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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 20 - Témoignages du 5 avril 2017


OTTAWA, le mercredi 5 avril 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur le tabac, la Loi sur la santé des non-fumeurs et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier ce texte de loi.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, je viens de la Nouvelle-Écosse et je suis le président du comité. J'invite mes collègues à se présenter, à commencer par la personne à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

La sénatrice Frum : Linda Frum, Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Nous tenons aujourd'hui notre première séance avec témoins sur le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur le tabac, la Loi sur la santé des non-fumeurs et d'autres lois en conséquence, qu'on connaît aussi sous son titre abrégé, Loi sur le tabac et les produits de vapotage.

Nous recevons deux groupes de témoins aujourd'hui. Chers collègues, je nous rappelle que chaque groupe dispose d'une heure. Chaque sénateur pourra poser une question par tour. Je vous demande d'adresser vos questions à un témoin en particulier, dans un premier temps. Si les autres témoins souhaitent répondre à la question, veuillez signaler au président que vous souhaitez ajouter quelque chose à la réponse.

Chers témoins et collègues, je vous demanderai d'aller droit au but dans vos interventions et de ne pas vous perdre en longs préambules. Si les témoins peuvent également donner des réponses ciblées avec un minimum de contexte superflu, ce serait bien apprécié.

Nous avons un grand nombre de documents dans nos dossiers. Vous devez tenir pour acquis que tous les sénateurs ont lu tous les documents que nous avons reçus, donc vous n'avez pas besoin de répéter de longs extraits des documents que vous avez soumis au comité; répondez-nous directement.

Le premier groupe, qui aura jusqu'à 17 h 15 au plus tard pour s'exprimer, se compose de Melodie Tilson, directrice des politiques; ainsi que de Pippa Beck, analyste principal en matière de politiques à l'Association pour les droits des non-fumeurs. Il comprend également Jaye Blancher, directrice, ainsi que David Jones, conseiller en politiques à la Tobacco Harm Reduction Association of Canada

Je vais donner la parole aux témoins dans l'ordre selon lequel ils apparaissent à l'ordre du jour. Mme Tilson, je vous invite à présenter votre exposé.

Melodie Tilson, directrice des politiques, Association pour les droits des non-fumeurs : Merci, monsieur le président. Bonjour à tous les sénateurs.

Je vous remercie de nous fournir l'occasion de vous entretenir aujourd'hui du projet de loi S-5. Je suis directrice des politiques à l'Association pour les droits des non-fumeurs, et ma collègue en est l'analyste principale en matière de politiques. Nous travaillons toutes deux depuis plus de 10 ans pour l'ADNF, et je travaille personnellement dans le domaine de la lutte contre le tabagisme depuis 27 ans.

L'ADNF est une organisation nationale à but non lucratif qui se consacre exclusivement à la lutte contre le tabagisme depuis le début des années 1970. Notre nom vient du fait que quand notre association est née, le principal enjeu consistait à protéger les non-fumeurs de la fumée secondaire. Depuis, notre perspective a évolué, et nous consacrons désormais la plus grande partie de notre travail à la cause même de l'épidémie de tabagisme, soit l'industrie du tabac et ses stratégies pour faire la promotion du tabagisme et miner les efforts de lutte contre le tabagisme.

L'ADNF a joué un rôle de premier plan dans bon nombre des réformes importantes qui ont eu lieu au cours des 40 dernières années pour lutter contre le tabagisme, notamment les campagnes pour une loi fédérale sur le tabac et l'adoption des mises en garde graphiques sur la santé, qui ont établi un précédent mondial, ainsi que pour l'augmentation des taxes sur les produits du tabac, pour n'en donner que quelques exemples.

L'ADNF appuie vivement le projet de loi S-5. Il propose un cadre attendu depuis longtemps afin de légaliser et de régir la vente de cigarettes électroniques contenant de la nicotine; il comprend des modifications importantes à la Loi sur le tabac afin d'accorder le pouvoir législatif nécessaire pour exiger la banalisation et la normalisation des emballages de produits du tabac.

Avec la permission du président, nous aimerions présenter au comité un modèle de ce que nous considérons comme un emballage banalisé et normalisé.

Le président : Pour être parfaitement sûr de respecter le Règlement du Sénat, je vous demanderai de le laisser de côté, et je dirai aux sénateurs qu'ils peuvent aller le voir pendant la pause. Nous n'utilisons habituellement pas d'accessoires pendant nos séances, à moins qu'ils n'illustrent l'objet même d'une étude.

Mme Tilson : Quoi qu'il en soit, il y a diverses modifications que nous jugeons essentielles pour renforcer le projet de loi et veiller à ce qu'il permette de réaliser l'intention du gouvernement. Les membres du comité devraient avoir une copie de la liste détaillée de nos amendements. Compte tenu des contraintes de temps, je n'en mettrai que quelques-uns en relief.

Je commencerai par la disposition établissant le pouvoir nécessaire pour exiger la banalisation et la normalisation des emballages de produits du tabac. Selon son libellé actuel, le projet de loi S-5 interdit un certain nombre d'éléments de nature promotionnelle sur les emballages de produits du tabac, notamment de recourir « à un terme, à une expression, à un logo, à un symbole ou à une illustration ».

Nous voulons que le gouvernement ait le pouvoir de mettre en place toutes les interdictions décrites dans le document de consultation sur la banalisation des emballages, si bien que nous réclamons un amendement afin d'élargir explicitement la gamme des éléments promotionnels interdits.

Les sociétés de tabac exploitent de plus en plus tous les concepts d'emballage possibles pour atténuer l'effet des mises en garde sur la santé, diminuer la gravité des risques pour la santé et convaincre les fumeurs qu'ils peuvent choisir une marque ou une variante moins nocive plutôt que d'arrêter de fumer. Elles continuent de faire la promotion de diverses marques pour cibler de nouveaux fumeurs.

Nous croyons qu'outre les expressions et les symboles, il est essentiel pour la banalisation des emballages de produits du tabac d'interdire les variations de taille, de forme et de mode d'ouverture. Il est également essentiel que le gouvernement limite les noms de marque et leurs variantes pour que ces entreprises ne puissent pas utiliser un nom de marque, par exemple, pour évoquer un mode de vie ou une image corporelle positifs.

Vous entendrez probablement des farouches opposants à la banalisation des emballages, des sociétés de tabac et de leurs alliés de l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation et de la Coalition nationale contre le tabac de contrebande que la banalisation des emballages ne fonctionne pas, qu'elle a mené à une intensification de la contrebande en Australie et qu'elle alimentera le marché de la contrebande ici, chez nous. En fait, rien de tout cela n'est vrai.

L'ADNF a préparé un document appuyé sur des références complètes qui déboute tous les mythes concernant la banalisation des emballages que les sociétés de tabac et leurs groupes de façade répandent dans le monde. Nous en avons remis une version électronique ainsi qu'une version papier à la greffière aujourd'hui.

Le niveau de détails et donc l'efficacité de la réglementation sur la banalisation des emballages que le Canada rendra obligatoire dépendront en partie de la mesure dans laquelle les lobbyistes de l'industrie du tabac réussiront ou non à s'ingérer dans l'élaboration de politiques. À cette fin, nous estimons très important de modifier la Loi sur le tabac afin d'accroître la sensibilisation du public aux tactiques qu'emploie l'industrie du tabac pour nuire aux mesures de santé publique, dans le respect partiel des obligations du Canada en vertu de la Convention-cadre pour la lutte antitabac. Remarquez que le terme « industrie du tabac » a une définition très large dans les directives accompagnant la convention internationale, de sorte qu'elle comprend également les alliés de l'industrie dans le secteur du commerce de détail et ailleurs.

Je crois que les membres du comité ont reçu hier soir une copie d'une présentation interne d'Imperial Tobacco — celle-ci — qui prouve à quel point l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation et la CNCTC ont joué un rôle clé dans les stratégies des sociétés de tabac pour empêcher la prise de mesures antitabac.

Nous recommandons que ces entreprises divulguent à la ministre de la Santé les renseignements sur leurs activités et leurs dépenses directement ou indirectement destinées à influencer les politiques de santé publique et que tous ces renseignements soient mis à la disposition du public, sauf exemption accordée aux termes d'un règlement.

Je mentionnerai brièvement seulement deux autres amendements que nous jugeons essentiels. Il faut modifier le projet de loi afin que la chicha préparée à base d'herbes et l'utilisation de pipes à eau soient pleinement assujetties aux dispositions de la loi. Nous estimons aussi important d'interdire la promotion des produits du tabac par la vente d'accessoires portant des marques de tabac ainsi que de produits et de services non liés au tabac.

J'aimerais maintenant aborder la question des produits de vapotage.

L'ADNF appuie la plupart des mesures contenues dans le projet de loi S-5 pour réglementer la commercialisation et la vente de produits de vapotage, qu'ils contiennent ou non de la nicotine. Cependant, nous croyons que malgré l'intention déclarée de Santé Canada de trouver un juste équilibre entre les risques et l'accès aux produits, le projet de loi S-5 met démesurément l'accent sur les risques que posent les produits de vapotage, sans tenir adéquatement compte des avantages potentiels pour la santé et l'économie à ce qu'un grand nombre de Canadiens cessent de fumer.

Santé Canada a déclaré que les produits de vapotage constituent « probablement » une solution de rechange moins nocive que le tabac. C'est inexact. Bien qu'il y ait encore une vive polémique entre les scientifiques sur la mesure dans laquelle le vapotage serait moins nocif que la cigarette, les preuves recueillies à jour montrent que les cigarettes électroniques sont moins nocives que les cigarettes ordinaires. Les recherches indiquent également que parce qu'ils croient que le vapotage est aussi risqué que le tabagisme, certains fumeurs pourraient être réticents à utiliser régulièrement la cigarette électronique, si bien qu'ils continueraient plutôt de fumer.

Bien qu'il soit important que les gens sachent que les produits de vapotage ne sont pas sécuritaires en soi, il est tout aussi important que les fumeurs sachent qu'il existe des choix moins nocifs. Les fumeurs ont le droit d'avoir accès à l'information fiable dont ils ont désespérément besoin sur les produits de vapotage pour prendre des décisions éclairées.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi S-5 ne fournit aucune garantie que la réglementation exigera de l'information sur les risques relatifs, ce qui va clairement à l'encontre de l'objectif de la Loi sur le tabac et les produits de vapotage « de protéger la santé des Canadiennes et des Canadiens compte tenu des preuves établissant, de façon indiscutable, un lien entre l'usage du tabac et de nombreuses maladies débilitantes ou mortelles ».

Ainsi, nous proposons une série d'amendements qui permettraient et même exigeraient que les entreprises et le gouvernement fournissent de l'information exacte sur les risques relatifs.

Nous recommandons également un certain nombre d'amendements afin de limiter la promotion des produits de vapotage, notamment par l'interdiction de la publicité faisant l'éloge d'un style de vie. Nous recommandons aussi une disposition essentielle afin d'établir le pouvoir réglementaire qui permettrait au gouvernement d'ajuster ses restrictions sur la publicité et la promotion des produits de vapotage à la lumière de l'évolution du marché et des données sur leur prévalence.

Je vous remercie du temps et de l'attention que vous m'accordez. Nous avons hâte de répondre à vos questions cet après-midi.

Le président : Merci beaucoup. Nous demanderons maintenant à M. Jones, conseiller en politiques à la Tobacco Harm Reduction Association of Canada, de nous présenter son exposé.

David Jones, conseiller en politiques, Tobacco Harm Reduction Association of Canada : Merci. La Tobacco Harm Reduction Association of Canada, THRA, souhaite remercier le comité de nous recevoir aujourd'hui et de nous avoir invités à témoigner devant vous au nom des consommateurs.

Notre association est une organisation d'éducation sur les droits nationaux et internationaux. Nous militons pour que les vapoteurs et les fumeurs aient la liberté d'avoir accès à des solutions de rechange sûres et à des produits de tabac combustibles. La THRA n'a pas de conflit d'intérêts dans les industries du vapotage, du tabac ou des produits pharmaceutiques. Nous ne sommes pas des scientifiques ni des médecins, mais des consommateurs de ces produits.

Le président : Monsieur Jones, je vous demanderais de ralentir un peu votre débit, afin que les interprètes puissent vous suivre. Cela ne vous fera pas gagner de temps.

M. Jones : En êtes-vous certain?

Nos opinions se fondent sur des données scientifiques réelles issues d'études révisées par des pairs produites par des scientifiques, des médecins et des experts de la lutte antitabac de renommée mondiale, ainsi que sur nos expériences d'ex-fumeurs aujourd'hui vapoteurs.

Le projet de loi S-5 sur la réglementation visant les produits du tabac et de vapotage aura une incidence sur la santé actuelle et future d'une vaste proportion de la population canadienne. Pour que cet effet soit bénéfique, le projet de loi S-5 doit se fonder sur des données scientifiques probantes et une stratégie de réduction des méfaits liés au tabac impartiale et non fondée sur une idéologie relative au tabagisme. Nous le devons aux 37 000 Canadiens qui meurent chaque année de maladies associées au tabagisme. Nous le devons à leurs amis, à leurs familles et à nos jeunes, pour leur avenir.

Nous avons discuté de ces enjeux avec les vapoteurs et les plus grands experts internationaux et canadiens du vapotage. Leur analyse critique fait ressortir que le projet de loi S-5 ne favorise aucunement la réduction des méfaits ni le potentiel du vapotage. Il associe le vapotage au tabagisme, ce qui dissuadera une partie importante des fumeurs actuels et futurs de remplacer la cigarette par un produit plus sûr. Le véritable cheval de bataille est la cigarette et non la nicotine ou le vapotage.

Le projet de loi S-5 redéfinit « fumer » afin d'y inclure le vapotage. Le fait de vapoter n'équivaut pas à celui de fumer, puisqu'il n'y a pas de combustion ni de tabac. La vapeur n'est pas de la fumée secondaire. La nicotine n'est pas du tabac. Cette définition doit clairement être scindée en deux pour ne pas semer la confusion, puisqu'elle laisse entendre que le fait de vapoter équivaut à fumer.

Le projet de loi S-5 met l'accent sur les torts et les dangers associés au vapotage sans aborder la question clé des risques relatifs par rapport à ceux associés au tabagisme. La réglementation des cigarettes électroniques ne devrait pas être la même que celle des médicaments ou du tabac. Il faudrait plutôt adopter une loi et un règlement à part, fondés sur des données probantes, propres aux cigarettes électroniques, conformément à la recommandation 3 du comité HESA afin de réduire les risques suscitant des inquiétudes légitimes, mais aussi d'informer le plus possible les fumeurs et de leur donner accès à des produits de remplacement qui réduiraient les effets néfastes sur leur santé.

On souligne que projet de loi S-5 vise essentiellement à empêcher les jeunes de vapoter et de fumer, sous prétexte que le vapotage serait une porte d'entrée vers le tabagisme pour les jeunes. Cette théorie pourtant réfutée par de nombreuses organisations de santé fiables comme l'Université de Victoria, Public Health England et le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, pour n'en nommer que quelques-unes, a donné lieu à la prise de précautions excessives.

Au contraire, des études, sondages et rapports récents indiquent que si le vapotage est effectivement en hausse chez les jeunes, selon les dernières données de Santé Canada, de la FDA et du Royaume-Uni, le tabagisme atteint ses niveaux les plus bas chez les jeunes et les adultes. Est-ce dû à l'expérimentation, aux efforts que déploieraient les fumeurs afin de réduire les risques pour leur santé ou à d'autres facteurs? D'autres recherches seront nécessaires pour suivre le phénomène du vapotage chez les jeunes et les non-fumeurs. Cependant, on confond souvent une utilisation occasionnelle et les diverses formes d'expérimentation avec une consommation régulière.

Selon Public Health England, la consommation de la cigarette électronique se limite presque exclusivement aux personnes déjà fumeuses.

L'un des aspects importants de l'expérience de vapotage tient à la panoplie des arômes disponibles, qui aide les fumeurs à arrêter de fumer et empêche les vapoteurs de rechuter. La THRA est contre l'interdiction des arômes à moins qu'elle ne se fonde sur des raisons légitimes, scientifiques ou sur des impératifs de santé; elle ne doit pas se fonder sur l'idée selon laquelle les jeunes pourraient aimer les mêmes arômes que les adultes. Les restrictions liées aux emballages et aux publicités qui pourraient attirer les jeunes doivent se fonder sur le gros bon sens et faire l'objet de consultations. Il n'y a pas lieu d'interdire les noms exacts des arômes. Comme pour n'importe quel produit, les consommateurs ont besoin de descriptions exactes pour pouvoir faire des achats éclairés.

Il n'existe pas de directives solides pour déterminer de manière raisonnable ce qui est attrayant pour les jeunes. Tous les attributs sensoriels sont subjectifs, et leur interprétation varie en fonction de ceux qui déterminent ce qui est attrayant pour les jeunes, selon des critères qui comportent tellement de variables. Il faudrait donc consulter les divers intervenants afin d'établir des critères objectifs pour ce type de réglementation. Une personne peut penser qu'un concept ne vise qu'à attirer les jeunes, alors qu'une autre peut penser le contraire. Il faut également rappeler que les jeunes de moins de 18 ans n'ont déjà pas le droit d'acheter ces produits.

Dans son état actuel, le projet de loi S-5 empêche les fumeurs de recevoir de l'information sur les risques relatifs, ce qui va clairement à l'encontre de l'objectif déclaré du projet de loi sur le tabac et les produits de vapotage de protéger la santé des Canadiens. Cela signifie-t-il qu'un consommateur qui publie une évaluation en ligne sur le vapotage, la sûreté d'une pile ou qui fait un quelconque témoignage commet un acte criminel? Ces mesures placent tous les scientifiques, vapoteurs, défenseurs du vapotage et employés des boutiques de vapotage devant une série de choix lorsque vient le temps de donner de l'information exacte et personnalisée qui pourrait sauver la vie de fumeurs, puisqu'ils s'exposent à des amendes pouvant aller jusqu'à 500 000 $ et deux ans d'emprisonnement. Même Santé Canada reconnaît que les produits de vapotage pourraient être avantageux pour la santé publique. Cela signifie-t-il que le ministère contreviendrait lui aussi à cette loi? Serait-il condamné à l'emprisonnement?

Le projet de loi S-5 fera appliquer la réglementation sur les produits du tabac aux produits de vapotage dans tous les milieux de travail assujettis à la réglementation fédérale. Or, une politique fédérale sur le vapotage qui traiterait la cigarette électronique comme la cigarette de tabac pourrait dissuader beaucoup d'employés fédéraux d'adopter complètement un produit moins nocif pour leur santé que le tabac, comme le préconiserait une stratégie de réduction des méfaits. La THRA n'appuie aucune interdiction fondée sur le risque d'effets nocifs, à moins que les dangers pour la santé ne soient prouvés scientifiquement et que les arguments se fondent sur des données probantes.

Bref, une loi à part qui intégrerait les recommandations de la THRA et celle du rapport produit par le comité HESA en 2014, propulserait le Canada au rang de leader mondial de la réduction des méfaits causés par le tabac. Cela contribuerait à l'atteinte des objectifs de santé publique et de réduction des méfaits associés au tabagisme pour les fumeurs, les vapoteurs, leurs familles et tous les Canadiens, puisque cette loi contribuerait à réduire le tabagisme et le nombre de décès qui y est associé. Elle réduirait également le fardeau que cela représente pour les budgets de santé publique et ce serait un immense gain pour tous les Canadiens.

Le Canada mérite un cadre réglementaire moderne, du XXIe siècle, pour régir le tabac et la nicotine afin de réduire les méfaits tout en suivant le pas de l'évolution technologique rapide et en s'adaptant au spectre toujours plus large des produits de remplacement à base de nicotine. Les cigarettes électroniques, ainsi que l'apparition et la commercialisation d'autres options à risque réduit pour les fumeurs canadiens représentent une occasion sans précédent en matière de santé publique. Il ne faut pas la laisser passer.

Les consommateurs et l'industrie sont des acteurs de premier plan dans l'établissement de lois concernant le vapotage et doivent être directement mis à contribution dans les futures audiences, consultations et dans le processus de réglementation. Rien ne se fera sur nous sans nous. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Vous avez réussi à respecter le temps imparti.

Je vais maintenant accueillir les questions.

La sénatrice Petitclerc : Ma question s'adresse à vous, monsieur Jones. La question des arômes est l'une des grandes préoccupations que soulève ce projet de loi, donc abordons-là d'emblée.

Nous lisons beaucoup de témoignages de vapoteurs — je suis le dossier —, et beaucoup déplorent qu'on élimine les arômes. « Vous m'enlevez mon arôme, alors que c'est ce qui m'a aidé à arrêter de fumer. » C'est faux. Comme vous l'avez dit vous-même, les produits aromatisés ne seront pas interdits. Ce sont les noms qui changeront, et le but est d'essayer d'empêcher la promotion de noms qui ciblent les jeunes.

J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet. J'en comprends qu'il y aura probablement une période de transition, parce que si le nom change, le consommateur devra apprendre le nouveau nom du produit, mais ce ne sera que temporaire. En bout de ligne, n'est-il pas plus important de protéger nos jeunes?

M. Jones : Les arômes sont très importants dans la transition de la cigarette au vapotage. Tous les vapoteurs ont vécu cette transition et ont essayé des arômes de fruits, de dessert ou de tabac. C'est ce qui nous empêche de rechuter, de recommencer à fumer.

Pour vous répondre, quand vous dites qu'il faudrait changer le nom d'un bonbon ou d'un dessert parce qu'il pourrait plaire aux jeunes, les jeunes aiment beaucoup d'arômes que les adultes aiment aussi. Si j'entre dans ma boutique de vapotage, que je cherche un arôme de tarte aux pommes ou d'un autre bonbon et qu'on me répond : « Je m'excuse, je ne peux pas mettre ce nom sur le produit, parce qu'un enfant pourrait en avoir envie », je m'excuse, mais je veux savoir exactement ce que j'achète. C'est comme pour n'importe quel consommateur. Si vous entrez dans un magasin où l'on vend de l'alcool et que vous cherchez un alcool à la tarte aux pommes, on n'y interdira pas les produits qui portent les mots « tarte aux pommes »; le produit portera peut-être un autre nom qui renverra à la tarte aux pommes. Cela créerait beaucoup de confusion, et je serais frustré, parce que c'est le vrai nom. Vous dites que les jeunes pourraient aimer cet arôme, mais les jeunes aiment beaucoup de choses que nous aimons aussi, particulièrement des arômes. C'est le nœud de la question. Prenons l'exemple de la crème glacée. S'il est écrit « crème glacée » ou « tarte aux pommes » sur un produit, c'est ce que c'est. On n'en changera pas le nom parce qu'il y a un jeune quelque part à qui cela pourrait plaire.

C'est la position, n'est-ce pas, Jaye?

Jaye Blancher, directrice, Tobacco Harm Reduction Association of Canada : Je suis d'accord avec vous.

Pippa Beck, analyste principale en matière de politiques, Association pour les droits des non-fumeurs : J'aimerais répondre à la sénatrice. D'après ce que nous comprenons, ce n'est pas le nom qui changerait, mais l'arôme lui-même. Nous ne sommes pas contre les produits de nicotine aromatisés. Nous ne sommes que contre ceux qui ciblent ouvertement les enfants, comme les arômes de bonbons et de desserts, qui seraient inacceptables. Il y a toutes sortes d'arômes aux noms étranges que personne ne connait comme « vomi de licorne » et d'autres bizarreries qui n'attireraient aucun adulte. C'est ce spectre qui est un peu délicat.

M. Jones : Puis-je dire quelque chose?

Le président : Monsieur Jones, nous ne lancerons pas un débat entre les témoins.

Sénatrice Petitclerc, jugez-vous les réponses à votre question suffisantes?

La sénatrice Petitclerc : Oui.

La sénatrice Seidman : J'ai une question à vous poser, monsieur Jones, et j'en ai également une pour vous, madame Tilson.

Ces questions sont différentes. Serait-il possible de les poser toutes les deux en même temps?

Le président : Oui.

La sénatrice Seidman : Merci.

Monsieur Jones, vous avez dit dans votre exposé que le fait de vapoter n'équivaut pas à celui de fumer. Il n'y a pas de combustion ni de tabac. Bien sûr, c'est assez vrai. Vous dites que la nicotine n'est pas du tabac, et c'est la base de votre argumentaire devant nous. Cependant, nous savons que la nicotine est une substance qui crée une forte dépendance. En fait, elle peut être toxique et même mortelle, selon sa concentration. Le projet de loi S-5 n'établit pas de normes sur la quantité de nicotine pouvant se trouver dans le liquide à vapoter. Recommanderiez-vous des précautions concernant les ingrédients contenus dans ce liquide, des normes sur la concentration de nicotine?

M. Jones : Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il devrait y avoir des normes de sécurité. L'ECTA, dont les représentants viendront vous parler demain, est l'association de normalisation et de réglementation des liquides à vapoter. On peut effectivement dire que la nicotine peut créer la dépendance, mais nous avons découvert que la nicotine présente dans les cigarettes provoque une forte dépendance en raison de la façon dont les entreprises les fabriquent, des substances chimiques qui y sont ajoutées. Nous avons remarqué chez les vapoteurs que la plupart d'entre eux commencent à une certaine concentration, puis qu'ils diminuent leur concentration de nicotine jusqu'à atteindre le seuil de zéro. Dans mon cas, je suis passé de 24 à 0. Si elle créait autant la dépendance qu'on le dit, je n'aurais pas réussi à le faire.

Les mêmes conditions s'appliquent aux thérapies de remplacement de la nicotine, comme les gommes et les timbres, qui contiennent eux aussi de la nicotine. Ils servent à aider les gens à arrêter de fumer et à parvenir à une consommation zéro. Donc quand vous dites que la nicotine crée une forte dépendance, tout dépend du contexte.

Mme Beck : Je tiens à souligner que la technologie liée à la nicotine change rapidement. Bien que ce ne soit pas le cas de certains produits qu'on trouve actuellement sur le marché, on peut s'attendre à ce que la troisième génération de produits, au fur et à mesure que la technologie évolue, arrive à reproduire l'effet de la nicotine dans la cigarette.

D'une certaine façon, c'est vraiment positif, parce que cette avancée rendra ces produits encore plus efficaces pour arrêter de fumer. Par contre, il faudra faire très attention pour que ces produits ne se retrouvent pas entre de mauvaises mains.

Le sénateur Eggleton : Je pense que le principal enjeu qui ressortira sera probablement celui de la popularité du vapotage chez les jeunes et pas nécessairement pour arrêter de fumer.

Je comprends assez bien le point de vue de M. Jones sur la question, mais j'aimerais entendre un peu plus les représentantes de l'Association pour les droits des non-fumeurs, parce que vous êtes favorables à ce que la loi s'applique au vapotage, à ce que le vapotage soit réglementé et parce que vous avez aussi parlé des avantages du vapotage pour aider les gens à arrêter de fumer la cigarette de tabac ordinaire.

Ce sont les arômes qui vous inquiètent. J'ai déjà entendu, et pas seulement de M. Jones, que les arômes semblent être un des grands facteurs qui incitent les gens à adopter la cigarette électronique ou le vapotage, mais on craint qu'ils ne soient trop attrayants pour les enfants. M. Jones affirme que rien ne prouve que les enfants fument davantage. En fait, le tabagisme n'a jamais été si faible chez les jeunes et les adultes, alors que la popularité du vapotage est en hausse. Il ne semble pas y avoir de tendance à la hausse. Les données probantes n'attestent peut-être pas du fait que les enfants seraient vulnérables à cela, je ne le sais pas, mais j'aimerais vous entendre à ce sujet. Que faut-il en déduire? Comment pouvons-nous légiférer afin d'aider les gens à arrêter de fumer la cigarette, sans que le vapotage ne devienne une porte d'entrée pour les jeunes, comme on le dit souvent?

Mme Tilson : Il y a divers éléments de réponse. Les arômes sont clairement l'une des pièces du casse-tête. Nous croyons vraiment que la loi doit tenir compte du risque que les jeunes se tournent vers le vapotage et qu'ils acquièrent une dépendance à la nicotine par le vapotage, que les produits de vapotage constituent ou non une porte d'entrée vers la cigarette. C'est une tout autre question. En même temps, comme nous l'avons dit, nous voulons que ces produits soient accessibles pour aider les fumeurs à abandonner la forme la plus dangereuse de la nicotine, soit la cigarette.

Les arômes sont l'une des caractéristiques qui rendent ces produits attrayants pour les enfants. Il y a diverses études qui montrent que ce sont les arômes qui les incitent à essayer ces produits.

Est-ce que Santé Canada a trouvé une solution parfaite, un compromis parfait? Je ne crois pas qu'une telle chose existe. Nous savons que les arômes de fruits sont attirants pour les enfants, mais que c'est également un choix très répandu chez les vapoteurs, donc nous ne réclamons pas l'interdiction des arômes de fruits, mais nous appuyons ce que propose le projet de loi, soit l'interdiction des arômes de bonbons. Il n'y a aucune raison pour laquelle il devrait y avoir des produits de vapotage aromatisés aux jujubes pour offrir suffisamment de choix d'arômes aux adultes qui souhaitent utiliser ces produits.

Nous proposons également un certain nombre de restrictions relatives à la promotion. Nous ne croyons pas qu'il faille permettre la promotion illimitée d'un produit créant la dépendance. Bien que ce type de produit soit plus sûr que les produits du tabac, cela ne signifie pas qu'il ne devrait y avoir aucune restriction, d'où notre forte recommandation d'un ajout pour que le projet de loi confère les pouvoirs nécessaires au gouvernement pour adapter les formes de promotion permises, de sorte qu'il pourrait les libéraliser ou resserrer les restrictions selon la popularité de ces produits chez les jeunes et le nombre de personnes qui arrêtent de fumer.

Il y a beaucoup d'inconnu. Les données du Royaume-Uni ne reflètent pas nécessairement l'expérimentation de ces produits par les jeunes ici ou aux États-Unis. Quand les cigarettes électroniques contenant de la nicotine seront légalisées, la situation sera différente. Les grandes sociétés de tabac qui produisent certains de ces produits pénétreront le marché, selon toute probabilité.

La sénatrice Stewart Olsen : J'ai de grandes réserves à l'égard de ce projet de loi. Je serai totalement franche avec vous. J'aimerais entendre les réponses des deux groupes, si vous le voulez bien. Ce projet de loi pousse les gens vers le vapotage. Nous n'en savons pas tant que cela sur le vapotage. Chose certaine, comme il y a de la nicotine dans les produits de vapotage, je crains qu'on remplace une dépendance par une autre. On dit que c'est moins nocif, mais nous ne le savons pas. Pendant des années, les gens ne savaient pas qu'il était nocif de fumer le tabac. Je pense qu'il faut tenir compte du fait que tout ce qui entre dans nos poumons peut être une drogue dangereuse. J'aimerais savoir comment vous réagissez à cela, s'il vous plaît.

M. Jones : Il y a 37 000 personnes qui meurent chaque année de la consommation de tabac. Nous satisfaisons-nous du fait que cela se reproduit année après année? Nous savons, après 10 ans à colliger des données sur le vapotage, qu'il est certainement beaucoup moins nocif pour les personnes qui ont troqué la cigarette pour le vapotage. Pour chaque personne qui remplace la cigarette par le vapotage, la situation est bien meilleure que le statu quo, dans lequel les gens meurent, comme c'est le cas en ce moment.

Bref, je crois que le vapotage n'est pas bénin, en effet; il n'est pas sûr à 100 p. 100. Rien ne l'est. Par contre, il permet de combler les besoins des personnes ayant l'habitude de consommer de la nicotine. Comme je l'ai déjà dit, beaucoup de vapoteurs passeront d'une certaine concentration de nicotine à zéro.

Mon propre fils a arrêté de fumer, après quoi il a arrêté de vapoter. C'est un fait éprouvé. Il y a probablement des centaines de milliers de vapoteurs au Canada, comme il y a des millions de personnes dans le monde qui ont essayé le vapotage parce qu'elles ne veulent plus fumer. Nous ne sommes pas des fumeurs. Je pense qu'il faut que les gens en prennent conscience. Nous ne sommes pas des fumeurs et le vapotage n'équivaut pas à fumer. C'est une chose importante qu'il faut comprendre.

Mme Beck : Les preuves continuent de s'accumuler. Nous n'en possédons pas, comme pour le tabac, un ensemble capable de résister à un examen critique, mais nous sommes versés dans l'étude du tabac. L'innocuité relative de la cigarette électronique est amplement démontrée, mais, comme Melodie l'a dit, c'est sur son degré que le débat est vif. Est-elle vraiment moins nocive à 95 p. 100, comme on l'entend souvent?

J'arrive d'une réunion avec des fonctionnaires de Santé Canada et des experts internationaux, et le consensus situe le taux d'innocuité dans la fourchette de 60 à 80 p. 100, ce qui nous donne une chance unique de vraiment changer le cours de l'épidémie que nous affrontons.

La thérapie de remplacement de la nicotine est efficace dans certains cas où elle est accompagnée d'un soutien psychologique et moral, et cetera. Il y a des obstacles. Aucune organisation n'en semble entichée. Les règles du jeu sont totalement différentes. Vous avez raison : on ne connaît pas tous les détails sur la composition de la vapeur, mais nous avons les renseignements qu'il faut pour prendre une décision. Des vies sont en jeu. À mesure que les preuves s'éclaireront, nous pourrons affiner nos règlements d'après ce que Melodie a dit. Vous avez donc raison, mais nous devons saisir l'occasion.

Le sénateur Neufeld : Je ne fume plus depuis 33 ans, mais, quand j'étais fumeur, je n'achetais pas les cigarettes pour l'emballage. J'en achetais parce que je voulais des cigarettes et que je voulais en fumer.

Les emballages actuels me semblent vraiment efficaces contre le tabagisme quand ils en présentent les risques. Pourquoi un emballage neutre inciterait-il à ne pas fumer? Je ne comprends pas. La photo d'une personne privée de sa gorge ou de la moitié de sa bouche sur un paquet de cigarettes est, je pense, plus dissuasive qu'un emballage seulement neutre. Non, je ne comprends pas.

Mme Tilson : Je suis heureuse de pouvoir vous répondre. L'emballage est le dernier bastion des fabricants de produits du tabac pour le marketing dans notre pays et dans divers autres comme l'Australie et le Royaume-Uni, où la loi a déjà imposé les emballages neutres.

Si vous ne fumez plus depuis des décennies, vous n'avez probablement pas vu de paquets de cigarettes de près. Vous pourriez être étonné des changements qu'ils ont subis.

Voici à quoi ils ressemblent aujourd'hui. Les gros avertissements illustrés de photos pour lesquels l'organisme auquel j'appartiens et beaucoup d'autres groupes de lutte pour la protection de la santé se sont battus avec vraiment beaucoup d'opiniâtreté sont maintenant presque illisibles et invisibles. Finies les images épouvantables. Nous avons maintenant un joli petit emballage, à l'intérieur duquel on trouve encore plus de couleurs attrayantes qui masquent la nature toxique et addictive du produit.

Un emballage neutre et standardisé rendrait visibles de nouveau les avertissements visuels. Et toutes sortes d'études, des dizaines et des dizaines, réalisées dans différents pays montrent que l'une des principales qualités de l'emballage neutre et standardisé est de rendre plus visible l'avertissement, de mieux attirer sur lui l'attention des fumeurs, d'y sensibiliser les non-fumeurs qui tombent sur un emballage qui traîne.

L'industrie utilise toutes sortes de trucs pour neutraliser l'avertissement. Voici un nouveau type d'emballage. On l'ouvre en poussant sur le côté. Le manchon protecteur est inutile, et le reste se glisse dans la bourse ou la poche, simplement comme ça. Et vous savez quoi? On se débarrasse ainsi des avertissements que la loi rend obligatoires au Canada.

Beaucoup de stratagèmes minent donc l'efficacité des avertissements figurant sur les emballages.

Les fabricants jouent aussi avec la couleur des emballages pour suggérer que certaines marques sont « plus légères ». Nous avons interdit l'emploi de cette expression, mais les fabricants mettent plus de blanc, des couleurs moins vives sur les emballages, des descripteurs différents et ainsi de suite, pour fidéliser les fumeurs. Il suffit de passer à un emballage d'une couleur plus claire, au lieu d'un rouge très intense pour fumer une cigarette légère, c'est-à-dire renfermant moins de goudron.

Encore une fois, des dizaines d'études réalisées partout dans le monde montrent que c'est ce que les fumeurs croient sous l'effet des différentes couleurs d'emballages. Ils croient aussi que les petits emballages comme celui-ci renferment des produits moins dangereux que les gros, comme celui-ci. Les emballages neutres et standardisés permettraient donc de faire d'une pierre plusieurs coups.

Enfin, sachez que, sur le plan de la logique ou de l'éthique, rien ne justifie d'autoriser la vente, dans des emballages attrayants, d'un produit fortement addictif qui, à long terme, tue un consommateur sur deux. L'État doit prendre tous les moyens possibles pour empêcher les citoyens de commencer à fumer et les aider à perdre cette habitude.

La sénatrice Raine : Je suis très curieuse de savoir. D'abord, monsieur Jones, quel est le mode de fonctionnement de votre organisation? Les vapoteurs achètent-ils une carte de membre? Comment votre organisation est-elle constituée et comment se finance-t-elle?

Mme Blancher : Nous sommes tous des directeurs. Nous avons des conseillers publics, et nous comptons 1 200 membres. Notre participation est tout à fait bénévole, et nous représentons les consommateurs canadiens.

La sénatrice Raine : Je suis persuadée de votre bénévolat, mais votre organisation doit quand même supporter certaines dépenses. Les 1 200 membres versent-ils des cotisations, un droit annuel?

Mme Blancher : Non. Ils sont membres de notre site web sur Facebook.

La sénatrice Raine : D'où proviennent les revenus qui permettent l'existence de votre organisation?

M. Jones : De notre poche. Nous payons une grande partie de nos propres dépenses, parce que nous sommes bénévoles. Nous croyons en ce que nous faisons. Nous ne facturons rien à nos membres, parce que nous essayons d'aider tout le monde à cesser de fumer. C'est notre motivation.

La sénatrice Raine : J'ai une question pour les deux groupes. Dans un avenir plus ou moins proche, comme vous le savez, notre gouvernement a l'intention de légaliser le cannabis. Qu'est-ce qui vous inquiète? Craignez-vous le vapotage d'un produit à l'arôme de cannabis par des enfants et que le cannabis soit vapoté plutôt que fumé? Je crains que nous n'autorisions la consommation de cannabis à un âge peut-être trop tendre.

Le président : Une réponse très brève; ça ne fait pas partie du projet de loi.

Mme Beck : Le projet de loi interdit l'arôme de cannabis. Quand le projet de loi sur le cannabis entrera en vigueur, il répondra aux questions touchant les cigarettes électroniques.

La sénatrice Frum : Je voudrais que vous en disiez un peu plus sur les amendements que vous proposez. Vous êtes assez vite passés sur le sujet, en disant, notamment, qu'il faudrait peut-être aussi réglementer d'autres produits de vapotage. N'étant pas vapoteuse, de quoi s'agit-il exactement? Pouvez-vous m'éclairer un peu?

Mme Beck : Rothmans, Benson & Hedges a lancé un produit, il y a à peu près un mois, un hybride entre le tabac et le vapotage appelé Iqos. Il consomme du tabac, mais sans le brûler. C'est le début de toute une nouvelle vague de ces produits hybrides dont j'ai dit que la technologie évoluait rapidement et qui n'est pas seulement produite par cette compagnie. Les trois grands du tabac sont de la partie. Il faut nous préparer, pour que notre loi puisse viser tous ces nouveaux produits. Santé Canada a annoncé que l'Iqos sera considéré comme un produit du tabac mais, comme ces produits deviennent de plus en plus difficiles à catégoriser, nous devons nous assurer que la loi ne comportera aucune lacune.

Nous recommandons l'élargissement de la définition de « tabac », et nous sommes heureux de constater que le pouvoir réglementaire prévu dans la définition de « produit de vapotage » englobe tout produit dans la catégorie des produits de vapotage.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie de votre exposé. Je sais que nous sommes tout à fait au courant de l'effet de la fumée secondaire. En ce qui concerne les produits de vapotage, savez-vous si de la recherche a porté sur les émissions du vapotage que respirent les vapoteurs ou les tiers? S'en fait-il? L'un de vous le sait-il?

M. Jones : En fait, beaucoup de résultats ont été publiés ces dernières années. Manifestement, ç'a été l'une des grandes causes d'inquiétude devant ce qui s'en vient.

Ce n'est pas anodin; certaines molécules chimiques sont certainement émises. Mais les résultats les plus récents de la recherche ont montré que l'exposition des tiers est si faible qu'elle est inoffensive pour eux. Notre mémoire en a parlé, relativement aux études les plus récentes.

De plus, le vapoteur obtient ce dont il a besoin, ce qui est soit un peu de nicotine, soit pas de nicotine du tout, mais il peut s'adonner au vapotage pour son seul plaisir. Il faut retenir les deux objectifs du vapotage : la recherche, d'abord, d'un plaisir, comme le tabagisme, mais sans équivaloir au tabagisme; cesser de fumer. Comme je l'ai dit, mon propre fils s'en est servi pour cesser de fumer et il s'est débarrassé de ces deux habitudes. Il y a un double aspect comme chez l'amateur de café ou de décaféiné. L'idée est la même.

La sénatrice Hartling : Je pense aux effets sur les tiers, sur les enfants ou les mères qui allaitent.

M. Jones : Ç'a été étudié. Nous pourrons certainement vous renseigner encore à ce sujet. Actuellement, les concentrations décelées étaient faibles. Tout dépend de l'intensité du vapotage. Des études révèlent des concentrations élevées, mais, c'est parce que ça ne se passe pas dans la réalité, avec de vrais vapoteurs. C'est comme exagéré pour effrayer sans vraiment informer.

Mme Beck : Les renseignements s'accumulent. Ils restent non concluants, mais je suis d'accord avec David Jones. Jusqu'ici, il semble que la vapeur renferme des traces de toxiques, mais la science actuelle fourmille de problèmes méthodologiques. Il faut le reconnaître.

Notre organisation préconise que les endroits sans fumée le restent et qu'ils soient aussi sans vapotage, parce que l'affirmation selon laquelle le vapotage est moins nocif que la fumée secondaire découle d'une comparaison boiteuse. Actuellement, tous les milieux dans lesquels nous vivons sont sans fumée. Nous ne voulons donc pas y introduire de substances chimiques tant que nous ne serons pas mieux informés.

De plus, les fumeurs ont pu s'abstenir de fumer dans les milieux sans fumée. Le fait de soudainement autoriser le vapotage à l'intérieur est un recul pour chaque vapoteur et pour la santé publique.

La sénatrice McPhedran : Monsieur Jones, et j'invite votre collègue à répondre aussi, j'ai été frappée par votre réponse à la question sur le financement de vos activités. Je ne vous ai pas entendu dire que vous payez personnellement toutes vos dépenses. Ma question vise à mieux comprendre d'où proviennent les fonds pour votre promotion du vapotage.

Permettez-moi d'être précise : êtes-vous financés pour les efforts de votre organisation par les détaillants? Recevez- vous des fonds pour les efforts de votre organisation, y compris les exposés comme ceux que vous avez livrés aujourd'hui, des fabricants de produits de vapotage ou de tout ce qui touche le vapotage?

Mme Blancher : Pas du tout. Nous payons nos dépenses de notre poche.

La sénatrice McPhedran : Vous payez donc les frais individuellement, bénévolement, pour toutes les dépenses de votre organisation, tout ce qui touche la publicité, les déplacements?

Mme Blancher : C'est exact. Nous représentons les consommateurs. Pour nous, le fait d'accepter de l'argent d'organisations qui portent atteinte à nos membres nous placerait dans une situation de conflit d'intérêts, j'en ai bien peur, que nous refusons au départ.

La sénatrice McPhedran : Est-ce que l'un de vous ou les deux êtes fondateurs de votre organisation?

Mme Blancher : Non.

M. Jones : Je suis l'un des fondateurs de l'organisation, avec quelques autres personnes. L'une de nos positions est de prendre le parti du consommateur. Nous ne sommes pas en conflit d'intérêts. Comme nous l'avons dit, au début, nous n'avons aucun conflit d'intérêts avec les fabricants de produits du tabac, de produits de vapotage ou avec l'industrie pharmaceutique. Nous n'avons aucun conflit de ce genre et nous nous en tenons à cette déclaration.

La sénatrice McPhedran : Est-ce que votre organisation a commandé l'un des travaux de recherche déposés devant notre comité ou y a-t-elle contribué?

M. Jones : Nous avons obtenu toutes ces études, et cetera, de spécialistes, y compris de spécialistes internationaux du domaine, comme l'étude faite à l'Université de Victoria qui sera bientôt publiée. Quelques autres études importantes sont scientifiquement validées par un comité de lecture et accessibles dans le World Wide Web. Nous accédons à beaucoup de ressources pour pouvoir fournir ces types d'études à votre comité. Nous ne commandons aucune recherche, mais nous demandons d'être avertis en cas de découverte de résultats qui pourraient être intéressants.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie de toutes vos réponses. Je voudrais vous entendre au sujet des allégations thérapeutiques, particulièrement l'Association pour les droits des non-fumeurs. Mais sentez-vous libres de fournir plus de détails.

Nous savons que les produits de la nicotine doivent satisfaire à des normes de qualité, de sécurité et d'efficacité. Les allégations dont ils font l'objet, par exemple, tel produit aidera à cesser de fumer, doivent respecter la Loi sur les aliments et drogues. J'ai lu que vous considérez ce processus comme trop long, mais je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il est nécessaire. Je tiens à vous entendre en dire un peu plus sur ce que vous pensez du processus lui-même. Est-ce seulement sa longueur qui vous préoccupe? Quel serait le meilleur scénario pour s'occuper de ces éventuelles allégations thérapeutiques?

Mme Beck : Oui, nous sommes préoccupés par la double route à parcourir jusqu'à la commercialisation, en raison des coûts et du temps, qui exposent le produit thérapeutique à être devenu obsolète ou démodé au moment de son autorisation, à cause de l'évolution rapide de la technologie. Cependant, nous reconnaissons la nécessité d'allégations justes et nous ne voulons pas de produits vétustes pour lesquels les allégations sont fausses.

Voilà pourquoi nous revenons à la notion de risque relatif, parce qu'il se pourrait qu'aucun produit ne soit vraiment thérapeutique, qu'aucun sur le marché ne donne aux fumeurs de renseignements exacts sur les risques relatifs qu'ils courent.

Mme Tilson : Nous sommes bien conscients qu'il n'existe qu'un pas entre la mise à la disposition des consommateurs des renseignements dont ils ont besoin pour fonder leur décision d'utiliser ou pas les produits de vapotage et le fait d'autoriser des entreprises à faire des allégations trompeuses ou mensongères. Nous proposons donc d'autoriser les entreprises à faire une déclaration sur le risque relatif qui aura été autorisée par Santé Canada pour les produits qui ne sont pas passés par le circuit thérapeutique.

La difficulté réside dans le fait que, faute d'être autorisés à dire que les produits de vapotage sont moins nocifs que le tabagisme ou qu'ils pourraient aider à cesser de fumer, les fabricants de ces produits ne peuvent plus les commercialiser que comme des accessoires d'un style de vie. Depuis environ cinq ans, ce genre de commercialisation est fréquent au Canada, alors que les produits de vapotage renfermant de la nicotine étaient illégaux tout en étant accessibles. Ça ne sert les intérêts de personne. Nous ne voulons pas que ces produits deviennent le prochain équipement dont on se munit ostensiblement pour une belle sortie. Ça n'aide pas les fumeurs et ça n'aide certainement pas les jeunes. Si on autorisait la publication d'un peu de renseignements vérifiés selon lesquels ces produits sont plus inoffensifs que le tabagisme, qu'ils ne donnent lieu à aucune combustion, qu'ils ne produisent aucune fumée, ces renseignements donneraient un coup de pouce aux produits et à leur promotion.

M. Jones : Je suis certainement d'accord avec cette position aussi.

La sénatrice Seidman : Madame Tilson, je voudrais revenir à ce que vous venez de dire. Il est vrai que certains affirment que les appareils de vapotage ne devraient servir que dans un but thérapeutique, pour cesser de fumer, et à rien d'autre. Qu'en pensez-vous?

Mme Tilson : Certainement. Dans un monde idéal, nous voudrions que ces produits soient utilisés seulement par les gens qui essaient d'arrêter de fumer. Nous ne vivons toutefois pas dans un monde idéal. Au sein de notre société, on trouve des entreprises qui cherchent à réaliser des bénéfices et des gens qui sont attirés par des produits créant une dépendance. Comme je l'ai indiqué précédemment, je crois que ce projet de loi essaie de trouver un juste équilibre entre la protection des jeunes et l'aide aux fumeurs.

Nous voulons que les fumeurs puissent cesser de consommer un produit qui tue la moitié d'entre eux. Chaque année, pour chacun des quelque 37 000 Canadiens qui meurent en raison de leur tabagisme, on en recense une vingtaine d'autres qui souffrent d'une maladie causée par le tabac. Cela ne peut plus continuer. Nous avons ici l'un des outils à notre disposition pour réduire la mortalité. Reste quand même que je ne veux pas que mes enfants développent une dépendance à la nicotine parce qu'ils ont accès partout à des produits de vapotage offerts dans toutes sortes d'arômes et pouvant être consommés au moyen de différents dispositifs attrayants.

Nous recommandons vivement que les formes de promotion préconisées par les vapoteurs eux-mêmes — qui veulent pouvoir essayer un produit visible en magasin en obtenant des conseils sur la façon de le consommer — ne soient autorisées que dans les boutiques spécialisées de vapotage qui sont interdites aux mineurs. Il faut donc que la promotion des cigarettes électroniques renfermant de la nicotine et celle des produits de vapotage se fassent uniquement dans les boutiques spécialisées.

La sénatrice Seidman : Je crois que la question vous a déjà été posée — et c'est certainement le cas pour M. Jones — mais j'aimerais entendre ce que vous avez à dire au sujet du risque que cela devienne une porte d'entrée pour les jeunes. Vous avez indiqué que la nicotine crée une dépendance et que vous ne voulez pas que nos enfants développent cette dépendance. Certains craignent que le vapotage fasse en sorte que le tabagisme redevienne la norme pour toute une nouvelle génération de jeunes. Qu'en dites-vous?

Le président : Vous adressez la question à M. Jones?

La sénatrice Seidman : Non, à Mme Tilson.

Mme Tilson : Il n'y a pour l'instant que peu d'éléments permettant de conclure que le tabagisme risque de redevenir la norme en raison de la disponibilité de produits de vapotage avec nicotine. Il faut toutefois avouer que la situation évolue sans cesse. Je crois que les risques seraient plus élevés si nous permettions le vapotage dans tous les endroits où il est maintenant interdit de fumer. Je pense aussi que l'on s'exposerait davantage en permettant partout la vente de produits de vapotage avec nicotine, sans aucune réglementation quant aux arômes. Il importe également de faire la distinction entre le risque que les jeunes développent une dépendance à la nicotine et celui que les produits de vapotage deviennent un tremplin vers la cigarette.

Le sénateur Eggleton : Ma question s'adresse à M. Jones.

Vous avez exprimé vos opinions quant aux arômes et à l'importance du vapotage dans les programmes d'arrêt du tabagisme, mais il y a aussi la question de la publicité. Seriez-vous favorable à ce que toute publicité sur la cigarette électronique soit interdite à la télé et à la radio? Pensez-vous que l'on devrait interdire que les marques de cigarette électronique apparaissent sur des chandails, des casquettes et d'autres produits promotionnels? Je parle d'une manière générale de l'interdiction de toute publicité sociétale pour la cigarette électronique. Seriez-vous en faveur de mesures semblables?

M. Jones : Je dirais que la publicité devrait être diffusée dans les médias après une certaine heure, comme c'est le cas pour tous les autres produits pour adultes. Il est également souhaitable que les activités de promotion se déroulent dans des endroits réservés aux adultes, car il est question ici d'un produit qui leur est destiné. Il faut simplement espérer que les enfants ne puissent pas avoir accès à ces endroits qui leur sont interdits et ne puissent pas visionner les publicités à ce sujet.

Pour ce qui est d'une interdiction touchant les casquettes et les chandails, il y a une question de liberté d'expression qui entre en jeu. Je ne tiens pas nécessairement à ce que mes enfants puissent voir de telles choses, mais cela fait partie des images que l'on retrouve la plupart du temps sur des chandails et des objets promotionnels. Je n'irais pas jusqu'à dire que l'on pourrait y afficher un message incitant à acheter tel ou tel produit, mais que dire d'un simple logo? Tout dépend de ce qui nous semble acceptable pour les jeunes. Il est difficile de déterminer ce qui peut être vraiment préoccupant du point de vue des jeunes, car ce qui est raisonnable pour l'un ne l'est pas nécessairement pour l'autre.

Mme Beck : Nous préconisons notamment qu'une autorité réglementaire s'exerce à l'égard de la publicité et des activités de promotion de telle sorte que nous puissions nous adapter en sachant à quoi nous en tenir lorsque davantage d'informations deviendront disponibles. Nous sommes totalement défavorables à la publicité sociétale pour les cigarettes électroniques, tout comme nous l'étions pour les produits du tabac. Ce n'est absolument pas nécessaire. Je pense que des messages publicitaires fournissant de l'information et vantant les présumés avantages des différentes marques seront suffisants pour convaincre les fumeurs d'essayer la cigarette électronique et, nous l'espérons, de l'adopter. Nous sommes également contre toute stratégie misant sur l'extension d'une marque.

Le projet de loi interdit déjà l'utilisation d'éléments de marque de tabac pour les produits de vapotage, et nous voulons nous assurer de ne pas retrouver les marques des produits de vapotage sur les casquettes de baseball, les étuis pour téléphone et les objets semblables. Ce n'est vraiment pas nécessaire. Les fumeurs auront accès à toute l'information dont ils ont besoin via les différentes mesures de promotion et de publicité sans que ces marques ne soient affichées de la sorte. Nous ne cherchons pas à élargir le marché; nous visons un marché bien ciblé et c'est celui des fumeurs adultes.

Le président : La greffière va maintenant remettre les nouvelles trousses d'information aux sénateurs. Comme nous devons accueillir immédiatement le prochain groupe de témoins, je vous demanderais de ne pas vous attarder dans la pièce si vous engagez des conversations. Merci beaucoup à nos témoins. Vous nous avez été d'une grande utilité en répondant à toutes nos questions de façon très concise.

Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Il s'agit des représentants de l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation et de la Coalition nationale contre le tabac de contrebande. Je vais suivre encore une fois notre ordre du jour en invitant d'abord M. Satinder Chera, président; et M. Sébastien Tremblay Drolet, gérant de catégorie, Couche-Tard Inc., à présenter leur exposé au nom de l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation. Monsieur Chera, à vous la parole.

Satinder Chera, président, Association canadienne des dépanneurs en alimentation : Bonjour à tous et merci de donner l'occasion à l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation (ACDA) de présenter ses points de vue au sujet du projet de loi S-5.

Je suis le président de l'ACDA et je suis accompagné aujourd'hui par Sébastien Tremblay Drolet qui est gérant de catégorie pour les produits du tabac pour Couche-Tard Inc., une entreprise qui siège au sein de notre conseil d'administration national.

L'ACDA a participé activement à toutes les consultations menées au Canada concernant la réglementation sur le tabac. Comme nous sommes les principaux détaillants de ces produits légaux, nous avons une perspective unique sur les changements de politiques proposés dans ce projet de loi. Avant de vous faire part de nos préoccupations à cet égard, j'aimerais fournir au comité quelques renseignements d'ordre général sur la place qu'occupe le secteur des dépanneurs en alimentation dans le paysage canadien.

Nous offrons des possibilités d'emploi à plus de 227 000 Canadiens. Par l'entremise de nos membres régionaux, nous misons sur un réseau de distribution nous permettant de veiller à ce que les collectivités urbaines, rurales et éloignées de tout le Canada aient accès aux biens de consommation essentiels. Avec plus de 26 000 points de vente au détail desservant quotidiennement plus de 10 millions de Canadiens, nous sommes le véritable visage de la petite entreprise au pays.

Nous savons que plusieurs autres regroupements d'entreprises de vente au détail et de distribution ont demandé à comparaître devant vous aujourd'hui, mais n'ont pu le faire. Nous espérons que votre comité tiendra également compte des mémoires présentés par ces différents groupes de telle sorte qu'un maximum de voix puissent se faire entendre relativement au projet de loi S-5.

Nos membres ont des inquiétudes bien concrètes au sujet des exigences proposées dans le projet de loi pour ce qui est du conditionnement neutre des produits du tabac. Les gouvernements ont d'ores et déjà accès à plusieurs outils efficaces pour favoriser l'atteinte des objectifs de santé publique visés dans le contexte du tabagisme. Je vais demander à mon collègue Sébastien, en sa qualité de gérant de catégorie pour les produits du tabac pour la plus grande chaîne de vente au détail au Canada, de vous parler de ces exigences déjà en place.

Sébastien Tremblay Drolet, gérant de catégorie, Couche-Tard Inc., Association canadienne des dépanneurs en alimentation : Comme on vient de l'indiquer, il existe déjà tout un éventail de règlements s'appliquant dans toutes les régions du Canada pour le contrôle du tabagisme. Je peux notamment vous citer les règles strictes quant à la vérification de l'âge pour s'assurer que les jeunes n'ont pas accès aux produits du tabac; les restrictions touchant la publicité et la promotion des produits du tabac; les interdictions visant l'exposition des produits du tabac qui obligent les détaillants à les cacher derrière des volets, et les étiquettes de mise en garde couvrant actuellement 75 p. 100 de la surface des emballages des produits du tabac.

Ces règles ont contribué à réduire la consommation de tabac par les jeunes. Selon une récente enquête de Santé Canada, on note une diminution non seulement du nombre de jeunes qui fument, mais aussi du nombre de ceux qui ont déjà essayé.

M. Chera : Je veux que les choses soient bien claires. Notre association et ses membres des secteurs de la vente au détail et de la distribution appuient sans réserve les efforts du gouvernement pour que les jeunes n'aient pas accès aux produits du tabac. À ce titre, nous sommes très fiers de notre programme « Pièce d'identité » qui nous permet depuis longtemps d'offrir aux détaillants d'importants outils de formation les aidant à se conformer aux exigences gouvernementales en matière de vérification de l'âge.

Tout cela étant dit, nous ne croyons pas que les exigences proposées relativement au conditionnement neutre auront un effet vérifiable sur les taux de consommation chez les jeunes. Nous estimons plutôt que ces exigences nuiront aux efforts déployés pour assurer la santé et la sécurité de nos collectivités, notamment du fait qu'il sera difficile pour nos détaillants membres de faire le nécessaire à ce chapitre.

Le conditionnement neutre est obligatoire en Australie depuis plusieurs années déjà, et les détaillants australiens nous ont indiqué qu'ils éprouvaient des problèmes pour ce qui est du contrôle des inventaires, de la formation du personnel et des transactions de vente.

Dans un contexte où le marché de la contrefaçon et de la contrebande est déjà florissant, nous craignons que la situation s'aggrave avec l'adoption d'un régime de conditionnement neutre, car il deviendra difficile de faire la distinction entre les produits légaux et illégaux. En Ontario, où l'on retrouve le marché du tabac illégal plus important au Canada avec une incidence de près de 32 p. 100, ces préoccupations sont bien concrètes.

M. Tremblay Drolet : Du point de vue du fonctionnement de chacun des points de vente au détail, le conditionnement neutre va compliquer les choses. Nous avons mené un sondage national auprès de détaillants représentant 2 000 points de vente au pays et j'aimerais vous faire part des résultats que nous avons communiqués à Santé Canada.

Le sondage a révélé que plus de 88 p. 100 des employés se fient aux logos des marques pour faire la différence entre les différents produits du tabac. Près de 90 p. 100 des détaillants ont indiqué qu'ils allaient devoir trouver une nouvelle façon pour que leurs employés puissent faire cette distinction. Au moment de passer une commande pour des produits du tabac, 85 p. 100 des employés procèdent à un décompte manuel des stocks récents en s'en remettant le plus souvent à des repères visuels. C'est dans une proportion de 97 p. 100 que les détaillants estiment qu'il leur faudra former davantage leur personnel en matière de contrôle des inventaires, de gestion des stocks et de services à la clientèle si le conditionnement neutre est imposé au Canada. Ils sont 90 p. 100 à soutenir que les exigences relatives au conditionnement neutre vont faire augmenter le temps nécessaire pour passer une commande, la traiter et placer correctement les produits du tabac. Enfin, plus de la moitié des détaillants jugent que les restrictions relatives au conditionnement neutre vont leur coûter deux heures par jour en temps de travail additionnel pour chaque point de vente.

M. Chera : Par ailleurs, nous nous réjouissons de voir le gouvernement proposer un marché réglementé pour le vapotage des cigarettes électroniques, mais nous nous demandons pourquoi on ne profite pas de l'occasion offerte par ce projet de loi pour clarifier les choses ou rectifier le tir relativement au système à deux niveaux qui existe au Canada pour la vente au détail des cigarettes électroniques.

Selon la réglementation de Santé Canada actuellement en vigueur, les dépanneurs ne peuvent pas vendre de cigarettes électroniques renfermant de la nicotine. À cet effet, nous avons inclus dans la documentation qui vous a été distribuée un bulletin que nous avons adressé il y a trois ans à nos détaillants pour les informer de l'interdiction de la vente de ce produit décrétée par Santé Canada.

Parallèlement à cela, des boutiques de vapotage non autorisées vendent ces produits depuis des années sans subir de représailles. Ces boutiques ne sont pas tenues de traiter les cigarettes électroniques comme tous les autres produits du tabac, notamment pour ce qui est des interdictions d'étalage, de l'impossibilité de faire l'essai du produit sur place, et de la vérification de l'identité pour la vente de ces produits.

En conclusion, nous aimerions recommander différentes mesures que le comité pourrait envisager. Premièrement, il faudrait s'assurer que les cigarettes électroniques renfermant de la nicotine soient vendues de la même manière dans les dépanneurs et les autres points de vente au détail au Canada. Il faudrait aussi exiger que les cigarettes électroniques soient réglementées de la même façon que tous les produits du tabac dans les deux types de points de vente au détail afin de minimiser le risque qu'elles se retrouvent entre les mains de mineurs.

Pour ce qui est du conditionnement neutre, il faudrait veiller à ce qu'un élément de différenciation permette aux détaillants de distinguer les divers produits; établir une période de transition d'au moins 12 mois après l'enregistrement du règlement pour permettre un passage en douceur au conditionnement neutre, notamment au chapitre de la formation du personnel; travailler avec les entreprises de notre secteur pour faciliter la formation des employés, plus particulièrement des Néo-Canadiens qui sont allophones; adopter des mesures vigoureuses pour s'attaquer au marché des produits illégaux du tabac dont nous avons illustré le développement sur une carte de la contrebande que vous allez trouver dans vos trousses.

Nous nous ferons un plaisir de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci. Nous allons maintenant entendre M. Gary Grant, porte-parole de la Coalition nationale contre le tabac de contrebande.

Gary Grant, porte-parole, Coalition nationale contre le tabac de contrebande : Merci, monsieur le président. Je suis le porte-parole national de la Coalition nationale contre le tabac de contrebande (CNTC). J'ai pris ma retraite après 39 années de service à la police de Toronto. Je suis le fondateur et l'actuel président de l'organisme Toronto Crime Stoppers, le volet local du programme Échec au crime.

Notre coalition est une organisation qui s'emploie à sensibiliser le gouvernement et les citoyens aux dangers de la contrebande du tabac. Nos 18 membres sont des entreprises, des organisations et des particuliers qui s'inquiètent de la menace croissante que fait peser sur nous le marché de la contrebande.

Il y a plusieurs raisons de s'inquiéter. Le niveau sans cesse élevé de contrebande du tabac au Canada permet de financer le crime organisé en plus de miner l'efficacité des mesures en place pour le contrôle du tabagisme. C'est dans cette optique que nous considérons le projet de loi S-5.

À cet effet, je veux souligner à quel point les règles proposées dans ce projet de loi en matière de conditionnement neutre et normalisé risquent d'exacerber un problème en pleine croissance si des mesures additionnelles ne sont pas prévues pour contrer la contrebande du tabac. Nous estimons que ce risque pourrait être atténué si l'on s'attaquait à la contrebande au moyen de mesures très simples qui bénéficient d'un large soutien.

Environ le tiers des cigarettes achetées en Ontario sont illégales. Dans le nord de la province, c'est plus de deux cigarettes sur trois. Pour sa part, le Québec a indiqué que les produits de contrebande occupent environ 15 p. 100 du marché. En fait, l'Ontario est aux prises avec le deuxième plus important problème de contrebande du tabac dans les Amériques, avec des volumes qui se rapprochent de ceux du Salvador. Les policiers saisissent de plus en plus de produits illicites du tabac à destination du Canada atlantique et des Prairies.

La contrebande du tabac est une véritable bénédiction pour le crime organisé. Ainsi, la Gendarmerie royale du Canada a déterminé que pas moins de 175 groupes criminels sont présents sur ce marché. Ils utilisent les fruits de ce commerce pour financer leurs autres activités illégales, y compris la traite des armes, des drogues et des personnes.

La région de Cornwall nous offre une excellente illustration de la situation en Ontario. Pas plus tard que la semaine dernière, le Groupe de travail régional de Cornwall a saisi quelque 600 kilos de tabac à cigarettes, soit assez pour en fabriquer plus d'un million. Le groupe de travail a indiqué par la même occasion qu'il s'attendait à effectuer davantage de saisies avec l'accroissement des températures. Les saisies semblables sont devenues trop courantes et ne représentent qu'une fraction du volume total des marchandises de contrebande.

La GRC a découvert 50 usines illicites en opération au Canada. Il y en a plus juste de l'autre côté de la frontière aux États-Unis. Il ne s'agit pas d'usines fonctionnant à petite échelle. Elles se servent d'équipements industriels pour la fabrication de cigarettes et peuvent en produire des millions par année, à un rythme pouvant atteindre 10 000 cigarettes à la minute.

En quoi le conditionnement neutre peut-il influer sur la contrebande? Si des mesures concrètes ne sont pas prises pour lutter contre le marché de la contrebande du tabac au Canada, la nouvelle obligation de conditionnement neutre va accroître la disponibilité des produits illicites. En outre, le conditionnement neutre offrira aux fabricants illégaux une excellente possibilité de s'attaquer au marché de la contrefaçon directe.

Dans les pays qui ont adopté des exigences en matière de conditionnement neutre, comme l'Australie, on a noté une augmentation de la quantité de tabac de contrebande disponible. Des études australiennes révèlent en effet que les quantités ont grimpé de 26 p. 100 à la suite de l'introduction de mesures semblables.

Comme le Canada doit composer avec un problème de production intérieure de cigarettes illicites relativement unique au sein du monde développé, il faut raisonnablement s'attendre à ce que l'application d'une réglementation touchant le conditionnement neutre ait des impacts similaires, ou encore plus marqués, sur la contrebande.

Les 50 usines illicites au Canada sont à la fine pointe de la technologie. Elles disposent d'une capacité de production industrielle et ont accès à des presses dernier cri pouvant facilement produire des emballages ayant l'air authentiques. Les emballages actuels des produits légaux du tabac sont complexes et difficiles à reproduire.

Le conditionnement neutre va ouvrir la voie à la reproduction de l'emballage des produits légaux, y compris les étiquettes de mise en garde, les couleurs, les polices de caractères et les autres détails nécessaires. Même sans connaître les dispositions précises de la réglementation, la nature des emballages prévus fait en sorte qu'il sera facile de les reproduire rapidement et efficacement grâce à la rétroconception.

Il deviendra presque impossible pour le consommateur de faire la distinction entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas; seule la police y parviendra avec les outils d'analyse appropriés. En fait, la création de produits contrefaits sera désormais viable, ce qui amènera les groupes du crime organisé à essayer de contraindre les détaillants légitimes à vendre des produits illicites. Ce n'est pas actuellement chose possible étant donné la complexité des emballages utilisés.

Il ne faut pas oublier que les nouvelles restrictions concernant le conditionnement n'auront aucun impact sur le marché illicite actuel. Les cigarettes illégales sont déjà vendues sans tenir compte des exigences liées à l'emballage comme les mises en garde en matière de santé. Il suffit de visiter l'une des quelque 300 cabanes à cigarettes en opération au Canada pour vous en convaincre. Vous pourrez y voir sur les étalages toute une pléthore de marques et d'options, tout à fait à l'inverse de ce que l'on peut observer sur le marché légal.

Le projet de loi S-5 ne va rien changer à tout cela. De fait, il sera même encore plus facile pour les contrebandiers de créer ces emballages attrayants que le gouvernement essaie d'interdire.

Tout cela étant dit, nous comprenons et appuyons les efforts déployés par le gouvernement pour le contrôle du tabagisme. Personne ne devrait fumer.

Nous recommandons que de nouvelles mesures soient prises pour entraver la contrebande du tabac avant que l'on adopte un régime de conditionnement neutre. Bien qu'il n'existe pas de recette magique pour éliminer la contrebande, il serait bon de pouvoir priver les fabricants illicites des substances dont ils ont besoin pour produire des cigarettes. Nous croyons que le projet de loi S-5 nous offre une excellente occasion de le faire.

Nous proposons donc que le projet de loi soit modifié de manière à restreindre aux seuls fabricants autorisés l'importation du boudin de filasse utilisé pour fabriquer les filtres de cigarette. Les filtres sont essentiels au processus de fabrication et ne sont pas facilement remplaçables. Cette restriction s'appliquerait à la fois aux filtres prêts à utiliser et au boudin de filasse. Ce dernier n'est produit que par une poignée d'entreprises dans le monde alors que l'on peut se procurer le tabac en vrac dans différents endroits et l'introduire illégalement au Canada. Vous, comme moi, ne pourriez pas acheter facilement du tabac brut de qualité commerciale, mais nous pourrions sans difficulté commander via Internet l'envoi de conteneurs pleins de boudin de filasse.

La quasi-totalité des intervenants de l'industrie du tabac est en faveur d'une réglementation plus stricte du commerce du boudin de filasse. C'est notamment l'opinion de groupes du secteur de la santé comme l'Association pour les droits des non-fumeurs, la Société canadienne du cancer, l'Association médicale de l'Ontario et la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC. L'Ontario a envisagé la possibilité de mettre en œuvre des règlements semblables, mais il serait préférable que le gouvernement fédéral s'en charge étant donné que la production se fait sur la scène internationale. Le gouvernement pourrait implanter un système à cet effet à un coût minime.

Si aucune autre mesure n'est prise, le conditionnement neutre des produits du tabac va faire croître les activités de contrebande. À ce titre, des interventions comme la restriction de l'importation du boudin de filasse contribueraient à limiter les dégâts. Sans égard au point de vue que l'on puisse avoir sur l'impact éventuel du conditionnement neutre, des mesures de la sorte demeurent bénéfiques.

Si l'on parvient à diminuer la contrebande de tabac, on va accroître l'efficacité de tous les règlements visant le contrôle du tabagisme, y compris ceux déjà en place. Je considère que la modification que nous proposons s'inscrit dans une stratégie de réduction des méfaits. Je vous remercie.

Le président : Il y a longtemps que quelqu'un n'a pas acquiescé aussi rapidement à l'une de mes requêtes.

M. Grant : J'arrivais justement à la conclusion de mon exposé.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup de votre présence et de vos exposés. J'ai une question à poser à nos deux témoins avant d'aborder plus en détail le projet de loi S-5.

En octobre 2016, des articles publiés dans La Presse et le National Post indiquaient qu'Imperial Tobacco se servait depuis de nombreuses années de vos deux organisations pour faire primer ses propres intérêts. Le tout découlait de la fuite d'une présentation PowerPoint d'Imperial Tobacco qui révélait que vos deux groupes étaient partiellement, voire largement, financés par l'industrie du tabac. Dans ce document PowerPoint, on vous demandait clairement d'insister sur les dangers que pose la contrebande.

Ce sont des accusations très sérieuses. Je me suis dit que nous pourrions vous offrir l'occasion de fournir aux membres du comité et à tous les Canadiens qui nous regardent des précisions quant à ces allégations. Quelle est la nature de votre relation avec l'industrie du tabac?

M. Chera : Merci beaucoup, sénatrice, pour cette question. Je vous suis reconnaissant pour cette occasion de fournir des précisions à ce sujet.

Je dirais, d'abord, que la contrebande est depuis de nombreuses années une source de préoccupation pour notre association. La contrebande inquiète plusieurs groupes, y compris les gouvernements du pays, nous ne sommes pas vraiment différents d'eux à cet égard.

Comme je l'ai dit, dans 26 000 endroits au pays, y compris bon nombre axé sur le commerce communautaire, ces groupes sont des leaders au sein de la communauté. Tout comme les gouvernements, ils s'inquiètent de la participation d'éléments criminels...

Le président : La sénatrice vous a posé une question directe. Peut-être pourriez-vous y répondre.

M. Chera : Les activités de nos membres sont exclusivement dictées par les détaillants et distributeurs. Je parle de nos membres votants. Nous avons également des membres n'ayant pas droit de vote, dont les fabricants de tabac, les entreprises spécialisées dans les breuvages et les confiseries et les entreprises laitières qui exploitent au Canada.

M. Grant : Je ne peux pas me prononcer sur les documents internes d'une entreprise privée. Ce que je peux vous dire, c'est que notre coalition compte 18 membres, dont le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, Toronto Crime Stoppers, le Syndicat des Douanes et de l'Immigration, Ottawa Crime Stoppers, et de nombreux autres.

Je ne prends aucune directive d'un membre en particulier et je ne tiens pas compte des commentaires d'un seul membre. Nous consultons tout le groupe avant de prendre une décision.

La sénatrice Petitclerc : J'aimerais vous poser une question que La Presse, le National Post et aussi des sénateurs ont posée de nombreuses fois au fil des ans sans jamais obtenir une réponse — j'espère être celle qui obtiendra finalement une réponse — : combien d'argent recevez-vous de l'industrie du tabac? C'est simple comme question. Elle a été posée de nombreuses fois, sans toutefois être répondue.

M. Chera : Sénatrice, lorsque l'on me pose cette question, que ce soit en ce qui concerne les fabricants de tabac ou nos autres membres — détaillants, distributeurs, entreprises spécialisées en confiseries —, je réponds toujours que ce sont des informations confidentielles que nous ne divulguons pas.

La sénatrice Petitclerc : Pas de chance.

M. Grant : Je suis un porte-parole de l'organisation, et non un membre de la coalition. Je ne suis pas au courant des modes de financement. Par contre, en tant que policier retraité, mon objectif est de mettre un frein au crime organisé, d'empêcher les jeunes d'être ciblés et de commencer à fumer et, pendant qu'on y est, de réduire le tabagisme.

La sénatrice Seidman : Merci à vous deux pour vos exposés.

Monsieur Grant, vous avez fait des déclarations alarmantes sur le tabac de contrebande en Ontario, mais aussi à l'échelle du pays. Pourriez-vous nous dire qui achète les produits du tabac de contrebande? Comment savez-vous qu'il s'agit de produits de contrebande? Doit-on renforcer l'application des lois en vigueur qui interdisent les produits du tabac de contrebande?

M. Grant : Je crois effectivement qu'il faut améliorer les lois en vigueur. Le gouvernement de l'Ontario l'a admis et la GRC et l'OPP ont créé des groupes de travail pour lutter contre le problème grandissant de la contrebande. La GRC travaille très fort à ce problème.

Nous devons renforcer l'application de la loi, comme l'a fait le Québec. Dans cette province, tous les policiers participent à la lutte contre le tabac de contrebande et ACCES Tabac offre un modèle de financement pour poursuivre la lutte contre le tabac. Au Québec, le taux de produits du tabac de contrebande a baissé de 50 p. 100 au cours des cinq ou six dernières années. Auparavant, ce taux était le même qu'en Ontario, soit environ 15 p. 100, ce qui est déjà assez élevé. Il s'agit du meilleur exemple à suivre en matière d'application de la loi.

Pour répondre à votre question à savoir qui achète les produits du tabac de contrebande, lorsque je participe à des émissions-débat, tous les consommateurs de cigarettes de contrebande disent que c'est la faute du gouvernement, car le prix des cigarettes est trop élevé. Mes arguments selon lesquels le crime organisé participe à cette contrebande ne semblent pas les influencer.

Je vous donne un exemple. J'enseigne au collègue Humber et je demande toujours à mes élèves s'ils savent ce qu'est le tabac de contrebande. Un jour, un de mes élèves m'a dit que l'année précédente, alors qu'il était encore au secondaire, un de ses camarades de classe vendait du tabac de contrebande à partir de son casier, à l'école, et que ses parents utilisaient les recettes de ces ventes pour augmenter leur revenu. Le père se rendait à un comptoir de tabac, achetait un plein chargement de tabac de contrebande et vendait les produits à son travail. La mère vendait les produits du tabac de contrebande à partir de chez elle, un peu comme dans les soirées Tupperware. Le jeune homme, lui, vendait ces produits à partir de son casier. Cela ne fait qu'encourager une nouvelle génération de fumeurs, ce que nous voulons éviter, et enseigne aux jeunes qu'il n'y a pas de mal à enfreindre la loi.

C'est ce que je dis au sujet du tabac de contrebande. Il y a certainement encore beaucoup de travail à faire.

La sénatrice Seidman : À votre connaissance, y a-t-il une contrebande de cigarettes électroniques?

M. Grant : Je ne m'y connais pas vraiment en matière de cigarettes électroniques.

Le sénateur Eggleton : Vos organisations respectives se disent préoccupées quant aux mesures relatives aux emballages neutres. Elles disent que ces emballages pourraient encourager la contrebande. J'aimerais savoir quelle serait la différence entre les emballages actuels et ceux qui seraient imprimés si ces mesures étaient appliquées.

Par exemple, je crois comprendre que les mises en garde figureraient toujours sur les nouveaux emballages. À ma connaissance, la seule différence, c'est que la marque serait imprimée en caractères ordinaires au lieu d'utiliser un logo.

M. Drolet : C'est exact.

Le sénateur Eggleton : Comment un changement aussi simple, passer d'un logo stylisé au nom « Players », par exemple, peut-il avoir autant d'impact?

M. Drolet : Des études ont été menées sur les deux options. Selon nous, l'apparence de l'emballage n'entraînera pas une diminution du taux de consommation et ces emballages ne seront pas moins attirants pour les jeunes. En tant que détaillant et association, ces emballages ne feraient que prolonger le processus d'achat dans les commerces, dans le respect de la loi et des règlements en vigueur. C'est un peu ça.

M. Chera : J'ajouterais deux choses, sénateur. D'abord, il y a le processus d'achat dans les commerces. Vous savez, un détaillant ne tourne jamais le dos à son client pour des raisons de sécurité et pour décourager le vol. Les emballages actuels sont très différents d'une marque à l'autre. Il est plutôt facile de repérer le produit que cherche le client. Cela sera beaucoup plus difficile avec les emballages neutres où tout sera normalisé. Il faudra plus de temps au détaillant pour repérer le produit que cherche le client, augmentant les risques en matière de sécurité.

J'ajouterais qu'il y a une raison pour laquelle la Banque du Canada utilise différentes couleurs pour différencier les billets de banque. C'est pour éviter la contrefaçon.

C'est notre position. Non seulement il y aurait des conséquences sur les opérations, notamment pour les détaillants, mais ces emballages encourageraient une économie clandestine déjà bien établie en permettant aux éléments criminels de copier plus facilement des emballages déjà considérés comme étant ordinaires et simples.

M. Grant : Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit que l'on puisse imprimer sur les emballages de cigarettes qui m'encouragerait ou m'inciterait à fumer. Toutefois, s'il existe des preuves selon lesquelles les emballages neutres réduisent le tabagisme, j'encouragerais l'utilisation d'emballages neutres. Il ne faut pas oublier que pour toute action, il y a une réaction inverse. Un emballage simple facilite la tâche des contrefacteurs. Nous ne disons pas que si le gouvernement introduit les emballages simples, il doit aussi prendre des mesures pour lutter contre la contrebande. S'il y a une chose que nous ne voulons pas faire, c'est d'encourager le marché noir plutôt que d'encourager les gens à arrêter de fumer.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, messieurs, d'avoir accepté notre invitation.

Monsieur Chera, la vente de tabac représente quel pourcentage du chiffre d'affaires des détaillants? Avez-vous une idée?

M. Chera : Honnêtement, sénatrice, cela dépend s'il s'agit d'un petit détaillant indépendant ou d'un grand détaillant, ou si le commerce est situé dans une région rurale ou urbaine. Je ne voudrais pas m'aventurer à cet égard. Mais, si ces renseignements pouvaient vous être utiles, nous pourrions demander à certains de nos membres de nous fournir des données à ce sujet.

La sénatrice Stewart Olsen : Oui, s'il vous plaît. Faites parvenir ces informations à la greffière.

M. Chera : Certainement.

[Français]

La sénatrice Mégie : Monsieur Grant, vous avez dit plus tôt qu'avant de penser à rendre l'emballage plus neutre, on aurait pu songer à d'autres mesures. Votre coalition a-t-elle déjà envisagé de mettre en place d'autres mesures avant d'arriver à celle de l'emballage neutre?

[Traduction]

M. Grant : Vous voulez parler des mesures pour contrer la contrebande?

[Français]

La sénatrice Mégie : Oui, pour contrer la contrebande.

[Traduction]

M. Grant : L'application plus rigoureuse de la loi est l'une de ces mesures. On parle essentiellement d'une loi en matière de l'accise et la GRC et les agents des recettes en Ontario sont les seuls à avoir le pouvoir de traiter le problème.

Le Québec a mis fin à cela. La province a adopté un projet de loi qui permet à tous les policiers de mener des enquêtes approfondies sur la contrebande et ACCESS Tabac fournit les fonds pour les enquêtes. Comme je l'ai dit, le taux de contrebande dans la province a baissé de 50 p. 100 au cours des dernières années et ACCESS Tabac a permis au gouvernement provincial de toucher des recettes supplémentaires de 180 millions de dollars en 2015 et 2016. Autrement, ces recettes seraient allées dans les poches des criminels. C'est donc un exemple idéal en matière d'application de la loi.

Mais, outre la question des emballages neutres, il y a la réglementation du boudin de filasse, dont j'ai déjà parlé. Le fait de réglementer ce produit et d'empêcher les criminels d'avoir accès au matériau de fabrication nécessaire pour fabriquer des cigarettes de contrebande aiderait à mettre fin à ces opérations criminelles.

Les campagnes de sensibilisation publiques des gouvernements provinciaux et fédéral constituent un autre élément important. La plupart des gens ne fument pas. Ils ignorent que leurs enfants peuvent acheter des cigarettes auprès de criminels. Les jeunes peuvent acheter un petit sac de 200 cigarettes pour 9 $ ou 10 $, soit le prix d'un billet de cinéma. Les parents pensent que leurs enfants sont en sécurité en raison des règlements provinciaux en vigueur, mais ils ne le sont pas. Et les membres du crime organisé le voient bien. Ils ne sont pas idiots. Ils savent qu'il s'agit d'une mine d'or. De plus, le risque est faible et la récompense est élevée. Ils utilisent ensuite l'argent recueilli pour financer leurs autres activités, comme le commerce d'armes et de drogues et le trafic de personnes.

Une application concertée de la loi, des campagnes de sensibilisation publiques et la réglementation des matériaux aideraient beaucoup à mettre un terme au tabac de contrebande.

[Français]

La sénatrice Mégie : C'est vraiment à ce niveau-là qu'on peut travailler?

[Traduction]

M. Grant : L'application de la loi, mais aussi le projet de loi S-5, s'il est adopté, et la modification proposée concernant le boudin de filasse aideraient à mettre fin au tabac de contrebande et à réduire les méfaits du tabagisme.

Le sénateur Dean : Monsieur Chera, c'est un plaisir de vous revoir. J'aimerais d'abord reconnaître l'important travail de vos membres dans la prestation de services au public et leur contribution à l'économie de toutes nos régions.

Vous avez parlé de deux secteurs importants des règlements du gouvernement. L'un concerne les revenus, mais, au bout du compte, les deux concernent la santé publique et une menace sérieuse à la santé publique.

Je conviens tout à fait qu'il est important de renforcer l'application de la loi et de s'attaquer plus en amont aux éléments criminels et de la chaîne d'approvisionnement des produits de contrebande en s'appuyant sur des renseignements. Nous parlons aujourd'hui de modifications proposées à la loi, car nous nous inquiétons essentiellement d'un produit toxique ayant des effets nocifs connus sur la santé, une chose qui nous inquiète tous. Jusque-là, je suis d'accord avec vous.

Mais là où j'ai de la difficulté à être d'accord avec vous, c'est lorsque vous parlez de l'impact des emballages neutres, soit que ceux-ci favoriseraient la fabrication de produits de contrebande. Nous savons que les contrefacteurs sont intelligents, même très intelligents. Ils sont aussi bien financés. J'imagine qu'ils sont probablement aussi efficaces et efficients que des fabricants légitimes pour reproduire presque tous les emballages avec toutes les variations de couleurs et de style. Ce n'est pas difficile avec l'impression numérique. Nous en avons vu des exemples au comité.

Que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Personnellement, je ne suis pas convaincu. Vous avez dit beaucoup de choses intéressantes et importantes sur les produits de contrebande, mais je ne suis pas convaincu du lien entre les emballages neutres et l'augmentation de la contrebande, surtout en ce qui a trait aux emballages.

M. Chera : Merci, sénateur Dean. Pour nous, rendre plus facile la reproduction des emballages pour les éléments criminels constitue un pas dans la mauvaise direction. Ce n'est pas que nous sommes en désaccord avec les objectifs globaux de ce projet de loi du gouvernement. Ce qui nous inquiète, c'est l'impact que cette mesure législative aura sur la capacité des détaillants à faire leur travail dans le respect de la loi et à différencier entre les produits légaux et illégaux.

Les autorités policières de partout au pays nous disent que la contrebande est déjà un problème. Nous avons beaucoup de difficulté à comprendre comment le fait de rendre plus facile la reproduction des emballages pour les éléments criminels n'empirera pas le problème. Par exemple, les rapports publiés en Australie nous apprennent qu'il y a maintenant un problème de contrebande dans ce pays. Avant l'utilisation des emballages neutres, il n'y avait pas de tabac de contrebande en Australie.

Je ne suis pas contre les objectifs du projet de loi. Nous nous inquiétons des conséquences opérationnelles de cette mesure. Il faut s'assurer qu'il y a une façon de différencier les différents emballages pour aider les détaillants lorsqu'ils vendent ces produits à leurs clients, mais aussi pour ne pas encourager un marché illégal déjà problématique. Même Santé Canada a reconnu l'existence du problème dans ses plus récents rapports de consultation et documents.

M. Grant : Je le répète, nous ne sommes pas en désaccord avec le projet de loi sur les emballages neutres. Mais, selon nous, les criminels risquent d'en profiter et ils auront la capacité de fabriquer des cigarettes. Beaucoup de fumeurs de cigarettes de contrebande me jurent que les cigarettes qu'ils fument sont légales. Ils me disent : « Regarde, il y a une mise en garde contre les dangers pour la santé sur l'emballage. » S'il est plus facile de rouler les gens, il y aura plus de confusion sur le marché et les gens risquent de s'appuyer davantage sur le prix pour faire leur choix.

Je crains également que des criminels entreprenants commencent à livrer à des dépanneurs ces emballages contrefaits, qui sont faciles à reproduire, et à convaincre les propriétaires de les vendre et de couper la poire en deux.

Je crains que cela se traduise par plus de problèmes liés à la contrebande. Pour éliminer ces problèmes, il faut éliminer la contrebande.

La sénatrice Frum : Ma question était la même que celle du sénateur Dean. Je vais la répéter, au risque de vous ennuyer.

Je ne suis également toujours pas convaincue, car je n'arrive toujours pas à comprendre en quoi un emballage portant une image de marque assurerait davantage l'application de la loi qu'un emballage neutre. S'agit-il d'un hologramme? Quelle est la principale différence, entre un emballage neutre et un emballage sur lequel figure un élément de marque, qui fait en sorte que l'un est plus infaillible que l'autre?

M. Grant : Je pense qu'ils sont plus faciles à reproduire. Je répète qu'il n'y a rien de mal aux emballages neutres proprement dits. S'ils deviennent obligatoires en vertu de la loi, espérons qu'ils réduiront le tabagisme.

Je propose que nous nous attaquions à la contrebande de tabac en même temps que nous cherchions à réduire les méfaits de la cigarette, en faisant en sorte qu'il sera plus difficile pour quelqu'un qui décide de faire de la contrebande, à cause de la confusion sur le marché ou d'une question de prix, non seulement de reproduire les emballages, mais aussi de fabriquer les cigarettes proprement dites.

La sénatrice Frum : Le problème de la contrebande de tabac est également lié à l'exportation dans d'autres pays. Les emballages neutres aident également à se protéger contre cette pratique. Un emballage propre au Canada rend plus difficile l'exportation de produits de contrebande, car ils ne passeront pas inaperçus de l'autre côté de la frontière.

M. Grant : Je n'ai pas vu de grave problème d'exportation de produits de contrebande. C'est un problème qui se limite essentiellement à nos propres provinces.

La sénatrice Frum : J'ai remarqué que vous avez dit que l'Ontario est le principal producteur des Amériques.

M. Grant : Et c'est là qu'on fume le plus de tabac au Canada.

La sénatrice Frum : Nous consommons notre propre contrebande, en entier, n'est-ce pas?

M. Grant : En effet. Une cigarette sur trois achetée en Ontario provient de la contrebande.

La sénatrice Petitclerc : Ma question est pour les représentants de l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation.

Avant de la poser, je tiens à signaler, monsieur Chera, que dans votre réponse au sénateur Dean, lorsque vous avez dit que les problèmes de contrebande en Australie se sont aggravés à cause des emballages neutres, vous avez oublié de mentionner que lorsque le pays est passé aux emballages neutres, il a également augmenté la taxe de plus de 25 p. 100, si je ne m'abuse. Cela explique peut-être aussi en partie la contrebande, qui ne serait pas nécessairement due aux emballages neutres.

Vous avez parlé de la préoccupation de votre personnel concernant la manipulation des produits, la durée de la transaction et même la sécurité. Vous avez encore une fois parlé de l'Australie. J'ai accès à une autre étude australienne — j'ai entretenu des rapports très étroits avec les Australiens pendant la rédaction de ce projet de loi — dans laquelle 1 265 récupérations de paquets ont été examinées avant et après la mise en œuvre des emballages neutres, et seule une petite augmentation temporaire du délai de récupération a été observée. Cela n'a même pas duré quelques semaines.

Voici ma question : ne sommes-nous pas aussi compétents ou aptes à nous adapter à ce genre de transition? Est-ce que cela serait différent ici par rapport à l'Australie?

M. Chera : Je suis ravi de pouvoir vous répondre. Je suppose que je vous dirais, madame la sénatrice, que nous avons interrogé nos membres sur les répercussions possibles selon eux du passage aux emballages neutres. Ils nous ont dit ce qu'ils en pensent.

Selon les observations de nos membres, l'essentiel, c'est que si le gouvernement s'engage dans cette voie, il doit alors être facile de distinguer les différents paquets.

N'oubliez pas que ce sont des détaillants. Ils sont sur la ligne de front de la vente des produits légitimes du tabac, qui sont taxés par les gouvernements d'un bout à l'autre du pays. Ils se soucient autant que vous de s'assurer que ces produits ne tombent pas entre les mains de jeunes et que des éléments illégaux n'entrent pas en ligne de compte.

C'est ce que je proposerais, de notre point de vue, après avoir parlé à nos membres et pris connaissance de leurs commentaires — mon collègue peut certainement parler des répercussions sur son entreprise. C'est ce qu'ils nous ont dit. À l'heure actuelle, un élément distinctif fait en sorte qu'il est beaucoup plus facile de ne pas tourner le dos au client, de récupérer le produit et de le lui remettre. Vous pouvez sans aucun doute vous imaginer, pour une toute petite chaîne indépendante ou une entreprise autonome, dans laquelle travaillent un mari et sa femme, qu'il faudra du temps pour s'habituer au nouveau système. Nous pensons qu'il faut en tenir compte, car je crois qu'on oublie encore les répercussions opérationnelles sur les détaillants.

À propos des études menées en Australie, j'en ai probablement trois autres ici que je peux également citer. Si c'est utile pour le comité, je peux certainement vous indiquer à quel endroit j'ai trouvé l'information et me la procurer comme il se doit, car on semble avoir mené un certain nombre d'études. Nous avons la National Drug Strategy Household Survey, un sondage fait en Australie, et une étude de KPMG. Donc, encore une fois, si elles peuvent être utiles au comité, nous serons très heureux de vous les remettre.

Le président : Je vais intervenir parce que vous avez affirmé sans détour, il y a seulement quelques minutes, en répondant à une question, qu'il n'y avait pas de contrebande de tabac en Australie avant les emballages neutres.

À propos du rapport de KPMG dont vous venez tout juste de parler, en répondant à la sénatrice Petitclerc — et c'est un rapport souvent cité par l'industrie du tabac pour appuyer l'affirmation que vous venez tout juste d'exprimer —, la société KPMG a clairement déclaré que, dans les faits, elle est déçue des interprétations erronées de son rapport, et qu'elle a constaté que la quantité de cigarettes contrefaites en Australie en 2015, qui se chiffrait à 2,4 millions de kilogrammes, était la même qu'en 2010, avant les emballages neutres. On en parle longuement. Vous pouvez nous fournir beaucoup de rapports, et je pense que nous les avons probablement tous, mais c'est précisément celui auquel vous avez fait allusion. Je pense qu'il convient de le mentionner pour le compte rendu.

La sénatrice Seidman : Monsieur Grant, je me permets de revenir à l'amendement que vous recommandez au sujet de la filasse d'acétate.

Dans votre exposé, vous avez dit que cette recommandation bénéficie de l'appui de pratiquement tous les intervenants dans le milieu du tabac, c'est-à-dire l'Association pour les droits des non-fumeurs, la Société canadienne du cancer, l'Ontario Medical Association et la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC du Canada. Pouvez-vous nous expliquer quel serait le but de ce genre d'amendement et quelles seraient ses répercussions? De quelle façon pourrions-nous procéder?

M. Grant : Je vois cette mesure législative comme un projet de loi de réduction des méfaits, un projet de loi pour favoriser la diminution de l'usage du tabac. La meilleure façon de réduire le nombre de fumeurs est de s'attaquer également au grave problème de la contrebande. Ces cigarettes sont aussi néfastes que les autres cigarettes dont nous parlons. Si un Ontarien sur trois en fume, c'est grandement problématique, surtout chez les jeunes.

La filasse d'acétate est un produit qui n'est pas très répandu. Seules quelques entreprises en fabriquent dans le monde. Il sert à fabriquer les filtres. À l'heure actuelle, comme je l'ai indiqué, je pourrais aller en ligne et acheter de la filasse d'acétate sans laisser de trace. Par contre, si c'était réglementé et que notre amendement était adopté — l'importation de filasse d'acétate est interdite sauf si la personne est titulaire d'une licence de tabac ou qu'elle a obtenu l'approbation du gouverneur en conseil —, qu'il y avait un registre des acheteurs et que le produit ne se retrouvait pas entre les mains de personnes qui n'ont absolument pas le droit de fabriquer des cigarettes, que c'était interdit et que le produit était saisi, il serait alors sans aucun doute plus difficile pour les contrefacteurs de fabriquer des cigarettes, ce qui, espérons-le, permettrait d'atteindre certains objectifs du projet de loi, à savoir la réduction des méfaits et du nombre de fumeurs.

La sénatrice Seidman : Est-il vrai, comme vous l'avez dit dans votre exposé, je crois, que cet amendement bénéficie de l'appui de la plupart des intervenants?

M. Grant : J'ai lu de l'information de l'Ontario Campaign for Action on Tobacco du Comité permanent des finances et des affaires économiques, en date du 29 janvier 2015, selon laquelle une éventuelle réglementation de la filasse d'acétate bénéficie d'un large appui. L'ADNF a cité François Damphousse dans le National Post en 2010. Les groupes ayant participé aux rencontres sont la Société canadienne du cancer, l'Ontario Medical Association et la Fondation des maladies du cœur. J'ai cru comprendre qu'ils comparaîtront devant vous plus tard. Espérons qu'ils seront du même avis. Toutes les mesures qui empêchent les gens de fabriquer des cigarettes sont bonnes.

Le sénateur Eggleton : Je vais poser la question à M. Grant. Il a eu une longue et brillante carrière dans le Service de police de Toronto. Je le connais depuis plusieurs années, surtout à cause du projet Échec au crime.

Mis à part les emballages neutres — je pense que nous avons fait le tour de la question; et vous avez maintenant parlé de la filasse d'acétate —, quelles autres mesures devrions-nous envisager selon vous pour essayer de freiner la contrebande?

M. Grant : Nous devrions chercher à renforcer l'application de la loi, surtout en Ontario où le gouvernement provincial a pris des mesures pour réprimer la contrebande. Il réglemente le tabac en feuilles. Il vient tout juste de mettre sur pied un groupe de travail composé de sept membres de la Police provinciale de l'Ontario pour s'attaquer au problème de la contrebande. C'est un début. Dans une province comme l'Ontario, sept personnes ne représentent pas beaucoup de monde.

Pour ce qui est de l'application de la loi, nous devrions nous pencher sur le modèle du Québec, à savoir le projet de loi 59 qui a été déposé dans la province. Je pense que c'était en 2010. Le Québec avait autant de problèmes de contrebande que nous en Ontario. On a décidé d'autoriser tous les policiers de la province — à l'échelle municipale et provinciale, et bien entendu au sein de la GRC — à mener des enquêtes approfondies sur la contrebande plutôt que de miser sur un petit groupe. En Ontario, la tâche revient aux agents des finances de la province, car c'est considéré comme un crime financier, une fraude fiscale, ainsi qu'à la GRC. En Ontario, essentiellement, la majorité des policiers sont sur le banc; ils ne s'occupent pas de ces dossiers. Si une loi comme celle du Québec était adoptée, ce qui est chose facile, tous les agents de police auraient le droit de mener des enquêtes approfondies sur la contrebande, de la saisie à la préparation d'un procès, sans oublier le procès proprement dit.

Dans le modèle du Québec, on a également créé un organisme gouvernemental appelé ACCES Tabac, qui finance la poursuite des enquêtes sur la contrebande alors que les ressources sont moindres pour la police, les dépenses budgétaires et les ressources humaines. Une partie du recyclage des produits de la criminalité obtenus à la suite de condamnations pour contrebande sert également à financer d'autres enquêtes. C'est au fruit qu'on juge l'arbre. On a réduit le taux de contrebande de 50 p. 100. C'est encore assez grave à 15 p. 100, mais c'est une énorme réduction quand on sait qu'on parlait d'une cigarette sur trois. L'année dernière, ACCES Tabac, l'organisation qui s'occupe du financement, a rapporté 180 millions de dollars au Québec grâce, je suppose, aux ventes de cigarettes légitimes aux dépens des criminels. Le renforcement de l'application de la loi portera un grand coup à la contrebande.

À propos des autres mesures, comme l'amendement que je propose au sujet de la filasse d'acétate pour qu'il soit plus difficile de fabriquer des cigarettes, si les criminels ne peuvent pas obtenir le nécessaire — il leur est déjà assez facile d'obtenir du tabac. Le tabac circule librement à la frontière, et il est plus difficile d'obtenir de la filasse d'acétate. Si nous pouvions réduire la quantité disponible de filasse d'acétate et qu'on voyait à quoi elle est destinée, nous pourrions certainement leur mettre un bâton dans les roues.

Comme je l'ai mentionné, je pense qu'il est très important de mener une campagne de sensibilisation du public, tant à l'échelle fédérale que provinciale. La plupart des gens ne fument pas. Je pense que le Canada compte environ 20 p. 100 de fumeurs, à peut-être un point de pourcentage près. La majorité des parents pensent que leurs enfants ne peuvent pas se procurer de cigarettes. Ils pensent que les règles selon lesquelles les tenanciers de dépanneur doivent demander une pièce d'identité, qu'on ne doit pas voir les cigarettes et ainsi de suite empêchent leurs enfants d'acheter des cigarettes. Nous savons toutefois que ces criminels vendent des cigarettes aux enfants, un sac de plastique de 200 cigarettes pour le prix d'un billet de cinéma, 10 ou 12 $. On commence ainsi à avoir une nouvelle génération de fumeurs, et les enfants apprennent que c'est correct d'enfreindre la loi. On leur demande en passant s'ils veulent acheter en même temps un peu d'ecstasy pour la fin de semaine. Quand le crime organisé s'installe dans une collectivité, cela n'augure rien de bon.

Je pense donc qu'il faut mener une campagne de sensibilisation du public et faire des négociations entre tous les ordres de gouvernement. J'occupe mes fonctions depuis cinq ou six ans, et j'ai remarqué — ce qui, je suppose, ne surprend pas les gens — que les communications ne sont parfois pas aussi solides qu'elles pourraient l'être. Je pense que vous avez vraiment besoin d'un groupe de travail, si vous voulez, composé de personnes des gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que des Premières Nations pour essayer de lutter contre la contrebande et les problèmes qu'elle crée dans nos collectivités.

Le sénateur Dean : Pour revenir rapidement à ce produit de l'acétate, pouvons-nous présumer, compte tenu des quantités dont vous parlez — et nous connaissons le volume des produits de la contrebande —, que faire un suivi de l'approvisionnement de cet ingrédient nous mènera aux sites de contrebande?

M. Grant : Nous savons où se trouvent les sites. Je pense que ce qui arriverait, c'est que le produit n'y serait pas acheminé, ce qui signifie que les criminels seraient privés des produits nécessaires pour fabriquer les cigarettes.

Le sénateur Dean : Je vois.

La sénatrice Petitclerc : Je vais vous poser une question très brève, monsieur Grant. J'ai trouvé intéressant que vous établissiez un lien entre la contrebande et le crime organisé. C'est exactement ce que m'ont dit dans mon bureau les gens de la GRC et les différentes personnes qui mènent la lutte. Je leur ai entre autres demandé si nous pouvons établir un lien entre les emballages neutres et une augmentation de la contrebande, ou quel lien pouvait être établi avec la contrebande. Ils m'ont dit — et ils en étaient convaincus — que la seule chose dont ils étaient certains, c'est que le prix était plus élevé. C'est le seul lien historique dont ils pouvaient me faire part. Je veux savoir ce que vous en pensez et pourquoi vous n'êtes peut-être pas du même avis, car vous semblez croire que les emballages neutres pourraient être un facteur.

M. Grant : Je ne suis pas contre les emballages neutres. Ils pourraient s'avérer efficaces, mais je pense qu'ils pourraient également embrouiller les gens. Je vois la situation comme une occasion. Dans le projet de loi, plutôt que de nous contenter des emballages neutres pour essayer de diminuer le nombre de fumeurs, nous pourrions nous attaquer également à certains produits nécessaires pour fabriquer des cigarettes et voir ainsi si nous pouvons également réduire la contrebande, si jamais il y a une corrélation.

La sénatrice Seidman : Monsieur Chera, comme je ne vous ai toujours pas posé de question, je ne sais pas si vous avez des propositions d'amendement du projet de loi. En avez-vous? Le cas échéant, de quoi s'agit-il?

M. Chera : Le seul aspect que j'ai mentionné d'entrée de jeu concernait les cigarettes électroniques. Il n'était pas clair pour nous si cette mesure législative allait éliminer le système à deux vitesses actuel qui permet aux magasins illégaux de vapotage de pousser comme des champignons depuis des années, alors que les dépanneurs respectent les règles. Après la mise en œuvre de cette mesure législative, les deux seront-ils exploités conformément aux mêmes règles, ou les magasins de vapotage auront-ils carte blanche après toutes ces années où ils ont essentiellement ignoré les mises en garde de Santé Canada alors que les dépanneurs respectaient les règles? Nous ne savions pas avec certitude si le projet de loi était clair à cet égard. Il serait extrêmement utile d'obtenir des précisions à ce sujet.

Pour ce qui est de pouvoir distinguer les produits — et c'est peut-être pour plus tard —, il est important de faire en sorte que les différents produits soient faciles à distinguer afin qu'il soit moins difficile pour les détaillants de trouver ceux que les consommateurs cherchent.

Le président : Nous avons certainement eu une discussion approfondie aujourd'hui, monsieur Grant. J'ai déjà eu l'occasion de vous entendre sur un autre sujet, et j'ai trouvé fascinantes certaines méthodes employées pour que les cigarettes traversent le fleuve Saint-Laurent — et certains fournisseurs sont également fascinants. Je ne voulais pas aborder la question aujourd'hui, mais j'aime toujours vos témoignages sur ces questions. Je tiens également à vous remercier, monsieur Chera, monsieur Tremblay Drolet, de votre présence aujourd'hui.

Je veux également remercier mes collègues de l'efficacité dont ils ont fait preuve dans leurs questions et de la façon dont ils les ont formulées. J'espère que nous continuerons ainsi, car nous aurons une série de séances fascinantes à ce sujet, et j'aurai besoin de votre aide.

Sur ce, je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)

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