché provincial. Voilà l’impact véritable.
Vous avez posé une très bonne question. Le partage 50/50 est fondé, comme nous l’avons dit, sur la documentation et le sondage. Je vais vous donner un autre exemple. En 2016, lorsque nous avons réalisé notre étude principale sur le cannabis, nous avions une assiette fiscale d’un peu moins de 700 tonnes par année. Statistique Canada fait régulièrement un sondage, et nous utilisons maintenant leurs chiffres actuels de 770 tonnes. Vous pouvez voir que, en deux ans, nous avons déjà 70 tonnes de plus. C’est probablement parce que la légalisation est sur le point d’entrer en vigueur.
Selon le sondage, les gens disent qu’ils vont consommer du cannabis sachant que la légalisation sera pour bientôt, mais cela reste un sondage.
La sénatrice Marshall : Je ne peux pas être très encourageante pour le gouvernement, puisque l’un de ses objectifs est de décourager les activités criminelles. En légalisant la marijuana, il espère diminuer les activités sur le marché illicite; cependant, d’après ce que nous entendons des témoins, je ne suis pas certaine que ce sera le cas. Quoi qu’il en soit, je n’en étais pas convaincue au départ.
M. Fréchette : Notre tableau de 2016 est toujours valide, car nous n’avions pas de taxe d’accise, et la marge de manœuvre était vraiment petite. En fait, le prix médian était de 8,80 $, et c’était sans taxe d’accise. Si vous ajoutez 1 $, vous en êtes à 9 $ et vous êtes bien au-dessus du prix sur le marché illicite. Par conséquent, vous n’attirerez pas les consommateurs du marché illicite.
La sénatrice Marshall : Oui, ce sera moins coûteux.
Avez-vous lu le rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones? Il a dernièrement publié son rapport dans lequel il formule plusieurs recommandations. Je me demande si vous les avez vues, si vous êtes d’accord avec elles, si vous en êtes satisfait ou si vous voudriez en voir plus.
M. Jules : Comme je l’ai mentionné au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, j’étais là pour exercer des pressions, si vous voulez, afin que des amendements soient apportés au projet de loi mis de l’avant.
De plus, j’ai dit très clairement dans mon exposé que je ne voulais pas que ce soit une entrave à l’adoption du projet de loi. Ce que je veux, c’est que ces produits, lorsqu’ils sont présents sur nos terres, relèvent de notre compétence.
En réponse à la question plus générale, c’est l’une des raisons pour lesquelles je milite non seulement pour la compétence en matière de fiscalité, mais aussi pour un rôle réglementaire pour les gouvernements des Premières Nations. Si on ne fait pas les deux, on aura de graves problèmes à l’égard de ce que nous observons partout au pays, ce que j’appelle un marché gris, et non un marché noir.
La sénatrice Jaffer : Je vais commencer par vous, monsieur Jules. Je suis toujours heureuse de vous voir ici. Nous venons de la même province, et j’ai vraiment aimé la profondeur de votre exposé. Je vais certainement m’y pencher très attentivement.
J’ai une plus grosse question pour vous, car je sais que vous êtes très engagé dans la communauté également, je vois ce projet de loi comme une première étape, et non pas comme la dernière. Il y aura beaucoup d’autres projets de loi, comme cela a été le cas pour la conduite avec les facultés affaiblies et avec d’autres projets de loi.
De la façon dont je vois ce projet de loi, et je crois les paroles du gouvernement à cet égard, c’est que la première chose qu’il veut faire, c’est de protéger les enfants et de trouver une façon d’assurer une réglementation. Je sais que c’est ce que vous voulez également.
Ne pensez-vous pas que c’est une bonne première étape? Je m’excuse, je ne peux pas répéter ce que vous avez dit à propos du fait d’examiner d’autres aspects ultérieurement, mais vous l’avez très bien dit. Ce que vous avez présenté était très valide, nous devrions nous y pencher après l’adoption du projet de loi.
M. Jules : Je propose que l’on envoie un message clair aux Premières Nations à l’échelle du pays.
Premièrement, vous acceptez que les Premières Nations et leurs gouvernements soient finalement inclus dans ce projet de loi et que, deuxièmement, vous pouvez conclure des ententes avec eux pour partager les revenus. Le troisième élément concerne tous les autres aspects nécessaires pour élaborer des règles, une réglementation et une approche normalisée pour traiter de la question.
Sans cela, il y aura beaucoup de problèmes au sein de nos communautés, par exemple, les enfants auront accès facilement aux produits comestibles et à ce genre de choses.
Nos conseils et gouvernements des Premières Nations devraient participer, par l’entremise de la Commission de la fiscalité, à l’élaboration de normes et il faut travailler avec les communautés à cet égard. Si vous ne faites pas cela, il y aura toutes sortes de problèmes après la légalisation.
Ce qui m’intéresse, et la raison d’être de ma visite ici aujourd’hui, c’est de m’assurer que nous avons la compétence en matière de fiscalité afin d’obtenir les recettes et d’être en position de prendre soin de nos enfants nous-mêmes. Telles que sont les choses à l’heure actuelle, nous serions complètement à la merci des gouvernements fédéral et provinciaux pour la mise sur pied d’un programme dans les réserves.
Si nous possédons nos propres ressources et que tous les gouvernements s’appuient sur les recettes fiscales, nous serions en mesure de nous en servir pour élaborer nos propres centres de traitement en ayant recours à l’Autorité financière des Premières Nations. Nous pourrions mettre en place un mécanisme de transparence et de reddition de comptes grâce au Conseil de gestion financière des Premières Nations.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’une des deux institutions que je veux promouvoir ici, c’est une institution d’infrastructure de sorte que nous serions en mesure d’utiliser les revenus comme sources fiscales pour construire les infrastructures qui seront nécessaires dans nos communautés, comme des services de police, des centres de santé, des centres de traitement et toutes ces choses qui sont importantes pour les autres gouvernements. Nous en avons besoin également, mais nous ne pouvons pas nous les procurer sans les revenus.
La sénatrice Jaffer : Si je vous comprends bien, et je ne vais pas répéter tout ce que vous avez dit, vous dites que, tout comme la compétence du gouvernement fédéral est divisée avec celles des provinces, vous devez aussi être là pour veiller sur vos communautés.
M. Jules : C’est exact. J’ai dit plus tôt que la première étape dans tout processus de réconciliation, c’est la collaboration. Dans notre cas précisément, nous voulons être capables de nous gouverner nous-mêmes au sein du cadre canadien. Cela suppose de travailler avec ce que j’appelle le gouvernement indissociable, soit les gouvernements fédéral et provinciaux.
En l’occurrence, c’est ce que nous devrons faire. Nous devrons nous assurer de travailler avec les provinces, car chacune d’elles adoptera une approche différente et nuancée à l’égard du produit légalisé.
La sénatrice Jaffer : J’ai beaucoup d’autres questions à poser, mais le président devra m’interrompre, je vais donc vous parler en privé.
Monsieur Fréchette, je peux peut-être poser rapidement une question assez longue. Dans les calculs que vous avez faits, il n’y aura pas seulement des ventes au gouvernement, il y aura aussi des ventes au privé.
Nous avons la régie des alcools, et celle-ci distribue l’alcool dans ma province. Ce ne sera pas comme ça. Il y aura des ventes du secteur privé et des ventes du gouvernement. Est-ce exact?
M. Fréchette : Cela comprend toutes les ventes au détail.
La sénatrice Jaffer : Il ne s’agit pas d’une seule entité.
M. Fréchette : Tous les contribuables dont j’ai parlé.
La sénatrice Jaffer : Toutes vos hypothèses sont réellement fondées sur la recherche que vous avez effectuée. Vous avez observé le comportement dans les autres administrations, mais il n’y a aucune autre façon de procéder, car nous n’avons pas encore mis en place le système. Est-ce exact?
M. Fréchette : C’est exact.
La sénatrice Eaton : Dans notre dernier groupe de témoins, monsieur Fréchette, il y avait Bière Canada qui s’opposait à l’indexation automatique. Le présent budget applique une hausse automatique de la taxe d’accise sur le tabac annuellement, il y en a donc une pour le tabac et la bière.
Croyez-vous que, selon la tendance, le gouvernement procède à une augmentation ponctuelle et empoche de plus en plus d’argent, car il y a une sorte d’indexation? Est-ce là où s’en va notre régime fiscal?
M. Fréchette : Vous me posez une question difficile. Je ne peux pas dire s’il y a une tendance dans ce que le gouvernement a annoncé.
[Français]
La sénatrice Eaton : C’est la deuxième fois qu’on voit cela.
M. Fréchette : Oui, je le sais.
La sénatrice Eaton : Et la troisième fois, ce sera une taxe sur le cannabis?
M. Fréchette : Sur les produits dérivés. Je n’ai pas vraiment de bonne réponse à vous donner.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Est-ce quelque chose que vous voyez dans d’autres pays?
M. Fréchette : Oui, c’est le cas au Colorado. On y a imposé une taxe locale d’État, mais il a fallu revenir en arrière et diminuer la taxe parce que cela ne fonctionnait pas.
L’Uruguay a eu le même problème. Ce pays représente un modèle différent, car il a offert un système coopératif à de nombreux producteurs illégaux et leur a dit : « Sortez du marché illicite, devenez légaux, créez une coopérative, puis vous serez en mesure de poursuivre les activités de vente de cannabis. »
Au Colorado, la documentation montre que, au début, le marché illicite continuait de prospérer, car la taxe était trop élevée.
C’est un rajustement. C’est un nouveau territoire. Comme l’a dit le chef Joe, nous ne savons pas. Nous imposons encore une taxe sur le tabac qui est souvent trop élevée.
La sénatrice Eaton : Je crois que le tabac a été vilipendé par une campagne contre le tabagisme. Ce n’est pas le cas pour l’alcool, pourtant, les Canadiens restent là très heureux et regardent le prix de la caisse de bière ou de la bouteille de vin augmenter automatiquement chaque année, et nous ne faisons rien. Cela pourrait être une nouvelle tendance.
M. Fréchette : Ce pourrait être une nouvelle tendance. Dans ce cas-ci, ce n’est pas pour rien qu’on appelle cela de l’herbe.
Nous avons parlé de la production de quatre plants. Apparemment, il est facile d’en faire pousser. Ce n’est pas comme produire un très bon vin ou une très bonne bière. Ce n’est pas tout le monde qui peut produire un bon bordeaux dans son sous-sol. C’est très difficile. Le cannabis est une tout autre histoire.
Cela aura une incidence, manifestement. C’est ce que nous voyons dans notre rapport. Le prix est trop élevé dans les provinces où les gens pourront cultiver eux-mêmes du cannabis à la maison, et c’est ce qui se produira.
Le sénateur Pratte : Monsieur Jules, avant d’en arriver là où vous voulez en venir, quelle quantité de travail y a-t-il à faire? D’après vos explications, il semble que vous ayez déjà fait beaucoup de travail. C’est tout à votre honneur.
Vous avez dit plus tôt que vous auriez besoin de l’été. Tout d’abord, est-ce que l’été suffit? Il me semble que vous avez beaucoup de travail à faire.
M. Jules : Nous proposons des amendements simples au projet de loi C-74. Si ce signal est entendu, nous pourrons nous concentrer sur les modifications requises de la Loi sur la gestion financière des premières nations, et cela prendrait l’été.
Nous avons déjà fait une bonne partie de ces travaux, je ne pense donc pas que ce sera difficile. Essentiellement, il s’agit de créer des règles et de la réglementation connexes. Nous nous appuierons beaucoup sur ce qu’ont fait les gouvernements fédéral et provinciaux, donc je ne vois pas cela comme un obstacle insurmontable.
Le sénateur Pratte : Pourriez-vous nous expliquer cela? Vous dites que vous vous appuierez sur ce qu’ont fait les gouvernements fédéral et provinciaux.
M. Jules : Nous proposons deux amendements au projet de loi C-74. La première partie ferait référence aux Premières Nations, car vous devrez travailler avec elles.
La deuxième partie permettrait au gouvernement de conclure une entente administrative à cet égard.
La troisième partie vise à s’assurer que les paiements seront proportionnels, car ce que nous proposons, c’est une législation facultative.
Pour revenir un peu en arrière, ce qui se passe avec la taxe d’accise, c’est qu’elle s’applique à tout le monde. Je la paie dans les réserves comme n’importe qui d’autre. Lorsqu’un produit particulier arrive sur la réserve, il n’y aura pas d’exemption. Vous obtiendrez l’exemption fiscale dans une réserve du gouvernement provincial pour la TPS, et cetera.
Je dis que ces choses peuvent être abordées à l’aide d’une autre mesure législative appelée la Loi sur la gestion financière des premières nations. Tout ce que nous demandons au comité, c’est d’examiner le projet de loi C-74 pour s’assurer que les Premières Nations sont reconnues en tant que gouvernement établi, pour que le fédéral puisse conclure une entente administrative avec ce gouvernement et s’assurer que le montant qu’il leur paye est proportionnel avec ce qui a été recueilli.
Le quatrième élément consiste à examiner les mesures législatives en vertu desquelles j’exerce mes activités, soit la Loi sur la gestion financière des premières nations. C’est là que nous envisagerions la mise en œuvre.
Nous faisons cela avec l’impôt foncier. Nous devons examiner ce qui se passe dans la province. Comme je l’ai dit, chacune d’elles agira un peu différemment. Nous établissons des normes nationales, puis nous devons examiner très précisément la façon dont la Colombie-Britannique les mettra en œuvre.
C’est complexe. Ce n’est pas facile. Mais c’est faisable, et je travaille avec un groupe de personnes très professionnelles.
Le sénateur Pratte : Est-ce que les Premières Nations partageront les recettes tirées de la taxe d’accise découlant de l’entente 75/25 conclue par les provinces et le gouvernement fédéral?
M. Jules : Cela dépendra, car je propose que cela soit facultatif.
Le sénateur Pratte : Les nations peuvent se joindre si elles le veulent.
M. Jules : C’est exact. Autrement, elles ne se joindront pas.
Ce que nous avons fait, c’est proposer une approche facultative pour composer avec la situation. Cela veut dire que les Premières Nations devraient examiner les règles et la réglementation et y adhérer. Il faudrait que nous soyons tous d’accord.
Une grande partie du travail est faite. Les Premières Nations seront déjà assujetties à la taxe, car elle s’applique à tous les citoyens canadiens ou à quiconque la paie. C’est au sujet des autres aspects qu’il y a des nuances.
Je veux aussi dire qu’il faut, au bout du compte, établir une réelle relation financière. On se retrouve dans cette situation sur la réserve des Six Nations, où on récolte annuellement environ 200 millions de dollars en raison de la taxe d’accise prélevée auprès de Grand River Enterprises, qui produit du tabac.
Si on regarde la situation pour une communauté, dans ce cas particulier, oui, nous devons parler d’une nouvelle relation fiscale et même de péréquation entre toutes les communautés membres. Nous ne sommes pas rendus là. Nous devons faire de petits pas pour finir par y arriver.
J’aimerais que l’on établisse une nouvelle relation fiscale avec les Premières Nations en ce qui concerne le cannabis, le tabac et les ressources exploitées sur nos territoires traditionnels afin que nous puissions commencer à prendre soin de nous.
Le problème avec la situation telle qu’elle est maintenant, c’est que nous sommes complètement à la merci, d’abord du gouvernement fédéral pour qu’il fasse tout pour nous et, ensuite du gouvernement provincial, qui dit : « Allez parler aux gens du gouvernement fédéral. C’est lui votre gouvernement responsable. »
Nous sommes toujours pris au milieu de cette dispute entre le gouvernement fédéral et les provinces qui se renvoient le problème. Nous voulons être capables de prévoir un article pour nous permettre, un jour, de discuter entre nous de qui obtient quoi.
Le président : Chef, vous en avez fait allusion dans vos commentaires. Je vais demander aux analystes de la Bibliothèque du Parlement de vous parler après la séance afin que nous puissions examiner les aspects logistiques de la procédure pour demander au comité de tenir compte des recommandations en tant qu’amendements.
M. Jules : D’accord.
Le président : Il y a un processus pour cela.
La sénatrice Andreychuk : Ma question s’adresse à M. Fréchette. Je suis certaine que vous vouliez parler de bons bordeaux de la Colombie-Britannique.
Sur une note plus sérieuse, vous vous fondez sur les seules prévisions que nous avons. Elles concernent les États des États-Unis et l’Uruguay, en Amérique du Sud.
Nous sommes un vaste pays diversifié et complexe. Nous ne savons vraiment pas quelle incidence cela aura. Si nous pouvions nous appuyer sur les États-Unis, nous aurions pu avoir quelque chose. Si nous pouvions avoir la collaboration de l’Allemagne ou de la France, et ainsi de suite, ce serait un fondement plus crédible.
Vous utilisez les statistiques que vous avez réussi à trouver. Est-ce exact?
M. Fréchette : C’est cela.
La sénatrice Andreychuk : Nous sommes dans le même bateau. Nous devrons regarder en avant, deviner et rajuster le tir, si le projet de loi est adopté tel qu’il est.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, il est maintenant 15 h 15 et je vais lever la séance.
Je remercie les témoins de leurs exposés et de leurs commentaires.
(La séance est levée.)