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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule no 74 - Témoignages du 25 septembre 2018


OTTAWA, le mardi 25 septembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé), se réunit aujourd’hui, à 9 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je m’appelle Percy Mockler. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je préside le comité.

[Français]

J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont présents dans la salle et à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent à la télévision ou en ligne.

[Traduction]

J’aimerais rappeler aux téléspectateurs que les audiences du comité sont ouvertes au public et aussi affichées en ligne sur le site SenCanada.ca. Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : La sénatrice Eaton, de l’Ontario.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

Le président : Merci. J’aimerais aussi présenter la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et nos deux analystes, Alex Smith et Shaowei Pu, qui travaillent ensemble à offrir un soutien aux membres du comité.

Ce matin, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé).

Le projet de loi S-243 a été présenté au Sénat du Canada le 22 novembre 2017 par notre collègue, le sénateur Percy Downe. Il a franchi l’étape de la deuxième lecture le 5 juin et a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des finances nationales la journée même.

Honorables sénateurs, la semaine dernière, nous avons entendu le témoignage du sénateur Downe, parrain du projet de loi. Aujourd’hui, nous entendrons celui de particuliers et de représentants d’organismes qui ont un intérêt direct pour ce projet de loi.

Pendant les 45 premières minutes de notre réunion de ce matin, nous entendrons les témoignages d’un expert sur la question de l’écart fiscal, d’un comptable agréé et d’un économiste politique. Notre premier témoin est Richard Murphy, professeur de la pratique de l’économie politique internationale, City, et directeur de Tax Research, à l’Université de Londres. Il nous rejoint par vidéoconférence depuis le Royaume-Uni.

Monsieur Murphy, merci. Nous entendez-vous?

Richard Murphy, professeur de la pratique de l’économie politique internationale, City, directeur de Tax Research, Université de Londres, à titre personnel : Je vous entends. Merci de m’avoir invité.

Le président : Merci d’être avec nous ce matin. Nous allons commencer par entendre vos remarques liminaires et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

M. Murphy : Merci de m’avoir demandé de parler de l’écart fiscal. C’est un sujet sur lequel je mène des projets de recherche depuis plus d’une décennie et qui est au cœur de mes travaux de recherche universitaire actuels. Dans ce contexte, j’ai étudié les écarts fiscaux à la grandeur de l’Europe, en particulier, mais aussi ailleurs, si bien que je m’intéresse au projet de loi dont vous discutez.

J’ai examiné soigneusement la mesure législative que vous m’avez envoyée et j’ai pris note des définitions proposées, que j’accueille favorablement, mais qui sont aussi, dans une certaine mesure, problématiques. Je pense que j’aimerais attirer votre attention sur les questions auxquelles il faut, selon moi, s’attarder davantage pour vous assurer d’obtenir les résultats que vous souhaitez.

J’insiste sur le fait que je suis intéressé à vous donner des renseignements utiles à la prise de décisions pour que vous sachiez vraiment ce qui se passe, comme tout le monde.

Ce qui me préoccupe d’abord avec votre ébauche est qu’elle ne tient compte que des impôts visés par votre Loi de l’impôt sur le revenu. S’il en existe d’autres, ils ne sont donc pas visés par les dispositions que vous étudiez. Je sais que la plupart des pays ont un certain nombre d’impôts régis par d’autres types de lois. Les écarts fiscaux ne se retrouvent pas que dans les impôts sur le revenu, les impôts applicables aux gains en capital, les impôts sur le revenu des sociétés ou les impôts pour dividendes, et cetera, comme le projet de loi le laisse entendre, pas plus qu’ils ne visent que certains types de revenus étrangers, comme le projet de loi le suggère également. Ils peuvent se trouver aussi ailleurs, alors je pense que vous devez vous demander si l’ébauche est suffisamment générale dans ce sens.

Deuxièmement, je me préoccupe un peu de l’ébauche dans sa forme actuelle, car elle semble bien cerner ce qu’on pourrait appeler l’évasion fiscale, c’est-à-dire l’acte commis par ceux qui choisissent frauduleusement de ne pas déclarer leur revenu ou qui font de fausses déclarations de dépenses — deux éléments qui constituent une évasion fiscale. Elle cerne aussi efficacement les impôts qui ne sont pas payés, mais qui sont exigibles. Autrement dit, les impôts dont on a reconnu qu’ils devaient être payés, mais qui ne sont pas perçus, ce qui représente une créance irrécouvrable en termes comptables.

En ce qui concerne la définition, je ne suis pas convaincu qu’elle décrive bien ce qu’est l’évitement fiscal. Lorsque l’on parle d’évitement fiscal, il est souvent question du fait que certains contribuables sophistiqués font appel aux services de conseillers professionnels pour s’éviter de payer de l’impôt en profitant d’échappatoires comprises aux termes de la loi, échappatoires que vous, les législateurs, n’aviez pas prévues. Pour moi, il n’est pas absolument certain que la définition couvrira cet état de fait. Je crois que c’est une faiblesse importante.

Troisièmement, je crois qu’il y a d’autres aspects du manque à gagner fiscal que vous devriez prendre en considération. Beaucoup de gens croient que le manque à gagner fiscal est la différence entre l’impôt qui devrait être payé aux termes de la loi actuelle et l’impôt payé réel, mais je crois que si les législateurs et les responsables des politiques veulent vraiment comprendre de quoi il retourne, ils devraient être informés de la valeur totale de l’ensemble des déductions et abattements que vous offrez, par choix, dans le régime fiscal. Par exemple, combien cela coûte-t-il d’offrir diverses déductions, divers abattements et de réduire les taux d’imposition, mais aussi, qu’est-ce que les taux plus élevés permettent de percevoir de plus que les taux ordinaires?

Maintenant, la raison de cela, c’est qu’une partie de cette mesure arrivera à rendre compte de l’évitement fiscal — ce qui, à mon sens, est important —, sauf que pour décider de la meilleure façon d’utiliser les ressources, il faut aussi comprendre l’ampleur des impôts disponibles. Évidemment, la perception d’impôts non payés est une chose importante, mais il faut aussi avoir une idée précise de l’ampleur des impôts qui ne sont pas payés à cause des choix que vous avez faits.

Le FMI et l’Union européenne, qui se sont penchés sur cet enjeu concernant la taxe sur la valeur ajoutée que l’on retrouve dans les 28 États membres — qui seront peut-être 27 dans l’avenir, bien entendu —, parlent de l’écart lié à la politique fiscale. Je crois que vous ne mettez pas le doigt là-dessus. Or, j’estime qu’il serait extrêmement utile d’élargir la définition et d’exiger une évaluation annuelle de cela, puisque ces données vous permettront de prendre des décisions mieux éclairées au sujet du régime fiscal en général.

Bref, je crois que le fait de vous attaquer à ces trois aspects problématiques améliorera de beaucoup votre compréhension des choses.

Je suis également inquiet de voir que le projet de loi laisse entendre que les données sur le manque à gagner fiscal devraient être évaluées. Ce que vous appliquez, c’est ce que les universitaires et d’autres intervenants appellent l’approche ascendante, qui, soit dit en passant, est l’alternative à l’approche descendante. À vrai dire, il n’y en a que deux, mais je vais commencer par décrire ce qu’est l’approche ascendante puisque c’est celle que vous utilisez. Fondamentalement, selon cette approche, l’autorité fiscale examine les déclarations de revenus qu’elle reçoit, procède à la vérification de certaines d’entre elles puis évalue le taux d’erreur global pour l’ensemble des déclarations reçues.

Je crois sincèrement que le risque probable d’une telle approche est passablement évident. Bien entendu, cela a tout à voir avec le fait que de nombreux fraudeurs de l’impôt essaient de ne soumettre aucune déclaration. Les dernières évaluations que j’ai vues concernant l’économie souterraine au Canada la situaient à 13,92 p. 100 de l’ensemble de l’économie canadienne. Cela signifie qu’un dollar sur sept n’est pas déclaré. Je tiens ces chiffres d’un article signé par deux universitaires, Medina et Schneider. L’article a été publié sous l’égide du Fonds monétaire international vers la fin de l’année dernière, je crois, mais où on y trouve une référence à 2018.

Ce que je vous dis, c’est que l’approche ascendante que vous préconisez est très utile pour évaluer le risque afférent aux déclarations de revenus reçues. Elle est aussi utile pour évaluer si les ressources de l’autorité fiscale sont suffisantes pour lui permettre de vérifier ces déclarations, et même pour évaluer les bénéfices qui pourraient être dégagés d’une bonification de ces ressources. En revanche, l’approche ne convient pas pour évaluer l’ampleur de l’écart lié à la politique fiscale.

Le travail qui se fait dans ce domaine à l’heure actuelle pourrait être qualifié d’exploratoire, j’en conviens tout à fait. Le FMI a invité les États à examiner ces choses de plus près. L’approche de base consiste à examiner les données relatives au produit intérieur brut du pays, ce qui est problématique. On peut en effet se demander si ces chiffres rendent suffisamment compte de l’économie souterraine. C’est un aspect qui ne peut être ignoré. En utilisant cette approche macroéconomique descendante, vous pourriez vous servir du PIB pour évaluer quels seraient les gains fiscaux potentiels, comparer cela à l’ensemble des impôts perçus et arriver avec un chiffre différent. L’approche descendante et l’approche ascendante arrivent rarement aux mêmes résultats. Or, il y a une très bonne raison à cela et c’est le fait qu’il y a tellement de fraudeurs qui ne soumettent tout simplement pas de déclaration de revenus. Il est très difficile de mettre un chiffre là-dessus. Il faut arrêter de tourner autour du pot. C’est quelque chose qui est difficile à faire, mais c’est là l’avantage de l’approche descendante.

Voici ce que je vous recommanderais. Étant donné que vous avez une autorité nationale efficace en matière de statistiques et que vous disposez de données de qualité sur le PIB — je suis au courant de cela, et j’ai vu ce qui se fait —, il serait judicieux d’inclure une exigence pour obliger votre autorité fiscale à examiner aussi les choses de haut en bas, en partant du PIB.

Maintenant, voici un sujet qui ne surprendra pas ceux qui œuvrent dans ce secteur. Il s’agit des ventes et de l’impôt sur le chiffre d’affaires. Cela n’a pas nécessairement grand-chose à voir avec des choses comme l’impôt sur le revenu. Je fais de la recherche expérimentale à cet égard, et je crois que c’est possible. Si cela vous intéresse, je serais disposé à faire part d’une partie de mon travail au comité. Ce qu’il faut retenir, c’est que cela vous donnerait assurément plus d’informations pour appuyer vos décisions.

Si vous cherchez à mesurer le manque à gagner fiscal, je crois que cela pourrait vous aider. Je ne veux pas critiquer qui que ce soit, mais je crois que vous devez prendre des décisions judicieuses concernant l’affectation des ressources. Je présume que c’est votre objectif. Je ne vois pas d’autres raisons de le faire : ce travail coûte de l’argent et il doit se traduire par une augmentation des recettes.

En résumé et pour revenir sur mes observations-fleuves, sachez que je vois d’un bon œil le travail que vous faites. Je pense que même si vous ne faites que ce qui est proposé, ce sera déjà utile. Je crois cependant que vous pourriez aller beaucoup plus loin et déjouer beaucoup plus de fraudes fiscales que cela. Vous pourriez créer une société plus juste et plus équitable, notamment pour les entreprises honnêtes qui souffrent tellement des abus fiscaux des autres, de leurs concurrents qui trichent et les bafouent. Si vous faites cela, je crois que l’économie du Canada en général se portera mieux, et c’est ce qui motive mon travail. Merci.

Le président : Merci, professeur Murphy.

La sénatrice Eaton : Merci, monsieur Murphy. En lisant un article du Guardian, j’ai vu que vous avez eu une grande place à jouer dans les politiques économiques de Jeremy Corbin, les « Corbynomics ». L’article indique que les desseins centraux du parti libéral sont de combler le manque à gagner fiscal, que l’on décrit comme étant l’argent perdu en raison de l’évitement fiscal et l’évasion fiscale pratiqués par des particuliers et des sociétés qui ont une valeur nette élevée.

En regardant cela sous un autre angle et si vous aviez à me conseiller en tant que gouvernement, à partir de quel taux les gens commencent-ils à chercher des moyens d’échapper à l’impôt? Y a-t-il un pourcentage? Est-ce à partir de 55 p. 100 ou de 50 p. 100 que les gens se disent : « Ça suffit. Je vais essayer de trouver des façons de ne pas payer d’impôt. »

M. Murphy : Tout d’abord, vous devez savoir que je connais effectivement Jeremy Corbyn. Je ne suis pas membre du Parti travailliste et je ne suis pas politicien. Ils ont emprunté mes idées. Je ne les ai pas écrites pour lui. Ma thèse n’a pas été mise au point dans un cadre politique.

En ce qui concerne le moment où les gens se mettent à frauder, disons que certains se soustraient à toute forme d’imposition. Pour eux la question est simple : je ne paierai pas d’impôt. Je connais des gens qui ne déclarent aucun revenu pour éviter d’avoir à payer l’impôt.

Il n’y a pas de données probantes indiquant à partir de quel taux d’imposition les gens se mettent à considérer l’évitement fiscal ou à s’en détourner. La courbe de Laffer, qui vise à déterminer à partir de quand des taux d’imposition élevés deviennent un facteur dissuasif, est, selon moi, un mythe. Arthur Laffer et moi allons d’ailleurs débattre de cette question à l’OCDE, la semaine prochaine, ce qui devrait être très amusant, du moins, en ce qui me concerne. Je ne crois pas qu’un taux de, disons, 50 p. 100 est une raison qui motiverait quelqu’un à vouloir se soustraire à l’impôt. Cette personne qui pratiquerait l’évasion fiscale avec un taux de 50 p. 100 le ferait peut-être tout aussi bien si le taux était à 20 p. 100. Rien ne prouve que l’ampleur de l’évitement fiscal pratiqué par les sociétés ou les sommes réelles que les stratagèmes d’évitement fiscal permettent de dégager ont reculé en raison des diminutions des taux d’imposition des entreprises que nous avons pu voir de par le monde. Cette tendance soutenue n’a pas freiné l’évitement fiscal. Je vous répondrai donc que le taux d’imposition n’est pas ce qui persuade les gens de faire cela. Il semble que certaines personnes estiment qu’elles ne devraient pas payer un sou d’impôt, et elles sont disposées à prendre tous les moyens pour se soustraire au fisc. D’autres penchent dans l’autre sens.

Permettez-moi de vous rapporter certains propos échangés ici, au Royaume-Uni, avec un très haut cadre de l’impôt dont je tairai le nom. Il estimait que 50 p. 100 des contribuables étaient toujours disposés à payer leurs impôts. Ensuite, 30 à 40 p. 100 des contribuables pouvaient être persuadés de payer leurs impôts, alors que 10 p. 100 des contribuables étaient fondamentalement opposés à toute forme d’impôt, partout et en tout temps. J’ai l’impression que ces observations sont à peu près conformes à la réalité. Toutefois, l’objectif est d’arriver à un taux de perception d’au moins 90 p. 100, et je doute fort que le Canada soit rendu là à l’heure actuelle.

La sénatrice Eaton : Croyez-vous que notre régime fiscal est trop compliqué? Serait-il plus simple d’y aller avec une sorte d’impôt uniforme et d’éliminer toutes les échappatoires?

M. Murphy : De tous ceux que j’ai vus, l’impôt uniforme est ce qu’il y a de plus propice pour les abus fiscaux. Ce type d’impôt a été mis au point par deux messieurs : Hall et Rabushka. Leur régime d’impôt uniforme est un cadeau aux fraudeurs de l’impôt, car il fait en sorte de soustraire à l’impôt tous les revenus générés à l’extérieur du pays. Tout ce que vous avez à faire, c’est d’envoyer tous vos revenus à l’extérieur du pays et ils ne seront jamais imposés. L’impôt uniforme aura toujours des conséquences néfastes pour le régime fiscal d’un pays. Cette appellation d’« impôt uniforme » est trompeuse. Il s’agit tout simplement d’un taux d’imposition.

J’ai préparé des milliers et des milliers de déclarations de revenus dans ma vie — j’ai été associé principal d’une firme de comptables et j’avais la responsabilité de milliers de déclarations —, et je peux vous dire que le calcul de l’impôt à payer est la partie la plus facile de la déclaration. Là où les choses se compliquent, c’est lorsqu’il s’agit de préparer la série de comptes qui permettra d’établir le revenu. La majorité des règles d’imposition pour la majorité des contribuables sont en fait assez simples à comprendre. Il convient en revanche d’admettre que pour les grandes sociétés, elles ne le sont pas. Or, les grandes sociétés peuvent composer avec cette complexité. Si vous êtes capable de conclure une fusion ou une acquisition qui, très souvent, s’accompagnera d’une documentation de 10 000 à 20 000 pages — et je suis passé par là —, vous êtes en mesure de composer avec la complexité du régime fiscal.

Les régimes fiscaux complexes doivent tenir compte de transactions commerciales complexes, lesquelles sont une composante fondamentale de notre société capitaliste moderne. Par conséquent, je ne crois pas qu’il soit possible de simplifier les choses, sinon très peu. Le taux d’imposition uniforme est une aubaine pour les fraudeurs.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le sénateur Pratte : Professeur Murphy, vous avez émis certaines réserves concernant la définition du manque à gagner fiscal qui figure dans le projet de loi à l’étude, et vous nous avez fait des suggestions quant à la façon d’évaluer ce manque à gagner. Je sais qu’il y a d’autres pays qui mesurent ou évaluent ce manque à gagner et qui publient leurs résultats en la matière, mais y a-t-il d’autres pays où l’exigence de mesurer ce manque est enchâssée dans la loi? Où pourrions-nous trouver une définition du manque à gagner ou une façon de calculer ce manque qui serait enchâssée dans une loi et qui pourrait nous inspirer pour le projet de loi dont nous sommes saisis?

M. Murphy : C’est une très bonne question. À vrai dire, je ne sais pas comment y répondre, alors je vais être tout à fait honnête avec vous : je ne connais pas de pays où une telle exigence ferait partie des lois. À certains égards, c’est peut-être l’une des faiblesses de votre projet de loi. Vous risqueriez d’être trop normatifs pour le moment, car si l’on se fie au passé, il semble que votre ministère du Revenu voudra probablement prendre le temps d’étoffer et de peaufiner la méthode. Or, il se pourrait qu’une telle disposition l’en empêche.

Le Royaume-Uni est l’État qui a publié le plus souvent des données sur le manque à gagner fiscal. J’avoue que je suis passablement critique à cet égard, en partie parce que ces données ne procèdent pas d’une analyse descendante, mais aussi parce que, 10 ans après que le gouvernement ait commencé à faire ce travail, une bonne partie de statistiques publiées sur ce manque à gagner fiscal continuent d’être qualifiées d’« estimations indicatives ». Le Financial Times a dit qu’il s’agissait de chiffres inventés, ce qui n’était pas poli de sa part, car je suis convaincu que c’est quand même mieux que cela. Il reste que ce sont des estimations pures et pas grand-chose de plus. Ces statistiques sous-estiment dangereusement la taille de l’économie souterraine au Royaume-Uni. À preuve, ces chiffres prétendent qu’il n’y a que 7 p. 100 des impôts qui ne sont pas perçus au Royaume-Uni, ce qui est complètement farfelu, surtout lorsque l’on sait que 11 p. 100 de notre TVA n’est pas perçue. Vous ne pouvez pas ne pas percevoir 11 p. 100 de la taxe de vente et prétendre que vous percevez la presque totalité de l’impôt sur le revenu. C’est tout simplement impossible.

Je suis très critique à l’égard des données, car elles sont colligées de façon cloisonnée. Un autre problème que j’y vois, c’est qu’elles ne couvrent pas assez d’impôts. Il faut se rendre compte qu’il y a un phénomène de réaction en chaîne. En d’autres mots, si vous perdez une taxe de vente, vous perdrez aussi une forme d’impôt sur le revenu. Si vous perdez un impôt sur le revenu d’emploi, il se pourrait que vous perdiez aussi une contribution fiscale pour des avantages sociaux ou des cotisations connexes.

Si les revenus d’une société sont mal rapportés, vous pourriez perdre la taxe de vente; vous pourriez aussi perdre l’impôt sur les profits de cette société. Bref, il est très rare qu’une transaction ne se traduise que par une seule perte sur le plan fiscal. C’est le comptable en moi qui parle.

Je vous encourage donc à penser de façon globale et à éviter de chercher à être trop précis. C’est d’ailleurs pourquoi je vous recommande de travailler plutôt sur cette approche descendante, car elle permet de tenir compte de cette réaction en chaîne dont je viens de parler. C’est un domaine sur lequel je ne travaille pas, mais je crois qu’il serait tout indiqué pour vous de demander à votre autorité fiscale d’évaluer le risque qu’une taxe ou un impôt peut créer pour une autre taxe ou un autre impôt dans votre régime. Par exemple, si votre taux d’imposition des sociétés est bas, il est facile de comprendre ce que cela signifie — pardonnez-moi; je ne suis pas un expert du régime fiscal canadien, je n’en connais pas tous les aspects —, c’est-à-dire que cela aura un effet négatif sur l’impôt sur le revenu. Aussi, s’il est trop facile de faire passer un revenu pour un gain en capital, cela aura un effet négatif sur l’impôt. Bref, vous devez aussi tenir compte de toutes ces choses. C’est pour cela qu’il est très difficile de donner une définition officielle du manque à gagner fiscal. C’est aussi pour cela que personne n’a tenté de le faire ailleurs.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie de votre réponse détaillée. Y a-t-il une quelconque indication que les pays qui ont estimé l’écart fiscal et publié les résultats régulièrement au cours des dernières années en ont retiré un quelconque avantage? Par exemple, le percepteur d’impôts est-il devenu plus efficace, ce qui serait l’avantage le plus simple et le plus évident de cette mesure?

M. Murphy : J’ai examiné cette année quelques données concernant cette question. En fait, d’un point de vue statistique, les données sont plutôt désordonnées. Si l’on prend l’Union européenne où un écart fiscal a été estimé pour 28 pays, du moins en ce qui concerne la TVA, on constate qu’il y a un rapport statistique très faible entre les sommes dépensées par une autorité fiscale et la taille de son écart fiscal. Cependant, cela est lié au fait que je n’ai accès qu’à des données relatives à la TVA. J’ai besoin d’obtenir des données concernant tous les écarts fiscaux, ce que je n’ai pas.

Si l’on prend, par exemple, le Royaume-Uni, où nous disposons peut-être des données les plus détaillées, même si le FMI soutient, comme je l’ai fait, qu’elles pourraient être améliorées, alors il est clair que ces données aident effectivement à guider l’allocation des ressources au sein de l’autorité. Par exemple, il ne fait aucun doute qu’ils ont prêté une grande attention au recouvrement des créances après avoir réalisé que c’était l’un de leurs points faibles. Ils ont également décelé certains types de stratagèmes d’évitement fiscal et ont adopté, je crois, une approche beaucoup plus énergique qu’ils l’auraient fait autrement, lorsqu’ils ont réalisé que les pertes qu’ils étudiaient étaient de l’ordre de plusieurs milliards de livres sterling par année. Les données les ont incités à adopter une approche différente en matière de gestion. Voilà ce que j’appelle des renseignements utiles à la prise de décisions. Je crois que les estimations se sont avérées utiles à la prise de décisions au Royaume-Uni. À mon avis, ces estimations pourraient être améliorées, mais je serais très étonné si mon avis et celui de notre autorité fiscale différaient le moindrement en ce qui concerne le fait qu’elles ont indubitablement attiré leur attention.

La sénatrice Marshall : Merci, monsieur Murphy. Votre exposé était excellent.

Je souhaite donner suite à la question du sénateur Pratte. Une fois que vous avez chiffré l’écart fiscal et que vous estimez que tel ou tel nombre de milliards de dollars n’ont pas été perçus, quelles sont les stratégies utilisées pour veiller à ce que ces recettes fiscales finissent dans les coffres du gouvernement? Il est formidable de savoir que l’écart fiscal totalise 50 milliards de dollars, mais quelles sont les stratégies adoptées pour percevoir cet argent?

M. Murphy : Comme j’étudie cet enjeu depuis un certain temps, je crois que c’est une question que je me suis posée moi-même. En fait, c’est là une excellente question. J’ai la conviction que la résolution de ce problème nécessiterait en fait une analyse des répercussions fiscales. En fait, je soutiens que, franchement, les Canadiens savent comment éviter de payer des impôts et frauder le fisc. Vos comptables sauront ce que font leurs clients.

La prochaine étape consiste donc à reconnaître que vous avez un problème, qu’il est de l’ordre de tel ou tel nombre de milliards de dollars — et il totalisera des milliards de dollars — et que, par conséquent, vous souhaitez le résoudre. Quelles sont les cibles faciles? Quels sont les problèmes que nous pourrions résoudre facilement?

Cependant, comme je l’ai indiqué, je ne suis pas un spécialiste du système fiscal canadien. Je ne suis donc pas en mesure de vous donner la réponse à cette question.

Toutefois, je peux vous dire que vous devez procéder à une évaluation des risques que présentent les mécanismes les plus communs. Je peux vous donner un exemple britannique, à savoir que les fraudeurs constituent en sociétés leurs entreprises. Ils établissent des entreprises pour exploiter leurs entreprises, parce qu’il est plus difficile de suivre les activités d’une entreprise que celles d’un particulier. Il est difficile de déterminer qui sont les propriétaires des entreprises. Les sociétés à responsabilité limitée qui ne présentent pas leurs comptes font l’objet de sanctions très faibles. Les autorités fiscales qui n’obtiennent pas les comptes de certaines entreprises ont tendance à être plutôt clémentes envers elles. Elles tentent de se débarrasser des entreprises, au lieu de tenter de percevoir les impôts qu’elles doivent. Soit dit en passant, ces sociétés représentent un énorme problème au Royaume-Uni. Il est probable qu’elles posent également un énorme problème au Canada, car elles sont très faciles à établir pour les Canadiens. Ils peuvent, en effet, en établir une au Royaume-Uni pour 15 £, sans avoir à prouver qui ils sont, et lui permettre d’exercer ses activités commerciales au Canada, sans jamais révéler son existence aux autorités canadiennes. Ainsi, leur utilisation abusive se poursuivra.

La prochaine étape du processus consiste donc à procéder à ce genre d’évaluations des risques que comportent les façons d’identifier les fraudeurs. Je mentionne donc de nouveau que je serais heureux de vous informer du travail que j’accomplis en ce moment relativement à la façon d’entreprendre ces évaluations des risques, parce que vous pourriez alors prendre des décisions quant aux investissements qui rapporteront le plus dans le cadre de la résolution de ce problème. Voilà le critère que vous recherchez vraiment. Disons que vous déterminez que vous avez perdu tel nombre de milliards de dollars d’impôt sur le revenu et tel nombre de milliards de dollars d’impôt sur les gains en capital. Bien que le total des impôts sur les gains en capital puisse être inférieur, cela pourrait être le meilleur problème auquel s’attaquer, parce que ces impôts sont plus faciles à percevoir. Quant à l’évaluation des risques liés aux répercussions fiscales, je doute que vous parveniez à les chiffrer. Il s’agit donc d’un processus en deux étapes. Votre projet de loi ne résoudra pas ce problème à lui seul. Vous devez aller plus loin.

La sénatrice Marshall : À votre connaissance, y a-t-il un pays en particulier qui a amorcé ce processus et qui se démarque des autres, de sorte que nous pourrions les consulter pour obtenir des conseils ou utiliser ce pays comme exemple? J’ai l’impression que la Grande-Bretagne n’en fait pas partie.

M. Murphy : Je ne dis pas que la Grande-Bretagne fait tout de travers. Vous savez, j’ai des amis au sein de l’agence du revenu, et j’ai parfois de bonnes relations avec cet organisme. Toutefois, je déplore certains aspects de leur travail.

La réponse à votre question est non, pas encore. Tout cela est relativement nouveau. Il y a 10 ans, ce travail était pratiquement inconnu, voire complètement inconnu. L’écart fiscal est au programme en raison de la crise financière mondiale. Le travail d’analyse des répercussions des impôts sur les impôts, par exemple, a commencé il y a au plus quatre ans. Le FMI l’a amorcé et a tenté d’analyser ces répercussions de manière économétrique, ce qui, soit dit en passant, n’a pas très bien fonctionné, bien que je ne cherche pas à critiquer le FMI. Son personnel tente d’évaluer ces répercussions à l’échelle internationale, mais je ne crois pas que les statistiques résisteraient à l’analyse. C’est la raison pour laquelle nous avons commencé à chercher des moyens d’entreprendre ce processus.

Le Canada pourrait jouer un rôle de premier plan à cet égard, et je ne crois pas qu’il lui en coûterait très cher d’essayer. J’estime que nous avons une réelle occasion d’accomplir quelque chose de bien. Je reçois de nombreuses manifestations d’intérêt. Par exemple, jeudi matin, j’aurais avec les membres du Parlement européen la même conversation que j’ai avec vous. Il s’agit donc d’un nouveau domaine dans lequel tous réalisent soudainement qu’il peut rapporter de l’argent, et nous avons besoin d’argent.

La sénatrice Marshall : Au cours de vos observations, vous avez mentionné l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. Vous semblez les mettre dans le même panier, mais l’évitement fiscal respecte la loi, même s’il est abusif, alors que l’évasion fiscale est différente. Pourquoi les regroupez-vous?

M. Murphy : Pour être honnête, je ne les regroupe pas. Elles sont clairement différentes, bien que j’estime que la ligne de démarcation qui les sépare soit très nébuleuse. Bon nombre de gens qui pensent pratiquer l’évitement fiscal ne savent pas s’il s’agit d’évitement fiscal. Ils ont simplement consulté un comptable ou un avocat qui leur a dit que ces transactions pourraient être acceptables, mais il s’agit d’un jugement. Ils ne savent pas si ces transactions sont acceptables et ne le sauront pas tant qu’elles ne seront pas contestées devant les tribunaux.

Le Canada a malheureusement eu, dans l’ensemble, une mauvaise expérience en ce qui concerne les dispositions anti-évitement. Je ne crois pas que les vôtres fonctionnent particulièrement bien. Je pense qu’en général certains pays ont eu une meilleure expérience que la vôtre, mais il faut admettre que vous vous êtes attaqués très tôt à ce problème. Toutefois, je soutiens que vous devriez peut-être réexaminer cette question afin de la régler.

Soit dit en passant, je pense qu’il est important de parler de l’envergure de ces deux problèmes. À mon avis, l’évasion fiscale représente probablement 85 p. 100 du problème, alors que l’évitement fiscal y contribue pour 15 p. 100, ce qui diffère de ce qu’on a généralement tendance à croire.

Les gens ont tendance à croire — et j’admets avoir joué un rôle il y a longtemps dans la création d’histoires comme celle de Google — qu’il n’y a que les multinationales qui pratiquent l’évitement fiscal et qui causent le problème que nous examinons. Il est vrai qu’il y a encore des multinationales qui utilisent des paradis fiscaux pour transférer des revenus, et nous connaissons tous le cas d’Apple et l’histoire de ses démêlés avec l’Union européenne. Toutefois, en pratique, je crois que l’évasion fiscale, qui survient davantage dans l’économie locale et qui est donc surtout un problème à l’échelle nationale, constitue un problème plus important — à une exception près, laquelle a été décelée par Gabriel Zucman, un universitaire qui a mené d’excellents travaux et qui est lié à Thomas Piketty, dont vous avez peut-être entendu parler. Il a découvert que les gens très riches — nous parlons du 0,1 p. 100 des contribuables — se soustraient à une part considérable de leurs responsabilités, et il croit qu’ils sont les plus importants fraudeurs parce qu’ils investissent grandement dans les paradis fiscaux et qu’ils utilisent maintenant des méthodes très élaborées pour frauder le fisc, y compris des investissements dans des œuvres d’art, qui représentent maintenant un stratagème très répandu visant à éviter de payer des impôts et à léguer des sommes importantes.

Ces investissements mis à part, je considère que le plus important problème se manifeste au sein de votre économie nationale et littéralement dans la circulation de l’argent comptant au sein de cette économie et de la circulation non déclarée de fonds entre les banques et les sociétés qui ne produisent jamais de déclarations de revenus.

La sénatrice Marshall : L’économie souterraine. Merci beaucoup.

La sénatrice Andreychuk : J’aimerais simplement donner suite à cet échange. Mon point de vue découle peut-être d’un manque de compréhension du problème, mais il me semble qu’on doit, à un moment ou à un autre, commencer à combler l’écart fiscal. Je pense que la question est de savoir si l’on doit le faire au moyen de lois ou tout simplement au moyen de politiques, car l’évasion fiscale et l’évitement fiscal vont simplement continuer de croître. Un autre aspect du problème est lié au fait que, lorsque nos services canadiens, à savoir l’ARC, évaluent les cotisations, ils doivent constamment discuter avec les avocats, les comptables et le ministère afin de pouvoir interpréter les projets de loi. Il ne s’agit pas complètement d’évitement fiscal; les gens essaient simplement de comprendre la loi. Un jugement est rendu dans un cas donné, alors qu’un autre jugement est rendu dans un autre cas, et cela se produit sans arrêt.

Si j’étais la bureaucrate qui doit déclarer par écrit que ces impôts sont impayés en raison d’un évitement fiscal plutôt qu’une évasion fiscale, j’hésiterais à le faire. La distinction entre les deux est une question de jugement ou de pouvoir discrétionnaire, de sorte que plus les statistiques que vous présentez aux parlementaires sont générales, plus elles sont vulnérables.

M. Murphy : Je pense que vous avez absolument raison. Je partage complètement votre opinion. Je crois qu’il faut faire attention à la façon dont on catégorise ces cas. Dans le cas présent, je dirais que le Royaume-Uni fournit des exemples d’évitement fiscal. Ils ont en fait découvert des stratagèmes, en particulier des stratagèmes d’évitement fiscal commercialisés, qui étaient manifestement conçus pour exploiter des échappatoires que la loi n’avait jamais prévues. Ils qualifient ces stratagèmes d’évitement fiscal abusif et chiffrent leur valeur.

Leurs efforts pour restreindre ces stratagèmes ont donné de très bons résultats. Le nombre de stratagèmes décelés diminue parce qu’ils ont très bien réussi à s’attaquer à eux, et je les en félicite. Je crois que l’analyse de l’écart fiscal les a aidés à accomplir ce travail.

Il y a cette deuxième catégorie de situations, à laquelle vous avez fait allusion, qui surviennent quand — je dois être honnête et admettre que j’ai déjà été dans cette situation et que j’ai agi ainsi — un responsable de l’impôt m’écrit pour me dire qu’il croit que la loi indique ceci et je réponds qu’à mon avis, elle indique cela, et nous devons tenter de nous mettre d’accord sur l’interprétation de la loi en ce qui concerne une situation particulière.

En toute honnêteté, cela s’applique à d’importantes sections du droit. Ce n’est pas comme une contravention pour excès de vitesse. Vous conduisiez trop vite ou non, ou l’appareil photo vous a pris en flagrant délit ou non. Cela a trait à l’incertitude du libellé, et il est très vague dans certains cas.

En fait, l’autorité fiscale du Royaume-Uni appelle cela l’écart fiscal attribuable aux contestations pour des raisons d’interprétation juridique. En toute justice, ils semblent maintenir en tout temps un registre de la valeur des contestations en cours pour des raisons d’interprétation juridique et, en conséquence, ils ont pris des mesures pour réduire l’incertitude relative à l’interprétation des lois. Dans ce domaine, j’applaudis leurs efforts. J’estime qu’il vaudrait la peine que vous leur parliez, car leurs tentatives de combler ces lacunes et de percevoir rapidement les impôts impayés ont été couronnées de succès. Ainsi, ces contestations ne se poursuivent pas pendant des années, comme cela se produisait auparavant.

L’interprétation juridique et l’évitement fiscal ne sont donc pas identiques. L’évitement fiscal consiste assurément à tenter de contourner une règle. Soyons clairs. Le comptable et le contribuable qui pratiquent l’évitement fiscal — en particulier le comptable ou l’avocat — savent qu’ils engendrent des risques. Ils savent qu’ils avancent sur un terrain incertain qui peut être décelé. La question de l’interprétation juridique est légèrement différente. Il y a véritablement une incertitude, suivie d’une contestation, qui doit souvent être réglée par une loi.

La sénatrice Andreychuk : Pour donner suite à votre intervention, j’aimerais préciser que vos paroles à propos de l’évitement fiscal sous-entendent encore que les gens exploitent ou fraudent le système, et c’est le problème qui survient lorsque des réformes fiscales multidimensionnelles sont mises en œuvre et qu’elles ajoutent des crédits d’impôt et des exonérations spéciales pour certaines personnes. Vous utilisez le terme « évitement », qui sème dans l’esprit du public l’impression que c’est répréhensible, alors qu’en fait, c’est tout à fait légitime et prévu par la loi

Avez-vous le même problème en Grande-Bretagne? Parce que c’est certainement l’enjeu. Lorsque je pratiquais le droit et que la loi disait que vous faisiez l’objet d’une exemption, je profitais de l’exemption parce que je souhaitais que mon client en tire parti. Il ne s’agit pas d’un évitement puisque vous êtes en droit de le faire. Le mot évitement a une connotation négative au Canada qui, à mon avis, porte les gens à croire qu’il s’agit de fraude fiscale.

M. Murphy : L’évitement fiscal fait l’objet de nombreuses discussions. Je débats fréquemment de la question avec des gens qui affirment, par exemple, que le fait de verser des cotisations à une caisse de retraite du Royaume-Uni constitue de l’évitement fiscal, parce que cela vous permet de payer moins d’impôts. Eh bien, je plaide coupable. Je verse des cotisations à ma caisse de retraite et, ainsi, je paie moins d’impôts, car la loi indique clairement que, si je me prive de mon revenu maintenant, je bénéficierai d’un allégement fiscal, mais ce revenu sera imposé plus tard, si jamais je demande des prestations de retraite. Je n’ai pas l’intention de prendre ma retraite, et je la différerai aussi longtemps que possible, si je le peux. Je n’aime pas payer des impôts. Je suis peut-être une exception.

Toutefois, il ne s’agit pas d’évitement fiscal, pas plus que le fait de déposer des épargnes dans un compte exonéré d’impôt, comme l’a déclaré le Parlement. Ce n’est pas de l’évitement fiscal puisque vous respectez la volonté du Parlement. Je ne peux pas comprendre comment qui que ce soit pourrait soutenir que le fait de réduire ses impôts en adhérant à la volonté claire du Parlement constitue de l’évitement fiscal.

Par exemple, nous avons vu des stratagèmes où des gens ont demandé des allégements pour avoir versé des dons à un organisme de bienfaisance, où ils faisaient don d’actifs d’une valeur extrêmement douteuse et manipulaient les fonds par l’entremise d’actions boursières mineures, par exemple, pour essayer de demander d’énormes sommes en allégements fiscaux. C’était de la fraude. C’était tout de même légal cependant. Ils ne fraudaient pas l’impôt parce que, techniquement, ils demeuraient conformes à la loi. Ce n’était toutefois certainement pas ce que la loi visait à faire.

Nous avons donc dû mettre au point une règle générale contre les abus au Royaume-Uni que j’ai contribué à rédiger. Je pense qu’elle est satisfaisante. Je la renforcerais, mais j’étais raisonnablement satisfait du résultat. La règle a mis en place ce que l’on appelle un double critère sur le caractère raisonnable : est-il raisonnable de croire qu’une personne raisonnable pense qu’une autre élude l’impôt? Cela peut sembler bien compliqué, mais nous faisons vraiment ce que le droit britannique appelle la loi de l’homme de l’omnibus Clapham. Le libellé est vieux et sexiste, mais on l’appelait « l’homme de l’omnibus Clapham » lorsqu’il a été initialement créé.

Nous avons ce concept de personne raisonnable en droit, et je pense que le test fonctionne, et bien des gens peuvent le faire. C’est un test de flair : y a-t-il quelque chose de louche? Si oui, alors c’est probablement de l’évitement fiscal; c’est de la fraude. Je pense que c’est un facteur dissuasif important.

Il est très peu utilisé, soit dit en passant. Il ne semble pas avoir été nécessaire de l’utiliser justement parce qu’il fonctionne. Les gens savent lorsqu’ils ont peut-être tort ou raison. Il y a lieu de croire que cela réduit l’évitement fiscal.

Examiner votre règle générale contre les abus pour voir si vous pourriez intégrer un test de flair pourrait être une bonne façon de régler la question.

Le président : Sur ce, monsieur Murphy, merci beaucoup d’avoir participé à notre étude du projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé). Avant de conclure, avez-vous de brèves observations à faire avant qu’on se dise au revoir?

M. Murphy : Je pense que vous avez couvert de nombreux sujets et vous posez clairement les bonnes questions, alors je pense que vous vous engagez dans la bonne direction. Allez-y, mais faites preuve d’ouverture d’esprit. N’imposez pas de restrictions à ce que vos autorités fiscales doivent faire en rédigeant une définition trop étroite. Faites preuve d’ouverture d’esprit, car c’est un enjeu énorme, et ce plan doit pouvoir être mis en œuvre au cours des prochaines années sans que vous soyez tenus d’offrir d’autres chances plus tard.

Le président : Merci.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant souhaiter la bienvenue à notre prochain groupe de témoins.

[Français]

Nous avons maintenant devant nous trois organisations que nous allons inviter à commenter le projet de loi S-243.

[Traduction]

Premièrement, du ministère des Finances Canada, nous accueillons Brian Ernewein, directeur général, législation, Direction de la politique de l’impôt, et Phil King, directeur général, Division de la taxe de vente, Direction de la politique de l’impôt.

Merci d’être ici.

[Français]

Ensuite, de l’Agence du revenu du Canada, nous recevons Mme Mireille Éthier, directrice générale, Direction du changement et de l’innovation de l’agence, Direction générale du service de l’innovation et de l’intégration.

[Traduction]

Enfin, nous recevons Ted Gallivan, sous-commissaire, Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes. Nous sommes également ravis d’accueillir, pour sa première comparution devant un comité du Parlement, Yves Giroux, directeur parlementaire du budget.

Merci de votre présence ici, et c’est un honneur de vous accueillir parmi nous pour votre première comparution à ce comité, monsieur.

Il est aussi accompagné de Mark Mahabir, directeur des politiques (coût) et avocat général.

La présidence a été informée que les fonctionnaires du ministère des Finances confient à l’Agence du revenu du Canada la responsabilité d’être le ministère responsable de ce projet de loi, si bien qu’ils ne feront pas de déclaration liminaire. Cependant, ils sont prêts, honorables sénateurs, à répondre aux questions que vous pourriez avoir à la suite de la déclaration de Mme Éthier.

[Français]

Nous entendrons donc Mme Éthier dans un premier temps, suivie de M. Giroux, qui comparaît pour la première fois devant un comité parlementaire.

[Traduction]

Je signale aux fins du compte rendu que le directeur parlementaire du budget est entré en fonction le 4 septembre dernier, et nous vous en félicitons, monsieur Giroux. Il ne fait aucun doute que nous travaillerons ensemble.

Madame Éthier, veuillez faire votre déclaration, qui sera suivie de celle du directeur parlementaire du budget et des questions des sénateurs.

[Français]

Mireille Éthier, directrice générale, Direction du changement et de l’innovation de l’agence, Direction générale du service, de l’innovation et de l’intégration, Agence du revenu du Canada : Merci beaucoup, sénateurs.

[Traduction]

Juste avant de faire ma déclaration, j’aimerais dire deux choses. J’aimerais remercier le comité de nous avoir permis d’entendre l’exposé de M. Murphy. C’était très intéressant. Deuxièmement, j’aimerais vous remercier de nous donner l’occasion de discuter de l’écart fiscal. L’impôt et l’écart fiscal sont des questions qui me passionnent, mais je ne l’admets pas dans bien des milieux, car ce ne sont pas des sujets qui plaisent à la majorité des gens.

Ma direction a pour mandat de réaliser l’engagement du gouvernement du Canada concernant l’estimation et la publication de l’écart fiscal, alors que la direction générale de M. Gallivan est responsable de l’exécution des programmes pour lutter contre l’évitement fiscal abusif et l’évasion fiscale à l’étranger.

En avril 2016, la ministre du Revenu national s’est engagée à estimer l’écart fiscal et, depuis ce temps, une équipe de spécialistes et d’experts dévoués dans ma direction y travaillent.

Permettez-moi de prendre quelques instants pour passer en revue les principales conclusions des quatre rapports que nous avons publiés jusqu’à présent. Nous vous avons fait parvenir des copies de ces rapports, mais nous sommes conscients que ce n’est pas nécessairement une lecture de chevet.

Nous avons publié en juin 2016 le premier rapport sur l’écart fiscal, qui était une étude conceptuelle fournissant une définition de l’écart fiscal, discutant des défis en lien avec l’estimation de l’écart fiscal et examinant comment on peut utiliser les estimations de l’écart fiscal dans l’administration des impôts. Nous avons également regardé l’écart fiscal dans d’autres pays, et nous avons discuté avec de nombreux autres pays pour connaître les points forts et les points faibles des diverses approches.

Il convient de noter que peu de pays produisent et publient les écarts fiscaux pour tous leurs impôts majeurs. Selon l’OCDE, seulement sept pays l’ont fait en 2015 avant que le Canada se joigne à eux, si bien qu’ils sont huit maintenant.

Aussi publiée en juin 2016, une estimation de l’écart fiscal lié à la taxe sur les produits et services et à la taxe de vente harmonisée a été réalisée à l’aide du ministère des Finances. Pour ce faire, nous avons utilisé une approche descendante, dont M. Murphy a parlé, et nous pourrons en discuter plus tard durant la période des questions si vous voulez. L’écart lié à la TPS était estimé à 2,9 milliards de dollars pour l’année fiscale 2014.

Nous avons ensuite publié un troisième rapport en juin 2017 sur le revenu des particuliers au pays, qui était estimé à 8,7 milliards de dollars. Ce montant de 8,7 milliards de dollars est en fait la somme des deux écarts, l’un étant lié à l’économie souterraine qui s’élève à 6,5 milliards de dollars et que nous avons estimée à l’aide des données de Statistiques Canada, à partir encore une fois d’une approche descendante semblable à celle dont M. Murphy a parlé, et l’autre étant le paiement de l’impôt, qui s’élève à 2,2 milliards de dollars.

Vous remarquerez que nous avons fait toutes ces estimations en 2014 dans le but de les ajouter aux diverses taxes pour obtenir l’écart fiscal global. Donc, le quatrième rapport publié cette année estimait l’écart fiscal relatif à l’impôt sur le revenu international des particuliers à l’aide de l’approche de Gabriel Zucman que M. Murphy a abordée, et il se chiffrait entre 800 millions et 3 milliards de dollars, selon les diverses suppositions qui sont faites aux différentes étapes de l’estimation. Il est important de noter que nous sommes la première administration à publier une estimation de l’écart fiscal à l’étranger.

J’aimerais aussi ajouter que dans un esprit de transparence, les deux rapports portant sur l’écart fiscal relatif à l’impôt sur le revenu de particuliers n’étaient pas limités à celui-ci. Ils incluaient aussi des travaux d’analyse supplémentaires. Dans le rapport sur l’écart fiscal relatif à l’impôt sur le revenu des particuliers au Canada, on trouve une analyse de la proportion du revenu, des crédits et des retenues que l’agence considère comme étant assurées, ou démontrant un degré élevé de confiance que les particuliers s’acquittent de leurs obligations.

L’OCDE a parlé des impôts assurés comme mesure de rendement de l’administration de l’impôt. Nous n’avons pas beaucoup parlé de ce sujet, mais je pense qu’il est bien que, sans prendre de nombreuses mesures qui sont claires pour les contribuables, 86 p. 100 des revenus soient vérifiés.

Notre rapport le plus récent renferme les statistiques sur l’observation à l’étranger, ainsi que les résultats des récentes vérifications à l’étranger. Ces rapports diffèrent de ceux publiés par nos homologues internationaux en ce qu’ils fournissent au public et aux parlementaires une analyse plus vaste de l’observation et de l’inobservation, et non pas seulement de l’écart fiscal. Ensemble, ces rapports ont estimé entre 12,4 et 14,6 milliards de dollars en pertes de revenus potentielles.

Nous nous affairons actuellement à estimer l’écart fiscal lié à l’impôt sur le revenu des sociétés, et ce rapport sera publié en 2019.

Il importe de noter que nous adoptons une approche progressive pour estimer l’écart fiscal au Canada puisqu’il faut du temps pour élaborer des méthodes appropriées qui s’harmonisent au contexte canadien. La méthode varie selon le type d’impôt et parfois un seul impôt peut exiger l’utilisation de plus d’une méthode.

À cet égard, l’équipe de l’écart fiscal de l’agence travaille en étroite collaboration avec des experts et nos partenaires internationaux, plus particulièrement le Royaume-Uni, les États-Unis, le Danemark et l’Australie, pour échanger des pratiques exemplaires en vue d’élaborer les meilleures méthodologies possible.

L’ARC, en collaboration avec la Fondation canadienne de fiscalité, a aussi tenu une conférence en juin 2017 avec des experts et des représentants gouvernementaux internationaux pour échanger leurs points de vue. À l’heure actuelle, des employés à l’agence ont été invités à une conférence au Royaume-Uni pour représenter le pays en tant que joueur important dans le dossier de l’écart fiscal.

Du côté des données, nous avons fourni au directeur parlementaire du budget en février 2018 les données qu’il a demandées pour entreprendre sa propre analyse de l’écart fiscal, tout en assurant la confidentialité des renseignements des contribuables. Des discussions subséquentes ont eu lieu pour parler de ces données.

En terminant, j’aimerais réitérer que l’estimation de l’écart fiscal est compliquée. Peu de pays le font. Nous adoptons une approche méthodique pour nous assurer que les estimations sont robustes, et nous voulons fournir des renseignements sur ce que nous faisons.

[Français]

Je suis prête à répondre à vos questions, et je vous remercie à l’avance pour celles-ci.

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci.

[Traduction]

Je vous remercie de l’invitation à comparaître sur le projet de loi S-243. Je suis heureux d’être ici pour ma première convocation officielle devant ce comité à titre de directeur parlementaire du budget, ce qui semble tout indiqué pour ma première comparution à ce comité, étant donné les sujets que vous étudiez.

Je suis accompagné de Mark Mahabir, directeur des politiques et avocat général.

[Français]

L’article du projet de loi qui m’intéresse particulièrement, et auquel s’intéresse mon bureau, est l’exigence supplémentaire proposée voulant que la ministre recueille, compile, analyse et résume annuellement des statistiques sur l’écart fiscal des particuliers et des sociétés. Cette nouvelle exigence assurerait la disponibilité des données pertinentes requises pour appuyer une analyse plus poussée. Des estimations plus précises et opportunes de l’écart fiscal sont un indicateur utile de l’efficacité du régime fiscal canadien. Ces estimations sont également utiles pour informer les parlementaires et les Canadiens de l’ampleur de l’évasion fiscale et du non-paiement des impôts.

[Traduction]

L’autre partie du projet de loi qui m’intéresse particulièrement, et à laquelle s’intéresse mon bureau, est le nouveau paragraphe de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada qui obligerait la ministre à fournir au DPB des données relatives à l’écart fiscal, ainsi que toute donnée supplémentaire que je juge pertinente afin de mener une analyse plus approfondie de l’écart fiscal.

Ce nouveau paragraphe renforcerait ma capacité d’obtenir en temps opportun l’information nécessaire pour effectuer notre analyse et fournir aux parlementaires une estimation indépendante et opportune de l’écart fiscal du pays.

Il est important de noter que le traitement de toute donnée relative aux écarts fiscaux que je reçois de l’ARC en vertu du projet de loi devrait respecter les autres dispositions de la Loi sur le Parlement du Canada. Cela signifie que ce traitement serait limité aux restrictions prévues à l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information.

La restriction relative à la divulgation de renseignements personnels en vertu de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information constitue un obstacle potentiellement important à notre analyse. En vertu du projet de loi S-243, cette exception s’appliquerait toujours aux données recueillies par la ministre, qui me sont transmises, relativement à l’écart fiscal.

Par exemple, l’article 241 de la Loi sur l’impôt sur le revenu interdit à un fonctionnaire ou à un autre représentant de l’ARC ou d’un autre ministère ou organisme gouvernemental de divulguer des renseignements sur les contribuables, à moins d’y être autorisé par la Loi de l’impôt sur le revenu, LIR. Puisque la LIR n’autorise pas la divulgation de renseignements sur les contribuables à moi et à mon bureau, je ne serais pas en mesure d’obtenir des renseignements supplémentaires qui pourraient, directement ou indirectement, permettre d’identifier des contribuables, à savoir des particuliers, des sociétés ou des fiducies.

La Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la taxe d’accise de 2001 contiennent des dispositions semblables, qui couvrent les droits d’accise.

[Français]

De plus, la syntaxe du projet de loi limite la portée de l’analyse des données par le directeur parlementaire du budget, car elle omet toute référence à l’accès du directeur parlementaire du budget aux renseignements sur les contribuables à d’autres fins pertinentes, comme la création ou l’amélioration de tout modèle économique utilisé pour les projections économiques de mon bureau ou pour l’établissement des coûts des propositions.

En résumé, malgré ces deux réserves, je crois que le projet de loi S-243 renforcerait de façon importante la capacité de mon bureau d’accéder aux données relatives à l’écart fiscal qui sont nécessaires pour mener une analyse indépendante. Je crois aussi qu’une telle analyse profiterait grandement aux parlementaires et, surtout, aux Canadiens. Comme je l’ai dit tout à l’heure, des améliorations au projet de loi pour clarifier le droit de mon bureau d’accéder à l’information renforceraient son efficacité et nous permettraient, à mon bureau et à moi, de fournir aux parlementaires des analyses opportunes et pertinentes.

[Traduction]

J’aimerais vous remercier encore une fois de me donner l’occasion de présenter mon point de vue sur le projet de loi S-243. Mark et moi serons heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Giroux.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Mes premières questions s’adressent au directeur parlementaire du budget. Bienvenue au Comité des finances du Sénat.

Avez-vous reçu les données que l’Agence du revenu du Canada a promis d’envoyer à l’ancien directeur parlementaire du budget en février?

M. Giroux : Oui, nous les avons, madame la sénatrice.

La sénatrice Marshall : Il ne manque rien? Vous pouvez maintenant calculer l’écart fiscal?

M. Giroux : Il y a encore des renseignements additionnels dont nous aurions besoin pour raffiner notre analyse, mais les renseignements que nous avons demandés en février ont bel et bien été reçus.

La sénatrice Marshall : Les renseignements dont vous avez besoin sont ceux demandés auprès de l’Agence du revenu du Canada?

M. Giroux : Oui.

La sénatrice Marshall : S’est-elle engagée à ce que vous les receviez avant un délai donné?

M. Giroux : Des discussions sont en cours pour déterminer ce qui est réalisable, que ce soit le format dans lequel nous voulons les renseignements ou les données dont nous avons besoin pour effectuer notre analyse. De bonnes discussions sont en cours avec l’ARC. Nous avons une bonne collaboration avec l’agence.

La sénatrice Marshall : Avez-vous suffisamment de données pour commencer à calculer l’écart fiscal, ou vous faut-il des renseignements additionnels avant que vous puissiez commencer à faire les calculs?

M. Giroux : Je vais laisser Mark répondre à cette question.

Mark Mahabir, directeur des politiques (coût) et avocat général, Bureau du directeur parlementaire du budget : En ce qui concerne les données, nous avons besoin de renseignements additionnels avant de pouvoir commencer notre analyse.

La sénatrice Marshall : J’essaie d’avoir une idée du temps qu’il faudra. L’ancien directeur parlementaire du budget a estimé qu’il faudrait de six à huis mois pour calculer l’écart fiscal une fois qu’il aurait reçu tous les renseignements. Cette période tient-elle toujours?

M. Giroux : À l’heure actuelle, à partir des renseignements qu’il nous faut pour estimer l’écart fiscal, nous croyons pouvoir fournir une première estimation au printemps 2019. C’est l’échéance que nous avons pour l’instant.

La sénatrice Marshall : Ma prochaine question s’adresse à l’Agence du revenu du Canada. Pouvez-vous nous dire quand les renseignements qui doivent être remis au directeur parlementaire du budget seront fournis?

Mme Éthier : Comme M. Giroux l’a mentionné, des discussions sont en cours. Parfois, on nous demande des renseignements que nous n’avons pas dans le format demandé. Parfois, on nous demande des liens entre différentes questions que nous ne faisons pas nécessairement. Nous devrions être en mesure de régler cela dans un proche avenir.

La sénatrice Marshall : Et dans un esprit de coopération.

Mme Éthier : Et dans un esprit de coopération, effectivement.

La sénatrice Marshall : Vous avez mentionné, madame Éthier, le travail que vous avez déjà fait. Vous avez dit que vous avez calculé, si je ne m’abuse, entre 12 et 14 milliards de dollars jusqu’à présent, et que vous adoptez une approche étape par étape.

Étant donné que vous avez réalisé ces études — je pense que vous en avez mentionné cinq ou six —, que fait l’Agence du revenu du Canada? Lorsque vous atteignez le niveau supérieur, que vous relevez l’écart, vous devez agir pour commencer à percevoir les impôts dus. Pourriez-vous m’expliquer ce que vous faites avec les renseignements que vous avez actuellement à un échelon élevé et la façon dont vous procéderez?

Mme Éthier : Merci de cette question. C’est une excellente question, car comme nous en avons discuté à la session précédente, ce n’est pas parce que nous avons relevé X milliards de dollars que nous pouvons percevoir cet argent dès le lendemain. L’écart fiscal ne permet pas d’identifier les personnes qui ne respectent pas les règles, par exemple. Nous avons donc une estimation. Il relève les divers risques cependant. Il peut cibler certains secteurs, par exemple, où les ressources pourraient être allouées ainsi. Cependant, il n’y a pas de traduction directe entre un écart fiscal et une perception des impôts immédiatement après.

Je vais demander à mon collègue, Ted Gallivan, du secteur des programmes, de compléter cette réponse, si vous êtes d’accord.

Ted Gallivan, sous-commissaire, Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes, Agence du revenu du Canada : Sur le plan des indicateurs, Il faut penser stratégie plutôt que tactique. Il y a un certain nombre d’années, sous le gouvernement actuel, l’agence a commencé à se concentrer sur certains secteurs de l’économie clandestine, comme le secteur immobilier résidentiel, à redoubler d’efforts à l’égard des multinationales et de l’inobservation à l’étranger. Ils demeurent un point de mire. Au cours des quatre dernières années, nous avons constaté que le montant de l’impôt non payé était passé de 10 à 14 milliards de dollars.

L’écart fiscal nous est utile, car il nous permet de savoir si nous avons cet équilibre entre l’économie nationale, où il peut y avoir plus d’argent et un assez bon rendement des investissements, par rapport à des investissements à l’étranger ou à des actifs qui ont une valeur nette très élevée, qui n’ont peut-être pas le même rendement, mais qui mettent vraiment en question le caractère équitable et l’intégrité du régime. Nous prenons donc les données sur l’écart fiscal, mais nous devons également penser à faire en sorte que certains comportements cessent.

M. Murphy a parlé des stratagèmes offerts sur le marché. Il y en avait un lié à des dons utilisés comme abri fiscal au pays, et au cours des deux dernières années, personne n’a fait la promotion de dons utilisés comme abri fiscal. La pratique a cessé.

L’information sur l’écart fiscal nous aide à déterminer sur quoi nous devrions nous concentrer, mais nous ne prenons pas aveuglément une décision financière; il faut prendre des décisions qui portent sur le caractère équitable du régime. Voilà pourquoi nous mettons parfois plus d’argent dans le volet l’étranger même si l’économie clandestine est plus grande. Cela concerne le caractère équitable du système.

La sénatrice Marshall : Je crois que vous avez mentionné qu’en ce qui a trait à l’écart fiscal, il y avait l’économie clandestine, mais vous devez vous pencher sur ce volet maintenant. Vous n’attendez pas simplement l’écart fiscal. C’est que bon nombre de contribuables ont l’impression que vous faites ce qui est le plus facile. Vous commencez par les étudiants qui partent s’installer à Calgary pour avoir un emploi et qui réclament leurs frais de déménagement. Or, il y a plein de gens qui fournissent des services et qui ne paient pas de l’impôt sur le revenu.

Se passe-t-il quelque chose? J’essaie de comprendre comment vous allez relier l’établissement de l’écart fiscal et la façon de poursuivre les contribuables ou les sociétés, et quelles mesures vous devriez prendre maintenant, comme pour l’économie clandestine.

M. Gallivan : La fonction de conformité s’appuie sur l’écart fiscal, tout d’abord pour voir si les choses s’améliorent. Ces dernières années, on a accordé une attention accrue aux multinationales et aux personnes fortunées qui ont des comptes à l’étranger.

D’ici plusieurs années, lorsque nous examinerons l’écart fiscal pour 2017-2018, nous verrons si ces mesures renforcées fonctionnent ou si nous devons investir davantage. Donc, concernant l’écart fiscal, il s’agit, en fait, de faire des ajustements stratégiques de l’ensemble de nos efforts entre les multinationales, les particuliers et l’économie clandestine.

L’an dernier, l’Agence du revenu du Canada a découvert, en tout, 24 milliards de dollars d’impôts impayés, mais 14 milliards provenaient des PME et des multinationales. De ces 14 milliards, 9 milliards provenaient de multinationales et de l’étranger, et le reste provenait de PME. Nous nous concentrons particulièrement sur les multinationales et les personnes fortunées. Ces vérifications requièrent beaucoup de ressources, tandis qu’avec moins de ressources, nous pouvons envoyer des lettres à des contribuables. Les contribuables ont donc l’impression que l’ARC concentre démesurément ses efforts sur eux parce qu’elle leur envoie une lettre et leur demande de fournir des reçus, ce que nous faisons deux millions de fois. Nous réalisons des vérifications sur 300 multinationales, qui nous permettent d’aller chercher beaucoup plus de revenus, mais les Canadiens ne le savent pas nécessairement.

La sénatrice Marshall : Pour des contribuables, c’est plus simple que la fiscalité des entreprises. Est-ce que les employés sont mieux formés sur Ia fiscalité des particuliers que sur la fiscalité des entreprises? Est-ce que c’est le facteur qui fait en sorte que vous vous occupez moins des volets plus complexes de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale?

M. Gallivan : Nous avons ce qu’il faut pour former des vérificateurs. Nous avons la chance d’avoir des gens chez qui la fiscalité suscite la curiosité intellectuelle, et ils restent à l’agence. Il y a la qualité de vie. Il y a des professionnels du secteur privé qui, à un moment donné, à 3 heures du matin, après cinq ou six jours sans dormir, décident de se joindre à l’agence. Nous croyons vraiment que nous avons toutes les capacités techniques dont nous avons besoin.

Nous remarquons une hausse des litiges, et nous travaillons à donner plus de fonds au ministère de la Justice. Parce que l’agence sévit contre des multinationales et des personnes fortunées, elles ont eu recours aux tribunaux. Elles s’opposent aux efforts que nous déployons pour faire une vérification à leur sujet, et elles contestent devant les tribunaux les aspects décrits comme étant dans la zone grise. Nous devons donc absolument donner davantage d’argent au ministère de la Justice.

Je ne crois pas qu’il est question ici d’un manque de personnes qualifiées. Il faut déterminer si le milliard de dollars provenant de contribuables canadiens équivaut au milliard de dollars provenant d’une multinationale.

La sénatrice Marshall : Les dossiers faciles. Merci.

[Français]

Le sénateur Pratte : Madame Éthier, est-ce que l’agence a évalué l’impact qu’aurait l’adoption du projet de loi, tel qu’il est libellé, sur vos travaux? Parce que le professeur Murphy, tantôt, s’est inquiété de la définition trop étroite, selon lui, de l’écart fiscal dans le projet de loi. Évidemment, si on devait adopter le projet de loi, on ne voudrait pas que ce dernier contraigne les travaux de l’agence à un tel point que vous ne puissiez pas mesurer l’ensemble de l’écart à combler. Si on adoptait le projet de loi tel quel, est-ce que cela aurait un effet quelconque sur vos travaux, au-delà de vous obliger à le produire une fois par année?

Mme Éthier : Merci de votre question. Le Cabinet n’a pas discuté du projet de loi. Je ne peux donner mon opinion générale sur le projet de loi. Cependant, je crois que les propos de M. Murphy, ce matin, portaient surtout sur les méthodologies. Le projet de loi n’aborde pas de méthodologie. Dans un monde où la méthodologie doit différer entre les différents types de taxe, c’est peut-être difficile. On doit parfois utiliser plusieurs méthodologies pour arriver à un écart fiscal. Nous avons adopté une approche qui n’évalue pas seulement l’impôt sur le revenu. On utilise aussi la TPS et la TVH.

Le sénateur Pratte : Vous avez commencé ces travaux il y a deux ans. Évidemment, la première fois qu’on entreprend une tâche aussi complexe, c’est toujours plus long. Une fois que vous aurez terminé, sera-t-il possible, à votre avis, de produire une telle estimation tous les ans?

Mme Éthier : C’est une question intéressante. Le seul pays qui le fait tous les ans, c’est le Royaume-Uni. En fait, il suit un cycle de trois ans pour obtenir les estimations. Il est très onéreux de le faire chaque année. De plus, il n’est pas certain que cela comporte beaucoup d’avantages, parce que de nombreux facteurs extérieurs aux administrations fiscales ont un impact sur l’écart fiscal, y compris l’économie.

L’écart fiscal est un outil intéressant du point de vue de la tendance, comme M. Gallivan l’a mentionné. C’est davantage un indicateur à long terme dans la mesure où, souvent, l’écart fiscal n’est pas le reflet de l’année courante, mais celui des années précédentes. Faire cela tous les ans n’est peut-être pas la meilleure approche à adopter. Aucun des autres pays que nous avons consultés n’a dit que c’était une approche très intéressante. Cependant, si c’est nécessaire, on adoptera cette approche.

Le sénateur Pratte : Outre l’impôt sur le revenu — dans vos publications, si je me souviens bien, vous avez mentionné l’impôt sur le revenu, la TPS et la TVH —, envisagez-vous d’examiner d’autres taxes? Je pense à la taxe d’accise sur le tabac, l’alcool, et cetera.

Mme Éthier : À court terme, d’ici 2019, on terminera l’impôt des revenus sur les sociétés. On aura fait le cycle des taxes qui génèrent le plus de revenus. Il y a aussi des changements apportés à la taxe sur le tabac, et cetera. On examinera éventuellement ces autres taxes, mais essentiellement, on aura la plus grosse partie des recettes l’an prochain. Toutefois, rien ne nous empêche d’examiner les autres taxes également.

Le sénateur Pratte : D’accord, merci.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Madame Éthier, sur son site web, l’agence indique ceci : « [i]l convient de noter que, à notre connaissance, aucun pays ne publie actuellement une estimation de l’écart fiscal se rapportant exclusivement à l’inobservation à l’étranger ». Pourquoi en est-il ainsi à votre avis, quand on pense aux Paradise et Panama Papers? Les gouvernements ne devraient-ils pas être impatients de creuser un peu et de déterminer combien de gens profitent d’actifs à l’étranger?

Mme Éthier : Je vous remercie de la question. En fait, si nous avons été capables de le faire, c’est parce que Gabriel Zucman et ses associés et la Banque d’Italie ont conçu une méthode faisant appel à des données sur les dépôts et les actifs à l’étranger. Ils ont élaboré une méthode de calcul des sommes que détiennent des citoyens à l’extérieur de leur pays.

Nous avons utilisé cette nouvelle méthode et, pour ce faire, nous devions émettre certaines hypothèses sur la part du Canada, le taux de rendement, et cetera. C’est pourquoi nous avons un certain nombre d’estimations, mais c’est la raison pour laquelle aucune autre administration fiscale ne l’a vraiment fait jusqu’à maintenant. Lorsque Gabriel Zucman l’a fait, c’était davantage d’un point de vue de la répartition du revenu. Il a évalué combien d’actifs étaient détenus à l’étranger, et si l’on regarde les 52 pays qu’il a examinés, le Canada est au septième rang au bas de la liste. Parmi les pays de l’OCDE, c’est le Canada qui est au bas de la liste au chapitre des actifs détenus à l’étranger.

La sénatrice Eaton : De quoi s’agit-il, déjà?

Mme Éthier : Ce sont les actifs que des citoyens d’un pays donné détiennent à l’étranger. Parmi les pays membres de l’OCDE, le Canada est celui qui a le taux le plus faible à cet égard.

La sénatrice Eaton : À combien s’élève cette somme, selon vous?

Mme Éthier : L’information figure dans le rapport, mais je serais ravie de la fournir au comité.

Il existe maintenant une méthode. D’autres pays l’examinent. Nous avons eu des échanges avec la Banque d’Italie également sur la méthode et la façon de l’appliquer.

La sénatrice Eaton : Maintenant que vous avez la méthode, allez-vous faire quelque chose? Aurez-vous seulement de jolies données sur l’écart fiscal ou allez-vous essayer de faire un suivi?

M. Gallivan : Nous étions déjà actifs concernant le Panama avant même la publication des Panama Papers. En fait, l’une de nos enquêtes criminelles est déjà en cour, en Colombie-Britannique.

Lorsqu’il en a été question dans les médias, nous avons décidé de limiter la divulgation volontaire et de mener des vérifications sur tout le monde. Ce n’était pas une décision relativement au rendement des investissements. Nous aurions pu consacrer une partie de ces ressources à poursuivre des chauffeurs de taxi ou des gens d’autres secteurs, mais étant donné que les Panama Papers étaient très médiatisés et ont ébranlé la confiance du public, notre démarche a consisté à mener des vérifications sur tous les gens qui étaient nommés — évaluer les risques qu’ils pausent et faire des vérifications sur les récalcitrants. On en revient à l’idée que l’écart fiscal est très utile dans le processus décisionnel. Grâce à l’information sur l’écart fiscal, nous sommes beaucoup mieux outillés pour prendre de telles décisions, mais c’est seulement un moyen. Je crois que le souci d’équité du régime et l’importance accordée aux Panama Papers nous ont poussés à agir, même avant d’obtenir l’information sur l’écart fiscal.

La sénatrice Eaton : Aurons-nous des résultats d’ici les deux ou trois prochaines années?

M. Gallivan : Tout à fait. Au sujet justement du temps, de l’attente, nos détracteurs sont naturellement mécontents de la lenteur des travaux, mais encore une fois, nous avons fait le choix stratégique de limiter les divulgations volontaires, une mesure que nous prenions auparavant, qui est un moyen rapide de récupérer de l’argent. Or, nous avons vu, dans le cadre de témoignages concernant les comptes publics et dans les médias, que les Canadiens n’étaient pas contents du fait que des contribuables habiles aient en quelque sorte des rabais pour leur collaboration. Ils voulaient vraiment voir toutes les conséquences découlant de vérifications complètes. Alors, au cours des prochaines années, ces données devraient être divulguées, et je crois que la démarche la plus lente aura un plus grand effet dissuasif.

[Français]

La sénatrice Eaton : Monsieur Giroux, quel amendement proposez-vous au projet de loi? Si vous aviez l’occasion de nous faire des recommandations en ce qui concerne des modifications à apporter, quelles seraient-elles?

M. Giroux : Merci pour cette question, qui est très pertinente. En effet, j’aurais une suggestion à faire, soit celle de modifier l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu et les articles correspondants de la Loi sur l’accise pour permettre au directeur parlementaire du budget d’avoir accès aux données fiscales de l’Agence du revenu du Canada. Cela permettrait de clarifier que les dispositions du projet de loi s’appliquent aux données fiscales détenues par l’Agence du revenu du Canada. En modifiant l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu et les articles correspondants de la Loi sur l’accise, cela lèverait toute incertitude concernant le droit d’accès du directeur parlementaire du budget. Je clarifierais aussi la définition de l’écart fiscal.

La sénatrice Eaton : Si vous pouviez nous transmettre un document écrit, cela nous serait très utile.

M. Giroux : Certainement. Je vais le transmettre à la greffière du comité.

Le sénateur Forest : Merci de votre présentation. Je constate une ferme volonté de l’agence de vouloir s’attaquer à l’écart fiscal et de le mesurer. Plus tôt, M. Murphy proposait une approche en amont, c’est-à-dire en évaluant l’ampleur du PIB, en examinant les montants qu’on devrait percevoir par rapport à ceux qu’on perçoit réellement. Est-ce que cela vous semble intéressant pour affronter les évaluations fort impressionnantes qui ont été réalisées sur le travail au noir et à l’étranger? Est-ce une approche qui semble intéressante pour obtenir un indicateur de mesure?

Mme Éthier : Merci de la question. En fait, c’est l’approche que nous avons utilisée pour calculer l’écart fiscal lié à l’économie souterraine. Nous avons utilisé des données macro-économiques publiées par Statistique Canada. Nous avons tiré de cela une estimation qui inclut donc des choses qui ne sont pas déclarées. Dans ce cas-là, c’est ce qu’on a fait.

On a fait la même chose pour le volet interne de l’impôt sur le revenu des particuliers. Du côté international, on a utilisé des données macro-économiques mondiales qui provenaient des travaux de Gabriel Zucman. Nous avons utilisé ce qu’il a appelé le « top down » dans sa présentation de ce matin pour la plupart de nos estimations, et ce, contrairement au Royaume-Uni qui utilise, dans le cas de l’impôt sur le revenu en particulier, une approche qui part des vérifications et qui les globalise ensuite à l’ensemble de la population, à partir des gens qui ont été vérifiés. Nos évaluations incluent l’économie souterraine de la façon dont le professeur Murphy le suggérait.

Le sénateur Forest : Merci. Dans vos interventions, vous avez ciblé, à juste titre, les multinationales et le 1 p. 100 qui représente les gens les plus nantis. Vous y intervenez depuis deux ans. Est-ce que vous avez cerné ou ciblé des améliorations législatives qui pourraient mieux outiller l’agence et faciliter le travail? Il s’agit d’un domaine qui interpelle l’interprétation et où il y a des zones grises. À la lumière des expériences que vous vivez actuellement, est-ce qu’il ne pourrait pas y avoir des propositions pour améliorer la législation en matière d’impôt et vous permettre d’avoir un environnement législatif plus efficace pour atteindre l’objectif de récupérer des fonds publics qui appartiennent normalement à l’ensemble des Canadiens?

M. Gallivan : En ce qui a trait à notre travail de vérification, les tribunaux sont saisis de plusieurs de nos dossiers. Le ministre des Finances siège au comité où nous discutons des décisions défavorables qui doivent être portées en appel. Le ministre des Finances a un processus annuel de soumission de suggestions. Nous entretenons un dialogue assez étroit avec le ministre des Finances. Comme il siège à certains de nos comités de vérification, il est en mesure de constater par lui-même ce qui se passe. Nous avons un bon bassin de dossiers à examiner en ce moment. Nous en récoltons les suggestions qui portent sur la législation.

Le sénateur Forest : À la lumière des contestations que vous soulevez, un suivi permanent est fait pour veiller à ce que la loi soit moins perméable et qu’elle vous donne le soutien législatif adéquat.

M. Gallivan : Le ministre des Finances et M. Ernewein font partie intégrante de notre comité sur les décisions défavorables, où nous examinons la façon dont les juges de ce pays interprètent la limite acceptable de la planification abusive.

Le sénateur Forest : Je vous remercie.

Le président : Sur cette question, M. Ernewein voudrait ajouter quelque chose.

[Traduction]

Brian Ernewein, directeur général, législation, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : J’ajouterais quelque chose qui rejoint ce qui a été dit. Si nous n’avons pas présenté de déclarations préliminaires, c’est que concernant le projet de loi dont votre comité est saisi, il s’agit d’évaluer la différence entre ce qui est exigé par la loi relativement à l’impôt à payer et l’impôt perçu. C’est essentiellement une question d’administration de l’impôt.

Nous nous intéressons beaucoup à la façon dont les choses se déroulent sur le plan de l’administration pour faire en sorte que nous percevions les impôts dus. À cet égard, conformément à ce qu’a dit M. Gallivan, nous communiquons beaucoup avec l’ARC pour essayer de repérer ce qui nécessite des modifications législatives ou des fonds supplémentaires pour appuyer le travail de l’ARC. D’ailleurs, le financement a été important ces dernières années.

De plus, nous aidons l’ARC en apportant des changements, qu’il s’agisse d’ajouter des exigences en matière d’information; de prolonger la période de réévaluation parfois lorsque l’information ne parvient pas à l’agence dans les plus brefs délais; et d’appuyer des mesures internationales et la norme commune de déclaration. L’accord intergouvernemental dont le président se souviendra peut-être, concernant la FATCA, la Foreign Account Tax Compliance Act, qui remonte à un certain nombre d’années, a mené à un processus international visant l’adoption d’une norme commune de déclaration, ce qui appuie la lutte contre la fraude fiscale. Donc, à bien des égards, nous collaborons avec l’ARC pour aider cette dernière et son administration à réduire l’écart fiscal.

Le président : Je vous remercie beaucoup de cette précision, monsieur Ernewein.

La sénatrice Andreychuk : Vous suivez la trace de l’argent qui a quitté le Canada. Est-ce qu’on parle d’évasion, d’évitement ou simplement d’information?

Mme Éthier : Dans le contexte de l’écart fiscal, nous ne faisons pas de distinction entre l’évitement et l’évasion, mais dans ses travaux, Gabriel Zucman part du principe que la seule raison pour laquelle une personne voudrait avoir des actifs du type que nous voyons à l’étranger, c’est qu’elle souhaite faire de l’évasion fiscale.

Dans le rapport international, nous montrons l’évolution du formulaire, dans lequel les Canadiens doivent déclarer leurs actifs à l’étranger. Ce que nous constatons, c’est que beaucoup de gens ont des propriétés à l’étranger, par exemple, ce qui n’est pas imposable. C’est pourquoi nous devons être prudents quand nous parlons d’actifs à l’étranger. Certains ne sont pas imposables. Concernant la distribution provinciale, nous constatons que la Colombie-Britannique et l’Ontario comptent une forte proportion de gens qui ont des actifs à l’étranger, et c’est probablement lié à la nouvelle mosaïque canadienne dans une certaine mesure; les gens ont des actifs à l’étranger.

Dans le travail que nous effectuons sur l’écart fiscal, nous ne nous concentrons pas sur les propriétés, par exemple, mais sur des choses qui sont imposables. Voilà la distinction qui est faite. J’ignore si je réponds à votre question.

La sénatrice Andreychuk : En partie. Je crains toujours que cela ne devienne une possibilité de mélanger évasion et utilisation légitime du droit fiscal. Le terme « évitement » me laisse perplexe. Je crois que personne n’aime payer des impôts. Certains d’entre nous se sentent responsables d’un point de vue moral de les payer, car ils croient que c’est préférable pour la société, notamment, mais, quand vient le 30 avril, ils ne sont pas particulièrement heureux de les payer.

Est-ce que la façon de percevoir l’argent et de l’utiliser est juste? Vous ciblez un groupe, et il y a déjà de la résistance. Si j’ai bien compris ce qu’a dit M. Gallivan, les gens étaient assez mécontents des Panama Papers, et vous vous êtes donc concentrés sur ces cas par opposition à d’autres. Je crois qu’il y aura beaucoup de situations comme celle-là, car il s’agit d’une question de politique publique.

M. Gallivan : Concernant votre dernier point, les contribuables dont le nom figurait dans les Panama Papers, les gens s’opposent à l’étape de la vérification. Ils ne veulent pas collaborer, c’est-à-dire simplement fournir de l’information financière de sorte que nous puissions porter un jugement éclairé et déterminer s’il s’agit d’évasion, d’évitement ou, en fait, d’un cas de conformité. Cela nous amène à croire que ces contribuables savent qu’ils ont pris un risque, car autrement, ils n’auraient aucune raison de ne pas vouloir fournir l’information que nous leur demandons.

La sénatrice Andreychuk : Si l’on comprend bien que c’est de l’information qu’on est obligé de fournir... N’est-il pas là le problème, soit l’interprétation de la loi et sa complexité?

M. Gallivan : Dans un cas, il s’agissait d’une contestation fondée sur la Charte. Dans l’autre, on laissait entendre que nous cherchions à ce qu’il y ait une enquête criminelle en utilisant nos pouvoirs civils. Encore une fois, je dirais que ce sont des subtilités de la loi que des contribuables très habiles essaient d’utiliser, même avant que nous exposions les faits permettant à l’agence de prendre une décision éclairée. Nous ne pouvons même pas en arriver là, ce qui laisse croire qu’il se passe probablement quelque chose. Pourquoi le contribuable ferait-il une contestation fondée sur la Charte avant même que nous ayons réévalué son dossier?

La sénatrice Andreychuk : Je crois que c’est fondé sur les droits à la vie privée et les droits en tant que citoyen que le gouvernement ne s’ingère pas dans leur vie. Je crois que c’est un jugement de valeur qu’il vous faudra porter dans chaque dossier. Concernant le fait qu’il y a de l’argent à l’étranger et qu’ils ne vous donnent pas l’information, je ne crois pas qu’il faut partir de l’hypothèse qu’ils ont quelque chose à cacher. Je crois que ce serait le cas pour bien des gens.

M. Gallivan : Je crois que l’approche adoptée par l’agence consiste à recueillir des renseignements, car il y a des cas d’évitement fiscal et d’évasion fiscale pour cette société en particulier et, nous croyons que pour pouvoir évaluer les risques et déterminer qui doit faire l’objet d’une vérification, il nous faut obtenir ces renseignements.

La sénatrice Andreychuk : Pour cette société en particulier, c’est peut-être une évaluation juste, mais à l’avenir, lorsque l’argent voyagera partout dans le monde, je ne crois pas que ce sera le cas. Comme vous l’avez dit, vous répondiez à certaines pressions au Canada et je crois que c’était la bonne chose à faire, mais je ne crois pas que cela devienne la règle.

Cela m’amène à ma deuxième question, si vous me le permettez, qui s’adresse à M. Giroux. Nous vous souhaitons la bienvenue au comité. Nous sommes heureux de vous recevoir en premier.

Quels sont les enjeux en matière de protection des renseignements personnels pour lesquels l’ARC devrait transmettre plus de renseignements, en ce qui a trait à l’impôt sur le revenu des particuliers? Encore une fois, je crois que nous avons encouragé les gens à transmettre des renseignements à l’ARC. Lorsque nous en élargissons l’accès, l’information devient vulnérable.

De quels renseignements auriez-vous besoin, qui ne se trouvent pas dans le projet de loi à l’étude?

M. Giroux : C’est une bonne question, et cela me permet d’expliquer les exigences de mon bureau en matière de renseignements.

Je n’ai pas besoin des renseignements sur les particuliers. Toutefois, lorsqu’elle transmet les renseignements à mon bureau, l’ARC n’a pas à me fournir d’identifiant. Or, disons par exemple qu’elle me transmet des renseignements sur une grande multinationale dont le siège social est au Nouveau-Brunswick, et dont le revenu brut est de plus de 1 milliard de dollars. Ce sera assez facile de savoir de quelle entreprise il s’agit. En vertu de la loi actuelle, l’ARC ne peut pas me fournir ces renseignements parce que, même sans noms et adresses, il sera assez facile de savoir de quelle société il s’agit.

Il en va de même pour les particuliers. Même si je n’ai pas besoin du dossier de certaines personnes en particulier, le niveau de détail de certains renseignements dont nous avons besoin pourrait mener à l’identification de certains contribuables. Comme ils ont une aversion au risque et ne veulent pas aller en prison ou enfreindre la loi, les fonctionnaires auront tendance à restreindre la diffusion de l’information, pour être prudents, et je les comprends.

Ainsi, les modifications permettraient au Bureau du directeur parlementaire, mon bureau, d’obtenir ces renseignements pour éviter les cas de divulgation par recoupement.

Même si je n’ai pas besoin du dossier d’un particulier, cela permettra à l’ARC de travailler de façon plus harmonieuse avec mon bureau et de savoir que même en cas de divulgation accidentelle par recoupement, elle ne serait pas assujettie à des sanctions en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

La sénatrice Andreychuk : Est-ce que vous voudriez rédiger ces dispositions?

M. Mahabir : La Loi sur le Parlement du Canada prévoit la confidentialité. L’article 79.5 de la loi veille à ce que les renseignements transmis par l’ARC demeurent confidentiels. Nous avons une disposition qui protège ces renseignements une fois que nous les avons obtenus de l’ARC.

La sénatrice M. Deacon : On a parlé de plusieurs nuances ce matin, et je vais m’arrêter là parce que je crois que la sénatrice Marshall et le sénateur Pratte ont couvert une bonne partie des sujets que je voulais aborder. Merci.

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à M. Ernewein.

Vous avez parlé de la FATCA et de la déclaration commune. Je croyais que la FATCA visait une entente entre le Canada et les États-Unis. Comment la FATCA entre-t-elle en jeu lorsqu’il est question d’évasion fiscale? Est-ce que vous dites que ces renseignements sont transmis à tous les pays?

M. Ernewein : Je vais tenter de vous expliquer. La FATCA est la loi américaine adoptée par le Congrès pour exiger des institutions financières étrangères — c’est-à-dire les institutions financières non américaines — qu’elles fournissent des renseignements sur les résidents fiscaux des États-Unis. Dans le cas des États-Unis, il s’agit presque uniquement de citoyens américains. De nombreux Canadiens, qui ont peut-être vécu ici toute leur vie et sont aussi des citoyens américains, ont été impliqués dans cette histoire.

Bien que le gouvernement précédent ait appuyé l’idée d’un échange de renseignements accru, il a été ébranlé de voir son incidence sur les résidents canadiens qui sont des citoyens américains, tout comme l’ont été ces citoyens. Cet exercice de négociation avec les États-Unis a été difficile, puisque certaines dispositions ne respectaient pas la loi du Congrès. Elles variaient à certains égards afin de les rendre plus pratiques et d’en restreindre la portée.

Toutefois, à la suite de l’interruption de la FATCA et des négociations subséquentes des États-Unis avec de nombreux pays en vue d’un accord soi-disant intergouvernemental qui visait à réduire ces effets, d’autres pays comme le Canada ont pris ce qu’ils considéraient êtres les bonnes parties de la FATCA, comme l’amélioration de la collecte et de l’échange des données provenant des institutions financières — mais sans lien avec les citoyens, seulement avec les résidents fiscaux — et ont tenté d’établir une norme de déclaration commune permettant de recueillir le même type de renseignements et de les partager de manière automatique ou spontanée avec nos partenaires aux conventions fiscales, du moins lorsque nous sommes d’avis que l’information sera protégée aux fins de l’impôt.

Donc, en résumé, en prenant la FATCA sans la partie sur les citoyens, nous croyions implicitement qu’il s’agissait d’une bonne idée et nous avons voulu l’appuyer. Aujourd’hui, la norme commune de déclaration est en place dans plus de 100 pays.

La sénatrice Moncion : Les pays ont des ententes en vue d’échanger des renseignements avec d’autres pays?

M. Ernewein : C’est exact. Il faut à la fois une loi nationale pour recueillir l’information et un traité fiscal ou un accord d’échange — mais dans le cas du Canada, ce sont presque exclusivement des traités fiscaux — pour échanger les renseignements avec les autorités fiscales des autres pays.

M. Gallivan : J’aimerais seulement préciser qu’à partir de cet automne, l’ARC recevra automatiquement les renseignements bancaires de près de 100 administrations dans le monde. Nous recevons ces renseignements et évaluons les risques connexes pour les Canadiens afin de déterminer si les actifs à l’étranger ont été déclarés et s’ils correspondent à leur déclaration de revenus. C’est à partir de cet automne.

La sénatrice Moncion : Lorsque la FATCA est entrée en jeu, les institutions financières ont dû mettre en place des programmes pour recueillir les renseignements; c’est donc ce que nous avons fait pour les citoyens canadiens. Nous ne l’avons pas fait pour les gens de la France ou d’ailleurs. Comment alors recueille-t-on ou fournit-on ces renseignements?

M. Ernewein : En fait, oui. Nous l’avons fait. Les institutions financières sont tenues de recueillir ces renseignements sur les titulaires de comptes bancaires qui ne sont pas des résidents. Cela ne se limite pas aux États-Unis.

La sénatrice Moncion : Nous le faisons depuis toujours.

M. Ernewein : On exige une déclaration accrue en ce qui a trait à la valeur des actifs, notamment. La raison pour laquelle ce n’est peut-être pas évident est que ces mesures sont beaucoup moins intrusives que les exigences en matière de citoyenneté de la FATCA et de l’accord intergouvernemental avec les États-Unis.

M. Gallivan : Nous pouvons toujours avoir accès à ces renseignements sur demande. La nouveauté, c’est que les autorités fiscales partagent automatiquement ces renseignements de façon générale. Nous obtenons tous ces renseignements. Pour revenir à votre exemple de la France, tous les renseignements recueillis par les institutions financières canadiennes sur les gens qui ont des liens avec la France sont transmis au gouvernement français, ce qui nous aide à désigner les contribuables qui doivent faire l’objet d’une vérification et ceux dont les renseignements correspondent à la déclaration de revenus.

[Français]

La sénatrice Moncion : Nous devrions donc voir des retombées positives de tout cet échange d’information, pas seulement obtenir de l’information, mais également aller plus loin avec la collecte de ces sommes d’argent.

M. Gallivan : Oui. Et déjà, dans notre programme de divulgation volontaire, par exemple, au cours des cinq années qui ont précédé 2016-2017, le nombre de divulgations outremer a triplé. Je crois que les gens ont vu venir ce projet de loi et ont essayé de s’y conformer.

La sénatrice Moncion : Mais quand on parle de tripler, on est rendu à trois...

M. Gallivan : Non, c’était 300 millions de dollars par année, et c’est maintenant 900 millions, presque 1 milliard de dollars par divulgation volontaire, par année.

La sénatrice Moncion : On parle d’argent ou de nombre de personnes?

M. Gallivan : D’argent.

La sénatrice Moncion : Mon autre question porte sur ce que vous avez mentionné au sujet de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE).

Monsieur Giroux, vous avez mentionné que, quand vous transigez avec une corporation, si on reprend votre exemple du Nouveau-Brunswick, puisqu’on peut identifier la corporation facilement, on peut aussi identifier les personnes qui y travaillent, et cela nous empêche d’obtenir de l’information sur cette corporation. Est-ce que j’ai bien compris?

M. Giroux : Oui. En fait, c’est en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu qui interdit la divulgation de renseignements sur les contribuables à des personnes étrangères à l’Agence du revenu, à l’exception de quelques personnes qui remplissent des fonctions particulières. Donc, la divulgation est interdite, et l’Agence du revenu du Canada utilise une approche très restrictive et prudente. Ainsi, même si elle pouvait nous transmettre des renseignements qui n’incluent pas l’adresse, le nom, le code postal, et si, autrement, on peut identifier indirectement un contribuable, une corporation, un individu ou une fiducie, l’agence refusera de nous transmettre ces informations.

J’ai donné l’exemple d’une entreprise multimilliardaire au Nouveau-Brunswick; c’est un exemple extrême où il serait assez facile de déterminer la nature de cette entreprise et de l’identifier spécifiquement. En guise d’exemple supplémentaire, prenons un très jeune individu dans une province comme la Nouvelle-Écosse, par exemple, qui a des revenus de plusieurs millions de dollars dans le domaine du spectacle. Il serait facile de l’identifier en regardant les données publiques.

Ce sont des exemples extrêmes, mais on peut penser à plusieurs autres types de situations où il y a de la divulgation résiduelle, et c’est pour cela que l’ARC est réticente à nous fournir des microdonnées non agrégées.

La sénatrice Moncion : Cependant, c’est une agence du gouvernement fédéral qui donne de l’information à un autre groupe du gouvernement fédéral. On n’est pas en train de publier ces informations. Vous ne publiez pas des listes.

M. Giroux : De là la frustration de mon bureau de ne pas avoir accès à ces renseignements pour faire son travail. Je ne peux pas parler au nom des gens de l’agence, mais la loi étant ce qu’elle est, elle limite la capacité de mon bureau à recevoir des renseignements qui sont détenus par une corporation fédérale.

La sénatrice Moncion : Je vous remercie.

La sénatrice Bellemare : Ma question s’éloigne peut-être un peu du sujet, mais elle me tracasse tout de même, et la suivante dépendra de la réponse à la première. L’économie souterraine est difficile à évaluer. Quel genre d’hypothèses faites-vous dans votre évaluation en partant du haut vers le bas? Avez-vous l’impression que ces hypothèses sont très robustes?

Mme Éthier : Nous avons basé notre évaluation de l’écart fiscal lié à l’économie souterraine sur les données de Statistique Canada en faisant certains ajustements pour inclure les choses qui sont imposables. Donc, c’est aussi robuste que les estimations de Statistique Canada, qui y investit beaucoup d’argent. Afin de publier le PIB, par exemple, l’agence doit en faire une estimation. Donc, à partir de cette estimation, nous avons appliqué un taux de taxation selon le type d’économie souterraine dont il était question. C’est aussi robuste que l’estimation du PIB canadien.

La sénatrice Bellemare : Je vous remercie.

Ma deuxième question est très subjective, mais quand je regarde tout cet exercice d’estimation de l’écart fiscal, lorsqu’on observe un écart fiscal très important... En guise d’exemple, la semaine dernière, on a parlé d’un écart fiscal évalué par le Conference Board qui pouvait varier entre 40 milliards et moins de 10  milliards, donc un écart fiscal immense. Je me mets à la place du citoyen. Si on estime que l’écart fiscal est important, pensez-vous que cela peut avoir un impact pour le citoyen quant à la crédibilité de notre régime fiscal? Cela ne peut-il pas créer un sentiment de…

La sénatrice Eaton : Un sentiment de « pourquoi moi? »

Mme Éthier : C’est une question très intéressante mais, au chapitre de la transparence, il est important de connaître le montant d’argent qui nous échappe. Il est certain que cette publication peut provoquer un effet inverse. Soit le citoyen réagira en disant qu’il devrait faire de même ou bien il aura envie que nous poursuivions ces entités. Je ne crois pas qu’il y ait de réponse simple comme telle.

Le sénateur Pratte : Brièvement, monsieur Giroux, j’aimerais mieux comprendre pourquoi vous avez besoin de ces microdonnées pour estimer l’écart fiscal. Je ne suis pas certain de bien comprendre. Les données agrégées ne vous suffisent-elles pas? Surtout si on utilise l’approche de haut en bas, au lieu de demander des microdonnées qui pourraient mener à l’identification de certains contribuables.

M. Giroux : Les microdonnées ne sont pas nécessaires quand on utilise l’approche de haut en bas, en effet. Lorsqu’on examine l’écart fiscal en matière de TPS, l’approche de haut en bas me semble assez efficace, probablement plus efficace que l’inverse. Quand on arrive à la question de l’écart fiscal international, on ne regarde plus uniquement des millions de corporations ou des millions de mandataires de la TPS-TVH, on vise plutôt — le 1 p. 100, c’est généreux — le 0,1 p. 100 ou 0,01 p. 100 des contribuables. Il y a un très petit bassin de contribuables et on tombe assez vite dans des situations où les contribuables ou les corporations, les fiducies même, peuvent être identifiés indirectement, même si on enlève les identifiants.

Cela cause encore plus de problèmes lorsqu’on pose des questions sur les données de vérification, le nombre de vérifications et les interventions en matière de vérification et de recouvrement de l’agence. On tombe assez vite dans des données qui ne sont pas uniquement numériques, mais aussi qualitatives, où il est possible que l’agence glisse par inadvertance des données qui permettraient d’identifier quelqu’un. C’est là que les employés de l’agence deviennent très prudents et restreignent beaucoup la quantité et la nature des renseignements qu’ils partagent avec nous. Ce n’est pas parce qu’on a un intérêt à savoir combien quelqu’un gagne ou a déclaré, ce n’est absolument pas notre intérêt, mais c’est en raison de la prudence intrinsèque à l’ARC.

Le sénateur Pratte : Je comprends que l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu est un article important qui vise à garantir justement que cette information ne soit pas diffusée publiquement, mais également que le moins de gens possible en prennent connaissance, sauf ce qui est nécessaire pour l’application de la loi. Je crois comprendre que vous allez nous soumettre une proposition d’amendement ou un texte de proposition d’amendement qui créerait une exception pour votre bureau. Personnellement, avant d’adopter un tel amendement, j’y réfléchirai longuement afin de m’assurer que, effectivement, on ne crée pas une exemption qui peut mener à des désavantages. Il faut faire attention à la façon dont cet amendement sera rédigé; il doit être rédigé de manière très étroite de façon à ce qu’il serve uniquement à cela et non pas potentiellement à d’autres fins.

M. Giroux : Le Bureau du vérificateur général a accès aux renseignements des contribuables, et ce n’est pas non plus pour aller vérifier spécifiquement les dossiers des contribuables. C’est plutôt pour appuyer sa fonction de chien de garde des fonds publics et sa fonction de vérificateur externe de l’agence. Des dispositions semblables existent déjà pour d’autres agents du Parlement. Évidemment, la décision reviendra au comité et au Parlement.

Le sénateur Pratte : Le vérificateur général jouit d’une exemption en vertu de l’article 241, est-ce bien cela?

M. Giroux : C’est ce que j’ai compris.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : J’aimerais revenir à ce qu’a dit M. Gallivan en réponse à la question de la sénatrice Andreychuk au sujet des cas où l’Agence du revenu du Canada a de la difficulté à obtenir des renseignements des contribuables. Je crois que l’ARC pense alors à l’évasion fiscale. Est-ce la culture ou l’attitude habituelle de l’ARC? Je crois qu’elle est parfois trop agressive et qu’il se peut que bon nombre de ces contribuables en viennent simplement à la conclusion que moins ils transmettront de renseignements, moins on leur posera de questions. C’est comme le gouvernement avec les renseignements sur la reddition de comptes : lorsqu’on a les données, les questions sont interminables.

Comment l’Agence du revenu du Canada voit-elle les choses lorsqu’il y a des problèmes? Est-ce qu’elle pense automatiquement à l’évasion fiscale?

M. Gallivan : Pas du tout. Selon notre structure, nous avons divers points d’intérêt en fonction de la clientèle. L’équipe de conformité qui examine le dossier des employés d’entreprise et des contribuables ordinaires n’est pas la même que celle qui évalue le dossier des petites et moyennes entreprises. Tout d’abord, nous faisons la distinction entre les divers clients et nous savons à qui nous avons affaire.

Nous commençons par l’éducation. Même avec les multinationales, nous parlons avec l’Association canadienne d’études fiscales de ce que nous voyons. Nous tentons de donner des rétroactions de manière à encourager les gens à se conformer volontairement dès le départ. Nous passons beaucoup de temps à rédiger des guides, à transmettre l’information et à conseiller le ministère des Finances lorsqu’il rédige les lois.

Dans tous les cas, nous tentons d’aider les gens à bien faire les choses dès le départ. Ensuite, nous passons aux mesures de dissuasion : nous envoyons des avis, des avertissements — aux personnes qui louent un espace dans leur maison, par exemple —, des lettres d’information et nous encourageons les gens à se conformer.

Lorsque nous avons affaire à des multinationales organisées, qui savent que pour obtenir une évaluation juste du prix de transfert, nous devons réaliser des entrevues fonctionnelles avec les hauts dirigeants et que nous avons de la difficulté à le faire, alors oui, nous croyons qu’un certain jeu se joue. Il s’agit là d’un contribuable informé qui sait que nous allons probablement nous rendre devant les tribunaux, où ce sont les preuves qui comptent, et que moins nous aurons de preuves, plus il aura de chances de réussir.

Nous voulons toujours aider et soutenir les gens, mais pour certains segments de la population — et je dirais avec les multinationales en particulier —, nous savons que l’histoire se terminera devant les tribunaux. De plus en plus d’avocats du ministère de la Justice travaillent à nos dossiers sur les entreprises à l’étranger et les multinationales dès l’étape de la vérification, parce que tout le monde sait que ces dossiers seront probablement litigieux. Ces contribuables passent par leurs avocats dès le départ, et nous avons appris qu’il fallait faire de même.

La sénatrice Marshall : Même à l’étape préliminaire, lorsque vous posez les premières questions... Je ne crois pas que qui que ce soit — ou alors très peu de personnes — pense que l’ARC est là pour les aider. Je vous remercie pour votre réponse, toutefois.

La sénatrice Andreychuk : Madame Éthier, l’écart fiscal n’est qu’une partie d’un problème d’envergure internationale.

En ce qui a trait au blanchiment, l’argent sort, parfois par l’entremise de sociétés à numéro, puis il revient propre et est utilisé.

Comment évaluez-vous l’écart fiscal, le blanchiment d’argent et les autres enjeux? Nous avons eu l’occasion d’étudier certaines de ces questions avec la marijuana, les entreprises internationales et certaines compensations. Est-ce que vous tenez compte de tout le cycle ou seulement de l’écart fiscal pour le moment?

Mme Éthier : À l’heure actuelle, nous évaluons certains types d’actifs à l’extérieur du Canada. Dans la mesure où l’argent blanchi réintègre l’économie normale, il ne fait pas partie de l’écart fiscal parce qu’il est assujetti à l’impôt.

Dans le cadre de son travail, Gabriel Zucman a examiné non seulement le blanchiment d’argent, mais aussi les activités criminelles de façon générale. De plus, il étudie la situation de tous les pays du monde, y compris des endroits où les gens placent même l’argent du gouvernement à l’extérieur du pays pour des raisons personnelles. Il y a beaucoup de cela, mais nous en tenons compte dans nos évaluations, dans la mesure du possible.

N’oubliez pas que cela ne s’applique qu’à l’impôt sur le revenu des particuliers pour le moment.

Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La sénatrice Andreychuk : Cela me rassure de savoir que vous en tenez compte. Je ne sais pas si nous en sommes là.

[Français]

Le sénateur Forest : En fait, c’est exactement le sens de ma question. J’aimerais savoir s’il y a une évaluation qui se fait, que ce soit au ministère des Finances ou à l’Agence du revenu du Canada.

Les allégements fiscaux ne constituent pas de la fraude ou de l’évitement. Cependant, certains programmes d’allégement sont offerts pour inciter à faire de la recherche et du développement. Est-ce que l’ARC fait une évaluation coûts-bénéfices pour savoir combien coûte le programme et quels en sont les bénéfices?

Cette question se situe en périphérie du sujet de la réunion de ce matin.

Mme Éthier : Le ministère des Finances publie annuellement un rapport sur ce qu’on appelle les « dépenses fiscales ». Celles-ci fournissent les coûts par type de préférence fiscale.

Je vais laisser M. Ernewein répondre à votre question.

M. Ernewein : Mme Éthier vous a donné ma réponse.

[Traduction]

C’est exactement ce que j’allais dire. Nous évaluons les dépenses fiscales. Nous avons une longue liste. Nous publions chaque année un rapport détaillé des coûts. Nous avons tenté de réaliser des études sur certains éléments précis il y a quelques années. Nous avons réalisé une analyse interne détaillée des dépenses fiscales; nous avions eu l’aide de conseillers externes à cette fin. C’est une caractéristique importante de l’examen de notre système.

Le président : J’aurais quelques questions à vous poser pour terminer.

L’ARC publie sur son site web certains cas de personnes, de sociétés et de fiducies reconnues coupables d’évasion fiscale par les tribunaux, ou d’avoir omis de faire une déclaration de revenus obligatoire.

Premièrement, à votre avis, est-ce qu’on pourrait intégrer ces renseignements au rapport annuel de l’ARC, comme l’exigerait le projet de loi S-243?

Deuxièmement, pourquoi ne publiez-vous pas les cas d’évasion fiscale à l’échelle internationale?

M. Gallivan : Je vais répondre à votre deuxième question en premier. Ce n’est que depuis peu que nous nous centrons sur l’évasion fiscale à l’étranger et à l’échelle internationale. Comme nous l’avons fait valoir plus tôt, le nombre de cas est relativement faible; c’est pour cela qu’ils ne sont pas publiés. Leur nombre augmentera au fil des années.

Pour revenir à votre première question, le gouvernement n’a pas terminé son analyse complète du projet de loi, alors je ne peux me prononcer là-dessus et je ne veux pas compromettre la position du gouvernement. Je dirai toutefois que l’ARC a de la difficulté avec la question du pardon, associée à une période de 5 ou 10 ans, parce que les gens reconnus coupables pourraient demander le pardon. Nous sommes conscients de cela lorsque nous décidons des renseignements à transmettre au public.

Le président : Merci beaucoup. En vous fondant sur votre expérience dans l’ensemble du Canada, avez-vous des propositions de témoins que pourrait ou devrait inviter le comité aux fins de son étude sur le projet de loi S-243?

Mme Éthier : Est-ce que nous pouvons y penser et transmettre nos suggestions à la greffière?

Le président : Oui, s’il vous plaît.

Honorables sénateurs, voilà qui conclut notre réunion. Je remercie les témoins de leur excellent travail et de leur professionnalisme.

(La séance est levée.)

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