Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 26 - Témoignages du 24 septembre 2018


OTTAWA, le lundi 24 septembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit à huis clos aujourd’hui, à 17 h 4, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs), puis en séance publique, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Bonsoir, je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, notamment le troisième volet qui porte sur la perspective des personnes ayant vécu l’évolution de la loi.

Nous avons le plaisir d’accueillir Linda Cardinal, professeure et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa. Elle est accompagnée de Bernadette Sarazin, copropriétaire de Brio Stratégies inc., une firme d’experts-conseils.

Avant de passer la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Poirier : Bonsoir. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Bienvenue, mesdames. Madame Cardinal, la parole est à vous.

Linda Cardinal, professeure et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques, Université d’Ottawa, à titre personnel : Monsieur le président, chers sénatrices et sénateurs, merci de m’avoir invitée à témoigner dans le cadre de l’exercice en cours de consultation sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Avant de vous présenter la synthèse des propos qui ont été élaborés dans le mémoire, j’aimerais vous informer que deux personnes n’ont malheureusement pu assister à la réunion ce soir. On vous a déjà présenté Mme Bernadette Sarazin, qui a aussi été l’une des porte-parole du mouvement en faveur du bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa. Les personnes qui n’ont pu être présentes ce soir sont Mme Soukaina Boutiyeb, présidente de l’Association des communautés francophones d’Ottawa et l’une des signataires du mémoire, et mon collègue, François Larocque, professeur à la faculté de common law de l’Université d’Ottawa, avec qui j’ai collaboré à la rédaction de ce mémoire. Il est aussi titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques.

Comme l’a dit le président du comité, je suis professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Je suis titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques depuis 15 ans. Le domaine des politiques linguistiques fait partie de mes spécialisations de recherche, notamment la politique en matière de langues officielles du gouvernement fédéral, tout comme les politiques linguistiques dans les provinces, comme le Nouveau-Brunswick, et à l’échelle locale.

Alors, je me réjouis de comparaître devant vous aujourd’hui, car le thème que je veux aborder n’a pas encore été présenté dans le cadre de vos délibérations. C’est la question des responsabilités du gouvernement fédéral en matière de langues officielles pour la capitale nationale ou la capitale fédérale, en particulier en ce qui a trait à la ville d’Ottawa.

Nous savons tous que le gouvernement du Canada a un rôle à jouer pour favoriser la progression de l’égalité du français et de l’anglais dans la région de la capitale nationale et à Ottawa. De plus, on a constaté que, dans le Plan d’action sur les langues officielles qui a été publié au printemps dernier, 2,5 millions de dollars ont été accordés à la promotion du français et de l’anglais dans la capitale nationale et pour refléter le caractère bilingue de la ville d’Ottawa.

Comme je l’ai indiqué dans le mémoire, il y a des instruments juridiques qui existent pour encadrer le rôle des différentes juridictions en ce qui a trait au bilinguisme de la ville d’Ottawa. À l’échelon fédéral, je cite la partie IV de la Loi sur les langues officielles qui porte sur le droit du public de communiquer avec tout bureau d’une institution fédérale située dans la capitale nationale dans la langue officielle de son choix. Il y a aussi la Loi sur le ministère du Patrimoine canadien, tout de même plus récente, qui contient une référence à l’égalité du statut des langues officielles du Canada.

À l’échelon provincial — peut-être que vous êtes au courant —, en 2017 la province de l’Ontario, le législateur ontarien, a adopté le projet de loi no 177, qui reconnaît officiellement le caractère bilingue de la ville d’Ottawa.

Il y a aussi la ville d’Ottawa qui est désignée bilingue en vertu de la Loi sur les services en français.

Voilà ce qui résume le cadre juridique. Les outils et les instruments dont on bénéficie en ce moment, comme vous pouvez le voir, sont éparpillés, notamment à l’échelon fédéral, dans différentes lois ici et là.

Nous croyons donc qu’il faudrait profiter de l’exercice en cours pour renforcer ce cadre juridique intergouvernemental afin de mieux refléter l’importance singulière du caractère officiel de l’égalité du français et de l’anglais dans la région de la capitale nationale et la ville d’Ottawa. C’est en partie pour cette raison, mais aussi parce que la ville d’Ottawa revêt une importance symbolique pour la population canadienne et pour les visiteurs et les étrangers qui viennent nous visiter. Parce qu’on est dans la capitale du pays, et on sait que le gouvernement fédéral dans sa Constitution a fait de l’égalité du français et de l’anglais une des valeurs fondamentales de la société canadienne.

Alors, dans notre mémoire, nous avons proposé trois types de modifications qui pourraient faire partie d’une section particulière à ajouter à la loi existante sur les langues officielles. Dans un premier temps, cette nouvelle partie qui serait ajoutée à la loi servirait à intégrer les différents instruments juridiques que je viens de mentionner et à souligner leur complémentarité avec les instruments juridiques de la province et les instruments réglementaires de la ville d’Ottawa. Il s’agit de mieux refléter la collaboration intergouvernementale nécessaire à la réalisation des objectifs de la Constitution du Canada en matière de langues officielles.

Donc, c’est une dimension importante visant à réaffirmer le cadre juridictionnel, à l’intégrer, à reconnaître les cadres de tout le monde et à développer une collaboration intergouvernementale. En faisant cela, on pourrait consacrer une fois pour toutes l’égalité du français et de l’anglais dans la région de la capitale nationale et de la ville d’Ottawa. C’est une façon aussi de compléter l’intégration des régimes linguistiques qui sont distincts selon les ordres de gouvernement et leurs paliers, mais aussi de renforcer leur complémentarité.

Enfin, ce serait une façon d’encadrer de façon claire, cohérente et compréhensive dans un seul texte législatif l’égalité du français et de l’anglais dans la capitale nationale et la ville d’Ottawa. On convient que le gouvernement fédéral est bien placé, sinon le mieux placé pour s’assurer du caractère linguistique et culturel de la région de la capitale nationale et de la ville d’Ottawa, parce que le gouvernement fédéral a une compétence qui s’étend à l’ensemble de la région de la capitale nationale. C’est le premier type de modifications principalement d’ordre juridictionnel.

Par conséquent, le deuxième type de modifications, si l’on veut se doter d’un cadre, c’est que le gouvernement fédéral pourrait se donner une politique linguistique pour la région de la capitale nationale et la ville d’Ottawa. Il est le seul à ne pas en avoir. Cette politique linguistique pourrait être mise en œuvre en collaboration avec l’ensemble des parties prenantes, conformément à cette idée qu’il faut une collaboration intergouvernementale. Elle pourrait aussi être mise en œuvre avec les parties prenantes qui sont les groupes francophones et francophiles qui travaillent dans la région d’Ottawa.

Cette politique exprimerait clairement l’engagement et le rôle du gouvernement fédéral quant à la question de l’égalité linguistique dans la région de la capitale fédérale et la ville d’Ottawa. Cette politique encadrerait de manière cohérente les activités qui sont du ressort du gouvernement fédéral et qui sont conçues pour promouvoir l’égalité du français et de l’anglais dans la région de la capitale nationale et la ville d’Ottawa. Il y aurait donc un cadre juridictionnel et une politique linguistique.

La troisième partie des modifications propose une disposition qui traiterait spécifiquement de l’obligation du gouvernement canadien de faire une offre active de services en français et en anglais au sein de la capitale nationale et de la ville d’Ottawa. L’offre active, on en a souvent parlé autour de cette table. Il pourrait s’agir de l’offre active de services en français à l’aéroport d’Ottawa. C’est un très bon exemple où le gouvernement fédéral pourrait exercer une plus grande vigilance. Il pourrait être question aussi des restaurants et des commerces dans un espace commercial qui appartient à la Commission de la capitale nationale. On pense, entre autres, aux commerces et aux restaurants situés dans le marché By, à Ottawa.

Monsieur le président, chères sénatrices, chers sénateurs, je n’ai pas besoin de vous rappeler que l’égalité du français et de l’anglais constitue une caractéristique fondamentale de notre pays. Il y a 50 ans, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme soulignait qu’il revenait au gouvernement fédéral de porter le message haut et fort de l’importance singulière que revêt l’égalité du français et de l’anglais dans notre capitale nationale et dans la ville d’Ottawa.

La modernisation que vous êtes en train d’entreprendre et les consultations que vous avez lancées nous donnent enfin une occasion unique de compléter ce projet inachevé et de le mettre à jour afin de permettre aux générations futures de continuer à être fières de leur capitale nationale. Merci beaucoup

Le président : Je vous remercie, madame Cardinal.

Nous allons maintenant passer à une période de questions. Je rappelle la consigne donnée aux membres du comité. Chaque sénateur aura cinq minutes par intervention, ce qui inclut la réponse des témoins. Je vous invite à être succincts dans vos réponses pour faire en sorte que chacun puisse poser ses questions et recevoir une réponse.

La sénatrice Poirier : Merci d’être ici. J’ai quelques questions. Le mémoire de l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) propose que la loi reflète l’égalité du français et de l’anglais de la région de capitale nationale et la ville d’Ottawa, comme vous l’avez dit. Avez-vous eu la chance de discuter de votre mémoire avec le gouvernement fédéral, soit la ministre Joly, le ministre Brison ou le ministre Rodriguez? Si oui, quelle a été leur réaction ou quelle est leur position sur cette question?

Mme Cardinal : Je vous remercie de votre question. Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps de discuter avec les trois ministres en question. Le comité du Sénat pourrait très bien être le porteur de ce message auprès de ces personnes. Bernadette Sarazin et moi avons rencontré un groupe d’organismes francophones de la région d’Ottawa, qui avait été très présent dans le mouvement Ottawa bilingue. En juin dernier, avant que nous décidions de préparer le mémoire, nous avons eu une rencontre avec Mme Fortier, qui était directrice des communications au bureau de Mme Joly à l’époque. Nous avons eu une première rencontre pour discuter de la façon dont nous allions nous concerter pour mieux concrétiser les objectifs du plan d’action pour la ville d’Ottawa.

Ensuite, nous avons parlé à la FCFA et nous avons demandé s’il y avait des gens qui avaient pensé que la ville d’Ottawa pouvait constituer une partie singulière d’une nouvelle loi sur les langues officielles. Les gens nous ont répondu que non. Durant l’été, nous n’avons pas osé déranger les ministres puisqu’eux-mêmes vivaient des restructurations assez importantes.

Dès maintenant, il serait judicieux, dans le cadre de vos délibérations, d’aller de l’avant et de rencontrer ces personnes. Je vous invite également à parler de ce dossier dans votre rapport en en mentionnant l’importance et en recommandant qu’il fasse partie d’une nouvelle loi sur les langues officielles. Je crois que cela pourrait être un effort collectif. Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Poirier : Comme organisation, avez-vous l’intention d’essayer de les rencontrer pour avoir leur position à ce sujet?

Mme Cardinal : Je viens ici comme professeure, je ne représente pas un organisme. Je ne suis ni la présidente ni la représentante de l’ACFO. Par contre, étant membres du réseau qui porte ce dossier sur ses épaules depuis les cinq dernières, nous sommes en dialogue avec Patrimoine canadien et, maintenant, avec le ministère des Langues officielles. Nous attendons d’avoir de nouvelles rencontres avec la direction des communications pour voir comment nous pourrions aller de l’avant sur le plan de la concertation sur le terrain.

Néanmoins, ce que nous présentons aujourd’hui va au-delà des activités et des actions que nous pourrions entreprendre. J’aimerais que les questions dont nous parlons aujourd’hui soient reprises dans votre document et qu’elles soient étudiées sérieusement par le comité, puisque c’est une occasion de réfléchir sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Sénatrice Poirier, si vous pouviez rencontrer ces trois ministres aisément et rapidement, nous vous en serions reconnaissants. Je pense que cela fera partie de vos plans, puisque nous savons maintenant que le premier ministre s’est engagé à voir à la modernisation de la loi. Donc, nous comptons sur vous. De notre côté, nous ferons le travail nécessaire pour discuter de cette question auprès de ces gens.

Le sénateur McIntyre : Merci, madame Cardinal, d’être présente parmi nous ce soir pour répondre à nos questions.

Les investissements prévus dans le Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023sont-ils suffisants pour soutenir le caractère bilingue de la capitale nationale, et pourquoi?

Mme Cardinal : Cela représente 500 000 $ par année, ce qui peut aider à financer des activités ou de la concertation. J’aimerais que le gouvernement fédéral, en collaboration avec la Ville d’Ottawa, fasse une étude bien succincte afin de déterminer ce qui serait nécessaire pour pérenniser les langues officielles dans la région de la capitale fédérale. C’est un exercice qui revient au gouvernement. Dans le plan d’action, nous avons été ravis de constater qu’un montant de 2,5 millions de dollars sur cinq ans a été prévu. Néanmoins, le montant de 500 000 $ peut être vite dépensé. Qui plus est, les groupes qui ont œuvré pour promouvoir le bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa l’ont fait bénévolement; nous n’avions pas les ressources financières pour le faire. L’ACFO travaille avec presque rien. Si nous pouvions verser un financement garanti et récurrent à des groupes, cela permettrait de pérenniser le français dans la ville d’Ottawa. Ces groupes sont en mesure de chiffrer les montants dont ils ont besoin.

Ensuite, certaines initiatives pourraient être pérennisées. Nous devons avoir une meilleure compréhension de ce que cela représente financièrement. Il y a des coûts au bilinguisme, mais quand on commence à creuser, on découvre que ce n’est pas si dispendieux. De plus, les enjeux liés à la traduction nécessitent du financement. En outre, nous savons que le gouvernement fédéral était en pourparlers avec la Ville d’Ottawa pour voir comment nous pourrions aider à financer et à améliorer la prestation des services. Cependant, tout cela est suspendu. J’aimerais voir une étude sérieuse qui indiquerait les montants nécessaires pour financer des activités et des initiatives.

Il est tout de même étonnant que tout se fasse en anglais au marché By. Pour les gens de l’extérieur, Ottawa est une capitale bilingue, et le marché By est l’un des premiers endroits qu’ils visitent. Où est le bilinguisme? Je crois que le montant de 2,5 millions de dollars est un point de départ et non un point d’arrivée. J’espère que ce sera récurrent et permettra de développer davantage une réflexion sur nos besoins financiers.

Le sénateur McIntyre : Dans votre mémoire et dans votre présentation, vous soulevez la question de l’offre active des services. En quoi la nouvelle disposition sur l’offre active de services en français et en anglais serait-elle différente de celle qui est prévue à la loi?

Mme Cardinal : Celle qui apparaît déjà dans la loi concerne l’ensemble du pays. Elle pourrait être plus précise. Je crois que la FCFA a demandé qu’elle soit précisée. Nous parlons d’une disposition spéciale qui précise l’obligation du gouvernement de faire de l’offre active dans la région de la capitale nationale et dans la ville d’Ottawa. Il y a un enjeu particulier à Ottawa : c’est la capitale nationale. Nous savons que cette offre active a été démontrée, à deux reprises, par d’anciens commissaires aux langues officielles, soit Dyane Adam et Graham Fraser. Ce dernier pourra en parler également dans le cadre de son témoignage.

Cette offre active n’est pas réelle. Les gens n’en comprennent peut-être pas la signification. Le caractère d’une capitale bilingue doit être reflété dans tout son fonctionnement; il y a l’offre active de services en français dans les institutions fédérales et l’offre active dans les institutions fédérales où il y a des commerces. Il vaudrait la peine d’avoir une disposition précise pour marquer justement le caractère particulier de l’action gouvernementale dans la ville d’Ottawa. Cela se situe, je crois, à part de là où on parle des services fédéraux un peu partout à travers le pays. Même là, comme vous le savez, il y a des améliorations importantes à faire. Comme nous savons que plusieurs plaintes proviennent de la région d’Ottawa, nous pourrions profiter de cette occasion pour examiner celles-ci de façon particulière.

La sénatrice Moncion : Merci de votre témoignage, il est toujours intéressant de vous entendre.

Il a fallu l’adoption du projet de loi no 177 du gouvernement de l’Ontario pour reconnaître le caractère bilingue de la capitale nationale. Vous parlez de la mise en place d’une politique linguistique et de l’offre active. Il y a tellement longtemps qu’on travaille sur ces changements qu’on veut apporter. C’est comme si on donnait des coups d’épée dans l’eau, ne pensez-vous pas? Pourquoi résiste-t-on autant à l’idée d’une capitale bilingue? Comment mettre en œuvre la politique de bilinguisme à Ottawa? Il y en a une, elle est connue de tous, mais rien n’est fait pour la mettre en application.

Mme Cardinal : Je vous remercie de votre question.

En ce qui a trait aux coups d’épée dans l’eau, je crois que le fait de formaliser et de consacrer une mesure dans un contexte juridique ne peut pas être considéré comme un coup d’épée dans l’eau. Je ne suis pas juriste, mais je travaille beaucoup avec des juristes et je crois que, en général, on s’entend pour dire que l’instrument juridique est très important. C’est ce qui permet d’insuffler du dynamisme dans les autres instances. Par contre, c’est connu, on a besoin de leadership. On a besoin de gens à la tête des ministères, des gouvernements, qui sont capables de faire avancer les choses.

Dans notre système politique, le leadership peut faire sauter la résistance. Nous avons également besoin de collaboration entre les groupes, de consultations, d’un dialogue constant. La ville d’Ottawa a terriblement souffert de ce manque, c’est-à-dire avec des groupes qui, souvent, n’ont pas les reins solides, manquent de financement et traitent avec des élus qui n’ont pas toujours le temps, ou l’intérêt de se préoccuper de cette question. Si le leadership n’est pas là, on peut avoir l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau, mais à tout le moins, on a les instruments juridiques. Il s’agit de les utiliser.

La politique linguistique que nous proposons est un instrument supplémentaire. Évidemment, on ne peut faire appel qu’à la vertu; il faut du financement et du leadership. Nous dépendons de comités comme les vôtres, des comités de la Chambre des communes et du premier ministre. Les ministres responsables doivent être en mesure d’offrir des incitatifs et des mécanismes. Ils doivent nous convaincre qu’ils veulent donner un coup, qu’ils veulent faire avancer et parachever ce projet. C’est comme ça, quand tout le monde se met ensemble.

Ensuite, il faut une collaboration intergouvernementale et intercommunautaire. Je crois que c’est important. À la Ville d’Ottawa, il se met en place des instances pour voir au développement économique, au tourisme, et cetera. Évidemment, la question de l’égalité du français et de l’anglais est transversale à toutes ces initiatives, mais il y a aussi le besoin de prévoir une meilleure concertation entre les différentes instances, pour que, justement, on puisse faire avancer, ensemble, cette politique linguistique. Le gouvernement fédéral doit y jouer un rôle. C’est bien qu’il ait investi 2,5 millions de dollars dans le financement des activités, sauf qu’il ne peut pas le faire sans affirmer son leadership.

La sénatrice Moncion : Vous me donnez une idée pour la prochaine étude du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Mme Cardinal : Je pourrai la faire pour vous, si vous voulez.

La sénatrice Gagné : Premièrement, j’aimerais vous féliciter pour le travail que vous faites. J’aime lire ce que vous publiez. Cela nourrit nos réflexions et notre travail. Merci beaucoup.

Pour revenir à cette question de la nouvelle disposition, où retrouverait-on dans la loi cette nouvelle disposition? En outre, comment assurer la cohérence entre cette nouvelle disposition, la partie IV et la partie VII? Y aurait-il lieu de prendre des règlements quant à la partie VII pour assurer cette cohérence?

Mme Cardinal : Je vous remercie. C’est le plus beau compliment que puisse recevoir un universitaire, lorsqu’il apprend que ses textes ne sont pas lus uniquement par des étudiants parce que c’est obligatoire.

Cette nouvelle disposition dans la loi pourrait être une section complète. On ajouterait une autre partie. Je ne sais trop à quel chiffre vous êtes rendus, mais on pourrait en ajouter un. Dans notre mémoire, on vous donne ce qu’il faut pour cette partie. Cette partie s’imbrique avec les autres parties. Elle est cohérente avec les autres parties. Elle n’invente rien par rapport aux autres parties. Elle s’intègre, elle est organique. Elle doit aussi être interprétée de façon organique dans son ensemble.

Tout d’abord, l’objectif de la Loi sur les langues officielles, c’est de favoriser l’égalité et la promotion du français et de l’anglais. Cette nouvelle disposition doit donc s’interpréter en fonction de cet objectif qui est de favoriser la progression.

Ensuite, quant à la partie VII, celle qui porte sur le développement et l’épanouissement des communautés de langue officielle, elle pourrait être considérée comme une mesure positive. La nouvelle disposition peut donc s’interpréter facilement à la lumière de la partie VII aussi. C’est une façon de concrétiser l’engagement du gouvernement fédéral, de voir au développement et à l’épanouissement des communautés de langue officielle ou des communautés en situation minoritaire.

À Ottawa, il y a tout de même une minorité francophone. On peut donc voir qu’il y a un arrimage ici. De plus, quand on dit que cette partie doit donner lieu à une collaboration, à des consultations, cela s’arrime très bien avec la partie VII encore une fois, qui promeut la collaboration.

Enfin, si jamais, dans une nouvelle loi sur les langues officielles, il y avait l’obligation de consulter la population — ce qui, je l’espère, est une chose que vous allez recommander —, cela s’arrimerait encore très bien. Dans la partie IV, l’exigence liée à l’offre active va s’arrimer aussi avec la même exigence prévue dans la nouvelle partie. C’est tout simplement une obligation particulière plus précise pour la région de la capitale et la ville d’Ottawa.

La sénatrice Gagné : Plus tard, je vous demanderai peut-être de nous en dire davantage sur la cohérence qui, semble-t-il, n’existe pas entre la partie IV et la partie VII.

Cependant, pour l’instant, j’aimerais savoir qui doit être responsable de la mise en œuvre de cette nouvelle disposition, selon vous.

Mme Cardinal : Qui est responsable de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles? Il y a des responsabilités qui reviennent au Conseil du Trésor, d’autres, à la ministre des Langues officielles et de la Francophonie et, peut-être, au ministre du Patrimoine canadien. C’est à préciser. J’avais apprécié votre article sur cette question, d’ailleurs.

Il y a des responsabilités qui reviennent à la ministre de la Justice, sauf qu’elles ne sont pas encore précisées dans la loi. On sait qu’elle a des responsabilités en matière de langues officielles, et ces responsabilités pourraient aussi être précisées dans une nouvelle loi.

À qui revient la responsabilité de la disposition que nous proposons? Moi, j’ai l’impression que cela doit revenir à plusieurs personnes, c’est-à-dire au ministre du Patrimoine canadien, à la ministre des Langues officielles, et peut-être un peu au Conseil du Trésor en ce qui concerne l’offre active. J’aimerais voir ces gens travailler ensemble, et non en silos. Malheureusement, au sein du gouvernement, beaucoup de démarches se font en silos. Pour être mise en application, cette disposition exige la collaboration entre les gens qui ont des responsabilités en matière de langues officielles et la collaboration entre les gouvernements.

Bien sûr, on pourrait très bien dire que telle partie, selon la façon dont elle est intégrée, doit revenir au ministre responsable des langues officielles et que cette autre partie doit relever de la responsabilité du ministre du Patrimoine canadien. Étant donné que la responsabilité de la Commission de la capitale nationale est confiée au ministère du Patrimoine canadien, cette question revient peut-être à ce ministère. Toutefois, comme il y a eu des changements importants l’été dernier, j’ai l’impression que c’est encore à préciser. Il faudrait y réfléchir davantage.

Le président : Je vous remercie, et j’ai permis que vous dépassiez la fameuse période de cinq minutes qui vous était accordée.

Mme Cardinal : C’est parce qu’il restait 40 secondes au témoin précédent.

Le président : D’accord, très bien; vous êtes cohérente d’un bout à l’autre.

La sénatrice Mégie : Je reprends la question de la sénatrice Moncion par rapport au projet de loi no 177 qui a été adopté par le gouvernement de l’Ontario. Il y a environ un an, une chose m’avait étonnée alors que j’étais jeune sénatrice; j’avais été invitée par un groupe qui se disait un groupe de pression en faveur d’une ville d’Ottawa bilingue. Cela m’avait étonnée, car je tenais pour acquis que la ville d’Ottawa était bilingue. C’est là que j’ai appris toute la réticence qu’il y avait face au fait que la ville d’Ottawa devienne bilingue. Maintenant, j’apprends que le projet de loi no 177 du gouvernement de l’Ontario l’y obligeait.

Croyez-vous que c’est seulement par manque de volonté politique? Vous avez parlé du leadership d’un groupe; ce groupe m’avait l’air de foncer beaucoup pour y arriver. Alors, à part son leadership, s’il y avait une volonté politique de la part de tous les acteurs que vous venez de citer, pensez-vous que ce serait suffisant ou faudrait-il incorporer autre chose dans la loi pour forcer les choses?

Mme Cardinal : Merci de votre question. Je pense qu’il est important de préciser que, au Canada dans son ensemble, on veut rarement parler des langues officielles, car on a toujours l’impression que lorsqu’on parle des langues officielles, on touche à des cordes sensibles et qu’il y a des gens qui portent des blessures linguistiques, et cetera. On le voit en ce moment dans le cadre de la campagne électorale au Nouveau-Brunswick — nul besoin de vous faire un dessin —, alors que le besoin se fait sentir pour que soit effectué un changement de discours important sur les langues officielles au Canada dans son ensemble, y compris à Ottawa.

Au Canada, on dit que la Loi sur les langues officielles a été adoptée parce que les Québécois étaient un peu militants, qu’ils voulaient se séparer et que c’est un enjeu national. Maintenant que nous avons adopté la Loi sur les langues officielles, que nous avons pacifié le Canada, nous disons que le problème est réglé.

Le problème n’est pas réglé, il ne fait que commencer. Il faut l’appliquer, cette loi. On adopte une loi qui est une politique publique, mais on ne la traite pas comme une politique publique. On a adopté plusieurs lois dans des domaines identitaires. Je dis souvent qu’il y a des politiques publiques de type identitaire au Canada, tout comme dans d’autres pays, telles les politiques d’égalité entre les hommes et les femmes, les politiques contre le racisme, les politiques sur le multiculturalisme, les politiques sur la diversité et les politiques linguistiques. Ce sont toutes des politiques de type identitaire qui invitent à une introspection et à une réflexion sur notre façon de vivre ensemble.

En matière de langues officielles, nous considérons toujours cette politique comme un coût et jamais comme une valeur ajoutée. On ne la considère jamais comme quelque chose d’important pour notre pays, tel un levier qui permet d’aller plus loin en tant que communauté, en tant que société.

À la ville d’Ottawa, Mme Sarazin a été très présente au sein du mouvement dont vous parlez, et moi aussi. Nous nous sommes butées à des arguments comme celui-ci : « Là, vous voulez nous imposer des choses; vous allez nous coûter plus d’argent. »

Nous avons toujours voulu désamorcer ce genre de discours pour indiquer que, en fait, à quoi sert-il de valoriser le monolinguisme? Depuis quand est-on fier d’être monolingue? Ce que nous voulons, c’est promouvoir la diversité, mais la diversité passe par la langue et elle s’énonce en français et en anglais au Canada. J’aimerais que mon premier ministre le dise; j’aimerais que tous les leaders politiques le disent. C’est fondamental dans notre société, surtout dans une société caractérisée par une grande diversité comme la nôtre. On compte aussi des diversités profondes; on parle aujourd’hui des peuples des Premières Nations. C’est aussi la même chose. Il faudrait arrêter de voir les langues officielles comme une menace. C’est une politique qu’il faut faire vivre, qu’il faut nourrir, qu’il faut faire fructifier et qui peut produire des résultats très intéressants. Elle permet à des gens de mieux vivre ensemble.

La sénatrice Mégie : Merci.

Le sénateur Maltais : Bienvenue, mesdames Cardinal et Sarazin.

Je vous ai écoutée avec attention, parce que le débat afin que la Ville d’Ottawa devienne bilingue s’est passé ici. La sénatrice Poirier se souviendra que, il y a quatre ou cinq ans, avec les sénatrices Chaput, Charette-Poulin, Tardif et Duplessis, le Comité sénatorial permanent des langues officielles avait été le premier à en faire la demande. On a failli se faire croquer vivant, mais on a tout de même fait la demande. Nous n’avions pas reçu une réponse positive à l’époque, mais cela s’est fait.

Je retiens deux choses : il y a une loi, et la Ville d’Ottawa s’est déclarée ville officiellement bilingue. Il s’agit bien de la capitale nationale, mais est-ce qu’on peut vraiment faire entrer une loi dans la tête des gens? Non. Il suffit de vivre à Ottawa quatre ou cinq jours par semaine pour s’apercevoir que la rue Wellington n’est pas la rue Saint-Jean. Le bilinguisme est une question d’attitude pour ceux qui doivent l’adopter. Je pense qu’une très grande majorité des gens de la ville d’Ottawa n’adoptent pas cette attitude. Ce phénomène n’est pas unique à Ottawa; il se retrouve dans l’ensemble du Canada. Nous avons des collègues des deux côtés de la Chambre qui sont ici depuis plusieurs années, et ils ne sont toujours pas capables de dire bonjour en français; pourtant, ils le devraient.

Lorsque l’ancien commissaire aux langues officielles, mon ami Graham Fraser, était journaliste sur la Colline du Parlement, il n’y avait à peu près que lui qui parlait anglais. Nous avons appris de lui; nous lui avons appris le français et il nous a appris un peu l’anglais. Il s’agissait là d’une saine collaboration.

Si l’Ontario disposait du même budget que le Nouveau-Brunswick — qui est officiellement une province bilingue, puisque c’est enchâssé dans la Constitution canadienne — pour appliquer la Loi sur les langues officielles, seriez-vous satisfaite?

Mme Cardinal : Moi, satisfaite?

Le sénateur Maltais : Je vous pose la question.

Mme Cardinal : Pouvez-vous répéter la question?

Le sénateur Maltais : Si la Ville d’Ottawa disposait du même budget que celui que le ministère du Patrimoine canadien verse aux mesures liées au bilinguisme au Nouveau-Brunswick, seriez-vous satisfaite?

Mme Cardinal : Vous parlez du budget que le ministère du Patrimoine canadien octroie au Nouveau-Brunswick?

Le sénateur Maltais : Oui.

Mme Cardinal : Moi, je vois dans le plan d’action qu’il y a eu des investissements de l’ordre de 1 milliard de dollars pour les langues officielles, mais je ne dispose pas de données pour le Nouveau-Brunswick, puisque la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick est une responsabilité du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Bien sûr, il y a des paiements de transfert.

Le sénateur Maltais : Les francophones du Nouveau-Brunswick sont protégés par la Constitution, parce que le bilinguisme est enchâssé dans la Constitution. Mais l’autre ville bilingue — à ma connaissance, il n’y a pas d’autre ville déclarée bilingue au Canada, à part Ottawa.

La sénatrice Moncion : Oui, il y en a.

Mme Cardinal : Au Nouveau-Brunswick, les villes sont bilingues.

Le sénateur Maltais : En Ontario, combien y a-t-il de villes officiellement bilingues?

La sénatrice Moncion : Je ne sais pas.

Bernadette Sarazin, copropriétaire, Brio Stratégies Inc. : Une vingtaine, je pense.

Le sénateur Maltais : Quel budget ces villes reçoivent-elles du ministère du Patrimoine canadien pour mettre en application le bilinguisme sur leur territoire? C’est important, ça.

Mme Cardinal : C’est important, mais la ville d’Ottawa — malgré tout le respect que j’ai pour le Nord de l’Ontario — ce n’est pas la ville de Sudbury ni celle de Hearst. Ce n’est pas la ville de Saint-Boniface. La ville d’Ottawa, c’est la capitale du pays. Ce n’est pas la même chose. On ne parle pas du même type de ville.

Le sénateur Maltais : Là, on se comprend. Depuis combien d’années Ottawa a-t-elle été déclarée bilingue? Deux, trois ans? Un an?

Mme Cardinal : Non, non. Il y a une politique...

Le sénateur Maltais : Un an officiellement. C’est la capitale du pays. Il a longtemps qu’elle aurait dû être bilingue, nom de Dieu!

Mme Cardinal : Mais ça fait longtemps...

Le sénateur Maltais : Depuis 1867, elle aurait dû être bilingue. Depuis la fondation du Canada. On a du retard à reprendre. Quels sont les moyens pour rattraper ce retard et quels en seront les coûts pour la ville et le gouvernement fédéral, qui, lui, a la responsabilité ultime? Les seuls gardiens du bilinguisme au Canada, à l’heure actuelle, ce sont les tribunaux.

Le président : Nous passons maintenant au deuxième tour de questions.

La sénatrice Poirier : Ma deuxième question porte surtout sur la mise en œuvre de la loi. Il s’agit d’un enjeu dont on entend parler de plus en plus souvent lors de nos audiences. Selon vous, la responsabilité de la mise en œuvre devrait-elle appartenir au Conseil du Trésor, au Bureau du Conseil privé ou à Patrimoine canadien?

Mme Cardinal : Vous parlez de la loi en général?

La sénatrice Poirier : Oui.

Mme Cardinal : Je parle davantage d’Ottawa en ce moment.

Pour ce qui est de la loi, en général, la FCFA a fait une présentation selon laquelle les responsabilités devraient relever davantage du Conseil du Trésor, et cetera.

Peu importe qui a la responsabilité, l’enjeu, c’est qu’elle soit mise en œuvre. C’est très important. En ce moment, des discussions ont lieu. Certains disent que cela devrait relever du Conseil du Trésor, alors que d’autres disent que c’est bien comme ça en ce moment. Il y a eu des changements apportés par Mme Joly. Il faudra clarifier qui fait quoi. La modernisation sera une bonne occasion de le faire. Lorsque j’examine les difficultés posées par la Loi sur les langues officielles, peu importe qui en est responsable. L’important, c’est qu’elle soit mise en œuvre.

La sénatrice Poirier : Que pensez-vous du poste de ministre des Langues officielles, qui vient d’être créé et qui n’est pas reflété dans la loi actuelle?

Mme Cardinal : Le texte de la sénatrice Gagné était très bon dans l’immédiat.

Il y a là une situation un peu flottante. Il y a eu un changement de responsabilités. Mme Joly a des responsabilités en matière de langues officielles. Les autres responsabilités ne changent pas encore. J’espère, quant à moi, voir des résultats.

En ce moment, je crois que les gens travaillent davantage sur le plan d’action. Je sais que le Comité des langues officielles se déplacera dans l’Ouest pour discuter du plan d’action. Donc, il y a une attention particulière qui est portée à ce plan. Quelle que soit la personne qui en aura la responsabilité, j’espère qu’elle tiendra compte d’Ottawa. Il est important qu’Ottawa fasse partie de ces responsabilités et qu’une personne ait une responsabilité particulière à l’égard de la ville d’Ottawa.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le sénateur McIntyre : Madame Cardinal, on a parlé brièvement du Nouveau-Brunswick. La Loi sur les langues officielles devrait-elle reconnaître la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick en matière de langues officielles?

Mme Cardinal : Le Nouveau-Brunswick est déjà dans la Constitution. Il a déjà la reconnaissance...

Le sénateur McIntyre : Oui, mais dans la loi fédérale.

Mme Cardinal : Ah, la loi fédérale. Est-ce une demande qui vous a été adressée?

Le sénateur McIntyre : Non, pas à ma connaissance.

Le président : Oui, certains témoins en ont fait la demande.

Mme Cardinal : Cela tombe sous le sens. Si on a une nouvelle loi et que le Nouveau-Brunswick — je pense que SNB avait fait la demande —, il est important de tenir compte de cette revendication.

Le sénateur McIntyre : J’ai une dernière question à vous poser. Des mécanismes de collaboration existent entre le commissaire aux langues officielles du Canada, le commissaire aux services en français de l’Ontario et le commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick. Pourtant, ces mécanismes n’ont pas été formalisés dans la loi.

Selon vous, est-il important qu’ils le soient, et pourquoi?

Mme Cardinal : Si c’est une demande, je pense qu’il faut l’évaluer. Il s’agit souvent de mécanismes de gouvernance et de collaboration. Je ne sais pas si leur efficacité a été évaluée.

Je trouve très intéressant que les commissaires travaillent entre eux. Il y a également un réseau international des commissaires linguistiques. Ça vaut la peine, parce qu’on oublie que les politiques linguistiques sont des politiques publiques. Les commissaires sont aussi des experts de cette politique. Ce sont des protecteurs du citoyen, de celui qui parle et qui énonce ses besoins dans une langue reconnue. Si c’est une demande, elle mériterait d’être étudiée, mais il faut le voir comme un mécanisme de gouvernance. La loi ne doit pas devenir un fourre-tout. On veut prévoir une protection, mais il faut choisir ces protections, et ces mécanismes sont tout de même assez récents. Si les commissaires estiment que ces mécanismes sont importants, il faudra les évaluer. Ce sont des mécanismes avant tout de gouvernance, de consultation et d’offre de services. Les commissaires s’entraident. C’est très bien et il faut encourager cette collaboration.

La sénatrice Gagné : J’aimerais poser une autre question. Mme Hélène Asselin a déposé un mémoire en juin. J’ai trouvé ses propos intéressants, parce qu’elle amenait une perspective différente. Elle a brossé un tableau historique de la politique canadienne en matière de langues officielles. En 1988 et en 2005, des modifications ont été apportées qui ont conduit à un appui accru des institutions fédérales en faveur des minorités de langue officielle. Dans son mémoire, elle a fait ressortir le fait qu’il faut veiller à ce que les droits linguistiques ne soient pas seulement abordés au niveau des minorités provinciales. Elle indiquait aussi que les lois linguistiques doivent être fondamentalement associées aux deux langues principales du pays, qu’elles soient parlées dans un contexte minoritaire ou non.

Selon Mme Asselin, l’approche fédérale — et même lorsqu’on regarde le plan d’action, les discours et les actions fédérales — vise quasi uniquement les minorités provinciales. Cela a eu pour effet d’exclure les francophones du Québec du discours sur les langues officielles. J’aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

Mme Cardinal : J’ai lu le mémoire de Mme Asselin, que j’ai trouvé intéressant. Elle a raison. La Loi sur les langues officielles est une loi canadienne. Ce n’est pas une loi qui vise les minorités. Au départ, cette loi a été adoptée la première fois en 1969 pour répondre à des enjeux en matière d’unité nationale.

Il y avait une discrimination très forte à l’égard des Québécois. Ce n’est pas par hasard qu’une des parties de cette loi indique qu’il faut une représentation équitable des francophones et des anglophones dans la fonction publique fédérale. Les Québécois francophones et les francophones hors Québec n’avaient pas accès aux postes de responsabilité en tant que francophones. On a déployé beaucoup d’efforts pour mettre fin à cette discrimination.

En 1988, lors de l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles, celle qui a 35 ans aujourd’hui, la loi est devenue associée aux minorités en raison de l’article 23. Cela a donné lieu à un ensemble de causes devant les tribunaux et, du coup, c’est comme si on avait oublié que la Loi sur les langues officielles était une loi canadienne et non la loi des minorités.

On a commencé à travailler sur les plans d’action. Le premier plan d’action a été un coup de pouce pour les minorités grâce à la partie VII, qui avait été délaissée à partir de 1988. En 1988, lorsqu’on a adopté les différentes parties, on n’a presque pas parlé de la partie VII en comité. C’est seulement en 2001 qu’on a commencé à en parler, soit 13 ans plus tard. On a oublié le reste. On s’est concentré sur la partie VII et on a ajouté la question des mesures positives.

Je crois qu’il faudrait atteindre un juste équilibre en traitant la Loi sur les langues officielles comme une loi canadienne qui vise aussi à répondre à des besoins qui proviennent des Québécois francophones. Ceux-ci sont aussi des citoyens canadiens qui transigent avec le gouvernement fédéral tous les jours. Donc, ils ont droit d’être servis en français. Il y a aussi la minorité anglophone du Québec qui a droit à des services en anglais.

C’est aussi une loi qui doit appuyer le développement et qui a l’objectif de favoriser la pérennité des communautés de langue officielle en situation de minorité. Il faut trouver une façon d’établir un équilibre entre les deux. Il serait important de mieux sensibiliser les Québécois francophones à la Loi sur les langues officielles. Combien de francophones du Québec arrivent à Ottawa et nous parlent en anglais parce qu’ils ne croient pas avoir le droit de parler en français à Ottawa?

Le livre de Graham Fraser intitulé Sorry, I Don’t Speak French en parle de façon éloquente. Il faut que les Québécois francophones puissent s’identifier à la capitale du pays. C’est aussi leur capitale.

Le sénateur Maltais : La loi sur le bilinguisme, dans le cas de la Ville d’Ottawa, a été adoptée par le gouvernement de l’Ontario, et c’est la responsabilité de la ville d’appliquer la loi. Le simple citoyen qui va dans un restaurant à Ottawa, un francophone qui veut être servi fait face à la ville, au gouvernement provincial et au gouvernement fédéral. Quand croyez-vous qu’il aura son spaghetti? Je trouve que c’est toujours une question de volonté.

Que vous m’aimiez ou pas, je suis un exemple, à Ottawa, je ne parle qu’en français, parce que je me suis toujours dit que les écouteurs au Sénat, c’était bon pour tout le monde, pas juste pour les francophones. Je déplore que beaucoup de francophones s’adressent aux gens seulement en anglais dans nos deux Chambres. Je suis le dernier des résistants et j’ai toujours eu cette particularité. Certains n’écoutent pas l’interprétation quand je parle. Ils se disent : « Maltais parle français, bon, ce n’est pas important. » Cela ne me choque pas. L’avantage, c’est que lorsqu’ils parlent en anglais, je les comprends. Je peux leur répondre en français, et ils ne comprendront pas, mais, dans mon cas, ils ne peuvent pas m’en passer une, c’est l’avantage. C’est une question de volonté.

La loi sur le bilinguisme a été tellement massacrée par les tribunaux au cours des 50 dernières années que l’on ne sait plus comment s’y prendre. Comment allons-nous nous y prendre pour que les gens avalent cela tranquillement? C’est normal dans un pays bilingue que tous aient la même chance d’avoir accès à des services dans leur langue. C’est le nœud gordien de la loi.

Mme Cardinal : La loi sert à pérenniser les choses. C’est pour cela que la loi est importante. Lorsque vous parlez de volonté, c’est important, mais vous savez, quand Bernadette et moi participions au Mouvement pour une capitale du Canada officiellement bilingue, il y a eu des sondages qui ont montré que 85 p. 100 des jeunes adultes à Ottawa appuyaient le bilinguisme, et que 72 p. 100 de la population d’Ottawa appuyait le bilinguisme.

Graham Fraser, lorsqu’il était commissaire à l’époque, avait fait faire une étude où 84-86 p. 100 de la population canadienne appuyait le bilinguisme. Il est facile de dire qu’on appuie la mesure, mais c’est autre chose de dire qu’on va apprendre la langue. Juste en Ontario, il y a 1 million d’enfants ou presque dans les écoles d’immersion.

On n’a pas le droit de baisser les bras. Je pense qu’il est important aussi de reconnaître qu’il y a des gens qui font des efforts, et qu’il faut trouver les moyens de maintenir et de faire fructifier ce dialogue interculturel entre nous. Quand il y a la volonté — comme vous le dites —, évidemment, on peut faire de grandes choses. Mais il faut la rendre plus visible. C’est comme si l’on cachait le fait que les gens puissent s’intéresser aux langues officielles. C’est comme si l’on cachait cet appui aux langues officielles, mais je ne sais pas pourquoi. Il faudrait explorer cet aspect davantage. Il y a tout de même des gens qui ont de la volonté, et il faut travailler avec ces gens-là.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Moncion : J’ai une petite question. Vous avez parlé de la valeur ajoutée du bilinguisme et, dans la loi, actuellement, il manque tout ce qui est lié aux aspects punitifs. Je fais le lien entre les deux, lorsqu’on parle de valeur ajoutée et de l’idée d’y intégrer le côté punitif. J’aimerais vous entendre sur ces deux aspects. Si l’on punit, ce n’est plus une valeur ajoutée, ça devient un combat. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Cardinal : En ce qui a trait à la valeur ajoutée, d’abord, les langues, au Canada, c’est politique. On a adopté des lois pour établir un rapport de force, parce que sur le terrain, il n’y a pas d’égalité, alors que la loi dit qu’il y a égalité. Donc, c’est un enjeu de citoyenneté d’abord et avant tout. La loi, c’est la colle, c’est ce qui permet au pays de coller ensemble. Par exemple, le Bureau de la traduction, c’est important parce que la traduction permet aux deux majorités et aux minorités de se comprendre.

La valeur ajoutée, c’est que le bilinguisme ajoute quelque chose à notre pays. Sur le plan économique, cela donne des occasions économiques, et cetera. C’est toujours beau, c’est toujours bien, et c’est important.

Quant aux aspects punitifs, quelquefois, si l’on ne fait pas ses devoirs, on n’aura pas de bonnes notes et on ne pourra pas avoir son baccalauréat. Il y a des obligations qui accompagnent les droits obtenus. Il y a des choses à faire. Si nous ne faisons pas nos devoirs, nous ne récolterons pas les fruits de ce bilinguisme. Donc, il faut prévoir des dimensions punitives. On ne peut pas ne pas en avoir. On peut donner une amende ou indiquer dans un rapport que le service n’a pas été offert. Il y a différentes façons de s’y prendre. La dimension punitive peut prendre la forme de recommandations, de suivis, d’un rôle d’impulsion. Si ça ne s’est pas fait, on aura besoin d’un leadership renforcé. On n’a pas besoin d’une baguette pour frapper sur la tête des gens.

La sénatrice Moncion : C’est que, actuellement, il n’y en a pas dans la loi.

Mme Cardinal : Il n’y en a pas non plus, mais il en faut. Cela peut prendre différentes formes. On ne va pas envoyer des gens en prison, mais on peut faire des recommandations.

La sénatrice Moncion : Merci beaucoup.

Le président : À mon tour, mesdames Cardinal et Sarazin, je tiens à vous remercier. Pour reprendre les propos de la sénatrice Gagné, vos écrits, vos réflexions et votre engagement sont pour nous plus qu’une source d’inspiration, ils sont précieux pour l’étude en cours. Nous allons tenir compte de vos propos dans le rapport qui sera soumis au gouvernement du Canada à la fin de cette longue étude. Je vous remercie sincèrement d’avoir été des nôtres.

Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le troisième volet de son étude qui porte sur la perspective des personnes ayant vécu l’évolution de la loi.

[Traduction]

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir M. Graham Fraser, qui a été le sixième commissaire aux langues officielles, de 2006 à 2016. M. Fraser est maintenant professeur invité à l’Institut d’études canadiennes de McGill.

[Français]

Je vous remercie d’être avec nous, et la parole est à vous.

Graham Fraser, ancien commissaire aux langues officielles et professeur invité, Institut d’études canadiennes de McGill, à titre personnel : Je vous remercie. Je tiens d’abord à m’excuser, car j’avais l’intention de faire mes recherches pour ma présentation en fin de semaine, mais le courant n’est toujours pas rétabli chez moi, malheureusement. Ma présentation n’est pas au point et je m’en excuse.

C’est toujours un réel plaisir pour moi de retrouver les membres du Comité des langues officielles du Sénat. Durant les 10 années où j’ai été commissaire, cela a toujours été un honneur de comparaître devant vous, et j’ai toujours apprécié votre intérêt et votre engagement.

Je ne suis plus commissaire et je ne voudrais pas me substituer à mon successeur, mais j’aimerais tout de même réfléchir sur mon expérience avec la loi et sur le rôle du commissaire.

Avant de commencer, je tiens absolument à vous transmettre mon appréciation de la présentation de la professeure Cardinal et de l’importance de la ville d’Ottawa dans ses réflexions. J’ai toujours apprécié sa rigueur et son engagement et, effectivement, je crois que tout ce qu’elle a dit mérite un examen approfondi.

Vous avez l’avantage d’avoir accès à des organisations très impliquées, comme la Fédération des communautés francophones et acadienne et le Quebec Community Groups Network. J’ai beaucoup apprécié leur travail lorsque j’étais commissaire.

Tout d’abord, laissez-moi vous rappeler la définition du rôle du commissaire, tel qu’il a été conçu par la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme et présenté dans les paragraphes 435 à 439 du premier rapport publié en 1967.

En résumé, la commission voulait que le commissaire soit une conscience active de la dualité linguistique au Canada.

[Traduction]

Pendant vos audiences, un certain nombre de témoins ont demandé que le commissaire dispose du pouvoir d’imposer des amendes aux institutions trouvées en contravention des dispositions de la Loi sur les langues officielles. Je dois dire que je m’interroge sur l’utilité d’une telle approche. Premièrement, je doute qu’une amende favorise un changement de comportement ou ait une incidence sur l’institution concernée. Il y aurait, en effet, un risque que les entreprises du secteur privé qui ont toujours des obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles, comme Air Canada, considèrent les amendes comme de simples coûts d’exploitation, qui seraient d’ailleurs moins élevés que les coûts engendrés pour résoudre le problème.

Je crains aussi que cela ne pose problème sur le plan de l’équité en donnant essentiellement au commissaire le triple rôle d’enquêteur, de procureur et de juge, et en transformant le Commissariat aux langues officielles en tribunal quasi judiciaire.

[Français]

Il faut dire que j’ai toujours tenu cette position, parce que je n’aurais pas eu la compétence de remplir le rôle de commissaire si cela avait été transformé en tribunal semi-judiciaire.

[Traduction]

Une solution plus facile serait de créer un fonds de formation linguistique pour les entreprises qui ne sont plus des sociétés d’État, mais qui conservent des obligations en vertu la Loi sur les langues officielles.

[Français]

De façon similaire, ce fonds pourrait être utilisé pour le secteur privé de la ville d’Ottawa.

J’ai souvent dit qu’il est plus facile de trouver un menu bilingue à Barcelone qu’à Ottawa. Je me suis souvent trouvé dans la situation un peu embarrassante où j’amenais un invité francophone dans un restaurant d’Ottawa où le menu n’était présenté qu’en anglais. Le serveur était suffisamment bilingue pour expliquer le menu; cependant, le menu était unilingue. Lorsque je soulevais ce problème, on m’expliquait que les menus changent de mois en mois et que les ressources en traduction sont rares. Cette ressource pourra être fournie par la Ville d’Ottawa à l’aide de ce fonds.

L’un des problèmes avec la ville d’Ottawa, c’est qu’elle contient beaucoup d’espaces publics et de propriétés privées. Donc, l’espace publicitaire peut être la responsabilité de la propriété privée, ce qui exige une certaine délicatesse d’intervention pour les institutions ou le gouvernement fédéral.

[Traduction]

Il y a toutefois un élément de la loi actuelle qui me pose problème et que j’aimerais examiner de façon détaillée.

Étudions d’abord la question du bilinguisme des cours fédérales. Comme vous le savez, le paragraphe 16(1) de la Loi sur les langues officielles exempte la Cour suprême du Canada de l’obligation de bilinguisme des juges. Le paragraphe se lit comme suit :

[Français]

Il incombe aux tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada de veiller à ce que celui qui entend l’affaire :

a) comprenne l’affaire sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en anglais;

b) comprenne l’affaire sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en français;

c) comprenne l’anglais et le français sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu dans les deux langues.

[Traduction]

Certains conseillers juridiques de l’ancien gouvernement ont fait valoir que la décision de la Cour suprême rejetant la nomination du juge Nadon à la Cour empêchait toute modification du processus de nomination.

Je pense que c’est discutable. À mon avis, modifier la loi en retirant le passage « autres que la Cour suprême » — « other than the Supreme Court », en anglais — n’entraînerait pas une modification du processus de nomination allant à l’encontre de la décision relative au juge Nadon.

L’actuel premier ministre a fait du bilinguisme un critère de nomination à la Cour suprême. J’estime que cette décision devrait être inscrite dans la loi. En cas de doute sur la constitutionnalité d’une telle disposition, compte tenu de la décision relative au juge Nadon, un renvoi à la Cour suprême pourrait être une option pour en évaluer la constitutionnalité.

[Français]

Deux autres éléments de la loi valent la peine d’être mentionnés, en passant. Au début de mon premier mandat comme commissaire, le changement à la partie V de la Loi sur les langues officielles était nouvellement établi. J’avais pris la décision de ne pas insister sur une définition spécifique de ce qu’est une mesure concrète. Je pensais qu’une définition pourrait se développer avec des exemples établis et, effectivement, à mon avis, cela a été le cas. Cela fait 13 ans que cette obligation pour les institutions fédérales est établie et le temps est probablement venu de voir comment définir plus clairement ce qu’est une mesure positive. J’ai déjà vu des exemples d’institutions qui, à la suite de coupes budgétaires, disent qu’elles ont appliqué des mesures positives ailleurs, comme si n’importe quelle mesure positive pouvait compenser une réduction de services.

J’aimerais également attirer votre attention sur l’importance de préciser ce qu’est un élément régional dans la partie VI de la loi en ce qui a trait aux représentations. Beaucoup d’institutions fédérales, au Québec en particulier, vivent une sous-représentation dramatique des anglophones. Lorsque j’étais commissaire, on a reçu énormément de plaintes de la part de détenus concernant la pénurie de personnel bilingue chez Service correctionnel Canada. À cause d’une politique de transfert de détenus là où l’espace était disponible, certains détenus anglophones se retrouvaient dans des institutions québécoises, incapables de recevoir des services en anglais, incapables de comprendre les annonces. Souvent, les employés bilingues refusaient de le dire ou d’être identifiés comme étant bilingues de peur de devoir travailler plus souvent ou de travailler davantage les quarts de nuit. C’était plus facile pour eux de s’identifier comme unilingues pour ne pas avoir cette responsabilité supplémentaire. Donc, il serait important, pour atteindre les objectifs, d’insérer une spécificité régionale dans la partie VI de la loi.

[Traduction]

Je vais m’en tenir à cela. Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions.

[Français]

La sénatrice Poirier : Merci, monsieur Fraser, de votre participation au comité. Un des derniers rapports que vous avez présentés au Parlement en tant que commissaire aux langues officielles concernait l’incapacité d’Air Canada de répondre à ses obligations linguistiques en vertu de la loi. Depuis ce temps, le comité de la Chambre a rédigé son propre rapport auquel le gouvernement a répondu sans prendre d’engagement.

Que pensez-vous de la position du gouvernement, qui n’a pas voulu donner suite aux recommandations nos 6 et 7 relativement aux modifications législatives? Selon vous, comment peut-on modifier la loi afin qu’Air Canada respecte ses obligations linguistiques?

M. Fraser : La question d’Air Canada était l’une de mes frustrations en tant que commissaire. Cette frustration a été reflétée dans ce rapport spécial déposé au Parlement.

Selon ce rapport, j’avais utilisé tous les outils à ma disposition et, finalement, il y avait toujours un désaccord profond avec Air Canada sur les éléments importants de la loi et sur ses responsabilités à l’égard de celle-ci.

Comme je l’ai mentionné dans ma présentation, je ne suis pas convaincu, même si c’était mentionné comme une option dans ce rapport. On a présenté un éventail de possibilités, y compris l’imposition d’amendes. Je demeure sceptique quant à l’utilité de ce pouvoir, parce qu’il y a toujours un danger que cela soit perçu comme des coûts supplémentaires plutôt qu’une réforme nécessaire. Il y a un manque ou une incapacité de la part d’Air Canada d’offrir une formation linguistique à ses employés en raison de la nature du travail. Il y a une rotation. Il est difficile pour des employés à bord d’être disponibles pour la formation.

Toutefois, je crois qu’il serait important de recommander qu’un investissement soit fait dans la formation linguistique. Ainsi, des entreprises, comme VIA Rail et Air Canada, qui ont déjà été des sociétés d’État, et la Ville d’Ottawa pourraient avoir accès à du financement afin d’élaborer des initiatives intéressantes, des formations innovantes pour que leurs employés puissent offrir les services essentiels conformément à la loi.

La sénatrice Poirier : Ce financement en faveur de la formation pour l’apprentissage d’une deuxième langue...

[Traduction]

En ce qui concerne le fonds que vous avez à l’esprit pour remplacer des amendes visant à obliger les entreprises à offrir une formation, avez-vous un ordre de grandeur du financement nécessaire ou une idée du type de fonds qu’il faudrait constituer à cette fin?

M. Fraser : Je dois dire que non, mais...

[Français]

... depuis un certain temps, le gouvernement fédéral s’est retiré du rôle de formation. Il y a eu une privatisation. Je crois que les chiffres sont disponibles en ce qui concerne les coûts liés à la formation linguistique des fonctionnaires. Par le passé, il était possible de voir les coûts liés à la formation linguistique. Désormais, c’est la responsabilité de chacun des ministères. Il y a eu une privatisation de la formation linguistique. C’est pourquoi il est plus difficile d’en connaître les coûts exacts. Les critères sont différents pour avoir accès à ces chiffres. Cela dépend du ministère et de sa vocation. C’est un peu plus difficile de savoir exactement ce qu’un ministère dépense pour la formation. Souvent, les coûts sont englobés dans autres formations. Il est difficile de connaître l’ensemble des fonds octroyés à la formation linguistique.

C’était simple auparavant lorsqu’il y avait un centre de formation linguistique comme Asticou. Maintenant, ça n’existe plus. Il n’y a plus d’employés du gouvernement fédéral qui donnent de la formation linguistique, à l’exception de certains ministères, comme Ressources naturelles Canada, qui ont leur propre centre de formation linguistique. Peut-être que le ministère des Ressources naturelles pourrait vous renseigner sur le financement qu’il consacre à la formation linguistique. J’ai trouvé assez difficile de connaître le coût total que le gouvernement fédéral dépense en formation linguistique.

La sénatrice Gagné : Bienvenue, monsieur Fraser. On ne peut pas inviter un ancien commissaire sans lui demander quel rôle le commissaire doit jouer dans la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. L’un des témoins, qui est commissaire aux services en français en Ontario, Me Boileau, a mentionné qu’il fallait éviter de donner au commissaire aux langues officielles le rôle de juge et partie en lui offrant les outils appropriés pour jouer son rôle de médiateur et en évitant de lui donner des pouvoirs de sanction, tout en envisageant plutôt la création d’un tribunal administratif où il pourrait être appelé à agir comme intervenant. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Fraser : Je suis tout à fait d’accord. La force du commissaire est une force de persuasion. C’est un rôle diplomatique, un rôle d’ombudsman. J’ai toujours cru que le rôle du commissaire en est un de promotion et de protection. Si on réussissait à faire la promotion de façon efficace, cela favoriserait la protection. En tant que commissaire, j’ai tenté de présenter la dualité linguistique comme une valeur plutôt qu’un fardeau. Si on est juge et partie, il s’agit plutôt de souligner l’aspect « fardeau » de la politique linguistique.

Je pense qu’il est souvent plus efficace d’inspirer que d’exiger. Il y a un élément d’exigence. La loi est très claire, mais j’ai toujours cru que les membres du gouvernement s’intéressaient davantage à la politique linguistique lorsqu’elle était présentée comme un idéal plutôt que comme une série d’obligations.

La sénatrice Gagné : Plusieurs intervenants ont indiqué que les institutions fédérales ont un rôle clé à jouer dans le développement et l’épanouissement des communautés. Dans leurs interventions, ils nous expliquaient également qu’il n’y a pas de lien entre les parties IV et VII et que cela manque de cohérence. J’aimerais vous entendre là-dessus.

M. Fraser : Effectivement, l’un des défis avec la partie VII est d’arriver à une compréhension commune du rôle des institutions fédérales comme joueurs actifs en ce qui concerne les communautés, pour faire en sorte que les mesures positives soient importantes pour l’épanouissement des communautés. Si, en regardant la loi, on pouvait créer une meilleure cohérence entre les parties IV et VII, ce serait bien. Je crois qu’il est maintenant temps d’examiner cela et d’aller de l’avant pour faire en sorte que la loi devienne un outil plus efficace.

Le sénateur McIntyre : Merci de votre présentation, et merci surtout de bien vouloir nous donner votre point de vue sur l’évolution de la Loi sur les langues officielles.

Ma question porte sur l’immigration francophone. Comme vous le savez, l’immigration n’est pas un des sujets traités dans la loi fédérale actuelle. Plusieurs témoins croient qu’elle devrait l’être. Chose certaine, l’immigration a fait l’objet d’une étude approfondie de votre part en 2014. En tant qu’ancien commissaire, pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet?

M. Fraser : Ce qui m’a frappé lorsque j’étais commissaire, c’est la reconnaissance par les communautés de l’importance de l’immigration pour l’avenir de la majorité francophone. Traditionnellement, au Québec, les communautés francophones minoritaires étaient des communautés canadiennes-françaises catholiques. L’accueil des immigrants exige une transformation de la définition de soi afin que les communautés deviennent vraiment francophones.

C’est un dossier complexe, puisque ce ne sont pas tous les immigrants francophones qui ont nécessairement envie de se joindre à une communauté minoritaire. Lors d’une discussion avec des immigrants francophones à Toronto, une jeune femme du Mali avait dit ceci : « Mon identité n’est pas francophone, mais africaine. » Elle était réticente à se définir doublement minoritaire à Toronto : une femme noire africaine et également francophone. Je n’avais jamais vu cela sous cet angle. Cela m’a fait comprendre à quel point il n’est pas systématique pour les immigrants francophones qui s’installent dans d’autres provinces de se sentir attirés par la communauté minoritaire, surtout lorsque les services d’accueil ignorent que la communauté francophone existe.

Lors d’une discussion avec des responsables d’un centre communautaire francophone à Hamilton, ils m’ont fait part du fait que certains immigrants, un an après leur arrivée, ne savaient même pas qu’il y avait une école ou une clinique francophone. Puisque leurs enfants fréquentaient déjà une école anglaise et avaient déjà un médecin, ils n’avaient pas envie de changer tout cela pour des raisons linguistiques. Il est important qu’Immigration et Citoyenneté Canada, ainsi que les ONG, soient impliqués dans l’accueil des immigrants et aient une connaissance de la nature de la communauté et des services qui sont offerts afin de faire le lien.

J’ai souvent parlé, lorsque j’étais commissaire, de l’importance du rôle du centre d’immigration au Manitoba où il y avait une collaboration entre la société franco-manitobaine, le gouvernement fédéral et la province pour diriger les immigrants dès leur arrivée vers les services offerts à la communauté francophone. Il y avait même des gens qui accueillaient des immigrants ou des réfugiés francophones à l’aéroport. Ils les accompagnaient à un endroit où on les informait des services offerts en français.

Donc, l’accueil des immigrants francophones est une responsabilité importante. C’est un dossier complexe. La promotion outre-mer est nécessaire aussi pour attirer des francophones, ainsi qu’un accueil organisé et soutenu après leur arrivée.

La sénatrice Moncion : Ma question va peut-être vous sembler curieuse, mais je me questionne sur le processus de nomination des nouveaux commissaires aux langues officielles. Vous avez passé par ce processus il y a plusieurs années, et vous avez eu connaissance de celui qui a été utilisé cette fois-ci. Pourriez-vous émettre une opinion à ce sujet? Je ne suis pas certaine si le processus est enchâssé dans la loi à l’heure actuelle. Je ne le crois pas.

M. Fraser : Il y a une mention dans la loi, mais c’est assez vague. Traditionnellement, avant l’élection du gouvernement conservateur, en 2006, le processus de nomination se faisait de façon tout à fait privée, un peu comme la nomination des gouverneurs généraux. La main de Dieu descendait sur l’épaule de quelqu’un, et cette personne était nommée. Mais il y avait peut-être du lobbying, des tractations ou des interventions qui étaient faits dans les hauts lieux du pouvoir.

En 2006, le gouvernement conservateur avait annoncé que, pour la première fois, il y aurait un processus de demande. Quand on me demande comment j’ai été nommé commissaire aux langues officielles, j’ai dit que le poste avait été annoncé et que j’ai postulé. Et j’ai été choisi. Étant donné que c’était la première fois qu’il y avait un processus de nomination, ça a été assez simple pour moi. J’avais une entrevue avec le premier ministre et, à la fin de la conversation, il m’a serré la main et m’a félicité. Ensuite, les chefs de l’opposition ont été consultés et mon nom a été annoncé. J’ai comparu devant le comité du Sénat, le comité de la Chambre des communes, puis il y a eu un vote des deux Chambres sur la nomination.

Depuis, le processus est devenu beaucoup plus complexe. Une firme de chasseurs de têtes a été engagée. Au début, il y avait 72 candidats. Il y a eu un processus de sélection à la suite duquel une dizaine de candidats ont été interviewés; une liste courte a par la suite été établie, et il y a eu des entrevues avec la ministre de l’époque. Une personne a été nommée, mais elle s’est retirée. On a donc refait le processus, et M. Théberge, qui n’était pas candidat la première fois, a postulé et il a été nommé. Mais pour les autres détails, je ne suis pas au courant. J’étais à la retraite à ce moment-là.

C’est un mandat de sept ans. Le premier ministre m’avait demandé de rester encore trois ans. Au moment où le 10e anniversaire de ma nomination approchait, j’avais dit au Conseil privé que j’avais acheté des billets à destination du Mexique pour toute ma famille pour la fin décembre et que je ne voulais pas revenir au travail par la suite. Il avait donc fait en sorte que Ghislaine Saikaley, qui était une de mes commissaires adjointes, soit nommée par intérim, puis l’intérim a duré plus d’un an. Elle est maintenant revenue à son poste et M. Théberge a été nommé commissaire.

Le sénateur Smith : Vous avez probablement suivi quelques réunions du comité. Quand vous pensez aux défis que vous avez rencontrés et aux témoins que vous avez entendus, si vous aviez à nous donner un conseil quant à la modernisation de la loi, quel serait-il? Parce que c’est complexe. Certaines personnes parlent de la partie IV, d’autres, de la partie VII. Mais en ce qui vous concerne, pouvez-vous nous donner deux améliorations ou changements qui pourraient être appliqués à la loi et qui pourraient vraiment faire une différence à court et à moyen terme?

M. Fraser : Biffer l’exemption visant le bilinguisme des juges à la Cour suprême, et définir ce qu’est une mesure positive, ce que cela signifie relativement aux obligations qu’ont les institutions fédérales quant à la partie VII de la loi.

J’ai trouvé intéressante la proposition de Linda Cardinal au sujet du bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa. Comme vous, je ne sais pas tout à fait de quelle façon le bilinguisme de la ville d’Ottawa pourrait s’insérer dans la Loi sur les langues officielles. Il vaut la peine d’examiner cela de près pour voir si ça pourrait se faire. Le cas échéant, j’applaudirais. Mais c’est un défi pour moi de voir exactement où on pourrait insérer dans la loi la question du bilinguisme de la capitale nationale. C’est déjà dans le préambule. Mais transformer cette intention dans le préambule pour en faire une exigence dans la loi, étant donné le rôle de la province et de la municipalité, qui est une créature de la province, je suis tout à fait d’accord avec Mme Cardinal pour dire que cela exigerait une collaboration intense entre la province et la ville. On pourrait peut-être imposer l’obligation de consulter, je ne veux pas du tout diminuer l’importance du dossier, mais je ne vois pas vraiment comment cela pourrait se retrouver dans la loi.

Le sénateur Smith : En ce qui concerne la modernisation de la loi, quelle serait votre recommandation à ce sujet? À quel moment la loi a-t-elle vraiment été révisée la dernière fois?

M. Fraser : La dernière vraie révision remonte à 1988. Plusieurs éléments ont été introduits dans la loi, à ce moment-là, comme la partie V qui touche la langue de travail. Il n’y avait aucune mention de la langue de travail dans la version de la loi de 1979. Le premier commissaire, Keith Spicer, a interprété la loi pour y voir le droit de l’employé de travailler dans la langue officielle de son choix. Mais c’était une interprétation assez large du texte. En 1988, le droit des fonctionnaires de parler la langue officielle de leur choix, dans les régions désignées bilingues, est devenu très clair.

J’ai souvent dit que c’était un geste radical de la part du gouvernement fédéral d’amener ce droit. Parce que quand on examine le travail quotidien d’un fonctionnaire, presque tout son travail est déterminé par quelqu’un d’autre. C’est la politique du gouvernement, les priorités du ministre, les directives du sous-ministre ou de son superviseur, le contrat négocié par son syndicat. C’est le Conseil du Trésor qui décide de la taille de son espace de travail. Ici, le fonctionnaire peut dire ceci : « Moi, je veux travailler dans ma langue. » C’est donc la responsabilité de ses superviseurs de répondre à son droit.

Étant donné tous les autres facteurs qui déterminent la nature du travail d’un fonctionnaire, il faut quelqu’un d’assez courageux pour dire cela. Peut-être que son directeur est un peu mal à l’aise dans la langue de la minorité. Peut-être que ses collègues ne vont pas nécessairement comprendre ses interventions dans une réunion. Il faut beaucoup de courage pour dire qu’on va intervenir, écrire ses textes et exiger que ses évaluations de rendement se fassent en français ou, au Québec, en anglais.

C’est la nature même de la minorité de ne pas vouloir déranger, de suivre le courant, de ne pas empêcher, de tourner en rond et d’adopter la langue de la majorité. Il y a certains ministères où il est très difficile d’exiger le respect de la langue. Dans certains ministères, les francophones perdent l’habitude d’écrire leurs notes de synthèse en français. Certains ministères deviennent quasiment des machines d’assimilation de fonctionnaires. Il est très important que le sous-ministre, les sous-ministres adjoints, les directeurs généraux et les directeurs prennent l’initiative de renforcer l’usage de la langue minoritaire au travail et d’encourager activement les gens à l’utiliser. S’il n’y a pas cet encouragement, la tendance naturelle est de passer à la langue de la majorité.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Mégie : Je sais qu’il y a des Néo-Brunswickois membres de ce comité. Étant donné que le Nouveau-Brunswick est officiellement bilingue, il doit y avoir des éléments qui ont permis à ce bilinguisme de s’implanter. Y a-t-il des éléments de cette loi qui pourraient nous aider à assurer le succès de la loi fédérale?

M. Fraser : Des éléments dans la loi?

La sénatrice Mégie : La loi qui reconnaît que le Nouveau-Brunswick est officiellement bilingue.

M. Fraser : Le Nouveau-Brunswick est un cas particulier. Il est dommage que le sénateur McIntyre ait dû quitter la réunion, parce qu’il connaît les rouages du Nouveau-Brunswick. Il y a des éléments de la situation au Nouveau-Brunswick qui sont utiles, mais même là, des études effectuées au sein des institutions fédérales du Nouveau-Brunswick démontrent qu’il y a des défis pour les francophones.

Il y a deux éléments liés au Nouveau-Brunswick que j’ai appris en tant que commissaire. Premièrement, on donne un sens différent au concept de la dualité linguistique au Nouveau-Brunswick qu’ici, à Ottawa. Peut-être que la sénatrice Poirier pourrait me confirmer qu’il y a tout un débat au Nouveau-Brunswick sur la question de la dualité linguistique. C’est souvent une question controversée pour les anglophones, qui pensent que cela veut dire une forme de séparation des deux langues. Il y a toujours des débats au Nouveau-Brunswick sur les services offerts à la communauté acadienne.

Deuxièmement, la situation économique au Nouveau-Brunswick donne lieu à une espèce de sentiment que si une ville ou une institution reçoit quelque chose, cela veut dire que quelqu’un d’autre a perdu quelque chose. J’ai appris cela lors d’un colloque sur l’immigration à Caraquet. J’ai dit que j’espérais voir l’ouverture d’un centre d’accueil pour les immigrants dans la péninsule acadienne. Cela a fait la manchette de l’Acadie Nouvelle. Lorsque je suis revenu à Ottawa, j’ai reçu un appel de votre collègue, le sénateur Percy Mockler, qui m’a dit avoir reçu toute une série d’appels de gens du Nouveau-Brunswick qui rapportaient que le commissaire aux langues officielles avait dit qu’on devrait fermer le centre d’accueil de Saint-Léonard pour l’ouvrir à Caraquet.

Ce n’était pas du tout ce que j’avais dit. Je me suis rendu compte à ce moment-là que l’idée d’envisager l’ouverture d’un deuxième centre ne faisait pas partie des possibilités pour les gens. Pour eux, l’ouverture d’un nouveau centre voulait dire la fermeture de celui de Saint-Léonard. Dans un contexte économique difficile où le gouvernement provincial se retrouve souvent à gérer la décroissance, il est difficile de concevoir une expansion des services.

La sénatrice Mégie : Je vous remercie. Il n’y a rien à aller chercher là.

Le président : Pour conclure cette séance, j’aimerais à mon tour vous poser deux questions.

Premièrement, nous avons souvent entendu, depuis le début de notre étude, que le problème n’est pas la loi, mais plutôt les instruments de sa mise en œuvre. Vous avez travaillé pendant des années de concert avec le gouvernement. À quelle institution devrait-on confier cette mise en œuvre? Le Secrétariat du Conseil du Trésor? Le Bureau du Conseil privé? Patrimoine canadien? D’où le leadership devrait-il venir?

Ma deuxième question touche le rôle et les pouvoirs du commissaire. Vous y avez déjà répondu.

Ma dernière question traite de la portée de la loi. Je reprends la question de la sénatrice Gagné à Mme Cardinal quant au mémoire de Mme Asselin : quel type de consultation effectuons-nous auprès de la majorité francophone du Québec sur cette loi quasi constitutionnelle qui n’est pas seulement l’affaire des minorités linguistiques, mais de tous les Canadiens?

M. Fraser : Je vais commencer avec votre première question. Au début de mon mandat, le gouvernement conservateur avait décidé de transférer certaines responsabilités du Conseil privé aux ministères. Il y avait des responsabilités liées aux affaires étrangères qui étaient transférées aux ministères, et d’autres éléments, y compris des responsabilités en matière de langues officielles, qui ont été transférées à Patrimoine canadien, aux centres d’excellence ou au Conseil du Trésor.

J’ai pensé, à l’époque, et je continue de penser que la responsabilité devrait revenir au Conseil privé, parce qu’il est reconnu comme étant le ministère du premier ministre. Le Conseil privé parle aux autres ministères avec une autorité et une puissance telle que j’ai souvent dit à la blague qu’on réagit plus vite quand une direction vient d’en haut que quand cela vient du bureau d’à côté. Quand une politique est endossée comme une priorité par le premier ministre, cela envoie un message plus puissant à travers le système de la fonction publique. J’ai trouvé dommage que ces responsabilités aient été un peu éparpillées dans d’autres ministères. Il faut être un peu expert sur la Loi sur les langues officielles pour savoir que telle partie de la loi est la responsabilité du Conseil privé et que telle autre partie est la responsabilité de Patrimoine canadien. Je crois qu’il devrait y avoir une centralisation de ces responsabilités au sein du Conseil privé.

Votre deuxième question touche un élément important. Je pense qu’il y a deux raisons à l’origine de la perception et de la transformation de la politique linguistique en politique des communautés minoritaires. Pendant une période assez longue, le gouvernement fédéral a fait face à une situation où le Québec se voyait comme le seul maître d’œuvre de la politique linguistique au Québec, et il n’y avait pas de place pour d’autres intervenants. Je pense qu’il faut favoriser un environnement de collaboration où le rôle du gouvernement fédéral est perçu comme celui d’un protecteur de la langue française, et pas seulement des minorités linguistiques.

Il faut reconnaître aussi que la minorité anglophone du Québec a des défis qui, souvent, ne sont pas reconnus, même à Ottawa. Il y a de vieilles histoires qui perdurent en termes de perception de la minorité anglophone. On a tendance à penser que c’est une communauté riche, confortable, cossue et privilégiée. Or, si vous regardez les chiffres et l’étude menée par votre comité, qui a témoigné de cette réalité, dans toutes les régions du Québec, on voit que ce sont les anglophones qui sont les moins éduqués, qui affichent un taux de chômage plus élevé et qui sont plus pauvres que la majorité. La communauté s’est transformée en minorité avant la création de la Loi sur les langues officielles et au début. Cette communauté se percevait comme une partie de la majorité anglophone au Canada. Il y a une transformation des anglophones qui restent au Québec, qui décident de faire leur vie au Québec. Ils le font tout en sachant que c’est une société francophone où ils ont le privilège de vivre une riche expérience culturelle, mais une expérience minoritaire.

Le président : Merci. Sur ce, monsieur Fraser, c’est à mon tour de vous remercier de votre inestimable contribution à la défense et à la promotion de nos deux langues officielles. Je vous remercie de votre immense travail et d’avoir témoigné devant nous.

(La séance est levée.)

Haut de page