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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 38 - Témoignages du 21 mars 2018


OTTAWA, le mercredi 21 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 19, afin de poursuivre son examen des questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général (sujet : le mandat d’adoption au Canada après la guerre pour les mères célibataires.)

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Art Eggleton, président du comité, et je demanderai à mes collègues de se présenter.

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec, vice-présidente du comité.

Le sénateur Dean : Tony Dean, je représente l’Ontario.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, je viens de Montréal, au Québec, et je suis vice-présidente du comité.

[Français]

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le président : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’adoption forcée dans le Canada de l’après-guerre pour les mères célibataires. C’est notre deuxième séance sur le sujet. Hier soir, nous avons entendu des mères et des représentantes d’organisations, de même que des enfants adoptés. Aujourd’hui, nous nous tournons vers l’Australie, parce que l’Australie a vécu la même expérience nous. Le rapport que j’ai sous les yeux a été produit par le Comité de référence des affaires communautaires et porte sur les adoptions forcées et les pratiques politiques. Il date de février 2012. C’est donc avec plaisir que je souhaite la bienvenue à la présidente de ce comité, par vidéoconférence, bien sûr, la sénatrice Rachel Siewert.

Je vous souhaite un bon début de journée, sénatrice, puisque c’est le matin du 22 mars chez vous, si je ne me trompe pas. Ici, nous sommes le 21 mars, en après-midi. Je crois comprendre que c’est un jour spécial pour ce rapport et les excuses qui ont été présentées par la suite, donc nous profitons de l’occasion de vous accueillir parmi nous. Pouvez-vous nous présenter votre exposé, s’il vous plaît?

Sénatrice Rachel Siewert, présidente, Comité de référence des affaires communautaires pour l’enquête sur les adoptions forcées, Sénat de l’Australie : Certainement. Merci. Cette enquête était très importante pour nous. Vous avez bien raison, c’est déjà le 22 mars chez nous, et nous soulignions hier, le 21 mars, le cinquième anniversaire des excuses qui ont été présentées. Certaines des recommandations contenues dans notre rapport ont été suivies, mais beaucoup sont restées lettre morte.

Je ne vous présenterai pas de long exposé ce matin, puisque vous avez reçu notre rapport. Je me contenterai de vous dire pour l’instant que certaines recommandations ont été mises en œuvre et d’autres pas. Je parlais avec une personne adoptée hier, qui m’expliquait les problèmes qui persistent pour les mères, les pères et, particulièrement, les enfants adoptés. Ils commencent d’ailleurs à vieillir, eux aussi, et il y a beaucoup de choses qu’ils souhaiteraient voir réglées.

Par exemple, vous verrez qu’on parle beaucoup dans notre rapport de l’accès aux archives, un problème qui n’est toujours pas réglé dans ce pays, dans bien des États, et qui afflige bien des mères et des familles.

Pour ce qui est des certificats de naissance, vous verrez qu’en Australie, les certificats de naissance des personnes adoptées ont été modifiés de sorte que ce soient les noms des parents adoptifs qui figurent sur les certificats de naissance. Il y a un grand désarroi attribuable au fait qu’il soit si difficile de trouver le certificat de naissance original de l’enfant adopté ou de faire modifier son certificat de naissance. Ils ont aussi du mal à avoir accès aux archives. Certains documents ne sont pas accessibles; certains ont été détruits.

De manière plus générale, les personnes adoptées souhaiteraient avoir accès à des services d’analyse de l’ADN, par exemple, et bien des gens déplorent grandement la qualité du suivi psychologique, l’accès déficient à des consultations et l’absence de mesures réparatrices, qui perdure. Ce sont-là les grandes questions en suspens.

Je vous redonne donc la parole. Je serai très heureuse de répondre à vos questions, si je peux y répondre immédiatement, faute de quoi j’en prendrai note.

Le président : Je peux peut-être commencer, après quoi je donnerai la parole aux vice-présidentes.

J’essaie de déterminer à quel point votre situation est similaire à la nôtre. Au Canada, bien sûr, il y a des provinces. Vous avez des États. Nous avions diverses entités, dont les maisons maternelles dirigées par les églises, qui faisaient partie du mandat d’adoption, comme on l’appelle. Est-ce la même chose chez vous? Les églises ont-elles participé à tout cela, de même qu’aux excuses et à tout ce qui a suivi votre rapport?

Qu’en est-il des États? Coopèrent-ils bien avec vous? Participez-vous à l’élaboration d’un cadre national destiné à guider votre gouvernement et les gouvernements d’État dans ce domaine?

Mme Siewert : Je répondrai d’abord à votre première question sur les institutions religieuses. Effectivement, elles ont beaucoup participé à tout cela. Beaucoup d’entre elles se sont excusées séparément, en plus d’avoir participé aux excuses officielles. Il y a encore beaucoup de mauvais sentiments chez les mères touchées, de même que chez certaines personnes adoptées. Certaines femmes ne veulent plus rien savoir de ces institutions. Dans une minute, je vous parlerai du cadre général concernant toutes sortes d’autres choses survenues en même temps, parce qu’elles sont interreliées.

Certaines des mères et des personnes adoptées ne veulent rien savoir des églises, donc même si elles offrent des services de soutien et des consultations psychologiques, elles n’en veulent pas. Elles préfèrent utiliser d’autres formes de services indépendants.

De même, à l’époque des adoptions forcées, beaucoup d’enfants migrants arrivaient en Australie depuis le Royaume-Uni; ils ont eux aussi beaucoup souffert dans ces institutions. Des excuses ont donc aussi été présentées aux Australiens oubliés, à ceux qui ont été placés en institution enfants, ainsi qu’aux anciens enfants migrants. Il y a beaucoup de problèmes qui découlent de cela. Vous savez probablement qu’il y a eu une commission royale sur l’exploitation sexuelle des enfants en institution, qui a déposé un énorme rapport à la fin de l’année dernière. Il y aura d’ailleurs des excuses officielles qui seront présentées à ces personnes. On vient tout juste de constituer un comité, auquel je siégerai, pour préparer ces excuses. Ce sont donc autant de problèmes qui persistent. Bien sûr, il y a également des excuses qui ont aussi été présentées aux générations volées de nos premiers peuples.

Ces trois grands enjeux sont très liés. Les mêmes institutions ont participé à toutes ces situations, si bien qu’il soit parfois difficile de distinguer l’un de l’autre, compte tenu de l’étendue des problèmes en cause. Je pense que vous avez connu des situations très semblables, de sorte que les relations avec les églises et les organisations religieuses ne sont pas très bonnes, mais la plupart d’entre elles essaient de faire amende honorable et d’offrir leur soutien.

Pour ce qui est des États, effectivement, c’est assez semblable à ce qui se passe chez vous. Chacun des États est maître de ses propres lois en matière d’adoption. Je reviendrai dans un instant aux lois sur l’adoption. Nous avons également deux territoires, soit le Territoire du Nord et l’ACT (le territoire de la capitale de l’Australie), qui relève davantage du Commonwealth et donc, que le Commonwealth a davantage le pouvoir d’influencer sur le plan des règles. Chacun a aussi son propre parlement, mais la relation que nous entretenons avec eux est un peu différente.

Pour ce qui est des lois sur l’adoption, le Commonwealth s’est appliqué, dans les années 1960, à établir une loi modèle en matière d’adoption, et c’est la raison pour laquelle nous sommes nombreux à estimer qu’il a une part de responsabilité directe dans ce dossier.

Cela dit, le Commonwealth ne peut pas forcer les États à adopter sa loi modèle, bien que la plupart des États l’aient fait. L’adoption redevient un énorme enjeu en Australie. Je sais que vous avez lu notre rapport. Vous verrez que l’adoption s’est mise à ralentir vers la moitié des années 1970. Elle a atteint son apogée vers 1972-1973, après quoi elle a diminué avec l’arrivée de la sécurité sociale. Il y a actuellement tout un débat qui fait rage. En fait, aux nouvelles du matin, aujourd’hui l’un de nos ministres a évoqué l’idée de modifier les lois en matière d’adoption, ce qui équivaudrait à rouvrir une profonde blessure pour beaucoup de gens.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie infiniment d’être parmi nous si tôt pour vous aujourd’hui.

À la lecture du rapport, je vois qu’il y a un chapitre qui souligne l’importance des services de consultation et de soutien. Nous avons entendu des témoins, des mères en fait, nous dire hier qu’elles n’avaient pas eu accès à ce genre de service quand c’est arrivé ni même après.

J’aimerais que vous me disiez à quel point votre rapport et les excuses officielles ont été déterminants pour rectifier le tir, quel effet le rapport a eu pour que ce soutien leur soit offert, même si longtemps après, si tel est le cas.

Mme Siewert : Quand le gouvernement a présenté ses excuses, il a également annoncé un plan et un éventail de services. Il n’a pas annoncé de mesures réparatrices, mais il a surtout offert des services de consultation psychologique et de soutien.

Une grande partie de son plan consistait à former les psychologues afin qu’ils puissent offrir des services de consultation et de soutien aux personnes adoptées, mais encore plus particulièrement aux femmes à qui on a enlevé leur bébé. Je suis sûr que ce que les mères vous ont raconté hier ressemble beaucoup à ce que nous avons entendu. Il y avait toutes sortes d’histoires vraiment choquantes et horribles. Vous avez probablement entendu hier que ces événements ont influencé tout le cours de leur vie, et que les personnes adoptées en ont aussi souffert, comme leurs fils et leurs filles. Nous avions donc besoin de services de consultation psychologique pour les mères, les pères et les personnes adoptées.

Pendant les témoignages que nous avons recueillis, beaucoup de personnes ont dénoncé l’absence de services de consultation. Ceux qui ont consulté des psychologues ou d’autres professionnels se sont parfois fait dire de passer par-dessus, tout simplement. Il était assez évident que la profession ne comprenait pas la nature du choc subi par les mères qui ont perdu un enfant, en particulier, un choc qui se fait sentir toute la vie. Certaines d’entre elles n’ont jamais pu voir leur enfant. Vous connaissez les circonstances.

Les personnes qui ont été données en adoption croient parfois que leur mère ne les aimait pas, ce qui les marque elles aussi toute leur vie, même si elles sont heureuses dans leur famille adoptive, et c’est le cas de plusieurs. Beaucoup de personnes adoptées ont un sentiment de vide, même si elles ont pu bénéficier d’une bonne éducation et de parents adoptants aimants.

Je m’excuse, c’était une longue réponse. Le plan du gouvernement accordait du financement à l’Association des psychologues de l’Australie, pour la formation des psychologues et la création d’un programme spécial pour les psychologues.

C’est maintenant terminé, et beaucoup déplorent qu’il ne semble pas y avoir de programme permanent de formation et de promotion du manuel. Les psychologues ne sont pas tenus de lire le manuel produit. Les gens déplorent aussi qu’on n’ait pas octroyé plus de financement aux services de consultation. Ils critiquent aussi le financement octroyé aux services Link-Up et aux autres services de soutien offerts, notamment pour la recherche d’archives, un problème qui n’est toujours pas réglé. Ce programme se terminera dans deux ans. En fait, les gens avec qui je parlais hier me disaient qu’ils avaient besoin de financement à long terme pour ce genre de choses, afin qu’on puisse faire des analyses d’ADN, entre autres. J’ai donc entrepris de poser des questions à ce sujet au gouvernement.

Les gens me disent aussi qu’on ne peut pas guérir après quelques séances de consultation seulement. Ce genre d’événement marque la personne à vie, de sorte qu’elle doit avoir accès à du soutien toute sa vie.

Les gens soulignent aussi que, quand ils vieillissent — et c’est la même chose pour les anciens enfants migrants et les Australiens oubliés —, ils ont peur d’interagir de nouveau avec ces institutions, particulièrement avec les institutions religieuses, dont certaines offrent des services aux personnes âgées, particulièrement en résidence. C’est un autre problème à long terme sur lequel nous devons nous pencher. Nous ne voyons pas encore tout à fait comment nous réglerons le problème.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie infiniment d’être parmi nous aujourd’hui. C’est parfois très difficile d’échanger ainsi par vidéoconférence, mais nous vous sommes vraiment reconnaissants de nous permettre de discuter avec vous de votre expérience, comme nous étudions justement la question en ce moment.

Je remarque que votre rapport sénatorial contient 20 recommandations. Nous avons entendu que le gouvernement a accepté ces recommandations, mais j’aimerais savoir si toutes se sont ensuivies de lois ou de mesures concrètes. Dans la négative, pouvez-vous nous dire lesquelles n’ont pas été mises en œuvre et quelles difficultés particulières elles posent?

Le président : C’est une grande question.

Mme Siewert : De mon point de vue, non, les recommandations n’ont pas toutes été suivies. Certaines l’ont été entièrement. Par exemple, celle sur les services de consultation a été suivie en partie, mais pas entièrement. Celle sur les excuses a été mise en œuvre. Comme vous le savez, bon nombre de nos recommandations portaient sur ces excuses.

Je dois toutefois apporter une précision. En majorité, les gens se sont dits très contents des excuses qui ont été présentées. Le gouvernement l’a fait extrêmement bien et a su être inclusif. Il y a aussi un comité de référence qui a été constitué.

Comme vous le constaterez, le rapport a fait consensus au gouvernement, qui était dirigé par le Parti travailliste à l’époque, à la coalition, qui est une coalition libérale-nationale, et chez nous. Nous l’avons tous adopté, ce qui était important. Nous avons travaillé très fort pour que ce rapport fasse consensus.

Le gouvernement a créé un comité de référence chargé de le conseiller sur les excuses à présenter et son plan. Bien que nous n’ayons pas pu voir à l’avance le plan annoncé par le gouvernement à l’époque, nous avons pu lui faire beaucoup de propositions. Les trois principaux représentants des trois partis ayant participé à la rédaction du rapport faisaient partie du comité de référence. Il comprenait aussi des femmes ayant subi l’adoption forcée, qui se sont fait prendre leur bébé, comme il comprenait des personnes adoptées. Le gouvernement a intégré bon nombre de nos recommandations à ses excuses.

Le problème, c’est que juste après la présentation des excuses, il y a eu toute la polémique politique de la contestation de la première ministre, ce qui a jeté de l’ombre sur ces excuses dans les médias. Cela a beaucoup dérangé un grand groupe de personnes. Ces excuses elles-mêmes étaient très touchantes et comme je l’ai dit, très réfléchies; le gouvernement a payé pour que les gens puissent venir à Canberra entendre les excuses en personne, il a déployé beaucoup d’efforts en ce sens.

Ce volet s’est donc concrétisé. Comme je l’ai expliqué, je ne crois pas que les services de consultation aillent aussi loin que ce que nous recommandions. On a octroyé du financement aux services Link-Up pour aider les gens à retracer leurs documents.

Certains États ont réagi différemment aux recommandations. L’accès à l’information est meilleur dans certains États. Il y a toutefois bien des bébés qui ont été envoyés dans un autre État, ce qui complique les choses. Leurs dossiers se trouvent donc dans un autre État. Par exemple, certains bébés nés en Australie-Occidentale ont été envoyés dans les États de l’Est, ce qui complique la recherche d’archives.

La question des certificats de naissance n’est toujours pas résolue. Celle des lois en matière d’adoption non plus. Nous avons parlé de mesures de réparation et avons encouragé les États à en prendre. À ma connaissance, ils n’ont pas encore pris de mesures de ce type. En fait, il y a actuellement un problème, puisque le gouvernement est en train de mettre en place un régime de réparation pour les enfants qui ont subi de la violence sexuelle en institution. Il y a actuellement un projet de loi à ce sujet devant le Parlement. Nous sommes en plein milieu d’une enquête sur ce projet de loi.

Certains des enfants adoptés qui sont passés par ces institutions sont également touchés par ce problème. Vous savez probablement, si vous avez lu le rapport, que certains enfants ont passé toute leur enfance en institution. D’après les témoignages que nous avons recueillis, ils y ont également subi des violences. Ils seront donc fort probablement visés par ces mesures de réparation. Ils seront indemnisés pour cela, mais pour l’instant, il n’y a pas de mesure de réparation pour les enfants qui n’ont pas subi de violence sexuelle, mais qui ont subi d’autres types de violence en institution.

Il n’y a toutefois encore rien pour les personnes adoptées et les mères marquées à vie par ces événements, comme vous l’avez entendu et nous aussi.

Ce n’est pas uniforme. Malheureusement, il n’y a aucune obligation. Ce sont des recommandations. Le gouvernement y a répondu, et vous avez probablement vu la réponse du gouvernement, mais il n’y a pas de mécanisme contraignant, outre la pression publique et la pression que nous pouvons exercer par notre institution parlementaire et nos institutions d’État, pour que les gouvernements mettent ces recommandations en œuvre.

Je pense que je n’ai peut-être pas totalement répondu à la question précédente sur les États. L’Australie-Occidentale s’est excusée. La plupart des États ont depuis fait leurs excuses aux victimes par leur parlement aussi. En fait, l’Australie-Occidentale, qui est mon État de résidence, a présenté des excuses avant même le début de notre enquête.

Est-ce que cela répond à votre question?

La sénatrice Seidman : C’est un bon départ. Merci beaucoup.

J’aurais une dernière question à poser rapidement à ce sujet. La première recommandation visait à mettre en place un cadre national pour remédier aux conséquences des adoptions forcées. A-t-il été établi?

Mme Siewert : À mon avis, non.

La sénatrice Seidman : Merci.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie de votre exposé et de votre présence parmi nous. Je l’apprécie beaucoup.

J’ai quelques questions à poser. Premièrement, après la réponse du gouvernement en 2013, qui avait promis divers fonds, comment évaluez-vous l’effet des excuses présentées et du financement octroyés? De même, cette réponse est-elle été jugée satisfaisante par les personnes forcées à l’adoption?

Mme Siewert : Je dirais qu’elles acceptent ces excuses. L’émotion dans la pièce à ce moment-là était très intense. Il leur a fallu un peu de temps pour digérer tout cela, parce qu’elles travaillaient depuis si longtemps à porter cette question sur la place publique et qu’on les a ignorées longtemps. Donc, oui, je pense que ces excuses ont été acceptées.

Par contre, comme je l’ai dit, la commotion politique qui a suivi à peine quelques heures après a vraiment dérangé tout un groupe de personnes.

Mais oui, elles ont été acceptées. Concernant les services de soutien, bien des gens trouvent qu’ils répondent en partie aux besoins, mais qu’ils ne vont pas assez loin. Il y a un groupe de mères et de personnes adoptées qui m’appellent fréquemment, tout comme d’autres sénateurs, qui m’expriment leur frustration à l’égard des autres problèmes qui perdurent et pour lesquels elles ne reçoivent pas d’aide.

Ce que les gens au gouvernement et ailleurs diront n’a pas d’importance, mais s’il y a une chose qui est très importante pour les personnes adoptées, c’est le fait de ne pas pouvoir accéder à leur certificat de naissance original, ni faire inscrire les noms de leurs parents biologiques sur leur certificat. En gros, ils voient leur certificat de naissance comme un mensonge. S’ils y voient le nom de leurs parents adoptifs, ils considèrent que c’est un faux document, un mensonge. Ils ont donc aussi du mal à obtenir un passeport ou d’autres documents du genre. Pour certaines personnes, c’est tout un problème aussi.

Je dirais qu’il y a des problèmes qui demeurent, parce que les quatre grands aspects n’ont pas tous été réglés.

Est-ce que cela répond à votre question?

La sénatrice Poirier : Oui, merci.

À la recommandation 10, vous recommandez de demander une contribution financière aux gouvernements des États et des territoires et aux organisations qui ont participé au placement d’enfants de mères célibataires en adoption. « De plus, le financement requis pour offrir ces services est prescrit dans les deux recommandations précédentes. »

Est-ce que cela a été fait? Est-ce que le gouvernement a approuvé cette mesure? Est-ce qu’elle fonctionne bien?

Mme Siewert : Le gouvernement a fourni une aide financière dans sa réponse au comité et le plan qu’il a annoncé parallèlement à ses excuses. Cependant, le financement de certains services ne sera pas suffisant, et les lobbyistes essaient de voir s’il peut être augmenté.

Au cas par cas, certaines institutions offrent des services, mais je dirais qu’ils sont assez épars. Comme je l’ai déjà dit, bien des mères et des enfants adoptés ne veulent plus avoir affaire avec ces institutions. À ma connaissance, il n’y a pas vraiment d’autre mécanisme pour contribuer au financement d’un autre service que celui de ces institutions, pour venir en aide aux personnes touchées.

Cela varie donc beaucoup, d’après ce que je comprends. Bien entendu, chaque État agit de façon distincte, sans coordination, sauf si les organisations ont coordonné leurs activités.

Je dois également dire que l’attention des organisations était en grande partie tournée vers la commission royale, qui vient de terminer ses travaux sur les agressions sexuelles dont les enfants ont été victimes dans les établissements. Ces travaux ont beaucoup accaparé leur attention, particulièrement dans le cas des grandes organisations impliquées. Par exemple, l’Église catholique, l’Armée du Salut et un certain nombre d’autres organisations se sont fortement intéressées à la commission.

Je dirais que cette question a accaparé une grande partie de leur attention.

Selon moi, la réaction a été inadéquate dans l’ensemble.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup, sénatrice, de comparaître devant nous. Je comprends à quel point le sujet est difficile.

Hier, nous avons reçu notre premier groupe de témoins. J’ai entendu des propos vraiment remarquables et j’ai pensé vous demander si vous aviez vécu la même expérience. On nous a affirmé que les mères célibataires de couleur au Canada avaient reçu des ressources pour élever leurs bébés, car les bébés noirs étaient considérés comme étant moins intéressants que les bambins blonds aux yeux bleus. Comme l’a fait remarquer ce témoin, c’est probablement la seule fois de l’histoire où les femmes de couleur ont été privilégiées.

Pourriez-vous nous dire ce qu’il s’est passé avec les enfants nés de femmes de couleur en Australie?

Mme Siewert : Ce n’est pas vraiment une question qui a été soulevée. Le problème, à l’époque, c’est que l’affaire des générations volées a éclaté pendant nos travaux. Quand nous parlons des générations volées, nous faisons référence aux enfants autochtones qui ont été délibérément enlevés à leur famille pour être adoptés par des familles blanches ou non autochtones. Voilà ce qui s’est passé.

À ma connaissance, donc, nous n’avons pas été confrontés à cette situation. En fait, c’est l’inverse qui s’est produit, car des enfants autochtones ont été délibérément enlevés à leur famille et adoptés par des familles blanches. C’est arrivé à des bébés et à des enfants.

Nous avons entendu les témoignages de mères autochtones dont les bébés ont été enlevés à la naissance, même si, de façon générale, il s’agissait d’enfants plus âgés enlevés au cours de la période des générations volées. Nous avons notamment rencontré une Autochtone adoptée en Écosse qui était revenue au pays. Bien entendu, le fait d’avoir été retirée de sa famille et d’avoir grandi en dehors de sa culture a eu de profondes répercussions sur elle.

La situation que vous évoquez ne s’est donc pas produite en Australie. Je pourrais mentionner l’Australie-Occidentale, qui a été le théâtre de situations particulièrement douloureuses lorsqu’un certain nombre d’enfants y ont été enlevés au cours de la période des générations volées.

La sénatrice Omidvar : Ma deuxième question concerne les recommandations que contient votre rapport sur la sensibilisation de la population. Vous avez notamment préconisé que le gouvernement entreprenne des activités de sensibilisation.

Je remarque également que votre rapport fait mention d’une exposition ou de votre intention d’en organiser une. Pourriez-vous évaluer le succès de la stratégie de sensibilisation de la population et énumérer certaines des nuances dont nous devrions tenir compte si jamais nous décidons d’adopter une telle stratégie? Comme vous êtes nos prédécesseurs, nous pouvons tirer des leçons de votre expérience.

Mme Siewert : Je commencerai par l’exposition. Ici encore, le comité de référence mis sur pied pour les excuses a été consulté à propos de cette exposition, laquelle s’est d’abord tenue aux archives nationales. L’exposition elle-même était selon moi excellente.

Elle a ensuite sillonné le pays. Elle a déplu à un groupe de mères mais, dans l’ensemble, elle a reçu l’aval de la majorité des mères et des personnes adoptées.

Les excuses ont, évidemment, fait l’objet d’une couverture médiatique, pas autant qu’elles l’auraient dû en raison de ce qui s’est passé en parallèle, mais les médias en ont parlé. Pour ce qui est de la sensibilisation de la population, je pense sincèrement qu’une grande partie de la communauté est encore dans l’ignorance. Certaines démarches de sensibilisation ont été entreprises et les médias ont parlé de l’enquête, ce qui a été fort utile. Je dirais que dans l’ensemble, la couverture médiatique de cette affaire déplorable a été assez positive et n’a diabolisé personne. Vous savez probablement que les mères étaient autrefois blâmées. J’ai remarqué que vous qualifiez les femmes de « mères célibataires ». Nous parlons plutôt de single mothers.

Les médias ont fait preuve de beaucoup plus de sympathie que par le passé, car ils avaient parfois condamné sévèrement les mères célibataires. Certaines démarches ont donc été entreprises, mais aucune approche coordonnée n’a été adoptée pour sensibiliser la population.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup de comparaître devant nous aujourd’hui pour nous faire profiter de votre expérience.

Il me semble que, dans votre exposé, vous avez indiqué qu’un manuel avait été préparé à l’intention des psychologues et que vous craigniez un peu qu’ils ne le lisent pas. Pourrions-nous en obtenir un exemplaire au Canada?

Mme Siewert : D’après ce que je comprends, il s’agit d’une série de modules et de documents semblables. J’ai interrogé le gouvernement à ce sujet, car certaines mères ont communiqué avec moi pour m’indiquer qu’elles s’inquiétaient du fait que le financement du programme était terminé et craignaient que le manuel ne soit oublié sur une tablette. Je harcèle le gouvernement pour avoir le fin mot de l’histoire.

D’après la somme limitée de renseignements que j’ai obtenus sur les progrès accomplis à ce sujet, car les choses avancent, il faut que l’association diffuse l’information. Les mères craignent particulièrement que les responsables ne s’occupent pas du dossier autant qu’ils le devraient.

Je peux prendre note de l’endroit où on peut se procurer ce document, car on m’a indiqué qu’il revient aux psychologues de le diffuser et d’encourager les psychologues à le lire et à commencer à l’appliquer

Je peux donc prendre l’information en note pour vous informer de l’endroit où vous pourriez obtenir le document, car, à ma connaissance, il ne s’agit pas d’un document accessible au public.

La sénatrice Raine : Je pense que cela nous serait fort utile, car si vous avez financé et élaboré des documents de formation pour ceux qui offrent des services de conseils aux personnes souffrant de traumatismes, nous aurions avantage à en prendre connaissance, car nos antécédents culturels sont probablement suffisamment semblables pour que cela nous soit utile.

L’autre question que je voulais éclaircir pour mon…

Mme Siewert : Nous sommes confrontés à des situations fort semblables. Ce serait donc effectivement utile.

La sénatrice Raine : Voici mon autre question : au Canada, ce sont les provinces qui conservent les statistiques relatives aux naissances, aux décès, aux mariages et à ce genre de choses. Il n’existe pas de base de données nationale sur les naissances et les décès.

Il semble qu’il en aille de même en Australie. Dans le cas d’une adoption entre deux États, l’un est-il obligé de communiquer l’information à l’autre? Comment assure-t-on le suivi? Internet déborde de publicités sur les recherches généalogiques, et je pense que nous avons été surpris d’apprendre, le jour de la Saint-Patrick, que nous sommes tous Irlandais. Nous nous attendrions toutefois à trouver des renseignements généalogiques dans les statistiques. Qu’en est-il des statistiques à l’échelle du pays et des États en Australie?

Mme Siewert : La question des données et de leur échange surgit invariablement dans un grand nombre d’enquêtes du Comité des affaires communautaires.

Dans la deuxième partie de la séance, vous allez entendre Daryl Higgins, de l’Australian Institute of Welfare. Pardonnez-moi, je fais erreur.

Le président : Il est directeur de Child Protection Studies, selon l’ordre du jour.

Mme Siewert : Désolée, je me trompe tout le temps d’acronyme et de nom. Quoi qu’il en soit, il nous a été d’un grand secours. Il a effectué de nombreux travaux sur l’adoption; il pourra donc vous en dire beaucoup plus à ce sujet.

D’après nous, vous avez raison : la question relève des États. Pour ce qui est des adoptions, leur nombre a considérablement diminué en Australie, bien qu’on note une légère augmentation en Nouvelle-Galles du Sud, selon ce qu’on annonçait à la radio ce matin.

Par le passé, les États n’étaient pas tenus de communiquer l’information à quelqu’un se trouvant en Australie-Occidentale, par exemple. Les gens doivent donc invoquer les règles de l’État d’origine pour obtenir leurs dossiers, et non celles de l’Australie-Occidentale. Les règles ne sont pas coordonnées actuellement — et ne l’étaient certainement pas à l’époque — en ce qui concerne les dossiers des gens, qu’il s’agisse de leur dossier médical, de leur certificat de naissance ou, particulièrement, de leur dossier d’adoption. C’est d’autant plus difficile qu’il s’agit d’adoptions fermées. Certains efforts de coordination ont été déployés, mais les personnes adoptées et les mères m’ont indiqué qu’il était encore très difficile d’obtenir des dossiers.

Sachez, en outre, que certains parents concernés commencent à mourir, particulièrement chez les plus âgés, ce qui empêche parfois les gens de trouver plus de renseignements. Vous avez raison en ce qui concerne la généalogie. Les personnes adoptées se tournent notamment vers les services d’analyse d’ADN pour tenter de trouver des gens, mais nous commençons à peine à nous pencher sur la question.

Daryl devrait être en mesure de vous aider un peu plus en vous indiquant, s’il le sait, comment on procède à cet égard, car je n’en sais pas beaucoup à ce sujet.

[Français]

La sénatrice Mégie : Madame Siewert, je vais vous poser une question en français. Avez-vous l’interprétation?

[Traduction]

Entendez-vous l’interprétation?

Mme Siewert : On m’indique que je vais l’avoir, mais je ne l’entends pas.

Le président : Vous n’avez pas l’interprétation?

[Français]

Shaila Anwar, greffière du comité : Sénatrice Mégie, vous pouvez parler, parce qu’il y aura un certain retard.

La sénatrice Mégie : Ma question concerne l’adoption internationale actuelle. Je sais que, de nos jours, les mères célibataires ne sont plus démonisées. Nous n’avons plus l’adoption forcée, mais l’adoption internationale existe encore. Croyez-vous que la publication de vos recommandations pourrait contribuer aux différentes politiques que nous pouvons appliquer maintenant à l’adoption internationale? L’adoption se fait maintenant, mais plus tard, nous pouvons recevoir des commentaires de la part des parents ou des enfants. Y a-t-il un impact qui pourrait servir de leçon dans le cadre des politiques d’adoption actuellement?

[Traduction]

Mme Siewert : Oui, je pense que cela pourrait être utile. La question a été soulevée lors de cette enquête et au cours de certaines de nos autres enquêtes. Le débat autour de l’adoption en général était très polarisé en Australie, car un grand nombre de personnes marquées par les anciennes pratiques étaient farouchement opposées à l’adoption, affirmant qu’il faudrait l’interdire complètement. De l’autre côté, il y avait les familles incapables d’avoir des enfants et ceux qui faisait valoir que l’adoption offre une résidence permanente aux enfants placés en foyer d’accueil. Le débat est encore actif ici et a même repris de plus belle.

Pour ce qui est de l’adoption internationale, un grand nombre de questions ont pris de l’ampleur en raison des problèmes d’adoptions forcées qui ont mis en lumière les nombreux effets négatifs que cette pratique peut avoir, particulièrement si les gens sont incapables d’accéder à leurs dossiers et de retracer leur famille. La situation est encore plus difficile en cas d’adoption internationale.

Il faut aussi s’assurer que les adoptions ne sont pas forcées, car, en Australie, nous avons beaucoup entendu parler des pratiques non éthiques qui ont cours dans certains pays, où on enlève à leur famille des enfants qui n’étaient pas vraiment orphelins ou qui n’auraient pas dû se trouver dans des établissements. Le sujet a donc soulevé toutes ces questions, et a fait réfléchir à la nécessité des adoptions ouvertes et au besoin qu’ont les enfants de pouvoir communiquer avec leurs parents biologiques afin de comprendre leur histoire et leurs antécédents familiaux.

Je pense donc qu’il y a beaucoup à apprendre à propos de l’adoption internationale.

Comme je l’ai souligné, nombreux sont ceux qui considèrent qu’il ne faudrait pas faciliter l’adoption internationale, voire l’adoption tout court. On parle maintenant de placement permanent plutôt que d’adoption, et on envisage de multiples changements.

Les processus d’adoption ont déjà beaucoup évolué. Les adoptions étant ouvertes, les dossiers sont maintenant bien plus accessibles pour les personnes adoptées. Nous devons donc tirer de nombreuses leçons des pratiques antérieures dans le domaine de l’adoption internationale.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup de témoigner cet après-midi ou ce soir, selon l’heure qu’il est en Australie.

Hier soir, nous avons entendu des témoignages fort émotifs de mères qui se sont adressées au comité. Bien entendu, tout le monde convient que des excuses sérieuses s’imposent. J’ai remarqué que 7 des 20 recommandations concernent les excuses. Ce sont les sept premières. La sixième m’a frappé. Je sais que nous avons parlé des excuses, mais certains ont proposé au comité de recommander que les excuses officielles soient toujours accompagnées de mesures afin d’entreprendre des démarches concrètes pour rectifier adéquatement les erreurs du passé.

Selon vous, comment peut-on corriger adéquatement ces erreurs? Comment peut-on en tirer des leçons au Canada, si nous formulons des recommandations à ce sujet?

Mme Siewert : Sachez d’abord que quand nous avons entendu les témoins, particulièrement les mères, il est clairement ressorti que les gens voulaient obtenir des excuses, mais qu’il fallait qu’elles soient accompagnées de mesures. Les recherches que nous avons effectuées ont montré que les excuses sans mesures concrètes sont souvent jugées inutiles ou insatisfaisantes.

Le comité a été submergé d’émotions quand il a entendu les témoignages des mères et des personnes adoptées, et aussi ceux des grands-parents et des pères, soit dit en passant. Nous parlons beaucoup des mères, mais nous avons entendu un certain nombre de pères qui ont été fortement ébranlés par tout cela.

Des conseillers étaient sur place, l’un dans la salle et l’autre dans une pièce distincte pour que les gens puissent leur parler, car nous voulions éviter de nouveaux traumatismes. Je vous l’indique en passant, car c’était très important quand les gens témoignaient.

Certaines mères ne s’étaient jamais ouvertes à ce sujet. Dans certains cas, c’était la première fois que les témoins abordaient le sujet en public.

Quant aux mesures concrètes, elles sont absolument essentielles. Voilà pourquoi le gouvernement fédéral a annoncé en même temps que les excuses le train de mesures dont nous avons parlé sur le plan des services de conseil et de soutien.

C’est donc, effectivement, très important. On craint toujours que ces mesures n’aient pas été assez loin ou doivent encore être prolongées, ou qu’on doive en faire plus parce que l’adoption a des conséquences à vie. Au bout du compte, cependant, il faut absolument annoncer des mesures concrètes en même temps que les excuses.

Le président : Permettez-moi de poursuivre sur le même sujet pendant un moment. Les témoins ont-ils réclamé des mesures réparatrices ou s’en sont-ils principalement tenus à ce qui figure dans vos recommandations?

Mme Siewert : Les mesures réparatrices ont suscité bien des préoccupations, certains considérant que les gens devraient obtenir des réparations financières également.

Le sujet est très délicat. En fait, nombre d’entre nous préconisent depuis longtemps de verser des réparations financières aux membres des générations volées, ce à quoi le gouvernement n’a pas encore donné suite. Une campagne est donc en cours pour obtenir des réparations.

Nous en étions très conscients quand nous avons préparé le rapport du comité; c’est pourquoi nous avons encouragé les États et le Commonwealth à parler de la question. Certains États ont proposé quelques mesures réparatrices. L’Australie-Occidentale a notamment annoncé un plan de réparation principalement centré sur les affaires d’agression. La plupart des personnes adoptées et des mères auraient donc été exclues, à moins que les personnes adoptées n’aient été victimes d’agression dans les établissements. L’État a donc annoncé ce plan, mais après un changement de gouvernement, le nouveau parti au pouvoir a réduit les mesures de moitié au milieu du processus.

C’est une catastrophe qui a engendré de nouveaux traumatismes. S’il faut retenir une chose de cette affaire, c’est que si on annonce des mesures réparatrices, il faut s’assurer qu’elles sont satisfaisantes et qu’on ne modifie pas les règles en cours de route. L’affaire n’est pas encore résolue, et nous sommes nombreux à juger qu’il faut offrir des réparations financières en plus des autres services proposés.

Le président : Je pourrais examiner davantage la question, mais je veux laisser la parole à la sénatrice Bernard, car le temps file.

La sénatrice Bernard : Merci, sénatrice, de témoigner devant nous aujourd’hui.

Vous avez répondu en partie à la question que je voulais vous poser en réaction à celle du sénateur Munson; cela concerne les pères. Hier soir, nous avons entendu dire qu’on leur porte très peu attention dans ce débat. Vous avez indiqué avoir entendu quelques pères biologiques. Je suis certaine que dans le contexte global de la prestation de services d’aide à l’enfance, les pères ne s’impliquent habituellement pas. C’est d’ailleurs ce qu’indiquent de nombreux ouvrages.

Pouvez-vous en dire un peu plus long sur l’étude que vous avez effectuée pour tenter d’entendre les pères biologiques?

Mme Siewert : Je mentionne tout d’abord que je pense que Daryl pourrait aider en donnant quelques chiffres. Nous avons entendu beaucoup plus de mères que de pères. Pour ce qui est d’essayer d’obtenir des témoignages, nous avons fait beaucoup de publicité, tout comme une partie des organisations non gouvernementales, plus particulièrement celles qui envisageaient de soutenir des mères et des parents, mais les participants à l’étude étaient essentiellement des mères et des personnes adoptées.

Je dois souligner que beaucoup d’hommes et de pères ont été diabolisés parce qu’ils ont abandonné leur partenaire enceinte, et cela s’est produit. Je ne prétends pas le contraire, mais ce qui s’est produit dans beaucoup de cas examinés, c’est que le père était activement mis à l’écart dans le cadre d’un effort délibéré pour prendre le bébé.

Pour pouvoir prendre le bébé, il était effectivement plus simple de n’avoir qu’à s’occuper de la mère. Par conséquent, dans un grand nombre de cas dont nous avons entendu parler, les pères voulaient que leur nom figure sur le certificat de naissance. Ils voulaient être présents, mais ils ont été activement ignorés et mis à l’écart par les autorités et les institutions.

Vous verrez dans notre rapport que, à l’époque, nous n’étions pas vraiment en mesure de nous faire une idée du nombre d’adoptions forcées parmi l’ensemble des adoptions en Australie. Darryl sera en mesure de vous aider davantage en vous donnant les chiffres.

Je peux vous donner les chiffres sur les pères, mais on ne peut pas tout simplement affirmer qu’ils ne voulaient pas jouer un rôle. C’est tout simplement faux. Les pères que nous avons entendus étaient également profondément traumatisés par le fait qu’ils n’avaient pas de contact avec leur bébé et leur enfant, et ils en ont souffert eux aussi tout au long de leur vie.

Le président : Nous sommes arrivés à la fin de cette partie de la séance, ce qui est malheureux, car nous pourrions aborder beaucoup plus de questions avec vous, sénatrice Siewert. Je vous remercie beaucoup de votre présence parmi nous, et je vous félicite de l’excellent travail accompli par votre comité et vous en 2012.

Bien entendu, nous soulignons, du moins dans le fuseau horaire où nous nous trouvons au Canada, le cinquième anniversaire des excuses officielles. Merci beaucoup d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui, d’autant plus qu’il est très tôt pour vous.

Nous aurons l’occasion d’approfondir un peu plus la question avec Daryl Higgins au cours de la deuxième partie de la séance, que nous entamerons dans un instant.

Merci encore, madame la sénatrice.

Mme Siewert : Je serai heureuse de répondre à vos questions. Si vous voulez m’en faire parvenir, je serai heureuse de vous répondre par écrit.

Le président : Merci de nous l’offrir. Si vous avez les renseignements dont vous avez parlé en répondant à la sénatrice Greene Raine, il serait très utile que vous les fassiez parvenir à la greffière du comité sénatorial des affaires sociales, qui les distribuera ensuite aux membres. Merci beaucoup.

Pour la deuxième partie de la séance, les deux témoins témoigneront par vidéoconférence. Le premier se trouve à Melbourne, en Australie, et la deuxième, à Victoria, en Colombie-Britannique.

Nous accueillons maintenant Daryl Higgins, qui est professeur et directeur à l’Institute of Child Protection Studies, Australian Catholic University. Il se joint à nous à partir de Melbourne. M. Higgins a grandement contribué au rapport sur lequel portait la discussion d’une heure que nous venons d’avoir avec la sénatrice Siewert. En fait, la sénatrice a dit un à un certain nombre de reprises, monsieur Higgins, que vous serez en mesure de réponse à certaines des questions que nous pourrions avoir.

Nous accueillons également Veronica Strong-Boag, historienne, conseil historique et professeure émérite à l’Université de la Colombie-Britannique, à Victoria, dans notre pays.

Je vous souhaite à tous les deux la bienvenue. De toute évidence, je dois dire bonjour à notre témoin à Melbourne, en Australie, et bonsoir à notre témoin à Victoria. Il est plus tard en après-midi pour nous, mais nous sommes aussi le 21 mars, alors que c’est le 22 mars en Australie.

Bienvenue à vous deux. Je vais commencer par vous, monsieur Higgins, si vous avez une déclaration liminaire à faire à propos de votre rapport et de votre rôle. Les sénateurs poseront ensuite des questions après avoir entendu Mme Strong-Boag.

Daryl Higgins, professeur, directeur, Institute of Child Protection Studies, Australian Catholic University : Pendant les décennies qui ont précédé le milieu des années 1970, il était commun en Australie que les bébés de jeunes femmes défavorisées, pour la plupart célibataires, mais pas toujours, soient adoptés. La grossesse hors des liens du mariage se déroulait dans la honte et le silence, à quoi s’ajoutait la pression sociale croissante pour répondre aux besoins des couples infertiles. Conformément au point de vue de la société — qui se reflétait dans les pratiques organisationnelles des hôpitaux, des maisons d’enfants ainsi que des ministères chargés de l’aide sociale et d’autres organismes —, la priorité était accordée aux besoins de ces valeureux couples infertiles. Les besoins des jeunes femmes seules ou des autres femmes vulnérables qui donnaient naissance étaient largement ignorés.

À son point culminant, le nombre d’adoptions en Australie était presque de 10 000 par année au début des années 1970. Les taux ont considérablement diminué depuis. À l’heure actuelle, moins de 50 adoptions par année se font localement par des personnes inconnues.

Lorsque les démarches d’adoption étaient à leur apogée en Australie, on disait que les adoptions étaient « fermées ». C’est ce qu’on disait lorsque le certificat de naissance de l’enfant adopté était scellé à jamais et qu’un certificat modifié était produit pour établir la nouvelle identité et la relation de l’enfant avec la famille adoptive. La mère ne connaissait pas la famille adoptive, et l’enfant n’était habituellement jamais informé de l’adoption.

Des modifications à la loi permettent maintenant d’avoir accès à cette information tant que l’autre partie n’a pas opposé son veto. On peut maintenant consulter le dossier dans la majorité des adoptions locales, c’est-à-dire lorsque l’enfant est né en Australie ou est un résident permanent du pays.

Une série de réformes ont modifié l’ancienne pratique, et ces réformes législatives et sociales ont contribué à éloigner le pays du point culminant des adoptions à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ces réformes comprennent, par exemple, l’établissement du Conseil de la mère seule et de son enfant dans mon État, Victoria, en 1970, ainsi que de son équivalent national en 1973, ce qui a vraiment aidé à lutter contre les préjugés concernant l’adoption et à offrir un soutien aux mères seules ainsi qu’aux mères qui « renonçaient à leur enfant », comme on disait à l’époque.

Un autre changement a été l’abolition du statut illégitime pour plutôt parler de naissances « non nuptiales », ce qui s’est d’abord fait dans les États de Victoria et de Tasmanie en 1974.

La plupart des États ont autorisé l’avortement au début des années 1970.

En 1973, le gouvernement du Commonwealth a adopté la prestation d’aide aux mères, qui a permis aux mères d’obtenir une aide financière, peu importe leur État ou leur territoire de résidence.

D’autres réformes législatives visant à mettre fin au secret entourant les adoptions ont également eu lieu jusqu’aux changements apportés dans les années 1980. L’information sur les parents n’était pas disponible pour les enfants adoptés. C’était donc un autre grand changement.

Il y a également eu l’établissement de registres pour ceux qui désirent entrer en contact, tant les parents que les enfants adoptés, ce qui a commencé en Nouvelle-Galles du Sud en 1976.

La mise en œuvre d’une mesure législative dans l’État de Victoria en 1984 a accordé aux personnes adoptées âgées de 18 ans et plus le droit de consulter leur certificat de naissance, pourvu qu’elles se soumettent à des services obligatoires de counselling. Des changements similaires ont suivi dans d’autres États.

Bien entendu, des modifications législatives avaient été apportées dans la plupart des huit États et territoires australiens au début des années 1990 pour garantir l’obtention du consentement tant de la mère que du père.

Cependant, les préjudices subis par des milliers d’Australiens avant ces réformes sont sans aucun doute manifestes de nos jours, comme l’ont reflété les excuses officielles du gouvernement de l’Australie au mois de mars 2013 compte tenu la contribution du gouvernement du Commonwealth aux anciennes pratiques d’adoptions forcées. Je sais que la sénatrice Siewert vous a parlé de l’enquête, qui s’est révélée révolutionnaire en faisant de ces questions une priorité nationale.

Les États et les territoires sont encore responsables de l’aspect législatif de l’adoption, mais cette responsabilité collective et les excuses nationales sont une importante marque de reconnaissance de cette responsabilité naturelle et de ce qui en découle sur le plan de la prestation de services nécessaires en vue de répondre aux besoins des victimes.

C’est vraiment à cet égard que j’ai joué un rôle. En tant que chercheur, on m’a demandé, tout d’abord, de regarder où en était la recherche sur le nombre de personnes touchées et sur les répercussions qu’une adoption forcée avait eues sur leur vie. J’ai conclu que le rapport initial que nous avions ne contenait pas de données adéquates sur lesquelles fonder notre politique.

Le 4 juin 2010, à la conférence des ministres des Services communautaires et des Personnes handicapées, qui regroupe les ministres des différents États et territoires du Commonwealth, on a annoncé que les ministres s’étaient entendus pour que mon ancienne organisation, l’Australian Institute of Family Studies, dont j’étais directeur adjoint chargé de ce travail, mène une étude de recherche nationale mixte sur l’adoption fermée et ses effets.

L’étude portait surtout sur les besoins actuels en matière de services et de soutien, et elle était conçue de manière à produire des données probantes pouvant contribuer à l’amélioration des services d’intervention offerts aux personnes touchées par les anciennes pratiques, notamment la communication d’information, le counselling, les services de recherche et de mise en contact ainsi que d’autres formes de soutien.

L’étude, dont les résultats sont publiés dans le rapport Past adoption experiences: National Research Study on the Service Response to Part Adoption Practices, ciblait un grand groupe de personnes touchées par une adoption et recourrait à des méthodes combinées de sondages en ligne, à des entrevues poussées ainsi qu’à des groupes de discussion, pour ensuite intégrer les résultats obtenus ainsi et s’appuyer sur la recherche et les données actuelles sur la portée et les effets de l’expérience vécue à la suite d’une adoption antérieure afin de comprendre les besoins.

Dans l’ensemble, plus de 1 500 personnes d’un bout à l’autre de l’Australie ont participé à l’étude. Le plus grand groupe était formé d’adultes adoptés lorsqu’ils étaient enfants, au nombre de 823. Il y avait également 505 mères, 94 parents adoptifs, 94 autres membres de la famille, et 12 pères. Nous avons aussi demandé l’opinion de 58 fournisseurs de services sur les besoins en matière de services et sur les modèles de prestation de services actuels pour les personnes touchées par des pratiques antérieures d’adoption. Les entrevues de suivi et les groupes de discussion ont regroupé plus de 300 participants à 19 endroits d’un bout à l’autre des États et des territoires.

Je serai heureux de répondre aux questions, mais je vais d’abord attirer votre attention sur quelques éléments clés qui sont ressortis de l’étude.

L’un des avantages de l’étude consistait à donner une voix nationale et cohérente aux participants. Même si nous avons examiné la situation de manière globale, nous avons été en mesure de réfléchir à certaines des leçons apprises concernant les pratiques antérieures d’adoption, en mettant plus particulièrement l’accent sur l’actualité de certains de ces problèmes dans les discussions juridiques et éthiques liées à des questions comme la reproduction assistée, les pratiques d’adoption actuelles et la planification de la prestation permanente de soins.

Les aspects sur lesquels je veux attirer votre attention et sur lesquels je serai heureux de répondre à vos questions sont l’identité, la connexion et l’accès à l’information, ce qui s’applique surtout au plus grand groupe de participants, les adultes adoptés pendant leur enfance. Ce sont des exemples vivants des résultats des pratiques antérieures.

J’ai également poursuivi mes démarches au moyen d’une étude verbale commandée par le groupe national de référence sur les excuses. Je suis certain que vous avez déjà parlé de ce groupe. Cette étude verbale visait à déterminer la meilleure façon de répondre aux besoins ainsi que les modèles de pratiques exemplaires pour y répondre. Dans ce rapport, j’ai mis au point des options de service pour améliorer et compléter les services existants afin de soutenir les personnes touchées par une adoption forcée ainsi que par les politiques et pratiques antérieures d’adoption forcée. Le gouvernement a ensuite financé et mis en œuvre ces options de service.

J’ai également eu le privilège de contribuer à un certain nombre d’activités soutenues par ce modèle de financement, dont un énorme programme d’éducation destiné à tout un éventail de fournisseurs de services de counselling et de soutien pour les victimes.

Voilà qui conclut ma déclaration liminaire. Je serai heureux de répondre à vos questions au moment qui vous convient.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Higgins. Revenons maintenant au Canada pour demander à Mme Strong-Boag de nous présenter ses observations.

Veronica Strong-Boag, historienne et conseil historique, professeure émérite, Université de la Colombie-Britannique : Merci de m’avoir invitée à témoigner devant votre comité. Je me présente ici avec un point de vue plutôt différent de celui de M. Higgins. En tant qu’historienne, j’ai étudié la protection de l’enfance au Canada aux XIXe et XXe siècles jusqu’à peu près au présent, et c’est donc toujours surtout dans le contexte historique d’un changement d’opinions sur les enfants, les femmes et la sexualité que je vois la situation des femmes célibataires qui ont dû céder leur enfant après 1945.

Tout d’abord, nous devons comprendre que les femmes qui cèdent leur enfant ou qui se le font prendre de force n’ont souvent pas vraiment le choix. C’est toujours dans un contexte d’options et de possibilités limitées. C’était vrai au XIXe siècle et ce l’est encore.

Les autres aspects dont nous devons tenir compte selon moi, probablement autant en Australie qu’au Canada, sont les expériences très variées qui sont signalées dans les territoires et les provinces. Différentes communautés raciales, catégorisées et distinctes d’autres façons géraient les grossesses de femmes célibataires de leur propre façon, qui a changé au fil du temps. L’approche a parfois grandement changé depuis la fin du XIXe siècle.

Je pense que l’autre aspect du problème auquel nous faisons face, même aujourd’hui — et c’était sans aucun doute ainsi avant et après 1945 —, c’est la fausse représentation et l’ignorance très répandues au moment de gérer la grossesse de femmes célibataires. Ce que j’ai constaté dans mes enquêtes — et j’ai consulté l’ensemble des dossiers de toutes les provinces et territoires depuis environ 1860 à 1900 —, c’est que les données comportent souvent de graves lacunes ou n’ont pas été déclarées. On ne peut certainement pas faire confiance à Statistique Canada pour ce qui est de l’exactitude des dossiers. Les familles cachaient ce qu’elles faisaient. Souvent, même au cours d’une seule génération, l’information était perdue. D’ailleurs, un grand nombre de familles ignorent encore qu’elles comptent dans leur rang des personnes adoptées ou des enfants abandonnés.

C’est essentiellement la même chose pour ce qui est du silence entourant l’infanticide, car les victimes d’infanticide étaient, sans aucun doute et d’une façon disproportionnée, les enfants de mères célibataires.

Nous devons également penser au contexte historique qui a mené au traitement réservé aux mères célibataires après 1945. La guerre froide battait son plein, et on réaffirmait la notion de l’enfant précieux dans notre bataille contre le communisme sans Dieu ainsi que la sentimentalisation et l’essentialisation de la maternité, surtout pour certaines femmes, les femmes blanches de la classe moyenne. Il est soudainement devenu possible de sauver et de secourir ces groupes, à l’aide de moyens jusque-là largement inconnus, c’est-à-dire les mères et les enfants blancs de la classe moyenne. Ces femmes, plus particulièrement les adolescentes, étaient perçues comme étant psychologiquement mésadaptées. Il était donc au moins possible de songer à les resocialiser afin qu’elles soient de meilleures femmes et de meilleures mères. C’était évidemment considéré comme beaucoup moins probable pour les femmes autochtones et les femmes d’une minorité raciale, à savoir celles qui ne faisaient pas partie du tissu social à prédominance européenne du pays.

Nous devons nous rappeler que la grossesse était encore dangereuse à cette époque. C’était dans un contexte d’une forte mortalité infantile et maternelle, surtout chez les femmes célibataires. Les dépenses nécessaires pour élever un enfant étaient élevées, ce qui limitait les choix possibles pour les familles.

Je pense que nous devons penser au traitement des femmes célibataires après 1945 comme faisant partie d’une sorte de continuum historique dans lequel les enfants, tant les filles que les garçons, étaient depuis longtemps facilement déplacés en fonction des ressources disponibles. C’était certainement vrai dans ma famille, et d’après ce que j’ai constaté, dans de nombreuses familles aux XIXe et XXsiècles. Les mères les plus susceptibles de donner leur enfant, habituellement à leurs sœurs, étaient les mères célibataires. C’était vraiment très courant, et c’est un pan d’histoire dont nous pouvons encore voir les vestiges aujourd’hui.

Je tiens vraiment à insister sur la diversité des situations dans lesquelles se sont retrouvés les mères et leurs enfants sans diminuer les tragédies qui se sont produites des deux côtés. Il y a eu des choix difficiles et des dénouements difficiles.

Je crois que nous ne devons pas oublier que les parents célibataires d’aujourd’hui, tout comme ceux d’autrefois — et encore plus ceux d’autrefois — ont continuellement de la difficulté à obtenir du soutien, que ce soit du côté des membres de leur famille, qui se sentent souvent stigmatisés et craignent de perdre leur respectabilité, que du côté des gouvernements, qui n’étaient certainement pas prêts à élargir l’aide sociale pour l’offrir, même graduellement, aux mères célibataires.

La Colombie-Britannique s’est distinguée après la Première Guerre mondiale en offrant aux mères célibataires les prestations offertes dans le cadre des pensions pour les mères, mais ce n’était pas le cas à l’échelle du pays, et il était donc très difficile, pour les femmes célibataires, de s’occuper de leurs enfants. Il était toujours dangereux, pour les femmes et les familles, d’être une mère célibataire et, évidemment, d’être une mère en général. Il faut également se rappeler que ce ne sont pas toutes les femmes et les filles qui souhaitent être mères à n’importe quel moment ou lorsqu’elles tombent enceintes, et que ce ne sont pas toutes les femmes qui sont de bonnes mères. J’ai lu les rapports d’enfants victimes de mauvais traitements infligés par leur famille, et ils contiennent certainement de nombreux rappels des mauvais traitements subis par les enfants dans leur famille, même lorsque les parents sont relativement à l’aise.

Nous devons donc conclure que les difficultés liées à la monoparentalité découlent réellement, au bout du compte, d’un désir de contrôler la sexualité des femmes et de promouvoir le mariage hétérosexuel. Cela s’accompagne manifestement d’un refus d’appuyer la contraception et de l’illégalisation de la contraception et de l’avortement. Le secret est devenu une sorte de code pour soi-disant épargner les mères biologiques et leur famille et pour renforcer l’image de la normalité. De nombreux participants avaient souvent une attitude de déni. En résumé, des familles de toutes les classes de la société craignaient de perdre leur respectabilité et de devoir fournir plus de ressources.

Dans un rapport publié en 1991, on a conclu sans surprise que près de 80 p. 100 de toutes les mères célibataires de la Nouvelle-Écosse recevaient et continuaient de recevoir de l’aide des membres de leur famille pour les soins aux enfants, avec des résultats parfois tragiques. En effet, un enfant de cinq ans de la Colombie-Britannique, la fille d’une jeune mère célibataire, a été confié à un si grand nombre de membres de sa famille et de voisins différents qu’elle a commencé à se sentir et à agir comme si elle n’appartenait nulle part — et c’est normal — et elle est devenue une fugueuse, un sort très commun.

Un chercheur en travail social, l’Ontarien Cyril Greenland, a décrit la vulnérabilité particulière vécue par ces enfants lorsqu’il a souligné que les mères ontariennes qui infligeaient de mauvais traitements à leurs enfants, comme un grand nombre d’autres mères britanniques ou américaines, étaient souvent des adolescentes — des adolescentes enceintes, en dépression, autrefois à la charge de l’État, qui ont été brutalisées et abandonnées par des hommes adultes et sont devenues économiquement marginales. Il faut donc éviter d’idéaliser la situation des mères qui ont gardé leur enfant.

Les mères célibataires qui se sont retrouvées dans des institutions après la Seconde Guerre mondiale représentent réellement un phénomène du XXe siècle, à l’exception des institutions de ce type que l’Église catholique avait déjà créées au Québec. La grande majorité de ces institutions étaient gérées par des Églises, même s’il existait aussi quelques institutions privées. Mais les institutions gérées par des Églises étaient généralement moins chères. Elles ne se comparaient pas à l’investissement du gouvernement fédéral dans le programme génocidaire de pensionnats pour les élèves autochtones, mais elles reflètent l’investissement répandu dans le patriarcat de la plupart des collectivités canadiennes.

Les institutions qui accueillaient les mères célibataires offraient divers traitements, et les traitements que recevait chaque fille ou jeune femme dépendaient de sa situation sociale perçue. Elles pouvaient donc recevoir de bons ou de mauvais traitements, selon les croyances qu’entretenaient les responsables de l’institution relativement aux membres de leur famille. Leur traitement était donc déterminé en grande partie par la classe sociale et la race de la mère.

Jusqu’à longtemps après la Seconde Guerre mondiale, les enfants de mères célibataires étaient susceptibles d’être très stigmatisés et ils n’étaient pas favorisés par l’adoption. Après la Seconde Guerre mondiale, les jeunes mères, surtout les jeunes femmes blanches issues de la classe moyenne, sont devenues des candidates plus acceptables, car encore une fois, on croyait pouvoir les réformer psychologiquement, mais seulement si elles acceptaient de renoncer à leurs enfants; les enfants devaient également être réformés.

En conclusion, peu importe leurs origines, autrefois comme maintenant, les mères célibataires font face à une terrible contradiction. En effet, elles ont souvent désespérément besoin d’un emploi rémunéré et elles doivent poursuivre leurs études, mais dans ces cas, elles s’absenteront de la maison et seront assurément accusées d’être de mauvaises mères. Leur situation difficile était encore plus inévitable, car les garderies étaient, comme l’a souligné un travailleur social furieux en 1950, peu nombreuses et éloignées les unes des autres au Canada. Le commentaire de ce travailleur social nous rappelle que les travailleurs sociaux n’étaient pas toujours — ou même souvent — l’ennemi. Ils travaillaient aussi dans un contexte où les options étaient limitées et où prévalait un préjugé répandu contre les mères célibataires. Donc, toutes choses étant égales, peu de femmes choisissent la monoparentalité. Comme le fait valoir une étude britannique, même lorsque leurs parents les aimaient, les enfants illégitimes représentaient un terrible fardeau financier, émotionnel et social. Il était inévitable que les mères ressentent une certaine ambivalence.

Une adolescente canadienne, malgré le soutien de ses parents, a parlé au nom de nombreuses femmes qui l’ont précédée et qui la suivront en précisant qu’elle avait dû renoncer à son enfant, pas parce qu’elle le souhaitait réellement, mais parce qu’elle savait que c’était le meilleur choix dans l’intérêt de son fils. Elle avait seulement 15 ans et avait seulement terminé une dixième année, elle était célibataire et ne pouvait compter sur aucun soutien. Elle a admis qu’elle aurait aimé pouvoir garder l’enfant.

Les mères monoparentales étaient punies, peu importe si elles gardaient ou donnaient leurs enfants. Les conséquences pouvaient être graves dans les deux cas. Il y avait seulement des choix difficiles et des résultats incertains.

Le président : Vous avez parlé de la participation de l’Église. Qu’en est-il de la participation du gouvernement fédéral? Pouvez-vous nous résumer de quelles façons le gouvernement fédéral a facilité les pratiques d’adoption qui ont été mises en œuvre après la guerre et jusque dans les années 1970?

Mme Strong-Boag : Le gouvernement fédéral n’est pas intervenu directement à cet égard. Il se peut certainement qu’il ait offert du financement pour appuyer le bien-être des enfants à l’occasion, mais ce n’était certainement pas pour les institutions qui hébergeaient des femmes célibataires. Le financement, dans leur cas, ne provenait pas du gouvernement fédéral. Il provenait des Églises. Il provenait des bénévoles et d’organismes caritatifs privés, et une très petite partie, certainement pas assez pour appuyer les femmes et les enfants avec dignité, provenait des provinces et des municipalités locales.

Dans les données que j’ai reçues aujourd’hui, j’ai remarqué que l’un des commentateurs laisse entendre que le Canada avait fourni du financement à cet égard dans le cadre du Régime d’assistance publique du Canada, si je me souviens bien. C’était plus tard. Si vous examinez la période de 1945 à 1960, vous constaterez qu’il n’y a aucune intervention du gouvernement fédéral à cet égard. Le gouvernement fédéral est aussi complice que tous les autres. Je suis sûre que si on avait mené un sondage auprès des députés et des bureaucrates d’Ottawa, ils auraient été d’avis que les mères célibataires entraînaient la stigmatisation de leur famille et qu’elles ne devaient, en aucun cas, être récompensées par du financement de l’État.

Le président : Qu’en est-il du Bureau national d’adoption?

Mme Strong-Boag : Oui, il y avait le Bureau national d’adoption. Mais il a émergé en réponse à la déstigmatisation croissante de la notion d’adoption, et il s’intéressait particulièrement aux adoptions internationales. Vous devez considérer que ses travaux étaient souvent liés aux tentatives d’obtenir des enfants soi-disant non adoptables, qui étaient souvent autochtones, d’une partie du pays à une autre. Cet organisme a souvent participé, du moins indirectement, et parfois plus directement, aux adoptions en provenance du Vietnam et aux premières adoptions en provenance de l’Asie.

Cet organisme manquait toujours de financement. Il avait des relations très difficiles avec les gouvernements provinciaux, qui ne voulaient pas l’appuyer. Il n’était pas très influent, mais il était surtout lié au sentiment général selon lesquelles les femmes qui tombaient enceintes, si elles ne méritaient pas leur sort, étaient certainement des victimes, et leurs enfants devaient être secourus aussitôt que possible.

Le président : Je demanderais à mes collègues de nommer le témoin auquel s’adresse leur question. Nous devons fonctionner de cette façon lorsque nous utilisons la vidéoconférence à cause des retards dans la communication.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie de vos exposés. Si vous me le permettez, j’aimerais poser ma question à M. Higgins.

Les thèmes des recommandations de l’étude du Sénat australien, comme nous venons de l’entendre, étaient axés sur les mesures réparatoires liées au soi-disant mandat d’adoption, c’est-à-dire essentiellement les politiques liées à l’adoption forcée. Ces thèmes étaient les excuses, les contributions financières, l’appui au counseling et d’autres services.

Monsieur Higgins, vous avez parlé des besoins en services et des modèles de pratiques exemplaires pour répondre aux besoins des personnes touchées. C’est un enjeu très important, et c’est important pour nous, dans le cadre de notre étude, de formuler certaines recommandations. Que pourriez-vous dire au sujet des besoins en matière de services? Quelles recommandations serait-il essentiel de formuler?

M. Higgins : Tout d’abord, le rapport que j’ai dirigé était financé par le ministère des Services sociaux, mais il concernait surtout le groupe de travail sur la mise en œuvre des mesures qui découlaient des conclusions de l’enquête du Sénat et des excuses nationales qui ont suivi. Cette étude est directement liée à vos travaux, car j’y mentionne les besoins principaux exprimés par chaque groupe, mais surtout les mères. Les mères ont présenté avec conviction le traumatisme qu’elles ont vécu et nous ont précisé les mesures qui les aideraient.

Toutefois, il faut apporter une mise en garde importante. En effet, le rapport a été produit dans un contexte dans lequel le groupe de travail sur la mise en œuvre des mesures découlant des excuses nationales savait déjà qu’une somme de 11,5 millions de dollars serait accordée, ce qui n’est pas une grosse somme; en fait, c’est très peu. Il s’ensuit que mon travail, dans le cadre de cette étude, ne visait pas à dire que tout était beau et que nous pouvions tout faire, mais plutôt à obtenir les services les plus efficaces dans un contexte de ressources très limitées.

L’un des principes principaux que j’ai soulignés concernait la question de savoir quels services étaient déjà offerts aux personnes qui avaient vécu un traumatisme, mais il y a également des obstacles, car ces personnes n’ont pas l’impression — et c’est important dans le cadre de la recherche — qu’on les croira, même si elles ont leur propre histoire à raconter et qu’elles sont des expertes de leur propre situation.

Les professionnels de la santé, qui reçoivent déjà du financement de nombreuses sources — je parle des médecins omnipraticiens, des infirmières de la santé mentale, des psychologues, des psychiatres, et cetera — profitent déjà de leur propre financement. Ce n’est donc pas comme si nous avions besoin d’un plus grand nombre de ces gens. Ce qu’il fallait faire, c’était les sensibiliser au problème et leur fournir des modèles de pratiques qui s’intégraient dans leur propre façon de fonctionner. Par exemple, dans le cas d’un clinicien qui travaille dans un contexte psychiatrique, comment pouvons-nous expliquer les besoins et les problèmes auxquels fait face une mère âgée 70 ans qui a peut-être communiqué à quelques reprises avec son fils ou sa fille dont elle avait été séparée, mais avec qui elle n’a plus aucune communication? Il s’agit de tenter de cerner la meilleure façon de renforcer les compétences de ces professionnels.

La deuxième chose concernait les services axés sur l’adoption. Dans les différents États et territoires, il existait de nombreux services qui découlaient souvent du soutien par les pairs, et il s’agissait de faciliter le processus consistant à établir et à appuyer les communications d’un enfant adopté qui tente de communiquer avec son père ou sa mère, s’ils étaient au courant, mais ces organismes avaient également besoin de soutien.

Le deuxième volet du modèle que j’ai présenté concernait la meilleure façon d’appuyer ces gens dans leur travail, tout en reconnaissant qu’ils auront relativement peu de ressources lorsqu’ils passeront par le processus visant à établir enfin la communication ou qu’ils auront simplement besoin du soutien de leurs pairs.

J’ai attiré l’attention sur ces deux éléments et j’ai tenté de formuler des recommandations qui visaient le groupe plus nombreux des travailleurs en soutien et en santé mentale tout en appuyant le groupe plus petit des victimes.

La sénatrice Seidman : Quel rôle principal le Commonwealth pourrait-il jouer?

M. Higgins : Cela dépend de la provenance du financement pour ces différentes choses. La plupart des services que j’ai soulignés — les services de psychiatrie et de psychologie — sont financés par l’entremise de subventions du ministère de la Santé du Commonwealth, même s’ils peuvent être gérés au niveau de l’État. Il y a de nombreux types d’arrangements, et un grand nombre de personnes peuvent consulter un psychologue ou un psychiatre au privé, car notre régime d’assurance-maladie national offre l’accès des rabais. L’accès à ces services existait donc déjà. Le plus gros problème concernait les compétences.

Sur le fondement de mes recommandations, un financement a été établi pour faire exactement ce que j’ai dit, c’est-à-dire renforcer la capacité de ces principaux fournisseurs de service. L’Australian Psychological Society, un organisme qui est également un ordre professionnel — mais il aurait pu s’agir de n’importe quel organisme — a donc remporté cet appel d’offres. L’organisme a communiqué avec les différents groupes de santé fondamentale et a créé une trousse éducative très complète. J’ai agi à titre d’expert-conseil dans ce projet.

Il y avait un représentant de chaque groupe dans les groupes de travail qui ont élaboré le contenu et la façon dont cela fonctionne au sein de ma profession — les modèles de pratique, si vous voulez, que j’utiliserais.

Ce n’était donc pas une personne de l’extérieur qui nous enseignait ces choses. C’était un psychologue qui nous expliquait comment un psychologue faisait son travail. C’était un travailleur social clinique qui nous expliquait aussi son travail. Ce sont les façons par lesquelles des renseignements supplémentaires peuvent être communiqués et appuyés.

Ces ressources existent déjà, et je recommanderais donc de ne pas les reproduire, mais plutôt d’établir une relation avec le ministère de la Santé de l’Australie pour avoir accès à ces ressources en ligne — un système d’apprentissage très rigoureux —, où vous pourrez trouver des présentations vidéo de plusieurs experts qui ont exploré la question dans un environnement d’apprentissage en ligne.

L’Australian Psychological Society a également ajouté des webinaires. Ainsi, leurs praticiens pouvaient se connecter et participer à une conversation sur un sujet particulier avec deux ou trois autres experts. Ces conversations pouvaient porter sur le deuil ou sur la gestion des communications avec la famille ou de la dissolution de relations. C’était l’un des éléments qu’on a utilisés pour faciliter l’adoption d’une approche interdisciplinaire à cet égard.

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais poser une question à Mme Strong-Boag.

J’aimerais entendre votre avis, à titre d’historienne, sur une chose qui m’a vraiment touchée hier, lorsque nous avons entendu des mères parler de leur expérience. Nous avons également reçu de nombreux témoignages par écrit. L’une des choses sur lesquelles j’aimerais que vous me fournissiez des éclaircissements d’ordre historique, c’est que nous avons entendu beaucoup parler du fait qu’on n’offrait pas vraiment de choix à l’enfant. Mais nous avons également entendu et lu — et c’était peut-être plus tard, dans les années 1960 — que lorsque ces options, ces services ou ces programmes et soutiens sociaux ont commencé à émerger, on n’informait pas les mères qu’elles pouvaient obtenir de l’aide.

Je trouve cela ahurissant. Et les mères ont écrit qu’elles ont parfois appris l’existence de ces services plusieurs années ou plusieurs mois après avoir renoncé à leur bébé. Elles ont appris l’existence de programmes sociaux limités et émergents qui auraient pu avoir une grande incidence sur leur absence de choix.

J’aimerais donc savoir si ce sont des cas très isolés ou si, à une certaine époque, tous ces services ont émergé sans que les mères soient mises au courant de ces choix.

Mme Strong-Boag : Je crois que vous avez raison d’affirmer — et je suis sûre que vos témoins l’ont affirmé aussi — qu’il existait des programmes émergents, mais ces derniers étaient toujours en manque de financement. Il était difficile de faire une demande dans le cadre de ces programmes. Les travailleurs sociaux géraient un nombre très élevé de cas. Ils présumaient, lorsqu’ils examinaient les choix qui s’offraient aux enfants blancs de la classe moyenne ou aux enfants qu’on pouvait présumer être Blancs et de classe moyenne, qu’il y avait de meilleures options, des options qui offraient un meilleur soutien, de meilleurs revenus, un meilleur logement et d’autres choses auxquelles n’auraient pas accès les mères célibataires.

Il suffit de regarder la situation actuelle pour constater que le financement demeure nettement insuffisant, à une époque beaucoup moins marquée par l’ignorance, pour ces mères et leurs enfants qui sont encore nombreux à se retrouver en foyer d’accueil. Il ne fait aucun doute que c’était le cas lors de la période qui a suivi immédiatement la Seconde Guerre mondiale.

Il est juste de dire que les travailleurs sociaux n’ont pas toujours transmis l’information pertinente, mais, bien souvent, ils n’avaient pas eux-mêmes cette information. Ils n’avaient pas toujours facilement accès à l’information. Nous avons tendance à croire que les travailleurs sociaux sont toujours au fait des plus récentes nouveautés — et il est facile de le dire en rétrospective —, mais reste quand même que la réglementation pouvait être fort différente d’une province ou d’un territoire à un autre. Les travailleurs sociaux, surtout lorsqu’ils étaient surchargés de dossiers de mères et d’enfants, étaient souvent mal outillés pour fournir quelque information que ce soit.

Cela nous rappelle qu’il faut un large éventail de mesures de soutien pour venir en aide à la fois aux enfants et aux parents. Trop souvent, de telles mesures n’étaient pas accessibles. Ces mêmes travailleurs sociaux s’occupaient également de l’adoption, laquelle est devenue davantage un secteur de spécialisation pour eux par la suite, soit dans les années 1970. Auparavant, c’étaient les mêmes personnes qui traitaient les cas tragiques dans ce contexte et notamment les abus à l’endroit des enfants. Les travailleurs sociaux faisaient alors facilement l’amalgame entre les enfants victimes d’abus dans leur famille biologique et les enfants des mères célibataires. Ils estimaient offrir la meilleure aide possible aux enfants et aux mères. Ils pouvaient voir les différentes options envisageables et avaient droit à leur propre lot d’histoires horribles, ce qui explique bien sûr pourquoi on manque encore aujourd’hui de personnel dans le secteur de l’aide à l’enfance. Tout au long du XXe siècle, la plupart des gens qui ont choisi de travailler dans ce secteur en sont ressortis très rapidement.

Le président : Nous allons devoir saluer dès maintenant M. Higgins. Non seulement arrivons-nous à la fin de notre séance, mais il semble bien que nous ayons aussi éprouvé certaines difficultés techniques au niveau du son qui ont grandement compliqué la tâche de nos interprètes vers le français. Le problème serait dû à un bruit de fond qui nous empêche de donner accès à nos délibérations dans les deux langues officielles comme nous sommes tenus de le faire.

Si un sénateur a une autre question à adresser à M. Higgins, il pourra peut-être le faire par courriel afin d’obtenir une réponse écrite.

Est-ce que cela vous convient, monsieur Higgins?

M. Higgins : Tout à fait.

Le président : Je vous remercie beaucoup d’avoir été des nôtres aujourd’hui pour nous en apprendre davantage au sujet de l’expérience australienne.

Nous vous disons donc à la prochaine, et nous poursuivrons quelques minutes encore avec Mme Strong-Boag.

La sénatrice Bernard : Merci de votre participation.

Nos témoins d’hier n’ont pas manqué de nous dire à quel point les pratiques en travail social pouvaient être inéquitables, injustes et arbitraires. Vous nous avez indiqué à peu près la même chose aujourd’hui. Avez-vous des recommandations à nous faire quant aux changements à apporter dans la formation des travailleurs sociaux pour qu’ils soient mieux préparés à effectuer ce genre de travail?

Mme Strong-Boag : Je pense que c’est un élément clé de la solution, aussi bien pour les problèmes passés avec tous ces gens qui ont dû renoncer à leurs espoirs et à leurs rêves, tant du point de vue des enfants que du côté des parents, que dans la situation actuelle avec l’adoption et le placement en foyer d’accueil.

Je crois qu’il est très facile de jeter le blâme sur les travailleurs sociaux. On continue de les pointer du doigt, alors que c’est en fait un problème de société. Il ne fait aucun doute que c’est la société qui sous-finance l’aide à l’enfance encore aujourd’hui, comme c’était le cas par le passé. Il faudrait que les programmes de formation en travail social traitent davantage de racialisation, d’identité sexuelle et des différentes réalités identitaires représentées parmi les adoptants, les parents biologiques et les enfants eux-mêmes.

Des amis qui enseignent en travail social à l’Université de la Colombie-Britannique m’ont indiqué qu’ils avaient de nombreux étudiants qui rêvaient de travailler auprès des enfants, mais se retrouvaient avec une charge de travail si lourde que les cas d’épuisement professionnel devenaient chose courante. On a certes pu observer tout au long du XXe siècle que les travailleurs sociaux avaient trop de dossiers en main pour vraiment être conscients de la situation de chaque enfant. Dans ce contexte, on peut facilement comprendre que des travailleurs sociaux aient pu mettre de côté les besoins des mères parce qu’ils se préoccupaient surtout du sort des enfants. Ils avaient tout simplement trop d’enfants dont ils devaient assurer le bien-être, une surcharge qui est à l’origine du problème selon moi.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Je vous suis vraiment reconnaissante de nous faire bénéficier de votre expertise et du fruit de vos recherches au fil de toutes ces années.

De toute évidence, le moment est venu pour nous de présenter nos excuses et de corriger les erreurs du passé. Même si nous avons encore des politiques d’adoption qui diffèrent d’une province et d’un territoire à l’autre, auriez-vous des recommandations à nous formuler quant au régime idéal pour les adoptions fermées et ouvertes, et relativement aux informations à consigner à la naissance, y compris des données sur les familles des parents du bébé adopté?

Avez-vous des réflexions dont vous voudriez nous faire part à ce sujet?

Mme Strong-Boag : Certainement. J’ai toujours été frappée de constater à quel point il est souvent — mais pas toujours — préférable de tout dire à l’enfant dès qu’il est assez vieux pour comprendre. Il y a différentes manières de lui communiquer cette information suivant son âge. Je suis d’avis que tous les gouvernements devraient s’engager à offrir le soutien nécessaire pour que les enfants adoptés ou placés en famille d’accueil — ce qui est souvent le cas également — aient la possibilité de connaître leurs parents biologiques, lesquels devraient aussi être appuyés dans cette démarche.

Le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle à ce chapitre en créant un véritable guichet unique de l’adoption au Canada de telle sorte que l’information soit facilement accessible, ce qui est loin d’être le cas actuellement, pour les enfants adoptés ou placés en famille d’accueil, ou les adultes qui l’ont déjà été. Il faudrait encore là que cette information puisse être communiquée de façon uniforme dans l’ensemble des territoires et des provinces. On pourrait ainsi simplifier grandement les échanges à ce niveau qui sont souvent très difficiles.

Je dois vous dire qu’il y a aussi des exceptions. Nous devons multiplier les précautions parce qu’il y a assurément des cas d’inceste et de viol. Il peut non seulement être difficile, mais aussi tragique, de faire ressurgir le passé. Il faut offrir aux gens les mesures de soutien nécessaires pour pouvoir composer avec ces circonstances tragiques, surtout dans les cas d’inceste et de viol bien évidemment, car ces histoires sont encore davantage camouflées que celles des mères qui laissent leur enfant en adoption.

Le président : Il est maintenant 18 h 15 et nous en sommes à la fin de notre séance. Je veux vous remercier, madame Strong-Boag, d’avoir témoigné devant nous depuis Victoria et de nous avoir fait profiter de vos points de vue très éclairés sur cette question. Merci beaucoup.

C’était donc la deuxième séance que nous consacrions à cette étude. La troisième aura lieu demain matin à 10 h 30. Nous aurons alors des témoins sur place. Je ne me rappelle pas d’une autre réunion où tous les témoins auraient comparu par vidéoconférence comme aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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