Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 17 - Témoignages du 1er mars 2017
OTTAWA, le mercredi 1er mars 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour poursuivre son étude de ce projet de loi.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie. Je suis un sénateur de Nouvelle-Écosse et je préside le comité. Je vais commencer par demander à mes collègues de se présenter.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, sénatrice de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Cormier : René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, sénateur de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.
Le président : Je remercie mes collègues et je rappelle que nous sommes ici aujourd'hui pour poursuivre l'étude du projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et une autre loi en conséquence.
Je rappelle aussi que notre séance de travail ne doit pas se poursuivre au-delà de 17 h 15. Nous avons en fait deux témoins aujourd'hui. Il y a M. Watt et ensuite, M. Paterson et M. Waldman qui présentent un témoignage commun. Ils pourront dans un premier temps formuler leurs observations préliminaires séparément, mais un seul d'entre eux devra répondre aux questions. Leur équipe ne disposera que d'un seul droit de réponse. C'est l'arrangement qui a été conclu et je veux m'assurer que nous comprenons bien comment cela doit fonctionner.
J'invite l'équipe à présenter d'abord ses observations. Monsieur Waldman, si vous voulez bien commencer.
Lorne Waldman, avocat, à titre personnel : Je vous remercie de m'offrir la possibilité de venir témoigner aujourd'hui. Je m'appelle Lorne Waldman, je suis un avocat en droit de l'immigration, ancien président de l'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés. En raison des contraintes de temps, je ne donnerai pas plus de détails sur mon organisation ni sur mes qualifications.
Je vais vous parler d'un aspect qui ne figure pas dans le projet de loi et que nous vous demandons d'intégrer par voie d'amendement. Il s'agit de l'absence du droit à une audience dans les dispositions actuelles de la Loi sur la citoyenneté.
Jusqu'en 2012, toute personne dont la citoyenneté était révoquée, avait droit de demander une audience devant un juge de la Cour fédérale. Au cours de cette audience, cette personne avait le droit de demander la divulgation complète de toutes les preuves réunies contre elle, d'appeler des témoins et de soumettre sa cause à un juge indépendant afin qu'il détermine si elle avait véritablement fait de fausses déclarations.
La loi présentée par l'ancien gouvernement conservateur a supprimé ces droits. En lieu et place, c'est un fonctionnaire qui exerce les fonctions d'enquêteur et de poursuivant, qui rédige le dossier de la poursuite, qui détermine les probabilités que la personne a fait de fausses déclarations et qui lui envoie un avis de décision. Une fois que la personne concernée a répondu à cet avis, c'est au même fonctionnaire qu'il revient de trancher.
À mon sens, ce processus va à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Déclaration canadienne des droits — nous avons d'ailleurs avancé cet argument devant les tribunaux — parce qu'il refuse à la personne concernée un droit à une audience devant un tribunal indépendant.
C'est pour cette raison que nous croyons que le Sénat devrait sérieusement envisager de modifier le projet de loi. Afin de démontrer pourquoi ce processus est si injuste, je vais vous donner l'exemple d'un de nos clients. Évidemment, je ne peux divulguer les détails, mais je vais vous en présenter les grandes lignes.
Notre client avait reçu une lettre affirmant qu'il avait fait de fausses déclarations sur sa demande de citoyenneté, étant donné que les absences qu'il avait signalées ne concordaient pas avec certaines informations que l'agent d'immigration avait reçues des services frontaliers au sujet de ses entrées et sorties du Canada. Il disposait de 30 jours pour répondre. Il a répondu au même agent en lui expliquant qu'au moment où il s'était présenté pour son entrevue de citoyenneté, la personne qui l'avait reçu avait noté avec lui certaines erreurs; ils les ont corrigées et, après avoir calculé le nombre d'absences, ils ont constaté qu'il était toujours admissible. Il a innocemment envoyé cette lettre, pensant que c'était une explication satisfaisante.
Sans aucune audience et sans autre avis, il a reçu un jour une lettre l'avisant que sa citoyenneté était révoquée. L'agent d'immigration affirmait qu'après avoir examiné son dossier, il n'avait trouvé aucun élément qui appuyait ses prétentions. Notre client n'a jamais eu accès à son dossier et il a perdu sa citoyenneté sur la simple décision d'un agent qui ne lui a accordé aucune audience pour lui permettre de prouver que ses affirmations étaient crédibles, même s'il avait expliqué cette erreur constatée au cours de son entrevue.
Il a dû rendre son passeport. Son seul recours était de demander la permission d'interjeter appel en Cour fédérale où un juge doit émettre des réserves à l'égard de la décision afin que mon client puisse prouver en Cour fédérale que la décision était totalement déraisonnable avant qu'elle puisse être annulée.
Je vais maintenant donner la parole à M. Paterson.
Josh Paterson, directeur général, B.C. Civil Liberties Association : Nous étions les deux groupes qui avons contesté en vertu de la Constitution les dispositions du projet de loi C-24 concernant la révocation, comme Lorne l'a expliqué, mais nous ne sommes pas ici pour en parler aujourd'hui.
Lorne a brièvement présenté un exemple montrant comment ce projet de loi, ou la loi actuelle peut donner des résultats fâcheux, en raison de l'absence de processus équitable. Selon nous, c'est un problème inconstitutionnel que le projet de loi C-6, dans sa forme actuelle, ne règle pas.
Nous espérons que le Sénat décidera, dans sa sagesse collective, d'améliorer le projet de loi C-6 et de régler ce problème constitutionnel ici même, au Parlement, afin qu'il n'ait pas à être réglé par les tribunaux. Nous espérons que le gouvernement et que les parlementaires de l'autre Chambre jugeront approprié d'accepter un tel amendement, s'il est présenté.
J'aimerais consacrer le reste de mon temps à définir quelques-unes des caractéristiques principales qui, selon nous, devraient être apportées au processus établi dans le projet de loi.
À notre avis, il faudrait rétablir le droit à une audience devant un organe judiciaire indépendant. Le ministre ne peut être la seule entité à prendre une décision aussi importante qui touche si profondément les droits de certaines personnes — puisqu'il s'agit de leur appartenance même à notre pays. Une option consisterait à accorder au ministre la possibilité de renvoyer l'affaire devant un tribunal; une autre option consisterait pour le ministre à prendre en premier lieu une décision qui serait assortie d'un droit d'appel sans autorisation auprès de la Cour fédérale, si la personne concernée décide d'exercer ce droit.
Il est important que le droit d'appel auprès de la Cour fédérale puisse s'exercer sans l'obligation d'en demander l'autorisation. Pour nous, c'est une simple règle de droit. Si un fonctionnaire du ministre fait une erreur dans une décision qui touche si radicalement la vie et les droits d'un Canadien, le citoyen doit naturellement pouvoir se prévaloir de son droit d'appel; et nous refusons que ce droit soit limité par l'obligation d'obtenir la permission d'un tribunal pour faire réviser une décision découlant de l'exercice de l'autorité ministérielle — il ne s'agit pas ici de réviser la décision d'un tribunal administratif, mais la décision d'un ministre — nous pensons qu'il y a un problème à soustraire ainsi l'autorité du pouvoir exécutif à toute révision et que la règle de droit exige qu'une affaire d'une telle importance puisse être examinée de plein droit.
Quelle que soit l'option choisie, il faut tenir compte d'un certain nombre d'éléments qui revêtent une grande importance.
Si le ministre est le décideur de première instance, nous proposons que la révocation de la citoyenneté ne puisse pas entrer en vigueur tant que tous les recours n'ont pas été épuisés. Nous ne voulons pas que les gens soient contraints de quitter le Canada de façon précipitée ou qu'ils soient privés de leurs droits alors que tous leurs appels n'ont pas encore été entendus.
Les Canadiens ont le droit de prendre connaissance des documents pertinents en la possession du ministre. La loi actuelle ne leur reconnaît pas ce droit.
Le processus doit permettre de prendre en compte les meilleurs intérêts des enfants, les motifs humanitaires — tels que des liens de longue date au Canada, par exemple — susceptibles de justifier le rejet de leur révocation pour fausse déclaration. Le processus doit garantir cette possibilité.
Enfin, il nous paraît extrêmement important qu'un citoyen puisse conserver son statut de résident permanent s'il est privé de sa citoyenneté pour fausse déclaration. Il ne faudrait pas qu'un citoyen déchu de sa nationalité soit considéré comme un ressortissant étranger, comme c'est le cas en vertu de la loi actuelle. Il faudrait qu'il ait un statut de résident permanent et que si le gouvernement fédéral souhaite aller plus loin, il exerce par la suite cette option.
Le président : Bravo, vous êtes dans les temps. Merci.
Robert D. Watt, ancien juge de la citoyenneté de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci beaucoup. Tout d'abord, je tiens à remercier le comité, son président et tous ses membres, de me donner l'occasion d'exprimer mes préoccupations au sujet du projet de loi C-6.
Si je suis inquiet, c'est que, pendant six ans, j'ai été juge de la citoyenneté, soit de 2009 à 2015, siégeant principalement à Vancouver et à Surrey où j'ai tenu des audiences et dirigé des cérémonies. Au cours de ces années, j'ai littéralement examiné des milliers de demandes de citoyenneté.
Comme vous pouvez vous en douter, mon expérience a façonné mon point de vue sur la citoyenneté et sur les exigences imposées à ceux qui la sollicitent. Je crois que la citoyenneté est un des plus magnifiques cadeaux que le Canada accorde à ceux et celles qui ont la chance de naître ici, ou de venir ici depuis une autre partie du monde.
Si l'on se pose la question de savoir ce qu'un pays devrait demander à une personne qui désire obtenir la citoyenneté, je pense qu'il serait juste d'exiger, au moyen d'une période de résidence prescrite par la loi, la preuve qu'elle désire vivre au Canada en y apportant une contribution et qu'elle possède une compétence de base dans l'une des langues officielles du Canada ainsi qu'une certaine connaissance du régime politique du Canada, de sa géographie, de son économie et des valeurs communes que partagent ses citoyens.
Comme vous pouvez vous en douter, j'ai constaté, dans mon travail à titre de juge, que la majorité des requérants aspirant à la citoyenneté montraient clairement qu'à leurs yeux, il s'agissait là d'exigences équitables. Toutefois, à Vancouver, un nombre limité, mais important, de requérants semblaient poursuivre d'autres objectifs. Ils se préoccupaient moins de prendre un engagement permanent envers le Canada et se souciaient beaucoup plus d'obtenir un passeport et de bénéficier des avantages et de la protection inhérents à la citoyenneté. Ces avantages sont d'importantes prestations financières telles que les soins de santé subventionnés, les crédits de TPS et les crédits d'impôt pour les enfants que, grâce au dépôt direct, le bénéficiaire peut recevoir dans un compte de banque canadien, même s'il vit à l'étranger.
Je pense qu'on peut, à juste titre, qualifier ce petit groupe de requérants de « citoyens de convenance » et pour moi, ils sont la preuve la plus évidente qu'il est essentiel de rendre les exigences relatives à la citoyenneté aussi claires que possible et d'établir des processus d'évaluation pour faire en sorte que ceux qui méritent la citoyenneté et y sont vraiment admissibles l'obtiennent, et que ceux qui ne satisfont pas aux exigences pour une raison ou pour une autre, se la voient refuser.
Je tiens à exprimer ma profonde inquiétude au sujet de trois aspects du projet de loi C-6. Le premier concerne la disposition relative à l'« intention de résider ».
Selon moi, en exigeant expressément la prise d'un engagement envers le Canada, nous respecterions le droit de tous les citoyens de circuler librement, mais nous ferions clairement savoir à tous ceux et celles qui demandent la citoyenneté que nous nous attendons, si la citoyenneté leur est accordée, à ce qu'ils fondent leur vie sur le Canada et non sur un autre pays.
Je recommande fortement de conserver l'exigence actuelle relative à la résidence. Tout d'abord, la loi actuelle a l'important mérite de clarifier que les mots « résidence au Canada » signifient que le requérant doit être physiquement présent ici.
En outre, en 2015, lorsque la loi actuelle a reçu la sanction royale et est entrée en vigueur, l'exigence relative à la présence physique au Canada est passée de 75 p. 100 du temps à 66 p. 100, soit quatre années sur six. On propose maintenant de réduire ce pourcentage à 60 p. 100, soit trois années sur cinq. Or, cela dilue l'exigence relative à la résidence tant de manière absolue que de manière proportionnelle, sans prouver clairement que l'exigence actuelle est trop rigoureuse. La proposition semble accorder la priorité à la rapidité et à la facilité avec laquelle les requérants peuvent satisfaire aux exigences de la citoyenneté, au lieu de prévoir une période ou une proportion de temps passé au Canada suffisante pour évaluer leur engagement envers le Canada. Le chemin menant à la citoyenneté et les exigences connexes ne doivent pas être une simple série d'étapes à franchir, mais doivent se rapporter à des conditions à remplir qui sont rigoureuses, mais équitables, sans que la procédure applicable soit inutilement prolongée.
Enfin et surtout, au cours des audiences que j'ai tenues à Vancouver, j'ai été à maintes reprises en présence de personnes qui vivaient à Vancouver depuis des années et qui n'avaient fait à peu près aucun effort pour acquérir ne serait-ce qu'une maîtrise de base d'une des langues officielles du Canada. À Vancouver, comme beaucoup d'entre vous le savent, la réalité grandissante est que plusieurs communautés linguistiques et culturelles ont pris une telle ampleur que des personnes venant de certains pays peuvent quitter ces derniers et immigrer effectivement au Canada sans pourtant, à bien des égards, être vraiment ici. Elles peuvent continuer à vivre confortablement en parlant leur langue maternelle, de sorte que la volonté de se renseigner sur leur nouveau pays, sur ses lois et sur son fonctionnement est considérablement réduite.
Je souligne en outre que le ministère doit mettre en place de solides processus de vérification de manière que ses agents puissent constamment confirmer la validité des documents présentés pour prouver la compétence linguistique. En outre, vers la fin de mes deux mandats, j'ai noté certains signes donnant à penser que l'examen sur les connaissances avait été simplifié de plus en plus, au point de devenir insignifiant. Les taux de réussite ont explosé parce qu'il n'y avait pas de véritables évaluations ni d'ailleurs de contact entre les requérants.
Voilà, je vous ai fait part de mes inquiétudes. Encore une fois, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous. C'est une question importante et je sais que vous l'examinez avec le plus grand soin. Merci beaucoup.
Le président : Merci à tous. Je vais maintenant inviter mes collègues à poser des questions. Nous allons appliquer la règle d'une question par tour. Pour ceux d'entre vous qui n'étaient pas là au début, je précise que la séance ne doit pas durer plus tard que 17 h 15. Nous allons commencer par la sénatrice Omidvar.
La sénatrice Omidvar : Ma question s'adresse à M. Waldman. Merci à vous et à Josh Paterson qui êtes venus témoigner ici à plusieurs reprises. Vous représentez devant les tribunaux des citoyens qui ont perdu leur citoyenneté. Pouvez-vous faire le point sur ce litige et son évolution?
M. Waldman : Je crois que plus de 100 requérants ont intenté des recours auprès de la Cour fédérale. Certains d'entre eux ont été privés de leur citoyenneté. Plusieurs d'entre eux contestent le processus instauré par le gouvernement précédent qui permet à un agent de prononcer une décision sans droit d'audience. La Cour fédérale a entendu les plaidoiries au cours de deux jours d'audience, en novembre. Le juge Gagné de la Cour fédérale a entendu les arguments et a différé sa décision. La décision n'est pas encore connue, mais nous espérons qu'elle sera rendue publique prochainement.
Tous les recours visent à vérifier si la procédure actuelle respecte les critères de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Déclaration canadienne des droits. Nous clamons haut et fort qu'il est impossible que le processus soit équitable si une même personne est à la fois enquêteur, procureur et juge.
La sénatrice Frum : Monsieur Watt, j'aimerais connaître votre point de vue sur certains éléments évoqués par un autre témoin, dans une séance antérieure, au sujet de la nécessité de mettre en œuvre au Canada des cartes électroniques pour résidents permanents. Le but de cette carte serait de prévenir la fraude et les fausses déclarations faites par certaines personnes concernant le temps qu'elles passent au Canada, d'autant plus que le gouvernement propose maintenant de réduire les périodes de résidence.
Que pensez-vous du système de cartes de résident permanent en vigueur actuellement qui exige que les requérants présentent leurs documents de voyage ou reçus de compagnie aérienne pour prouver la durée de leur séjour au pays, plutôt que l'utilisation d'une carte intelligente?
M. Watt : D'après mon expérience, je préférerais que les demandeurs qui n'ont pas encore le statut de citoyen présentent un document de voyage à l'agent de l'ASFC. Je crois que c'est important, en attendant que la technologie s'améliore. En effet, c'est un domaine qui soulève d'innombrables questions sur le temps qu'un requérant prétend avoir passé au Canada, s'il n'est pas en mesure de présenter de tels documents ou en raison de la confusion entourant les tampons apposés sur les passeports.
La sénatrice Frum : Cela peut être plus qu'un problème de fraude et devenir un véritable fardeau pour le résident permanent tenu de prouver ses dates d'entrée et de sortie.
M. Watt : Mais je crois que si le Parlement juge qu'une période de résidence — quelle qu'elle soit finalement — est un élément important pour déterminer l'admissibilité à la citoyenneté, il me paraît préférable, tant que l'on ne dispose pas d'un système électronique infaillible ou virtuellement infaillible, de demander au requérant de présenter un document de voyage à une personne en chair et en os.
La sénatrice Frum : Merci.
M. Waldman : La question véritable ici est de s'assurer à quel moment la personne concernée quitte le pays. Certains pays européens contrôlent les passeports des voyageurs au moment où ils quittent le pays. De cette manière, les autorités contrôlent votre passeport et savent quand vous avez quitté le pays. Au Canada, il n'est pas encore obligatoire de vérifier le passeport des voyageurs au moment où ils quittent le pays. Ce serait un changement important qui aurait des coûts élevés, mais qui permettrait de contrôler les entrées et les sorties. Cette procédure ne serait applicable que dans les aéroports, car si on voulait l'appliquer sur les ponts, cela créerait de fameux embouteillages.
Le problème avec cette idée, c'est qu'elle est excellente sur le plan théorique, mais que sa mise en œuvre serait extrêmement coûteuse et déstabilisante.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie pour tous vos commentaires et je partage en particulier votre point de vue, messieurs Waldman et Paterson, lorsque vous dites dans votre document que si les Canadiens ont droit à une audience pour contester une contravention de stationnement, il devrait en être de même lorsque leur citoyenneté est en voie d'être révoquée. Je pense que vous avez avancé de bons arguments à ce sujet je ne vais pas vous poser des questions là-dessus, mais sur certains autres points.
Le projet de loi ne contient aucune disposition concernant les frais exigés, alors qu'on nous dit que ces frais ont augmenté de façon spectaculaire — de 500 p. 100 environ — depuis quelques années.
Pendant ce temps, les demandes de citoyenneté ont vraiment chuté de plus de moitié, je crois, par rapport à la demande normale. D'après les analyses que j'ai lues, cette chute semble être causée par les droits exigés qui placent beaucoup de demandeurs dans des situations difficiles. Il y a toujours des gens qui ont les moyens, mais beaucoup d'autres ne peuvent pas payer de tels droits. Beaucoup de réfugiés ont des revenus très faibles. Certains disent que le système est coûteux et qu'il faut récupérer ces coûts qui ne doivent pas être assumés par le contribuable. Pourtant, les demandeurs aussi sont des contribuables qui finissent par contribuer, comme la plupart des immigrants, à enrichir les coffres de l'État au fil des années.
Dans votre clientèle et dans les cas que vous avez rencontrés, est-ce qu'il y a des gens qui sont touchés par ces difficultés?
M. Waldman : Je pense que vous avez bien cerné le problème. Pour une famille de quatre, quand on tient compte du test d'anglais que beaucoup de requérants doivent passer, plus des droits de demande, le coût d'une demande de citoyenneté peut atteindre des milliers de dollars. Beaucoup de familles n'ont pas les moyens de faire une demande de citoyenneté.
Je crois que les coûts sont déterminés par règlement, mais le gouvernement devrait sérieusement faire en sorte que les demandes soient accessibles, parce que si la citoyenneté vise à encourager les futurs citoyens, comme l'a dit l'autre témoin, à s'intégrer à notre société et à s'engager à vivre au Canada, nous devons faire en sorte qu'elle soit accessible pour tous. Dans l'état actuel des choses, il peut coûter de 2 000 $ à 3 000 $ à une famille de quatre personnes pour faire une demande de test d'anglais. J'ai pu constater dans mon propre bureau que c'est hors de portée pour beaucoup de gens.
M. Watt : Je n'ai pas beaucoup d'expérience dans ce domaine, étant donné que la nouvelle grille de droits exigibles n'est entrée en vigueur que vers la fin de mon mandat. Mais même avant, j'ai rencontré des cas où des individus ou parfois des familles ont eu de la difficulté à payer les frais exigés. Par conséquent, il serait bon que le gouvernement se penche sur les règlements qui régissent les grilles tarifaires, afin d'essayer de trouver le juste équilibre entre l'accessibilité et la récupération d'un pourcentage mesurable des coûts de traitement. Par ailleurs, il était clair pour mes collègues et moi qu'avec l'ancienne grille tarifaire, le coût réel d'évaluation des demandes était sans commune mesure avec le coût de leur traitement. C'est pourquoi, à mon avis, il faut trouver un juste milieu.
La sénatrice Jaffer : Merci à tous les trois d'être venus ici présenter votre témoignage. C'est une chose rare que d'avoir deux témoins de la Colombie-Britannique. Alors je vous souhaite la bienvenue et je regrette que le temps ne soit pas plus clément.
J'ai une question concernant certains points qui me préoccupent. Si un résident permanent a des questions relativement à son statut, il peut obtenir une audience. Si vous êtes un réfugié, vous pouvez obtenir une audience. Mais si vous êtes un citoyen dont la nationalité a été révoquée en vertu de la nouvelle loi ou du projet de loi C-24 précédent, vous n'avez pas le droit à une audience. Ce qui m'inquiète — n'hésitez pas à rectifier si je fais erreur — c'est que le ministre fait parvenir une lettre au requérant, mais qu'il n'est pas tenu de divulguer toutes les informations, comme vous l'avez déjà dit. Par conséquent, on répond un peu à l'aveuglette à la lettre du ministre, ce qui me paraît totalement injuste. Cela ne correspond pas aux valeurs canadiennes.
En examinant ce projet de loi, je me suis demandé si l'on avait bien tiré les leçons de l'arrêt Singh. Tout le système d'examen des demandes de réfugié a été paralysé lorsque les tribunaux ont décrété qu'il fallait tenir des audiences. N'avons-nous pas appris notre leçon? Pourquoi refaisons-nous encore la même erreur?
M. Paterson : Merci, sénatrice. Je partage votre point de vue et je pense qu'il est tout à fait injuste et inapproprié que les citoyens ne bénéficient pas d'un processus d'audience juste et indépendant lorsque leur citoyenneté est révoquée.
Je précise qu'en cas d'allégation de fausse déclaration contre un résident permanent, le gouvernement décide en premier lieu s'il va prendre des mesures à l'encontre de cette personne et celle-ci a la possibilité de présenter ses arguments directement aux agents chargés de son dossier. Par la suite, la personne concernée a droit à des audiences à deux niveaux, sans obligation d'obtenir une autorisation préalable. Le plaignant bénéficie de deux niveaux d'audience devant un tribunal indépendant qui devra non seulement se prononcer sur l'existence d'une fausse déclaration grave...
La sénatrice Jaffer : Pour des résidents permanents?
M. Paterson : Pour des résidents permanents. Le tribunal devra se prononcer sur l'existence de fausses déclarations, mais il devra aussi tenir compte de certains facteurs humanitaires. En effet, il est possible que le requérant ait fait certaines fausses déclarations, sans pour autant être un criminel de guerre ou un terroriste. Ces déclarations concernaient peut-être l'endroit où il vivait ou le nombre d'années qu'il a passé à tel endroit; entre-temps, il a passé 30 ans au Canada et il faut tenir compte des meilleurs intérêts de ses enfants, et cetera.
Même après cela, le requérant peut faire appel à la Cour fédérale, s'il s'estime lésé. En revanche, un citoyen n'obtient rien de tout cela. Lorsqu'un citoyen reçoit une lettre du ministre, il peut lui répondre, mais il n'a pas accès à tous les documents pertinents; le ministre prend une décision et si elle ne convient pas à la personne concernée, celle-ci ne peut s'adresser à la Cour fédérale qu'après avoir obtenu l'autorisation d'en appeler. À ce stade, le plaignant n'a déjà plus le statut de citoyen. Par conséquent, c'est totalement inéquitable et c'est pourquoi nous réclamons une modification. Sur le plan constitutionnel, nous pensons que la loi actuelle comporte une lacune à laquelle il faudrait remédier.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup pour les exposés que vous nous avez présentés aujourd'hui.
Ma question se rapporte à l'exigence relative à l'âge concernant le test destiné à prouver la maîtrise des langues officielles et une connaissance du Canada. Je m'interroge plus précisément au sujet des personnes âgées de 55 à 64 ans qui, en vertu du projet de loi, ne seraient plus tenues de démontrer leurs compétences et leurs connaissances. Selon Statistique Canada, il est clair que ce groupe représente 36 p. 100 de notre population active.
Par ailleurs, monsieur Paterson, vous avez ajouté dans votre exposé une autre source d'inquiétude pour moi, en parlant de la compétence linguistique. Pouvez-vous m'aider à comprendre quelles sont les preuves acceptées aujourd'hui et comment les normes sont respectées, étant donné la grande variété de documents qui sont présentés?
M. Watt : Voici comment je vois les choses, d'après les observations que j'ai pu faire après mon expérience directe dans le secteur. En vertu du règlement découlant de la loi existante, les personnes qui demandent la citoyenneté canadienne doivent être en mesure de fournir la preuve de leurs compétences linguistiques au niveau requis, soit le niveau 4 de compétence linguistique canadien qui n'est pas celui d'un prix Nobel de littérature en anglais ou en français; il s'agit d'une capacité de base à communiquer et à se faire comprendre. Le ministère accepte les demandes accompagnées de documents fournis par toutes sortes d'instituts et d'établissements. La difficulté semble liée au vaste éventail d'établissements de formation. Il n'existe aucun organe national ou même un organe accepté dans chaque province et territoire. Les établissements sont très nombreux et on a retiré aux agents la capacité de mettre en place ce que j'ai qualifié dans mes observations de solides processus de vérification.
Selon moi, la réalité est telle que pour répondre à la grande variété d'établissements, il est important que les agents chevronnés qui sont sur le terrain dans les bureaux ministériels aient l'autorité d'effectuer des évaluations au hasard. Dans le cas d'une personne qui prétend avoir une certaine compétence, pourquoi ne pas effectuer un test de deux ou trois minutes afin de vérifier son niveau? En effet, comme me l'a signalé un des agents de la région de Vancouver, il peut arriver qu'un requérant travaille fort pour acquérir le niveau requis et qu'il perde malheureusement une partie de ses compétences s'il doit attendre deux ans avant que sa demande soit examinée. Or, d'après les documents, cette personne a le niveau requis.
L'inverse est également possible. Une personne qui, selon les documents, possède le niveau NCLC 4 peut en fait avoir le niveau 6 ou 7 si elle travaille dans un milieu où l'anglais ou le français est la langue dominante de communication. Lorsque sa demande est examinée, elle peut donc avoir des compétences supérieures au niveau indiqué. C'est pour cela que la vérification est vraiment importante.
M. Paterson : Merci, sénatrice Seidman.
Nous ne sommes pas opposés à la modification de l'exigence relative à l'âge en ce qui a trait aux mineurs. Nous pensons que les jeunes vont de toute façon apprendre la langue et le changement de l'exigence relative à l'âge ne nous inquiète pas beaucoup dans ce cas-là. Cela pose problème d'imposer une telle exigence aux mineurs quand le reste de leur famille obtient la citoyenneté.
Pour ce qui est des personnes de plus de 55 ans, je sais que certains témoins vous ont déjà dit que les migrants économiques ont déjà dû satisfaire à une exigence linguistique au moment de leur immigration. Les personnes qui nous préoccupent ici sont celles qui appartiennent à la catégorie du regroupement familial, les parents et grands-parents, les réfugiés, et nous reconnaissons tout à fait qu'il serait utile pour leur intégration qu'ils apprennent l'anglais ou le français afin d'être en mesure de communiquer. Je sais que vous avez déjà entendu le témoignage d'Avvy Go concernant les obstacles très difficiles que ces personnes doivent surmonter pour acquérir ce type de compétences et nous préférerions que le gouvernement renforce son financement afin d'aider ces personnes à acquérir de telles compétences linguistiques.
Si nous souhaitons vraiment que ces personnes s'intègrent, aidons-les à le faire, mais ne disons pas à ces demandeurs qu'ils ne peuvent pas devenir citoyens à 55 ans s'ils ne réussissent pas ce test.
Le sénateur Meredith : Merci à tous pour les exposés que nous avons entendus cet après-midi. Ma question s'adresse à vous, monsieur Watt, et se rapporte au projet de loi C-24 qui a porté le temps de résidence à quatre ans. Le projet de loi C-6 réduit cette exigence. C'est une question d'affinité ou d'attachement au Canada au cours d'une période de trois ou quatre ans. Pour les personnes qui souhaitent demeurer au Canada et obtenir la citoyenneté, il s'agirait d'attendre une année de plus. En tant qu'ancien juge, pouvez-vous nous expliquer le raisonnement qui vous amène à dire que ces personnes devraient attendre une année de plus ou passer plus de temps au Canada avant d'obtenir leur citoyenneté? Quelles sont les raisons que vous avez pu constater au cours de la dernière partie de votre mandat qui vous amènent à une telle conclusion?
M. Watt : Comme je l'ai expliqué dans mes observations liminaires, je pense que cela tient au fait que la loi actuelle a corrigé un problème vraiment grave, à savoir que pendant des décennies, la Cour fédérale a entendu une multitude de causes de personnes qui prétendaient résider au Canada, mais qui, pour diverses raisons, n'étaient pas présentes ici de manière effective. À mon avis, c'est donc une combinaison du fait que la loi actuelle met l'accent sur la présence effective. Dans le cas des personnes que j'ai pu observer au cours de nombreuses audiences, je n'ai pas l'impression que le fait d'ajouter une année de plus et d'exiger une présence effective poserait problème. Voilà ce que je voulais dire.
Le ministère a peut-être des preuves. Nous n'en avons pas vues, mais il est possible qu'une année supplémentaire pose problème pour certains. D'après mon expérience, j'ai de la difficulté à comprendre comment l'ajout d'une année supplémentaire poserait problème pour quelqu'un qui souhaite vraiment être ici et devenir citoyen, dans la mesure où cette personne réside vraiment ici.
M. Waldman : Je serais très bref. Je suis d'accord avec mon collègue pour dire que la clarification des exigences relatives à la résidence effective a été utile, parce que l'on gaspillait beaucoup de temps à débattre de cette question dans des causes engagées par des personnes qui ne respectaient pas cette exigence. Aussi, je pense que cette modification remporte un appui unanime.
Pour ce qui est de la question des trois années sur cinq ou des quatre années sur six, je pense que tout dépend du groupe auquel on s'adresse. Les personnes que je représente sont des réfugiés. Beaucoup d'entre eux n'ont pas de documents de voyage. Ils doivent attendre pour en obtenir. Quand ils viennent dans mon bureau, nous calculons mois par mois le temps qu'ils doivent attendre pour être admissibles, car pour eux, l'obtention de la citoyenneté est vraiment cruciale. Dès qu'ils l'obtiendront, ils pourront avoir un passeport qui leur permettra de voyager librement. Par conséquent, tout dépend du groupe dont il est question.
Je sais que mon collègue parlait d'un autre type d'immigrants, mais parmi les migrants, beaucoup sont des réfugiés qui souhaitent vraiment devenir citoyens, parce qu'ils n'ont aucune autre citoyenneté en tant que telle. Pour ces gens, le changement à trois années sur cinq est vraiment important car il facilite leur accès à la citoyenneté.
L'autre changement apporté consistait par ailleurs à compter le temps passé au Canada avant de devenir citoyen. Dans le cas des réfugiés, il faut attendre deux ans avant d'obtenir le statut de résident permanent. Ces deux années leur comptent pour un an en vue de l'obtention de leur citoyenneté. Pour eux, la possibilité de devenir citoyen si rapidement est vraiment, vraiment importante.
Le sénateur Meredith : Monsieur Paterson, avez-vous un commentaire à ajouter?
M. Paterson : Non.
La sénatrice Omidvar : J'aimerais savoir si je peux prendre une minute pour rectifier la déclaration d'un témoin.
Le président : Si vous prenez la parole, c'est la même chose que si vous posiez une question. Par conséquent, si vous voulez clarifier quelque chose, c'est l'équivalent d'une question.
La sénatrice Omidvar : Je veux tout simplement préciser que le projet de loi C-24 abroge certains articles du projet de loi C-6, mais il y a aussi de très bonnes choses dans ce projet de loi, notamment la hausse de la note de passage de 60 à 75 p. 100 pour le test de connaissances. Le projet de loi C-24 ne touche pas à cela. Il cesse aussi d'utiliser le test de connaissances en remplacement du test linguistique et il donne l'occasion à un juge de la citoyenneté de procéder à une entrevue. Par conséquent, il y a beaucoup de mécanismes pour renforcer les connaissances et les compétences linguistiques.
Mais ma question s'adresse à M. Waldman ou à M. Paterson. J'aimerais que l'un ou l'autre réponde à ma question. Il y a des choses qui sont parfaites, d'autres qui sont bonnes et enfin d'autres que l'on peut tolérer. À propos d'une modification, je vous entends dire très clairement qu'il est difficile d'imaginer qu'un droit fondamental tel que la citoyenneté puisse être révoqué par un ministre plutôt que par un juge en audience publique. Il existe aussi une autre option — que vous avez également mentionnée — qui donne au ministre le pouvoir de révoquer la citoyenneté d'une personne, celle-ci ayant le droit de saisir les tribunaux afin de plaider sa cause. Quelle solution serait tolérable pour votre association?
M. Paterson : Merci, sénatrice. Nous préférerions que la décision, en première instance, soit prise par un organe de décision indépendant, mais si le ministre souhaite conserver ce pouvoir, nous pourrions nous satisfaire d'une telle option, dans la mesure où la décision tiendrait compte des motifs appropriés, dans la mesure où les documents appropriés seraient divulgués et dans la mesure où le requérant aurait le droit d'en appeler sans permission — la permission est une créature très rare en droit — il faudrait donc que ce droit puisse être exercé sans obtenir au préalable la permission d'un tribunal.
La sénatrice Omidvar : Pouvez-vous préciser, à l'intention des non-juristes, qui accorde les permissions?
M. Paterson : Ce sont les juges de la Cour fédérale qui décident d'entendre ou de ne pas entendre une demande de révision judiciaire. La plupart des dispositions de la loi, la plupart des décisions des ministres peuvent être révisées sans permission. Il en va de même pour de nombreuses décisions de tribunaux indépendants. Dans le projet de loi C-24, tel qu'il se présente, il est nécessaire d'obtenir la permission pour faire appel d'une telle décision. Nous affirmons que c'est tout à fait inapproprié. Nous pensons même que c'est inconstitutionnel.
Le président : Monsieur Watt, avez-vous d'autres précisions à apporter?
Merci, sénatrice, pour ces précisions.
La sénatrice Frum : Monsieur Paterson, je pense que c'est vous qui en avez parlé. Je suis désolée d'avoir manqué le début de la séance. Parmi vos recommandations concernant la modification du processus équitable qui s'applique à la révocation de la citoyenneté, vous demandez qu'un citoyen dont la citoyenneté a été révoquée conserve son statut de résident permanent. Par la suite, s'il s'avère qu'il a fait de fausses déclarations au moment de sa demande de résidence permanente, le ministre pourrait également le priver de son statut de résident permanent. Le ministre appliquerait donc un processus en deux étapes alors qu'il s'agit peut-être en fait de la même fraude. Le requérant bénéficie alors d'un double processus d'appel. Pourquoi pensez-vous que cette modification serait souhaitable?
M. Paterson : Permettez-moi de préciser qu'il ne s'agirait pas d'un double processus d'appel puisque, dans le système que nous proposons, un décideur indépendant prend une décision concernant une potentielle fausse déclaration grave. Cet organe de décision pourrait être la Cour fédérale. Le requérant perd son statut de citoyen pour devenir un résident permanent. Par la suite, si le gouvernement souhaite poursuivre, le requérant ne peut pas modifier les conclusions prouvant qu'il a dissimulé des faits essentiels. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'aurait pas pour tâche de décider si la Cour fédérale a erré en déclarant que le requérant a fait une fausse déclaration. Cependant, la Cour fédérale n'a pas — et ne souhaite pas, selon nous — prendre en considération des motifs humanitaires. Jusque-là, aucun agent indépendant n'a pris en compte de manière impartiale certains aspects d'ordre humanitaire. Cela interviendrait au cours de cette dernière étape. C'est l'organe indépendant qui s'en chargerait. Cela fait en sorte que les citoyens bénéficient d'une meilleure protection que les résidents permanents. Les résidents permanents peuvent toujours invoquer des motifs humanitaires auprès d'un organe de décision indépendant, et ils peuvent aussi s'y reprendre une nouvelle fois en s'adressant à un autre organe de décision indépendant. Le citoyen ne bénéficie pas du tout de ce privilège, même dans les amendements dont il a été question. Nous pensons que cette façon de faire est la seule façon pour lui d'obtenir un traitement équivalent.
La sénatrice Frum : Il convient de préciser que la révocation doit être signée par le ministre. Mais le ministre ne prend-il jamais en compte des considérations d'ordre humanitaire?
M. Paterson : Il n'est pas, actuellement, tenu de le faire.
La sénatrice Frum : Mais il le pourrait?
Le président : Il n'y a pas lieu de nous attarder sur cette question à laquelle vous avez, je pense, déjà répondu.
M. Paterson : Selon nous, de telles considérations devraient, dans chaque cas, être prises en compte.
La sénatrice Hartling : Dans votre exposé, monsieur Watt, vous avez dit qu'à Vancouver, un nombre restreint mais sensible de candidats à la citoyenneté semblent poursuivre d'autres buts, et ne semblent pas vraiment être intéressés à former un attachement durable avec le Canada. Ma question s'adresse à tous les trois. Je suis originaire de l'Est du Canada et je me demande si ce que vous avez dit vaut également pour ma région. Qu'en est-il selon vous? Êtes-vous en mesure de nous dire si la situation à cet égard est différente à Vancouver, ou en va-t-il de même dans l'Est du pays?
M. Watt : Mon expérience, fondée en partie sur les entretiens que j'ai pu avoir avec certains de mes collègues de Toronto et de Montréal, concerne l'époque à laquelle j'étais en fonction. Selon moi, la situation à cet égard était tout à fait comparable. Une minorité sensible poursuivait, me semble-t-il, des buts tels que ceux que j'évoquais tout à l'heure.
Il arrivait que je sois, comme d'autres collègues, envoyé en tournée dans de plus petites localités de Colombie-Britannique. Or, dans ces plus petites localités, nous ne constations pas ce phénomène.
La sénatrice Hartling : Dans l'Est du Canada, je suis en contact avec les gens du Centre de la paix, et c'est la première fois que j'entends dire cela. Je me demande donc si l'incidence de ce genre de chose, sensible en Colombie-Britannique, ne serait pas moindre dans les autres régions.
M. Watt : C'est un phénomène que j'ai constaté dans l'agglomération métropolitaine de Vancouver, et dont m'ont fait part des collègues du Grand Toronto, voire de Montréal.
Le sénateur Eggleton : J'aimerais obtenir quelques éclaircissements au sujet des deux solutions possibles en matière de révocation de la citoyenneté pour fausses déclarations.
Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit, la première solution consiste pour le ministre à renvoyer le dossier devant la Cour fédérale qui statuerait en premier ressort. J'imagine que cela veut dire que la Cour d'appel fédérale pourrait également intervenir dans le cadre de la procédure de recours, et en pareille hypothèse on aurait donc deux fois recours à la Cour fédérale. Je vous demanderais de bien vouloir préciser ce qu'il en est, mais je voudrais d'abord terminer ma question.
Ce double recours à la Cour fédérale me semble devoir être assez onéreux, mais une deuxième solution, comportant elle aussi des garanties procédurales, serait de retenir l'actuelle procédure administrative en y ajoutant une audience à laquelle l'avocat de la partie intéressée pourrait faire valoir ses arguments, produire tous les éléments pertinents et invoquer d'éventuelles considérations d'ordre humanitaire. Tout cela ferait partie de la procédure administrative, à l'issue de laquelle l'affaire serait tranchée par un décideur indépendant. Et puis, il y aurait aussi un recours possible devant la Cour fédérale.
Pourriez-vous nous préciser un peu ce qu'il en est? Pourriez-vous en outre nous dire qui serait ce décideur indépendant?
M. Waldman : Idéalement, le plus simple serait de confier ces dossiers à l'actuel tribunal spécialisé en immigration, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il a déjà à se prononcer dans des affaires de fausses déclarations en matière de résidence permanente. Il connaît donc bien les règles applicables, le droit et la jurisprudence, et applique les procédures établies à cet effet. Il aurait été facile de charger la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de statuer en premier ressort. S'appliquerait, après cela la même procédure qu'actuellement, l'intéressé pouvant demander l'autorisation de faire appel devant la Cour fédérale.
Je crois savoir qu'il serait difficile de procéder ainsi maintenant en raison de la portée d'un éventuel amendement. Cela aurait été, certes, la manière la plus simple de procéder, mais ce n'est plus possible, car le texte modifiant la législation actuelle ne confie aucun rôle à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. C'est ce que m'ont assuré des spécialistes de la question, car les problèmes que peut soulever la portée d'un amendement dépassent mes connaissances.
Maintenant, le seul moyen d'introduire la possibilité d'une audience est d'instaurer une procédure administrative, à l'issue de laquelle pourrait intervenir une audience devant la Cour fédérale. Il faudrait donc, pour corriger la procédure actuellement prévue, que le Sénat édicte une mesure en ce sens.
Ainsi que le disait M. Paterson, il y aurait différentes manières d'y parvenir dans le cadre d'un amendement. Ainsi, on pourrait prévoir que le décideur administratif ne statuerait pas en dernier ressort, mais porterait affaire devant la Cour fédérale, pour être tranchée par un juge après audition de la cause. Cela serait une première solution.
Selon la seconde solution, l'affaire serait tranchée par le décideur administratif, mais l'intéressé aurait le droit de demander que sa cause soit entendue par la Cour fédérale, et en pareille hypothèse la décision initiale ne deviendrait définitive qu'après audience devant la Cour. À cette audience, les éléments du dossier pourraient être intégralement exposés.
Voilà les deux solutions possibles...
Le sénateur Eggleton : Mais comment se déroulerait la procédure d'appel?
M. Waldman : Il n'y aurait pas de recours en appel. Il y aurait la décision initiale, puis audience devant la Cour fédérale, ce qui serait tout de même une sorte d'appel, puisque l'affaire aura déjà été tranchée en premier ressort. Il s'agit donc, en fait, d'un appel devant la Cour fédérale, mais il s'agirait d'une nouvelle audition de la cause, car de nouveaux éléments pourraient être produits devant la Cour.
Selon la législation en vigueur, il ne peut y avoir de recours devant la Cour d'appel que si un juge de la Cour fédérale a certifié une question. Ce ne serait donc que dans de rares cas que le dossier serait porté devant la Cour d'appel. Ce ne serait, essentiellement, que dans les cas où l'affaire soulève une question juridique complexe.
Vous vous souciez de la multiplicité des étapes, mais je ne pense pas que vous ayez à vous inquiéter à cet égard. Le mieux serait de confier ce type d'affaires à un tribunal indépendant, la CISR en l'occurrence, mais nous ne pouvons pas prévoir cela dans le cadre d'un amendement au projet de loi. Il nous faut, en effet, introduire la possibilité d'une audience et, en l'état actuel de la situation, une audience indépendante ne peut avoir lieu que devant la Cour fédérale.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Paterson, vous insistez pour dire qu'une telle procédure n'est pas constitutionnelle. J'ai peut-être tort, mais la Charte, me semble-t-il, garantit à toute personne le droit d'être entendue dans le cadre d'une audience. Il est fréquent qu'au cours de telles audiences on entende invoquer des « considérations d'ordre humanitaire ». Pourriez-vous nous dire en quoi cela consiste. En effet, les « considérations d'ordre humanitaire » font partie intégrante de toute demande, puisque le demandeur doit préciser, par exemple, la durée de son séjour et ses liens familiaux. Or, si de tels éléments n'ont pas été portés devant le ministre, la décision de celui-ci sera prise dans le vide. On se penche en effet sur les considérations d'ordre humanitaire même lorsque la demande d'asile est rejetée. On prend en compte les considérations d'ordre humanitaire lorsqu'il s'agit d'accorder ou de refuser la résidence permanente, mais on ne le fait pas à l'occasion d'une demande de citoyenneté.
M. Waldman : Dans l'état actuel des choses, vous pouvez, devant le décideur, invoquer les arguments que vous voulez, mais la législation actuelle ne l'oblige aucunement à en tenir compte.
Permettez-moi de vous citer un exemple de ce qu'on entend par « considérations d'ordre humanitaire ». Prenons l'hypothèse des fausses déclarations qu'un père et d'une mère auraient faites au moment de déposer, en leur nom et au nom de leurs deux enfants, une demande de citoyenneté. La citoyenneté leur est effectivement accordée, mais les enfants, qui étaient jeunes à l'époque, n'avaient pas la moindre idée de ce qu'avaient fait leurs parents. Ils s'installent au Canada, où ils font leurs études secondaires et postsecondaires. Ils sont donc établis au Canada. Or, un jour, ils reçoivent une lettre leur disant : « Au fait, il y a 15 ans vos parents ont menti lorsqu'ils ont déposé en votre nom une demande de citoyenneté, et nous allons donc révoquer votre citoyenneté canadienne. » Ils sont, naturellement, atterrés.
Il n'est pas rare que, dans notre cabinet, nous ayons à faire face à de telles situations. Or, on ne peut tout de même pas punir les enfants pour ce qu'on reproche aux parents. Il est fréquent, cependant, que cela se produise, car aucune des dispositions applicables n'impose aux décideurs de tenir compte des considérations d'ordre humanitaire.
C'est une chose de refuser le droit à la citoyenneté à ceux qui ont menti. Personne ne conteste la révocation en pareille circonstance. Mais si vous êtes parfaitement innocent, que vous ne saviez pas ce qui s'était passé et que vous avez fait votre vie au Canada — car, en effet, non seulement votre citoyenneté canadienne sera révoquée, mais il vous faudra attendre 10 ans avant de pouvoir l'obtenir à nouveau.
Il arrive que des jeunes à qui on a retiré le passeport, perdent leur emploi, car leur travail exigeait qu'ils se rendent à l'étranger. Il peut s'agir de jeunes qui ont, par ailleurs, fait de brillantes études.
On entend par considérations d'ordre humanitaire, tous les facteurs qui porteraient une personne raisonnable et rationnelle à décider de ne pas prendre de mesure à l'encontre de quelqu'un d'innocent.
La sénatrice Stewart Olsen : Je voudrais, pour ma gouverne, vous poser, très rapidement, une question.
Je comprends bien l'hypothèse où le ministre a décidé de révoquer votre citoyenneté, et que vous manifestez le besoin de solliciter de la Cour fédérale une décision indépendante. Mais qu'en serait-il si, ce qui semble être le cas, nous maintenons le recours devant la Cour fédérale. Quels seraient les délais? À supposer que le ministre révoque la citoyenneté d'un individu au mois d'octobre. Dans quels délais l'intéressé pourrait-il être entendu par la Cour fédérale, dans le cadre de cette audience complète et indépendante que vous prônez, et combien cela lui coûtera-t-il?
M. Paterson : Merci, sénatrice Stewart Olsen.
Selon les dispositions actuelles, l'intéressé a 60 jours pour répondre. Nous avons déjà vu certaines des raisons pour lesquelles cela n'est pas satisfaisant. Cela dit, je ne sais pas quel devrait être le délai.
La sénatrice Stewart Olsen : Je dirais « est », plutôt que « devrait être ».
M. Paterson : Pardonnez-moi. Il faut, en effet, répondre dans les 60 jours.
La sénatrice Stewart Olsen : Non, non, combien de temps faudrait-il pour que l'intéressé porte la décision du ministre en appel devant la Cour fédérale? Combien de temps devra-t-il attendre pour que soit fixée la date de l'audition devant la Cour?
M. Paterson : Ah, je vois. Eh bien, cela dépend de la nature du dossier. Je crois pouvoir dire qu'en général, on peut espérer être entendu par la Cour fédérale dans les quatre ou cinq mois suivant le dépôt d'une demande. Je ne vais pas poser la question à Lorne. C'est lui l'avocat spécialisé en ce domaine, mais il n'a qu'à indiquer par un hochement de la tête si je me trompe sur ce point. Un tel recours entraîne des frais, mais, selon nous, il est essentiel que le nouveau dispositif prévoie cette possibilité et nous souhaiterions, naturellement, que cela puisse se faire dans les meilleurs délais.
Le président : Je vous remercie des éléments de réponse que vous nous avez livrés. Le ministre se trouve dans l'édifice, et nous allons donc pouvoir entamer sans tarder la séance suivante.
Je tiens à vous remercier de la précision des réponses que vous nous avez apportées, et des éclaircissements que vous nous avez fournis au sujet des diverses procédures. Encore une fois, je remercie mes collègues pour leurs interventions.
Nous avons le privilège d'accueillir l'honorable Ahmed Hussen, ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Il est accompagné d'un certain nombre de collaborateurs. Nous avons, naturellement, la liste des personnes qui l'accompagnent, mais je ne prendrai pas le temps de les nommer tous. Je vous demanderais donc, monsieur le ministre, lorsque, sur telle ou telle question, vous consultez un de vos collègues, de bien vouloir le nommer à l'intention des membres du comité.
Monsieur le ministre, c'est un plaisir de vous accueillir dans le cadre de cette ultime séance consacrée à l'étude du projet de loi C-6. Nous vous invitons à nous présenter un exposé. Nous passerons ensuite aux questions.
L'honorable Ahmed Hussen, C.P., député, ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Merci, monsieur le président, de me donner l'occasion de m'adresser au Comité au sujet du projet de loi C-6, qui modifie la Loi sur la citoyenneté du Canada et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
Être canadien est un privilège et un honneur auquel nous accordons tous beaucoup d'importance. Peu d'entre nous le nieront.
En 2015, monsieur le président, le gouvernement précédent a apporté des changements majeurs à la Loi sur la citoyenneté, dont certains qui ont créé des obstacles pour les personnes qui cherchent à devenir Canadiens. Les mesures du projet de loi C-6 dont je parlerai aujourd'hui ont pour but d'abroger certains de ces changements et de faciliter l'accès à la citoyenneté. Si le projet de loi est adopté, les mesures que nous proposons vont signaler clairement à quiconque est citoyen canadien, ou cherche à le devenir, que notre pays est une terre d'inclusion, d'équité et de diversité. Les Canadiens et les Canadiennes savent que notre force réside dans notre diversité. Nous savons que si notre pays a connu du succès, que ce soit sur le plan culturel, politique ou économique, c'est grâce à notre diversité et non en dépit de celle-ci.
Dans le discours du Trône, le gouvernement faisait part de son intention d'aider les immigrants à réussir leur vie au Canada, à reconstituer leur famille et à contribuer au succès économique de l'ensemble des citoyens canadiens. Les réformes du projet de loi C-6 constituent un pas dans cette direction.
Les changements qui ont été apportés à la Loi sur la citoyenneté du Canada par le projet de loi C-24 donnaient au ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté le pouvoir de révoquer la citoyenneté aux personnes possédant la double nationalité en raison d'actes jugés contraires à l'intérêt national. Cela s'appliquait notamment à des condamnations pour terrorisme, trahison ou espionnage.
Ces dispositions donnaient aussi à la Cour fédérale le pouvoir de révoquer la citoyenneté canadienne d'une personne ayant la double nationalité qui était membre de forces armées d'un pays ou d'un groupe armé organisé engagé dans un conflit armé contre le Canada. Le problème, monsieur le président, est que ces motifs de révocation ne s'appliquaient qu'aux personnes qui possédaient une citoyenneté double ou multiple. Le gouvernement n'avalise pas les dispositions sur la révocation qui ont une incidence différente sur les citoyens possédant une double citoyenneté, et propose ainsi de réintégrer dans la citoyenneté toute personne qui l'aurait perdue en raison de ces dispositions.
L'Association du Barreau canadien et le Conseil canadien pour les réfugiés ont fait part de préoccupations au moment où les dispositions ont été présentées. Des groupes de discussion composés notamment d'immigrants se sont aussi montrés perplexes.
Lorsque vous êtes Canadien, vous ne devriez pas vous sentir inférieur seulement du fait que vous possédez une citoyenneté d'un autre pays. Les conflits à l'étranger façonnent sans cesse la nature de la menace terroriste au Canada. Le gouvernement continuera de prendre les mesures qui s'imposent pour faire échec à ces menaces terroristes. Les Canadiens qui commettent des crimes doivent subir les conséquences de ces crimes par l'entremise du système de justice canadien. On ne devrait révoquer la citoyenneté d'une personne que si elle l'a obtenue frauduleusement.
Le ministre conserverait le pouvoir de révoquer la citoyenneté dans des cas de fraude de base, comme la fraude en matière d'identité ou de résidence — ce qui représente la majorité des cas — et la Cour fédérale conserverait le pouvoir de révoquer la citoyenneté dans les cas où la fraude a trait à des questions graves comme l'atteinte aux droits humains, les crimes de guerre ou la criminalité organisée.
Soyons clairs, les terroristes doivent être mis en prison — et pour longtemps. Mais ajouter des motifs de révocation crée un dangereux précédent.
Monsieur le président, d'autres mesures dans le projet de loi C-6 offriraient aux personnes qui demandent la citoyenneté des moyens plus souples de répondre aux exigences. Les mesures précédentes posaient là un bon nombre d'obstacles. Le projet de loi C-24 exigeait que quiconque demande à devenir citoyen canadien déclare son intention de rester au pays après avoir obtenu la citoyenneté. Elles allongeaient l'obligation de résidence pour les demandeurs en les obligeant à être effectivement présents au Canada pendant plus longtemps avant de pouvoir demander la citoyenneté. Elles retiraient aux demandeurs la possibilité de compter le temps qu'ils avaient passé au Canada avant de devenir résidents permanents dans le calcul de la durée de leur présence effective en vue d'acquérir la citoyenneté.
Elles obligeaient les demandeurs âgés de 14 à 64 ans à répondre à des critères de compétences linguistiques et de connaissances. Auparavant, seuls les demandeurs de 18 à 54 ans avaient à satisfaire à ces critères.
Le projet de loi C-6 abrogerait la disposition sur l'intention de résider, ce qui s'inscrit dans les engagements pris par le gouvernement lorsqu'il a reçu son mandat. Ce changement ferait en sorte que les demandeurs de citoyenneté n'auraient plus à craindre de perdre leur citoyenneté canadienne parce qu'ils ne sont pas restés au Canada, même s'ils ont dit qu'ils allaient y rester.
Le projet de loi C-6 modifierait aussi les critères de présence effective, en permettant aux personnes de présenter une demande de citoyenneté un an plus tôt qu'aux termes des dispositions mises en œuvre en 2015. Cela permettrait aux candidats de recevoir un crédit pour le temps passé au Canada comme résidents temporaires ou personnes protégées avant d'obtenir la permanence, ce qui leur donnerait plus de souplesse dans leur processus pour acquérir la citoyenneté. Nous savons que les immigrants commencent souvent à développer un attachement envers le Canada avant de devenir résidents permanents, et ce changement contribuera à inciter des étudiants et des travailleurs qualifiés de l'étranger à venir au Canada.
Une autre mesure du projet de loi C-6 rétablirait la fourchette d'âges à laquelle s'applique les exigences liées à la maîtrise des langues officielles et à la connaissance du Canada à entre 18 et 54 ans.
Monsieur le président, personne ne nie l'importance de la connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada ou de la compréhension des responsabilités et des privilèges dont s'accompagne la citoyenneté canadienne. Cela dit, le fait de réduire la tranche d'âge où les demandeurs doivent répondre à certains critères de langue et de connaissances allégera le fardeau pour certaines personnes. Les adultes plus âgés qui demandent la citoyenneté pourront trouver de l'aide auprès de nombreux services d'intégration pour en savoir davantage sur le Canada et apprendre à parler une langue officielle. Et pour leur part, les jeunes auront la chance d'acquérir ce qu'il faut pour répondre aux critères de langue et de connaissances à l'école ou à leur arrivée sur le marché du travail.
Monsieur le président, bien que le projet de loi C-6 accorde plus de souplesse aux candidats pour satisfaire aux exigences de la citoyenneté, il importe de veiller en même temps à ce que ceux et celles qui reçoivent la citoyenneté répondent effectivement à toutes les conditions. C'est pourquoi des mesures du projet de loi C-6 renforceraient l'intégrité du programme et les outils de lutte contre la fraude.
Par exemple, le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté aurait une autorité claire pour saisir les documents frauduleux, tels que les passeports contrefaits ou altérés, prévue au titre de la Loi sur la citoyenneté. Cela permettrait d'améliorer l'intégrité de nos programmes de citoyenneté.
Je tiens également à vous assurer, monsieur le président, que le gouvernement ne prend pas la révocation de la citoyenneté à la légère. Nous ne pouvons pas permettre à quiconque d'utiliser le système de manière frauduleuse ou de diminuer son intégrité, et nous sommes fermement engagés envers l'équité procédurale. Le gouvernement continuera de révoquer la citoyenneté des personnes qui l'ont obtenue frauduleusement.
Merci beaucoup, monsieur le président.
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur le ministre. Nous espérons avoir à nouveau le plaisir de vous accueillir.
Je voudrais revenir sur quelque chose que vous avez dit vers la fin de votre exposé. Vous nous avez dit en effet que nous ne pouvons pas permettre que des gens utilisent le système de manière frauduleuse, ou diminuent son intégrité, et que vous êtes fermement engagés envers l'équité procédurale.
D'autres témoins nous ont dit, cependant, que les individus dont la citoyenneté est révoquée par le ministre pour cause de fraude ou de fausse déclaration sont privés d'équité procédurale puisqu'ils n'ont pas le droit de faire appel ou d'obtenir une nouvelle audition de leur cause. Votre prédécesseur, le ministre McCallum, a, lors de la période des questions, déclaré devant le Sénat qu'il accueillerait volontiers un amendement destiné à remédier à ce manque d'équité procédurale. Accueilleriez-vous volontiers, vous aussi, un tel amendement? Si c'est effectivement le cas, pourriez-vous nous en dire quelque chose?
M. Hussen : Je vous sais gré, sénatrice Omidvar, de me poser la question. Nous sommes persuadés que les procédures prévues comportent un certain nombre de garanties permettant notamment de prendre en compte la situation personnelle de l'intéressé, ainsi que divers autres facteurs dont le décideur n'a peut-être pas eu connaissance. Nous estimons que les procédures actuelles se défendent au plan constitutionnel. Cela dit, nous sommes parfaitement disposés à étudier toute proposition susceptible de renforcer l'équité de la procédure de révocation de la citoyenneté. Nous avons déjà eu l'occasion de dire que nous nous pencherions sur toute proposition en ce sens, et que nous travaillerions en étroite collaboration avec les sénateurs. Je ne saurais prédire l'issue d'un tel travail, mais je tiens à vous assurer que nous sommes entièrement disposés, moi et mes collaborateurs ministériels, à collaborer avec vous afin d'examiner ensemble les propositions que vous ferez en vue d'accroître l'équité procédurale en ce domaine.
La sénatrice Frum : Monsieur le ministre, d'après un article récemment paru dans le National Post, sous l'actuel gouvernement, chaque mois, environ 17 personnes ont, en moyenne, vu révoquer leur citoyenneté. En tant que ministre, avez-vous le pouvoir discrétionnaire d'aller, pour des motifs d'ordre humanitaire, à l'encontre des recommandations des gens de votre ministère? Si vous en avez effectivement le pouvoir, dans quelle mesure l'exercez-vous?
M. Hussen : Vous avez, sénatrice, raison de me poser la question.
La décision est généralement prise par un fonctionnaire du ministère, qui envoie à l'intéressé un avis de révocation. La personne concernée a alors la possibilité de formuler des observations écrites, et elle peut également, dans certaines circonstances, obtenir une audience au cours de laquelle elle pourra plaider sa cause. Si l'intéressé estime qu'il existe des facteurs qui mériteraient d'être pris en compte, il peut, par écrit, les porter à l'attention du décideur, et il peut également, dans certains cas, obtenir une audience.
Le système actuellement en vigueur offre à l'intéressé la possibilité de porter ces éléments devant le décideur, de lui faire part de sa situation personnelle ainsi que d'autres facteurs tels que son rôle dans la fraude initiale, l'étendue de sa participation, son âge, son attachement au Canada, sa santé, et de nombreuses autres circonstances. Le décideur tient effectivement compte de ce type de considérations dans les affaires qu'il est régulièrement appelé à trancher, et l'intéressé peut transmettre ces divers renseignements à notre ministère dans le cadre de ses observations écrites.
Le sénateur Eggleton : Monsieur le ministre, je vous remercie de piloter le projet de loi C-6. Il va, selon moi, dans le bon sens, et corrige une partie des dommages qu'avait entraînés l'adoption du projet de loi C-24. Je comprends mal, cependant, pourquoi vous n'avez pas mis en place une procédure équitable en matière de révocation de la citoyenneté pour cause de fausses déclarations.
Nous avons accueilli des témoins qui ont évoqué le manque de droit à être entendu, le manque de droit à une divulgation complète des éléments du dossier, l'absence de toute possibilité de faire valoir des motifs d'ordre humanitaire, l'absence de recours, et le défaut, à l'audience, de droit à l'assistance d'un avocat. Un de nos témoins, M. Waldman, a évoqué le cas d'un jeune qui a vu révoquer sa citoyenneté. Il était, à un très jeune âge, devenu citoyen en même temps que ses parents, mais sa citoyenneté a été révoquée par la suite, car on s'est aperçu que ses parents avaient menti. Il ne semblait y avoir aucun moyen de faire jouer des circonstances d'ordre humanitaire. La révocation semblait catégorique.
La décision, ou la procédure qui a permis d'y aboutir ne me paraît pas équitable. Il n'y aurait ainsi aucun recours contre une décision d'une particulière gravité. Or, il est parfois dit que la citoyenneté est un droit qui ouvre la voie à d'autres droits. On ne peut donc pas se contenter de dire que les personnes dont la citoyenneté est révoquée redeviendront des résidents permanents, et que ce statut leur conférera de nombreux droits. En effet, la citoyenneté constitue en soi un droit d'une extrême importance.
Je ne comprends donc pas comment l'on peut prétendre qu'une telle procédure se défend — je pense bien que c'est l'expression que vous avez employée — alors qu'elle entraîne en fait un déni de droit.
M. Hussen : Mais on ne peut pas dire que le système actuel ne permet pas d'invoquer devant le décideur des circonstances personnelles ou diverses autres considérations. Cette possibilité existe effectivement. L'intéressé peut, en effet, en réponse à l'avis de révocation, faire état des circonstances que vous avez évoquées.
Et puis, il y a aussi la procédure de contrôle judiciaire, dont peuvent se prévaloir les intéressés, dans la mesure, bien sûr, où ils obtiennent l'autorisation nécessaire.
Cela dit, j'insiste bien sur le fait que nous sommes parfaitement disposés à envisager toute mesure permettant d'améliorer et de renforcer l'équité procédurale, ainsi que toute proposition avancée par votre comité. Je prends devant vous l'engagement d'étudier très soigneusement de telles propositions et de collaborer avec vous afin de voir ce qui pourrait être fait à cet égard.
Le sénateur Eggleton : Entendu. Nous allons donc procéder ainsi.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, monsieur le ministre. Permettez-moi d'abord de vous féliciter de votre nomination, et de vous souhaiter la bienvenue au Sénat du Canada. Nous espérons avoir le plaisir de collaborer de nouveau avec vous sur de nombreux autres projets de loi.
Monsieur le ministre, je sais que vous avez hérité de ce projet de loi. C'est un bon projet de loi, mais il y a quand même un petit caillou dans votre chaussure et c'est le fait qu'aucun processus indépendant n'est prévu pour la révocation. Comme vous le savez, monsieur le ministre, il existe un processus indépendant pour les résidents permanents. Les réfugiés bénéficient également d'un processus indépendant.
J'aimerais d'abord parler de la question de l'autorisation. J'ai pratiqué dans ce domaine. Il était très rare que les autorisations soient accordées. À mon avis, l'autorisation n'est donc pas vraiment une solution.
Pourquoi ne pas avoir prévu un processus indépendant, comme celui qui est applicable aux résidents permanents? Pourquoi ne pas soumettre ces questions à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?
Monsieur le ministre, vous parlez des motifs d'ordre humanitaire, mais le projet de loi ne mentionne aucunement que vous avez à en tenir compte. Dans le cas des demandes de résidence permanente et des demandes d'asile, comme vous le savez, monsieur le ministre, les considérations d'ordre humanitaire sont prises en compte. Ce n'est pas le cas ici.
M. Hussen : Le projet de loi C-6 traitait uniquement des engagements que nous avions pris envers les Canadiens à l'égard de la différence de traitement accordé aux citoyens canadiens, qu'ils aient la double nationalité ou non, ainsi que des questions touchant la création de difficultés supplémentaires pour l'obtention de la citoyenneté, notamment le durcissement des conditions de résidence, qui sont bien plus rigoureuses même par rapport à l'époque où il fallait 183 jours de résidence pendant quatre années consécutives. Ce projet de loi contient un certain nombre d'éléments qui reflètent l'engagement que nous avions pris envers les Canadiens à l'égard de certains problèmes. L'essentiel du projet de loi C-6 porte sur ces aspects. La question que vous soulevez, celle d'un mécanisme d'appel, n'est pas un élément central de la conception du projet de loi C-6.
Cela dit, nous entendons, bien sûr, respecter l'équité procédurale. Il nous semble important d'avoir ce débat. Comme je l'ai dit, nous serions très heureux de débattre de ce sujet et d'examiner les propositions que vous souhaitez peut-être présenter dans ce domaine.
La sénatrice Steward Olsen : J'aimerais poser une question et demander une précision concernant le commentaire que vous avez fait il y a un instant au sujet des citoyens possédant une double nationalité, qui ont vu leur citoyenneté révoquée pour motif de terrorisme ou pour avoir été membre de forces armées luttant contre le Canada. J'ai cru vous entendre dire que vous alliez rétablir ces citoyennetés. Est-ce bien exact?
M. Hussen : Cela s'applique à une seule personne qui était visée par les changements introduits par le projet de loi C-24. Dans ce cas précis, je peux vous confirmer que nous allons effectivement rétablir la citoyenneté de cette personne.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci. C'était choquant.
La sénatrice Seidman : Monsieur le ministre, je vous remercie d'être venu aujourd'hui.
Il a été mentionné ici que les changements apportés à l'âge auquel il est nécessaire de démontrer des connaissances linguistiques et des connaissances au sujet du Canada ont soulevé certaines préoccupations. J'aimerais vous parler plus précisément des personnes âgées entre 55 et 64 ans.
D'après Statistique Canada, cette catégorie d'âge représente à l'heure actuelle plus du tiers de la main-d'œuvre canadienne. C'est un pourcentage très important et il est probable que ces personnes vont encore y participer pendant 20 ans.
Connaissez-vous le pourcentage des personnes qui demandent la citoyenneté qui font partie de cette catégorie d'âge, 55 à 64 ans; et quels sont les facteurs qui vous ont amené à proposer ce changement?
M. Hussen : Les personnes qui demandent la citoyenneté et qui font partie de cette catégorie d'âge représentent 7,7 p. 100 de tous les demandeurs.
La sénatrice Seidman : Combien de demandeurs?
M. Hussen : Pour 7,7 p. 100 de toutes les personnes qui demandent la citoyenneté canadienne.
La sénatrice Seidman : Je comprends, mais pouvez-vous me donner une idée du nombre des demandeurs de sorte que je puisse me faire une idée de ce que cela représente?
Mary-Ann Hubers, directrice, Prestation du programme de la citoyenneté, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : L'année dernière, il y avait 2 317 personnes âgées de 55 à 64 ans, la catégorie d'âge qui vous intéresse, qui ont présenté des demandes. Cela représente une diminution par rapport aux années précédentes. L'année d'avant, ce chiffre était de 15 243.
Le président : Excusez-moi. Cela représente-t-il le nombre des demandeurs qui font partie de ce groupe d'âge? La sénatrice demandait le nombre total des demandes de citoyenneté.
Mme Hubers : Entre juillet 2015 et juin 2016, le nombre total de demandes de citoyenneté a été de 67 235. Il y avait 2 317 personnes, parmi ces demandeurs, qui faisaient partie du groupe d'âge des 55 à 64 ans.
La sénatrice Seidman : Le chiffre de 15 243 représente le nombre des demandeurs faisant partie de la catégorie d'âge des 55 à 64 ans pour l'année précédente?
Mme Hubers : C'est exact. Sur un total de 197 475.
La sénatrice Seidman : C'est donc une très forte diminution.
Mme Hubers : Une très forte diminution. Elle est postérieure à l'adoption du projet de loi C-24, la période que nous examinons touche à la fois la période postérieure et antérieure au projet de loi C-24.
La sénatrice Seidman : Merci d'avoir fourni ces chiffres. Je suis contente de les avoir. Ma question comportait une seconde partie qui était : Pourquoi avoir fait ce choix?
Le président : Avez-vous mentionné cet aspect pour le compte rendu lorsque vous avez posé la première partie de votre question?
La sénatrice Seidman : Oui.
M. Hussen : Désolé? Pourquoi avons-nous fait quoi?
La sénatrice Seidman : Lorsque je vous ai posé la question, j'ai demandé quel était le pourcentage des demandeurs qui appartenaient à ce groupe d'âge et quels étaient les facteurs à l'origine du changement proposé.
M. Hussen : Les facteurs qui expliquent le changement proposé sont, premièrement, la diminution du nombre des demandes de citoyenneté présentées par cette catégorie d'âge. Cette diminution était presque une diminution de moitié, puisque le pourcentage est passé de 7,7 à 3,4 p. 100.
Deuxièmement, nous avons pensé que, d'une façon générale, les plus jeunes, ceux de 14 à 18 ans, étaient probablement en train d'étudier. Nous sommes convaincus que leurs connaissances linguistiques et leur connaissance du Canada vont être renforcées grâce à leurs études et nous nous sommes demandé pourquoi leur faire passer un examen de connaissances linguistiques et générales alors qu'ils vont obtenir ces connaissances grâce aux études qu'ils effectuent et éventuellement, grâce à ce qu'ils vont apprendre lorsqu'ils feront partie de la main-d'œuvre active.
D'un autre côté, le groupe des 54 à 64 ans comprend des personnes qui ont vécu au Canada et qui sont intégrées à la société canadienne de nombreuses autres façons. Nous avons estimé qu'il était important que ces personnes obtiennent la citoyenneté. Nous pensons que l'obtention de la citoyenneté et le fait de suivre ce processus renforceraient encore leur intégration dans la société canadienne. Ce sont des gens qui travaillent, qui s'occupent souvent des enfants des membres de la famille qui les a parrainés pour qu'ils viennent au Canada dans la catégorie du regroupement familial.
Nous utilisons un système qui a fait ses preuves. Il ne s'agit pas réellement d'un changement, mais plutôt de rétablir un processus qui a bien fonctionné au Canada pendant plus de 40 ans.
La sénatrice Beyak : Il y a beaucoup de Canadiens des différentes régions qui regardent ces émissions, qui lisent des rapports de notre comité sénatorial et qui écoutent les interventions de nos témoins experts. J'aimerais que vous leur expliquiez comment vous justifiez le projet de loi C-6, qui permet à une personne déclarée coupable d'un acte de terrorisme, de trahison ou d'espionnage de détenir et de conserver la citoyenneté canadienne.
M. Hussen : Je le justifie pour deux raisons. La première, et vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi sur ce point, est que nous sommes convaincus qu'un Canadien est un Canadien est Canadien et qu'il convient de traiter de la même façon tous les citoyens canadiens. Le citoyen canadien qui n'a pas une double nationalité et qui est déclaré coupable d'une infraction de terrorisme ne perd pas sa citoyenneté avec le projet de loi C-24. Mais le citoyen canadien qui se trouve posséder deux ou plusieurs citoyennetés en plus de la citoyenneté canadienne et qui est ensuite déclaré coupable d'un acte de terrorisme perd sa citoyenneté. Cela revient à traiter de façon différente deux citoyens canadiens qui se trouvent dans la même situation.
Deuxièmement, cela introduit également la notion de peine supplémentaire. Prenons la personne qui est déclarée coupable d'une infraction de terrorisme. Elle est envoyée en prison. Un autre Canadien qui est également déclaré coupable d'une infraction de terrorisme est envoyé en prison. Mais parce que la première personne a une double citoyenneté ou bénéficie d'autres citoyennetés, elle fait l'objet d'une mesure supplémentaire, qui est la perte de sa citoyenneté canadienne, alors que la personne qui n'a pas de double citoyenneté, mais qui est également un citoyen canadien, ne fait pas l'objet d'une telle mesure. Nous pensons là qu'il s'agit d'une différence de traitement, d'un traitement qui ne respecte pas l'égalité et que cela crée un précédent dangereux qui crée deux types de citoyenneté et compromet le principe dans lequel nous croyons, savoir qu'« un Canadien est un Canadien est un Canadien ».
Le sénateur Meredith : Permette-moi de vous féliciter encore une fois pour votre nomination. L'histoire de votre vie est une source d'inspiration pour de nombreux néo-Canadiens et nous vous remercions pour le travail que vous faites.
Monsieur le ministre, vous avez mentionné dans votre exposé que le projet de loi C-6 contenait des mesures qui renforceraient l'intégrité du programme de citoyenneté et offriraient des outils pour lutter contre la fraude. Nous avons entendu des témoins nous dire que les modifications apportées aux conditions de résidence contenues dans le projet de loi risquaient d'affaiblir la capacité du gouvernement de lutter contre la fraude en matière de citoyenneté.
Pourriez-vous nous parler des mesures de lutte contre la fraude que le projet de loi C-6 conserve et ajoute?
M. Hussen : Le projet de loi C-6 renforce en fait l'intégrité du programme de citoyenneté, et améliore l'intégrité de ce programme. Je peux vous donner comme exemple qu'il donne certains pouvoirs au ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Nous avons le pouvoir de saisir et de conserver les documents fournis dans le cadre des demandes de citoyenneté, pourvu que le ministre ait des motifs raisonnables de croire que les documents ont été obtenus ou utilisés de façon frauduleuse ou que leur saisie est nécessaire pour en empêcher l'utilisation irrégulière ou frauduleuse.
Nous avons également reçu le rapport sur la fraude au sein du programme de la citoyenneté qu'a préparé le vérificateur général. Nous avons accepté toutes les recommandations du vérificateur général et nous avons déjà mis en œuvre, ou sommes en train de le faire, la plupart de ces recommandations.
Ces mesures ainsi que celles que nous prenons pour répondre aux recommandations du vérificateur général vont grandement renforcer l'intégrité de notre programme de citoyenneté.
La sénatrice McCoy : Cela constitue en fait une question supplémentaire à celle de la sénatrice Frum. Dans la réponse que vous avez fournie à la sénatrice Frum, vous avez pris grand soin de parler de « décideur ». Je crois comprendre que le pouvoir discrétionnaire de révoquer la citoyenneté appartient au ministre et que le ministre a délégué ce pouvoir. Je déduis de vos déclarations que ce pouvoir a été intégralement délégué à des décideurs et que vous n'intervenez aucunement, par la suite, dans ces décisions.
Cette délégation a été accordée à combien de décideurs et à quel niveau du ministère travaillent-ils? Sont-ce des sous-ministres ou des SMA? Qui sont ces « décideurs »?
Mme Hubers : Ce pouvoir est délégué à des analystes principaux de la direction de la gestion des cas à l'administration centrale. Je ne possède pas le chiffre exact des personnes à qui le pouvoir de prendre cette décision a été délégué, mais ce sont des personnes qui ont suivi une formation et qui sont en mesure d'examiner ces demandes. Elles ont la latitude de procéder à la révocation ou de s'abstenir de le faire, en se fondant sur les renseignements obtenus auprès des demandeurs.
La sénatrice McCoy : Les hypothèses de base que j'ai exposées sont-elles toutes exactes?
Mme Hubers : C'est un pouvoir qui appartient au ministre et le ministre a délégué ce pouvoir aux analystes principaux du ministère au moyen d'un instrument portant délégation.
La sénatrice McCoy : Et il n'intervient plus par la suite?
Mme Hubers : À ma connaissance, non, le ministre ne le fait pas.
La sénatrice Omidvar : Je vais poursuivre sur la révocation. Vous pouvez constater que c'est un sujet qui nous intéresse énormément.
J'aimerais parler de la situation antérieure à votre décision, comme en parlait la sénatrice McCoy. L'amendement règle, à mon avis, les questions touchant l'appel, comme nous l'avons entendu dire, mais j'aimerais vous demander quels sont les processus administratifs qu'il serait possible d'améliorer, puisque cela relève de vos compétences. Si je comprends bien, à ce moment-là, le fonctionnaire envoie une lettre et dit aux personnes dont la citoyenneté risque d'être révoquée : « Vous avez tant de jours pour répondre. » Ce même fonctionnaire obtient l'information; ce même fonctionnaire l'évalue encore une fois, et ce même fonctionnaire, s'il va jusqu'à tenir une audience, prend la décision. Cela me semble aller tout à fait à l'encontre de ce que nous appelons l'équité procédurale.
Pourriez-vous penser à des mécanismes, processus et systèmes qui ne figurent pas dans le projet de loi, mais qui vous permettraient d'améliorer le processus de sorte qu'au moment de prendre cette décision, il y ait une certaine équité procédurale que nous pourrions renforcer en prévoyant un appel devant la Couronne fédérale?
M. Hussen : Nous nous sommes engagés à respecter l'équité procédurale. J'ai dit très clairement qu'il ne s'agissait pas uniquement de l'équité procédurale que garantit l'intervention de la Cour fédérale à la fin du processus, mais même au début de celui-ci. Si quelqu'un présente des propositions visant à améliorer l'aspect administratif de ce processus pour y introduire davantage d'équité procédurale, je suis plus que disposé à examiner ces propositions, qu'elles viennent du comité ou d'un sénateur. Nous sommes tout à fait disposés à examiner ce genre de proposition et à en tenir vraiment compte.
Mme Hubers : Il serait peut-être utile de décrire les mesures que le processus actuel prévoit en matière d'équité procédurale.
Premièrement, il y a une division du ministère qui étudie au départ les dossiers pour voir s'ils contiennent suffisamment de preuves susceptibles de justifier la révocation. Lorsqu'il semble exister des preuves suffisantes, le dossier est alors transféré à une autre division qui prend alors la décision d'envoyer un avis d'intention de révoquer la citoyenneté ou de ne pas le faire. L'avis d'intention contient tous les éléments sur lequel le décideur se baserait à ce moment-là pour rendre sa décision et invite les personnes concernées à présenter tous les facteurs qui devraient être pris en compte pour prendre cette décision, y compris leur situation personnelle, comme la durée du temps passé au Canada, l'âge auquel elles ont acquis la citoyenneté, leur lien avec le Canada et ce genre de choses. À ce moment-là, lorsque les documents arrivent, le décideur choisit ou non de rendre sa décision.
Dans certains cas, après avoir examiné le dossier, il peut même décider de ne pas envoyer l'avis d'intention de révoquer la citoyenneté ou lorsque l'avis d'intention a été envoyé et que les renseignements reçus, il peut décider de ne pas ordonner la révocation.
La sénatrice Omidvar : Voilà qui est utile. Merci.
M. Hussen : Pour compléter, je dirais qu'il est souvent arrivé que le décideur prononce la révocation, mais il y a également eu beaucoup de cas dans lesquels le décideur a décidé, après avoir examiné les renseignements fournis par la personne concernée, de ne pas prononcer la révocation.
La sénatrice Frum : J'aimerais rester sur ce sujet pour être sûre que nous allons vraiment l'épuiser; le dernier exposé que nous avons entendu avant la séance d'aujourd'hui, monsieur le ministre, était celui de la B.C. Civil Liberties Association et de la Canadian Association of Refugee Lawyers. Pouvez-vous répondre à leurs critiques? Lorsque le gouvernement décide de révoquer la citoyenneté pour fausses présentations, ces organismes affirment que le citoyen n'a pas accès à l'ensemble des preuves contre lui. Est-ce vrai ou faux?
Mme Hubers : Toutes les preuves sur lesquelles repose la décision sont communiquées.
La sénatrice Frum : Ces organismes affirment que les considérations d'ordre humanitaire ne sont pas prises en compte. Est-ce vrai ou faux?
M. Hussen : Ce n'est pas exact. En fait, l'avis de révocation est envoyé à la personne concernée pour lui permettre en réalité de réunir des preuves et de présenter sa situation personnelle au décideur pour que celui-ci prenne en compte sa situation personnelle, ce qui comprend les considérations d'ordre humanitaire.
La sénatrice Frum : Pas de droit aux services d'un avocat?
M. Hussen : Le droit aux services d'un avocat est absolu. Vous pouvez retenir les services d'un avocat pour présenter des observations écrites et le dossier. Il n'est aucunement interdit d'avoir un avocat.
La sénatrice Frum : Ils affirment également qu'il n'y a pas de droit d'appel, affirmation à laquelle vous ne vous opposez pas, je pense.
M. Hussen : Il existe un droit de contrôle judiciaire avec autorisation.
Le sénateur McCoy : Ce n'est pas un appel.
M. Hussen : Ce n'est pas un appel automatique, c'est exact. Mais affirmer qu'il n'y a aucune possibilité d'appel est également inexact, à mon avis.
Le sénateur Eggleton : Monsieur le ministre, en plus d'entendre des témoins, le comité a également reçu des observations écrites. Je lisais un de ces mémoires dont il ressortait que le nombre des demandes de citoyenneté a fortement chuté ces derniers temps. La personne qui l'avait rédigé attribuait cette diminution au montant des droits à acquitter. Ces droits ont augmenté de près de 500 p. 100, faisait-elle remarquer. Je dois dire que c'est une augmentation considérable. Pour la plupart des gens, en particulier s'il s'agit de réfugiés et de personnes à faible revenu, c'est un obstacle important. Cela peut leur coûter, selon la taille de la famille, jusqu'à 1 000 $ et plus. Elle imputait principalement cette diminution à cette augmentation énorme des droits. Que pouvez-vous dire à ce sujet?
M. Hussen : Je vais demander à mes collaborateurs d'intervenir ensuite, mais je vais commencer par dire que, d'après mon analyse et les renseignements dont je dispose et que nous avons examinés, la réduction du nombre des demandes est davantage attribuée à certains des obstacles qui ont été créés par le projet de loi C-24, en particulier au durcissement de l'obligation de résidence. Il existe une corrélation avec le durcissement de la condition de résidence au Canada dont le respect est exigé pour demander la citoyenneté et ce lien est plus net qu'avec les droits à acquitter.
Les droits exigés au Canada pour obtenir la citoyenneté sont beaucoup plus faibles que les droits qu'exigent de nombreux pays, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et de nombreux autres. Le coût des services fournis correspond très bien au montant des droits. Mais je vais demander à mes collaborateurs de vous fournir davantage de détails à ce sujet.
Mme Hubers : Pour appuyer ce que vient de dire le ministre, je mentionnerais que les droits ont augmenté le 1er janvier 2015. Si vous examinez les chiffres mensuels de 2015, vous constatez qu'au cours des six premiers mois de cette année, le nombre des demandes est resté au même niveau qu'auparavant. Par contre, après l'entrée en vigueur du projet de loi C-24 en juin 2015, qui exigeait une présence effective plus longue, il y a eu une forte diminution des demandes à partir de juillet 2015. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il existe une corrélation directe entre le durcissement de la condition de présence effective et la diminution des demandes de citoyenneté.
La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, je vais revenir une nouvelle fois sur les considérations d'ordre humanitaire. Pendant toutes les années au cours desquelles j'ai pratiqué le droit — cela vous permettrait de savoir mon âge et je ne vous dirais donc pas pendant combien de temps j'ai pratiqué le droit —, l'aspect le plus important était les considérations d'ordre humanitaire.
D'après des collègues que je respecte beaucoup et qui travaillent toujours dans ce domaine, il semblerait qu'il n'existe pas de lignes directrices en matière de considérations d'ordre humanitaire. Et tout récemment — je pourrais vous donner en privé le nom de la personne concernée — l'agente principale a été contre-interrogée et elle a déclaré qu'elle ne savait pas sur quoi fonder l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu'elle n'était pas en mesure d'expliquer les facteurs qu'elle prenait en compte pour décider s'il y avait des considérations d'ordre humanitaire. Elle a également affirmé qu'elle n'était pas tenue de prendre en compte ce genre de considérations. Monsieur le ministre, il y a quelqu'un qui vient de me tweeter et je vais vous communiquer ce message selon lequel le ministre parle de ce qui serait souhaitable, mais non pas de ce qui se passe actuellement dans votre ministère.
Mme Hubers : Puis-je vous demander une précision au sujet des considérations d'ordre humanitaire? Je crois que vous faites référence à cet aspect par rapport aux conditions d'obtention de la citoyenneté.
La sénatrice Jaffer : Après sa révocation. C'est ce dont nous parlons ici.
Mme Hubers : Après la révocation...
La sénatrice Jaffer : Pas après. Dans le processus de révocation, au cours du processus.
Mme Hubers : Oui, le décideur tient compte des renseignements fournis par le demandeur au sujet de sa situation personnelle, avant de décider de révoquer ou non la citoyenneté.
La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous fournir...
Le président : Sénatrice, je crois que vous allez un peu trop loin. Nous avons obtenu des réponses claires du ministre et de son collaborateur sur ce point. Aller plus loin reviendrait à lancer des hypothèses. Nous avons entendu un témoin, auquel vous avez fait référence, et nous entendons directement le ministre et ses collaborateurs. Nous devons tenir pour acquis que les réponses fournies au comité sont sincères.
La sénatrice Jaffer : Je ne mets pas en doute leur sincérité.
Le président : Eh bien, nous en arrivions à...
La sénatrice Jaffer : Non, vous ne connaissez pas la question que j'allais poser, mais je ne mettais pas en doute leur sincérité. Je suis vexée.
Le président : Mais vous comprenez ce que je veux dire.
La sénatrice Jaffer : Non. Mais ça va.
Le président : Y a-t-il d'autres précisions concernant la question qu'a posée la sénatrice Jaffer?
Paul MacKinnon, sous-ministre adjoint, Politiques stratégiques et de programmes, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Si cela peut être utile au comité, nous pourrions déposer les facteurs pris en compte pour que vous puissiez les examiner à loisir. Je serais heureux de le faire.
Le président : Il faudrait les remettre au comité avant 10 h 30 demain matin.
M. MacKinnon : Ce n'est pas un problème, à mon avis. N'est-ce pas?
Mme Hubers : Je peux vous décrire les facteurs qui sont pris en considération. Il s'agit de l'âge du demandeur au moment du dépôt de la demande de citoyenneté. Il y a les liens de cette personne avec le Canada. Cette personne vit-elle au Canada ou à l'extérieur du Canada. Ce sont là les principaux facteurs. Le décideur examine ensuite les renseignements concernant la santé du demandeur, par exemple. Par leur nature propre, les considérations d'ordre humanitaire peuvent être très variées. Quelqu'un pourrait dire : « Je ne conteste pas qu'il y ait eu fraude, mais je suis gravement malade ». Cet aspect serait alors pris en considération.
M. Hussen : Le décideur examine également de près les répercussions qu'aurait la révocation sur la personne concernée. Il examine également dans quelle mesure cette personne a participé à la fraude. Il prend en compte son âge. Il prend en compte son degré d'établissement au Canada. Il examine la question de la santé. Il prend donc en compte de nombreux facteurs. Voilà les exemples que je peux vous fournir.
Le sénateur Meredith : Monsieur le ministre, un ancien juge de la citoyenneté a comparu devant nous et il a déclaré que, pour ce qui est des connaissances linguistiques et de l'examen rigoureux que le ministère fait passer aux personnes qui demandent la citoyenneté, il craignait que l'épreuve linguistique ait été simplifiée pour ce qui est d'évaluer la connaissance qu'a le demandeur du Canada de façon à permettre une augmentation du nombre des demandes de citoyenneté. Pour ce qui est de la simplification de l'épreuve, il affirmait que les compétences linguistiques ne faisaient pas l'objet d'une solide vérification. Monsieur le ministre, êtes-vous satisfait des mécanismes internes applicables aux vérifications et aux compétences des personnes qui demandent la citoyenneté?
M. Hussen : Je pourrais vous répondre rapidement que nous pensons que notre programme de vérification des compétences linguistiques fonctionne bien. Il fonctionne depuis très longtemps. Le problème vient du fait que le projet de loi C-24 a créé des obstacles inutiles pour un certain groupe d'âge. Pour ce qui est des groupes plus jeunes, nous avons estimé que ces personnes allaient acquérir des connaissances au sujet du Canada ainsi qu'une compétence dans l'une des deux langues officielles du Canada en faisant leurs études et par la suite, en intégrant le marché du travail. Nous pensons que les personnes qui font partie du groupe d'âge des 54 à 64 ans étaient des personnes qui ont déjà vécu au Canada, qui ont été intégrées d'autres façons et que le fait d'ajouter des obstacles leur interdirait d'obtenir la citoyenneté, alors que cette citoyenneté renforcerait leur intégration au Canada.
Je vais permettre à mon collaborateur de poursuivre.
Alec Attfield, directeur général, Direction du programme de la citoyenneté, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Premièrement, je préciserais que nous n'acceptons pas les demandes émanant de personnes qui n'ont pas démontré une compétence en anglais ou en français, l'une des deux langues officielles. Nous le faisons pour éviter aux demandeurs de payer inutilement les droits exigés.
Pour revenir à la question précédente des droits, nous ne voulons pas que les demandeurs qui risquent de voir leurs demandes rejetées à cause de compétences linguistiques insuffisantes déposent une demande. Bien sûr, il existe des programmes d'intégration destinés à aider les résidents permanents qui souhaitent s'intégrer. Nous accordons un financement d'établissement qui vise à renforcer les compétences linguistiques. Lorsqu'un demandeur a démontré qu'il possédait des compétences linguistiques suffisantes en présentant un certificat ou d'autres preuves, alors nous acceptons sa demande.
L'autre aspect est le test de connaissances. Nous n'avons certainement pas tenté de simplifier le test des connaissances. Ce test est bien sûr formulé de façon à être compréhensible selon le niveau 4 des compétences linguistiques canadiennes, de sorte que c'est un niveau de compétences linguistiques assez général.
Nous suivons de très près les résultats des tests et veillons à son intégrité dans le cadre du processus général des épreuves à passer. Il faut que les demandeurs obtiennent 15 bonnes réponses sur 20 questions. Nous faisons passer un grand nombre de tests au même moment. Nous disposons d'une série de questions qui ont été testées. Nous suivons chaque test pour voir si le rendement est comparable à celui des autres tests, pour que ce soit égal pour tous. Nous essayons de concevoir une épreuve qui soit significative pour ce qui est des questions posées. Toute l'information nécessaire pour ces épreuves se trouve dans le guide de la citoyenneté intitulé Découvrir le Canada. C'est votre guide. La personne qui comprend le guide, qui s'est préparée à l'examen et qui obtient 15 bonnes réponses sur 20, réussit cette épreuve.
Le sénateur Meredith : Est-il possible d'apporter des améliorations dans ce domaine?
M. Attfield : Il est vrai que la Commission de vérité et réconciliation a signalé que le guide de la citoyenneté posait certains problèmes. Elle recommandait notamment que le guide de la citoyenneté reflète mieux l'histoire des Autochtones, de sorte que nous sommes en train de revoir le guide pour ce motif.
Nous l'examinons également du point de vue de la clarté de la langue. Comme je l'ai mentionné, nous pensons que le guide est sans doute écrit à un niveau de langue supérieur à celui visé par l'examen de langue, de sorte qu'il serait sans doute possible de mieux faire concorder ces différents niveaux. Nous sommes donc en train de réviser le guide de la citoyenneté non pas pour le simplifier, mais pour le rendre plus clair. L'intégrité de l'examen ne sera pas compromise s'il est rédigé en termes plus clairs.
La sénatrice Beyak : Monsieur le ministre, « un Canadien est un Canadien est un Canadien » est une jolie citation, mais pour citer le président de notre Comité de la sécurité nationale et de la défense, le sénateur Dan Lang, « un terroriste est un terroriste est un terroriste ».
Pourquoi accorder la citoyenneté canadienne, une citoyenneté qui nous est très chère, à une personne déclarée coupable d'un acte de terrorisme contre le Canada?
M. Hussen : Une précision pour le compte rendu; je dirais que nous n'accordons pas la citoyenneté à cette personne; nous rétablissons la citoyenneté que cette personne a déjà possédée. Comme je l'ai dit plus tôt, nous ne sommes pas en faveur de traiter différemment les citoyens canadiens. C'était le but du projet de loi C-24. Il visait à créer deux catégories de citoyens selon lesquelles, lorsque deux citoyens canadiens — l'un possédant uniquement la citoyenneté canadienne et l'autre la citoyenneté canadienne et une autre citoyenneté ou plusieurs — commettaient les actes décrits dans le projet de loi C-24, ils pouvaient alors arriver que l'un perde sa citoyenneté et l'autre pas, même s'ils avaient commis exactement la même infraction et qu'ils étaient déclarés coupables de la même infraction.
Vous admettrez avec moi que cela constitue une différence de traitement entre deux personnes qui ont commis la même infraction. La seule différence est que l'un a une double nationalité et l'autre n'en a pas. Cela constitue un précédent très dangereux et cela impose des mesures supplémentaires visant les citoyens possédant la double nationalité alors que les personnes qui ont uniquement la citoyenneté canadienne ne sont pas visées par ces mesures.
Je suis donc d'accord avec vous, un terroriste est un terroriste, mais il faut que le système de justice canadien s'occupe des terroristes et nous ne devrions pas prévoir un traitement différent pour les citoyens canadiens qui commettent les mêmes infractions.
La sénatrice McCoy : Au cours des remarques préliminaires que vous avez faites ce soir, monsieur le ministre, vous avez régulièrement utilisé le mot « fraude ». Je pensais que la loi utilisait en fait les mots « fausses présentations ». Je suis avocate de formation et je peux vous dire que les deux termes sont très différents. Il y en a un qui est beaucoup plus grave que l'autre.
J'aimerais obtenir une précision. Voilà quelle serait ma question : Existe-t-il un critère qui établisse la gravité réelle de cette erreur et faut-il y associer une attention malveillante? Cela fait déjà quelques années que je ne pratique plus le droit et je ne prétends pas être en mesure de vous expliquer les éléments qui distinguent la fraude de la simple fausse présentation d'un fait, mais je pourrais les trouver. C'est pourquoi je vous demande si vous disposez d'éléments qui permettent de savoir quelle est la gravité de l'acte qui doit avoir été commis pour empêcher une personne de compter parmi les nouveaux Canadiens que nous souhaitons avoir.
Mme Hubers : Une précision, les fausses présentations doivent concerner la demande. L'immense majorité des révocations visent des personnes qui ont fait une fausse déclaration au sujet du temps qu'ils ont passé au Canada et qui ne respectent pas la condition de résidence. Dans certains cas, ce sont des personnes qui ont passé très peu de temps au Canada. De sorte que la vaste majorité des révocations touchent des personnes qui ont faussement déclaré la durée de leur résidence. Les autres domaines dans lesquels il y a souvent de fausses présentations, concernent l'identité et aussi le fait de ne pas divulguer un casier judiciaire.
La sénatrice McPhedran : Ma question porte sur le processus de nouvel examen et j'aimerais poser une question qui comprend deux parties. La première touche le droit, un mot très important, aux services d'un avocat, et l'autre concerne le raisonnement qu'effectue le décideur final au sujet d'une demande de nouvel examen.
La première partie touche, pourrait-on dire en quelque sorte, le droit de coucher sous les ponts, mais lorsque nous parlons du droit aux services d'un avocat, ce droit n'existe pas réellement si la personne concernée n'a pas les moyens de préparer les arguments qu'elle souhaite présenter. Nous ne connaissons pas toujours tous les éléments qui ont été communiqués, « nous » dans le sens du demandeur qui redemande un nouvel examen pour des motifs qui ont été déjà résumés.
A-t-on réfléchi à ce qui pourrait être fait pour que le décideur dispose dans ce cas d'une information factuelle exacte?
La deuxième partie est la suivante; lorsque le décideur rend sa décision, est-il obligé de fournir des motifs écrits? Est-il possible de savoir quel est, parmi les différents motifs, celui sur lequel est fondée sa décision?
M. Hussen : Je vais commencer par la première question et je demanderai ensuite à Mme Hubers de répondre à la seconde.
La première étape du processus concerne l'aspect administratif selon lequel lorsqu'une personne a reçu l'avis de possibilité de révocation, elle doit avoir le temps de préparer ses arguments et de présenter des observations écrites. Dans ce processus, elle a le droit aux services d'un avocat et d'obtenir l'assistance d'un avocat pour préparer ces observations.
La sénatrice McPhedran : Si elle a les moyens de le faire.
M. Hussen : Bien sûr, mais c'est le cas pour de nombreuses questions juridiques.
Pour la deuxième question, j'inviterais Mme Hubers à y répondre.
Mme Hubers : Nous fournissons effectivement des motifs écrits au demandeur en cas de révocation.
Le président : Je vous remercie.
Monsieur le ministre, avant de vous remercier, j'aimerais informer le comité du fait qu'il y a une réunion demain et décrire le processus à suivre. Nous allons faire demain l'étude article par article du projet de loi. Je tiens à signaler que, si vous souhaitez présenter des amendements ou des observations, il serait préférable que vous les proposiez par écrit dans les deux langues officielles; la greffière est prête à vous aider si vous avez besoin de traduction. Vous devez apporter des exemplaires pour tous les membres du comité et pour la greffière.
C'est une question administrative qui touche la procédure. Pour ce qui est des autres directives concernant la séance de demain, nous les examinerons en détail avant de commencer l'étude article par article.
Y a-t-il des membres du comité qui souhaitent poser des questions au sujet de ce processus?
Monsieur le ministre, nous sommes bien évidemment très heureux que vous ayez pu venir aujourd'hui, à un moment où la sonnerie ne nous empêche pas de converser avec vous et vous êtes resté une heure entière. Nous vous en remercions beaucoup.
Également, au nom de mes collègues, j'aimerais vous remercier pour la façon dont vous avez répondu aux questions, bien entendu, avec parfois un peu d'aide, ce qui a été extrêmement utile. Je pense que, d'une façon générale, les questions, même s'il y a peut-être un élément que je n'aurais pas interprété de la façon prévue, mais pour tout le reste, vous avez répondu clairement aux questions du comité. Les membres du comité diront si vous avez bien répondu à ces questions.
La sénatrice McCoy : Je me demande si je peux poser une question au sujet du processus.
Le président : Laissez-moi terminer et je vous donnerai la parole.
Je tiens à remercier mes collègues du comité, pour la façon dont ils ont abordé vos questions, au cours de ces séances. À mon avis, nous avons couvert la plupart des questions de fond qui se posaient.
Cela dit, sénatrice McCoy, vous avez une question sur la procédure que nous suivrons demain?
La sénatrice McCoy : Non, je voulais poser cette question au comité, puisqu'elle touche ce processus, après le départ des témoins.
Le président : La séance est levée. S'il y a une question qui touche la procédure, nous en parlerons demain au moment de l'étude article par article.
(La séance est levée.)