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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule no 70 - Témoignages du 12 juin 2018


OTTAWA, le mardi 12 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 30, en séance publique, afin d’étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement concernant les prévisions budgétaires du gouvernement en général, notamment les comptes publics, les rapports du vérificateur général et les finances publiques (sujet : le rapport du printemps 2018 du vérificateur général du Canada (Phénix)), et à huis clos, pour étudier un projet de rapport sur la teneur complète du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je m’appelle Percy Mockler. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis président du comité.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont ici avec nous ainsi qu’aux téléspectateurs partout au pays qui nous regardent à la télévision ou en ligne. J’aimerais rappeler à ceux qui nous regardent que les audiences du comité sont ouvertes au public et sont également disponibles en ligne à sencanada.ca.

[Français]

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : Merci, sénateurs.

Je voudrais également vous présenter la greffière du comité, Gaëtane Lemay, ainsi que nos deux analystes, Alex Smith et Sylvain Fleury, qui soutiennent ensemble les travaux de notre comité.

[Traduction]

Honorables sénateurs et membres du public, nous accueillons aujourd’hui le vérificateur général du Canada, M. Michael Ferguson.

Monsieur Ferguson, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. J’aimerais mentionner qu’à chaque fois que nous vous avons demandé de témoigner devant le comité, vous avez toujours accepté notre invitation. Encore une fois je vous remercie de votre présence ce matin.

[Français]

Le vérificateur général, M. Ferguson, est accompagné de M. Jean Goulet, directeur principal au Bureau du vérificateur général du Canada.

[Traduction]

Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial des finances.

Chers collègues, vous vous souviendrez que M. Ferguson a témoigné devant notre comité le 30 janvier afin de nous parler de son rapport de l’automne du système de paye Phénix. Aujourd’hui notre comité se penchera sur le rapport du printemps du vérificateur général qui s’intitule La création et le déploiement du système de paye Phénix, qui a été publié le 29 mai 2018.

Monsieur Ferguson, nous allons commencer avec votre allocution d’ouverture, puis les sénateurs vous poseront des questions.

[Français]

Monsieur Ferguson, la parole est à vous, veuillez nous présenter vos commentaires.

[Traduction]

Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, je vous remercie de me donner l’occasion de vous présenter les résultats de notre deuxième audit du système de paye Phénix dans lequel nous nous penchons sur la création et le déploiement du système.

En 2009, Services publics et Approvisionnement Canada a lancé son Initiative de transformation de l’administration de la paye afin de transformer sa façon de traiter la paye pour ses 290 000 employés. Il y avait deux projets : un visait à centraliser les services de paye pour 46 ministères et agences qui employaient 70 p. 100 de tous les employés fédéraux; et le deuxième visait à remplacer le système de paye, vieux de 40 ans, utilisé par 101 ministères et agences.

[Français]

Lors de cet audit, nous avons examiné comment le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement avait élaboré et mis en place le système de paye Phénix. Nous avons vérifié si la décision de lancer le nouveau système de paye avait tenu compte de certaines considérations, à savoir si le système était entièrement mis à l’essai, fonctionnel et sécuritaire, et s’il allait protéger les renseignements personnels des employés.

Nous avons conclu que le projet Phénix était un échec incompréhensible de gestion et de surveillance de projet, qui a abouti à la décision de déployer un système qui n’était pas prêt. Afin de respecter les budgets et les échéances, le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a décidé de supprimer des fonctions de paye essentielles, de limiter les tests du système et d’annuler un projet pilote de mise en place du système.

[Traduction]

Les cadres responsables de Phénix ont ignoré des signes manifestes que le Centre des services de paye de Miramichi n’était pas prêt à assumer le volume d’opérations de paye, que les ministères et agences n’étaient pas prêts à passer au nouveau système, et que Phénix lui-même n’était pas prêt à traiter correctement la paye des fonctionnaires fédéraux. Lorsque les cadres responsables de Phénix ont dit à la sous-ministre de Services publics et Approvisionnement Canada que le système Phénix serait lancé, ils n’ont pas soulevé les importants problèmes à propos desquels ils étaient au courant. Finalement, la décision de lancer le système Phénix n’a pas été documentée.

À notre avis, et étant donné les renseignements disponibles à l’époque, c’était une mauvaise décision que de lancer le système Phénix. Phénix ne fait pas ce qu’il devait faire. Il a coûté des centaines de millions de dollars de plus que ce qui était prévu, et il a touché des dizaines de milliers d’employés du gouvernement fédéral et leur famille.

[Français]

À mon avis, quand je pense à notre premier audit sur les problèmes de paye liés à Phénix, il y avait trois facteurs communs au projet de déploiement de Phénix et aux mesures du ministère pour régler les problèmes après le lancement du système : un manque de surveillance et de gouvernance pour guider les activités de gestion, un manque d’engagement de la part des ministères touchés et une sous-estimation de la gravité des problèmes.

Avant de terminer, je tiens à préciser que nos rapports du printemps 2018 contiennent un message du vérificateur général, dans lequel j’indique estimer que c’est la culture de l’administration publique fédérale qui a permis à Phénix de se solder par un échec incompréhensible. Je crois que le comité devrait examiner la façon dont cette culture a permis un tel échec.

[Traduction]

Monsieur le président, ceci met fin à mes remarques liminaires. Nous sommes prêts à répondre aux questions du comité. Merci.

Le président : Merci, monsieur Ferguson.

La sénatrice Marshall : Monsieur Ferguson, je vous remercie de votre présence ce matin.

Lorsque j’ai lu votre rapport, j’ai consulté l’organigramme qui se trouve à la page 22. Dans votre rapport, vous parlez du manque de surveillance. En consultant votre rapport, j’ai constaté qu’il y a tant de comités et tant de gens qui s’occupayent du système qu’il semble qu’un des problèmes fondamentaux est qu’il y a eu un manque de leadership dans l’ensemble du projet. Dans vos brefs commentaires sur le rapport Gartner, vous dites que Phénix pourrait ne pas être en mesure de payer les employés avec exactitude et en temps opportun, car le système n’a pas été entièrement mis à l’essai. Au final, c’est vraiment ce qui est arrivé.

Vous avez examiné les courriels des aînés qui ont été touchés. Qu’avez-vous constaté dans ces courriels? Ces cadres supérieurs n’ont-ils pas lu le rapport Gartner?

M. Ferguson : J’ai quelques observations.

Si vous regardez le diagramme que vous avez mentionné au point 1.2 à la page 22 du rapport en anglais, pour ce qui est du projet de surveillance, vous pouvez constater que toutes les lignes portent sur les cadres responsables de Phénix et qu’il n’y a qu’une seule ligne allant jusqu’au sous-ministre. Eh bien oui, de nombreux comités ont contribué, mais toute l’information que le sous-ministre obtenait — et par conséquent que le sous-ministre communiquait — provenait dans son ensemble des cadres responsables de Phénix.

Le Secrétariat du Conseil du Trésor avait décidé de produire le rapport Gartner. Je pense que cette décision a été prise en décembre 2015. Le rapport a été terminé en février 2016, ce qui correspondait également à la date d’entrée en vigueur du système, si bien que le rapport Gartner a été produit très tard dans le processus.

Comme vous l’avez mentionné, le rapport Gartner recensait des enjeux importants et les problèmes du système, mais ce rapport a également été rendu aux cadres responsables de Phénix, qui ont choisi de ne pas en tenir compte. Le rapport de surveillance et le problème concernant un document comme le rapport Gartner, c’est que toute l’information était transmise aux trois cadres responsables de Phénix, qui mettaient essentiellement l’accent sur le respect du calendrier et du budget. Ces cadres responsables n’ont pas compris la gravité des problèmes qui étaient présentés, mais ils étaient la seule source d’information pour le sous-ministre.

La sénatrice Marshall : Il me semble que de nombreuses personnes étaient impliquées. Par exemple, vous avez mentionné le Conseil du Trésor. Le conseil a obtenu le rapport. Quand on lit ce rapport, on se demande si ces personnes l’ont reçu et s’ils y ont jeté un coup d’œil. L’ont-ils même examiné? Habituellement, le Conseil du Trésor contre-vérifie ce qui se passe au sein du gouvernement. Il me semble que cet organe indépendant aurait dû recenser le problème. Je constate aussi la contribution de Services partagés. Il me semble que certaines personnes de l’extérieur ont apporté une contribution, et il est presque impossible de concevoir qu’elles n’aient rien vu. Il faut se demander si quelqu’un a lu ce rapport. On a l’impression que chacun rentrait chez eux à la fin de la journée et que personne ne pensait plus au système.

M. Ferguson : C’est pourquoi, au bout du compte, nous avons caractérisé cette initiative comme étant un échec incompréhensible en matière de gestion et de surveillance de projet. Encore une fois, vous verrez dans le rapport les différentes étapes qui ont été suivies et toutes les possibilités qui sont survenues et qui auraient permis de ralentir ou d’interrompre la mise en œuvre de Phénix. Vous pourrez comprendre où toutes les décisions menant à la mise en œuvre de Phénix ont été prises, mais, comme vous le dites, il est impossible de comprendre pourquoi, en cours de route, quelqu’un ne s’est pas dit : « Un instant. Le problème est plus sérieux que ce que nous croyons. Il faut le mettre en veilleuse. »

C’est pour cette raison que, du point de vue de la surveillance, il aurait été nécessaire d’avoir plus d’évaluations indépendantes à l’intention du sous-ministre, voire d’un groupe de sous-ministres. Encore une fois, comme vous pouvez le constater, le sous-ministre n’avait à rendre des comptes à aucun véritable comité de surveillance, ni même à un comité constitué d’autres sous-ministres. Les choses ont été mises en œuvre à la toute dernière minute. Ils ont décidé de se présenter devant ce qu’on appelle le CCGFP ou le comité consultatif sur la gestion de la fonction publique, qui est un comité constitué de sous-ministres, mais ce groupe de sous-ministres n’avait aucune autorité d’établie dans la charte de projet en général. Le comité a soulevé les problèmes, mais, encore une fois, la réponse qui revenait constamment des cadres responsables de Phénix c’était : « Oui, nous sommes au courant de ces problèmes. Nous disposons d’une solution de rechange et de façons de les régler. » Encore une fois, il est difficile de comprendre que personne ne mesurait l’importance de la gravité des problèmes qui survenaient.

La sénatrice Marshall : Quelle conclusion faut-il tirer de la fonction publique et du gouvernement dans le cadre d’une perspective élargie? Nous examinons Phénix et nous constatons qu’il s’agit d’un échec incompréhensible. Nous nous tournons aussi vers d’autres sections du gouvernement qui font face à des problèmes majeurs. Pour ce qui est des Services partagés, nous avons pu prendre connaissance de ces problèmes. Les responsables essaient de regrouper nos systèmes de courriels depuis un certain nombre d’années, et cela n’a pas été très fructueux. Et maintenant, il se pourrait que le gouvernement se mette à construire un pipeline. Quand je pense à cela et que je me dis que nous ne sommes même pas en mesure de payer nos employés, comment allons-nous faire alors pour construire un pipeline? Qu’est-ce que cela nous dit sur l’ensemble de la fonction publique et du gouvernement?

M. Ferguson : Comme nous terminions la vérification, je me suis rendu compte que, comme vous le savez, on ne peut pas tout examiner. Une vérification examine toutes les opérations et les données, mais a ses limites; ainsi, en plus de cette vérification et des autres vérifications qui ont été présentées à la fin du mois de mai, nous avons également rédigé un message. Et dans ce message, nous avons essayé de nous pencher sur cette question. Nous avons qualifié Phénix d’échec incompréhensible en matière de gestion et de supervision de projet, mais nous avons également mené deux vérifications portant sur les programmes destinés aux peuples autochtones. Mon observation dans ces vérifications signalait que lorsqu’on examine la longue histoire des programmes gouvernementaux destinés aux peuples autochtones, on ne pouvait que les qualifier d’échecs incompréhensibles pour ce qui est aussi de la production des résultats escomptés pour les peuples autochtones.

J’ai essayé de réfléchir au fait que les activités du gouvernement fédéral sont soumises à un cadre de reddition de comptes en matière de gestion, et que le gouvernement a mis en place des plans et des rapports sur ses priorités, qu’il produit des rapports sur le rendement, qu’il met sur pied des groupes de vérification interne et d’évaluations de programmes, qu’il dispose de comités de vérification ministérielle et qu’il a accès aux rapports du vérificateur général. Toutes ces composantes font partie du système pour éviter les problèmes soulevés par un projet comme Phénix, et en dépit de tout cela, la situation avec Phénix est tout de même survenue.

Je signale également que, selon moi, il existe quelque chose dans la culture qui a, en quelque sorte, contribué à Phénix. Je ne sais pas de quoi il s’agit exactement, mais je pense que c’est le bon moment de réfléchir aux politiques, aux procédures et aux contrôles qui n’ont pas suffi à empêcher ce qui est advenu à Phénix, à la cause du problème Phénix et à la façon de prévenir pareille situation à l’avenir.

La sénatrice Marshall : Eh bien, il y a aussi l’important problème de leadership.

On essaie de réparer Phénix. Nous avons eu des audiences sur cette question. Nous vous saurions gré de nous dire si vous pensez qu’on pourra réparer Phénix.

M. Ferguson : Au bout du compte, d’une manière ou d’une autre, ils devront payer les gens les bons montants, le jour prévu. Ils doivent trouver des moyens en se servant de Phénix, d’une manière ou d’une autre, pour que les gens soient payés le bon montant, le jour prévu. Je pense qu’il serait pratiquement impossible de démarrer un autre système qui prendrait tous les problèmes de Phénix et commencerait par les régler. Comment pouvez-vous vous attendre à ce qu’un système fonctionne correctement sachant qu’il va recevoir beaucoup de transactions erronées dès le départ? Cela ne veut pas nécessairement dire que Phénix doit être la solution à long terme, mais cela veut dire qu’ils vont devoir trouver le moyen de réduire les erreurs à un niveau raisonnable dans Phénix avant de décider quoi faire à long terme.

Le sénateur Pratte : J’essaie de mieux comprendre ce qu’ont pensé les cadres qui gèrent Phénix. Par exemple, tout au long du projet Phénix, ils semblent avoir donné la priorité au respect du budget et au calendrier avant toute chose. D’après ce que vous savez, est-ce que ce sont eux qui ont pris cette décision ou est-ce que c’est quelqu’un d’autre qui leur a dit que le budget devait être la principale considération?

M. Ferguson : Je le répète, d’après les preuves que nous avons pu voir, tout semblait indiquer que leurs principales préoccupations étaient le budget et le calendrier.

Comme nous le disons dans l’audit, le budget initial pour la composante de technologie de l’information du projet était d’environ 155 millions de dollars. Ils ont embauché IBM et lui ont expliqué ce qu’ils souhaitaient que le système fasse. IBM a alors estimé qu’un tel système coûterait 274 millions de dollars. Les responsables de Phénix ont donc décidé de réduire les fonctionnalités du système afin de ramener le coût à 155 millions de dollars. C’est la preuve qu’ils se souciaient surtout du budget. Ils ont éliminé certaines fonctions très importantes, comme la capacité du système de rémunérer les gens rétroactivement, l’un des problèmes dont on entend sans cesse parler à l’heure actuelle. Ils ont fait cela pour ne pas dépasser le budget.

Ce que nous voulions dire, c’est que l’analyse de rentabilisation en vertu de laquelle ils ont approuvé le projet, et les 155 millions de dollars pour la composante en technologie de l’information indiquaient que le système permettrait de produire des économies de 70 millions de dollars par année en réduisant les coûts du traitement de la rémunération. Notre argument était que, lorsqu’ils ont décidé de réduire la fonctionnalité, car ils voyaient qu’ils devaient passer de 274 millions de dollars à 155 millions de dollars, ils auraient dû, à ce moment-là, savoir que le système n’arriverait pas à générer des économies de 70 millions de dollars par année, car la fonctionnalité du système avait été réduite. Nous croyons qu’ils auraient dû s’adresser au Conseil du Trésor pour dire : « Nous avons besoin de plus d’argent », ou « Puisque nous avons dû réduire la fonctionnalité, nous n’arriverons pas à générer des économies de 70 millions de dollars par année. » Ils n’ont fait ni l’un ni l’autre.

Je ne peux vous dire exactement pourquoi ils ont décidé que le budget et l’échéancier seraient leur priorité, mais c’est la décision qu’ils ont prise. Ils auraient dû comprendre que cette décision aurait d’autres répercussions, surtout sur les économies qui étaient prévues. Cependant, cela n’a pas été le cas; ils ne sont donc pas retournés devant le Conseil du Trésor.

Le sénateur Pratte : Vous avez dit que les cadres en question ne comprenaient peut-être pas tous les problèmes auxquels ils faisaient face. Nous savons qu’ils n’ont pas informé la sous-ministre de tout ce qu’ils savaient, mais vous avez également dit qu’ils n’avaient peut-être pas réalisé l’ampleur des problèmes de ce système. Qu’en est-il? Dans quelle mesure ne se sont-ils pas rendu compte qu’ils faisaient face à une véritable crise?

M. Ferguson : Ils étaient au courant de problèmes, de problèmes ponctuels, mais je crois qu’ils n’ont pas tout vu dans son ensemble pour comprendre toute la gravité de la situation et les risques. Ils auraient dû présenter chaque problème et chaque risque à la sous-ministre et à d’autres parties prenantes. S’ils l’avaient fait, peut-être que la sous-ministre ou quelqu’un d’autre se serait rendu compte qu’à la lumière de tous ces problèmes et risques, le système ne pourrait pas fonctionner. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas compris les risques individuels. C’est plutôt qu’ils n’ont pas compris qu’avec tous ces risques mis ensemble, les solutions temporaires en place ne seraient pas suffisantes pour permettre au système de fonctionner comme prévu.

Le sénateur Pratte : Je trouve cela incompréhensible. Je ne peux comprendre pourquoi personne, en commençant par la sous-ministre, n’a pas posé la question suivante : a-t-on fait un projet pilote là-dessus, et a-t-il fonctionné? Il s’agit d’une question si fondamentale que je ne peux comprendre pourquoi personne ne l’a posée.

M. Ferguson : Au départ, il devait faire un projet pilote, mais ce dernier a été annulé lorsqu’ils ont essayé de respecter le budget initial. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’ils auraient dû alerter non seulement quiconque était au courant, mais aussi les cadres responsables du projet, que d’aller de l’avant avec un projet de cette envergure et de cette complexité sans projet pilote était un énorme risque.

Le sénateur Pratte : Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, monsieur le vérificateur général et monsieur Goulet, de votre présence ici et pour votre travail dans le dossier sur Phénix.

J’ai écouté votre témoignage ce matin, et j’ai consulté votre rapport du printemps ainsi que votre dernier rapport. Vous avez dit que la culture du gouvernement fédéral a mené Phénix à cet échec incompréhensible. Dans votre déclaration d’ouverture accompagnant votre rapport du printemps 2018, il est écrit : « Le gouvernement fédéral doit réfléchir à ce que j’appelle des échecs incompréhensibles. Le gouvernement doit en effet se demander dans quelle mesure sa culture l’empêche de produire des résultats véritablement axés sur les citoyens et citoyennes. » Si je vous ai bien compris, vous avez dit, il y a quelques instants, que vous ne savez pas en quoi consiste cette culture.

Qu’est-ce qui les a menés à se précipiter ainsi ou à ne pas en parler? Pourquoi n’ont-ils rien dit? Il est évident qu’il y a eu un manque de surveillance. Mais qu’est-ce qui les a menés à se précipiter? L’avez-vous compris? Pour ma part, je n’ai pas compris.

M. Ferguson : Là encore, c’est difficile à comprendre, puisque nous essayons de deviner les motivations des personnes concernées.

La sénatrice Jaffer : Exactement.

M. Ferguson : Nous, les vérificateurs, ne pouvons pas découvrir quels échanges ont pu avoir lieu. Même au niveau des directeurs de projets et de la sous-ministre, nous ne pouvons pas savoir ce qui s’est produit, hormis l’exposé PowerPoint qui a été présenté. Évidemment, nous parlons aux personnes sur place, mais elles ne peuvent nous fournir que leur point de vue subjectif sur ces échanges, bien après le fait, et après qu’ils ont compris qu’il y avait un problème. Nous ne pouvons pas savoir exactement ce qui s’est dit entre les sous-ministres et les ministres, ou ce qui s’est dit au Conseil du Trésor. Nous n’avons aucun moyen de le savoir. Nous devons nous contenter de suivre l’information et voir où elle nous mène. Aussi, je ne sais pas quelle aurait été la motivation des personnes concernées, mais de toute évidence, elles sentaient que la priorité était l’échéancier et les budgets.

Je pense que pour tout projet de système de technologie de l’information, les gens de la TI vous diront que chaque projet compte trois aspects : le coût, l’échéance et les fonctionnalités. D’habitude, les gens de la TI vous diront que vous pouvez avoir deux de ces éléments sur trois. Ils mettent l’accent sur le calendrier et le budget, et y réduisent les fonctionnalités du système, à tel point que finalement, ils amputent le système de fonctionnalité pourtant clé.

Là encore, sans égard à leurs motivations, et sans égard à la raison pour laquelle ils estimaient que le budget et le calendrier devaient être prioritaires, ils avaient toujours, selon moi, le devoir de lancer l’alarme au Conseil du Trésor. Parce qu’au moment où ils ont coupé le budget de 274 millions de dollars ou qu’ils ont coupé les fonctionnalités afin de respecter à tout prix le budget de 155 millions de dollars, à ce moment-là, ils auraient dû savoir que le système ne générerait pas 70 millions de dollars d’économies, contrairement à ce qui avait été annoncé. À ce moment-là, peu importe leurs motivations ou leurs priorités, ils avaient le devoir de lancer l’alarme auprès du Conseil du Trésor.

La sénatrice Jaffer : En vous écoutant et en écoutant les autres témoins dans le cadre de nos délibérations sur ce sujet, je pense que ce qui nous dérange tous ici, c’est de penser à la personne qui, au bout du compte, souffre. Je ne peux imaginer ce que vit une mère seule qui travaille avec diligence pour nous sans savoir si elle sera payée à la fin du mois. Et il y a pire : des employés nous ont dit que leurs feuillets T4 comportaient des erreurs et qu’on leur a dit que, même si le montant est erroné, c’est ce qu’ils doivent envoyer à l’ARC. C’est ce que je crois savoir.

Je ne connais pas bien votre travail, mais pourriez-vous nous dire ce qu’il en coûte aux employés qui font les frais du manque de contrôle et des lacunes du système?

M. Ferguson : Non, je ne pourrais vous dire même approximativement ce qu’il en coûte à chaque employé individuellement. Toutefois, nous avons tous entendu parler de situations de ce genre, nous savons qu’elles ne touchent pas qu’un ou deux employés. D’ailleurs, quand j’ai entendu parler de ces problèmes au sein de mon bureau, je me souviens avoir dit que je m’attendais à ce que tous les employés de mon bureau soient touchés, d’une façon ou d’une autre, et tous mes employés ont connu des problèmes plus ou moins graves. À l’issue de la première vérification, nous avons conclu que 150 000 employés avaient été touchés. Il s’agissait de presque tous les employés dont la paye avait été traitée par le centre de paye; presque tous les fonctionnaires fédéraux étaient donc touchés.

En ce qui concerne les coûts, lors du premier audit, nous avons indiqué qu’en fonction des informations dont nous disposions et pour cette courte période, les ministères estimaient qu’il coûterait 540 millions de dollars pour régler les problèmes, mais que cela ne suffirait pas pour les régler. Depuis, on a évoqué la somme d’un milliard de dollars.

Nous avons alors, entre autres, recommandé au Secrétariat du Conseil du Trésor de déterminer de façon approximative ce qu’il en coûterait pour les ministères de rectifier la situation. C’est censé être fait, et cette estimation devrait être rendue publique sous peu. Toutefois, je le répète, cela ne représente que le coût pour le système et la fonction publique fédérale, et non pas le coût pour chaque employé.

La sénatrice Jaffer : Quelle est la principale leçon que nous tirons de cette expérience? Il est évident que le gouvernement ne cessera pas d’acheter de l’équipement et des logiciels coûteux. C’est dans la nature même d’un gouvernement. Quel enseignement pouvons-nous tirer de cette expérience?

M. Ferguson : Je ne pourrais pas m’en tenir à une seule chose, et voici pourquoi. À l’issue de la vérification, nous avons formulé des recommandations sur la façon dont ce genre de projet devrait être géré. Nous avons recommandé un contrôle indépendant de ce genre de projet. Ce sont des éléments très importants : il faut comprendre la nécessité d’assurer un contrôle indépendant et il faut comprendre que, lorsqu’on met en place un système qui touche de nombreux ministères, tous ces ministères doivent être mis à contribution. Du point de vue du système, c’est essentiel.

Par ailleurs — j’en ai fait mention et vous y avez fait allusion dans votre question — le fait est que, en dépit de tous les contrôles qui existent au sein du gouvernement fédéral pour prévenir les erreurs qui ont été commises dans le dossier du système Phénix, ces erreurs ont été commises. Il y a donc un élément culturel aussi. J’ai indiqué dans mon message quels sont ces éléments culturels qui étaient en jeu. Je ne les ai peut-être pas tous recensés, je n’ai peut-être pas cerné tous les problèmes, mais j’estime que le gouvernement fédéral doit prendre du recul et se demander s’il aurait fallu tout simplement plus de mesures de contrôle pour prévenir l’échec de Phénix ou s’il ne faudrait pas apporter des changements plus fondamentaux pour que cette situation ne se reproduise pas.

La sénatrice Eaton : Bienvenue, monsieur Ferguson.

Je vais poursuivre dans le même ordre d’idées que mes collègues sénateurs. La semaine dernière a été très intéressante, car le président du Conseil du Trésor est venu. Vous avez parlé du fait qu’on ratait les cibles : nous avons examiné les divers ministères et vous, vous parlez de reddition de comptes. Pour bon nombre de ministères, comme ceux de la Défense nationale et des Affaires du Nord, il n’existe pas d’information pour déterminer s’ils ont atteint leurs cibles. On nous dit que cette information n’est pas disponible. C’est ce qu’on nous répète. C’est une situation qui me dérange réellement.

La même semaine, la sénatrice Marshall et moi sommes allées à la conférence sur la politique militaire. Là-bas, j’ai parlé à une personne haut placée dans la Marine canadienne au sujet des problèmes que nous avons lorsque les fonctionnaires de la Défense nationale et ceux d’Affaires du Nord viennent témoigner. Lorsqu’on leur pose des questions, ils ne font que répondre au moyen du script qu’ils ont. Ils ne nous disent jamais réellement ce qui se passe. On l’apprend lorsque le directeur parlementaire du budget vient témoigner et nous raconte des bribes de ce qu’il voit. Mais on n’arrive jamais à faire des progrès quant à savoir ce qui ne va pas avec le processus d’approvisionnement militaire.

Cet officier haut gradé de la marine m’a dit : « Vous savez, je crois que la différence est que lorsque des militaires témoignent devant le Congrès » — et je pense que c’est pour chaque poste budgétaire ministériel — « ils doivent prêter serment. Ils ne peuvent donc pas mentir. Ils ne peuvent pas induire en erreur. Ils ne peuvent pas se contenter de lire un script. » Il m’a donné quelques exemples de ce dont la marine a besoin à son avis et de ce que nous entendons en provenance du ministère de la Défense nationale. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu que les militaires disent seulement au gouvernement ce qu’ils pensent pouvoir obtenir avec le budget. Ils ne lui disent pas réellement ce dont ils ont besoin en fait.

Vous en avez parlé aujourd’hui. Nous avons tous ces mécanismes. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous asseoir avec les fonctionnaires du MDN, d’Affaires du Nord et d’Affaires mondiales et leur dire : « Vous avez dépensé telle somme l’an dernier. Qu’avez-vous réussi à faire avec cet argent? Quels ont été les résultats? »

M. Ferguson : C’est l’une des situations qui m’a amené à réfléchir. Nous effectuons des audits de rendement depuis 40 ans, et bon nombre de ces audits de rendement examinent ces situations. Quelles sont les mesures de rendement dans ces organisations? Bien souvent, nous constatons que les mesures de rendement ne reflètent pas le rendement réel. La dernière fois que j’étais ici, nous avons aussi parlé de l’audit de l’ARC que nous avions effectué dans les centres d’appels. Nous avons très clairement démontré que ce que l’ARC disait au sujet de son rendement était bien loin de correspondre à son rendement réel, c’est-à-dire en ce qui concerne les réponses que les gens obtenaient des centres d’appels, l’incapacité de ces centres à répondre aux questions correctement, le fait que 30 p. 100 du temps, la réponse donnée était incorrecte, et le fait que l’ARC ne tenait pas compte du nombre d’appels bloqués afin que son nombre d’appels répondus paraisse mieux. C’est le message que j’essaie sans cesse de transmettre aux ministères, c’est-à-dire qu’ils doivent faire un meilleur travail quant aux renseignements qu’ils possèdent sur leur rendement.

La sénatrice Eaton : Je suis certaine que vous l’avez déjà vu. Dans le cas d’Affaires du Nord, l’une des cibles était d’accroître la participation des élèves des Premières Nations dans les écoles. Cette initiative bénéficiait d’un budget considérable, mais les fonctionnaires étaient incapables de nous dire quels avaient été les résultats au cours des trois dernières années, si le nombre d’élèves avait augmenté ou diminué. C’est aussi simple que cela.

À mon avis, il ne s’agit pas d’un enjeu partisan, car la situation était identique sous le gouvernement conservateur et sous le gouvernement libéral. Cela semble être un problème de bureaucratie. Serait-il préférable que les fonctionnaires qui viennent témoigner devant un comité du Sénat ou de la Chambre des communes soient forcés de prêter serment? Cela permettrait-il d’améliorer la situation? Cela permettrait-il de bien faire comprendre aux fonctionnaires que lorsqu’ils viennent témoigner devant un comité du Sénat ou de la Chambre des communes, ils doivent dire la vérité au lieu de tenter d’éviter de répondre honnêtement?

M. Ferguson : Je ne peux pas commenter les procédures en comité; je ne suis pas un expert en la matière. Toutefois, je crois certainement que tous les ministères ont la responsabilité de comprendre les résultats de leurs programmes et d’être ouverts et transparents à cet égard, que ce soit devant un comité du Sénat, un autre comité ou le public en général. Ils doivent faire preuve de transparence à l’égard de ces résultats.

L’un des autres audits dont nous avons rendu publics les résultats à la fin de mai portait sur l’élimination de l’écart socioéconomique entre les Premières Nations et les autres Canadiens. Au cours de cet audit, nous avons examiné la question de l’éducation que vous avez mentionnée. Nous avons constaté que, au cours des 18 dernières années, l’écart entre les Autochtones et les autres Canadiens s’est élargi quelque peu. Il n’a pas été comblé au cours de ces 20 dernières années. Nous avons constaté que, selon les chiffres du ministère — et dans ce cas, les chiffres fournis par le ministère étaient exacts — 49 p. 100 des élèves autochtones qui commençaient la 12e année décrochaient avant de la terminer. Nous avons examiné ces chiffres de plus près et nous avons demandé ce qui se passe dans le cas des élèves qui commencent la 9e année. Nous avons découvert que trois quarts des élèves autochtones qui commencent la 9e année décrochaient au cours des quatre années suivantes, les années au cours desquelles on s’attendrait à ce qu’un élève termine sa 12e année.

Ce sont là des résultats très décourageants. Chaque fois que nous procédons à un audit, nous retrouvons ces indicateurs. J’aimerais que les ministères utilisent les indicateurs que nous employons dans nos audits et qu’ils effectuent un suivi de ces indicateurs pendant quelques années. De cette façon, ils pourraient vous dire à vous, ou à quiconque s’intéresse à ces sujets, s’ils font des progrès.

Un programme avait été mis sur pied pour préparer nos membres des Premières Nations à poursuivre leurs études après le secondaire. Le gouvernement a dépensé 40 millions de dollars sur ce programme, mais seulement 8 p. 100 des participants ont, en fait, pu achever le programme préparatoire. On ne sait pas combien d’élèves ont poursuivi des études postsecondaires, ni combien y ont réussi. Seulement 8 p. 100 d’entre eux ont pu terminer le programme préparatoire. Il existe encore d’importants problèmes dans le dossier de l’éducation.

La sénatrice Eaton : Ce qui fait une farce de notre démarche, au Comité des finances. C’est bien beau de dire oui, vous dépensez tel et tel montant, et vous l’approuvez, mais si vous ne pouvez pas faire des suivis de ces sommes, ni en constater les résultats, ou même si les cibles visées sont atteintes, pourquoi même se donnent-ils la peine de se présenter devant nous?

M. Ferguson : Je pense qu’il faut aller encore plus en amont. Tout commence avec les données d’évaluations de rendement que les ministères publient. Si vous regardiez les rapports des diverses vérifications que nous avons menées depuis quelques années, vous constaterez que, bien souvent, nous y avons dit que nous ne pensions pas que l’information que fournissent les ministères sur certains indicateurs clés reflète véritablement leur rendement, et l’ARC en est le pire exemple.

[Français]

La sénatrice Moncion : J’ai trois questions à vous poser. La première est liée à une statistique qui apparaît dans votre premier rapport où vous indiquiez que, en 2012, il y avait 2 000 conseillers à la paye, que 1 200 conseillers perdaient leur emploi en avril 2016 et que 460 de ces 1 200 employés ont été remplacés et se sont retrouvés à Miramichi. Vous indiquiez également que 80 000 règles devaient être programmées dans le système PeopleSoft ou Oracle, issues de 105 conventions collectives différentes à l’intérieur du gouvernement et de 200 programmes personnalisés, et que 51 p. 100 des chèques émis étaient erronés.

Parmi les commentaires qu’ils nous ont transmis, les employés de Miramichi ont précisé que, lorsque des employés quittaient leur poste, leurs dossiers n’étaient pas complétés ou les données des employés n’étaient pas transférées à d’autres. Ainsi, 90 000 dossiers d’employés n’avaient pas été intégrés au moment du transfert de l’ancien système de paye au nouveau système. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Est-ce un aspect que vous avez examiné lors de votre vérification?

M. Ferguson : Je vais commencer à vous répondre, et je demanderai à M. Goulet de vous donner les détails. Bien sûr, nous avons indiqué que le Centre des services de paye de Miramichi n’était pas prêt à traiter toute la charge de travail. Un aspect de ce problème était qu’il y avait des dossiers en retard, et je pense qu’il y avait peut-être un peu plus de dossiers à traiter que ce qui avait été escompté pour le Centre des services de paye de Miramichi. Il y avait deux aspects; des retards dans certains documents et certains dossiers, mais aussi une grande charge de travail, et le centre de paye n’était pas prêt. M. Goulet pourra vous donner plus de détails.

Jean Goulet, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Ce que M. Ferguson vient de mentionner est très juste. J’ajouterais que les 90 000 dossiers auxquels vous faites référence ont été portés à notre attention bien après la conclusion de notre première vérification, où l’on avait parlé de 45 000 dossiers. Nous avons vérifié 45 000 dossiers et non pas 90 000.

Donc, premièrement, je ne peux pas en dire plus à propos de ces 90 000 dossiers. Deuxièmement, il y a une combinaison de facteurs. Il y a eu ces 45 000 dossiers et, ensuite, il y a eu le transfert des conseillers à la paye qui s’est fait de 2012 à 2015-2016. Lors de ce transfert, certains dossiers n’étaient pas clos et d’autres dossiers provenaient de Travaux publics Canada qui n’avaient pas été traités à temps. Finalement, la capacité des conseillers à la paye était bien en deçà de ce qu’on attendait d’eux, pour des raisons très évidentes. Ils n’avaient pas l’expérience ni la formation nécessaires pour faire le traitement tel qu’il était fait auparavant par les conseillers à la paye au sein des ministères.

La sénatrice Moncion : Ma deuxième question porte encore sur votre rapport. Dans votre document, je crois que c’est celui de novembre, vous parlez des incidents, des cas à incidence élevée aussitôt que cela dépassait 100 $. Deuxièmement, vous avez indiqué les cas à incidence faible et sans incidence. Le calcul est en date de juin 2017. Vous avez indiqué 258 000 transactions à incidence élevée, c’est-à-dire de plus de 100 $. Est-ce que ces nombres ont augmenté ou diminué ou sont-ils restés stables? Y a-t-il eu des corrections qui ont été apportées? J’imagine que les dossiers traités en priorité sont ceux à incidence élevée. Est-ce que cela fait partie de votre vérification?

M. Goulet : Pour les besoins de la deuxième vérification, non, cela n’a pas fait partie de l’audit. On a analysé le projet comme tel jusqu’à la décision d’aller de l’avant. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le ministère publie une mise à jour des résultats tous les mois. Il semble indiquer qu’il y a une baisse, mais je ne peux pas vous l’affirmer.

La sénatrice Moncion : Ils nous ont dit que tous les cas liés aux congés de maternité, notamment, avaient été réglés. Il y avait quatre catégories qui étaient réglées à ce moment-là. J’aimerais savoir si davantage de travail a été fait. Est-ce que le nombre de ces cas a diminué?

Sur le tableau de bord de la fonction publique, au 2 mai 2018, il y a 607 000 demandes d’intervention de paye qui étaient en attente pour 200 000 employés servis par le Centre des services de paye de la fonction publique, soit une moyenne de trois transactions en attente par employé. Durant la même période, près de 35 000 demandes d’intervention de paye étaient en attente pour 123 000 employés dans des ministères qui ne sont pas servis par le centre de paye, soit en moyenne 0,28 transaction en attente par employé. Est-ce que votre vérification vous a permis d’expliquer cet écart entre les employés que reçoivent des services du centre de paye et ceux dont les conseillers en rémunération sont sur place? Parce qu’il y a aussi des problèmes de paye ailleurs, qui ne sont pas liés à Phénix.

M. Goulet : Je vous remercie de votre question. Cela se rapporte à la première vérification. La différence fondamentale, c’est que les ministères qui ont conservé leurs conseillers à la paye ont conservé des conseillers plus expérimentés qui pouvaient mieux naviguer dans le système. Ils avaient la formation et l’expérience nécessaires, alors qu’à Miramichi — on parlait plus tôt des 460 conseillers —, la majorité des conseillers ont été embauchés sur place, parce que des 1 200 conseillers d’Ottawa dont les services n’ont pas été retenus, presque aucun n’a accepté d’aller travailler à Miramichi. C’est véritablement un problème lié à l’expérience, à l’expertise et à la formation. Par contre, même avec des conseillers très expérimentés, les ministères qui n’ont pas été centralisés à Miramichi ont tout de même beaucoup de difficultés à traiter des cas.

La sénatrice Moncion : J’aimerais ajouter quelque chose. Vous indiquez dans votre rapport que le Service correctionnel du Canada, la Garde côtière et les infirmières, en raison des quarts de travail, des primes d’éloignement et d’autres facteurs sont les cas les plus difficiles à traiter dans le système de paye. Ces cas ont probablement un taux supérieur à trois transactions par employé, parce que l’intégration n’avait pas été faite correctement. Cet aspect a aussi été souligné par les employés de Miramichi. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, d’être ici.

Peut-être nous l’avez-vous dit auparavant, et je n’ai pas écouté ou retenu, mais pouvez-vous me dire quand l’ancien système a été mis au rancart? Nous avons l’impression qu’il a été démantelé d’abord, puis le nouveau système est entré en œuvre, mais j’aimerais savoir quand l’ancien système a été pleinement démantelé, de sorte qu’il ne pouvait plus du tout servir.

M. Goulet : Je n’ai pas la date exacte où le système est devenu hors service. Il a continué de fonctionner pour les ministères qui ne l’avaient pas déployé en février, jusqu’au déploiement final, en avril 2016. Après cela, les données étaient encore accessibles. Je suppose qu’elles le restent, pour permettre de faire des recherches historiques, ou de payes rétroactives, à la suite de la conclusion de conventions collectives.

Un plan de secours avait été dressé, dont nous traitons dans notre rapport. S’il y avait eu une panne catastrophique au lancement de Phénix, il était prévu de retourner à l’ancien système. Je suppose que pendant un certain temps, il aurait été possible de le faire, mais nous n’avons pas fait de vérification de cet aspect.

Le sénateur Neufeld : Merci.

Dans mon ancienne vie, je connaissais le Conseil du Trésor. J’ai comparu à maintes reprises devant le Conseil du Trésor — pas celui du gouvernement fédéral, évidemment, mais plutôt d’un gouvernement provincial. Le Conseil du Trésor, du moins d’après ce que j’ai appris du processus — je ne l’ai pas appris à l’école, mais plutôt sur le tas — était le gardien. C’est lui qui examinait nombre de ces choses, particulièrement en ce qui concernait les changements d’envergure. À mon avis, quand on change tout un système de rémunération, c’est un changement d’envergure. Ce n’est pas qu’une question d’acheter 20 voitures plutôt que 10.

J’estime que le Conseil du Trésor et les ministres responsables — quels qu’ils soient, peu m’importe — portaient une énorme responsabilité, celle de s’assurer que le système fonctionnait bien. Êtes-vous d’accord avec moi? Il faut un gardien. Nous avons parlé du gouvernement. Je ne suis pas sûr que vous parliez alors des élus. Nous élisons un gouvernement, qui assume une responsabilité. Je sais que lorsque j’étais ministre, c’est moi qui portais l’ultime responsabilité. Si quelque chose tournait mal, c’est à moi, nul autre que moi, qu’on le reprochait.

Je voulais obtenir cette réponse. Est-ce cela que vous entendez par « gouvernement »? Il s’agit du gouvernement, peu importe son allégeance. Je n’essaie pas de m’en prendre à un gouvernement conservateur ou libéral. J’essaie tout simplement de savoir ce que vous en pensez.

M. Ferguson : J’ai essayé de répondre à cet enjeu dans le chapitre de messages qui accompagnait notre rapport. Je me suis penché sur la question de savoir à qui revient le blâme et qui en est responsable. J’ai tranché que, de toute évidence, les cadres devaient assumer le blâme de l’échec du projet. Ils avaient recommandé à ce qu’on mette en œuvre un projet alors qu’il n’était pas prêt.

Mais il faut également songer au sous-ministre responsable à l’époque et se demander : « Attendez. Cela s’est produit sous l’égide du sous-ministre. Or, le sous-ministre avait pour responsabilité de poser des questions et de faire preuve de la diligence raisonnable qui lui permettrait de comprendre ce qui se passait. » De toute évidence, cela n’a pas été le cas.

Ensuite, du point de vue politique, on peut scruter le gouvernement qui était au pouvoir à l’époque où on a décidé d’entamer le projet. Ce gouvernement a approuvé un projet qui n’était pas doté d’un système de surveillance approprié. Le gouvernement n’avait pas établi le rôle qu’assumerait le Conseil du Trésor ainsi que celui du Secrétariat du Conseil du Trésor. S’agirait-il d’un comité composé de sous-ministres qui assurerait une certaine surveillance du projet? De plus, ils acceptaient que ce projet, qui devait coûter quelque 300 millions de dollars, dont 155 millions de dollars seraient attribués aux coûts liés au TI, serait en mesure de générer 70 millions de dollars en économie dès la première année et ainsi être en mesure de s’autofinancer en moins de cinq ans.

Ensuite, on peut examiner le gouvernement actuel, qui était au pouvoir lorsque le système a été mis en œuvre. Malgré la controverse en ce qui a trait au fait de déménager les conseillers à la rémunération à Miramichi, le projet de Phénix n’a pas été mentionné dans les lettres de mandat envoyées aux ministres. De toute évidence, tout comme l’ancien gouvernement n’avait peut-être pas posé assez de questions en ce qui a trait à la surveillance et à la gouvernance, le gouvernement actuel n’a pas posé assez de questions en ce qui a trait au projet. Cela n’a pas assez piqué sa curiosité, même s’il s’agissait d’un projet d’envergure.

Avec le recul, on peut examiner tout cela et voir que soit les cadres responsables de projet, le sous-ministre ou les gouvernements successifs avaient eu l’occasion de cibler ce qui se passait et de dire : « Attendez. Nous devons ralentir le projet, car on ne dirait pas que ça va fonctionner. »

Le sénateur Neufeld : Pensez-vous qu’il faudrait que le Conseil du Trésor obtienne une directive écrite du premier ministre ou d’une autre personne qui leur dise : « Conseil du Trésor, cela relève de votre responsabilité. Vous allez devoir rendre des comptes. » Est-ce que vous pensez que c’est cela qui devrait se produire? Personnellement, je ne pense pas que cela soit le cas. Je pense que le ministre, et les sous-ministres et les gens qui travaillent au Conseil du Trésor devraient estimer qu’ils sont responsables, car ce sont eux qui ont attribué les fonds en premier lieu. Ce sont eux, les fonctionnaires et le ministre, du moins dans le système que je connais, qui sont allés voir le Conseil du Trésor pour prouver que c’était ce qu’ils souhaitaient faire et que c’était la manière de le faire.

M. Ferguson : Je faisais référence aux lettres de mandat que les ministres avaient reçues et non pas que le Conseil du Trésor aurait dû recevoir une directive écrite. Le Conseil du Trésor a approuvé le projet initial. On leur avait donc présenté le projet, ainsi que sa mise en œuvre. C’était l’occasion pour le Conseil du Trésor de cibler que le projet ne comportait pas de mesures de surveillance robustes. Dès que l’on approuve un projet qui ne contient pas de mesures de surveillance robustes, il existe une absence de surveillance. Le Secrétariat du Conseil du Trésor, soit les gens qui habilitent le Conseil du Trésor, ont indiqué en décembre 2015 qu’un problème était à l’horizon. Ils ont alors fait appel à Gartner, mais c’était déjà beaucoup trop tard. Le projet était prêt à être mis en œuvre et, de nouveau, les ministres du Conseil du Trésor n’étaient peut-être pas au courant de cela. Je ne fais qu’émettre des hypothèses à ce sujet. Je pense que le problème a commencé lorsque le Conseil du Trésor a approuvé un projet qui ne comportait pas de surveillance robuste. Ensuite, il n’y avait pas de mécanismes qui permettraient à ce que des renseignements supplémentaires viennent au Conseil du Trésor.

Le sénateur Neufeld : Je comprends. Selon nos notes, le 13 janvier, le Conseil du Trésor a reçu un document stipulant que le taux de succès était en deçà de 50 p. 100. Le Conseil du Trésor a reçu ces documents le 13 janvier, mais, malgré tout, il est allé de l’avant six semaines plus tard, à savoir le 24 février et a mis le projet en œuvre. Je n’arrive pas à y croire. Le système de paye de centaines de milliers de personnes, ce qui comprend presque tout le monde travaillant pour le gouvernement, est un enjeu majeur. Le Conseil du Trésor a reçu des notes avec ces commentaires, mais avec d’autres commentaires tout aussi négatifs, comme le fait que la route allait être difficile et que le système n’était peut-être pas prêt. Cela aurait dû sonner l’alarme chez quelqu’un, que ce soit un ministre, un sous-ministre ou un employé du Secrétariat du Conseil du Trésor. Quelqu’un aurait dû se dire : « Il y a un problème, mais l’ancien système est toujours en place. Nous devrions envisager une autre solution. » Malgré tout, le Conseil du Trésor a lancé le nouveau système le 24 février, avant d’aller encore plus loin le 21 avril.

Est-ce à quoi vous faites référence lorsque vous parlez de « culture gouvernementale »? C’est l’idée de se dire : « Je m’en moque. Je termine mon travail à 17 heures, puis je retourne à la maison. Je serai de retour au travail demain, et il se peut que tout fonctionne ou que tout soit dysfonctionnel. » Est-ce du laisser-faire? Est-ce ce dont vous parlez?

M. Ferguson : Pour ce qui est de ce cas précis, comme vous l’avez mentionné, quelqu’un aurait dû intervenir à de multiples occasions. Tout au long de notre audit, nous avons identifié différentes étapes lors desquelles quelqu’un aurait dû dire : « Un instant. Cela ne fonctionnera pas. »

Je crois que ce qui s’est produit, c’est que tous ceux qui étaient au courant des problèmes en ont parlé aux directeurs de projet. Ce sont ces derniers qui étaient responsables du projet. Les directeurs de projet continuaient de dire qu’ils étaient au courant des problèmes, mais qu’ils savaient comment les régler. Je crois que ce qui s’est produit, peut-être en raison de la culture dans le système, c’est que personne n’était préparé à dévier de la voie hiérarchique pour le projet. Personne n’était prêt à dire que le projet n’allait pas fonctionner et qu’il allait trouver une façon de le mettre en suspens. Diverses personnes parlaient des problèmes. Le rapport Gartner lui-même a été envoyé aux directeurs de projet. Par contre, chaque fois, les directeurs de projet au SPAC, une fois au courant, disaient : « Oui, nous sommes au courant de ces problèmes et nous savons comment les régler. » Personne n’a jamais dit : « Je ne suis peut-être pas la figure d’autorité directe pour ce projet, mais je suis convaincu qu’il ne fonctionnera pas et je vais trouver une façon de stopper le tout. » Personne ne l’a fait, car au bout du compte, ces personnes n’assumaient pas la responsabilité du projet et n’avaient pas de comptes à rendre. On ne leur a jamais donné un rôle de surveillance. On ne leur a jamais dit de dire oui ou non. C’était plutôt les directeurs de projet qui pouvaient faire cela. Ainsi, les autres employés ne participayent pas à la prise de décisions.

La sénatrice Andreychuk : J’aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Neufeld et éclaircir un point en particulier. Je comprends que, à un certain moment, la taille du projet a été réduite. Certaines composantes du projet ont été abandonnées, alors qu’elles auraient pu assurer le fonctionnement du système de paye Phénix. Il y avait des limites de temps et d’argent, ce qui a mené certaines personnes à réduire la taille du projet, si je puis dire. Par la suite, cela a créé des problèmes. Est-ce que ces changements se sont faits au niveau des directeurs de projet? Le gouvernement a-t-il eu vent de ces changements proposés à Phénix, ou est-ce plutôt les directeurs de projet qui ont décidé de changer le système?

M. Ferguson : Les directeurs de projet sont ceux qui ont pris ces décisions. Au début, le budget était de 155 millions de dollars pour les technologies de l’information. Une fois que le concept du système a été envoyé à IBM, ces derniers ont dit que le système coûterait en fait 274 millions de dollars. Les directeurs de projet ont donc décidé de réduire la fonctionnalité du système afin de s’en tenir au budget initial de 155 millions de dollars. Ainsi, les directeurs de projet se sont départis d’outils pour gérer la rémunération rétroactive, de certains tests du système et du projet pilote afin de respecter le budget. Ce sont eux qui ont pris cette décision.

Nous, ce que nous disons dans notre audit, c’est qu’à un certain point, les directeurs de projet avaient la responsabilité de contacter le Conseil du Trésor et de lui dire qu’ils avaient soit besoin de plus d’argent ou qu’ils allaient devoir réduire les fonctions du système d’une façon si majeure que celui-ci ne pourrait plus produire 70 millions de dollars d’économies par année, telle qu’ils l’avaient dit au départ.

Au départ, ils avaient reçu un budget approuvé de 155 millions de dollars. Leur plan initial était également d’avoir un projet qui permettrait d’épargner 70 millions de dollars par année. Les directeurs de projet auraient dû savoir à un certain point qu’il faudrait faire des coupures pour réussir à épargner 70 millions de dollars par année et qu’ils allaient devoir dépenser plus d’argent. Ils auraient dû savoir que s’ils allaient dépenser moins d’argent, ils n’arriveraient pas à économiser 70 millions de dollars par année. Peu importe leur décision, ils auraient dû retourner consulter le Conseil du Trésor.

La sénatrice Andreychuk : Vous me dites que rien n’indique que les directeurs de projet ont parlé des changements à qui que ce soit, c’est cela?

M. Ferguson : C’est exact.

La sénatrice Cools : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui, monsieur Ferguson.

Il y a quelques semaines, nous avons rencontré des employés du Centre des services de paye de Miramichi sur place. J’ai eu l’impression qu’ils étaient passés par les portes de l’enfer pour atteindre enfin les portes du paradis. Les employés étaient optimistes. Nous les avons rencontrés. Ils avaient hâte de nous rencontrer et d’avoir des discussions agréables avec nous. Certains d’entre eux m’ont paru très aimables. J’ai été très impressionnée lorsqu’ils nous ont dit avec confiance être sortis de l’enfer. Ils étaient certains de commencer à retrouver le contrôle de la situation. Nous avons eu des discussions très positives. J’ai l’impression qu’on a peut-être un peu épuisé le sujet. Peut-être pourrions-nous nous concentrer sur l’avenir et les promesses qui seront tenues. Pensez-vous que le problème pourra être bientôt réglé?

M. Ferguson : Je ne peux vous dire combien de temps cela prendra pour que le problème soit réglé. Par contre, comme je l’ai dit à de multiples reprises, le problème doit être réglé d’une façon ou d’une autre. Les solutions possibles sont multiples. On pourrait engager suffisamment d’employés, faire les calculs qui avaient été prévus pour le système, faire les calculs et obtenir les résultats de façon manuelle avant de les enregistrer, ou encore changer certaines parties du processus. Les employés ont diverses solutions à leur disposition pour régler le problème.

Quoi qu’il en soit, au bout du compte, le problème doit être réglé d’une façon ou d’une autre. Peu importe si les employés décident de garder le système de paye Phénix à long terme ou d’envisager une autre option à long terme, ils doivent s’assurer que tous ceux faisant partie de ce système de paye soient rémunérés adéquatement et à temps. Je ne sais pas combien de temps cela va leur prendre. Je suis toutefois heureux d’avoir entendu vos impressions sur la confiance des employés.

Chaque année, nous examinons les dépenses liées à la paye lors de notre audit des états financiers du gouvernement fédéral. Durant cet audit, nous aurons des indications qui nous permettent de dire si les résultats s’améliorent ou non. Nous sommes en train de faire cet audit, mais je dirais qu’il reste d’importants défis à relever pour gérer ces problèmes.

La sénatrice Cools : Merci de votre réponse. Il est toutefois clair qu’ils n’ont vraiment pas compris l’ampleur des problèmes. Nous devons leur laisser le temps de faire le point. En ce moment, je compte sur eux pour rétablir la situation.

La sénatrice Deacon : Je serai brève, car ma question ressemble à une des questions qui a été posée par la sénatrice Cools sur la stabilité, l’avenir et les leçons que nous pouvons tirer de la situation.

Avec le système de paye, il y a eu un rapport de cause à effet immédiat. Lorsque les choses ne fonctionnent pas, les gens ne sont pas payés. Les Canadiens et Canadiennes le comprennent. Je me demande donc si, dans d’autres secteurs gouvernementaux, il existe des problèmes qui ne deviennent pas aussi flagrants, car il ne s’agit pas de chèques de paye. Peut-être ne pouvez-vous pas répondre à cette question.

De plus, comme le sénateur Neufeld l’a dit dans sa question, nous nous penchons sur la responsabilité. Mon travail était de lancer un nouveau système de paye pour 9 000 employés — pas 900 000 — et un nouveau système Internet. Avec le recul, l’élément le plus important est qu’il a fallu trois ans pour développer cette culture axée sur la préparation, la collaboration, la reddition de comptes, la confiance, le travail d’équipe et l’agilité au sein de l’équipe de direction. Il s’agit des éléments qui créent la culture dont nous avons besoin pour aller de l’avant et changer les choses.

Quand on parle de la culture comme domaine de préoccupation, il me tarde d’apprendre comment nous allons plus loin dans ce domaine pour comprendre de quoi il s’agit afin que les employés qui sont précieux aient l’impression de faire partie de la solution également, tout en pouvant venir au travail et être fiers de leur emploi futur.

Je ne veux pas obtenir une réponse précise; je reviens simplement à certaines des observations formulées plus tôt.

M. Ferguson : J’aimerais revenir à la première partie de la question. En fait, il s’agit d’une préoccupation importante, sur laquelle le gouvernement doit se pencher. Oui, Phénix est évident. Le système ne fait pas ce qu’il devrait faire, et cela se répercute sur les chèques de paye des employés, de sorte que tout le monde le voit.

Nous avons fait de nombreux audits ces derniers temps. L’un des enjeux que nous avons soulevés à de nombreuses reprises est lié au fait que les ministères ne veillent pas à la qualité des données qu’ils recueillent. Je ne parle pas de la quantité; je parle plutôt de la qualité. Les ministères ont construit des systèmes informatiques pour appuyer des programmes, mais ensuite, ils ne s’assurent pas que les données de ces systèmes soient de qualité suffisante. Il peut s’agir d’adresses inscrites de différentes façons, plutôt que de veiller à ce qu’une adresse soit inscrite d’une seule façon dans un système. Dans certains de ces systèmes, l’adresse est essentielle pour le programme que ce système est censé appuyer.

S’il est vrai que Phénix est un échec évident, je crois qu’il existe d’autres systèmes qui ne font pas ce qu’ils devraient faire pour appuyer les programmes du gouvernement, mais personne ne les remarque parce qu’ils n’ont pas d’effets sur les chèques. Les employés n’ont qu’à contourner ces systèmes. Le gouvernement doit faire quelque chose. Il doit revenir en arrière et veiller que tous ces systèmes qui sont exploités contiennent les bonnes données pour veiller à exercer le bon contrôle sur les données et que les données soient recueillies de la bonne façon afin que ces systèmes puissent appuyer les programmes qu’ils ont été conçus pour appuyer.

La sénatrice Deacon : Cela revient également à ce que disait la sénatrice Eaton lorsqu’elle parlait de précision, de clarté et d’honnêteté. Ce rapport doit sonner un véritable signal d’alarme pour d’autres ministères, programmes, séries de données, analyses ou systèmes d’enregistrement désuets. Il doit également y avoir des pochettes d’excellence. Des ministères de toutes tailles doivent en tirer des leçons et faire ce qu’il faut. Il y a deux façons de voir le rapport. C’est d’abord un signal d’alarme pour le reste de l’équipe. Ensuite, c’est aussi une occasion pour le gouvernement de tirer des leçons des ministères plus créatifs et progressistes.

La sénatrice Moncion : Les représentants d’IBM nous ont dit qu’il y avait eu un transfert de données d’un système à l’autre sans intervention humaine. La qualité des données qui furent transférées automatiquement devait donc être bonne, sinon elles auraient été retirées du système.

M. Ferguson : Lorsque je parlais de la qualité des données, je ne faisais pas référence à Phénix, mais bien aux autres systèmes. Selon ma compréhension, le plan d’urgence aurait été enclenché si le transfert de données d’un système à l’autre n’avait pu se faire.

C’est une pratique courante pour les systèmes financiers ou de rémunération. La qualité de ces données est meilleure. Je faisais plutôt référence à d’autres systèmes qui semblent fonctionner, mais qui cachent des problèmes de données. Je ne faisais pas référence à un problème lié au transfert original de données vers le système Phénix.

La sénatrice Moncion : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Vous avez mentionné, dans votre présentation de ce matin, le besoin de favoriser un changement de culture au sein de l’administration publique fédérale. Dans votre rapport, vous avez suggéré la mise en place d’un organisme de surveillance des projets importants en matière de technologie de l’information. Si on ajoute un niveau de surveillance supplémentaire, n’y a-t-il pas un danger que cela empêche la culture de changer?

M. Ferguson : C’est pour cette raison que je dis qu’il y a deux aspects, soit l’aspect des procédures et des politiques, mais aussi l’aspect de la culture. Il est important que le gouvernement se penche sur ces deux aspects afin de déterminer les changements de procédure, mais aussi les changements nécessaires à la culture.

Je pense que, dans tous les projets importants, les projets complexes, il est important d’examiner le niveau de surveillance nécessaire afin de mener le projet à bien de façon adéquate. Dans les projets complexes comme Phénix, il est important d’avoir un niveau élevé de surveillance afin de s’assurer que le projet se déroule de façon appropriée. Ce n’est pas nécessairement la façon de régler tous les problèmes. Il faut également examiner la culture au sein du gouvernement et déterminer si cette culture est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes aux prises avec ce type de problème.

Bien sûr, vous avez raison de dire qu’il y a un risque que cela mène simplement à une autre politique, mais je crois que, en général, la façon de régler ces problèmes n’est pas de prévoir davantage de règles, mais de veiller à ce que la culture favorise l’atteinte des objectifs.

Le sénateur Dalphond : Merci.

[Traduction]

Le président : Sur ce, honorables sénateurs, notre réunion tire à sa fin.

Merci au vérificateur général pour l’information qu’il nous a présentée et la clarté de ses réponses. Au Comité sénatorial permanent des finances nationales, notre objectif — et je sais que c’est un objectif que partage le Bureau du vérificateur général — est d’assurer la transparence, la reddition de comptes, la prévisibilité et la fiabilité. Monsieur Ferguson, je vous remercie sincèrement de nous avoir renseignés davantage sur le système de paye Phénix. Nous vous enverrons un exemplaire de notre rapport lorsque nous l’aurons déposé au Sénat.

Avant que nous suspendions la séance pour passer à huis clos, aimeriez-vous ajouter quelque chose, monsieur Ferguson?

M. Ferguson : Monsieur le président, j’aimerais remercier les sénateurs de leur intérêt et leur engagement envers ce dossier. Il doit y avoir des changements pour éviter qu’une situation comme Phénix ne se reproduise à l’avenir. Je vous suis reconnaissant de l’intérêt que vous avez montré.

Le président : Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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