Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 25 - Témoignages du 30 mai 2017
OTTAWA, le mardi 30 mai 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 14 h 15, pour poursuivre son étude de la teneur des sections 5, 9, 11, 13, 14 et 16 de la partie 4 du projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je me présente : je suis Kelvin Ogilvie, je viens de la Nouvelle-Écosse et je préside le comité. J'invite maintenant mes collègues à se présenter à tour de rôle.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto. Je suis le vice-président du comité.
Le sénateur Dean : Tony Dean, également de Toronto, en Ontario.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, de Montréal, au Québec.
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
Le président : Je vous rappelle qu'aujourd'hui, nous nous réunissons dans le cadre de l'étude préliminaire du projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d'autres mesures. Cet après-midi, nous étudierons la section 9, qui porte sur l'aide financière pour les provinces à l'égard des services de soins à domicile et des services de santé mentale.
Nous accueillerons deux groupes de témoins au cours de la séance, qui se terminera au plus tard à 15 h 15. Je les inviterai à prendre la parole dans le même ordre que sur notre ordre du jour. Nous entendrons leurs exposés dans un instant. Avant d'appeler nos témoins, je vous rappelle que nous écouterons tous les exposés avant de passer aux questions des sénateurs.
Voilà pour l'introduction. Je donne maintenant la parole à M. Patrick Smith, chef de la direction national de l'Association canadienne pour la santé mentale. Monsieur Smith, nous sommes tout ouïe.
Patrick Smith, chef de la direction national, Association canadienne pour la santé mentale : Merci, monsieur le président. Bonjour à vous tous. Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Je m'appelle Patrick Smith et je suis le chef de la direction national de l'Association canadienne pour la santé mentale, ou ACSM, qui célébrera ses 100 ans d'existence en 2018. L'association, un organisme pancanadien, compte plus de 15 000 employés et bénévoles qui œuvrent au sein de plus de 300 antennes opérationnelles réparties dans toutes les provinces. On nous décrit souvent comme un organisme de santé mentale communautaire présent sur le terrain.
Où que nous allions, le constat est toujours le même : la santé mentale, y compris les dépendances, n'a rien à voir avec la politique. Le gouvernement Trudeau a fait preuve d'un leadership sans précédent en admettant que le domaine de la santé mentale souffrait de lacunes flagrantes et en prenant des mesures pour corriger la situation. Le premier ministre Trudeau semble avoir bien compris la nécessité d'aborder le dossier de la santé mentale dans une optique pangouvernementale en intégrant des résultats à atteindre précis dans les lettres de mandat remises à plusieurs ministres. Le budget de 2017 reflète une volonté certaine de combler les multiples lacunes dans le financement proportionnel et de changer la manière dont nous envisageons la santé et la maladie mentales.
L'ACSM a demandé au gouvernement d'établir des objectifs en santé mentale et de réserver une partie des paiements de transfert aux provinces pour ce secteur.
L'ACSM a été ravie de constater que le gouvernement fédéral avait réservé des fonds exclusivement pour la santé mentale, et qu'il avait ciblé des groupes à risque élevé et aux besoins aigus comme les anciens combattants, les militaires en service et leurs familles, ainsi que les Autochtones, les aidants naturels, les enfants et les jeunes et les personnes ayant des troubles liés à a toxicomanie.
Cela dit, il y a encore loin de la coupe aux lèvres avant que les soins et services en santé mentale reçoivent un financement équivalent à celui de la santé physique, et qu'il soit proportionnel au fardeau de la maladie. Par rapport aux autres pays du G7, le Canada consacre la plus faible part de son budget de santé à la santé mentale. Le sous- financement de longue date a entraîné de graves lacunes en matière d'accès aux services et à l'aide en santé mentale. Ces lacunes ne sont pas apparues du jour au lendemain, et il faudra des efforts ciblés et des engagements soutenus pour les combler. L'Association canadienne pour la santé mentale exhorte le gouvernement à prévoir des investissements permanents dans la santé mentale, et surtout dans les services communautaires et de soutien afin de rattraper le retard du Canada sur les autres pays du G7.
Les fonds réservés doivent être affectés aux cinq domaines fondamentaux qui sont les plus en retard sur les pays du G7, et ils doivent être investis judicieusement pour faire une réelle différence dans la vie des gens et nous en donner plus pour notre argent. Ces investissements ciblés et l'offre de services et de soutiens communautaires donneront de meilleurs résultats, et contribueront à diminuer les hospitalisations et la pression sur les soins intensifs de courte durée. Une question fondamentale doit être tranchée au Canada : à qui s'adresse le financement de notre système de santé publique? Qui doit-il protéger?
J'aimerais citer, et je le fais sans honte aucune, deux de mes éminents collègues. La première, Mme Karen Cohen, explique qu'au Canada, notre système de santé universel n'est pas un système de soins universel. Par exemple, dans le domaine des soins primaires en santé mentale, les services élémentaires et pragmatiques de counselling ou de psychothérapie, les interventions structurées facilement accessibles fondées sur la thérapie cognitivo-comportementale et d'autres types de thérapies, ainsi que d'autres formes de soutien communautaire qui font partie de l'offre de base dans les autres pays du G7, qui les considèrent comme une composante incontournable de l'intervention, sont pour ainsi dire inaccessibles au Canada pour les personnes qui ne peuvent pas se les payer.
L'entreprise Starbucks Canada a fait la manchette quand elle a annoncé qu'elle bonifiait son programme d'avantages en faisant passer le montant remboursable des services de counselling et de psychothérapie de 400 à 5 000 $ par employé. Autrement dit, nous vivons dans un pays où il existe un système de santé universel, mais il faut avoir la chance d'être barista chez Starbucks pour espérer avoir accès à des soins de santé mentale.
Un autre de mes collègues, Ian Boeckh, affirme que la santé mentale est un sport d'équipe. Il a tout à fait raison et il est l'un des meilleurs modèles à cet égard. Seulement, le Canada laisse sur le banc une grande partie de ses meilleurs joueurs, au contraire des autres pays développés, où ils sont constamment sur la glace. Nous ne manquons pourtant pas de psychologues, de travailleurs sociaux, de spécialistes du soutien par les pairs, de conseillers en toxicomanie, pour ne nommer que ceux-là, mais la plupart restent sur la touche, en marge du système financé par les fonds publics.
Il suffirait de les faire jouer, comme le font d'autres pays développés, de leur donner les moyens d'exercer pleinement leur profession et des fonds pour appliquer ce qu'ils ont appris durant leurs formations pour obtenir un effet immédiat et magistral. L'ACSM reconnaît et salue le projet du gouvernement de financer les services offerts par des guérisseurs autochtones traditionnels pour répondre aux besoins en santé mentale. Cependant, nous demandons au gouvernement fédéral et aux provinces de se concerter pour assurer également l'intégration et le soutien des professionnels en soins de santé primaires en santé mentale.
J'espère que nous aurons une discussion de fond sur le modèle de soins à niveaux présenté aujourd'hui. Pour l'instant, je me contenterai de dire que les niveaux inférieurs, qui regroupent les composantes fondamentales d'un système de santé mentale doté des ressources suffisantes, sont ceux qui ont le plus souffert de sous-financement au Canada.
Il est plus rentable d'assurer l'accès rapide aux services offerts aux niveaux inférieurs, qui interviennent avant que le recours à des services beaucoup plus coûteux en temps et en argent devienne inéluctable. Nous traitons le cancer avant qu'il atteigne le stade 4. C'est bien connu, l'intervention précoce est garante de meilleurs résultats. Pourquoi en serait-il autrement pour la santé mentale? Nous ferons fausse route si nous limitons nos investissements à la création de nouveaux lits de soin. Si c'est tout ce que fait le système, il ne faudra pas nous étonner d'avoir l'impression de ne jamais arriver au bout des problèmes. L'important est d'investir dans l'offre de services essentiels dans les communautés, de redéfinir les soins primaires en santé mentale et de mettre à contribution les professionnels aptes à les fournir.
Les cinq domaines que j'ai évoqués tout à l'heure englobent les interventions communautaires structurées telles les interventions fondées sur les données probantes et faciles d'accès, axées notamment sur des thérapies cognitivo- comportementales et d'autres formes de psychothérapies comme les programmes Bounce Back ou Vivre sa vie, pleinement. Ces services sont offerts par des spécialistes du soutien par les pairs, supervisés par des professionnels agréés. Ces spécialistes sont joignables par téléphone ou par courriel et facilitent l'accès aux soins dans les communautés rurales et éloignées. D'autres pays, dont le Royaume-Uni et l'Australie, où il n'y a pas si longtemps la situation s'apparentait à celle du Canada, sont parvenus à augmenter de manière spectaculaire le nombre de personnes desservies et à réduire le recours aux services plus coûteux.
Les services et soins primaires en santé mentale requièrent une approche véritablement interdisciplinaire, qui intègre des psychologues, des travailleurs sociaux, des conseillers en toxicomanie, des accompagnateurs en rétablissement et des spécialistes du soutien par les pairs.
Les services et soutiens communautaires s'inscrivent dans un continuum de mesures de soutien à l'emploi, au logement, par les pairs et la famille, qui tient compte du fait que la dimension de la santé n'est pas l'unique considération de l'intervention en santé mentale.
Les services globaux s'adressent aux personnes présentant des troubles complexes de santé mentale, qui requièrent des modèles communautaires de traitement plus spécialisés et plus intensifs.
Enfin, il existe un continuum complet de mesures universelles qui sont axées sur la prévention de la maladie et la promotion de la santé mentale, et qui tiennent pour acquis que la santé mentale n'est pas toujours synonyme d'absence de maladie.
Cette approche repose sur le principe du moindre fardeau. Après une évaluation, on commence par donner au patient des traitements efficaces de faible intensité, susceptibles d'être adaptés à ses besoins. Des traitements plus intensifs lui sont prodigués seulement en cas de besoin. Au Canada, à cause des lacunes graves dans les niveaux inférieurs, des services intensifs et coûteux sont fournis à des personnes qui n'en ont pas vraiment besoin. Il faut être en crise pour avoir accès aux services.
En investissant davantage aux deuxième et troisième niveaux, nous parviendrons à diminuer de beaucoup la demande de services de quatrième et cinquième niveaux, qui pourront être concentrés sur ceux qui en ont vraiment besoin.
Le président : Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Mme Dale Clement, membre du conseil d'administration de l'Association canadienne de soins et services à domicile.
Dale Clement, membre du conseil d'administration, Association canadienne de soins et services à domicile : Mesdames et messieurs, bonjour. C'est à titre de membre du conseil d'administration de l'Association canadienne de soins et services à domicile que j'ai l'immense privilège de venir vous parler de notre travail et de nos réflexions sur les dispositions du projet de loi C-44 qui portent sur le financement des soins à domicile.
L'Association canadienne de soins et services à domicile est un organisme national sans but lucratif qui représente les intervenants dans ce domaine au sein des gouvernements, des autorités de la santé, des programmes publics, des fournisseurs de services ainsi que des entreprises à vocation médicale et technologique.
Les services publics de soins et de soutien à domicile s'adressent à des personnes qui sont dans leur foyer, à des collectivités de retraités, à des foyers de groupe et d'autres types d'établissements communautaires. Les patients peuvent avoir besoin de services et de soins aigus et chroniques, palliatifs ou de réadaptation. Les services fournis dans le cadre de programmes publics de soins à domicile englobent l'évaluation, l'éducation, les interventions thérapeutiques, y compris les soins infirmiers et la réadaptation, l'assistance personnelle pour les activités quotidiennes, l'assistance pour les activités instrumentales de la vie quotidienne telles que les opérations bancaires et les courses, ainsi que le répit et le soutien pour les aidants naturels.
Les Canadiens estiment que leur foyer est un lieu plus propice que l'hôpital ou les établissements de soins de longue durée pour se rétablir après une maladie ou une blessure, pour recevoir des soins prolongés ou pour vivre leurs derniers moments. Malheureusement, ce n'est qu'un rêve pour énormément de Canadiens, car la demande de services de soins à domicile progresse plus rapidement que la capacité des ressources et du financement. L'accès aux soins et à l'aide est restreint, voire inexistant dans certains cas. La capacité des services de soins à domicile de longue durée n'arrive pas non plus à suivre les besoins du nombre croissant de Canadiens vieillissants. Nous ne perdons toutefois pas espoir que des investissements durables et prévisibles dans les soins à domicile contribueront à atténuer ces déficits.
L'accès à des soins à domicile est une priorité pour tous les Canadiens, autant pour les patients et leurs aidants que pour les fournisseurs de soins de santé et les gouvernements. Le gouvernement fédéral a placé les services de soins à domicile parmi ses priorités en matière de santé, comme en fait foi la lettre de mandat remise à la ministre Philpott, qui la charge d'accroître et d'améliorer l'offre de services dans ce domaine. Notamment, la ministre a été mandatée pour élargir l'accès à des fournisseurs de soins à domicile compétents, et pour établir des mesures de financement des soins dispensés par la famille et, s'il y a lieu, des soins palliatifs.
En guise de contexte et pour expliquer la situation de notre pays, je m'en remets à un rapport produit l'année dernière par l'Association canadienne de soins et services à domicile, selon lequel 14 ou 15 p. 100 des Canadiens de 15 ans et plus déclarent avoir un handicap. Chez les Canadiens de plus de 75 ans, la proportion grimpe à 43 p. 100, et ne peut aller que grandissant sous la pression des changements démographiques. Pour faire un lien avec les propos de mon collègue, M. Smith, j'ajouterai que la plupart des personnes qui souffrent d'un handicap chronique, soit 60 p. 100 environ, ont besoin un jour ou l'autre d'une forme quelconque de soins et d'aide en santé mentale. C'est peu dire que les liens entre les deux réseaux sont très étroits.
Qu'entend-on par une amélioration des services et des soins à domicile? Pour les personnes qui présentent des troubles chroniques et invalidants qui touchent leur santé, leur mobilité et leurs activités cognitives, de meilleurs services signifient qu'elles peuvent vivre mieux et de manière autonome chez elles. Qu'elles peuvent rentrer à la maison en toute sécurité après un séjour à l'hôpital. Que le moment venu, elles peuvent vivre leurs derniers jours dans l'environnement familier de leur foyer, entourées de leurs proches.
Nous le savons tous, les soins à domicile ne sont pas centralisés et ils sont très différents selon la région du pays. Que devons-nous faire pour améliorer l'offre de soins à domicile?
En 2016, notre association a établi un partenariat avec l'Association des infirmières et infirmiers et le Collège des médecins de famille du Canada pour organiser une série de consultations auprès des intervenants de première ligne du pays. L'objet de ces consultations était de comprendre ce qui fonctionne bien ou mal dans les services de première ligne, et d'entendre le point de vue des patients et de leurs aidants sur les améliorations souhaitées aux services de soins à domicile.
Nous avons tenu quatre séances de consultation sur invitation dans les villes de Halifax, Ottawa, Whitehorse et Calgary, auxquelles ont participé plus de 160 participants représentant tous les échelons de gouvernement et de l'administration de la santé, des fournisseurs et des bénéficiaires de soins à domicile, des médecins, du personnel infirmier et d'autres professionnels de domaines connexes. Conscients qu'il nous serait impossible de visiter toutes les régions, nous avons aussi mené un sondage en ligne dans un site créé à cette fin afin de recueillir plus de témoignages et de renseignements. Nous avons pu élargir nos perspectives grâce aux quelque 180 réponses reçues, provenant pour la plupart de bénéficiaires et de fournisseurs de soins à domicile.
L'exercice de consultation a abouti au document Un plan d'action national pour de meilleurs soins à domicile, dont j'ai apporté un exemplaire. Il regroupe 16 plans d'action et propose des indicateurs mesurables pour faciliter la prise de décisions sur les priorités en matière de soins à domicile.
Les possibilités et les améliorations que doivent cibler les investissements du fédéral sont l'élargissement de l'accès à des services de soins à domicile de qualité; l'intégration et la collaboration avec les soins de santé de première ligne pour mieux servir les personnes dans la communauté, et l'adoption rapide d'outils technologiques pour rehausser l'efficience et faciliter l'accès à l'information pour les patients et les fournisseurs de soins. Le meilleur exemple est celui des pharmaciens, qui doivent savoir quels médicaments un patient prend et lesquels lui ont été prescrits. Enfin, l'instauration de normes nationales fondées sur des principes en matière de soins à domicile permettra de clarifier le système pour les patients et leurs familles, d'établir les normes en matière de soins de qualité, et de définir les compétences et les aptitudes attendues des fournisseurs.
Nous avons donc une bonne idée de ce qu'il faut faire pour améliorer les services et soins à domicile. L'étape suivante est la réalisation. Comment nous y prendrons-nous? Notre défi sera de faire ce que Nike nous conseille : « Just do it. » Le 10 mars dernier, le gouvernement fédéral a approuvé l'octroi de nouveaux fonds ciblés sur 10 ans. Les annonces du budget fédéral ont confirmé les accords. Les déclarations comme quoi ces investissements ciblés feront une réelle différence dans la vie des Canadiens, et qu'ils pourront espérer un meilleur accès à des services communautaires, de soins à domicile et palliatifs ont de quoi nous réjouir.
Ces nouvelles sont très excitantes pour les personnes âgées qui présentent des fragilités, qui souffrent de troubles chroniques et invalidants, ou qui sont en fin de vie et souhaitent recevoir des soins. Les fournisseurs de soins à domicile, les médecins, le personnel infirmier et les aidants naturels, qui sont débordés par une demande croissante, ont tous accueilli la nouvelle avec joie.
Pour en revenir au projet de loi C-44, et plus particulièrement à la section 9, quelles sont les possibilités et quelles sont les faiblesses? L'une des faiblesses que nous avons relevées pour trois domaines est le financement nettement insuffisant. Selon la formule utilisée — A fois B divisé par C, c'est-à-dire 200 millions de dollars fois la population des provinces, le tout divisé par la population totale —, nous obtenons une moyenne de 3 p. 100 du financement total annoncé pour cette année. Par exemple, cela équivaut à 1 million de dollars environ pour l'Île-du-Prince-Édouard, et à 77 millions de dollars à peu près pour l'Ontario, dont le budget provincial pour les soins à domicile s'établit à plus de 3,1 milliards de dollars.
Au vu du financement limité, il sera très difficile d'arriver à quoi que ce soit de tangible durant la première année au chapitre des services de première ligne. C'est trop peu pour opérer de grands changements et, à cause de la formule et du financement limité, le gouvernement pourra difficilement demander aux provinces de s'engager à mettre en place des indicateurs de résultats et des mesures des services de soins à domicile. Les premiers fonds injectés pourraient plutôt servir à encourager une planification ciblée et la recherche de nouvelles formules de prestation des soins à domicile que les provinces pourraient piloter et mettre à l'essai.
Selon ce que nous en avons compris, l'intention du gouvernement était d'attendre la fin des 10 années pour injecter des sommes plus importantes. Toutefois, un investissement de 10 ou 15 p. 100 dès le début serait plus efficace pour obtenir l'adhésion soutenue des provinces et améliorer l'accès aux soins à domicile et communautaires.
Notre deuxième sujet de réflexion concerne le fait que les clients des services de soins à domicile sont plutôt les personnes âgées. Malheureusement, la formule de financement omet de tenir compte du vieillissement de la population, alors qu'il est notoire que la grande majorité des bénéficiaires de soins à domicile, soit plus de 70 p. 100, ont plus de 65 ans. Plus précisément, la hausse de la demande est concentrée dans les groupes des personnes âgées présentant des fragilités et des troubles de santé souvent complexes.
Le projet de loi C-44 a été élaboré à partir de statistiques sur la population générale. Il s'ensuit que le Nouveau- Brunswick, où le phénomène du vieillissement de la population est très marqué, reçoit 28 $ par personne âgée, alors que l'Alberta, où la population est plus jeune, reçoit 47 $. Une formule plus réaliste et plus équitable pourrait faire intervenir le principe d'accélération pour tenir compte du vieillissement de la population, ou un ensemble légèrement différent qui couvrirait cette demande.
Notre dernier sujet de réflexion tenait à la nature des soins à domicile, et aux considérations de ruralité et d'éloignement. De toute évidence, les soins à domicile dans les communautés rurales et éloignées coûtent plus cher. Les frais de déplacement sont plus élevés. Il en coûte plus cher aussi pour y amener les fournisseurs de soins et pour les prodiguer. Comme l'équation proposée ne tient pas compte de la réalité des régions rurales, comment les régions et les provinces caractérisées par une forte ruralité pourront-elles gérer les besoins?
En conclusion, je le répète, les Canadiens préfèrent leur foyer à l'hôpital ou à un établissement de soins de longue durée pour se rétablir après une maladie ou une blessure, recevoir des soins chroniques et vivre leurs derniers jours. Pour répondre à cette aspiration, peu importe la durée de vie, nous devrons remplir plusieurs conditions. Tout d'abord, le financement doit être durable et prévisible. Ensuite, nous devons nous attaquer aux besoins les plus urgents, qui sont ceux de notre population vieillissante, et gérer les attentes — le financement initial doit profiter aux patients, notamment pour combler des lacunes importantes comme l'offre de programmes de soins à domicile qui raccourciront les séjours à l'hôpital ou le recours à des technologies pour simplifier les processus. Enfin, il faut prendre en compte la nature singulière des soins à domicile et les réalités géographiques. La prestation de services de soins à domicile dans les zones rurales et éloignées suppose forcément de longs déplacements et, de ce fait, des modalités particulières.
Merci de m'avoir donné la possibilité de vous exposer la perspective du domaine des soins à domicile.
Le président : Je vous remercie. Je vais maintenant passer la parole à mes collègues, qui poseront leur question à tour de rôle pour la première série.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie pour vos déclarations préliminaires. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que les investissements dans ces deux domaines sont attendus de longue date.
Le cadre budgétaire nous donne l'occasion de soumettre nos observations au comité des finances. Si vous aviez une observation que vous jugez la plus importante dans vos domaines respectifs, que ce soit concernant une lacune — madame Clement, vous en avez relevé quelques-unes... J'ai été particulièrement impressionné par vos explications de la formule de financement et de ses effets discriminatoires pour les provinces qui comptent une importante population âgée, mais vous avez soulevé d'autres questions. Si nous vous demandions de pointer un élément qui requiert une attention immédiate dans vos domaines respectifs, quel serait-il?
Mme Clement : Comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, l'accroissement de la demande est dû pour beaucoup à la croissance rapide du nombre de personnes âgées et à la prise en compte des besoins de ce groupe, c'est évident. La ventilation du financement entre les provinces devrait en tenir compte, même dans les premières phases puisque, selon les prévisions démographiques, l'arrivée des baby-boomers dans le système fera exploser la demande. Nous devons réfléchir dès maintenant à des moyens de combler leurs besoins, sinon ils engorgeront les urgences ou les lits des hôpitaux tout simplement parce qu'ils ne peuvent pas retourner chez eux. Nous devons établir des modèles de financement qui accorderont l'importance voulue à ces aspects. Sans vouloir empiéter sur le terrain de M. Smith, je peux quand même affirmer que beaucoup de ces personnes souffrent d'isolement, d'états dépressifs ou d'autres troubles liés à la maladie, au vieillissement ou à d'autres facteurs. Nos deux domaines ne sont pas mutuellement exclusifs.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Smith?
M. Smith : Nous pensons, comme la plupart des intervenants en santé mentale, qu'il reste encore des possibilités d'investissement direct par le fédéral. Je sais que notre pays est une fédération et que ce modèle complique les choses. Je dirige moi-même un organisme fédéré et je suis à même d'apprécier la complexité des relations entre le fédéral, les provinces et les territoires. Cependant, imaginez que nous découvrions qu'une ville ou une province canadienne offre seulement la deuxième et la cinquième année dans les écoles, pour la simple raison que c'est ce que la communauté a mis sur pied. Imaginez ensuite que dans une ville située à 30 kilomètres de la première, seul le premier cycle du secondaire est offert et que, 100 kilomètres plus loin, les enfants ont accès à la cinquième et à la huitième année, puis à l'université. C'est tout ce qui leur est accessible.
Il est difficile de croire que nous avons déployé autant d'énergie pour réduire et abolir la stigmatisation. Pour la moyenne des Canadiens, il est tentant de penser qu'une fois la question de la stigmatisation réglée, la personne touchée est accueillie par un système de services et de soutien bien organisé qui répond à tous ses besoins, comme si elle avait reçu un diagnostic de diabète. La première chose qu'a faite l'honorable Norm Lamb lorsqu'il a été chargé de piloter la réforme au Royaume-Uni — c'est exactement le terme employé par nos leaders canadiens, la réforme — a été de dire qu'il fallait cesser de justifier l'injustifiable. Nous devons reconnaître que c'est un secteur où le manque de financement est flagrant depuis des années.
Il ne nous viendrait pas à l'idée de charger un groupe de travail de trouver des solutions dans le domaine de l'éducation. Nous mettrions tout de suite en place les composantes manquantes. Partout dans le monde, il est admis qu'il faut une première année, puis une deuxième, une troisième, ainsi de suite. Ces composantes de base font l'unanimité.
Il existe des précédents. Le gouvernement fédéral a déjà créé un programme de financement pour le traitement de la toxicomanie et d'autres types de fonds de transition en santé.
Des mesures sont nécessaires dans toutes les provinces pour opérer une transformation de fond, mesures qui tiendront compte des différences quant à l'ampleur des lacunes dans certaines provinces. Le fédéral pourra alors verser du financement direct axé sur la mise en place des composantes de base, pour permettre aux provinces de déterminer leurs autres besoins et de construire un réseau solide. Ces composantes fondamentales prendraient la forme de services conçus en fonction de données probantes, facilement accessibles, communautaires et répartis sur l'ensemble du territoire. Par ailleurs, il faudra limiter les enclaves, qu'il soit plus facile de déterminer si d'autres composantes pourraient être ajoutées.
Bien des gens vous demandent de ne pas renoncer à faire des investissements directs susceptibles de faire un réel changement et de créer un fonds axé sur une réforme en santé mentale. Nous en avons besoin pour opérer une transformation essentielle.
Le président : Monsieur Smith, je crois que cette question déborde le cadre des 100 millions de dollars prévus dans la section à l'étude. Nous prenons note de votre demande concernant les octrois ciblés et directs du fédéral dans votre secteur. Avez-vous des observations précises au sujet des 100 millions de dollars prévus et de la répartition proposée, et pouvez-vous nous donner une réponse plus concise que la dernière?
M. Smith : Oui. Les 100 millions de dollars doivent servir à la mise en place de services communautaires dans toutes les provinces.
Le président : Merci.
M. Smith : Les services doivent être mis en place dans les communautés, pas dans les hôpitaux.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci pour vos exposés. Vous avez tous les deux très bien expliqué où l'argent devrait être affecté en priorité. Un montant est prévu pour les services de soins à domicile, et un autre pour les services de soins en santé mentale, mais je crois que vous avez parlé d'indicateurs de résultats, madame Clement. C'est le sujet qui m'intéresse et qui devrait faire l'objet des observations, selon moi. Nous savons que les fonds sont octroyés, mais savons-nous comment ils sont dépensés? Vos organismes font-ils un suivi? Comment faites-vous le suivi des indicateurs de résultats?
Mme Clement : Pour ce qui est des indicateurs de résultats, j'ai dit pour l'essentiel que durant la première année de financement, selon la structure établie — le montant initial sera assez négligeable dans l'ensemble — il ne faudra pas avoir de trop grandes attentes quant aux indicateurs de résultats. Les changements qui pourront être opérés dans les provinces et les manières de dépenser l'argent ne seront probablement pas très frappants ou faciles à mesurer.
L'une de nos principales suggestions d'indicateur utile — la première année, le financement pourrait servir à faire de la planification, et les provinces pourraient être tenues de soumettre leurs projets pour les 10 prochaines années, d'expliquer les changements concrets prévus et les indicateurs qu'elles entendent appliquer. Le contexte varie énormément d'une province à l'autre. Même entre les régions sanitaires et les communautés à l'intérieur des provinces, les besoins et les priorités peuvent varier.
Notre organisme y voit une formidable occasion. Rien n'empêche les solutions rapides, mais il est plus important pour le gouvernement fédéral de connaître les stratégies pour les 10 prochaines années. Il pourra ainsi constater les modifications et comprendre comment l'argent sera utilisé pour insuffler des changements utiles pour les Canadiens, qui suivront l'évolution de leurs besoins en matière de santé.
Cela étant dit, l'Association canadienne de soins et services à domicile dispose seulement de données générales provenant de l'Institut canadien d'information sur la santé. Nous n'avons pas accès aux données opérationnelles des autorités sanitaires ou des ministères provinciaux intéressés.
M. Smith : Nous avons toujours dit qu'il est impossible de gérer ce qui ne peut être mesuré.
La première étape consiste à établir des indicateurs de résultats et à investir dans la normalisation. Beaucoup s'étonnent de voir que si un domaine de la santé est jugé prioritaire, on mesure les délais d'attente. Ce n'est pas la seule mesure, et certainement pas la meilleure, mais c'est une bonne mesure. En santé mentale, nous ne connaissons pas les délais d'attente parce que nous ne faisons pas de suivi.
Il faut commencer par exiger des provinces qu'elles démontrent leur volonté d'instaurer un système de suivi qui permettra de gérer et de mesurer les résultats puisque nous investissons dans la mise au point d'indicateurs de base tels que le nombre de personnes qui ont accès aux services, le nombre de jeunes qui attendent deux années et demie pour rencontrer un psychiatre, et ce genre de choses. Si nous ne faisons pas de suivi, nous ne pouvons pas faire de gestion.
La sénatrice Seidman : Vous avez donné un embryon de réponse à ma question, qui porte sur la transparence et la responsabilité associées à l'utilisation des fonds. De toute évidence, c'est très difficile parce que le gouvernement fédéral a conclu une série d'accords bilatéraux, et il sera fort probablement impossible d'atteindre l'objectif dont vous parlez, monsieur Smith, sur l'ensemble du territoire. Je vois mal comment nous parviendrons à établir une mesure qui sera applicable à toutes les régions.
Le premier obstacle est celui des champs de compétence provinciaux. Par contre, je sais que dans l'accord sur la santé — je parle de l'accord précédent, qui n'existe plus —, le gouvernement fédéral avait établi clairement que les résultats seraient mesurés en fonction des délais d'attente, comme vous l'avez indiqué.
Je comprends que pour faire une planification, il faut du financement durable, autant dans le secteur des services de soins à domicile que dans celui de la santé mentale, et je comprends l'état d'urgence dans les deux cas. Nous lisons des articles à ce sujet tous les jours dans les journaux. Le week-end dernier, j'ai lu dans la Montreal Gazette que même les universités traversaient une terrible crise à cause de la pénurie des services pour les étudiants souffrant de graves problèmes de dépression et de désespoir, ou qui ont des tendances suicidaires.
Devant tant de failles dans l'appareil, comment pouvons-nous garantir que l'argent que nous investirons dans ces deux portefeuilles sera vraiment utilisé pour financer ces services? Quelles garanties de transparence et de responsabilité pourrons-nous donner aux Canadiens, et comment saurons-nous que l'offre de services répond aux objectifs?
M. Smith : Quand la ministre Philpott a tenté d'obtenir un accord sur la santé lors de la première réunion des ministres de la Santé à Toronto, nous y étions tous, l'Association médicale canadienne, l'Association canadienne de soins et services à domicile, l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, et j'en passe. Toutes les associations nationales tenaient le même discours : les provinces doivent rendre des comptes. Un psychologue vous dira que le meilleur facteur prédictif d'un comportement futur est le comportement passé. Les transferts en santé ont augmenté de 6 p. 100 en 12 ans au Canada, mais l'argent ne s'est pas rendu jusqu'aux réseaux de soins de santé à domicile et de santé mentale. Il est même permis de penser qu'une partie n'a jamais atteint le système de santé.
Notre credo, c'est que l'argent vous appartient, et que vous devez être audacieux. Je sais que c'est plus facile à dire qu'à faire, mais n'abandonnez pas la partie. Il existe des précédents et les Canadiens ont besoin de savoir que cette responsabilité est exigée. Le marché est le suivant : si vous ne prouvez pas que vous faites des mesures et que vous respectez les normes, vous ne recevrez pas d'autre argent.
Mme Clement : J'ai également dit dans ma réponse précédente qu'il fallait exiger un plan d'action des provinces, ce qui pourrait aller de pair avec ce dont parle M. Smith. Il faut prévoir des variations entre les provinces. La solution ne peut pas être la même partout parce que les besoins sont très différents, mais il faut que les provinces indiquent comment elles entendent utiliser les fonds et que le fédéral détermine comment il fera le suivi.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d'être ici aujourd'hui et de répondre à nos questions.
Monsieur Smith, le modèle de soins à niveaux dont vous avez parlé m'intéresse beaucoup. J'ai lu dans vos notes que le deuxième niveau est celui des interventions communautaires structurées, mais je ne sais pas à quoi correspond le premier.
M. Smith : J'ai coprésidé la Stratégie nationale sur le traitement.
La sénatrice Raine : Je ne sais pas de quoi il s'agit.
M. Smith : Essentiellement, nous avons analysé les modèles à niveaux dans différentes administrations. Nous avons constaté que le modèle du Royaume-Uni a quatre niveaux, de sorte que notre deuxième niveau correspond à leur premier.
Du point de vue du Canada, nous avons observé que leur modèle ne tient pas compte des services fournis gracieusement et qui mobilisent des bénévoles. Dans le cas des anciens combattants, cette aide vient des légions et d'autres groupes de soutien. Les personnes qui souffrent de dépendances peuvent s'adresser à un organisme comme la National Alliance for Action on Alcohol. Bref, le premier niveau est celui des interventions qui ne coûtent pas un sou au réseau public.
La sénatrice Raine : C'est très sensé.
Je suis inquiète quand je pense à la panoplie de problèmes auxquels notre société doit déjà faire face sur le plan de la santé mentale et à ce qui nous attend avec les jeux en ligne et leurs effets sur les enfants, la hausse des cas de TDAH et je ne sais quoi. Je pense que nous devrions nous servir des premier et deuxième niveaux pour faire de la prévention en santé mentale. Est-ce que votre association y travaille déjà?
M. Smith : Oui, nous y travaillons. C'est un travail énorme. Dans certaines provinces, les efforts sont exclusivement, ou presque, concentrés sur la promotion de la santé mentale et la prévention de la maladie. Où les enfants passent-ils le plus clair de leur temps? À l'école. Ils peuvent faire des apprentissages sur les plans social et affectif. Il y a tant à faire, et j'essaie de faire de l'ordre dans tout cela. Les preuves existent. Nous avons des exemples inspirants partout au pays, mais il n'y a pas de norme.
Il faut intervenir en amont, arrêter d'attendre le quatrième niveau. Au contraire des autres pays du G7, nous nous entêtons à dire aux patients en santé mentale qu'ils doivent attendre que leur cancer ait atteint le stade 4 avant de recevoir des traitements. S'ils remplissent les critères d'admission au stade 4, on leur donne un lit dans un établissement psychiatrique. Nous ignorons les besoins initiaux et nous ne faisons pas de prévention. La promotion de la santé mentale et la prévention sont des composantes majeures du continuum.
La sénatrice Raine : J'ai une autre question.
Le président : Est-elle liée à la première?
La sénatrice Raine : Oui.
Avez-vous l'intention d'utiliser une partie des nouveaux fonds pour favoriser les échanges sur les meilleures pratiques de prévention à l'échelle nationale?
M. Smith : Ce serait une bonne idée.
[Français]
La sénatrice Mégie : Je vous remercie de votre exposé. Je vais poser mes deux questions en français.
Y a-t-il un budget distinct consacré aux soins palliatifs et aux soins à domicile? Parce que, dans tout ce que je lis, il est question de soins à domicile et de soins palliatifs. Je sais que les deux volets ont besoin d'un financement important. Les soins à domicile et les soins palliatifs font-ils partie d'un seul budget?
[Traduction]
Mme Clement : La structure donne l'impression que c'est une seule et même chose, qu'il n'y a pas de distinction entre les soins palliatifs et les soins à domicile. Tous les besoins liés aux soins à domicile sont regroupés. C'est la façon dont nous avons envisagé les solutions et les demandes, parce que quand les personnes avancent en âge et souhaitent rester chez elles, la demande pour des services en soins palliatifs de fin de vie augmente beaucoup, que ce soit à cause du vieillissement ou d'une maladie. C'est pourquoi nous envisageons les services dans leur ensemble, comme faisant partie d'un continuum aux fins du financement.
[Français]
La sénatrice Mégie : De là vient ma deuxième question. Lors du transfert des budgets, disposez-vous d'un plan avec des indicateurs de résultats? Il faut savoir que, dans le cadre de la reddition de comptes, les provinces doivent indiquer si elles ont atteint 1, 2, 3 ou 4 dans un laps de temps donné, en six mois, en un an ou en cinq ans. Si on mêle les deux, à mon avis, cela compliquera le travail pour ce qui est des indicateurs de résultats. Avez-vous reçu un plan du gouvernement fédéral avec le financement?
[Traduction]
Mme Clement : L'Association canadienne de soins et services à domicile ne reçoit pas de financement. L'aide va aux ministères provinciaux. Notre association n'a donc pas son mot à dire sur la planification ou les indicateurs que les provinces choisissent après avoir reçu le financement. C'est pour cette raison qu'il est si difficile pour nous d'obtenir l'information dont nous avons besoin.
Ma proposition de consacrer la première année à l'établissement d'un plan concret pour les 10 prochaines années donnerait une belle occasion au gouvernement fédéral de faire de la surveillance et du suivi, et de mieux comprendre comment l'argent est utilisé pour satisfaire aux besoins et aux demandes qui émergent actuellement et qui iront grandissants, y inclus les services de soins palliatifs et les soins et services d'aide à domicile en général.
Le président : Nous avons abordé plusieurs questions. Je vous propose de faire une petite synthèse.
Premièrement, je ne vois rien dans la section à l'étude, dans le document que j'ai sous les yeux, qui suggère que le financement sera permanent, et pourtant il semble s'inscrire dans une stratégie à long terme. Est-ce que je fais la même lecture que vous?
J'imagine que le cœur de la discussion, et vous l'avez évoqué à quelques reprises dans vos questions, concerne les composantes requises pour donner une structure à un plan et à du financement à long terme. Je crois que nous avons bien compris quels sont les problèmes.
Il reste donc à voir si les provinces pourront gérer les octrois avec le sérieux requis si on ne leur donne pas d'indication d'un engagement à long terme.
Supposons que dans une province, des associations comme les vôtres essaient de faire valoir qu'il faut établir des indicateurs. Il faudra des ressources, mais rien n'indique que l'aide financière sera permanente. Apparemment, on prévoit une stratégie ou quelque chose du genre qui sera en place pour une certaine période, mais, si le financement ne suit pas, ce serait une stratégie sans aucune utilité pour vos deux secteurs.
Je veux m'assurer que vous et moi avons fait la même lecture.
Je pense que vous nous avez très bien expliqué la question des indicateurs. Nous prenons note de vos arguments concernant la nécessité de répartir l'aide en fonction des besoins de la population des provinces. Le projet de loi ne traite pas précisément de ce sujet, mais c'est clairement une observation qui vaut pour beaucoup de domaines puisqu'elle porte sur la prise en compte de la composition démographique d'une province aux fins du financement.
C'est une question que nous avons analysée dans le cadre de notre étude sur la démence. Et bien entendu, dans le dossier de l'aide médicale à mourir, nous avons parlé des soins palliatifs et d'autres sujets connexes.
Si je comprends bien ce que vous avez dit au sujet des soins à domicile, madame Clement, vous considérez que cela englobe l'étape des soins palliatifs à domicile, là où ils existent. Nous savons qu'il y a d'autres établissements qui dispensent des soins palliatifs, mais ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est la prestation des soins à domicile.
Je pense que vous avez exposé très clairement vos arguments, monsieur Smith, en ce qui concerne la situation à laquelle vous êtes confronté. Mme Clement nous a dit que la somme s'élèverait à 200 millions de dollars à l'Île-du- Prince-Édouard, mais, en ce qui vous concerne, elle est ramenée à 500 000 $. Considérant les problèmes que vous avez mentionnés, cette somme vous permettrait à peine de mettre sur pied un groupe de discussion pour dresser un plan d'action sérieux.
Il sera intéressant de voir ce que vous aurez constaté à l'échelle de la province pour guider les investissements futurs dans ce domaine.
Cela étant, et comme il n'y a pas d'autres questions, je vais suspendre la séance pendant quelques instants avant d'accueillir les témoins suivants.
Nous vous remercions de nous avoir présenté cette problématique de manière très claire et très précise. Je regrette, monsieur Smith, que nous ne puissions pas porter au palier supérieur cette question que vous avez si bien identifiée.
Merci beaucoup.
Nous sommes maintenant très heureux d'accueillir des représentants de deux ministères importants pour cette section. Il s'agit, pour Santé Canada, de Jocelyne Voisin, directrice exécutive, Secrétariat de l'Accord sur la santé, Bureau du sous-ministre adjoint, Direction générale de la politique stratégique, et de Marcel Saulnier, sous-ministre adjoint associé, Direction des stratégies de soins de santé, Direction générale de la politique stratégique.
Nous avons aussi un représentant de Finances Canada, Omar Rajabali, chef du Transfert canadien en matière de santé (TCS) et du Transfert canadien en matière de programmes sociaux et politiques pour le Nord, de la Direction des relations fédérales-provinciales et de la politique sociale. Nous vous souhaitons la bienvenue devant notre comité. Je crois comprendre que Mme Voisin fera une déclaration liminaire, après quoi nous ouvrirons une période de questions qui permettra à mes collègues d'engager une discussion avec nos trois invités. Vous avez la parole, madame.
Jocelyne Voisin, directrice exécutive, Secrétariat de l'Accord sur la santé, Bureau du sous-ministre adjoint, Direction générale de la politique stratégique, Santé Canada : Merci beaucoup de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. Je vais vous donner un bref aperçu de la disposition législative dans le contexte du budget.
La partie 1 du chapitre 3 du budget de 2017 reflète l'engagement du gouvernement de collaborer avec les provinces et territoires pour renforcer le système de soins de santé afin de lui permettre de s'adapter, d'innover et de relever de nouveaux défis. Elle confirme l'offre déposée par le gouvernement fédéral le 19 décembre 2016 de fournir 11,5 milliards de dollars sur 10 ans pour financer les principales priorités d'un nouvel Accord sur la santé, dont 11 milliards sur 10 ans destinés directement aux provinces et territoires pour financer l'amélioration des services de santé mentale et des soins à domicile.
La partie 4 de la section 9 énonce les autorisations et conditions de versement des fonds pour la première année seulement, c'est-à-dire 2017-2018, sur la base de cet engagement de 11 milliards de dollars. Cet argent sera versé aux provinces et territoires à titre de premier versement immédiat pour les investissements à plus long terme en soins à domicile et en santé mentale. Cela comprend les 200 millions de dollars pour les services de soins à domicile et les 100 millions de dollars pour les services de santé mentale, l'argent étant réparti entre les provinces et les territoires en fonction de leur population, selon la formule présentée dans le projet de loi.
Comme l'indique la disposition pertinente du projet de loi, une province ou un territoire recevra sa part du financement si la ministre fédérale de la Santé indique au ministre des Finances d'ici au 15 décembre 2017 que cette province ou ce territoire a accepté la proposition de renforcement des soins de santé qu'a faite le gouvernement fédéral à la réunion de décembre 2016 des ministres des Finances et de la Santé.
Cette proposition de décembre reflétait une approche pancanadienne fondée sur l'engagement des provinces et des territoires de travailler avec le gouvernement fédéral sur la manière de mesurer les résultats de ce financement et sur la façon précise dont les fonds seront dépensés dans ces domaines.
Depuis lors, vous avez pu constater que pratiquement chaque province et territoire a accepté l'offre de financement du gouvernement fédéral; aujourd'hui, dans le cadre de discussions avec la ministre de la Santé et les hauts fonctionnaires fédéraux, nous entamons des négociations sur les politiques qui seront mises en œuvre avec ces investissements. L'objectif est d'élaborer une politique-cadre commune sur la manière dont les fonds seront investis et sur la manière dont on mesurera les améliorations et dont on présentera les résultats aux Canadiens. Cette politique- cadre commune servira de base à l'élaboration d'ententes bilatérales de versement des fonds pendant les neuf années restantes de l'engagement de 10 ans.
Certaines des questions dont nous discutons dans le contexte de cette politique-cadre sont précisément les questions dont viennent de parler M. Smith et Mme Clement, comme l'intégration des soins de santé primaires et des soins à domicile, l'amélioration des services de santé mentale pour les jeunes et le remplacement de la prestation de soins aigus en hôpital par une prestation de soins dans la communauté, autant dans le secteur de la santé mentale que dans celui des soins à domicile.
Je vais en rester là, monsieur le président, et je suis prête à répondre à vos questions.
Le président : Merci. Avant de donner la parole à mes collègues, je voudrais m'assurer d'avoir bien compris ce que vous venez de dire. Précisons d'abord les chiffres. Avez-vous bien parlé de 11 milliards de dollars sur un total de 10 ans?
Mme Voisin : Oui, c'est bien cela.
Le président : Avec une modeste somme de 300 millions de dollars cette année, cela veut dire qu'il pourrait y avoir plus de 1 milliard de dollars par an pour ces deux secteurs?
Mme Voisin : Oui. Il y a dans le budget un tableau des sommes prévues pour les cinq premières années, et je peux vous le résumer, si vous voulez.
Le président : Comme nous n'avons pas vu ce tableau, pourriez-vous en effet nous donner ces chiffres? Notre rôle n'est pas de les analyser dans les moindres détails, mais de nous faire une bonne idée de ce qu'a prévu le gouvernement. Nous savons qu'il y aura 300 millions de dollars en tout la première année.
Mme Voisin : Oui, 300 millions de dollars la première année, 850 millions la deuxième, 1,1 milliard la troisième, 1,25 milliard la quatrième, et 1,5 milliard la cinquième, pour un total de 5 milliards sur les cinq premières années.
Le président : Cela répond certainement à l'une des questions que j'ai posées aux témoins précédents et au sujet de laquelle vous vous étiez certainement dit : « J'ai la réponse à cette question. » Il y a là un incitatif très clair.
Voici maintenant le deuxième point que je voudrais éclaircir. Ai-je bien compris qu'il y a en ce moment même des discussions au sujet de la politique globale d'attribution des fonds pour les années à venir, et que les éléments dont nous avons entendu parler durant la première partie de cette séance font aussi l'objet de ces discussions?
Pour être très précis, je veux parler des indicateurs de reddition de comptes. Est-ce que le nombre d'habitants des provinces sera pris en considération pour attribuer les fonds? Je sais qu'il serait très facile de répartir les fonds en fonction du nombre d'habitants et qu'il serait très facile aux différents ministères des Finances de faire les calculs, mais il pourrait y avoir une complication du fait de l'évolution de la composition démographique des provinces et des territoires. Cela fait-il partie des discussions en cours?
Mme Voisin : Les discussions en cours portent essentiellement sur la manière dont les fonds seront dépensés dans les deux secteurs des soins à domicile et de la santé mentale. Toutes les provinces et tous les territoires qui ont déjà accepté l'offre du gouvernement ont accepté leur niveau de financement, et on ne discute donc pas d'une modification éventuelle de ce niveau. Il s'agit simplement de déterminer comment les provinces et les territoires dépenseront l'argent qui leur a été attribué et qu'ils ont accepté dans les communiqués de presse que vous avez vus.
Omar Rajabali, chef, Transfert canadien en matière de santé (TCS) et Transfert canadien en matière de programmes sociaux et politiques pour le Nord, Direction des relations fédérales-provinciales et de la politique sociale, ministère des Finances Canada : Juste pour étoffer la réponse de Jocelyne au sujet des 11 milliards de dollars, je dirai qu'en plus du tableau de cinq ans qui figure dans le budget, il y a aussi les chiffres du plan de 10 ans qui figurent dans les communiqués de presse des provinces et territoires qui ont accepté l'offre, chiffres qui reposent sur une répartition égale par habitant.
Le président : D'accord. C'était entendu dès le départ et ce n'est donc pas un sujet de discussion.
Mme Voisin : Non.
Le président : Vous m'avez donné les éclaircissements que je souhaitais obtenir parce que ces questions avaient été soulevées auparavant. Je vous en remercie et je vais maintenant donner la parole à mes collègues.
Le sénateur Eggleton : Je voudrais moi aussi avoir des précisions sur les chiffres. Il s'agit bien de 11,5 milliards de dollars sur 10 ans pour l'ensemble des soins à domicile et de la santé mentale, n'est-ce pas?
Mme Voisin : C'est 11 milliards de dollars qui sont versés directement aux provinces et territoires pour les soins à domicile et la santé mentale. Les 500 millions de dollars restants, ou plutôt 544 millions, pour être tout à fait précise, concernent les deux autres secteurs présentés comme des priorités dans l'Accord sur la santé, c'est-à-dire l'innovation et les médicaments. Cet argent ne sera pas versé directement aux provinces et aux territoires, mais servira à financer les efforts qu'ils déploient pour améliorer et renforcer les soins de santé.
Le sénateur Eggleton : Mme Clement, qui a témoigné au nom de l'Association canadienne de soins et services à domicile, a indiqué qu'il y a certaines provinces qui ont une plus grande population de personnes âgées, en particulier pour le volet des soins à domicile, et que c'est un facteur qu'il faudrait prendre en considération. Vous avez dit qu'on attribuera un montant égal par habitant, mais cela ne tiendra pas compte des provinces qui ont un plus grand nombre de personnes âgées et qui, de ce fait, n'obtiendront peut-être pas autant d'argent par habitant qu'elles en ont réellement besoin.
Marcel Saulnier, sous-ministre adjoint associé, Direction des stratégies de soins de santé, Direction générale de la politique stratégique, Santé Canada : Je peux répondre à cette question. Il est clair qu'il y a de nombreux facteurs qui influent sur les dépenses de santé dans des secteurs comme les soins à domicile et la santé mentale. Il est vrai que de nombreux clients des soins à domicile sont des personnes âgées. D'un autre côté, l'intention du gouvernement fédéral au sujet de la santé mentale est clairement de cibler les jeunes, ce qui veut dire qu'on pourrait avancer l'argument opposé pour la santé mentale. Je pense que si l'on prend les deux volets ensemble, on peut fort bien conclure qu'une répartition égale des fonds par habitant est probablement la solution la plus équitable.
Le sénateur Eggleton : Donc, les sommes ne sont pas attribuées séparément, d'un côté pour les soins à domicile et de l'autre pour la santé mentale? Elles sont réparties sur la même base d'un montant égal par habitant, et il n'y a pas d'enveloppe séparée pour la santé mentale des jeunes?
M. Saulnier : Les sommes pour la santé mentale et pour les soins à domicile sont déterminées séparément. Pour ce qui est de la manière dont elles seront transférées aux provinces, je laisse mon collègue des Finances répondre à cette question.
Je dirai simplement qu'au sujet de la santé mentale, la ministre fédérale, Mme Philpott, a clairement indiqué qu'elle souhaite que cet argent serve à financer les initiatives provinciales concernant en particulier la santé mentale des jeunes.
Nous verrons plus tard, à mesure que nous travaillerons avec les provinces, quelles sortes d'initiatives elles proposeront et à quels types de projets elles consacreront cet argent.
Le sénateur Eggleton : Puis-je poser une question connexe? Certains services de santé mentale ne sont pas dispensés dans le système de santé à financement public. Je parle des services de psychologues, de travailleurs sociaux, de travailleurs spécialisés dans le soutien par les pairs, de conseillers en toxicomanie, et cetera. Cela figurait d'ailleurs dans le mémoire de M. Smith. Le gouvernement fédéral a-t-il l'intention de déployer des efforts pour intégrer ce genre de services dans le système à financement public? Ce sont tous des services essentiels pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale.
M. Saulnier : Considérant la position énoncée par le gouvernement dans le budget et les déclarations faites ensuite par la ministre, il est tout à fait clair que notre intention est de répondre aux besoins non satisfaits des jeunes ayant des problèmes de santé mentale. Selon certaines statistiques, il y aurait jusqu'à 500 000 jeunes souffrant de problèmes de santé mentale dont les besoins pourraient être satisfaits au moyen des 5 milliards de dollars sur 10 ans. Cela suppose qu'il y aurait des intervenants pouvant fournir des services de thérapie cognitive et comportementale et d'autres services-conseils pour cette population. Je pense que, par définition, cela suppose aussi que ces intervenants et ces communautés dispenseront leurs services dans le système à financement public. Reste à savoir dans quelle mesure les provinces voudront s'engager dans cette voie et jusqu'où elles seront prêtes à aller; cela, nous le saurons après l'achèvement des négociations en cours.
Le sénateur Dean : Je vous remercie beaucoup d'être venus témoigner et de tout le travail que vous faites. J'aime toujours voir à la même table les gens qui formulent les politiques et ceux qui s'occupent des finances, car la question que je veux poser maintenant porte sur les deux aspects.
L'injection de nouveaux dollars dans des services sociaux essentiels est toujours bienvenue, et je l'approuve sans réserve. Toutefois, les témoins qui nous ont précédés ont souligné que l'innovation et la transformation sont également importantes, et vous y avez aussi fait allusion. Nous avons entendu parler d'approches intégrées, de soins adaptés au milieu et d'intervention précoce, car cela évite souvent aux gens d'avoir plus tard recours à des services plus dispendieux. Ce sont toutes des choses souhaitables, que l'on voudrait faire même en l'absence de nouveaux budgets.
Vous parlez d'innovation et de transformation et de ce que le gouvernement peut faire dans chacun de ces domaines, au lieu de fournir de l'argent comme incitatif, mais êtes-vous en train de préparer des politiques pour appuyer les fournisseurs de services dans ces nouveaux modèles de prestation intégrés? Que font vos ministères pour stimuler la transformation sur le terrain, à part donner de l'argent?
Mme Voisin : Dans le cadre de nos discussions avec les provinces et les territoires en vue d'élaborer ces ententes bilatérales et de déterminer comment l'argent sera dépensé, nous mettons l'accent sur les initiatives qui permettront de transférer la prestation de soins dans le contexte hospitalier dispendieux vers la prestation de soins dans la communauté, pour les soins à domicile et les soins de santé mentale — ce que nos interlocuteurs apprécient parce que c'est dans cette voie qu'ils s'orientent eux aussi —, afin de trouver des modèles innovateurs à l'intention des jeunes, comme dans le cas de la création de guichets uniques auxquels les jeunes pourraient s'adresser pour obtenir toutes sortes de services de santé mentale.
Santé Canada cherche également d'autres méthodes pour appuyer l'innovation et la transformation. Je vais m'arrête là pour laisser la parole aux autres.
M. Saulnier : J'aimerais ajouter que la compilation de renseignements et la mesure du rendement sont de puissants facteurs de changement, et c'est pourquoi elles sont tellement prédominantes dans nos discussions avec les provinces sur les investissements en santé mentale et en soins à domicile. Comme l'ont dit les témoins précédents, si vous parvenez à identifier et à mesurer les initiatives qui contribuent le plus à la transformation, cela permettra à tout le monde d'analyser ces résultats par rapport à ces indicateurs et de viser de plus en plus haut chaque année, ce qui peut être extrêmement efficace pour stimuler l'amélioration.
Afin de faciliter ce processus, on a prévu dans le budget, pour les 544 millions de dollars dont parlait Jocelyne, des crédits pour l'Institut canadien d'information sur la santé, pour qu'il investisse dans la collecte de données et la production de rapports sur les services de santé mentale et les soins à domicile, ainsi que pour la Fondation canadienne pour l'amélioration des soins de santé, qui est un organisme national œuvrant avec les provinces et les autorités régionales à la réalisation de projets visant à améliorer la qualité et l'accessibilité des soins. Il y a aussi un investissement de 300 millions de dollars dans Inforoute Santé du Canada, qui est l'organisme chargé d'accélérer la généralisation des technologies numériques dans le pays.
Il s'agit là d'investissements et de moyens visant à mobiliser les acteurs et les intervenants de terrain à l'égard de certains aspects particuliers de l'amélioration des services de santé, et ce sont des éléments importants de notre stratégie globale d'amélioration des soins de santé.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, madame Voisin. Ce que vous venez de dire me rappelle les déclarations d'un groupe de témoins précédent concernant les questions de transparence et de reddition de comptes.
Vous avez parlé d'élaborer une politique-cadre qui pourrait comprendre des normes communes et des indicateurs de rendement, si j'ai bien compris ce que vous avez dit. Cette politique-cadre aura-t-elle une portée nationale ou non? Je vous demande cela parce que le gouvernement négocie actuellement des ententes bilatérales. Comment cette politique pourra-t-elle garantir ce que demandait M. Smith, c'est-à-dire une amélioration à l'échelle de tout le pays?
Mme Voisin : Les discussions que nous avons actuellement avec les provinces visent à définir des engagements pancanadiens afin que toutes les provinces et tous les territoires s'entendent sur ce que devraient être les priorités en matière de santé mentale, par exemple. Autrement dit, pouvons-nous tous nous entendre pour que l'investissement en santé mentale soit axé en priorité sur les jeunes? Quelles devraient être les priorités en matière de soins à domicile? Allons-nous tous viser en priorité l'intégration des soins primaires, par exemple?
Nous savons que chaque province ou territoire a ses propres priorités, mais beaucoup s'orientent déjà dans cette voie. Voilà le genre de discussions que nous avons en ce moment. Les négociations sont en cours.
Notre ministre a très clairement indiqué qu'elle s'attend à ce que ces investissements produisent des résultats concrets. Notre objectif est que les provinces et les territoires s'entendent sur des indicateurs communs pour mesurer les progrès réalisés dans certains domaines. Évidemment, tout cela dépendra en dernière analyse de l'aboutissement des négociations que nous avons entamées. Nous savons que les provinces et les territoires communiquent déjà leurs résultats à l'ICIS, dont parlait Marcel. Nous voulons maintenant améliorer cette collecte d'informations de façon à obtenir des rapports encore plus précis sur les progrès réalisés avec ces investissements.
Ces indicateurs de rendement seront identifiés dans les ententes bilatérales. Nous aurons à terme une entente bilatérale avec chaque province et territoire concernant le versement des fonds pendant les neuf années restantes. On précisera dans chacune de ces ententes la manière dont l'argent sera dépensé et les rapports qu'il faudra produire.
M. Saulnier : Permettez-moi d'ajouter, peut-être pour éviter tout malentendu, parce qu'on a souvent entendu dire qu'il y avait déjà des ententes bilatérales en vigueur, que, comme le disait Jo, il y a un accord entre les deux paliers de gouvernement au sujet des niveaux de financement. C'est ce qu'indiquaient les communiqués de presse que nous avons vus plus tôt cette année. C'est ce que certaines personnes appellent des ententes bilatérales.
Toutefois, en ce qui nous concerne et pour ce qui est de l'avenir, nous essayons actuellement de négocier des ententes sur cette politique-cadre commune d'où découleront des ententes bilatérales plus détaillées entre les deux paliers de gouvernement. Ces ententes régiront le versement des fonds pendant les neuf années restantes. Dans notre esprit, ces ententes seront des ententes bilatérales plus détaillées que l'accord politique de financement qui a été conclu auparavant.
La sénatrice Seidman : Cette précision est vraiment utile.
Le président : Vous avez conclu un accord avec chaque province, au lieu de demander aux 10 de signer un accord commun?
M. Saulnier : C'est ça.
La sénatrice Seidman : C'est une information utile.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci. Pour ma propre gouverne, je voudrais savoir comment les provinces vont utiliser les 300 millions de dollars de cette année. Vous leur donnez une certaine somme par habitant, mais comment vont-elles la dépenser? Comment ont-elles décidé ce qu'elles feront de cet argent?
Mme Voisin : Cet argent sera versé une fois que le projet de loi C-44 aura reçu la sanction royale.
La sénatrice Stewart Olsen : Avant les ententes bilatérales?
Mme Voisin : Oui. Nous demandons aux provinces de nous donner une idée de ce qu'elles ont l'intention de faire de cet argent pendant les cinq premières années. Nous aurons ainsi une idée des programmes dans lesquels elles entendent investir l'argent la première année. Le gouvernement envisage cela comme un premier versement pour les services de santé mentale et les soins à domicile.
La sénatrice Stewart Olsen : Je sais, mais comment allez-vous vous assurer que l'argent que vous leur donnez y est vraiment consacré, tant que vous n'avez pas encore signé d'ententes? Vous n'avez pas encore d'ententes garantissant que les provinces et les territoires vont s'en servir pour renforcer la Loi canadienne sur la santé. Vous comprenez ce qui m'inquiète?
M. Saulnier : Je vais essayer de vous répondre. Le projet de loi donnera à la ministre fédérale le pouvoir de signaler au ministre des Finances que telle ou telle province a accepté l'offre fédérale de décembre 2016, ou que toutes les provinces l'ont acceptée. Selon le projet de loi, c'est cela qui déclenchera le paiement et qui assurera, en bref, la reddition de comptes la première année. Nous savons que les provinces commencent déjà à dépenser l'argent et que l'année budgétaire a commencé, mais nous devons attendre que le projet de loi ait été adopté par le Parlement. Une fois que les provinces auront signé l'accord-cadre, on pourra débloquer les fonds de cette année.
Nous tenons pour acquis que les provinces feront exactement ce qu'elles ont dit qu'elles feraient dans les communiqués de presse annonçant qu'elles acceptaient l'offre fédérale. Comme l'a dit Jo, nous commençons à discuter avec elles de leurs ententes bilatérales, et nous attendons de voir leurs plans de dépenses sur cinq ans, qui comprendront leurs projets pour la première année.
Le président : Je veux m'assurer que nous comprenons bien le processus. Dès que le projet de loi aura reçu la sanction royale, vous commencerez à faire les premiers versements et les provinces vous auront dit comment elles dépenseront cet argent pendant l'exercice budgétaire en cours.
En fait, la raison pour laquelle on vous pose cette question sur la reddition de comptes et la mesure du rendement est que, comme l'on dit les témoins qui vous ont précédés, on craint parfois que les sommes destinées au secteur de la santé ne soient consacrées à autre chose, comme la construction de routes, par exemple.
Nous voulons être sûrs que ce ne sera pas le cas parce que, comme vous l'avez dit, les ententes concernant la reddition de comptes et la production de rapports sur les résultats n'ont pas encore été finalisées. Pour le moment, nous n'avons que des communiqués de presse et des éléments de langage, si je peux dire, au sujet de cet accord-cadre sur la santé et des ententes de financement bilatérales, qui comprendront des indicateurs de rendement et des mécanismes de reddition de comptes annuelle aux citoyens, ainsi qu'un plan détaillé sur la manière dont les fonds seront dépensés, et qui doivent s'ajouter aux programmes existants.
Nous concluons de cela que les provinces devront démontrer au gouvernement fédéral que l'argent qu'elles ont reçu a effectivement été consacré aux activités auxquelles elles avaient dit qu'il serait consacré, dans cet accord. Est-ce bien ça?
M. Saulnier : Oui, c'est bien ça.
Le président : Est-ce que les Finances sont du même avis?
M. Rajabali : Oui. Je pense que c'est également ce qui est précisé dans le budget.
Le président : C'est aussi dans ce document?
M. Rajabali : Oui, je crois que c'est dans le budget.
Le sénateur Eggleton : Vous parlez de reddition de comptes, mais, une fois que vous aurez donné l'argent, comment pouvez-vous empêcher que les provinces retirent des fonds équivalents des programmes existants, dans les mêmes secteurs, afin de consacrer l'argent à autre chose? Autrement dit, elles investiront peut-être dans ces secteurs l'argent que vous leur aurez donné, mais après en avoir retiré des sommes équivalentes pour les consacrer à autre chose. Comment pourrez-vous éviter cela?
M. Saulnier : Dans nos discussions au sujet de ces ententes bilatérales, nous leur demanderons ce qu'elles ont l'intention de faire de cet argent et qu'elles ne font pas déjà. Il pourrait s'agir d'améliorer des programmes existants ou de créer de nouveaux programmes pour atteindre les buts énoncés dans les ententes. Il y avait dans les communiqués de presse un critère selon lequel il est entendu que cet argent doit s'ajouter aux programmes existants, et ne pas les remplacer.
M. Rajabali : Vous pourriez poser la même question au sujet de n'importe quel type de programme pour lequel le gouvernement fédéral verse des fonds aux provinces et aux territoires. Je pense que ce que Marcel et Jo voulaient dire, c'est qu'il devrait y avoir une augmentation marginale des investissements dans les programmes concernés, et je pense qu'il y aura aussi des indicateurs à ce sujet.
Le sénateur Eggleton : D'accord.
Le président : Nous comprenons bien votre réponse. La question que posait le sénateur Eggleton était de savoir comment vous pourrez être certains, avec les indicateurs que vous aurez élaborés, que cela ne se produira pas. Nous savons qu'il était très difficile de s'en assurer dans le passé. Cela dit, il est vrai que l'on n'avait pas toujours indiqué aussi clairement que les sommes versées devraient être utilisées en plus de celles qui étaient déjà consacrées aux programmes existants, mais ce jeu de transfert d'argent d'une enveloppe dans une autre est toujours une préoccupation.
Considérant vos réponses et votre assurance que les choses se feront comme prévu, et sur la base des études que nous avons faites dans plusieurs secteurs de la santé, nous serions très heureux que cette tranche de financement soit effectivement utilisée dans le cadre d'une stratégie bien formulée, avec des règles claires et des indicateurs de reddition de comptes vous donnant l'assurance que tout se fait comme prévu.
Nous savons par exemple, selon certains rapports, qu'il y a eu des changements très intéressants au chapitre des délais d'attente grâce à la trentaine de milliards de dollars qu'un gouvernement précédent avait fournis dans le but précis de les réduire, et que certains hôpitaux avaient trouvé des solutions créatives pour atteindre cet objectif.
Nous savons aussi que, dans la plupart des cas, selon les rapports que j'ai vus, les délais d'attente n'ont généralement pas diminué et ont plutôt recommencé à augmenter une fois qu'on a fait les comptes.
Voilà le problème qui se pose chaque fois qu'on transfère de grosses sommes sans préciser clairement au préalable comment l'argent devra être dépensé. Dans ce cas, l'argent avait pourtant été versé aux provinces pour résoudre ce problème. Je suis donc encouragé de voir que cette fois, l'argent sera versé pour atteindre des objectifs très précis, et qu'on adopte une méthode de financement ciblé. Je suis aussi encouragé par les déclarations qui ont été faites à ce sujet et je le serai encore plus dans trois ou quatre ans quand vous pourrez nous démontrer, à l'aide de vos indicateurs, qu'il y a une bonne reddition de comptes et que les sommes ont effectivement été consacrées à l'amélioration de la situation pour les Canadiens, dans les secteurs auxquels elles étaient destinées.
Considérant les travaux antérieurs de notre comité, nous savons que ces deux secteurs sont des secteurs critiques dans lesquels il faut investir davantage. Plusieurs de nos études nous ont prouvé que les soins à domicile sont un enjeu important à l'heure actuelle. Par exemple, nous avons montré dans notre rapport sur la démence que c'est un enjeu important du point de vue de la prestation de soins individuels. Les intervenants font de leur mieux, comme l'on dit les témoins qui vous ont précédés, pour que les gens puissent être aidés à domicile ou au moins dans leur collectivité.
Je trouve donc très encourageant que cette problématique ait été clairement identifiée; nous espérons que vous pourrez produire des indicateurs pour mesurer les résultats réels, et que les sommes seront versées dans le cadre d'une vraie stratégie à long terme que vous pourrez mettre en œuvre.
Cela dit, je vous remercie d'être venus témoigner devant notre comité. Nous allons maintenant nous réunir à huis clos pour donner à nos analystes des instructions de rédaction au sujet de cette section.
(La séance se poursuit à huis clos.)