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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule no 82 - Témoignages du 28 novembre 2018 (séance du soir)


OTTAWA, le mercredi 28 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, pour étudier la teneur complète du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures. (sujet : la partie 1j), incitatif à agir pour le climat et la partie 1m), activités politiques non partisanes).

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité.

[Français]

Bienvenue à tous ceux et celles ici présents dans la salle, et à tous les Canadiens qui nous regardent à la télévision ou en ligne.

[Traduction]

Je rappelle aux téléspectateurs que les audiences du comité sont ouvertes au public et sont également disponibles en ligne à sencanada.ca.

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter.

[Français]

Le sénateur Forest : Sénateur Éric Forest, du Québec, région du Golfe.

Le sénateur Pratte : Sénateur André Pratte, du Québec.

La sénatrice Forest-Niesing : Sénatrice Josée Forest-Niesing, du Nord de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

Le sénateur Klyne : Martin Klyne, de la Saskatchewan.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : Je voudrais maintenant vous présenter la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et nos deux analystes, Alex Smith et Shaowei Pu, qui, ensemble, soutiennent les travaux du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Honorables sénateurs et membres du public, notre comité a pour mandat d’examiner les questions relatives aux prévisions budgétaires fédérales en général ainsi qu’aux finances gouvernementales. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-86, que le Sénat du Canada nous a renvoyé le 7 novembre 2018.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, est ce que nous appelons un projet de loi d’exécution du budget. Ce genre de projet de loi est tout à fait conforme au mandat que le Comité des finances nationales a reçu du Sénat du Canada.

Honorables sénateurs, ce soir, nous voulons nous concentrer sur deux mesures contenues dans le projet de loi C-86.

Au cours de la première partie de la réunion, la mesure dont nous parlerons est l’incitatif à agir pour le climat figurant dans la partie 1 du projet de loi C-86. Nous avons le plaisir d’accueillir Dale Beugin, de la Commission de l’écofiscalité du Canada, et Nicholas Rivers, professeur agrégé, Affaires publiques et internationales, à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa.

Je remercie les témoins d’avoir accepté notre invitation et d’être ici ce soir. On m’informe que M. Beugin sera le premier à prendre la parole, suivi de Nicholas Rivers et des questions des sénateurs.

Monsieur Beugin, vous avez la parole.

Dale Beugin, directeur général, Commission de l’écofiscalité du Canada : Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Je représente la Commission de l’écofiscalité du Canada, un groupe d’économistes indépendants très en vue, de partout au pays. Les commissaires à l’écofiscalité sont appuyés par un conseil consultatif multipartite composé de représentants de tous les horizons politiques. Dans de nombreux rapports, la Commission a fortement recommandé la tarification du carbone comme approche la plus rentable pour réduire les émissions de GES.

La tarification du carbone génère également des recettes, bien que ce ne soit pas l’objectif de la politique. Néanmoins, la façon dont ces recettes sont recyclées dans l’économie a d’importantes répercussions. Comme nous l’avons souligné, le filet de sécurité fédéral propose le paiement incitatif pour la lutte contre les changements climatiques, qui utilise les recettes pour offrir un crédit d’impôt à tous les Canadiens.

Le président : Puis-je vous demander de ralentir un peu pour les interprètes et les sténographes?

M. Beugin : Oui, absolument. Je vais essayer de parler plus lentement. Je me suis un peu emballé.

Nous parlons parfois de ce recyclage des recettes comme d’un dividende carbone. C’est essentiellement un chèque. Il n’y a pas de meilleure façon de recycler les recettes provenant de la tarification du carbone. Par contre, il y a des compromis à faire sur toutes sortes de plans. Permettez-moi de vous résumer, ce soir, quatre de ces dimensions en ce qui concerne le dividende carbone.

Premièrement, la simplicité. Les dividendes représentent la méthode de recyclage des revenus la plus simple et la plus transparente. C’est particulièrement utile dans le contexte du fédéralisme et dans le cadre pancanadien. Cela permet de démontrer clairement, dans ce cas-ci, que 90 p. 100 des revenus générés par la taxe sur le carbone ne sont pas utilisés pour financer les dépenses fédérales, mais plutôt retournés directement aux ménages. Cela démontre aussi clairement que les revenus sont retournés aux provinces où ils ont été générés et non redistribués entre les provinces.

Le deuxième critère est l’efficacité, la mesure dans laquelle les réductions des émissions de GES sont réalisées. Il est très important de souligner que le versement de dividendes aux ménages ne sabote pas l’incitatif que crée la tarification du carbone et qu’il ne compromet donc pas l’efficacité avec laquelle la politique de tarification du carbone réduit les émissions de GES. C’est la tarification du carbone, et non les revenus qu’elle génère, qui est le principal facteur de réduction des émissions. La tarification incite les particuliers et les entreprises à trouver des moyens d’éviter de payer la taxe sur le carbone, en les laissant libres de choisir la solution la plus appropriée compte tenu de leur propre situation et de leurs propres préférences.

Tous les ménages des provinces et des territoires qui sont confrontés au filet de sécurité recevront ce dividende indépendamment du montant de la taxe sur le carbone qu’ils paient. Les deux volets de cette politique, le prix et le recyclage des revenus, sont entièrement distincts et indépendants.

À titre d’exemple, les ménages peuvent décider de ne rien faire pour éviter de payer le prix du carbone — parce qu’ils n’ont pas d’autres choix, ou parce que les autres solutions sont plus coûteuses — et ils peuvent simplement choisir de payer le prix du carbone à la place. S’ils le font, en moyenne, leur situation ne sera pas pire parce qu’ils recevront également des revenus sous la forme de ce dividende carbone. S’ils changent de comportement ou adoptent des technologies à faibles émissions de carbone, ils peuvent économiser encore plus d’argent en évitant de payer la taxe sur le carbone.

La compétitivité constitue une troisième dimension. Si les revenus du carbone vont aux ménages, qu’en est-il des entreprises? Ce choix nuira-t-il à la compétitivité de l’industrie? On a souvent soulevé cette question à propos de cette politique. La réponse est que ce sera vraisemblablement dans une faible mesure.

Il est clair que les craintes au sujet de la délocalisation et de la compétitivité, du déplacement de l’investissement ou de la production à l’extérieur du Canada vers des pays où la politique est plus faible, sont légitimes. Cependant, cette préoccupation vaut surtout pour les secteurs et les industries à forte intensité d’émissions et très exposés à la concurrence, qui représentent environ 5 p. 100 de l’économie canadienne dans son ensemble, les plus grands émetteurs se trouvant surtout en Alberta et en Saskatchewan.

Plus important encore, les grandes entreprises à forte intensité d’émissions et exposées à la concurrence sont couvertes non pas par la politique de tarification dont il est question ici, mais par une politique de tarification parallèle distincte, ce qu’on appelle le système de tarification fondé sur le rendement, qui est explicitement conçu pour répondre aux préoccupations en matière de compétitivité et créer des incitatifs à la réduction des émissions en améliorant le rendement plutôt qu’en réduisant les émissions en déplaçant la production et l’investissement vers d’autres administrations.

Les petites entreprises paieront la totalité de la taxe sur le carbone en vertu de ce système, mais dans la plupart des cas, elles ne sont pas à forte intensité d’émissions et très exposées à la concurrence. Par conséquent, il est logique que les recettes de la taxe soient dirigées vers les ménages qui, au bout du compte, paient à la fois les coûts directs de leurs propres émissions et les coûts indirects que leur refilent les entreprises.

Une analyse du gouvernement du Canada montre qu’en incluant les coûts directs et indirects, même en tenant compte des deux, le montant du crédit, du remboursement que les ménages recevront, en moyenne, dépassera la part qu’ils assumeront de ces coûts directs et indirects.

Il y a une question en suspens au sujet du petit nombre de petites et moyennes entreprises qui produisent beaucoup d’émissions et sont exposées à la concurrence, et qui pourraient entrer en ligne de compte pour les 10 p. 100 de recettes restantes. Il serait logique d’en tenir compte pour le recyclage de ces 10 p. 100 restants.

La quatrième dimension des compromis dont je veux parler est celle des coûts et des répercussions économiques, surtout globalement. Dans l’ensemble, les répercussions macroéconomiques de la tarification du carbone seront très faibles, même avec les dividendes. La modélisation économique que la Commission de l’écofiscalité a faite, il y a environ un an et demi, a montré que même si la tarification nationale du carbone augmentait à 100 $ la tonne d’ici 2030, ce qui est beaucoup plus élevé que la trajectoire actuelle des prix, compte tenu de tous les revenus utilisés pour financer les remboursements aux ménages, même avec cette tarification forte, agressive et croissante du carbone, la croissance économique demeurerait très forte et très positive partout au Canada, à peine un peu plus faible qu’elle ne l’aurait été autrement.

C’est logique. Après tout, c’est parce qu’elle est souple et axée sur le marché que la politique de tarification du carbone est le moyen le moins coûteux de réduire les émissions de GES. D’autres politiques, comme la réglementation et les subventions, peuvent produire les mêmes résultats, mais à des coûts beaucoup plus élevés.

Néanmoins, je ferai remarquer qu’il est possible de réduire encore davantage le coût de la politique de tarification du carbone en utilisant les recettes pour réduire d’autres taux d’imposition, pour réduire l’impôt sur le revenu des particuliers ou des sociétés. Cela diminuerait encore plus le coût de la tarification du carbone que ne le fera l’approche choisie. Cependant, cela poserait d’autres difficultés. Plus particulièrement, il serait difficile de garantir que les recettes générées dans une province ne seraient pas recyclées dans une autre.

Permettez-moi de résumer. Dans l’ensemble, l’approche adoptée dans le filet de sécurité est un bon choix. Cela évite de générer des revenus dans une province et de les recycler dans une autre. C’est simple et transparent. Cela mènera à une politique progressiste et équitable, et je pense que mon collègue, M. Rivers, en parlera.

Il y a d’autres options. Les économistes préféreraient peut-être utiliser les recettes pour réduire d’autres impôts. Les environnementalistes pourraient préférer les utiliser pour investir dans les technologies propres et réduire davantage les émissions. Néanmoins, les provinces peuvent toujours trouver leur propre équilibre. Certaines ont déjà adopté leur propre système de tarification du carbone en vertu du cadre pancanadien, faisant leurs propres choix en matière de recyclage des revenus. À l’avenir, d’autres pourraient choisir d’accepter publiquement le filet de sécurité fédéral en gardant la haute main sur ces recettes et en décidant de la façon dont elles seront utilisées.

Merci beaucoup. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci.

Monsieur Rivers, s’il vous plaît.

Nicholas Rivers, professeur agrégé, Affaires publiques et internationales, faculté des sciences sociales, Université d’Ottawa, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invité à parler du crédit d’impôt action climat remboursable.

Je suis un économiste de l’environnement qui étudie la conception des politiques sur les changements climatiques. Mes recherches ont porté sur la rentabilité des politiques de rechange, les répercussions des politiques climatiques sur la répartition des revenus des ménages et les répercussions des politiques climatiques sur les émissions de gaz à effet de serre. Mes commentaires d’aujourd’hui sont fondés sur cet ensemble de recherches.

Aujourd’hui, je voudrais faire valoir quatre points au sujet de la conception de la politique climatique en question. Il y aura un certain chevauchement avec ce que M. Beugin a déjà dit.

Mon premier point, c’est que l’octroi d’un crédit d’impôt remboursable aux ménages ne va pas à l’encontre des mesures les incitant à atténuer leurs émissions de gaz à effet de serre. Depuis que le gouvernement fédéral a annoncé, il y a environ un mois, son intention de remettre aux ménages les recettes tirées de la tarification du carbone, vous avez peut-être entendu dire que cela contrebalancera la taxe sur le carbone, de sorte que les ménages ne réduiront pas leurs émissions de gaz à effet de serre. Après tout, si le gouvernement prélève, d’une main, une taxe sur le carbone pour ensuite accorder un crédit d’impôt de l’autre main, logiquement, on peut se demander pourquoi les ménages atténueraient leurs émissions de gaz à effet de serre.

Je tiens à souligner, tout comme Dale l’a fait, que ces affirmations traduisent une incompréhension de la façon dont la politique fonctionnera et que l’octroi d’un remboursement de la taxe sur le carbone ne contrecarre pas l’incitation à réduire les émissions.

Pour comprendre pourquoi, il est essentiel de comprendre qu’un ménage peut maîtriser, dans une certaine mesure, le montant qu’il paie en taxe sur le carbone, mais le montant qu’il reçoit sous la forme d’un crédit d’impôt action climat ne dépend pas de lui. Par conséquent, la tarification du carbone incite les ménages à essayer d’éviter de payer la taxe sur le carbone, à essayer de réduire leurs émissions, mais le crédit d’impôt action climat ne leur apporte aucun incitatif compensatoire pour augmenter leurs émissions. Des données empiriques sur la façon dont les consommateurs réagissent à l’évolution des prix de l’énergie et à l’évolution des revenus viennent étayer cette affirmation.

Bien que ce point soit enseigné à tous les étudiants en microéconomie, c’est aussi une chose que nous comprenons tous intuitivement. Par exemple, le fait que les rabais offerts par les détaillants lors des événements du Vendredi fou de la semaine dernière attirent un plus grand nombre d’acheteurs par rapport au reste de l’année nous indique que les consommateurs réagissent aux changements de prix, comme celles qui sont attribuables à la taxe sur le carbone. Le fait que des gens de tous les niveaux de revenus participent à ces événements nous indique que les variations de revenus, comme celles qui viendront du crédit d’impôt action climat, n’éliminent pas les incitatifs générés par les changements de prix.

Deuxièmement, le crédit d’impôt remboursable garantit que la politique fédérale de tarification du carbone aura un effet progressif sur la répartition des revenus dans les provinces où elle sera imposée.

Plus précisément, la conception du crédit d’impôt remboursable signifiera que la plupart des ménages pauvres et à revenu moyen au Canada auront plus d’argent dans leurs poches après l’imposition de la politique de tarification du carbone qu’auparavant.

Ce résultat s’explique par le fait que tous les ménages de même taille recevront le même crédit d’impôt remboursable. En revanche, l’exposition des ménages à la taxe sur le carbone augmente avec l’augmentation des revenus. Les ménages plus grands qui ont un revenu plus élevé ont tendance à avoir des maisons plus grandes et à avoir une plus grande demande de transport.

Dans l’ensemble, cela signifie que les ménages ayant les revenus les plus faibles tireront un avantage net substantiel de la politique de tarification du carbone. Pour cette raison, la politique de tarification du carbone pourra contribuer à réduire les inégalités existantes dans la société tout en s’attaquant à la pollution par le carbone. De plus, comme tous les ménages recevront le crédit d’impôt, la plupart des ménages de tous les niveaux de revenu seront au moins aussi bien nantis après la politique de tarification du carbone qu’avant.

Le troisième point que je veux soulever, c’est que, en remettant les recettes de la tarification du carbone aux ménages de la province d’origine, le crédit d’impôt action climat fait en sorte qu’aucune taxe sur le carbone n’est transférée d’une province à l’autre.

Il y a plusieurs façons pour le gouvernement de choisir de dépenser ou de remettre aux ménages les recettes tirées de la tarification du carbone. Par exemple, le gouvernement fédéral aurait pu utiliser ces recettes pour réduire le taux d’imposition fédéral des sociétés ou des particuliers, ou il aurait pu choisir de les consacrer à la recherche sur l’énergie propre ou au déploiement d’infrastructures d’énergie propre comme le transport en commun.

Bien que chacune de ces autres approches ait ses mérites et ses partisans, aucune d’elles ne garantit clairement que toutes les recettes tirées de la tarification du carbone dans une province seront retournées à la province où elles auront été recueillies.

Compte tenu de la sensibilité des transferts fiscaux interprovinciaux et des grandes disparités entre les provinces en matière d’émissions de gaz à effet de serre, il est essentiel de veiller à ce que les recettes tirées de la tarification du carbone soient retournées à la province d’où elles viennent. Le crédit d’impôt action climat permet de le faire.

Enfin, le crédit d’impôt action climat remboursable est un moyen transparent de démontrer que la politique de tarification du carbone n’a pas d’incidence sur les revenus. Le gouvernement fédéral prévoit faire rapport chaque année sur les recettes tirées de la taxe sur le carbone, ainsi que sur les recettes remises aux ménages au moyen du crédit d’impôt remboursable. Il est donc facile de vérifier que le gouvernement n’utilise pas la taxe sur le carbone comme un moyen d’augmenter ses revenus et qu’il impose plutôt la tarification du carbone comme un moyen d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre.

Dans l’ensemble, je crois que l’approche proposée pour remettre les recettes tirées de la tarification du carbone aux ménages au moyen d’un crédit d’impôt remboursable est une approche stratégique intelligente. La politique fédérale de tarification du carbone incite clairement à atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Elle fait en sorte qu’aucune province n’ait à supporter un fardeau injuste en matière de réduction des émissions. Elle procurera un avantage financier aux ménages les plus pauvres du Canada et contribuera ainsi à réduire l’inégalité des revenus, et il s’agit d’un moyen transparent de réduire les émissions de carbone et de débourser les recettes connexes.

Je pense que c’est l’une des façons les plus économiques et équitables de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre dont dispose le gouvernement fédéral.

Le président : Merci.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup. Je dirais que, comme beaucoup de Canadiens, je n’ai pas le temps de m’asseoir pour débattre de la politique gouvernementale et que je vais simplement me rendre à la station-service pour voir quel est le nouveau prix de l’essence, qui me rendra furieux. C’est parce que les gens vivent dans une région rurale où ils doivent faire de longs trajets pour se rendre au travail, ou pour amener leurs enfants au travail ou à l’école. Je pense qu’il y aura beaucoup de colère. C’est très difficile à expliquer.

Nous avons vu le vérificateur général présenter deux fois, deux années de suite, des rapports très accablants sur l’ARC et ses capacités, ce qui ne donne pas une bien belle image de la fonction publique canadienne.

Avec ces complications supplémentaires, je me demande jusqu’à quel point cela se passera bien. Ma question est la suivante : dans quelle mesure les incitatifs à agir pour le climat comme la taxe sur le carbone, auront-ils un effet sur la capacité du Canada d’atteindre ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre? Il ne fait aucun doute qu’on doit avoir chiffré dans quelle mesure la taxe sur le carbone réduira l’empreinte carbone de notre pays. En avez-vous une idée?

M. Rivers : Vous avez posé des bonnes questions.

Je pense que la principale question est la suivante : cette politique va-t-elle nous aider à atteindre nos objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre? Je diviserais cela en deux questions.

Cette politique comporte deux volets. Premièrement, il y a la partie sur la tarification du carbone ou la taxe sur le carbone qui augmente le prix de l’essence et des autres combustibles fossiles, comme vous l’avez mentionné. Ensuite, il y a une deuxième partie, qui consiste à prendre les recettes de cette nouvelle taxe pour les remettre aux ménages.

Ce que Dale et moi disons, et je pense que les données probantes le confirment, c’est que le remboursement ne contrecarre pas les incitatifs à réduire les émissions. Les 500 $ ou 300 $ que vous récupérerez à la fin de l’année ne vous dissuaderont pas de réduire vos émissions.

La sénatrice Eaton : C’est à la fin de l’année.

M. Rivers : C’est en fait au début de l’année.

La sénatrice Eaton : C’est annuel.

M. Rivers : C’est exact. D’après les données dont nous disposons, ce n’est donc pas suffisant. Cela n’éliminera pas les incitatifs que la tarification du carbone génère.

La principale partie de votre question est la suivante : la tarification du carbone nous permettra-t-elle d’atteindre nos objectifs? Le gouvernement a publié des estimations de ce que la tarification du carbone apportera, à elle seule, et estime qu’elle permettra de réduire les émissions d’environ 50 à 60 millions de tonnes par année. Cela représente de 8 à 10 p. 100 de nos émissions et ce n’est pas suffisant pour atteindre nos objectifs. Autrement dit, c’est un pas dans la bonne direction, mais cela ne suffira pas pour atteindre le but. Le gouvernement a aussi d’autres politiques, mais la tarification du carbone ne permettra pas, à elle seule, de réduire les émissions conformément à nos objectifs.

L’autre point que je veux faire valoir, c’est que les remboursements aux ménages, la politique dont nous parlons aujourd’hui, sont explicitement conçus pour régler le problème que vous avez décrit au début, à savoir que les gens verront le prix de l’essence augmenter aux stations-service. Le remboursement est conçu pour dire aux gens que, comme ces mesures augmentent le coût de la vie, nous allons leur remettre 500 $ au début de l’année.

La sénatrice Eaton : Un an plus tard.

M. Rivers : C’est un an avant. Vous obtiendrez le remboursement avant l’entrée en vigueur de la politique. Les crédits d’impôt seront versés en avril 2019, le jour même où la politique entrera en vigueur. Les remboursements viennent en premier.

M. Beugin : J’ajouterai une chose à ce que Nick a dit : il faut une politique supplémentaire pour atteindre nos objectifs. Cela ne nous mènera pas droit au but. Nous aurons besoin de prix plus élevés pour le carbone ou d’autres politiques. Ces autres politiques peuvent prendre la forme d’une réglementation, par exemple, mais elles auront aussi des coûts et les ménages finiront par payer plus, de façon moins directe. Ils ne verront peut-être pas ces coûts directement à la pompe. Ils leur seront quand même imposés sous la forme d’une réglementation. Il est donc préférable d’essayer de réduire ces coûts le plus possible. Par conséquent, il vaut mieux utiliser la tarification du carbone que la réglementation.

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir à ce que vous avez dit tous les deux, à savoir que même s’il y a un remboursement ou un dividende, cela n’affecte pas l’efficacité de la taxe sur le carbone.

Intuitivement, la plupart des gens arriveraient à une autre conclusion. Si je compare 2018 à 2019, en tant que consommateur, même si je ne change rien, que ce soit la voiture que je conduis ou autre chose, je me retrouverai probablement avec 100 $ de plus que l’année précédente.

Où est l’incitatif? Vous comptez sur le fait que les consommateurs verront le prix de l’essence augmenter un peu et changeront alors leur comportement? Est-ce tout?

M. Beugin : Je vais essayer de faire une analogie. Nous verrons si cela fonctionne.

Imaginez que vous faites vos courses à l’épicerie. Vous préférez acheter des Cheerios. C’est votre céréale préférée. Cependant, deux choses se produisent. Premièrement, aujourd’hui, l’épicerie a augmenté de 5 $ le prix des Cheerios. En même temps, elle vous donne 5 $ en espèces. Si vous préférez toujours acheter des Cheerios, vous pouvez utiliser ces 5 $ pour les acheter au prix plus élevé, et vous en êtes au même point financièrement que si le magasin n’avait jamais fait ce choix.

Cependant, si vous êtes prêt, cette semaine, à remplacer les Cheerios par des flocons de maïs, vous pouvez rapporter les 5 $ à la maison ainsi que les flocons de maïs. L’incitation à changer existe, peu importe que la prime de 5 $ existe ou non, mais elle compense le coût que vous payez.

Le sénateur Pratte : Y a-t-il des preuves montrant qu’un remboursement de la taxe carbone est plus efficace qu’une simple réduction des taux d’imposition, par exemple? Le crédit d’impôt réduira l’impôt sur le revenu des particuliers. Pourquoi cette solution est-elle préférable? Ou est-ce le cas?

M. Rivers : Nous avons tous les deux dit qu’il y a des compromis à faire dans la conception de cette politique et que ces deux mécanismes — la réduction de l’impôt sur le revenu et l’octroi d’un crédit d’impôt aux ménages — sont des moyens de débourser les recettes. Les deux vont remettre l’argent aux ménages.

Je pense qu’ils présentent des coûts et des avantages différents. Je dirais que la plupart des études économiques laissent entendre que le fait de remettre l’argent par l’entremise du régime fiscal aiderait à faire croître l’économie, parce que les impôts globaux seraient moins élevés. C’est l’aspect positif de la réduction des impôts.

Un inconvénient de la réduction des impôts est qu’il serait très difficile pour le gouvernement de veiller à ce que les recettes reviennent à la province où elles ont été recueillies. Permettez-moi de vous donner un exemple : l’Alberta et la Saskatchewan sont les provinces où les émissions de gaz à effet de serre par habitant sont les plus élevées au pays; les recettes proviendront donc de ces provinces. Le gouvernement cherche à remettre toutes les recettes de l’Alberta et de la Saskatchewan à l’Alberta et à la Saskatchewan. Que se passerait-il toutefois si, au lieu de cela, il réduisait le taux fédéral d’imposition du revenu des particuliers? La plus grande partie des recettes reviendrait à l’Ontario, parce que c’est la plus grande province, sur le plan du revenu. Il y aurait un transfert de revenus de la Saskatchewan et de l’Alberta vers l’Ontario. Ce n’est peut-être pas un problème économique, mais c’est probablement un problème politique.

Je pense que c’est le compromis que le gouvernement cherche à faire.

Le sénateur Pratte : Le problème, c’est qu’il s’est engagé à remettre l’argent aux provinces en question.

M. Rivers : C’est une des façons d’y parvenir. Cela pose aussi d’autres problèmes. Il y a la question de la progressivité de l’impôt. Les personnes qui ne gagnent aucun revenu ne recevront pas de remboursement d’impôt, alors qu’elles paieront des coûts lorsqu’elles consommeront de l’essence. Ce serait une façon régressive de remettre les recettes, alors qu’en les retournant à tous les ménages de façon égale, on se retrouve avec une politique plus progressive. Il y a des compromis à faire. Il n’y a pas de système meilleur que les autres sur tous les plans.

Le sénateur Pratte : Il est contre-intuitif d’envoyer le même remboursement à tous les ménages, mais c’est progressif.

M. Rivers : Tous les ménages reçoivent le même remboursement. Vous avez raison à ce sujet, mais ils ne paient pas tous la même taxe, car les gens qui se trouvent tout en haut de l’échelle des revenus semblent consommer plus de tout parce qu’ils ont un revenu élevé. Ils consomment plus de produits contenant du carbone et ils finissent par payer plus de taxe. Si vous regardez les données sur les dépenses, c’est une hypothèse...

La sénatrice Moncion : Une grande maison, une seule personne.

M. Rivers : ... c’est reflété là.

La sénatrice Marshall : Lorsque vous avez présenté vos exposés, vous avez fait référence aux modèles économiques et à la littérature. Il semble donc que tout cela soit théorique. Y a-t-il une administration qui a mis en œuvre quelque chose de semblable à ce que le gouvernement propose dans le budget?

M. Beugin : Ce n’est pas exactement la même chose, mais il y a des similitudes avec ce que nous avons au Canada. Le système de tarification du carbone de l’Alberta, qui a été mis en place en 2017, a effectivement envoyé des remboursements aux ménages, mais pas à tous. Il les a envoyés aux 60 p. 100 de ménages ayant les revenus les plus bas. Il a essayé de régler le problème d’équité auquel Nicholas a fait allusion. Il a voulu s’assurer que la politique de tarification des prix ne soit pas régressive et il a envoyé les chèques à ceux qui en avaient le plus besoin.

La sénatrice Marshall : Quelle a été la réussite de cette solution? C’est une option que le gouvernement envisage. Il y en a d’autres. Quelle a été la réussite de cette solution?

M. Beugin : Tout dépend de la façon dont on définit le succès.

La sénatrice Marshall : Je commence à penser que ce n’était pas le cas, suite à cette réponse.

M. Beugin : Pour ce qui est de répondre aux préoccupations relatives à l’équité, il y a eu beaucoup d’analyses indiquant que la politique n’était pas régressive, en partie à cause de ces chèques. C’est la même chose en Colombie-Britannique.

La sénatrice Marshall : Cela a-t-il réduit considérablement les émissions? Cela a-t-il permis d’atteindre les objectifs fixés?

M. Rivers : Encore une fois, cette politique ne nous permettra pas d’atteindre notre objectif fédéral.

La sénatrice Marshall : Je le sais. J’ai une autre question à ce sujet.

M. Rivers : Le cas le plus étudié est celui de la Colombie-Britannique, qui a une taxe sur les gaz à effet de serre depuis 10 ans. L’Alberta n’en a une que depuis environ deux ans et comme les données économiques accusent un retard d’environ deux ans, nous n’avons pas vraiment de données pour évaluer ce qui s’est passé dans cette province.

Dans le secteur de l’électricité, il semble que la politique albertaine ait fait passer du charbon au gaz, mais c’est tout ce que nous pouvons dire. Les statistiques sur l’électricité sont beaucoup plus fréquentes que les autres données économiques.

En Colombie-Britannique, il ressort de mon analyse et de plusieurs autres que la taxe sur le carbone a réduit les émissions de 5 à 15 p. 100. Ce n’est pas à la hauteur de l’objectif de la province.

La sénatrice Marshall : Ce n’était pas son objectif, n’est-ce pas? Il était plus ambitieux?

M. Rivers : Comme la Colombie-Britannique avait beaucoup de politiques en place pour essayer d’atteindre son objectif, c’est l’effet de la tarification du carbone, et non l’effet de ses politiques prises ensemble. À elle seule, la taxe sur le carbone n’aurait pas permis d’atteindre l’objectif, en effet.

La sénatrice Marshall : Cela ne nous permettra pas d’atteindre notre objectif. Dans quelle mesure en serons-nous proches ou loin?

M. Rivers : Je ne pense pas qu’il soit juste d’évaluer si cette politique permettra, à elle seule, d’atteindre notre objectif, parce que le gouvernement a mis en place une série de politiques pour essayer d’atteindre la cible. Toutefois, si vous voulez savoir à quel point l’objectif sera proche, les estimations les plus récentes de la politique de tarification du carbone indiquent qu’elle permettra de réduire les émissions de 50 à 60 millions de tonnes. L’écart que nous devons combler pour atteindre notre objectif de Paris d’ici 2030 est d’environ 230 millions de tonnes. Cela nous permettra donc d’atteindre environ le quart de notre objectif.

Encore une fois, le gouvernement a beaucoup de politiques conçues pour améliorer les résultats, mais l’analyse à ce jour laisse entendre que toutes ces politiques ne sont pas suffisantes pour atteindre notre objectif.

M. Beugin : Ces résultats ne reposent pas non plus sur des hypothèses quant à la façon dont la technologie évoluera au fil du temps en réponse à la tarification du carbone. La taxe sur le carbone a notamment pour effet d’encourager l’innovation et le développement de technologies et de processus nouveaux et novateurs qui réduisent davantage les émissions à un coût moindre. Il est tout à fait possible que la tarification réduite du carbone réduise davantage les émissions que les modèles ne le prévoient.

La sénatrice Marshall : Lorsque nous avons reçu nos témoins, hier, ils nous ont donné l’impression que c’était une bonne solution. Tout le monde paiera plus de taxes, le gouvernement en gardera un peu pour les frais d’administration et il distribuera le reste aux contribuables. Les choses n’évoluent jamais comme vous le pensez. Cela semble être une bonne solution. Je crois que ce ne sera pas aussi simple. Vous avez de l’expérience à cet égard. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner avec cette formule?

M. Rivers : Je dirais que les deux expériences que nous avons au Canada sont celles de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, et je pense qu’elles se sont déroulées comme prévu, du moins en ce qui concerne la mise en œuvre du programme.

Pour la mise en œuvre de ces taxes et prélèvements, nous avons une infrastructure fiscale qui perçoit déjà les taxes sur le carburant, et il s’agira donc d’un changement des taux de ces taxes.

Pour ce qui est du remboursement des recettes aux ménages, je ne sais pas trop comment fonctionne l’ARC ou quels sont les problèmes qu’elle a eus par le passé, mais elle pourrait remettre régulièrement des remboursements aux ménages.

La sénatrice Marshall : Je n’ai pas trop de soucis au sujet des remboursements ou de l’Agence du revenu du Canada. C’est un élément important, mais si le gouvernement présume qu’il va percevoir un certain montant d’argent, est-ce que cela va vraiment se concrétiser?

Lorsqu’il a fixé à 33 p. 100 le taux d’imposition des contribuables à revenu élevé, il n’a pas perçu, au départ, l’argent qu’il pensait obtenir. Je me dis qu’il ne va peut-être pas percevoir l’argent qu’il espère. Il s’est engagé à le dépenser, mais ce sera peut-être un fardeau pour le Trésor public. Est-ce une possibilité?

M. Rivers : Chaque fois que le gouvernement perçoit une taxe, il doit faire des prévisions quant aux recettes que cela générera. Dans ce cas-ci, l’évitement fiscal est souhaitable. Nous voulons que les gens réduisent leurs émissions pour éviter de payer la taxe. C’est le but de cette taxe, et ce n’est pas comme l’impôt sur le revenu, qui amène les gens à chercher des comptables à l’étranger et ce genre de choses.

La sénatrice Marshall : Je comprends ce que vous dites.

M. Rivers : Il y a de l’incertitude quant au montant des recettes qui seront recueillies. Je suppose que ce n’est pas si important. Nous avons une assez bonne idée de la façon dont les consommateurs réagissent à l’évolution des prix de l’énergie, parce que des chercheurs étudient la question depuis 40 ans.

La sénatrice Marshall : Mais ce sont seulement des estimations...

M. Rivers : Ce sont des estimations, absolument. Comme pour toute taxe, ce sont des estimations.

M. Beugin : Soyons clairs, cependant, les recettes ne sont pas fixées à l’avance. La taille de ces remboursements sera déterminée par le montant des recettes générées, et la taille de ces crédits d’impôt sera donc ajustée en conséquence.

La sénatrice Marshall : Au fil du temps.

M. Beugin : Selon le montant des revenus générés par la taxe.

La sénatrice Marshall : Au fil du temps.

[Français]

Le sénateur Forest : Une chose me préoccupe, et j’ai interpellé les gens du ministère sur ce sujet qui est fort pertinent : les allégements. On prévoit des allégements, entre autres pour des secteurs comme l’agriculture, mais on n’en prévoit pas pour les municipalités. J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

La grande majorité des revenus des municipalités proviennent de la taxe foncière. Les ménages doivent contribuer à même un revenu net. Les municipalités sont de grandes émettrices de GES, compte tenu de la nature même de leurs responsabilités, tels le nettoyage des rues, le ramassage des déchets, et ainsi de suite. Les municipalités vont donc voir leurs allocations de dépense augmenter sensiblement. Pour absorber cette augmentation des coûts, elles n’auront pas d’autres choix que de se tourner vers l’augmentation de l’impôt foncier. Les ménages vont payer encore davantage. Cette situation a-t-elle été comptabilisée dans le cadre du calcul?

À mon avis, les municipalités devraient être exemptées, car elles n’ont pas la possibilité de choisir de prendre les transports en commun pour nettoyer les rues; ce travail doit être fait avec un véhicule spécialisé. Elles n’ont pas beaucoup de choix en tant que gestionnaires municipales.

[Traduction]

M. Beugin : Un des critères d’une tarification du carbone rentable est une vaste couverture. Plus vous pouvez appliquer le même prix au plus grand nombre d’émissions possible, plus vous réduisez le coût de toute réduction des émissions. L’idée, c’est de s’assurer que tous les émetteurs, où qu’ils se trouvent, seront incités à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, d’exploiter toutes les possibilités de réduction à faible coût des émissions.

C’est la raison théorique pour laquelle vous voulez une vaste couverture, y compris les municipalités, les universités, les écoles et les hôpitaux, ce qu’on appelle le « secteur Mush ».

Cela dit, ce que vous dites n’est pas faux non plus. Il y a des circonstances particulières pour les émetteurs dans le secteur Mush. Il vaut mieux répondre à leurs préoccupations au moyen des recettes qu’en les exemptant. Encore une fois, vous pouvez adopter exactement la même approche que celle que nous appliquons aux ménages. Utiliser les recettes pour compenser leurs coûts tout en maintenant leur motivation à atténuer leurs émissions de gaz à effet de serre. C’est l’une des raisons pour lesquelles 90 p. 100 des revenus générés par la taxe sont retournés aux ménages, tandis que 10 p. 100 sont consacrés aux préoccupations d’autres groupes vulnérables, y compris le secteur Mush.

Je pense que c’est une façon raisonnable de s’attaquer à ce problème.

M. Rivers : Autrement dit, c’est quelque chose que le gouvernement fédéral a prévu et il a réservé une partie des recettes provenant de la taxe sur le carbone pour essayer de compenser l’augmentation des coûts des municipalités.

[Français]

Le sénateur Forest : Vous dites qu’une proportion de 10 p. 100 sera octroyée à la compensation de l’augmentation des coûts. Je croyais que ce pourcentage était attribué à l’administration du programme.

[Traduction]

M. Beugin : Les détails ne sont pas encore clairs; le gouvernement n’a pas précisé comment les 10 p. 100 seront utilisés. Cependant, l’idée n’est pas seulement de couvrir les frais administratifs, mais de financer le soutien au secteur Mush et aux petites et moyennes entreprises.

[Français]

Le sénateur Forest : Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, d’être ici. Deux types de taxe sur le carbone ont été proposés. L’Ontario avait un système de plafonnement et d’échange. À votre avis, le système de plafonnement et d’échange est-il préférable à la taxe sur le carbone que le gouvernement a choisie?

M. Beugin : Je pense que les deux systèmes sont plus semblables que différents au bout du compte. Les deux permettent de tarifer le carbone et de réduire les émissions de la façon qui convient. Les deux peuvent générer des revenus. Les deux peuvent fonctionner et ont fonctionné.

Il y a encore des compromis à faire pour la deuxième option. Les systèmes de plafonnement et d’échange peuvent être plus complexes à administrer et à exploiter, avec quelques complications supplémentaires. L’ancien système ontarien et le système québécois actuel avaient un avantage en ce sens qu’ils étaient liés aux marchés californiens. Ce vaste marché d’échange peut réduire encore davantage les coûts et réduire les émissions, ce qui offre un avantage en quelque sorte.

M. Rivers : J’abonde dans le même sens. La différence est principalement de nature sémantique; c’est une question d’appellation. Les deux systèmes peuvent être conçus pour être pratiquement identiques, et ils pourraient être conçus pour être différents. Cela dépend des détails, peu importe si vous appelez cela un système de plafonnement et d’échange ou une taxe sur le carbone.

Le sénateur Neufeld : Je crois que vous avez tous les deux parlé de la délocalisation des émissions de carbone. Je vous ai entendu dire que ce n’était pas vraiment grave; nous ne devrions pas nous en inquiéter.

Nous respirons tous la même atmosphère. Prenons l’exemple de l’Ontario. Le Sud de l’Ontario possède la plus importante industrie pétrochimique au Canada. Le gaz naturel qui l’alimente vient des États-Unis. L’Alberta, qui est le deuxième producteur en importance de ce genre de choses, fore pour obtenir du gaz en Alberta, ce qui lui cause un double préjudice.

Croyez-vous toujours qu’il n’y aura pas de délocalisation des émissions de carbone. N’y a-t-il pas là une délocalisation? Cela ne nous aidera pas du tout. Les États-Unis n’ont rien en place. Ils vont tout simplement laisser tomber. Nous pénalisons donc les gens de ce côté-ci de la frontière. Ils polluent de l’autre côté de la frontière et nous disons : « Nous sommes bons. Nous sommes les meilleurs. » Dites-moi ce que vous en pensez.

M. Rivers : C’est une préoccupation majeure, comme vous le soulignez.

Ce n’est pas tout à fait la politique dont nous parlons ce soir. Comme Dale l’a mentionné, il y a deux politiques. Il y a d’abord celle qui touche les ménages et les petites entreprises et dont, je crois, nous discutons ce soir. Il y a aussi celle visant les grands émetteurs industriels, comme les raffineries du Sud de l’Ontario dont vous parlez.

Cette dernière est complètement distincte et est désignée sous le nom de système de tarification fondé sur le rendement. Essentiellement, elle impose le même genre de taxe sur le carbone, et toutes les recettes provenant de cette taxe sont remises aux grandes industries. De quelle façon cela se fait-il? Il s’agit essentiellement d’une subvention à la production.

Donc, même si les prix demandés pour le gaz naturel sont plus élevés, la production des entreprises est également subventionnée, de sorte qu’elles peuvent soutenir la concurrence sur le marché international, leur coût de production étant plus bas grâce à la subvention versée.

Toute la conception de ce système de tarification fondé sur le rendement, qui vise uniquement le genre d’entreprises sensibles dont vous parlez — les grands émetteurs dont les échanges dépassent les frontières —, est destinée à essayer de compenser les préoccupations liées à la concurrence et aux fuites.

M. Beugin : Je vais me faire l’écho de Nick. Je ne voulais pas laisser entendre qu’il s’agissait d’une question sans importance ou d’une question dont nous ne devrions pas nous occuper. Absolument pas. Cela fait une différence du point de vue environnemental, en ce qui a trait à la réduction de l’efficacité au chapitre des émissions ici, si elles sont compensées ailleurs, et cela est important pour la compétitivité de nos entreprises.

Ce que je voulais dire, c’est qu’au moment de la conception des politiques, on a abordé ce problème de front. On a tenté le mieux possible d’anticiper ce problème précisément et de créer un système qui incite à réduire les émissions en améliorant le rendement, et non en réduisant la production et en la déplaçant ailleurs.

Le sénateur Neufeld : Vous avez parlé d’un chèque de dividendes comme s’il s’agissait d’une chose concrète. En fait, ce n’est pas ce que je comprends. Ce sera une déduction d’impôt, ce qui est tout à fait différent du versement d’un chèque de dividendes. Êtes-vous d’accord avec moi?

M. Beugin : Oui, je suis d’accord avec vous.

Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup. C’est toujours une question de terminologie, n’est-ce pas?

Selon vous, à combien devrait se chiffrer notre taxe sur le carbone pour atteindre notre objectif, ne serait-ce que dans le cadre de l’Accord de Paris? Nous savons que nous sommes très en retard. Le gouvernement l’admet; en fait, les documents produits le prouvent. Quel genre de tarification du carbone — et votre organisation m’avait déjà fait part d’un prix du carbone, monsieur Beugin, mais quel genre de tarification du carbone devrait-on imposer aujourd’hui, selon vous, pour atteindre cet objectif?

M. Beugin : J’ai vu diverses estimations. Souvent, ces estimations ne tiennent pas compte de la technologie, alors le chiffre est probablement surestimé.

Le sénateur Neufeld : Je suis au fait de la technologie.

M. Beugin : J’ai vu de bonnes analyses selon lesquelles une tarification du carbone à environ 150 $ la tonne d’ici 2030 constituerait un ordre de grandeur approprié.

Comme je l’ai dit plus tôt, toute autre approche stratégique comporterait des prix implicites au moins aussi élevés pour obtenir le même résultat. L’utilisation d’un autre outil stratégique ne permet pas d’éviter le problème, mais permet simplement de le dissimuler.

Le sénateur Neufeld : Il a beaucoup été question de l’essence à la pompe. Environ 50 p. 100 des ménages au Canada, de même que les petites entreprises, utilisent le gaz naturel pour se chauffer. Il ne s’agit pas seulement de l’essence achetée pour les voitures et de 10 ou 20 $ de plus, mais aussi du chauffage des maisons. Ce processus est difficile à changer.

Depuis des décennies, les gens se font dire à quel point le gaz naturel est propre — et c’est le cas. Maintenant, nous allons avoir une tarification du carbone qui fera en sorte qu’il sera difficile pour certaines personnes de payer, même si cela ne prend pas la forme d’un chèque, mais plutôt d’une déduction dans la déclaration de revenus.

Que répondez-vous à ces gens qui se chauffent au gaz naturel? Vous chauffez peut-être à l’électricité, je ne sais pas, mais des millions de Canadiens chauffent leur maison au gaz naturel. Passer à l’électricité serait la mesure la plus inefficace que l’on puisse imaginer. On utiliserait environ quatre fois plus de gigajoules pour chauffer la même maison à l’électricité qu’au gaz naturel.

M. Rivers : Je pense que cette analyse n’est pas tout à fait juste. L’électricité représente habituellement une utilisation finale plus efficace parce qu’il n’y a pas de pertes. Il n’y a pas de tuyau d’échappement ou de tuyau à l’extérieur de la maison avec l’électricité comme il y en a avec le gaz naturel.

Le sénateur Neufeld : Je suis au courant de ces chiffres, tout comme vous l’êtes de ceux que vous avancez.

M. Rivers : Je le répète, le but de ces crédits d’impôt remboursables est d’essayer de compenser l’effet de ces changements de prix sur les coûts. L’idée, c’est que le prix du gaz naturel augmentera en fonction de son contenu en émissions de carbone et que les ménages recevront un remboursement d’impôt pour essayer de compenser, pour alléger le coût de la vie. L’idée n’est pas de pénaliser les gens. Il s’agit de modifier les prix relatifs pour inciter les gens à conserver les émissions de carbone.

Je pense que vous avez tout à fait raison de dire que l’essence n’est pas le principal problème. Il y a d’autres sources d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre que l’essence. L’essence représente environ 7 p. 100 de nos émissions de gaz à effet de serre. Nous nous y attardons davantage parce que cela est très présent, mais de faire l’analogie avec l’essence pour toutes nos décisions concernant les émissions de gaz à effet de serre ne nous éclairera pas beaucoup sur ce qui se passe vraiment. Il y a de nombreuses sources d’émissions autres que l’essence.

Le sénateur Boehm : Merci de passer la soirée avec nous.

Je reviens essentiellement sur un point soulevé par la sénatrice Marshall en ce qui a trait à la comparaison des administrations et à la question de savoir si vous avez des données. J’aimerais aller plus loin. Avez-vous accès à des données internationales, y compris celles de certaines administrations nationales? Je pense à la Californie, par exemple, mais même aux États-Unis ou à l’Australie, deux pays où la situation a un peu changé, qui ont pris un certain virage dans leurs politiques sur les changements climatiques. Néanmoins, ils doivent relever les mêmes défis liés aux régions urbaines et aux régions rurales que nous avons dans notre pays.

Même si vous reconnaissez qu’il est trop tôt pour mesurer les données de l’Alberta — et compte tenu du taux de 5 à 15 p. 100 auquel vous êtes arrivé pour la Colombie-Britannique —, examinez-vous les modèles qui ont été utilisés dans d’autres pays? On peut même penser aux Européens dans ce contexte. Y a-t-il des mesures susceptibles de faire changer les comportements auxquelles le gouvernement d’ici n’a peut-être pas pensé, contrairement à d’autres pays ou administrations?

M. Beugin : Je pense qu’il y a beaucoup de preuves du succès de la tarification du carbone, tant pour ce qui est de réduire les émissions de GES que de ne pas nuire aux économies. La Suède en est un exemple en Europe. Le Royaume-Uni est un autre exemple intéressant. Ils ont récemment augmenté le prix du carbone au moyen d’une taxe, qui vient s’ajouter au système de plafonnement et d’échange du Système d’échange de quotas d’émission de l’UE. C’est en partie à la suite de ce changement que nous avons assisté au remplacement du charbon par d’autres approches, généralement l’électricité.

En ce qui concerne la Californie, il y a beaucoup d’éléments probants qui montrent que les émissions diminuent. Le plafond y est atteint. Il y a aussi beaucoup de politiques à l’œuvre. Ce n’est pas seulement le système de plafonnement et d’échange, mais aussi toute une gamme de règlements qui sont à l’origine de ces réductions d’émissions en parallèle.

Je n’ai pas les chiffres sous la main, bien qu’il existe certains rapports dans le site web de la Commission de l’écofiscalité du Canada qui portent précisément sur ces questions. En fin de compte, oui, la tarification du carbone réduit les émissions de gaz à effet de serre et non, elle ne semble pas nuire sérieusement à la croissance économique.

M. Rivers : Je vais vous faire part de certaines études de l’Union européenne sur le système d’échange de droits d’émission. Il y a une série d’études qui portent sur le système de plafonnement et d’échange en Europe. Je les mentionne parce qu’elles démontrent bien ce que fait ce système.

Elles sont convaincantes parce qu’il y a ce seuil pour la participation des entreprises au Système d’échange de quotas d’émission de l’UE. Celles qui se situent au-dessus d’une certaine taille, celles qui transforment plus qu’une certaine quantité d’acier par année, disons, sont assujetties au système de plafonnement et d’échange. Celles qui sont un peu en deçà de ce seuil ne le sont pas; elles ne font pas partie du système de plafonnement et d’échange.

Il s’agit d’une caractéristique absurde de la politique, mais du point de vue de la recherche, c’est formidable parce que nous avons maintenant la capacité de comparer une usine qui est trop petite pour être incluse dans le système de plafonnement et d’échange avec une usine qui est à peine assez grande. Pourtant, ce sont des usines presque identiques.

Cela peut se faire pour des dizaines de milliers d’installations de l’Union européenne et cela donne une bonne idée de ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé, d’après quatre ou cinq de ces études qui sont toutes bien faites, c’est que les émissions de carbone ont diminué de 10 à 20 p. 100. Cela ressort uniformément dans ces études comme un résultat des changements dans l’intensité des émissions, et non pas dans la production des usines. Autrement dit, les usines ne réduisent pas leur production d’acier, elles réduisent la quantité de carburant qu’elles utilisent pour produire l’acier.

Cela semble avoir une forte incidence sur les émissions, mais aucune sur la production économique, et c’est ce à quoi on devrait s’attendre de cette politique si elle est bien conçue.

Le sénateur Klyne : Merci, messieurs, d’être venus nous rencontrer ce soir.

Les remboursements dans le cadre des paiements de l’Incitatif à agir pour le climat sont facultatifs, ce qui signifie que les Canadiens devront les réclamer dans leurs déclarations de revenus.

En ce qui concerne la proposition d’une approche facultative, a-t-on tiré des leçons des tentatives précédentes? Je parle du crédit d’impôt pour le transport en commun qui a été supprimé dans le budget de 2017. Si cela n’a pas fonctionné à l’époque, pourquoi cela devrait-il fonctionner maintenant?

M. Rivers : En fait, je ne connais pas grand-chose à ce sujet. La différence entre ces deux crédits d’impôt, c’est que le crédit d’impôt pour le transport en commun était un crédit d’impôt non remboursable, alors que celui-ci est un crédit d’impôt remboursable.

Même si je n’ai pas d’impôt exigible, si je produis une déclaration de revenus — et je ne suis pas certain de la façon dont cela fonctionne —, je serai quand même admissible à ce crédit d’impôt comme un crédit de TPS. Dans le cas du crédit d’impôt pour le transport en commun, cependant, les personnes qui n’avaient pas d’impôt à payer, pas un revenu suffisant, ne profitaient pas de cette politique. C’était une structure complètement différente. Les ménages à faible revenu ne bénéficiaient pas du tout du crédit d’impôt pour le transport en commun, alors que ce n’est pas le cas dans ce système.

Je ne suis pas certain du nombre de personnes qui ne produisent pas de déclarations de revenus ou de l’ampleur du problème.

M. Beugin : Je ne sais pas non plus comment répondre à cette question. Cependant, je pense qu’elle est intéressante. Il y a probablement un certain nombre de Canadiens à faible revenu qui ne produisent pas de déclarations de revenus. En théorie, ce serait exactement le genre d’électeurs que l’on voudrait le plus voir profiter de ce crédit d’impôt.

Je pense qu’il s’agit d’une question intéressante et importante à poser. Cependant, comme Nick, je n’ai pas les chiffres concernant le nombre de personnes que cela touche.

Le sénateur Klyne : Il y a les personnes à faible revenu, mais aussi celles que cela ne concerne pas vraiment.

Je veux parler plus précisément des collectivités des Premières Nations et des collectivités autochtones, mais, de manière générale aussi, des émetteurs de carbone en milieu rural et éloigné, du véhicule familial, de la camionnette, que ce soit dans le Nord de la Saskatchewan ou dans les territoires — que l’on choisit de conduire. Je veux parler du taux de référence de 10 p. 100 et du calcul. Est-ce suffisant quand on pense aux régions rurales éloignées, où les options de transport en commun sont limitées, de même que les approches pour réduire leurs émissions? L’installation de bornes de recharge dans certaines de ces collectivités rurales et éloignées ne se fera pas de sitôt, et probablement pas dans la prochaine décennie pour bon nombre d’entre elles.

Pouvez-vous nous fournir des recherches qui ont démontré qu’une mesure facultative comme celle-ci — certaines personnes ne voulant probablement pas avoir affaire à l’ARC —, fonctionnera, quelle sera la différence, et s’il y aura suffisamment d’incitatifs pour les ménages ruraux et éloignés, avec le taux de référence de 10 p. 100, pour équilibrer les choses?

M. Rivers : Le taux de référence de 10 p. 100 dont vous parlez est...

Le sénateur Klyne : À l’extérieur des RMR. Plus la région est éloignée, plus la distance à parcourir pour se rendre dans un centre urbain est longue.

M. Rivers : Bien sûr. Je suis d’accord. C’est le taux de référence qui fait augmenter le remboursement, le crédit d’impôt remboursable aux ménages des régions rurales. Cela vise à régler le problème dont vous parlez. Je n’ai pas de réponse quant à l’ampleur du problème dans ce cas. J’ai examiné le cas de la Colombie-Britannique, qui prévoit également un remboursement supplémentaire pour les propriétaires des régions rurales et du Nord, afin de régler le problème dont vous avez parlé. Le remboursement est plus important pour ces groupes. D’après les calculs que j’ai faits il y a quelques années, le remboursement qui a été accordé, soit 200 $ de plus pour un ménage d’une région nordique et rurale, était plus que suffisant pour couvrir les coûts supplémentaires moyens.

Le sénateur Klyne : L’incitatif était là. En pourcentage, savez-vous ce que cela représente?

M. Rivers : Non.

M. Beugin : J’aimerais ajouter quelque chose brièvement. Nous avons appliqué le modèle BD/MSPS de Statistique Canada, qui est un modèle qui examine les répercussions pour les ménages au niveau microéconomique. Il peut faire la différence entre les régions rurales et urbaines. Nous avons constaté que les coûts associés à la tarification du carbone ne sont pas très différents selon que l’on se trouve en région rurale ou urbaine. Oui, il se peut que les personnes qui y vivent doivent parcourir de plus longues distances, mais elles ne sont peut-être pas autant coincées dans la circulation et elles passent peut-être moins de temps dans leur voiture, par exemple. Cela peut donc contrebalancer.

Je pense que ce que vous dites au sujet du fait que les ménages ruraux ont moins d’options est juste.

Le président : Merci. En terminant, la sénatrice Andreychuk avait une question complémentaire.

La sénatrice Andreychuk : J’aimerais avoir une précision. Selon ce que je lis dans les journaux et ce que j’entends des ministres, les gens dans l’Ouest devraient s’attendre à recevoir un chèque par la poste. Vous dites qu’ils vont obtenir un crédit d’impôt en commençant, mais qu’ils vont devoir produire une déclaration de revenus. Nous avons des statistiques sur le nombre important de gens qui ne produisent pas de déclarations de revenus. Nous avons entendu dire cet après-midi, et hier aussi je crois — je confonds les jours — que certaines personnes admissibles à d’autres crédits ne les reçoivent pas. Cela sera donc intégré par le gouvernement. On le fera pour elles.

Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Étant donné qu’il s’agit d’un crédit d’impôt, et que les gens qui en ont le plus besoin sont probablement ceux qui ne produisent pas de déclarations de revenus, qui n’ont pas les moyens de s’adresser à un fiscaliste, et qui vont passer à côté de cela.

Le président : Y a-t-il des commentaires à ce sujet?

La sénatrice Andreychuk : Et pour votre comparaison avec les Cheerios : je ne pense pas que je vais changer pour les Corn Flakes. Excusez-moi, je n’ai pas pu m’empêcher d’ajouter cela.

M. Beugin : Il s’agit d’une question légitime concernant la mise en œuvre administrative de ce choix de recyclage des revenus. Franchement, j’aurais préféré que cela se fasse par d’autres moyens, davantage comme un chèque par la poste, ou comme les chèques de remboursement de la TPS/TVH. D’après ce que je comprends, l’ARC a imposé des contraintes quant à la mise en œuvre de ces solutions de rechange, mais je pense qu’il y a des questions très justes à se poser à cet égard.

Le sénateur Neufeld : Juste une petite question. Je vis en Colombie-Britannique. Je faisais partie du gouvernement qui a instauré la taxe sur le carbone et les réductions d’émissions. La taxe sur le carbone est la même dans le Nord de la Colombie-Britannique qu’à Vancouver. Il n’y a pas de plus grande déduction pour une personne qui vit dans le Nord ou dans une région rurale de la Colombie-Britannique que pour une personne qui vit en ville. C’est la même chose partout.

M. Rivers : Vous avez raison à ce sujet. Par contre, il y a eu un programme de prestations pour les propriétaires de résidences dans le Nord et les régions rurales de la Colombie-Britannique, qui a été conçu pour répondre aux préoccupations des résidants de ces régions. Il ne s’agit donc pas de modifier le taux d’imposition; il s’agit de modifier les remboursements que reçoivent les propriétaires de maisons dans les régions rurales et du Nord.

Le sénateur Neufeld : Cela a été adopté lorsque Frank Overley était au pouvoir sous Mulroney. Et cela vaut pour l’ensemble du pays. Vous obtenez une réduction d’impôt.

M. Rivers : C’est exact. Il s’agit d’un crédit distinct qui a été instauré en Colombie-Britannique en 2011.

Le sénateur Neufeld : Il n’y a rien de la part de la province qui fait cela; je suis désolé, rien.

Le président : Je remercie les témoins de nous avoir fait part de leur opinion et de leurs commentaires.

Pour la deuxième partie de notre réunion de ce soir, nous accueillons des témoins qui ont été invités à commenter la mesure concernant les activités politiques non partisanes des organismes de bienfaisance, qui est comprise dans la partie 1 du projet de loi C-86.

Nous accueillons M. Bruce MacDonald, président et directeur général d’Imagine Canada.

[Français]

Nous accueillons également deux avocats qui s’intéressent à la question : Me Susan Manwaring, associée et chef, Groupe Impact social, Miller Thomson LLP, et Me Mark Blumberg, associé, Blumberg Segal LLP.

[Traduction]

Cela dit, on m’informe que nous aurons des commentaires des trois témoins. Nous commencerons par M. MacDonald, qui sera suivi de Susan et de Mark.

Monsieur MacDonald, vous avez la parole.

Bruce MacDonald, président et directeur général, Imagine Canada : Je vous remercie de me donner l’occasion d’être ici. Nous nous réjouissons que vous soyez saisis de cet important projet de loi et nous espérons que la réunion de ce soir permette d’étudier à fond le sujet.

Mes commentaires se limiteront aux articles du projet de loi qui précisent les règles concernant la participation des organismes de bienfaisance enregistrés à des activités relatives aux politiques publiques.

Il est important que les choses soient claires. La participation des organismes de bienfaisance à des activités relatives aux politiques publiques n’est pas un phénomène nouveau. Il y a de nombreux exemples de choses que nous tenons pour acquises aujourd’hui qui découlent de la recherche, des activités relatives aux politiques publiques et de la défense des droits émanant d’organismes de bienfaisance. Parmi elles, figurent le traité sur les pluies acides conclu avec les États-Unis, qui a contribué à nettoyer nos lacs, la création de lieux de travail sans fumée dans les espaces publics, la sensibilisation du public et le renforcement des lois sur la conduite avec facultés affaiblies, l’élimination des toxines des biberons et, plus récemment, la création des régimes enregistrés d’épargne-invalidité.

Je pense que la plupart d’entre nous conviendront que nos collectivités et notre pays s’en tirent mieux parce que les organismes de bienfaisance enregistrés ont joué un rôle important en mettant leur expertise au service de l’élaboration de bonnes politiques publiques.

Les organismes de bienfaisance se trouvent dans une position unique, du fait qu’ils réunissent des personnes ayant des antécédents et des expériences variés en tant que bénévoles et membres de conseils d’administration et qu’ils perçoivent souvent l’impact des politiques gouvernementales, ou de leur absence, avant que le public en prenne conscience. Étant donné que les organismes de bienfaisance sont tenus par la loi d’agir dans l’intérêt public et d’être honnêtes dans leurs communications, les solutions qu’ils trouvent sont fondées sur la meilleure information et les meilleures recherches possible. Nous ne faisons peut-être pas toujours bien les choses, mais nous les faisons sans motifs cachés.

Le président : Monsieur MacDonald, puis-je vous interrompre? Pourriez-vous ralentir un peu pour les interprètes?

M. MacDonald : Puis-je avoir 5 minutes et 20 secondes? Oui, bien sûr.

Les propositions contenues dans le projet de loi C-86 sont conformes aux recommandations formulées par le secteur depuis de nombreuses années et par le groupe de consultation qui a fait rapport à la ministre du Revenu national l’an dernier. Elles correspondent également aux engagements pris par le gouvernement fédéral pendant la campagne électorale de 2015 et aux lettres de mandat du premier ministre aux ministres du Revenu national, des Finances et de la Justice.

Ces mesures auraient aussi pour effet de réduire les incohérences entre la Loi de l’impôt sur le revenu et la common law qui régit les organismes de bienfaisance, ainsi qu’entre la Loi de l’impôt sur le revenu et la Charte, conformément à la décision du juge Morgan dans l’affaire Canada sans pauvreté.

Essentiellement, le projet de loi C-86 supprimerait la distinction artificielle entre ce que l’on appelle activité politique et les autres activités relatives aux politiques publiques menées par les organismes de bienfaisance, ainsi que la limite annuelle arbitraire concernant l’étendue de ces dernières.

Le projet de loi C-86 maintient également l’interdiction stricte pour les organismes de bienfaisance de se livrer à des activités partisanes, c’est-à-dire appuyer un parti politique ou un candidat à une charge ou s’y opposer. Les organismes de bienfaisance eux-mêmes ont dit clairement que la confiance du public dont ils jouissent est en partie attribuable à leur position non partisane sur les enjeux.

Nous croyons que la conversation de ce soir devrait porter sur les avantages de la participation des organismes de bienfaisance au processus d’élaboration des politiques publiques pour le mieux-être des collectivités canadiennes. C’est ce que vise le projet de loi C-86.

Cela dit, certaines préoccupations ont été exprimées au sujet des résultats possibles du projet de loi C-86. Nous aimerions préciser certaines choses qui ne sont pas prévues dans le projet de loi.

Il n’est pas prévu de permettre aux groupes de pression qui défendent une cause unique d’obtenir le statut d’organisme de bienfaisance enregistré ni non plus aux organismes de bienfaisance existants de se transformer en de tels groupes. C’est un point essentiel. Le projet de loi porte sur le genre d’activités des organismes de bienfaisance, et non pas sur les critères permettant de devenir un organisme de bienfaisance. La définition d’organisme de bienfaisance ne change pas, et les organismes créés à des fins purement politiques n’ont jamais été admissibles et ne le seront pas à l’avenir.

Depuis des années, l’ARC fait un travail efficace pour s’assurer que ces organismes ne reçoivent pas le statut d’organisme de bienfaisance enregistré, et nous sommes persuadés qu’elle pourra continuer de le faire.

On ne permettra pas aux personnes fortunées d’influencer indirectement les campagnes électorales en finançant des organismes de bienfaisance. Tout d’abord, les organismes de bienfaisance sont assujettis aux mêmes règles sur les tiers que d’autres organismes, règles qui sont rigoureusement appliquées par Élections Canada. Deuxièmement, les organismes de bienfaisance sont régis par des bénévoles provenant de la collectivité, ce qui limite considérablement la capacité de tout donateur ou groupe de donateurs d’influencer la façon dont l’organisme de bienfaisance fait son travail. Troisièmement, la restriction concernant les activités partisanes fait en sorte que l’impossibilité d’appuyer un candidat, un parti ou même un poste est extrêmement efficace pour empêcher d’influencer une élection.

On ne privilégie pas plus les organismes de bienfaisance dont le discours reçoit un appui public que tout autre type d’organisme. Les entités du secteur privé profitent d’avantages fiscaux lorsqu’elles amortissent des dépenses de représentation et de lobbying, et nous sommes tous au courant des généreux crédits d’impôt accordés sur les dons aux partis politiques.

Les organismes de bienfaisance seront encore plus réglementés que l’un ou l’autre de ces organismes pour ce qui est des activités qu’ils mènent et de la façon dont ils le font.

Les changements proposés n’empêcheront pas les organismes de bienfaisance de faire leur travail dans les collectivités. En Australie et en Nouvelle-Zélande, deux pays qui ont des histoires et des régimes de réglementation semblables aux nôtres, l’élimination des limites imposées aux activités relatives aux politiques publiques s’est en fait accompagnée d’une diminution du nombre d’organisations qui déclarent ce genre d’activités et des ressources qui y sont affectées.

La question dont vous êtes saisis ce soir porte sur le genre de travail que font les organismes de bienfaisance, et non sur les critères permettant de devenir un organisme de bienfaisance. Il s’agit de veiller à ce que les bénévoles et le personnel des organismes de toutes les collectivités du pays aient la possibilité de s’exprimer de façon plus ouverte et de contribuer à l’élaboration de bonnes politiques publiques au pays.

Nous exhortons les sénateurs à appuyer les modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu proposées dans le projet de loi C-86, afin que les organismes de bienfaisance puissent mieux comprendre leur rôle à l’égard des politiques publiques et poursuivre leurs missions de la façon qu’eux-mêmes, ainsi que leur personnel et leur conseil d’administration, jugent la plus efficace.

Merci.

Susan Manwaring, associée et chef, Groupe Impact social, Miller Thomson LLP : Honorables sénateurs, bonsoir, et merci de m’avoir invitée. J’ai été présentée plus tôt. Je travaille à temps plein dans le domaine des organismes de bienfaisance et sans but lucratif, mais vous trouverez peut-être amusant d’apprendre que j’ai déjà été avocate fiscaliste. J’ai l’impression d’avoir vu un jour la lumière qui m’a guidée vers ce secteur.

Je suis également l’une des cinq personnes nommées par la ministre du Revenu national pour faire partie du groupe de consultation sur les activités politiques des organismes de bienfaisance en septembre 2016.

Je comparais devant vous ce soir à titre personnel, et non à titre spécial ou comme représentante officielle de ce groupe. Étant donné que nous parlons des amendements contenus dans le projet de loi C-86, les travaux à ce sujet compris dans le rapport éclaireront mes commentaires.

Le groupe était composé de cadres supérieurs du secteur. Kevin McCort, de la Vancouver Foundation; Marlene Deboisbriand, présidente du groupe et représentante des Repaires jeunesse du Canada; Peter Robinson, qui est l’ancien chef de la direction de la Fondation David Suzuki; et, enfin, Shari Austin, anciennement de la Fondation RBC. Nous avons tous apporté une perspective différente à l’examen et aux recommandations, et nous étions tous d’accord avec le rapport qui a été remis à la ministre en mars 2017.

À titre d’information et de rappel, le rapport a été produit à la suite d’une consultation pancanadienne, en personne et en ligne, qui a été suivie d’une collaboration avec le ministère des Finances et l’ARC pour la préparation du rapport sur une période de quatre mois. Le rapport résume les quatre recommandations que nous avons faites à la ministre.

Je suis heureuse de constater que le projet de loi C-86 tient compte de la recommandation no 3 du groupe d’experts.

Les recommandations comprenaient d’ailleurs les principes clés suivants :

Les organismes de bienfaisance apportent une contribution importante et positive à l’élaboration des politiques publiques au pays, et ils devraient pouvoir continuer de le faire.

Il fallait que le terme « activités politiques » disparaisse. Il était très mal compris et, à mon avis, cela a créé beaucoup de confusion, tant au sein des instances chargées de la réglementation que dans le secteur. Je pense que ce qu’une personne considère comme politique peut être considéré comme un simple argumentaire par une autre, et que d’autres encore peuvent penser que pour que ce soit politique, il faut que ce soit partisan. Il n’y avait pas de définition commune.

Le troisième concept qui a été pris en compte et qui est ressorti clairement de toutes les consultations, c’est qu’il faut continuer d’interdire la politique partisane. Personne n’a demandé que cela change. Le message était le même parmi les organismes de bienfaisance et les personnes qui ont témoigné.

Le quatrième principe était que la limite quantitative devrait disparaître. Le fait que l’ARC n’ait jamais été en mesure de fournir aux organismes de bienfaisance des directives ou une définition appropriées quant à la façon de déterminer s’ils se situaient en dessous de 10 p. 100 ou au-dessus de 10 p. 100 est la preuve que la loi ne fonctionnait pas. On voulait que cela serve d’assurance, mais cela s’est plutôt transformé en une interdiction pour les organismes de bienfaisance et n’a jamais vraiment fonctionné.

Enfin, la common law régissant les organismes de bienfaisance comporte déjà des outils pour se protéger contre toute inquiétude qui pourrait être soulevée. Si l’on ajoute le fait qu’un organisme de bienfaisance ne peut pas avoir de but politique et doit toujours avoir un intérêt public, cela signifie que les instances chargées de la réglementation pourraient continuer de protéger l’intégrité du secteur sans ces limites ou sans que le terme « activités politiques » soit utilisé.

Dans ses recommandations, le groupe a proposé des changements administratifs et législatifs, à l’invitation de la ministre du Revenu national, même si c’est le ministre des Finances qui devait les mettre en œuvre.

Passons à la situation qui prévaut aujourd’hui. On a beaucoup discuté de ces règles au cours des 18 derniers mois. Le gouvernement s’est engagé, comme M. MacDonald l’a dit, à fournir de l’aide à cet égard et à faire en sorte que les organismes de bienfaisance sachent qu’ils peuvent intervenir dans le secteur des politiques publiques. Des engagements ont été pris à l’égard des changements législatifs en août, puis une ébauche de proposition a été publiée en septembre.

Cette ébauche de proposition n’a pas tenu compte de la recommandation no 3 du rapport du groupe. Elle comportait encore un léger aspect quantitatif, de même que des termes ambigus et incertains, et le gouvernement a reçu des commentaires à ce sujet, notamment concernant la crainte que l’objectif qu’il s’était fixé ne soit pas atteint, tout comme celui compris dans le rapport du groupe de consultation. En fait, l’ARC a produit des lignes directrices qui ont démontré qu’elle allait interpréter ces changements subtils de façon un peu plus prudente que nous ne l’avions prévu.

Heureusement, après certaines représentations, le ministère des Finances est revenu avec le projet de loi C-86 en disant que les dispositions seraient adoptées telles quelles, ce qui équivaut dans les faits aux changements législatifs dont une grande partie se trouve dans la recommandation no 3 du rapport.

Évidemment, en tant que membre du groupe, j’ai été heureuse de voir cela, et je pense que ces changements peuvent être appuyés. Le groupe a passé beaucoup de temps à réfléchir à cette question. Nous avons examiné les risques. Nous avons examiné les avantages. Nous étions d’avis que les outils dont disposent les instances chargées de la réglementation, et nous faisons confiance à l’ARC, permettraient d’apporter ces changements et de donner aux organismes de bienfaisance la certitude dont ils ont besoin. Cela fournit également au pays la protection nécessaire contre des organisations qui peuvent être partisanes ou qui défendent une cause unique et qui pourraient aller au-delà de la portée prévue.

Je sais que le changement est toujours difficile et qu’il inquiète certaines personnes, mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas aller de l’avant. Le système que nous avions n’était pas adéquat, de l’avis du groupe. Le projet de loi C-86 prévoit l’interdiction de la partisannerie, et je pense que cela est extrêmement important.

J’ai écouté les commentaires de certaines personnes concernant des préoccupations au sujet d’un système à l’américaine. Notre régime fiscal n’est pas le même que celui des Américains. Il a été question d’une affaire aux États-Unis appelée Citizens United, qui relevait de la loi électorale, et non pas du domaine des organismes de bienfaisance, et qui concernait un organisme sans but lucratif qui n’était pas visé par l’alinéa 501c)(3), ce qui équivaut à un organisme de bienfaisance enregistré au Canada. C’était en fait un organisme sans but lucratif. Je suis une Canadienne à tous crins. Je ne veux pas de ce système, mais je suis aussi tout à fait persuadée que nous n’arriverons jamais là.

Je vois que mon temps de parole tire à sa fin. Je tiens à souligner que les lois électorales et les tribunaux, de concert avec les instances de réglementation au Canada, sont suffisants pour permettre aux organismes de bienfaisance de continuer à participer au dialogue sur les politiques publiques, d’aller de l’avant et d’apporter la même contribution que tous nos organismes de bienfaisance, comme les Mères contre l’alcool au volant et d’autres l’ont fait jusqu’à maintenant, ainsi que de veiller à assurer la réussite future de nos collectivités. Merci. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Mark Blumberg, associé, Blumberg Segal LLP, à titre personnel : J’espère vraiment que ces gens ont raison, mais je suis l’un de ceux qui sont très sceptiques en ce moment. Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. On m’a demandé de me concentrer sur la question des activités politiques non partisanes et sur ce nouveau concept d’activités relatives au dialogue sur les politiques publiques ou à leur élaboration pour les organismes de bienfaisance, un bien grand titre.

Essentiellement, le changement permettra aux organismes de bienfaisance enregistrés au Canada de mener des activités politiques non partisanes illimitées, pourvu qu’elles soient liées à leurs objectifs.

Si vous avez prêté attention à ce qui s’est passé au cours des deux derniers mois concernant les organismes de bienfaisance et les activités politiques, il se peut que vous ayez été surpris parce que pendant 30 ans, nous avions des règles qui permettaient essentiellement aux organismes de bienfaisance de consacrer jusqu’à 10 p. 100 de leurs ressources à ce genre d’activités. Il s’agissait en fait de 20 p. 100 pour les petits organismes de bienfaisance, et on peut faire la moyenne sur trois ans, alors c’était encore plus, mais nous appelons cela la règle des 10 p. 100. Elle s’est appliquée pendant 30 ans.

Le 14 septembre, le ministère des Finances a annoncé un retour à la common law, permettant aux organismes de bienfaisance de mener des activités politiques accessoires. Cela aurait probablement réduit la portée des activités politiques pour la faire passer des 10 p. 100 précédents à peut-être 1 p. 100.

Puis, le 25 octobre 2018, le ministère des Finances a présenté le projet de loi dont vous êtes saisis et qui permettrait aux organismes de bienfaisance canadiens de mener des activités politiques non partisanes illimitées liées à leurs objectifs.

Le ministre des Finances est donc passé de 10 p. 100 à, disons, 1 p. 100 puis à 100 p. 100 en l’espace de deux mois. Des changements aussi radicaux sont déconcertants.

Le débat sur les organismes de bienfaisance et les activités politiques a pris beaucoup de place depuis 2011, après les vérifications entreprises par Stephen Harper en 2012. Le gouvernement libéral a présenté un projet de loi qui, à mon avis, est très dangereux, essentiellement parce qu’il permettra aux organismes de bienfaisance canadiens de mener des activités politiques illimitées, dans la mesure où elles sont non partisanes et liées à leurs objectifs.

Contrairement aux dons aux candidats, qui sont plafonnés à de très faibles montants d’argent, il n’y a pas de maximum dans ce cas. Il y a des Canadiens qui donnent des centaines de millions et des milliards de dollars à des organismes de bienfaisance et il n’y a pas de plafond.

Je suis sûr que vous avez examiné la situation politique aux États-Unis et que certains d’entre vous ont probablement des préoccupations à ce sujet. Je crains que le fait d’autoriser les organismes de bienfaisance à consacrer 100 p. 100 de leurs ressources à des activités politiques ne permette pas vraiment aux organismes de bienfaisance canadiens moyens de participer davantage à des activités politiques, parce que nous avons vu depuis 30 ans qu’ils avaient le droit d’y consacrer 10 p. 100 de leurs ressources, et que moins de 1 p. 100 d’entre eux l’ont fait; et parmi ceux qui se sont prévalus de cette mesure, très peu ont consacré plus de 1 p. 100 de leurs ressources. Je pense que Rutner encourageait les gens à dépenser leurs 10 p. 100. Ce qui m’inquiète, c’est que pour environ 50, 100 ou peut-être 200 organismes de bienfaisance, c’était un problème. Il s’agit d’un très petit nombre d’organismes de bienfaisance, mais pas d’organismes de bienfaisance moyens.

Ce qui m’inquiète, c’est que ce changement aidera un très petit nombre de personnes fortunées, qui ont des points de vue très particuliers dans certains cas, à dominer le discours politique dans notre pays, comme cela s’est produit aux États-Unis.

Nous savons que les organismes de bienfaisance canadiens utilisant le formulaire T3010 ont dit dépenser 25 millions de dollars par année pour des activités politiques. Le secteur représente environ 250 milliards de dollars, de sorte que sous l’ancienne règle, celle des 10 p. 100, les organismes de bienfaisance pouvaient dépenser mille fois plus qu’ils ne le faisaient, mille fois plus que ce qu’ils disaient dépenser.

Cela n’est pas vraiment susceptible de se produire, mais ce que je veux dire, c’est que 99 p. 100 des organismes de bienfaisance, et probablement 99,9 p. 100, étaient très loin des 10 p. 100.

Certains parlent de la liberté d’expression des organismes de bienfaisance, mais ce n’est pas vraiment de cela qu’il s’agit. Je pense que c’est davantage une question d’argent que de liberté d’expression. Les gens qui travaillent ou qui font du bénévolat pour des organismes de bienfaisance sont libres d’exprimer leurs opinions personnelles pendant leur temps libre, et ils peuvent aussi participer à des activités partisanes, et je suis sûr que beaucoup des bénévoles participent à des campagnes électorales et à des choses de ce genre.

Cependant, certaines personnes veulent plus que les 10 p. 100. Elles veulent pouvoir être payées à même les ressources des organismes de bienfaisance, qui sont subventionnés par les contribuables, pour exprimer leurs opinions politiques, sans avoir à se livrer à des activités de bienfaisance. C’est de cela qu’il s’agit. Lorsque nous disons que 100 p. 100 des ressources peuvent être consacrées à des activités politiques, cela signifie qu’il est possible que 0 p. 100 des ressources soient consacrées à des activités de bienfaisance, et ce n’est pas ce que la plupart des gens attendent d’un organisme de bienfaisance.

Il y a donc une différence entre la libre expression et le discours fortement subventionné. Il n’y a rien de libre dans ce discours. Les incitatifs fiscaux sont très généreux et profiteront de manière disproportionnée à un très petit nombre de personnes. En plus des coûts engagés pour gagner la confiance du public dans le secteur, si cela donne le même résultat qu’aux États-Unis, la réputation du secteur sera mise à mal.

Selon les estimations du ministère des Finances, le coût de ce changement mineur représente 90 millions de dollars en revenus perdus. Ce que cela veut vraiment dire, c’est que le ministère prévoit que 300 millions de dollars de plus seront consacrés à des activités politiques. Ce chiffre ne tient pas compte de l’impact sur les gouvernements provinciaux. Nous parlons uniquement de fonds fédéraux. Selon un calcul rapide, cela signifie que le ministère prévoit que les organismes de bienfaisance dépenseront 12 fois plus d’argent pour des activités politiques comparativement aux quelque 25 millions de dollars qu’ils dépensent actuellement chaque année.

Je ne sais pas comment le ministère des Finances va mesurer cela, parce qu’il ne s’agit plus d’activités politiques. Ces activités sont maintenant considérées comme des activités de bienfaisance. Un don de 100 millions de dollars versé à un groupe pour faire ce genre de travail ne sera pas considéré comme un don pour activités politiques, mais pour activités de bienfaisance. Je ne sais pas comment les fonctionnaires feront leurs calculs. Je crois surtout que ces chiffres sont très conservateurs.

Si vous regardez l’expérience américaine, et Susan a justement mentionné l’affaire Citizens United, qui portait sur la loi électorale, cette affaire n’a pas été le seul problème aux États-Unis. C’est à l’origine d’une partie des problèmes là-bas, mais il s’agissait de grosses sommes d’argent versées par de richissimes familles à des organismes de bienfaisance et utilisées à des fins politiques — pas à des fins politiques partisanes —, mais à de nombreuses fins politiques controversées. Parmi ces gens, certains sont très influents.

Je pense que cette mesure va finir par créer une grande confusion, sans toutefois avoir un impact sur bon nombre d’organismes caritatifs. Est-ce que beaucoup d’hôpitaux vont dépenser la totalité de leur argent sur des activités politiques? C’est fort peu probable.

En revanche, cela va faire très mal au secteur. De plus, je ne crois pas que cela mettra fin au débat sur le rôle des organismes de bienveillance et les activités politiques qui fait malheureusement rage depuis l’ajout, en 2011, d’une cinquantaine de mots à la Loi de l’impôt sur le revenu. Un autre parti politique pourra décider de modifier la loi, s’il le souhaite. Ce ne sera pas nécessairement une bonne chose.

Il est important que les organismes de bienfaisance canadiens participent à des activités politiques, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée qu’ils consacrent la totalité de leurs ressources à des activités politiques.

La sénatrice Marshall : Hier, des témoins nous ont dit que l’Agence du revenu du Canada devra maintenant établir des lignes directrices. Le libellé du projet de loi est de nature assez générale. À mon avis, il aurait dû être plus normatif. Dorénavant, nous allons devoir nous appuyer sur les lignes directrices de l’Agence du revenu du Canada qui, je l’espère, seront claires et normatives. Par ailleurs, ces dernières années, le vérificateur général a publié deux rapports de vérification pas très élogieux. Ces rapports indiquent que, même lorsqu’elle rédige ses propres règles, l’Agence du revenu du Canada ne les applique pas de manière uniforme.

J’aimerais connaître l’opinion de chacun des témoins sur le rôle de l’Agence du revenu du Canada et sur la façon dont elle s’acquittera du rôle qui lui sera confié, sachant que vous n’êtes pas tous favorables à ce projet de loi qui sera fort probablement adopté.

S’il est adopté, quelles sont vos préoccupations concernant l’Agence du revenu du Canada?

Mme Manwaring : Je vais répondre en premier. Dans le milieu des organismes de bienfaisance, c’est un peu inhabituel parce que nous nous appuyons sur la common law, en plus de la Loi de l’impôt sur le revenu, pour réglementer les activités. En fait, ce n’est pas parce que vous menez des activités de bienfaisance que vous devenez un organisme de bienfaisance. Ce doit être une fin en soi. Les fins de bienfaisance ne sont pas mentionnées dans la Loi de l’impôt sur le revenu.

Il n’est pas inhabituel que la Direction des organismes de bienfaisance publie des directives pour aider les organismes à se conformer aux règles. Je pense que ces directives s’inscrivent dans le prolongement de la norme déjà appliquée dans le milieu des organismes de bienfaisance.

C’est une sorte de codification de règles très normatives indiquant clairement ce qui est inclus ou non. Cela peut fonctionner d’un point de vue légal, mais cela veut aussi dire que vous devez sans cesse anticiper ce arrivera dans le futur, ce qui n’est pas toujours possible. Cependant, si vous appliquez une règle qui est confirmée par un bulletin d’interprétation ou par une directive de la Direction des organismes de bienfaisance expliquant quelles sont les attentes et les règles, c’est ce que font les organismes caritatifs dans tous les domaines. Il existe des directives détaillées sur la façon dont ils doivent exercer leurs activités en vue de la réalisation de leurs fins de bienfaisance.

Il ne s’agit pas d’activités purement politiques. En fait, les mots « activités politiques » ont disparu. On parle maintenant de « réalisation des fins ». Je fais confiance à la Direction des organismes de bienfaisance. Elle le fait pour le travail à l’étranger. Elle le fait pour des activités connexes ou certaines activités générant des recettes, et elle a obtenu de bons résultats. J’ai confiance qu’elle émettra des directives relatives au dialogue sur les politiques publiques et leur élaboration, tout en indiquant comment ce dialogue doit favoriser la réalisation des fins de bienfaisance et quelles activités sont considérées comme partisanes. J’ai l’impression que le secteur sera capable de composer avec ça, parce que c’est la norme qu’ils appliquent.

La sénatrice Marshall : Puis-je poser une question avant que nous entendions les commentaires des autres témoins? Je m’attendrais à ce que l’Agence du revenu du Canada élabore désormais des lignes directrices et effectue des vérifications auprès des organismes de bienfaisance. Le vérificateur général a constaté que les vérifications n’étaient pas uniformes d’une personne ou d’une organisation à l’autre, de telle sorte qu’elles avantageaient parfois une entité, mais pas une autre.

Mme Manwaring : Je pense que cela est attribuable à la nature humaine et à la superficie du pays, mais c’est quelque chose que tous les organismes de réglementation doivent chercher à éviter.

M. MacDonald : Je ne suis pas avocat, mais j’ai passé la majeure partie de ma carrière à gérer des organismes de bienfaisance. Il est important, à mon avis, que le secteur collabore avec l’ARC dans l’élaboration des lignes directrices. Quand nous y réfléchissons bien, les utilisateurs finaux de ces directives sont les membres bénévoles des conseils d’administration dans des collectivités comme Antigonish, Kamloops et North Bay, qui font ce travail durant leur temps libre, ainsi que les employés qui servent les clients qui s’adressent à leurs organisations. Ces personnes ne sont pas des avocats. Elles ont donc besoin de directives claires.

Nous avons l’occasion de clarifier les choses.

Deuxièmement, j’aimerais préciser pourquoi nous avons besoin de directives claires. En 2016, Imagine Canada a mené un sondage auprès des organismes de bienfaisance au sujet des activités politiques en général, parce que nous savions que les règles étaient floues et imprécises. L’exercice s’est révélé intéressant. Nous avons obtenu plus de 2 000 réponses de la part de chefs de file du milieu. Lorsque nous leur avons demandé s’ils s’adonnaient à des activités politiques, 3 p. 100 seulement ont répondu par l’affirmative. Cependant, quand nous leur avons posé une série de questions qui les amenaient à préciser de quelles activités politiques il s’agissait, nous n’avons obtenu aucune réponse, parce que personne ne comprenait vraiment ce que ça voulait dire.

Trente-deux pour cent des organisations du pays participaient en fait au dialogue sur les politiques publiques dans le cadre de leurs activités, mais comme la définition était si floue, ils ne la comprenaient pas. À cause de cela, les conseils d’administration ne pouvaient pas nous dire qu’ils feraient ceci ou cela, parce qu’ils ne comprenaient pas bien.

C’est l’occasion de préciser les règles.

M. Blumberg : Je dirais que moi aussi je fais confiance à l’ARC à cet égard. Ce ne sera pas une tâche facile, malheureusement. Il pourrait y avoir, par exemple, un groupe qui concentre ses efforts sur la question de l’avortement, un groupe religieux, et qui dépensera la totalité de son argent pour des activités anti-avortement ou pro-choix, selon le cas. L’ARC ne peut rien faire à cet égard et c’est ce qui posera problème.

Malheureusement, je pense que l’ARC émettra ses directives après l’adoption du projet de loi, si jamais il est adopté. Nous ne connaissons donc pas ces directives. L’idéal aurait été que le ministère des Finances annonce ses intentions en septembre, et non le 25 octobre, et qu’il ne revienne pas sur sa décision.

Le problème, c’est que ces directives seront très minces. Elles ne diront pas grand-chose parce qu’au fond, le ministère des Finances a autorisé les organismes de bienfaisance à dépenser la totalité de leurs fonds pour des activités partisanes non politiques. L’ARC devra alors déterminer, par exemple, si les activités sont menées contre une politique publique ou une autre mesure. Ces activités sont plus complexes à définir que les activités politiques. C’est ce que je déplore.

J’ajouterais une chose : il y a un manque de transparence sur tout ce qui touche les organisations à but non lucratif, mais aussi les organismes de bienfaisance. Par exemple, 52 organismes de bienfaisance ont fait l’objet d’une vérification dans le cadre du programme de vérification des activités politiques. À l’exception de quelques-uns qui se sont auto-identifiés, nous n’avons aucun indice des résultats et vous n’en avez pas non plus. Personne ne peut savoir ce qui en est ressorti. Je n’ai peut-être pas raison de me méfier parce que les vérifications ne visaient peut-être que des groupes de gauche, mais nous ne le savons pas. En fait, rien n’indique qu’il y a quelque chose de louche. Il est aussi probable que les groupes visés représentent toute la gamme des organismes. Seuls quelques groupes progressifs sont venus nous dire comment s’était passée la vérification.

Je m’inquiète des règles sévères de confidentialité qui s’appliquent aux organismes de bienfaisance en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Par exemple, supposons que l’ARC relève un problème au sujet d’un organisme de bienfaisance qui s’adonnait à des activités inappropriées. Le ministère n’est pas autorisé à en parler à quiconque avant la révocation de l’organisme, qui peut avoir lieu 10 à 15 ans après la découverte du problème.

Voilà ce qui me préoccupe. Actuellement, le secteur caritatif jouit d’un taux d’appui de 77 p. 100 au sein de la population. La confiance du public est très élevée à l’endroit des organismes de bienfaisance. Par contre, si un organisme caritatif souhaite promouvoir une politique économique en consacrant la totalité de son temps et de son énergie à soutenir que nous devons avoir un taux d’imposition uniforme de 5 p. 100, je ne sais si, dans 10 ans, le taux de confiance du public sera le même qu’aujourd’hui.

La sénatrice Marshall : C’est intéressant. Je vous remercie.

Le président : Je vous demanderais d’être concis dans vos questions et vos réponses, afin que tous les sénateurs aient la chance de participer.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie de m’avoir accueillie au sein de votre comité.

Il est très intéressant d’entendre une diversité de points de vue sur cet important enjeu qu’est le débat sur les politiques publiques, même si cette vaste diversité d’opinions complique un peu notre travail.

Je vais d’abord demander à M. Blumberg de donner son avis sur cette observation, avant de passer aux autres témoins. Monsieur Blumberg, vous nous avez mis en garde et avez tiré la sonnette d’alarme ici et au Comité sur le secteur de la bienfaisance en nous disant que notre système risquait de ressembler à celui des États-Unis, où un très petit nombre de richissimes citoyens exercent une influence disproportionnée dans le débat sur les politiques publiques.

Je crois toutefois que notre système ressemble davantage à ceux du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. Quand ces pays ont élargi la portée de leur loi, comme nous le faisons maintenant — nous avons toujours 4, 5 ou 10 ans de retard sur d’autres pays, ce qui est peut-être une bonne chose parce que cela nous évite de prendre des risques —, le ciel ne leur est pas tombé sur la tête, à moins que je ne me trompe. Voici ma question. Quelles leçons pouvons-nous tirer de l’expérience de pays comparables aux nôtres qui sont sous le régime de la common law?

M. Blumberg : Madame la sénatrice Omidvar, c’est une bonne question. Premièrement, les régimes fiscaux sont tout à fait différents d’un pays à l’autre. Au Royaume-Uni, par exemple, il y a le programme Gift Aid — il n’y a pas de déduction si vous faites seulement un don à un organisme de bienfaisance. Je serais ravi que nous adoptions l’un ou l’autre de ces régimes dans leur intégralité. Cela ne me pose aucun problème. En Australie, cependant, les églises ne sont pas obligées de délivrer des reçus. C’est pourquoi les églises, les synagogues et les mosquées ont deux fois moins de bénéficiaires de dons déductibles, comme on les appelle là-bas, ou d’organismes de bienfaisance enregistrés, comme on les appelle ici.

Si nous voulons nous inspirer de leur expérience, nous pouvons adopter un seul élément ou l’intégralité de leur programme. Il ne faut toutefois pas oublier que ces programmes ne sont pas toujours comparables.

Je vais vous signaler un point vraiment important. Actuellement, tant au Royaume-Uni qu’en Australie, les organismes caritatifs sont une source de vives inquiétudes pour les gouvernements, qui essaient par tous les moyens de restreindre leur marge de manœuvre. Le Royaume-Uni, par exemple, applique la règle du silence. En gros, les organismes gouvernementaux vous versent de l’argent, mais ils vous interdisent d’utiliser ces fonds. Incidemment, cela est arrivé en Ontario. Le gouvernement Wynne a interdit aux hôpitaux de dépenser les fonds gouvernementaux pour des activités de lobbying auprès des gouvernements. C’est la règle du silence. Ce n’est pas une belle façon de décrire cette pratique, mais c’est exactement ce qu’ils font. Ils les réduisent au silence. Cela s’est produit au Canada.

La sénatrice Omidvar : Ce ne sont pas des dons de bienfaisance.

M. Blumberg : C’est de l’argent que le gouvernement verse à des organismes de bienfaisance enregistrés — par exemple, à un grand hôpital ou un autre établissement.

La sénatrice Omidvar : Ce n’est pas de l’argent destiné à des fins de bienfaisance. Nous parlons de dons de bienfaisance ici.

M. Blumberg : Exact. Les dons de bienfaisance représentent 5 p. 100 des fonds du secteur, et les autres 95 p. 100 des fonds proviennent d’autres sources, qui ne sont pas sans importance non plus.

Par exemple, si le gouvernement saoudien verse 100 millions de dollars à des organismes de bienfaisance canadiens, je suppose que vous ne considérez pas cet argent comme étant un don de bienfaisance. Ce sont des fonds gouvernementaux, n’est-ce pas? Je ne fais pas cette distinction, dans un sens, parce que les fonds versés sont mis en commun. Ce sont des fonds ou des ressources qu’un organisme de bienfaisance peut utiliser.

Je dis seulement qu’un gouvernement peut, s’il le souhaite, prendre divers moyens pour serrer la vis aux organismes de bienfaisance. C’est ce que font les gouvernements britannique et australien, deux gouvernements de droite.

Mme Manwaring : Mesdames et messieurs les sénateurs, comme quelqu’un l’a déjà fait observer et comme le démontre l’expérience de ces pays, notamment de la Nouvelle-Zélande, la common law autorise les dons à des fins politiques. Ces pays n’appliquent pas les règles de la même façon que nous, parce que nous n’autorisons pas les dons à des fins politiques. Nous n’avons pas l’intention de le faire. Nous disons que si vous faites la promotion d’une politique publique et participez au dialogue de manière non partisane, vous pouvez le faire afin de réaliser vos objectifs.

L’expérience de ces pays est très importante. Ils appliquent tous la common law. Leur régime est fort similaire au nôtre. Ce n’est pas la même chose.

L’idée qu’un gouvernement puisse vouloir imposer à une entité qu’il finance des conditions quant à la manière d’utiliser les fonds est une façon de brouiller les pistes dans le dossier qui nous occupe aujourd’hui. Que ce soit bien ou mal, cela n’a rien à voir avec les règles dont il est question aujourd’hui.

Ces deux pays illustrent clairement vers où nous allons. De plus, nous nous sommes souvent inspirés du modèle en place dans ces pays.

M. MacDonald : Je ferai deux brèves remarques en réponse à cette question. L’Australie a modifié sa loi en 2013 afin d’autoriser les organismes de bienfaisance enregistrés à promouvoir des politiques publiques sans restriction. Les Australiens ont ensuite observé un léger déclin du nombre d’organismes de bienfaisance œuvrant dans les domaines du droit, des politiques et de la défense des intérêts, qui est passé de 533 à 523. En Nouvelle-Zélande, les règles ont été modifiées dans la foulée d’une décision rendue par la Cour suprême en 2014. Au cours des quatre années précédant la décision, 19,6 p. 100 des organismes de bienfaisance nouvellement enregistrés, en moyenne, s’adonnaient à des activités d’information, de conseils et de défense des intérêts. Au cours des quatre années qui ont suivi la décision, ce taux a baissé à 18,8 p. 100.

Le ciel ne leur est pas tombé sur la tête et les organismes qui poursuivent des buts différents ne se sont pas précipités pour participer au débat.

La sénatrice Eaton : Je tiens à exprimer ma vive déception que Vivian Krause n’ait pas été invitée ce soir. Elle est probablement la meilleure spécialiste au Canada en matière d’argent d’origine étrangère versé à des organismes de bienfaisance. C’est une honte.

Ma grande inquiétude, monsieur Blumberg, c’est l’argent d’origine étrangère, parce qu’il ne semble pas y avoir de plafond imposé sur les sommes transférées par le biais de Tides Canada aux organismes de bienfaisance. Le processus est anonyme. Quand vous dites que les riches pourront dominer le système, vous pensez probablement à l’organisation de Georges Soros aux États-Unis ou à celle des frères Koch. Nous savons tous, madame Manwaring, qu’un organisme n’est pas obligé d’afficher ses couleurs politiques pour soutenir un parti. Comme vous le dites, il s’agit d’un dialogue sur les politiques publiques.

Si vous appuyez une plateforme, si vous êtes pour ou contre une loi, vous soutenez le parti. Parmi les organismes de bienfaisance très activistes, surtout dans le secteur de l’environnement, vous savez pertinemment pour qui ils votent.

Nous sommes très naïfs de penser que, en laissant libre cours aux organismes de bienfaisance dans le soi-disant dialogue sur les politiques publiques... Nous sommes très naïfs et nous aurons ce que nous méritons : l’afflux de fonds d’origine étrangère au Canada visant à influencer nos élections s’accentuera.

Le président : Quelqu’un voulait-il poser une question à ce sujet?

La sénatrice Eaton : Non. Je pense que tout le monde souhaite intervenir. Je le vois dans les visages.

M. MacDonald : Il y a quelques éléments ici. Premièrement, il n’est pas dans l’intérêt du secteur de ne se servir que d’un exemple pour essayer de faire un commentaire sur la façon dont les organismes sur le terrain, ceux qui offrent des services dans nos collectivités, peuvent ou non participer à la défense des intérêts publics, ce qui est extrêmement important.

Si nous nous penchons sur la question de l’argent étranger, cela signifie-t-il que les universités canadiennes ne peuvent pas accepter de dons d’anciens étudiants qui vivent maintenant à l’étranger? Est-ce que cela veut dire que ma tante, qui vit en Irlande du Nord, ne peut pas me commanditer quand je participe à un cyclothon? Il y a toutes sortes de nuances dans cette conversation, et il importe d’avoir une vue d’ensemble.

La sénatrice Eaton : Vous donnez de si beaux exemples...

M. MacDonald : C’est la réalité des organismes de bienfaisance.

Le président : À l’ordre. S’il vous plaît, nous avons entendu les commentaires. Sénatrice Eaton, je vous prie de patienter.

La sénatrice Eaton : Je suis désolée, monsieur le président. Je ne dirai plus un mot.

Mme Manwaring : Cela m’attriste, en fait, de penser que, pour une raison ou une autre, un volet si essentiel et si dynamique de nos collectivités ne puisse pas être perçu comme étant d’une importance vitale dans le cadre du dialogue sur les politiques et comme étant sur le même pied d’égalité que d’autres organismes sans but lucratif, qui ne sont pas des organismes de bienfaisance et qui n’ont aucun contrôle sur eux, ou encore, qui plus est, que des sociétés qui déduisent aux fins d’impôt toutes les dépenses qu’elles consacrent pour défendre les lois qu’elles veulent voir adopter.

Si nous avions pris comme position d’interdire aux organismes de bienfaisance de défendre des intérêts, nous fumerions toujours; les compagnies de tabac auraient adoré cette mesure et elles auraient investi le plus d’argent possible — que l’argent provienne des États-Unis, du Royaume-Uni ou d’ailleurs dans le monde —, pour que cette mesure soit prise ici.

Nous devons donc être cohérents dans la façon dont nous appliquons cette notion aux organismes de bienfaisance. L’ARC surveille l’argent étranger qui est injecté dans les organismes de bienfaisance canadiens. Elle sait d’où vient l’argent. S’il s’agit de plus de 10 000 $, elle identifie les organismes, les soumet à un audit et elle peut y faire obstacle. Ce n’est toutefois pas la question dont nous sommes saisis dans le projet de loi C-86. C’est l’essentiel.

M. Blumberg : Je vais formuler quelques observations. Premièrement, l’an dernier, environ 2,6 milliards de dollars sont entrés au Canada de sources étrangères. L’Université de Toronto, par exemple, a un budget de 3 milliards de dollars, dont 400 millions de dollars proviennent de sources étrangères. Le Canada a grandement besoin de fonds d’origine étrangère et les fonds dits politiques ne représentent en tout qu’environ 1 million sur 2,6 milliards de dollars. Il y a donc beaucoup d’argent qui entre.

Je ne cherche pas à empêcher l’entrée de fonds pour soutenir des institutions essentielles, mais pour être franc, je ne peux pas blâmer les étrangers pour nos problèmes ici au Canada. Ce sont des Canadiens riches qui ont des problèmes. Il n’est pas nécessaire de se tourner vers les États-Unis pour cela. Lorsque quelqu’un décide de consacrer beaucoup d’argent à une question, par exemple se débarrasser de la monarchie, réduire les impôts, déterminer s’il faut un contrôle des armes à feu ou pas et fixer le salaire minimum, toutes ces questions sont de nature non partisane. Ce sont tous des dossiers dans lesquels un organisme de bienfaisance peut dépenser beaucoup d’argent afin d’exprimer son point de vue dans la mesure où il est lié à ses objectifs de bienfaisance.

S’il s’agit d’un organisme de bienfaisance religieux, par exemple, qui met sur pied un nouvel organisme de bienfaisance qu’il désigne comme étant une coalition de valeurs familiales, on a une idée de ce que ce sera.

En passant, Susan a mentionné la notion de pied d’égalité. C’est ce qui, je le crains, finira par arriver. Il y a quelques années, Andrew Coyne a écrit un article dans lequel il disait ne rien avoir contre la règle des 10 p. 100, mais si la règle est vraiment impossible à appliquer, qu’il faut l’abolir et qu’un organisme peut dépenser 100 p. 100 de ses fonds, il serait d’accord, mais il faudrait peut-être éliminer l’incitatif fiscal pour les dons aux organismes de bienfaisance.

Je me demande si ce qu’il a dit va s’avérer juste au bout du compte. Si nous voulons que les règles du jeu soient équitables, les organismes sans but lucratif n’obtiennent aucun incitatif fiscal pour ce qui est des dons. C’est la réalité. Ce sont des organismes sans but lucratif. Ce sont des organismes de bienfaisance, qui reçoivent un traitement spécial. Ils sont assujettis à des règles spéciales. Cette idée selon laquelle ils peuvent dépenser 100 p. 100 de leurs fonds — je crois que les organismes de bienfaisance devraient participer à la politique publique, qu’ils devraient être à la table, mais si elles dépensent 100 p. 100 de leurs fonds, elles ne sont pas un organisme de bienfaisance.

En ce qui concerne les ressources autorisées, soit 10 p. 100, si vous êtes un organisme de bienfaisance avec un budget de 100 millions de dollars, c’est 10 millions de dollars que vous pouvez consacrer à la politique. C’est beaucoup d’argent.

Soit dit en passant, le pourcentage est plus élevé pour les petits organismes de bienfaisance; on parle de 20 p. 100. Les règles actuelles ont permis un engagement énorme. En fait, Bruce parlait des choses merveilleuses que les organismes de bienfaisance ont faites. Je suis d’accord, dans le domaine des politiques publiques, ils ont fait des choses merveilleuses, mais c’était en vertu des anciennes règles. C’est pourquoi j’aime les anciennes règles. Elles ont permis de faire beaucoup de bonnes choses.

[Français]

Le sénateur Forest : Le débat soulève les passions. L’importance des organismes caritatifs est manifeste.

Dans le cas d’une situation problématique, en vertu de la loi actuelle, c’est l’Agence du revenu du Canada qui jugera de la situation à savoir si l’organisme en question a respecté l’activité politique ou s’il est tombé dans la partisannerie. C’est à l’Agence du revenu du Canada que reviendra cette décision ou, à la limite, à la ministre responsable.

Si on juge d’une activité sous l’angle politique, ne pensez-vous pas qu’il serait préférable que ce soit le directeur général des élections qui porte ce jugement et non l’Agence du revenu qui, elle, est habilitée au point de vue financier en termes de revenu, de taxes et d’imposition? C’est le rôle du directeur général des élections de voir à ce qu’on respecte les règles de notre système démocratique. À votre avis, que le plafond soit à 10, 15 ou 100 p. 100, ne devrait-on pas plutôt confier au directeur général des élections la responsabilité de déterminer si l’organisme caritatif respecte les règles du système démocratique?

[Traduction]

M. Blumberg : Le problème que pose le fait de parler du directeur général des élections, c’est vraiment lié aux élections. Nous ne parlons pas ici d’organismes de bienfaisance qu’on espère partisans. La sénatrice Eaton a bien mentionné qu’on peut deviner où cela nous mènera. Ce que je veux dire, c’est que le rôle du directeur général des élections consiste essentiellement à s’occuper des élections. Donc, aucun organisme de bienfaisance ne devrait participer à quoi que ce soit. Cela ne devrait donc pas poser de problème.

Il est logique que l’ARC assure une surveillance dans ce dossier, mais il ne faut pas oublier que les activités politiques partisanes sont interdites. Ils n’ont pas le droit de verser dans la partisannerie. L’ARC se débarrasse des organismes de bienfaisance qui le font depuis une trentaine d’années. Il y a très peu d’organismes de bienfaisance qui mènent directement des activités politiques partisanes. Il est toutefois logique que l’ARC le fasse. Il n’est pas question de leur imposer des amendes comme le fait peut-être le directeur général des élections. Il s’agit plutôt de leur retirer leur statut d’organisme de bienfaisance.

Je ne sais pas si je souhaite qu’une autre entité gouvernementale comme le directeur général des élections ou l’ombudsman puisse décider de retirer le statut d’organisme de bienfaisance. Il vaut mieux laisser tout cela à l’ARC. Du moins, c’est ce que je pense.

Mme Manwaring : Le directeur général des élections a le pouvoir, en vertu de la Loi électorale, de le faire dans le contexte de cette loi, et les lignes directrices émises en vertu de la Loi électorale pourraient aider dans une certaine mesure à déterminer ce qui est partisan, ce qui ne l’est pas et ce que l’ARC fait.

La sénatrice Andreychuk : Si je me souviens bien de mon histoire, les organismes de bienfaisance ont commencé par encourager les gens à faire des dons pour de bonnes œuvres dans la collectivité. Plusieurs d’entre eux étaient liés au service. Nous n’avions pas de système de services sociaux et il y avait une lacune. Dans les années 1970, si je me souviens bien, on s’est demandé si c’étaient les organismes de bienfaisance qui comblaient le vide laissé par le gouvernement ou le contraire.

C’était un débat intéressant à l’époque et nous en sommes tous venus à la conclusion que les organismes de bienfaisance sont un atout précieux dans la collectivité dans l’optique de ce qu’ils font pour le bien public. Ils ont vraiment commencé à participer au débat sur les politiques publiques qui les concernaient. Ensuite, bien sûr, il y a l’élaboration des politiques publiques.

Si je vous comprends bien tous, vous n’êtes pas en désaccord avec les organismes de bienfaisance. Je ne pense pas qu’aucun d’entre vous le soit. Ce qui vous inquiète, c’est qu’il y ait des organismes de bienfaisance pouvant tout juste être considérés comme tels, et il y en a eu, et c’est pourquoi la règle des 10 p. 100 a été instaurée.

Nous allons donc supprimer cela, mais nous laissons à l’ARC le soin de déterminer ceux qui, à mon avis, abusent du système aux fins de leurs propres convictions personnelles. Je préférerais que ces personnes le fassent à titre personnel et non par l’entremise d’un organisme de bienfaisance.

Nous pouvons continuer de redéfinir le concept, mais nous ne cessons de renvoyer ce sujet épineux à l’ARC. Je ne sais pas si cela va aider ou nuire. Je sais simplement que les mêmes personnes vont avoir les mêmes problèmes qu’aujourd’hui. À moins de redéfinir complètement les organismes de bienfaisance et d’essayer de mettre au point un système plus moderne, je pense que nous sommes toujours aux prises avec le même dilemme.

M. Blumberg : C’est un point intéressant. Certaines personnes à l’ARC sont probablement très heureuses que vous leur retiriez la possibilité de régler ce problème parce qu’elles n’étaient pas vraiment intéressées à le régler et que cela leur était très douloureux.

D’autre part, il y a probablement des gens qui s’inquiètent aussi de ce qui va se passer. J’adore cette idée de nous comparer à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni. C’est merveilleux. Le problème, c’est que le plus grand pays voisin du nôtre, ce sont les États-Unis et que, si nous nous attardons à ce qui s’y est passé depuis tout juste 10 ans, c’est très négatif. Je crois vraiment que le Canada est un peu différent des États-Unis, mais pas tant que cela. Nous aimons nous considérer comme très différents, mais je crains que ce ne soit pas le cas.

Si vous lisez ce qu’écrit le Southern Poverty Law Center, un groupe américain qui surveille les droits de la personne, vous verrez comment des groupes se sont infiltrés dans le réseau des organismes de bienfaisance parce que le système n’est pas aussi rigoureux chez nos voisins qu’il l’est ici. Si on commence à retirer des fragments du secteur, du système, de la politique, des règles sur l’activité étrangère, d’autres règles — et nous avons vu tout ce qui a été proposé —, ce n’est que le début. À mon avis, ce n’est pas la dernière fois qu’on modifie la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne les organismes de bienfaisance.

Je crains que nous ne nous retrouvions avec un système dans lequel il y aura beaucoup plus d’organismes qui sont, comme vous l’avez dit, à la limite et qui peuvent créer beaucoup de problèmes. Prenons l’Institut Fraser ou le Centre canadien de politiques alternatives — l’un est à gauche, l’autre, à droite, ce genre de choses —, le nombre de commentaires négatifs diffusés dans les journaux à leur sujet, entre autres, est très élevé. Si plutôt que seulement deux organismes comme ceux-là il y en avait 200, ce serait inquiétant pour la réputation du secteur.

Mme Manwaring : Quelqu’un m’a récemment demandé si nous devrions interdire la conduite, parce que des gens conduisent avec les facultés affaiblies et que c’est un danger. Est-ce qu’on l’interdit?

Je crois vraiment que nous avons un système qui nous a permis de régler ce problème dans l’optique des objectifs du droit commun et cela fonctionne. L’ARC a réussi à gérer la situation et à garder dans le système les véritables organismes de bienfaisance et à en retirer ceux qui n’en étaient pas. Je ne pense pas que ces règles changent les choses. Il est clair que le mécanisme existe toujours et que l’ARC s’occupera encore de ces quelques cas.

M. MacDonald : Il est intéressant de voir que les cas en marge dominent la conversation, parce qu’ils ne représentent pas le véritable travail du secteur de la bienfaisance au Canada. Je vous invite, en votre qualité de sénateurs, à réfléchir à vos collectivités, au travail qui se fait et à la participation de ces organismes à ce processus. C’est ce dont il est vraiment question ici.

Y a-t-il une chance que quelqu’un cherche, en quelque sorte, à essayer de déjouer le système pour s’y faufiler? C’est possible maintenant. Le projet de loi C-86 ne change rien à cela parce que l’expression « à des fins de bienfaisance » ne change pas. C’est la même chose. Je crois que le discours se déplace vers quelque chose qui ne reflète pas notre pays et le travail que les organismes accomplissent quotidiennement dans leurs collectivités.

En réfléchissant à ce sujet, il est important de penser à vos collectivités et aux organismes de bienfaisance que vous connaissez et de déterminer si c’est bon pour eux de défendre les intérêts des gens qu’ils servent.

Le sénateur Pratte : Merci d’être ici ce soir.

Vous y avez fait allusion plus tôt, mais ce qui nous préoccupe, c’est ce qu’on appelle l’appui partisan indirect. L’ARC a essayé, dans des audiences, d’expliquer comment elle interpréterait la notion d’appui partisan indirect, mais ce n’est pas encore tout à fait clair.

Je suppose que c’est là où le bât blesse, c’est-à-dire qu’un organisme, peut-être pour de bonnes raisons et avec de bonnes intentions, ferait campagne en faveur de la politique A, qui est très étroitement liée au parti politique A et que ce serait de l’appui partisan indirect, mais nous ne sommes pas certains que c’est ainsi que l’ARC l’interprétera.

M. MacDonald : J’aimerais dire le contraire. D’après notre expérience, lorsque les organismes ne comprennent pas, ils ont tendance à ne pas participer. La plupart des organismes de bienfaisance veulent respecter les règles et veulent les comprendre. Il y aura des gens qui manipuleront le système; en fait, la plupart des organismes de bienfaisance ne prendront pas position, ce qui sera préjudiciable.

Mme Manwaring : Je pense que vous avez raison et que l’ARC devra donner des directives à ce sujet.

Nous avons vu l’exemple d’un organisme de bienfaisance qui défend une cause particulière liée à son objectif et qu’un parti politique prend en charge. Nous l’avons vu. Il y a donc des zones grises. Telle est la loi. Cependant, avec l’orientation de l’ARC — et nous avons collaboré avec elle à cette fin —, la notion d’appui indirect n’est pas nouvelle. C’était dans la loi auparavant. Le nouveau projet de loi est une nette amélioration. Cet élément est toujours là, mais je suis convaincue que nous trouverons une façon de nous y retrouver parce que, comme Bruce l’a dit, ce sont les limites.

M. Blumberg : Je pense que quelqu’un peut penser intuitivement de la même façon que vous, parce qu’un parti politique croit quelque chose qui fait que c’est de l’appui indirect. Toutefois, l’ARC ne l’a jamais interprété de cette façon. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve, mais tant et aussi longtemps que vous n’avez pas dit que vous votez pour tel parti ou tel candidat, ou quelque chose du genre, alors je pense que ce n’est pas vraiment le problème.

Je reviens à l’argument de Bruce, avec lequel je suis d’accord; pensez aux organismes de bienfaisance que vous aimez vraiment dans vos collectivités. Combien d’entre eux consacrent 100 p. 100 de leur argent à des activités politiques? La réponse, c’est que beaucoup d’entre eux — examinez leur déclaration ou parlez-en avec eux — dépensent moins de 1 p. 100 en activités politiques.

Je suis d’accord avec Bruce : songez aux organismes de bienfaisance dans vos collectivités.

Le sénateur Neufeld : Je suis plutôt satisfait des organismes de bienfaisance que nous avons chez nous et du travail qu’ils accomplissent. Je ne pense pas que quiconque ici pense autrement.

Lorsque j’entends parler d’organismes comme la Tides Canada Foundation, qui est enregistrée depuis 1999, la Tides Canada Initiatives Society, qui est enregistrée depuis 1990, qui distribue des reçus de charité et transfère des fonds à un organisme appelé Leadnow, qui a clairement dit qu’elle allait cibler 29 circonscriptions et qu’elle allait en fait chasser les conservateurs du gouvernement. C’est ce qui m’inquiète un peu. Je sais que ce sont des zones grises. Je ne sais pas comment les contrôler et je ne suis pas sûr que l’ARC puisse le faire. On ne parle pas de menue monnaie ici. Beaucoup d’argent vient des États-Unis, de grosses sommes en fait, et est utilisé à toutes sortes de fins, pas seulement pour des élections. L’argent sert presque à dicter dans notre pays la façon dont nous devrions vivre au Canada. Cela m’embête vraiment beaucoup que des fonds américains entrent au pays et soient utilisés à ce genre de fins.

Voilà ce qui m’inquiète. Je pense que c’est ce qui inquiète beaucoup de gens, c’est l’infiltration et la manipulation qui se fait de la part de quelques-uns, mais il n’en faut que quelques-uns. J’en ai mentionné trois qui sont très politiques. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. MacDonald : J’aimerais avoir une seconde pour rassembler mes idées à ce sujet.

Mme Manwaring : Je fais confiance au système pour régler la question et je m’attends à ce qu’il le fasse.

M. Blumberg : Je reviens à la question des 2,6 milliards de dollars qui entrent et dont environ 1 million de dollars sont clairement réservés à des fins politiques. Pas anonyme? Qu’est-ce qui n’est pas anonyme?

La sénatrice Eaton : Ils savent qui fait don de l’argent.

M. Blumberg : En ce qui concerne la transparence, je dirais que notre système est défectueux. La transparence est loin d’être suffisante. Or, si un étranger, un gouvernement, un particulier ou une organisation donne plus de 10 000 $, chaque organisme de bienfaisance doit le déclarer sur le formulaire T3010. C’est un formulaire confidentiel, mais ce qui compte, c’est que l’ARC en soit informée. Ce n’est pas vraiment anonyme s’il s’agit d’un montant plus élevé. Dans le cas de groupes comme Tides, qui sont des organismes de bienfaisance américains et canadiens, c’est très intéressant d’examiner les 990 déclarations qu’ils produisent, parce qu’on en apprend beaucoup plus qu’avec les renseignements du gouvernement canadien. Si cela vous intéresse, vous pouvez y jeter un coup d’œil.

La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici.

Comme vous le savez sans doute, les industries peuvent faire du lobbying et elles ne sont pas limitées dans les ressources qu’elles peuvent consacrer à des campagnes axées sur des politiques particulières qui leur seraient profitables. On peut apercevoir dans la rue de la publicité en faveur des oléoducs, par exemple. Je sais qu’il ne s’agit pas d’organismes de bienfaisance enregistrés, mais ils ont le droit de faire du lobbying et de faire campagne, non pas pour des candidats politiques, mais pour des politiques. Elles réalisent des bénéfices, souvent appréciables, qu’elles peuvent consacrer à la cause.

Les organismes de bienfaisance défendent souvent une cause qui ne leur permet pas de réaliser des bénéfices. Les groupes qui préconisent la réduction de la pauvreté en sont un exemple évident. On ne se voue pas à cette cause pour faire beaucoup d’argent, mais les gens qui font des dons à des groupes de lutte contre la pauvreté veulent changer les choses et faire de bonnes choses dans la collectivité. Ils veulent que des modifications globales soient apportées aux politiques afin de réduire la pauvreté. La seule façon d’y parvenir est de mener des campagnes de sensibilisation du public ou de faire du lobbying auprès des décideurs.

Pourquoi imposer une limite arbitraire à ces groupes, par exemple une limite de 10 p. 100, mais pas aux autres?

M. Blumberg : C’est une bonne question. À l’heure actuelle, beaucoup de ces organismes sans but lucratif sont des organismes de bienfaisance sans but lucratif non enregistrés. En fait, ce changement encouragera certains de ces groupes à emboîter le pas, parce qu’ils peuvent maintenant obtenir des reçus et consacrer 100 p. 100 de leurs dépenses à la cause qu’ils veulent.

Donc, quand les gens me disent que les organismes de bienfaisance sont tous progressistes, je sais d’ores et déjà qu’ils fréquentent un certain groupe d’organismes de bienfaisance. Les organismes de bienfaisance, c’est tout. Ils représentent toute la société, qu’elle soit progressiste ou autre. Il y a beaucoup de variations dans le secteur caritatif.

Très franchement, je ne connais pas beaucoup d’entreprises qui consacrent 100 p. 100 de leur argent à des activités politiques. Il y en a peut-être, mais je ne les connais pas.

M. MacDonald : Je dois vous dire que ces 100 p. 100 consacrés à des activités politiques, sans vouloir vous offenser, cela ne passe tout simplement pas. Je ne connais pas un seul conseil d’administration qui envisagerait la possibilité de retirer des services à la clientèle et de consacrer l’argent ainsi épargné à des activités politiques.

Faudrait-il donner aux organismes la possibilité de dire qu’il serait dans l’intérêt de leurs clients, dans l’atteinte de leur objectif caritatif, de consacrer peut-être quelques dollars de plus à des efforts de promotion de la politique publique? C’est une bonne nouvelle. Injecter la totalité des dons dans des activités politiques, ce n’est pas un scénario réaliste pour les organismes de bienfaisance, du moins pas pour un de ceux que je connais.

Mme Manwaring : J’ai une observation à faire au sujet du commentaire de la sénatrice Deacon, à savoir que lorsque ces sociétés investissent tout cet argent dans ces questions et ces campagnes politiques qui renforcent leur capacité d’engranger des bénéfices, elles ont droit à une déduction fiscale. En fait, en vertu de notre régime fiscal, elles obtiennent un avantage très semblable au crédit d’impôt que les gens obtiennent lorsqu’ils donnent à des organismes de bienfaisance. D’aucune façon je ne veux que quelqu’un pense que le comité, en formulant ses recommandations, avait en tête un type particulier d’organisme de bienfaisance. La défense des droits devrait provenir de tous les horizons et d’une façon valable et légitime dans notre pays.

Le sénateur Klyne : J’ai une question. Je ferais mieux de ne rien laisser au hasard. Vous pouvez la décortiquer comme bon vous semble.

Le statut d’organisme de bienfaisance enregistré est fonction du but caritatif ou des objectifs de bienfaisance. On s’attend à ce que les activités qui s’ensuivront permettent d’économiser les 10 p. 100 correspondant à l’objectif et les mêmes 10 p. 100 pour les activités non partisanes. Autrement, toutes ces activités sont censées aller dans le sens de l’objectif.

Mme Manwaring : Même les 10 p. 100, oui.

Le sénateur Klyne : Oui, c’est précisé. C’est un bon point.

Je me pose des questions et je pose des questions. Quelle est l’incidence sur les organismes de bienfaisance de la limite actuelle de 10 p. 100 des ressources consacrées à des activités politiques non partisanes? Je ne savais pas que cette limite de 10 p. 100 les faisait souffrir et je me demande alors pourquoi elle devrait être supprimée et si elle doit l’être. Je pense que c’est pour donner un coup de pouce aux organismes de bienfaisance légitimes et leur permettre de recueillir plus de fonds.

Je m’interroge aussi sur la mesure dans laquelle les organismes de bienfaisance seront formés pour influencer le débat politique et le processus politique ou convertis à l’idée de le faire. Comment l’ARC ou le système devrait-il repérer les organismes de bienfaisance qui s’alignent sur les enjeux liés à la plateforme politique d’un parti en particulier, mais qui ne sont pas associés à ce parti, parmi les organismes de bienfaisance qui travaillent délibérément à des fins partisanes? Le système s’en occupera. Je pourrais faire une autre analogie, mais allez-y.

M. Blumberg : Je vais essayer de répondre. Le fait est que c’est un problème lorsqu’il y a certains groupes — soit dit en passant, je suis d’accord avec Bruce lorsqu’il dit que je ne parle pas de 86 000 organismes de bienfaisance. Je parle de 20, 30, 50 ou 100 organismes de bienfaisance qui risquent d’en abuser. Quand je parle d’abus, je ne veux pas dire qu’ils en abusent réellement; ils font juste ce qu’on leur permet de faire.

Le sénateur Klyne : Je pense que nous devons passer à autre chose. Comment l’ARC devrait-elle aborder ces questions?

M. Blumberg : Eh bien, elle publiera une politique à la fin décembre, peut-être le 31 décembre vers 23 heures, et c’est ainsi qu’elle expliquera ce qu’elle fera.

Le président : Merci. Nous allons terminer par un commentaire de Mme Manwaring, s’il vous plaît.

Mme Manwaring : L’ARC a un programme de conformité très rigoureux qui pourra déterminer si l’organisation poursuit ou non l’objectif de bienfaisance. Cela deviendra clair. C’est évident, comme le dit Bruce. Ces organismes ne se cachent pas sous un rocher. On peut voir ce qu’ils font. Des représentants de l’ARC se rendront sur place, ils réaliseront des audits et ils réglementeront comme cela se fait pour toutes les autres questions qui se posent avec les organismes de bienfaisance. Cela fonctionnera.

Le président : Merci.

Je tiens à dire aux témoins qu’ils ont suscité beaucoup d’intérêt. Merci de nous avoir fait part de vos opinions et de vos commentaires. Vous l’avez fait avec professionnalisme.

(La séance est levée.)

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