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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 3 - Témoignages du 24 mars 2016


OTTAWA, le jeudi 24 mars 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier la question de la démence dans notre société.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, bonjour.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse, et je préside le comité. J'invite mes collègues à se présenter à leur tour.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Munson : Jim Munson, d'Ottawa.

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto, vice-président du comité.

Le président : Merci, chers collègues. Je rappelle que nous poursuivons notre étude sur la question de la démence dans notre société.

Nous recevons aujourd'hui des témoins très importants. Comme je veux m'assurer que tous les sénateurs auront la possibilité de poser leurs questions, je serai un peu plus strict qu'hier pour ce qui est du temps de parole. Nous ferons plus d'une ronde, si le comité est d'accord.

Je laisse tout d'abord la parole à Carolyn Pullen, directrice, Politiques, représentation et planification stratégique, Association des infirmières et infirmiers du Canada.

Carolyn Pullen, directrice, Politiques, représentation et planification stratégique, Association des infirmières et infirmiers du Canada : Merci. Je suis moi-même infirmière et je suis très honorée de représenter l'Association des infirmières et infirmiers du Canada. Nous sommes l'association professionnelle qui représente 139 000 infirmières et infirmiers.

Les infirmières et infirmiers sont les principaux fournisseurs de services médicaux de première ligne aux Canadiens. Tant dans nos vies professionnelles que dans nos vies personnelles, nous voyons les effets de la démence sur les patients, les soignants et les services de santé. Je parlerai aujourd'hui de quatre recommandations formulées dans notre mémoire au sujet du rôle du gouvernement fédéral à titre de bailleur de fonds et de cinquième fournisseur de services de santé au pays.

Premièrement, l'AIIC recommande que le comité permanent appuie l'instauration d'une commission nationale sur les soins de santé intégrés. Comme on l'a souvent exprimé, une meilleure intégration des services de santé est essentielle pour améliorer la santé des Canadiens. Cela s'applique tout autant à la démence, aux troubles cardiaques, aux soins palliatifs, aux maladies mentales ou aux autres troubles de la santé.

À l'heure actuelle, en grande partie, les services de santé au Canada sont articulés autour de fournisseurs financés par des enveloppes distinctes au lieu d'être organisés en fonction des patients et des programmes de soins. La prestation des services est segmentée et se fait en vase clos. En résulte un manque de coordination, une grande variabilité de la satisfaction des patients, une sous-utilisation de certains professionnels de la santé, une focalisation sur les maladies et une diffusion lente des innovations.

Une meilleure intégration peut améliorer l'accès aux soins de santé, la coordination avec les services sociaux, les déterminants sociaux de la santé, la coordination à l'intérieur du continuum des soins, l'optimisation de l'utilisation des compétences professionnelles, le recours à des équipes multidisciplinaires, l'implantation des nouvelles technologies et l'information sur la santé, et pourrait réduire le nombre de patients admis dans les hôpitaux.

Une commission nationale pourrait établir des principes directeurs pour les services de santé intégrés afin d'améliorer les soins prodigués et l'état de santé des Canadiens et de réduire les coûts, et pourrait faire en sorte que ces principes soient reflétés dans le prochain accord sur la santé et soient maintenus au cours de la mise en œuvre des changements dans le système de santé.

L'AIIC pourrait appuyer ce travail grâce à son expertise concernant les approches éprouvées de la protection et la promotion de la santé, du travail en équipes multidisciplinaires, de la continuité des soins et du fonctionnement du système.

Deuxièmement, le Canada doit se doter d'une stratégie nationale sur les soins liés à la démence qui soit axée davantage sur les soins prodigués dans la communauté que sur les soins hospitaliers. L'AIIC appuie fortement la demande faite par la Société Alzheimer du Canada d'établir une stratégie nationale. La démence est un lourd fardeau qu'aucune province, aucun territoire ni aucune organisation ne peut porter seul.

Dans le même ordre d'idée, l'AIIC est pleinement consciente du désir des Canadiens de vieillir à la maison en sécurité. Les soins à domicile et dans la communauté est le modèle de prédilection. La recherche et la pratique montrent que l'accès aux soins prodigués dans la communauté peut réduire les facteurs de risque en amont et favoriser la détection précoce de la démence, deux aspects qui permettent de ralentir la progression de la maladie et qui améliorent la qualité de vie des personnes atteintes.

Les soins prodigués au sein de la communauté peuvent atténuer la pression sur les services institutionnels. C'est important parce qu'on prévoit que d'ici 2038 il manquera 157 000 lits pour des soins à long terme dans les hôpitaux du Canada.

Notre association recommande que le gouvernement fédéral joue un rôle de leader et collabore avec les provinces et les territoires afin d'atténuer les facteurs de risque modifiables de la démence, de retarder l'apparition des symptômes et de faciliter les diagnostics, et que le gouvernement appuie l'implantation à large échelle des modèles et des technologies prometteurs pour les soins en milieu communautaire.

L'Association des infirmières et infirmiers du Canada dispose de nombreux modèles éprouvés et peut utiliser ses ressources pour implanter les innovations. De plus, le gouvernement pourrait financer des infrastructures communautaires pour permettre aux aînés de demeurer actifs, d'être en santé et de continuer à vivre à la maison, et pourrait verser de l'argent aux provinces et aux territoires en fonction des besoins, de la démographie et des priorités régionales en matière de santé.

Troisièmement, le Canada doit mettre l'accent sur les soins qui tiennent compte de la démence. De nombreuses personnes atteintes de démence sont hospitalisées pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la démence; toutefois, la démence augmente les risques de complications. Il est nécessaire d'adopter des approches fondées sur des données probantes pour l'évaluation, l'intervention et les services sociaux et d'adapter les environnements physiques aux besoins des patients atteints de démence. Il est prouvé que, lorsque les fournisseurs de soins de santé ont les connaissances, les compétences et les outils nécessaires pour prodiguer des soins qui tiennent compte de la démence, les médicaments sont utilisés de façon plus appropriée, le nombre de chutes diminue, les séjours à l'hôpital sont plus courts et le nombre d'admissions prématurées aux soins de longue durée baisse.

Notre association recommande que le gouvernement intègre les soins tenant compte de la démence dans une stratégie nationale sur la démence et appuie l'implantation de modèles novateurs de soins qui prennent en considération les besoins des personnes atteintes de démence. Il existe des exemples de ce type de soins au Canada et ailleurs dans le monde dans différents milieux comme des petites et grandes villes, des établissements de soins, de même que des milieux moins conventionnels tels que des villages résidentiels pour personnes atteintes de démence.

Enfin, le Canada doit augmenter le soutien financier et l'éducation des fournisseurs de soins. Plus de six millions de travailleurs canadiens prodiguent des soins à des personnes malades ou handicapées sans être rémunérés. Ces aidants jouent un rôle essentiel dans la communauté pour prendre soin des personnes atteintes de démence, mais ils ont très peu d'aide, sont souvent victimes d'épuisement et ont souvent des difficultés financières. On s'attend à ce que les pertes de revenus des aidants atteignent 55 milliards de dollars d'ici 2038. Les recherches montrent que les mesures d'aide financière et la formation aident à améliorer la santé et la qualité de vie des patients et à faire baisser les coûts.

C'est pour cela que l'Association des infirmières et infirmiers du Canada recommande que le gouvernement fédéral aide les provinces et les territoires à évaluer et à diffuser les pratiques exemplaires concernant l'aide aux aidants naturels; convoque une consultation avec des intervenants du monde du travail pour élaborer des mesures fiscales fédérales en vue de protéger le revenu des travailleurs, de permettre à ceux-ci de s'absenter du travail et de leur offrir des soins de relève; et finance un portail de ressources pour les aidants, les professionnels de la santé et le grand public afin de favoriser le transfert des connaissances sur les meilleures pratiques de prévention de la démence et de traitement des personnes atteintes.

En adoptant ces recommandations, le comité permanent peut contribuer à améliorer la santé et la qualité des soins et réduire les coûts pour tous les Canadiens, y compris ceux qui sont touchés par la démence.

Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Je laisse maintenant la parole au Dr Chris Simpson, président sortant de l'Association médicale canadienne. Il est accompagné par le Dr Frank Molnar, vice-président de la Société canadienne de gériatrie. La présentation sera faite par le Dr Simpson.

Dr Chris Simpson, président sortant, Association médicale canadienne : Il y a au moins trois personnes natives du Nouveau-Brunswick autour de cette table et je suis heureux d'en faire partie.

Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous pour parler de cette question des plus pressantes. Vous avez présenté le Dr Frank Molnar, qui joue un rôle à la Société canadienne de gériatrie, mais qui est également le directeur médical du programme régional de gériatrie de l'est de l'Ontario. Il est un expert très respecté dans le domaine des soins aux personnes âgées. Je vais l'inviter à m'aider à répondre à certaines de vos questions. Au fil des ans, nous avons eu de très bonnes discussions sur ce sujet et bien d'autres. Nous avons suivi notre formation ensemble à Kingston et avons passé beaucoup de quarts de travail de 36 heures dans des urgences bondées. Cela crée des liens particuliers.

L'Association médicale canadienne croit depuis toujours que le gouvernement fédéral doit agir en leader pour ce qui est des soins prodigués à la population vieillissante et aux personnes atteintes de démence, tout comme Ottawa a été en première ligne lors de la création d'un système national de soins de santé il y a 50 ans.

En 2015, pour la première fois dans l'histoire du Canada, les personnes de plus de 65 ans étaient plus nombreuses que celles de moins de 15 ans. Selon les projections, les aînés représenteront plus de 20 p. 100 de la population en 2024 et jusqu'au quart de celle-ci en 2036.

Les aînés représentent aujourd'hui environ le sixième de la population, mais ils consomment environ la moitié des dépenses publiques de santé, et on prévoit que les soins aux aînés engloutiront 62 p. 100 des budgets fédéraux et provinciaux de la santé en 2036, c'est-à-dire dans à peine 20 ans. À l'heure actuelle, les dépenses de santé comptent pour 38 p. 100, en moyenne, des budgets globaux des provinces et des territoires, même si ce pourcentage peut atteindre 45 ou 46 p. 100, comme c'est le cas en Nouvelle-Écosse.

Dans son dernier rapport sur la viabilité financière, le directeur parlementaire du budget explique que les exigences de la population vieillissante du Canada entraîneront une dégradation graduelle des finances des provinces et des territoires, qui, dans le contexte stratégique actuel, ne seront pas en mesure de relever les défis posés par le vieillissement de la population, ce qui est inquiétant.

En tant que Néo-Brunswickois, je trouve ces chiffres particulièrement alarmants. La population du Nouveau- Brunswick est une des plus vieilles du pays. J'y ai passé beaucoup de temps l'an dernier à titre de président de l'AMC, et je peux dire que les soins des personnes âgées constituent une véritable crise. C'est un enjeu politique de premier plan, et je crois que la situation du Nouveau-Brunswick montre ce qui attend les autres provinces si nous ne nous occupons pas immédiatement de la question du vieillissement.

Pendant que dans l'ensemble du Canada 15 p. 100 des lits réservés aux soins actifs sont occupés par des patients appartenant à la catégorie qu'on appelle « autre niveau de soins », cette proportion est de 25 p. 100 au Nouveau- Brunswick. Une étude menée par Pamela Jarrett, une gériatre de la région, a révélé que 10 p. 100 des patients de la catégorie « autre niveau de soins » qui étaient en attente d'une place dans un centre de soins de longue durée ont attendu plus de deux ans avant d'obtenir cette place.

Il sera particulièrement difficile de répondre aux besoins des patients de plus en plus nombreux atteints de la maladie d'Alzheimer et d'autres formes de démence. D'ici 2040, on prévoit que le nombre de Canadiens vivant avec la maladie d'Alzheimer et d'autres formes de démence va plus que doubler pour atteindre 1,4 million de personnes, soit 3 p. 100 de la population.

Selon l'Institut canadien d'information sur la santé, on a diagnostiqué la maladie d'Alzheimer ou une autre démence chez un aîné sur cinq qui reçoit des soins à domicile financés par le secteur public et chez trois sur cinq qui se trouvent dans un établissement résidentiel de soins. On estime que les coûts associés à la démence totaliseront 33 milliards de dollars par année et grimperont à 293 milliards de dollars par année si les inefficiences actuelles du système persistent.

Les traitements de la démence s'améliorent. Les plus optimistes parlent d'un remède. La réalité est qu'il devrait y avoir des progrès graduels dans la prévention de la démence. Mais en attendant que nous en soyons là, la démence demeurera une maladie chronique dont la gestion exige des compétences, de la planification et de l'innovation considérables. C'est une priorité en matière de santé qui doit être gérée de concert avec tous les autres enjeux liés aux soins des personnes qui vieillissent.

Frank et moi parlions ce matin du fait que les patients atteints seulement de démence n'existent pas vraiment; ce sont des patients atteints de démence et de troubles cardiaques, de diabète et d'autres maladies chroniques. Cela complique les choses.

La pénurie de soins de longue durée de qualité dans bien des endroits du pays crée beaucoup de difficultés aux patients qui en ont besoin, qu'ils aient reçu un diagnostic de démence ou non. Comme le Dr Molnar peut le confirmer, la démence entraîne toute une série d'autres maladies chroniques.

L'AMC recommande une intervention fédérale pour que le Canada soit prêt au vieillissement de sa population. Nous anticipons une hausse du nombre de Canadiens atteints de la maladie d'Alzheimer et d'autres formes de démence et nous devons être prêts à les appuyer.

Nos recommandations sont conçues pour être mises en œuvre immédiatement, même au cours de l'exercice actuel, afin d'aider dès maintenant les provinces et les territoires et les Canadiens. Nous croyons qu'il est essentiel de mettre immédiatement en œuvre ces recommandations, compte tenu des pénuries actuelles et grandissantes dans tout le réseau de la santé dans l'ensemble des provinces et des territoires.

Nous espérons que nos recommandations contribueront à l'élaboration d'un nouvel accord sur la santé.

Je sais que vous êtes tous au courant de l'existence de la catégorie « autre niveau de soins » dans les hôpitaux. J'ai toujours trouvé que cette appellation était un euphémisme pour désigner les milliers d'aînés qui ont besoin de soins pour des maladies chroniques mais qui, si je peux parler franchement, sont parqués dans des unités de soins actifs. C'est une situation désolante, pas seulement parce que ces aînés ne reçoivent pas les soins dont ils ont besoin, parfois pendant des années, mais aussi parce que c'est une des façons les plus inefficientes que je puisse imaginer de dépenser les sommes déjà limitées réservées aux soins de santé.

Nous devons en faire plus pour fournir des soins à domicile à long terme de qualité aux Canadiens âgés. Il faut « déshospitaliser » le système afin de libérer les hôpitaux et leur permettre de faire ce qu'ils sont censés faire, c'est-à-dire soigner les personnes souffrant de maladies chroniques et ainsi de suite.

Il est bien connu qu'il y a un manque à gagner dans le secteur des soins à domicile, malgré son importance. Bien qu'il y ait des innovations dans le secteur, le financement est un obstacle majeur à l'expansion des services. On dit souvent que le Canada est le pays des projets-pilotes; il y a des pôles d'excellence un peu partout, mais nous n'arrivons pas à tout mettre au diapason pour implanter les projets à grande échelle.

Pour qu'Ottawa respecte son engagement de 3 milliards de dollars pour accroître la disponibilité des soins à domicile, nous recommandons ardemment l'établissement d'un nouveau fonds ciblé d'innovation dans le domaine des soins à domicile.

En 2012, les délais d'attente moyens pour l'accès aux centres de soins de longue durée sont passés de 27 jours à plus de 230 jours. J'ai mentionné plus tôt que, à certains endroits, les délais se calculent en années plutôt qu'en jours. Nous estimons que les pénuries dans le secteur des soins à long terme entraînent des coûts de 2,3 milliards de dollars par année dans le système de santé en raison de l'inefficience.

L'infrastructure dédiée aux soins à long terme a été exclue des enveloppes fédérales pour l'infrastructure, plus précisément du Plan Chantiers Canada. Nous croyons qu'Ottawa devrait investir des capitaux dans l'infrastructure touchant les soins de longue durée, notamment aux fins de modernisation et de rénovation, dans le cadre de ses engagements à investir dans l'infrastructure sociale. Nous recommandons qu'un montant de 540 millions de dollars y soit consacré, selon le principe du partage des coûts.

J'aimerais terminer en faisant un dernier plaidoyer — l'intervenante précédente en a aussi parlé — pour les 8,1 millions de Canadiens qui jouent le rôle d'aidant naturel non rémunéré. Je les qualifie souvent de héros obscurs du système de santé. Ils occupent une place essentielle dans les soins aux aînés. Nous exhortons le gouvernement fédéral de reconnaître le rôle qu'ils jouent en modifiant les crédits d'impôt actuels aux aidants naturels et aux aidants familiaux afin de les rendre totalement remboursables. Une telle mesure aurait un énorme effet sur l'aide financière accordée aux aidants et coûterait environ 90 millions de dollars au Trésor.

Honorables sénateurs, je vous remercie de vous pencher sur ces questions. Vous avez certainement beaucoup de pain sur la planche.

Le président : Merci.

La Dre Francine Lemire a maintenant la parole.

Dre Francine Lemire, directrice exécutive et présidente-directrice générale, Collège des médecins de famille du Canada : Merci, honorables sénateurs. Je vais poursuivre dans le thème des Maritimes : je suis Québécoise de naissance et Terre- Neuvienne d'adoption, puisque je pratique à Corner Brook depuis près d'un quart de siècle. Mon père est mort de la maladie d'Alzheimer. C'est donc un sujet qui me touche de très près.

Je vais présenter mes observations en anglais, mais je serai heureuse de répondre à des questions en français.

Le Collège des médecins de famille du Canada, qui représente 35 000 membres au pays, est l'organisme professionnel responsable de l'établissement des normes de formation et de certification des médecins de famille. Nous procédons à l'agrément des programmes d'études supérieures en médecine familiale offerts dans les 17 facultés de médecine du Canada. Nous examinons les programmes de perfectionnement professionnel et procédons à leur agrément pour permettre aux médecins de famille de répondre aux exigences relatives à la certification et au permis d'exercer et de remplir leur engagement envers l'apprentissage continu afin de mieux servir leurs patients. Nous fournissons des services de qualité, appuyons l'enseignement et la recherche en matière de médecine familiale et défendons les intérêts des médecins de famille et de la médecine familiale en tant que discipline.

Je vais parler du rôle qu'assument les médecins de famille en appuyant et en aidant les patients ayant reçu un diagnostic de démence. Il s'agit d'une maladie complexe et évolutive, qui représente un défi, tant pour les professionnels de la santé que pour les aidants naturels. En moyenne, un médecin de famille compte de 30 à 40 patients atteints de démence. On s'attend toutefois à ce que, chaque année, de 8 à 10 nouveaux patients s'ajoutent à ce total, ce qui vient appuyer les propos de mes collègues.

La prise en charge de patients atteints de démence est une responsabilité complexe, qui peut prendre beaucoup de temps. Cette maladie a des répercussions profondes non seulement sur les patients, mais aussi sur leur famille et les aidants naturels. La prestation de soins de qualité relève véritablement d'un effort conjoint. Les recherches révèlent que les soins prodigués par des équipes pluridisciplinaires donnent les meilleurs résultats. On a constaté qu'une approche pluridisciplinaire permet d'améliorer la qualité des soins prodigués aux patients atteints de démence, de réduire le recours à des médicaments et d'atténuer le risque que les aidants naturels souffrent de stress et de dépression.

Le rôle assumé par ce que j'appelle le « cercle de soutien » est crucial. L'équipe de médecine familiale peut non seulement répondre aux besoins des patients, mais aussi tisser des liens avec les aidants naturels, leur fournir des services de formation et de soutien, apprendre de leur expérience et, s'il y a lieu, les faire participer à la prise de certaines décisions concernant les soins.

La prestation de ces soins interprofessionnels axés sur le patient vise avant tout le centre de soins intégrés. C'est ainsi que nous envisageons l'avenir de la médecine familiale au Canada. La démence ne peut pas être traitée en vase clos. Le traitement de cette maladie s'inscrit dans un continuum de soins complexe qui vise à assurer le bien-être du patient et qui comprend également d'autres facteurs qui touchent ce dernier, le milieu et le réseau de soutien à domicile.

Pour pouvoir fournir les soins les plus efficaces possible, les médecins de famille et leur équipe doivent connaître et comprendre tous ces facteurs. Pour arriver à bien connaître leurs patients, les intervenants ont souvent besoin de plus de temps, et les modèles de pratique doivent favoriser la prestation de soins complets.

Il est aussi utile d'entretenir des liens suivis avec un médecin lors de l'étape très importante du dépistage précoce. Cette phase est cruciale, car elle favorise la planification précoce et la prise de décision commune. Il est également prouvé que la médication est plus efficace à cette étape.

La Société Alzheimer du Canada a mis au point diverses ressources qui contribuent à l'adoption de ces mesures. Il serait utile de faire connaître le plus possible ces efforts et d'assurer la mobilisation. À titre d'exemple, nous avons mentionné le programme Premier lien de la Société Alzheimer du Canada, qui s'adresse aux patients qui ont reçu un diagnostic d'Alzheimer.

On a fait allusion aux soins à domicile. Nous croyons que, dans le contexte actuel, il est nécessaire de se pencher sur cette question. La plupart des aînés souhaitent vivre chez eux aussi longtemps que possible, et ce, même s'ils souffrent d'un problème de santé à long terme qui limite leur autonomie. La prestation de soins à domicile aide les patients à être autonomes et à vieillir dans la dignité et est généralement considérée comme étant une solution moins coûteuse que les soins en établissement.

En 2014, le Collège des médecins de famille du Canada a publié un document intitulé Du rouge au vert, qui mettait l'accent sur les soins à domicile. L'adoption d'une stratégie nationale sur les soins à domicile en partenariat avec les provinces et les territoires favoriserait la normalisation et le soutien des soins à domicile, afin que les personnes âgées puissent vieillir dans la dignité et conserver leur autonomie.

Il est encourageant de constater que les soins à domicile occupaient une place de choix dans la plateforme électorale du nouveau gouvernement. Malheureusement, les investissements nécessaires à cet égard ne figuraient pas dans le budget fédéral déposé la semaine dernière, mais nous espérons vivement que le gouvernement fournira bientôt cette aide essentielle.

Pour assurer la prestation de soins à domicile de qualité, il est essentiel d'investir des ressources destinées à appuyer les professionnels de la santé qui offrent ces services. Le Collège des médecins de famille du Canada préconise l'adoption d'une stratégie solide en matière de soins de santé et de ressources humaines, qui tient compte des demandes de la population et des services de santé fournis par différents professionnels de la santé. En outre, il faut reconnaître le rôle crucial joué par les aidants naturels et leur offrir des programmes qui favorisent leur bien-être et qui leur fournissent des ressources destinées à les aider à prendre soin de proches qui vivent une situation difficile.

Il faut en faire plus pour veiller à ce que les patients se trouvant dans des collectivités rurales ou éloignées reçoivent un soutien approprié. Comme la proportion des adultes âgés de plus de 65 ans augmente sans cesse en milieu rural, les médecins de famille et les autres professionnels de la santé voient leur charge de travail s'alourdir. Il faut mettre en place des mesures de soutien appropriées en milieu communautaire afin de répondre aux besoins des personnes atteintes de démence.

En terminant, j'aimerais résumer les quatre questions qui, selon moi, correspondent le mieux aux observations de mes collègues. Nous devons adopter une approche holistique en matière de soins. Nous devons reconnaître le rôle joué par les médecins de famille et leur équipe dans le concept des centres de soins intégrés et le modèle des soins à domicile. Nous devons veiller à ce que les aidants naturels reçoivent le soutien nécessaire pour fournir des soins à domicile et souligner le caractère essentiel des diagnostics précoces.

Je vous remercie. J'ai hâte de collaborer avec vous et de participer à la discussion qui va suivre.

Le président : Merci à tous les témoins.

J'inviterais maintenant mes collègues à poser des questions.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup. J'aimerais savoir comment vos associations professionnelles, en collaboration avec leurs membres, aident à faire avancer de quatre façons les enjeux liés à la démence. Premièrement, il s'agit d'encourager des médecins à se spécialiser en gériatrie.

Deuxièmement, quels documents éducatifs sont fournis aux médecins de famille, aux membres du personnel infirmier ou aux autres professionnels de la santé? Votre organisation prépare-t-elle ou conseille-t-elle ses membres à cet égard?

Troisièmement, quelle formation offrez-vous dans le domaine de la démence?

Quatrièmement, deux d'entre vous ont parlé des équipes pluridisciplinaires. Que faites-vous pour promouvoir les équipes pluridisciplinaires en tant qu'associations professionnelles?

Vous avez aussi parlé en détail des soins à domicile et des soins informels. J'aimerais savoir ce que font vos associations professionnelles dans ces domaines extrêmement importants.

Le président : Adressez-vous vos questions à un témoin en particulier?

Le sénateur Eggleton : Je m'adresse à tous les témoins, mais nous pourrions peut-être commencer par le Dr Molnar.

Dr Simpson : J'inviterais donc le Dr Molnar à prendre la parole.

Dr Frank Molnar, vice-président, Société canadienne de gériatrie : Je suis prêt à prendre la parole en premier, puis les autres pourront intervenir.

La Société canadienne de gériatrie, que je représente, comprend des spécialistes en médecine gériatrique, c'est-à-dire les soins dispensés aux personnes âgées. Il s'agit donc de professionnels des soins primaires, qui, au cours de leur troisième année d'études, se spécialisent dans les soins aux aînés, ainsi que des autres médecins et professionnels de la santé qui s'intéressent aux soins prodigués aux personnes âgées.

Que faisons-nous pour favoriser la croissance de cette spécialité? Nous avons travaillé en collaboration avec les ministères provinciaux afin d'assurer une plus grande équité salariale. Nos efforts ont porté leurs fruits en Ontario. Par le passé, dans cette province, une personne ayant fait deux années en médecine gériatrique touchait la moitié du salaire accordé aux personnes ayant fait trois ans de médecine interne. Sur le plan financier, il s'agissait d'une mesure dissuasive de taille.

Le ministère de la Santé de l'Ontario a établi l'équité salariale. Aussitôt que cette décision a été prise, les postes de stagiaires ont été comblés, et nous avons constaté une véritable croissance de cette spécialisation à l'échelle provinciale.

Il reste toutefois encore du chemin à faire dans les autres provinces, où les médecins cessent d'exercer la médecine gériatrique pendant six mois pour s'adonner à la médecine générale afin de pouvoir payer les factures. Par conséquent, l'équité salariale n'est pas encore acquise partout. Cette spécialité n'intéresse pas les médecins en raison des inconvénients importants sur le plan financier. Il existe de nombreux obstacles, mais il faut vraiment éliminer celui de nature financière.

Nous devons également faire notre mea culpa. Nous formons une société relativement petite. Nous avons besoin d'aide pour élaborer un plan de ressources pour les spécialistes canadiens de la médecine gériatrique, des soins aux personnes âgées et de la psychiatrie gériatrique, c'est-à-dire les groupes de spécialistes qui s'occupent des aînés. Pour ce faire, il faudrait examiner non seulement les chiffres, mais aussi la répartition des ressources.

Comme bon nombre de nos spécialistes sont toujours regroupés dans des centres de santé universitaires, nous devons trouver une façon de les affecter dans les collectivités et les régions rurales. Je suis tout à fait d'accord pour dire que le manque de soins destinés aux personnes atteintes de démence et aux aînés en milieu rural est déplorable. Nous devons trouver une façon de répartir ces soins dans l'ensemble des provinces. Certaines provinces comme Terre-Neuve et la Saskatchewan ne disposent que d'un gériatre, tandis que d'autres bénéficient des services d'une centaine de ces spécialistes. Par conséquent, il est essentiel d'élaborer un plan de ressources pour les médecins en collaboration avec les provinces qui ont de l'influence et dont le ministère de la Santé peut accorder la priorité à ces spécialités. Il faut ensuite décrire cette priorité et montrer comment ces spécialités peuvent rendre plus efficace la prestation de soins aux aînés et aux personnes atteintes de démence afin que nous puissions en faire davantage avec les fonds disponibles. Il ne s'agit pas d'investir plus d'argent, mais plutôt d'investir les sommes existantes là où il convient de le faire.

Dre Lemire : Il va sans dire que les médecins de famille représentent un pourcentage élevé des médecins au Canada et que la prestation de soins aux personnes âgées, y compris les services de diagnostic et de gestion des cas de démence, fait partie des compétences fondamentales que doivent posséder les résidents en médecine familiale.

Faisons-nous tout en notre pouvoir au cours des deux années du programme de résidence en médecine familiale au Canada, qui donne le programme de cette nature le plus court parmi les pays offrant une formation axée sur une discipline particulière en médecine familiale? Je pense que nous sommes en droit de nous le demander. Nous en tenons certainement compte. On s'attend à ce que tous les résidents en médecine familiale acquièrent des compétences fondamentales dans la prestation de soins aux aînés, ce qui inclut les services de diagnostic et de gestion des cas de démence.

Le Dr Molnar a parlé d'une initiative importante pour nous. Je n'aime pas le terme « spécialisation »; je préfère le concept de « compétences accrues » en matière de prestation de soins aux aînés. Nous pouvons maintenant offrir ce programme dans le cadre de compétences normalisées et de soins accrus pendant la troisième année de résidence des finissants en médecine familiale qui souhaitent perfectionner leurs compétences dans ce domaine.

Je crois qu'il s'agit d'une ressource importante, qui peut aider les médecins de famille à fournir des soins complets, alors qu'ils ne sont pas nécessairement des spécialistes en la matière. Cela peut les aider à fournir des soins continus aux patients atteints de démence. La plupart des soins sont prodigués dans la collectivité, comme il se doit.

Nous avons fait des progrès. Faisons-nous tout ce qui est absolument nécessaire? Je crois que nous pouvons nous améliorer. Pour ce faire, il faut mettre en place un système de prestation de soins et de soutien des praticiens qui reconnaît qu'il n'est pas possible d'agir en vase clos pour assurer le bien-être des patients. Il faut avoir recours à une équipe pluridisciplinaire et mobiliser d'autres intervenants, car les patients atteints de démence souffrent rarement d'un seul problème de santé. Ils ont des maladies concomitantes, et la meilleure façon de les soigner, c'est de travailler en équipe.

Cela m'amène à parler du volet pluridisciplinaire. Le concept des centres de soins intégrés appuie réellement le modèle d'équipe pluridisciplinaire. En fait, des résidents nous disent aujourd'hui ce qui suit : « Eh bien, nous avons été formés en vertu de ces modèles de soins et nous souhaitons exercer la médecine, mais il n'est pas certain que nous allons pouvoir poursuivre notre pratique avec ces types de modèles. » Nous croyons que c'est important. Il est possible d'améliorer tous ces éléments, et c'est justement ce que nous nous efforçons de faire.

Mme Pullen : J'aimerais formuler quelques observations. Pour ce qui est de la spécialisation, l'Association des infirmières et infirmiers du Canada offre un large éventail de programmes de certification en pratique avancée destinés au personnel infirmier autorisé, notamment en gériatrie et d'autres disciplines. Les infirmières autorisées peuvent obtenir une certification professionnelle supplémentaire dans une discipline spécialisée. On peut trouver des praticiens dans ce secteur partout au Canada. C'est l'un des groupes les importants d'infirmières autorisées et certifiées.

J'aimerais soulever un autre point, que vous connaissez probablement déjà. On dénombre près de 5 000 infirmières praticiennes au Canada. Les infirmières praticiennes sont des infirmières autorisées qui ont reçu une formation de haut niveau. Bon nombre d'entre elles travaillent dans le domaine de la gériatrie ou des soins de longue durée, notamment auprès de patients atteints de démence. Les infirmières praticiennes peuvent travailler seules dans n'importe quel milieu. Toutefois, elles font partie d'équipes pluridisciplinaires dans certains milieux. Dans sa pratique, notre ministre de la Santé peut compter sur les services d'une infirmière praticienne. Aujourd'hui, au moins trois millions de Canadiens n'obtiennent des soins que de la part d'infirmières praticiennes, et ce chiffre ne cesse d'augmenter.

Comme vous vous intéressez aux besoins des collectivités rurales et éloignées, sachez que la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits de Santé Canada compte 875 infirmières autorisées et infirmières praticiennes, mais seulement 23 médecins de famille. Elles forment donc le groupe le plus important de fournisseurs de soins et travaillent dans des réserves situées en milieu rural et éloigné.

Je trouve que la situation est vraiment intéressante sur le plan des études. Ma thèse de doctorat a porté sur le transfert des connaissances, c'est-à-dire sur la façon de transposer les résultats de la recherche à la pratique clinique. Les travaux de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada sont fortement axés sur cette question. Nous nous employons à mettre au point des ressources et des outils pour les infirmières autorisées, les membres du grand public et les membres de nos équipes pluridisciplinaires afin d'appuyer la prestation de l'éventail complet de soins, dont ceux de longue durée, destinés aux personnes atteintes de toutes sortes de maladies.

Nous élaborons également de nombreuses politiques afin d'appuyer non seulement les infirmières autorisées, mais aussi le système de santé public du Canada. Beaucoup de cours sont donnés à ces niveaux. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'Association canadienne des écoles de sciences infirmières et les organismes de réglementation des soins infirmiers du pays pour veiller à ce que les programmes de formation en soins infirmiers soient continuellement mis à jour et à ce qu'ils tiennent compte des besoins et des demandes de la population en matière de santé. Il s'agit d'un processus continu.

Par intérêt, j'ajouterais que, en général, le premier milieu clinique où sont affectées les étudiantes en soins infirmiers en est un où sont dispensés des soins de longue durée. Par conséquent, dès leur premier jour dans le service, elles sont en contact étroit avec ces patients et apprennent à connaître leurs besoins particuliers.

Je crois en avoir dit suffisamment au sujet de la formation, mais j'aimerais conclure en parlant de la pratique pluridisciplinaire. Pour faire suite à ce qu'a déclaré la Dre Lemire, je dirais qu'aucun praticien ne travaille en vase clos, peu importe la discipline. Les infirmières sont au centre des équipes de soins de santé, car elles y contribuent de façon importante. En tant que groupe principal de fournisseurs de soins de santé au Canada, nous sommes évidemment des spécialistes de la prestation de soins de première ligne aux très nombreux patients qui nécessitent des soins de longue durée.

Entre autres choses, les infirmières jouent un rôle clé en aidant les patients et leur famille à s'y retrouver dans les méandres du système de santé et de services sociaux. Nous pouvons faire profiter à l'équipe de ces compétences particulières. Comme je l'ai mentionné plus tôt, les infirmières praticiennes sont souvent les seuls membres du personnel praticien qui dirigent l'équipe pluridisciplinaire ou qui travaillent en coordination avec celle-ci.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci à tous les témoins d'être ici aujourd'hui.

J'aimerais parler des recommandations formulées par le Dr Simpson. Elles portent en très grande partie sur les mesures concrètes que peut prendre le gouvernement fédéral. Si je me fie à mon expérience, il s'agit surtout de crédits d'impôt, mais vous avez aussi parlé d'un fonds dédié. Le problème auquel le gouvernement fédéral doit faire face, c'est que les provinces créent des fonds dédiés. Comment cela fonctionnerait-il selon vous? Recommandez-vous qu'une distinction soit faite pour les fonds destinés aux services pour les patients atteints de démence ou pour les services pluridisciplinaires dans le cadre d'une stratégie nationale? Je ne suis pas sûre de la forme que pourrait prendre ce modèle, mais il me semble que nous pourrions exercer un certain contrôle sur ce qui se passe dans les provinces, même si celles-ci seraient habilitées à prendre leurs propres décisions, afin que l'argent soit dépensé conformément aux recommandations. Qu'en pensez-vous?

Madame Pullen, vous avez dit que vous aviez un grand nombre de modèles et que vous aviez appris de nombreux domaines de compétences. Il serait très utile pour notre comité que vous nous transmettiez des renseignements à ce sujet afin que nous puissions les étudier.

Dr Simpson : Je me souviens de l'accord de 2004 sur la santé, dont nous avons parlé. Vous avez présenté une excellente évaluation des résultats. Je pense que nous avons commis une erreur collectivement au fil des ans en transformant la réunion du gouvernement fédéral et des provinces censée servir à déterminer la voie à suivre en événement unique axé sur la répartition des sommes prévues. Il n'a pas été vraiment question des résultats que nous souhaitions obtenir. Par principe, nous pourrions faire les choses différemment cette fois-ci. Au lieu d'organiser un sommet entre deux forces contraires, nous pourrions parler de la façon de créer un nouveau type de partenariat pour éviter d'affecter 3 milliards de dollars à tel ou tel secteur et d'évaluer les résultats dans 10 ans. Nous pourrions plutôt créer un partenariat continu dans lequel nous reconnaissons que les deux ordres de gouvernement peuvent travailler plus efficacement ensemble que séparément et que, en fait, ils ne devraient pas être mis en opposition. Il pourrait être difficile de déterminer le rôle exact du gouvernement fédéral et l'obligation de rendre compte à l'égard des fonds. Il s'agit d'un débat difficile. Selon moi, la plupart des intervenants se demandent actuellement comment il est possible d'intégrer cette obligation de rendre compte.

Nous pouvons certainement tous convenir que, ce que nous souhaitons réaliser, c'est de faire en sorte que les patients restent le plus longtemps possible à l'extérieur des hôpitaux et que nous optimisions les ressources. En 2004, nous ne tenions pas ce genre de langage. Il était davantage question de déterminer les bénéficiaires des fonds disponibles. Je pense que les partenariats bien réfléchis de cette nature peuvent donner de meilleurs résultats.

J'espère avoir su répondre à vos questions. Je n'ai pas de solution magique, mais je crois que, d'entrée de jeu, nous devons montrer que les résultats nous intéressent davantage que les extrants.

La sénatrice Stewart Olsen : C'est ce que je pense. Vous avez répondu dans la mesure de vos connaissances. La nouvelle forme de partenariat et le nouveau langage me plaisent. Je vous remercie.

Le président : Madame Pullen, pourriez-vous transmettre à la greffière les renseignements dont vous disposez?

Mme Pullen : Nous serons très heureux de le faire.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Seidman : Merci d'être ici ce matin pour nous aider à examiner cette question exigeante.

J'appuie sans réserve le concept que vous avez mis de l'avant, docteur Simpson — je pense que vous avez dit « déshospitalisation ». Comme vous l'avez tous souligné, la collectivité demande au gouvernement de faire en sorte qu'une partie des ressources destinées aux soins actifs soient désormais affectées aux soins communautaires. Nous sommes tous conscients de cela. Outre les questions budgétaires, le vieillissement de la population va exercer des pressions sur l'ensemble des professionnels de la santé — les médecins, les infirmières, les physiothérapeutes et les autres praticiens membres de l'équipe — ainsi que sur les familles et les aidants naturels.

Voici donc ma question pour vous tous : quelles sont les conditions absolument essentielles — disons deux ou trois — qui nous permettront de réaliser cette transition? Oublions les hôpitaux et les autres établissements, et créons un milieu constructif pour la population qui prend de l'âge.

Dr Molnar : Je vais me lancer en premier.

Je pense que nous devons nous interroger sur ce que signifient les termes « équipe » et « collectivité ». On pourrait dire que la médecine gériatrique a donné naissance aux soins pluridisciplinaires il y a 25 ans. C'est formidable de constater que tous les intervenants sont en voie d'adopter ce concept, mais je pense que les équipes sont beaucoup trop petites. On parle encore de soins pluridisciplinaires fournis en vase clos et concentrés dans une seule pratique. Si nous souhaitons vraiment assurer la transition vers les soins communautaires, il faut que les cinq piliers travaillent ensemble.

Un de ces piliers, c'est la prestation de soins primaires, tandis qu'un autre concerne les infirmières, qui jouent un rôle clé dans la gestion de nombreuses maladies chroniques.

Les spécialistes : quand on examine les nombreux changements en voie d'être apportés aux soins primaires et aux liens en matière de santé en Ontario, on se rend compte que les spécialistes sont totalement mis de côté. Ils ne font pas partie de l'équation ni de la discussion. On n'arrivera jamais à garder les patients les plus malades et les cas les plus complexes à l'extérieur des hôpitaux si les spécialistes ne participent pas à la prestation de soins communautaires. À l'heure actuelle, les spécialistes fournissent des soins communautaires à partir de cliniques en milieu hospitalier. Toutefois, ces cliniques font l'objet de compressions budgétaires, car les budgets eux-mêmes sont en voie d'être réduits. L'apport des spécialistes à la prestation de soins communautaires va diminuer à moins que nous puissions trouver une infrastructure appropriée.

Les soins à domicile : nous avons besoin d'une gamme complète de soins à domicile. En ce moment, les soins à domicile sont axés sur les services que nous sommes tenus de fournir. Il faut vraiment commencer à se poser des questions telles que : pourquoi fournissons-nous tels ou tels services? Quelle est l'idéologie sous-jacente? Pourquoi la situation est-elle en train de se détériorer?

Il existe d'excellents exemples d'intégration. On assiste actuellement à une bonne harmonisation des soins à domicile et des soins primaires. Je pense que cela sera très utile, mais je le répète : les soins prodigués par des spécialistes ne sont pas intégrés. Dans la région, il existe des exemples d'intégration des soins fournis par des spécialistes, comme le soin des plaies, et on constate la présence d'un modèle vraiment solide de soins à domicile. Il faut cesser de percevoir les soins à domicile comme un ensemble de services fournis en fonction des besoins. Il faut qu'ils soient intégrés aux soins primaires et à ceux fournis par des spécialistes.

Le cinquième pilier, qui est probablement le plus important, ce sont les personnes atteintes de démence et leur famille. Nous n'avons pas besoin de littératie en santé et d'habilitation. Nous devons plutôt leur procurer des outils de navigation. Comment vous y retrouvez-vous dans le système? Nous mettons à l'essai certains experts en navigation dans la région. Tout ne reposera pas sur le Web. Les aînés ne vont pas naviguer sur Internet pour s'y retrouver dans le système. Cela ne se produira pas. Nous devons vraiment tenir compte des cinq piliers, soit : les soins primaires; les soins infirmiers; les spécialistes, notamment en médecine gériatrique, en psychiatrie et en neurologie cognitive; la gamme complète de soins à domicile; ainsi que les personnes atteintes de démence et leur famille. Nous devons mettre l'accent sur cette équipe. Il ne s'agit pas simplement d'une équipe pluridisciplinaire œuvrant dans une seule pratique.

Dr Simpson : Je vais cesser pendant un instant de représenter l'Association médicale canadienne et vous livrer mes impressions en tant qu'administrateur d'hôpital et spécialiste sur ce qui se passe sur le terrain. J'ai répété à maintes reprises que nous devons faire en sorte que le système cesse de reposer sur les établissements hospitaliers et accroître les investissements dans la collectivité. Nous avons cessé d'investir dans le secteur hospitalier et investissons davantage dans le secteur communautaire, par exemple en Ontario, mais les effets sont loin de se faire sentir sur le terrain.

Le modèle vers lequel nous sommes censés assurer une transition n'existe pas encore. Par conséquent, les hôpitaux — du moins, pendant la première phase — doivent assumer entièrement le fardeau du vieillissement de la population et les conséquences qui en découlent. Pour moi, la situation n'est pas différente, car, tous les matins, j'essaie de libérer des lits dans un hôpital rempli à 105 p. 100 de sa capacité parce que les services offerts à l'extérieur ne sont pas meilleurs — il peut même arriver qu'ils soient pires.

Il y a quelques années, notre équipe à l'hôpital comptait un représentant des centres d'accès aux soins communautaires de l'Ontario, mais cette personne a dû nous quitter en raison des compressions budgétaires. L'intégration s'est détériorée dans mon milieu. Nous n'avons pas encore mis en place le modèle vers lequel nous souhaitons assurer la transition.

Le gouvernement fédéral pourrait apporter de l'aide, notamment en accélérant l'établissement des structures communautaires, car elles sont désuètes. La réorientation progressive d'une partie du financement des hôpitaux n'a pas encore produit des résultats utiles, soit l'adoption des nouvelles ressources par un plus grand nombre de patients.

Dre Lemire : Je ne veux pas répéter ce que mes collègues ont déjà dit. Je suis d'accord avec tout ce qu'ils ont dit.

J'ajouterais qu'il est vraiment important de faire preuve de souplesse en matière de transition. En tant que médecin de famille œuvrant dans la collectivité, je ne dois pas me sentir abandonnée si j'estime qu'un patient nécessite un soutien communautaire particulier ou doit être admis à l'hôpital pour une raison ou une autre. Je pense qu'il existe d'énormes lacunes dans la transition des soins primaires aux soins secondaires, ainsi que dans l'accès aux ressources communautaires. Je pense que de bons investissements dans ce secteur pourraient vraiment aider à opérationnaliser de manière plus harmonieuse les piliers auxquels le Dr Molnar a fait allusion. Je pense réellement qu'il faut consacrer de l'énergie à ce secteur, qui, par ailleurs, présente certains problèmes.

Dans ma pratique à Corner Brook, une ville terre-neuvienne de 20 000 habitants, il était plus facile de gérer la transition et de faire fonctionner les choses à certains égards, car je connaissais les consultants et les ressources communautaires. Je pouvais les appeler. La situation était plus difficile à Toronto, où j'ai exercé la médecine à temps partiel avant d'assumer mes fonctions actuelles. Il y avait énormément d'intervenants, et je ne savais pas qui appeler. Je ne savais pas non plus à quelles ressources avoir recours au besoin. Il faut aussi tenir compte de la taille et de la réalité de chacune des collectivités, qu'elles soient grandes ou petites.

Mme Pullen : Je suis d'accord avec les observations de tous mes collègues, mais j'aimerais ajouter quelques précisions.

Tout d'abord, lors de nos consultations menées auprès des ministres au cours des quatre derniers mois, on nous a posé constamment la même question, soit définir ce qu'il faut faire pour assurer la transition vers la prestation de soins communautaires. Toutefois, nous avons véritablement besoin d'aide pour déterminer la façon d'y arriver. Je crois que vous serez intéressés d'apprendre que l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, le Collège des médecins de famille du Canada, l'Association canadienne de soins et services à domicile et d'autres intervenants clés se mobiliseront au cours des quatre prochains mois pour mettre l'accent sur les politiques et les pratiques qui faciliteront cette transition. Je vous demande de rester à l'écoute : nous travaillons d'arrache-pied en vue de répondre ensemble à cette question. Vous en apprendrez davantage là-dessus prochainement.

Vous nous avez demandé d'énumérer trois conditions absolument essentielles. Permettez-moi de parler aussi de la nécessité d'adapter les soins destinés aux patients atteints de démence dans la collectivité. De nouveau, il existe des exemples quant à la façon d'offrir ces soins convenablement dans les établissements, les collectivités et les milieux spécialisés, tant au Canada qu'à l'étranger. Nous aimerions en décrire quelques-uns pour vous. Nous allons y revenir plus tard.

Amener le grand public à comprendre la démence et à se débarrasser de ses préjugés à cet égard l'aiderait énormément à mesurer l'importance de mener une vie saine quand on est jeune afin de vieillir en bonne santé. Il est également impératif d'offrir un soutien empreint de dignité et de délicatesse aux personnes souffrant de démence qui désirent vivre dans la communauté au lieu d'être parquées dans un milieu institutionnel. Il est prioritaire d'offrir des soins adaptés aux besoins des patients atteints de démence.

Aux soins prodigués au sein de la communauté s'ajoutent des services spéciaux assurés par les fournisseurs de soins de santé qui améliorent le traitement des patients. Il s'agit de compétences que les fournisseurs de soins de santé acquièrent dans le cadre de leurs programmes d'études.

Notre première recommandation portait sur la mise sur pied d'une commission nationale sur l'intégration des services de santé à l'échelle du Canada. Je veux réaffirmer ce qui a été dit sur la nécessité de mieux harmoniser les services de santé et les services sociaux dans tout le continuum.

Le sénateur Munson : Docteur Simpson, lorsque vous avez parlé du Nouveau-Brunswick, je me suis rappelé les années 1950 à Campbellton, alors que j'étais enfant. Je revois encore les Drs Dumas, McPherson et McLennan toujours en train de se déplacer de l'Hôtel-Dieu au Soldiers' Memorial Hospital, en passant par le domicile des patients, dans le cadre de leur travail. Dans mes souvenirs d'enfant, les médecins étaient toujours là. Ils venaient chez nous. Nous voici donc en train de discuter d'un retour aux soins à domicile, là où le travail était fort bien fait à l'époque.

Un de nos anciens estimés collègues, le Dr Keon, un véritable chef de file, n'a jamais cessé de me dire, quand je faisais des démarches pour que soit instituée une stratégie nationale en matière d'autisme, de poser des questions au sujet de la recherche. La recherche est tellement primordiale. Or, je n'ai pas entendu prononcer le mot « recherche » dans les exposés prononcés ce matin. Où la recherche s'inscrit-elle dans tous ces efforts? Il faut continuer à financer adéquatement des travaux pour résoudre les mystères du cerveau et trouver des nouvelles idées.

Vous avez fait mention de villages résidentiels à l'intention des personnes atteintes de démence. Qu'entendez-vous par là? S'agit-il de villages où on isole les gens qui souffrent de démence? Il m'arrive de penser à un hôpital psychiatrique à Campbellton. Certaines de mes connaissances ont vécu l'expérience de se faire envoyer avec d'autres personnes dans un village résidentiel, mais faisant partie d'une institution, ou à Saint John, au Nouveau-Brunswick. Ce genre d'idées me fait peur.

Dr Simpson : La recherche est essentielle. Il a beaucoup été question, en particulier au sommet international, de la recherche pour trouver une cure. C'est le type de message que les intervenants dans la lutte contre le cancer ont utilisé pendant longtemps. C'est très intéressant pour amasser des fonds.

À vrai dire, la recherche pour découvrir de meilleurs traitements, aussi importante soit-elle, risque fort de déboucher sur des avancées graduelles. Il se peut que les chercheurs lancent quelques « Eurêka! » ici et là, mais nous ne ferons pas disparaître la démence de sitôt. Cependant, je ne veux nullement minimiser l'importance des travaux de recherche dans ce domaine.

Le Canada doit axer ses efforts sur la recherche en services de santé. Ce type de recherche ne peut être réalisé qu'au Canada, vu nos facteurs géographiques, démographiques et culturels. Il faut étudier tous ces éléments afin de déterminer la voie à suivre. Nous devons créer un plan fonctionnel pour mieux prendre soin des personnes atteintes de démence au pays. C'est moins prestigieux et moins susceptible de défrayer les manchettes. Toutefois, c'est la recherche en services de santé qui représente le meilleur usage possible de nos dollars. Si nous finançons les travaux dans ce domaine, nous arriverons à définir une approche plus efficace pour le contexte canadien.

Dr Molnar : Les domaines de recherche dans lesquels nous investissons revêtent une importance capitale. On m'a consulté à propos du programme de recherche de l'Organisation mondiale de la santé. Les idées lancées étaient sensiblement les mêmes que celles avancées au Canada.

La recherche en services de santé a longtemps été négligée, traitée en parent pauvre. Elle commence à gagner ses lettres de noblesse. Le gouvernement fédéral, par l'entremise des Instituts de recherche en santé du Canada, finance le Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement, ou CCNV. Celui-ci se penche sur des questions de recherche névralgiques.

On se demande notamment quel est le meilleur modèle de soins primaires pour les patients atteints de démence. De nombreux modèles sont mis à l'essai. Il y a celui des médecins champions. Ce modèle, proposé par Linda Lee, a inspiré les cliniques de soins primaires concertés établies en Ontario. Il existe 78 cliniques du genre, où travaille un médecin champion, des infirmières très compétentes et d'autres professionnels de la santé très qualifiés. Elles sont liées à un spécialiste ou deux, qui offrent un soutien. C'est un modèle en plein essor.

Il y a aussi les modèles de soins relevant du personnel infirmier ou du personnel infirmier praticien qui sont étudiés, dans notre région.

Selon un autre modèle, qui ne fait l'objet d'aucune étude, des évaluateurs en gériatrie se rendent auprès des équipes de santé familiale et s'entretiennent avec les patients, puis discutent avec le fournisseur de soins primaires.

Puis, il y a le modèle traditionnel où on consulte un spécialiste quand on ne peut gérer la démence par soi-même.

Il existe donc divers modèles, et le CCNV, je crois, cherche à établir le modèle qui convient dans tel ou tel contexte. Il n'y a pas de solution universelle. Les soins primaires constituent un ensemble très hétérogène. Pour répondre aux besoins, qui diffèrent grandement d'une région à l'autre, il nous faut toute une gamme de modèles, et nous devons déterminer les endroits où ils s'appliquent le mieux et les endroits où nous pouvons les faire fonctionner.

Voici l'autre question qui doit alimenter nos efforts et leur servir de fondement : qu'est-ce qui est important pour les soignants? Les soignants que nous avons intégrés dans tous nos comités sur la démence disent qu'il y a trois choses qui les épuisent et se traduisent par une hospitalisation et des soins de longue durée prématurés : le comportement, le manque de sommeil et l'incontinence urinaire. Nous avons un autre mea culpa à faire. Dans les cliniques spécialisées en démence, nous ne nous occupons pas des problèmes de sommeil ou d'incontinence. Les médicaments que nous utilisons, les inhibiteurs de cholinestérase, peuvent perturber le sommeil et causer de l'incontinence urinaire. Nous ne nous servons même pas de nos connaissances cliniques pour faire en sorte que les soignants gardent les patients dans la communauté.

Nous n'avons pas de mécanismes si la situation s'aggrave. Que faire si quelqu'un se montre agressif? Que faire si le soignant n'arrive pas à dormir? Les gens ne peuvent pas attendre 7 ou 10 jours avant de voir un médecin. Ils aboutissent eux-mêmes à l'hôpital. La démence envoie un grand nombre d'aidants naturels à l'hôpital. On peut bien parler des 750 000 personnes atteintes de démence, mais de deux à trois fois plus de gens risquent l'hospitalisation.

Le CCNV réalisera des travaux de recherche sur les soignants afin d'orienter nos actions. Je ne crois pas que les chercheurs du CCNV examinent des modèles de soins à domicile. Je le répète, nous avons besoin de soins à domicile améliorés. Il y a de nombreuses années, notre région disposait d'équipes qui prodiguaient des soins à domicile aux personnes atteintes de démence. Les coordonnateurs de soins à domicile avaient acquis une grande expertise. Ils sont devenus les aiguilleurs du système. Ils étaient en mesure d'envoyer de l'aide rapidement. Le système fonctionnait tellement bien qu'il a été supprimé.

Voilà des sujets de recherche en services de santé. Je félicite le gouvernement fédéral et les Instituts de recherche en santé du Canada de financer le CCNV.

Dre Lemire : Nous voyons également d'un bon œil les investissements réalisés par les Instituts de recherche en santé du Canada et par leur entremise. Ceux-ci ont lancé les Réseaux de la SRAP — Stratégie de recherche axée sur le patient. Les réseaux s'emploient surtout à mieux comprendre la situation du patient aux besoins complexes. Je crois que nous pouvons convenir que les patients atteints de démence entrent dans cette catégorie. Je ne sais trop si les réseaux se penchent spécifiquement sur la démence, mais je sais qu'ils s'intéressent au patient ayant des besoins complexes. Un appel a été lancé à l'égard d'un bureau national de coordination des Réseaux de la SRAP. Le collège présentera une demande la semaine prochaine. Nous croyons en l'importance d'agir, de poser les bonnes questions et de trouver des réponses en ce qui a trait à la gestion des patients aux besoins complexes dans notre société.

Le président : Nous allons terminer ce segment avec Mme Pullen. Si vous avez une observation à formuler au sujet de l'autre question, c'est d'accord, mais prière de vous limiter aux modèles.

Mme Pullen : Je souscris aux propos sur la recherche et je suis d'accord pour dire que nous devons nous concentrer sur la santé de la population.

Pour ce qui est des villages, les meilleurs exemples se trouvent à l'extérieur du Canada. Ils reposent sur le désir d'éliminer les préjugés associés à la démence et de trouver un bon équilibre entre sécurité, qualité de vie et dignité. L'idée s'appuie également sur une volonté collective de ne pas isoler les gens qui souffrent de démence en les plaçant dans des environnements où ils sont séparés des autres membres de la population — des membres de tous les âges —, de leur offrir des occasions sécuritaires d'être à l'extérieur et non à l'intérieur, et de leur permettre de se déplacer en toute sécurité pour aller prendre part régulièrement à des activités communautaires.

Je partage votre inquiétude. Nous ne voulons certainement pas créer des villages isolés, mais plutôt tirer parti de possibilités novatrices d'intégrer les patients atteints de démence dans la société civile et de réaliser un équilibre entre sécurité, autonomie et qualité de vie.

La sénatrice Raine : J'aimerais avoir une précision. Docteur Molnar, avez-vous dit que le CCNV ne recevait plus de financement?

Dr Molnar : Non. Il reçoit du financement de la part des Instituts de recherche en santé du Canada, et ses activités prennent rapidement de l'ampleur.

La sénatrice Raine : C'est bien.

J'aimerais vous demander à tous des éclaircissements. On entend de nombreux termes différents ici, et le commun des mortels risque d'en perdre son latin. Le terme « soins à domicile », par exemple, ne veut pas nécessairement dire que les soins sont donnés dans la maison où une personne a grandi. Il peut s'agir d'une résidence pour aînés. Les soins sont parfois offerts à la maison même du patient; le fournisseur de soins doit donc se déplacer. Parfois, les soins sont offerts dans un centre communautaire pour aînés, ou un village. La prestation des soins est probablement plus efficace.

Si je comprends bien, le gouvernement n'offre pas de financement pour ce genre de villages. Est-ce que cela dépend de la province?

Mme Pullen : Je ne saurais répondre avec certitude. Le Canada étant le pays des projets pilotes, je suis convaincue qu'il y a des essais dont nous ignorons l'existence à divers endroits. Toutefois, il n'y a aucun engagement général visant à accroître les initiatives en matière de soins à domicile. Les représentants de l'Association canadienne de soins et services à domicile vous diraient que nous espérons des principes harmonisés à l'échelle du pays au lieu de normes minimales qui risquent d'entraîner un nivellement par le bas. Nous aspirons à des normes canadiennes harmonisées pour répondre aux besoins.

La sénatrice Raine : Il y a quelques années, ma sœur a reçu un diagnostic de maladie d'Alzheimer. Je lui ai cherché un endroit où aller vivre. Son conjoint étant décédé, elle vivait seule. Heureusement, la maladie a été diagnostiquée assez tôt, alors ma sœur a pu prendre ses propres décisions. La résidence où elle se trouve actuellement m'impressionne énormément, car il y a un continuum de soins. Ma sœur a bénéficié de services d'aide à l'autonomie et maintenant elle reçoit des soins en établissement. Elle est en sécurité et heureuse. L'établissement propose les deux types de services et est donc à même d'accueillir les couples dont un des conjoints nécessiterait plus de soins que l'autre.

Pareil modèle est-il monnaie courante au Canada, ou ai-je seulement été chanceuse?

Mme Pullen : C'est un modèle assez commun. Je connais des milieux institutionnels, même à Ottawa, qui fonctionnent de cette façon et qui procurent des soins d'excellente qualité dont les patients et les familles sont très satisfaits.

Par contre, nous pouvons en faire davantage.

Je veux revenir sur l'intégration des services de santé et des services sociaux. Pour permettre aux gens de rester chez eux et de recevoir des soins à domicile, il faut faire appel à d'autres intervenants en plus des fournisseurs de soins de santé. Ces intervenants doivent savoir comment travailler avec des patients souffrant de démence qui vivent seuls ou avec leur famille dans leur maison; ils doivent reconnaître leurs besoins et pouvoir prendre soin d'eux. Ce n'est pas la même chose que des patients qui vivent en résidence — on parle encore de soins à domicile —, mais qui jouissent d'un soutien, lequel s'inscrit dans les services qu'ils reçoivent déjà. Comme vous l'avez dit, le concept de « soins à domicile » s'applique aux deux environnements.

La sénatrice Raine : Ce modèle-là m'impressionne. Dans l'établissement dont j'ai parlé, bon nombre de résidants ne souffrent pas de démence; ce sont des gens actifs qui font partie de la communauté. La clientèle n'est pas composée que de personnes atteintes de démence.

S'il s'agit d'un bon modèle, alors il est nécessaire de le reproduire et de construire davantage d'établissements de ce genre, en toute efficacité. À votre avis, serait-il possible d'avoir recours à des partenariats public-privé pour bâtir ces établissements? Le gouvernement devrait-il envisager d'accorder du financement, qui s'ajouterait au financement du secteur privé, à ces établissements?

Mme Pullen : De nombreux mécanismes pourraient donner de bons résultats, y compris les partenariats public- privé. Je ne peux pas vous répondre de manière plus approfondie, mais nous serions ravis de fournir de l'information ultérieurement, si cela peut vous être utile.

Mes collègues ont peut-être des commentaires à formuler.

Le président : Comme nous souhaitons aborder toutes les questions, si personne n'a de réponse précise à donner, nous allons poursuivre nos délibérations.

Avant de passer à la deuxième série de questions, je veux intervenir dans la discussion.

Vous avez décrit, de façon on ne peut plus détaillée du fait que vous êtes des professionnels du domaine, les enjeux dont nous entendons parler constamment en ce qui a trait au dépistage et au traitement de la démence et à la santé des patients.

Le problème qui ressort continuellement a été mis en lumière aujourd'hui : le Canada est un pays de projets pilotes. Le comité a étudié bien des questions de santé touchant l'ensemble du pays. Chaque fois, nous constatons le morcellement des services et l'absence de mécanisme permettant d'appliquer les pratiques exemplaires d'un bout à l'autre du Canada, voire à l'échelle d'une province. Je ne veux pas insinuer que cela n'est jamais arrivé, mais, en règle générale, c'est ce qui ressort des témoignages devant le comité.

Le problème, semble-t-il, se résume au fait qu'il n'existe aucune organisation qui aurait le pouvoir et le mandat d'assurer une gestion pancanadienne. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à l'échelle nationale, mais, dans le domaine des soins de santé, nous avons un gouvernement national qui verse de l'argent et des provinces qui protègent jalousement leur pouvoir constitutionnel de décider comment dépenser cet argent.

Notre régime politique est caractérisé par des mandats à court terme, et les politiciens consacrent leurs efforts à se faire réélire. Les décideurs sont déconnectés des gens qui sont responsables, dans chaque province, de gérer un hôpital — ou deux ou trois dans une grande localité — et qui passent le plus clair de leur temps à essayer de déterminer comment sabrer dans les services de nettoyage pour économiser de l'argent au lieu de cerner les meilleures pratiques et de les mettre en œuvre. Ces derniers ont encore moins le temps de se pencher sur la vaste gamme de facteurs dont il faut tenir compte pour gérer des patients atteints de démence qui restent dans la communauté ou dans leur milieu de vie.

J'ajouterai que le Canada compte des organismes en mesure d'être pancanadiens, et sans les difficultés que je viens d'évoquer. Je pense par exemple à la Société Alzheimer, qui dispose d'antennes nationale et provinciales. Je ne sais pas si elle est vraiment efficace dans ce domaine; tout ce que je dis, c'est qu'il s'agit d'un organisme qui n'est pas restreint par les contraintes constitutionnelles concernant la façon dont un programme national doit interagir avec les organismes provinciaux.

Ma question à votre intention est la suivante : parlant de l'élaboration d'une stratégie nationale, est-ce que l'un d'entre vous entrevoit la possibilité de cibler une organisation existante qui aurait la capacité de s'attaquer à un enjeu tel qu'une stratégie nationale sur la démence, de s'occuper des dossiers dont vous avez parlé dans ce pays balkanisé, et de mettre en œuvre des pratiques exemplaires déterminées dans un domaine ou un autre?

Dr Simpson : Je suis entièrement d'accord avec vous. J'ai déjà dit à quelques reprises à ce sujet que nous travaillons davantage en vase clos que jamais auparavant car lorsque les temps sont durs, nous nous refermons sur nous-mêmes.

D'après ma propre expérience en milieu hospitalier, tout revient à une question du genre : « Comment allons-nous parvenir à retrancher 20 millions de dollars du budget de cette année? » On en arrive à des raisonnements irrationnels. Je suis incapable d'utiliser mon budget dans un hôpital pour investir dans un projet extérieur à cet hôpital, même si je sais qu'il finira par aider mes résultats financiers. C'est impossible. Je ne peux transférer l'argent. Le système n'est pas ainsi fait.

Je crois qu'on retrouve une bonne partie de vos propos dans le rapport de David Naylor. Il y est question de créer une agence ou un organisme national qui disposerait des ressources et de l'autorité pour mettre en œuvre une sorte de plan national. Il faut toutefois surmonter quelques obstacles politiques et constitutionnels.

Peut-être qu'une version à plus petite échelle consisterait à demander ce que le gouvernement fédéral pourrait faire pour faciliter un tel projet. Il pourrait s'appuyer sur les organismes gouvernementaux existants tels que l'Inforoute Santé du Canada ou la Fondation canadienne pour l'amélioration des services de santé, qui sont en mesure de fournir aux parties intéressées des renseignements et des moyens pour évaluer leur performance. La divulgation de cette performance est un excellent moyen de susciter une pression de la part du public.

Que peut-on faire avec les organismes d'accréditation afin d'obtenir des paramètres valables? Bien qu'il soit important de se laver les mains, je peux songer à bien d'autres choses qui devraient avoir la priorité sur le fait de s'assurer que tout le monde se lave les mains dans un hôpital. Je ne dis pas qu'il ne faut pas se laver les mains, mais en toute honnêteté, cela doit arriver au 250e rang des 275 choses qui sont vraiment importantes.

Don Berwick a écrit quelque chose de très éloquent à ce sujet aux États-Unis. Il faut des paramètres signifiants. Certains organismes fédéraux ont la capacité, si ce n'est les ressources et l'expertise, de nous aider à nous évaluer et à rendre des comptes de façon à obtenir des résultats signifiants.

Si nous voulions vraiment avoir une vision de grandeur, nous lirions le rapport Naylor et dirions « Allons-y ». Si c'est impossible sur le plan politique ou financier, le fédéral a un énorme rôle à jouer dans la création d'un environnement permettant d'élaborer des normes nationales, de mesurer le rendement par rapport à ces normes nationales, et de divulguer les résultats afin d'assurer la reddition de comptes.

Le président : Si l'un d'entre vous songe à quelque chose dans ce domaine une fois que vous aurez quitté les lieux, pourrait-il nous envoyer une note à ce sujet? Il n'est pas nécessaire d'avoir examiné tous les détails, mais si vous avez une idée, pourriez-vous la transmettre à la greffière?

J'aimerais aborder rapidement deux autres aspects. Le mode de financement du gouvernement fédéral dans ce domaine est inefficace sur le plan de la reddition de comptes pour les raisons que j'ai déjà énumérées. À preuve, les milliards de dollars investis au fil des ans en vue de réduire les temps d'attente. Nous savons que 90 p. 100 de cet argent a été dépensé en hausses salariales et en mesures créatives de la part des hôpitaux concernant la façon dont ils mesurent le temps d'attente. Le problème lié à l'élaboration d'un plan national est cette balkanisation constitutionnelle, ce qui est très grave.

Enfin, j'aimerais donner un exemple concernant la frustration liée à l'élaboration de modèles dans le cadre d'un énième projet-pilote qui pourrait s'avérer efficace. Vous en avez d'ailleurs parlé de façon très éloquente. Nous avons étudié différentes choses, après quoi divers dirigeants dans le domaine de la santé sont venus à mon bureau pour me parler d'exemples de frustration.

J'ai entendu parler de quelques cliniques ontariennes qui sont parvenues à instaurer des modèles créatifs d'approche communautaire afin d'offrir des services pour lesquels les gens iraient normalement à l'hôpital. Leurs initiatives ont bien débuté, avec l'appui du régime de santé, mais le tout s'est abruptement terminé parce qu'elles ne correspondent pas au modèle de financement. Par conséquent, l'un des principaux problèmes que nous avons identifié dans plusieurs de nos études se rapporte au modèle de financement, particulièrement dans le cadre de l'accord sur la santé, qui constitue un obstacle majeur à l'innovation.

Il y a aussi le fait que dans la plupart des systèmes d'innovation, il doit y avoir un moteur à l'innovation. Habituellement, le moteur le plus efficace est la concurrence, et il y a très peu de concurrence dans la prestation des soins de santé au Canada.

Ce sont tous des enjeux qui sous-tendent toutes ces belles choses que vous proposez ici aujourd'hui. Ils empêchent d'avancer. Je vais une fois de plus vous demander de ne pas passer davantage de temps à philosopher sur la question aujourd'hui, mais si vous avez des idées sur la façon d'aborder l'un ou l'autre de ces aspects, veuillez nous les transmettre. Elles seraient très utiles au comité. Cette discussion rend les choses officielles, ce qui est nécessaire pour notre rapport, et nous aimerions connaître vos pensées futures à ce sujet.

Je vais maintenant laisser la parole à mes collègues.

Le sénateur Eggleton : Docteur Molnar, l'échelle de détérioration globale, aussi connue sous le nom d'échelle de Reisberg je crois, divise la démence en sept stades. S'agit-il d'un instrument utile pour la profession, ou pour le public? Est-il utile, en fait?

Dr Molnar : Je n'utilise pas cette échelle dans le cadre de ma pratique. Elle est utile, je crois, une fois qu'une personne a reçu un diagnostic de démence et que les membres de sa famille commencent à l'assimiler. Cette nouvelle cause habituellement un choc, et ils doivent se faire à l'idée. Lorsqu'ils reviennent pour les visites subséquentes, cette échelle les aide à comprendre comment les choses vont évoluer et qu'il ne s'agit pas d'une maladie stable. Elle provoque des changements fonctionnels.

Je me soucie peu des chiffres de l'échelle de détérioration globale. Je me soucie plutôt de leur expliquer comment s'opéreront les changements au fil du temps, à quoi se préparer, à avoir une vue d'ensemble à plus long terme. Il faut faire cela au bon moment, lorsque la personne possède toujours des facultés cognitives et psychologiques suffisantes. C'est certainement quelque chose que pourrait faire la Société Alzheimer, qui est un organisme bénévole fantastique, un organisme de bienfaisance qui fait beaucoup de sensibilisation. En fait, elle sensibilise beaucoup plus les gens que ne le font les médecins et les cliniciens. Elle est utile pour obtenir une vue d'ensemble.

Le sénateur Eggleton : Vous avez surtout lié cela à l'utilisation professionnelle de l'échelle. Qu'en est-il des gens qui tentent de déterminer s'ils vieillissent normalement, si leurs problèmes cognitifs sont normaux, si leurs pertes de mémoire sont normales et ne constituent pas de la démence ou quelque chose de beaucoup plus sérieux?

Dr Molnar : L'autoévaluation précoce et une évaluation par la famille sont d'une grande aide.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que cette échelle ou une autre échelle pourraient être utile au public?

Dr Molnar : Je préconise la liste des 10 signes précurseurs de la Société Alzheimer. C'est ce que je remets à mes patients lorsqu'ils ne souffrent pas de démence, mais qu'ils sont à risque. Je demande aux membres de la famille d'être à l'affût de ces signes, et je leur dis de revenir dans trois, six ou neuf mois. On en a même parlé à la télévision, je crois.

Cela a d'ailleurs été fait avec brio pour les accidents vasculaires cérébraux. Nous savons tous maintenant comment les reconnaître et quoi faire lorsqu'ils surviennent. Ce serait bien si on parvenait à faire la même chose avec la maladie d'Alzheimer sans effrayer les gens. Si cela ne fonctionne pas, il faut se pencher sur les autres obstacles. Pourquoi les gens ne viennent-ils pas chercher de l'aide? Ont-ils peur? Est-ce parce qu'ils pensent qu'il n'y a rien à faire? Y a-t-il un autre type de message qu'il faudrait essayer de transmettre à la population? Je choisirais de tenter le coup avec les 10 signes précurseurs de la Société Alzheimer.

La sénatrice Seidman : Docteur Molnar, vous avez indiqué dans votre mémoire que le Canada produit de 15 à 25 spécialistes en médecine gériatrique par année, ce qui est beaucoup moins que d'autres spécialités où il n'y a pas de pénurie de médecins. Vous avez ajouté que c'est un contraste par rapport au Royaume-Uni, où la médecine gériatrique est une des plus importantes spécialités en médecine interne.

Vous avez aussi parlé des salaires et de la forte concentration dans les hôpitaux universitaires comme étant d'autres problèmes, ou peut-être des problèmes connexes. Ma question est la suivante : Que font-ils au Royaume-Uni qui leur permet, contrairement à nous, de recruter avec autant de succès? Je vous pose cette question car j'ai en tête un rapport du Royaume-Uni publié plus tôt ce mois-ci et intitulé Challenge on Dementia 2020 : Implementation Plan. Qu'en pensez-vous?

Dr Molnar : Il y a de bonnes nouvelles. La dernière année a été exceptionnelle au Canada : jusqu'à 51 résidents au Royal College et 24 résidents en soins pour les aînés en formation en ce moment. Notre situation s'améliore, et les salaires commencent à être équivalents dans toutes les provinces. Ce rattrapage ne suffit pas, mais notre retard n'est plus aussi prononcé.

Les pratiques au Royaume-Uni et aux États-Unis sont différentes. Il s'agit presque d'une spécialité différente dans ces deux pays. Au Royaume-Uni, les gériatres sont des internes aux soins intensifs. Ce sont des médecins généralistes et des médecins qui s'occupent des AVC qui traitent un peu de démence, mais pas autant qu'au Canada. Aux États-Unis, la médecine gériatrique est une spécialité de soins de première ligne. Quelque 7 000 médecins y pratiquent des soins de première ligne.

Au Canada, c'est davantage une spécialité de consultation. Le modèle a été conçu de façon à tenir compte du fait que nous sommes en retard par rapport à d'autres pays pour ce qui est de créer cette spécialité puis de faire du rattrapage, et aussi de façon à examiner comment nous pourrions obtenir le meilleur rendement, ce qui serait davantage dans le domaine de la consultation, en se concentrant sur les cas les plus complexes. Les spécialités varient selon les pays.

Au Canada, il faut déterminer avec soin comment planifier les effectifs médicaux. Il ne s'agit pas seulement de chiffres. Où peut-on tirer le maximum des gériatres? Ils devraient être moins nombreux dans les centres universitaires et plus présents dans les collectivités rurales. Il faut les intégrer davantage dans les soins de première ligne, comme c'est le cas dans les cliniques de soins de première ligne pour les troubles de la mémoire de Linda Lee. Il faut une meilleure répartition dans la province. Il faut se pencher sur la façon dont nous les utilisons.

Par exemple, je suis médecin praticien dans un hôpital. Je passe beaucoup de temps dans mon service de soins intensifs, où je traite des dizaines de patients. Lorsque je fais des consultations, cela décuple le nombre de patients. Quand je travaille avec mes équipes gériatriques mobiles dans la communauté, ce sont 2 000 ou 3 000 cas que j'examine. Et tout cela pour le même salaire. En fait, le travail communautaire n'est pas vraiment facturable, alors il s'agit pour ainsi dire de bénévolat. Nous n'investissons pas là où on pourrait obtenir le meilleur rendement et rejoindre le maximum de gens. Il faut se demander ce que devrait être cette profession et à quel endroit elle pourrait être le plus bénéfique. Puis, en fonction de ce modèle, il faudrait déterminer à quel endroit affecter les gens.

Nous n'avons pas fait le travail primaire, et la Société canadienne de gériatrie ne dispose pas des ressources pour le faire de son propre chef. Il nous faut un organisme national qui s'attaquerait à cette tâche, qui se pencherait sur la planification des effectifs médicaux dans le domaine des services spécialisés pour aînés, de gériatrie et de psychiatrie gériatrique, les trois groupes spécialement formés pour s'occuper des cas complexes chez les aînés. Où a-t-on besoin d'eux? Une fois que nous saurons où leurs services sont requis et comment ils doivent travailler, nous pourrons déterminer combien il nous en faut.

La sénatrice Seidman : Quel serait cet organisme national?

Dr Molnar : Je n'en ai aucune idée. C'est en partie pour cela que je participe à ce genre de discussion : pour avoir des idées.

La sénatrice Stewart Olsen : Avez-vous songé à une stratégie nationale qui établirait un protocole national pour la formation des soignants? D'après ce que l'on constate, ce sont vraiment les aidants qui sont sur le terrain. Je sais que dans les cabinets des médecins, les soins intensifs et les cliniques, vous faites tout votre possible, mais cela ne s'arrête certainement pas là. Les gens se sentent laissés à eux-mêmes lorsqu'ils sont aux prises avec cette maladie et qu'ils tentent de garder un parent à la maison.

Mme Pullen : Dans nos recommandations, nous avons indiqué que le gouvernement fédéral devrait financer un portail sur les ressources contenant toute sortes de renseignements, qu'il s'agisse de recherches fondées sur des faits ou d'outils pratiques destinés à des profanes. Il existe certainement un besoin pour ce genre de ressource centralisée et fondée sur des faits destinée à un vaste public cible. Nous appuierions un tel projet dans le cadre d'une initiative visant à créer une commission, un partenariat ou une entité nationale quelconque.

Dre Lemire : Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit. Je crois également, malgré vos commentaires, que nous devrions déterminer quelles initiatives existantes sont prometteuses. La Société Alzheimer est très présente auprès des soignants. Il s'agit d'un type de démence, j'en conviens. De quelles initiatives fructueuses de cette société pourrions- nous nous inspirer? Comment étendre ce qui fonctionne? Nous avons tous le même défi à relever : comment appliquer à tout le pays les excellentes innovations et initiatives qui existent déjà.

Dr Molnar : En ce qui concerne les aidants, la connaissance est un bon point de départ, mais ce n'est pas suffisant. Nous n'avons pas encore parlé de « répit », qui est un mot clé. Nous, professionnels de la santé, en apprenons de plus en plus au sujet du répit en discutant avec les aidants. Il y a le répit de jour et le répit de nuit. En ce moment, les aidants sont trop épuisés pour organiser des périodes de répit. Il faut se pencher sur le répit à domicile.

Le Québec possède un programme de soins de répit à domicile. Des bénévoles offrent ce services pour les personnes atteintes de démence. Lorsque ces personnes quittent leur foyer, leur santé et leur comportement se détériorent. Les connaissances sont importantes, mais certains aidants sont si épuisés et stressés qu'ils ne peuvent plus assimiler de connaissances. Ils ont vraiment besoin d'un répit signifiant. Nous apprenons tout juste que certains des programmes que nous offrons ne sont pas adéquats.

Le président : Plus tôt, vous avez fait valoir d'autres arguments liés à cet aspect. Pour nous, il s'agit d'un enjeu extrêmement important.

Docteure Lemire, loin de moi l'idée de laisser entendre qu'il n'existe pas de bonnes mesures; le problème, c'est que nous ne les faisons pas connaître et que nous ne les propageons pas dans les autres sociétés. Le modèle de propagation pourrait donc s'appliquer aussi bien aux activités humaines qu'aux microbes.

Docteur Simpson, je veux être certain de bien comprendre ce que vous avez dit au début de vos observations préliminaires. Je pense vous avoir entendu dire que la démence n'est pas le seul problème, car la majorité des personnes qui en sont atteintes sont aussi aux prises avec d'autres problèmes. Je tiens à préciser que j'ai bien compris ce que vous avez laissé entendre. Je crois savoir que de nombreuses personnes qui sont atteintes de démence passent par plusieurs stades; la maladie évolue jusqu'à ce qu'elles en arrivent au dernier stade, qui est complexe. Aux premiers stades de la démence, il se peut très bien que des gens n'aient pas d'autres problèmes médicaux graves, comme le diabète. Pourriez- vous préciser ce que vous vouliez dire?

Dr Simpson : Ce que je voulais dire, c'est que les personnes atteintes de démence sont plus susceptibles de souffrir d'autres maladies chroniques que les personnes qui ne sont pas atteintes de démence, notamment parce que les facteurs de risque sont les mêmes. Je voulais tout simplement souligner que lorsque nous faisons une étude ou que nous discutons des patients atteints de démence et que nous tentons de déterminer comment leur situation évoluera pour pouvoir mieux définir leurs besoins, nous constatons souvent qu'ils souffrent d'autres maladies chroniques. Généralement, lorsqu'une personne qui est atteinte de démence à un stade modéré et qui reste à la maison vient à l'hôpital, ce n'est pas parce qu'elle est atteinte de démence, mais bien parce qu'elle a un problème d'insuffisance cardiaque qui s'aggrave. Bien souvent, ces patients ne correspondent pas du tout à l'image qu'on se fait de ceux qui souffrent de démence.

Je suis cardiologue, et je rencontre constamment des gens qui sont atteints de démence. Ai-je les compétences nécessaires pour m'occuper de leurs problèmes liés à la démence? Pas vraiment. Ce problème de santé représente donc une difficulté supplémentaire. Cela nous ramène à ce que Frank a dit; il a mentionné qu'il faut constituer une équipe qui s'occupera de la personne atteinte de démence et tiendra compte du fait que cette maladie n'est pas son seul problème de santé, car nous savons que ce sont ces facteurs qui entraînent l'admission à l'hôpital.

Le président : Merci. Vos propos ont permis d'éclaircir certains points. Je pense que plusieurs d'entre vous l'ont mentionné : le problème, c'est qu'il est difficile d'inciter les gens à demander conseil. Certaines données semblent montrer que si la maladie est décelée suffisamment tôt, il est possible de prendre certaines mesures pour freiner sa progression. C'est ce qu'indiquent certaines données qui figurent dans les documents que nous avons reçus pour cette étude. Je vous remercie infiniment.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier de nous avoir fourni autant de précisions et de renseignements complémentaires et de nous avoir fait part de votre expérience sur le sujet.

Je tiens à souligner que si vous avez une idée de génie, vous ne devez pas hésiter à nous la communiquer. Puisque vous avez déjà témoigné devant le comité, vos idées sont pertinentes et nous en tiendrons compte dans nos discussions. Il n'est pas nécessaire de fournir autant de détails que dans les 75 pages de la demande de financement pour la recherche. Le but est de présenter des idées pour faciliter la gestion globale de ce problème de santé à l'échelle du pays et à l'échelle locale, comme vous l'avez mentionné. Si vous avez des idées à ce sujet, n'hésitez pas à nous les communiquer.

(La séance est levée.)

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