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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule no 73 - Témoignages du 19 septembre 2018


OTTAWA, le mercredi 19 septembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, en séance publique, afin d’étudier le projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé), et à huis clos, afin d’étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je m’appelle Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je préside le comité. Je souhaite la bienvenue à toutes les personnes présentes ici aujourd’hui et à toutes celles un peu partout au pays qui nous regardent peut-être à la télévision ou sur Internet. Je désire rappeler à ceux et celles qui nous regardent que les audiences du comité sont ouvertes au public et disponibles en ligne à sencanada.ca

À tous les membres du comité qui reviennent de la pause de l’été, je souhaite la bienvenue.

Je demanderais aux sénateurs de se présenter.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, du Québec.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : J’aimerais vous présenter Mme Gaëtane Lemay, notre greffière, et nos deux analystes, M. Alex Smith et M. Shaowei Pu qui, ensemble, appuient les travaux de ce comité.

[Traduction]

Honorables sénateurs et sénatrices, nous commençons notre étude du projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé). Le projet de loi S-243 a été présenté au Sénat du Canada le 22 novembre 2017 par notre collègue, l’honorable sénateur Percy Downe, qui est avec nous ce soir et qui sera notre premier témoin.

L’étude du projet de loi a été renvoyée à notre comité le 5 juin, le jour même de sa deuxième lecture.

L’honorable Percy Downe prononcera une déclaration, à la suite de laquelle les sénateurs pourront lui poser leurs questions.

L’honorable Percy E. Downe, parrain du projet de loi : Merci, monsieur le président et chers collègues. La plupart de vous m’ont entendu parler du projet de loi par le passé, je serai donc bref et essaierai de répondre à toutes les questions que vous pourrez avoir.

La Loi sur l’équité pour les contribuables canadiens proposée est l’aboutissement de plusieurs années de travail non seulement de ma part, mais de celle d’une série de directeurs parlementaires du budget et d’autres personnes travaillant un peu partout au Canada dans le but d’obtenir une certaine transparence et une reddition de comptes de l’Agence du revenu du Canada.

J’ai dit par le passé que l’ARC jouit d’un statut unique dans l’appareil gouvernemental parce qu’elle fait toujours de l’argent pour le gouvernement. On a donc eu tendance à considérer qu’il valait mieux ne rien changer, estimant que le mieux est souvent l’ennemi du bien. Telle était l’attitude qui avait cours lorsque j’étais moi-même dans l’appareil gouvernemental, je m’en souviens. Autrement dit, comme l’ARC avait pour objet de générer des revenus pour le gouvernement, si elle en générait, c’était qu’elle devait bien travailler.

Malheureusement, l’expérience récente — la mienne et celle d’autres personnes — montre que cette confiance n’était pas méritée. Je vais vous parler plus tard d’une série de situations dans lesquelles l’Agence du revenu du Canada s’est révélée moins que transparente. En conséquence, toute prétention ou estimation formulée par cet organisme doit être soumise à une vérification indépendante du directeur parlementaire du budget.

L’objet du projet de loi est triple. Tout d’abord, il oblige l’ARC à faire rapport au Parlement chaque année sur toutes les condamnations pour évasion fiscale, et cela comprend une liste distincte de toutes les condamnations pour évasion fiscale à l’étranger.

Il oblige également le ministre du Revenu à faire, chaque année, rapport au Parlement sur le manque à gagner fiscal ou écart fiscal.

Enfin, il oblige l’ARC à fournir au directeur parlementaire du budget les données qu’il demande concernant l’écart fiscal ainsi que toutes les autres données que le DPB juge importantes pour procéder à une analyse indépendante du manque à gagner.

La première exigence a été formulée simplement parce qu’il est difficile d’obtenir de l’information de l’organisme. On pourrait croire que l’Agence du revenu du Canada serait heureuse de faire connaître tous ceux qu’elle fait condamner pour évasion fiscale à l’étranger, mais elle est plutôt réticente à divulguer des renseignements détaillés sur le sujet. Le site web de l’ARC compte une page d’Avis de mesures d’exécution, donnant la liste des accusations, condamnations et peines prononcées récemment pour des activités criminelles liées à la fiscalité, mais il comprend très peu d’informations sur les condamnations pour évasion fiscale à l’étranger.

En outre, lorsque des journalistes essaient d’obtenir des détails sur ce type de condamnation, et en particulier sur le nombre de condamnations pour évasion fiscale à l’étranger, les chiffres deviennent encore moins convaincants.

Elizabeth Thompson, de CBC, a rapporté dans les médias que « peu, sinon aucun » des procès mentionnés par le gouvernement pour faire connaître son combat contre l’évasion fiscale à l’étranger ont « quelque chose à voir avec les millionnaires qui cachent de l’argent dans des paradis fiscaux à l’étranger ». Par exemple, elle a examiné les 78 condamnations prononcées entre septembre 2015 et octobre 2017— un chiffre maintes fois mentionné par le gouvernement, les ministres, le ministère même et d’autres intervenants, pour réagir aux critiques voulant que le gouvernement ne fait rien contre l’évasion fiscale à l’étranger. Selon la journaliste, le service des nouvelles de CBC a examiné la liste des condamnations en regard de communiqués de l’ARC, de reportages et de dossiers de la cour et a constaté qu’aucune condamnation pour évasion fiscale à l’étranger n’y figure. Le reportage, chers collègues, a été diffusé à CBC le 18 décembre 2017.

J’ai déjà parlé longuement au Sénat de la deuxième exigence de mon projet de loi, soit que l’ARC mesure l’écart fiscal. Plutôt que de revenir là-dessus encore une fois, je vous renvoie au tableau que vous avez devant vous, préparé par mon bureau et présenté dans les deux langues. Vous y verrez ce qu’un certain nombre de pays et d’organismes internationaux pensent de l’écart fiscal et de l’importance qu’ils accordent aux mesures à prendre pour l’évaluer.

Vous n’avez pas devant vous une liste complète de tous les pays qui mesurent l’écart fiscal. Il s’agit fondamentalement d’un aperçu. En fait, j’ai constaté avec étonnement que bien peu d’agences de revenu national justifient leur décision de mesurer l’écart fiscal. Ils considèrent la chose comme étant simplement naturelle, tout comme les responsables d’Environnement Canada ne sentent pas le besoin d’expliquer pourquoi ils enregistrent les températures et les précipitations.

Au cours des trois dernières années, des progrès importants ont été réalisés pour le calcul de l’écart fiscal, des progrès dont l’Agence du revenu du Canada a fini par convenir, même si c’était un peu à contrecœur. En fait, l’agence a produit deux ou trois rapports sur le sujet. En apparence, donc, la question semble être résolue et nous pourrions simplement déclarer le dossier clos. Toutefois, j’ai constaté qu’on ne peut tout simplement pas laisser l’Agence du revenu du Canada à elle-même et croire tout ce qu’elle dit. Voilà pourquoi il importe que le directeur parlementaire du budget obtienne les données de l’ARC pour tirer ses propres conclusions.

Nous avons tous entendu parler de certains cas et je vous les mentionnerai donc brièvement, mais je suis prêt à vous donner plus de détails si vous avez des questions. Lorsque le vérificateur général a fait une étude sur le centre d’appels de l’ARC, l’agence a prétendu répondre à 90 p. 100 des appels faits à son centre concernant n’importe quelle question. Toutefois, le vérificateur général a constaté que l’agence arrivait à ce chiffre parce qu’elle bloquait plus de 28 millions d’appels, et que le taux réel de réponse était plutôt de 36 p. 100. L’ARC déclarait donc publiquement afficher un taux de réponse de 90 p. 100 alors que, selon l’analyse du vérificateur général, ce taux s’établissait à 36 p. 100.

On a parlé aujourd’hui au Sénat du crédit d’impôt pour personnes handicapées, un sujet controversé. Tout comme moi, beaucoup de vous ont été approchés par des groupes de personnes handicapées. En ce qui me concerne, on m’a dit qu’auparavant, 80 p. 100 des demandes étaient acceptées, mais que les choses ont changé par la suite et que l’Agence s’est mise à refuser 80 p. 100 des demandes. Or, l’ARC a déclaré publiquement n’avoir effectué aucun changement dans les critères, mais nous avons constaté qu’elle avait changé les variables; l’organisme a fait marche arrière après la vague de protestations.

Dans les deux derniers budgets — ceux de 2016 et de 2017 —, l’ARC et le gouvernement ont annoncé l’investissement de 1 milliard de dollars, en six ans, pour lutter contre l’évasion fiscale. Ils disent vrai, mais le gouvernement continue d’affirmer que l’ARC dépense 1 milliard de dollars alors qu’en décembre 2017, l’organisme avait dépensé 106 millions. Le gouvernement ne s’est donc pas mis à dépenser 1 milliard de dollars soudainement pour lutter contre l’évasion fiscale à l’étranger.

L’organisme a annoncé avoir un service affecté à temps plein au non-respect de la loi à l’étranger. Lorsque j’ai présenté une question écrite au Sénat et reçu la réponse de l’organisme, il est apparu qu’aucune augmentation ni aucun transfert de ressources n’avait été jugé nécessaire. Autrement dit, on a réparti le personnel autrement.

Naturellement, l’Agence du revenu se fait fort de clamer le montant en souffrance. Cependant, lorsqu’on lui demande combien elle a perçu dans les faits, il est beaucoup plus difficile d’obtenir le chiffre, qui est toujours considérablement plus faible.

Voilà seulement quelques exemples. J’en ai relevé de nombreux autres par le passé. En résumé, il est certes très important que l’Agence du revenu du Canada évalue l’écart fiscal, mais il est tout aussi important de faire vérifier cette évaluation par un organisme indépendant, comme le directeur parlementaire du budget.

Chers collègues, c’est avec plaisir que je répondrai au meilleur de mes connaissances à vos questions.

Le président : Merci. Honorables sénateurs, nous commencerons par la sénatrice Eaton, qui sera suivie du sénateur Forest, de la sénatrice Marshall et de la sénatrice Bellemare.

La sénatrice Eaton : Merci, monsieur le sénateur Downe. Voilà un excellent projet de loi. Je suis heureuse de l’appuyer.

Selon le Conference Board du Canada, l’écart fiscal pourrait se situer entre 8,9 milliards et 47,8 milliards de dollars. Voyez-vous les choses ainsi?

Le sénateur Downe : Oui.

La sénatrice Eaton : Notre système fiscal est-il devenu trop compliqué ? Avez-vous une idée quelconque du pourcentage de gens qui ne remplissent tout simplement pas bien leur déclaration de revenus?

Le sénateur Downe : Je ne crois pas que cela soit un problème en soi. Lorsqu’on fait sa déclaration de revenus, à moins d’être un comptable, on bute sur cette complexité des formulaires à remplir, que l’on fasse une déclaration à titre de particulier ou pour le compte d’une société.

Nous ne connaissons tout simplement pas la raison pour laquelle le Conference Board du Canada a calculé un écart aussi grand. Le tableau des autres pays nous permet de comprendre qu’ils établissent cette donnée pour cerner l’étendue du problème et décider des ressources à investir pour le combattre. Les chiffres avancés par le Conference Board du Canada sont consternants. Le fait est que, pendant des années, l’ARC a refusé d’évaluer l’écart fiscal qui, comme nous le savons tous, est la différence entre ce qui est dû et ce qui devrait être perçu.

L’écart fiscal permet également de connaître l’efficacité avec laquelle l’agence s’acquitte de sa tâche, ce qui peut expliquer en partie pourquoi elle hésite à le calculer.

Je ne crois pas qu’il y ait lieu d’être embarrassé. Si l’organisme ne fait pas un bon boulot, alors le gouvernement doit lui fournir les ressources, comme il l’a fait en lui octroyant 1 milliard de dollars pour cerner le problème et le corriger.

La sénatrice Eaton : Avez-vous la moindre idée des raisons pour lesquelles l’agence n’a dépensé qu’une fraction de l’argent qui lui a été donné?

Le sénateur Downe : J’ai entendu différentes choses, souvent de la part d’employés du ministère. L’un des problèmes est la fidélisation du personnel. En effet, le personnel de l’organisme est hautement qualifié. Or, l’échelle salariale du gouvernement ne correspond plus aux compétences de ces gens, de sorte que bon nombre quittent simplement la fonction publique. Ces gens ont acquis des compétences et des connaissances poussées après avoir occupé des postes élevés à l’Agence du revenu. Ils peuvent obtenir un revenu beaucoup plus élevé dans le secteur privé. La fidélisation du personnel est donc le problème sur lequel le gouvernement doit se pencher. Il faudra peut-être changer les normes salariales, ce qui causera un émoi partout au gouvernement. Cependant, étant donné l’importance de l’ARC, c’est une question que le gouvernement devrait examiner sérieusement.

[Français]

Le sénateur Forest : Je vous remercie, sénateur Downe, de vous intéresser à cette question fort importante à l’aide de toutes vos compétences.

Dans le cadre des travaux du comité, nous avons rencontré beaucoup de témoins. Une consultation menée dans l’ensemble du pays a permis de dégager un consensus fort. Notre système fiscal, qui a été créé pour financer l’effort de guerre — et auquel on a « ajouté des tranches de pain au club sandwich » au fil des ans — mériterait vraiment... À mon avis, un régime fiscal doit, d’une part, être performant et générer les revenus nécessaires pour prendre en charge les coûts des services publics qu’on veut bien se donner comme société. Il doit être équitable. Vous avez soulevé un point aujourd’hui : l’un des volets de notre système n’est peut-être pas tout à fait équitable, compte tenu de ce qu’on a constaté. Il doit être compétitif, parce qu’on est dans un contexte de mondialisation où les entreprises d’aujourd’hui, les jeunes hommes et femmes très compétents, ont la possibilité, selon des régimes fiscaux, de migrer vers divers régimes.

D’une part, croyez-vous qu’il serait pertinent d’amorcer une évaluation globale du régime fiscal canadien?

[Traduction]

Le sénateur Downe : Cela ne fait pas de doute, monsieur le sénateur, je crois que vous avez cerné le problème : l’équité. Ce qui mine notre système fiscal, c’est l’impression que certains Canadiens jouissent d’un traitement de faveur parce qu’ils peuvent déplacer leur argent à l’étranger et ne jamais payer pour cela. En fait, lorsqu’on consulte le site web de l’Agence du revenu — et je n’y suis pas allé depuis quelques mois — on y trouve toutes sortes de condamnations, pour lesquelles les employés de cet organisme sont très bons. Je le dis publiquement tout le temps. Ils réussissent très bien à obtenir des condamnations pour évasion fiscale au pays. On y voit des menuisiers de la Saskatchewan, des infirmières du Nouveau-Brunswick et des dentistes de l’Ontario accusés et condamnés et souvent envoyés en prison. Toutefois, le même site est pratiquement vide pour l’évasion fiscale à l’étranger.

En fait, le ministère n’a pas eu par le passé les ressources ou la capacité de poursuivre des gens qui avaient les moyens de se payer les services d’avocats et de comptables. Au Liechtenstein, notamment, on a recensé 106 Canadiens détenteurs d’un compte de banque. Il importe de préciser une fois de plus qu’il n’est pas illégal d’avoir un compte à l’étranger. Toutefois, c’est illégal de ne pas déclarer les revenus qui en sont tirés. En ce qui concerne les 106 Canadiens qui ont un compte au Liechtenstein, il faut savoir qu’il est impossible d’ouvrir un compte dans une banque là-bas sans avoir un demi-million de dollars.

Après huit ans, le gouvernement du Canada a déterminé que ces gens lui devaient 20 millions ou 30 millions de dollars. Non pas toutes ces personnes, mais certaines d’entre elles, mais aucune n’a été accusée et aucune n’a été condamnée.

Alors, cela nous ramène à la question fondamentale de l’équité que vous avez soulevée dans votre question. Si le système fiscal porte les gens à croire qu’ils n’y sont pas traités équitablement, le Canada va avoir un très grave problème.

La sénatrice Marshall : Merci, monsieur le sénateur Downe, d’être parmi nous aujourd’hui.

Croyez-vous que le projet de loi va résoudre le problème? En fin de compte, vous voulez que le gouvernement perçoive tous les impôts auxquels il a droit. Vous allez commencer par exiger que l’Agence du revenu du Canada présente des données pour calculer l’écart fiscal. Or, nous savons tous que la fiabilité de l’information fournie par l’Agence du revenu du Canada suscite des préoccupations. Avez-vous pensé à ce problème? L’agence va fournir les données à un directeur parlementaire du budget. Dans quelle mesure croyez-vous que l’information sera exacte et fiable? Pouvez-vous vous exprimer sur le sujet?

Le sénateur Downe : J’ai une grande confiance dans le directeur parlementaire du budget et ses employés. Ils sont indépendants du Parlement. Ils ont étudié les mesures prises par d’autres pays; ils ne réinventent donc pas la roue. Tous les autres pays le font. Ils sont entrés en communication avec eux et ils savent quelles données demander. S’il leur a fallu trois ou quatre ans, peut-être même plus, pour obtenir les données de l’ARC, c’est parce que l’agence a refusé de les leur fournir. Or, en vertu des dispositions législatives concernant le directeur parlementaire du budget, lorsque celui-ci demande des données, on est censé les lui fournir. Selon moi, il y a eu violation de la loi. Le directeur parlementaire précédent — la nomination du titulaire actuel vient tout juste d’être approuvée par le Sénat en juin — était prêt à poursuivre l’agence en cour sur cette question, et celle-ci lui a alors fourni l’information demandée. J’ai donc grandement confiance dans la capacité du directeur parlementaire du budget de savoir quoi demander et comment évaluer l’écart fiscal.

L’information sur l’écart fiscal n’est pas une panacée. Elle ne réglera pas tous les problèmes, mais elle fera comprendre aux Canadiens l’étendue du problème. Comme la sénatrice Eaton l’a déclaré, le Conference Board a évalué que l’écart se situe entre 9 milliards et 47 milliards de dollars. La différence entre les deux nombres est énorme. Six milliards ou 47 milliards. Quel est donc le chiffre réel? Le DPB, je crois, obtiendra un chiffre plus près de la réalité et les Canadiens ainsi que le gouvernement pourront alors déterminer les mesures à prendre.

La sénatrice Marshall : Doutez-vous quelque peu de la fiabilité ou de l’exactitude des données fournies par l’Agence du revenu du Canada ? Je me fierais au directeur parlementaire du budget pour obtenir les données de l’Agence du revenu du Canada, mais il doit ensuite travailler avec ces chiffres. Alors, dans quelle mesure peut-il, ou pouvons-nous, avoir confiance dans l’information fournie par l’Agence du revenu du Canada, étant donné sa réputation?

Le sénateur Downe : Voilà une préoccupation bien légitime. Je crois comprendre que le directeur parlementaire du budget a été prié de comparaître. C’est une question que vous devriez également lui poser. Lui et son personnel comprennent ces rouages techniques bien mieux que moi et j’ai bonne confiance qu’ils savent quoi demander et comment l’obtenir.

La sénatrice Marshall : Très bien. Alors une fois l’écart fiscal établi, il revient aux employés de l’Agence du revenu du Canada d’agir. Ils savent qu’ils devraient percevoir 80 milliards de dollars de plus. Ils doivent donc savoir où aller, ce qui de nouveau nous fait dépendre de l’agence pour déterminer la façon de mener les vérifications, qui doivent faire l’objet d’une vérification et comment faire ces vérifications. Une fois que nous avons établi combien des contribuables ou des sociétés doivent à l’Agence du revenu du Canada, les employés de cet organisme doivent ensuite percevoir cet argent. Le Bureau du directeur parlementaire du budget semble donc être un bien petit joueur comparativement à l’agence, mais c’est avec elle que nous éprouvons le problème. Nous voilà de nouveau dépendants de l’Agence du revenu du Canada. Comment pouvons-nous résoudre le problème?

Le sénateur Downe : Si le projet de loi est adopté, j’espère que le DPB présentera chaque année une fiche de rendement sur l’Agence du revenu du Canada qui montrera où l’agence en est rendue et si, au fil des ans, elle perçoit ou non plus d’impôts qui lui sont dus et combien, le cas échéant. Ce sera un simple rapport sur des dollars, combien l’agence ne perçoit pas, à l’intérieur d’une marge d’erreur. Ce n’est pas une science exacte, mais c’est infiniment mieux que ce que nous avons maintenant. Ce sera une fiche de rendement annuel qui sera portée à la connaissance de la population et du gouvernement et qui, espérons-le, exercera une pression sur cet organisme très secret et opaque. L’agence doit garder certaines données secrètes, naturellement. Personne ne veut que la déclaration de revenus du président soit rendue publique. Toutes ces données personnelles doivent être protégées, mais ce sont les données brutes que nous voulons connaître. Je crois que le DPB peut s’occuper de cela. Peut-être vous dit-il qu’il ne le peut pas, mais je crois qu’il le peut.

La sénatrice Marshall : Il faut commencer quelque part.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je trouve que le projet de loi est très intéressant. Toutefois, je me demande à quoi cela servira si on n’est pas en mesure d’avoir des données assez précises pour mesurer la réalité de l’écart fiscal.

Je reprends les propos de la sénatrice Eaton et de la sénatrice Marshall. Des écarts de 9 milliards à 47 milliards de dollars sont très importants. En tant qu’économiste, je sais qu’un des éléments majeurs est l’évasion fiscale. Si c’est cet aspect qu’on veut mesurer, il faut être très clair. Si on parle de payer sa juste part des services publics, c’est autre chose, parce qu’il y a tout le phénomène de l’économie au noir, qui est très difficile à évaluer. C’est peut-être plus important encore, je ne le sais pas. Cependant, si on s’engage dans une démarche pour mesurer l’écart fiscal par rapport au fait que des gens réussissent à faire de l’évitement fiscal et qu’on ne tient pas compte du phénomène de l’économie au noir, je ne sais pas si on fait œuvre utile. Peut-être que oui, tout de même, puisqu’il faut commencer quelque part.

Dans le cadre de vos lectures sur la façon dont fonctionnent les autres pays, avez-vous trouvé la manière dont ils tiennent compte de l’économie au noir?

[Traduction]

Le sénateur Downe : Votre premier commentaire est très judicieux. Ce ne serait pas un chiffre précis. Si le projet de loi est adopté, le DPB donnerait un ordre de grandeur qui, j’imagine, ne serait pas aussi large que celui du Conference Board du Canada. Le calcul de cette donnée ne relève pas d’une science exacte. Nous obtiendrons un chiffre sur l’évasion fiscale plus près de la réalité, mais nous ne connaîtrons pas l’écart au dollar près.

En ce qui concerne l’économie au noir, l’ARC a déjà analysé l’écart fiscal dans ce secteur. Il y a quatre ou cinq ans, elle s’opposait au calcul de tout écart fiscal. Elle a évolué depuis et elle a promis de faire ces calculs. Je crois qu’elle a fait le travail deux ou trois fois. Toutefois, l’agence n’a pas encore effectué d’analyse de l’écart fiscal pour l’évasion fiscale à l’étranger, mais elle en a fait une sur l’économie au noir au Canada. J’imagine que des responsables de l’agence comparaîtront ici et que vous pourrez leur poser la question.

Il semble que ce soit le cas. Mon adjoint dit oui. Il est très bien payé, alors je suis sûr qu’il ne se trompe pas.

La sénatrice Andreychuk : Merci, monsieur le sénateur Downe, de comparaître aujourd’hui. Vous avez beaucoup insisté pour parler de cette question et je vous ai vu vous démener à la Chambre pour trouver une occasion d’en parler. Je crois que nous avons rendu service aux Canadiens en soulevant ce problème.

Je regarde votre projet de loi. Selon vous, le problème pourrait tenir en partie à la fidélisation aux niveaux élevés de personnel hautement qualifié. Toutefois, ce dont nous avons entendu parler à notre comité, c’est le taux de roulement du personnel aux niveaux inférieurs et le manque de formation des gens. La fiscalité est tellement complexe et elle permet tant de choix discrétionnaires qu’une tension constante se construit entre la personne qui remplit sa déclaration et celle qui l’évalue.

Dans votre projet de loi, le paragraphe 88.1(1) se lit comme suit :

88.1(1) Dans le présent article, manque à gagner fiscal s’entend de la somme des cotisations qui auraient dû être établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des revenus non déclarés…

Et ainsi de suite. Le verbe « auraient dû » me cause un problème parce qu’il comporte un jugement personnel. Premièrement, il faut être certain de la somme due pour faire une telle déclaration. Or, nous avons constaté que c’est là où le bât blesse. Finalement, aurons-nous une information fiable? Voilà ce qui me préoccupe.

Avez-vous constaté que la réticence à agir tient à ce que beaucoup de cas concernant l’étranger — et je tiens pour acquis qu’on parle de cas d’évasion fiscale — font l’objet de négociations; alors, s’agit-il de marchés conclus? On ne veut pas dire : « Eh bien, nous avons réglé pour… ». On procédait de cette façon au Canada il y a 30 ans. On ne voulait pas divulguer la somme due, mais plutôt celle qu’il avait été convenu de verser.

Le sénateur Downe : Exactement.

La sénatrice Andreychuk : Avez-vous des commentaires à formuler?

Le sénateur Downe : Oui. Il y a une différence que tout le monde comprend entre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. L’évitement fiscal permet de soustraire un montant.

La sénatrice Andreychuk : Oui, et c’est légal.

Le sénateur Downe : L’Agence du revenu du Canada fixe un montant approximatif que chacun devrait payer selon ses revenus, et c’est cela qui est pris en compte.

L’article est pertinent parce qu’il concerne une position de repli de l’ARC. J’ai parlé plus tôt du Liechtenstein. Dans ce pays, un employé d’une banque mécontent a volé une liste sur laquelle figuraient tous les clients de l’organisme et l’a mise en vente. Le gouvernement de l’Allemagne l’a achetée. Il l’a examinée à fond et il a vu qu’un certain nombre d’Allemands y figuraient. Quand il a établi que la liste était authentique, il l’a mise à la disposition de tous les autres pays qui avaient des ressortissants dont le nom figurait dans le document. Le Canada en avait 106.

L’Agence du revenu du Canada n’avait, en réalité, rien fait. Elle n’avait pas été proactive. Elle a simplement reçu une information tombée du ciel.

Ces 106 Canadiens détenaient plus de 100 millions de dollars dans une banque. Comme je l’ai dit plus tôt, il était impossible d’ouvrir un compte au Liechtenstein avec moins d’un demi-million de dollars. Le compte de banque le plus garni s’élevait à 12 millions. Nous avons alors appris que l’Agence du revenu estimait qu’elle n’avait pas les ressources ni l’expertise pour agir. Elle voulait savoir comment les choses fonctionnaient. En conséquence, elle n’a accusé personne, même si elle avait constaté un manque à percevoir réel de 22,4 millions de dollars.

Il faut ensuite comparer le comportement de l’agence avec celui de ses homologues des autres pays. Or, après avoir reçu la liste de l’Allemagne, ils ont réagi immédiatement. Je pense que ce sont les Australiens qui ont le mieux travaillé. Ils ont mis en place un groupe de travail chargé de mener un projet multiministériel — le projet Wickenby. Un montant à percevoir a ensuite été fixé, qui a été dépassé, ont-ils dit. Ils ont ensuite rendu publics les noms des personnes accusées et condamnées. L’expérience australienne a montré que lorsque les gens voient leurs voisins accusés et écroués, l’évasion fiscale à l’étranger chute radicalement.

Au Canada, il est impossible de trouver le nom de quelqu’un qui a été condamné. Personne ne sait rien. Et, lorsqu’il y a des condamnations, comme Elizabeth Thompson de CBC News l’a constaté dans sa recherche —, il s’agit de cas rares qui mettent en cause le crime organisé ou quelque chose du genre. Il ne s’agit pas du tout de Canadiens qui cachent de l’argent à l’étranger, bien que l’agence prétende cela.

Le sénateur Pratte : Monsieur le sénateur Downe, comme vous l’avez dit, l’ARC a publié deux ou trois rapports sur l’estimation qu’elle a faite de l’écart fiscal. Je crois qu’elle l’a fait pour l’impôt sur le revenu des particuliers et pour la TPS. L’écart fiscal des sociétés n’a pas encore été établi, mais je suppose qu’il est également important.

Avez-vous examiné la façon dont l’écart fiscal a été calculé? Êtes-vous satisfait de ces rapports et de la façon dont les données ont été utilisées? Selon vous, pouvons-nous estimer que le projet de loi permettrait, en ce qui concerne les évaluations de l’ARC, d’amener l’agence à faire simplement ce qu’elle a fait dernièrement, après avoir subi beaucoup de pressions? Voulez-vous que l’agence fasse ce qu’elle a fait récemment, mais simplement chaque année? Ou êtes-vous insatisfait du travail fait par l’agence en réaction aux pressions subies?

Le sénateur Downe : Ce serait logique que l’agence ait commencé à analyser l’écart fiscal. L’organisme compte des experts dont les Canadiens devraient accepter les conclusions. Le problème, c’est qu’ils ont fait beaucoup de déclarations trompeuses — j’en ai soulevé quelques-unes, comme ce qu’ils ont dit aux Canadiens concernant le centre d’appel et la créance fiscale pour invalidité, notamment.

Les Canadiens méritent qu’on leur présente une analyse indépendante de l’écart fiscal. Le directeur parlementaire du budget sert les parlementaires. Lui et son équipe, qui sont hautement qualifiés dans le domaine, peuvent prendre les données brutes et confirmer les affirmations de l’ARC ou signaler les erreurs. Nous pouvons recourir à eux par mesure de sécurité seulement parce que l’ARC a trompé les Canadiens sur tant de sujets.

Le sénateur Pratte : Le projet de loi obligerait l’ARC et le directeur parlementaire du budget à évaluer l’écart fiscal chaque année ?

Le sénateur Downe : Oui.

Le sénateur Pratte : Avez-vous réfléchi au fait qu’il serait peut-être suffisant de procéder à cette évaluation tous les trois ou cinq ans? Premièrement, je suis certain qu’il faut beaucoup de ressources pour évaluer l’écart fiscal.

Deuxièmement, je ne sais pas, mais je ne suis pas certain s’il serait utile de faire cet exercice chaque année ou si le montant varierait beaucoup d’une année à l’autre. Je ne sais pas ce que l’expérience des autres pays a révélé à ce sujet.

Le sénateur Downe : Votre commentaire est légitime également. Un amendement est prévu à cet effet. Vous entendrez de nombreux témoins. J’essaie de faire bouger les choses, mais je ne m’opposerai pas à des amendements qui amélioreraient le projet de loi. Voilà un point que nous voudrons peut-être examiner.

Il y aura un coût, mais lorsqu’on regarde certains des commentaires formulés dans le document, on voit comment d’autres pays se servent de cette évaluation comme mesure de base. Le gouvernement américain n’est pas le seul à le faire, même la Californie évalue l’écart fiscal. C’est un outil utile pour ceux qui interviennent dans le secteur, mais que nous n’utilisons pas. Lorsque nous l’aurons, le directeur parlementaire du budget n’aura peut-être à calculer lui-même l’écart qu’aux trois ans si les chiffres de l’ARC sont justes. C’est ce que nous souhaiterions tous. Malheureusement, étant donné le bilan peu reluisant de l’ARC, il faudra, je crois, qu’une certaine supervision et une certaine surveillance soient exercées au cours des prochaines années.

La sénatrice Moncion : Merci pour votre exposé, sénateur Downe.

Je regarde l’information sur l’Internal Revenue Service des États-Unis qui a élaboré la notion d’écart fiscal pour déterminer si les contribuables s’acquittent de leurs obligations en matière d’impôt fédéral. Je comprends l’importance de l’information.

Connaissez-vous — vous devez la connaître, parce que vous étiez au Sénat alors — la Foreign Account Tax Compliance Act, qui est entrée en vigueur il y a quelques années?

Le sénateur Downe : Oui.

La sénatrice Moncion : Savez-vous dans quelle mesure elle a aidé les États-Unis à obtenir plus d’informations? Des responsables américains sont allés partout dans le monde et, maintenant, toutes les institutions financières doivent signaler aux autorités des États-Unis les citoyens américains qu’elles ont pour clients.

Savez-vous si la loi a facilité la collecte de renseignements, et de quelle manière le cas échéant, et si l’information ainsi recueillie par les autorités américaines les aide à calculer les écarts et si oui, de quelle façon?

Le sénateur Downe : Non. Je ne le sais pas et je ne sais si la loi a été efficace.

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup, sénateur Downe, de votre présence ce soir. Je reconnais tout à fait qu’il faut une analyse indépendante et qu’il faut songer à la possibilité d’un contrôle peut-être aux deux ou trois ans.

On pourrait croire, bien naïvement peut-être, que les données, la reddition de comptes et la tenue rigoureuse des dossiers devraient être considérées comme étant importantes, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de nos dollars. On pourrait également croire que s’il est possible d’accroître systématiquement l’efficacité des opérations et d’amener des dollars là où ils doivent être, il serait naturel et normal de s’y employer activement.

Je sais que vous travaillez là-dessus depuis un bon moment et que vous en avez beaucoup discuté, alors voici ma question : selon vous, quel est le plus grand obstacle qui nous empêche d’aller de l’avant? Y a-t-il quelque chose en particulier? Nous pouvons faire des spéculations, je crois, mais j’aimerais vous entendre sur le sujet. Notre situation est-elle semblable à celle d’autres pays et d’autres gouvernements et pourrions-nous apprendre d’eux?

Le sénateur Downe : Je vous remercie de cette question. Comme je l’ai dit brièvement plus tôt, j’ai relevé deux problèmes. Il y a eu, je crois, un manque de ressources. L’argument bien souvent invoqué par l’agence pour ne pas avoir porté d’accusations était qu’elle voulait examiner en profondeur les rouages de ces opérations même si, dans le cas du Liechtenstein, il y avait plus de 20 millions de dollars à recouvrer pour les Canadiens. Elle disait en outre ne pas avoir vraiment les ressources pour intervenir. Il y a eu un problème à ce niveau, mais le gouvernement a attribué à l’agence, dans deux budgets, 1 milliard de dollars réparti sur six ans. L’agence n’a dépensé que 100 millions; il reste donc encore 900 millions de dollars à venir. Cela devrait aider.

La deuxième question, pour laquelle je n’ai pas de réponse, est de savoir s’il existe un problème structurel ou culturel à l’ARC qui l’empêche d’être transparente, ouverte et proactive. J’ai parlé du Liechtenstein plus tôt. Un employé d’une banque de ce pays avait vendu la liste des clients au gouvernement allemand, ce qui lui avait rapporté apparemment beaucoup d’argent. Deux ou trois ans plus tard, un autre employé d’une banque en Suisse a jugé l’idée intéressante et a volé la liste de ses clients. On a alors appris que 1 785 Canadiens avaient des comptes dans cette banque. Là encore, j’insiste pour dire qu’il n’est pas illégal d’avoir un compte à l’étranger; ce qui est illégal, c’est de ne pas déclarer les revenus qui en sont tirés.

Étant donné ce qui est arrivé au Liechtenstein, j’ai commencé à poser une série de questions sur les sommes dues au fisc, et cetera. L’agence ne m’a rien dit, que ce soit sur les montants recouvrés, sur le nombre de personnes ayant fait l’objet d’une vérification, rien. Silence radio.

On serait porté à croire que, si l’agence faisait de l’excellent boulot, elle nous le dirait. Les choses se sont en fait un peu gâtées parce que le gouvernement français a mis la main sur la liste. Ce gouvernement voulait suivre l’exemple du gouvernement de l’Allemagne et divulguer les noms de tous ceux qui avaient un compte. Nous avons appris au moyen d’une demande d’accès à l’information que le gouvernement français a dû demander au gouvernement canadien de demander la liste. Voilà qui n’est pas très proactif. Quant à savoir si le gouvernement français a donné les noms des 1 785 détenteurs de comptes, l’agence n’a pas voulu répondre. Peut-être n’y avait-il pas d’impôts à recouvrer. Peut-être y avait-il 20 $ dans ces 1 785 comptes, ou peut-être 300 millions ou 6 milliards de dollars. Personne ne sait.

La sénatrice Eaton : J’aimerais revenir à quelque chose que vous avez dit plus tôt, sénateur. Vous avez employé le mot « structurel ». Je veux parler de la Suède. En plus de brosser un tableau général de la façon dont l’organisme fiscal national de ce pays a réussi à fixer le bon taux d’imposition, pourriez-vous nous dire s’il existe un seuil au-delà duquel les gens commencent réellement à chercher des moyens de se soustraire à l’impôt?

Le sénateur Downe : Voilà une bonne question. Je la poserais au DPB et à l’ARC. Je ne suis pas un expert sur le sujet, mais je crois que le Conference Board a établi un ordre de grandeur pour l’écart fiscal. J’imagine que le gouvernement, dans le meilleur des cas, ne percevrait jamais cent pour cent des sommes qui lui sont dues. Il y aura toujours des fuites. Ce qu’il faut, c’est de trouver où ces fuites surviennent et d’essayer de les réduire le plus possible. S’ils apprenaient par le DPB que l’écart fiscal au Canada est de 47 milliards de dollars, je crois que les Canadiens seraient outrés.

La sénatrice Eaton : C’est intéressant que la Suède parle des bons taux d’imposition.

Le sénateur Downe : Oui, et je ne les connais pas, mais vous pourriez poser la question à l’ARC.

[Français]

Le sénateur Forest : C’est très intéressant. Nous sommes dans une situation où plusieurs spécialistes nous indiquent que les techniques d’estimation du manque à gagner fiscal ont plutôt tendance à cibler les « petits fraudeurs », c’est-à-dire ceux qui visent l’évitement fiscal grâce au travail au noir. Il y a ce niveau législatif.

Par contre, est-ce que le fond du problème n’est pas plutôt un problème de culture et de volonté de vouloir réellement intervenir qu’un problème législatif? Il semble que les outils législatifs existent, mais qu’on ne les utilise pas. Quand on pense que le gouvernement français a été obligé de transmettre la liste de Canadiens qui ont des investissements à l’étranger qui génèrent des revenus, à la limite, ce n’est pas une modification législative qu’il faudrait faire, c’est plutôt un changement de culture en matière d’évitement fiscal. Votre grande préoccupation est davantage dans le cadre de l’évasion que de l’évitement. C’est une question de culture, car l’Agence du revenu du Canada ne fait pas son travail correctement avec les outils dont elle dispose pour traiter cette situation.

[Traduction]

Le sénateur Downe : Oui, il y a eu un changement de culture dernièrement. Il est devenu beaucoup plus acceptable et facile de cacher de l’argent à l’étranger, parce que le risque de se faire prendre est tout à fait nul. Le scandale des Panama Papers a été exposé au grand jour. Nous avons pris connaissance de tous ces noms qui ont été divulgués à tour de rôle. Or, on ne voit jamais de condamnations dans les journaux ni à la télé. Le changement de culture qui est survenu, je soupçonne, c’est que l’évasion fiscale est maintenant possible pour les gens de la classe moyenne aisée, et non plus seulement pour les gens très riches. Ainsi, on peut s’offrir des vacances en hiver dans les Caraïbes, au Panama, dans les îles Caïmans ou dans un autre paradis fiscal bien connu et faire certaines activités bancaires pendant son séjour. Voilà qui mine gravement la confiance des gens et qui les amène à croire qu’ils sont traités injustement. L’employé qui reçoit un T4 au Canada n’a aucune chance d’échapper à l’impôt; s’il tente de le faire, on l’attrapera, on l’accusera et on le condamnera. En plus, comme je l’ai dit, l’agence se fera un plaisir d’annoncer la chose dans son site web. À l’inverse, il faudra chercher longtemps dans le site pour trouver les noms de personnes condamnées pour évasion fiscale à l’étranger.

[Français]

Le sénateur Forest : En fait, ce que vous êtes en train de nous dire, c’est qu’il y a un changement de culture, mais pas dans le bon sens. On a aggravé le problème au lieu de cheminer vers l’amélioration. Je suis un peu surpris que vous ne recommandiez pas que des membres de l’Agence du revenu comparaissent. Ils sont au cœur même de cette situation.

[Traduction]

Le sénateur Downe : L’ARC va comparaître devant le comité, je crois. Un autre volet de mon projet de loi consiste, comme j’en ai parlé brièvement dans ma déclaration, à rendre publics les noms des personnes condamnées pour évasion fiscale à l’étranger. Vous savez, la condamnation d’une personne au Canada est une information publique. Pourquoi est-il difficile pour l’agence de le dire si elle ne le fait pas — je ne formule pas de propositions; le gouvernement irlandais, par exemple, rend publics le nom et l’adresse des contrevenants. Je ne propose pas une telle mesure. Des gens pourraient se pointer au domicile d’un contrevenant pour se venger. Toutefois, toute condamnation est une information publique. L’ARC devrait rendre compte de sa position à ce sujet.

Le président : J’apporte une précision : oui, l’agence a été invitée à comparaître, sénateur Forest, et nous espérions accueillir ses représentants la semaine prochaine.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J’ai une deuxième question au sujet de la publication de la liste détaillée de toutes les condamnations pour évasion fiscale.

Je veux être certaine de bien comprendre la proposition de votre projet de loi. Est-ce que vous proposez que l’Agence du revenu publie sur son site web le nom de tous les gens qui ont été accusés d’évasion fiscale? Le cas échéant, peut-on le faire? Est-ce que, quelque part, les gens ne se défendent pas parfois? N’y a-t-il pas là une atteinte à certains éléments?

La sénatrice Eaton : Une fois trouvés coupables.

La sénatrice Bellemare : Une fois trouvés coupables, c’est cela. Donc, condamnés légalement? Est-ce que les autres pays font cette publication? Dans ce que je lis, on parle d’évasion fiscale, mais pas de liste détaillée des contrevenants. Est-ce qu’on le fait ailleurs?

[Traduction]

Le sénateur Downe : En fait, le Canada publie maintenant les noms des personnes condamnées pour évasion fiscale au pays. On peut aller sur le site web et voir les noms de ces personnes, mais il n’y a aucune information sur les cas concernant l’évasion fiscale à l’étranger. J’ai parlé de l’Irlande qui publie les noms et les adresses, mais je ne recommande rien de tel ici.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je n’ai pas de problème.

[Traduction]

Le sénateur Downe : Je vais revenir à ce que j’ai dit plus tôt au sujet de l’Australie. Lorsque les Australiens se sont rendu compte de l’étendue du problème, ils ont mené une campagne très publique. Lorsqu’ils ont pu obtenir quelques condamnations, le nombre de transferts d’impôts à l’étranger a chuté radicalement parce que les gens voyaient le nom de leurs voisins, de personnes qu’ils connaissaient, figurer dans le journal. Les contrevenants ont été accusés et condamnés, et certains sont allés en prison. L’évasion fiscale à l’étranger a alors perdu énormément de son pouvoir d’attraction. L’inverse est vrai pour le Canada. L’ARC donnera sept ou huit noms si on le lui demande. Il faut lui demander des noms; les condamnations sont du domaine public. Il faut lui demander les noms; elle peut les donner, ou il y a un lien très ténu avec l’évasion fiscale à l’étranger, le crime organisé, une manœuvre frauduleuse relative à une habitation, ou quelque chose comme cela, mais l’évasion fiscale à l’étranger est illégale.

La sénatrice Moncion : Le problème concernant les données ou l’information fournie tient-il à une technologie déficiente, dans laquelle il faudrait investir pour que l’agence puisse recueillir l’information, ou à la réticence de l’ARC à fournir l’information?

Le sénateur Downe : Là encore, le DPB et l’ARC pourront répondre à cette question beaucoup mieux que moi lorsqu’ils comparaîtront devant vous, mais il y a eu initialement de la réticence de la part de l’ARC. L’agence ne voyait aucun intérêt à faire ce calcul. Elle ne s’y est attaquée qu’en raison des pressions publiques exercées sur elle au cours des dernières années.

La sénatrice Moncion : Comment les responsables de cette agence peuvent-ils déterminer que l’information n’est pas assez fiable?

Le sénateur Downe : Une fois de plus, je ne veux pas parler en leur nom. Ils diront que l’information n’est pas vraiment précise, et cetera; mais, le deuxième volet de l’analyse de l’écart fiscal est tout aussi important parce qu’il est révélateur de l’efficacité de l’ARC. Or, voilà peut-être le nœud du problème. En effet, si les Canadiens apprennent que des milliards de dollars ne sont pas perçus, il faudra désigner un responsable. Et ce responsable, ce sera l’Agence du revenu. À l’inverse, l’analyse pourrait montrer que l’agence fait un excellent travail; si tel est le cas, j’en ferai l’éloge au Sénat. Nous verrons comment les choses se présenteront; je suis prêt à le connaître si je suis dans l’erreur. Toutefois, étant donné le bilan de l’organisme, il nous faut, je crois, connaître les chiffres.

La sénatrice Moncion : Je voudrais revenir à la Foreign Tax Account Compliance Act. Vous ne savez pas vraiment comment cette loi est appliquée aux États-Unis, mais savez-vous si d’autres pays ont un mécanisme semblable qui leur permet d’obtenir des rapports de l’étranger ou si les États-Unis sont les seuls à s’être dotés d’un tel outil?

Le sénateur Downe : Je ne sais pas vraiment.

La sénatrice Moncion : Vous ne savez pas vraiment. Toutefois, si chaque pays signalait aux autres pays ceux de leurs citoyens qui ont des comptes sur son territoire, l’évasion fiscale deviendrait impossible.

Le sénateur Downe : Comme nous l’avons vu, beaucoup de pressions sont exercées sur les pays désignés comme paradis fiscaux pour les amener à se montrer plus transparents et à divulguer l’information recherchée, et certains commencent à le faire, mais beaucoup d’autres s’y refusent. Il y a eu les fuites des Panama Papers qui ont révélé une liste de Canadiens mis en cause. Je le répète : il n’est pas illégal d’avoir un compte à l’étranger, mais il faut avoir parcouru beaucoup de chemin pour ouvrir un compte au Panama, à moins d’y avoir une entreprise ou une résidence; alors, il serait bien intéressant de savoir pourquoi un Canadien a décidé d’ouvrir un compte là-bas.

La sénatrice Moncion : C’est peut-être parce que cette personne s’y rend en voyage?

Le sénateur Neufeld : Merci, sénateur Downe, de comparaître devant nous. Vous travaillez depuis longtemps sur ce dossier, je sais, et j’appuie assurément ce que vous faites.

Je me demandais simplement pendant combien de temps vous pensez rester au Sénat si vous êtes pour féliciter l’ARC de faire un bon travail. Ce n’est pas une question, seulement un petit commentaire.

Disons qu’un différend survient entre l’ARC et une compagnie ou un particulier au Canada et que les deux parties en viennent à un accord. Il n’y a pas d’accusation ni de condamnation, mais l’ARC perçoit une somme. Ce genre d’entente survient-elle pour les cas d’évasion fiscale à l’étranger?

C’est inquiétant de penser au nombre de personnes et de compagnies qui ont ces comptes et aux montants que l’ARC ne recouvre pas. Aucun rapport n’est présenté sur le sujet. Selon vous, est-ce parce que l’agence conclut des ententes avec les transgresseurs? En outre, les honoraires de services juridiques peuvent s’élever à 5 millions de dollars; alors, pourquoi poursuivrait-on quelqu’un pour percevoir 6 millions de dollars? Ou 4 ou 3 millions de dollars? Est-ce vraiment ainsi? Est-ce ainsi que les choses se passent dans beaucoup de cas et la raison pour laquelle l’agence ne présente pas de rapports? De quelle façon le projet de loi permet-il de s’attaquer réellement au problème? Proposez-vous plutôt un moyen quelconque pour y arriver?

Le sénateur Downe : Non, votre commentaire est en fait très pertinent parce que ce phénomène se produit souvent pour les cas d’évasion fiscale au pays, comme vous l’avez dit. À l’inverse, on peut consulter le site web et y voir toutes les condamnations prononcées au pays. On n’y voit toutefois aucune condamnation pour des cas d’évasion fiscale à l’étranger.

Prenons, par exemple, le commentaire formulé, en février 2013, par le commissaire adjoint, Terrence McAuley, devant le comité de la Chambre des communes au sujet du Liechtenstein :

Le projet est presque terminé. Vous avez raison de dire que la liste comportait 106 noms. Nous avons parcouru toute la liste, mené 47 vérifications et découvert...

— et voilà un des mots clés —

... 22,4 millions de dollars d’impôt non payé, ce qui est fondé sur des actifs d’environ 100 millions de dollars. De ce montant, nous sommes maintenant en voie de [...] Nous avons récupéré environ 8 millions de dollars. Pour ce qui est des quelque 14 millions de dollars restants, ces dossiers sont actuellement devant les tribunaux.

Le sénateur Neufeld : D’accord.

Le sénateur Downe : Le projet est donc terminé à toutes fins utiles. Alors, ce que je lis, c’est que les choses sont devant les tribunaux, encore une fois, donc je ne sais pas si ce sont les gens qui s’opposent aux mesures prises par l’ARC ou si c’est l’ARC qui les poursuit.

Le sénateur Neufeld : Oui, je comprends et je suis d’accord avec vous. Merci.

Le président : Sénateur Downe, je voudrais simplement préciser aux membres du comité qu’un expert du Royaume-Uni comparaîtra devant nous la semaine prochaine, le 25 septembre. Nous entendrons également des représentants de l’ARC et de Finances Canada ainsi que le directeur parlementaire du budget.

Voudriez-vous prononcer un mot de la fin?

Le sénateur Downe : Monsieur le président, mesdames et messieurs membres du comité, je vous remercie. Le changement est toujours difficile. L’ARC a toujours opposé de la résistance aux nombreuses critiques dont elle a été l’objet sur ce qu’elle fait, ce qu’elle ne fait pas et ce qu’elle devrait faire. Elle répugne beaucoup à suivre les tendances actuelles. C’est bien triste de voir comment les choses étaient au Canada auparavant et le retard que le pays a pris aujourd’hui. Transparency International a publié un rapport la semaine dernière — certains de vous l’ont peut-être vu — dans lequel le Canada affiche un très net recul en matière de lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et d’autres infractions toutes liées à l’évasion fiscale. Notre système n’est pas suffisamment efficace. Nous pouvons et nous devrions beaucoup mieux réussir, et j’espère que le comité pourrait prendre les choses en main dans ce secteur.

Le président : En terminant, je désire vous remercier sincèrement, monsieur le sénateur. Personne ne peut douter que vous avez toujours servi les Canadiens en faisant montre de transparence et de fiabilité. Je vous en remercie chaleureusement.

Le sénateur Downe : Merci.

Le président : Honorables sénateurs, nous allons suspendre nos travaux et poursuivre ensuite à huis clos pour préparer notre prochaine séance d’une heure.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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