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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 42 - Témoignages du 30 avril 2018


OTTAWA, le lundi 30 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 14 h 2, afin de poursuivre l’étude du projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Art Eggleton. Je suis un sénateur de Toronto, et également président du comité. J’invite les autres membres de notre comité ici présents à se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec, et vice-présidente du comité.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Poirier : Sénatrice Rose-May Poirier, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Mégie : Sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Jim Munson. Mon cœur appartient au Nouveau-Brunswick, mais je suis un sénateur de l’Ontario.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de Toronto.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Sénatrice Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le président : Nous poursuivons aujourd’hui nos audiences au sujet du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois. Nous nous intéresserons plus particulièrement, avec deux groupes de témoins, à la question de la culture à domicile — autrement dit celle des quatre plants de cannabis —, puisque cela fait partie du projet de loi que nous étudions.

Le premier groupe compte un certain nombre de témoins que voici. Pour le compte de l’Association canadienne de l’immeuble, nous avons Michael Bourque, directeur général, et Randall McCauley, vice-président chargé des Relations gouvernementales et publiques. Pour représenter Anandia Labs, nous avons Jonathan Page, chef de la direction. Par vidéoconférence, vous pouvez voir à l’écran, au nom de l’Association canadienne des chefs de police, le chef adjoint Mike Serr, coprésident du Comité consultatif sur les drogues. Et, pour le Service de police de Vancouver, nous avons l’inspecteur Bill Spearn. Nous entendrons aussi, pour le compte d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, Ernest Small, chercheur scientifique principal à la Direction générale des sciences et de la technologie.

Ces témoins seront avec nous jusqu’à 16 heures, donc environ deux heures. Permettez que je leur donne la parole dans l’ordre où ils apparaissent dans l’ordre du jour. J’invite les témoins à ne pas dépasser sept minutes pour les exposés préliminaires, s’il vous plaît.

Michael Bourque, directeur général, Association canadienne de l’immeuble : Merci, monsieur le sénateur Eggleton. L’Association canadienne de l’immeuble représente plus de 125 000 courtiers immobiliers à l’échelle du pays. Mais nous sommes ici aujourd’hui au nom des acheteurs, des propriétaires et des locataires.

Le projet de loi C-45 ne fait pas directement de tort aux courtiers immobiliers, mais il aura des répercussions sur leurs clients.

Je vais parler plus particulièrement d’un élément du projet de loi, à savoir la culture du cannabis dans les logements, les maisons et les appartements. La culture à l’intérieur peut causer des dégâts qui donneront lieu à des dépenses supplémentaires, notamment pour les propriétaires, qui devront ensuite les reporter sur leurs locataires. Cela fera augmenter les loyers au Canada et aura des répercussions disproportionnées sur les Canadiens à faible revenu.

L’objet déclaré du projet de loi est de protéger la santé et la sécurité publiques, et pourtant le projet de loi ne tient pas compte du fait attesté que la culture du cannabis à l’intérieur peut être dangereuse pour la maison et pour la santé de ceux qui l’habitent.

Le mois dernier, un organisme financé par l’Agence de la santé publique du Canada a publié un rapport confirmant que la culture et la transformation du cannabis à l’intérieur peuvent entraîner des risques pour la santé environnementale dans une maison et les exacerber. Il y a à peine deux semaines, la Fédération canadienne des municipalités a estimé que la culture privée de cannabis était l’enjeu le plus problématique que les villes devront affronter après l’adoption de cette loi. En fait, les municipalités se débattent depuis des années avec les problèmes importants que soulève la culture de marijuana à domicile à des fins thérapeutiques.

La loi permettra de cultiver quatre plants de cannabis chez soi. Apparemment, cela semble modeste, mais la loi ne limite ni le nombre de récoltes ni la taille de chaque plant. Si elle dispose d’un système d’irrigation et d’une source de lumière suffisants, une personne pourrait cultiver de très gros plants et faire trois ou quatre récoltes par an. Les rendements pourraient s’élever à plus de 5 kilogrammes par an. À ce niveau de production, quatre plants sont susceptibles d’endommager un logement, avec les conséquences que cela entraînerait pour la santé des résidants.

Santé Canada et la Société canadienne d’hypothèques et de logement estiment que la qualité de l’air intérieur est l’un des éléments les plus importants de la santé d’une maison. Le gouvernement fédéral dépense des millions de dollars dans la recherche sur la qualité de l’air intérieur et l’élaboration de normes de construction, et pourtant il semble qu’on ait oublié de tenir compte, dans le projet de loi, des risques reconnus qui sont associés à l’augmentation de la moisissure, des spores et des champignons qui accompagne la culture de cannabis à l’intérieur.

L’exposition à la moisissure et aux champignons peut entraîner toutes sortes de maladies respiratoires. Les sénateurs doivent tenir compte des répercussions et des difficultés qui s’ensuivront pour les gens qui vivent dans des logements situés à proximité des polluants atmosphériques créés par cette activité. La contamination provoquée par les pesticides et les engrais peut causer d’autres problèmes sur le plan de la qualité de l’air, et ces produits chimiques peuvent également être dangereux pour les enfants.

Combien de milliers d’appartements ont un système de ventilation commun? Beaucoup de courtiers immobiliers ont vu de leurs propres yeux les dégâts subis par des maisons où l’on avait cultivé du cannabis sans ventilation ni infrastructure électrique suffisantes. Des installations inadéquates et l’emploi d’équipement comme des lampes à haute puissance et des systèmes d’irrigation peuvent entraîner des risques pour la sécurité. La culture de quatre gros plants dans une pièce chauffée par des lampes, où l’humidité est trop élevée et où la ventilation est insuffisante peut entraîner des risques.

J’espère que vous pourrez aussi entendre les témoignages de chefs de pompiers, comme Len Garis, de Surrey, car beaucoup d’entre eux ont parlé haut et fort des conséquences dont ils ont été témoins à cet égard, notamment des victimes.

Nous nous demandons si la culture à domicile est même nécessaire. Le Canada a la capacité de produire suffisamment pour répondre à la nouvelle demande de cannabis récréatif grâce à une industrie bien financée et bien capitalisée. L’entreprise qui exploite à Smiths Falls, en Ontario, l’ancienne usine de fabrication du chocolat Hershey emploie désormais plus de gens que Hershey l’a jamais fait.

Après la légalisation, la plupart des Canadiens auront facilement accès, dans des magasins et en ligne, à du cannabis cultivé dans des conditions sûres. On ne voit pas bien pourquoi il serait nécessaire de cultiver son propre cannabis.

Les sénateurs pourraient réduire les risques associés à la légalisation de la culture à domicile en apportant un simple amendement à la section 1 de la partie 1 pour dire ceci :

Nonobstant toute autre disposition contraire dans cette loi, il est interdit de cultiver, de propager ou de récolter du cannabis dans une habitation jusqu’à ce que le gouverneur en conseil, par décret, déclare que la province où est située ladite habitation a adopté des codes et des normes applicables à la culture, à la propagation et à la récolte de cannabis dans une habitation.

Autrement dit, il faut réglementer avant la mise en œuvre de la disposition sur la culture à domicile. Ce serait une mesure prudente et responsable qui respecterait le droit des provinces et serait conforme à l’objectif ultime de la loi.

Le gouvernement fédéral devrait également fournir aux provinces, aux territoires et aux municipalités un cadre de règles et de directives pour la culture sécuritaire du cannabis à domicile. Ces directives s’appuieraient sur des données factuelles et seraient destinées à atténuer les risques que l’on connaît déjà. Si le but est de protéger la santé et la sécurité publiques, ces dispositions doivent être mises en place avant que la culture à domicile soit autorisée.

Les Canadiens ont voté pour la légalisation du cannabis, mais il s’agit d’un énorme projet. Je vous demande de tenir compte de l’intérêt des gens, jeunes et vieux, qui seront touchés par la culture à domicile. Quel problème la culture à domicile réglera-t-elle? Toutefois, par ailleurs, combien de problèmes soulève-t-elle? Si nous légalisons le cannabis, il faut se sortir du pot au noir — pardonnez le jeu de mots, je n’ai pas pu résister — en prenant soin de protéger les Canadiens vulnérables. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup.

Jonathan Page, chef de la direction, Anandia Labs : Monsieur le président, c’est un honneur d’être ici aujourd’hui pour vous parler de cet important sujet qu’est la légalisation du cannabis.

C’est du point de vue scientifique que j’étudie la chimie et la biochimie du cannabis depuis 1999. Je suis actuellement professeur auxiliaire au département de botanique de l’Université de la Colombie-Britannique et PDG d’une entreprise biotechnologie vouée à l’analyse du cannabis appelée Anandia Labs.

Je voudrais vous parler plus précisément de la culture personnelle ou culture à domicile. C’est manifestement l’un des aspects les plus controversés du projet de loi C-45, et il est important d’en discuter à la lumière des connaissances sur la plante de cannabis.

Avant de parler science, je tiens à dire que, à mon avis, il est extrêmement important que la légalisation du cannabis englobe la capacité de cultiver la plante soi-même. La culture des plantes est un aspect fondamental de la culture humaine. L’avènement de l’agriculture par la culture des plantes et la plantation de semences est l’un des moteurs de la création des sociétés humaines. Les êtres humains continuent d’être mus par l’instinct de cultiver des plantes, comme le savent bien les Canadiens lorsqu’ils sortent de leur période d’hibernation et retrouvent leurs jardins.

Le cannabis est cultivé par les êtres humains depuis des milliers d’années et a servi d’aliment, de fibre et de médicament. Compte tenu de cette relation de longue date et du fait que nous légalisons la consommation pour les adultes, il semble indéfendable d’envisager la légalisation sans permettre la culture personnelle. Imaginez que vous puissiez acheter des tomates à l’épicerie, mais que la loi vous interdise d’en cultiver.

Certains sénateurs et témoins craignent que nos villes soient envahies par de dangereux jardins de cannabis; d’autres craignent que les plantes de cannabis dans les maisons soient dangereuses pour les enfants. Je pense que ces préoccupations ne sont pas fondées et qu’elles peuvent être apaisées grâce à une meilleure compréhension des risques.

Il faut savoir, entre autres, que les enfants ne peuvent pas être intoxiqués en mangeant des plantes de cannabis, délibérément ou accidentellement. Le cannabis ne contient pas de THC, mais plutôt son acide précurseur, qui n’est pas psychoactif. Le cannabis doit être fumé ou chauffé, par exemple dans la cuisson de brownies, pour que l’acide se convertisse en THC. Autrement dit, un tout-petit qui mâchouille accidentellement une feuille de cannabis ne sera pas intoxiqué. Et cette situation elle-même est très improbable, car le cannabis n’est pas sucré ou coloré et il est en fait très désagréable.

Deuxièmement, les cannabinoïdes comme le THC ne sont pas volatiles à la température ambiante. Bien que la plante puisse avoir une forte odeur, celle-ci est attribuable à des substances chimiques appelées terpènes et non aux cannabinoïdes comme le THC. Des enfants ou des adultes ne peuvent pas s’intoxiquer simplement en respirant l’air près des plantes de cannabis. Quant aux réactions allergiques au cannabis, elles sont peu fréquentes et ne sont pas graves.

Il n’est pas facile de bien cultiver le cannabis, mais ce n’est pas une plante spéciale. On n’a pas besoin de plus d’eau, de lumière ou d’espace pour cultiver quatre plants de cannabis dans une maison privée ou une cour arrière que pour cultiver une plante domestique ordinaire, et cela ne devrait pas causer de souci. L’odeur de cannabis, qui est sans doute l’un des problèmes les plus difficiles que suscite sa culture, peut être atténuée par un système de ventilation ou de filtration d’air convenable.

Nos maisons contiennent de nombreux produits nocifs pour les enfants et les adolescents, comme les capsules de lessive aux couleurs vives, les solvants, l’alcool dans des placards non verrouillés et des réfrigérateurs, les analgésiques qui restent dans les armoires à pharmacie. Nous cultivons déjà des plantes toxiques comme le philodendron, la digitale pourprée et l’if. Comparativement, le cannabis ne soulève pas de problème de sécurité.

La culture personnelle rendra-t-elle le cannabis plus accessible aux adolescents? Il semble que, à cet égard, l’éducation des jeunes et la surveillance parentale soient de meilleures solutions que l’interdiction pure et simple de la culture personnelle. Les risques ne sont pas différents de ceux que prennent des adultes qui achètent du cannabis et le gardent chez eux.

Je crois aussi qu’il est peu probable que de nombreux Canadiens cultivent effectivement leur propre cannabis. J’ai lu le témoignage d’une personne qui a comparu devant le comité la semaine dernière, selon laquelle une tour de 100 logements pourrait contenir 400 plants de cannabis en vertu du projet de loi. Le calcul est exact, mais je pense que c’est exagéré. Les Canadiens peuvent produire leur propre bière et leur propre vin à la maison et ils peuvent aussi cultiver du tabac pour leur usage personnel, mais la grande majorité d’entre eux achètent ces produits dans des magasins. De même, la plupart des gens achèteront du cannabis plutôt que de le cultiver, et il semble peu probable que le cannabis cultivé à la maison se retrouve sur le marché noir à grande échelle. Le système de vente au détail actuellement mis en place par les provinces, qui est robuste et en croissance, comme l’a dit le témoin précédent, fera en sorte que le cannabis sera largement disponible.

Même si le projet de loi C-45 ne précise pas si la culture à l’extérieur devrait être permise pour la production personnelle ou commerciale, j’ajouterai qu’il est important qu’elle soit incluse ou, à tout le moins, non exclue par un amendement. Des coûts environnementaux importants sont associés à la production à l’intérieur, notamment du point de vue de la consommation d’électricité. C’est plus une question d’ordre commercial que personnel. La production à l’extérieur peut atténuer certains de ces problèmes, et cette solution devrait être envisagée. Dans le cas de la culture personnelle à petite échelle, le placement minutieux de quatre plants hors de la vue des voisins est une mesure de sécurité simple et raisonnable. Pour une production commerciale plus importante, je suis certain que Santé Canada imposera des exigences de sécurité suffisantes pour protéger les cultures extérieures contre le vol et le détournement. Je fais remarquer que la majorité du cannabis cultivé par le gouvernement américain à des fins de recherche à l’Université du Mississippi est cultivé à l’extérieur.

En conclusion, la culture personnelle est un aspect important de la légalisation qui fait droit à notre lien humain fondamental avec le monde végétal. Je parle au nom des plantes et des jardiniers lorsque je dis que la légalisation sans la culture personnelle est une demi-mesure. L’exclusion de la culture à l’extérieur pour usage personnel et à l’échelle commerciale est également inutile.

Merci de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer. Je serai heureux de répondre à vos questions plus tard.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux écrans vidéo et souhaiter la bienvenue à la première des deux personnes qui se joindront à nous par vidéoconférence. Ce sera le chef adjoint Mike Serr.

Chef adjoint Mike Serr, coprésident, Comité consultatif sur les drogues, Association canadienne des chefs de police : Bonjour, et merci. Honorables membres du comité, je me présente encore une fois : je suis le chef adjoint Mike Serr, du Service de police d’Abbotsford, et président du Comité consultatif sur les drogues de l’ACCP. Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de vous rencontrer aujourd’hui et de discuter du projet de loi C-45.

Le mandat de l’ACCP est d’assurer la sécurité de tous les Canadiens grâce à un leadership policier innovateur. Elle le remplit au moyen d’activités et de projets spéciaux, d’une vingtaine de comités et d’une liaison active avec différents paliers de gouvernements. Assurer la sécurité des citoyens et des collectivités est au cœur de la mission de nos membres et de leurs services de police.

Pour ce qui est des projets de loi C-45 et C-46, notre rôle depuis le début a été de partager notre expertise avec le gouvernement pour aider à atténuer les répercussions de cette mesure législative sur la sécurité publique. Des discussions approfondies avec les membres de l’ACCP et divers comités ont constitué la base de nos conseils.

Nous avons participé à un certain nombre de consultations gouvernementales et présenté des mémoires au groupe de travail fédéral. Nous avons produit deux documents de travail, intitulés « Recommandations pour le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis », le 8 février 2017, et « Le gouvernement dépose un projet de loi pour légaliser le cannabis », le 28 avril 2017.

Nous avons comparu devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat et leur avons remis des mémoires sur les projets de loi C-45 et C-46. Il s’agit de notre cinquième comparution devant le comité au sujet de la légalisation du cannabis.

Les chefs de police de partout au Canada ont circonscrit un certain nombre de sujets importants susceptibles d’avoir une incidence sur les services de police à la suite de la légalisation, mais nous continuons de militer vigoureusement contre la production à domicile et la possession à domicile.

Pour ce qui est de la production à domicile, nos membres sont d’avis que, en réalité, nous n’avons pas la capacité d’appliquer la loi ni de déterminer ce que serait le cannabis licite et le cannabis illicite. Le projet de loi offre des occasions supplémentaires de possession illégale, de distribution et de surproduction de cannabis. Nous craignons également que cela représente un risque supplémentaire pour les adolescents en raison d’une exposition et d’un accès plus larges.

La culture de quatre plants est grandement sous-évaluée. Il y a de nombreuses variables. Il y a beaucoup de variables, mais on peut dire que chaque plant peut produire entre une et trois onces de cannabis quatre fois par an. À supposer que les limites légales soient respectées, cela équivaut à une culture potentielle de 48 onces par maison et par an,

De plus, contrairement à la possession de 30 grammes de cannabis à l’extérieur d’une maison, le projet de loi C-45 ne se prononce pas sur la quantité de cannabis permise à l’intérieur. À l’heure actuelle, la possession dans un logement est pratiquement illimitée, ce qui fait qu’il est difficile de déterminer si le cannabis provient d’une source légale ou illégale ou si la quantité en question est en fait destinée à la distribution.

Compte tenu de ces questions, nous recommandons qu’une limite soit imposée à la possession à l’intérieur.

Lorsque ce projet de loi a été présenté, le gouvernement du Canada a déclaré que l’objectif était de légaliser, de réglementer rigoureusement et de restreindre l’accès au cannabis au Canada. S’agissant de la culture personnelle et de la possession à domicile, il semble que cet objectif ait été négligé. Certaines provinces ont fait savoir qu’elles appliqueraient d’autres restrictions à cet égard. D’autres protagonistes, qui possèdent une expertise dans les secteurs de la santé et de l’immobilier, par exemple, ont également exprimé des préoccupations.

L’ACCP recommande que le gouvernement du Canada adhère à l’une des conclusions les plus évidentes de l’expérience du Colorado en matière de légalisation, à savoir qu’il convient de procéder lentement et progressivement et d’examiner et d’évaluer la situation au fil du temps. Reprenons notre souffle lorsque la légalisation deviendra réalité et convenons de discuter de la question de la culture à domicile plus tard.

En conclusion, nos recommandations ne visent pas à contester l’intention du gouvernement de restreindre, de réglementer et de légaliser la consommation de cannabis au Canada. Nous soulevons plutôt ces questions parce que nous sommes préoccupés par les répercussions de cette loi et, comme je l’ai déjà dit, nous avons tous la responsabilité d’atténuer ses répercussions sur la sécurité publique, qui est le principal objectif des services de police.

L’ACCP appuie beaucoup des objectifs généraux de cette loi tout en reconnaissant que d’autres intervenants sont mieux outillés pour fournir des connaissances spécialisées dans leurs domaines d’expertise. Nous appuyons également les efforts visant à décourager et à réduire les activités criminelles en imposant des peines sévères à ceux qui enfreignent la loi, en particulier ceux qui importent et exportent du cannabis et ceux qui vendent du cannabis à nos jeunes.

Nous remercions sincèrement tous les membres du comité d’avoir donné à l’Association canadienne des chefs de police la possibilité de formuler des commentaires et suggestions au sujet du projet de loi C-45. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Outre l’association des chefs de police, nous voulions aussi entendre ce qu’aurait à dire un service de police ayant à traiter ce genre de choses sur le terrain. Nous avons donc invité des représentants du Service de police de Vancouver. Il se trouve qu’ils sont tous les deux à Vancouver, et ils partagent donc l’écran.

La parole est à l’inspecteur Bill Spearn.

Inspecteur Bill Spearn, Service de police de Vancouver : Honorables membres du comité, j’aimerais tout d’abord me présenter. Je suis l’inspecteur Bill Spearn, de la Section du crime organisé du Service de police de Vancouver. Je suis également membre du Comité consultatif sur les drogues de l’ACCP.

Au nom du chef de police Adam Palmer, du Service de police de Vancouver, je vous remercie de m’avoir invité ici aujourd’hui. Je suis heureux d’avoir la possibilité de vous rencontrer, de vous parler de nos préoccupations à l’égard du projet de loi C-45 et de répondre à vos questions. Par respect pour le temps dont dispose le comité, je serai bref.

Le Service de police de Vancouver est en train de se préparer à la légalisation du cannabis récréatif. Nous avons participé à un certain nombre de consultations et adressé nos préoccupations à différents paliers de gouvernement. Nous appuyons les recommandations de l’ACCP énoncées dans les deux documents dont a parlé le chef adjoint Serr, et nos préoccupations sont les mêmes que celles de l’association.

Localement, notre principal souci au sujet du projet de loi C-45 reste la production à domicile. Le fait de permettre la production à l’intérieur d’une résidence est contraire aux objectifs visant à instaurer un environnement réglementé où les priorités fondamentales seraient de limiter l’accès des jeunes au cannabis et d’empêcher le marché noir.

Compte tenu de notre expérience de la production de cannabis médicinal, tout porte à croire que la surproduction sera un enjeu permanent dans le cadre d’un système légalisé de l’usage récréatif. Nous sommes convaincus que la production à domicile entraînera une augmentation des appels de service à cause des odeurs, de la surproduction, des incendies, des inondations et des conflits entre propriétaires et locataires.

Nous prévoyons une augmentation des opérations d’extraction fondées sur l’utilisation de solvants pour extraire les huiles des plantes de cannabis, lesquels sont extrêmement explosifs. Nous sommes également convaincus que la production à domicile entraînera une augmentation du nombre des crimes contre les biens et des crimes violents.

Il vaudrait mieux, selon nous, permettre l’achat de cannabis dans des magasins approuvés par le gouvernement et approvisionnés par des fournisseurs agréés, sans autoriser la production à domicile. La question de la production à domicile pourrait alors être examinée plus tard.

Nous appuyons les recommandations de l’ACCP concernant la limite de possession de cannabis dans une habitation. Cette limite devrait être raisonnable et bien définie pour qu’on puisse faire nettement la distinction entre la possession personnelle et la possession aux fins de la distribution. À défaut de limites de possession raisonnables dans une habitation, il sera difficile d’identifier et de saisir le cannabis illicite. Cela pourrait entraîner des problèmes d’indemnisation et compromettre le travail des responsables de l’application de la loi.

En conclusion, les préoccupations du Service de police de Vancouver sont liées aux répercussions que, selon nous, ce projet de loi aura sur la sécurité publique.

Je remercie les membres du comité de m’avoir permis de m’exprimer, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup à vous deux. Nous vous reviendrons lorsque des questions vous seront adressées.

Accueillons, pour terminer, M. Ernest Small, d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Ernest Small, chercheur scientifique principal, Direction générale des sciences et de la technologie, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je suis honoré de comparaître devant le comité dans le cadre de son étude du projet de loi C-45 sur le cannabis. Au cours des prochaines minutes, je me propose de passer brièvement en revue mes études sur le cannabis au nom de la Direction générale des sciences et de la technologie d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.

J’ai commencé à travailler à Agriculture Canada en 1969 comme spécialiste des cultures agricoles. Depuis près d’un demi-siècle, une de mes spécialités est la plante de cannabis, l’espèce appelée cannabis sativa, qui comprend deux catégories de plantes principales. Les plantes contenant de très faibles quantités de tétrahydrocannabinol, un produit chimique intoxicant connu sous le nom de THC, sont cultivées pour la fibre des tiges ou pour leurs oléagineux comestibles et sont collectivement connues sous le nom de chanvre.

Les plantes à très forte teneur de THC sont appelées plantes de marijuana et, bien sûr, elles sont utilisées pour produire la préparation de la drogue appelée marijuana. Le terme « cannabis » est souvent utilisé dans un sens générique pour désigner la marijuana. Beaucoup de partisans de l’usage médicinal de la drogue pensent qu’il est plus poli de parler de cannabis à des fins médicinales que de marijuana à des fins médicinales, mais c’est en fait la même chose.

Au cours de ma carrière, j’ai rédigé environ 400 rapports scientifiques, dont 15 livres. Dans mon dernier livre, j’examine, dans un vocabulaire relativement simple, tous les aspects de la science du cannabis. Ce document est disponible en ligne à la Bibliothèque scientifique fédérale.

Vers la fin des années 1960, la société s’est polarisée sur la question de l’opportunité d’interdire la marijuana, et le Parlement du Canada a créé la Commission d’enquête Le Dain sur l’usage des drogues à des fins non médicinales, chargée d’évaluer en particulier la marijuana. En 1970, j’ai été détaché à mi-temps pour fournir des avis botaniques sur le cannabis à la commission et pour rédiger un rapport exhaustif sur ses aspects agricoles.

Je tiens à souligner que, au cours des dernières décennies, Santé Canada m’a apporté un énorme soutien et a financé beaucoup de mes études sur le cannabis. En 1970, Santé et Bien-être social Canada, dont une partie est devenue Santé Canada, a créé un programme mixte de recherche à long terme de recherche sur le cannabis avec AAC, menée par moi en collaboration avec des chimistes de Santé Canada. Ces études avaient pour but de recueillir des connaissances scientifiques de base pour appuyer la législation sur des bases solides. Comme la marijuana est une drogue interdite, quoique populaire, depuis de nombreuses années, la recherche scientifique autorisée a été limitée, et beaucoup d’information inexacte a circulé.

Dans sa grande sagesse, le gouvernement du Canada appuie la recherche ciblée depuis des décennies. Depuis 1971, j’ai cultivé des centaines de variétés différentes, du chanvre et de la marijuana, sur la Ferme expérimentale centrale, et elles ont fait l’objet d’analyses chimiques. Cette recherche a permis de déterminer clairement que de nombreuses variétés de cannabis ont des quantités négligeables de THC et peuvent être cultivées sans crainte d’être utilisées comme narcotiques.

Inversement, de nombreuses variétés ont de grandes quantités de THC, et bien sûr, elles ont été privilégiées à des fins illicites et, plus récemment, à des fins médicinales. J’ai proposé que les variétés à faible teneur en THC, avec moins de 0,3 p. 100 de THC, soient définies comme catégorie de plantes dont la culture serait susceptible d’être légale parce que leur teneur en THC est trop faible pour être préoccupante.

À ma grande satisfaction, c’est ce critère qui a servi dans de nombreux pays, dont le Canada, pour permettre la culture de cultivars de chanvre. En 1997, après une soixantaine d’années de prohibition, on a modifié le projet de loi C-8, Loi réglementant certaines drogues et autres substances, pour autoriser les agriculteurs canadiens à cultiver du chanvre.

Avant la relégalisation de la culture du chanvre, la participation d’Agriculture et Agroalimentaire Canada à la recherche sur le cannabis visait à aider le gouvernement du Canada, en particulier Santé Canada et Justice Canada, à mener des recherches sur la nocivité et le contrôle du cannabis.

Depuis la reprise de la culture du chanvre, un mandat a été ajouté pour aider l’industrie du chanvre en expansion à se développer, avec l’appui d’Agriculture Canada et de Santé Canada. Plusieurs contrats entre Santé Canada et le secteur privé ont permis de soutenir ma recherche sur le chanvre. Par exemple, avec l’appui de Santé Canada, j’ai pu déterminer les conditions d’entreposage favorables à la viabilité de graines de chanvre sur de nombreuses années.

En retour, j’ai siégé à des comités de Santé Canada chargés de formuler et de modifier les règlements, de contrôler la culture du chanvre au Canada et d’examiner chaque année les cultivars autorisés à la culture.

L’Agence canadienne d’inspection des aliments, notre organisation sœur, est chargée, de son côté, de procéder à des tests de pureté du chanvre pour maintenir la qualité de la variété de chanvre, et j’y participe depuis des années. Plusieurs contrats avec des entreprises du secteur privé ont notamment permis de financer une recherche concertée sur le chanvre avec Agriculture Canada.

Les activités résumées ici ont grandement contribué à ce que le Canada devienne le chef de file mondial dans le développement du chanvre comme industrie des oléagineux.

En 2001, le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales a permis aux Canadiens d’avoir accès à la marijuana à des fins médicinales. Le principal moyen pour les patients d’obtenir de la marijuana à des fins médicinales était d’acheter le produit séché à une entreprise privée, Prairie Plant Systems, qui avait conclu un contrat avec Santé Canada. Un projet de collaboration entre l’entreprise et Agriculture Canada, mené par moi, a été le point de départ de l’établissement d’un système de production. Pendant 12 ans, jusqu’en 2013, la souche de marijuana que j’ai sélectionnée a été la version normalisée de marijuana médicinale au Canada et elle a été utilisée par environ 100 000 patients. Jusqu’en 2013, j’ai été chargé de maintenir la réserve de semences de la variété médicinale normalisée pour le compte de Santé Canada.

Enfin, j’aimerais souligner que mes nombreux collègues d’Agriculture Canada et moi possédons une expertise qui peut contribuer à la mise en œuvre sûre et efficace des politiques gouvernementales concernant la marijuana. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Voilà qui termine la série d’exposés. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Je rappelle que nous devons nous en tenir à cinq minutes, questions et réponses comprises. Il serait donc préférable que vous adressiez votre question à un ou deux témoins en particulier. Je fais remarquer que M. McCauley est ici avec M. Bourque pour répondre au nom de l’Association canadienne de l’immeuble. Veuillez donc poser votre question à une personne en particulier, pour rentabiliser vos cinq minutes au lieu de laisser tout le monde répondre et de prendre la totalité de votre temps de parole.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Mes questions s’adressent à nos invités à l’écran, de Vancouver, MM. Spearn et Serr.

Vous avez tous les deux abordé la question sous différents angles, mais, avant d’aborder le sujet de la production à domicile, j’aimerais avoir une idée de l’ampleur des risques et des défis. Certains témoins nous ont dit que ce serait très minime et que ce ne serait pas si difficile, tandis que d’autres nous disent le contraire, que ce sera très difficile.

J’aimerais que vous nous parliez de votre expérience, de ce que vous savez à l’échelle internationale et de ce que nous savons de l’usage médicinal déjà en vigueur. À quoi faut-il s’attendre du point de vue de l’ampleur et des difficultés, selon vous, notamment en matière de surveillance?

M. Serr : Je vais commencer. En ce qui concerne la réglementation médicale, au Canada, il y a toujours eu surproduction et détournement du produit par des personnes qui ont un permis de culture à des fins médicinales. C’est donc effectivement un défi pour nous.

Quant aux quatre plants, je pense que nous aurons notamment un problème de capacité. À mesure que ce projet de loi sera mis en œuvre, nous nous concentrerons sur le crime organisé. Nous sommes très engagés dans la crise des opioïdes, et il sera donc difficile pour les organismes d’application de la loi d’enquêter sur les personnes cultivant peut-être six ou sept plants. Notre capacité à assumer ces enquêtes sera un défi.

Je voudrais soulever un troisième point au sujet des adolescents et du détournement dont ils feront l’objet. Ce que nous a appris l’expérience du Colorado, c’est que 45 p. 100 des jeunes peuvent obtenir leur cannabis par l’entremise d’un adulte qui l’a obtenu légalement, et 22 p. 100 du temps par l’entremise d’un parent. Donc, effectivement, une partie provient d’un magasin, mais une partie provient aussi du détournement de produits qui ont été cultivés. Pour notre part, nous voulons protéger les jeunes.

Nous sommes également préoccupés par le fait qu’il n’y a pas de limite au volume susceptible d’être conservé dans une résidence privée. Cela fait beaucoup de marijuana. Comme nous l’avons dit, 12 onces tous les 3 ou 4 mois, c’est beaucoup, et c’est beaucoup plus que ce qu’un gros utilisateur ordinaire utiliserait pendant cette période. Alors, où va donc le surplus de cannabis? À moins qu’il soit entreposé correctement, il est soumis à une durée de conservation.

M. Spearn : Récemment, quelques membres du Service de police de Vancouver se sont rendus à Seattle pour rencontrer des collègues et se faire une idée des défis auxquels ils font face depuis 2012 dans le cadre de l’autorisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives.

Depuis, ils ont notamment remarqué une augmentation de la culture de marijuana à grande échelle et une augmentation du trafic dans la rue, et cela est attribuable à la disparité entre le prix du marché noir et le prix réglementé. Ils ont également constaté une augmentation du nombre de laboratoires d’extraction d’huiles dont j’ai parlé, qui sont des produits dangereux et explosifs, ainsi qu’une augmentation du nombre de cas de conduite avec facultés affaiblies, d’introductions par effraction, de vols à main armée et d’autres crimes contre les biens liés au cannabis.

Je crois que vous avez demandé ce qui se passe dans les autres pays où le cannabis récréatif est déjà légal, et cela vous donnera une idée.

La sénatrice Seidman : Soyez tous remerciés de vos exposés. Je vais commencer par M. Bourque.

Vous savez sûrement que des témoins et des experts nous ont dit qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la culture du cannabis à domicile, car ce n’est guère plus que de s’occuper d’une plante à la maison, et ce n’est pas différent d’une plante à la maison. Nous avons même entendu dire que c’est une bonne thérapie de cultiver des plantes.

Donc, à première vue, quatre plants par ménage ne sont peut-être pas un problème, et, si j’ai bien compris, le projet de loi n’impose aucune limite à la taille des plants.

Pourriez-vous nous donner une idée de ce à quoi cela pourrait ressembler dans une maison? Quatre plants, cela occupe, quoi, un petit coin ou peut-être une pièce entière? Vous avez fait allusion à ce que quatre plants pourraient produire en un an, mais j’aimerais que vous nous le rappeliez. Pourriez-vous nous dire également si quatre plants suffiraient à une exploitation commerciale?

M. Bourque : Merci. Il y a beaucoup de questions là-dedans. Permettez donc que j’essaie de les démêler un peu.

Je crois que j’ai parlé de 5 kilogrammes. Il s’agirait d’une culture très rapide des plantes, parce qu’on peut utiliser des lampes et des engrais. Il n’y a pas de limite quant à la taille de croissance. Ce pourrait être ma taille. Il n’est pas rare qu’un plant soit aussi gros. Il n’y a pas de limite à la largeur.

Ce que les agents immobiliers ont constaté dans les maisons, c’est que, habituellement, on y cultive plus de quatre plants, mais, comme le disait l’agent, ils n’ont pas les ressources nécessaires pour vérifier si quelqu’un cultive cinq, six ou sept plants.

Ce qu’il faut retenir, du point de vue du logement, c’est que la maison subira des dégâts, et cela pourrait passer inaperçu à l’inspection. Le deuxième propriétaire achète la maison, puis l’inspecteur découvre un problème, et la maison pourrait perdre de sa valeur.

Dans le contexte de la location, la culture et la consommation de marijuana vont entraîner toutes sortes de problèmes à cause des systèmes de ventilation communs. Je pense que c’est ce à quoi la police fait allusion quand elle dit qu’il y aura beaucoup plus d’appels de service.

Mais ce qui est important, à mon avis, c’est de vraiment s’attaquer au mythe selon lequel la réalité se révélera inoffensive, du genre hippy vieillissant qui cultive son propre plant pour le fumer. En Colombie-Britannique, les responsables de BC Hydro ont découvert qu’on cultivait du cannabis dans 40 000 habitations, et c’est interdit. On peut dire sans se tromper que les gens profiteront sûrement du fait qu’il est légal de cultiver des plants et qu’ils le feront d’une façon qui ne sera pas nécessairement sécuritaire. Ils auront peut-être des problèmes d’électricité et autres parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font.

Cela nous ramène au fait que le gouvernement a été élu en promettant de légaliser le cannabis, mais le fait est que la culture à domicile est une chose tout à fait différente et qu’elle soulève toutes sortes de problèmes qui ont été circonscrits — dont certains aujourd’hui même —, et pourtant, je ne vois pas la solution qu’elle apporte.

La sénatrice Seidman : Je présumais que, dans un immeuble résidentiel à logements multiples, ce serait un problème non seulement pour les propriétaires de condominiums, par exemple, mais aussi pour les propriétaires qui louent des appartements.

M. Bourque : Je pense qu’il n’est pas exagéré de dire que les propriétaires qui ont des immeubles locatifs vont essayer de les convertir en condominiums où ils pourront mieux contrôler ce qui se passe à l’intérieur de l’immeuble, et cela va réduire le parc locatif, qui est déjà très limité dans des endroits comme Vancouver et Toronto. Les Canadiens à faible revenu sont plus souvent locataires que propriétaires, de sorte qu’ils sont touchés de façon disproportionnée par ce genre de politiques.

La sénatrice Seidman : Si vous permettez, je vais redonner la parole aux chefs de police, puis je reviendrai à vous au deuxième tour si je le peux.

Vous avez dit que c’est impossible à faire respecter. Nous venons tout juste d’entendre parler de ce qu’on pourrait trouver dans une maison ou dans des immeubles à logements multiples. Pourriez-vous nous en parler rapidement, et j’espère y revenir.

M. Serr : Très brièvement, je dirai que, si nous apprenions que quelqu’un cultive cinq ou six plants plutôt que quatre, ce serait une priorité pour les organismes d’application de la loi à mesure que la légalisation se mettrait en place, mais nous avons beaucoup d’autres priorités, comme le crime organisé et d’autres à plus à grande échelle. Ce serait le plus souvent un appel jugé peu prioritaire pour les forces de l’ordre, et cela exigerait également beaucoup de ressources. Je vais m’arrêter ici et attendre votre prochaine question.

Le président : Très bien, continuons. En passant, si les autres témoins souhaitent intervenir, qu’ils me le signalent. Cela dépendra du temps qu’il reste au sénateur et de son désir de vous faire participer. Mais faites-moi signe, et je le porterai à l’attention du sénateur, si vous voyez ce que je veux dire.

Le sénateur Munson : Merci d’être parmi nous. N’importe lequel d’entre vous peut répondre à cette question. Il semble y avoir un léger cas d’hystérie à la Reefer Madness.

Quoi qu’il en soit, selon la Loi sur le tabac, on peut cultiver jusqu’à 15 kilogrammes de tabac à la maison, mais qui sait cela? Au Canada, de nos jours, il doit y avoir des dizaines de milliers de personnes qui cultivent illégalement de la marijuana chez elles. Je serais curieux de savoir comment vous abordez cette question. Il ne semble pas que cela ait été jusqu’ici une source de grave préoccupation, à moins que quelque chose m’échappe, que la police découvre l’existence de quatre, six, huit plants ou peu importe.

Et, dans la Loi sur le tabac, l’exemption s’applique à la fabrication à des fins personnelles. Cela se passe partout au pays, mais cela ne déclenche pas beaucoup d’indignation et d’hystérie dans le genre : « Pour l’amour du ciel, ne cultivez pas de tabac dans mon immeuble de 100 appartements parce que je pourrais aussi tomber malade. »

J’aimerais bien qu’on aborde la question posément, si quelqu’un veut bien l’aborder.

Le président : La question s’adresse à tous les témoins. Monsieur McCauley et monsieur Page.

Randall McCauley, vice-président, Relations gouvernementales et publiques, Association canadienne de l’immeuble : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Je pense que l’une des principales différences est, tout d’abord, la disponibilité du tabac. Malgré les efforts déployés récemment pour lutter contre ce fléau, le tabac est facilement disponible partout, et il n’est pas nécessaire de le cultiver chez soi. Je dirais que la même chose se produirait probablement dans le cas de la marijuana, étant donné qu’il y a une différence fondamentale entre Canada et de nombreux autres pays ayant légalisé la marijuana, dont beaucoup d’États aux États-Unis.

Au Canada, on pourra la recevoir par la poste. Les provinces la rendront disponible. Si les provinces ne l’offrent pas, il sera disponible en ligne grâce au gouvernement fédéral.

Il ne faut pas oublier que, au Colorado et dans ces autres États, la livraison à domicile n’existe pas. En fait, le Sénat du Colorado vient de voter contre. Donc, le Canada, contrairement aux autres pays, devrait être en mesure de mettre suffisamment de marijuana à la disposition de tous ceux qui en veulent. Pourquoi risquerait-on ou voudrait-on alors risquer les conséquences potentielles de la culture à domicile où, je crois, la limite de possession pour le transport sur soi est de 30 grammes, et il n’y a pas de limite dans votre maison?

Toute la marijuana dont vous pourriez avoir besoin sera mise à votre disposition par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sans les risques connexes ou la confusion soulignés par la Fédération canadienne des municipalités, les agents immobiliers, les inspecteurs en bâtiment, les évaluateurs, et j’en passe. Je pense que c’est l’une des raisons fondamentales pour lesquelles nous pensons que cela ne règle pas de problèmes, mais que cela pourrait en créer beaucoup.

M. Page : J’allais répondre à cela et aussi aux questions sur l’espace nécessaire. Les plants de tabac peuvent devenir assez gros. Les plants de cannabis peuvent devenir assez gros aussi, mais, en général, dans un contexte commercial, on parle d’un plant tous les 1,5 mètre. Là où je suis assis, on pourrait mettre quatre plants.

Je pense que les gens qui vont jusqu’à 5 kilos par an aimeraient avoir une capacité maximale, pas un coin d’appartement ou le patio d’un condo. Les plus gros plants de cannabis au monde pourraient produire ce volume.

M. Small a parlé tout à l’heure de Prairie Plant Systems. C’est le producteur commercial de Saskatoon qui a eu le contrat pendant tant d’années. Je crois qu’on obtenait environ 30 grammes par plant en moyenne, à chaque récolte. Ce n’est pas une quantité énorme. On ne produit pas des ballots de cannabis.

Pour ce qui est de l’humidité, on peut avoir des pins de Norfolk jusqu’au plafond et d’autres plantes dans son appartement. On arrose ces plantes tous les jours, et elles produisent de l’humidité. Ce n’est pas particulièrement dommageable pour la maison ou le patio. Évidemment, on peut planter un sapin dans un appartement, et cela causerait des dommages, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le cas du cannabis.

De plus, les représentants des forces de l’ordre nous donnent une description très importante du monde dans lequel ils travaillent depuis un certain nombre d’années, où il y a eu un marché noir du cannabis, où il y a eu surexploitation du cannabis et où, dans certains cas, des producteurs canadiens de cannabis à des fins médicinales approvisionnent le marché noir.

Ce qu’il faut se rappeler, c’est que, avec le projet de loi C-45, nous essayons de mettre un terme à tout cela. Il y aura un approvisionnement légal. L’idée que les sous-sols, les garages et les étables seront remplis de ces installations de culture illicites et qu’il s’ensuivra des problèmes de moisissure, d’humidité, d’odeur et tout le reste, associés à cette très faible culture de quatre plants, ne tient pas compte du fait que la légalisation est en cours et que la prohibition sera bientôt terminée.

[Français]

La sénatrice Mégie : Monsieur Page, avons-nous absolument besoin de pesticides et de fertilisants pour faire pousser les plants à l’intérieur?

[Traduction]

M. Page : Concernant l’utilisation de ces produits pour la culture à l’intérieur, oui, toutes les plantes ont besoin d’engrais. Il peut s’agir d’une simple terre à jardin déjà additionnée d’engrais. Il peut s’agir d’engrais organiques provenant de votre compost. Dans certains cas, il pourrait s’agir d’engrais chimiques.

Concernant l’utilisation de pesticides, il n’est pas nécessaire d’utiliser des pesticides pour cultiver du cannabis. En fait, la réglementation actuelle sur le cannabis à des fins médicinales interdit l’usage de la plupart des pesticides chimiques, et les producteurs autorisés qui cultivent du cannabis en vertu de cette réglementation règlements n’ont pas le droit de les employer. Ils peuvent utiliser une vingtaine de pesticides inoffensifs. On n’a absolument pas besoin de pesticides pour réussir à cultiver du cannabis.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je vous remercie. J’aurais une autre question.

Quelqu’un d’autre voudrait-il ajouter quelque chose à cette réponse?

[Traduction]

M. Bourque : J’aimerais ajouter quelque chose. Nous en revenons encore au mythe des producteurs inoffensifs par opposition à ceux qui ont d’autres intentions. Nous ne sommes peut-être pas en train de créer un marché noir, mais nous allons créer un très grand marché gris pour le cannabis parce qu’on aura le droit de le cultiver, et même si, en moyenne, il s’agira de petits plants, il sera quand même possible d’en cultiver de gros et de le faire très rapidement.

Voyez l’expérience des agriculteurs canadiens dans presque tous les types de culture au Canada : le fait est que la science permet d’obtenir des récoltes record grâce aux engrais et à d’autres moyens scientifiques permettant une croissance très rapide. Ce que nous préconisons, c’est un amendement prévoyant des règlements avant de permettre la culture à domicile. Grâce à ces règlements, on pourrait peut-être limiter le nombre de ces petits plants et le faire de concert avec les organismes d’application de la loi et d’autres.

Nous avons une liste, et nous nous ferons un plaisir de vous la remettre, qui comprend environ 19 organisations. Je suis certain qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des organisations qui craignent les répercussions de la culture à domicile à cause de ceux qui feront cette culture et qui alimenteront le marché gris. Étant donné que toute personne de plus de 25 ans aura le droit de le cultiver en toute légalité, les mineurs auront accès au produit.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci. Monsieur Bourque, lorsqu’on parle de système de partage de ventilation dans les immeubles à appartement — ou dans une maison à deux logements, peu importe —, j’ai cru comprendre que, avant même la légalisation, une maison où on a cultivé la marijuana était très difficile à vendre sur le marché. La valeur de la propriété diminue, si toutefois on réussit à trouver un acheteur. À cela s’ajoute le problème de ventilation. Puisque vous avez proposé un amendement qui pourrait permettre qu’on en cultive, dites-nous ce que vous prévoyez comme problème pour les propriétaires à l’avenir.

M. Bourque : C’est déjà un problème pour les propriétaires. Maintenant, ce sera un problème pour les appartements, lorsque les locataires auront le droit de cultiver et de fumer. À partir du moment où un droit est acquis, il est plus difficile de revenir en arrière. Cela va permettre aux résidents de fumer et de cultiver le cannabis, et la qualité de l’air ne sera pas améliorée.

La sénatrice Mégie : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Merci à tous d’être parmi nous et merci de vos exposés.

Ma première question s’adresse à M. Bourque, de l’Association canadienne de l’immeuble. Dans votre exposé, vous avez parlé d’éventuels problèmes concernant la qualité de l’air intérieur. Vous avez parlé de maladies respiratoires, de moisissures, de spores, de champignons et de choses qui pourraient affecter la maison.

Pouvez-vous nous dire quelles seraient les conséquences à court ou à long terme de la présence de ce type de moisissures, de spores et de champignons pour la structure d’une maison et nous expliquer comment cela affecterait la maison?

M. Bourque : Merci de votre question. Tout d’abord, je ne suis pas un scientifique, mais nous avons fait notre travail à ce sujet et nous avons examiné ce que disent les experts. Nous bénéficions également de l’expérience de dizaines de milliers de courtiers immobiliers qui ont visité des propriétés où il y a eu des installations de culture. Cela fait des années que la police est au courant de l’existence de laboratoires de drogue à domicile qui sont bien pires que la simple culture de marijuana, où le système d’égout est endommagé et où il y a toutes sortes de moisissures et de risques d’explosion à cause d’installations antérieures employées pour fabriquer des drogues.

Les agents immobiliers ont une longue expérience de ce genre de propriétés. Il n’est pas très difficile de trouver quelqu’un dans le secteur de l’immobilier qui a vu personnellement une maison endommagée à cause de gens qui ont cultivé de grandes quantités de cannabis et ne l’ont pas fait correctement. Ils refont le filage du panneau électrique de façon non sécuritaire. Cela crée des risques d’incendie. Il n’y a pas suffisamment de ventilation, et il y a beaucoup d’humidité. Souvent, ils cachent leur activité et font donc la culture dans une pièce fermée ou au sous-sol. Un bon courtier en immeuble s’assurera qu’un inspecteur est présent et que la maison fait l’objet d’une inspection approfondie. C’est généralement à ce stade qu’on découvre le problème.

Le président : M. Page voulait également répondre. Êtes-vous d’accord?

La sénatrice Poirier : Je voudrais simplement ajouter quelque chose, puis, si vous pouviez répondre, je vous en serais reconnaissante.

Pensez-vous que cela se répercuterait sur la valeur de la maison? De plus, dans mon coin de la province, on a commencé à entendre dire que certaines compagnies d’assurance craignent que cela fasse augmenter le coût des primes. Un agent m’a dit que sa compagnie d’assurance allait même poser la question quand elle assurerait sa maison : « Cultivez-vous du cannabis à l’intérieur de votre maison? », et cela pourrait avoir une incidence. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, et peut-être que d’autres témoins pourraient répondre aussi à la première et la deuxième partie de la question.

M. Bourque : Il ne fait absolument aucun doute que cela a une incidence sur la valeur de la maison. Vous avez raison, il y a des compagnies d’assurance et des compagnies d’assurance hypothécaire qui veulent savoir si quelqu’un y a fait de la culture de cannabis, et maintenant elles sont dans un dilemme parce que, si c’est cultivé légalement, il s’agit de déterminer leurs droits. Elles ont, elles aussi, de nombreuses préoccupations.

M. McCauley : J’aurais un mot à dire, madame la sénatrice. Comme il n’y a pas de normes de remise en état au pays concernant les mesures à prendre lorsqu’on découvre des moisissures ou des champignons dans une maison, nous avons constaté que les assureurs hypothécaires hésitent à assurer ce genre de propriété, et les institutions financières hésitent à prêter de l’argent en contrepartie de ce genre de propriété. Ce qu’on fait alors, c’est retirer cette maison du marché. Des mesures correctives sont ensuite prises, qui peuvent être de démanteler tous les murs jusqu’au colombage, pour s’assurer qu’il n’y a plus de moisissures et que la maison est acceptable pour les institutions disposées à la remettre sur le marché. Vous avez entendu le témoignage de BC Hydro concernant des installations de culture de marijuana dans 40 000 habitations alors que c’est illégal. Qui sait ce qui va se passer quand ce sera légal, mais quand on retire des maisons du marché, cela entraîne des problèmes secondaires et tertiaires sur le plan de la disponibilité de propriétés.

M. Page : Ce dont il est question ici, cependant, ce sont des faits et des chiffres, si on peut dire, et ils renvoient à une culture de la marijuana à grande échelle, commerciale et illicite. Lorsque j’entends l’expression « culture de marijuana », cela ne décrit pas la culture personnelle limitée à quatre plants, envisagée dans le projet de loi.

Concernant l’humidité, une douche sans ventilateur dans un sous-sol produira sans doute plus d’humidité, au fil du temps, que quatre plants arrosés judicieusement dans des pots ordinaires.

Il y a chez moi plus de neuf pieds carrés d’orchidées ordinaires que ma femme aime beaucoup. L’humidité produite par ces plantes est inférieure, je parie, à ce qu’on produit quand on fait bouillir une casserole de spaghettis. Je ne pense donc pas qu’on devrait avoir peur des histoires d’horreur concernant les cultures illicites quand on parle de culture à domicile à raison de quatre plants.

La sénatrice Stewart Olsen : Parlons un peu de la sécurité des plants proprement dits, vous voulez bien. Ma question s’adresse à M. Small.

Vous avez dit que vous aviez développé beaucoup de plants de cannabis, et cetera. Il y a des années, la marijuana que vous achetiez dans la rue était bien moins puissante — me dit-on — que celle d’aujourd’hui. Est-ce que, pour la culture à domicile, il faudra utiliser une semence spéciale pour cultiver ces plantes à très forte puissance ou est-ce une question de méthode d’extraction? En fin de compte, il y a toute une série de plantes qui produisent une drogue très forte. Je crains que cela ne protège pas les Canadiens. Il n’y a pas de contrôle de la qualité de ce qui est cultivé dans les maisons.

Est-ce que cela devrait être distribué à l’extérieur des maisons ou même aux gens dans les maisons?

Je me demande comment on peut cultiver des plantes en toute sécurité. Le gouvernement devrait-il s’occuper d’enseigner cela aux gens? Parce qu’il dit : « Allez-y, tout va bien. »

M. Small : Vous avez posé une question très vaste, et je sais que je dois y répondre brièvement.

J’ai un peu de difficulté à accepter l’idée que, à l’heure actuelle, le gouvernement du Canada va publier un manuel sur la culture du cannabis à l’intention du consommateur moyen, même si ce n’est peut-être pas la pire idée au monde.

Je pense effectivement qu’il y a lieu de s’interroger sur la sécurité à l’égard de la culture du cannabis à l’intérieur, et c’est lié à la question de la production de moisissures. De plus, la façon dont le cannabis illicite est cultivé est assez malsaine. Je vais m’en tenir là.

En termes de force, il est vrai que les souches modernes produisent de plus grandes concentrations, de plus grandes quantités. Il est également vrai que les gens ont appris — et c’est le cas de la culture commerciale — comment couper les parties les plus faibles de façon à ce que le produit final soit très concentré, un peu comme on produit du rye whisky plutôt que de la bière.

Cependant, je partage également la philosophie de base de M. Page selon laquelle il est bon de permettre aux gens de cultiver des plantes. Excusez-moi de le dire. Même si ce n’est pas une plante classique, cela donne l’occasion à beaucoup de gens de devenir horticulteurs amateurs et, à mon avis, cela peut se faire de façon sécuritaire. Cela peut aussi se faire de façon non sécuritaire, comme plusieurs l’ont souligné ici.

Personnellement, je ne peux vraiment pas prédire les conséquences de la loi actuelle sur le plan de la sécurité. À mon avis, c’est un peu risqué.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci. Mais je veux vraiment en venir à ce que je perçois comme un danger, un danger imprévu peut-être, et c’est que les gens qui feront de la culture à domicile produiront des variétés. C’est irrésistible : on veut améliorer la plante, cultiver ce qu’il y a de mieux. C’est comme les gens qui font leur propre vin à la maison ou leur propre bière.

Je m’inquiète de la façon dont vous réussirez à assurer la sécurité des gens compte tenu de ce genre de choses. Je fais de la spéculation, c’est vrai, mais vous avez réussi, dans vos activités de développement, à assurer la sécurité des gens. Vous avez recommandé les variétés et les dosages de marijuana à des fins médicinales. Si les gens cultivent les leurs, comment ferez-vous pour assurer leur sécurité?

M. Small : La marijuana à des fins médicinales est produite selon des pratiques beaucoup plus rigoureuses que celles qui sont possibles pour le producteur à domicile. Par exemple, elle est systématiquement irradiée pour éliminer les problèmes de contamination microbiologique. La production de marijuana commerciale médicinale — et, en fait, ce sera le cas pour la marijuana récréative — s’accompagne d’un souci particulier pour l’humidité afin que les risques de moisissures demeurent faibles. De plus, vous pouvez contrôler les engrais. Même si vous utilisez des pesticides, vous pouvez contrôler vos intrants chimiques.

Cela dit, les consommateurs de marijuana récréative ne sont pas nécessairement des gens dont le système immunitaire est affaibli et qui sont beaucoup plus vulnérables.

J’imagine qu’on peut seulement examiner la situation générale au Colorado, dans l’État de Washington ou ailleurs, comme on le fait, et tirer ses propres conclusions sur le niveau de sécurité. Je ne pense pas qu’une évaluation claire soit disponible pour l’instant.

La sénatrice Raine : Plus je vous écoute, plus j’ai de questions.

J’aimerais poser une question à M. Small, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Vous dites qu’on cultive maintenant de la marijuana à des fins médicinales. Quelle est la teneur en THC de cette substance?

M. Small : La variété que j’ai choisie pourrait être un peu modifiée, mais, en général, elle produisait une concentration de THC d’environ 12 p. 100.

Les types de concentrations actuellement mentionnés par les fournisseurs commerciaux de marijuana à des fins médicinales sont en quelque sorte artificiels parce que la partie de la plante qui a la plus forte concentration de THC, c’est-à-dire la floraison, est souvent soigneusement découpée de sorte que les parties plus grandes de la plante, les parties ressemblant à des feuilles — on les appelle des bractées — qui ont des concentrations plus faibles de THC, sont découpées, et c’est ce qui donne artificiellement le niveau de THC. C’est parce que la concentration élevée de THC est un argument de vente sur de nombreux marchés. Les gens aiment l’idée d’acheter quelque chose de plus fort. C’est évidemment problématique à cet égard.

La sénatrice Raine : Si vous permettez que je donne suite, je pensais que ce que vous cherchiez dans la marijuana à des fins médicinales, c’était un taux élevé de CBD et un taux faible de THC. Quelles seraient les concentrations de CDB dans la marijuana à des fins médicinales?

M. Small : Le THC et le CBD ont tous deux des vertus médicinales. Il semble que ces deux substances sont seules et ensemble utiles pour certaines affections médicales.

Dans l’ensemble, le marché du cannabis récréatif a gravité très, très fortement vers des niveaux élevés de THC et des niveaux très faibles de CBD. Par ailleurs, il est prouvé que si la teneur en THC est réduite et celle en CBD augmentée — autrement dit, une sorte de produit hybride —, le potentiel pour les maladies est moindre.

La sénatrice Raine : En fait, je suppose que l’un des aspects intéressants de la légalisation imminente du cannabis, c’est qu’il y aura plus de recherche et que les médecins finiront par se sentir à l’aise de prescrire les différents types de cannabis.

Le président : M. Page nous a indiqué qu’il voulait… si la sénatrice est d’accord.

La sénatrice Raine : J’aimerais bien, puis j’ai une autre question à vous poser à tous les deux.

M. Page : Je vais répondre en pourcentages. Vous avez demandé où se situe la teneur en THC dans le système actuel de production à des fins médicinales. Dans le laboratoire dont je suis responsable, on effectue beaucoup de tests de ce genre.

La teneur varie entre 10 p. 100 et 26 ou 27 p. 100, la moyenne pour les souches de THC se rapprochant véritablement de 17,5 p. 100. C’est la même chose depuis 2015.

Comme M. Small l’a indiqué, il y a de plus en plus de produits contenant du CBD et de produits contenant les deux. Le CBD atteint d’habitude environ 18 p. 100 dans une souche pure de CBD. On retrouve des ratios de THC et de CBD du genre 7/7 et 6/4.

La sénatrice Raine : On s’inquiète beaucoup des gens qui fument du cannabis séché ou de la marijuana séchée et des effets nocifs que cela peut avoir sur les poumons. Je pense toujours qu’avec les gens qui déménageront, une fois le cannabis légalisé et produit et vendu sous d’autres formes, nous nous retrouverons dans un an à envisager la possibilité de légaliser toutes sortes d’autres formes de cannabis qui ne sont peut-être pas aussi nocives pour la santé.

Je me pose simplement la question. Ce qui me préoccupe, c’est que, avec la culture du cannabis, vient ensuite la production, par exemple, d’huiles, ce qui, pour le moment, est assez problématique.

Avez-vous une idée de la direction que cela prendra? Je ne sais pas à qui poser la question, à M. Page et à M. Small peut-être?

M. Page : Quelle tournure les choses prendront-elles? Oui, je pense qu’avec le temps, les gens fumeront et vapoteront moins le cannabis et qu’ils l’inhaleront et l’ingéreront sous forme de boissons ou de produits comestibles au lieu de le fumer. Le projet de loi C-45, je pense, prévoit une période d’un an avant la mise en marché de ces produits sans fumée. À mon avis, ne pas avoir recours à l’inhalation est un bon pas en avant sur le plan de la santé publique.

On peut maintenant se procurer des huiles pouvant être ingérées en passant par le système de production à des fins médicinales. Je suppose que ces produits seront immédiatement associés à la consommation récréative, mais ce ne sont pas le genre de boissons et de choses qu’on retrouve au Colorado et ailleurs.

M. Small : Les composés volatils que nous avons appelés les terpènes suscitent actuellement beaucoup d’intérêt. C’est ce qui donne une odeur au cannabis, car les cannabinoïdes n’ont pas vraiment d’odeur.

De nos jours, les souches commerciales se différencient par les pourcentages de THC et de CBD, mais ce sont souvent les terpènes qui qualifient une souche de différente et lui donnent une certaine image. Le rôle des terpènes sur le plan médicinal est actuellement, je dirais, un domaine de recherche passionnant qui offre un potentiel d’applications médicinales. Ce n’est pas mon domaine de spécialisation.

Pour le moment, au Canada, à ce que je sache, il est interdit de combiner des cannabinoïdes et d’autres ingrédients médicinaux, mais un jour, il se pourrait — il faudra que la recherche en fasse la preuve — que cela ouvre une nouvelle voie intéressante pour les applications.

En revanche, je me rappelle avoir lu dernièrement un avis au sujet des terpènes qui peuvent aussi avoir des effets nocifs. Il faut faire attention et savoir que les terpènes, ces composantes essentiellement odorantes et goûteuses qui différencient les souches, ce sont vraiment la seule base des plus d’un millier de souches commercialisées d’une façon ou d’une autre partout au monde; en réalité, ce sont les terpènes qui sont les ingrédients essentiels. Il faut attendre les résultats de la recherche pour déterminer s’ils sont nocifs ou bénéfiques, ou nocifs dans certaines circonstances et bénéfiques dans d’autres, mais c’est un domaine intéressant.

La sénatrice Omidvar : Merci à tous d’être ici. Mes deux premières questions s’adressent au représentant de l’Association canadienne de l’immeuble. S’il me reste du temps, j’aimerais passer aux représentants des forces policières.

Merci, monsieur Bourque. Vous dites, dans votre mémoire, que vous parlez au nom des acheteurs, des propriétaires, de leurs locataires et de leurs clients. En un sens, vous parlez au nom de tous les Canadiens, parce que nous sommes tous soit des acheteurs, soit des propriétaires soit des locataires.

Vous avez parlé à plusieurs reprises de la mythologie entourant le cannabis. J’aimerais vous présenter des preuves. Le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis a reçu 30 000 mémoires; 92 p. 100 des Canadiens se sont prononcés en faveur de la culture personnelle. Tout récemment, l’Enquête nationale sur le cannabis a révélé que seulement 9 p. 100 des Canadiens cultivent le cannabis ou demandent à quelqu’un de le cultiver pour eux, et ce, à des fins tant récréatives que médicinales.

Je pense que nous avons entendu la discussion sur la différence entre quatre plants et une installation de culture de cannabis. Quatre plants ne font pas une installation de culture. Je pense que nous pouvons tous nous entendre là-dessus. Il ne s’agit pas d’un scénario tiré de la série Breaking Bad.

J’aimerais que vous envisagiez encore une fois vos commentaires en tenant compte de la limite de quatre plants cultivés à domicile.

M. Bourque : Merci. Je pense que les quatre plants en soi font partie de la mythologie. C’est qu’il n’y a pas de limite à la taille du plant pas plus qu’au nombre de fois qu’on peut le faire pousser rapidement. Si j’ai de vils desseins en tête, j’aurai alors recours à l’éclairage, aux engrais et à la technologie disponibles pour cultiver ces plants le plus rapidement possible afin de pouvoir recommencer et recommencer, et ce sera légal. À l’heure actuelle, l’endroit de la culture et le genre de ventilation ne sont pas réglementés.

Prenons la version courante du règlement de Santé Canada sur la culture de cannabis à des fins médicinales; nous en avons des copies que nous pouvons distribuer dans les deux langues, monsieur le président. Voilà la réglementation. Voilà ce à quoi vous devez vous conformer pour cultiver du cannabis à des fins médicinales.

Pour résumer, je comprends tout à fait les droits des personnes qui veulent cultiver leurs plants, mais nous lançons quelque chose sans que ce soit réglementé d’une façon ou d’une autre. Ce que nous laissons entendre, c’est que la réglementation permettrait de séparer le mythe des quatre plants d’un concept qui serait sans danger et anodin.

La sénatrice Omidvar : Merci. Vous nous avez transmis de l’information très utile. Vous êtes donc d’accord pour élaborer des règlements nationaux ou provinciaux à ce sujet pour…

M. Bourque : Dans mes observations, j’ai présenté un amendement précis que les sénateurs peuvent envisager et qui exigerait essentiellement la prise de règlements provinciaux avant l’entrée en vigueur de cette partie de la loi. Une fois ces règlements instaurés, je pense que nous pourrons le faire de façon plus sécuritaire.

Pour en revenir aux forces policières, l’une des leçons qu’ils ont tirées de l’étude de la situation au Colorado, c’est qu’il faut procéder lentement. Par exemple, il y avait au départ un plus grand nombre de plants, puis il y en a eu moins. Alors, pourquoi faire tout cela et répéter les mêmes erreurs? Instaurons d’abord un règlement, puis procédons en conséquence. Nous allons déjà légaliser le cannabis et ainsi le rendre disponible partout au Canada, et il s’agit d’une expérience à très grande échelle.

Du côté positif, la légalisation offre la possibilité d’éliminer le crime organisé et de promouvoir l’éducation et la recherche médicale, mais elle peut aussi faciliter l’expansion du marché gris et de l’accès au cannabis pour les enfants, détruire les propriétés et avoir des effets négatifs sur la santé de populations vulnérables. Je pense que nous pourrions atténuer ces effets si nous réglementions avant de permettre la culture à domicile.

M. Serr : Nous voulons réitérer ce que dit M. Bourque. Au fil des ans, nous avons constaté que les gens produisent sans cesse de trop grandes quantités de cannabis à des fins médicinales. Encore une fois, l’Association canadienne des chefs de police ne dit pas jamais. Nous disons qu’il faut autoriser la réglementation et la légalisation et nous permettre de mieux comprendre les répercussions sur la sécurité publique afin de pouvoir ensuite adopter une approche fondée sur des données probantes pour l’avenir.

Je le répète, à mon avis, quatre plants, c’est très subjectif. Il y a de très grands plants qui sont cultivés et qui produisent habituellement une plus grande quantité que ce que le grand utilisateur moyen consommerait régulièrement. Il y aura surproduction, c’est un fait indéniable, et je pense que ce que nous ferons de cette surproduction est crucial. En notre qualité d’organisme d’application de la loi, nous voulons nous assurer d’éviter cette surproduction.

La sénatrice Bernard : Il y a une question que je veux poser aux policiers, et c’est une question à laquelle je réfléchis depuis un certain temps. Nous avons entendu beaucoup de témoins qui ont comparu devant nous utiliser l’expression « marché noir », et je crois que ce terme envoie un message subliminal qui pourrait contribuer à l’adoption d’un parti pris inconscient en matière de criminalisation du cannabis.

J’aimerais que vous nous disiez ce que vous entendez par « marché noir ».

M. Spearn : Lorsque nous parlons du marché noir, nous parlons du cannabis qui est produit sans être encadré par un régime légal. Il est vendu illégalement. Plus précisément, à l’heure actuelle, si vous voulez acheter votre cannabis à des fins médicinales, il y a une façon de le faire. À Vancouver, il y a plus de 100 magasins actuellement en activité qui sont approvisionnés par le marché noir — par la surproduction du régime de cannabis médicinal — parce que ces magasins ne se procurent pas leurs produits auprès de producteurs détenant un permis de Santé Canada.

Donc, lorsque nous parlons du marché noir, nous parlons des producteurs qui produisent du cannabis sans être assujettis à un régime légal quelconque.

M. Serr : D’après ce que nous avons pu constater dans l’État de Washington et au Colorado, environ 30 p. 100 des produits qui y sont achetés proviennent du marché noir. C’est certainement une priorité pour l’Association canadienne des chefs de police, et l’un des fondements de ce projet de loi est de perturber et, espérons-le, de réduire l’offre sur le marché noir. C’est une priorité pour nous. Notre habileté à limiter la culture autre que celle des producteurs ayant un permis nous aidera nul doute à gérer le marché noir.

La sénatrice Bernard : Devrions-nous utiliser l’expression « marché noir » au lieu de « marché illégal » ou « marché illicite »? Y a-t-il un préjugé inconscient qui s’insinue dans l’utilisation du terme « noir » — et je mets cela entre guillemets?

M. Serr : Vous avez raison, sénatrice, c’est un marché illégal. Quiconque s’approvisionne ailleurs qu’auprès d’un fournisseur encadré par un régime légal achète du cannabis illégal. Je sais que la terminologie varie. Dans les services de police, nous avons généralement utilisé l’expression « marché noir » et, dans certains cas, « marché gris » selon l’endroit où il est acheté, mais pour quiconque s’approvisionne à l’extérieur de ce régime, c’est un marché illégal.

La sénatrice Bernard : Je ne pense pas m’être fait comprendre.

Le président : Je pense que c’était la dernière partie, peut-être.

La sénatrice Bernard : Il n’y a pas que la police, bien sûr, qui utilise cette expression. D’autres personnes l’ont utilisée ici même aujourd’hui. Elle est sans cesse utilisée.

Pour votre information, je pense que nous devrions vraiment nous pencher sur l’utilisation de cette expression et sur la manière dont elle peut alimenter la criminalisation des groupes du marché noir et qu’elle l’a peut-être déjà fait.

La sénatrice Lankin : Ma première question s’adresse à M. Bourque. Permettez-moi de dire que je comprends l’inquiétude d’une personne qui possède une maison, un condo ou un appartement et qui le loue. C’est votre propriété et vous devriez avoir votre mot à dire sur ce qui s’y passe et sur ce qui pourrait être dommageable, bien que je sois tout à fait d’accord avec les commentaires formulés, à savoir qu’il y a beaucoup d’autres choses dont on peut abuser dans une maison provoquant une situation semblable.

Une des choses que nous savons, c’est que chaque fois qu’il y a une loi, il y a des gens qui vont l’enfreindre. Je ne pense pas que nous légiférons pour les cas extrêmes; nous légiférons pour le commun des mortels.

Cela étant dit, je suis très sensible à la situation des locataires et à celle des propriétaires. Nous devrions peut-être examiner les règlements pour déterminer ce qui est inclus et ce que vous devez divulguer. Si vous avez un accident de voiture et que vous vendez votre voiture, vous devez le signaler; si vous avez de l’amiante dans la maison, vous devez aussi le signaler. Nous pourrions peut-être nous pencher sur une formule quelconque.

De même, je loue un condo à Ottawa. Dans le contrat que j’ai signé, il est stipulé qu’il est strictement interdit de fumer dans l’immeuble ou sur le balcon. D’autres personnes que je connais vivent dans des endroits où il est interdit d’avoir un chat ou un chien.

Est-ce une question de réglementation qui prévoit cela, ou est-ce une question de contrat entre le propriétaire ou le propriétaire du logement et le locataire?

M. Bourque : Eh bien, une chose est certaine, c’est qu’à l’avenir, il y aura dans toute entente de vente une clause du genre parce que l’acheteur, qui sera protégé par un agent immobilier, aura droit à une clause stipulant que le vendeur atteste que la maison en question n’a pas été utilisée comme installation de culture du cannabis.

L’un des problèmes que pourrait poser une limite légale aussi élevée — quatre plants cultivés plusieurs fois par année —, c’est qu’il pourrait y avoir des dommages de toute façon, mais qu’est-ce que la personne est tenue de divulguer si ce n’est pas vraiment une culture illégale ou même une installation de culture de cannabis? Nous entrons donc dans une zone grise.

La sénatrice Lankin : Puis-je vous demander d’y réfléchir un peu? Il est légal pour moi d’avoir un chien, à moins que, dans ma province, ce soit un pit-bull. Nous n’intervenons pas pour tout réglementer, mais nous créons des conditions et les contrats sont l’une des façons dont nous réglementons nos relations les uns avec les autres.

Je suis vraiment empathique. Votre amendement est une idée intéressante et je vais y réfléchir, mais je me demande si c’est nécessaire parce que tout ce qui dépasse quatre plants est illégal et qu’il y a 40 000 installations de culture du cannabis en Colombie-Britannique, qui ne se limitent pas à quatre plants. Il y a beaucoup de choses illégales qui se passent actuellement; il devrait y avoir des moyens de protéger les propriétaires de maison ou les propriétaires de logements qui louent ou les acheteurs qui achètent une maison contre ce qui se passe entre les quatre murs.

Cela ne peut-il pas se faire par la divulgation et par des dispositions contractuelles dans les contrats de location ou les baux? Le gouvernement doit-il intervenir?

M. Bourque : On peut espérer que cela puisse se faire par contrat, mais le scénario que je décrivais en était un où le propriétaire de la maison cultivait légalement quatre plants. À l’heure actuelle, il n’y a pas de réglementation, alors tout ce que nous savons, c’est qu’il y a quatre plants. Rien ne limite la taille des plants et le nombre de fois où on peut cultiver, récolter et recommencer à cultiver.

Donc, si vous cultivez le plus possible et que vous le faites de la mauvaise façon dans un petit espace mal ventilé, alors vous ne faites rien d’illégal, mais vous pourriez endommager la maison. Vous pourriez donc signer un contrat pour attester ne pas avoir exploité une installation de culture de cannabis, mais vous pourriez quand même avoir endommagé la maison. Vous transférez alors le fardeau de la preuve à l’inspecteur en bâtiment qui, lui, a reçu la formation nécessaire.

Or, nous introduisons un risque, et j’ajouterais en même temps que le gouvernement semble très préoccupé par le montant de la dette que les gens contractent pour acheter leur maison. Pourtant, nous présentons quelque chose qui pourrait endommager une maison.

Tout nouveau règlement fait en sorte qu’il est plus difficile pour les acheteurs d’une première maison d’accéder au marché, mais nous introduisons tout de même une activité non réglementée qui pourrait éventuellement endommager la maison.

Maintenant, en ce qui concerne le locataire, je pense, encore une fois, que même avec un contrat, cela ouvre la porte à des contestations judiciaires si vous êtes propriétaire et que le locataire soutient faire quelque chose de légal et se demande pourquoi il ne pourrait pas le faire.

La sénatrice Lankin : Avoir un chien?

M. Bourque : Avoir un chien est peut-être un peu moins dangereux, mais c’est la même chose.

La sénatrice Lankin : Avant d’interdire les pit-bulls, il semble que ça l’était.

Le sénateur Gold : Bienvenue. Je m’excuse de mon retard; alors si la question a été posée, je ne m’offusquerai pas si vous me dites qu’elle a déjà été posée et qu’on lui a répondu.

Tout d’abord, en ce qui concerne les problèmes de santé liés à la culture à domicile, j’aimerais poser une question à M. Page ou à M. Small.

Si un enfant mange les bourgeons ou les fleurs d’un plant cultivé à domicile, y a-t-il un risque pour sa santé? S’il mange des parties du plan brut, pourrait-il faire une surdose ou se blesser?

M. Page : J’en ai parlé dans mes remarques liminaires, mais je peux tout reprendre. C’est une question de chimie à savoir si le plant produit un précurseur inactif de THC. Il produit de l’acide de THC qui ne lie pas les récepteurs cannabinoïdes et ne peut même pas vous faire planer ou vous intoxiquer. Il faut fumer ce plant, le cuire ou le chauffer pour convertir l’acide de THC en THC.

Un enfant qui grignoterait une fleur de cannabis ne serait pas intoxiqué par cette ingestion. Aussi, comme je l’ai déjà dit, ces fleurs ont un goût très désagréable et ce type d’incident ne semble pas très probable.

Le sénateur Gold : Je pourrais poser une question d’ordre général au sujet de la culture à domicile. Le Canada est un grand pays où la population est dispersée. Dans le Nord, tout est très cher. Lors de son témoignage devant le comité des peuples autochtones, le sénateur Patterson a dit qu’il voyait des gens du Nunavut payer plus de 50 $, parfois même 100 $ le gramme, alors que dans les rues d’Ottawa, ou encore là où le cannabis est légal, on s’attend à payer 10 $ ou moins le gramme.

Selon vous, la culture à domicile peut-elle être une solution pour les gens vivant dans des régions rurales et éloignées qui désirent avoir accès à du cannabis réglementé et abordable?

M. Page : Oui, je pense que c’est une solution intéressante. Un peu plus tôt, on a soulevé la question en demandant quel genre de solution représentait la culture à domicile. Si le cannabis est largement disponible dans les magasins de vente au détail, il n’y a pas de problème. Toutefois, ce n’est pas le cas dans les régions rurales ou dans les collectivités du Nord. Là-bas, faire pousser quatre plants à domicile, dans une petite installation de culture bien conçue, pourrait en effet permettre de remédier au problème des coûts élevés et du manque de distribution.

M. Bourque : Je dirai rapidement que, selon moi, cela ajoute du poids à l’argument selon lequel il faudrait une réglementation avant la légalisation, parce qu’il pourrait y avoir des cas où l’on voudrait privilégier certaines personnes en raison des difficultés d’accès. Je comprends qu’il est plus coûteux d’expédier des marchandises dans le Nord, mais il n’est pas moins vrai que les gouvernements vont approvisionner ces marchés par l’entremise de Postes Canada ou autrement. Il existe peut-être des méthodes plus abordables. En tout cas, voilà qui montre bien la nécessité de la réglementation.

Le président : Monsieur Small?

M. Small : Monsieur Page a une observation à faire auparavant.

M. Page : Je voulais simplement dire qu’il ne s’agit pas d’une absence de règles ou d’un vide réglementaire en matière de culture à domicile. La loi fédérale permettra de cultiver quatre plants, mais les provinces sont déjà en train d’adopter leurs propres lois. Le Québec a décidé qu’aucune culture à domicile ne serait permise. L’Alberta a décidé que la culture se ferait uniquement à l’intérieur du domicile et non pas à l’extérieur. Pas plus tard que la semaine dernière, la Colombie-Britannique a présenté un projet de loi qui, bien qu’il n’ait pas encore été adopté, prévoit des amendes importantes pour les plants poussant dans les arrière-cours lorsque ces plants sont visibles de la rue ou des lieux publics. On ne parle donc pas d’une situation où tout serait permis.

M. Small : Dans certaines collectivités du Nord, le fait que les jours d’été sont très longs pourrait constituer un avantage pour la culture de certaines variétés. En revanche, le reste de l’année, les coûts de chauffage sont sans doute prohibitifs.

Le président : Merci beaucoup. Passons maintenant au deuxième tour. Nous avons 25 minutes pour huit personnes. À cinq minutes par personne, nous n’y arriverons pas. Je peux donc soit donner cinq minutes à chacun et voir où cela nous mène, soit donner trois ou quatre minutes à chacun.

Vous préférez des tours de parole plus brefs pour tenter de donner la parole à tout le monde? Essayons cela.

La sénatrice Seidman : Je vais tenter d’être brève. Ma question porte sur la possession personnelle; je l’adresserai au chef adjoint Serr. En fait, je crois que le chef adjoint Serr et l’inspecteur Spearn en ont tous deux parlé. Il n’y a pas de limite à la possession personnelle à domicile.

J’aimerais que vous nous en parliez et que vous nous donniez une idée des conséquences que cela peut avoir en matière d’application de la loi. Aussi, si une limite était imposée, quel devrait être le maximum et pourquoi?

M. Serr : Merci, madame la sénatrice. Je suis très heureux que vous ayez soulevé cette question, parce qu’elle est très importante pour nous.

À l’heure actuelle, une personne pourrait avoir 10, 15 ou 20 kilogrammes de cannabis chez elle. Si nous ne sommes pas en mesure de démontrer, preuves à l’appui, que le cannabis était destiné à la vente, nous nous retrouvons dans une situation difficile, parce que la personne est autorisée à avoir autant de cannabis qu’elle le souhaite chez elle.

Nous constatons que les logements privés sont souvent utilisés pour acheminer du cannabis illicite vers d’autres endroits. C’est donc une préoccupation pour nous.

Il y a aussi la question de savoir ce qu’est un logement. Voici un autre exemple : une personne roule en autocaravane à travers le pays, transportant avec elle une très grande quantité de cannabis. Que fait-on d’une telle situation? Ce pourrait être à des fins illicites; or, ce serait à nous de le prouver.

Au sujet de la quantité recommandée, advenant le cas que la culture de quatre plants serait toujours autorisée — ce à quoi nous nous opposons —, nous nous fondons là-dessus, entre autres, pour établir que ces plants pourraient produire 48 onces par an. Ce serait là le point de référence à partir duquel on déterminerait ce qui devrait éventuellement être permis.

Nous sommes conscients du fait que, comme dans le cas de l’alcool, les gens auront plus de cannabis que ce dont ils ont besoin. Comme je l’ai mentionné, un gros consommateur consomme habituellement 11 grammes par semaine environ. Au maximum, disons, en exagérant un peu, qu’il consommera 50 grammes par mois. Pour quatre adultes, 200 grammes de cannabis dans un domicile, c’est une très grande quantité, surtout si l’on tient compte du fait que le cannabis, s’il n’est pas entreposé correctement, a une durée de conservation limitée.

Pour que nous appliquions la loi, il est très important pour nous qu’il y ait des limites à la quantité qu’une personne peut posséder dans une résidence privée.

Inspecteur Spearn?

M. Spearn : Je vais simplement répéter ce qui a déjà été dit. Plutôt que d’autoriser les gens à posséder une quantité illimitée de cannabis, je crois que nous souhaiterions que soit autorisée une quantité raisonnable qu’une personne pourrait posséder chez elle. Voilà qui réglerait beaucoup de problèmes pour nous, puisque nous pourrions ainsi déterminer beaucoup plus facilement ce qui est illicite et ce qui ne l’est pas.

M. Serr : J’ajouterai très rapidement que la question du détournement est l’une de nos priorités. Nous voulons éviter que le produit soit détourné. Comme nous l’avons dit, les produits issus de moyens de production de ce genre sont souvent détournés vers les jeunes. Nous avons donc besoin de plus d’outils pour régler ce problème.

La sénatrice Petitclerc : J’ai une brève question pour M. Page. J’ai trouvé intéressante votre description du risque, ou plutôt de l’absence de risque d’ingestion par les enfants, ainsi que la comparaison que vous avez établie avec d’autres éléments domestiques qui présentent davantage de risques.

J’aimerais que vous me disiez si vous estimez que le projet de loi C-45, dans l’état actuel, est suffisamment efficace en matière de sécurité, de production à domicile et de sécurité pour les enfants, ou si vous croyez plutôt qu’il faudrait renforcer la dimension sécuritaire.

M. Page : Je pense que cela est suffisant. Toutefois, comme dans le cas des programmes d’éducation de Santé Canada au sujet des capsules de Tide, de ces choses que les très jeunes enfants mâchent et dont les adolescents parlent sur YouTube, je crois que c’est suffisant à condition que ce soit accompagné d’un discours éducatif qui dit ceci : « Assurez-vous, surtout dans le cas du cannabis séché acheté dans un magasin et non pas cultivé, de ranger le produit de façon appropriée », comme on le ferait avec de l’alcool ou des médicaments d’ordonnance.

La sénatrice Petitclerc : Monsieur Bourque?

M. Bourque : Dans mon exposé, j’ai parlé de l’impact sur les enfants. Je veux simplement préciser que je ne parlais pas du tout des petits enfants qui mangent des plantes. Je parlais de la fumée et des contaminants de l’air provenant des champignons et des moisissures qui pourraient apparaître, surtout dans le cas des bâtiments équipés d’un système de ventilation commun.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

Le sénateur Munson : J’ai deux petites questions. La première s’adresse à monsieur Bourque, de l’Association canadienne de l’immeuble. Aux fins du compte rendu, pouvez-vous nous dire avec quels autres groupes vous interagissez et ce qu’ils en pensent? Vous avez fait allusion à certains noms, mais aux fins du compte rendu, nous devons avoir cette information.

Je poserai tout de suite ma seconde question pour que les policiers aient le temps d’y réfléchir. Lorsque vous vous opposez vigoureusement à certains aspects du projet de loi ayant trait à la production à domicile et à la possession à domicile, vous dites que, compte tenu des enjeux, vous recommandez l’imposition d’une limite à la possession à l’intérieur du domicile. Comment peut-on surveiller cela?

M. Bourque : Je déposerai cette liste avec plaisir. Parmi les groupes qui sont près de nous, il y a l’Association canadienne des inspecteurs de biens immobiliers, la Fédération canadienne des associations de propriétaires immobiliers et l’Institut canadien des évaluateurs. Nous avons parlé à tous les gens du secteur de l’immobilier et ils ont tous des inquiétudes, bien que cela varie. L’Association médicale canadienne, la Société canadienne de pédiatrie. Madame la sénatrice Lankin, je suis heureux d’annoncer que l’Association canadienne des médecins vétérinaires a aussi des préoccupations au sujet des animaux.

M. Serr : Il y a deux ou trois façons par lesquelles nous serions mis au courant de ce qui se passe. La première situation serait celle où nous serions dépêchés sur les lieux d’un domicile pour une autre raison et nous serions alors à même de constater la présence d’une grande quantité de cannabis qui dépasse la limite permise. Une autre situation possible serait celle où nous obtiendrions des renseignements indiquant que quelqu’un entrepose de grandes quantités de cannabis dans une habitation privée, auquel cas nous envisagerions l’ouverture d’une enquête.

Il y a tout lieu de penser que ce serait là les deux façons les plus courantes par lesquelles le fait qu’une personne possède plus de cannabis que la limite permise serait porté à notre attention.

Le sénateur Munson : Quelle serait la limite? Vous recommandez qu’on limite la possession. Quelle est cette limite? Avez-vous un chiffre?

M. Serr : Nous n’avons pas voulu fournir un chiffre parce qu’il y a beaucoup de variables. Comme nous l’avons dit, si la culture à l’intérieur est permise, normalement, cela représenterait environ 12 onces tous les trois mois. Le Sénat pourrait envisager de se fonder là-dessus.

Si les plants ne sont pas permis, comme je l’ai dit, un grand consommateur de cannabis consommerait environ 11 grammes par semaine. En faisant une moyenne, allons jusqu’à 50 grammes pour un adulte par mois. Nous pouvons nous fonder sur ces chiffres-là dans le cas d’un domicile qui compte trois ou quatre adultes. Nous comprenons bien qu’il doive y avoir une certaine marge de manœuvre. Nous savons qu’il peut y avoir une fête, par exemple. Nous ne voulons pas surveiller les gens qui posséderaient de petites quantités dépassant la limite permise. Il s’agit plutôt de cerner la quantité raisonnable qui ne correspondrait pas à une activité de détournement du produit vers le marché illicite.

Le sénateur Munson : Merci.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse aux représentants de l’Association canadienne des chefs de police. Vous avez dit que certains utilisateurs de cannabis à des fins médicales avaient tendance à en surproduire. Cependant, s’il n’y a pas de plaignant, il n’y a pas de plainte. Comment savez-vous que vous devez enquêter dans tel ou tel domicile pour dépister les cas d’infraction?

[Traduction]

M. Spearn : Souvent, lorsque nous nous rendons chez quelqu’un et que nous découvrons que de la marijuana y est produite, nous devons d’abord déterminer s’il s’agit d’une production pour usage médicinal. Normalement, c’est ainsi que nous découvrons de telles situations. Nous arrivons à une résidence, nous découvrons une installation de culture de cannabis, puis nous appelons Santé Canada, qui nous indique immédiatement s’il s’agit d’une culture légale de marijuana à des fins médicinales.

[Français]

La sénatrice Mégie : Mais comment savez-vous où aller au départ? Vous dites que vous entrez au domicile, vous voyez qu’il y a quatre plants et vous contactez Santé Canada. Cependant, comment savez-vous à quel domicile vous devez aller? Qui vous l’indique?

[Traduction]

M. Serr : Comme je l’ai dit, les installations de culture illégale peuvent être portées à notre connaissance de différentes façons. Il peut s’agir des plaintes des voisins, puis des enquêtes que mènent les policiers, lesquels peuvent constater, preuves à l’appui, qu’il y a surproduction.

De plus, très souvent, nous obtenons les renseignements de personnes qui ont constaté une surproduction. Il peut aussi arriver que nous identifiions une personne en possession de cannabis illicite sur la route et que nous déterminions, au moyen d’une enquête, la provenance de la substance.

Il y a donc différentes situations qui peuvent attirer notre attention. Comme je l’ai déjà dit, la capacité de nos organismes d’application de la loi, qui doivent s’attaquer de manière ferme et proactive à la surproduction, est limitée. Comme vous le savez, nous luttons contre la crise des opioïdes. Nous essayons de nous préparer à la légalisation du cannabis, et c’est là que réside l’un de nos défis : dans quelle mesure accorderons-nous la priorité à la production illicite ou à la surproduction? C’est la raison pour laquelle nous demandons une approche plus progressive afin de nous permettre de mieux aborder les aspects préliminaires de la légalisation, pour pouvoir prendre ensuite une décision éclairée.

La sénatrice Poirier : J’ai deux questions qui s’adressent aux témoins de l’Association canadienne des chefs de police ou au Service de police de Vancouver. Les témoins des deux organismes peuvent répondre.

Au cours des dernières semaines, différents groupes, y compris, il faut le souligner, l’Association canadienne des municipalités, nous ont parlé des petites collectivités. Ils s’interrogent sur les coûts supplémentaires que devront assumer les pompiers s’ils reçoivent davantage d’appels de service, puisque chaque intervention suppose de nombreux coûts. Les pompiers sont des bénévoles. Certains groupes s’inquiètent aussi du coût supplémentaire qui devra être défrayé pour les services de police de leur municipalité ou de leur région en raison de l’augmentation possible de la charge de travail des policiers.

Certaines des inquiétudes qui sont exprimées en ce moment sont certainement fondées. Sommes-nous prêts? Avons-nous les effectifs nécessaires pour surveiller la conduite sous l’influence du cannabis? Il y a aussi la question, déjà abordée, du cannabis domestique se retrouvant sur le marché illégal, et d’autres questions encore.

Mis à part la culture à domicile, le marché illégal et la conduite avec facultés affaiblies, je me pose donc des questions au sujet de l’augmentation de la charge de travail pour la police. Les policiers ont-ils des préoccupations en matière d’augmentation de la charge de travail et de hausse des coûts, si un surcroît d’effectifs se révélait nécessaire, préoccupations que nous pourrions ajouter à notre réflexion?

Par ailleurs, vous avez utilisé il y a quelques minutes, en réponse à l’un de mes collègues, l’expression « durée de conservation ». Je connais bien peu la marijuana, du moins le fait de la fumer — je n’en ai jamais fumé. Aussi, lorsque vous parlez de durée de conservation, à quoi faites-vous référence exactement? Y a-t-il une date d’expiration? Y a-t-il un risque pour la santé après la date d’expiration, ou est-ce simplement que le cannabis n’est plus fumable? Pouvez-vous nous parler un peu de la durée de conservation et de ce que vous entendez par là?

M. Serr : Je répondrai d’abord à votre première question. Selon certaines estimations, on a constaté une augmentation d’environ 2 p. 100 des services de police à l’approche de la légalisation du cannabis. Vous avez cerné certains des facteurs clés pour nous. La culture à domicile, la surproduction et, bien sûr, la conduite avec facultés affaiblies par la drogue sont des enjeux importants. L’expérience du Colorado et de l’État de Washington nous ont aussi appris qu’il y a, en pareil cas, une augmentation importante du nombre de plaintes pour nuisance, par exemple, une personne qui appelle au sujet de son voisin qui fume continuellement dans sa cour ou de personnes qui fument dans un espace où l’on croit que c’est interdit, c’est-à-dire à proximité des enfants et des terrains d’école. Nous avons constaté que les services de police d’autres pays ont connu une forte augmentation du nombre d’appels de service pour ce type de nuisance, sans compter les appels pour des infractions plus importantes.

Pour nous, à l’Association canadienne des chefs de police, la conduite avec facultés affaiblies par la drogue est une priorité majeure parce qu’elle met en danger la sécurité publique. Parmi nos autres priorités, mentionnons la lutte contre le « marché illégal » — j’emploierai ce terme — et l’accès des jeunes au cannabis. Ce sont là nos priorités pour l’avenir.

Pour ce qui est de votre question portant sur la durée de conservation, je répète qu’il y a beaucoup de variables. Il s’agit d’un produit végétal biodégradable. Les gens qui l’entreposent au frais, de manière à en préserver l’humidité, peuvent en prolonger la durée de conservation. Toutefois, une personne qui laisserait la plante ou le produit sécher dans sa cuisine le verrait se dégrader rapidement. Tout dépend de la chaleur et de la manière dont le produit est conservé.

La sénatrice Bernard : Ma question s’adresse à M. Bourque. Dans l’une de vos remarques, vous avez parlé des personnes marginalisées qui sont touchées par la culture à domicile. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Suggérez-vous que la culture à domicile donnerait accès à de la marijuana à des gens qui n’y auraient pas accès autrement? J’aimerais obtenir des précisions à ce sujet.

M. Bourque : D’une part, j’ai parlé des populations vulnérables qui seraient exposées à la fumée et à des problèmes de santé provenant des champignons et des moisissures dans des immeubles partagés, comme dans le cas d’un bâtiment doté d’un système de ventilation commun.

D’autre part, on s’attendrait à une augmentation des coûts liés à l’assainissement pour les propriétaires. Ces coûts devraient être repassés aux locataires. Comme il y a davantage de locataires que de propriétaires parmi les Canadiens à faible revenu, cette tranche de la population serait touchée de façon disproportionnée.

La sénatrice Bernard : Qu’en serait-il des gens vivant dans des logements sociaux? Y a-t-il eu des discussions à ce sujet?

M. Bourque : C’est une très bonne question. Si vous consultez la stratégie du gouvernement en matière de logement, vous verrez qu’il s’agit d’une stratégie en matière de logement social. On y précise, de façon très détaillée, le travail qui doit être fait pour mettre à niveau le logement social au pays. On a prévu 4 milliards de dollars pour cela. Au gouvernement, on reconnaît que ce montant ne sera pas suffisant pour régler le problème; ce ne sera qu’un début, pour commencer à répondre aux besoins importants des Canadiens en matière de logement. Ainsi, il ne fait aucun doute que cela n’améliorera pas la situation.

La sénatrice Lankin : Ma question s’adresse à l’inspecteur Spearn. Inspecteur, j’ai trois minutes et trois questions. Je vais les formuler toutes les trois, en tentant de vous laisser du temps pour y répondre.

Ma première question fait suite à ce que vous avez dit au sujet de l’augmentation du nombre d’activités d’extraction de l’huile de cannabis. Ces activités sont très dangereuses, j’en conviens. Étant donné la taille actuelle du marché illicite, pourquoi note-t-on une augmentation en ce moment? Aussi, si les gens achètent le produit légalement, ne sont-ils pas à même d’utiliser le cannabis séché ou les bourgeons pour les transformer en huile? Est-ce que cela ne risque pas d’arriver de toute façon? Je ne comprends pas le lien entre l’huile et la culture à domicile en particulier.

Ensuite, il y a la question de l’âge du fournisseur. Quiconque fournit de la marijuana à un adolescent qui n’a pas le droit de l’avoir commet une infraction; mais en deçà d’une certaine quantité, il fait l’objet d’une simple contravention plutôt que d’une accusation criminelle, comme, par exemple, le frère aîné qui achète une petite caisse de bière à un mineur. Dans ce cas-ci, la peine pourrait aller jusqu’à 14 ans. Dans ce genre de situation familiale ou de proximité, est-ce raisonnable, ou devrions-nous envisager une disposition pour que ce soit également punissable par une simple contravention?

Le président : Laissez au témoin le temps de répondre.

La sénatrice Lankin : Je sais. Je m’arrête là. Merci.

M. Spearn : Parlons donc d’abord de l’extraction de l’huile. On n’est pas censé utiliser des solvants pour extraire de l’huile de ces plantes à l’heure actuelle. En l’absence de limites raisonnables de possession à la maison, il y a beaucoup d’argent à faire pour la personne qui vend de ces huiles sur le marché illicite. Nous le voyons déjà à Vancouver. Il y a à peine une semaine, nous sommes tombés sur une personne qui produisait de grandes quantités d’huile avec beaucoup de solvants dans un appartement. Oui, cela peut s’obtenir de toute façon avec les 30 grammes, mais ce ne serait rien de comparable aux kilos de marijuana dont la possession serait autorisée chez soi.

Quant au frère aîné qui serait passible d’une peine sévère pour avoir procuré de la marijuana à son jeune frère, la question est difficile.

M. Serr : Nos tribunaux prendraient une approche équilibrée pour peser toutes les circonstances et rendraient une décision éclairée sur la façon de gérer cela. Il est très important de souligner dès le départ à quel point il importe que le cannabis ne soit pas détourné vers les jeunes. Nous avons demandé des emballages et des étiquettes qui indiqueraient les peines pour détournement de cannabis vers les jeunes et, comme je l’ai dit tantôt, nous savons qu’environ 65 p. 100 des jeunes ont accès au cannabis par l’entremise d’un ami ou d’un proche. Nous devons donc veiller à ce que cela ne devienne pas monnaie courante, et nous aimerions envoyer ce message le plus possible.

Le président : J’aimerais poser une question à ce sujet à la fin.

J’aimerais avoir une idée de l’ampleur des abus et de l’utilisation abusive auxquels pourrait donner lieu cette proposition des quatre plantes. Je peux imaginer que dans les années 1920 et 1930, lorsqu’on parlait d’abolir la prohibition de l’alcool, si quelqu’un avait proposé de permettre de produire de l’alcool à domicile, d’avoir des alambics et de produire du vin, nous aurions probablement entendu bien de choses semblables à ce que nous entendons aujourd’hui.

Toutefois, à ce que je sache, cela n’a pas provoqué de catastrophe. Oui, il y a peut-être eu des problèmes au début, mais je n’entends pas beaucoup de monde dire aujourd’hui que c’est un gros problème pour les enfants à la maison ou pour les autres locataires ou les voisins immédiats. Je n’ai pas l’impression que permettre la production de vin et d’alcool chez soi est devenu un énorme problème.

Jusqu’à quel point est-ce répandu? Je n’ai pas le sentiment que ce soit généralisé. Je pense que la plupart des gens vont encore au magasin faire leur achat de la façon traditionnelle et légale, ou de la façon que nous en sommes venus à considérer comme traditionnelle. Dans quelle mesure le problème risque-t-il d’être généralisé si ces quatre plantes sont autorisées?

M. Serr : Pour avoir eu la malheureuse expérience de boire certains de ces vins maison, je peux dire que ce n’est pas un produit qui se vend facilement. Bien honnêtement, il n’y a pas de marché pour les vins ou la bière maison, mais le marché de la marijuana illicite se chiffre aux alentours de 7 milliards de dollars par an, et plus de 300 groupes du crime organisé y sont présents, si bien qu’il y a actuellement un énorme marché illicite du cannabis.

Ce que nous essayons de faire par ce projet de loi, c’est d’encadrer tout cela dans un régime réglementé. Nous sommes tout à fait d’accord, mais nous devons adopter cette approche lente pour essayer de détourner le crime organisé. Comme je l’ai dit, au Colorado et dans l’État de Washington, le crime organisé avait encore 30 p. 100 du marché.

Quarante-huit onces de cannabis cultivé à domicile, c’est une très grande quantité, qui dépasse la consommation annuelle d’une personne moyenne. Le produit qui reste pour le détournement est donc considérable.

Nous avons un vigoureux marché illégal, et nous tentons de changer la culture de l’achat du cannabis. Nous voulons amener les consommateurs dans la légalité, et c’est pourquoi nous préconisons d’interdire les cultures personnelles à ce stade-ci. Mais nous suggérons d’y revenir une fois que nous aurons bien compris ce que nous faisons et à quoi nous avons affaire, compte tenu des mécanismes juridiques mis en place.

Le président : Je suppose que celui qui boirait tout ce qui se trouve dans son armoire se mettrait aussi dans un état lamentable.

Monsieur Page, avez-vous quelque chose à ajouter? Dans quelle mesure cela sera-t-il généralisé? Ou est-ce que la plupart des gens feront encore leurs achats par les voies légales?

M. Page : Selon moi, ce sera relativement restreint, en ce sens que 75 p. 100 des Canadiens consomment souvent ou rarement de l’alcool — j’oublie la statistique exacte. Les consommateurs de cannabis sont beaucoup moins nombreux, à 20 ou 25 p. 100 peut-être; j’essayais tout simplement de vérifier sur mon téléphone.

Nous avons déjà entendu que la production de 16 kilos de tabac pour la consommation personnelle est permise. Pourtant je n’ai jamais vu personne cultiver du tabac à des fins personnelles. Je pense que nous verrons à peu près la même chose : la plupart des gens opteront, pour des raisons de qualité, de commodité et de prix de vente au détail, pour acheter leur cannabis par la poste ou au magasin, selon la province, et qu’une minorité portée sur l’horticulture le produira elle-même, comme l’a dit M. Small. Ce sera un passe-temps, mais à échelle réduite.

Le président : La séance s’achève. Je vous sais gré de toutes vos contributions. Nous avons eu deux heures de discussion animée, et nous avons réussi à faire en sorte que tout le monde puisse poser une question, sans compter que plusieurs ont eu droit à un deuxième tour. Merci beaucoup.

Mesdames et messieurs, nous discutons aujourd’hui de la culture à domicile. Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins de la journée. Nous avons une heure et demie à lui consacrer. Je suis heureux d’accueillir, tout d’abord, Solomon Friedman, avocat de la défense en droit criminel, Edelson & Friedman LLP, ainsi que Sean Robichaud, avocat de la défense en droit criminel, Robichaud’s Barristers & Sollicitors. Par vidéoconférence de l’Ouest, nous avons John Conroy, avocat, et Neil Boyd, professeur, Département de criminologie, Université Simon Fraser.

Bienvenue à vous quatre. Je vais suivre l’ordre dans lequel vous figurez sur ma liste et je vous demanderai de faire une déclaration liminaire d’au plus sept minutes, s’il vous plaît, en commençant par Solomon Friedman.

Solomon Friedman, avocat de la défense en droit criminel, Edelson & Friedman LLP, à titre personnel : Monsieur le président, mesdames les vice-présidentes, mesdames et messieurs les sénateurs, merci de m’avoir invité aujourd’hui.

Le projet de loi C-45 vise des objectifs importants en matière de santé publique et de justice pénale, soit mettre fin à la guerre inopportune contre le cannabis et ses effets secondaires et légaliser et réglementer l’accès au cannabis. Malheureusement, le projet de loi est loin d’atteindre cet objectif à certains égards importants.

On a beaucoup parlé devant votre comité et d’autres comités des déficiences du projet de loi C-45 et de la Loi sur le cannabis qu’il édicte. Pour ma part, j’aurais trois grandes préoccupations à soulever cet après-midi.

Premièrement, le projet de loi sera difficile à mettre en œuvre et à appliquer dans la pratique. Trop de choses sont laissées à la discrétion de la police. Outre les pouvoirs discrétionnaires, bon nombre des dispositions de la nouvelle Loi sur le cannabis prêtent à confusion et supposent que les policiers de première ligne possèdent des connaissances et une expertise qu’ils n’ont tout simplement pas.

Les exemples foisonnent dans le projet de loi. On s’attend que les agents de police fassent la différence entre les plantes qui sont en train de fleurir ou de bourgeonner et les autres plantes. Il semble impossible aujourd’hui que la police possède le niveau requis de connaissances horticoles pour appliquer la loi objectivement et équitablement.

De même, les agents de police doivent faire la distinction entre les quantités permises et les quantités prohibées de cannabis. Est-ce 30 grammes ou 31 grammes? Pour un jeune, est-ce 5 grammes ou 6 grammes? Et chose encore plus inquiétante, un agent doit déterminer si le cannabis en question est un cannabis légal ou illicite, et si la personne qui l’a en sa possession sait qu’il est illicite. Ces déterminations entraîneront sans aucun doute une foule de conséquences imprévues et injustes.

Imaginez que cela se passe lors d’un simple contrôle routier ou d’une interpellation informelle sur le trottoir. Doit-on s’attendre à être détenu le temps que l’agent détermine si une infraction a été commise ou pas? Si oui, pour combien de temps? Aura-t-on droit à un avocat, comme l’exige la Charte?

En outre, rappelons-nous que la loi autorise la délivrance de mandats de perquisition et, dans certaines circonstances, de perquisitions sans mandat en cas d’allégations d’infractions à la Loi sur le cannabis. Les tribunaux peuvent s’attendre à recevoir des requêtes de la part d’agents qui ne sont pas eux-mêmes certains que des infractions ont vraiment eu lieu.

Nous pouvons également prévoir des effets disproportionnés sur les communautés défavorisées et racialisées, vu que les perquisitions et les saisies de cannabis seront autorisées et effectuées là où il n’aurait pas autrement été délivré de mandat.

En second lieu, bien que le projet de loi permette que certaines infractions donnent lieu à une simple contravention plutôt qu’à des procédures officielles et permette que les dossiers judiciaires pour ces condamnations soient classés à part des autres dossiers judiciaires, cette option n’est offerte qu’aux personnes qui ont les moyens de payer leur amende dans le délai fixé.

La loi prévoit que cette procédure de suspension du dossier n’est possible que si l’accusé paie le montant qu’il est tenu de payer dans le délai fixé. Dans sa formulation actuelle, la loi ne prévoit pas de mécanisme qui permettrait à la personne incapable de s’acquitter de l’amende d’obtenir que son dossier de condamnation en vertu de la Loi sur le cannabis soit aussi classé à part des autres dossiers judiciaires.

Autrement dit, pauvres s’abstenir. Cela est non seulement inadmissible, mais encore probablement inconstitutionnel. Par conséquent, les indigents et les malheureux se retrouveront avec un dossier permanent du seul fait de leur incapacité de régler leurs amendes. Telle n’est certainement pas l’intention du Parlement.

Je recommande de modifier l’article qui empêche actuellement l’emprisonnement pour non-paiement, afin de donner aux véritables sans-le-sou le moyen de faire classer leur dossier en vertu de la Loi sur le cannabis à part des autres dossiers judiciaires, même s’ils n’ont pas payé.

Troisièmement, les jeunes qui contreviennent à la Loi sur le cannabis sont traités plus durement que leurs homologues adultes. Cette disparité est une violation directe des principes et de l’objet du régime de justice pénale pour les adolescents, à savoir la réadaptation, la réintégration et la responsabilité juste et proportionnelle des adolescents.

Malgré ces principes, qui sont consacrés dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, un avantage clé que ce projet de loi représente pour les délinquants adultes n’est pas accessible aux jeunes délinquants qui se trouvent dans la même situation. Je veux parler des dispositions de ce projet de loi concernant la tenue des dossiers. À l’heure actuelle, les infractions à l’égard des jeunes ne peuvent pas être établies par contravention. Autrement dit, un jeune pourrait se retrouver avec un dossier judiciaire permanent pour une infraction qui, commise par un adulte, vaudrait au délinquant un dossier judiciaire inaccessible et séparé. Si, par exemple, le jeune devait commettre une autre infraction pendant la période d’accès au dossier, son dossier en vertu de la Loi sur le cannabis serait transformé en dossier judiciaire permanent d’adulte. Cette disposition devrait être amendée avant l’adoption du projet de loi.

Je termine sur cette dernière réflexion : le droit pénal est un instrument massue. Il n’est pas un instrument de politique et de réforme sociales. Si, comme le gouvernement l’a répété maintes fois, l’intention est de détruire le marché noir du cannabis et de mettre fin aux coûts sociaux et juridiques connexes, ce n’est pas par le projet de loi C-45 qu’on y parviendra.

Ceux qui se livrent au commerce illicite du cannabis n’ont pas encore été dissuadés par toutes les infractions et les peines fixées dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. C’est de la folie de supposer que la Loi sur le cannabis sera différente.

En fait, le fouillis de réglementation, de pouvoirs discrétionnaires et de confusion créé par ce projet de loi pourrait fort bien amener les consommateurs à bouder le marché légal et à continuer de se fier aux sources illicites d’approvisionnement, ce qui déjouerait l’objectif même de la nouvelle loi.

Merci beaucoup de votre aimable attention.

Sean Robichaud, avocat de la défense en droit criminel, Robichaud’s Barristers & Solicitors, à titre personnel : Merci, mesdames et monsieur les sénateurs, de m’avoir invité aujourd’hui. Je suis très honoré de m’adresser à vous sur cette question de la plus grande importance pour tous les Canadiens.

Je suis avocat en exercice, spécialisé en justice pénale du Barreau de l’Ontario. J’ai obtenu mon diplôme en droit de l’Université Queen’s et ma maîtrise en droit d’Osgoode, avec spécialisation en droit pénal et en procédure. J’ai exercé exclusivement le droit pénal pendant 15 ans dans un vaste éventail de cas, dont un grand nombre concernent la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et plus particulièrement la possession, la culture et la distribution de ces substances réglementées.

J’espère vous donner, par mon expérience et mon expertise, certaines perceptions des soucis pratiques et des sérieuses réserves que ce projet de loi inspire à de nombreux avocats et organismes juridiques qui ont des instances à présenter à votre comité et au Parlement du Canada.

Malgré les effets profonds et considérables que cette mesure peut avoir sur le système de justice pénale, pour gagner du temps, j’articule mes contributions sur trois préoccupations : d’abord, la portée excessive de certaines définitions et la criminalisation pour les jeunes, et son application asymétrique aux infractions mineures, ainsi que pour le même effet pour tous les Canadiens; ensuite, la futilité et le risque de peines excessivement sévères par rapport aux infractions commises; et enfin, les coûts supplémentaires et les nouvelles pressions considérables que le projet de loi représentera pour un système judiciaire déjà surchargé.

Malgré cet objectif, je demande au comité de comprendre que c’est uniquement par souci de brièveté. Parmi les autres questions que le Sénat pourrait juger tout aussi importantes, mentionnons : premièrement, le risque d’application disproportionnée et déséquilibrée pour les Noirs, les Autochtones et les autres Canadiens racialisés; deuxièmement, l’absence de mesures de contrôle claires et obligatoires pour sécuriser la marijuana dans les logements, particulièrement chez les jeunes, ce qui pourrait faciliter l’accès à la marijuana; troisièmement, les effets collatéraux sur l’immigration et l’émigration, particulièrement en ce qui concerne les affaires criminelles. Si ces questions accessoires intéressent le comité, je suis tout à fait disposé à en discuter.

Passons maintenant à mes trois préoccupations. La première est la portée excessive de certaines définitions et la criminalisation des infractions mineures commises par des jeunes. Les infractions liées à la possession, aussi mineures soient-elles, sont passibles de poursuites au criminel, par procédure sommaire, ou par mise en accusation, qui peuvent entraîner une peine d’emprisonnement de six mois et de cinq ans, respectivement.

Dans les cas de possession en vue de la distribution, de l’importation, de la culture et de la production, l’accusé peut être jugé par procédure sommaire ou par mise en accusation, et risque jusqu’à 14 ans de prison.

Je le signale pour rappeler au comité que le fait de violer cette loi, même de façon relativement inoffensive, comme lorsqu’un jeune de 18 ans partage un joint avec un autre de 17 ans ou cultive une plante de trop, est une infraction criminelle très grave, même si le projet de loi C-45 vise la décriminalisation.

Dans presque tous les cas, sauf pour les petites quantités de marijuana qui déjà, à toutes fins utiles, ne donnaient pas lieu à des poursuites, les sanctions deviennent plus sévères qu’elles le sont en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

À titre de comparaison, les infractions qui rendent aujourd’hui passibles d’un maximum de cinq ans comprennent les infractions d’ordre sexuel, certaines infractions contre les enfants, les infractions touchant les armes à feu et les cas de violence familiale. Pour la peine maximale de 14 ans, nous sommes maintenant alignés sur des crimes beaucoup plus graves, comme le terrorisme, les menaces d’attaque nucléaire dans un immeuble des Nations Unies, les incendies criminels et les agressions sexuelles très graves contre des enfants. Je crains que la plupart des Canadiens qui entendent dire que cette loi est une mesure de décriminalisation aient une compréhension dangereuse de ce que cela signifie et ne comprennent pas à quel point ils sont sur la corde raide entre l’utilisation légale et la grave criminalité.

Je ne peux pas entrer dans toutes les définitions, mais pour en prendre une en particulier, celle de la distribution est une grave préoccupation. Avec une très large définition de « distribuer », de nombreux problèmes surgissent et il y en a beaucoup trop pour les corriger. Qu’il suffise de dire qu’une définition trop large englobe des activités auxquelles les Canadiens ne s’attendront raisonnablement pas.

« Distribuer », comme vous le savez tous, vise le fait d’administrer, de donner, de transférer, de transporter, d’expédier, de livrer, de fournir ou de rendre accessible — même indirectement — ou d’offrir de distribuer.

« Rendre accessible » est une formulation très vague. Elle couvre clairement les activités comme le partage d’un joint, mais couvre-t-elle aussi, par exemple, le cas de deux parents qui ont de la marijuana dans leur commode pour que leur fils de 17 ans puisse la trouver? Cela comprend-il le fait de ne pas bien sécuriser les locaux pour les quatre plantes? Ce ne sont pas là des problèmes farfelus dans la perspective d’un avocat de la défense en droit criminel.

Compte tenu de la sévérité des peines pour la distribution aux jeunes, sur laquelle je reviendrai, que se passe-t-il lorsqu’un jeune de 16 ans se fait pincer à l’école avec de la marijuana, en vend à des amis et dit qu’il l’a volée à ses parents?

Je crois que le fait de « rendre accessible » deviendra un problème réel devant les tribunaux et qu’il sera combattu avec âpreté lorsque ces parents hypothétiques feront face à des accusations criminelles pouvant leur valoir jusqu’à 14 ans de prison.

Je dois ajouter que la situation est aggravée par l’absence de lignes directrices, qui pourraient venir de la réglementation, sur la culture et la manipulation sécuritaires, comme dans la législation sur les armes à feu.

L’autre aspect concerne les jeunes. Comme Me Friedman l’a fait remarquer, il y a de graves préoccupations, surtout au sujet de la constitutionnalité du traitement des jeunes. Aucun autre aspect du système de justice pénale ne réserve aux jeunes un traitement asymétrique pour une infraction criminelle.

De même, rien ne prouve que cela aura un effet de dissuasion sur les jeunes. En effet, la possession chez les jeunes est criminalisée dans le régime actuel et, malgré l’interdiction totale de la marijuana aujourd’hui, les jeunes de 15 à 24 ans, comme vous le savez, comptent parmi les plus grands consommateurs de cannabis dans les pays développés. Si une politique d’interdiction criminelle totale a été un échec auprès des jeunes, la décriminalisation partielle sera un échec également, c’est garanti.

Je signale aussi la futilité et le risque de peines trop sévères pour des infractions mineures. D’après ce que je sais de première main au sein du système de justice, les peines sévères ont très peu d’effet de dissuasion. Les spécialistes du droit pénal sont largement d’avis, et les données empiriques le confirment clairement, que les peines sévères ont très peu d’effet de dissuasion. Certaines études ont conclu que de 2 à 5 p. 100 des personnes sont responsables de 50 p. 100 des crimes.

Du fait de la rentabilité des drogues illicites sur les marchés interdits, comme vous l’avez déjà entendu aujourd’hui, les jeunes risquent de se tourner vers des marchés qui sont sous la domination du crime organisé, ce qui les exposera à des risques beaucoup plus importants. La peine sévère aura peut-être un effet de dissuasion sur le grand frère qui veut passer un joint à son cadet, mais elle n’aura pas d’effet sur le crime organisé, à mon avis. C’est une préoccupation sérieuse parce que cela crée tout un nouveau marché, sans lequel l’effet de dissuasion serait nul.

Enfin, en ce qui concerne l’augmentation des coûts et l’intensification des pressions pour le système judiciaire, je suis d’avis que le projet de loi C-45 exercera de fortes pressions sur un système judiciaire déjà surchargé, malgré l’intention contraire exprimée dans le projet de loi. Les coûts dont je parle sont directement pour les ressources judiciaires et non pas pour la police et l’application de la loi, comme vous l’avez déjà entendu. La raison de ces pressions comprend — il y aura de nombreuses raisons — le fait que la question risque peu de se régler lorsqu’une personne estime qu’elle ne devrait pas être accusée de possession de marijuana, et que beaucoup contesteront les accusations par principe.

Les peines avec sursis ne seront pas offertes pour la plupart des infractions. La ligne de démarcation entre le citoyen respectueux de la loi et le criminel est très nette, comme on y a déjà fait allusion, et il est difficile pour une personne de comprendre que ses agissements sont criminels et d’en assumer la responsabilité.

Pour toute procédure par voie de mise en accusation et passible d’une peine d’emprisonnement de 14 ans, on peut choisir un procès devant jury et je m’attends que beaucoup le feront, même si la preuve à leur encontre est écrasante, dans l’espoir d’une annulation.

Les graves conséquences en matière d’immigration pour les non-citoyens du Canada et les graves conséquences en matière d’immigration pour ceux qui se rendent aux États-Unis, tout cela et de nombreuses autres raisons donneront aux accusés de très fortes incitations à contester les accusations, même devant une preuve accablante.

Merci.

Le président : Nous passons maintenant aux deux témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence. Je leur demanderais de faire une déclaration préliminaire, en commençant par John Conroy.

John Conroy, avocat, à titre personnel : Merci aux membres du Sénat. Je suis considéré comme avocat et je devrais peut-être ajouter que je suis, moi aussi, avocat de la défense en droit criminel depuis 45 ans, le même chiffre que le projet de loi C-45.

Bien sûr, en 1982, je suis devenu constitutionnaliste après l’avènement de la Charte et, depuis ce temps, je suis à Abbotsford, le royaume de l’Ouest, entouré de prisons fédérales, où j’ai passé beaucoup de temps à traiter de cette question et d’autres avec les détenus.

J’ai été admis au Barreau en 1972. C’était l’année du rapport de la commission Le Dain sur le cannabis, et je vous invite — surtout ceux qui disent que nous faisons tout cela précipitamment — à retourner jeter un coup d’œil là-dessus pour voir ce dont il était question à l’époque, et voir toutes les autres commissions royales d’enquête qui ont eu lieu depuis 1893.

J’ai représenté M. Caine à la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, qui visait à contester l’interdiction décidée en 2003. J’ai également représenté VANDU, le Vancouver Area Network of Drug Users, à la Cour suprême du Canada, dans l’affaire des injections supervisées.

J’ai aussi été procureur dans Allard qui a débouché sur la conclusion d’inconstitutionnalité du Règlement sur la marihuana à des fins médicales et qui a mené à l’actuel Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales.

Je n’ai pas compris que ce groupe de témoins se concentrait sur la culture à domicile; alors, au lieu d’entrer dans les détails des propos des deux avocats de la défense qui m’ont précédé, et dont j’accepterais les instances, je vais m’attarder un peu là-dessus parce qu’il y a d’abondants éléments de preuve dans l’affaire Allard sur cette même question.

Les chefs de police et de pompiers, et ainsi de suite, ont apporté de vieilles preuves de l’époque où nous avions de multiples installations de culture, en Colombie-Britannique en particulier, et des problèmes d’incendies, de moisissures et de sécurité publique sur le marché illégal.

Depuis que le gouvernement a permis de faire ou de faire faire une culture à des fins personnelles, d’abord en vertu du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, puis du Règlement sur la marihuana à des fins médicales, il y a des gens qui cultivent du cannabis en toute légalité.

C’est très important parce que, malgré tous ces problèmes de l’époque de l’interdiction, il serait difficile de trouver un inspecteur en bâtiments, un inspecteur en zonage ou des gens qui sont maintenant au gouvernement au niveau local et qui voudraient revenir à cette époque parce que nous avons établi très clairement, et que le juge Phelan a constaté, en fait, que tous les problèmes liés à la culture à domicile peuvent être atténués. La moisissure est un problème assez facile à régler. Nous avons fait témoigner des experts et vous pouvez examiner les preuves détaillées concernant la moisissure et la sécurité publique. Les gens ont des caméras de sécurité. Ils appellent la police si quelqu’un essaie d’entrer. Ils leur remettent la vidéo, ce qu’ils n’ont jamais fait du temps qu’ils étaient eux aussi sur le marché illégal.

Donc, l’expérience du remplacement d’un marché illégal ou d’un marché illicite ou de l’interdiction par un marché réglementé a eu lieu dans le cas de la marijuana à des fins médicinales au cours des 10 dernières années et montre que la légalisation soulève des questions, fait voir où se situent les problèmes et permet de prendre des mesures pour les corriger. C’est la chose la plus importante que nous devons comprendre, à mon sens.

Essentiellement, la Loi sur le cannabis prévoit un peu de légalisation au début, avec les quatre plantes — Dieu merci, ils se sont débarrassés de la restriction de hauteur, qui aurait fort compliqué les choses —, donc ce sont les quatre plantes et les 30 grammes. C’est la légalisation fondamentale qui permet aux provinces de faire la distribution.

Ensuite, il y a un peu de décriminalisation dont nous parlions jadis, et c’est le régime des contraventions. Si l’on dépasse un peu la limite pour la partie légalisée, on est assujetti au régime des contraventions, qui est assorti d’une sanction civile.

Le reste de la loi, comme l’ont bien décrit les deux témoins précédents, maintient le droit pénal, et c’est problématique. Il y a 45 ans, le rapport Le Dain recommandait un maximum de 5 ans pour les actes criminels, et la Loi sur le cannabis propose 14 ans.

Je ne me souviens pas si les intervenants précédents l’ont dit, mais c’est sous le régime conservateur que la peine pour production est passée de 7 à 14 ans. Une peine maximale de 14 ans est importante parce que, en 1972, Pierre Elliott Trudeau a introduit l’absolution inconditionnelle pour effacer le dossier judiciaire pour possession de cannabis. Or, il n’est pas possible d’avoir une absolution inconditionnelle ou conditionnelle si la peine maximale est de 14 ans.

De même, bien des années plus tard, la Commission canadienne sur la détermination de la peine et d’autres ont dit que nous incarcérions trop de monde, que nous devions cesser d’incarcérer les non-violents, et nous avons créé une option de détermination de la peine appelée l’ordonnance de sursis. Cela aussi, c’est impossible à obtenir si l’infraction est passible d’un maximum de 14 ans et plus.

Donc, le parent qui cultive les quatre plantes qui voudrait parler à son jeune, l’adolescent de 12 à 17 ans, au sujet du cannabis et avoir une discussion pour l’empêcher d’aller sur le marché noir se trouverait théoriquement à commettre une infraction passible d’une peine maximale de 14 ans. Il n’aura pas droit à l’ordonnance de sursis. Il risque l’emprisonnement.

Cette dernière partie du projet de loi pose vraiment problème. Je n’entrerai pas dans les détails, car les deux témoins précédents l’ont fait.

J’ai créé la société NORML Canada en 1977. J’ai créé la BC Compassion Club Society en 1997. Il y a donc longtemps que je côtoie des gens œuvrant dans le cannabis et que je connais divers aspects de la situation.

Je dois ajouter que je faisais également partie du comité spécial qui vous a envoyé — j’espère que vous l’avez reçue aujourd’hui, sinon avant — une réponse aux mémoires et aux documents que votre comité a reçus. Vous avez donc ou devriez avoir le document de SAM qui porte sur les problèmes des jeunes, la conduite avec facultés affaiblies, les visites à l’hôpital, les accusations et les arrestations liées à la justice sociale, les tendances de la criminalité et les opiacés. Je ne vais pas les répéter ici.

L’essentiel, c’est que les gens qui ont encore des craintes et des inquiétudes au sujet de différentes choses à venir se rappellent que c’est un début. Un simple début. Les choses pourront changer avec le temps. Qui plus est, nous soulevons toute la question au grand jour plutôt que de la cacher dans la clandestinité, de ne pas avoir les statistiques, de ne pas pouvoir faire la même recherche que jadis pour faire voir exactement comment le problème ne sera pas aussi considérable, tout comme toutes les commissions royales d’enquête de jadis et la commission Le Dain l’ont constaté il y a des années. Merci beaucoup.

Neil Boyd, professeur, Département de criminologie, Université Simon Fraser, à titre personnel : Merci beaucoup de me donner l’occasion de prendre la parole. Je suis tout à fait d’accord sur les commentaires des trois témoins précédents. Je vais parler, peut-être en termes plus généraux, de la situation actuelle.

Premièrement, je salue l’approche générale qu’a adoptée le gouvernement fédéral : la légalisation du cannabis et la réglementation dans l’intérêt de la santé publique. C’est une approche qui nous fera mieux connaître les méfaits et les bienfaits de la consommation de cannabis, dont nous avons une connaissance sérieusement limitée par près de 100 ans d’interdiction criminelle.

Le gouvernement a présenté l’enjeu comme une question qui vise à restreindre l’accès pour les jeunes et à démanteler le marché noir, mais il importe de reconnaître que c’est aussi une question de droits de la personne. Les consommateurs de cannabis n’ont jamais mérité et ne méritent pas aujourd’hui d’être étiquetés comme des criminels.

La marijuana a été criminalisée en 1923 par la simple inscription d’une nouvelle drogue dans l’annexe. À l’époque, on n’a pas discuté de la drogue, qu’on ne connaissait même pas, et il est aujourd’hui évident que, pour la plupart des consommateurs dans ces circonstances, l’alcool et le tabac sont plus toxiques et plus dangereux et sont cause d’une morbidité beaucoup plus élevée.

Autrement dit, notre droit pénal a été créé par une ligne idéologique tracée entre les « bonnes » drogues du premier monde, l’alcool, le tabac et les produits pharmaceutiques, et les « mauvaises » drogues du monde en développement, le cannabis, la coca et les opiacés. La santé publique ne faisait pas partie du programme législatif.

Je dois ajouter que la Loi sur les stupéfiants adoptée en 1961 prévoyait les peines les plus sévères pour la possession et la distribution de cannabis, après 50 ans d’absence à peu près totale d’accusations relatives à cette drogue. Puis les condamnations ont commencé à se multiplier. En 1966, plus de 1 000 Canadiens ont été reconnus coupables de possession simple de cannabis, et la plupart sont allés en prison, certains pour deux ans ou plus. En 1975, il y avait 40 000 condamnations par année pour possession seulement, et l’emprisonnement n’était plus une option pratique. Le bâton n’avait rien donné.

Le projet de loi dont vous êtes saisis, le projet de loi C-45, n’est pas parfait. Son approche de la distribution, et plus précisément de la possession, de cannabis illicite est indûment punitive. J’ai du mal à comprendre la logique et l’application pratique de l’article 8 du projet de loi sur le cannabis, qui crée une infraction criminelle de possession de cannabis illicite.

Étant donné qu’il est permis de cultiver jusqu’à quatre plantes, comment pourra-t-on déterminer qu’une personne est en possession de cannabis illicite? Et surtout, pourquoi voudrions-nous traiter cette activité comme un crime passible d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement?

Quant à l’article 9, je comprends le désir de réserver le commerce à ceux qui suivent les règles et de veiller à ce que la réglementation du produit soit dans l’intérêt des consommateurs et de la sécurité des consommateurs. Mais l’approche du projet de loi C-45 est beaucoup plus sévère et contraignante dans le cas du cannabis que pour l’alcool et le tabac. Étant donné les risques relatifs que chacune de ces drogues pose pour la santé publique, cela n’a aucun sens.

À la réflexion, je suppose que ces différences sont mieux perçues ou comprises dans le contexte de la transition culturelle qui nous voit passer de l’interdiction criminelle à la tolérance.

Je demande au Sénat de veiller à ce que le projet de loi C-45 soit adopté et reçoive la sanction royale, malgré ses lacunes. Je reconnais que certains sénateurs conservateurs font la promotion d’un programme de conservatisme social, qui ne tient pas compte des meilleurs éléments de preuve disponibles. Je les exhorte à réévaluer la logique de leurs positions et à songer à appuyer la tolérance comme principe d’importance, aussi inconfortable que cette position puisse leur paraître.

En terminant, je voudrais revenir sur la dernière décennie, compte tenu de mon expérience des 40 dernières années dans le domaine. Dans un récent article de recherche, deux de mes étudiants de deuxième cycle et moi avons présenté un sondage mené auprès de 300 consommateurs de cannabis autodéclarés au Canada et d’un nombre à peu près identique au Royaume-Uni. Comme d’autres recherches effectuées jusqu’ici, notre sondage a révélé une constance frappante dans les trois raisons les plus fréquentes de la consommation : le soulagement de la douleur, la réduction de l’anxiété et du stress, et l’amélioration du sommeil.

Les répondants étaient surtout des hommes, dans la mi-trentaine. La grande majorité avaient déjà fait l’expérience des drogues récréatives, mais s’étaient convaincus que leur consommation était pour des fins médicinales. Ils ont parlé des bienfaits médicaux et des plaisirs que leur procure la consommation de cannabis.

Nous ne devrions pas avoir peur de reconnaître que le cannabis peut être un produit de base qui procure du plaisir et constitue un baume, un remède contre les difficultés de la vie. Comme Randy Newman le chantait sur son album de 1974, Good Old Boys, « Il me faut beaucoup de médicaments pour me prendre pour quelqu’un d’autre. »

Beaucoup d’entre nous savent que le vin rouge peut remplir cette promesse, parfois à notre détriment, mais étant donné ce contexte et les méfaits relatifs de chaque substance, il ne semble pas y avoir beaucoup de logique à considérer le cannabis comme solution de rechange de deuxième ordre.

Au cours de la dernière décennie, nous avons noté des changements d’importance au niveau du cannabis : la légalisation dans un grand nombre d’États américains; une augmentation très considérable de l’intérêt pour la réglementation des niveaux de THC et de CBD; et une meilleure compréhension des effets de cette drogue, tant pour ses bienfaits que pour ses méfaits. C’est une évolution très positive que nous devrions continuer d’encourager. Nous avons commencé à reconnaître que le cannabis, bien réglementé, peut être utile pour notre société comme traitement de substitution consistant à stimuler les fonctions cognitives pour remplacer des drogues plus destructrices, comme les opiacés ou l’alcool, ou simplement comme moyen d’adoucir les rigueurs de notre monde moderne de plus en plus complexe.

Le président : Merci beaucoup. Au début, j’ai dit que nous avions un groupe d’experts sur la culture à domicile, et le dernier groupe s’en est certainement tenu à la culture à domicile. Mais le second s’éloigne davantage — comme j’aurais dû le dire — de la culture à domicile, qui a été mentionnée, pour rejoindre d’autres questions juridiques, sur lesquelles on a beaucoup insisté. Cela nous ouvre un large éventail d’autres enjeux à étudier, et tous les grands enjeux pertinents liés à cette question. Je vous remercie tous les quatre de vos exposés préliminaires.

Mesdames et messieurs les membres du comité, encore une fois, vous avez cinq minutes chacun. Plus vous abrégerez les préambules, plus vous pourrez poser de questions. Si nous pouvions avoir des réponses aussi courtes que possible, nous pourrions augmenter le nombre de questions et réponses.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés et merci de nous aider à comprendre certaines des complexités de ce projet de loi.

Monsieur Boyd, l’Association canadienne des chefs de police et d’autres ont fait valoir que les limites de possession personnelle ont beau être fixées à 30 grammes, le projet de loi C-45 ne limite pas la quantité de marijuana que l’on a le droit d’avoir chez soi.

Prévoyez-vous une augmentation de l’activité criminelle découlant de l’effet combiné de l’autorisation de la culture à domicile et de l’absence de limite quant à la quantité de cannabis qu’il est légalement permis de posséder à la maison?

M. Boyd : Non. Je comprends ceux qui disent que des gens invoqueront cette raison pour cultiver leur propre cannabis à domicile. Cela dépendra en grande partie de la capacité de répondre à la demande des consommateurs. Dans la mesure où la Colombie-Britannique, où j’habite, a adopté la position selon laquelle il y aura un nombre suffisant de points de vente au détail pour concurrencer le marché illicite actuel sur le plan des prix, je ne pense pas que cela posera un problème.

Encore une fois, il serait peut-être utile de faire une comparaison avec l’alcool. Ce n’est pas l’une de nos préoccupations, et c’est une drogue plus toxique. La question présuppose en quelque sorte que l’on se concentre, naturellement et logiquement, sur ce que nous observons maintenant, à savoir le marché illicite. Ce que je dis, c’est que nous sommes en phase de transition, et nous ne savons pas exactement comment cette transition se fera, mais il n’y a aucune raison de supposer qu’elle entraînera un problème majeur de l’ampleur que certains annoncent.

La sénatrice Seidman : J’aimerais demander à Me Friedman ou à Me Robichaud s’ils ont quelque chose à ajouter.

M. Friedman : Tout ce que je peux dire à ce sujet, c’est que le marché illicite repose sur la demande et la rentabilité. Je vois cela du point de vue de l’avocat de la défense. Il faut retenir qu’à partir du moment où la demande est satisfaite sur le marché légal, la rentabilité diminue. À ce moment-là, il importe peu que quelqu’un possède 30 grammes, 100 grammes ou 1 kilogramme à domicile. Cette personne n’est pas ciblée par des groupes criminels parce que le cannabis est aussi disponible sur le marché de détail légal. Cela exige évidemment la collaboration des provinces. Il est troublant que la disponibilité soit inégale d’une province à l’autre, mais pourvu qu’il y ait un approvisionnement constant sur le marché légal, la quantité de cannabis qu’une personne possède chez elle importe peu.

M. Robichaud : Si vous me le permettez, sénatrice Seidman, j’aimerais ajouter mon grain de sel. Merci de votre question.

Vous demandez s’il y aura ou non une augmentation de la criminalité, et il y a en fait trois parties à cette question, dans un sens, parce que l’occurrence réelle de l’acte criminel est différente de l’exécution de la loi; ensuite, en sous-question, quel était l’acte criminel et quelle était l’intention de la personne?

Premièrement, comment la police sera-t-elle informée de cette quantité supplémentaire de marijuana? Deuxièmement, est-ce un crime? Si cette personne possède, disons, 300 livres de marijuana et qu’elle peut affirmer — je ne dirai pas soutenir — que cette marijuana était destinée à son usage personnel, alors nous passons au troisième élément, qui est de savoir comment le prouver.

Donc, d’un point de vue statistique, si nous pouvions examiner la question isolément, je ne crois pas qu’il y aura une augmentation de la criminalité, mais je constate — et c’est une partie de la pression qui sera exercée selon moi sur le système de justice pénale — que si et quand des mesures d’application de la loi sont prises et que des mandats de perquisition sont exécutés, je soupçonne que la police agira et portera des accusations en vertu des articles sur la « possession en vue de », en fonction de la preuve circonstancielle selon laquelle la quantité a dépassé un certain seuil.

Par ailleurs, si je me mets dans la peau d’un avocat de la défense, je peux plaider qu’il n’y a pas de limite et qu’on ne peut donc pas raisonnablement faire cette déduction. Vous voulez savoir si cela crée de meilleures conditions pour le crime organisé, et je suis obligé d’admettre que c’est bel et bien le cas.

La sénatrice Seidman : Maître Robichaud, vous avez parlé dans votre mémoire du coût pour le système judiciaire.

M. Robichaud : Oui.

La sénatrice Seidman : Vous avez parlé de procès plus longs et d’un moins grand nombre de résolutions par plaidoyer de culpabilité. Pouvez-vous préciser votre pensée?

M. Robichaud : Il y en a long à dire à ce sujet, mais je pense que si nous pouvions faire un rapprochement avec ce qui s’est passé il y a une vingtaine d’années pour la conduite avec facultés affaiblies, la stigmatisation n’a jamais été aussi forte qu’avec d’autres infractions criminelles. Les gens ne se considèrent donc pas comme des criminels lorsqu’ils prennent deux ou trois verres de trop. Je le constate chaque jour. Il est difficile pour les gens de concevoir cela et de se comparer à un délinquant sexuel grave. Les gens se disent : je n’ai tué personne, je n’ai rien fait de grave.

Ce que vous allez constater, c’est que lorsque les gens sont accusés de ces infractions, ils vont rapidement réduire la portée de leur geste et dire : « Je n’ai fait que passer un joint à un jeune de 17 ans. » Personnellement, je ne crois pas que cela devrait être criminalisé. Selon la définition toutefois, le jeune de 18 ans qui passe un joint à un autre de 17 ans commet véritablement une infraction criminelle, et c’est une infraction grave. Lorsqu’on ajoute cela à d’autres crimes, des crimes graves, il ne fait aucun doute à mon avis que les gens contesteront bec et ongles ces accusations par principe, pour toutes sortes de raisons.

L’un des autres problèmes que vous constaterez, ce sont les pressions exercées sur le système judiciaire, parce que je soupçonne que les jurys seront beaucoup plus enclins à acquitter des accusés par voie d’invalidation, parce qu’ils ne sont pas d’accord avec cette loi, et qu’il leur importe peu qu’un jeune de 18 ans ait passé un joint à un autre jeune de 17 ans. À cause de cela, et pour bien d’autres raisons, il y aura beaucoup plus de tensions exercées sur le système judiciaire.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Monsieur Robichaud, j’aimerais vous entendre au sujet de la décriminalisation et de la possession. On parle de 5 grammes pour les jeunes. Ici et ailleurs, décriminaliser la possession de 5 grammes pour les jeunes, ça équivaut à mettre du cannabis dans les mains de nos très jeunes. En 2016, 55 000 infractions liées au cannabis ont été signalées à la police et ont entraîné 23 000 accusations. Dans vos notes, vous mentionnez qu’il y a beaucoup de pression sur le système judiciaire. J’aimerais entendre vos commentaires à cet égard. Or, croyez-vous que le projet de loi C-45 aidera quelque peu à alléger cette pression?

[Traduction]

M. Robichaud : La traduction ne fonctionnait pas et, en raison de mon nom de famille, on a probablement supposé que je parlais couramment français, mais ce n’est malheureusement pas le cas, et je m’en excuse.

Votre question portait sur le traitement disproportionnellement sévère réservé aux jeunes, pour qui il est question de 5 grammes, alors que c’est 30 grammes pour les adultes.

Si j’extrapole à ce sujet et si j’ai bien compris votre question, le plus gros problème avec les 5 grammes, comme Me Friedman l’a déjà souligné, c’est que nous criminalisons un aspect pour les jeunes d’une manière entièrement asymétrique par rapport aux adultes. À ma connaissance, cela n’est le cas avec aucun autre aspect du Code criminel. J’ai téléphoné aujourd’hui à un expert du droit pénal pour les jeunes et il est du même avis.

J’espère que cela répond à la question. Cette question englobe de nombreux problèmes. D’un point de vue constitutionnel, je soupçonne que les tribunaux vont intervenir et dire qu’on ne peut pas traiter les gens différemment en fonction de leur âge et de la quantité de marijuana qu’ils possèdent.

L’autre problème, qui est beaucoup plus troublant, comporte deux volets. Premièrement, la mesure semble aller à l’encontre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et de la Loi sur le cannabis, puisque nous affirmons que ces deux lois visent à protéger les jeunes et à favoriser leur réinsertion en société. Cela soulève une autre question, et je vais vous donner un exemple pratique que nous pouvons tous comprendre.

Imaginons un jeune qui est accusé de posséder 30 grammes de marijuana et qui est poursuivi par voie de procédure sommaire. Il est assujetti à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et ne reçoit que des réprimandes; le dossier est scellé. C’est une excellente nouvelle, je suppose. Ce jeune, outre la réprimande, est toutefois assujetti à certaines conditions, mais supposons qu’il ne se présente pas à l’agent de probation. Il est alors en violation des conditions de sa probation comme un adulte. Cela signifie qu’au cours de cette période où le dossier devait en principe être scellé, il a essentiellement été rouvert, et que le jeune a désormais un casier judiciaire permanent pour adulte pour avoir fait une chose qu’un adulte n’aurait jamais pu faire.

Ne serait-ce que pour cela, la mesure pose un problème en matière de réinsertion et d’emploi, sans parler de l’interdiction permanente d’entrer aux États-Unis, à cause de ce casier permanent et du descellement du dossier par suite d’une infraction mineure par le jeune qui n’aurait jamais constitué une infraction à l’âge adulte.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

Le sénateur Gold : J’ai une question pour vous tous : que pensez-vous de la culture à domicile?

Ma question s’adresse toutefois essentiellement à M. Boyd. Le comité a beaucoup entendu parler des conséquences possibles de la consommation de cannabis sur la santé du cerveau en développement, mais la criminalisation a un coût social, bien sûr, et je me demande si vous pourriez nous en dire davantage sur la mesure dans laquelle le projet de loi C-45 pourrait contribuer à réduire les conséquences sociales de la criminalisation.

M. Boyd : Ce que nous avons constaté dans l’État de Washington, et peut-être au Colorado en particulier, c’est une réduction rapide du nombre d’accusations portées par suite de la légalisation. C’est une légalisation plus commerciale que ce que nous envisageons au Canada. Cela dépendra en grande partie de la volonté ou non d’intenter des poursuites pour possession de cannabis illicite, par exemple.

Je serais surpris de voir un grand nombre de ces cas après la légalisation. C’est vraiment une partie de la loi qui vise à apaiser ceux qui sont très inquiets des conséquences de la légalisation, par opposition à une mesure vraiment pratique adoptée suivant des directives de s’attaquer à la possession de cannabis illicite. Ce n’est pas du tout le cas.

Je crois donc qu’il serait très avantageux de poursuivre dans cette voie. Les trois premiers intervenants ont parlé des nombreuses limitations du projet de loi. J’en suis conscient, mais je veux que ce projet de loi soit adopté, car il représente un changement énorme. Il accroît la liberté d’une façon très fondamentale, et je crois qu’il en résultera une réduction importante de la criminalisation de l’utilisation, de la distribution et de la production de cannabis, et c’est un point positif.

Nous avons beaucoup appris au cours des 5 à 10 dernières années sur les bienfaits et les méfaits du cannabis. C’est la légalisation qui a pavé la voie à ce débat et qui nous a donné cette capacité.

M. Conroy : Le comité sénatorial du regretté sénateur Nolin n’avait-il pas conclu qu’il est beaucoup plus dommageable de soumettre les utilisateurs au système de justice pénale que de les laisser consommer du cannabis? J’attends encore le jour où un expert fera une étude concernant l’impact sur le cerveau en développement d’une personne que l’on arrête et que l’on soumet au système de justice pénale. Je peux vous assurer que les conséquences sont bien pires que celles qui résultent de quelques bouffées tirées sur une cigarette de marijuana.

M. Friedman : C’est intéressant quand on pense au coût social de la criminalisation et à son lien avec la culture à domicile.

Le principal coût social que j’observe quotidiennement, c’est qu’il encourage le crime organisé à profiter du cannabis et de sa criminalisation actuelle. J’espère, et je crois que c’est un aspect positif du projet de loi en ce qui concerne la culture à domicile, qu’il pourra régler le problème de l’offre limitée, du moins à court terme. Autrement dit, si l’offre ne peut pas répondre à la demande qui serait autrement acheminée vers le marché illicite, peut-être que la culture à domicile dans les limites prescrites, comme point de départ, pourrait à tout le moins empêcher une redirection immédiate vers le marché illicite, même si cette culture dans des logements partagés me préoccupe.

Je me fais l’écho de Me Conroy en ce qui concerne le coût social le plus élevé, parce que nous trois savons tous ce qui arrive aux gens qui passent par le système de justice pénale. Nous connaissons les effets de la criminalisation. Nous savons que dans les cas où une politique sociale judicieuse ferait l’affaire, le droit pénal fait plutôt office de massue.

J’espère que c’est un premier pas pour empêcher les gens de faire appel au marché noir et les inciter à respecter le cadre juridique.

M. Robichaud : Ce qui me préoccupe, c’est la facilité avec laquelle il est possible de passer de citoyen respectueux des lois à criminel lorsqu’on possède quatre plants et qu’on a les compétences nécessaires pour s’assurer de ne jamais dépasser quatre plants. Suivant un processus naturel, un plant peut mourir et les gens peuvent le remplacer, si bien que c’est selon moi un instrument plutôt radical — un thème récurrent ici — de dire à quelqu’un que son statut change immédiatement en raison d’un seul plant.

Bien sûr, il va sans dire qu’il est absurde de garder quatre plants dans un logement, quelle que soit sa taille. Vous pouvez posséder une maison de ferme à Sudbury, et même si trois adultes y vivent, vous êtes limité à quatre plants, mais vous pouvez avoir un appartement à Toronto et posséder 200 livres de marijuana séchée obtenue légalement. Cela me semble une façon plutôt absurde de régler le problème. J’aurais beaucoup de choses à dire, mais je vais m’en tenir à cela.

M. Conroy : Le comité sait-il qu’il est permis de cultiver 15 kilogrammes de tabac chez vous, si vous avez plus de 18 ans, et que vous pouvez produire autant de bière, de vin et de spiritueux que vous le voulez dans votre sous-sol et en faire profiter vos voisins tant que vous ne les vendez pas?

Dans l’affaire Allard, on a constaté que des gens étaient obligés de cultiver de la marijuana à domicile parce que c’est ce que les règlements sur l’utilisation à des fins médicinales exigeaient. Il n’y avait pas d’autre source d’approvisionnement. Nous avons dû nous adresser aux tribunaux pour forcer le gouvernement à faire en sorte que l’approvisionnement destiné à la recherche serve d’approvisionnement commercial.

Ensuite, lorsque les législateurs ont essayé de retirer le droit de cultiver, les données probantes révèlent que les patients se sont tournés vers les dispensaires, et c’est pourquoi nous avons assisté à une énorme augmentation du nombre de dispensaires. La plupart des gens ne veulent pas cultiver leur marijuana; ils veulent s’approvisionner dans un magasin. Ce sera là un élément crucial de ce processus.

Le sénateur Munson : On ne dira plus Houston, mais bien : « Ottawa, nous avons un problème ». Les problèmes se présentent sous diverses formes. Maître Friedman, vous avez soulevé de nombreux points concernant ce qui pourrait arriver aux jeunes qui se retrouvent en prison alors qu’ils ne devraient pas y être, sans parler des pauvres et des autres.

Nous parlons tellement de règlement ici que nous supposons que les Canadiens savent ce que signifie le règlement. Les Canadiens n’en ont pas la moindre idée, comme je n’en ai parfois pas la moindre idée, parce que lorsque tous les avocats du ministère de la Justice ont rédigé ce document, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils aient assez de vision pour repérer les 12 ou 15 échappatoires dont vous avez parlé aujourd’hui et qui auraient dû être corrigées avant que ce projet de loi ne nous soit soumis.

Peut-on espérer qu’avec le règlement et sa définition, une fois que le projet de loi entrera en vigueur — parce qu’il entrera éventuellement en vigueur et qu’il recevra la sanction royale —, nous pourrons, au cours de cette période, corriger les échappatoires dont vous parlez dans le règlement? Le grand public pensera qu’après septembre ou en juillet, tout sera légal et qu’il est possible de faire ce que l’on veut, mais ce ne sera pas le cas parce qu’il n’y a pas de procédure réglementaire en place. D’autres pourront aussi répondre à cette question.

M. Friedman : Merci beaucoup, sénateur. C’est une excellente question.

J’ai deux façons de voir les choses à ce sujet. J’hésite à dire qu’il faut laisser au Cabinet le soin d’élaborer des règlements qui atténueront certains des effets de la Loi sur le cannabis. Le vrai problème, c’est qu’il s’agit ici de droit pénal, et quiconque connaît le droit pénal ou a consulté le Code criminel sait que nul n’est censé ignorer la loi.

En même temps, cela va à l’encontre d’un autre principe fondamental de la démocratie, à savoir que les citoyens doivent être avisés de ce qui est légal et de ce qui est illégal. Franchement, et c’est une question d’éducation publique ou civique, le public n’a aucune idée de ce qui est légal et de ce qui est illégal en ce qui concerne le cannabis. En fait, aujourd’hui, et je suis sûr que Me Robichaud a eu exactement la même conversation dans son bureau avec des clients potentiels, les gens disent : « Je pensais que c’était déjà légal. » C’est ce qu’on me répondait déjà il y a cinq ans et cela ne risque pas de changer.

Le gouvernement a un rôle plus important à jouer à cet égard, c’est-à-dire qu’au lieu de prendre un règlement, il doit lancer une campagne d’éducation publique ciblée. Il ne faut pas oublier que si vous vous situez ne serait-ce qu’un millimètre en dehors de la sphère réglementée, les conséquences relèvent du droit pénal. Quand vient le temps d’occuper un emploi, de faire des voyages ou d’immigrer, un casier judiciaire n’est pas une mince affaire. Il faut sensibiliser la population, parce que si vous pensez que la police aura de la difficulté à faire appliquer cette loi — et elle en aura — et que les tribunaux auront de la difficulté à l’interpréter, pensez au Canadien moyen qui n’a pas de formation juridique et qui n’a pas d’expérience en matière d’application de la loi. Un seul faux pas, et c’est tout de suite la criminalisation.

M. Robichaud : Pour poursuivre dans la même veine, parce que c’est un point important qu’il ne faut pas perdre de vue, le droit pénal est un instrument radical, et le caractère radical de cet instrument est souvent utilisé contre les membres les plus défavorisés et les plus vulnérables de la société. Comme avocats de la défense, nous constatons que des violations très techniques sont pénalisées de façon disproportionnée par rapport à d’autres infractions.

Pour en revenir à mon exemple de la personne de Sudbury, si elle possède 7 ou 18 plants, il est très courant que l’on n’en fasse pas de cas. Si vous possédez 150 grammes dans votre appartement à Toronto, je soupçonne que vous ne profiterez pas de la même indulgence. C’est une importante préoccupation parce que nous savons que beaucoup de gens sont à la limite de la légalité, et le caractère radical est déterminé par les agents de police qui, à l’heure actuelle, agissent de la façon qu’ils jugent appropriée. Dans certains cas — pas toujours —, ce pouvoir discrétionnaire peut être injuste et très disproportionné.

Le sénateur Munson : J’aimerais avoir une réponse de la côte Ouest.

M. Conroy : Comme je l’ai dit, cela fait près de 45 ans que j’essaie de me débarrasser de la prohibition et tout le monde me dit que j’essaye de m’acculer à la faillite, mais j’ai constaté qu’il est encore plus difficile d’éduquer les gens au sujet de la légalisation que de leur parler de la prohibition. En Colombie-Britannique, il y a tellement de gens qui font des choses depuis longtemps et maintenant ils se rendent compte qu’ils seront assujettis à la loi.

Je pense que nous serons en mesure de régler certains de ces problèmes grâce à la réglementation, mais il faudra modifier certaines dispositions de la loi. Je suis d’accord avec M. Boyd et les autres; pour avancer, nous devons adopter ce projet de loi, puis nous pourrons essayer de régler les problèmes.

La sénatrice Poirier : Merci à tous d’être parmi nous. Ma première question porte exactement sur ce dont nous avons discuté. Nous entendons beaucoup parler au sein de la communauté des risques pour la santé, en dessous d’un certain âge et de la nécessité d’une meilleure éducation à cet égard. Il semble qu’il est nécessaire de sensibiliser davantage les gens aux conséquences de la loi. Nous voyons beaucoup de gens qui pensent — et il ne s’agit pas seulement des jeunes, mais aussi des adultes — que cela rendra légal tout ce qu’ils font déjà. Qu’il s’agisse de cultiver du cannabis, de le fumer dans des endroits inappropriés, ou de conduire sous son emprise. Je comprends, car j’entends aussi ce discours dans le pays.

Mon autre question porte sur la culture à domicile. J’espère que quelqu’un pourra nous donner quelques précisions à ce sujet. Grâce aux témoins que nous avons entendus jusqu’ici, nous savons que les gouvernements provinciaux ont le droit d’établir les limites en ce qui concerne la culture à domicile et les questions d’âge. Nous avons aussi vu et entendu que le Québec, mais aussi le Manitoba, je crois, ont déjà adopté des lois interdisant la culture de cannabis dans leur province. Nous avons également entendu la Ville de Richmond, en Colombie-Britannique, me semble-t-il, prendre position en affirmant que la marijuana ne sera pas légale dans sa municipalité.

D’autres témoins nous disent que ces situations pourraient donner lieu à des contestations judiciaires. Pourriez-vous me donner votre point de vue à ce sujet? N’importe lequel d’entre vous peut répondre.

M. Friedman : Cela concerne une partie différente de la Constitution que celle généralement utilisée par les criminalistes dans le cadre de leur travail, en l’occurrence la Loi constitutionnelle, et non la Charte canadienne des droits et libertés.

Nous sommes en présence d’un cannabis qui a fait l’objet d’une réglementation établie dans ce domaine, notamment, en vertu du droit pénal. C’est intéressant parce que la Loi sur le cannabis ne légalise pas la marijuana en ce sens. Elle prévoit simplement des infractions et d’autres sanctions. Il ne fait donc aucun doute que si les municipalités ou les provinces tentaient de « criminaliser » les choses — et elles ne peuvent pas le faire parce qu’elles ne sont pas en mesure de créer des infractions criminelles —, cela entraînerait des contestations constitutionnelles sans fin.

À la façon dont la loi est actuellement rédigée, et sans égard aux déclarations d’intention, elle vise en réalité à interdire certains aspects seulement. C’est le genre de chose qu’on aurait pu régler en rédigeant la loi différemment, pour qu’il soit clair que la substance est légale et d’en faire le point de départ. En adoptant le point de vue prohibitionniste du projet de loi, c’est-à-dire ce que nous avons sous les yeux et qui devrait être adopté parce que c’est préférable à ce que nous avons actuellement, nous ouvrons en grand la porte à ce genre de conflits et de problèmes.

M. Boyd : J’ajouterais que le risque d’interdire toute culture à domicile est de créer une incitation au marché noir. Je ne pense pas que cela soit très probable, au vu des commentaires que nous avons entendus jusqu’ici affirmant que la plupart des gens préféreront probablement acheter légalement. Si le prix est fixé à un niveau raisonnable, cela ne posera pas de difficultés. Nous aurons un problème si Richmond, en Colombie-Britannique, a décidé, comme vous l’avez souligné, de ne pas avoir de points de vente au détail. Dans le contexte du Lower Mainland, en Colombie-Britannique, cela ne va pas créer d’énormes incitations au marché noir, parce que toutes les collectivités frontalières auront accès au marché licite et il n’y aura pas de criminalisation de la possession de cannabis licite à Richmond. Cette municipalité vient de décider qu’elle ne veut pas de points de vente au détail. Les municipalités ont ce droit. C’est une question d’utilisation des terres et nous allons voir une sorte de mosaïque. C’est un peu comme l’alcool; lorsqu’autorisations et prohibition se côtoyaient, nous sommes revenus à ce genre de régime. Cela va prendre du temps, mais cela se réglera tout seul.

M. Conroy : Et il y aura des contestations constitutionnelles.

M. Boyd : Je le pense, oui.

La sénatrice Raine : J’aimerais commencer par poser une question à l’ensemble de nos témoins. Nous voulons faire de notre mieux pour empêcher les jeunes d’avoir accès au cannabis, sachant l’impact de ce produit sur leur cerveau en développement, et nous voulons également empêcher la promotion du cannabis auprès d’eux. Que proposeriez-vous en ce sens?

M. Conroy : Tout d’abord, je vous propose de lire l’article publié la semaine dernière. Emily Jenkins et Jenna Valleriani y ont fait allusion mercredi dernier lors de leurs témoignages, montrant que ce qui se dit sur le développement du cerveau est exagéré et qu’après de courtes périodes d’abstinence, on ne décèle aucun problème de déficit cognitif.

Vous rassemblez les termes « cerveau » et « jeune » ou « enfant » et cela crée une charge émotionnelle qui choque beaucoup de gens. Mais si vous prenez le fait que des gens consomment du cannabis à des âges divers depuis aussi longtemps que je pratique ce métier, je me demande où sont les cadavres. Où sont les problèmes?

Nous constatons que, grâce à la légalisation, certaines personnes se font entendre et présentent des statistiques; environ 2 p. 100 des jeunes ont des problèmes, selon l’étude que j’ai lue.

Ce n’est pas l’immense problème qui a été monté en épingle, et je pense qu’il faut envisager d’aller de l’avant et de s’en rendre compte. Nous savons qu’il n’y aura pas d’énormes problèmes, mais nous découvrirons peut-être qu’il y a certains groupes plus vulnérables. Les gens qui ont des antécédents familiaux de schizophrénie, et ce genre de choses, ne devraient pas consommer de cannabis, quel que soit leur âge.

Il faut éduquer les gens. L’éducation aux effets de cette substance et sur les diverses façons dont elle peut agir selon les personnes doit désormais être l’une des priorités afin de limiter les problèmes particuliers pour tout le monde.

M. Robichaud : C’est une excellente question. Selon les témoignages devant ce comité du Dr Milin et du Dr Kahan, il y a manifestement, du moins selon leur avis médical, des problèmes liés au développement intellectuel.

Je demande au Sénat de réfléchir à cela. Si je me souviens bien, l’idée était qu’on ne parviendrait pas à éliminer le marché clandestin. Concernant l’aspect juridique et le traitement des jeunes par le système de justice pénale, nous devons faire très attention de ne pas permettre aux jeunes de s’identifier comme criminels. C’est un élément très important et reconnu dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Une fois qu’un jeune se perçoit comme criminel, il est très difficile de défaire cette perception. Pour prendre un exemple très canadien, un jeune joueur de hockey restera toujours un joueur de hockey. Même 20 ans plus tard, il s’identifiera toujours comme tel.

Pour répondre à votre question, il faut prendre d’autres mesures pour veiller à ce que les jeunes ne soient jamais traduits devant le système de justice pénale. Ironiquement, c’est de cette façon que nous allons protéger les jeunes, parce qu’ils seront visés par les sirènes du marché clandestin et qu’ils doivent être en mesure d’y faire face, ou alors nous devons couper l’herbe sous le pied du marché clandestin pour lui retirer toute rentabilité.

En qualité d’avocat de la défense, je crains que ces peines sévères ne dissuadent tout simplement pas le crime organisé. Il va s’en prendre aux jeunes parce que désormais ce marché lui appartient. Combinez tous ces facteurs, et voilà que dans le but de protéger les jeunes, nous travaillons à la fois contre ce projet de loi sur le cannabis et contre la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

M. Friedman : Pour abonder dans le sens de ce qu’a dit Me Robichaud, c’est à mon avis contre-intuitif en ce sens que si les données médicales soutiennent l’existence d’un risque accru pour les jeunes — et je crois comprendre qu’il y a un débat à ce sujet —, la criminalisation se fait au mauvais bout de la chaîne. Autrement dit, nous reconnaissons comme principe de justice pénale que les jeunes ont moins de responsabilités. Leur maturité est incomplète. Ils ont une capacité réduite. Nous avons donc tendance à les punir moins sévèrement. Mais au lieu de nous concentrer uniquement sur les adultes, nous avons aussi créé une foule de nouvelles peines et de nouvelles interdictions pour les jeunes. Les jeunes, même en acceptant cet argument, sont ici les victimes. C’est comme si on punissait les victimes pour leur vulnérabilité inhérente, c’est-à-dire leur âge et leur immaturité.

Ma proposition serait de combiner l’éducation et la recherche — et la recherche ne pourra se faire ouvertement et de façon valable qu’après la légalisation — en mettant l’accent sur les personnes qui distribuent aux jeunes, et non sur les jeunes eux-mêmes, en évitant de stigmatiser ces derniers. Je suis tout à fait d’accord avec Me Robichaud; si les gens sont étiquetés comme criminels et passent par le système de justice pénale, cela devient pour eux un environnement confortable et familier. La dernière chose que nous voulons pour nos jeunes, c’est qu’ils soient aux prises avec le système de justice pénale.

La sénatrice Omidvar : J’ai deux questions à poser, je vais donc être très concise. Ma première question s’adresse à Me Robichaud. Dans votre mémoire, vous parlez de graves conséquences en matière d’immigration pour les non-citoyens du Canada. Pourriez-vous nous en décrire la nature et les solutions possibles pour y remédier?

M. Robichaud : Merci. C’est une excellente question, qui a été largement négligée, même si le ministre Goodale en a récemment évoqué certains aspects aux actualités.

De toute évidence, il ne s’agit pas d’une entente entre pays. Même si je ne peux en parler que de façon anecdotique parce que je ne suis pas un avocat américain spécialiste de l’immigration, d’après ce que je comprends, toute déclaration de culpabilité et tout aveu montrant qu’une personne a consommé une substance illicite, quelle qu’elle soit, en l’occurrence du cannabis, pourrait entraîner à son endroit l’interdiction permanente d’entrer sur le territoire des États-Unis.

Je me trompe peut-être, mais il est certain que cette préoccupation au sujet des gens qui se voient interdire l’accès au territoire est revenue régulièrement sur mon bureau d’avocat de la défense en droit criminel travaillant avec des avocats de l’immigration américains.

Cela soulève aussi d’autres préoccupations, car la question est alors de savoir qui a accès à cette information. Comme l’a indiqué Me Friedman, les contraventions peuvent ou non être accessibles en vertu de l’article 51, me semble-t-il et cela soulève également des préoccupations.

Je pense qu’il faut faire preuve de beaucoup de clairvoyance dans la façon dont cela se traduira pour l’émigration du Canada. En ce qui concerne l’immigration, si c’est le sens de votre question, cela a des effets à long terme. Je ne suis pas un avocat spécialisé en droit de l’immigration, mais je sais que si les gens font face à certaines infractions, ils seront déclarés interdits de territoire au Canada et seront passibles d’expulsion, peu importe la peine qu’ils encourent.

Si je me souviens bien, une personne admissible à une peine d’emprisonnement de 14 ans est jugée interdite de territoire au Canada avec pour seul motif d’appel des raisons humanitaires. Cela signifie, par exemple, qu’une personne de 18 ans venue au Canada en tant que réfugié et qui a passé un joint à un jeune de 17 ans serait déclarée interdite de territoire avec une capacité à faire appel soumise aux motifs humanitaires. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce dernier point, mais il ne fait aucun doute que des conséquences importantes sont à prévoir en matière d’immigration.

La sénatrice Omidvar : Merci. Nous pourrons peut-être y revenir plus tard.

Ma deuxième question s’adresse à Me Conroy et à M. Boyd, de Vancouver. Nous avons entendu la semaine dernière un témoignage très convaincant d’une jeune personne qui nous a parlé de ses craintes au sujet du partage social et des peines sévères associées au fait qu’une personne de 19 ans partage un joint avec une autre de 17 ans.

Je me demande si nous pouvons nous inspirer de la loi sur le consentement sexuel, qui dit qu’un jeune de 14 à 15 ans peut avoir des rapports sexuels avec une personne plus âgée qu’elle, pourvu que la différence d’âge soit inférieure à 5 ans et qu’il n’y ait pas de relation de confiance, d’autorité ou de dépendance. Y a-t-il des leçons à en tirer?

M. Boyd : Il y a peut-être quelque chose à apprendre, mais je ne suis pas sûr que l’agression sexuelle soit une bonne analogie. Je pense davantage à mon enfance et aux peines liées à la consommation d’alcool par des mineurs. Une analogie entre l’agression sexuelle et le partage social est donc plus logique dans le contexte de l’alcool ou d’une autre substance de ce genre que dans le contexte d’une différence d’âge. Je suis d’accord pour dire que s’agissant d’une personne de 40 ans et d’un jeune de 16 ans qui consomment du cannabis, ce n’est pas la même chose que la sexualité, mais il y a une certaine corrélation.

La sénatrice Omidvar : Nous parlions de consentement sexuel, et non d’agression sexuelle.

M. Boyd : Oui, je sais.

M. Conroy : À mon avis, la faille du projet de loi est qu’il n’y a pas de source d’approvisionnement pour les jeunes de 12 à 17 ans, alors vous les forcez à se tourner vers le marché noir. Comme Bill Blair l’a expliqué au comité, ce sont les provinces qui adoptent ensuite les lois. La Colombie-Britannique a récemment proposé l’adoption d’une infraction pour les mineurs en possession de cannabis, avec une amende maximale de 2 000 $.

Vous les poussez à la clandestinité. Vous devriez avoir un amendement selon lequel un parent, un tuteur ou un adulte dépositaire du consentement écrit d’un parent ou d’un tuteur, devrait être en mesure de fournir un enfant de 12 à 17 ans afin qu’il ne se rende pas sur le marché noir. Un amendement dans lequel vous examinez les principes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et qui permettrait aux parents et aux tuteurs de dire aux jeunes : « Nous voulons avoir une conversation à ce sujet. Nous ne voulons pas que vous alliez sur le marché noir. Nous voulons que vous ayez un moyen d’en apprendre davantage de cette manière et non pas par le système de justice pénale. »

La sénatrice Lankin : Mes questions s’adressent à M. Boyd, mais Me Conroy ou quiconque peut y répondre.

Une question m’est venue à l’esprit au sujet de la culture à domicile et de la probabilité que les gens veuillent cultiver dans leur propre maison. Vous dites penser qu’il n’y en aura pas beaucoup.

L’un des problèmes, c’est qu’aucun d’entre nous ne le sait. Je pense que nous faisons un grand pas en avant et vous nous recommandez de faire tout notre possible pour adopter une approche de santé publique plutôt qu’une approche de prohibition.

Je m’intéresse à la probabilité que les gens souhaitent cultiver chez eux. Ces deux exemples viennent de la Colombie-Britannique. Je suis désolée, c’est anecdotique. Ce n’est pas la meilleure preuve, mais nous n’en avons pas beaucoup.

Je connais deux personnes qui, dans les premiers jours de la légalisation de la marijuana à des fins médicinales, ont obtenu leur certificat pour s’en procurer, quelle que soit la formule employée, ainsi qu’un permis de culture. Ces deux personnes pouvaient avoir jusqu’à 10 plants. Je ne sais pas si c’est la norme ou s’il y avait d’autres quantités possibles, mais elles avaient toutes les deux la capacité de cultiver jusqu’à 10 plants.

Ces deux personnes ont, en l’espace d’un an environ, renoncé à cette possibilité, n’ont pas renouvelé leur permis et ont cessé leurs cultures. L’une des raisons était la prolifération des dispensaires, dans lesquels elles pouvaient simplement acheter le produit, où elles avaient plus de choix pour trouver le produit qui correspondait à leurs besoins. C’est le marché illicite, mais cela leur a facilité l’accès, ce qui a fait que ces deux personnes ont abandonné leurs cultures d’un maximum de 10 plants.

Avez-vous vu d’autres exemples de ce genre? La possibilité que le choix de la culture à domicile ne soit pas très populaire fait-elle partie de vos hypothèses?

Je dois d’abord dire que je vis maintenant dans le Nord de l’Ontario et lorsque je me rends dans différentes collectivités principalement rurales du Nord de l’Ontario pour parler de ce sujet, la plupart des gens sont atterrés par le fait que ce serait limité à quatre plants, car ils en cultivent davantage à l’heure actuelle. Ils ne cultivent généralement pas dans leur maison, mais plutôt à l’extérieur. Il s’agit du Nord, c’est donc plutôt une activité estivale. Quoi qu’il en soit, ce chiffre de 10 plantes m’intéresse.

M. Boyd : L’une des clés est de réfléchir à ce qui est disponible. Nous savons, par exemple, qu’en ce qui concerne l’alcool très peu d’entre nous voudraient faire leur propre vin. Nous ne sommes pas en mesure d’égaler la qualité des produits disponibles à un prix relativement peu élevé dans un magasin d’alcool. Les dispensaires prouvent à peu près la même chose en ce qui concerne le cannabis. Ils ont un grand nombre de souches dont les niveaux de CBD et de THC varient, ce dont on n’aurait même pas parlé il y a 5 ou 10 ans.

Je pense donc que la plupart des gens ne voudront pas faire ce choix, pourvu que le prix soit raisonnable. Il ne faut pas oublier qu’en matière de prix unitaire, l’alcool, une drogue légale, coûte beaucoup plus cher que le cannabis, une drogue illégale. Je ne suis donc pas sûr que nous ayons à nous inquiéter de ce genre de problème, et j’admets que la situation sera dans une certaine mesure variable selon l’endroit où l’on vit.

À Vancouver, d’où nous venons, l’environnement est très différent. Pour la plupart des consommateurs, il ne serait pas pratique de se mettre à cultiver des plants, que ce soit à des fins récréatives ou médicinales, ou les deux. Ce serait en fait contre-productif pour beaucoup.

M. Conroy : Les 10 grammes que vous avez mentionnés signifieraient que ces personnes…

La sénatrice Lankin : Dix plants.

M. Conroy : Un à trois grammes par jour permettrait de cultiver 10 plants. C’est donc habituellement la dose la plus faible. De nombreux patients consomment des doses beaucoup plus élevées. En fait, il y en avait 38 000 au moment de l’obtention de l’injonction en mars 2014, et je crois comprendre qu’il y a maintenant plus de 200 000 personnes qui détiennent un permis pour la culture et la possession de cannabis à des fins médicinales.

Comme je l’ai dit, selon les témoignages entendus dans le cadre de l’affaire Allard, lorsque les patients ont constaté que le RMFM du gouvernement ne fonctionnait pas et que leurs médicaments ne leur parvenaient pas, ils ont renoncé à attendre et se sont rendus dans les dispensaires. Je conviens donc avec Neil Boyd que la plupart des gens ne veulent pas cultiver leurs propres plants. C’est dispendieux et compliqué.

Ici, en Colombie-Britannique, cette industrie a pris beaucoup d’essor. Au début, les produits arrivaient par bateau en provenance de la Thaïlande et de la Colombie, mais la province n’a pas tardé à devenir une économie d’exportation. Les gens cultivaient les plants dans des sous-sols sous un éclairage artificiel. Il y avait toute une technologie et on trouvait tous genres de solutions techniques ingénieuses pour des cultures plus sûres, dont le dispositif « BloomBox » où tout est automatiquement pris en charge. Il y a des gens qui se lancent, et d’autres qui sont vraiment impatients de s’y mettre. Toutefois, comme pour l’alcool, comme pour le tabac, la plupart des gens s’abstiennent. Avec un peu de chance et pour peu que le marché de détail se développe comme il faut, tout ira bien.

Vous dites qu’une personne qui ne veut pas cultiver sa propre herbe et qui s’adresse plutôt à un dispensaire a recours au marché illégal. Or, si le dispensaire s’assure que la personne détient une carte pour s’en procurer à des fins médicinales, ce qui est le cas selon vous, on peut affirmer que tout ce que fait ce dispensaire, c’est fournir un accès raisonnable et combler le vide que le gouvernement n’a pas réussi à combler, malgré l’ordonnance des tribunaux dans l’affaire Parker en 2001.

La sénatrice Bernard : Une de mes questions a déjà été posée et on y a déjà répondu. J’en ai donc préparé une autre, qui s’adresse à Me Robichaud. Un aspect que vous n’avez pas pu aborder plus tôt était le risque d’une application disproportionnée de la loi à l’égard des personnes de race noire, des Autochtones et d’autres Canadiens racialisés. S’il reste du temps, pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

J’aimerais connaître votre point de vue sur la question de savoir s’il faut accorder ou non la réhabilitation à ceux qui ont été criminalisés pour simple possession.

M. Robichaud : Oui. Je commence par répondre à la dernière question. Il ne fait aucun doute que, si nous voulons décriminaliser cette activité, il faut s’attaquer de front à la stigmatisation et à la criminalisation des gens. Je crois qu’il en sera question une fois que le projet de loi sera adopté; en tout cas, je l’espère. Il faudra s’en occuper en priorité, car, à l’heure actuelle, de nombreux Canadiens sont empêchés d’occuper un emploi régulier et sont stigmatisés pour quelque chose qui ne tardera pas à devenir parfaitement légal.

Pour ce qui est de la question plus compliquée, et tout aussi importante, je crains en effet que cette disposition ne soit utilisée de façon disproportionnée. Le magazine Vice a publié tout récemment un article assorti de statistiques sur l’application disproportionnée des accusations. Selon une enquête sur les drogues menée auprès des élèves de l’Ontario en 2015, 39 p. 100 des personnes qui en ont consommé étaient de race blanche et 14 p. 100, de race noire. Les données policières de 2003 à 2013 indiquent par ailleurs que 33,8 p. 100 des accusations liées à la marijuana ont été portées contre des personnes de race noire. C’est un problème. Cela revient à ce que je disais tout à l’heure, à savoir que le système de justice pénale est un instrument grossier et qu’il est utilisé de façon disproportionnée contre certains groupes. Je crains que l’on ne fasse pas assez preuve de circonspection à l’égard des gens de couleur, des Autochtones et d’autres personnes racialisées. Cela m’inquiète énormément. Nous l’avons vu de nos propres yeux. Comme avocat de la défense, j’ai pu constater comment on invoque des lois provinciales, par exemple la Loi sur l’entrée sans autorisation, pour pouvoir accuser les gens d’une infraction dans le cadre d’une enquête criminelle. Étant donné les vastes pouvoirs que confère la Loi sur le cannabis, je crains fort qu’on risque d’en abuser.

Il n’y a pas de solution rapide, bien sûr. C’est un gros problème à tous les égards, et je pense qu’il risque d’être négligé dans ce projet de loi.

M. Conroy : À San Francisco, apparemment, on fait toutes sortes de choses progressistes pour régler ce problème, par exemple, créer des fonds à l’intention des collectivités les plus touchées. Le gouvernement doit donc se pencher sur cette question.

Pour ce qui est de la réhabilitation, il faut que tout le monde puisse s’impliquer, que personne ne soit exclu. Nous savons qui ils sont. Nous pouvons vérifier leurs antécédents, nous pouvons les suivre. C’est beaucoup plus facile à appliquer en vertu des règles administratives civiles qu’en vertu du droit pénal. Si vous les obligez à aller voir ailleurs, ces personnes risquent de vous faire concurrence sur le marché noir.

Il ne faut pas oublier le racisme fondamental de la Loi sur l’opium de 1908, que l’on a adoptée pour se débarrasser des Chinois à cause des fumeries d’opium et des réclamations pour perte de profits après les émeutes. Comme M. Boyd l’a dit, le cannabis ne posait pas de problème en 1923 quand nous l’avons ajouté, mais en 1972, lorsque les accusations sont passées à 10 000 par rapport aux 800 de l’année précédente, nous avons hybridé les infractions parce que des jeunes de race blanche et classe moyenne se faisaient arrêter. Nous ne pouvions pas tolérer cela.

Il y a donc tout un élément racial qui intervient, quelle que soit la drogue dont il s’agit. Par conséquent, j’estime qu’il est très important de nous pencher sur les problèmes qui ont été causés de façon disproportionnée aux collectivités autochtones partout au Canada et qui pourraient encore se produire à l’avenir en raison de certaines dispositions du projet de loi.

M. Friedman : Pour faire suite aux propos de M. Conroy et de M. Robichaud, un problème fondamental du système des contraventions réside dans le fait que c’est à la discrétion exclusive de l’agent de la paix qui procède à l’arrestation. Or, nous savons qu’il y a d’innombrables corps de police au pays, qui ont des politiques et des façons différentes de s’y prendre. Certains sont meilleurs lorsqu’il s’agit de surveiller les groupes racialisés, minoritaires et défavorisés. D’autres le sont nettement moins.

Selon moi, s’il doit y avoir un mécanisme à suivre pour les contraventions, il devrait être obligatoire, et non discrétionnaire. Autrement, tout dépendra de l’état d’esprit de l’agent de police. S’est-il levé du pied gauche? Quel genre d’interaction a-t-il eu avec la personne en cause? Est-ce qu’il la trouve suspecte? Est-ce qu’il ne tient pas à ce que l’incident soit consigné? Quels sont les mécanismes d’appel? Peu importe. C’est exclusivement à la discrétion de l’agent. Nous avons tendance à savoir — peut-être parce que les avocats de la défense sont cyniques ou peut-être à cause du travail que nous faisons — que l’on finit toujours par abuser de ce pouvoir discrétionnaire. Nous pouvons imaginer un scénario où des agents de police qui assurent le maintien de l’ordre dans des quartiers blancs bien nantis utilisent ce pouvoir discrétionnaire tous les jours. Lorsqu’ils veulent soumettre quelqu’un à une fouille ou trouver une excuse pour vérifier son sac à dos ou le coffre de sa voiture et s’il y a lieu de porter une accusation en vertu de la Loi sur le cannabis, ils laisseront tomber l’option de la contravention, et se contenteront de dénoncer l’incident.

Le président : J’aimerais poser une question avant le deuxième tour.

Une des choses les plus troublantes que nous avons apprises — nous en avons déjà entendu parler un peu, mais surtout aujourd’hui —, c’est que nous risquons de continuer de criminaliser les jeunes, contrairement à l’intention de ce projet de loi. Il y a pourtant des circonstances — vous commencez à les décrire dans certaines des observations que vous avez faites — où ils pourraient se retrouver dans le système de justice pénale.

Je comprends que le gouvernement essaie de sévir contre le marché illicite. Il veut faire face à cette situation de façon plus sévère quand c’est un adulte qui vend ou offre du cannabis à un jeune. Quatorze ans, c’est un peu extrême, puisque les deux messieurs de Vancouver ne cessent de faire des comparaisons avec l’alcool. Si un adulte donnait à un enfant un rhum et coke ou même une bouteille de whisky, il ne serait pas condamné à 14 ans de prison. Il n’y a donc absolument aucune comparaison possible entre les pénalités, d’après ce que je peux voir.

En l’occurrence, nous parlons de choses très graves. Je ne peux pas imaginer, par exemple, qu’un tribunal ou un juge puisse condamner un jeune de 19 ans à une peine d’emprisonnement pour avoir partagé de l’herbe avec un ami de 17 ans. Comment pouvons-nous régler ce problème et empêcher la criminalisation continue de nos jeunes?

M. Friedman : Je suis sûr que mes collègues ont des contributions très précieuses à apporter. Je me contenterai d’une seule réflexion. Si nous continuons de parler de l’analogie avec l’alcool, je constate que la Loi sur les permis d’alcool de l’Ontario prévoit une exemption particulière pour les parents qui donnent de l’alcool à des jeunes de moins de 19 ans dans un lieu privé ou une résidence. Ce n’est pas du tout une infraction. Il s’agit en fait d’un mandat précis. Il n’y a donc pas de raison pour qu’on ne puisse pas prévoir des exemptions semblables pour arrêter de criminaliser ce qui n’est pas vraiment un comportement criminel et pour empêcher les jeunes d’entrer sur le marché illicite.

Mes collègues peuvent certainement répondre à d’autres aspects de cette question, mais si nous examinons l’analogie de l’alcool, voyons ce que font les provinces. Ils traitent de cette question précise sans criminaliser ni l’adulte ni le jeune.

M. Robichaud : Merci, sénateur. Je serai bref, car je sais que mes collègues ont beaucoup de choses à dire à ce sujet.

Moi aussi, je partage vos préoccupations. À mon avis, ce projet de loi expose les jeunes à l’échec, de façon très profonde. Je pense qu’il faut vraiment se pencher sur les effets pratiques que cela aura sur eux à long terme. Je pense que nous devons tout faire pour décriminaliser et éduquer ces gens. Me Friedman a fait allusion à une certaine sensibilité à cette loi, au fait que nous préférons que nos jeunes soient à la maison si nous savons qu’ils vont boire, qu’ils soient sous surveillance et qu’ils soient sensibilisés à la consommation responsable d’alcool, car nous savons tous que cela va se produire — et les statistiques sont là qui confirment qu’au Canada, les jeunes boivent à un taux sans précédent dans le monde développé.

La question est donc de savoir si nous voulons que nos jeunes achètent leur marijuana dans un marché clandestin, la fument dans un parc et ensuite prennent le volant, ou si nous voulons que les parents participent pour que nous puissions adopter une approche responsable. Je pense que ce projet de loi est un échec à cet égard et dans un contexte plus large dont nous avons déjà discuté.

M. Conroy : Saviez-vous que, en vertu de la Loi sur le tabac, et nous parlons là de notre principale cause de décès, il n’y a infraction que si le tabac est offert à un jeune en public? Il y a donc cette exemption. Vous venez tout juste de parler de l’exemption pour l’alcool. Je pense donc que c’est un aspect très important.

Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas de dose létale pour le cannabis. Certes, les gens peuvent tomber malades, mais il n’y a pas de dose mortelle. Nous devons donc tirer des leçons des lois et des dispositions antérieures et agir dans la lignée proposée par les témoins précédents et la personne qui a posé la question.

M. Boyd : Nous convenons tous qu’il y a trop de criminalisation dans ce projet de loi. Je pense que c’était une tentative de la part du gouvernement de s’engager dans une voie que tout l’éventail des politiques de gauche et de droite puisse accueillir favorablement. Je pense il y est allé un peu trop fort, côté criminalisation. En même temps, si ce projet de loi devait échouer, s’il n’obtenait pas la sanction royale, il me semble que cela pourrait signifier qu’on n’obtiendra jamais la légalisation du cannabis. Nous devons espérer que cette criminalisation excessive sera modifiée, soit par règlement, soit par de nouveaux amendements au projet de loi.

Le président : Nous pourrions peut-être nous en occuper. On ne sait jamais.

M. Conroy : Ce n’est pas la première fois que nous avons une idée brillante…

Le président : Il nous reste quatre minutes. Il reste deux personnes pour le deuxième tour. Je suggère aux sénatrices Seidman et Raine de poser une question, sans préambule. Posez vos deux questions d’affilée, après quoi nous pourrons écouter les réponses.

La sénatrice Seidman : Maître Robichaud, vous avez dit que la police serait plus disposée à rédiger des contraventions pour possession de marijuana par des adolescents que de porter des accusations criminelles. Par conséquent, dans le cadre du processus de légalisation, ce qui va se produire, en fait, c’est que beaucoup plus d’accusations seront portées, et les procureurs seront plus enclins à demander des condamnations. J’aimerais que vous m’aidiez à mieux comprendre cela.

Le président : Attendez un instant. Laissons la sénatrice Raine poser sa question, et ensuite j’obtiendrai les réponses.

La sénatrice Raine : Ma question est la suivante…

Le président : À qui s’adresse-t-elle?

La sénatrice Raine : À Me Robichaud, je suppose. Quel amendement proposeriez-vous pour régler le problème des jeunes?

M. Robichaud : En ce qui concerne les contraventions, d’après ce que je comprends du projet de loi, il ne permet pas d’imposer des contraventions aux jeunes. Lorsqu’il y a plus de 5 grammes, cela déclenche automatiquement la criminalisation et tout le processus qui s’ensuit, ce qui répond à votre question, sénatrice Raine. Autrement dit, je pense que nous devons vraiment réévaluer ce que signifie être étiqueté comme un jeune criminel et être poursuivi en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. À tout le moins, pour parvenir à une symétrie et à une contestation constitutionnelle inévitable et réussie, il faut porter la quantité à 30 grammes. Je pense que nous devrions sérieusement envisager d’augmenter la quantité en reconnaissant tous les principes très importants de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et même l’objectif de cette mesure législative qui ne vise pas — comme l’a dit Me Friedman — à victimiser les victimes. Nous devons faire d’autres choses pour les tenir à l’écart du système. Que ce soit en augmentant les minimums ou en améliorant l’éducation, je ne sais pas exactement quelle est la réponse, mais il ne s’agit pas de criminaliser les jeunes pour quelque chose de moins que leurs homologues adultes et de les stigmatiser de façon permanente pour de légères déviations par la suite. Je pense que c’est une voie vraiment dangereuse.

M. Friedman : Il y a un amendement très simple qui peut être apporté à ce projet de loi. Il s’agit de l’article 51, où l’on peut remplacer « d’un individu âgé de 18 ans ou plus » par « de toute personne ».

Du coup, les jeunes s’inscriraient dans cette catégorie, et si le régime des contraventions doit être avantageux, ils peuvent en profiter. Ils peuvent avoir l’avantage de conserver un casier judiciaire vierge ou d’avoir un dossier qui ne sera pas versé au casier.

À l’heure actuelle, à mon avis, lorsque je lis ceci — et j’ai lu le projet de loi, les résumés législatifs et les commentaires à plusieurs reprises —, je n’arrive absolument pas à comprendre ce qui peut justifier que l’on puisse refuser aux jeunes l’accès au régime de contraventions. Cela n’a aucune forme de bon sens.

M. Conroy : Je suis d’accord avec les deux intervenants précédents. Je suis ravi d’apprendre qu’il y a un article dans la loi ontarienne que nous pourrions reprendre dans la Loi sur le cannabis en ce qui concerne le rôle des parents et des tuteurs dans le domaine de l’alcool, et comme je vous l’ai dit, du tabac aussi. Je pense que c’est la voie à suivre.

La semaine dernière, un témoin de la communauté autochtone de la Saskatchewan, M. O’Soup, a exprimé de sérieuses préoccupations au sujet de la délivrance de contraventions dans cette communauté. Encore une fois, on peut acheter autant d’alcool qu’on veut au magasin des alcools et l’apporter chez soi. Il n’est pas nécessaire de le camoufler en route ni de le garder sous verrou à la maison, et c’est la même chose pour le tabac.

Compte tenu de l’expérience que j’ai acquise au fil des ans auprès des gens de l’industrie du cannabis, franchement, je pense que les 30 grammes et même les 150 grammes du modèle médicinal sont ridicules. Mais ce qu’il faut surmonter à mon sens, c’est la perception naïve que des peines sévères fonctionneront, contrairement à l’avis des avocats de la défense en droit criminel ou de ceux d’entre nous qui ont de l’expérience dans le système de justice pénale. Nous devons nous rendre compte que pour le tabac, c’est un maximum de un à deux ans, même chose pour l’alcool, et la commission Le Dain a recommandé un maximum de cinq ans. Nous avons dépassé la limite et nous allons causer des problèmes si nous l’appliquons dans la pratique.

À l’instar de M. Boyd, je pense que ce n’est que de la poudre aux yeux pour que le projet de loi soit adopté. C’est la quatrième ou cinquième fois que nous nous disposons à adopter une loi censée améliorer les lois sur le cannabis.

M. Boyd : Je tiens à souligner l’importance du point soulevé par Me Robichaud, soit que l’approche adoptée est tout à fait incompatible avec la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Le président : Merci beaucoup à tous les quatre de nous avoir fait part de vos réflexions à ce sujet. Elles ont été très utiles. Sur ce, mesdames et messieurs les membres du comité, la séance est terminée.

(La séance est levée.)

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