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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 38 - Témoignages du 22 mars 2018


OTTAWA, le jeudi 22 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, en séance publique, afin de poursuivre son examen des questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général (sujet : le mandat d’adoption au Canada après la guerre pour les mères célibataires), et à huis clos, afin d’étudier l’ébauche d’un rapport.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Art Eggleton, je suis un sénateur de Toronto et je préside le comité. J’aimerais demander aux membres du comité de se présenter, à commencer par la personne à ma droite.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec. Je suis vice-présidente du comité.

[Français]

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, Colombie-Britannique.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador

Le sénateur Dean : Tony Dean, Ontario.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le président : Nous tenons aujourd’hui notre troisième et dernière séance sur le mandat d’adoption au Canada après la guerre pour les mères célibataires. Nous recevons quatre témoins, qui nous présenteront des exposés, après quoi nous leur poserons des questions.

Nous recevons d’abord le révérend Dan Hayward, qui fait partie de l’Église unie du Canada; Caroline Fortin, présidente et coordonnatrice principale du Mouvement Retrouvailles ainsi que Diane Poitras, une personne adoptée membre du Mouvement Retrouvailles; enfin, nous recevons Mary Ballantyne, chef de la direction de l’Association ontarienne des sociétés de l’aide à l’enfance.

Nous commencerons par un exposé de sept minutes du révérend Dan Hayward.

[Français]

Révérend Dan Hayward, représentant, Église unie du Canada : Merci de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.

[Traduction]

Entre 2010 et 2012, le personnel de l’Église unie du Canada a reçu des demandes de diverses personnes et organisations touchées par l’expérience des femmes dont les enfants ont été placés en adoption, particulièrement des femmes qui se sont senties forcées de donner leur enfant en adoption entre 1940 et 1980.

En 2013, l’Église unie a mandaté un groupe de travail sur l’adoption d’étudier la question. Un chercheur externe a été chargé de retracer l’histoire des maisons maternelles tenues par l’église. Le rapport qui en est issu décrit l’expérience de sept femmes qui ont séjourné dans ces maisons pendant les années 1960 et 1970. Elles y racontent des histoires de violence verbale et physique, de soins inadéquats, de solitude et de honte. L’une d’elles a comparé l’endroit à une prison. Elles racontent s’être fait dire qu’elles ne seraient pas capables de s’occuper de leur enfant et que l’adoption était la seule solution. Elles affirment ne pas avoir été informées de leurs droits.

L’Église unie a tenu des maisons maternelles à Toronto, à Burnaby, à Winnipeg et à Montréal, en plus de foyers dans les locaux de diverses missions, pour accueillir des femmes enceintes.

La majorité des femmes qui y résidaient n’étaient pas mariées. Beaucoup d’entre elles étaient vulnérables. Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1980, la plupart étaient très fortement encouragées à placer leurs enfants en adoption, voire contraintes ou forcées de le faire.

L’idée dominante depuis les années 1940 jusqu’aux années 1970 était que c’était la meilleure solution pour toutes les parties, puisque cela permettait d’offrir une nouvelle vie à un enfant qui aurait subi de la stigmatisation autrement, en raison de son statut d’enfant illégitime, et que cela permettait aussi à la mère de retourner dans sa famille et sa communauté sans subir toutes les conséquences de ce qu’on considérait comme un faux pas.

De même, tant nos églises que notre société ont souvent exercé des pressions sur les adultes pour qu’ils deviennent parents. On pouvait dire directement ou indirectement à ceux qui ne l’étaient pas ou qui n’arrivaient pas à le devenir que leur famille était incomplète. Pour certains adultes, le choix d’adopter un enfant découlait de cette pression et du désir de former une famille nucléaire. Les parents adoptifs pouvaient croire qu’ils recevraient un appui et une reconnaissance qu’ils ne pourraient pas recevoir autrement qu’en tant que parents.

Ce genre de message et l’incapacité de certaines femmes à avoir un enfant pouvaient les porter à se questionner sur leur rôle dans l’église et la société et à se demander s’il pourrait être la volonté de Dieu qu’elles ne soient pas parents. Les mères célibataires étaient parfois confrontées au même genre de pression. Comme je l’ai déjà dit, on disait aux femmes vivant dans les maisons maternelles de l’Église unie et aux autres mères célibataires, après la Seconde Guerre mondiale, qu’elles n’étaient pas capables d’être parents ou que leur famille ne conviendrait pas à un enfant.

Nous nous réjouissons du fait que la société canadienne admette désormais une plus grande diversité familiale qu’à une certaine époque. Aujourd’hui, différents types de familles sont admises et accueillies dans la société.

Au Canada et dans le monde, diverses communautés et familles ont souffert de pratiques d’adoption non éthiques. Au Canada comme à l’étranger, on privilégie parfois les parents adoptifs et l’adoption sans égard à la volonté et à la dignité des parents biologiques et des communautés.

Une attitude de supériorité culturelle guide de nombreuses personnes et agences responsables de l’adoption. On tient souvent pour acquis que des parents adoptifs bien nantis offriront une meilleure vie à un enfant que ses parents biologiques vivant dans la pauvreté. Les parents monoparentaux, racialisés ou vivant dans la pauvreté subissent souvent des pressions ou sont forcés de placer leur enfant en adoption.

Dans certaines communautés, dont les communautés autochtones du Canada, beaucoup d’enfants ont été retirés de la communauté pour être placés en adoption nationale ou internationale. Le cas échéant, les membres de la communauté peuvent se faire donner de l’information erronée sur l’adoption ou subir d’autres formes de pression.

Le retrait des enfants d’une communauté a des répercussions profondes. Les enfants ont une vocation unique au sein de leur communauté, et le fait de s’occuper des enfants donne un sens et un but à la vie de la communauté. Le retrait des enfants crée souvent une perte d’identité, de sens et de dignité, en plus de priver la communauté des cadeaux sans pareil que sont les enfants. Au pire, l’adoption peut contribuer au génocide culturel.

Par ailleurs, l’adoption n’est pas toujours dans l’intérêt de l’enfant non plus. Selon la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant, chaque enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être laissé à leurs soins. De plus, dans les pays où il y a des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des communautés autochtones, l’enfant qui appartient à une minorité ou à une communauté autochtone ne doit pas être privé de son droit d’accès aux autres membres de sa communauté, pour pouvoir vivre sa culture, pratiquer sa propre religion et parler sa propre langue. Bon nombre d’enfants séparés de leur famille biologique pour être donnés en adoption vivent une perte d’identité et de culture.

Ainsi, nombreuses sont les personnes adoptées qui nous ont raconté avoir perdu leur identité et leur sentiment d’appartenance. Certaines nous ont raconté leur quête pour retrouver leur famille biologique et en apprendre sur elles-mêmes. Certaines décrivent l’adoption comme une perte d’identité, alors que d’autres affirment leur attachement à leur famille adoptive. Beaucoup qualifient leur identité de complexe et de plurielle. Certaines personnes ont aussi vécu toutes sortes de formes de violence ou de négligence en institution, dans des foyers d’accueil ou dans leur foyer d’adoption.

Il incombe pourtant aux gouvernements et aux services de protection de l’enfance de veiller à ce que les familles d’accueil et les familles adoptives s’occupent convenablement des enfants et respectent leurs droits.

Aujourd’hui, nous avons l’occasion de réévaluer le rôle des familles dans nos communautés au sens large. Les églises, en particulier, ont un rôle à jouer pour encourager les familles à s’entraider et à redécouvrir un esprit de communauté. Jésus nous enseigne notre responsabilité à l’égard des autres. Nous invitons les églises à s’occuper des familles et à offrir de l’aide à tous les parents, particulièrement aux parents qui éprouvent des difficultés.

Nous prônons l’honnêteté et la vérité. Le secret et la rétention d’information nuit aux enfants, aux familles et aux communautés. Nous jugeons l’adoption forcée contraire à l’éthique. Nous partageons la souffrance des enfants adoptés et de leurs familles qui ont subi une adoption non éthique, qui n’ont pas eu accès à la vérité, nous partageons la souffrance des enfants coupés de leur famille et de leurs communautés par l’adoption. Nous regrettons sincèrement le rôle que l’Église a joué dans ces adoptions contraires à l’éthique.

[Français]

Le président : Maintenant, nous entendrons Mme Caroline Fortin, du Mouvement Retrouvailles.

Caroline Fortin, présidente et coordonnatrice provinciale, Mouvement Retrouvailles : Bonjour et merci de nous accueillir aujourd’hui. Vous avez déjà en main notre mémoire. Certaines parties concernent la loi québécoise que je n’aborderai pas aujourd’hui.

La majorité des provinces au Canada ont modifié leurs lois concernant la confidentialité des dossiers d’adoption, mais celles-ci ne sont pas uniformisées et sont donc discriminatoires. Dans notre mémoire, aux pages 3 et 5, vous verrez quelques exemples de discrimination. Les parents d’origine et leur enfant confié à l’adoption n’ont pas choisi l’adoption comme mode de vie. Pour la plupart, ce choix leur a été imposé. Plusieurs mères ont subi des sévices, de la torture psychologique, émotionnelle et physique pour payer pour leur péché. Elles ont souffert de regards méprisants, de paroles blessantes et de jugements de la société et des responsables des établissements qui les cachaient. Les accouchements dans la souffrance étaient une façon de leur faire payer leur faute. À la naissance, le seul choix qu’elles avaient était de laisser leur enfant aux soins des communautés religieuses, de prêtres, d’avocats ou d’organisations plus ou moins fiables qui s’occuperaient de placer leur enfant dans une bonne famille. Certaines d’entre elles devaient placer leur enfant moyennant une rétribution financière.

Quel déchirement pour elles de perdre l’être qu’elles ont porté pendant neuf mois! Quel courage elles ont démontré pour confier une partie d’elles-mêmes à d’autres mains! Comment vivre leur vie sans connaître le fruit qu’elles ont porté? Elles se devaient de garder ce secret, de ne plus jamais en reparler et de s’exiler de leur coin de pays pour ne pas que la honte frappe leur famille. À l’époque, ces secrets sociaux étaient gérés par le gouvernement, la religion et la société.

Pour les personnes confiées à l’adoption, ce bris du lien d’attachement causé par la séparation radicale d’avec leur mère a bouleversé leur vie. Certaines personnes ont encore bien du mal à rétablir les torts causés par cette rupture profonde qu’est celle du lien utérin. Qui sont-ils? Qui leur a donné la vie? Quel est le visage de celle avec qui ils ont vécu durant neuf mois? Quelle est l’histoire de leur naissance? Quels sont leurs antécédents médicaux et familiaux? Tout cela fait partie des questions soulevées quant au droit à l’identité.

Ces adoptions forcées du passé ont aussi touché d’autres membres de la famille qui n’ont eu aucun droit au chapitre et qui ont dû vivre avec ce lourd secret et ses conséquences négatives sur leur propre vie. Le droit à l’identité est un droit pour tout être humain, adopté ou non, mais encore faut-il qu’une personne connaisse son statut d’adopté.

Le directeur de l’état civil, à notre avis, devrait être en mesure de divulguer cette information dès la majorité, qui ne correspond plus à la notion d’« enfant » en matière de protection. Toutes les provinces devraient pouvoir fournir toute l’information disponible dans les dossiers d’adoption, soit une copie complète du dossier d’adoption, y compris les documents de naissance, de baptême et d’adoption, car l’adopté et les parents biologiques en sont les sujets principaux. D’ailleurs, le certificat de baptême après l’adoption est, quant à nous, un document « faussement légalisé » pour effacer toute trace de l’illégitimité.

L’identité du parent d’origine est l’identité même de la personne confiée à l’adoption. Aucun veto de divulgation d’information ne devrait être accepté. Un veto de contact recevable devrait présenter d’excellentes raisons d’ordre médical ou de préjudices familiaux, et inclure des informations sur les antécédents médicaux. Dans un monde idéal, aucun veto ne serait acceptable. La fratrie et la parenté liées par le sang sont une source essentielle pour l’adopté. Il est essentiel de pouvoir mettre ces gens en relation sans retenue. Un parent adoptif dont l’adopté est décédé devrait également pouvoir être mis en contact avec le parent d’origine pour l’informer du décès de celui-ci et lui donner des informations.

Qu’on soit né dans une province ou une autre au Canada, les droits à l’identité devraient être les mêmes. Qu’on ait été une mère célibataire au Québec, en Ontario ou ailleurs au Canada, le droit de connaître la personne qu’on a mise à monde doit être identique. L’identité et la vérité doivent être respectées, universelles et prioritaires. De nombreuses personnes se tournent vers des sites Internet, des réseaux sociaux et, de plus en plus, vers des bases de données génétiques sur l’ADN pour retracer leur identité. Le secret ne pourra être maintenu indéfiniment.

Pendant des décennies, les adoptions ont été forcées et les mères devaient se plier devant tant de pouvoirs religieux, sociaux et gouvernementaux. Elles ont été ostracisées, montrées du doigt et qualifiées d’indésirables et de pécheresses. Elles étaient une honte pour la famille. Pourquoi? Pour avoir créé la vie en elle hors des liens sacrés du mariage. Le mal qui a été fait à ces milliers de femmes canadiennes, voire des millions, est irréparable. Encore aujourd’hui, elles en paient le prix. De nombreuses mères ont dû abandonner leur enfant. Certaines croient que leur enfant est mort à la naissance. Plusieurs n’ont jamais pu voir et prendre leur enfant dans leurs bras, tandis que d’autres en ignorent même le sexe. Des consentements ont été signés sous l’emprise des autorités ou sans que les femmes aient été aptes à prendre une telle décision, tant en raison de leur âge que de leur condition médicale ou psychologique.

Notons que ni la notion de confidentialité ni leur droit de révocation n’étaient mentionnés dans ce document. Ces femmes, stigmatisées par cette expérience de vie, méritent que le voile soit levé et que leurs droits soient reconnus. La décision définitive d’adoption semblait provenir uniquement des personnes d’autorité pour qui les mères célibataires et leur enfant étaient des signes de faiblesse, de honte et d’impureté pour lesquels ils étaient punis.

Aujourd’hui, il est également important de prendre en considération l’aspect médical. Des composantes génétiques peuvent prendre une grande importance dans certaines pathologies physiques. Qu’arrive-t-il dans le cas d’une personne confiée à l’adoption, lorsque sa santé et celle de ses descendants sont mises en péril faute d’information? Qu’en est-il de tous ces documents médicaux falsifiés par manque d’information véridique? Selon nous, la connaissance de leurs antécédents est un droit incontournable et acquis.

De graves manquements ont été commis et il est urgent de réparer le tout. Là où les dossiers sont ouverts, aucune conséquence négative ou majeure n’a été remarquée. Pourquoi en serait-il différent au Canada? La connaissance de ses racines biologiques est un besoin fondamental de la personnalité humaine. La confidentialité des dossiers d’adoption suscite d’importantes difficultés d’identification, donne un statut d’exception aux personnes concernées et leur enlève la possibilité de se référer à leurs véritables origines et de transmettre la vérité. Le droit à l’égalité et à la dignité est un droit pour tout être humain.

En conclusion, la personne adoptée ignore la vérité face à ses origines. Le morceau manquant doit être accessible pour tous, sans discrimination. Le temps de l’ignorance est révolu. Adopter un enfant est un acte intentionnel. Confier un enfant à l’adoption ne l’était pas à l’époque et ne l’est généralement pas encore aujourd’hui. Dans les deux cas, l’enfant doit être le sujet de l’adoption et non l’objet. Ses droits doivent être respectés. Donner la vie à un enfant était et demeure indubitablement un événement heureux. Malheureusement, pour plusieurs femmes, cette situation a provoqué de grandes souffrances, un grand déchirement et des blessures profondes. C’est une marque au fer rouge. Une telle séparation est assurément un traumatisme profond, qui hypothèque une vie entière.

Des gestes ont été posés par le passé et nous croyons que des excuses nationales devraient être prononcées face à cette période d’une tristesse inimaginable pour une personne qui n’a pas eu à vivre ces événements, mais combien dommageable pour ceux et celles qui les ont vécus, et ils sont nombreux. Le temps est venu pour tous les Canadiens d’être en harmonie avec le droit à l’identité et à la vérité. Tous doivent reconnaître cette dignité qu’est celle d’être mère.

Diane Poitras, personne adoptée, membre, Mouvement Retrouvailles, à titre personnel : Bonjour, merci de m’avoir invitée. Aujourd’hui, je m’adresse à vous, avec mon vieux cœur d’orpheline.

Pour marquer notre rencontre, je porte le numéro de matricule 6076 que j’ai reçu le lendemain de ma naissance à l’orphelinat de la Crèche de la Réparation, où j’ai été baptisée sous le nom de Jeanne d’Arc Blondin. J’ai vécu 139 jours d’internement dans ce triste et lugubre orphelinat où chaque instant durait un siècle, surtout quand je pleurais d’ennui. Je voulais mourir dans toute ma solitude d’orpheline. Un jour, j’ai adressé mon plus beau sourire à deux personnes étrangères qui voulaient adopter une petite fille. Ce fut le coup de foudre. J’ai été extrêmement ravie de sortir de cette prison de malheur où je ne pouvais retrouver la tendresse de ma maman d’origine. Ce jour-là, j’ai été sauvée du risque très élevé et terrible de devenir une orpheline de Duplessis.

Vers l’âge de 10 ans, j’ai appris mon adoption à l’école. Il était impossible d’en savoir plus long sur mon adoption, parce que tous les documents avaient disparu. En 1991, j’ai décidé de faire une demande de retrouvailles. J’ai reçu le document appelé « Antécédents sociobiologiques ». Dans ce document, j’ai appris pour la première fois, à l’âge de 43 ans, que ma maman de naissance est arrivée enceinte au Canada après la guerre. De nationalité polonaise, elle venait d’un camp de réfugiés en Allemagne. Elle était polyglotte, sympathique, intelligente et elle avait une physionomie agréable.

J’ai reçu les conseils des associations polonaises et du consulat. On m’a suggéré l’aide de personnes très compétentes pour communiquer avec ma mère dans sa langue d’origine. J’ai dû, obligatoirement, rencontrer une intervenante du centre des services sociaux et j’ai été reçue assez cavalièrement. J’ai rencontré une autre travailleuse sociale, qui était assez âgée, de style rétro, bigote, très distante, et elle m’a dit qu’elle avait déjà travaillé auprès des mères qui devaient abandonner leur enfant. C’était une technocrate qui portait en elle une dévotion outrée à la sacro-sainte confidentialité. Sans l’énoncer clairement, elle m’a préparée très subtilement à un refus. En retournant à mon hôtel, j’ai senti des douleurs intenses à l’intérieur de moi. Mon cœur, brisé par la douleur, allait-il me lâcher, et ma tête, éclater? J’avais déjà fait une paralysie faciale neuf ans plus tôt, et je ne voulais surtout pas que cela se reproduise.

Ultérieurement, cette même travailleuse sociale francophone a rencontré ma maman polonaise et anglophone. Elle m’a ensuite téléphoné pour me parler de ma maman d’origine. Ma mère avait refusé l’avortement, elle était certaine que j’étais décédée. Un autre choc.

Mes questions sur le plan médical ont été escamotées. Ma mère a vu plusieurs photos à différentes étapes de ma vie. Je n’ai même pas pu savoir si je lui ressemblais ou si l’un de mes enfants ressemblait à quelqu’un de sa famille. Quelle cruauté! J’ai l’impression d’avoir été jetée en bas de mon arbre généalogique. Plus tard, j’ai reçu une lettre de refus et mes larmes polonaises ont coulé abondamment.

Cette démarche pour retrouver ma mère a été l’expérience la plus traumatisante de ma vie, un incroyable imbroglio à résoudre. Dans le document « Antécédents sociobiologiques », ma mère avait 29 ans à ma naissance, elle est donc née vers 1920. Sur la déclaration de décès, ma mère est décédée à 84 ans, elle serait donc décédée en 2004. Jusqu’en 2010, on m’a toujours dit qu’il n’y avait pas de décès d’enregistré. Cherchez l’erreur! De plus, je ne peux me recueillir à l’endroit où ma mère repose pour toujours.

Qui s’occupe du droit à la santé des adoptés? L’un de mes petits-enfants est autiste et il a cinq ans. Le médecin nous a informés, avant Noël, qui souffre de problèmes neurologiques provenant d’un chromosome inversé. Bien sûr, on m’a demandé s’il y avait des cas similaires dans ma famille. J’ai donné la réponse que j’ai répétée toute ma vie — toute ma vie! — : « Je ne le sais pas, j’ai été adoptée. »

Il est impossible de recevoir l’aide de la Commission des droits de la personne et du protecteur du citoyen. Le principe est le suivant. Une adoptée est née de rien, donc on ne fait rien pour elle. Naître de rien pour vivre toute une vie dans les mystères et les mensonges, c’est ça, l’adoption plénière. Ma naissance, c’est la mienne et non celle de quelqu’un d’autre. Et mes parents d’origine sont les miens par l’hérédité et le sang qui coule dans mes veines. Le mystère de mon incarnation a assez duré, parce que c’est une violence terrible faite à mon intelligence.

Je crois sincèrement que la mère qui donne la vie laisse toujours un doux parfum d’origine à son enfant. Toute ma vie, j’ai essayé de dessiner le portrait de mes parents de vie avec rien. Je peux essayer de créer ce portrait dans mes rêves, mais, quand je me regarde dans le miroir, je ne me souviens pas de mes parents de naissance, et pourtant, tout mon être en exprime l’absence. Que la vérité de ma naissance soit romantique ou tragique, elle m’appartient.

Au Canada, tout le monde doit faire partie de la même symphonie humaine au moment de la naissance. Toute naissance doit avoir une identité vraie, une dignité, une valeur humaine et ne pas être un éternel mystère. De la porte de l’orphelinat à la porte du Sénat, mes origines gisent, encore et toujours, dans l’anonymat. Vous avez, devant vous, la plus orpheline des orphelines du Québec.

Je vous remercie de votre écoute et de votre humanité. Les adoptés sont aussi des personnes.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

Notre quatrième témoin représente l’Association ontarienne des sociétés de l’aide à l’enfance. Il s’agit de Mary Ballantyne, qui est chef de la direction.

Mary Ballantyne, chef de la direction, Association ontarienne des sociétés de l’aide à l’enfance : On m’a demandé de venir vous parler de l’adoption, après la guerre, d’enfants nés de mères célibataires en Ontario, et c’est avec plaisir que je viens vous fournir de l’information. J’aurai l’air d’une véritable bureaucrate après toutes les histoires que nous avons entendues aujourd’hui, mais ce n’est absolument pas mon intention.

L’AOSAE compte parmi les membres qu’elle représente 48 sociétés d’aide à l’enfance et sociétés du bien-être autochtone en Ontario. Les sociétés d’aide à l’enfance ont la responsabilité juridique exclusive d’offrir des services de protection de l’enfance, y compris des services d’adoption aux enfants et aux jeunes ayant vécu des abus ou de la négligence ou qui sont à risque d’en vivre. Elles aident aussi les familles ayant besoin d’aide supplémentaire.

Comme nous le savons, l’adoption, de nos jours, diffère beaucoup de l’adoption telle qu’elle existait au siècle dernier. La stigmatisation publique des mères célibataires existait avant et après la création des sociétés d’aide à l’enfance en Ontario. Les communautés s’inquiétaient du sort des enfants vivant dans ce qu’on considérait comme des circonstances immorales. Ainsi, des enfants étaient parfois séparés de leur mère pour leur épargner ce qu’on considérait comme une vie de pauvreté ou de stigmatisation.

En Ontario et dans le reste du Canada, beaucoup de mères célibataires ont laissé leurs enfants en adoption en raison des lourdes pressions sociales qui s’exerçaient sur elles. L’impitoyable jugement auquel étaient confrontées les mères célibataires était en grande partie attribuable à la croyance sociale qui voulait que les femmes ne pouvaient pas prendre de bonnes décisions parentales ni conserver leur stabilité émotionnelle.

La stigmatisation et la honte associées à ce qu’on appelait l’illégitimité, conjuguées au manque de soutien social, a poussé bien des mères souvent bien jeunes à prendre des décisions désespérées. Beaucoup ont été envoyées dans des maisons maternelles, souvent dirigées par des organisations confessionnelles, et n’étaient pas autorisées à voir leurs bébés après la naissance. Manifestement, c’était un immense traumatisme pour elles.

On leur offrait bien peu de soutien, puisqu’on croyait que c’était leur faute si elles s’étaient placées dans cette mauvaise situation et qu’il était bien mieux pour elles comme pour leurs bébés que ceux-ci soient confiés à des couples mariés.

La race était également un facteur clé. Si l’on considérait les enfants noirs inadoptables en raison de l’attitude envers les mères célibataires racialisées, une mère célibataire blanche était perçue comme une candidate à la réhabilitation grâce à l’adoption.

Les méthodes d’adoption ont également eu de profonds effets néfastes sur les enfants, les familles et les communautés autochtones. Les sociétés d’aide à l’enfance de l’Ontario l’ont reconnu en s’excusant de l’effet dévastateur de la rafle des années 1960, dont les vestiges s’observent encore aujourd’hui. Les lois et les systèmes sociaux mis en place à l’époque en matière d’adoption reflétaient les pressions sociales et les mœurs de l’époque.

En 1921, l’Ontario a adopté sa première loi du genre, la Loi sur l’adoption. Celle-ci venait régir l’adoption, sous la supervision des sociétés d’aide à l’enfance, à qui elle confiait la responsabilité de superviser les placements et de vérifier la qualité des foyers d’adoption. Elle permettait en toute légalité de modifier le certificat de naissance de l’enfant et conférait à l’enfant adopté les mêmes droits qu’à l’enfant biologique.

En 1927, cette loi a été modifiée, afin de sceller les dossiers des personnes ayant participé au processus d’adoption. En effet, on croyait à l’époque que la divulgation publique du statut de l’enfant adopté nuirait à son adaptation dans sa famille adoptive. On considérait également que cette mesure protégeait les enfants de la forte stigmatisation associée à l’illégitimité.

Pour travailler moi-même dans le domaine de l’aide à l’enfance depuis plus de 30 ans, je le vois. Encore aujourd’hui, on considère qu’il n’est pas toujours dans l’intérêt de l’enfant de connaître son histoire familiale. Je ne suis pas d’accord avec cette position. Nous nous en distançons, mais nous reconnaissons que cette perception existe toujours.

Selon les données de l’AOSAE et d’Origins Canada, plus de 96 000 enfants nés de mères célibataires auraient été adoptés entre 1942 et 1971. Nous n’avons pas pu valider ces données, mais nous reconnaissons que leur nombre est très élevé.

Durant les années 1970 et 1980, la honte, le jugement et la discrimination qui pesaient sur les mères célibataires ont commencé à s’estomper, et l’acceptation sociale de la parentalité, à augmenter. De plus en plus fréquemment, on s’est mis à permettre aux mères de prendre des décisions éclairées sur elles-mêmes et leurs enfants. Les sociétés d’aide à l’enfance se sont mises à offrir du soutien aux mères monoparentales qui décidaient d’élever seules leurs enfants.

Beaucoup de modifications ont été apportées aux lois en conséquence pendant cette période. En 1978, l’adoption privée est devenue une alternative réglementée à l’adoption publique. Les sociétés d’aide à l’enfance ont reçu l’autorisation d’offrir une subvention à l’adoption d’un enfant à besoins spéciaux. Le registre de divulgation des renseignements sur les adoptions a aussi été créé, et des droits particuliers ont été accordés aux parents biologiques.

En 1982, la Charte des droits et libertés a poussé les sociétés d’aide à l’enfance à revoir les pratiques d’adoption. Il a alors été jugé discriminatoire d’imposer des limites d’âge, de statut matrimonial ou d’orientation sexuelle aux parents adoptifs potentiels.

En 1985, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario a instauré de nouvelles règles sur l’adoption privée, notamment celles sur le soutien psychologique à fournir tant au parent donnant son enfant en adoption qu’à ceux souhaitant en adopter un.

En 2012, le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse a adopté une nouvelle politique, assortie de financement, pour favoriser l’adoption des enfants plus âgés et des fratries grâce à la mise en place de subventions à l’adoption ciblée. Les attitudes, les méthodes et les lois en matière de divulgation de l’adoption ont aussi changé avec le temps. Le secret entourant l’adoption est un sujet controversé chez les enfants adoptés devenus adultes, les parents biologiques et les familles adoptives.

En mai 2008, la Loi sur l’accès aux dossiers d’adoption est venue conférer aux adultes adoptés et à leurs parents biologiques de nouveaux droits à l’information et la protection des renseignements personnels en leur permettant de présenter une demande de renseignements post-adoption. Il faut toutefois reconnaître que ces renseignements sont souvent maigres et difficiles d’accès. L’importance de l’ouverture et de la conservation de liens positifs et constructifs après l’adoption est aussi mieux comprise aujourd’hui.

En 2006, la Loi sur les services à l’enfant et à la famille a été modifiée afin de favoriser une plus grande ouverture écrite, verbale, en personne, directe ou indirecte. D’autres modifications apportées en 2011 sont venues obliger les sociétés d’aide à l’enfance à envisager une plus grande ouverture dans tous les cas d’ordonnance de tutelle par la Couronne.

En 2018, la nouvelle Loi sur les services à l’enfance et à la famille viendra renforcer encore davantage la transparence en obligeant les sociétés d’aide à l’enfance à envisager d’établir ou de maintenir des liens avec la Première Nation ou la communauté métisse ou inuite de laquelle l’enfant est issu.

De plus, tout le milieu de l’aide à l’enfance s’affaire actuellement à mieux comprendre comment il peut mieux venir en aide à divers groupes raciaux, y compris aux enfants et aux jeunes d’origine afro-canadienne qui sont placés en famille d’accueil. Il y a désormais un cadre de pratique « une vision, une voix » qui s’applique afin de favoriser le placement de ces enfants dans la famille élargie ou dans des familles d’accueil ou d’adoption partageant le bagage ethnique, culturel et religieux de l’enfant.

Aujourd’hui, en Ontario, l’adoption n’est que l’une des nombreuses options permanentes à la disposition des sociétés d’aide à l’enfance lorsque vient le temps de décider quel serait le meilleur milieu pour un enfant ou un jeune. Parmi les autres options privilégiées, il y a la prise en charge par des membres de la famille élargie ou des familles de mêmes traditions.

En 2016-2017, les sociétés d’aide à l’enfance ont mené à bien 775 adoptions. Plus du tiers de ces adoptions ont été frappées d’une ordonnance de communication.

Selon les données colligées par les services de protection de l’enfance, le nombre d’enfants offerts en adoption a diminué entre 2009 et 2017. Cela s’explique par le fait que le principal objectif des sociétés d’aide à l’enfance est désormais d’offrir des services axés sur le soutien aux familles pour que les enfants puissent continuer de vivre en toute sécurité dans leur propre famille ou chez des membres de leur famille élargie.

Pour conclure, nous croyons que même si la société et les systèmes sociaux comme ceux des sociétés d’aide à l’enfance ont évolué dans leur mentalité, leur attitude et leurs pratiques à l’égard des enfants et de leurs familles, ils continueront d’évoluer. Nous reconnaissons mieux l’effet de la permanence et de la séparation des enfants de leurs familles. Nous nous efforçons de trouver de meilleures solutions.

Nous sommes conscients des effets négatifs qu’ont eus les pratiques d’adoption des services de protection de l’enfance sur les enfants et les familles dans l’histoire. Nous trouvons de nouvelles façons d’écouter les voix de ceux qui en ont vécu l’expérience. Nous travaillons en collaboration avec les communautés et nos partenaires du gouvernement pour améliorer constamment notre travail, y compris les services d’adoption offerts en Ontario.

C’est avec plaisir que je répondrai à toutes vos questions sur le rôle que jouent les sociétés d’aide à l’enfance dans le processus d’adoption.

Le président : Je vous remercie tous les quatre de l’information de qualité que vous nous avez communiquée avec beaucoup de passion et d’émotion.

La sénatrice Seidman : Depuis trois jours, nous vous entendons parler avec le cœur. Comme vous nous l’avez dit aujourd’hui, les mères qui ont été violentées et forcées de donner leurs bébés, de même que les enfants arrachés à leur mère, n’ont jamais vraiment compris pourquoi on les avait abandonnés ainsi.

Il faut vraiment des mesures concrètes. Nous sommes ici pour faire des recommandations à la fin de cette étude sur ce que nous pouvons faire pour réparer les terribles torts causés.

Hier, nous avons entendu une sénatrice australienne nous parler de l’étude réalisée en Australie. Les grands thèmes de son rapport sont les excuses, les indemnités financières, les services de soutien et l’accès à l’information.

J’aimerais savoir ce que vous avez à dire à ce sujet. Je sais que c’est une grande question, mais vous pourriez peut-être me faire chacun une recommandation sur ce qui vous apparaîtrait comme la chose plus importante à inclure à notre rapport.

M. Hayward : Je suis persuadé que les membres du comité envisagent de recommander des excuses. Ce serait une option à présenter au gouvernement dans votre rapport.

Notre église l’envisage aussi. Nous sommes en train de jeter les bases de ce que nous ferons par la production d’un rapport important sur les théologies de l’adoption, qui a été adopté cette année. Il porte sur un vaste éventail d’enjeux propres à l’adoption allant bien au-delà des méthodes de l’Église unie dans les maisons maternelles après la guerre.

Ce sera déjà un grand pas en avant si les églises et le gouvernement présentent des excuses aux personnes touchées, mais il doit d’abord y avoir un travail préparatoire.

[Français]

Mme Fortin : Je vais m’exprimer en français.

Je crois qu’il serait très important de présenter des excuses nationales, parce que de nombreuses personnes ont été touchées par ces adoptions forcées. Par contre, aujourd’hui en 2018, bon nombre des mères célibataires de cette époque sont décédées et ne pourront recevoir ces excuses. Il serait bon de les adresser à toutes les personnes concernées, aux parents biologiques, à leurs autres enfants, à leur famille, aux personnes adoptées ou aux personnes confiées à l’adoption, mais qui n’ont pas eu la chance d’être adoptées. Je pense que ce serait un geste important.

À mon sens, au-delà des excuses, il serait vraiment important de garantir le droit à l’identité de toute personne. Il s’agit d’assurer l’ouverture des dossiers d’adoption et de faire en sorte que l’information soit transmise à la personne adoptée et aux parents biologiques. Au Québec, une loi entrera en vigueur en juin prochain. L’ouverture des dossiers ne se fait que du côté de l’adopté vers son parent d’origine. Le parent d’origine pourra connaître l’identité de son enfant, mais avec son consentement, comme cela se fait actuellement. Donc, ce ne sont pas des adoptions ouvertes. Il faudrait que les deux parties aient accès à tout document qui, selon moi et selon le Mouvement Retrouvailles, leur appartient.

Mme Poitras : J’abonde dans le même sens que Caroline. Je suis d’accord avec le principe des excuses. J’attends toujours, et ma hantise, c’est de mourir sans savoir. À l’âge où je suis rendue... On ne peut pas reculer l’horloge.

En ce qui concerne la Charte des droits et libertés, je ne sens pas que j’en fais partie, parce qu’à mon avis, ne pas savoir qui on est, ce n’est pas être libre.

Je suis d’accord avec le principe des excuses et avec le fait de donner la chance aux personnes adoptées de récupérer leur dossier. Cependant, je vous en supplie, faites vite, car c’est très urgent. J’ai besoin de léguer un héritage de vérité à mes enfants et à mes petits-enfants. Hier soir, mon petit-fils m’a dit : « Mamie, quand tu vas revenir, est-ce que tu vas savoir le nom de ta mère? » Les petits-enfants ne comprennent pas toujours et ils me disent : « Est-ce que tu vas savoir le nom de ta vraie mère? » Quant à moi, j’en ai eu deux. Celle que je n’ai pas connue, je ne l’ai jamais abandonnée, je l’ai toujours aimée.

Il est urgent d’agir. Au Québec, je me suis battue pendant 25 ans. Mes antécédents biologiques, tout le monde les a eus au Québec, que ce soit les députés, les ministres ou les journalistes. C’est incroyable! J’ai l’impression de faire partie d’une classe de sous-citoyens. Quand on te demande qui est ta mère et que tu réponds que tu ne le sais pas; quand tu rencontres quelqu’un au consulat et que tu lui dis : « Ma mère est une personne sans nom, sans visage et qui a à peu près tel âge », tu as l’air de quoi? À mon avis, c’est la plus grande humiliation qu’on peut vivre. Voilà, c’est tout ce que je voulais dire.

[Traduction]

Mme Ballantyne : Je pense qu’il y a tout lieu de présenter des excuses à ces personnes, mais je ne peux vous parler que de la situation en Ontario. Cela dit, ces excuses doivent s’accompagner de mesures tangibles. Je ne crois pas qu’en Ontario, à tout le moins, le système soit prêt pour les mesures qui devraient suivre.

Si vous envisagez de présenter des excuses, je vous recommanderais de demander aux services de protection de l’enfance du Canada d’analyser le rôle qu’ils ont joué dans cette histoire. Je crois qu’en Ontario, à tout le moins, cette analyse n’a pas encore été faite.

Comme vous le savez, nous nous questionnons beaucoup sur le rôle que nous avons joué dans la vie des enfants, des familles, des communautés et de toutes les jeunes femmes autochtones il y a plusieurs dizaines d’années, ainsi que sur nos pratiques à l’époque. J’arrivais à peine dans le domaine au moment où ces institutions ont fermé, mais c’était quelque chose.

Nous n’avons toutefois pas encore examiné notre rôle dans ce contexte, et je vous inviterais à demander aux services de protection de l’enfance d’analyser le rôle qu’ils ont joué dans l’histoire, ainsi que leurs pratiques actuelles. Comme je l’ai dit, en Ontario, bon nombre de ces pratiques ont évolué avec le temps, si bien qu’il y a maintenant plus d’ouverture et de communication.

Est-ce suffisant? Allons-nous déjà assez loin pour assurer la transparence dans le système, pour régler les problèmes entourant le secret et les questions d’identité?

Comme je l’ai dit, le tiers des adoptions conclues en Ontario depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi s’assortissent d’ordonnances de communication. Qu’en est-il des deux autres tiers? Pourquoi ne sont-elles pas assorties des mêmes conditions? C’est un exemple de point de départ pertinent pour l’Ontario.

Le président : Avant de donner la parole à notre prochain intervenant, comment étaient financées les maisons maternelles?

Vous parlez dans votre rapport des lois de l’Ontario. Je suis certain qu’une partie considérable des sommes nécessaires à leur administration venaient du gouvernement de l’Ontario. Je ne sais bien pas d’où serait venu le financement sinon, mais nous avons aussi entendu dire qu’il y avait peut-être du financement fédéral.

Pouvez-vous nous parler de la provenance du financement de ces centres de maternité?

Mme Ballantyne : Je pourrais tenter de trouver ces renseignements, mais je ne peux pas vous fournir de données exactes. J’imagine que les organismes confessionnaux fournissaient une partie de ce financement par l’entremise de leur infrastructure.

Une autre partie provenait probablement des sociétés d’aide à l’enfance, qui obtenaient elles-mêmes leur financement des gouvernements provinciaux, afin de payer pour ces centres.

Je pense également que certaines familles payaient directement ces centres, car certaines de ces jeunes femmes provenaient de familles à l’aise financièrement. Je soupçonne que c’était une combinaison de tout cela.

Je ne connais pas le rôle qu’aurait pu jouer le gouvernement fédéral, car le gouvernement fédéral n’a pas réellement financé le secteur de la protection de l’enfance, à l’exception du volet autochtone. C’était en grande partie une initiative provinciale.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci du fond du cœur de la générosité de votre témoignage.

J’aimerais poser une question au sujet de l’« après » et de la guérison. Évidemment, on explique le contexte historique, religieux et culturel dans lequel s’est produit le drame. Mais ce qu’on entend dire depuis quelques jours, c’est que beaucoup de mères et de personnes adoptées subissent un traumatisme et vivent un abandon — et parfois même deux abandons — lorsque les retrouvailles ne fonctionnent pas.

J’aimerais savoir ce qui se passe sur le plan du soutien qu’on vous offre ou qu’on ne vous offre pas, dans le contexte de ce drame et de ce traumatisme que vous avez vécus. J’ai l’impression, avec tout ce que j’ai lu et entendu, que pour toutes sortes de raisons, ce traumatisme est incompris. J’aimerais connaître la qualité du soutien psychologique offert, s’il existe. Dans le cas contraire, quelle est l’importance du soutien psychologique? Devrait-il faire partie de nos recommandations?

Mme Fortin : Si on parle des adoptions du passé, puisque c’est le sujet d’aujourd’hui, il existe très peu de soutien psychologique, si ce n’est que par des organismes comme le nôtre, ou comme Parent Finders ou Origins Canada.

D’autres organismes majoritairement bénévoles peuvent aider les gens à discuter. Je dirais qu’au Mouvement Retrouvailles nous n’avons pas de soutien psychologique adapté de façon médicale. Chez nous, le soutien vient de l’expérience des personnes adoptées et de celle des parents d’origine. Nous avons même des parents adoptifs qui viennent échanger avec d’autres personnes. Parfois, simplement le soutien et l’échange avec d’autres et le fait de savoir qu’on n’est pas seul dans cette situation peuvent faire du bien. Mais, à mon avis, ce n’est pas un soutien adapté. Dans certains cas, il n’y a aucun problème, alors que dans d’autres cas plus profonds, les gens doivent se diriger vers de l’aide individuelle. Bref, à ma connaissance il n’y a pas beaucoup d’aide à ce chapitre.

Évidemment, au Québec ce sont les centres jeunesse qui s’occupent des retrouvailles. Lorsque les retrouvailles sont faites, il y a très peu de suivi par la suite. On se dit que tout est beau et qu’on a fait des retrouvailles, le dossier est ensuite fermé et on n’en parle plus. Il y a une petite préparation, mais ce n’est pas suffisant. Certaines mères vont refuser de rencontrer leur enfant, parce qu’elles ne sont pas préparées, elles n’ont pas eu le temps de réfléchir à leur réponse. Toute leur vie, ces femmes ont vécu dans le secret. Elles n’ont jamais été suivies et n’ont jamais rencontré de psychologue. C’était tenu secret, elles ne pouvaient pas en parler. Elles ne voulaient pas en parler et elles arrivent avec une demande de retrouvailles.

Dans certains cas, la démarche se fait de façon humaine. On consacre du temps autant à la mère qu’à la personne adoptée. On accorde un temps de réflexion à ces personnes afin qu’elles puissent prendre la bonne décision et absorber tout cela. Par contre, une mère, par exemple, peut recevoir un appel, et ça s’arrêtera là. Elle refusera, parce qu’elle ne se sent pas prête. Alors le dossier portera la mention « Refus ». Aucun suivi n’est fait en ce sens.

On parle des adoptions du passé. Aujourd’hui, la dynamique est différente en ce qui concerne les dossiers d’adoption. Les adoptions ne se font pas pour les mêmes raisons. On ne peut appliquer les mêmes critères que par le passé. Il n’y a pas eu de suivi et il n’y en a pas encore énormément aujourd’hui. Comme vous l’avez dit, c’était peut-être sous-estimé. Je crois que c’est bel et bien sous-estimé.

Mme Poitras : Il n’y a vraiment pas de mesures d’aide. Je me suis inscrite au Mouvement Retrouvailles il y a 25 ans, aussitôt que j’ai eu ce fameux document. À titre personnel, je peux dire que j’ai appris beaucoup de la part de mères qui cherchaient leur enfant, qui avaient un refus et qui racontaient leur histoire. D’autres adoptés venaient raconter leur histoire et montrer leur dossier. J’ai toujours gardé un contact avec ces gens. J’ai beaucoup appris d’eux, et ils ont été ma meilleure source d’information.

J’ai été chanceuse dans la vie. J’ai un bon mari, de bons enfants, une belle carrière. J’ai reçu beaucoup d’amour. J’ai lu beaucoup, et c’est ce qui m’a sauvée. Je ne suis pas certaine que les psychologues sont vraiment formés pour aider les personnes adoptées et les mères biologiques. Je ne prétends pas qu’ils ne sont pas bons, mais cet aspect là n’a pas été développé.

Au Québec, on a donné une noblesse à l’adoption. C’est le « Walt Disney » de l’adoption. Tout le monde est heureux. On se marie, on veut des enfants, on adopte des enfants. Notre quête à nous — ce qu’on veut savoir — tombe dans l’oubli. C’est en quelque sorte normal de ne pas savoir. Ta mère a refusé, alors tu ne la connaîtras pas, tout simplement. Pour moi, le Mouvement Retrouvailles a été une source d’inspiration. Cet organisme m’a aidée à ne pas me sentir seule. Bien souvent, quand on cherche et qu’on ne trouve pas, on rentre chez soi et on est seul devant sa quête, parce qu’on se retrouve encore devant rien. C’est tout.

[Traduction]

Le président : Les deux autres témoins ont-ils des commentaires à ajouter?

Mme Ballantyne : J’aimerais ajouter que, même dans le cadre des mesures législatives proposées sur la divulgation et les services fournis de cette façon, on considère souvent qu’il s’agit d’un service facultatif lorsqu’il s’agit de la rapidité, et cetera.

Dans le milieu de la protection de l’enfance, lorsqu’un travailleur doit décider entre la vérification d’une situation dans laquelle un enfant est exposé à un risque élevé et la prestation de services de divulgation aux membres d’une famille qui cherchent à se retrouver, la deuxième proposition n’aura pas la priorité. Manifestement, l’établissement des priorités dépend toujours des ressources.

Je ne dirais pas qu’on a investi énormément de ressources dans ce volet. Je conviens que les soutiens qui visent à aider les familles à se réunir après les faits ne sont pas bien intégrés au système, et il peut parfois falloir de nombreux mois, ou même des années, pour que les gens se sentent enfin prêts à progresser à cet égard.

On considère surtout qu’il s’agit d’une ou deux rencontres. Encore une fois, c’est une question de ressources et, selon moi, de priorité.

Le président : Révérend Hayward, aviez-vous quelque chose à ajouter?

M. Hayward : Dans le rapport produit par notre Groupe de travail sur l’adoption il y a quelques années, les membres de ce groupe ont proposé que l’Église mette au point des ressources à utiliser dans la liturgie pour reconnaître les torts, les peines et l’espoir de guérison occasionnés par la séparation des familles par l’entremise de l’adoption et pour encourager les congrégations à offrir aux mères et à d’autres personnes touchées par les pratiques liées à l’adoption des occasions de raconter leur histoire.

Cela pourrait faire partie de la réponse au traumatisme possiblement causé par l’adoption, même si, évidemment, comme les sénateurs le savent, seulement les deux tiers des Canadiens sont chrétiens. La majorité des confessions chrétiennes n’ont toujours pas abordé la question de l’adoption, mais c’est un pas dans la bonne direction.

Le président : Étant donné la taille de la liste et le temps dont nous disposons, nous pourrions aller jusqu’à midi ou un petit peu plus tard.

J’aimerais maintenant invoquer la règle de la question unique, mais si nous avons le temps pour une deuxième série de questions, je dresserai une liste d’intervenants.

La sénatrice Bernard : Je vais tenter de combiner mes trois questions dans une seule question.

Madame Ballantyne, vous avez mentionné que les enfants noirs étaient perçus comme non adoptables. J’aimerais savoir ce qui est arrivé à ces enfants noirs qui étaient perçus comme non adoptables et qui avaient besoin d’une famille.

J’aimerais également savoir si l’un des témoins connaît un service de société porte ouverte, à Montréal, qui plaçait autrefois des enfants noirs en adoption dans des foyers américains, entre les années 1960 et 1970, une époque où un grand nombre de ces adoptions ont été effectuées. J’aimerais savoir ce qui est arrivé à ces enfants.

Mme Ballantyne : Un grand nombre d’enfants afro-canadiens noirs qui n’étaient pas adoptés devaient demeurer à long terme dans une situation de famille d’accueil, une situation précaire pour ces enfants, car ils ne s’intègrent jamais réellement à une famille. Un plus grand nombre de ces enfants seraient certainement demeurés dans cette situation.

La plupart du temps, ceux qui étaient adoptés se retrouvaient dans des foyers de Blancs ou dans des foyers où on n’avait pas la même culture qu’eux. Nous apprenons certainement un grand nombre de choses au sujet de l’impact de cette situation sur ces enfants.

Pour être tout à fait honnêtes, nous n’avons pas mené de recherches suffisamment approfondies sur les répercussions subies par les enfants afro-canadiens durant cette période et sur les foyers dans lesquels où ils se sont retrouvés.

Nous nous sommes plutôt concentrés sur les enfants qui sont actuellement dans le système et qui ne sont pas placés dans des foyers qui ont la même culture qu’eux et qui sont probablement servis par le système de protection de l’enfance de façon disproportionnée, afin de tenter d’évaluer la situation et de déterminer comment nous pouvons faire sorte qu’ils soient mieux servis au sein de leur propre famille et de leur propre collectivité.

La sénatrice Bernard : Puis-je poser une brève question de suivi?

Le président : Si je vous le permettais, j’enfreindrais la règle, n’est-ce pas?

Toutefois, vous aviez une question sur le groupe situé à Montréal.

[Français]

Mme Fortin : Sincèrement, ce n’est pas quelque chose que j’ai vraiment développé au sein du Mouvement Retrouvailles. On connaît ce qu’on appelait les « black market babies » au cours des années 1940 ou 1950. Effectivement, des enfants sont nés, Blancs et Noirs, et ont été vendus à de riches Américains. En ce qui concerne spécifiquement les enfants noirs, sincèrement, je ne peux pas répondre à cette question. Je n’en ai aucune idée.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : En ce qui concerne les pratiques exemplaires, vous avez mentionné que des excuses non suivies de mesures concrètes ne seraient pas très utiles.

Quelles pratiques exemplaires pourraient suivre des excuses?

Mme Ballantyne : Très rapidement, selon mes souvenirs et ce dont nous avons parlé, les enfants adoptés souhaitent retrouver leurs parents biologiques et les parents biologiques souhaitent retrouver leurs enfants qui ont été adoptés. Quelles sont les ressources à cet égard?

Il faut reconnaître beaucoup plus les peines et les traumatismes causés dans ces situations. Lorsque nous examinons ces programmes, nous devons également nous pencher sur l’ouverture des pratiques d’adoption actuelles et sur ce que fait l’Ontario pour faire avancer les choses en ce qui concerne, comme je l’ai dit, les deux tiers de ces adoptions.

Une grande partie de cette réflexion se fonde toujours sur la croyance selon laquelle il est préférable que les enfants avancent dans la vie. Il faut repenser le milieu de la protection de l’enfance et tenir compte du changement culturel lorsqu’on tente de déterminer les besoins des enfants et de leur famille.

La sénatrice Raine : Mes questions ont été posées par la sénatrice Bernard. À titre de suivi, vous dites que seulement le tiers des adoptions en Ontario comporte maintenant un engagement à l’ouverture. Cela m’indique que nous n’avons même pas encore commencé à régler le problème.

Convenez-vous qu’il faut faire la promotion, auprès des mères qui envisagent de donner leur enfant en adoption, de la nécessité d’une ouverture sur le plan médical en ce qui concerne le bien-être de leur enfant?

Mme Ballantyne : Tout d’abord, de nos jours, la plupart des enfants qui sont mis en adoption ne sont pas des bébés. Il s’agit surtout d’enfants qui sont passés par le système de protection de l’enfance. Ils ont été retirés de leur famille pour cause de mauvais traitements et de négligence. La situation des jeunes enfants mis en adoption est donc différente.

De plus, la nature de l’élément d’ouverture est telle qu’il y a un certain type de communication continue entre la famille biologique et l’enfant et la famille adoptive au cours de la vie de l’enfant.

La notion de l’ouverture doit être envisagée pour chaque enfant qui passe de la tutelle de l’État à l’adoption, mais c’est différent pour les personnes qui souhaitent revenir par la suite pour demander une divulgation. C’est toujours le droit de tous les enfants et de toutes les familles.

Il y a un très grand changement dans ce qu’on considère comme étant important pour les enfants adoptés. Par exemple, il est très important qu’ils établissent de bonnes relations avec leurs origines et qu’ils connaissent leur famille biologique.

On demande également aux parents adoptifs d’aborder leur rôle différemment, car l’enfant qui leur est confié, dès le départ, a deux parents, deux familles, et il faut tenir compte de la façon dont cette réalité sera intégrée à la vie de cette jeune personne. C’est un très grand changement culturel.

Le révérend de l’Église unie a parlé de la notion de ce qui constitue une famille de nos jours. En tant que société, nous devons continuer de promouvoir le fait qu’une famille n’a pas seulement une mère et un père. Nous avons fait beaucoup de chemin dans certains de ces cas.

Il faut offrir des soutiens aux enfants qui sont nés dans une famille et qui sont élevés dans une autre famille qui a des liens avec la première. C’est quelque chose qui n’est pas suffisamment reconnu dans la société. Il faut raconter l’histoire de ceux qui ont vécu cette séparation, afin que les gens s’efforcent davantage, dès le départ, d’établir ce lien pour ces enfants.

La sénatrice Poirier : Ma question s’adresse au révérend Hayward. D’après ce que j’ai compris de ce que nous avons entendu, ces centres de maternité ou la pratique de l’adoption consistant à enlever un bébé à sa mère découlait d’un partenariat tripartite composé d’organismes religieux, du gouvernement fédéral et, dans certains cas, des gouvernements provinciaux.

À votre avis, la direction de ce partenariat était-elle répartie également entre les trois participants, ou l’un des trois participants était-il le leader? Les Églises dirigeaient-elles ces partenariats? Ou était-ce le gouvernement fédéral?

La plus grande partie du financement pour les centres de maternité provenait-elle des organismes religieux ou du gouvernement fédéral?

Savez-vous combien d’autres Églises ont suivi l’Église unie au Canada? Je vous félicite de travailler avec les mères et les enfants adoptés afin d’offrir des excuses et du counseling par l’entremise de l’Église. D’autres Églises font-elles la même chose, ou est-ce seulement l’Église unie?

M. Hayward : Notre recherche dans les archives révèle qu’aucun de ces centres de maternité dirigés par l’Église n’est demeuré ouvert, à l’exception de la maison Victor, à Toronto. C’est maintenant le Centre Massey pour les femmes, un organisme complètement différent qui offre du counseling et qui travaille avec les filles et les femmes. Il n’a pas fourni de ventilation du financement.

Par exemple, la maison Victor a été établie lorsque l’Église méthodiste s’est jointe à l’Église unie du Canada en 1925. Au départ, son financement était fondé sur le soutien de l’organisme religieux directeur, des méthodistes et ensuite de l’Église unie, ainsi que sur des dons et des revenus d’entreprises commerciales.

Lorsque les résidants étaient hébergés dans la maison, ils cousaient des tabliers qui étaient vendus pour amasser des fonds pour assurer le fonctionnement de la maison. Plus tard, la maison a reçu le soutien de l’Église unie, et surtout celui d’organismes féminins de l’Église et des dons et des legs privés, mais elle a également reçu des subventions quotidiennes du gouvernement de l’Ontario.

Notre recherche des archives dans le cadre du rapport que nous avons produit visait largement à donner un aperçu des centres de maternité. Nous n’avons pas examiné le financement en détail dans le cadre de ces recherches, mais les archives existent toujours. Manifestement, elles datent d’une époque où tout était fait sur papier. Cela dépend donc des efforts que les directeurs et le personnel de la maison ont consacrés à la documentation de ces choses, mais on peut trouver ces renseignements dans les archives.

La sénatrice Poirier : D’autres organismes religieux ont-ils suivi votre exemple et se sont rendu compte que nous n’aurions pas dû causer tous ces torts à l’époque? Travaillent-ils avec les femmes afin d’obtenir des excuses d’organismes religieux comme vous l’avez fait?

M. Hayward : Nous avons organisé plusieurs réunions œcuméniques d’églises qui ont exploité des centres de maternité.

Par exemple, toutes les églises presbytériennes ne se sont pas jointes à l’Église unie en 1925, et il y a toujours des maisons gérées par des églises presbytériennes. À ma connaissance, aucune d’entre elles n’a offert d’excuses ou produit un rapport majeur sur la théologie qui sous-tend les attitudes de l’Église à l’égard de l’adoption comme l’a fait l’Église unie du Canada.

Le président : J’aimerais ajouter que des représentants d’autres confessions et d’autres organismes religieux ont été invités, mais personne n’est venu.

La sénatrice Poirier : Ils ont refusé de comparaître.

Le président : Ils ont refusé de comparaître, mais nous avons reçu un mémoire écrit de l’Armée du Salut, et il a été distribué.

Le sénateur Munson : Révérend Hayward, je suis le fils d’un ministre de l’Église unie et je suis né en 1946. Mon père était dans le Nord du Nouveau-Brunswick et ensuite à Saint-Lambert, au Québec.

J’essaie de me souvenir des types d’attitudes qui prévalaient au moment de ma naissance. À l’époque, les Églises avaient un grand contrôle sur la vie des gens, c’est-à-dire l’Église catholique et l’Église protestante. Aujourd’hui, je pense à ce que mon père dirait ou à ce qu’il a fait ou à ce que serait son attitude.

À l’époque, on jugeait que l’adoption, c’était comme une fessée — même si je n’ai jamais reçu de fessée —, c’est-à-dire que c’était pour le bien de l’enfant. En effet, on considérait qu’on adoptait un enfant pour son bien, car l’enfant irait dans une autre famille.

Je ne veux pas devenir émotionnel, mais j’ai un ami très proche, vraiment très proche, qui vit au Nouveau-Brunswick et qui, à ce jour, ne connaît toujours pas sa mère.

Nous sommes en 2018. Je félicite évidemment l’Église unie. Je le dis à titre de personne directement touchée par le sujet. Vous avez parlé de l’aspect œcuménique, et cetera, mais les attitudes ont changé. Il s’est écoulé beaucoup de temps depuis cette époque. Comme vous pouvez le constater, puisque je suis né en 1946, je vieillis aussi et je m’inquiète pour Mme Poitras et mes amis polonais de Montréal. Je pense à quelques-uns de mes amis polonais.

Pourquoi, pour l’amour du ciel, si je peux utiliser cette expression, les Églises ne peuvent-elles pas se réunir publiquement et trouver une solution de façon plus œcuménique et ouverte? Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour présenter de simples excuses?

La vie est plus qu’une excuse, révérend. Nous devrions avoir honte d’avoir cette discussion et de laisser le comité décider s’il faut obliger le gouvernement à faire cela ou lui demander de le faire, pour qu’un premier ministre le fasse ensuite. J’ai de la difficulté à trouver des réponses.

M. Hayward : Pour faire le suivi de ma réponse précédente, j’aimerais préciser que l’Église unie a géré des centres conjointement avec d’autres confessions ou a reçu un financement ou une contribution importante d’autres confessions. Je crois que la maison Elizabeth, à Montréal, était conjointement dirigée par l’Église unie, l’Église anglicane et l’Église presbytérienne.

Oui, cela fait longtemps, mais peut-être pas suffisamment longtemps. Je suis dans un ministère pastoral. Tous les jours, je vois des gens qui sont assez âgés pour être nés dans un centre de maternité de l’Église unie en 1940 ou même avant. Il reste encore de ces gens même si, comme nous l’avons entendu, leur nombre diminue.

Notre groupe confessionnel a tenté d’être un chef de file dans ce dossier. Manifestement, comme l’a dit Mary Ballantyne, toutes les excuses doivent être précédées d’un travail concret, afin que nous sachions pourquoi nous présentons des excuses et que nous connaissions les paramètres de l’activité historique. De plus, il faut établir un plan d’action, afin que cela ne se termine pas après les excuses.

En ce qui concerne les attitudes qui prévalaient à l’époque, je ne crois pas que l’Église avait une attitude très différente de la population à l’égard des mères célibataires, comme on les appelait. Une partie de cela vient du christianisme et du dualisme historique entre le corps et l’esprit par lequel les chrétiens ont exprimé une culture d’aversion au corps dans laquelle la sexualité était suspecte.

Je suis sûr que votre expérience, à titre de fils d’un prêcheur de l’Église unie, a été que la sexualité n’était pas un sujet dont on parlait ou qu’on reconnaissait, surtout la sexualité des femmes. En particulier, la grossesse hors mariage provoquait une honte profonde qui touchait à la fois la femme enceinte et sa famille. La façon d’éliminer cette honte était de placer l’enfant en adoption, car on espérait effacer le stigma des enfants en les retirant de la collectivité. Ensuite, la femme pouvait retourner dans sa famille. On espérait aussi que si on faisait tout cela en secret et loin des regards indiscrets, on réussirait à dissiper la honte.

C’était la mentalité de l’époque. Comme nous l’avons dit dans notre exposé aujourd’hui, cette mentalité régnait dans les cliniques de maternité, les hôpitaux et partout ailleurs jusqu’à la fin des années 1970, soit jusqu’à ce que les femmes aient davantage l’option de garder leur enfant.

La sénatrice Omidvar : D’après ce que vous dites, madame Ballantyne, j’en déduis que les excuses doivent être suivies de gestes concrets.

Hier, nous avons entendu parler d’une étude réalisée par le Sénat australien. On a présenté des excuses en Australie, et ces excuses venaient en quelque sorte boucler la boucle d’une enquête nationale.

J’aimerais savoir ce que vous penseriez de la tenue d’une étude ou d’une enquête nationale visant à aller au fond des choses, à recueillir les récits et les expériences des enfants adoptés et de leur mère et à examiner le rôle des gouvernements fédéral et provinciaux, des organisations religieuses, des institutions et des organismes de protection de la jeunesse dans ce dossier.

Il s’agit ici du modèle australien. Qu’en pensez-vous?

Mme Ballantyne : Une telle étude pourrait certainement être valable. Sachez qu’en Ontario, et probablement aussi partout à l’échelle du pays, ce n’est pas le genre de choses auxquelles on accorde beaucoup de temps ou d’attention en ce moment dans le contexte des services d’aide à l’enfance. Ce n’est pas une bonne chose.

Ce que l’on considérait autrefois comme étant de très bons systèmes au Canada pour prendre soin de ceux qui en avaient besoin est de plus en plus remis en question avec le point de vue fondamental qui nous a amenés à nous comporter comme nous l’avons fait au cours des 100 dernières années. On se rend compte que c’était étroitement lié au christianisme. On voulait sauver des vies. On voulait en faire davantage pour les gens plus démunis.

Des communautés autochtones, des communautés canado-africaines et d’autres communautés de femmes dont on a profité à l’époque se sont fait dire : nous savons mieux que vous ce qui est bien pour vous; par conséquent, vous serez obligées de confier votre enfant à l’adoption.

Personnellement, je considère que nous avons intérêt à mener ces enquêtes dans ces institutions car elles nous amènent, en tant que société, à réfléchir à nos motivations et, par conséquent, aux programmes que nous avons mis en place et que nous administrons à l’heure actuelle. C’est donc une bonne chose.

Cependant, il y a un groupe qu’il ne faut pas oublier, et ce sont les parents adoptifs. J’ai travaillé auprès des Autochtones, et je peux vous dire que bon nombre des parents adoptifs sont également des produits de leur époque. Ils ont senti la pression imposée par notre société de devoir adopter un enfant afin de former une vraie famille et de faire une bonne action en donnant à cet enfant de meilleures chances dans la vie.

Il faut donc tenir compte des parents adoptifs. Il ne faut surtout pas leur faire croire qu’ils ont fait une mauvaise action en adoptant ces enfants, évidemment, dans la mesure où ils leur ont offert un foyer aimant. On ne doit pas les culpabiliser. S’ils n’ont pas encouragé leurs enfants à entrer en contact avec leur famille biologique, c’est souvent parce qu’ils n’ont pas reçu le soutien dont ils auraient eu besoin pour le faire. Ces parents devraient également être considérés comme des victimes du système, au même titre que les enfants adoptés.

La sénatrice Omidvar : J’aimerais entendre les trois autres témoins au sujet de la tenue d’une enquête pour faire la lumière sur toute cette affaire. On ne peut pas se réconcilier si on ne connaît pas la vérité. Mesdames Poitras et Fortin, est-ce que les faits que vous nous avez si éloquemment présentés sont documentés?

Mme Fortin : Je dirais que oui.

[Français]

En fait, je pense que les excuses qui pourraient être faites pourraient avoir un effet très positif sur toutes les provinces. Cela leur permettrait de réfléchir à la situation de façon plus approfondie, mais cela aurait aussi un effet sur les mères, en leur permettant de sortir de l’ombre et de voir qu’elles peuvent enfin se délivrer de ce secret.

Pour plusieurs, ce secret est tellement ancré qu’elles ont peur. J’ai entendu certaines mères nous dire qu’elles croyaient aller « directement en enfer » après leur mort, parce qu’elles avaient péché. Ça, c’est profondément ancré en elles depuis le moment où elles ont dû confier leur enfant à l’adoption. Je pense donc que des excuses seraient bien accueillies, et que cela les aiderait.

Quant à la documentation, il y a différents documents qui ont été publiés, mais encore faut-il que ces personnes aient pu en parler ou en témoigner. Quand on parle de l’ombre, il y en a encore plusieurs dans l’ombre, et elles n’ont jamais voulu en parler. C’est donc difficile d’en dire plus ou même d’avoir des statistiques exactes. Cette situation a été cachée trop longtemps et elle l’est encore.

Même si je me suis éloignée un peu de votre question, j’espère que j’ai pu y répondre.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Vous avez très bien répondu. Merci beaucoup.

[Français]

Mme Poitras : Encore une fois, je suis d’accord avec Mme Fortin. Cependant, je me demande combien de temps prendrait une étude, combien de personnes y participeraient? Au Québec, est-ce que les mères sortiraient de l’ombre?

Ce que j’aimerais vous dire, c’est qu’il y a eu de la propagande dans les églises pour faire adopter des enfants. Il y avait de la publicité qui était faite en ce sens. En ce moment, il n’y a plus de publicité. Ceux qui ont tout fait pour mettre les gens dans l’ombre et dans le secret, ils ne sont plus là. Pour les faire sortir de l’ombre, il faut trouver de bons moyens.

De plus, je voudrais préciser qu’il y aurait des solutions dans l’immédiat. Comme je vous le dis, je suis d’accord avec l’étude, mais, par exemple, rien n’a été fait pour dédramatiser le fait que les mères ont laissé leur enfant à l’adoption. On les a laissées dans l’ombre, on a mis un voile sur elle, et c’est fini, on n’en parle plus. Il faudrait autant de gens qui font de la publicité pour les faire sortir de l’ombre.

Rien n’a été fait, non plus, pour faire prendre conscience aux mères de l’importance du refus. C’est terrible. J’ai connu des mères et des enfants qui ont eu des refus, et cela a démoli leur vie.

Quant à l’importance de connaître les antécédents médicaux, je voudrais en profiter pour vous dire que les médecins qui ont participé à cette situation — parce qu’il y avait les médecins, les avocats et l’Église, c’était un trio — ne sont pas là. Ils sont là pour faire passer la carte d’assurance-maladie, car c’est payant, mais ils ne sont pas sur les tribunes pour poser des questions sur la situation de la santé dans la famille de la mère d’origine. Il n’y a aucune publicité à ce sujet. Pour les associations et les collèges de médecins, les associations de lutte contre le cancer, contre les maladies cardiaques, les adoptés n’existent pas. C’est ce que je voudrais dénoncer.

Ensuite, il y a la possibilité de participer à des études sur certaines maladies. Dans mon cas, on m’a refusé certains tests génétiques, parce que je n’ai pas souffert de cancer.

Il faut prendre au sérieux la santé des adoptés. Pourquoi n’y aurait-il pas une campagne publicitaire pour indiquer que c’est important, pour informer les mères et la parenté? Le sénateur Munson a dit plus tôt : « Pour l’amour de Dieu! » Moi, je dirais : « Pour l’amour des adoptés! »

[Traduction]

Le président : Avez-vous autre chose à ajouter en réponse aux questions de la sénatrice Omidvar?

Puisqu’il n’y a plus d’autres questions, je tiens à vous remercier de votre présence. Vous nous avez très bien renseignés sur le sujet, et vos différents points de vue nous seront fort utiles. Nous vous remercions infiniment, particulièrement celles qui ont vécu l’expérience, en tant que mères ou enfants adoptés. Vos discours étaient très sentis, et nous vous remercions du fond du cœur.

[Français]

Mme Fortin : Si jamais il nous venait d’autres réponses, en réécoutant les témoignages des trois dernières journées, est-ce qu’il nous sera possible de vous les faire parvenir?

[Traduction]

Le président : Absolument. Vous pourriez le faire par écrit. Si vous avez autre chose à ajouter, n’hésitez pas à transmettre vos observations à la greffière du comité, qui se chargera de nous les distribuer.

Nous allons maintenant discuter de la façon de procéder, en sachant que nous voulons publier notre rapport d’ici quelques semaines. Vous n’avez donc pas beaucoup de temps, mais quand même assez pour ajouter quelques réflexions, si vous le souhaitez.

Merci encore une fois à nos témoins.

Chers collègues, nous allons maintenant siéger à huis clos pour discuter des prochaines étapes dans ce dossier et donner quelques directives à notre personnel concernant la rédaction du rapport.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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