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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 41 - Témoignages du 25 avril 2018


OTTAWA, le mercredi 25 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 15 h 15, pour poursuivre l’étude duprojet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenu au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Art Eggleton. Je suis un sénateur de Toronto et je suis président du comité. J’aimerais que mes collègues se présentent.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de Toronto.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Larry Campbell, Galiano Island, en Colombie-Britannique.

Le sénateur R. Black : Rob Black, de l’Ontario.

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l’Ontario.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec. Je suis aussi vice-présidente du comité.

Le président : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-45 Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Aujourd’hui, nous nous concentrons sur les jeunes, nous obtiendrons les points de vue d’organisations qui fournissent des services aux jeunes et, dans un prochain groupe de témoins, nous recueillerons les points de vue des jeunes eux-mêmes.

Permettez-moi, justement, de souhaiter la bienvenue aux témoins du premier groupe avec qui nous passerons deux heures. Nous accueillons Jenna Valleriani, de Canadian Students for Sensible Drug Policy, Marc Paris et Glenn Barnes, de Jeunesse sans drogue Canada; les deux partagent leur temps. Il y a aussi Corey O’Soup, du Saskatchewan Advocate for Children and Youth, et, à titre personnel, Emily Jenkins, professeur adjointe à l’École de sciences infirmières de l’Université de la Colombie-Britannique. Bienvenue à vous tous.

Je vous demanderai maintenant de nous présenter votre déclaration préliminaire. Veuillez vous en tenir à sept minutes, s’il vous plaît, afin que nous ayons assez de temps pour pouvoir vous poser beaucoup de questions par la suite.

Jenna Valleriani, conseillère stratégique, Canadian Students for Sensible Drug Policy : Bonjour, honorables sénateurs. Merci d’avoir invité Canadian Students for Sensible Drug Policy à vous faire part de certains de nos travaux et de nos expériences auprès des jeunes. Je travaille pour CSSDP depuis près de huit ans. Je suis actuellement conseillère stratégique de notre conseil et de nos sections locales en plus d’être boursière postdoctorale au Centre on Substance Use de la Colombie-Britannique.

Canadian Students for Sensible Drug Policy est un réseau local de jeunes et d’étudiants préoccupé par l’impact des politiques en matière de drogues sur les personnes, les familles et les collectivités. Au cours des deux dernières années, nous avons réalisé des initiatives axées sur les jeunes et associées à la légalisation du cannabis, y compris une table ronde réunissant des jeunes. Nous avons présenté un mémoire en fonction de ce qu’on a tiré de cette table ronde au Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis et avons présenté des exposés à divers intervenants en plus d’avoir participé à des dialogues avec les jeunes et d’avoir rencontré des administrations locales et des gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral.

CSSDP a récemment publié une trousse d’outils éducative sur le cannabis à l’intention des jeunes qui énonce 10 principes liés à l’éducation sur les drogues y compris un programme visant à éloigner les jeunes de la drogue dans le cadre d’une approche exhaustive. J’en ai un exemplaire ici et je serai heureuse de le remettre au président.

Nous avons commencé notre travail parce que l’on continuait de laisser les jeunes de côté dans le cadre de la conversation sur la légalisation du cannabis au Canada, et ce, malgré leur situation centrale dans le mandat du gouvernement de protéger les enfants. La participation significative des jeunes est essentielle pour que l’on puisse s’assurer que nous utilisons cette occasion pour vraiment protéger les jeunes, et ce, au-delà des simples restrictions. Étant donné que les restrictions à elles seules n’ont jamais empêché les jeunes d’avoir accès à du cannabis ou d’en consommer et que, pour de nombreux jeunes âgés de 18 et 19 ans, le cannabis restera illégal, nous devons miser sur cette occasion pour détourner les jeunes du système de justice pénale et offrir une éducation pragmatique inclusive qui tient compte de la prévention et de la réduction des méfaits afin de maximiser l’efficacité des efforts et de protéger tous les jeunes.

Les jeunes ont exprimé diverses préoccupations au sujet de la légalisation, mais la préoccupation la plus importante, celle que nous entendons dans le cadre de toutes nos conversations, c’est la crainte que les jeunes continuent d’être criminalisés de façon disproportionnée dans le cadre du nouveau régime. Une approche axée sur la santé publique en matière de réglementation du cannabis exige plus qu’une prise en considération des préjudices possibles pour la santé des personnes. Il faut tenir compte de l’importance de traiter la consommation de drogue comme un problème de santé plutôt que comme une infraction criminelle, particulièrement lorsqu’il est question des jeunes Canadiens.

Nous croyons que la loi sur le cannabis, qui n’impose pas de sanctions pénales aux jeunes de 12 à 17 ans lorsqu’ils sont en possession de 5 grammes de cannabis ou moins, est essentielle pour veiller à ce que les jeunes ne se retrouvent pas dans une situation pire une fois la légalisation en vigueur qu’ils ne l’étaient durant l’interdiction. Nous exhortons les sénateurs à considérer cette mesure non pas comme un droit de possession pour les jeunes, mais plutôt comme une façon de s’assurer qu’ils ne sont pas criminalisés. La solution de rechange est de continuer à criminaliser et à arrêter les jeunes, particulièrement les jeunes issus de minorités et les jeunes autochtones, qui sont les plus touchés par l’application de la loi sur le cannabis.

Pour mettre les choses en contexte, les jeunes adultes de 18 à 25 ans affichent le plus grand nombre d’attestations liées à la drogue, suivis des jeunes de 12 à 17 ans. Dans la majorité de ces cas, près de 80 p. 100, il s’agit uniquement de possession de cannabis. Cette réalité doit demeurer au cœur de nos discussions sur ce que signifie la protection des jeunes.

Les jeunes âgés de 18 à 25 ans sont ceux qui affichent les taux les plus élevés. Le fait de protéger les jeunes adultes, dans ce contexte, signifie qu’on éloigne cette population du système de justice pénale et du marché plus large des drogues illicites en offrant un accès légal et réglementé à des produits testés et correctement étiquetés, accompagnés d’une éducation sur les méfaits pour tous les adultes.

Nous avons aussi entendu de nombreux jeunes mentionner toute une gamme de préoccupations liées à l’éducation actuelle sur les drogues. Nous savons que l’éducation antidrogue peut être difficile, parce que les jeunes constituent un ensemble très diversifié de Canadiens, et ce qui fonctionne dans un contexte peut ne pas nécessairement fonctionner dans un autre. Les recherches nous disent que les approches autoritaires et fondées sur la peur peuvent rebuter les jeunes et miner la crédibilité des efforts d’éducation et la possibilité de discuter de façon équilibrée. Les jeunes ont aussi souvent parlé de l’exagération des risques, ce qui ne correspond pas à leur expérience. Ils nous ont souvent dit que, selon eux, on faisait ainsi abstraction des avantages potentiels, comme les utilisations thérapeutiques et le système canadien du cannabis à des fins médicales.

L’éducation sur le cannabis continue aussi de souvent faire fi des renseignements sur la réduction des méfaits ce qui, à notre avis, est crucial à une approche globale et aussi une façon très importante d’outiller les familles au Canada afin que les parents puissent parler du cannabis avec les jeunes. Une approche de prévention et d’éducation qui cible à la fois la réduction des méfaits et la prestation d’outils pour les jeunes afin que ceux-ci puissent faire des choix éclairés est de plus en plus reconnue comme une approche plus réaliste en matière d’éducation antidrogue. Les programmes ou les ressources qui ne mentionnent pas les façons de réduire les méfaits à l’intention des jeunes peuvent nuire aux jeunes qui en consomment déjà ou qui l’ont déjà essayé. La réduction des méfaits peut continuer à véhiculer des messages liés au fait de retarder le début précoce de la consommation et les mesures de prévention connexes, sans en faire le seul objectif.

Nous savons que certains jeunes expérimentent avec le cannabis, peu importe le contexte juridique, les messages ou les ressources disponibles. Alors qu’environ 25 p. 100 des jeunes âgés de moins de 25 ans ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours des 12 derniers mois, il y a une importante variation en ce qui concerne la façon dont le cannabis est consommé. Ce nombre comprend les jeunes qui ont consommé du cannabis seulement une fois au cours de la dernière année, et tient aussi compte de ceux qui en ont consommé une fois par semaine durant cette même année. Ce que les statistiques nous révèlent, c’est que la majeure partie des jeunes qui déclarent consommer du cannabis en consomment en fait très rarement et, par conséquent, ils ne sont pas susceptibles de subir des préjudices importants découlant de leur consommation. Du 25 p. 100 des jeunes ayant déclaré avoir consommé du cannabis au cours de la dernière année, seulement 2,5 p. 100 affirment en consommer de façon pouvant être jugée à risque élevé en ce qui concerne les problèmes pour la santé et les autres types de problèmes. Les renseignements sur la réduction des méfaits sont essentiels pour réduire les conséquences négatives associées à la consommation du cannabis par certains de ces jeunes.

L’inclusion des jeunes dans la conception et la mise en œuvre des programmes d’éducation sur la drogue et le cannabis sera essentielle pour que ces efforts tiennent compte de leur expérience et puissent viser les jeunes là où ils sont. À l’heure actuelle, nous constatons très peu d’efforts pour inclure de façon concrète les jeunes dans l’éducation liée aux drogues et, plus généralement, la politique antidrogue. Même au Sénat, je me permets respectueusement de souligner que les jeunes sont largement absents des discussions.

Je terminerai en disant que les jeunes ont droit à une éducation honnête sur la drogue. Cela aura une incidence sur leur capacité de faire des choix liés à leur santé. Si nous voulons vraiment protéger les jeunes, la réglementation du cannabis légal offre une occasion d’avoir des discussions plus pragmatiques et équilibrées. Une éducation sur le cannabis axée sur les jeunes doit être considérée comme une ressource cruciale liée à la santé. C’est de cette façon que nous pourrons protéger les jeunes, en les aidant à composer avec le nouveau paysage juridique ainsi qu’avec leur expérience entre amis, avec la famille et avec leurs connaissances.

Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de comparaître aujourd’hui. Je serais heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Tout juste en dessous de sept minutes, en plus. J’ai une copie de votre trousse d’outils. Merci beaucoup de nous l’avoir fournie.

Marc Paris, directeur général, Jeunesse sans drogue Canada : Bonjour. Je suis directeur général de Jeunesse sans drogue Canada. Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de nous adresser au comité et de présenter notre point de vue sur les répercussions possibles de la légalisation du cannabis sur les jeunes.

Jeunesse sans drogue Canada est un organisme sans but lucratif qui se concentre sur l’éducation des parents au sujet de la drogue, sur la sensibilisation du public à l’égard de la consommation de drogues et sur la possibilité pour les parents et les adolescents de discuter afin de s’assurer que tous les jeunes pourront vivre une vie à l’abri de la toxicomanie.

Je suis accompagné aujourd’hui de M. Glenn Barnes, membre du comité consultatif de Jeunesse sans drogue. Il est aussi directeur principal chez Barnes and Associates et ancien président et chef de la direction du Centre de traitement pour jeunes Dave Smith, à Ottawa. M. Barnes a une vaste expérience des troubles liés à la toxicomanie chez les jeunes.

Nous comparaissons aujourd’hui devant vous pour affirmer que, peu importe le résultat lié à la légalisation du cannabis consommé à des fins récréatives, un objectif clé doit être la protection de nos jeunes. Nous voulons discuter aujourd’hui de deux préoccupations majeures et proposer quelques solutions. La première question, c’est celle du marché des mineurs, et la deuxième, le segment du marché légal des jeunes, soit le segment des 18 à 25 ans.

Pour commencer, le marché des mineurs. Depuis que l’âge minimal a été établi dans toutes les provinces de façon à correspondre de façon générale avec l’âge légal pour consommer de l’alcool, soit 18 ou 19 ans, nous continuons à douter d’une éventuelle réduction de la consommation chez les mineurs. Les jeunes Canadiens affichent l’un des taux les plus élevés de consommation du cannabis du monde. C’est quelque chose que nous avons tous déjà entendu. Le cannabis arrive au deuxième rang des substances consommées par les jeunes, après l’alcool, un jeune sur cinq en ayant déjà consommé au moins une fois. Cependant, à mesure que les adolescents grandissent, la consommation augmente à plus du tiers d’entre eux, soit 37 p. 100, arrivés en 12e année.

M. Barnes est ici pour vous parler de son expérience concrète en première ligne et pour vous donner une idée des genres de problèmes pouvant survenir entre un parent et un adolescent dans le contexte des troubles liés à la consommation de substances.

Glenn Barnes, membre du comité consultatif, Jeunesse sans drogue Canada : Bonjour. J’ai le privilège de comparaître aujourd’hui devant le comité en tant que membre du comité consultatif de Jeunesse sans drogue Canada. J’offre mes compétences pour bâtir un pont de connaissances pour transférer les données scientifiques de façon à ce qu’elles puissent être appliquées dans le vrai monde, dans le cadre des programmes de traitement. En plus d’un baccalauréat en biologie, j’ai une maîtrise en administration des services de santé et un diplôme universitaire en droit. Malheureusement, je suis aussi atteint de la maladie de Parkinson. À mesure que ma déclaration avance, vous verrez que je parlerai de moins en moins fort : ça fait partie de l’ensemble.

Je suis gestionnaire d’une organisation de traitement de la toxicomanie. Par conséquent, on me renvoie souvent des parents afin que je les aide à forcer leur adolescent à participer à un traitement. Mon impression, c’est que les parents ont autant besoin d’éducation fondée sur des faits exacts que les adolescents. Je veux à ce sujet, vous donner deux exemples.

Dans le cas d’une mère célibataire d’une fille de 16 ans, j’ai reçu une plainte de la mère de l’adolescente que nous tentions de traiter. Elle était en colère contre notre personnel de thérapeutes, qui avait laissé entendre que le fait que la mère en question fournissait du cannabis à sa fille âgée de 14 ans n’était pas une bonne chose et était très probablement dangereux.

À l’autre extrême, il y a l’exemple d’une mère d’âge moyen qui est devenue très très en colère contre le personnel, qui avait contredit son opinion selon laquelle son fils pouvait mourir en consommant du cannabis. Au cours d’une période d’environ deux semaines, cette femme m’a appelé à répétition, chaque jour, pour me dire que nous nous trompions et que la consommation du cannabis pouvait, en fait, être mortelle. Malgré notre frustration, il y avait peu de choses que nous pouvions faire lorsqu’elle s’est présentée au centre de traitement et a demandé à repartir avec son fils âgé de 15 ans.

Notre niveau de connaissance sur le fonctionnement du cerveau, surtout dans le domaine des compétences cognitives, a progressé à pas de géant, et, pourtant, il reste énormément de choses que nous ne savons pas. Plus particulièrement, dans les domaines de la psychologie, de la neurologie et de la psychiatrie, on s’inquiète des dommages causés au niveau du développement durant le processus de maturation. Le cerveau endommagé se réparera-t-il de lui-même grâce à ce qu’on appelle la plasticité, ou y aura-t-il des dommages permanents à cet égard? Selon nous, les parents peuvent jouer un rôle central dans le cadre de la relation entre les enfants et la drogue, et nous sommes là pour les éduquer et les soutenir.

Une solide stratégie de sensibilisation et d’éducation publique ciblant les parents et les jeunes devrait faire partie de la solution pour réduire la consommation de drogue chez les jeunes.

M. Paris : En juin dernier, en prévision de la légalisation, Jeunesse sans drogue Canada a lancé une campagne nationale pour promouvoir la brochure « Parler cannabis » — le ministre vous en a parlé la semaine dernière — qui, maintenant, a dépassé le quart de million de livraisons et de téléchargements. Notre objectif, c’est de reprendre la même campagne en septembre prochain, et de le faire jusqu’à environ la mi-janvier.

La deuxième préoccupation dont nous voulons discuter aujourd’hui est liée à l’image de marque, à la commercialisation et à la promotion des produits du cannabis. La loi actuelle propose un emballage strict et prévoit interdire toute publicité et toute promotion. Cela correspond plus au traitement réservé au tabac qu’à l’alcool.

Cependant, nous avons observé de près l’industrie du cannabis à des fins récréatives et nous craignons beaucoup qu’elle n’ait l’intention de faire des pressions sur le gouvernement pour qu’il assouplisse sa réglementation stricte après quelques années, son argument étant qu’elle doit pouvoir différencier ses produits des produits illégaux. Nous craignons que les grandes entreprises de boissons alcoolisées et du tabac envahissent rapidement l’industrie. Cela nous amènerait sur la voie de l’alcool, ce que nous devons prévenir à tout prix.

Le processus est déjà en marche. On n’a qu’à penser à Constellation Brands, qui a acheté 10 p. 100 de Canopy Growth pour 245 millions de dollars avec une option d’acheter une autre tranche de 10 p. 100. Pour citer le directeur général de Constellation : « la réussite de notre entreprise découle de notre capacité de cerner les tendances naissantes en matière de consommation, et c’est là un autre pas dans la même direction ».

Le segment des jeunes représente le plus important groupe de consommateurs de cannabis, comme c’est le cas de l’alcool. Si nous assouplissons la réglementation pour permettre la commercialisation et la promotion des produits du cannabis, qui, croyez-vous, ciblera-t-on en premier?

Nous proposons que le comité prévoie dans la loi un moratoire de 10 ans sur l’examen de la réglementation liée à l’image de marque, à la commercialisation et à la promotion du cannabis. Ce délai est fondé sur l’idée qu’il faudra au moins une génération pour mesurer le réel impact social de la légalisation du cannabis sur les jeunes. L’approche du gouvernement en matière de légalisation du cannabis consommé à des fins récréative avait pour objectif de mieux réglementer et contrôler la vente et la distribution du cannabis afin de protéger nos enfants. Ne laissons pas la porte entrouverte à l’exploitation de nos enfants par les grandes entreprises.

Je tiens à remercier M. Barnes, le conseil consultatif de Jeunesse sans drogue et le comité de m’avoir permis de présenter notre point de vue aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup à vous deux.

Corey O’Soup, partisan, Saskatchewan Advocate For Children and Youth : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’accueillir aujourd’hui. C’est un honneur pour moi de témoigner devant vous.

Je suis le défenseur des enfants et des jeunes de la province de la Saskatchewan. Je suis un agent indépendant de l’Assemblée législative de la Saskatchewan et membre d’une organisation appelée le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes. Chaque province et chaque territoire, sauf les Territoires du Nord-Ouest et l’Île-du-Prince-Édouard, possèdent, sous une forme ou une autre, un défenseur des enfants et des jeunes sur leur territoire. Cependant, je suis ici aujourd’hui pour représenter les enfants et les jeunes de la Saskatchewan.

J’aimerais commencer par souligner l’article 33 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. On y précise que les gouvernements devraient prendre :

[...] toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives, pour protéger les enfants contre l’usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes.

Selon moi, le projet de loi ne protège pas adéquatement les jeunes.

De plus, l’article 3 de la CRDE précise que :

Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies recommande aussi de réaliser des évaluations de l’incidence sur les droits de l’enfant relativement à de telles mesures. Je recommande fortement que ces éléments soient pris en considération dans le cadre de l’étude du projet de loi.

En tant que défenseur des enfants et des jeunes de la province de la Saskatchewan, il est de mon devoir de m’assurer que le gouvernement agit dans l’intérêt supérieur des jeunes. Je ne crois pas que le projet de loi C-45 protège les enfants et les jeunes contre les risques associés à la légalisation du cannabis, et certains changements s’imposent.

Le projet de loi ne reconnaît pas totalement les effets négatifs du cannabis sur le développement du cerveau, ce que soulignait l’éditorial du Journal de l’Association médicale canadienne. De plus, dans un rapport de 2014, le Centre de toxicomanie et de santé mentale a dit sans équivoque que le cannabis n’est pas une substance bénigne et que ses préjudices pour la santé augmentent parallèlement à l’intensité de la consommation. Nous sommes particulièrement préoccupés par les répercussions de l’utilisation du cannabis sur les enfants prédisposés aux troubles mentaux.

Selon Santé Canada, le cerveau continue de se développer jusqu’à l’âge de 25 ans, et la consommation de cannabis peut avoir des effets graves sur le cerveau d’un jeune, allant d’un risque accru de suicide, de dépression, de trouble anxieux et d’effets à long terme liés à la mémoire, à la concentration et à l’intelligence jusqu’à la capacité de réfléchir et de prendre des décisions. La consommation du cannabis chez les jeunes peut causer des dommages irréparables à leur cerveau en développement, et nous ne pouvons pas faire fi de cette réalité. L’établissement de limites quant aux quantités et à la puissance du cannabis destiné aux jeunes de moins de 25 ans est essentiel à la santé mentale et au bien-être de nos jeunes.

L’un des objectifs déclarés du projet de loi est de réduire l’accès des jeunes au cannabis. Je crois que, peu importe la façon dont le cannabis est légalement réglementé, de nombreux jeunes restent susceptibles de trouver des façons d’y avoir accès et qu’il y a toujours un risque élevé que les jeunes deviennent dépendants du cannabis et qu’ils conduisent sous son influence.

Je recommande qu’une stratégie nationale fondée sur la santé publique et financée publiquement accompagne la réglementation juridique du cannabis. Cette stratégie pourrait compter une composante propre aux jeunes, et cette composante serait fondée sur les toutes dernières données probantes accessibles sur ce qui fonctionne réellement pour modérer la consommation de substances chez les jeunes. Cette stratégie pourrait, en particulier, miser sur la communication de renseignements aux jeunes sur les risques pour la santé associés au cannabis et aux risques liés à la sécurité associés à la conduite sous l’influence du cannabis.

Le projet de loi prévoit aussi des sanctions pour les adultes qui fournissent de la drogue aux mineurs. Cependant, je crois que les mesures établies n’ont pas un effet dissuasif suffisant et n’aideront pas à empêcher des adultes de vendre ou de distribuer du cannabis à des enfants ou des jeunes. Je recommande d’imposer des sanctions aux adultes qui fournissent en cannabis les enfants et les jeunes au moyen d’un système de peines sévère et progressif, semblable à celui qui est en place relativement à la vente du tabac dans certaines administrations.

Le projet de loi laisse certains aspects de la réglementation liée aux détaillants de cannabis aux provinces, ce qui risque de créer une réglementation incohérente à l’échelle du Canada. Nous sommes encouragés par les restrictions en matière de promotion des produits de façon à ce qu’ils puissent raisonnablement attirer les jeunes et par les restrictions liées à l’utilisation des produits du cannabis pour promouvoir des événements et des activités.

Nous exhortons les détaillants à imposer d’autres restrictions. Nous recommandons d’adopter une réglementation fédérale prévoyant que les produits du cannabis ne peuvent pas être vendus dans des points de vente réglementés où les enfants et les jeunes sont autorisés à entrer, par exemple, des épiceries. Ces produits doivent seulement être vendus dans des points de vente extrêmement surveillés et contrôlés. Il faut miser sur un emballage neutre pour décourager tout emballage convivial pour les enfants, et l’emballage devrait contenir des renseignements sur la puissance et les préjudices possibles de façon similaire à ce qu’on fait pour le tabac.

Nous recommandons d’imposer aux détaillants des restrictions liées à la vente du cannabis sous toute forme qui pourrait être attrayante pour les enfants, comme des bonbons. Nous recommandons de soumettre les détaillants à des restrictions quant aux panneaux publicitaires, aux heures d’ouverture et aux jours de vente.

Le projet de loi ne prévoit pas l’utilisation précise des revenus des taxes perçues sur la vente des produits du cannabis. Nous recommandons qu’un pourcentage précis des revenus associés à la vente des produits du cannabis soit aiguillé, directement dans la loi, vers le soutien des recherches, de l’éducation publique, de la surveillance et de la réduction des méfaits et du traitement lié aux problèmes associés au cannabis.

Pour terminer, nous sommes préoccupés par l’article 8 du projet de loi concernant les infractions criminelles associées à la possession du cannabis par des jeunes. Selon le projet de loi actuel, ce sera une infraction pour les jeunes de posséder plus de 5 grammes de cannabis, tandis que, pour les adultes, le seuil de l’infraction est établi à 30 grammes ou plus. Même si nous soutenons l’objectif de réduire l’exposition des jeunes au cannabis, nous craignons que cela entraîne une criminalisation accrue des jeunes.

Pour conclure, il y a de graves risques, et l’ampleur de la très grande crise liée à la santé mentale et au suicide à laquelle nous faisons déjà face doit être abordée de façon proactive. Nos jeunes sont notre avenir, et nous devons nous efforcer de les aider à atteindre leur plein potentiel en traçant la voie. En tant que défenseur qui vient de la Saskatchewan, je recommande fortement au gouvernement fédéral et au gouvernement provincial de la Saskatchewan de réfléchir à l’impact que tout cela aura sur les enfants et les jeunes de la Saskatchewan.

Je tiens à préciser que je ne suis pas opposé à la décriminalisation ni aveugle aux effets positifs du cannabis thérapeutique sur ceux qui souffrent souvent le plus. Cependant, je suis extrêmement préoccupé par le fait que nous n’avons pas réfléchi totalement aux répercussions et aux effets négatifs à long terme que le projet de loi aura sur nos jeunes, des effets qui les suivront à l’âge adulte si vous ne tenez pas compte de nos recommandations dans le cadre de votre étude du projet de loi C-45.

Merci de votre temps.

Le président : Merci beaucoup.

Emily Jenkins, professeur adjointe, École de sciences infirmières, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Honorables sénatrices et honorables sénateurs, merci de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-45.

Comme je l’ai mentionné, je travaille à l’École de sciences infirmières de l’Université de la Colombie-Britannique. Mon expertise clinique en matière de recherche concerne la consommation de substances. En outre, je codirige, avec ma collègue et professeur adjointe Rebecca Haines-Saah de l’Université de Calgary, le Teens Report on Adolescent Cannabis Experiences, le programme de recherche TRACE.

Le programme TRACE est le plus ancien programme de recherche qualitative sur la consommation du cannabis chez les jeunes au Canada, qui a commencé par mettre l’accent sur les jeunes qui consomment fréquemment du cannabis. Mon approche en matière de recherche est participative, et je m’efforce d’inclure les jeunes dans l’ensemble des données probantes de façon à trouver des solutions fondées sur les données et qui trouvent un écho auprès des populations qu’elles sont censées viser. Je crois qu’on peut apprendre l’expertise des jeunes et je crois qu’il faut soutenir les jeunes pour qu’ils participent de façon pleine et entière. Par conséquent, même si je vais mentionner certains éléments associés au point de vue des jeunes, dans mon témoignage, je ne peux pas parler en leur nom.

Je suis heureuse de constater que vous allez rencontrer un jeune cet après-midi et je vous encourage à chercher d’autres occasions de faire participer des jeunes de façon significative dans le cadre du présent processus stratégique.

Je vais me concentrer aujourd’hui sur quelques domaines clés où les données probantes disponibles peuvent aider à étayer le projet de loi en ce qui concerne les jeunes.

Pour commencer, lorsqu’il est question des préoccupations liées au préjudice associé à la consommation du cannabis chez les jeunes, un point de départ important de la discussion consiste à fournir un peu de renseignements contextuels en caractérisant ce que nous jugeons être l’ampleur du problème. Comme vous l’avez sûrement entendu dans le cadre d’autres témoignages, j’en suis sûre, la prévalence de la consommation de cannabis chez les jeunes est restée stable ou a diminué au cours des dernières années. Plus tôt cette année, Statistique Canada a estimé la prévalence de la consommation de cannabis chez les jeunes âgés de 15 à 17 ans à 18 p. 100 et, chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans, à 28,4 p. 100.

Même si la consommation de cannabis chez les jeunes Canadiens est relativement élevée comparativement à leurs pairs d’autres pays, la proportion de jeunes affichant une consommation problématique ou à risque élevé est faible. En effet, une étude récente fondée sur les données de la population canadienne a révélé qu’environ de 2 à 2,5 p. 100 des jeunes qui consomment du cannabis le font d’une façon qui entraîne de graves conséquences sociales ou liées à la santé. Cela signifie que nous prévoyons qu’environ 0,4 p. 100 des jeunes Canadiens âgés de 15 à 17 ans et 0,6 p. 100 des jeunes âgés de 18 à 24 ans consomment du cannabis d’une façon qui entraînera des préjudices comme des problèmes de santé, des problèmes sociaux, des problèmes juridiques ou des problèmes financiers. Ceux qui commencent à consommer plus rapidement et qui en consomment plus souvent sont les plus à risque, et les jeunes hommes sont plus à risque que les jeunes femmes de subir ces préjudices ou d’afficher des risques plus élevés.

Les liens déclarés entre la consommation de cannabis à l’adolescence et la psychose, particulièrement les troubles psychotiques chroniques et récurrents, est le préjudice potentiel sur la santé le plus préoccupant. Même si les recherches donnent à penser qu’il y a un lien entre la consommation de cannabis chez les adolescents et la psychose, ce domaine de recherche demeure non concluant. Ce que nous savons du domaine de la santé mentale, c’est que les problèmes de santé mentale et de toxicomanie ont tendance à résulter de l’interaction complexe entre des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux plutôt que d’un seul facteur de risque.

Un des jeunes participants de nos études dans le cadre du programme TRACE a bien décrit l’ambiguïté de nos données probantes sur le cannabis qui ont contribué à notre présence ici aujourd’hui :

Je pensais que participer à la recherche nous aiderait à trouver ce qui est correct et ce qu’il faut éviter, mais, en fait, ce n’est pas le cas. Notre participation nous a rendus plus confus. Cependant, nous en savons plus sur les raisons pour lesquelles quelque chose peut être plus approprié ou non, alors je pense que ça reste quelque chose de très utile au moment de tirer des conclusions.

En effet, les recherches en cours sur le cannabis sont essentielles pour réduire au minimum les méfaits, et la légalisation du cannabis aidera à cet égard.

Maintenant que j’ai fourni une estimation de la proportion des jeunes qui, selon nos prévisions, subiront des préjudices liés à la consommation du cannabis, je vais maintenant aborder mon deuxième point, soit les déterminants sociaux de la santé et associés à la santé causés par la politique actuelle sur le cannabis.

En vertu du cadre réglementaire actuel, la consommation du cannabis est criminalisée, et ce, non pas en raison des éléments de preuve de préjudice, mais plutôt en fonction d’un paradigme obsolète axé sur la punition et fondé sur une idéologie et une morale qui désapprouvent la consommation de drogues. Même si nous n’avons pas de bonnes données sur l’ensemble des coûts associés à cette approche, on estime que les mesures d’application de la loi liées au cannabis à elles seules coûtent environ 1,2 milliard de dollars par année.

De plus, il existe des preuves que les coûts sociaux de la criminalisation sont importants et qu’ils touchent de façon disproportionnée les jeunes, particulièrement les jeunes Autochtones, les jeunes issus de minorités raciales et les membres de communautés de jeunes marginalisés. Ces préjudices incluent la stigmatisation et l’exclusion, des occasions limitées d’emploi rémunérateur, des niveaux accrus de pauvreté et de mauvais résultats en matière de santé, et ce, en accaparant des ressources publiques déjà limitées.

La loi sur le cannabis créera un nouveau cadre juridique et réglementaire fondé sur une approche axée sur la santé publique, ce qui aura le potentiel de cibler ces inégalités et d’y réagir et de générer des revenus qui pourront servir à réaliser des interventions pour répondre à l’ensemble des besoins, des efforts d’éducation et de prévention pour tous les jeunes jusqu’au besoin en matière de traitement de la petite proportion de jeunes qui auront besoin de ces types de soins spécialisés.

Pour terminer sur une note positive et optimiste, mon troisième et dernier point consiste à offrir un point de vue axé sur les forces dans le cadre du dialogue sur les jeunes et la consommation de cannabis. Les préoccupations actuelles au sujet de l’impact de la légalisation sur la consommation de cannabis par les jeunes ont tendance à aborder la question du point de vue des déficits. On met beaucoup l’accent sur le besoin de protéger les jeunes, et même si c’est bien sûr important, cela ne tient pas adéquatement compte de la capacité importante que les jeunes possèdent et du rôle que nos politiques au sein de la société doivent jouer pour outiller les jeunes en leur fournissant les compétences et les ressources dont ils ont besoin pour prendre de bonnes décisions en matière de consommation de cannabis, d’une façon éclairée et fondée sur les meilleures données probantes.

Dans le cadre de notre programme de recherche axé sur les jeunes, TRACE, nous avons prouvé que, avec les bons outils, les bons enseignements et le bon soutien, les jeunes peuvent analyser de façon complexe les données probantes, tirer des conclusions éclairées au sujet des risques et des méfaits liés à la consommation de cannabis et formuler des stratégies pour les réduire au minimum.

Cette recherche indique aussi que l’approche actuelle en matière de prévention et d’éducation n’est pas efficace. C’est en grande partie en raison des messages fondés sur la crainte et les risques exagérés, ce qui peut entraîner plus de méfaits. Comme un de nos jeunes participants l’a expliqué :

Ils décrivent le pot comme une très mauvaise chose, et lorsque les gens découvrent que ce n’est pas si mauvais que ça, ils se disent que toutes les drogues ne sont peut-être pas si mauvaises. Par conséquent, ils entrent dans le monde de la drogue, et ils pensent que les drogues ne les changeront pas, mais les autres drogues peuvent les changer.

Cependant, tout ça est aussi le produit d’un paysage stratégique confus, dans lequel le cannabis est techniquement illégal, mais où la prévalence de la consommation est élevée, l’accès au cannabis, facile, et les renseignements et messages contradictoires, courants. En fait, nos cycles de ressources éducatives sur support vidéo créées aux fins de présentation en milieu scolaire ont été produits en raison de la rétroaction des enseignants qui s’estimaient mal outillés pour parler aux jeunes de la consommation de cannabis, en partie en raison de la zone grise juridique dans laquelle on se trouve.

La légalisation et la réglementation fourniront un contexte mieux défini permettant de réaliser des interventions fondées sur des données probantes, ouvertes et honnêtes en matière de prévention et d’éducation. Ce processus devrait être réalisé en partenariat avec les jeunes et devrait inclure des principes de réduction des méfaits de façon à tenir compte des besoins de ceux qui consomment du cannabis et de ceux qui n’en consomment pas.

Merci de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup. Nous avons entendu les déclarations préliminaires et préparé le terrain, alors nous sommes prêts à vous poser des questions. Comme nous l’avons fait récemment, les intervenants auront chacun cinq minutes, ce qui inclut les questions et les réponses. Je crois qu’il est préférable de poser les questions à un ou deux témoins. Si vous posez vos questions à tous les témoins, vos cinq minutes passeront très rapidement. Je vais commencer par nos vice-présidentes.

La sénatrice Seidman : Je tiens à tous vous remercier de vos exposés. Mes questions vous seront destinées, madame Valleriani.

Je vais commencer rapidement par quelques citations.

La première est tirée d’un article du Maclean’s du 15 janvier 2018 sur le fait que la dépendance à la marijuana est bien réelle et que les consommateurs adolescents sont les plus à risque. Je cite :

Un sondage réalisé par le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies (CCLT), publié l’année dernière, a révélé que la majorité des jeunes ne savaient pas que le cannabis peut créer une dépendance et être associé à des symptômes de sevrage.

Les jeunes sont plus susceptibles d’énumérer ce qu’ils considèrent comme les avantages du cannabis plutôt que ses inconvénients.

Dans le cadre d’un article d’opinion paru le 16 avril 2018 dans le Toronto Star, le directeur général d’un des meilleurs programmes résidentiels de traitement de la toxicomanie chez les jeunes du Canada avait ce qui suit à dire :

Un grand nombre de nos clients nous disent que le cannabis est leur première drogue de choix. Beaucoup commencent à consommer vers 12 ans, et aucun ne croyait que le cannabis pouvait être autre chose qu’une substance bénigne. Ils ne voyaient pas ce qui pouvait mal tourner.

Il parle ensuite des recherches qui racontent une histoire très différente, particulièrement en ce qui a trait aux adolescents, parce que leur cerveau est encore en développement.

Sur la page principale de votre site web, il y a une pétition. Peu importe le sujet — vous parlez de la criminalisation continue des travailleurs de dispensaires de cannabis — voici une traduction de la toute première phrase de la pétition :

Le cannabis est un médicament connu, et il y a très peu de données probantes sur les préjudices associés à sa consommation.

Voici la question que je veux vous poser : pouvez-vous m’aider à comprendre, puisque nous étions tous là pour entendre le témoignage de témoins d’associations médicales, du corps infirmier, du milieu de la pédiatrie du CTSM… Beaucoup de témoins nous ont parlé de façon très claire des effets négatifs du cannabis sur la santé des jeunes. Alors comment pouvez-vous commencer une pétition avec un tel message? Vous parlez de l’importance d’écouter les jeunes, alors j’aimerais savoir ce que vous avez à dire.

Mme Valleriani : Absolument.

Premièrement, nous ne dirions jamais que la consommation de cannabis est bénigne. Il y a assurément certains risques associés à la consommation. Mais nous tenons aussi à souligner que beaucoup des données probantes liées aux méfaits restent non concluantes. Dans un régime d’interdiction, nous estimons qu’une bonne partie de la désinformation, y compris l’idée que le cannabis est une substance bénigne, a pu se répandre sans qu’on ait vraiment une façon de rétorquer à ces affirmations grâce à des conversations raisonnables et fondées sur des données probantes au sujet du cannabis.

Pour ce qui est de la pétition, elle concernait principalement l’idée que la poursuite des activités d’application de la loi autour des dispensaires de Toronto ciblait principalement de jeunes employés de premier échelon, qui n’avaient donc souvent pas de ressources juridiques vers lesquelles se tourner. Dans ce cas-là, la pétition portait surtout sur ça.

La sénatrice Seidman : Je ne remets pas en question le sujet de la pétition, mais je vous dis que nous avons entendu très clairement qu’il y a une base de données probantes au sujet des préjudices de la consommation du cannabis sur le cerveau des jeunes jusqu’à l’âge de 25 ans.

Mme Valleriani : Oui. Permettez-moi d’attirer votre attention sur une nouvelle étude qui, en fait, vient d’être publiée la semaine dernière dans le magazine de psychiatrie JAMA. C’est une revue importante et très respectée. Les chercheurs ont examiné systématiquement 69 études sur la consommation de cannabis chez les jeunes et la cognition. Permettez-moi de vous communiquer leur conclusion :

Les liens entre la consommation du cannabis et le fonctionnement cognitif chez les adolescents et les jeunes adultes sont ténus, et leur importance clinique peut être remise en question chez la plupart des personnes… Les résultats indiquent que les études précédentes sur le cannabis et les jeunes ont peut-être surévalué l’importance et la persistance des déficits cognitifs associés à la consommation.

Les chercheurs disent aussi que, après une période d’abstinence d’environ 72 heures, la plupart des déficits cognitifs observés disparaissent.

On parle seulement ici de cognition. Ils ne se sont pas intéressés aux autres éléments, comme la santé mentale, qui est aussi préoccupante.

La sénatrice Seidman : Ils ne se sont pas penchés sur la dépression ni la psychose?

Mme Valleriani : Exactement. J’ai des copies des principaux points et le résumé. Je peux les remettre au président.

Il ne faut pas oublier que beaucoup des études que nous avons sur les préjudices liés à la consommation du cannabis — et, encore une fois, je ne dis pas qu’il n’y a absolument aucun risque —, eh bien ces études ne peuvent pas nous dire la direction du lien. Elles ne peuvent pas nous préciser l’ampleur ni la force de la relation entre les deux.

Je crois qu’il est très important de tenir compte du fait que, souvent, les préjudices affichés sont en fait liés à des facteurs sociaux, structuraux et environnementaux globaux. Lorsqu’on commence à tenir compte de choses comme le statut socioéconomique et la consommation concomitante de drogue et d’alcool, ces liens ont tendance à être plus ténus.

La sénatrice Seidman : J’aimerais vous poser rapidement une question, si vous me le permettez, au sujet de votre trousse d’éducation. Vous avez créé un partenariat avec la Canopy Growth Corporation, une entreprise de cannabis. C’est exact?

Mme Valleriani : Oui, c’est le cas.

La sénatrice Seidman : Combien d’argent l’entreprise a-t-elle fourni?

Mme Valleriani : La subvention était de 50 000 $. Si vous me permettez de vous dire de quelle façon nous avons atténué le biais en ce qui a trait au fait d’accepter de l’argent de Canopy, nous avons pris des mesures. Pour commencer, il s’agissait d’une subvention sans restrictions. Cela revêt une grande importance parce que l’entreprise n’avait aucun droit quant au choix de l’équipe de recherche, à l’élaboration des ressources, aux recherches, aux messages et à la conception. Nous avons aussi fait examiner le tout par un comité externe de jeunes composé de trois personnes sans lien avec CSSDP, et nous avons ensuite demandé à un comité externe de neuf experts de divers domaines de s’assurer que notre analyse documentaire reflétait les données probantes scientifiques. Il y avait parmi ces personnes des experts des politiques antidrogue au Canada. Il y avait aussi des membres du corps infirmier d’endroits comme SickKids, des conseillers pédagogiques et des groupes de parents qui s’intéressent à la consommation de drogues.

La sénatrice Petitclerc : Madame Valleriani, je veux parler de la banalisation. Nous avons déjà abordé le sujet, et puisque vous travaillez depuis plus de deux ans de très près avec notre jeunesse, j’aimerais que vous nous parliez, en particulier, de la banalisation liée au fait que le projet de loi ne prévoit aucune sanction pénale pour la possession de 5 grammes de cannabis. Ce qui m’intéresse, c’est que vous demandez aux sénateurs de voir cela non pas comme si on permettait aux jeunes de posséder du cannabis, mais plutôt comme une façon de veiller à ce qu’ils n’entrent pas dans un cycle de criminalisation. Beaucoup de personnes sont d’accord sur ce point, mais je me demandais quelle est l’opinion des jeunes par rapport à cet élément du projet de loi.

Mme Valleriani : Je doute de pouvoir en parler au nom des jeunes, mais si j’avais quelques observations à faire, la première chose que je voudrais souligner est le pouvoir des provinces de prendre des mesures supplémentaires… En Ontario, par exemple, les agents de police peuvent confisquer la drogue en plus de donner des contraventions aux jeunes, comme cela se fait pour l’alcool, qui est une substance légale. En Ontario, une contravention pour ce genre d’infraction peut aller jusqu’à 200 $. J’ajouterais aussi qu’il faut être conscient de la façon dont les amendes ont un impact différent sur les jeunes. Les jeunes vulnérables ou à risque sont plus susceptibles de consommer dans un endroit public; il est donc très probable qu’un programme de contraventions les touche de façon disproportionnée.

La banalisation, dans l’ensemble, est une question plus difficile. D’abord, je veux dire que la majorité des jeunes ne consomment tout simplement pas de cannabis, même s’il y en a beaucoup qui le font.

Ensuite, j’ajouterais que même s’il y a une certaine banalisation de la consommation du cannabis chez les jeunes, on pourrait aussi un peu dire qu’il s’agit d’une expérience qui, dans l’ensemble, fait partie de l’adolescence. On parle encore beaucoup de la façon dont ils continuent d’affronter les préjugés à cause de leur consommation. Même s’il y a une certaine banalisation, la stigmatisation liée à la consommation du cannabis par les jeunes n’a pas disparu.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Je vais poser ma question à M. Paris. Vous avez parlé d’emballage et de publicité. Nous avons tous lu l’article de La Presse qui traitait de la tactique créative un peu agressive d’une compagnie qu’on n’a pas besoin de nommer. En ce qui concerne l’emballage neutre, croyez-vous que le projet de loi C-45 va assez loin? Est-ce qu’on pourrait adopter une approche plus semblable à celle du tabac? Trouvez-vous que c’est équilibré?

M. Paris : Je pense que ce n’est pas la partie la plus importante. On parle de produits qui seront légalisés et vendus dans un contexte de réglementation. Si c’est juste une boîte blanche avec une feuille de cannabis et un nom, je peux comprendre que les manufacturiers aient besoin de se différencier. L’important, selon nous, c’est que ce produit soit régi sévèrement, c’est-à-dire qu’il n’y ait aucun marketing, aucune stratégie de marque, aucune promotion, aucune commandite, un peu comme le tabac, mais pas comme l’alcool.

On a appris notre leçon avec l’alcool, parce qu’on a été un peu libéral. Le marketing de l’alcool est axé sur les jeunes, parce que c’est là que se trouve le marché. Or, c’est le même marché pour le cannabis. Si on libéralise sans même connaître les conséquences à long terme, on fait un faux pas. Ce qui est dit publiquement, c’est que d’ici quelques années, on convaincra le gouvernement d’assouplir un peu la réglementation. C’est pourquoi on veut un moratoire pendant une certaine période afin qu’on puisse le savoir.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : J’ai des questions à poser à chacun des témoins. Merci de nous avoir gracieusement offert votre temps et votre expertise.

Madame Valleriani, d’après les commentaires de la sénatrice Seidman et votre témoignage, il semble qu’il y ait de l’information contradictoire sur certaines questions. Il n’y a aucun consensus scientifique dans ce domaine, je crois. Quelle serait votre opinion si on recommandait, dans l’éventualité où le projet de loi C-45 est adopté, de reporter d’un an sa mise en œuvre, au moins, jusqu’à ce que nous ayons un portrait plus précis des données scientifiques et des impacts du cannabis? Je parle, par exemple, de l’impact sur les jeunes.

Mme Valleriani : Merci beaucoup de cette question.

Pour commencer, étant donné que les jeunes — et les Canadiens de façon plus générale — continueront d’être traités comme des criminels dans l’intérim pour possession et consommation de cannabis, je dirais qu’il est extrêmement important pour cette raison d’adopter rapidement le projet de loi C-45.

J’aimerais aussi souligner le fait que les gens consomment déjà du cannabis dans une proportion plutôt élevée, et c’est pourquoi nous ne devrions pas continuer à perdre du temps avant de mettre en place un cadre juridique qui permettra de régler les questions concernant l’éducation publique, l’accès à l’information et l’élaboration des politiques axées sur des données probantes. Nous savons que le taux de consommateurs est déjà plutôt élevé, alors nous ne devrions pas gaspiller plus de temps avant de commencer sensibiliser le public et à réduire les méfaits.

La sénatrice Omidvar : Monsieur O’Soup, je me demandais quelle était votre position ainsi que la position de votre organisation sur la culture à domicile et les impacts que pourrait avoir la culture à domicile sur les jeunes ainsi que les méfaits potentiels que cela pourrait entraîner. Le projet de loi prévoit que les gens peuvent avoir chez eux jusqu’à quatre plantes de cannabis pour leur usage personnel. Cela s’applique aussi aux semis, ou aux titulaires de permis. Il y aura une surveillance très stricte, et les provinces pourront prendre d’autres dispositions législatives et réglementaires si elles le souhaitent. Vous n’avez pas mentionné cela dans votre exposé, pourquoi?

M. O’Soup : Puisque je ne disposais que de sept minutes, j’ai essayé de faire un usage judicieux du temps qu’on m’avait accordé.

En ce qui concerne la culture à domicile, notre organisation défend les intérêts des enfants et des jeunes, et, de façon plus large, des familles, puisque vous ne pouvez pas promouvoir la santé chez les enfants et les jeunes si vous ne faites pas la promotion de la santé au sein des familles également.

Selon moi, la culture responsable à domicile devrait être surveillée de très près, étant donné la possibilité que les parents qui font la culture deviennent un exemple pour leurs enfants. Il y a diverses choses à prendre en considération. Les parents jouent le rôle de modèles dans la vie de leurs enfants, et lorsque les enfants voient leurs parents faire ce genre de choses, cela a des conséquences. Pour nous, la promotion de la santé chez les jeunes et les enfants passe par des habitudes de vie saine au sein des familles.

Nous n’avons pas encore pris position officiellement sur le sujet, mais pour répondre à votre question, je dirais que ce serait cela, notre position.

La sénatrice Omidvar : Comment surveilleriez-vous cela, et comment appliqueriez-vous la loi? C’est la question à 1 000 $. Vous avez dit que les parents sont un modèle pour leurs enfants. Selon vous, quelles leçons pourrons-nous tirer des lois en vigueur qui permettent aux personnes de cultiver leur propre tabac ou de produire leur propre alcool?

M. O’Soup : La surveillance ne sera pas facile. Nous travaillons en étroite collaboration avec le système de justice de la Saskatchewan, et je crois qu’il va falloir en discuter avec ses représentants, parce que ce ne sera probablement pas identique dans tout le pays.

Pouvez-vous me rappeler la deuxième partie de votre question?

La sénatrice Omidvar : À dire vrai, je crois que ça va aller.

Madame Jenkins, j’ai lu votre témoignage, et je l’ai trouvé très intéressant. Dans votre étude, vous avez cité une jeune personne, et selon elle, les jeunes ne croient pas que les drogues sont aussi nocives qu’on le dit. En conséquence, ils commencent à consommer des drogues en croyant à tort que cela n’aura pas vraiment de conséquences pour eux. Selon vous et selon vos études, existe-t-il des données, peu importe lesquelles, qui laissent croire que le cannabis est une drogue d’introduction?

Mme Jenkins : Non, nous n’avons aucune étude qui nous permettrait de croire que le cannabis est une drogue d’introduction. Je crois même que cette question a déjà été largement examinée, et cette conclusion, contestée. À dire vrai, dans l’une de nos études, nous avons laissé des jeunes consulter les études sur le sujet pour qu’ils puissent tirer leurs propres conclusions, et ils ont aussi conclu que ce n’était pas quelque chose qu’on pouvait affirmer.

Un autre point intéressant que je pourrais soulever est que dans l’une de nos études, les jeunes ont dit que le cannabis était en fait un outil de réduction des méfaits, puisqu’ils l’utilisaient pour se protéger des effets préjudiciables des autres drogues plus dures, pour reprendre leur expression. Donc, ils consomment du cannabis pour éviter de sombrer dans autre chose.

Le sénateur Campbell : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui. J’ai deux questions. Premièrement, j’aimerais savoir, parmi vos organisations lesquelles soutiennent la légalisation du cannabis et lesquelles s’y opposent.

Mme Valleriani : Nous appuyons fortement la légalisation.

M. O’Soup : Je crois que j’ai mentionné à la fin de mon exposé que nous ne nous opposons pas à la décriminalisation du cannabis. Cependant, nous voulons nous assurer que les bonnes politiques et les bonnes lois sont en place.

Mme Jenkins : Je vais parler en mon nom et au nom de mon organisation, mais, compte tenu de l’information à notre disposition, je dois dire que je suis fortement en faveur de la légalisation.

M. Paris : Pour être parfaitement honnête, nous avons l’impression que la question a déjà été tranchée. Le but de notre organisation est de protéger les enfants, alors nous ne sommes ni pour ni contre. Ce que nous voulons, c’est nous assurer que toute la réglementation sera en place si le projet de loi est adopté pour protéger notre jeunesse. Pour l’instant, nous ne sommes pas convaincus que c’est le cas.

Le sénateur Campbell : J’ai une deuxième question pour vous à propos des jeunes. Seriez-vous d’accord pour dire que nous avons, en tant que société, failli à notre tâche de sensibilisation des jeunes?

M. O’Soup : Je dirais que oui.

Le sénateur Campbell : Selon vous, la dépression et d’autres choses que l’on voit sont-elles causées par la consommation de cannabis, ou s’agit-il de conditions préexistantes pour lesquelles le cannabis, au même titre que l’alcool et d’autres drogues, est utilisé comme automédication. C’est quelque chose qui me préoccupe depuis fort longtemps. Nous avons tendance à chercher quelque chose à blâmer pour éviter de voir le vrai problème en face. Parfois, il s’agit de maltraitance, d’un environnement familial difficile ou d’intimidation. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Paris : Volontiers. Nous avons présenté un exposé au Comité permanent de la santé avec le Dr Barakett, un membre de notre comité consultatif. Il a abordé cette question avec éloquence. C’est un médecin clinicien, et il a dit que, dans sa pratique, près de la moitié des jeunes avaient recours à l’automédication. Beaucoup d’entre eux le faisaient pour soulager leur anxiété ou leur stress, souvent en raison d’un trouble déficitaire de l’attention ou d’un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité qui leur a été diagnostiqué. D’autres le font aussi pour soulager d’autres traumatismes liés à du harcèlement, de la maltraitance, de la négligence ou d’autres choses comme le divorce des parents.

Donc, voilà comment cela commence. Le problème est qu’un enfant qui consomme de la drogue ou n’importe quelle autre substance pour soulager son anxiété ou son stress risque de sombrer dans la toxicomanie, puisque le seul temps où il se sent bien est lorsqu’il est sous l’influence. Il continue donc de consommer, et c’est là que ce genre de comportement devient problématique.

Mme Jenkins : Pourrais-je répondre aussi à la dernière question?

Le président : Si le sénateur est d’accord, bien sûr.

Mme Jenkins : Je crois qu’il est en train de souligner que ce sont surtout des groupes précis de jeunes qui sont vulnérables aux méfaits : les jeunes dont la situation familiale est difficile, qui ont un statut socioéconomique inférieur, qui sont racialisés ou qui sont marginalisés d’une autre façon. Je crois que c’est aussi très important de garder cela à l’esprit. Nos études ne nous permettent pas de déterminer lequel des deux vient en premier.

M. O’Soup : Notre organisation vient d’achever un rapport sur le suicide des jeunes dans le Nord de la Saskatchewan. Nous y avons passé plus d’un an. Nous avons parlé à plus d’un millier de jeunes à propos du suicide chez les jeunes, et nous leur avons demandé de nous en expliquer les raisons et de nous proposer des solutions.

Six thèmes sont ressortis de nos discussions, directement soulevés par les jeunes. L’un de ces thèmes concernait l’abus de drogues et d’alcool, et le cannabis a été explicitement cité par nos jeunes comme étant une cause. Il ne s’agit pas de la seule cause, mais cela faisait partie des six thèmes principaux qui sont ressortis de nos discussions avec eux sur le sujet du suicide chez les jeunes, des raisons pour lesquelles les jeunes tentent de se suicider et parfois réussissent.

Le sénateur Campbell : Comment fait-on pour déterminer qui sont ces personnes, ces jeunes, dans les écoles, pendant leurs études? Je n’ai jamais compris pourquoi nous ne sommes pas en mesure de déterminer qui sont les personnes à risque. Les enseignants le savent, les conseillers le savent, et pourtant, nous continuons de les traiter comme s’il s’agissait d’un groupe homogène. Comment devons-nous procéder?

M. Barnes : Une chercheuse de l’Université de Montréal, Patricia Conrod, a mené des études excellentes sur les types de personnalité qui prédisposent les gens aux risques et à la toxicomanie.

Le sénateur Campbell : Vous avez dit Université de Montréal?

M. Barnes : Oui.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup.

La sénatrice Lankin : Merci à vous tous de nous avoir présenté vos exposés. Merci d’en avoir pris le temps, cela nous sera très utile. Merci aussi du travail que vous avez accompli et de votre intérêt pour ce sujet.

Ma première question s’adresse à M. O’Soup. Vous avez dit quelque chose que j’ai eu un peu de difficulté à comprendre. Vous avez parlé de la possibilité qu’un parent ou un adulte de la famille donne du cannabis à un jeune de 12 à 18 ans. Vous avez dit qu’il devrait y avoir des mesures plus rigoureuses pour décourager ce genre de comportement. Je ne suis pas certaine de ce que vous vouliez dire par cela.

Je vous prie de me corriger si je me trompe, mais d’après ce que je sais, la peine pour ce genre de chose est une sanction pénale de 14 ans. À dire vrai, certaines personnes ont dit qu’il est préférable d’avoir accès à ce produit réglementé, et lorsque l’infraction concerne moins de 5 grammes, de la traiter comme s’il s’agissait d’alcool : non pas comme une infraction criminelle, mais comme une infraction passible d’une contravention pour l’adulte.

Avez-vous des commentaires à ce sujet? J’ai peur d’avoir quelque peu perdu le fil.

M. O’Soup : Je crois que je voulais surtout mettre l’accent sur les modèles de comportement au sein de l’unité familiale. Voilà ce dont je voulais parler.

Je ne m’oppose pas à la décriminalisation et aux 5 grammes. Je crois qu’on devrait en discuter, mais je suis davantage préoccupé, pour répondre à la question initiale, par l’exemple que donne un parent ou un frère ou une sœur plus âgés qui commence à cultiver du cannabis. Je crois que c’est le genre de choses qui pourrait influencer les jeunes.

Bien sûr, ce sera très difficile de réglementer les cas où un enfant ou un jeune obtient du cannabis de ses parents. Je ne suis pas sûr de savoir de quoi vous parlez lorsque vous mentionnez les peines de 14 ans, mais ce qui me préoccupe, c’est ce qui se passe dans la résidence familiale et le genre de modèles de comportement auxquels les jeunes sont exposés. Comment pouvons-nous protéger les enfants d’un certain âge de leur frère ou de leur sœur plus âgés — ou peut-être même de leurs parents — qui ne voient pas de problème à leur donner du cannabis? C’est le genre de choses qui me préoccupe.

La sénatrice Lankin : Je comprends, c’est une nuance importante. Je suis contente d’avoir posé la question, parce que je ne comprenais pas ce que vous disiez. Essentiellement, vous dites qu’il faut faire quelque chose du côté des campagnes de sensibilisation en matière de santé publique, des conseils qui sont donnés aux parents, et cetera. À mon avis, il en va de même pour l’alcool en ce qui concerne les modèles de comportement et le reste.

M. O’Soup : Absolument.

La sénatrice Lankin : Madame Valleriani, dans votre travail auprès des jeunes, avez-vous interagi avec des jeunes Autochtones, même un peu?

Mme Valleriani : Il y avait quelques jeunes Autochtones qui ont participé à certaines des tables rondes, mais la grande majorité des jeunes venaient de villes comme Toronto, Vancouver ou Okanagan. Nous savons toutefois que les ressources doivent être adaptées aux collectivités autochtones. Il va falloir prendre des mesures importantes à ce sujet.

La sénatrice Lankin : J’imagine que nous pourrons tirer plus de renseignements des consultations qui seront menées auprès des jeunes Autochtones, mais j’ai l’impression que ce n’est pas quelque chose que nous prenons en considération lorsqu’il est question de santé publique ou de l’orientation de la santé publique. Pour ces collectivités, il s’agit aussi d’un problème social d’une grande importance. Je vous prierais de nous envoyer toute information que vous avez à ce sujet ou que vous trouvez.

Mme Valleriani : Bien sûr.

La sénatrice Lankin : Je voulais poser une question à M. Paris ou à M. Barnes. Quelle est la position de votre organisation quant au lien entre la santé mentale et le cannabis, une question cruciale? Je suis d’accord avec ceux qui disent que les études ne permettent pas de déterminer lequel cause l’autre. Nous n’en savons pas beaucoup à ce sujet. Avec un peu de chance, nous pourrons en apprendre beaucoup plus maintenant que le projet de loi a stimulé les études sur le sujet.

Je continue tout de même d’être préoccupée. Est-ce qu’un jeune commence à souffrir de problèmes de santé mentale parce qu’il a consommé une substance, ou est-ce qu’il consomme la substance parce qu’il souffre d’un problème de santé mentale? Il y a de plus en plus de jeunes souffrant de problèmes de santé mentale dans notre pays, en Amérique du Nord et dans le monde entier, selon les rapports de l’Organisation de coopération et de développement économiques que j’ai lus.

Mon intention n’est pas de modifier le projet de loi. Je veux plutôt ajouter une observation : le gouvernement fédéral a maintenant la possibilité et la responsabilité de diriger les provinces et de les réunir afin que l’on puisse discuter de la façon dont nous pouvons fournir des traitements adéquats aux jeunes souffrant de problèmes de santé mentale. Avez-vous déjà discuté de cela? Seriez-vous en faveur d’une stratégie fédérale, provinciale et nationale pour aider les jeunes qui souffrent de problèmes de santé mentale? Je parle non pas uniquement des problèmes liés au cannabis, mais des problèmes en général. Puisque nous savons qu’il existe un certain lien entre les deux, diriez-vous que nous sommes tenus, étant donné que nous proposons ce projet de loi, de veiller à offrir également du soutien et des traitements?

M. Paris : Il est clair qu’il existe un chevauchement entre les problèmes de santé mentale et la consommation de drogues. Il y a un lien irréfutable, mais qui revient toujours à la question suivante : pourquoi les jeunes consomment-ils de la drogue de nos jours? Quelle est leur relation avec la drogue, et pourquoi croient-ils que c’est une solution? Nous devons les sensibiliser, bien sûr, mais aussi leur fournir du soutien en matière de santé mentale. Nous avons vu cette semaine à Toronto à quel point les impacts peuvent être désastreux pour une personne qui souffre d’un problème de santé mentale. Nous devons déployer davantage d’efforts de ce côté-là. Je crois que les campagnes menées récemment à propos de la santé mentale ont permis d’éliminer en partie la stigmatisation, ce qui est une bonne chose. Glenn peut probablement vous parler des traitements qui existent actuellement.

M. Barnes : J’aimerais revenir à la question de la causalité, et la vraie réponse est que nous ne savons pas lequel est la cause de l’autre. Pour commencer, prenons le cerveau : d’entrée de jeu, il faut admettre que nous ne comprenons probablement pas plus d’un millième de son fonctionnement. Jusqu’à ce que nous comprenions comment tout se passe dans le cerveau, nous ne pourrons jamais dire avec certitude lequel cause l’autre.

Mais d’après ce que nous avons vu dans les centres de désintoxication, nous savons qu’il n’y a pas seulement le cannabis en jeu. Nous savons qu’il y a de la polydépendance. Les quatre principales substances sont l’alcool, le cannabis, la cocaïne et l’ecstasy. Voilà les problèmes que nous devons affronter avec les jeunes de nos jours.

Le président : Je veux souligner que la prochaine grande étude du comité après le projet de loi C-45 portera sur les jeunes et la santé mentale. Ce sera une étude vaste et importante.

La sénatrice Bernard : Ma question s’adresse à Mme Jenkins, mais je veux vous remercier tous de vos témoignages.

Selon un certain nombre de témoins que nous avons entendus, la proportion des jeunes présentant un risque élevé d’abus de cannabis est très faible. Cependant, je ne crois pas que les données à cet effet ont été ventilées en fonction de la race. Les données que vous avez mentionnées sont similaires à celles de Statistique Canada, mais vous avez aussi mentionné une analyse sexospécifique sur la question. Je me demandais si quelqu’un avait déjà mené une analyse comparative en fonction de la race. Un certain nombre de témoins nous ont dit que l’approche en vigueur actuellement a entraîné une criminalisation disproportionnée des jeunes racialisés, des jeunes Autochtones et des jeunes qui vivent dans un milieu pauvre. Existe-t-il des données ventilées en fonction de ces groupes de jeunes qui sont à risque?

Mme Jenkins : Personnellement, je n’ai pas d’information à propos de données ventilées selon ces critères. Les données que j’utilise ont été ventilées selon l’âge et le sexe, et j’ai ensuite procédé à une analyse comparative entre les sexes. Peut-être que Mme Valleriani aura plus d’information pour vous.

Mme Valleriani : Je ne suis pas sûre de pouvoir vous répondre moi non plus. Vous posez une excellente question. Je pourrais vérifier et communiquer plus tard avec le comité.

La sénatrice Bernard : Avez-vous une recommandation à faire pour la suite des choses?

Mme Jenkins : À propos de la ventilation des données en fonction de la race?

La sénatrice Bernard : Oui.

Mme Jenkins : Oui, je crois que c’est important. Nous savons aussi d’expérience que les gens des communautés racialisées sont plus vulnérables aux méfaits liés à ce genre de choses. La proportion est plus grande dans ces groupes. Je crois qu’il ne suffit plus de simplement étudier des données, nous devons aussi prendre des mesures pour aider à atténuer les inégalités auxquelles ces groupes font face et qui contribuent aux méfaits.

M. Barnes : Il y a certaines choses à prendre en considération lorsqu’on étudie les taux de prévalence : quelle est la population en question? Est-ce la population en général qui est étudiée, ou la population qui suit un traitement? Si vous ne tenez pas compte de cela, vous ne pouvez pas vraiment tirer des conclusions pertinentes des données, que ce soit par rapport au sexe, à l’âge, à la situation économique ou à l’emplacement géographique. Ce serait pratiquement inutile.

Si vous me demandiez de trouver les articles qui disent oui et les autres qui disent non, je pourrais probablement faire deux piles de tailles égales. Pour aller droit au but, dans un contexte universitaire, vous devez préciser la question à laquelle vous voulez qu’on réponde.

Le président : D’accord, je crois que nous avons compris.

La sénatrice Bernard : J’ai moi-même fait partie du milieu universitaire, et je me demandais quel impact, selon vous, les déterminants sociaux de la santé devraient avoir dans les campagnes si le projet de loi était adopté. Lorsque les gens parlent de la jeunesse, ils parlent des jeunes en général. Ils ne pensent pas qu’il y a des jeunes issus de différents milieux, des jeunes dans les collectivités marginalisées qui vivent des choses différentes.

Laissez-moi vous donner un exemple. Il y a quelques années, j’ai lancé un projet sur les jeux de hasard et je voulais cibler les jeunes, en particulier les jeunes Noirs. Beaucoup de jeunes m’ont dit : « Pourquoi voulez-vous nous parler de la dépendance aux jeux? C’est un problème de Blancs. » La raison pour laquelle ils croyaient que ce problème ne les concernait pas est que dans les publicités à propos de la dépendance aux jeux, il n’y avait que des hommes blancs. Donc, de leur point de vue, ce sujet était une perte de temps, puisqu’il ne les concernait pas.

Le président : À qui posez-vous votre question?

La sénatrice Bernard : Elle est ouverte à quiconque souhaite répondre.

M. Paris : Il n’est pas censé y avoir de campagne de publicité pour le cannabis, et cela devrait demeurer ainsi. La race ne devrait pas entrer en ligne de compte, puisqu’il ne devrait y avoir aucune publicité ni aucune campagne de publicité.

La sénatrice Bernard : Je parlais aussi des campagnes de sensibilisation.

M. Paris : Pour la sensibilisation, c’est différent, je suis d’accord. Dans nos campagnes de sensibilisation et nos messages d’information, nous essayons de refléter la diversité de la société. Nous voulons qu’il y ait de la diversité. Nous ne voulons pas simplement montrer la petite famille blanche parfaite qui vit en banlieue, parce que ce n’est pas réaliste.

Mme Jenkins : Je crois que c’est aussi irréaliste de vouloir créer ce genre de campagnes sans consulter ce genre de populations. Si nous voulons être efficaces, il faut que ces personnes participent à la discussion.

La sénatrice Poirier : Ma première question s’adresse à M. O’Soup. Vous avez dit que le projet de loi C-45 ne tient pas compte de l’ensemble des effets néfastes du cannabis sur le développement du cerveau. On nous a proposé différentes façons d’atténuer ce risque, par exemple en augmentant l’âge minimal pour acheter du cannabis ou en limitant les quantités de cannabis ainsi que la concentration de la substance pour les gens de moins de 25 ans, comme vous l’avez recommandé. Pouvez-vous me dire pourquoi il serait préférable de restreindre la concentration de THC au lieu d’augmenter l’âge minimum? Comment cela pourrait-il fonctionner?

M. O’Soup : Je ne suis pas médecin, alors peut-être que quelqu’un d’autre serait mieux placé que moi pour répondre, mais d’après ce que je comprends, entre 18 et 25 ans, différents niveaux de concentration peuvent avoir un effet différent sur le développement du cerveau. Je vous dis ce que j’ai lu sur le sujet, mais je ne suis pas un expert dans le domaine. C’est pourquoi j’ai proposé ce que nous proposons.

La sénatrice Poirier : Quelqu’un d’autre souhaite-t-il répondre?

Mme Valleriani : J’aimerais dire quelque chose à propos des limites pour la concentration de THC. Il existe différents produits de cannabis séché, et si nous réduisons l’accès à certains produits pour les jeunes adultes, s’ils n’ont pas accès à des produits légaux, réglementés et homologués, des produits en vente dont le contenu est clair, nous ne faisons rien d’autre que les pousser vers le marché illégal où ils pourront trouver les produits qu’ils veulent. Il ne faut pas négliger cela. Si vous limitez l’accès à des produits en particulier, surtout pour le groupe d’âge de 18 à 25 ans ou de 19 à 25 ans, ils se les procureront simplement sur le marché illégal. Il faut aussi prendre cela en considération lorsqu’on dit que nous voulons protéger les jeunes. Ce serait peut-être préférable, pour réduire les méfaits, de sensibiliser les jeunes à propos de ces produits et de leurs propres facteurs de vulnérabilité que de leur interdire simplement l’accès.

La sénatrice Poirier : Ma deuxième question s’adresse à Mme Jenkins. J’ai pris en note ce que vous avez mentionné, et je crois avoir bien compris. Vous avez dit que les jeunes hommes sont plus vulnérables que les femmes. J’imagine que vous avez tiré cette conclusion de vos études. Pourriez-vous nous parler un peu plus de cela?

Vous avez aussi mentionné dans votre exposé que, selon votre étude, l’approche actuelle en matière de prévention et de sensibilisation est inefficace. Avez-vous des recommandations pour nous quant à une approche qui serait efficace? Que pourrions-nous faire pour améliorer les choses?

Mme Jenkins : J’ai tiré des conclusions à partir d’une étude publiée récemment par Leos-Toro et ses collègues. Les données viennent de l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues de 2013 ainsi que l’outil de détection de la toxicomanie ASSIST, pour l’alcool, le tabac et les autres substances. Leur analyse sépare les différents types de méfaits selon leur nature et leur forme, que ce soit des méfaits liés à la santé ou des méfaits sociaux, financiers ou juridiques. Ils font aussi une nuance en ce qui concerne les méfaits qui concernent les jeunes et les adultes qui veulent arrêter et qui ont de la difficulté à le faire. Ensuite, les données sont ventilées selon le sexe. Nous avons conclu que les méfaits étaient beaucoup plus importants chez les jeunes hommes qui ont répondu à leur enquête que chez les femmes. Cela correspond aux données des autres enquêtes menées auprès de la population, qui montrent aussi que les méfaits sont beaucoup plus importants chez les jeunes hommes.

La deuxième partie de votre question touchait l’inefficacité des programmes d’éducation actuels. De manière générale, ces programmes misent sur l’abstinence, du moins c’est le cas de la plupart des programmes de prévention de la drogue donnés dans les écoles. Ce concept n’interpelle pas du tout les jeunes, car il est étranger à leurs propres expériences et à ce qu’ils voient dans la réalité. Nous militerions pour un programme de prévention de la drogue plus pragmatique qui est axé sur la réduction des méfaits, qui tient compte du fait que les jeunes consomment et de leur expérience et qui propose des façons de réduire les méfaits dans le contexte de la consommation.

J’aimerais souligner que, bien qu’elle soit absolument nécessaire, l’éducation ne permet pas à elle seule de réduire ces méfaits. Nous observons que les méfaits se concentrent au sein des populations marginalisées, et cela nous oblige à nous interroger : pourquoi donc? Que pouvons-nous faire pour améliorer les résultats de ces populations? Comment pouvons-nous intégrer la promotion de la santé mentale et collaborer avec les collectivités au renforcement des capacités et à la création de relations et d’occasions positives pour les jeunes?

Dans le cadre de nos études, de nombreux jeunes ont affirmé que la consommation de cannabis est considérée comme un passe-temps. Le fait est qu’ils ont peu d’occasions de se réaliser. Ils n’ont pas de moyens de participer activement à leur communauté, et le cannabis est une façon de passer le temps.

Les conditions sociostructurelles qui contribuent à la consommation sont aussi importantes qu’une solide campagne d’éducation axée sur la réduction des méfaits.

[Français]

La sénatrice Mégie : Nous nous entendons tous sur l’efficacité des mesures de prévention, de sensibilisation et d’encadrement des jeunes qui fument déjà du cannabis. J’ai noté dans le document de Skylark que certaines séances de formation durent jusqu’à 30 heures. Quel est le degré de fidélité des jeunes ou des parents qui assistent à une formation d’une telle durée? Commencent-ils la formation pour ensuite arrêter d’y aller et ne pas la terminer? Ceux et celles qui ont déjà donné de la formation pourraient peut-être répondre à cette question.

M. Barnes : Comme pour toute chose en toxicomanie, ça dépend. La plupart des études menées ne sont pas dotées d’un budget leur permettant de suivre les jeunes six mois après la fin de la formation. On note la même chose en Ontario; c’est seulement depuis la dernière année que l’on commence à récolter de l’information. Auparavant, aucune documentation ne permettait d’établir une analyse des données à l’échelle de la province. Il s’agit là d’un problème embryonnaire.

La sénatrice Mégie : Est-ce dans la foulée de la législation sur le cannabis qu’ont été planifiées ces séances de formation? Cela faisait-il partie du programme de sensibilisation aux drogues en général ou était-ce uniquement destiné au cannabis?

M. Barnes : En Ontario, c’est pour toutes les drogues; la formation ne vise pas seulement le cannabis et elle ne le devrait pas non plus.

[Traduction]

Le président : Est-ce que quelqu’un a quelque chose à ajouter?

Mme Valleriani : J’ai quelques idées en tête. Tout d’abord, notre étude nous a permis de constater que, souvent, les parents sont écartés du processus d’éducation en matière de drogue, particulièrement lorsqu’il est question des jeunes, et c’est pourquoi il est important de trouver des moyens d’inclure les parents dans cette formation, c’est-à-dire de les tenir au courant de ce que les jeunes apprennent à l’école au sujet du cannabis. Beaucoup de jeunes à qui nous avons parlé ne se souviennent pas d’avoir entendu parler du cannabis dans le cadre du programme de prévention de la drogue, et nous croyons qu’il est important de parler spécifiquement du cannabis. En général, nous observons qu’il est préférable de donner plusieurs séances plutôt qu’un séminaire unique de deux heures. L’éducation est à son meilleur lorsqu’elle est continue.

La sénatrice Deacon : L’éducation et le luxe du temps sont au cœur de mes questions et de mes pensées. Nous avons appris quelques éléments. Ce sujet est aussi complexe que la journée est longue, et nous sommes absolument ravis que vous nous accordiez du temps aujourd’hui.

Deux de mes collègues ont parlé du temps et de la possibilité d’un report. Un de mes collègues, le sénateur Campbell, a posé la question dans sa plus simple expression : appuyez-vous la légalisation ou non? Nous avons entendu la réponse.

Ce qui me dérange — et j’y ai réfléchi beaucoup —, c’est que la santé publique a bel et bien fourni des programmes et des stratégies de prévention de la drogue dans nos écoles pendant plus de 30 ans. Au départ, il s’agissait plutôt d’une campagne de peur, et les jeunes étaient martelés à coups de « n’en prends pas ». De nombreux efforts ont été déployés depuis 1999-2000 pour tenter de remplacer cela par une stratégie de réduction des méfaits et qui reconnaît le fait que les jeunes consomment. Partout au pays, des efforts concrets ont été déployés dans cette direction et, dans la plupart des cas, en collaboration avec le système d’éducation et la santé publique. Mais cela prend du temps. Pour observer des changements en matière d’éducation et de comportement qui découlent de l’éducation et de l’apprentissage, il faut être patient. Nous connaissons tous les modèles de comportement. Il faut compter une, trois, cinq années. Selon moi, les données dont nous disposons sur l’apprentissage et son incidence sur le comportement sont évidentes.

Nous parlons de partage d’information. Nous disposons de documents de Santé Canada qui ne sont manifestement pas à jour. Nous ne connaissons toujours pas tous les effets du THC. Nous ne sommes pas certains de son effet sur le développement du cerveau. L’information continue d’affluer. Même s’il en a été question déjà aujourd’hui, je réitère que, si nous tardons, c’est sur la criminalisation par rapport à la décriminalisation que nous devrons nous prononcer. Par contre, lorsque nous nous penchons sur les changements de comportement positifs et mesurables, nous tentons de viser l’ensemble de la population du Canada. Nous pensons à l’éducation. Vous avez parlé de la brochure « Parler cannabis ». J’ai une autre question. Avons-nous intérêt à ralentir l’application de la loi? Je sais que quelqu’un a déjà répondu à cette question cet après-midi, mais je la pose dans le contexte de l’éducation, de l’apprentissage, du changement de comportement et de tout ce que nous ne savons pas. Je veux seulement y revenir.

Le président : À qui adressez-vous votre question?

La sénatrice Deacon : À tous ceux qui veulent bien y répondre.

Le président : Cela prendra les cinq minutes. Commençons donc avec Mme Jenkins.

Mme Jenkins : Au cours des 30 années de stratégies et de programmes que vous avez mentionnées, nous n’avons pas observé d’amélioration, alors je crois qu’il est maintenant temps d’apporter ce changement. Il faudra être patient avant de pouvoir mesurer l’importance de ce changement, s’il y a lieu, qui constitue plutôt une expérience. Ce genre de politique est une première dans notre pays, et je crois qu’elle nous donne une occasion concrète d’examiner les éléments qui demeurent un mystère pour nous. Un meilleur accès au cannabis nous aidera à mieux prévoir les résultats à long terme. Je crois donc que nous sommes prêts.

M. Paris : Du point de vue des jeunes, il y a déjà un problème. Nous sommes les plus grands consommateurs de cannabis au monde. Que nous réglementions ou non le cannabis consommé à des fins récréatives ne change absolument rien. Ceux qui en achètent maintenant pourront en acheter de manière légale, et ceux qui ne pourront pas l’acheter de manière légale continueront de l’acheter sur le marché noir. Cela ne changera pas, à moins que nous changions les attitudes à l’égard des drogues et du cannabis et que nous faisions comprendre aux jeunes que le cannabis n’est pas une substance anodine et qu’il y a des risques. Ce qu’il faut, c’est prendre des décisions éclairées et encourager les parents à en parler avec leurs enfants.

Cette brochure est exactement ce dont les parents ont besoin. Les gens nous appellent et en commandent par centaines en ce moment. Le Yukon vient d’en commander 30 000 exemplaires en vue de les distribuer, et elle sera distribuée dans tous les ménages des Territoires du Nord-Ouest. Nous aimerions encourager toutes les provinces à en faire autant afin que tous les parents aient en main de l’information fondée sur des données probantes qui leur permettra d’en savoir davantage sur les points positifs et les points négatifs du cannabis et la façon d’en parler avec leurs enfants.

Pour ce qui est des délais, je crois que, en ce moment, il faut maintenir la réglementation la plus stricte possible, du moins tant que nous n’avons pas de meilleures données. Cela explique pourquoi nous recommandons d’abord un moratoire sur le marketing. Allons-nous créer une génération d’accros au cannabis? Nous ne le savons pas. Personne ne peut le confirmer ou l’infirmer, mais attendons de voir les résultats de ces nouvelles mesures. Il faudra attendre toute une génération avant de connaître les réelles conséquences sociales de cette nouvelle loi.

Le sénateur Munson : J’aimerais revenir à Mme Jenkins. Vous avez parlé de votre programme TRACE. Nos discussions vont dans toutes les directions en ce moment. Nous avons parlé de l’inefficacité des programmes, comme vous l’avez mentionné dans votre mot d’ouverture, que j’ai manqué, malheureusement. Est-ce un programme d’éducation qui pourrait convenir à l’ensemble du pays? En ce moment, il est mis en œuvre en Colombie-Britannique. J’aimerais que vous nous expliquiez comment un tel programme d’éducation fonctionnerait dans les écoles, car si les provinces le font ensemble, il sera plus facile de joindre les adultes et les enfants de partout.

Mme Jenkins : Je n’ai pas proposé un programme d’éducation comme tel, mais nous avons effectué des recherches afin de savoir comment mobiliser les jeunes, leur faire comprendre les données probantes, leur apprendre à les lire et à les interpréter. Je crois que, pour l’essentiel, les approches globales sont inefficaces et ne fonctionnent pas, alors c’est pourquoi je ne crois pas que je serais en faveur d’un programme d’éducation pancanadien. Je crois que le contexte est très important, et c’est pourquoi je tiens à ce que les populations locales participent à la détermination du contenu de l’information et des messages afin qu’ils les interpellent davantage.

Je crois que les ressources éducatives, comme celles présentées par Marc Paris aujourd’hui, sont un excellent point de départ. Nous devons également intervenir auprès des groupes marginalisés qui subissent les conséquences nuisibles de manière importante et disproportionnée afin que l’on puisse mieux comprendre les besoins de ces groupes ainsi que d’autres groupes, dont les parents qui ont des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie et qui ont des besoins particuliers relativement à l’éducation de leurs enfants. Pour répondre à votre question, je ne crois pas qu’une approche globale fonctionnera; elle devra plutôt être adaptée à chaque réalité locale.

Le sénateur Munson : Je pose toujours cette question aux réunions du comité. Au Sénat, nous voulons améliorer les choses. Nous voulons améliorer les lois pour qu’elles fonctionnent pour le pays. Quelqu’un d’entre vous sait-il comment modifier la loi en vue de l’améliorer? Comme vous l’avez déjà dit, nous en sommes à un point de non-retour. Cela se passe maintenant. Cela fera partie du paysage, et nous devons l’accepter. Il est temps de passer à autre chose, mais pouvons-nous améliorer la loi de quelque façon que ce soit? Doit-on plutôt la laisser comme telle? Je serais reconnaissant si quelqu’un osait se mouiller.

Mme Jenkins : Je vais continuer de répondre. Ce qui m’inquiète, c’est le risque que la loi actuelle continue de criminaliser les jeunes pour possession ou partage avec leurs amis. Dans la situation actuelle, je crains que ces méfaits continuent de toucher les jeunes de manière disproportionnée. Je crois que cela mériterait un examen plus approfondi.

M. Paris : Je résumerais cela en trois points. Premièrement, la conduite sous l’effet de la drogue et la mesure de ses effets continuent de faire beaucoup jaser. La science n’est pas du tout au point dans ce domaine. C’est un sujet préoccupant, et il y aura sur les routes beaucoup de personnes qui ont consommé du cannabis, possiblement à compter de cet automne.

Deuxièmement, il y a les aliments à base de cannabis qui ne font pas partie de la loi en ce moment, mais le gouvernement a indiqué qu’il va revoir cela peut-être dans un an. Pour nous, cela entraînera l’introduction d’une substance — que ce soit des oursons en gelée ou des muffins — dans les ménages, et cela nous inquiète énormément.

Troisièmement, il faut penser au marketing. Si nous pouvions partir d’ici avec la certitude que le gouvernement s’engage à ne pas ouvrir cette boîte de Pandore pour les 10 prochaines années, nous aurions l’impression d’avoir fait notre travail.

Mme Valleriani : J’abonde dans le même sens que Mme Jenkins au sujet de la criminalisation des jeunes. Je ne suis pas certaine que cela figure dans le projet de loi, mais je crois qu’il serait très important de prévoir une amnistie ou un pardon pour les condamnations liées au cannabis afin d’intégrer le principe de justice sociale à la loi sur le cannabis. Je crois que le premier objectif de la légalisation devrait être la justice sociale, compte tenu particulièrement de l’impact disproportionné du cannabis sur les minorités et les Canadiens autochtones. Selon moi, il s’agit d’un point qui mérite une grande amélioration.

M. O’Soup : En tant qu’Autochtone, je crois que nous avons été passablement mis à l’écart de la conversation, et je tiens à ce que notre voix soit entendue. Selon moi, il faut que les solutions viennent de la collectivité. Il est difficile de formuler une solution ici au Sénat ou à Ottawa ou à Regina, pour nous qui venons de la Saskatchewan. Je crois que ces solutions peuvent être adaptées aux besoins de la collectivité. Je suis d’accord avec tout le monde pour dire que, si nous n’appuyons par ces solutions et que nous n’y affectons pas de ressources de nos collectivités, nous éprouverons des problèmes. Il ne peut pas y avoir de solutions pancanadiennes, mais je suis d’accord avec ce que tout le monde a dit.

Le président : Avant de passer à la deuxième ronde, j’aimerais explorer avec Mme Jenkins la question de l’éducation, la façon de rejoindre les jeunes, de les aider à comprendre les répercussions et de diffuser des messages qui les interpellent, ainsi que le type de preuves qui les aideraient à prendre une décision éclairée pour eux-mêmes.

Vous avez dit dans votre déclaration liminaire que les enseignants se sentaient mal outillés pour parler aux jeunes du cannabis, en partie parce que c’est une zone grise, puisque ce n’est pas légal. Bien sûr, les écoles relèvent de l’administration provinciale, mais elles ont les moyens d’injecter une partie de leurs fonds consacrés à l’éducation dans ce système, et peut-être que le gouvernement fédéral serait prêt à aider. À quel point est-il important que les enseignants soient mieux outillés pour faire face à cette question? Comme vous le dites, c’est vraiment multidimensionnel et ce n’est vraiment pas une solution adaptée à tous. J’aimerais me faire une idée de l’importance que cette partie particulière pourrait revêtir pour vous.

Mme Jenkins : Merci de poser la question.

La majorité de nos jeunes fréquentent l’école, donc c’est une excellente occasion d’avoir un public captif, pour ainsi dire. Les difficultés que les enseignants éprouvent dans cette zone grise juridique tiennent au fait que certains d’entre eux en consomment eux-mêmes à des fins personnelles, mais ils évoluent dans un contexte où c’est illégal pour les adultes ainsi que pour les jeunes, et ils sont aussi exposés à l’information erronée qui est si largement accessible à notre population.

Le projet de loi nous fournit vraiment l’occasion d’éduquer les jeunes aussi bien que les adultes, ainsi que ceux qui fournissent des soins et interagissent auprès des jeunes. Les enseignants sont une cible importante de la sensibilisation que nous pouvons faire et, si on les outille avec les ressources nécessaires pour participer à un dialogue ouvert, il s’agit non pas tant d’avoir la bonne réponse, disons, que d’être à l’aise avec l’incertitude qui existe et de créer un espace pour le dialogue au sujet des expériences des jeunes.

Le président : Avez-vous l’impression que les provinces se livrent à cette possibilité? Contrôlent-elles certains aspects du projet de loi C-45, tant les aspects législatifs que ceux qui concernent les moyens stratégiques et financiers? Y a-t-il une ou deux provinces qui le font bien que nous pourrions peut-être examiner? Nous allons parler aux provinces, soit dit en passant.

Mme Jenkins : J’ai surtout discuté avec des intervenants à l’échelon municipal ou, par exemple, à l’échelon des conseils scolaires. Absolument, des efforts sont déployés afin de mieux intégrer l’éducation relative à la consommation de substances à la santé mentale dans notre système scolaire. Je pense qu’il y a là une occasion de nous harmoniser avec une partie de l’éducation en matière de santé mentale qui se fait et de nous assurer que cela entre dans notre programme. Je pense que les écoles reconnaissent le rôle qu’elles doivent jouer pour fournir cette forme d’éducation à nos jeunes. Il y a une ouverture à cet égard.

Le président : Qu’en est-il du médecin hygiéniste du Canada? Qu’en est-il de notre institution fédérale en ce qui concerne le facteur d’éducation? Quel rôle devrait-elle jouer à votre avis?

Mme Jenkins : En ce qui concerne les vastes campagnes de sensibilisation du public, je pense qu’il y a un rôle important à jouer, et il s’agit peut-être de travailler avec les provinces à trouver des solutions locales.

Le président : Il me reste une minute de plus, s’il y en a parmi vous qui aimeraient ajouter quelque chose.

M. O’Soup : J’ai été enseignant et éducateur dans une vie antérieure, mais lorsqu’on devient enseignant, c’est pour la vie, comme on dit. Je suis d’accord avec Mme Jenkins pour dire que l’éducation est un élément essentiel et que nous devrions utiliser les enseignants de notre système scolaire, parce que nous avons ce public captif.

Mais il y a une grande partie de ces enfants que nous oublierions si nous utilisons seulement le système d’éducation. Un grand nombre d’enfants sont absents, font l’école buissonnière et, soit dit en passant, beaucoup de ces enfants sont ceux que nous essayons de cibler ici. C’est le problème. Nous devons les trouver où qu’ils soient. Ils sont dans des centres de jeunesse, des centres d’accueil indiens et métis, ailleurs qu’à l’école. Ils vont peut-être aller à l’école une ou deux fois par semaine et, si vous êtes assez chanceux, cela pourrait être le jour où ils reçoivent cette formation sur les drogues ou le cannabis, mais nous devons les trouver et nous devons les rencontrer où ils sont. Parfois, ce n’est pas l’école. Ce sont les enfants et les jeunes les plus vulnérables que nous cherchons à éduquer, et ce sont ceux qui pourraient être oubliés si nous procédons seulement de cette façon. Je pense que nous devons trouver d’autres avenues pour les éduquer.

Le président : C’est un bon point, et mon temps est écoulé. Permettez-moi de passer à la deuxième ronde. Merci d’avoir fourni ces réponses.

La sénatrice Seidman : Encore une fois, merci de nous aider à comprendre certains des enjeux liés au projet de loi, qui est vraiment important pour les Canadiens dans leur ensemble.

J’utilise mon iPad ici et je suis sur le site web du gouvernement du Canada. Il a un nouveau site web qui est censé répondre aux questions que tout le monde se pose au sujet du cannabis. On dit qu’on répondra à vos questions au sujet du cannabis, que vous obtiendrez les faits réels, que vous connaîtrez les effets du cannabis sur la santé. Si vous descendez ici, on a les effets à court terme, les effets à long terme et les effets du cannabis sur la santé des jeunes. On dit que les jeunes sont particulièrement vulnérables aux effets du cannabis, puisque les recherches montrent que le cerveau n’est pas entièrement développé avant l’âge de 25 ans environ.

Puis, si vous cliquez sur « les jeunes sont particulièrement vulnérables », on vous indique les effets sur la santé des jeunes :

Les recherches montrent que le cerveau n’est pas entièrement développé avant l’âge de 25 ans environ. Par conséquent, les jeunes sont particulièrement vulnérables aux effets du cannabis sur le développement du cerveau et le fonctionnement. Le THC présent dans le cannabis agit sur le même système biologique du cerveau responsable du développement du cerveau.

Monsieur O’Soup, j’aimerais revenir à la question concernant le niveau de THC. Dans l’avis aux médias que vous avez fait paraître à la fin de 2017, vous avez recommandé que l’on tienne compte des effets néfastes du cannabis en établissant des limites de puissance pour les produits du cannabis et que les quantités de cannabis et la puissance soient limitées pour les gens âgés de moins de 25 ans. Bien sûr, cela concorde avec ce que nous avons lu sur le site web du gouvernement du Canada lui-même, c’est-à-dire que le taux de THC a des répercussions directes sur le développement du cerveau et que cette substance est donc particulièrement dangereuse pour les gens âgés de moins de 25 ans.

Vous poursuivez en disant ceci : « À l’instar de ce qui a déjà été proposé pour les produits alcoolisés, nous recommandons que des niveaux de taxation supérieurs soient appliqués aux produits à puissance supérieure. »

Pourriez-vous nous aider à comprendre ce que vous dites ou suggérez?

M. O’Soup : Notre mandat va jusqu’à l’âge de 18 ans, mais en tant que comité, et comme nous avons fait des recherches sur le sujet, nous sommes tombés sur une partie des renseignements scientifiques. Nous entendons dire qu’il y a des renseignements conflictuels à tous les chapitres. Certains disent « non », d’autres disent « oui ». M. Barnes ici présent a dit que nous pouvions obtenir des piles égales, mais notre rôle est d’assurer la sécurité et la protection des enfants, et nous avons donc tendance à privilégier la protection et la sécurité. Selon le côté où vous êtes, mon rôle est de m’assurer que ces enfants sont en sécurité et protégés et de privilégier la sécurité. C’est pourquoi nous avons tendance à nous orienter dans cette direction. Dans un an, je préférerais savoir que nous avons pris la bonne décision pour protéger nos enfants plutôt que d’ignorer si nous avons fait la bonne chose.

C’est vraiment difficile, parce que, en raison du mandat que nous confère la loi, nous ne pouvons nous occuper des jeunes de 19 à 25 ans, mais nous avions l’impression que c’était important de les protéger tandis qu’ils passent à l’âge adulte.

La sénatrice Seidman : Bien sûr, et c’est un but admirable.

Mme Valleriani : J’aimerais ajouter que lorsque nous parlons des jeunes de 18 à 25 ans, nous devons aussi reconnaître que ce sont des adultes selon chaque mesure sociétale. Ils votent. Ils peuvent posséder des armes à feu. Beaucoup de jeunes au début de la vingtaine commencent leur carrière et fondent une famille. Ils font des choix chaque jour concernant leur santé. Il semble plus pragmatique de tenir ces conversations avec les jeunes, de s’assurer qu’une éducation adéquate est accessible, puis de leur demander de faire des choix, comme ils le font avec toute autre chose dans la vie qui concerne leur santé. C’est vraiment important de se rappeler que ce ne sont pas des enfants, que nous parlons de jeunes adultes.

M. Barnes : Selon les plus récentes nouvelles du NIDA, le National Institute on Drug Abuse, qui finance 85 p. 100 de la recherche mondiale sur la dépendance, le cerveau atteint sa maturité entre 31 et 34 ans.

Le président : Et voilà.

M. Barnes : Et certains n’arrivent jamais à maturité.

Le président : Nous sommes les prochains.

M. Barnes : Les principes fondamentaux des neurosciences nous diraient que trois choses sont nécessaires : la fréquence, la puissance et le contenu. Vous ne pouvez examiner la puissance indépendamment de tout le reste. Un verre de spiritueux dont la teneur en alcool est de 40 p. 100 est-il plus puissant que deux verres ayant une teneur en alcool de 20 p. 100?

Le président : Cela dépend de la période entre les deux. Désolé, je devais le dire.

La sénatrice Petitclerc : Je vais poser une question et j’aimerais obtenir la réponse de tout le monde, si possible. Cela n’a pas à être une longue réponse.

Depuis que nous avons commencé l’étude du projet de loi et que tout le monde en a pris conscience, on le présente comme une approche et une politique en matière de santé publique. Nous entendons souvent parler de deux problèmes : le marché illicite et le fait que nos jeunes sont parmi les plus grands consommateurs au monde. Cela me trouble vraiment, tout comme de nombreux Canadiens, vous y compris.

J’essaie d’obtenir une certaine forme de réponse en ce qui concerne la confiance que nous pouvons avoir, à l’égard non seulement du projet de loi lui-même, mais aussi de l’investissement et de l’investissement ajouté que le gouvernement s’est engagé à fournir en ce qui concerne la sensibilisation, l’éducation et la recherche. Le projet de loi prévoit également de la recherche, et cela n’a jamais été fait par le passé. Je sais que vous n’allez pas m’aimer, mais à votre avis, quelles sont nos chances de réussite dans le cadre de cette approche si l’un des objectifs est que nos jeunes cessent d’être parmi les plus grands consommateurs au monde? À quel point pensez-vous que cela permettrait en réalité de réduire la consommation de nos jeunes? Si vous n’êtes pas si convaincus, que devons-nous ajouter d’autre pour nous assurer de réussir?

Mme Valleriani : La première chose que je signale, c’est que j’abonde dans le même sens. Il y a une forme de tension entre l’élimination du marché illicite et le fait de s’assurer que nous protégeons les jeunes quant à l’accès. Si vous voulez éliminer le marché illicite, vous ouvrez en quelque sorte les vannes pour que les gens puissent accéder aux produits qu’ils veulent dans un marché réglementé et légal.

Pour ce qui est de répondre à cette question concernant l’accès des jeunes et ce que nous pouvons prévoir, ce qui est vraiment différent de tout ce que nous avons vu aux États-Unis, c’est cette approche vraiment fortement limitée à l’égard de la légalisation. Je dirais que ce que nous voyons aux États-Unis reflète en quelque sorte davantage une approche de commercialisation, et je pense que notre approche, où l’on commence tranquillement pour ensuite étendre la légalisation — par exemple, en légalisant des choses comme les produits comestibles après un an —, est la bonne approche. Nous pourrons ainsi surveiller les répercussions chez les jeunes ainsi que sur la santé de la population canadienne de façon plus générale. Nous verrons probablement beaucoup de résultats prometteurs, parce que notre approche est différente. Nous pouvons apprendre des choses des États-Unis, d’administrations particulières qui ont légalisé le cannabis, mais aussi reconnaître que notre approche est beaucoup plus stricte et qu’elle repose sur la santé publique.

M. Barnes : Nous faisons preuve d’une grande rigueur par rapport à la façon dont nous réglementons ce problème, et pourtant nous arrivons aux premier et deuxième rangs dans la documentation de l’Organisation mondiale de la Santé. Je ne comprends pas.

M. Paris : Et il n’y a pas de réponse. Je suis d’accord avec ce que vous dites. Nous devons en savoir davantage, et la seule façon d’y arriver, c’est d’avancer prudemment, lentement, et d’essayer d’évaluer les répercussions que cela peut avoir, sur 12 et 18 mois, sur des collectivités différentes, entre autres, et aussi sur les taux de consommation. Combien d’adultes commenceront à dire : « Hé, vous savez quoi, je vais essayer cela. Plutôt que d’acheter de la bière cette fois-ci, je vais acheter un joint. » Nous ne le savons pas. Nous ne savons pas si la consommation va augmenter. Nous pouvons voir ce qui se produit dans certains États américains, mais nous ne pouvons pas nécessairement dire que ce sera la même chose ici.

Pour l’avenir, il faut user de prudence et mener beaucoup d’études nationales, quelque chose qui nous a toujours fait défaut dans les études sur les drogues. Il n’y a pas d’études nationales, ou il y en a très peu. Nous encourageons donc les études nationales, pas seulement celles portant sur une province ou une autre, parce que c’est toujours comme mélanger les pommes et les oranges.

Mme Jenkins : Nous ne savons pas si le résultat sera une diminution de la consommation. Nous pouvons être ravis de constater une tendance de consommation à la baisse, ou au moins une stabilisation, quelque part. Au-delà de la consommation en général, que quelqu’un ait consommé ou non, nous pouvons commencer grâce à la légalisation à mieux cibler les populations qui subissent des méfaits liés à la consommation.

La sénatrice Omidvar : J’aimerais adresser cette question à chacun d’entre vous, l’un après l’autre. Qui répond en premier m’importe peu.

Vous avez répondu à la question du sénateur Campbell qui visait à savoir si vous soutenez la légalisation. J’aimerais approfondir un peu plus le sujet et vous demander votre point de vue sur l’âge de l’accès qui figure dans le projet de loi. Le gouvernement a fixé l’âge à 18 ans et permet aux provinces de faire adopter leur propre législation. Quel est votre avis sur l’âge de l’accès? Quels sont les avantages et les inconvénients de garder cet âge à 18 ans ou de hausser l’âge à 21, 25 ou 34 ans, comme quelqu’un l’a suggéré?

M. Barnes : Encore une fois, si on examine les principes de la dépendance et les études réalisées aux États-Unis, un homme du nom de Michael Dennis traite toutes les données que le gouvernement fédéral reçoit. On a examiné des données et constaté que la courbe de l’expérimentation commence à 10, 11 et 12 ans. À 15 ans, vous êtes déjà sur une bonne lancée. Vous atteignez un sommet à l’âge de 18 à 21 ans et vous commencez à devenir plus mature : vous vous marriez, vous occupez un emploi, vous avez des responsabilités. Vous n’allez pas trinquer chaque fin de semaine avec vos amis. Les gens deviennent plus matures, mais une grande proportion continue d’en consommer. Le plus tôt nous pouvons déplacer le sommet de la courbe vers le marqueur de 21 ans plutôt que ceux de 18 ou de 15 ans, mieux s’en portera la société qui devra prendre en charge les personnes restantes, qui deviendront des toxicomanes permanents et qui lui coûteront une fortune.

Mme Jenkins : Le système actuel, où c’est illégal pour tout le monde, n’a pas réussi à s’attaquer avec efficacité à la consommation des adolescents. L’âge de 18 ans est pragmatique et fondé sur la réalité, et il nous aide à ne pas criminaliser davantage la consommation des jeunes, qui commence à un âge moyen de 15 ans dans la plupart des endroits au Canada.

M. Paris : Il est intéressant de constater qu’aux États-Unis, l’âge minimal est de 21 ans pour l’alcool et la marijuana.

Le président : Y a-t-il quelqu’un d’autre qui aimerait intervenir à ce sujet?

La sénatrice Omidvar : J’aimerais obtenir le point de vue de tout le monde aux fins du compte rendu.

M. O’Soup : Pour la population que je représente, l’âge minimum serait de 18 ans, mais je suis d’accord avec M. Barnes pour dire que si nous l’établissons à partir des recherches, lorsque la consommation commence à diminuer, nous devrions laisser ces enfants prendre de la maturité. Pour les enfants que je représente, cela doit être au moins 18 ans. Pour moi, c’est un minimum, mais je pense que l’âge devrait être plus élevé.

Mme Valleriani : Je vais encore une fois me faire l’écho des commentaires de Mme Jenkins. Nous avons essayé de le bannir carrément. Cela ne fonctionne pas pour freiner l’accès des jeunes au cannabis.

Je comprends aussi le point soulevé concernant l’âge minimal de 21 ans aux États-Unis, mais l’élément essentiel, c’est que cela reflète le processus concernant l’alcool dans ce pays, et nous voyons cette approche être largement adoptée par les provinces.

Puisque les gens âgés de 18 à 25 ans représentent les plus grands consommateurs et sont aussi les plus criminalisés, nous leur devons bien de les inclure dans un marché légal et réglementé. Les points d’accès, comme les boutiques de vente et les boutiques réglementées, sont les lieux où — nous l’espérons — ils peuvent obtenir de l’éducation sur la réduction des méfaits. C’est quelque chose qui ne serait pas accessible dans un marché illicite. De plus, l’information sur le produit et l’accès à des produits testés et réglementés sont importants.

La sénatrice Poirier : Juste pour donner suite à la première question que j’ai posée au sujet de l’éducation et de l’âge, lorsque nous avons reçu la ministre, il y a un certain temps, et que nous lui avons demandé comment nous éduquions les gens par rapport au cannabis et l’avons interrogée au sujet des avantages et des inconvénients et de l’importance de ces activités, nous avons beaucoup discuté de choses qui étaient affichées sur les médias sociaux. Mais la semaine dernière, lorsque j’étais de retour à la maison — je vis dans une petite collectivité rurale —, j’ai parlé à mes étudiants de 7e année, qui ont environ 12 ans, et je leur ai demandé, par simple curiosité, ce qu’ils connaissaient au sujet du cannabis. Savez-vous ce que c’est? Suivez-vous les médias sociaux? En parlent-ils à l’école? Y a-t-il quelque chose qu’ils ont appris à ce sujet à l’école?

À ma surprise, ils savaient que c’était une drogue. Ils savaient que certaines personnes en fumaient. Ils ne suivaient pas les publications sur les médias sociaux ou Twitter et des choses du genre, et à l’école, l’enseignant leur a juste dit : « Ne prenez pas de drogues; ce n’est pas bon pour vous. » C’est tout ce qu’ils ont reçu en matière d’éducation.

Pouvez-vous nous dire, à votre avis, quel âge serait approprié pour commencer à éduquer les jeunes sur le sujet? En ce moment, nous parlons d’enfants d’environ 12 ans, et c’est à eux que je m’adresse. Ils peuvent posséder les 5 grammes, et c’est là que ça commence. Évidemment, dans notre tête, cela signifie que nous disons qu’il y a déjà des enfants à ce jeune âge qui en consomment ou en possèdent. À votre avis, quel âge serait recommandé pour commencer à éduquer les jeunes? Comment pouvons-nous fournir l’éducation dont nous avons besoin? Si cela ne se fait pas à la maison, il faut trouver une façon au moyen du système parental ou, comme vous le disiez, de différentes organisations. À quel âge croyez-vous que nous devrions commencer à le faire?

Mme Jenkins : Comme vous l’avez dit, avec la légalisation et les jeunes de 12 ans, le plus tôt sera le mieux. Les jeunes sont tout à fait au courant de ce qu’est le cannabis ou du fait que c’est une substance que les gens consomment. L’occasion de commencer à les faire participer le plus tôt possible, dès les premières années d’école, à des discussions au sujet de cette substance est importante. Cela aide aussi à normaliser cette discussion et à l’intégrer aux interactions normales qu’un jeune a avec un parent, de sorte qu’il soit à l’aise d’aborder avec lui cette question plus tard dans la vie. Cela aiderait aussi à diminuer la stigmatisation qui entoure la consommation et d’autres enjeux liés à la santé mentale et à la consommation de substances, de sorte qu’on puisse aller chercher plus ouvertement de l’aide, au besoin.

M. O’Soup : C’est mon point de vue comme enseignant et parent, et je comparerais cela à notre recherche en santé mentale sur le suicide. Dans notre recherche, nous avons constaté que des enfants âgés d’à peine six ans se suicidaient. Donc, à quel âge est-ce trop tôt? Il n’est jamais trop tôt pour commencer à avoir cette discussion. Bien sûr, cela doit être approprié à l’âge et au niveau de compréhension de l’enfant. Nous devons nous assurer de ne pas effrayer les jeunes, mais de les éduquer.

Aussitôt que les jeunes apprennent que cette drogue existe, c’est à ce moment-là qu’ils devraient être renseignés à ce sujet. Je compare cela au système des pensionnats. Quelqu’un m’a demandé une fois : « À partir de quand devrions-nous parler à nos enfants du système des pensionnats? » J’ai répondu : « Eh bien, quel âge avaient-ils lorsqu’on les a séparés de leurs parents? » Ils avaient quatre ou cinq ans. C’est à ce moment que nous pouvons commencer à les éduquer. Je crois que cela s’applique dans ce domaine également.

Le président : Il y a dans le projet de loi cette disposition selon laquelle tout jeune qui n’a pas l’âge réglementaire qui est pris en possession de 5 grammes ou moins ne serait en aucune façon criminalisé ou puni par la loi fédérale, mais cela ouvre la porte aux gouvernements provinciaux pour imposer une certaine restriction. Beaucoup d’entre eux disent que jusqu’à présent, ils ne vont pas permettre que des jeunes n’ayant pas l’âge réglementaire soient même en possession de 5 grammes.

Quelques-uns d’entre eux suggèrent des amendes semblables à celles imposées à un jeune qui possède de l’alcool ou une autre substance, mais j’aimerais vous parler de moyens de rechange, notamment d’une approche de justice réparatrice. À votre avis, cela serait-il aussi logique, mis à part les simples amendes? Y a-t-il une autre méthode qui pourrait permettre de mieux faire passer le message?

Mme Jenkins : Une des occasions qu’un cadre de justice réparatrice offre, par exemple, c’est celle de créer un lien avec le jeune. C’est une des choses essentielles dont nous avons besoin également. Encore une fois, une contravention peut avoir des conséquences négatives disproportionnées pour les populations qui sont désavantagées sur le plan socioéconomique, par exemple. Au-delà de la simple punition, ce système n’offre pas la possibilité d’établir des liens, de fournir du soutien, de fournir cette intervention éducative individuelle qui pourrait avoir lieu avec une approche où une relation est établie.

M. Barnes : Si un agent de police a le pouvoir discrétionnaire de remettre ou non la contravention de la même façon que lui permet la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, c’est logique. Mais que faites-vous d’un enfant qui vient de recevoir sa cinquième contravention et dont les quatre premières demeurent impayées? Le trafic est sa meilleure source de revenus pour payer ses amendes.

Le président : La justice réparatrice semble donner de bons résultats.

Mme Valleriani : Le pouvoir discrétionnaire peut être très problématique, et c’est pourquoi nous voyons des populations particulières de jeunes qui sont criminalisés de façon disproportionnée, parce que les agents de police peuvent décider ou non de remettre des contraventions. C’est pourquoi nous voyons un si grand écart quant à ceux qui sont criminalisés pour possession simple de cannabis. J’aimerais signaler que l’émission de contraventions peut être une option vers laquelle des provinces tendent assurément, mais nous devons savoir à quoi cela pourrait ressembler en ce qui concerne ceux qui reçoivent les contraventions.

M. O’Soup : Une partie de mon rôle consiste à me rendre dans nos établissements correctionnels pour jeunes, où nous voyons tous les enfants de 18 ans ou moins qui se trouvent dans ces établissements. De façon quotidienne, certains de mes employés vont là-bas, et tous les enfants qui s’y trouvent, peu importe le jour, sont Autochtones. Nous devons vraiment tenir compte de ce groupe de jeunes lorsque nous prenons ces décisions à leur sujet.

J’adore notre police et le travail qu’elle fait, mais il y a beaucoup d’enjeux lorsqu’il est question de nos enfants autochtones. Dans le cadre d’un système de contraventions et d’amendes, ils continueront d’être ciblés. Je ne veux plus voir de nos enfants dans nos systèmes. Je ne peux pas parler pour d’autres provinces ni du nombre d’enfants et de jeunes dans leurs établissements correctionnels, mais nous sommes beaucoup trop surreprésentés, donc nous devons trouver des solutions de rechange. Pourquoi un adulte est-il autorisé à posséder 5 grammes, et pas nos enfants? J’essaie de les protéger, mais je ne veux pas non plus qu’ils engorgent nos systèmes carcéraux, parce que cela les mène jusqu’à nos établissements correctionnels pour adultes, et puis nous sommes beaucoup trop surreprésentés là-bas également. Nous devons prendre cela en considération.

Le président : La façon la plus courante de consommer du cannabis, c’est de le fumer. Nous avons eu des campagnes pendant un certain nombre d’années qui visaient à essayer de réduire le tabagisme chez les adultes et les jeunes, et on a constaté des réductions importantes du tabagisme au pays. Je n’ai pas de statistiques qui concernent particulièrement les jeunes. L’Association pour les droits des non-fumeurs croit que la proportion est passée de 50 p. 100, dans les années 1960, à 15 p. 100, en 2013, ce qui est une grande réduction. Peut-être que celle-ci est en partie attribuable à l’emballage et aux campagnes qui ont été faites, et peut-être que les gens prennent juste conscience de la nocivité du produit également. Ces campagnes antitabac que nous avons eues fonctionneraient-elles pour les jeunes qui fument du cannabis?

Mme Valleriani : J’ai travaillé sur une étude durant mon doctorat, et nous avons publié en 2016 un article sur la débanalisation du tabac. Elle était en grande partie liée à de gros changements stratégiques en ce qui concerne les emballages et des choses du même genre, donc ces mesures sont un outil qui est efficace pour réduire les taux de tabagisme. Ce projet a porté sur la situation dans quatre villes ainsi que sur les taux de consommation de tabac chez les jeunes adultes. Ce que nous avons découvert, c’est qu’une des raisons les plus courantes pour lesquelles les personnes ont réduit leur consommation de tabac à long terme, c’était parce que les dommages pour la santé devenaient de plus en plus connus. Ce sont en réalité les dommages pour la santé qui ont entraîné une réduction radicale de la consommation de tabac, donc je dirais que même si les exigences en matière d’emballage et d’étiquetage font partie d’une politique de réglementation stricte, ce n’est qu’un seul élément. Je pense que l’éducation et la réduction des dommages sont les autres facteurs.

M. Barnes : L’autre enjeu dont vous devez tenir compte, c’est que la nicotine est une drogue différente du cannabis. Le cannabis est un hallucinogène. C’est un psychotrope. Le tabac n’altère pas l’humeur. Donc, pour cette partie de la population qui fume du cannabis, du tabac ou les deux, ou pour la population qui est proche de la dépendance, vous aurez beaucoup plus de mal à la sevrer de cannabis que de nicotine.

M. Paris : Je pense que cela doit faire partie de l’aspect éducatif et de la compréhension du fait que le corps n’est pas fait pour inhaler de la fumée. Les poumons ne sont pas conçus pour cela. Les gens doivent comprendre que le fait de fumer est dommageable, contrairement à d’autres modes de consommation.

Le président : Merci beaucoup à vous tous. C’est la fin de notre premier groupe de témoins, et je vous remercie de nous avoir aidés avec vos réponses à nos questions.

Maintenant, le deuxième groupe de témoins va se présenter et s’asseoir à la table pour nous aider à aborder, encore une fois, le projet de loi C-45.

Je ne veux pas que vous vous posiez des questions par rapport au témoin là-bas. Il y a un siège vide en ce moment pour un témoin qui apparaîtra par vidéoconférence et est apparemment pris dans la circulation à Vancouver. Je le présenterai, et il s’exprimera à son arrivée.

Entre-temps, nous avons ici quelques personnes qui vont nous parler de leur point de vue sur toute cette question. Nous recevons Danielle Sutherland, gestionnaire, Élaboration de programmes d’études, des Services Skylark à l’enfance et à la famille; nous accueillons Kristen Szekszardi, entraidante avancée et ancienne, et Grace Costa, directrice générale, Eva’s Satellite, toutes deux d’Eva’s Initiatives. Bienvenue à vous toutes. Comme je l’ai dit plus tôt, vous avez sept minutes, s’il vous plaît. Pour le présent groupe de témoins, nous n’avons qu’une heure, donc nous devrons respecter le temps imparti.

Danielle Sutherland, gestionnaire, Élaboration de programmes d’études, Services Skylark à l’enfance et à la famille : Comme l’a dit le président, je suis gestionnaire de l’élaboration de programmes d’études aux Services Skylark à l’enfance et à la famille. J’aimerais remercier le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, et particulièrement vous tous, de m’avoir fourni l’occasion d’éclairer les travaux du comité sur le projet de loi C-45.

À Skylark, nous collaborons avec des enfants, des jeunes et des familles qui ont des besoins complexes en matière de santé mentale ou de développement afin d’améliorer leur bien-être et de renforcer leur résilience et leurs capacités. Mon rôle consiste à travailler auprès de notre Youth Harm Reduction Team, équipe composée de six jeunes qui travaillent auprès de leurs pairs. J’anime aussi nos programmes de sensibilisation aux drogues, y compris SESSIONS, notre programme de 30 heures pour les jeunes qui vivent dans un monde où la consommation de drogues est courante. J’ai animé le programme SESSIONS auprès de plus de 300 jeunes depuis 2014, et ce que j’aborderai aujourd’hui provient surtout des jeunes auprès de qui j’ai travaillé dans le cadre de ce programme, ainsi que de notre Youth Harm Reduction Team.

Comme nous envisageons la légalisation possible du cannabis au Canada et la façon dont ce nouveau contexte va influencer les jeunes, il y a trois messages centraux que nous voulons faire ressortir aujourd’hui. Le premier, c’est que l’approche à l’égard de la possession de cannabis par des jeunes doit être axée sur la déjudiciarisation et l’éducation et non pas sur les sanctions et les punitions. Le deuxième message, c’est que les efforts pour éduquer les jeunes au sujet du cannabis doivent être conçus et dirigés en collaboration avec les jeunes et ils doivent être honnêtes. Ces efforts ne devraient pas miser sur l’abstinence ou reposer sur la peur. Le troisième message, c’est que les revenus fiscaux tirés des ventes du cannabis devraient être investis dans le traitement, le soutien, l’éducation et la recherche liés à la santé mentale et à la consommation de substances par les jeunes.

Avant de poursuivre, j’aimerais souligner un point important. Tous les éléments que je suggère aujourd’hui proviennent des jeunes auprès de qui je travaille chaque jour. Ils sont touchés négativement par le système actuel de criminalisation des substances, en particulier du cannabis. En outre, ils ont exprimé des préoccupations quant à la façon dont l’approche actuelle à l’égard de la légalisation va marginaliser et toucher davantage les jeunes.

Le projet de loi C-45 décriminaliserait la possession, par les jeunes, de jusqu’à 5 grammes de cannabis. Toutefois, il demeure des questions importantes par rapport à la façon dont les jeunes qui possèdent des quantités diverses de cannabis seraient traités en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Comme nous le savons, les conséquences d’un dossier criminel comprennent des répercussions sur l’accès à l’emploi, le logement et la situation économique, ainsi qu’une stigmatisation sociale. Par ailleurs, même si le projet de loi C-45 autorise les mineurs à posséder moins de 5 grammes, les provinces ont la capacité de fixer une quantité inférieure à cet égard. En Ontario, par exemple — d’où nous venons —, la possession de toute quantité de cannabis par une personne âgée de moins de 19 ans est interdite et justifie une amende pouvant aller jusqu’à 200 $. Au lieu d’une amende, la cour peut choisir d’autoriser une personne accusée de ces infractions à suivre un programme d’éducation ou de prévention approuvé. Mais l’éducation et la prévention ne devraient-elles pas constituer la première intervention plutôt que de relever d’une décision purement discrétionnaire?

Actuellement, les groupes racialisés sont surreprésentés dans le système de justice pénale, et on procède à un nombre disproportionné d’arrestations pour possession de cannabis en vertu des systèmes actuels parmi les membres de communautés racialisées et vulnérables. Dans chacun de ces cas, nous devons réfléchir attentivement à ce que sont nos buts. Si nos buts sont de protéger les jeunes et de réduire les méfaits associés à la consommation de drogues et à la criminalisation, nous devons privilégier les options qui sont le plus susceptibles de réussir dans l’atteinte de ces buts. Nous estimons que les options qui nous permettront de réussir sont fondées sur l’éducation, et non pas sur des sanctions et des punitions.

Les jeunes expriment très clairement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas lorsqu’il s’agit des efforts de sensibilisation et de déjudiciarisation relativement à la consommation de substances, y compris la consommation de cannabis. Voici ce qu’un des participants qui a assisté au programme SESSIONS a dit :

Tout le monde essaie d’effrayer les jeunes pour qu’ils ne consomment pas de drogues. Cela fait trois ans que je prends du pot. Ici, les gens nous parlent des dangers réels. Ce programme n’essaie pas de vous effrayer. J’apprends davantage.

Les efforts déployés par des adultes qui misent sur l’abstinence et la crainte des jeunes à l’égard des conséquences négatives possibles afin de dissuader ces comportements paraissent malhonnêtes. Les jeunes sont exposés à des gens, à des amis et à des adultes qui ont consommé du cannabis sans subir d’effets néfastes et qui, en fait, en ont peut-être bénéficié. Les médecins prescrivent de la marijuana à des fins médicales. Le fait d’insister seulement sur les dommages mène souvent les jeunes à se concentrer uniquement sur les avantages et à discréditer ceux qui mentionnent les dommages.

Lorsqu’on lui a demandé la différence entre l’éducation actuelle en matière de drogues reçue à l’école et une éducation équilibrée en matière de drogues, comme dans le cadre de notre approche SESSIONS, un jeune participant a affirmé ce qui suit :

L’école mise sur les aspects négatifs, sans égard au fait que les drogues procurent des avantages à certaines personnes et que les adolescents en consomment. Par contre, au programme SESSIONS, on ne dit pas que les drogues sont mauvaises. On nous donne des faits au sujet des drogues, mais, au bout du compte, c’est notre décision. Les gens sont là pour nous éduquer afin que nous soyons préparés si nous décidons d’en consommer. Ils sont plus conscients de la réalité.

Les activités de sensibilisation où les jeunes et leurs pairs, grâce au soutien d’alliés adultes, peuvent avoir des conversations honnêtes au sujet du cannabis sont plus susceptibles d’aider les jeunes à comprendre pourquoi les gens consomment du cannabis et quels sont les risques, ce qui contribue à mieux les préparer à prendre des décisions éclairées. Après avoir terminé le programme SESSIONS, les jeunes ont indiqué qu’ils utiliseraient leurs connaissances ou qu’ils chercheraient des renseignements pour les aider à consommer des drogues en toute sécurité.

Un des avantages de la légalisation possible du cannabis, c’est qu’elle crée une nouvelle source de revenus pour les gouvernements. Cela procure une occasion importante d’investir dans la recherche et dans des programmes profondément liés à la consommation de substances. Par exemple, la mise en œuvre et l’animation de projets d’éducation et de prévention comme ceux que j’ai mentionnés s’accompagnent d’un coût, mais un coût très valable pour lequel nous avons besoin de financement. Le soutien communautaire en matière de santé mentale et de dépendance est depuis longtemps sous-financé dans l’ensemble du Canada. Le manque de ressources dans ce secteur fait en sorte qu’il est difficile pour les jeunes d’accéder au soutien dont ils ont besoin, et ils attendent souvent longtemps, alors que leurs problèmes s’intensifient et deviennent plus difficiles à gérer. Les jeunes qui souffrent de problèmes de santé mentale non traités consomment du cannabis pour s’automédicamenter, ce qui augmente la complexité du traitement. Il y a aussi un besoin important de mieux comprendre les effets du cannabis sur le cerveau encore en développement des jeunes, particulièrement maintenant, avec la perspective de la légalisation. Le Bureau de santé publique de Toronto a affirmé que, à ce jour, la plupart des conclusions de la recherche sont incohérentes ou même contradictoires, et les relations de cause à effet n’ont pas toujours été établies. Il importe de tirer le meilleur parti de cette occasion et d’utiliser la nouvelle source de revenus pour des investissements forts nécessaires dans ces domaines.

Une partie importante de notre population de jeunes consomme actuellement du cannabis et, si le cannabis est légalisé, nous verrons probablement plus de jeunes à l’aise de révéler qu’ils en consomment en raison de la déstigmatisation attribuable à la légalisation. Dans cet esprit, j’ai essayé de faire ressortir trois messages centraux au cours des dernières minutes : un, l’approche à l’égard de la possession de cannabis par les jeunes doit être axée sur la déjudiciarisation et l’éducation; deux, les efforts visant à éduquer les jeunes au sujet du cannabis doivent être conçus et dirigés en collaboration avec les jeunes et doivent être neutres et équilibrés en ce qui concerne les drogues; et trois, les revenus fiscaux tirés des ventes du cannabis devraient être investis dans le traitement, l’éducation et la recherche. Tandis que le comité étudie la légalisation possible du cannabis, nous croyons qu’il est essentiel qu’il examine ces enjeux dans l’optique de déterminer comment protéger et promouvoir le bien-être des jeunes à court et à long terme et d’agir stratégiquement pour ce faire.

Encore une fois, je tiens à remercier le comité de son temps et de m’avoir fourni l’occasion de contribuer à ce processus au nom des jeunes auprès de qui je travaille. J’espère avoir la chance de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Vous avez réussi à en dire beaucoup en sept minutes.

Mme Sutherland : Je sais. Je parle très rapidement.

Kristen Szekszardi, entraidante avancée (ancienne), Eva’s Initiatives : Bonjour. Je suis une entraidante avancée de 25 ans à la maison Eva’s Satellite, à Toronto. Je suis ici aujourd’hui afin de parler de ma situation et des répercussions de la consommation de marijuana chez les jeunes.

J’ai eu recours aux refuges pour jeunes à plusieurs reprises au cours des cinq dernières années, y compris bon nombre des refuges et des maisons de transition qui se trouvent dans la région de Toronto, de Peel et de Durham. La première fois que j’ai dû déménager dans un refuge, j’ai choisi Eva’s Satellite pour ses pratiques et sa position en matière de réduction des méfaits. J’ai choisi de le faire parce que, à l’époque, je consommais de nombreuses substances différentes et je souhaitais obtenir de l’aide sans craindre d’être jugée pour ma consommation. Contrairement à de nombreux autres jeunes que je connais qui ont consommé du pot à partir de 14 ou 15 ans, j’ai commencé jeune, et je consommais déjà régulièrement à 12 ans.

Où les jeunes trouvent-ils de la marijuana et pourquoi en consomment-ils? On peut donner de nombreuses réponses à ces questions. Personnellement, j’ai commencé à en consommer pour combler le vide que je ressentais, dans la vie. J’ai grandi dans la même maison que mes deux parents, mais en fait, ce sont surtout des gardiennes qui m’ont élevée. Quand mes parents étaient à la maison, ils étaient fatigués d’avoir travaillé toute la journée. Ils se sont séparés lorsque j’avais 13 ans, et cela peut en partie expliquer pourquoi j’ai commencé à consommer. Je suis enfant unique, et j’ai dû apprendre à m’occuper toute seule. Je me sentais seule quand j’étais à la maison et quand j’étais à l’école, où j’étais d’ailleurs victime d’intimidation.

Je ne me rappelle pas à quel moment exactement j’ai décidé de commencer à fumer, mais je me souviens que ça m’a aidée à passer au travers. J’essayais de me faire de nouveaux amis, de trouver quelque chose à faire, de me sentir acceptée et d’avoir de l’attention. Quand j’ai commencé à consommer, j’ai appris grâce à des amis plus vieux et en ligne, quels étaient les risques et quelles mesures de sécurité il fallait prendre. Je crois que ça m’a aidée à consommer en toute sécurité à une époque où j’étais des plus vulnérables. Et ce n’est pas parce que c’était illégal à cette époque que j’avais de la difficulté à en trouver. Les jeunes d’aujourd’hui consomment eux aussi pour une foule de raisons. Ils veulent expérimenter, ils veulent atténuer un traumatisme, ils ont des problèmes de santé mentale, ils veulent être acceptés : la liste n’a pas de fin.

Lorsque j’ai eu 20 ans, je me suis installée dans un refuge après avoir fait un bref séjour dans la rue ou chez des amis. J’ai quitté la maison parce que j’étais en conflit avec ma famille et aussi parce que j’avais des problèmes de santé mentale et de dépendance. Entre le moment où je suis allée la première fois dans un refuge et aujourd’hui, ma consommation et ma santé mentale ont varié. J’ai suivi de nombreux programmes, à toutes sortes d’endroits, pour arriver à faire face à la vie. Ma solution, pour travailler et conserver mon emploi, c’était de fumer de l’herbe tous les jours ou tous les deux jours, en plus de participer à des programmes sociaux ou récréatifs.

Chez Eva, dans le programme de soutien par les pairs, j’ai commencé à apprendre ce qu’était la réduction des méfaits. J’ai appris que le fait que je ne consommais pas de drogues dures et que je consomme seulement du cannabis, c’est une forme de réduction des méfaits. J’ai aussi appris comment consommer, j’ai aussi appris à m’adapter.

Je crois que des programmes de soutien par les pairs, en milieu scolaire, des groupes de soutien communautaire et des ateliers éducatifs seraient utiles pour les jeunes consommateurs, plus utiles que de les accuser d’avoir fait quelque chose que la plupart des jeunes vont faire à un moment quelconque de leur vie de toute façon. Pourquoi devrions-nous accuser un jeune de 14 ans d’avoir consommé de la marijuana alors qu’en réalité, nous devrions chercher à savoir pourquoi il consomme de la marijuana et comment nous pouvons l’aider à faire d’autres choix? Je n’ai jamais jusqu’ici été arrêtée pour possession de cannabis. Je crois que si j’avais été accusée alors que j’étais mineure, ou même que si j’étais accusée aujourd’hui, ça m’aurait empêchée d’avancer. Les lois devraient aider les jeunes plutôt que de les pénaliser.

Les jeunes qui vivent dans les refuges sont âgés de 16 à 24 ans. Selon la loi qui doit être mise en œuvre, si je donnais un joint ou un peu de cannabis à un ami qui a moins de 18 ans, je pourrais être accusée d’un acte criminel. Mes amis viennent me voir pour me demander des conseils, pour savoir comment consommer intelligemment, mais, selon cette nouvelle loi, je risquerais d’avoir un casier judiciaire. Est-ce que je vais risquer d’avoir un casier judiciaire ou est-ce que je vais laisser un ami peu renseigné risquer de se faire du mal?

Je me suis organisée pour obtenir une accréditation de sécurité et devenir travailleuse communautaire. Une telle accusation ralentirait énormément mes progrès et risque de me fermer bien des portes.

Ces lois auront de graves conséquences pour bien des gens. Si vous êtes accusés de possession de 6 grammes, mais que vous avez 18 ans moins un jour, tandis que vos amis ont droit de posséder 25 grammes de plus que vous, parce qu’ils ont 18 ans et un jour, est-ce juste?

J’espère que le gouvernement tiendra compte du fait que les jeunes d’aujourd’hui sont les adultes de demain. Si l’on veut bâtir un avenir meilleur, nous devons commencer dès aujourd’hui. Cela passe par l’éducation, le soutien et le souci de notre bien-être. Il n’est pas utile de mettre les jeunes en prison; ça les écrase. Nous devrions tous croître ensemble et nous entraider.

Le président : Merci beaucoup.

Grace Costa, directrice générale, Eva’s Satellite, Eva’s Initiatives : Je n’ai pas beaucoup de temps, alors je ne vais pas parler longtemps de chez Eva. Je suis directrice générale, à Eva’s Initiatives, un refuge pour jeunes du centre-ville de Toronto. Nous travaillons auprès de jeunes âgés de 16 à 24 ans. Ils nous quittent en général lorsqu’ils atteignent l’âge de 25 ans. Je suis directrice générale à Eva’s Satellite, mais il y a aussi Eva’s Place, un refuge d’urgence, et Eva’s Phoenix, un logement supervisé de 50 places.

Eva’s Satellite est spécifiquement axé sur la réduction des méfaits. Cela veut dire que nous offrons des services de réduction des méfaits aux jeunes de 16 à 25 ans, ceux qui vivent au refuge et ceux qui utilisent les services d’accueil. Parmi les programmes offerts au Satellite, j’aimerais parler surtout du programme SPOT, qui veut dire Satellite Peer Outreach Training ou formation de sensibilisation par les pairs. C’est un programme éducatif mis en œuvre par les pairs, qui s’adresse aux jeunes consommateurs actifs et qui vise à donner aux pairs des compétences en leadership. Il vise aussi à montrer aux jeunes comment consommer en toute sécurité, s’ils persistent à consommer. Le programme met également de l’avant des pratiques de réduction ou d’élimination de la transmission du VIH, de l’hépatite C et des maladies transmissibles sexuellement.

J’aimerais que vous gardiez à l’esprit le fait que, quand nous parlons de réduction des méfaits, nous parlons aussi de l’abstinence, qui en fait partie. Très souvent, quand je parle de réduction des méfaits, j’ai l’impression que tout le monde pense que c’est une notion fourre-tout. Une partie de notre travail consiste à promouvoir l’abstinence auprès des jeunes, qui veulent apprendre à cesser de consommer une substance ou une autre. Je me devais de le souligner.

Selon notre expérience du travail auprès des jeunes à risque et des jeunes sans-abri, nous sommes en désaccord avec la criminalisation des jeunes qui consomment du cannabis. J’aimerais mettre deux ou trois choses en relief. Selon notre expérience, les jeunes qui commencent à consommer du cannabis à 12 ans ou à 15 ans ne le font pas par simple curiosité ou par goût de l’expérience. Ils consomment souvent parce qu’ils ont vécu des traumatismes, de la violence, de la négligence, parce qu’ils ont une autre orientation sexuelle et qu’ils sont marginalisés, parce qu’ils ont fait l’expérience de la pauvreté ou de la discrimination, du manque d’accès à des services, parce qu’ils vivent dans une famille dysfonctionnelle... la liste est longue.

Les traumatismes associés à l’itinérance sont un facteur de stress supplémentaire qui peut provoquer une augmentation de la consommation. Étant donné que l’éventail des drogues est assez large, pour les jeunes qui deviennent itinérants, le cannabis est la solution la moins problématique. Ils doivent tenir compte du coût, des répercussions et du risque de surdose, pour ne mentionner que trois problèmes.

Les jeunes que nous accueillons, qui ont des problèmes de santé mentale, trouvent souvent bien moins effrayant de consommer du cannabis que d’être reconnus, étiquetés, stigmatisés et rejetés à cause de leur problème de santé mentale. Environ 80 p. 100 des jeunes qui vivent dans un refuge ou utilisent les services d’accueil consomment du cannabis, et ils nous disent que le cannabis les aide à être moins anxieux, à ne pas entendre les voix à l’intérieur de leur tête et à fuir la réalité.

Les jeunes le plus à risque d’être criminalisés, selon ce projet de loi, sont ceux qui ont le moins de soutiens sociaux; ils vivent ou ont vécu dans des foyers ou des centres d’accueil; ils ont des problèmes de dépendance et de santé mentale; ils ont même parfois des antécédents criminels. C’est le lot de nombreux jeunes auprès de qui nous intervenons chez Eva. Nous connaissons de jeunes itinérants particulièrement susceptibles de se faire accuser parce qu’ils sont plus visibles, dans la collectivité; ils consomment souvent dans les lieux publics, ils ont un comportement problématique ou dangereux et ont parfois également des antécédents criminels.

Le président : Merci beaucoup.

Vous avez terminé juste à temps pour la dernière déclaration préliminaire. Nous accueillons maintenant, par vidéoconférence de Vancouver, Connor Fesenmaier, membre du conseil consultatif de l’organisme Smart Approaches to Marijuana Canada. Bienvenue. Veuillez vous en tenir à sept minutes, s’il vous plaît, pour votre déclaration préliminaire.

Connor Fesenmaier, membre du conseil consultatif, Smart Approaches to Marijuana Canada (SAMC) : Absolument. La première chose que j’aimerais dire, c’est que, si le projet de loi C-45 était immédiatement adopté, les Canadiens ne seraient pas adéquatement informés de tous les cas où, selon Santé Canada, il ne faut pas consommer de la marijuana. Je viens de la Colombie-Britannique et j’ai 21 ans; ça fait cinq ans que je participe à ce débat. J’ai parlé moi-même à des centaines de personnes, des amis, des membres de ma famille, des gens de mon âge et des connaissances. J’ai participé à de nombreuses discussions dans les écoles. Les gens à qui je parle ne sont pas adéquatement informés; en fait, ils sont mal renseignés et ils sont vulnérables. C’est tout le contraire. On leur a donné de fausses informations, on leur a menti un nombre incalculable de fois, et ils croient être au courant.

Ce produit ne devrait pas être consommé, selon ce que Santé Canada prescrit. Vous ne devriez pas consommer du cannabis si vous n’avez pas 25 ans; si vous êtes allergique à un cannabinoïde ou à la fumée du cannabis; si vous avez un grave problème au foie, aux reins, au cœur ou aux poumons; s’il y a dans votre famille ou si vous avez vous-même souffert d’un grave problème de santé mentale comme la schizophrénie, la psychose, la dépression ou la bipolarité; si vous êtes enceinte, si vous prévoyez tomber enceinte ou si vous allaitez; si vous voulez devenir père; si vous avez des antécédents d’alcoolisme ou de toxicomanie ou de dépendance à une autre substance. C’est un produit qui présente des risques pour la santé, des risques que l’on ne connaît pas encore ou que l’on ne comprend pas très bien. Parmi ses mises en garde et précautions proposées, Santé Canada dit également ceci : ne pas fumer ou vapoter du cannabis en présence d’un enfant.

Presque personne, malgré toutes les discussions auxquelles j’ai participé, n’était bien renseigné. J’en ai discuté avec tout le monde : mes amis, ma famille, les gens de mon âge et mes connaissances. Personne n’avait même reçu la moitié de cette information. Je prie les sénateurs de modifier le projet de loi pour qu’il ne soit pas adopté avant qu’on ait la preuve que la plupart des Canadiens, peu importe leur âge ou leur lieu de résidence, soient au courant des cas dans lesquels il ne faut pas consommer du cannabis, selon Santé Canada.

Merci.

Le président : C’était bien en deçà de sept minutes. Merci beaucoup de votre déclaration préliminaire.

Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant encore une fois par une vice-présidente.

La sénatrice Petitclerc : Premièrement, je tiens à remercier tous les témoins de leurs commentaires. Ma première question s’adresse à vous, madame Szekszardi. Merci de votre témoignage. Il est crucial. Nous essayons avec ce projet de loi de protéger les jeunes, et c’est pourquoi votre témoignage nous est très utile.

Je crois que je connais la réponse, mais j’aimerais que cela figure au compte rendu, je veux que vous la donniez. Nous parlons d’éducation. Nous avons prévu du financement pour l’éducation. Nous avons ce projet de loi. Selon votre expérience et vos activités actuelles, dans quelle mesure est-il important que vous et les jeunes participiez à ce processus d’éducation? Est-ce qu’il est aussi important que ce processus soit non seulement axé sur les jeunes, mais que les solutions soient proposées par les jeunes? Pensez-vous que vous participez à ce processus et est-il essentiel pour vous d’y participer à l’avenir?

Mme Szekszardi : L’éducation que j’ai reçue lorsque j’étais jeune se résume en gros à ce que j’ai dit aujourd’hui. Les enseignants vous disent tout simplement ceci : « Ne prenez pas de drogue. La drogue, c’est mauvais. » Mais dans la vraie vie, les gens vont consommer toutes sortes de substances, de l’alcool, des cigarettes, de la marijuana, d’autres drogues. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire aux gens que la drogue, c’est mauvais. Vous devez commencer à les renseigner au sujet des risques et des mesures de sécurité à prendre quand vous consommez de la drogue.

Vous avez tous été jeunes, à un moment donné, et vous savez comme moi que l’on prête plus facilement l’oreille aux gens de son âge qui disent « ce qu’il faut faire et comment il faut le faire. » Les jeunes ne font pas vraiment attention à ce que disent les enseignants, pas autant que nous le voudrions. En fait, je suis allée dans une école secondaire pour parler de différentes substances. Je crois que c’étaient des jeunes de la 11e année. J’ai été surprise de constater qu’ils étaient nombreux à me dire la même chose : leurs enseignants leur disaient que la drogue, c’était mauvais, mais la plupart d’entre eux connaissaient quelqu’un qui avait consommé de la drogue ou qui en consommait encore. Ils voulaient tout simplement savoir comment ils pouvaient aider leurs amis ou les soutenir, s’ils devaient le faire, et comment ils devaient le faire.

Je suis certaine que les gens vont à un moment donné ou à un autre commencer à prendre de la drogue, que ce soit une unique fois ou constamment. S’ils connaissent les risques, qu’ils savent comment s’y prendre et comment consommer en toute sécurité, ils pourront en consommer de manière beaucoup moins dommageable que s’ils n’étaient pas au courant. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La sénatrice Petitclerc : Absolument.

Pour enchaîner, j’aimerais poser une question à Mme Costa et à Mme Sutherland. Vous savez que le gouvernement a déjà financé des programmes d’éducation. Il s’est engagé à hausser le financement de l’éducation. Ma question d’ordre général est la suivante : étant donné l’approche proposée, et je crois que vous la soutenez, pensez-vous que ce financement sera suffisant pour faire ce qu’il convient de faire au chapitre de l’éducation? C’est une simple question.

Mme Sutherland : Ce qui est très intéressant, je crois, c’est ce que nous essayons de faire avec le programme d’éducation en matière de drogue, le programme SESSIONS, qui a été conçu et nommé par les jeunes — ce qui explique le nom un peu coquin. Je ne sais pas si vous savez qu’en anglais, ce nom renvoie à l’expression « sesh », qui veut dire fumer du cannabis ou consommer de la drogue. L’ensemble du programme est inspiré par les jeunes. Nous avons de jeunes animateurs. Le programme peut être adapté.

J’ai beau travailler très dur, pendant les 30 heures du programme, pour construire une relation avec les jeunes, de façon qu’ils m’écoutent, je sais que quand c’est un jeune qui se présente, les autres lui font beaucoup plus rapidement confiance qu’à moi, et c’est pourquoi, ces deux dernières années, nous avons réalisé un programme pilote dans lequel les animateurs étaient des jeunes. C’est beaucoup de travail, et ça coûte beaucoup d’argent. Nous savons l’importance que revêt une éducation équilibrée, et c’est pourquoi il est tout à fait essentiel que des jeunes participent aux discussions et au processus d’éducation, peu importe l’image que ça donne et la façon dont ça se déroule.

Mme Costa : J’ai une petite chose à dire. Parmi les témoins précédents, quelqu’un a dit qu’il fallait rencontrer les jeunes là où ils se trouvent. Il ne s’agit pas d’augmenter le financement, il s’agit de savoir où il va. Si les jeunes se trouvent dans un refuge, il n’est pas utile de financer des programmes scolaires, les jeunes ne vont pas à l’école. C’est ce que je voulais dire. C’est sur cet aspect que j’aimerais attirer l’attention des gens. Il ne s’agit pas de verser plus d’argent. Il s’agit de savoir où va cet argent, de rencontrer les jeunes là où ils se trouvent et de partir de là, parce que c’est de cette façon que nous allons intéresser les jeunes les plus vulnérables.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de ces témoignages. Madame Szekszardi, Monsieur Fesenmaier, merci beaucoup à vous deux d’être venus ici et d’avoir fait part de vos expériences personnelles; c’était très important.

Madame Szekszardi, vous avez fait un témoignage très important, et je vous remercie énormément d’avoir eu le courage de le faire. Vous dites avoir commencé jeune à consommer régulièrement de la drogue, à l’âge de 12 ans. J’aimerais savoir si une approche ou une forme d’éducation quelconque auraient pu vous empêcher de commencer à consommer du cannabis dès l’âge de 12 ans.

Mme Szekszardi : Je ne suis pas certaine. Pour être honnête, étant donné que tout le monde disait que la drogue, c’est mauvais, je me disais un peu : « Je vais essayer. » Je n’ai jamais été portée à me dire « il faudrait que je me saoule », étant donné que l’alcool est légal. Je me disais : « Bon, pourquoi est-ce que j’aurais le goût de faire quelque chose de légal? Je préférerais faire quelque chose d’illégal. » C’est ce que pensent bien des jeunes que je connais. Mais quand on vieillit, on commence à comprendre que c’est normal.

J’ai un peu l’impression que ça ne ferait aucune différence; pourtant, ça s’est révélé utile au fil des ans. J’ai suivi davantage de programmes d’éducation concernant la consommation et la façon de consommer en toute sécurité, des programmes qui ne se contentaient pas de marteler : « Il ne faut pas consommer. » C’est que les gens acceptent que je consomme et ils essaient de m’aider à consommer de façon sécuritaire plutôt que de me dire tout simplement : « Il ne faut pas consommer. » C’est difficile d’arrêter pour vrai. Mais si vous consommez, vous voulez pouvoir le faire de façon sécuritaire.

La sénatrice Seidman : Vous parlez donc de la réduction des méfaits.

Mme Szekszardi : Oui.

La sénatrice Seidman : Merci de votre témoignage. Je l’apprécie.

Madame Costa, dans votre document écrit, vous dites ceci : « Nous voulons réduire les effets négatifs sur le développement du cerveau des jeunes qui sont liés à la fréquence et à la puissance. » Nous savons que la fréquence de la consommation et la puissance du cannabis consommé ont des effets sur le cerveau des jeunes; c’est pourquoi nous voulons réduire l’occurrence de la dépendance chez les jeunes qui consomment pendant que leur cerveau se développe. Je vous ai bien entendue, vous avez dit, je crois, que vous étiez en faveur de l’abstinence.

Mme Costa : Cela fait partie du continuum. Pour nous, cela veut dire que nous pouvons avoir de très honnêtes discussions avec les jeunes et leur demander : « Quel est ton objectif? » Il y a des jeunes qui disent, lorsqu’ils se présentent la première fois : « Mon objectif, c’est de continuer ce que je fais, tout simplement. » Nous leur répondons : « D’accord, mais parlons de ce que ça a donné pour toi. Tu te retrouves ici. Où est-ce que tout cela — on parle de leur consommation chaotique, par exemple — va te mener? »

Les jeunes, au fond, quand on leur donne la chance de prendre une pause — lorsqu’ils se sentent en sécurité, ce qui concerne en particulier les jeunes avec qui nous travaillons, puisque, s’ils se retrouvent dans un refuge, ils n’ont plus à s’inquiéter de trouver un toit ou de quoi manger —, commencent à se calmer, nous les aidons en répondant à leurs besoins fondamentaux. Nous commençons ensuite à leur parler, et c’est ce qui crée la confiance. Kristen pourra vous dire comment ça se passe, quelles émotions cela suscite. Nous pouvons ensuite parler aux jeunes du fait que ce chaos ne les aide pas. On leur demande s’ils sont prêts à passer à autre chose. Certains jeunes disent : « Mon objectif, c’est d’arrêter complètement. » Nous pouvons donc les aiguiller.

Encore une fois, nous essayons de rencontrer les jeunes là où ils se trouvent, et je ne parle pas seulement sur le plan géographique, dans un refuge, mais où ils en sont au chapitre de leur consommation, de leurs connaissances, de leurs buts, et nous en parlons très franchement. Il arrive que nos intervenants en réduction des méfaits leur diront : « Ça va te nuire. » Donc, on ne part pas de l’idée que les jeunes ont des droits. Nous devons être honnêtes : « Si tu continues à consommer, ça va te nuire. » Le jeune peut parfois nous répondre : « Ouais, j’ai compris, mais pour le moment, c’est tout ce que je peux faire. » Alors nous lui disons : « D’accord, alors, voyons ce qu’on peut faire à partir de ça. » C’est essentiellement ce que ça veut dire pour nous, au refuge.

La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous. Ma question s’adresse en fait au témoin qui comparaît par vidéoconférence, mais je tiens à remercier tous les témoins, et vous en particulier, Kristen. Il n’y a rien comme d’entendre parler d’expériences vécues pour ancrer nos réflexions.

Monsieur Fesenmaier, merci beaucoup de vous être présenté. J’aimerais vous poser une question sur le fait que le cannabis serait une drogue d’introduction. Vous avez publié un rapport, intitulé en anglais Smart Approaches to Marijuana, dans lequel vous concluez que les consommateurs de marijuana seraient peut-être deux fois plus nombreux que les consommateurs d’opioïdes. Dans votre étude, vous dites qu’il existe un lien direct entre le cannabis, une drogue d’introduction, et les autres drogues.

Avant de vous laisser répondre à la question, je dois vous dire que je l’ai également posée à d’autres scientifiques. Nous l’avons posée au Dr Le Foll, directeur médical du Centre de toxicomanie et de santé mentale, dont la réputation d’organisation scientifique de pointe n’est plus à faire; il a répondu qu’aucun élément de preuve direct ne permettait de croire que le cannabis était une drogue d’introduction. Nous avons posé la question à Mme Jenkins, qui a comparu immédiatement avant vous; encore une fois, elle affirme que ce n’est pas prouvé. Les représentants du bureau de santé publique de Toronto, qui ont comparu, je crois, la semaine dernière, ont formulé la même conclusion et affirmé qu’il n’y avait aucune preuve directe.

Pourriez-vous dissiper cette confusion en citant vos constatations et vos études et en nous disant quelles conclusions vous en tirez?

M. Fesenmaier : Je n’ai pas cette étude sous les yeux, mais je peux parler de mon expérience personnelle; j’ai terminé mes études secondaires il y a quelques années seulement. La plupart des gens que je connais qui ont déjà consommé de la marijuana sont en effet passés à d’autres drogues, peut-être seulement pour y goûter, mais ils peuvent aussi prendre une drogue qui a été coupée. Quoi qu’il en soit, c’est à coup sûr un point de départ.

Il est difficile de considérer qu’il s’agit d’une drogue d’introduction et de lui donner cette étiquette. Tout dépend de qui il s’agit, mais je dirais que c’est suffisant pour constater qu’il y a un certain nombre de personnes qui sont toujours prêtes à passer à autre chose. Prenez les cocaïnomanes. On a fait une étude sur ce sujet il y a quelque temps. Je ne me souviens pas du nom exact de cette étude, mais elle révélait que la quasi-totalité des consommateurs de cocaïne avait déjà consommé de la marijuana. L’étude ne dit pas nécessairement que la marijuana est une drogue d’introduction, mais il y a une corrélation. Nous ne l’avons pas prouvé scientifiquement, pas encore, mais à mon avis, les éléments de preuve sont suffisants pour justifier des recherches supplémentaires.

La sénatrice Omidvar : Que dites-vous à tous les scientifiques à qui nous avons demandé si le cannabis était une drogue d’introduction et qui ont conclu qu’il n’y avait pas de relation directe de cause à effet?

M. Fesenmaier : Honnêtement, je crois que la question n’est pas pertinente. Il faut prendre le cannabis pour ce qu’il est. La substance qui vous intéresse, celle qui fait planer, c’est le tétrahydrocannabinol. Mais on développe une tolérance à cette substance, et à partir d’un certain moment, il faut constamment augmenter la puissance. Mais si vous faites cela, à ce moment-là, vous allez passer à quelque chose de plus fort. Le frère de ma fiancée a fait à peu près la même chose, il a commencé à consommer de la marijuana et il voulait tout simplement un effet plus puissant. Si vous cherchez un effet plus puissant, à ce moment-là, si vous ne voulez pas être constamment à la recherche de substances plus puissantes, vous allez devoir passer à autre chose. Alors, il devient plus difficile de trouver du cannabis plus puissant, il est toujours plus facile de trouver une substance plus douce, alors les gens vont passer à autre chose, peu importe ce que c’est.

La sénatrice Omidvar : Oui, les preuves que vous avancez sont anecdotiques, et nous devons évaluer les preuves anecdotiques par rapport aux autres preuves. L’étude que vous citez dans votre propre document de recherche se termine sur une déclaration dont vous ne parlez pas dans votre rapport. À la fin de l’étude, si vous lisez bien, on dit ceci :

Ensemble, les résultats permettent de penser que la solidité de l’association entre la consommation de cannabis et la consommation d’autres drogues illicites peut s’expliquer par les caractéristiques des individus —

Ce qui pourrait être le cas dans les anecdotes que vous nous donnez —

Plutôt que s’expliquer en entier par une relation directe de cause à effet.

Donc, encore une fois, j’essaie de savoir s’il existe une relation de cause à effet entre la consommation de cannabis et le passage aux drogues dures ou de conclure qu’il n’y a pas de preuve de cette relation, puisque les scientifiques sont d’avis qu’il n’y a pas de preuve d’un lien entre A et B.

M. Fesenmaier : Je ne crois pas être réellement la bonne personne à qui vous devriez poser la question. Je ne suis pas vraiment un scientifique. Les données que je vous présente, je les tiens des scientifiques qui travaillent pour Smart Approaches to Marijuana et des études qui circulent. Je n’ai pas mené moi-même de recherches. Je m’inspire de tout cela, il s’agit donc de données de seconde main, sur ce sujet précis.

Vous dites que ce sont des preuves anecdotiques, mais la majorité de mes amis et connaissances personnelles avec qui j’ai parlé et qui ont consommé de la marijuana à l’école secondaire disent qu’ils cherchaient toujours de la marijuana plus puissante. C’est ce que je dis, que les gens cherchent toujours quelque chose d’autre. Et j’ai déjà parlé à des gens, et ils me disent toujours la même chose, ils veulent quelque chose de plus fort.

Ce n’est pas un raisonnement compliqué : « Je consomme déjà de la drogue. Alors, je peux passer à autre chose. Est-ce que ça peut vraiment être pire? » Voilà le nœud de l’affaire : toute cette notion de promotion de la légalisation, cela revient à dire que ce n’est pas si grave que ça; quand les jeunes, en particulier, adhèrent à cette idéologie, selon laquelle ce n’est pas si grave que ça, ils peuvent aisément penser qu’autre chose, ce ne sera pas si grave que ça non plus.

[Français]

La sénatrice Mégie : Madame Szekszardi, j’admire beaucoup votre courage pour être venue nous livrer ce témoignage. Vous avez dit que vous vouliez consommer en toute sécurité. Selon vous, que signifie consommer en toute sécurité? C’est ce qu’on vise avec nos jeunes.

[Traduction]

Mme Szekszardi : C’est une bonne question. Selon moi, consommer en toute sécurité, c’est connaître ses limites. C’est comme ce qu’on dit au sujet du jeu, le fait qu’il faut connaître ses limites et de ne pas les dépasser, ou peu importe le slogan exact. J’ai repris cette idée à mon compte, qu’on parle de consommer de l’alcool ou de fumer du cannabis. Évidemment, lorsque j’ai commencé, je ne connaissais pas mes limites, mais, en raison de mes amis plus âgés et des ressources en ligne, j’ai commencé à apprendre. Je mesure tant, j’ai tel ou tel poids, tel ou tel âge, alors je devrais pouvoir en prendre telle ou telle quantité, et la puissance de tel produit est peut-être supérieure à la puissance de tel autre.

Essentiellement, il faut connaître ses limites, les différents risques et les différents types de produits. Il y a l’Indica et le Sativa, qui produisent des effets très différents, même si on parle de la même drogue, de marijuana. On peut avoir un effet plus psychologique ou plus physique; certains préfèrent l’effet psychologique, et d’autres, c’est l’effet physique.

Oui, il faut expérimenter, mais il faut aussi apprendre de nos pairs, et c’est essentiellement de cette façon que j’ai procédé. J’ai appris de mes pairs. J’ai vu de quelle façon telle personne agissait lorsqu’elle consommait telle ou telle quantité, et je me suis dit : « Eh bien, je ne veux pas vraiment ressembler à cela, je veux plutôt me sentir comme cette autre personne », par exemple, qui est tout simplement assise là et qui mange des Cheetoos ou je ne sais quoi. C’est ça que je voulais, plutôt que de devenir parano à l’idée que des policiers sont à mes trousses. Je visais le juste milieu.

Il faut admettre les risques si on partage un joint ou peu importe avec quelqu’un qui est malade ou les risques que l’on court si quelqu’un a ajouté une substance à notre joint. Il faut savoir quelles sont nos sources et d’où vient la marchandise. J’ai toujours été comme ça. J’aime connaître mon fournisseur, savoir d’où vient la drogue et connaître son contenu. Je n’aime pas laisser d’autres personnes rouler mes joints — sauf si je suis là — parce que, alors, je ne saurais pas s’ils ont mis quelque chose dedans.

L’important, c’est d’être en sécurité. Lorsqu’on entre dans un véhicule, on attache sa ceinture. Ce n’est pas tout le monde qui a un accident tous les jours, mais c’est toujours une possibilité. C’est la même chose pour moi et le fait de fumer. Ce n’est pas tous les jours que je deviens parano, mais il y a un risque que, un jour, ça m’arrive. Je dois toujours savoir que, si je commence à avoir l’impression que je dérape, alors je dois me ramener les pieds sur terre.

[Français]

La sénatrice Mégie : Deuxièmement, vous avez dit tout à l’heure que, quand vous étiez plus jeune — justement, parce que c’était illégal —, vous étiez portée à aller vers la marijuana. Si nous la légalisons, pensez-vous que les jeunes de 12 à 14 ans risquent d’avoir le même raisonnement que vous à cette époque? « C’est légal, alors on n’y touche pas et on va aller chercher quelque chose de plus fort. »

[Traduction]

Mme Szekszardi : Je ne crois pas vraiment que les gens vont dire : « Eh bien, maintenant que c’est légal, je vais arrêter de consommer de l’herbe ou du cannabis » ou peu importe le nom qu’on y donne. J’appelle ça de l’herbe, parce que j’ai toujours appelé ça comme ça. Pour répondre à votre question, je ne crois pas que les gens vont arrêter d’en consommer parce que c’est maintenant légal. Ce n’était que ma vision des choses. Ce n’est pas tout le monde qui commence à consommer de l’herbe parce qu’il sait que c’est une drogue illégale et qu’il veut être cool ou peu importe. Ce n’est que mon expérience.

J’ai l’impression que, grâce à la décriminalisation, on peut commencer à éduquer les gens au sujet de leur consommation et des répercussions ou tout simplement au sujet de la façon dont les autres vont agir. Certaines personnes veulent avoir de l’information tout simplement parce que leurs amis en consomment et qu’ils veulent savoir pourquoi un de leurs amis agit de telle ou telle façon lorsqu’il en consomme. Ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils n’ont pas à faire. J’ai parlé à des personnes qui croient que, lorsqu’une personne perd la carte parce qu’elle est sous l’influence et qu’elle devient parano, il faut appeler une ambulance. Honnêtement, ça ne fera qu’empirer les choses.

Je crois simplement que les gens seront plus éduqués, qu’ils vont consommer de façon plus sécuritaire, et qu’ils pourront tout simplement mieux comprendre tout ça.

Le sénateur Campbell : Merci à vous tous d’être là aujourd’hui, surtout vous, Kristen. C’est extrêmement brave de votre part.

Mes questions sont destinées à M. Fesenmaier. J’ai trouvé intéressant ce que vous avez dit sur le fait qu’on ment aux gens au sujet du cannabis dans certains des rapports qui paraissent, puisque quasiment tout ce que vous nous avez dit aujourd’hui est anecdotique et n’est pas fondé sur des données scientifiques, comme, par exemple, le fait que la marijuana est une porte d’entrée vers les opioïdes. Avez-vous pris connaissance du rapport de Smart Approaches to Marijuana, l’organisation SAM?

M. Fesenmaier : Je connais beaucoup de rapports de cette organisation. Pouvez-vous être un peu plus précis?

Le sénateur Campbell : Je parle du rapport intitulé Lessons Learned From Marijuana Legislation in Four U.S. States and D.C.

M. Fesenmaier : Oui, je crois l’avoir consulté.

Le sénateur Campbell : C’est intéressant, parce que je l’ai moi aussi examiné. C’est un document qui a été distribué par certains sénateurs qui sont allés là-bas et qui ont rencontré, j’imagine, le procureur général Jeff Sessions. Ce document aborde un certain nombre de domaines, mais je dois vous dire que j’ai examiné tout le document et que j’ai relevé ces domaines et, franchement, tout ça n’est fondé sur absolument aucun critère scientifique.

Pouvez-vous me dire quel pourcentage de votre financement au Canada est fourni par l’organisation SAM des États-Unis?

M. Fesenmaier : À peu près rien. Nous travaillons…

Le sénateur Campbell : C’est quoi, « à peu près rien »? C’est encore là un peu anecdotique.

M. Fesenmaier : Je ne connais pas le montant exact. C’est une division différente de la mienne, mais je sais que notre financement vient uniquement de nous et du travail que nous faisons. L’argent vient de mes poches et de celles des autres membres de Smart Approaches to Marijuana Canada. Cela ne vient pas vraiment des États-Unis. Si des fonds viennent de là-bas, eh bien je ne pourrais pas vous fournir un montant précis.

Le sénateur Campbell : Vous êtes un organisme sans but lucratif, c’est exact? Vous devez donc avoir des documents liés à votre financement, ce sont des renseignements que nous pourrions probablement trouver sans trop de problèmes?

M. Fesenmaier : J’imagine, mais je ne vois pas en quoi tout ça est pertinent à notre conversation.

Le sénateur Campbell : C’est pertinent à la conversation, parce que l’un des problèmes avec lesquels nous composons actuellement au Sénat, ce sont les entités étrangères qui influent sur les lois canadiennes, alors je voulais tout simplement le savoir.

Je vais vous donner un autre exemple. Dans votre rapport, vous dites que les dispensaires — pas que nous soyons totalement sûrs qu’on optera pour des dispensaires — augmentent la criminalité dans les quartiers où ils sont situés. Ce qui est très problématique avec cette affirmation, c’est que vous vous êtes appuyé sur une seule étude, qui, essentiellement, était de nature anecdotique. Cependant, si vous aviez vraiment regardé une étude scientifique, vous auriez constaté que, en fait, lorsque des centaines de dispensaires ont été fermés à Los Angeles, la criminalité a au contraire augmenté. En fait, dans les zones où il y a des dispensaires, on constate une diminution de l’incidence de la criminalité. Que pensez-vous de cette apparente contradiction?

M. Fesenmaier : Ce que je vous dirais au sujet des dispensaires, l’important, c’est vraiment leur emplacement. Ils peuvent, en un sens attirer…

Le sénateur Campbell : Je vous pose une question au sujet de la criminalisation. Vous dites que les activités criminelles augmentent lorsqu’il y a un dispensaire dans un quartier. Je vous dis que, selon un rapport — vous pouvez le consulter, c’est un rapport produit par Chang et Johnson, en 2017 —, en fait, les dispensaires réduisent la criminalité dans les zones où ils ont pu rester ouverts.

M. Fesenmaier : Ce sont deux études des États-Unis?

Le sénateur Campbell : Oui, les deux.

M. Fesenmaier : Une chose que je veux souligner, c’est que, lorsqu’on regarde l’emplacement des dispensaires, aux États-Unis, ils visent habituellement des zones où il y a des magasins d’alcool et, dans beaucoup de cas, des magasins de cigarettes. Au Canada et aux États-Unis, c’est la même chose, on cible les groupes minoritaires. J’ai aussi travaillé en collaboration avec Will Jones sur la portion américaine. C’est quelque chose qu’il a mentionné. C’est un point clé aussi, lorsqu’il est question de légalisation : les détaillants cibleront ces zones. Et là, pour ce qui est de la question du crime qui augmente et tout le reste, ce n’est pas vraiment un sujet sur lequel j’ai mis beaucoup l’accent. Principalement, ce qui m’intéressait, dans le cadre de mon travail avec Smart Approaches to Marijuana, c’était plus la question des jeunes, les préjudices causés aux jeunes au Canada en raison de la légalisation de la marijuana.

Le sénateur Campbell : Eh bien, dans ce cas-là, vous devrez peut-être essayer de vous débarrasser de ce rapport, parce que cela n’aide pas votre cause du tout. Merci beaucoup.

La sénatrice Poirier : Merci à vous tous de vos exposés. Merci, Kristen, d’être là. C’est courageux de votre part, et je vous remercie d’être là.

Nous avons entendu parler de tellement d’organisations, des organisations qui tendent la main et peuvent joindre un très grand nombre de personnes différentes pour les aider à trouver un endroit sécuritaire, un endroit où elles peuvent obtenir de l’information, un refuge vers lequel elles peuvent se tourner. C’est le genre de choses dont vous avez tiré parti, Kristen, et qui vous ont aidé de différentes façons.

Cependant, une bonne partie des endroits dont on entend parler relèvent d’organisations et d’installations qui ont pignon sur rue dans des villes comme Toronto, Vancouver et Montréal. Je me demande si vous pouvez nous dire de quelle façon, selon vous, nous pourrions aider ou nous pourrions joindre d’autres personnes, parce qu’une si grande partie du Canada est rurale. Même s’il y a beaucoup de personnes dans les villes, les mêmes enjeux que ceux auxquels vous êtes confrontés — les enjeux avec lesquels les gens composent en ville, où existe la capacité d’aider des personnes dans votre situation —, eh bien, ce n’est pas quelque chose qu’on voit beaucoup dans les régions rurales. Je viens d’une région rurale, et c’est quelque chose que je constate de plus en plus. Il y a une lacune systémique dans ces endroits.

M. Fesenmaier a parlé du besoin de tendre la main aux jeunes et de leur fournir de l’information. Ici, nous parlons d’installations. J’aimerais tout simplement savoir si vous pouvez me dire — je parle des intervenants à qui appartiennent les installations et qui travaillent auprès de ces jeunes —, si vous êtes présents d’une façon ou d’une autre dans les zones rurales du Canada? De quelle façon pouvons-nous vous aider ou de quelle façon pouvez-vous aider?

Mme Costa : Lorsque je pense au Canada et aux régions rurales… C’est comme à Toronto, il y a en fait des jeunes qui viennent de partout au Canada, des jeunes de zones urbaines et de zones rurales, mais ce sont des jeunes qui sont dans une situation précise, des jeunes vulnérables et itinérants.

Lorsque je réfléchis aux régions rurales canadiennes, encore une fois, je crois qu’il faut aller voir les jeunes là où ils se trouvent. Le hockey semble être un très bon moyen d’approche, alors pourquoi ne pas envisager un programme éducatif qui serait associé aux sports ou à des événements communautaires? Vous savez, les commissions scolaires ont tendance à miser sur des structures très rigides en ce qui concerne l’enseignement dispensé aux jeunes. Cependant, pour enseigner des choses aux jeunes sur la réduction des méfaits — si on veut le faire de façon crédible —, on aura de la difficulté à le faire, sauf si on oblige les commissions scolaires à aborder la question de ce point de vue, mais, si on ne peut pas le faire là, directement, alors il y a beaucoup d’occasions dans le cadre communautaire pour joindre les jeunes, peu importe là où ils sont.

Si c’est une équipe de hockey, il faut qu’un jeune se présente pour aller parler aux membres de l’équipe ou peu importe ce dont il s’agira, tout dépendant de la collectivité. Selon moi, ce serait la meilleure solution à envisager en ce qui a trait à la façon dont nous joignons les jeunes dans ces petites collectivités.

Mme Sutherland : L’une des choses que les programmes d’éducation peuvent faire — c’est l’une des choses que nous avons faites dans le cadre du nôtre —, c’est de réfléchir à la façon dont on peut s’adapter. Il faut s’adapter à la réalité des collectivités où l’on va. C’est un programme dans le cadre duquel on s’appuie sur des structures qui existent déjà. Que ce soit une équipe de hockey, un centre de santé communautaire ou un groupe de jeunes — peu importe le genre de groupe —, nous pouvons nous présenter et travailler avec ces personnes pour offrir notre programme d’éducation. On peut l’adapter. Les jeunes nous ont dit que c’est ce qui fonctionne vraiment. Même si notre programme a bien fonctionné avec les 300 jeunes qui l’ont déjà suivi, nous savons que nous pouvons l’adapter pour qu’il réponde aux besoins de la collectivité avec laquelle nous travaillons. C’est la raison principale pour laquelle nous avons misé sur un programme adaptable.

Le sénateur Poirier : Les régions rurales du Canada ont-elles accès à cette information? Savent-elles que vous avez cette information et qu’elles peuvent communiquer avec vous?

Mme Sutherland : C’est sur notre site web, et nous essayons d’en faire la promotion. Nous sommes une organisation de taille moyenne à petite qui s’intéresse à santé mentale des enfants. Nous recevons des demandes de renseignements de personnes qui ont appris notre existence. Nous essayons de nous faire connaître, mais le Canada est un grand pays. C’est la première fois que nous avons l’occasion de vraiment parler à des gens comme vous, qui pouvez ensuite transmettre ces renseignements dans vos collectivités. C’est la raison pour laquelle j’ai inclus des renseignements sur notre programme. C’est un programme fondé sur des données probantes et axé sur les jeunes. Selon nous, c’est vraiment un programme qui pourrait être mis en œuvre à l’échelle nationale, et on peut l’adapter aux réalités de toutes les collectivités avec lesquelles nous travaillons.

Le sénateur Munson : Kristen, vous ne le croirez pas, mais j’ai déjà eu les cheveux longs et une barbe. J’avais 23 ans en 1969. Je n’ai pas vraiment réussi à me rendre à Woodstock, mais j’ai essayé. Vous comprenez, j’imagine. J’ai de l’empathie pour vous. Cependant, je suis maintenant un sénateur mature de presque 75 ans.

Vous avez soulevé un point intéressant, et j’espère que d’autres pourront en parler. Je veux parler du fait d’avoir moins de 18 ans et toute cette idée qu’on puisse être accusé d’un acte criminel. C’est au cœur de ce que nous tentons de faire, ici... lorsque vous avez posé la question concernant le risque d’avoir un casier judiciaire ou la possibilité de causer du tort à quelqu’un parce que du cannabis est donné à un mineur... La personne majeure s’en sort indemne.

Quelqu’un peut-il me dire de quelle façon on peut contourner ce problème en modifiant le projet de loi? Avez-vous un point de vue, Grace, Danielle, Connor ou Kristen? C’est vraiment une question importante, parce que quelqu’un a parlé des pardons, de l’amnistie ou de la nécessité de s’asseoir et d’avoir une conversation pour dire : « Vous avez fait telle ou telle chose cette fois-ci; ne le refaites pas la prochaine fois ». Je ne sais pas. J’ai l’impression qu’il y a là deux poids, deux mesures.

Mme Sutherland : L’une des choses que nous avons suggérées, c’est de miser sur des programmes d’éducation dans un premier temps. Il ne faut pas se tourner d’office vers les pénalités et les punitions. Il faut plutôt réfléchir à la façon de discuter avec les gens, de les aiguiller vers des programmes de déjudiciarisation — peu importe ce à quoi ça pourra bien ressembler — et des programmes d’éducation, d’office… C’est ça qu’il faudrait faire. Un témoin d’un groupe précédent a dit — c’était peut-être aussi un sénateur — que nous ne faisions pas du bon travail d’éducation auprès des jeunes. C’est en partie en raison du fait que, lorsqu’on éduque les jeunes en misant sur la peur et des renseignements fondés sur les préjudices, ils cessent d’écouter. Ils cessent d’écouter et ne croient plus ce que les gens disent, les gouvernements, les éducateurs.

Si nous commençons par l’éducation et que nous commençons par l’éducation des gens qui se voient imposer ces peines, on leur épargne la criminalisation. C’est très important pour les jeunes, parce que c’est vrai : une personne qui a 18 ans et un jour a droit à 30 grammes, et une personne qui a 18 ans moins un jour, seulement 5, et, en Ontario, on n’aura même pas le droit d’avoir quoi que ce soit sur soi.

Le président : Permettez-moi d’intervenir avant que je vous laisse continuer votre réponse à la question. Je crois que la plupart des gens disent que, si une personne dans la vingtaine ou la trentaine donne du cannabis à un mineur ou fait du trafic de cannabis auprès des jeunes, elle devrait se voir imposer une lourde pénalité. Mais vous dites que, s’il y a une très petite différence d’âge — peut-être même seulement quelques jours d’écart — la peine ne devrait pas être la même. Mais où tracer la ligne alors? Quelle est la solution ici? J’imagine qu’il faut examiner les faits de l’affaire, mais, quoi qu’il en soit, s’il vous plaît, poursuivez.

Mme Costa : J’allais dire que, dans le contexte du refuge, c’est très problématique, parce que je connais des jeunes de 16 ans qui sont amis avec des jeunes de 24 ans, et tout ça fait partie de leur expérience de vie personnelle. Je crois que c’est vous qui avez parlé de justice réparatrice. Pourquoi ne pas miser sur ce genre de mesure pour composer avec un jeune de 18 ans, par exemple, qui a pu donner du cannabis à un jeune de 16 ans qui vient au refuge, plutôt que d’y aller avec une accusation au criminel qui, à ce moment-là, devient un obstacle de plus pour la personne? Ce serait essentiel. J’aimerais bien savoir à quoi des mesures de justice réparatrice pourraient bien ressembler dans de tels cas.

Lorsqu’il a été mentionné que nous devrions laisser la police décider de tout ça, je peux vous dire tout de suite que, actuellement, dans le cadre de l’initiative Eva, environ 80 p. 100 de nos jeunes sont des Noirs, et je vous garantis que, dans le cadre de la plupart de leurs interactions avec la police, on ne leur donne pas le bénéfice du doute. Oubliez ça!

Le président : Nous manquons de temps, mais, si vous avez un bref commentaire, Kristen et Connor, ce serait parfait.

Mme Szekszardi : Essentiellement, l’argument, c’est que si une personne a plus de 18 ans, elle est responsable et tout le reste. Je sais que beaucoup de personnes âgées de peut-être de 35 ou 40 ans, sont très immatures, moins matures que certains jeunes de 16 ou 17 ans que je connais. Si une personne a 16 ou 17 ans et qu’elle se retrouve dans un refuge, il y a une raison pour laquelle elle se retrouve là, à cet âge. On ne décide pas du jour au lendemain d’aller vivre dans un abri plutôt que de continuer à vivre avec sa mère ou son père, ou encore avec sa grand-mère ou son grand-père. Il y a une raison. Ces personnes ont vécu beaucoup de choses. Pas besoin d’être très vieux pour avoir vécu beaucoup de choses. On peut être très jeune et avoir tout de même vécu une vie bien pleine en très peu de temps.

Disons qu’un jeune de 20 ans donne un peu d’herbe à un jeune de 16 ans. Ce jeune de 16 ans a peut-être vécu plus de choses et subi plus de traumatismes que la personne de 20 ans. Vous comprendrez que j’ai aidé à m’occuper de mes amis plus jeunes que moi, parce que c’est vers moi qu’ils se tournaient, en raison de mon âge et du fait que je fume depuis un bout de temps. Ils ne veulent pas poser des questions aux employés et ils ne veulent pas se tourner vers d’autres organismes.

Je crois que, l’idée, c’est de pouvoir parler avec quelqu’un de son âge ou tout simplement d’obtenir du cannabis de quelqu’un de son âge. Au bout du compte, les jeunes ne pourront pas aller dans des magasins pour s’en procurer. Ils devront le faire illégalement. Je préfère donner un peu d’herbe à mes amis, puisque je sais que je l’ai obtenue d’une source sécuritaire, plutôt que de les laisser aller s’en procurer sur un coin de rue ou dans une ruelle, quelque part, d’une source qui n’a peut-être pas bonne réputation.

M. Fesenmaier : Je ne crois pas une seconde que la légalisation permettra d’enrayer complètement ni même en partie le marché noir. Les intervenants du marché noir ne feront que changer de cible. Plutôt que de cibler tout le monde, ils cibleront précisément les jeunes. Vous allez réfléchir à la fois à la question des prix concurrentiels, parce que c’est extrêmement facile de faire pousser un plant chez soi et de le vendre. Quelqu’un peut facilement le faire et vendre sa production à des jeunes. On ne peut pas faire un suivi de tout ça. S’il y a une installation de culture de marijuana dans une résidence, c’est la même chose : les producteurs pourront prendre le cannabis et le vendre à prix fort, parce que les jeunes ne peuvent pas s’en procurer en magasin. Si vous obtenez du cannabis de contrebande, peu importe de qui — un adulte qui vend à un adulte, un jeune qui vend à un jeune ou des adultes qui vendent à des jeunes — et peu importe où la drogue a été obtenue, si une personne donne du cannabis à un mineur, tel que cela sera défini, il ne devrait pas être nécessaire d’ajouter quoi que ce soit et il n’y a pas de zone grise : la personne donne consciemment de la drogue à un mineur qui n’est pas censé en avoir.

Je ne crois pas à l’aspect de la décriminalisation voulant que les gens en possession soient accusés, mais, peu importe, le fait d’en donner à un mineur devrait l’être. À la base, c’est un problème de santé publique. Je n’ai pas parlé dans mon discours initial de tout cet aspect de la question, soit que les gens ne savent pas dans quoi ils s’embarquent, surtout les enfants. Peu importe qui leur en donne, ces gens profitent d’un jeune qui ne connaît tout simplement pas les dangers de la marijuana pour la santé.

Le président : Nous n’avons plus de temps. Je tiens à remercier nos témoins, Connor Fesenmaier, par vidéoconférence, de Vancouver, et vous trois, ici. Vous nous avez tous beaucoup aidés à mieux comprendre tout ça. Nous vous en remercions.

Je rappelle à tout le monde que nous sommes de retour ici, demain, à 10 heures.

(La séance est levée.)

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