Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 3 - Témoignages du 18 avril 2016


OTTAWA, le lundi 18 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 h 19, afin de poursuivre son étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Est-il convenu d'adopter l'ordre de renvoi qui a été présenté au comité en ce qui concerne l'étude sur l'accès aux écoles françaises et aux programmes d'immersion française? Voici en quoi consiste l'ordre de renvoi :

Que le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à examiner, pour en faire rapport, les défis liés à l'accès aux écoles françaises et aux programmes d'immersion française de la Colombie-Britannique;

Que les documents reçus, les témoignages entendus et les travaux accomplis par le comité sur son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique au cours de la deuxième session de la 41e législature soient renvoyés au comité; et

Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 15 décembre 2016, et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

Puis-je avoir une motion pour faire adopter cet ordre de renvoi?

La sénatrice Fraser : Je propose la motion d'ordre de renvoi.

La présidente : Y a-t-il un consensus?

Des voix : D'accord.

La présidente : La motion est adoptée.

Nous allons maintenant aborder la question du budget. Lundi dernier, nous avons discuté de la possibilité de visiter les sites à Vancouver et à Victoria et de tenir des audiences publiques à Vancouver. Un budget révisé a été adopté par le Sous-comité du programme et de la procédure jeudi dernier.

Honorables sénateurs, est-il convenu que la demande de budget, qui s'élève à 123 328 $ aux fins d'une étude spéciale sur l'accès aux écoles françaises et aux programmes d'immersion en français pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2017, soit approuvée et présentée au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration?

Pourrais-je avoir une motion pour l'adoption du budget?

Le sénateur Rivard : Je propose l'adoption de la motion.

La présidente : Êtes-vous tous en faveur de cette motion?

Des voix : D'accord.

La présidente : La motion est adoptée. Avant d'accorder la parole aux témoins, j'invite les membres du comité à bien vouloir se présenter.

La sénatrice Fraser : Bonsoir, je m'appelle Joan Fraser, sénatrice du Québec.

Le sénateur Rivard : Bonsoir, je m'appelle Michel Rivard, sénateur du Québec.

Le sénateur McIntyre : Bonsoir, je m'appelle Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunswick.

La présidente : J'aimerais attirer votre attention sur la nouvelle sénatrice qui vient d'être nommée.

La sénatrice Gagné : Bonsoir, je m'appelle Raymonde Gagné, sénatrice du Manitoba.

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles est heureux d'accueillir le Quebec Community Groups Network (QCGN) pour faire un survol des principaux enjeux auxquels sont confrontées les communautés anglophones du Québec. Le Quebec Community Groups Network est un organisme à but non lucratif qui réunit 48 organismes communautaires de langue anglaise partout au Québec. C'est avec plaisir que nous accueillons M. Lamoureux, président du QCGN, et Mme Martin-Laforge, directrice générale du QCGN. Je vous remercie d'avoir accepté de comparaître devant le comité. Je vous invite à faire vos présentations. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.

[Traduction]

Dan Lamoureux, président, Quebec Community Groups Network : Merci de nous donner l'occasion de comparaître devant vous. Bonsoir à vous, sénatrice Tardif, et à tous les membres du comité. Je suis très heureux de me trouver de nouveau devant ce comité qui a tant fait pour donner aux communautés anglophones en situation minoritaire du Canada, c'est-à-dire les anglophones du Québec, une voix égale dans la discussion nationale sur les langues officielles.

Votre rapport de 2011, L'épanouissement des communautés anglophones du Québec : du mythe à la réalité, continue d'être une source importante de données pour nous, dans le cadre des efforts que nous déployons pour assurer que la vitalité de la communauté anglophone du Québec bénéficie d'un soutien équitable de la part du gouvernement fédéral. La communauté anglophone du Québec ne bénéficie pas d'un soutien équitable aux termes de la stratégie fédérale sur les langues officielles et n'a pas une voix égale dans la discussion nationale sur les langues officielles.

Il y a selon nous trois raisons qui expliquent cette situation. Premièrement, l'anglais n'est pas une langue menacée. Un des objectifs clés de l'approche canadienne à l'égard des langues officielles est l'égalité du statut du français et l'utilisation des deux langues officielles dans la société canadienne — l'anglais et le français d'un océan à l'autre. Nous atteignons cet objectif en favorisant l'épanouissement des communautés anglophones et francophones en situation minoritaire, ce qui fait en sorte que les Canadiens peuvent vivre, travailler et s'amuser dans les deux langues officielles partout au pays.

Toutefois, les décideurs et les dirigeants présument souvent que, parce que la langue anglaise n'est pas menacée, les communautés anglophones en situation minoritaire ont besoin de moins d'attention. Des gens se font des idées, qu'aucune donnée n'appuie, à propos de la vitalité de la communauté anglophone et ne comprennent pas bien les différences importantes qui existent entre les divers segments de notre communauté.

Les membres de votre comité en ont fait eux-mêmes l'expérience lorsqu'ils sont venus à la rencontre de notre communauté en 2010. Notre minorité linguistique ne se bat pas pour protéger une langue. Si un million d'anglophones quittaient le Québec demain matin, l'anglais survivrait, même au Québec. Toutefois, nous luttons pour sauvegarder les communautés anglophones au Québec et préserver leur culture et leur identité, qui sont distinctes de celles de la majorité canadienne anglaise. Nous le faisons dans la seule province canadienne qui légifère activement et intentionnellement contre l'utilisation de notre langue officielle dans la sphère publique.

Donc, bien qu'il soit vrai de dire qu'en général l'anglais n'est pas une langue menacée, les communautés anglophones du Québec le sont bel et bien, surtout à l'extérieur des zones métropolitaines.

Deuxièmement, la mesure dans laquelle les communautés anglophones et francophones en situation minoritaire bénéficient de la stratégie fédérale en matière de langues officielles dépend de la coopération et de l'engagement de la province ou du territoire de la communauté linguistique en question.

La plupart des domaines d'intérêt public qui affectent la vitalité de nos communautés sont de nature provinciale : santé, justice, éducation, entre autres. Les institutions fédérales font ce qu'elles ont à faire pour favoriser l'épanouissement de nos communautés de langue officielle en situation minoritaire tout en respectant les champs de compétence et les pouvoirs des provinces.

Le Québec ne reconnaît pas les communautés linguistiques minoritaires du Canada. Par conséquent, il s'agit de la seule province ou territoire sans cadre législatif, réglementaire ou stratégique pour communiquer avec la minorité de langue officielle et l'appuyer. Heureusement, il semble y avoir une volonté de changer la situation parmi la classe politique. Le QCGN est d'ailleurs reconnaissant aux députés provinciaux et aux ministres qui lui ont témoigné leur appui. Nous avons bon espoir que le gouvernement du Québec, dans le cadre de ses relations avec le fédéral, en vienne à reconnaître sa communauté anglophone et à travailler avec elle.

Troisièmement, les communautés francophone et anglophone en situation minoritaire au Canada ont des histoires très différentes. On ne s'étonnera pas des disparités sur les plans de la structure et des capacités. Les communautés anglophones en situation minoritaire sont toutes situées dans une seule province, et nos organisations communautaires, comme la plupart des organisations sectorielles cadres, sont de nature locale ou provinciale. Très peu d'entre elles ont la capacité d'agir à l'échelle nationale et une seule, le QCGN, reçoit du financement à cet égard. Donc, même lorsqu'une communauté est présente à la table nationale, elle ne jouit pas toujours de l'appui stratégique nécessaire pour agir activement et efficacement.

Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, Quebec Community Groups Network : Depuis le plan d'action de 2003, les stratégies fédérales en matière de langues officielles au Canada incluent de plus en plus les besoins des anglophones du Québec. La prise de conscience par les autorités fédérales de l'existence de notre communauté et de leur obligation de prendre des mesures pour en favoriser la vitalité se fait de plus en plus. L'appui que nous recevons de la part des représentants du gouvernement du Canada est, dans l'ensemble, formidable. Nous savons que la plupart des institutions fédérales souhaitent sincèrement nous aider.

Toutefois, certains programmes demeurent inaccessibles pour notre communauté pour les raisons exprimées par notre président, et nous ne bénéficions clairement pas équitablement de l'appui fédéral et des stratégies canadiennes sur les langues officielles.

Je tiens à être claire : le QCGN ne réclame pas une plus grosse part du gâteau pour les anglophones du Québec. Ce que nous disons, c'est que, parce que les besoins de la communauté anglo-québécoise n'ont pas été adéquatement pris en considération par le gouvernement fédéral, le gâteau est trop petit. Appuyer les communautés anglophone et francophone en situation de langue minoritaire au Canada n'est pas un jeu à somme nulle dans lequel pour donner à l'une il faut enlever à l'autre. La vitalité et les intérêts de chacune sont symbiotiques; ces deux communautés ne devraient pas être en compétition l'une contre l'autre.

Comment votre comité peut-il aider les anglophones du Québec, selon nous? Comment peut-il se pencher sur les façons dont les institutions fédérales peuvent consulter efficacement les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada? En fait, discuter n'est pas consulter. Nous nous attendons à des résultats tangibles qui profiteront directement aux membres de notre communauté et qui contribueront à la vitalité de celle-ci. Il s'agit entre autres d'établir clairement comment chaque institution fédérale peut agir positivement pour renforcer le dynamisme de nos communautés.

On peut également explorer de nouvelles façons d'accorder un soutien financier. Le système actuel d'aide financière à notre communauté est peut-être désuet. Les communautés ciblent des priorités et présentent des demandes d'aide financière. Le partenaire public examine la demande en fonction des priorités gouvernementales et l'approuve ou la rejette. Le secteur communautaire fournit les services et en fait rapport au gouvernement. Et le processus recommence.

Les lacunes de ce système sont bien connues. Le gouvernement respecte rarement ses propres normes de service, laissant à elles-mêmes des organisations communautaires désespérées. La prépondérance du financement accordé en fonction de « projets » plutôt que de « programmes » va à l'encontre des principes de prévisibilité et de durabilité et est un obstacle à la réussite, puisque l'accent mis par le gouvernement sur le « nouveau » empêche souvent le maintien du financement.

Nous croyons qu'il est temps d'abandonner un mode de financement qui empêche tout véritable partenariat entre les secteurs public et communautaire. Nous devrions peut-être regarder du côté du sociofinancement au sein des communautés de langue officielle en situation minoritaire, qui fait déjà partie de la feuille de route actuelle, et de l'établissement de fondations de développement gérées à l'échelle de la communauté avec le soutien du gouvernement du Canada.

Il faut que le système actuel de subventions et contributions soit dépolitisé et rende prévisible et organique le financement accordé au secteur communautaire.

La décision récente de la ministre Joly de déléguer les approbations de financement est un pas dans la bonne direction.

Une autre solution ou angle d'approche consiste à trouver des façons de rendre l'appui accordé aux communautés de langue officielle en situation minoritaire plus souple et mieux adapté en fonction des besoins de chaque communauté. Nous l'avons déjà dit et je crois que vous en avez parlé dans votre rapport : les solutions uniques ne fonctionnent pas. Comme l'ont exprimé les anciennes sénatrices Maria Chaput et Andrée Champagne, le gouvernement doit reconnaître que les réalités et les défis vécus par la minorité francophone et ceux vécus par la minorité anglophone sont parfois semblables, parfois différents, et qu'ils doivent par conséquent recevoir un traitement qui tient compte des besoins spécifiques de l'une et l'autre.

Enfin, nous encourageons le comité à discuter avec le gouvernement du Québec, et pas seulement sur des sujets touchant la Francophonie. Les comités parlementaires, la Chambre des communes et le Sénat peuvent jouer un rôle de premier plan en expliquant quels sont les avantages pour les Canadiens en général et les Québécois en particulier de la collaboration entre les gouvernements du Canada et du Québec pour favoriser la vitalité de la communauté anglo- québécoise.

M. Lamoureux : Nous devons continuer de travailler ensemble pour dissiper les mythes entourant le Québec anglophone. Nous sommes peut-être la minorité la plus encombrante du Canada, mais nous faisons partie intégrante du passé, du présent et du futur du Québec et du Canada. Notre communauté de 1 million de membres mérite d'avoir les droits, les privilèges et l'attention qu'elle mérite en vertu de la loi.

Merci encore de nous avoir invités. Sachez que le comité est ses membres peuvent compter sur l'appui plein et entier du QCGN.

[Français]

La présidente : Je vous remercie pour cet exposé fort intéressant. Avant de laisser la parole à la sénatrice Fraser, qui posera la première question, j'aimerais signaler la présence de la sénatrice Rose-May Poirier, vice-présidente du comité.

[Traduction]

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Quand nous avons rédigé notre rapport il y a cinq ans, si ma mémoire est bonne, nous avions observé que les organisations anglophones du Québec obtenaient 13 p. 100 du financement global destiné aux minorités linguistiques. Ce chiffre est-il encore exact? Voilà pour la question courte.

La question légèrement plus longue est liée à ma première question. Comme vous l'avez souligné, monsieur Lamoureux, les minorités francophones sont disséminées à la grandeur du pays et sont donc considérées comme étant « nationales », alors que la minorité anglophone est confinée au Québec, ce qui veut dire qu'elle n'est pas d'envergure nationale. Qu'est-ce que cela signifie par rapport à ce que vous pouvez et ne pouvez pas obtenir? Vous avez dit que certains programmes n'étaient pas accessibles aux communautés anglophones du Québec.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces sujets?

M. Lamoureux : Je vais commencer par les programmes. Il y a un très bon exemple d'absence de participation des communautés anglophones du Québec : la récente recherche de candidats au Sénat et le processus qui a été mis en place à cet effet. La FCFA — l'organisme qui représente les francophones — a été consultée au sujet de la nomination des nouveaux sénateurs, et c'est très bien. Malheureusement, on n'a pas demandé le concours des communautés anglophones du Québec. C'est un cas tout récent où nous avons été oubliés et où nous n'avons pas obtenu la reconnaissance qui nous revient. C'est comme si nous avions besoin de rappeler au gouvernement qu'il existe deux groupes linguistiques minoritaires au Canada : les anglophones au Québec et les francophones à l'extérieur du Québec.

La sénatrice Fraser : Les deux ont à peu près la même taille.

M. Lamoureux : Oui, leurs nombres de membres sont semblables. Nous sommes un peu plus d'un million, et je crois que les francophones des autres provinces sont à peu près aussi nombreux. Nous voulons seulement pouvoir donner notre opinion pour pouvoir expliquer les effets sur la minorité anglophone. Si je ne m'abuse, il reste un siège vacant pour un sénateur anglophone du Québec. Nous aurions aimé être consultés à cet égard.

La sénatrice Fraser : Le chiffre de 13 p. 100 est-il à peu près exact?

Mme Martin-Laforge : Oui, sénatrice.

Au Québec, la capacité du QCGN, de ses membres et de la communauté en général d'obtenir de l'aide financière supplémentaire du gouvernement fédéral est limitée par la taille du gâteau et la question de la compétition entre les deux minorités linguistiques. Ce chiffre ne représente donc pas ce dont nous aurions besoin pour atteindre l'égalité.

J'aimerais donner un autre exemple portant sur la conversation nationale. L'incapacité des jeunes Anglo-Québécois de faire partie de la conversation nationale au Québec nous touche tous. Nous n'avons aucune structure ou capacité leur permettant de venir ici. Si les sénateurs demandaient à rencontrer un groupe de jeunes anglophones du Québec pour qu'ils leur parlent de ces questions, un tel groupe serait difficile à trouver. Nous n'avons aucun groupe.

Nous ne disposons d'aucune capacité d'être représentés dans des forums nationaux comme celui-ci, le Comité des langues officielles, et c'est bien dommage.

M. Lamoureux : Et l'immigration?

Mme Martin-Laforge : Nous parlerons peut-être de l'immigration un peu plus tard.

Le sénateur McIntyre : Merci pour votre exposé.

Ma question porte sur l'enseignement en langue anglaise au Québec. Comment le projet de loi 86, qui est actuellement à l'étude par l'Assemblée nationale du Québec, entre-t-il en conflit avec l'article 23 de la Charte? Allez- vous contester ce projet de loi devant les tribunaux s'il est adopté dans sa forme actuelle? Comment le gouvernement fédéral peut-il mieux appuyer l'enseignement en langue anglaise au Québec?

M. Lamoureux : En plus d'être président du QCGN, le suis aussi président de la commission scolaire Riverside, sur la Rive-Sud de Montréal. J'ai pris part aux discussions sur le projet de loi 86.

Un des principaux éléments de ce projet de loi est le fait qu'il place tout le pouvoir entre les mains du ministre. Donc, ce sont les bureaucrates qui sont aux commandes.

Il y a actuellement neuf commissions scolaires qui répondent aux besoins de la communauté anglophone en matière d'éducation. Six de nos neuf commissions scolaires font régulièrement partie du top 10 à l'échelle provinciale pour le taux de graduation.

Les commissions scolaires anglophones sont directement liées à la vitalité de notre communauté et elles répondent aux besoins des parents et des familles anglophones.

Nous essayons de consulter les membres de la communauté partout dans la province. Jim Shea, président de la commission scolaire Western Québec, m'accompagne cet après-midi. Nous avons tous les deux l'habitude de consulter les membres de notre communauté anglophone. En prenant en compte leurs commentaires, nous faisons en sorte que nos écoles jouent un rôle important et obtiennent du succès dans le milieu de l'éducation.

Notre problème relativement à l'article 23 de la Charte est que le pouvoir est un élément fondamental. Nous n'acceptons pas que le ministre, dans tous les articles du projet de loi 86, enlèverait tous les pouvoirs à notre communauté pour se les lui octroyer.

De plus, aucune consultation n'a eu lieu sur ce projet de loi avant sa présentation. Maintenant, des discussions ont eu lieu. Les audiences viennent de se terminer, et nous verrons bien ce qui arrivera ensuite.

Le sentiment général de ceux qui ont comparu devant le comité est que nous ne sommes pas en faveur du projet de loi 86. Même bon nombre de commissions scolaires francophones s'y opposent. Les groupes de parents francophones semblent divisés. L'idée de voir ce projet de loi adopté ne suscite pas un grand enthousiasme.

Cela dit, s'il devait être adopté, je sais que l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec envisagerait de le contester devant les tribunaux, en vertu du Programme d'appui aux droits linguistiques ou du Programme de contestation judiciaire.

Le sénateur McIntyre : L'an dernier, le gouvernement provincial a instauré toute une série de réformes dans le domaine de la santé. Quels effets ces réformes provinciales ont-elles eus sur l'accès aux services de santé et aux services sociaux en anglais dans les différentes régions du Québec?

M. Lamoureux : Je vais donner un exemple.

Quand la loi 10 est entrée en vigueur, le QCGN a dû invoquer un article de la loi 101 pour maintenir la capacité d'offrir des services bilingues dans les centres de soins de santé. Étrangement, avec le projet de loi 10, il n'était censé y avoir qu'un seul centre hospitalier bilingue : le nouveau Centre universitaire de santé McGill, à Montréal.

Avec l'avènement de la loi 10, 23 ou 24 services linguistiques anglais reconnus ont été éliminés. Heureusement, nous avons fait renverser cette décision après avoir rencontré le ministre. L'année dernière a été très difficile.

Mme Martin-Laforge : Le QCGN a décidé de mettre sur pied un comité de la santé et des services sociaux, présidé par Eric Maldoff. Ce dernier comprend très bien les politiques de la santé au Québec. Nous avons relativement bien réussi à surveiller le projet de loi. Nous avons fait des pressions et avons réussi à obtenir le meilleur résultat possible pour un projet de loi ne portant pas sur des questions constitutionnelles. Il n'y a rien dans la Constitution qui touche les soins de santé.

Nous surveillons la situation depuis un an. Pour revenir à votre question, nous continuons d'être très inquiets. Même si nous avons obtenu davantage de pouvoirs en vertu de la loi sur la santé et la loi 10 au Québec, les pouvoirs sont centralisés dans le bureau du ministre et les bureaucrates ne comprennent pas toujours bien l'esprit de la loi.

Nous craignons que nos institutions soient encore menacées, même avec les mesures de protection prévues dans le projet de loi 10. Nos institutions sont menacées. Nos institutions dans le domaine de l'éducation sont menacées par la centralisation, et celles dans le domaine de la santé le sont tout autant.

Le sénateur McIntyre : Qu'en est-il des conseils de santé provinciaux? Vos communautés y sont-elles représentées?

Mme Martin-Laforge : Oui, mais il est possible qu'il n'y ait qu'un seul anglophone qui siège au conseil. Parfois, on se fait dire que les conseils fonctionnent en français seulement. Ce n'est jamais facile d'être le seul anglophone dans ces conseils.

La complexité du projet de loi 10 et des autres volets de la réforme de la santé fait que personne ne sait vraiment où sont les choses. Il faut donc beaucoup de formation, mais la formation se donne en français et il faut aider les gens à se rendre à ce niveau. La supervision est un gros problème pour la communauté anglophone. Si quelque chose de mauvais devait se produire, nous ne voulons pas que nos institutions disparaissent dans cinq ans.

Un autre bouleversement dans le milieu de la santé pourrait signifier la perte de ce que nous avons actuellement, ce qui serait, comme l'ont dit Eric Maldoff et d'autres, une catastrophe.

La sénatrice Poirier : Je suis désolée d'être arrivée en retard. J'ai été retardée pour des raisons indépendantes de ma volonté. J'ai donc malheureusement raté le début de votre présentation. J'espère que vous n'avez pas déjà répondu à la question que je veux poser.

Nous recevrons plus tard la ministre du Patrimoine canadien. Avez-vous pu la rencontrer pour discuter avec elle de vos attentes et de vos besoins à l'échelle fédérale?

M. Lamoureux : Non, nous n'avons pas rencontré la ministre Joly. Nous avons écrit à son bureau pour essayer d'organiser une rencontre.

Je vais profiter de l'occasion qui s'offre à nous aujourd'hui, pour me présenter et essayer de faire en sorte que nous puissions nous rencontrer le plus vite possible. Je sais que son emploi du temps est certainement très chargé, mais je vais essayer d'obtenir un engagement de sa part.

La sénatrice Poirier : Comment, selon vous, la ministre du Patrimoine pourrait aider vos communautés? Que pourrait-elle faire pour vous?

Mme Martin-Laforge : Comme nous ne l'avons pas encore rencontrée, je pense que nous devrions d'abord écouter ce qu'elle aurait à proposer pour nous aider.

Nous nous attendons à ce que la ministre du Patrimoine canadien soit notre championne. Nous voulons qu'elle soit la championne des langues officielles, ce qui inclut la communauté anglophone du Québec. J'imagine que c'est principalement ce que nous attendons d'elle, et d'autres ministres également.

La sénatrice Poirier : Avez-vous rencontré d'autres ministres, comme celui de la Citoyenneté et de l'Immigration?

Mme Martin-Laforge : Nous travaillons aussi là-dessus. Notre carnet de danse n'est pas rempli de rencontres au sommet ces jours-ci, mais nous avons envoyé des lettres. Nous sommes très intéressés par une rencontre avec le ministre McCallum, puisque le commissaire Fraser, dans son rapport annuel de l'an dernier, a fait deux recommandations portant sur la communauté anglophone et ce que Citoyenneté et Immigration Canada devrait faire à propos de la communauté anglophone du Québec.

Nous avons écrit au ministre McCallum pour lui demander comment nous pouvons l'aider à mieux comprendre ce que son ministère devrait faire. Nous espérons qu'il nous réponde. Nous savons que le ministre et son ministère doivent répondre au Commissariat aux langues officielles d'ici le 1er mai, et nous avons hâte de pouvoir dire au commissaire comment ce ministère a agi à notre égard.

La sénatrice Poirier : Pour ce qui est des réfugiés et des immigrants en général, le Québec anglophone en a-t-il accueilli?

Mme Martin-Laforge : Ce n'est pas faute d'avoir essayé.

Oui, il y en a qui sont venus au Québec. Ils sont les bienvenus au Québec.

Comme vous le savez, un de nos problèmes est que nous sommes perçus comme une communauté peu accueillante au Québec. Nous communiquons avec les immigrants, y compris les Syriens qui ont été accueillis pour des motifs humanitaires. Nous leur avons expliqué pourquoi ils ne pouvaient pas fréquenter nos écoles. Nous pourrions nous occuper de les franciser. La communauté anglo-québécoise est la championne de l'intégration.

[Français]

Les anglophones du Québec se sont intégrés.

[Traduction]

Nous savons comment travailler avec les gens qui veulent s'intégrer. Toutefois, puisque nous ne sommes pas perçus au Québec comme étant une communauté accueillante, toute tentative de notre part pour accueillir les immigrants dans nos écoles et les franciser est vue par le gouvernement provincial, et même les réfugiés... comme vous le savez, l'entente Cullen-Couture vise l'immigration en général. C'est dommage pour les réfugiés, parce que je crois comprendre que les écoles du réseau francophone débordent de réfugiés. Nous aurions pu accueillir certains de ces jeunes et les franciser.

Ce n'est donc pas par manque de volonté, et je suis sûre que certaines personnes ont offert de l'aide, mais en tant que communauté, nous sommes freinés par le fait que nous ne sommes pas perçus — il est d'ailleurs politiquement incorrect de dire le contraire — comme un appui aux réfugiés syriens, ce qui est malheureux.

[Français]

Le sénateur Rivard : Monsieur Lamoureux et Madame Martin-Laforge, bienvenue. Je vois ici que le 9 mars dernier, vous avez comparu devant le Comité des langues officielles de la Chambre des communes. Vous auriez exprimé le vœu que, lorsque vous êtes en cour, vous aimeriez que le juge parle anglais ou qu'il soit au moins bilingue pour que vous puissiez vous exprimer dans votre langue. Est-ce que vous souhaitez que ce soit ainsi dans tout le Canada? Dans certaines régions, il pourrait être difficile de trouver un juge francophone, comme à Yellowknife, ou au Yukon. Pensez- vous tout de même que ce que vous souhaitez avoir au Québec soit applicable partout? Croyez-vous qu'on puisse avoir la même chose dans les autres provinces et dans les territoires, de sorte qu'un francophone qui habite à Yellowknife puisse être jugé en français?

M. Lamoureux : Comme je l'ai expliqué la dernière fois, je trouve qu'il est très important que les juges soient bilingues partout au Québec et au Canada. Pour nous, il s'agit d'un droit fondamental que nous puissions faire nos représentations dans notre propre langue. Au Québec, on trouve parfois qu'il commence à y avoir des problèmes dans ce secteur. Pour moi, c'est vraiment important, comme pour la FCFA. Je pense que nous partageons la même vision de la capacité d'avoir des juges bilingues partout au Canada.

En tant que minorité, peu importe où nous nous trouvons, il est important que nous ayons les mêmes droits partout. Si nous nous arrêtons pour réfléchir aux grandes visions, nous savons que les minorités n'étaient pas toujours bien traitées dans le passé pour certaines raisons. Cependant, je trouve maintenant que les gouvernements et le reste de la population du Canada acceptent l'importance des minorités et d'y consacrer les ressources nécessaires pour défendre et appuyer ces communautés.

[Traduction]

Je crois que c'est au cœur des valeurs canadiennes.

[Français]

Le sénateur Rivard : Il y a un débat qui a fait les actualités au cours des dernières années. L'ancien gouvernement n'a pas mis de l'avant le projet sur le bilinguisme des juges de la Cour suprême. En tant que représentant de la communauté anglophone du Québec, avez-vous déjà eu l'occasion, au nom de votre communauté, et non à titre d'individu, de vous prononcer sur la pertinence de la question du bilinguisme des juges de la Cour suprême?

M. Lamoureux : Oui.

Mme Martin-Laforge : Certainement, notre position est claire à ce sujet. Le QCGN a déclaré publiquement qu'il devrait y avoir des juges bilingues, et nous avons appuyé M. Godin. Nous avons exprimé notre appui publiquement.

Le sénateur Rivard : J'aurais une dernière petite question. Nous savons que dans quelques mois, la Confédération canadienne fêtera son 150e anniversaire. Est-ce que vous avez été consultés ou souhaitez-vous l'être pour participer à la programmation du 150e?

Mme Martin-Laforge : Consultés, non. Nous avons appris comme tout le monde qu'il y avait des fonds disponibles pour la fête. À titre de Canadiens, nous sommes tous intéressés au 150e anniversaire. Le QCGN a fait une proposition au gouvernement pour notre réseau. Il y a d'autres membres du réseau qui ont des propositions fort intéressantes pour souligner le 150e. Nous sommes de la partie.

Le sénateur Rivard : Nous allons profiter de la présence de la ministre responsable du patrimoine dans une demi- heure pour lui suggérer fortement de consulter les anglophones et les francophones du Québec pour faire de ces fêtes un succès l'an prochain.

La sénatrice Gagné : Merci de votre présentation. Je l'ai trouvée fort intéressante. Vous avez souligné trois points, soit la question de la consultation, l'appui financier, et aussi la collaboration qu'il peut y avoir entre les deux ordres de gouvernement, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec. J'aimerais revenir à la question de l'appui financier et du financement social.

J'aimerais que vous puissiez nous en dire davantage sur votre vision des possibilités de financement social pour votre association et pour la minorité anglophone du Québec.

Mme Martin-Laforge : Nous travaillons avec ce concept de financement social depuis déjà quelques années. Le concept est quelque peu galvaudé. Il est difficile pour nous tous d'y trouver notre place. Comme groupe, par exemple, il est important que la communauté se prenne en charge. Alors, souvent, c'est dans le cadre de partenariats que nous le faisons. C'est donc une façon, à l'aide du financement social, de voir jusqu'où les partenariats peuvent aller pour appuyer notre communauté.

[Traduction]

Nous sommes encore en train d'expérimenter.

[Français]

Nous entreprenons pour les prochaines années l'expérience du financement social avec enthousiasme, mais ce n'est peut-être pas pour tout le monde. Je veux dire qu'il ne faut pas tout mettre dans le panier du financement social. Il faut réfléchir, et nous pensons à la responsabilité d'un gouvernement envers ses minorités. Prenons l'exemple suivant : au Québec, pour la communauté d'expression anglaise, il n'est pas facile de travailler avec le secteur privé. Ce n'est pas facile, parce que c'est souvent perçu comme étant politisé. Alors, dès que du financement est demandé à une compagnie pour la communauté d'expression anglaise, pour financer une activité, cela soulève la question de la revendication des droits par cette communauté. C'est compliqué.

Il serait donc important de dépolitiser la question, et nous allons voir jusqu'à quel point nous serons en mesure de le faire, mais je pense que la plupart d'entre nous au sein de la communauté croient que le gouvernement fédéral — et les gouvernements en général — a une responsabilité en matière de financement et d'appui, de soutien envers cette communauté. Nous sommes prêts à tenter l'expérience et à l'aventure de faire fonctionner des nouveaux concepts.

[Traduction]

Je dirais que ce n'est pas l'un ou l'autre, que les deux peuvent aller de pair.

[Français]

Il faut trouver la façon de faire fonctionner, par n'importe quels moyens, la vitalité de la communauté, et c'est une façon de le faire.

[Traduction]

La sénatrice Fraser : Il y a maintenant 10 ans qu'un projet de loi ayant pris naissance au Sénat du Canada a rendu obligatoire la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Le regretté sénateur qui était à l'origine de ce projet de loi a été mon compagnon de banquette pendant un certain temps. C'était très inspirant de travailler avec lui.

Comment ce changement législatif vous a-t-il affecté? En vous écoutant, j'ai l'impression que vous sentez parfois une certaine réticence de la part des institutions fédérales, peut-être parce que ce n'est pas tout à fait politiquement correct, mais je peux me tromper en ayant cette impression. En termes concrets, quelle différence cela a-t-il faite dans vos interactions avec le système fédéral?

Mme Martin-Laforge : En ce qui concerne le Programme de contestation judiciaire, nous avons demandé que la partie VII soit incluse dans les domaines de contestation parce que, selon nous, la partie VII n'a pas été véritablement mise en œuvre par le gouvernement fédéral. Une difficulté demeure, du point de vue politique.

C'est toujours difficile pour les ministères fédéraux. Certains saisissent mieux; ceux qui font partie de la stratégie sur les langues officielles saisissent mieux, en tout cas.

La situation n'est pas la même pour tous les ministères. Pour la communauté anglophone du Québec, il est très difficile d'obtenir des idées novatrices des ministères fédéraux au sujet de la partie VII parce qu'ils ne savent pas trop comment agir avec la province.

Donc, pour le Québec anglophone, la mise en œuvre de la partie VII est toujours un cheval de bataille.

Une des choses que fait la partie VII pour Air Canada, par exemple... Air Canada est censée appliquer la partie VII. Comment le fait-elle au Québec? Au Québec, elle finance les prix Goldbloom. Elle commandite ces prix qui sont remis aux personnes qui contribuent à la vitalité de la communauté anglophone, et c'est une bonne chose. Si c'est ainsi qu'Air Canada remplit ses obligations au titre de la partie VII, tant mieux.

Il faut que les ministères fassent preuve d'un peu plus d'imagination. C'est plus compliqué pour certains que pour d'autres. Par exemple, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration n'a pas trouvé comment s'acquitter de ses obligations en vertu de la partie VII au Québec. Certaines personnes pensent même qu'il n'est pas nécessaire de s'acquitter de ses obligations en vertu de la partie VII au Québec en raison de l'entente Cullen-Couture. Nous leur disons : « Vous savez, vous pourriez faire de la recherche. » Ils promettent de faire de la recherche, mais cela ne se fait jamais. Sénateurs, l'application de la partie VII est loin d'être facile.

La sénatrice Fraser : Je pense que cela s'explique en partie par la tendance qu'ont toutes les bureaucraties du monde à résister au changement et à ne pas aimer se faire dire quoi faire. Ce sera toujours un problème.

Croyez-vous que c'est plus difficile pour la communauté anglophone du Québec que pour les communautés francophones des autres provinces? Vous n'avez pas besoin de m'expliquer que les situations ne sont pas les mêmes partout; elles ne sont pas les mêmes partout au sein de la communauté anglophone du Québec non plus. La Côte-Nord n'est pas la même chose que le centre-ville de Montréal. Cela dit, pensez-vous que la communauté anglophone du Québec fait l'objet de plus de résistance ou qu'elle est simplement méconnue, ou est-ce que le problème vient d'ailleurs?

M. Lamoureux : Au Québec dans les années 1950, le sentiment général était que l'économie était dominée par les Québécois anglophones. À l'extérieur du Québec, l'opinion était différente à propos des groupes francophones minoritaires.

Depuis 50 ans, la reconnaissance des groupes francophones minoritaires par les provinces est de plus en plus forte. Certaines provinces ont désigné leur premier ministre comme étant le porte-parole de ces communautés, d'autres ont désigné un ministre, mais peu importe, ces groupes ont un porte-parole. Notre communauté anglophone minoritaire ne reçoit pas le même genre d'appui de la part du gouvernement provincial, ce qui rend les choses très difficiles. Nous avons parlé des projets de loi 10 et 86. Il est très difficile de dialoguer avec le gouvernement qui est censé nous appuyer.

Je suis d'avis que la perception des minorités a changé depuis 50, 60 ou 70 ans. Ce changement explique, selon moi, pourquoi le gouvernement fédéral s'est empressé — et avec raison — de soutenir et de défendre les francophones de l'extérieur du Québec. Ils en avaient bien besoin. Maintenant, le temps est venu de faire de même pour la communauté anglophone du Québec, parce que nous en avons besoin. C'est ma vision des choses, à tout le moins. Je ne suis qu'un bénévole.

La sénatrice Fraser : Est-ce que vous vous en mettez plein les poches?

M. Lamoureux : Oui, tout à fait. J'ai le bonheur de comparaître devant un comité du Sénat et un comité des Communes, des comités parlementaires. C'est pour le moins intéressant. C'est ce que j'en pense.

Mme Martin-Laforge : Sénateurs, je dirais que, si on regarde la situation froidement, on peut affirmer que nous avons perdu du terrain depuis l'avènement de la loi 101. Les choses ont changé depuis : des échappatoires qui existaient du temps de Camille Laurin et d'autres personnes qui comprenaient notre communauté ont été éliminées.

Nous avons joué un rôle dans l'histoire du Québec. J'ai été surprise, toutefois, par la nouvelle politique culturelle du Québec. En 1992, il y avait une page complète de la politique culturelle consacrée à la communauté anglophone, mais, dans la plus récente version, il n'y a pas un mot sur les anglophones.

La sénatrice Fraser : Est-ce vrai aussi au fédéral?

Mme Martin-Laforge : Je vous dirais que la majeure partie du financement que reçoit la province vient du fédéral. J'espère que les fonctionnaires fédéraux sont à l'écoute et se disent : « Bon sang, le Québec rédige sa nouvelle politique sur les arts et la culture. Nous versons beaucoup d'argent aux arts et à la culture par le truchement de Patrimoine canadien. Nous devrions être inquiets. » Ce ne sont pas les fonctionnaires fédéraux qui me l'ont dit. Je le sais parce que j'ai comparé l'ancienne politique de 1992 et la nouvelle et j'ai vu qu'il y avait une page sur les anglophones dans l'ancienne.

Le fédéral peut aider les anglophones du Québec. Nous avons besoin de soutien. Il est très difficile pour nous d'avoir une capacité stratégique au Québec. Nous n'avons pas beaucoup de capacité stratégique. L'English Language Arts Network, l'ELAN, est une petite organisation qui n'a pas une grande capacité stratégique. Pour exercer une surveillance sur tous ces sujets de nature provinciale en apparence, mais avec un fort lien avec le fédéral, il fait que les organisations disposent de la capacité stratégique nécessaire pour lancer des signaux d'alarme et dire au fédéral ce qui se passe afin d'obtenir de l'aide. Il y a toujours un lien avec le fédéral.

Le sénateur McIntyre : Les lois du Québec sont rédigées en français et sont traduites à la fin du processus. Est-ce que cela crée un problème quant à l'accès au système de justice?

M. Lamoureux : La réponse simple est oui, certainement. Selon le processus actuel, la loi est adoptée en français puis, elle est traduite par la suite. Il y a donc des nuances qui se perdent. Nous avons de bons amis du QCGN qui prennent part à ce processus. Parfois, la traduction n'est qu'une pâle copie de l'original français.

Ce que nous voyons, c'est que les décisions des juges et les lois provinciales ne sont pas clairement... je cherche le bon terme. Il manque des nuances, et la loi peut être adoptée ou modifiée. C'est très sérieux.

Nous avons un comité...

Mme Martin-Laforge : Je crois qu'il est important de souligner que la traduction n'est pas non plus faite par des avocats. C'est un des sujets de préoccupation des gens qui travaillent avec nous. La traduction est faite par des traducteurs. La perte de nuances est un des problèmes, mais il y en a beaucoup d'autres liés au fait que la traduction n'est pas faite par des avocats en même temps que la rédaction du texte original.

Dans notre communauté, certaines personnes examinent différents modèles qui pourraient être proposés au gouvernement provincial pour qu'il puisse s'aider lui-même, parce que ce n'est pas constitutionnel.

La sénatrice Fraser : J'ai un commentaire à formuler plus qu'une question. Comme le sénateur McIntyre, je suis membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'ai été très impressionnée quand j'ai appris, il y a quelques années, comment les lois sont rédigées au ministère fédéral de la Justice. Elles sont rédigées simultanément par des avocats, un anglophone et un francophone. Ils rédigent dans les deux langues en simultané en essayant d'être fidèles à la jurisprudence et aux traditions des deux modèles. Ils s'assurent de bien dire la même chose. Peut-être qu'il y a là un projet pour lequel quelqu'un pourrait présenter une demande de financement.

Mme Martin-Laforge : Il faudrait que la province y consente.

La sénatrice Fraser : Elle pourrait bien. Cela ne lui coûterait rien, vous savez.

Mme Martin-Laforge : Peut-être que votre comité de la justice pourrait inviter certains de nos gens à venir lui parler.

Le milieu juridique a participé à une discussion très intéressante en novembre dernier à propos du modèle fédéral et du modèle ontarien. En Ontario, la traduction se fait après, mais on fait appel à des juristes et non à des traducteurs. Voilà un sujet sur lequel un autre comité sénatorial pourrait se pencher.

Le sénateur McIntyre : Je veux revenir sur la question de la collaboration entre les gouvernements fédéral et provincial pour ce qui est de favoriser la vitalité des communautés anglophones du Québec.

Pouvez-vous décrire la concertation entre les deux gouvernements? Le degré de collaboration varie-t-il d'un ministère à l'autre? Quels ministères sont les meilleurs à cet égard?

Mme Martin-Laforge : Le meilleur exemple que je puisse donner, c'est celui des gens du Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes, ou SAIC, qui sont les gardiens de l'argent versé par le gouvernement fédéral. Ils jouent un rôle de gardien.

Tout financement important offert par le fédéral est soumis au Cabinet et au SAIC. Il y a tout un processus. J'encourage les sénateurs, s'ils ne l'ont pas fait récemment, à lire le chapitre M-30, qui décrit la relation financière entre le gouvernement du Québec et celui du Canada. Quiconque obtient plus de la moitié de son financement du gouvernement fédéral ne peut pas recevoir d'argent de la province. Certains critères compliquent la vie de la communauté anglophone pour ce qui est d'obtenir de l'argent.

Les fonds fédéraux versés en santé constituent un bon exemple. L'arrivée d'argent doit être négociée avec le SAIC. Une bonne partie est remise au gouvernement provincial à l'appui des francophones qui apprennent l'anglais — il y a toutes sortes de modalités — et le Cabinet doit passer le financement en revue. L'argent envoyé au Québec n'est pas directement versé à la communauté.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie pour votre présentation. Normalement, je ne siège pas au Comité sénatorial permanent des langues officielles, mais je le trouve très intéressant.

Dans mon autre carrière, j'étais policier et je siégeais au Comité de la nomination des juges qui avait pour mandat de recommander les juges de la Cour supérieure. Nous nous efforcions, entre autres dans la région de Montréal et en Abitibi, près des frontières de l'Ontario, de recommander des juges bilingues, qui avaient une connaissance de la langue anglaise.

Ma question est celle-ci. Avez-vous l'impression d'être bien servis par le système de justice du Québec, entre autres à Montréal, où il y a une majorité d'anglophones?

M. Lamoureux : À Montréal, il est plus facile d'avoir un juge anglophone, étant donné qu'il y a davantage d'anglophones dans le Grand Montréal, mais en région, c'est beaucoup plus difficile. À mon avis, le système fonctionne bien, mais il y a des cas où les choses ne se passent pas de cette façon.

Mme Martin-Laforge : En région, on se fait dire par nos groupes qu'il y a des problèmes d'accès à la justice. On essaie de créer un projet qui nous permettrait de faire davantage de recherches pour déterminer quel est exactement le problème qui se pose en région.

Au Québec, la capacité liée à tout ce qui concerne la justice n'est pas forte. Il n'y a pas de FAJEF ou d'association des juristes d'expression anglaise au Québec. Je retourne donc à l'histoire de la feuille de route.

[Traduction]

Dans la feuille de route, il y a un volet relatif à l'accès aux services de justice et une rondelette somme d'argent y est associée. Dans notre communauté, les fonds ont surtout servi pour Éducaloi, un excellent site web sur la justice. Il faut se rendre sur ce site.

La communauté n'est pas en mesure d'obtenir du financement de Justice Canada pour faire de la recherche et divers travaux. Nous n'en avons pas la capacité. Pour répondre comme il se doit à votre question, monsieur le sénateur, je dirai que nous n'avons ni association ni groupe organisé comme dans le reste du Canada qui peut s'acquitter de ce travail si important lié aux politiques et aux programmes.

[Français]

La présidente : Au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier très sincèrement d'avoir pris le temps de comparaître devant nous. Notre comité tiendra certainement compte des défis que vous avez partagés avec nous et de vos aspirations pour le bien-être de la minorité anglophone du Québec. Un grand merci à vous tous.

Nous enchaînons maintenant avec la prochaine portion de la séance. Nous avons une requête de la part des médias qui voudraient entrer dans la salle pendant quelques minutes jusqu'à ce que la ministre entame son discours. Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour que les médias soient présents pendant quelques minutes pour filmer le comité et prendre des notes?

Des voix : D'accord.

La présidente : Bienvenue, madame la ministre. Nous sommes très heureux de vous recevoir ce soir, ainsi que M. Hubert Lussier, sous-ministre adjoint, Citoyenneté, patrimoine et régions, et M. Jean-Pierre Gauthier, directeur général des langues officielles. Bienvenue à vous tous.

Ce soir, les sénateurs aimeraient vous entendre et vous poser des questions. Nous aimerions discuter avec vous de trois thèmes : votre mandat à titre de ministre du Patrimoine canadien; les rapports annuels de 2012-2013 et de 2013- 2014 sur les langues officielles du Patrimoine canadien; et la place de la dualité linguistique dans les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération. Cela dit, les sénateurs sont libres de vous poser des questions, ce qu'ils feront avec beaucoup de plaisir.

Madame la ministre, je vous invite à nous donner votre présentation.

L'honorable Mélanie Joly, C.P., députée, ministre du Patrimoine canadien : Merci. Je suis ravie de comparaître devant vous à titre de ministre du Patrimoine. Comme vous l'avez mentionné, je suis accompagnée de M. Hubert Lussier, sous-ministre adjoint pour la Citoyenneté, le patrimoine et les régions, et de M. Jean-Pierre Gauthier, directeur général des langues officielles.

Je suis très heureuse d'avoir l'occasion de vous rencontrer, et j'ai entendu beaucoup de bonnes choses à votre sujet. J'ai déjà eu des échanges avec certains d'entre vous et j'ai notamment pris connaissance des travaux antérieurs du comité. Je suis très consciente de toute l'expertise que vous détenez et dont vous avez fait preuve par le passé, et j'aimerais aussi vous remercier du rôle primordial que vous jouez dans la promotion de nos deux langues officielles.

En tant que ministre, je tiens à contribuer à l'essor du français et de l'anglais dans toutes les provinces et tous les territoires. Je compte aussi sur l'appui indéfectible de mon incroyable secrétaire parlementaire, M. Randy Boissonnault, un fier Franco-Albertain, dans le cadre de mes tâches.

J'ai aussi pris contact avec certains joueurs clés dans le domaine des langues officielles, que ce soient dans les communautés, les provinces ou les territoires. J'ai eu des conversations très intéressantes avec des francophones du Yukon, de la Colombie-Britannique, du Manitoba et de l'Ontario, et avec des Acadiens de la Nouvelle-Écosse, au cours de mes déplacements, que ce soit à Whitehorse, à Calgary, à Vancouver, à Toronto ou à Halifax. J'ai découvert des gens passionnés et talentueux, comme vous le savez si bien, qui ont à cœur la vitalité de leur communauté. Bien entendu, ils m'ont beaucoup inspirée.

[Traduction]

Aujourd'hui, j'aimerais vous présenter comment j'entends remplir mes responsabilités dans le domaine des langues officielles. Je veillerai à la promotion du français et de l'anglais dans le cadre des activités et des programmes de mon ministère consacrés à la dualité linguistique et au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. J'y veillerai aussi dans l'ensemble des activités de mon ministère.

[Français]

Je vais vous parler maintenant du 150e anniversaire de notre Confédération. Par exemple, en mars, j'ai présenté aux Canadiens la vision du gouvernement du Canada pour les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération. Il s'agit d'un anniversaire très important pour notre pays, et ce sera l'occasion de célébrer dans nos communautés tout ce qui fait la richesse et la force de notre pays : nos langues, notre culture, notre diversité, notre esprit d'ouverture, notre désir de bâtir ensemble un avenir prometteur. Tel qu'en font foi mes différentes déclarations à ce sujet, nous allons axer ces célébrations sur quatre thèmes : la jeunesse, la réconciliation avec les peuples autochtones, l'environnement et, je tiens à le souligner, la diversité. Cette diversité qui fait la réputation de la société canadienne repose, entre autres, sur nos deux langues officielles.

Mon ministère veille déjà à ce que les célébrations se déroulent dans le respect de nos langues officielles et qu'elles en fassent la promotion. Nous voulons que la contribution des communautés vivant en situation minoritaire soit présentée dans les projets et les célébrations du Canada 150. Nous tenons aussi à ce que la dualité linguistique soit reflétée dans les activités du 150e anniversaire de la Confédération. Nos accords de contribution contiennent donc des dispositions linguistiques qui établissent les exigences relatives aux langues officielles.

Nous transmettrons également à tous nos récipiendaires du Fonds Canada 150 de l'information pratique et un guide permettant de réussir un événement bilingue. Ces documents sont produits par le Commissariat aux langues officielles tout spécialement pour les promoteurs de projets dans le cadre du 150e anniversaire de la Confédération.

En partageant cette information avec eux, nous souhaitons les outiller afin qu'ils pensent aux deux langues officielles dans l'organisation et la mise en œuvre de leurs projets. Je pense à des projets comme SESQUI, une expérience multimédia interactive à la fine pointe de la technologie numérique, qui sera présenté dans des communautés partout au pays. Il y a aussi le projet Canada 150+moi, d'Expériences Canada, qui offrira des échanges culturels inspirants à nos jeunes Canadiens qui pourront voyager partout au pays et faire des échanges étudiants entre différentes communautés linguistiques. En 2017, le 150e anniversaire de la Confédération sera le moment idéal de promouvoir et de célébrer la dualité linguistique du Canada.

Laissez-moi maintenant vous parler de ma lettre de mandat. Le premier ministre m'a confié plusieurs responsabilités précises en matière de langues officielles, comme le décrit ma lettre de mandat. Je me concentrerai notamment sur la préparation, d'ici 2018, d'un nouveau plan pluriannuel en matière de langues officielles. J'entends consulter les Canadiens à ce sujet très bientôt. D'ailleurs, tel que je vous l'ai mentionné un peu plus tôt, j'ai déjà eu l'occasion de rencontrer plusieurs parties prenantes et plusieurs groupes qui travaillent afin d'assurer la vitalité de nos communautés linguistiques un peu partout au pays. Ainsi, j'ai déjà eu l'occasion d'avoir de très bons échanges avec ces différents intervenants.

Il est important de toujours se rappeler que les langues officielles ne concernent pas qu'un seul ministère. Les enjeux soulevés par les langues officielles touchent l'ensemble des institutions fédérales. Pour les traiter avec sérieux, nous devons mobiliser un grand nombre de ministères et d'organismes fédéraux, ce qui favorisera l'élaboration d'un tel plan.

[Traduction]

En préparation du nouveau plan, je consulterai les Canadiens sur les meilleures façons, dans le monde d'aujourd'hui, de favoriser l'essor des langues officielles dans un contexte minoritaire. J'aurai l'occasion, durant les consultations, d'aborder divers sujets clés touchant le dynamisme des communautés minoritaires, comme l'immigration.

[Français]

D'ailleurs, à ce chapitre, le ministre John McCallum, responsable du ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, et moi avons annoncé récemment un nouveau volet du programme de mobilité internationale qui s'appelle Avantage significatif francophone, qui entrera en vigueur le 1er juin prochain. Ce programme favorise l'installation des nouveaux arrivants francophones à l'extérieur du Québec.

[Traduction]

En vertu de ma lettre de mandat, je superviserai aussi l'établissement d'un service en ligne gratuit d'apprentissage et de maintien du français et de l'anglais langue seconde. Les Canadiens d'un bout à l'autre du pays profiteront de ce service.

[Français]

Avec mon collègue, Scott Brison, président du Conseil du Trésor, je veillerai également à ce que tous les services fédéraux soient dispensés en conformité avec la Loi sur les langues officielles.

Je travaillerai aussi en collaboration avec ma collègue, Carolyn Bennett, ministre des Affaires autochtones et du Nord, pour consacrer de nouveaux fonds aux Premières Nations. Notre objectif sera de promouvoir, de préserver et de protéger les langues et les cultures des Premières Nations qui occupent une place centrale au sein de notre patrimoine.

Enfin, notre gouvernement s'est engagé dans le budget de 2016 à rétablir le Programme de contestation judiciaire. Je travaille en ce moment avec Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice, pour le moderniser. Ces objectifs sont ambitieux, et je suis ravie de travailler avec mes collègues pour les atteindre.

Avant de conclure, j'aimerais mentionner que le rapport annuel sur les langues officielles de 2014-2015 de Patrimoine canadien est en cours d'élaboration. Je serai heureuse de vous en parler bientôt. J'aimerais toutefois souligner dès maintenant les réussites qui découlent de notre appui aux langues officielles. Par exemple, des écoles francophones existent partout au pays et les inscriptions aux écoles d'immersion ont augmenté de 39 p. 100 en 10 ans. Nos partenariats avec les provinces et les territoires nous permettent d'appuyer, depuis plus de 40 ans, l'éducation en milieu minoritaire, l'apprentissage d'une langue seconde et la prestation des services dans la langue de la minorité. Nos ententes avec les communautés en situation minoritaire font de nous des partenaires efficaces.

[Traduction]

Nous pouvons compter sur des institutions nationales comme le Conseil des arts, le Centre national des arts du Canada, l'Office national du film, Téléfilm Canada et CBC/Radio-Canada pour mettre en valeur les artistes, les artisans et les créateurs francophones et anglophones du Canada. Nous appuyons la création et la diffusion d'œuvres produites en milieu minoritaire grâce à nos programmes d'appui aux arts et à la culture. Nous appuyons aussi des programmes de bourses, de monitorat et d'échanges linguistiques pour aider nos jeunes à parler leurs deux langues officielles. Nous collaborons avec le secteur non gouvernemental pour favoriser l'utilisation de nos deux langues officielles partout au Canada.

[Français]

On le constate, beaucoup de chemin a été accompli, mais bien des défis demeurent également. Pour les relever, nous devons faire appel à la collaboration. Dans nos lettres de mandat, le premier ministre nous a demandé d'accorder une grande importance à la collaboration. Pour moi, il est clair que de nombreux acteurs ont un rôle à jouer dans la promotion des langues officielles : les communautés elles-mêmes, les organismes représentatifs, nos partenaires provinciaux et territoriaux et tous ceux qui contribuent aux travaux du Parlement. Je pense notamment à mes collègues ministres et députés, et aux comités du Sénat et de la Chambre des communes. Je compte remplir mon mandat et travailler avec vous dans cet esprit de collaboration.

Je vous remercie, et je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, madame la ministre. J'aimerais que nous passions à la période des questions des sénateurs. La vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier, posera la première question.

La sénatrice Poirier : À nouveau, je vous remercie, madame la ministre, ainsi que les gens qui vous accompagnent, d'être parmi nous aujourd'hui.

Je n'ai que quelques questions à vous poser pour commencer. Auparavant, le ministre du Patrimoine canadien portait également le titre de ministre des Langues officielles. Pourquoi avoir éliminé cette partie de votre titre?

Mme Joly : Nous avons une vision pangouvernementale de la gestion des langues officielles, un peu comme dans d'autres dossiers, notamment en ce qui concerne la réconciliation avec les peuples autochtones. Je suis appelée à jouer un rôle de coordination en matière de langues officielles, mais aussi à travailler de concert avec le président du Conseil du Trésor, M. Scott Brison, que vous aurez l'occasion de rencontrer, avec ma collègue Judy Foote, responsable des Services publics, et également avec mon collègue John McCallum. Travailler avec mes collègues sera la meilleure façon d'obtenir une approche beaucoup plus globale, je dirais même holistique, afin d'améliorer notre appui et notre réponse aux différentes communautés linguistiques en situation minoritaire, mais également afin de promouvoir le bilinguisme et le respect de la Loi sur les langues officielles au sein de l'appareil fédéral.

La sénatrice Poirier : Aux yeux des Canadiens, il est important d'avoir une personne qui veille à la dualité linguistique de notre pays, par l'entremise d'un ministère. Au sein de votre Cabinet, qui est maintenant responsable des langues officielles? Vers qui les gens doivent-ils se tourner?

Mme Joly : C'est à moi qu'incombe la tâche d'assurer la coordination liée aux langues officielles et, en moi, vous trouverez une alliée de la défense des droits linguistiques, mais également de la promotion de la vitalité des communautés linguistiques en situation minoritaire. Cette responsabilité est partagée, et il s'agit d'une priorité pour l'ensemble de mes collègues, particulièrement ceux que j'ai mentionnés un plus tôt dans le cadre de ma réponse.

La sénatrice Poirier : Si quelqu'un a une question touchant les langues officielles, peu importe le domaine, doivent- ils communiquer avec les ministres dont vous avez fait mention ou est-ce vous qui faites le relais?

Mme Joly : Venez me voir, je pourrai vous aider à répondre, au besoin et, le cas échéant, si mes collègues sont appelés à être impliqués en fonction de leurs différentes responsabilités, je serai heureuse de travailler avec eux également.

La sénatrice Fraser : Madame la ministre, je vous remercie beaucoup d'être venue nous rencontrer, et je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada. J'espère que ce ne sera pas la dernière fois.

Mme Joly : Non, sûrement pas.

La sénatrice Fraser : J'ai deux questions très distinctes. Comme vous le savez peut-être, juste avant que vous n'arriviez, nous avons rencontré les représentants du Quebec Community Groups Network qui représente la communauté d'expression anglaise du Québec. J'aimerais vous demander si vous avez l'intention de les rencontrer pour discuter des besoins et des priorités liés à la situation des anglophones du Québec et, plus particulièrement, de leur participation aux célébrations du 150e anniversaire.

Mme Joly : Cela va de soi. D'ailleurs, mon équipe a déjà fixé une rencontre à ce sujet. Même si je ne peux pas vous dire que j'ai déjà rencontré tous les intervenants, j'ai tout de même déjà rencontré plusieurs parties prenantes. J'ai eu l'occasion, dans une ancienne vie, de collaborer avec Mme Martin-Laforge, et ce sera un plaisir pour moi de la revoir. Je serai heureuse, bien entendu, d'initier ce dialogue.

De façon générale, j'ai hâte d'entendre les projets proposés pour le 150e anniversaire de la Confédération. Vous devez savoir que plusieurs projets ont été présentés, des projets communautaires qui visent une région plutôt que des projets pancanadiens, et dont plusieurs projets intéressants sont en lien avec la dualité linguistique. Par contre, aucun projet n'a encore été annoncé. C'est pour cette raison que je n'ai pas le privilège de vous révéler aujourd'hui, tous les projets liés au 150e anniversaire qui font la promotion de la dualité linguistique, mais il y en aura très certainement, autant pour les communautés francophones en situation minoritaire que pour les communautés anglophones en situation minoritaire.

La sénatrice Fraser : J'ai été fascinée lorsque vous avez parlé de l'établissement d'un service en ligne gratuit d'apprentissage et de maintien du français et de l'anglais langue seconde. Est-ce qu'on parle de cours de langue tout à fait élaborés, complets?

Mme Joly : C'est un projet, une idée qui faisait partie de notre plateforme électorale. Ce projet est inscrit dans ma lettre de mandat et le premier ministre m'a demandé de me pencher sur la façon dont nous pouvons améliorer l'accès à ce type de services en ligne. Je travaille étroitement sur ce projet avec mon secrétaire parlementaire, ainsi qu'avec mes collègues au sein de Patrimoine canadien.

La sénatrice Fraser : Est-ce qu'il s'agit d'offrir des cours de langue ou des liens qui dirigeraient les citoyens vers des services d'apprentissage?

Mme Joly : Le but est d'améliorer l'accès à ces services, mais mon équipe et moi en sommes à examiner tous les scénarios possibles. Nous tentons de trouver de quelles façons nous pouvons élaborer ce projet. Mon secrétaire parlementaire et mes collègues travaillent activement sur ce dossier depuis les 150 derniers jours déjà.

J'aurai l'occasion, au cours des prochains mois, de vous expliquer ce qu'il en est de notre approche gouvernementale dans ce dossier.

Le sénateur Dagenais : C'est un plaisir pour moi de vous accueillir, madame la ministre. Je ne siège habituellement pas à ce comité. C'est donc un privilège pour moi de pouvoir vous poser des questions.

Mme Joly : C'est un privilège de vous avoir ici.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame. Ma première question concerne la Société Radio-Canada. Comme vous le savez, Radio-Canada a fait des coupures significatives, au cours des dernières années, dans les services régionaux offerts à des communautés francophones dans plusieurs régions éloignées du pays. Les dirigeants de la société ont justifié leur décision en disant que le gouvernement avait réduit le financement de Radio-Canada. On a constaté dans votre budget des investissements de 675 millions de dollars en faveur de Radio-Canada.

Avez-vous pris des mesures pour vous assurer que ce montant puisse servir à rétablir le service régional de Radio- Canada offert aux communautés éloignées?

Mme Joly : C'est une très bonne question. Comme vous l'avez si bien dit, nous venons de consacrer 675 millions de dollars sur une période de cinq ans à Radio-Canada. Radio-Canada est indépendante du gouvernement, donc indépendante dans l'élaboration de sa programmation. Cependant, nous nous sommes entendus sur trois critères en ce qui a trait aux réinvestissements, et l'un d'entre eux est d'offrir un meilleur accès à du contenu, local et régional, dans les deux langues officielles, partout au pays.

Je crois que Radio-Canada, grâce à nos investissements, se retrouve dans une situation où, plus que jamais, elle pourra offrir des nouvelles locales, des histoires et des informations qui sont pertinentes aux différentes communautés. J'espère donc profondément que cet investissement sera utilisé à bon escient afin que l'on puisse non seulement contrecarrer les effets pernicieux des coupures du gouvernement précédent, mais au-delà de cela, que l'on puisse investir afin d'améliorer l'information qui provient des différentes communautés, et ce, surtout pour appuyer la vitalité linguistique.

Le sénateur Dagenais : Je comprends donc que vous allez vous assurer que ces sommes seront bien dépensées?

Mme Joly : Nous allons travailler ensemble pour élaborer un plan de reddition de comptes de sorte que, à terme, nous puissions favoriser l'octroi d'investissements sains à notre radiodiffuseur public.

Le sénateur Dagenais : Je vous ai aperçue samedi dernier aux funérailles de Jean Lapierre, auxquelles j'ai assisté également, tout comme des représentants de toutes les classes politiques confondues. Cela m'a rappelé que Jean Lapierre dénonçait depuis des années la piètre qualité du service en français offert par Air Canada. J'ajouterais que le service en français d'American Airlines entre Montréal et Dallas est souvent meilleur que celui d'Air Canada entre Montréal et Toronto.

Que savez-vous de cette situation que je qualifierais d'inacceptable? Pouvez-vous nous assurer que vous allez agir de façon à ce qu'Air Canada respecte la Loi sur les langues officielles, et les francophones du pays?

Mme Joly : C'est un sujet qui relève des compétences de mon collègue, Marc Garneau, ministre des Transports. Il va de soi, notamment dans le cadre du nouveau projet de loi dont est saisie la Chambre, que le respect de la Loi sur les langues officielles fait partie des conditions qu'Air Canada doit respecter. Il s'agit évidemment d'un dossier qui me préoccupe et auquel j'accorderai une grande attention. C'est une chose de dire que l'on doit respecter la loi, mais c'en est une autre de bien la respecter. Je suis prête à entendre toute forme de doléances à ce sujet, et surtout de trouver des solutions afin que la loi soit respectée.

Le sénateur Rivard : Madame la ministre, bienvenue. J'aimerais revenir à votre présentation. Dans votre lettre de mandat, vous expliquez qu'il est important de toujours se rappeler que les langues officielles concernent plusieurs ministères. Vous avez raison, puisqu'elles concernent, entre autres, le ministère de la Justice.

Depuis les sept années et demie que je suis au Sénat, il y a eu des gouvernements minoritaires, il y a eu le gouvernement majoritaire de l'ancien gouvernement et, à l'heure actuelle, votre gouvernement est largement majoritaire.

Pouvez-vous me dire si, à l'occasion du 150e anniversaire de la Confédération, vous avez pensé présenter un projet de loi qui obligerait les futurs juges de la Cour suprême à s'exprimer dans les deux langues officielles? On se souvient que, malgré plusieurs tentatives, l'ancien député du NPD, Yvon Godin, n'a jamais réussi à traverser la barrière de la Chambre des communes afin que le projet de loi puisse se rendre au Sénat pour y être adopté. Je crois qu'il serait pertinent, pour souligner cet anniversaire, que l'on puisse présenter un tel projet de loi.

Mme Joly : C'est une bonne idée. Lors de la campagne électorale, nous avions mentionné qu'il s'agissait d'une priorité pour nous de nommer des juges bilingues à la Cour suprême. Encore récemment, le premier ministre l'a mentionné de nouveau. C'est un dossier que je suis de très près et sur lequel je collabore avec ma collègue, la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould. Soyez assurés qu'il s'agit d'une priorité pour nous.

Le sénateur Rivard : Je vous souhaite bonne chance pour que ce projet de loi soit adopté.

Le sénateur McIntyre : Merci, madame la ministre, de votre présentation. Je comprends qu'il s'agit de votre première comparution devant un comité sénatorial.

Mme Joly : J'ai déjà comparu devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, soit l'équivalent d'un comité sur le patrimoine canadien. Je suis très contente d'être ici.

Le sénateur McIntyre : Dès votre entrée en fonction, on vous a confié un mandat ministériel, c'est-à-dire une mission spécifique en matière de langues officielles. Parmi les engagements énoncés dans votre lettre de mandat, lesquels seront traités en priorité? Avez-vous parlé du nouveau plan sur les langues officielles dans votre allocution?

Mme Joly : Il va de soi que notre grand projet en matière de langues officielles au cours de mon mandat sera l'élaboration, non seulement d'une feuille de route, mais d'un véritable plan de match. Nous entamerons des consultations l'an prochain pour assurer la mise en vigueur de ce plan en 2018. Nous sommes en voie de finaliser la mise en œuvre du plan qui avait été préparé par l'ancien gouvernement. Entre-temps, nous avons abordé certains dossiers urgents dont on n'avait pas tenu compte dans le cadre du plan actuel, notamment en ce qui concerne la question de l'immigration, qui est primordiale. M. McCallum et moi avons siégé au comité ministériel sur les réfugiés syriens, où nous avons eu l'occasion de tenir des discussions avec les diverses communautés linguistiques en situation minoritaire sur les enjeux liés à l'intégration des réfugiés. Par la suite, nous avons rencontré le commissaire aux langues officielles. Nous nous sommes rapidement entendus pour relancer le programme dont je vous ai déjà parlé.

Malgré que la feuille de route ait ses limites, nous avons tout de même proposé certaines solutions. En tant que ministre du Patrimoine canadien, j'ai pour mission d'élaborer un nouveau plan pluriannuel d'ici 2018.

Le sénateur McIntyre : Dans votre allocution ainsi que dans vos notes, vous avez mentionné l'élaboration d'un service en ligne gratuit d'apprentissage et de maintien du français et de l'anglais langue seconde. Pouvez-vous apporter des précisions à ce sujet? Quand comptez-vous honorer cet engagement?

Mme Joly : Le premier ministre m'a demandé d'examiner divers scénarios afin de fournir un accès en ligne à des services d'apprentissage de la langue seconde. Je travaille étroitement avec Randy Boissonnault, secrétaire parlementaire, et avec l'équipe de M. Lussier et de M. Gauthier au sein du ministère du Patrimoine canadien afin de proposer divers scénarios. Au cours de l'année, nous serons en mesure de donner suite à cette responsabilité qui nous a été confiée.

La sénatrice Gagné : Dans mon ancienne vie, j'ai parfois été emballée par les plans d'action sur les langues officielles ou par le plan Dion, comme on l'a déjà appelé, ou la feuille de route. Sans vous dévoiler mon âge, j'en ai vu plusieurs. Ainsi, vous comptez présenter éventuellement un plan de match. Il faut dire que les dernières années ont été difficiles pour les communautés francophones en situation minoritaire. Il en est de même pour les communautés anglophones du Québec. Lorsqu'on examine le rapport annuel sur les langues officielles de 2012-2013 et celui de 2013-2014, on constate que les enveloppes ont diminué au cours des dernières années, à l'exception de quelques volets. Cela entraîne des répercussions importantes sur les communautés. Votre ministère at-il eu la chance d'en évaluer l'impact sur les communautés en situation minoritaire?

Mme Joly : Vous posez une très bonne question. Je donne la parole à mon sous-ministre adjoint puis, je vous ferai part de mes conclusions.

Hubert Lussier, sous-ministre adjoint, Citoyenneté, patrimoine et régions, Patrimoine canadien : Les budgets fluctuent d'année en année, mais la grande majorité des programmes axés sur les langues officielles n'ont pas subi de compressions. Les budgets ont été maintenus de façon remarquable à Patrimoine Canadien, au ministère de la Justice et au sein des agences de développement économique, et cetera. Toutefois, comme il n'y a pas eu d'indexation, l'inflation a grugé les budgets, ce qui s'est traduit par une baisse relative des revenus au sein des groupes communautaires. Tous les cinq ans, une évaluation a lieu pour l'ensemble des programmes inscrits dans la feuille de route et pour ceux de Patrimoine canadien. La dernière remonte à trois ans. Une évaluation est en cours et les résultats seront publiés dans environ 18 mois.

Mme Joly : Compte tenu de cette information et de la possibilité d'examiner l'assiette financière, j'ai voulu tout de suite aborder deux enjeux qui avaient été soulevés par les différentes organisations au chapitre de l'appui aux communautés linguistiques en situation minoritaire. Le premier enjeu porte sur le fait que les fonds octroyés par Patrimoine canadien arrivaient tard dans le cycle financier. C'était le cas pour les communautés linguistiques en situation minoritaire et pour bon nombre d'organismes dans le domaine des arts et de la culture partout au pays. En tant que ministre, j'ai environ 8 000 contributions à signer chaque année, soit 30 par jour. Aujourd'hui, j'ai une journée très chargée, et je n'aurai sans doute pas l'occasion de signer ces 30 contributions. Ce sera sans doute le même refrain toute la semaine. Donc, dimanche, j'aurai à signer environ 200 contributions se chiffrant de 1 000 $ jusqu'à 10 millions de dollars. J'ai délégué certains de mes pouvoirs aux autorités régionales dans l'ensemble du pays, qui seront responsables des contributions de 75 000 $ et moins. C'est une première dans l'histoire de Patrimoine canadien. Grâce à cette mesure, les organisations recevront leur chèque quatre à six mois plus tôt qu'auparavant, ce qui sera avantageux pour leur flux de trésorerie.

Étant donné les délais et l'incertitude, bon nombre d'organisations devaient parfois faire un emprunt pour financer leurs opérations en attendant de toucher le chèque de Patrimoine canadien. Cette délégation de pouvoirs, qui touche 90 p. 100 des contributions de Patrimoine canadien, vise également à nous permettre de travailler sur des ententes multi- annuelles jusqu'en 2018. Lorsque je me suis rendue à Whitehorse, au Yukon, j'ai eu l'occasion d'annoncer, à une organisation qui vient en aide aux femmes francophones du Yukon en situation minoritaire, une contribution étalée sur deux ans. C'est la première fois qu'une telle initiative voit le jour au sein de mon ministère. Cette délégation de pouvoirs améliore l'efficacité et la prévisibilité et, je dois avouer, atténue l'aspect un peu partisan, tout en permettant de développer la capacité de personnalisation.

À Ottawa, je ne peux pas être au courant de toutes les réalités de l'ensemble des organisations aux quatre coins du pays. Les employés de Patrimoine canadien, de l'Est ou de l'Ouest, font un travail remarquable. Ils connaissent à fond les organisations et travaillent étroitement avec eux quotidiennement. Dans un esprit de collaboration avec les fonctionnaires et dans le but d'optimiser les services offerts aux citoyens, j'ai décidé de déléguer certains de mes pouvoirs. J'essaie de m'attaquer à des enjeux réels, et je crois que mes efforts ont été salués partout au pays.

La présidente : Avant de passer au deuxième tour de questions, madame la ministre, j'aimerais préciser à nos auditeurs que le projet de loi visant à faire du bilinguisme un critère obligatoire quant à la nomination des juges à la Cour suprême a fait l'objet d'un examen au Sénat. Toutefois, il y a eu une prorogation. Le projet de loi avait été adopté à la Chambre des communes et nous l'avions reçu au Sénat. Nous en avions discuté, mais il y a eu prorogation, et le projet de loi est tombé.

Le sénateur Rivard : Comme on dit en français, il est mort au Feuilleton.

La présidente : Exactement. Madame la ministre, j'aimerais prendre l'occasion de vous poser une question. Le comité sénatorial a déposé un rapport en juin dernier, intitulé Viser plus haut : augmenter le bilinguisme de nos jeunes Canadiens. D'ailleurs, nous attendons une réponse du gouvernement suite à notre rapport. Justement, j'ai reçu copie de lettres que cinq organismes vous ont envoyées, dans lesquelles ils remercient notre comité d'avoir entrepris cette étude et appuient nos recommandations. Ces recommandations s'articulaient autour du fait que le ministère du Patrimoine canadien pourrait en faire davantage pour augmenter le niveau de bilinguisme de nos jeunes, qui n'a pas augmenté de façon proportionnelle comme nous l'aurions voulu. Je crois qu'il s'agit du taux de bilinguisme de 17 p. 100 chez les jeunes âgés de 15 à 19 ans. Ce n'est pas énorme.

Que peut-on faire pour l'augmenter? Que peut faire votre ministère pour tenter de promouvoir le bilinguisme? Je sais que nous en avons parlé un peu ce soir, mais que peut-on faire davantage?

Mme Joly : En matière de promotion du bilinguisme auprès des jeunes, il y a différentes choses : je vous ai parlé des échanges étudiants. Ce sera certainement le cas dans le cadre du 150e anniversaire du Canada. Nous avons aussi prévu, dans notre budget de 2016, des emplois d'été pour les jeunes qui visent à faire la promotion des langues officielles. Donc, voilà un autre exemple.

De plus, de façon générale, la première initiative ministérielle entreprise à la suite de notre assermentation au conseil des ministres a été l'annonce du rétablissement du long formulaire de recensement, qui est essentiel à la compréhension de la vitalité des communautés linguistiques et, notamment, à l'évaluation du taux de bilinguisme.

Cependant, je vous entends, et c'est certainement un sujet dont j'aurai l'occasion de discuter avec les différentes organisations partout au pays au cours de l'élaboration du plan pluriannuel. Cette question faisait partie des réflexions qui ont alimenté l'élaboration de notre plateforme électorale. Monsieur Dion, que vous connaissez très bien et qui est mon collègue aux Affaires étrangères, a participé à l'élaboration de cette plateforme, ainsi que mon collègue, Mauril Bélanger. Voilà comment est née l'idée de l'outil en ligne et la raison pour laquelle le premier ministre m'a donné le mandat d'étudier tous les scénarios liés à la mise en œuvre de ce projet, en fin de compte, pour améliorer l'accès en ligne à l'apprentissage des langues officielles. C'est dans cette optique que cette idée a été mise de l'avant.

Le sénateur McIntyre : J'aimerais ajouter quelque chose à cette question. Madame la présidente a évoqué notre rapport sénatorial. Cependant, il existe un deuxième rapport, si je ne m'abuse, celui du commissaire aux langues officielles, et plus particulièrement, son rapport de 2012-2013 dans lequel il demande à la ministre du Patrimoine canadien de prendre des mesures pour rehausser le niveau de bilinguisme français-anglais des Canadiens d'ici 2017. Je suis convaincu, madame la ministre, que vous avez pris connaissance de ce rapport.

Mme Joly : Oui, et voilà pourquoi je vous ai parlé de l'outil en ligne d'apprentissage des langues officielles. Cependant, je tiens aussi à vous dire que certaines enveloppes n'avaient pas encore été dépensées dans le cadre de cette fameuse feuille de route qui est présentement en vigueur. Or, mon collègue Jean-Yves Duclos, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, a récemment annoncé 3,6 millions de dollars pour appuyer différentes initiatives visant à promouvoir la vitalité linguistique des différentes communautés.

Je prends note de vos commentaires sur la question du bilinguisme. C'est une question fondamentale, qui est prioritaire, mais qui n'est pas facile. Je pense qu'il faut l'aborder avec humilité, mais aussi avec détermination. Voilà pourquoi notre gouvernement met beaucoup d'espoir dans la rédaction d'un nouveau plan de match pour appuyer la vitalité des communautés linguistiques, mais aussi pour veiller à augmenter le niveau de bilinguisme au pays.

La sénatrice Poirier : Ma question concerne le 150e anniversaire du Canada, dont vous avez déjà parlé. Dans le budget, on mentionne les célébrations internationales. Pouvez-vous nous en donner plus de détails, comme l'endroit, les coûts qui y sont associés et les participants?

Mme Joly : Le budget du 150e anniversaire de la Confédération est de 200 millions de dollars; 80 millions de dollars sont consacrés à des initiatives signature, soit des projets pancanadiens. Je vous en ai parlé un peu tantôt : il s'agit des échanges étudiants, du projet SESQUI, composé de dômes géodésiques qui se rendront dans 50 différentes collectivités à travers le pays, et qui ressemble un peu à la version 2017 du projet IMAX de 1967. Cette enveloppe est donc consacrée à des initiatives pancanadiennes.

Il y a aussi 100 millions de dollars qui sont consacrés aux initiatives communautaires. L'objectif de ce volet est de permettre à chacune des circonscriptions du pays d'élaborer un projet pour célébrer le 150e anniversaire. Par la suite, il y aura également des célébrations pour les grands événements qui auront lieu surtout à Ottawa pour célébrer la Fête du Canada.

Par ailleurs, le budget prévoit 35 millions de dollars en faveur d'une stratégie d'exportation culturelle. Dans ces circonstances, certains de ces fonds seront utilisés pour faire la promotion du 150e anniversaire à l'étranger. Cela se déroulera surtout par l'intermédiaire de nos différentes ambassades, et je travaille de concert avec mon collègue, Stéphane Dion, ministre des Affaires étrangères, sur ce dossier pour qu'il y ait une représentation à l'échelle internationale. Notre objectif est clair, et il est double : nous voulons tenter d'attirer des touristes de partout au monde, ici et sur la scène internationale, et nous voulons positionner de façon favorable la marque du Canada à travers la planète. Bien entendu, l'initiative du 150e est parfaite pour soutenir ces deux objectifs.

La sénatrice Poirier : Vous avez également mentionné que vous allez collaborer avec vos partenaires pour veiller à ce que tous les Canadiens aient la chance de prendre part aux célébrations locales, nationales et internationales. Pourriez- vous nous dire qui sont vos partenaires?

Mme Joly : Nous en avons plusieurs, qu'il s'agisse de Réalisations Inc. ou de nos partenaires pour la réalisation du projet SESQUI. Je pourrais vous en donner des centaines, parce qu'en réalité, c'est rarement Patrimoine canadien qui élabore les projets. Les projets sont présentés au secrétariat du 150e. Par exemple, dans le cas du fonds de 80 millions de dollars qui est prévu pour les projets pancanadiens, il y a jusqu'à 450 millions de dollars de projets qui ont été soumis, et nous n'avons que 80 millions de dollars à octroyer. Nous avons choisi parmi les différents projets, et c'est la même chose pour l'enveloppe de 100 millions de dollars qui est consacrée aux projets communautaires.

Nous savons que les projets soumis par des organisations de partout au pays, dans tous les coins du pays, représentent un total d'environ 500 millions de dollars. Certains de ces projets demandent des fonds qui peuvent aller de 50 000 $ jusqu'à 5 millions de dollars. De plus, nous avons fait une entente avec les fondations communautaires, qui regroupent 191 fondations dans l'ensemble du pays, pour qu'elles offrent des subventions jusqu'à un maximum de 15 000 $ afin de soutenir des petits projets partout au pays.

Notre objectif dans le cadre du 150e est d'adopter une approche ascendante pour appuyer les collectivités dans l'ensemble du pays, dans toutes les circonscriptions, de sorte à arriver à une approche beaucoup plus communautaire pour les célébrations du 150e.

La sénatrice Poirier : Est-ce que les projets ont été approuvés? Est-ce que ce processus est terminé, ou a-t-il commencé?

Mme Joly : Les projets signature pancanadiens sont presque tous approuvés. Vous comprendrez que nous avons été élus et que, rapidement, nous avons tenté de donner une nouvelle orientation aux dossiers. Nous trouvions que quatre thématiques n'étaient pas assez soutenues dans la vision de l'ancien gouvernement, comme je l'ai mentionné dans mon discours d'ouverture, soit les dossiers de la jeunesse, de l'environnement, de la réconciliation avec les peuples autochtones, et de l'inclusion et de la diversité, notamment la dualité linguistique.

Voilà pourquoi nous avons travaillé pour avoir des projets qui puissent être approuvés, mais qui respectent aussi ces thématiques. Maintenant, nous arrivons à l'étape où nous commencerons à approuver les projets communautaires, mais la période de propositions n'est pas terminée. Le but est de choisir des projets dans toutes les circonscriptions du pays, peu importe la couleur de la circonscription, et d'avoir une approche pancanadienne, non partisane, pour préparer une grande fête qui célébrera les 150 ans de notre Confédération. Nous voulons aussi avoir une approche optimiste par rapport à l'avenir pour pouvoir laisser des legs durables dans le contexte du 150e.

Le sénateur Dagenais : Je vais vous ramener sur un sujet qui était d'actualité la semaine dernière. La CBC a dénoncé votre collègue, la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, parce qu'elle ne parle pas l'anglais. J'espère que vous avez imaginé le tollé que ceci aurait provoqué chez les anglophones si un média francophone du Québec avait fait une telle sortie contre un ministre unilingue anglophone, et je crois qu'il y en a quelques-uns au sein de votre gouvernement. Est-ce que vous avez pris des mesures pour ramener à l'ordre la CBC et défendre la députée de la Gaspésie?

Mme Joly : Il est sûr que CBC/Radio-Canada, en tant que radiodiffuseur public, est indépendante. Ce n'est pas à moi de lui dire comment faire son boulot. Chose certaine, la question du bilinguisme est très importante : c'est une priorité pour notre gouvernement, et le premier ministre l'a dit à plusieurs reprises. Il y a un nombre record de ministres qui sont bilingues au sein de notre conseil des ministres. De plus, il y a une réelle volonté d'apprendre la seconde langue officielle. Je tiens à vous dire que j'ai pu constater que mes collègues souhaitent améliorer leur anglais et leur français. Je vois déjà mes collègues prendre confiance en eux peu à peu pour poser des questions en français ou répondre à des questions en français, et vice-versa. L'objectif est que, à terme, nous puissions atteindre un très haut niveau de bilinguisme au sein du conseil des ministres et du gouvernement, et de façon générale, parmi tous les élus et tous les parlementaires. C'est une question dont je discute très souvent avec mon collègue secrétaire parlementaire, mais aussi avec mes collègues parlementaires de façon générale.

La sénatrice Gagné : Madame la ministre Joly, le premier ministre vous a demandé de travailler en collaboration avec le président du Conseil du Trésor pour vous assurer que les services fédéraux soient dispensés en conformité totale avec la Loi sur les langues officielles. D'autre part, nous savons très bien que le projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public) a été déposé au Sénat par la sénatrice Maria Chaput et qu'il est maintenant à l'étape de la deuxième lecture. Je voulais savoir si vous croyez que des changements à la loi s'imposent. Le cas échéant, lesquels?

Mme Joly : C'est une conversation que j'aurai l'occasion d'avoir avec plusieurs d'entre vous, notamment avec Mme la présidente, et très bientôt, d'ailleurs. Cependant, je pense aussi qu'il y a différentes façons d'améliorer la vitalité des communautés linguistiques en situation minoritaire, et que nous pouvons aborder la question de différentes façons.

Je vous explique ce que j'ai en tête. Oui, il y a le projet de loi; cependant, j'aurai l'occasion sous peu de lancer des consultations publiques sur la façon de soutenir le contenu canadien dans l'ère numérique. J'espère que les différentes communautés linguistiques en situation minoritaire y participeront, parce que nous allons très certainement utiliser la lentille de la dualité linguistique et l'importance des communautés linguistiques en situation minoritaire. Ce qui peut être perçu, c'est que les changements en matière de consommation de l'information, liés aux nouvelles technologies, ont un impact, notamment sur les différents outils de communication utilisés par les communautés linguistiques en situation minoritaire.

C'est donc pour cette raison que nous voulons adopter une approche plus globale et examiner cette question. En outre, j'ai eu l'occasion de prendre connaissance du projet de loi, et je serai heureuse d'en parler un peu plus longuement avec mes collègues.

La sénatrice Fraser : D'abord, j'aurais une petite remarque. Avec tout le respect que je dois à mon collègue, ne touchez jamais au contenu journalistique de CBC/Radio-Canada.

Maintenant, je vais continuer à prêcher pour ma paroisse. Nous sommes là pour cette raison, entre autres. Vous savez sans doute que même s'il y a à peu près autant d'anglophones au Québec que de francophone dans le reste du pays, les anglophones du Québec reçoivent au dernier mot environ comme 13 p. 100 du budget fédéral consacré au financement des communautés minoritaires. Est-ce qu'on peut raisonnablement espérer une amélioration de cette immense disproportion? Surtout pas en coupant le budget qui est octroyé aux francophones, mais bien en augmentant la tarte.

Mme Joly : Dans le cadre de mes consultations publiques pour la rédaction de la feuille de route, mon objectif est de comprendre les besoins, mais de dégager aussi les meilleures solutions pour soutenir la vitalité des communautés, y compris la communauté anglophone qui est en situation minoritaire au Québec. Donc, pour moi il ne s'agit pas nécessairement d'une promotion de l'anglais, mais de la vitalité linguistique des communautés. C'est pourquoi je serai heureuse de rencontrer les organisations, notamment le Quebec Community Groups Network. De façon générale, je désire comprendre comment nous pouvons soutenir la communauté, qu'il s'agisse d'appui, par exemple, à la production cinématographique, ou d'appui aux communications, dans différents programmes. En outre, je suis très certainement ouverte à ces questions, dont j'ai aussi eu l'occasion de discuter avec différents homologues québécois, tels des ministres au sein du gouvernement québécois.

La présidente : Merci. Madame la ministre, comme il n'y a pas d'autres questions de la part des sénateurs, je tiens à vous remercier, ainsi que vos collègues, de votre générosité et d'avoir accepté de comparaître devant le comité. C'était votre première visite, mais je sais que ce ne sera pas la dernière.

Mme Joly : J'en suis convaincue.

La présidente : Je peux vous dire que, d'après vos commentaires de ce soir, nous voyons déjà en vous une alliée des communautés de langues officielles en situation minoritaire. Nous le voyons dans les initiatives que vous avez entreprises et les actions concrètes que vous avez menées avec vos collègues, dont nous vous remercions. Nous sommes heureux d'avoir une alliée, et ce dont nous avons surtout besoin, c'est d'une championne.

Merci, madame la ministre, d'avoir été avec nous ce soir. Chers collègues, la séance est levée.

(La séance est levée.)

Haut de page