Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 42 - Témoignages du 3 mai 2018
OTTAWA, le jeudi 3 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 10 h 31, en séance publique et à huis clos, afin de poursuivre son étude de ce projet de loi et d’étudier une ébauche de rapport sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je suis Art Eggleton, un sénateur de Toronto, et je suis président du comité. J’invite maintenant mes collègues du comité qui sont là à se présenter.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.
Le sénateur Munson : Jim Munson, de l’Ontario.
Le sénateur Campbell : Larry Campbell, de Galiano Island, en Colombie-Britannique.
La sénatrice Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Galvez : Bom dia. Rosa Galvez, du Québec.
[Français]
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Bonjour. Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
Le président : Ce matin, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.
Il y a trois volets à notre réunion d’aujourd’hui et deux groupes de témoins. Ces deux groupes examinent l’expérience d’autres administrations en ce qui a trait au cannabis, soit la décriminalisation, soit la légalisation.
Le troisième volet de la réunion, qui commencera à 12 h 30, concernera l’étude sur la création des fonds de financement social. Nous siégerons à huis clos pour cette partie de la réunion, de 12 h 30 à 13 h 15.
Entretemps, pour ce qui est du premier groupe de témoins, qui est avec nous durant la première heure, il compte deux participants. Nous accueillons le Dr Kenneth Finn, un médecin spécialiste de la gestion de la douleur qui a participé à la mise en œuvre du programme dans l’État du Colorado, ici présent dans la salle.
Nous accueillons aussi des témoins par vidéoconférence. Bom dia. Par coïncidence, votre premier ministre, Antonio Costa, est ici, à Ottawa, et il rencontre actuellement de l’autre côté de la rue le premier ministre. Mais nous vous souhaitons la bienvenue. C’est vous qui êtes des personnes importantes pour nous. Par vidéoconférence, nous accueillons le Dr Manuel Cardoso, directeur général adjoint, Intervention en matière de comportements toxicomaniaques et de dépendances, et Ana Sofia Santos, chef de la Division des relations internationales.
Je tiens à mentionner à nos témoins qu’ils ont un maximum de sept minutes pour présenter leur déclaration préliminaire. Docteur Cardoso et madame Sofia Santos, je sais que vous nous avez remis un mémoire écrit très étoffé d’ailleurs. Si vous pouvez nous le résumer en sept minutes, ce serait apprécié. Ensuite, nous passerons au Dr Finn. Nous allons commencer par vous, docteur Cardoso.
Dr Manuel Cardoso, directeur général adjoint, Direction générale de l’intervention en matière de comportements toxicomaniaques et de dépendances, Serviço de Intervenção nos Comportamentos Aditivos e nas Dependências (SICAD - Portugal) : Bonjour, honorables sénateurs. Merci de m’avoir invité à faire cet exposé aujourd’hui. Je suis très heureux d’être ici et de vous faire part de certaines de nos expériences dans le cadre de la discussion sur votre projet de loi.
Il est important de mentionner que le Portugal est un petit pays, le pays le plus à l’ouest du continent européen, qui compte environ 10 millions d’habitants. Nous avons un service national de santé pour tous les citoyens. Le SICAD est l’organisme central du ministère de la Santé, qui soutient le gouvernement en ce qui concerne les enjeux liés aux comportements toxicomaniaques et aux dépendances. Le SICAD prévoit, met en œuvre et coordonne des interventions de réduction de la demande de drogues et recueille, analyse et communique des renseignements sur la consommation de drogue et les interventions connexes.
Au cours des dernières années, la politique portugaise a attiré l’attention des décideurs et des médias en raison de son approche novatrice en matière de consommation personnelle et de possession de toutes les substances illégales. Je souligne que je parle de toutes les substances illicites. Cela signifie que nous n’avons pas un cadre juridique précis pour le cannabis.
À la fin des années 1980 et durant les années 1990, nous étions l’un des pays européens affichant la prévalence la plus élevée de consommation problématique de drogue. La drogue et la toxicomanie sont devenues un énorme problème de santé sociale et problème politique au sein de la société portugaise. La plupart des toxicomanes craignaient de s’inscrire à des programmes de traitement parce qu’ils craignaient de se retrouver devant la justice pénale.
En 1997, la toxicomanie a été considérée comme la première préoccupation chez les Portugais. À ce moment-là, la population portugaise comptait environ 1 p. 100 de personnes dont la consommation de drogues était problématique; 98 p. 100 des personnes bénéficiant de traitements étaient des héroïnomanes, et plus de 50 p. 100 étaient des consommateurs de drogues injectables. L’infection par le VIH chez les consommateurs de drogues représentait 60 p. 100 du nombre total de personnes infectées, et le taux de surdose était de 35 par million d’habitants et il était en hausse.
Pour faire face à son problème, le gouvernement a créé une commission d’experts pour étudier la situation et présenter un rapport sur le lancement d’une stratégie nationale sur les drogues. La seule limite définie par le gouvernement relativement aux travaux de la commission, c’était de faire en sorte que la proposition soit présentée dans les limites des trois conventions internationales des Nations Unies sur le contrôle des drogues.
À la suite de ces travaux, la première stratégie nationale portugaise sur les drogues a été élaborée et approuvée en 1999. Elle prévoyait une approche équilibrée entre la réduction de l’offre et de la demande — sous la forme d’un programme de prévention réalisé en partenariat avec les municipalités et des ONG —, un réseau de traitement étendu dans tout le pays, l’élaboration d’un réseau de réduction des méfaits et des programmes de réintégration destinés aux anciens consommateurs de drogue rétablis.
La stratégie portugaise proposait aussi un changement novateur en ce qui concerne la loi. La toxicomanie devait être considérée comme une maladie, et les toxicomanes, comme des citoyens ayant besoin de traitements.
Même si la stratégie nationale publiée sous forme d’une résolution du Conseil des ministres a été adoptée, un projet de loi concernant la décriminalisation a été présenté au Parlement aux fins d’adoption.
Une nouvelle loi a été approuvée par le Parlement et est entrée en vigueur le 1er juillet 2001. La loi a introduit un changement radical dans la façon dont on abordait la consommation de drogues. La consommation, l’acquisition et la possession pour usage personnel de stupéfiants et de substances psychotropes constituent non plus un crime, mais une infraction administrative.
Selon la loi sur la décriminalisation, ces infractions administratives ne sont plus jugées devant les tribunaux. Le tout est soumis à une commission de dissuasion de la toxicomanie créée tout spécialement à cette fin au sein du ministère de la Santé. Les commissions de dissuasion ont été créées en 2001 à l’échelle du pays pour entendre les cas de tous les délinquants trouvés en possession de drogues. Les commissions sont composées de trois membres ayant une expertise professionnelle appropriée dans le domaine de la toxicomanie et d’une équipe technique multidisciplinaire qui prépare tous les faits et réalise une évaluation préalable pour soutenir la décision des commissions.
En somme, le Portugal a décriminalisé toutes les drogues, mais il ne les a pas légalisées, et la politique sur la décriminalisation fait partie d’une approche équilibrée et intégrée qui associe la prévention, le traitement, la réduction des méfaits et la réintégration sociale.
Dix-sept ans après l’adoption de la loi, nous avons cerné plusieurs avantages : une réduction importante du nombre de personnes dont la consommation est problématique, une importante réduction de la prévalence des drogues injectables, une solide réduction du nombre de surdoses et de maladies infectieuses, une réduction de la stigmatisation des toxicomanes, une réduction du fardeau que constituent les délinquants ayant perpétré des infractions liées aux drogues au sein du système de justice pénale et une augmentation des quantités de drogue saisies et de l’efficience des politiques, des services de police et des services des douanes.
Nous tirons parti du potentiel préventif des commissions de dissuasion de la toxicomanie, qui nous donne l’occasion d’interagir rapidement et de façon précise et intégrée avec les consommateurs de drogues.
En conclusion, nous sommes satisfaits du cadre juridique portugais actuel et de l’évolution positive au sein du système national. De toute façon, nous continuerons de faire un suivi des faits nouveaux à l’échelle internationale sur l’évaluation des risques liés à l’utilisation du cannabis quant à sa répercussion sur la santé et, bien sûr, nous porterons attention à tous les changements pouvant être proposés à l’avenir. Cependant, en ce moment il y a, selon nous, un manque de preuve scientifique.
Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie encore une fois de cette occasion. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Nous aurons des questions à vous poser à tous les deux. Nous reviendrons à vous sous peu.
Entretemps, je vais demander au Dr Finn, qui est parmi nous dans la salle et qui a acquis une expérience au Colorado, de bien vouloir s’adresser à nous pendant un maximum de sept minutes.
Dr Kenneth Finn, médecin spécialiste de la gestion de la douleur, Springs Rehabilitation : Merci de m’avoir permis d’être ici.
À titre d’information, en 2012, l’État du Colorado a soumis l’amendement 64 aux voix, légalisant la marijuana consommée à des fins récréatives; l’amendement a été adopté à 55 p. 100 des voix. La mesure permet à toutes les personnes âgées de 21 ans et plus de consommer ou de posséder de petites quantités et aux administrations locales de réglementer ou d’interdire le cannabis sur leur territoire. Au Colorado, 72 p. 100 des municipalités de l’État ont choisi de ne pas permettre la consommation récréative de marijuana, malgré le fait que la grande majorité des municipalités ont recommandé la légalisation.
L’État a aussi adopté une taxe d’accise permettant de générer des recettes pour l’État du Colorado. En 2017, le Colorado a reçu 247 millions de dollars en recettes fiscales, soit environ 1 p. 100 de son budget total.
Le gouverneur du Colorado a signalé un manque à gagner de 500 millions de dollars dans le budget de 2018, ce qui signifie des compressions importantes pour ce qui est de la construction de routes, d’écoles et d’hôpitaux, l’augmentation des frais de scolarité de l’État et l’élimination du remboursement aux contribuables.
En 2013, le département de la Justice des États-Unis a publié le mémo Cole, qui permet aux États s’étant dotés de lois sur la marijuana de créer des cadres réglementaires pour protéger huit secteurs d’application de la loi fédérale, notamment :
Dans un premier temps, la prévention de la distribution aux mineurs. Au Colorado, de 2005 à 2015, la proportion de visites en urgence ou aux services d’urgence de personnes âgées de 13 à 20 ans a augmenté de plus de 100 p. 100. Le taux de consommation de marijuana au cours du dernier mois parmi les jeunes du Colorado âgés de 12 à 17 ans continue d’être supérieur à la moyenne nationale. On note une augmentation de 65 p. 100 du nombre de cas de première consommation chez les jeunes du Colorado depuis la légalisation. Le Colorado arrive maintenant au premier rang au pays. La marijuana est la substance qu’on retrouve le plus souvent dans le sang des adolescents du Colorado qui se sont suicidés. L’exposition liée à la marijuana des enfants âgés de 0 à 5 ans a quasiment triplé dans la moyenne sur quatre ans depuis la légalisation. On a noté une augmentation de 19 p. 100 des suspensions scolaires liées à la marijuana en 2017-2018, et 88 p. 100 des étudiants ont déclaré avoir obtenu la marijuana auprès de leurs parents, de leurs amis ou du marché noir.
Deuxièmement, empêcher que la vente de marijuana ne profite aux entreprises criminelles, aux gangs et aux cartels. Le nombre de cultures illégales de marijuana au Colorado a augmenté de façon importante depuis la légalisation. Dans le comté d’El Paso, où je vis, Colorado Springs a décidé de ne pas légaliser la marijuana, mais il y a plus de 500 cultures illégales de marijuana dans notre collectivité.
Troisièmement, empêcher le détournement de la marijuana des États où elle est légale en vertu des lois de l’État, sous une forme ou sous une autre, vers d’autres États. En 2016 seulement, les responsables de l’application de la loi du Colorado ont confisqué 7 000 livres de marijuana, réalisé 252 arrestations pour délit criminel et effectué 346 saisies de marijuana sur la route, de la drogue qui était destinée à 36 États différents. Le système postal américain a enregistré une augmentation de 844 p. 100 des saisies postales de marijuana en provenance du Colorado depuis la légalisation.
Quatrièmement, empêcher que les activités autorisées par l’État soient un prétexte ou une couverture pour le trafic d’autres drogues illégales ou d’autres activités illégales. La plus importante saisie de drogues au Colorado depuis la légalisation, en juin de l’année dernière, incluait des violations de la loi du Colorado sur le crime organisé, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, le vol ainsi que la fraude en matière de prêt hypothécaire et de valeurs mobilières. En outre, un ancien agent de l’application de la loi sur la marijuana du Colorado était visé.
Cinquièmement, prévenir la violence liée à l’utilisation d’armes à feu dans la culture et la distribution de la marijuana. Colorado Springs affiche un nombre record d’homicides total depuis la légalisation en 2017 et un nombre record d’homicides liés à la marijuana en 2017, depuis la légalisation. De façon générale, le Colorado a affiché une augmentation de 11 p. 100 des crimes liés à la marijuana de 2013 à 2016.
Sixièmement, prévenir la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et l’exacerbation des autres conséquences néfastes pour la santé associées à la consommation de marijuana. Le Colorado compte un nombre record de décès liés à la conduite avec facultés affaiblies par la marijuana en 2016. En effet, plus de 20 p. 100 des décès étaient liés à la consommation de marijuana. En 2017, nous avons atteint un nouveau record en ce qui concerne le nombre total de décès, mais les données sur la marijuana restent à venir. Les produits très puissants sont associés à de graves troubles mentaux, y compris des psychoses et la schizophrénie. Les produits d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux qu’on pouvait obtenir il n’y a de cela que quatre ou cinq ans. La marijuana n’a pas permis d’endiguer l’épidémie des opioïdes. Le Colorado a connu une année record de décès par surdose d’opioïdes en 2017, et nous constatons maintenant une augmentation des décès liés à d’autres drogues, la méthamphétamine et la cocaïne, depuis la commercialisation de masse.
La légalisation a été associée à une consommation accrue de marijuana, ce qui a entraîné une augmentation des visites à l’urgence et des hospitalisations liées à la toxicité de la marijuana, au syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, à la psychose et à l’exposition pédiatrique, tout cela, à des coûts incertains. Pour un seul hôpital dans une seule collectivité, celle où je vis, qui a choisi de ne pas légaliser la marijuana, on a perdu 20 millions de dollars en soins de santé, et ce, simplement pour les visites à l’urgence liées à la marijuana de 2009 à 2014. Il y a de nombreux autres effets négatifs sur la santé, y compris les effets cardiaques, pulmonaires, gastro-intestinaux, fœtaux, néonataux, materno-fœtaux, pédiatriques, neurologiques et psychologiques, pour ne nommer que ceux-là.
Septièmement, empêcher la culture de la marijuana sur les terres publiques et les dangers connexes liés à l’environnement et à la santé publique que pose la production de marijuana sur les terres publiques. L’éradication des plants de marijuana illégaux dans les montagnes Rocheuses du Colorado a augmenté de 2 200 p. 100 depuis 2014, le tout pour une valeur marchande de 177 millions de dollars.
Huitièmement, empêcher la possession ou la consommation de marijuana sur les propriétés fédérales. En 2012, une culture illégale de marijuana de 20 acres a été découverte dans les zones brûlées par le plus important feu de forêt de Colorado Springs.
En résumé, le Colorado a fait un travail épouvantable avec la commercialisation de masse, l’expansion et la légalisation de la marijuana, ce qui a provoqué d’importantes préoccupations liées à la santé publique et à la sécurité et des répercussions sociales inconnues qui rappellent celles de l’alcool et du tabac.
N’essayez pas de faire voler l’avion avant de l’avoir construit. Appuyez-vous sur la science, pas sur l’argent. Il pourrait bien s’agir du plus grand cheval de Troie de tous les temps. Je vous invite tous à venir au Colorado pour voir de vos propres yeux les réfugiés de la marijuana qui viennent dans notre État. Passez du temps dans les urgences où mes collègues et amis sont confrontés à des problèmes liés à la marijuana tous les jours. Parlez aux premiers répondants, qui doivent retourner à la maison et laver leurs vêtements et se nettoyer tout simplement parce qu’ils sentent la marijuana après chaque quart de travail, même si les appels n’avaient rien à voir avec la marijuana. Rencontrez des familles touchées par l’expérience au Colorado. Parlez à ceux qui ont perdu des êtres chers en raison de la marijuana.
Je vous invite tous à venir au Colorado et à voir ce qui se passe vraiment, sur le terrain. Merci.
Le président : Merci, docteur Finn.
Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Nous aurons cinq minutes chacun, mais ce sera serré. Veuillez poser vos questions le plus brièvement possible. Nous allons commencer par les vice-présidents.
La sénatrice Petitclerc : Ma question est destinée à notre invité du Portugal. J’aimerais que vous nous disiez pourquoi le Portugal a choisi la décriminalisation plutôt que la légalisation. Comme vous le savez, nous sommes en train de légaliser le cannabis, et j’aimerais avoir votre point de vue sur la raison pour laquelle vous avez opté pour l’approche de la décriminalisation plutôt que de la légalisation.
Dr Cardoso : Eh bien, tout d’abord, comme je l’ai mentionné, la seule et unique contrainte que le gouvernement a imposée à la commission, c’était de ne pas enfreindre les conventions des Nations Unies liées au contrôle des substances psychoactives. C’était la première raison.
L’autre, c’est que, en fait, grâce à la décriminalisation, nous avons le contrôle. La substance continue d’être illégale et, par conséquent, nous continuons d’être en contact avec les consommateurs ou nous nous assurons que les installations puissent communiquer avec les consommateurs et nous utilisons cette possibilité pour essayer de les aider à arrêter de consommer de la drogue. Avec la légalisation, il est possible pour tout le monde de consommer, contrairement aux règles qu’il est possible d’établir lorsqu’on opte pour la légalisation.
La sénatrice Petitclerc : Merci. Pouvez-vous nous dire de quelle façon vous avez abordé la lutte contre le marché illicite? Parce que c’est l’une des choses qui sont très importantes pour nous.
Dr Cardoso : Je n’ai pas entendu la dernière partie de la question.
La sénatrice Petitclerc : Oui, j’aimerais savoir de quelle façon, grâce à votre approche, vous luttez contre le marché illicite?
Dr Cardoso : C’est la même chose que lorsque tout était illégal, parce que le trafic et la vente de drogues illicites continuent d’être illégaux, alors nous luttons de la même façon. Le seul changement, si vous regardez le document que je vous ai envoyé, c’est que les services de police peuvent réaffecter leurs ressources vers les gros trafiquants plutôt que les petits consommateurs et les petits trafiquants. C’est là la grande différence.
Par ailleurs — et c’est aussi lié à votre première question —, nous avons décriminalisé toutes les drogues, pas seulement le cannabis. Il n’était pas possible de légaliser toutes les drogues. C’était quelque chose qui était clair pour nous en raison des problèmes, des problèmes pour la santé, qui sont tellement gros qu’il est très difficile ne serait-ce que d’y penser.
Cependant, en fait, ce que nous faisons relativement au trafic est identique à ce qu’on ferait si la consommation était criminalisée. C’est le même travail.
Le président : Permettez-moi de poursuivre dans la même veine, docteur Cardoso.
En ce qui a trait au trafic, ou ce que vous appelez la « réduction de l’offre », de quelle façon distinguez-vous les gros poissons des petits, les grands trafiquants des autres? Nous avons discuté, ici, par exemple, du fait que, si une personne qui dépasse tout juste l’âge limite donne du cannabis à une personne juste en dessous de l’âge limite, c’est une infraction criminelle. Si des gens se passent un joint, dans le cas du cannabis, ce pourrait être une infraction criminelle si c’est une personne plus âgée qui le passe à une personne plus jeune. Où décidez-vous de tracer la ligne en ce qui concerne le trafic? De quelle façon vous y êtes-vous pris?
Dr Cardoso : En même temps que nous avons approuvé la loi, nous avons approuvé et ajouté des définitions quant aux quantités de chaque drogue qu’une personne peut avoir en sa possession, et nous avons déterminé la quantité utilisée pour une consommation personnelle de 10 jours. La quantité de drogue qu’une personne peut avoir en sa possession pour sa consommation est claire.
Cependant, même si un utilisateur a en sa possession plus de drogue, il est aiguillé vers le tribunal par la police, mais, en même temps, si le juge détermine que la substance n’était destinée qu’à la consommation personnelle du contrevenant, ce dernier est renvoyé vers la commission.
Nous avons donc défini clairement la quantité de drogues consommée en 10 jours.
Le président : Merci.
La sénatrice Seidman : Merci à vous deux de vos exposés ce matin.
Je voudrais poser ma question, d’entrée de jeu, à nos invités du Portugal, si vous me le permettez. Pour commencer, je tiens à tous vous remercier de nous avoir fourni de l’information sur les défis que le Portugal a dû relever en ce qui concerne la consommation de drogues et l’expérience de votre pays en matière de décriminalisation.
J’aimerais revenir, docteur Cardoso, sur vos derniers commentaires. Vous avez dit que vous allez garder un œil sur ce qui se passe à l’échelle internationale en matière d’évaluation des risques du cannabis relativement à son incidence sur la santé, mais vous avez dit que, selon vous, il y a en ce moment « un manque de preuve scientifique ».
J’aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet. Croyez-vous que légaliser une drogue plutôt que de la décriminaliser pourrait sous-entendre que sa consommation est sécuritaire et envoyer un tel message?
Dr Cardoso : En fait, pour ce qui est de l’intervention que vous venez de faire, je peux répondre par oui. Ici, au Portugal, relativement à cette discussion à l’échelle internationale sur la légalisation, nous sommes convaincus que nous avons noté une petite augmentation de la consommation, et c’est seulement parce que nous avons décriminalisé la drogue il y a 17 ans.
Lorsque j’ai parlé du manque de données scientifiques, j’aimerais que l’OMS ou les Nations Unies améliorent leur approche scientifique et l’évaluation de la consommation du cannabis afin de voir si l’interdiction ou la situation de l’illégalité de ces substances peuvent être maintenues ou non parce que, en fait, les conventions des Nations Unies concernent le trafic, et pas vraiment les enjeux liés à la santé. De notre point de vue, l’OMS ou les Nations Unies doivent globalement réaliser une évaluation plus solide et plus approfondie des répercussions sur la santé d’une telle consommation. Si les résultats de cette évaluation nous apprennent que la consommation de cannabis n’est pas si mal ni si problématique, alors il pourra y avoir des modifications. Les lois visées par la réglementation pourraient être rédigées différemment. Mais c’est l’idée. En savoir plus pour maintenir la légalité de la substance ou l’inclure dans un autre type d’annexe ou je ne sais trop. Cependant, de notre point de vue, ce sera intéressant ou important de savoir ce que l’OMS et les Nations Unies ont à dire à ce sujet.
La sénatrice Seidman : Je veux vraiment confirmer que j’ai bien compris ce que vous nous avez dit parce que je crois que c’est très important. Vous avez dit, en réponse à la dernière partie de ma question que, oui, il y a une augmentation de la consommation, selon vous, associée à la décriminalisation au Portugal et que cela envoie bel et bien un message selon lequel la consommation de marijuana est plus sécuritaire. C’est exact?
Dr Cardoso : Non.
La sénatrice Seidman : Je voulais tout simplement que ce soit clair.
Dr Cardoso : J’ai mentionné qu’il y a, en fait, une augmentation de la consommation de cannabis lorsqu’on parle de la prévalence à vie. C’est facile à comprendre lorsqu’on parle de toute la vie des adultes, entre 15 et 74 ans. En outre, chez les jeunes, la prévalence diminue. Il y a des diminutions dans toutes les autres drogues. La prévalence a diminué au cours des dernières années.
Ce que j’ai mentionné concernait la discussion un peu partout dans le monde sur la légalisation. Même ici, au Portugal, les gens comprennent que, s’ils légalisent la substance, c’est probablement parce que les risques ne sont pas si élevés. Nous notons une augmentation de la consommation au cours des deux ou trois dernières années.
La sénatrice Seidman : La discussion sur la légalisation. Merci.
Le président : Chers collègues, il y a maintenant huit membres sur la liste, et nous allons manquer de temps. Par conséquent, nous devons passer à trois minutes chacun.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse au Dr Cardoso. Dans votre présentation, vous avez dit que 98 p. 100 des consommateurs utilisaient l’héroïne et que 50 p. 100 utilisaient d’autres drogues dures. Quel est le pourcentage de ceux qui utilisaient la marijuana?
[Traduction]
Dr Cardoso : Premièrement, j’ai mentionné que, en 1997, nous avions un immense problème. À cette époque, parmi ceux qui étaient en traitement, 98 p. 100 étaient des héroïnomanes, et 50 p. 100 utilisaient d’autres drogues injectables. Actuellement, nous en sommes à 6 ou 7 p. 100 qui consomment des drogues injectables, et les héroïnomanes ne représentent qu’environ 10 p. 100 ou à peu près des gens en traitement. La majeure partie des consommateurs de drogues illégales sont des consommateurs de cannabis. En fait, ils représentent 25 p. 100 — si je me rappelle bien — de tous ceux qui ont suivi un traitement.
En général, la prévalence de la consommation du cannabis au cours de la vie était d’environ 10 p. 100, moins de 10 p. 100 de la population sondée entre 15 et 74 ans. Parmi la population plus jeune, les 15 à 34 ans, on parle d’environ 15 ou 16 p. 100. De plus, pour ce qui est des jeunes, à la lumière d’un sondage qu’on fait passer aux jeunes de 16 ans, nous avons constaté qu’environ 15 p. 100 d’entre eux avaient dit avoir déjà consommé du cannabis.
La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse à nos invités du Portugal et, peut-être, à Mme Santos, vu votre titre. J’aimerais aborder la question de la décriminalisation dans le cadre de vos liens avec la communauté internationale. Des sanctions ont-elles été imposées au Portugal à la suite de la décriminalisation? En quoi votre relation avec l’UE a-t-elle été touchée? Avez-vous des renseignements quant à savoir si vos citoyens se sont vu plus souvent refuser l’accès aux États-Unis en raison de la décriminalisation?
Ana Sofia Santos, chef, Division des relations internationales, Serviço de Intervenção nos Comportamentos Aditivos e nas Dependências (SICAD — Portugal) : Pour ce qui est de votre première question, au début, lorsque nous avons procédé à la décriminalisation, en 2001, les Nations Unies, et principalement l’Organe international de contrôle des stupéfiants, ont affirmé que cette option choisie par le Portugal à ce moment-là ne respectait pas ce qui était défini dans les conventions. Il y a eu deux missions de l’Organe international de contrôle des stupéfiants au Portugal. Après la deuxième mission, les responsables ont indiqué dans leur rapport annuel que, en fait, l’option choisie au Portugal respectait ce qui est défini dans les conventions parce que la consommation reste interdite, c’est simplement qu’elle n’est plus criminalisée.
Il y a encore des sanctions administratives liées à la consommation, la possession et l’acquisition des substances. En ce qui a trait au trafic, rien n’a vraiment changé par rapport à ce que nous avions auparavant.
Il y a eu, je dirais, beaucoup de discussions avec les Nations Unies. Bien sûr, durant ces années, nous avons reçu — et nous recevons encore aujourd’hui — beaucoup de délégations étrangères de partout dans le monde qui viennent voir de quelle façon nous avons mis notre système en place.
Enfin, en 2016, durant la séance spéciale des Nations Unies, à New York, le président de l’Organe international de contrôle des stupéfiants a présenté un exposé et dit que, en fait, le Portugal devait être considéré comme un modèle de pratique exemplaire respectant les paramètres des conventions.
Je dirais, donc, qu’il a fallu un certain temps pour que les Nations Unies se rendent compte que nous respections les conventions.
En ce qui a trait à nos relations avec les pays de l’UE, je ne dirais pas que cela a changé les relations que nous avions avec nos partenaires. Bien sûr, au début, il y a eu beaucoup de curiosité. Nous avons reçu beaucoup d’invitations, et nous en recevons encore beaucoup aujourd’hui, pour présenter notre politique. Il y a eu, en fait, d’autres pays, comme la République tchèque, qui ont procédé, plus récemment que le Portugal, à la décriminalisation.
Pour ce qui est de votre dernière question, en fait, je n’ai pas de données. Je n’ai pas d’information, quant à savoir si la politique a eu des conséquences en ce qui a trait à l’entrée des citoyens portugais aux États-Unis.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup de vos déclarations.
Lorsqu’il est question de drogues, les options stratégiques vont de l’interdiction à la légalisation en passant par la décriminalisation et, ici, au Canada, nous permettrons aussi la commercialisation. Par conséquent, nous faisons un grand saut.
À la lumière de ce que le Dr Kenneth Finn a mentionné, tout cela entraîne un risque, et je veux réduire ce risque. J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’établissement d’une concentration maximale de THC, de l’âge auquel on devrait permettre aux jeunes de fumer des joints, de l’étiquetage et de la culture à domicile. Pouvez-vous nous faire part de votre position relativement à ces enjeux?
Dr Finn : Premièrement, je n’encourage personne à fumer. Il est bien connu que le cannabis contient des cancérogènes similaires à la fumée du tabac. Même avec la vaporisation, on ingère encore certains produits chimiques. Au Colorado, on a constaté que beaucoup de produits étaient contaminés par des métaux lourds, ce qui cause le cancer. Ils peuvent être contaminés par des champignons, des pesticides, des rodenticides, et ainsi de suite. En tant que médecin, je ne recommande de fumer le cannabis d’aucune façon.
Comme vous le savez, dans le cadre de l’expérience au Colorado, il y a eu beaucoup de culture à domicile. Les cartels viennent de partout dans le monde pour se cacher à la vue de tous, sous le couvert de la loi. C’est vraiment un gros poids sur nos ressources d’application de la loi et celles de la DEA. Ce que les intervenants de ces organisations font la plupart du temps, de nos jours, c’est de lutter contre les cultures à domicile, parce qu’il n’y a vraiment pas de surveillance, à part lorsque des voisins signalent des odeurs désagréables, ce qui leur donne une bonne raison de se présenter et d’éradiquer ces cultures à domicile.
En ce qui a trait à l’étiquetage, c’est l’une des choses sur lesquelles nous avons travaillé, et j’ai participé aux travaux du groupe de travail du gouverneur sur l’amendement 64. Une partie de notre projet, dans le cadre des travaux du groupe de travail sur la sécurité du consommateur et les enjeux sociaux, consistait à parler d’étiquetage. Assurez-vous que les emballages ne sont pas attrayants pour les enfants. Refusez les friandises, les jujubes, les dessins animés ou la publicité pouvant attirer les jeunes.
Dr Cardoso : Puisque nous n’avons pas légalisé la consommation de cannabis, nous n’avons pas discuté d’étiquetage. Nous constatons seulement que la concentration de THC a une incidence sur la santé. Toute discussion liée aux enjeux associés à la santé doivent faire intervenir la détermination et, peut-être, au moment de la légalisation, la détermination des concentrations de THC ou de cannabinoïdes ou les composantes du cannabis. Selon nous, c’est d’une importance cruciale pour les consommateurs en ce qui concerne les problèmes liés à la santé.
La sénatrice Raine : Ma question est aussi destinée aux témoins du Portugal. Puisque ce n’est plus un crime de posséder ou de consommer des drogues au Portugal et que vos services de police peuvent maintenant se concentrer sur les fournisseurs de drogues, dont les activités sont toujours illégales, de quelle façon un consommateur de drogues peut-il obtenir légalement sa drogue sans enfreindre la loi ou sans traiter avec des éléments criminels?
Dr Cardoso : Le commerce est toujours un crime, et les gens doivent aller voir des trafiquants pour acheter toutes les sortes de drogues. Ce que les services de police ne font pas, c’est de s’attaquer aux consommateurs. Cependant, même dans de tels cas, si les policiers arrêtent quelqu’un qui consomme une substance ou est en possession d’une substance, ils l’aiguillent vers la commission. L’idée, c’est non pas de les envoyer en prison, mais de les renvoyer devant la commission afin de les aider à arrêter de consommer.
La sénatrice Raine : Est-ce que la commission fournit aux toxicomanes la drogue qu’ils veulent consommer?
Dr Cardoso : Je n’ai pas compris. Désolé.
La sénatrice Raine : Est-ce que votre système de santé fournit de la drogue aux toxicomanes afin qu’ils n’aient pas à se tourner vers des éléments criminels?
Dr Cardoso : Même lorsque les policiers trouvent de la drogue, ils la saisissent. La seule substance qu’on redonne aux toxicomanes, c’est certains médicaments comme la méthadone ou la buprénorphine. Dans certains pays d’Europe, ils utilisent un médicament similaire à l’héroïne. Au Portugal, nous ne le faisons pas. L’acquisition est donc encore illégale.
Le président : Vous avez cette commission. Vous avez un système d’amendes pour les consommateurs. Ils sont mis à l’amende, d’après ce que je comprends, et doivent verser entre 25 et 150 euros, mais la commission peut aussi prévoir d’autres sanctions, comme des interdictions de fréquenter différents endroits. Qu’arrive-t-il si le consommateur ne paie pas l’amende ou ne peut pas la payer — il est peut-être pauvre — ou qu’il viole l’une des autres sanctions? Qu’arrive-t-il alors? L’envoyez-vous encore en prison? De quelle façon rectifiez-vous la situation?
Dr Cardoso : Non. En fait, nous devons rappeler l’objectif principal : l’objectif principal, c’est de voir ces personnes comme des gens qui ont besoin d’aide ou de traitements pour arrêter de consommer; on ne veut les punir d’aucune façon.
La première idée… même dans le cas des amendes, on les donne seulement à des gens qui ne sont pas des toxicomanes, seuls les consommateurs occasionnels ou ceux qui se font prendre une deuxième fois en train de consommer par la police se voient imposer des amendes. L’idée, c’est d’essayer de dissuader la consommation.
La sénatrice Poirier : Merci à vous deux de vos exposés.
Docteur Finn, vous n’avez pas brossé un beau tableau. Ça, je peux vous le dire. J’avais commencé à prendre en note beaucoup des choses que vous avez dites, mais il y en avait tellement que je n’ai pas pu tout écrire. Beaucoup des augmentations que vous constatez et dont vous parlez sont aussi des choses que les gens craignent avec la légalisation de la marijuana, tout comme l’augmentation des coûts des soins de santé et le risque accru pour la santé, entre autres choses. Je vous remercie de nous avoir fait part de tout cela.
Ma question portera sur la teneur en THC. Au Colorado, au début, si j’ai bien compris, il n’y avait pas de limite réglementant le THC. En 2016, certains législateurs ont proposé un amendement pour limiter la limite de THC à 16 p. 100. Selon vous, devrions-nous réfléchir aux niveaux de THC pour prévenir des produits très puissants?
Dr Finn : Si vous voulez imposer une limite, tenez-vous-en à 10 p. 100. Les produits disponibles au Colorado peuvent atteindre une puissance de 95 p. 100, et nous constatons, je parle de mes amis et collègues dans les urgences, l’augmentation importante du nombre de personnes qui se présentent à l’urgence en état de psychose.
Un de mes amis et collègues à l’urgence, par exemple, a vu un jeune âgé de 16 ans qui n’avait aucun antécédent psychiatrique consommer un produit très puissant. Il a fallu le maîtriser, l’électrocuter et il a fini par poignarder un gardien de sécurité au visage avec un couteau, et a fini par agresser des membres de sa famille, au point où l’un d’eux s’est retrouvé aux soins intensifs. Beaucoup de ces problèmes sont liés à la puissance.
Il y a les Kristine Kirk de ce monde, qui s’est fait tirer dans la tête par son époux, qui avait consommé un produit très puissant. Il y a Levy Thamba, qui a sauté en bas d’un balcon après avoir ingéré des produits très puissants.
Il y a des adolescents et des jeunes qui utilisent des stylos de vaporisation à l’école, parce qu’il n’y a pas d’odeur, mais qui contiennent des produits très puissants. Les données sur le vapotage indiquent que les enfants qui utilisent de telles cigarettes électroniques sont plus susceptibles de se tourner vers la marijuana comparativement à ceux qui ne vapotent pas et qui sont moins susceptibles de le faire.
La puissance est un enjeu majeur. Par exemple, une de mes collègues, ce matin, m’a envoyé un texto au sujet d’une personne qui s’est présentée à l’urgence avec le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde pour la troisième fois en une semaine. Ce recours accru au service de santé commence vraiment à exercer des pressions sur le système de soins de santé, surtout dans la collectivité où il survient et où il n’y a pas beaucoup de ressources, où les gens s’en tirent moins bien sur le plan financier, leur situation économique étant moins bonne et ainsi de suite.
La puissance est un énorme problème, et je vous recommande fortement de vous en tenir à 10 p. 100.
Le sénateur Manning : Merci aux témoins. Ma question est destinée au Dr Finn.
Pouvez-vous estimer ce que la légalisation a coûté au système de soins de santé dans l’État du Colorado depuis l’introduction de la politique? Je sais que vous avez réalisé certains travaux à ce sujet, une étude de cas.
Ma deuxième question est la suivante : les municipalités se sont retirées à 72 p. 100, si j’ai bien compris ce que vous avez dit. Je ne suis pas parfaitement sûr. Dans la loi que nous proposons, ici, il n’y a pas d’option de retrait, alors je me demande si vous pouvez nous expliquer de quelle façon cela fonctionne. Je comprends, aussi, que vous avez opté pour une limite d’âge de 21 ans, tandis que notre loi prévoit 18 ans. Vous avez peut-être quelque chose à dire à ce sujet.
Dr Finn : C’est une partie du problème. Lorsqu’il y a des lois liées à la marijuana thérapeutique permettant aux jeunes de 18 ans et plus de consommer, beaucoup de ces jeunes sont au secondaire et ils peuvent devenir des patients autorisés à consommer de la marijuana à des fins thérapeutiques et, puisqu’ils ne peuvent pas en obtenir à 21 ans, il y a une lacune. Par conséquent, ces jeunes peuvent devenir des trafiquants de drogues à l’école, parce qu’ils peuvent obtenir leur carte de marijuana thérapeutique, et le système de contrôle des patients qui se rendent dans certains dispensaires pour acheter leur limite quotidienne de marijuana thérapeutique n’est pas très bon.
L’autre problème, c’est que les consommateurs de 21 ans achètent du cannabis thérapeutique à des fins récréatives. Ils établissent eux-mêmes un diagnostic et la façon de gérer leurs problèmes médicaux. C’est parce que nous avons ces deux côtés de la médaille... Est-ce un usage thérapeutique, est-ce légal? Qu’est-ce que c’est exactement?
Cependant, je crois que les coûts sont énormes. Les deux drogues qui sont déjà légales, l’alcool et le tabac, génèrent beaucoup d’argent dans leur industrie respective, mais elles coûtent aussi beaucoup d’argent à la société, c’est évident. Je n’ai pas encore lu ou trouvé ailleurs de l’information précisant que ce sera différent dans le cas de la marijuana.
C’est ce que nous constatons au Colorado. J’ai fait une étude sur ma collectivité locale, et on parle d’une perte d’environ 20 millions de dollars. Si on extrapole ce résultat au niveau de l’État, on pourrait parler de 500 millions de dollars de perte de 2009 à 2014, simplement au tout début de la légalisation.
Il y a donc toutes sortes d’autres préoccupations et répercussions liées à la santé publique dont il faut tenir compte. Il y a des répercussions sur le système reproducteur. Il y a des effets sur la mère, le fœtus et le système cardiovasculaire. Comme toutes les autres substances que nous avons déjà, le coût pour la société qui nous attend pourrait être énorme.
Alors la question liée à votre question est la suivante : pourquoi est-ce que 72 p. 100 des municipalités ont dit : « D’accord, nous avons voté en faveur de la mesure, mais nous n’en voulons pas dans notre cour? » Il n’y en a pas seulement quelques-unes : c’est bien la majorité des municipalités qui ont dit : « Nous n’en voulons pas dans nos collectivités. »
Le sénateur Manning : Dans la loi, elles avaient l’option de se retirer, c’est exact?
Dr Finn : Les collectivités avaient la possibilité d’y adhérer ou de s’en retirer. Colorado Springs est la deuxième ville en importance de l’État, et nous avons choisi de ne pas autoriser la marijuana, mais, encore une fois, il y a 500 installations de culture illégale dans notre collectivité, ce qui en dit long.
Le sénateur Campbell : Merci d’être là aujourd’hui, docteur. Connaissez-vous un groupe qui s’appelle Smart Approaches to Marijuana?
Dr Finn : Oui, je connais ce groupe.
Le sénateur Campbell : En êtes-vous membre?
Dr Finn : Non.
Le sénateur Campbell : Cela me surprend, parce que vos statistiques sont quasiment identiques à tout ce que les représentants de cette organisation ont dit. Franchement, j’aimerais revenir sur deux de ces statistiques.
L’hospitalisation et les visites à l’urgence. Vous semblez être très surpris du fait que, lorsque la marijuana a été légalisée, soudain les gens ont commencé à se présenter à l’urgence. Je vous dirais que la raison pour laquelle ils peuvent se présenter à l’urgence, c’est parce que, lorsqu’ils ont des problèmes, puisque la marijuana est légale, ils peuvent en fait obtenir du soutien médical, comme vous l’avez souligné, principalement lorsqu’ils ont des épisodes psychotiques. Cela ne devrait pas vous surprendre. Tout le monde semble en faire grand cas, mais personne ne devrait être surpris par le fait que, une fois que la substance est légale, les gens tireront parti des installations médicales plutôt que de courir le risque que leurs enfants leur soient enlevés, qu’on les arrête et qu’on appelle les policiers. N’êtes-vous pas d’accord avec cela?
Dr Finn : Je le serais. Vous savez, cela fait partie de la banalisation sociale. Lorsqu’une substance devient plus accessible, plus facilement accessible, et que les gens constatent que la consommation est sécuritaire ou, du moins, c’est ce qu’on dit, c’est une herbe, c’est vert ou peu importe la façon dont on veut décrire le cannabis... La légalisation entraîne une consommation accrue, laquelle entraîne une augmentation des problèmes. Lorsqu’il y a plus de problèmes, il y a plus de visites aux urgences.
Le sénateur Campbell : Le rapport SAM datait de 2013, soit essentiellement lorsque tout a commencé. Cependant, en 2017 — et il y a un rapport qui sera remis à tous les sénateurs —, il y a eu un rapport produit au Colorado qui donne à penser que certaines des initiatives liées à la santé publique concernant les méfaits du cannabis ont en fait des effets positifs et font avancer les choses.
La deuxième chose que je voulais aborder — et, encore une fois, vos statistiques sont du même type que ce qu’avance SAM —, c’est la question de la consommation des opioïdes et des surdoses. Vous savez sûrement qu’il y a une épidémie de surdoses partout dans le monde. Peu importe que la marijuana soit légalisée ou non, les décès par surdose augmentent. N’êtes-vous pas d’accord?
Dr Finn : Oui. Je crois que je peux être d’accord avec vous sur le fait que les décès par surdose d’opioïdes augmentent. Il y a eu une légère réduction, si on regarde certaines des données, en 2014-2015, 2015-2016, mais les chiffres de 2017 montrent une nouvelle augmentation du nombre de décès par surdose d’opioïdes.
Le sénateur Campbell : À titre d’information, sachez que le nombre a doublé au Canada. Le nombre de décès a doublé en un an. C’est donc quelque chose que nous connaissons.
Dr Finn : En fait, la consommation de cannabis est un prédicteur du mauvais usage des opioïdes.
Le sénateur Campbell : Et où sont vos statistiques à ce sujet? D’où viennent les données scientifiques?
Dr Finn : Les données viennent, si je ne m’abuse, du récent article d’Olfson dans le Journal of Psychiatry. Les chercheurs se sont penchés sur 34 000 personnes et ont réalisé des études montrant que la consommation de cannabis augmente le risque de consommation à des fins non médicales d’opioïdes et de mésusage d’opioïdes.
Le sénateur Campbell : J’ai une dernière question. Il y a un article, de Livingston et coll., qui a été produit en 2017. Au Colorado, ils ont constaté que, grâce à la légalisation, en fait, on note une réduction de 6,5 p. 100 des décès par surdose par rapport au reste du pays où l’on constate, en moyenne, une augmentation de 6,5 p. 100, le Kentucky arrivant au premier rang. Nous vous suivons pour ce qui est de cette idée que le cannabis est une drogue d’introduction et tout cela. Il n’en reste pas moins que la marijuana et les décès par surdose d’opioïdes ne sont pas liés et qu’il n’y a pas de relation entre les deux.
Le président : Avez-vous autre chose à ajouter?
Dr Finn : Oui. Il y a une certaine faiblesse dans l’étude de Livingston parue dans le Journal of Public Health. Il a regardé certaines des données, mais il n’a pas tenu compte de beaucoup d’autres facteurs, y compris l’utilisation accrue et répandue du Narcan, un agent désactivateur en cas de surdose d’opioïdes. Il n’a pas tenu compte du fait que les médecins hésitent davantage à en prescrire et que les patients, selon mon expérience, hésitent à recevoir des ordonnances d’opioïdes. Il y a aussi, en même temps, le fait que le classement de l’hydrocodone est passé de l’annexe 3 à l’annexe 2. Il y a d’autres facteurs à part le simple fait que la marijuana est accessible, et par conséquent, il y aura, du point de vue des opioïdes…
Le sénateur Campbell : Non…
Le président : Monsieur le sénateur, le temps est écoulé. Votre temps est écoulé et en fait nous n’avons plus de temps du tout. Les statistiques sont incroyables, peu importe de quel côté on regarde la chose, je dois dire.
Je tiens à remercier le Dr Finn. Je suis désolé que vos déplacements pour vous rendre ici aient été si compliqués et je vous remercie d’être venu.
Merci beaucoup, docteur Cardoso et Ana Sofia Santos. Obrigado. Bonne journée.
Nous passons au deuxième groupe. Comme dans le cas du premier, nous allons nous attacher à d’autres administrations, dans le cas qui nous occupe, deux États des États-Unis. Je souhaite la bienvenue au Dr Jay Butler, médecin chef du ministère de la Santé et des Services sociaux de l’Alaska, et à M. Rick Garza, du Washington State Liquor and Cannabis Board qui comparaît par vidéoconférence.
Messieurs, bienvenue à vous deux. Nous vous remercions de votre contribution à notre discussion. J’aimerais pour commencer vous donner jusqu’à sept minutes pour présenter votre déclaration préliminaire, puis les membres du comité vous poseront des questions.
Dr Jay Butler, médecin chef, ministère de la Santé et des Services sociaux de l’Alaska : Merci, monsieur le président, et bonjour aux membres du comité sénatorial des affaires sociales. Je suis heureux d’avoir l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Pour le compte rendu, je suis le Dr Jay Butler, médecin chef du ministère de la Santé et des Services sociaux de l’Alaska. Je suis aussi le tout dernier président de l’Association of State and Territorial Health Officials des États-Unis.
Même si la marijuana reste illégale à l’échelon fédéral aux États-Unis, elle a maintenant été légalisée dans neuf États, et près d’un Américain sur quatre vit dans un État où la loi étatique permet la possession et la vente au détail.
En tant que responsable de la santé dans une administration où la possession de marijuana et sa vente au détail ont été légalisées en 2014, je vais axer mes commentaires sur trois préoccupations liées à la santé publique associées à la consommation de marijuana et aux approches en matière de santé publique pour les atténuer. Je serai heureux de discuter d’autres enjeux liés aux risques potentiels sur la santé ainsi qu’aux avantages connexes durant la période de questions et de réponses.
La première préoccupation liée à la santé publique est la consommation par des mineurs, intentionnelle ou non. En Alaska, en 2017, 41 p. 100 des étudiants du secondaire ont déclaré avoir essayé la marijuana, et 21 p. 100 ont déclaré avoir consommé dans le dernier mois. Un jeune sur dix déclarait avoir consommé pour la première fois à 13 ans ou moins.
Cependant, au cours de la dernière décennie, ces taux ont peu changé. Comme au Colorado, l’Alaska est un État où, historiquement, l’utilisation a été plus élevée que les moyennes nationales.
Cependant, il y a également eu une augmentation de la proportion d’adolescents qui croient qu’il y a peu de risques pour la santé, voire aucun, associés à la consommation de marijuana, et on a aussi cerné des tendances semblables dans d’autres États.
Ce qui est préoccupant, c’est la consommation problématique et la dépendance, des problèmes qui touchent un utilisateur adolescent régulier sur 10. Le risque de consommer de façon problématique de la marijuana est quasiment deux fois supérieur chez ceux qui commencent à consommer régulièrement durant l’adolescence.
En Alaska, comme dans d’autres États où il y a des points de vente au détail, la vente et la possession sont limitées aux personnes âgées de 21 ans et plus. Cela correspond aux restrictions de tous les États en ce qui concerne la vente d’alcool et, maintenant dans 5 États et plus de 300 villes, la vente de produits du tabac.
Une augmentation des cas d’intoxication involontaire chez les jeunes enfants a été mentionnée plus tôt. Ces problèmes découlent de l’ingestion de produits comestibles infusés de THC au Colorado. On s’attaque à ce problème en exigeant un emballage et une marque indiquant clairement que les produits contiennent du tétrahydrocannabinol ou du THC. Les emballages doivent être peu susceptibles d’attirer les enfants. Il faut utiliser des emballages résistants aux enfants et limiter la quantité de THC par portion ou dans les produits à emballage unique. Au Colorado, à Washington et en Californie, le contenu en THC d’une portion est établi à 10 milligrammes. En Alaska et en Oregon, c’est 5 milligrammes. Dans les cinq États, un seul emballage ne peut pas contenir plus de 10 portions.
Une deuxième préoccupation qui a été mentionnée précédemment, c’est la consommation durant la grossesse. Le THC traverse le placenta et entre dans la circulation fœtale. Des études réalisées sur des animaux donnent à penser que des cannabinoïdes exogènes peuvent interférer avec l’action des cannabinoïdes naturels qui contribuent au développement cérébral normal du fœtus. Chez les humains, l’utilisation durant la grossesse a été associée à une diminution du poids à la naissance.
Un récent rapport de Californie révèle que la consommation de marijuana pendant la grossesse, particulièrement chez les jeunes femmes, a augmenté. En effet, environ une femme enceinte sur cinq âgée de moins de 24 ans a déclaré avoir consommé de la marijuana en 2016 avant la légalisation. Des données de plusieurs États dénotent une diminution de la perception du risque associé à la consommation durant la grossesse, même s’il y a eu peu de nouvelles données documentant soit l’innocuité, soit le risque.
En Alaska, nous nous sommes efforcés de fournir de l’information aux femmes enceintes et à leurs professionnels de la santé sur le profil d’innocuité actuellement inconnu de la consommation de marijuana durant la grossesse. Nous avons préparé des documents imprimés et pour les médias sociaux qui traitent de la consommation d’alcool, de tabac et de marijuana durant la grossesse, et le message principal c’est que « légal ne veut pas dire sécuritaire ». Ces documents sont accessibles dans les bureaux des professionnels de la santé, les organismes de services sociaux et les points de vente au détail de marijuana. J’ai apporté certains des documents imprimés en question, et je sais qu’ils vous seront remis plus tard aujourd’hui.
Le troisième sujet de préoccupation, c’est la conduite avec facultés affaiblies. Il y a des données probantes claires selon lesquelles le cannabis mine les capacités de conduire et augmente le risque d’accident. De hautes concentrations de THC dans le sang ralentissent les temps de réaction, limitent la vision périphérique et augmentent la variabilité quant à la vitesse et à la position dans les voies. Le niveau des facultés affaiblies par le THC semble être lié à la dose et est accentué par une consommation concomitante d’alcool.
En Alaska, nous nous attaquons à la question de la conduite et de la navigation avec facultés affaiblies dans le cadre d’un message de santé publique plus général selon lequel il faut être des utilisateurs responsables. Cela a aussi inclus la diffusion d’une vidéo et la communication de messages sociaux, mis au point par la division de la santé publique à la lumière des commentaires formulés par le milieu des consommateurs de marijuana. En fait, certains de ces messages ont été communiqués par les propriétaires de points de vente au détail. La raison pour laquelle nous avons procédé ainsi, c’est que, dans le cadre de groupes de discussion communautaires, nous avons constaté que, lorsqu’il est question de consommation de marijuana, les utilisateurs ne me croient pas. Ils ne croient pas leur médecin et ne croient pas non plus le gouvernement de façon générale, mais ils écoutent les détaillants.
Il est important de souligner qu’il y a un certain nombre de limites associées aux données américaines liées aux effets sur la santé publique de la légalisation de la marijuana. Premièrement, on a seulement des données depuis peu d’années. Le Colorado et Washington ont légalisé la marijuana en 2012, suivis par l’Alaska et l’Oregon en 2014. Il faut un certain nombre de mois, peut-être même d’années, pour que la commercialisation, la réglementation de la vente au détail et la création d’un marché en tant que tel atteignent une vitesse de croisière. Il est vraiment trop tôt pour tirer beaucoup de conclusions fermes.
Ensuite, même s’il existe des données provenant d’études épidémiologiques précoces, la marijuana vendue au détail accessible en 2018 affiche généralement un contenu en THC de loin supérieur à ceux auxquels nous avions accès lorsque bon nombre d’entre nous étaient jeunes, comme cela a été mentionné précédemment.
Enfin, il y a beaucoup plus de modes d’administration que par le passé. En plus des joints traditionnels et des carrés au chocolat, les nouveaux produits sur le marché du détail incluent des boissons infusées au THC, des huiles concentrées et des teintures, des solutions de vapotage et des produits topiques, en plus d’une pléthore de produits infusés au THC; il y a de tout, des produits de boulangerie aux vinaigrettes en passant par les sauces barbecue.
En conclusion, je vous encourage à considérer la marijuana comme un produit unique. Même s’il y a des leçons liées à la santé publique à tirer de la réglementation de l’alcool et du tabac, il est important de ne pas confondre les effets sur la santé de ces produits avec l’approche optimale en matière de santé publique dans chaque cas.
J’attends avec impatience la discussion qui suivra. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Le président : Merci beaucoup, docteur Butler.
Rick Garza, directeur, Washington State Liquor and Cannabis Board : Bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du comité.
Comme je dispose seulement de sept minutes, je commencerai par dire que le modèle qui a été utilisé à Washington — et, encore une fois, on parle d’une initiative qui a été adoptée en novembre 2012 — s’appuie sur le modèle qui a été utilisé à la suite de la prohibition, en 1934. Il est intéressant de noter que l’auteur de l’initiative s’est penché sur la façon dont nous sommes sortis de la prohibition, par exemple en misant sur des exigences très strictes en matière de permis d’exercice pour nous assurer de garder les éléments criminels à l’écart et les politiques, les règles et les lois en ce qui concerne l’accès des jeunes.
Je vais donc vous dire que, en tant qu’un des deux premiers États à l’avoir fait en 2012, nous avons attendu neuf mois pour savoir si le gouvernement fédéral allait nous permettre d’aller de l’avant avec cette expérience, sachant qu’elle allait à l’encontre de l’interdiction fédérale.
Le mémo Cole est arrivé neuf mois plus tard, en août 2013. Il contient vraiment les principes directeurs sur lesquels nous nous sommes appuyés pour établir notre réglementation. Il y a trois domaines, et l’un d’eux est simplement le fait que nous avions reçu certains détails d’un médecin de l’Alaska. Cependant, je dirais que, en raison des travaux du comité, je veux me concentrer sur la question de la restriction de l’accès pour les jeunes.
Nous faisons régulièrement des vérifications de la conformité dans le cadre de la réglementation des alcools à Washington, et c’est ce que nous faisons depuis plus de 80 ans. Nous utilisons le même programme à Washington auprès des détaillants de cannabis. Il est intéressant de constater que les initiatives ont mis en place le même programme. En fait, le modèle de réglementation de l’alcool à Washington s’appuie sur le modèle de la Colombie-Britannique, qui se trouve au nord de nous.
Nous procédons à des vérifications de la conformité à Washington, à trois ou quatre vérifications de la conformité chez chaque détaillant, chaque année. Nous avons adopté des exigences strictes en matière de sécurité et des pénalités en matière de vente. Le taux de conformité lié à l’accès des jeunes au cours des quatre dernières années à Washington s’est élevé à environ 92 p. 100. C’est encore mieux que le taux de conformité affiché par les détaillants d’alcool, qui se situe entre 84 et 90 p. 100. La raison pour laquelle nous obtenons de meilleurs résultats dans le cas du cannabis, c’est qu’il y a moins de détaillants.
En fait, nous utilisons le même modèle. Jusqu’en 2011, l’État était le détaillant de spiritueux, comme c’est le cas dans certaines provinces canadiennes pour la vente d’alcool au détail. Nous avons utilisé le même modèle. Nous avons seulement permis 500 points de vente au détail à l’échelle de l’État. Comme vous le savez, nous comptons plus de 7 millions d’habitants. Nous réalisons beaucoup de vérifications de la conformité chaque année.
De plus, nous avons environ six mois de retard sur le Colorado, et nous avons pu voir certaines des choses qui se produisaient dans le cas des produits comestibles et des produits infusés. La commission a adopté une règle d’urgence selon laquelle aucun produit comestible ou infusé ne pouvait être particulièrement attrayant pour les enfants. Nous ne savions pas que, dans les marchés noir et gris des produits thérapeutiques, beaucoup de produits infusés ou comestibles étaient attrayants pour les enfants : des oursons en gélatine, des suçons, de la barbe à papa et de la crème glacée. Nous avons donc rédigé une règle d’urgence. Au sein du Liquor and Cannabis Board, nous comptons sur un comité de quatre personnes qui examine tous les emballages, tous les étiquetages ainsi que tous les produits comestibles et infusés. Cela a permis de retirer de notre marché certains emballages aux couleurs vives et d’autres choses que nous avons constatées dans les marchés noir et gris.
Je crois qu’il y a eu une question et un commentaire précédemment sur ce qu’on a constaté au cours des quatre dernières années au chapitre de la consommation chez les jeunes. Dans l’État de Washington, nous réalisons ce que nous appelons le Healthy Use Survey. Un sondage sur une consommation saine. On le réalise chaque année auprès des jeunes de 8e, 10e et 12e années — dans nos écoles secondaires. Nous posons depuis toujours une question de base au sujet de la consommation au cours des 30 derniers jours. Nous voulons vraiment savoir ce qui arrivera là. Au sein du milieu de la santé et de la prévention, nous nous attendons à une augmentation du taux de consommation au cours des 30 derniers jours chez les jeunes de 8e et 10e années. En 2012, l’augmentation était de 17 p. 100. En 2016, 17 p. 100 aussi. Je crois que le milieu de la prévention et le milieu de la santé ont été surpris qu’il n’y ait pas une augmentation importante. En fait, dans certains comtés du sud de Washington, on note en fait une diminution, ce que nous ne comprenons pas vraiment.
L’un des sujets préoccupants dans le cadre du sondage, c’est le fait que la perception quant aux préjudices a diminué. Encore une fois, lorsqu’une telle chose se produit, on s’attendrait à une augmentation de la consommation, mais ce n’est pas ce que nous avons vu.
Je dois vous dire que, puisqu’il y a tellement de renseignements anecdotiques en ce qui a trait aux préjudices ou au fait qu’il n’y a pas de préjudices, selon que vous parlez à une personne qui est pour ou contre la légalisation… Notre Healthy Use Survey est réalisé dans les collectivités et les écoles depuis plus de 50 ans, et nous utilisons les résultats comme point de repère pour déterminer la consommation, non seulement du cannabis, mais de toutes les drogues.
Je tiens aussi à vous dire quelque chose que nous avons trouvé intéressant. L’une des choses auxquelles nous ne nous attendions pas, c’est le choc des cultures. Je dois vous dire que notre initiative a été adoptée à 56 contre 44 p. 100, et il y a donc une importante population à Washington qui a voté « non ». Certaines des choses que nous ne nous attendions pas à voir, et dont je vais vous faire part, c’est la publicité. Il y a eu un véritable choc entre ceux qui constatent maintenant que la légalisation a bel et bien eu lieu et qui ont constaté que l’industrie en faisait la publicité, comme le ferait n’importe qui faisant la publicité d’un produit. Il y a eu un réel choc au sein des citoyens, et c’est ce choc qui a mené aux restrictions imposées par l’assemblée législative sur la publicité au cours des deux dernières années. Ces restrictions qui concernent les panneaux d’affichage ont été signées par le gouverneur. Il y a tout de même des affiches dans les rues achalandées et des panneaux gonflables.
Dans l’État de Washington, il y a beaucoup d’activités d’application de la loi liée au cannabis et à l’alcool, et la principale plainte que nous avons reçue du public concernait la publicité. De tout ce qu’on aurait pu s’attendre à voir se produire, nous avons été surpris de voir que la principale préoccupation tenait à la publicité. Cela a alors entraîné l’imposition d’autres restrictions pour l’industrie.
Un autre enjeu était lié aux banques. Nous avons eu de la chance. Nous avons trois coopératives de crédit d’État et des banques à charte d’État qui permettent les opérations bancaires en raison de la façon dont nous contrôlons nos titulaires de permis. Nous suivons un processus assez exhaustif pour vérifier nos détenteurs de permis, tout comme nous le faisons dans le domaine des spiritueux. Nous procédons à des vérifications des antécédents, des vérifications des empreintes digitales auprès des services de libération conditionnelle de l’État de Washington et grâce à un contrat avec le FBI. Par conséquent, non seulement nous vérifions donc les demandeurs, mais, en raison de la façon dont le texte de l’initiative a été rédigé, nous contrôlons aussi les financiers et les investisseurs. Nous réalisons un examen des antécédents financiers. Nous voulons savoir d’où vient l’argent utilisé pour créer l’entreprise. Encore une fois, on tente ainsi de s’assurer de repousser tous les éléments criminels à l’extérieur de l’industrie.
Je crois avoir écoulé mes sept minutes, monsieur le président. Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci beaucoup. Vous avez tous les deux réussi à nous fournir beaucoup d’information en sept minutes. Nous pourrons obtenir de plus amples renseignements grâce aux questions.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés.
Pour commencer, je vais poser mes questions au Dr Butler. J’aimerais tout particulièrement connaître votre expérience en ce qui a trait aux tests et à la réglementation liés au contenu en THC en Alaska. Vous avez mentionné certains problèmes dans votre exposé, mais un article paru dans le Anchorage Daily News, au cours des derniers jours, cite ainsi un membre du Marijuana Control Board de l’Alaska :
Les Alaskains sont obsédés par la marijuana qui contient plus de 20 p. 100 de THC.
Je comprends que cette situation concernait des révélations liées au fait que la puissance indiquée sur les étiquettes était souvent inexacte. En plus de l’augmentation apparente du nombre de mauvais tests, la demande pour de la marijuana très puissante a créé un fort incitatif financier pour les cultivateurs, les détaillants et les laboratoires d’essai d’essayer de contourner les règles du système.
J’aimerais que vous nous parliez de la demande croissante pour de la marijuana très puissante en Alaska et les défis liés à l’étiquetage et aux tests en laboratoire.
Dr Butler : Merci, madame la sénatrice. Si je ne vous connaissais pas, j’aurais juré que vous avez regardé mes notes lorsque j’ai décidé des sujets que j’aborderais durant la période des questions et des réponses.
Les essais sont un sujet dont nous n’avons pas beaucoup parlé aujourd’hui. Vous avez en fait soulevé un certain nombre d’enjeux. Permettez-moi de commencer par la question de la forte puissance.
L’une des raisons pour lesquelles il ne faut pas confondre marijuana et, par exemple, alcool, c’est que les consommateurs n’évaluent généralement pas l’alcool en fonction de la qualité du contenu alcoolique, tandis que c’est souvent le cas pour la marijuana. Les gens souhaitent obtenir des niveaux de THC supérieurs, du moins dans le marché actuel, à la lumière des analyses que j’ai examinées.
L’un des défis auquel nous sommes confrontés en Alaska concerne la réglementation, et je crois que c’est pertinent dans le cadre de vos délibérations — et je soupçonne que M. Garza aimerait aussi en parler — et je parle ici des défis que nous avons rencontrés au moment d’effectuer des tests pour documenter le contenu en THC pour les consommateurs.
En Alaska, le processus de délivrance de permis permet à des laboratoires commerciaux de réaliser les essais. L’État assure une surveillance en matière de qualité, mais la collecte des spécimens en tant que telle et la normalisation des protocoles ne sont pas des procédures qui ont été bien définies. Par conséquent, nous avons en fait créé un groupe de travail responsable des essais qui passe en revue le processus et les leçons apprises, tissant des liens avec d’autres États afin de déterminer de quelle façon on pourrait mieux faire ce travail.
Actuellement, la loi en Alaska fait en sorte que l’étiquette doit seulement indiquer la quantité de THC. Il y a d’autres États qui exigent aussi la divulgation du contenu en cannabinoïdes et, comme on l’a mentionné précédemment, il y a aussi d’autres préoccupations liées aux métaux lourds, aux pesticides et aux contaminants comme les moisissures pouvant être présentes dans le produit.
S’il y a une recommandation que je formulerais, c’est que je crois que vous devez très bien réfléchir à la façon de normaliser le processus de test afin d’obtenir des mesures exactes. Si vous voulez procéder de la façon la plus sécuritaire possible pour le consommateur et si vous voulez que le consommateur puisse être informé, les procédures de test doivent être normalisées.
M. Garza : Vous auriez pu rédiger cet article pour l’État de Washington, pas seulement pour Anchorage, parce que nous avons exactement les mêmes problèmes.
En fait, durant la législature précédente, l’un des problèmes que nous avons rencontrés rapidement, pour être honnête avec vous, c’est que bon nombre d’organismes de l’État avec lesquels nous aurions habituellement travaillé pour définir des normes en laboratoire, par exemple, ou en ce qui concerne les laboratoires d’accréditation environnementaux, hésitaient à pénétrer dans ce domaine en raison de l’interdiction fédérale et en raison du fait qu’une partie de leur financement venait du gouvernement fédéral.
Il a fallu deux ou trois ans pour que nos partenaires dans d’autres organismes acceptent, et il avait vraiment fallu que l’assemblée législative et le gouverneur exercent beaucoup de pression afin d’y arriver. Contrairement à la Californie et à certains autres organismes ou certains autres États, la régie des alcools, à ce moment-là, devait assumer quasiment toute la responsabilité de la mise en place du système. Nous avons dû travailler en collaboration avec le département de l’Agriculture, par exemple, qui a accrédité les cuisines utilisées par les transformateurs de cannabis, mais même là, on a eu des difficultés au départ. Je crois que vous avez un programme lié au cannabis thérapeutique au Canada depuis pas mal de temps, alors je suis sûr que vous n’avez plus ce genre de problèmes.
Nous avons dû composer avec bon nombre des problèmes que la sénatrice a mentionnés relativement à l’article paru dans le journal d’Anchorage, et nous composons encore aujourd’hui avec ces problèmes parce que, dans le cas des normes de laboratoire pour mesurer la puissance et la présence de pesticides, par exemple, il n’y a pas un ensemble de règles établies. En fait, nous avons dû utiliser des règles qui ont été adoptées par le Sénat de l’Oregon parce que le département de l’Agriculture à Washington hésitait à préciser quels pesticides il fallait ou ne fallait pas utiliser. Encore une fois, à Washington, nous nous serions habituellement tournés vers l’EPA, l’Environmental Protection Agency, l’organisme fédéral, qui aurait pu nous fournir un soutien et une assistance technique relativement aux pesticides qu’on peut ou qu’on ne peut pas utiliser et en ce qui concerne leur seuil de nocivité respectif.
Nous nous sommes entendus au cours de la présente session et nous recevrons une proposition du ministère de l’Écologie qui, en fait, s’occupera de certifier les laboratoires. J’ajouterai ici que nous avons eu le même problème avec les laboratoires commerciaux ou privés. Seize laboratoires étaient certifiés dans l’État de Washington. En fait, nous avons transféré les fonds de la régie des alcools et du cannabis au département de l’Agriculture pour que ce dernier puisse acheter l’équipement approprié pour réaliser des tests sur les pesticides justement parce que nous avions les mêmes préoccupations au sujet des manigances de ces entreprises commerciales.
J’aimerais parler un instant de la question de la puissance. C’est quelque chose dont nous avons parlé au cours de la dernière année. Certains ont laissé entendre qu’il faudrait peut-être envisager de taxer les produits en fonction de leur puissance en THC, parce que nous constatons — et c’est quelque chose qu’on voit partout aux États-Unis — que les gens veulent acheter les produits contenant le plus de THC. On s’est donc posé la question de savoir si, contrairement à la façon dont on taxe actuellement les produits, nous devrions envisager de taxer le cannabis en fonction de la puissance du THC.
Je vais m’arrêter ici, monsieur le président.
La sénatrice Petitclerc : J’aimerais que vous répondiez tous les deux à ma première question, en commençant par le Dr Butler.
Dans vos États respectifs, avez-vous envisagé d’établir — vous en avez peut-être déjà — des lignes directrices pour une consommation sécuritaire du cannabis? J’y pense parce que certains des témoins sont venus ici nous dire qu’il serait possible d’élaborer de telles lignes directrices, mais nous n’en avons pas ici, au Canada. Avec l’alcool, par exemple, il y a des lignes directrices sur ce qui constitue une consommation sécuritaire pour les femmes, les hommes, le nombre de consommations par jour ou par semaine. Existe-t-il une telle chose pour le cannabis, ou est-ce quelque chose que vous envisagez de faire dans vos États? En outre, qui pourrait fournir de telles lignes directrices aux consommateurs?
Dr Butler : Madame la sénatrice, merci de la question.
C’est assurément quelque chose dont nous discutons. Je crois que le plus grand défi, c’est le manque de données scientifiques solides pour orienter ces discussions. C’est là où je constate parfois que les participants à la discussion essaient d’utiliser les données liées au tabac et à l’alcool, ce que — encore une fois — je vous encourage à ne pas faire.
Nous nous sommes concentrés principalement sur des lignes directrices liées aux préoccupations pour la santé. Par exemple, lorsqu’on consomme des produits comestibles, nous avons publié des déclarations comme : « Allez-y doucement et commencez lentement », quelque chose du genre. Cela revient à dire aux gens : « Ne continuez pas d’en manger en attendant l’effet. » Il faut de 30 à 60 minutes pour ressentir l’effet.
De plus, nous avons aussi des messages concernant les effets sur la conduite. L’un des domaines très controversés, c’est d’essayer de déterminer exactement quand il est sécuritaire de conduire après avoir consommé du cannabis. Bien sûr, tout dépend du mode de consommation, du fait que le cannabis est fumé, vapoté ou ingéré. Dans le cas des produits comestibles, nous avons établi une durée plus longue, encourageant les gens à ne pas conduire dans les 8 à 10 heures suivant la consommation.
Nous avons également encouragé les gens à ne pas consommer du cannabis et de l’alcool en même temps, surtout lorsqu’il est question de conduire sous l’influence de la drogue ou de l’alcool, parce que les deux substances semblent affaiblir encore plus — à quantités égales — la capacité de conduire lorsqu’elles sont consommées ensemble plutôt que séparément. Les mécanismes compensatoires du cerveau liés à une substance sont compromis par l’autre substance.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
M. Garza : Madame la sénatrice, c’est une excellente question.
L’année dernière, mon homologue du Colorado et moi avons comparu devant le National Institute on Drug Abuse à Washington, D.C. Le manque de recherche et le manque de données scientifiques au sujet du cannabis créent tellement de problèmes. Vous avez tout à fait raison. Il y a des années, la NIDA a laissé entendre que, selon le sexe et le poids d’une personne, les gens pouvaient consommer telle ou telle quantité d’alcool, de vin ou de spiritueux.
J’ai demandé aux responsables de l’organisation la même chose. Nous aimerions pouvoir dire aux consommateurs que tel ou tel niveau de consommation est possiblement sécuritaire ou non. Les responsables m’ont regardé comme s’ils ne savaient pas du tout ce dont je parlais et comme s’il était impossible de le savoir. Lorsqu’on tient compte de la façon dont les gens consomment le produit, c’est évidemment différent de la consommation d’alcool. Il y a différentes méthodes, et on peut le fumer, le manger, le boire… Et comment peut-on savoir où on en est?
C’est une excellente question, et nous l’avons nous aussi posée. Nous avons demandé au NIDA et à d’autres organisations d’effectuer des recherches sur ce en quoi pourrait consister un niveau sécuritaire de consommation de cannabis. Cependant, à ce que je sache, personne n’a fait ce travail.
Comme le médecin de l’Alaska vient de le dire, nous communiquons beaucoup de messages, très similaires à ce qu’ils font là-bas, quant à ce qu’il faut savoir au moment d’ingérer des produits comestibles du cannabis ou de consommer cette drogue d’autres façons.
Le président : Permettez-moi de poser une question, ici.
Des personnes sont venues nous parler de la culture à domicile. La culture à domicile, selon mon tableau, n’est pas permise dans l’État de Washington, mais l’Alaska permet la culture de six plants par adulte. J’aimerais que vous nous parliez rapidement de ce qui a mené à vos décisions dans vos deux États distincts, et comment les choses se passent? Dans quelle mesure est-ce que tout cela fonctionne ou non? Je vais commencer par M. Garza cette fois-ci.
M. Garza : Il est intéressant de noter que nous sommes le seul État à avoir légalisé la consommation de cannabis par des adultes qui ne permet pas la culture à domicile. Au bout du compte, on s’est appuyé sur ce qui est ressorti des initiatives, soit qu’il ne fallait pas permettre la culture à domicile. Des propositions ont été soumises durant chaque session législative au cours des cinq dernières années afin de permettre la culture à domicile. Le point de vue des responsables de l’application de la loi, c’est que, si on crée un marché légal, pourquoi faudrait-il aussi donner l’occasion aux gens d’en faire pousser eux-mêmes, et, possiblement, d’en vendre en cachette?
Lorsque j’ai mené des consultations auprès des États du Colorado et de l’Oregon, des responsables m’ont dit : « Si je pouvais revenir en arrière et changer quelque chose, je ne permettrais pas la culture à domicile. » Je crois que cela fait partie du compromis dans le cadre de l’initiative — en fait, dans le cas du Colorado, il s’agit d’une modification constitutionnelle —, et il était question, au bout du compte, de permettre aux gens de faire pousser des plants pour leur consommation personnelle. Les limites qui ont été établies étaient très hautes. Quatre-vingt-dix-neuf plants, au Colorado. En fait, au cours des deux ou trois dernières années, les responsables ont réduit le nombre de plants permis à 16. Ce qui se produisait, c’est que des gens venaient au Colorado d’autres États, ils cultivaient des plants, puis retournaient dans leur État. Il y avait donc une grande quantité de détournements de cannabis vers ces États. Je ne crois pas que le problème se pose vraiment au sein de l’État, il est plutôt lié à la capacité des gens de venir sur le territoire, de cultiver des plants eux-mêmes, puis d’exporter la production à l’extérieur de l’État.
Les organismes d’application de la loi nous ont fait part de leurs préoccupations à cet égard. Cependant, pour ce qui est du cannabis thérapeutique, nous autorisons les coopératives et les cultures à domicile.
Dr Butler : L’histoire, en Alaska, est vraiment fondée sur ce qui se passait au moment où l’enjeu électoral numéro 2 a été adopté, ce qui a mené à la légalisation, en 2014. Depuis près de 40 ans, de façon générale, la consommation personnelle de marijuana et la culture à domicile au sein de l’État étaient quasiment légales. Il en était ainsi en raison de l’arrêt Irwin Ravin v. State of Alaska de la Cour suprême de l’État. Cette décision de 1975 estimait que la garantie constitutionnelle de l’État en matière de vie privée incluait le droit de cultiver et de posséder de petites quantités de marijuana à la maison. Par conséquent, nous avons donc eu des décennies de décriminalisation — à divers degrés —, de quasi-légalisation, et c’est sur ce fondement que la pleine légalisation assortie de la permission de vente au détail s’est appuyée en 2014. Par conséquent, il n’a jamais été question d’essayer de revenir en arrière en ce qui a trait à la culture à domicile.
Le président : Y a-t-il des mesures d’application de la loi liées au maximum de six plants, ou les interventions sont-elles fondées uniquement sur des plaintes?
Dr Butler : Encore une fois, je ne suis pas agent de police. Lorsque je parle avec mes collègues du domaine de l’application de la loi, je ne les entends pas beaucoup parler de cela, même si, en fait, lorsque nous discutons, nous parlons habituellement de choses plus dangereuses, de drogues illicites.
La sénatrice Omidvar : J’ai une question pour chacun des invités.
Merci beaucoup de votre témoignage, docteur Butler. Vous êtes médecin-hygiéniste en chef. Pouvez-vous nous aider à comprendre votre point de vue sur les préjudices associés à la criminalisation du cannabis?
Dr Butler : Madame la sénatrice, les préjudices sociaux qui m’inquiéteraient seraient de savoir si la consommation de marijuana peut limiter la capacité d’un jeune à réussir dans la vie. C’est une déclaration que pourraient probablement utiliser tant ceux qui sont pour la légalisation que ceux qui sont contre. Nous sommes assurément préoccupés par le fait que la consommation de marijuana a été associée, dans certaines études, à la consommation d’autres types de substances illicites, même si, selon moi, lorsqu’il est question d’opioïdes, il est important de souligner que le risque est beaucoup plus faible que celui associé à la consommation d’opioïdes d’ordonnance.
Je tiens également à ajouter que, au moment où nous parlons de la crise des opioïdes, il ne faut pas oublier que c’est la même crise des opioïdes que celle avec laquelle nous luttions il y a cinq ans. Nous avons constaté une réduction du nombre de décès par surdose d’opioïdes d’ordonnance. En fait, nous constatons une réduction du nombre de décès par surdose d’héroïne. Ce qui est à l’origine de l’épidémie, à l’heure actuelle, c’est l’afflux de fentanyl, une tout autre drogue en ce qui a trait à la façon dont elle est consommée et à son effet sur les consommateurs.
Ceux qui sont favorables à la légalisation feront valoir qu’un casier judiciaire lié à la marijuana — particulièrement si on parle de possession simple ou de vente de petites quantités — peut marquer quelqu’un pour la vie et l’empêcher de trouver un emploi. Encore une fois, je suis médecin, pas économiste, ni avocat, mais il est clair que, parmi les déterminants sociaux de la santé, le fait de pouvoir poursuivre des études et d’avoir un bon emploi sont des déterminants importants d’une vie saine et d’une participation productive au sein de la société.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Garza, puisque vous travaillez pour la Washington State Liquor and Cannabis Board, j’imagine que vous avez beaucoup d’expérience liée au marché noir. Pouvez-vous nous décrire les stratégies en matière d’établissement des prix que vous utilisez pour limiter et contenir le marché illicite?
M. Garza : Pendant très longtemps, comme au Colorado, en Oregon et dans les premiers États qui ont procédé à la légalisation... Dans nombre de ces États, la légalisation a découlé de l’initiative liée à la marijuana et au cannabis thérapeutiques, et c’est ce qui est arrivé à Washington en 1998. Pendant de nombreuses années — 14 ou 15 ans —, il y a eu un marché noir ou gris pour la marijuana thérapeutique. C’était très facile, en raison de certaines des lacunes liées à la façon dont on pouvait obtenir une autorisation. En fait, ce qui s’est produit, dans l’État de Washington, comme dans bon nombre d’autres États qui ont procédé à la légalisation, c’est que le marché thérapeutique est devenu un marché légal et commercial du cannabis. Il a fallu deux ans.
Une bonne partie du milieu des patients consommant du cannabis thérapeutique était contre la légalisation de la consommation de marijuana par des adultes. Ils ne voulaient pas d’une réglementation et ils ne voulaient pas à avoir à payer de taxes. Leur préoccupation, c’était que tout cela allait avoir une incidence négative sur la marijuana thérapeutique et que, un jour, cette utilisation thérapeutique serait réglementée exactement comme le cannabis consommé par des adultes à des fins récréatives. Et savez-vous quoi? C’est exactement ce qui s’est produit. Il a fallu deux sessions législatives parce que les patients consommant du cannabis thérapeutique ne voulaient pas de réglementation.
Enfin, dans l’État de Washington, contrairement à beaucoup d’autres États, nous avons un seul système intégré. Si je suis un détaillant qui vend du cannabis à des adultes, je peux obtenir une attestation médicale sur mon permis de vente afin de pouvoir vendre des produits conformes sur le plan médical selon la définition du département de la Santé. C’est unique aux États-Unis. Dans la plupart des États, la consommation à des fins thérapeutiques est traitée de façon distincte. Je ne suis pas sûr, madame la sénatrice, d’avoir vraiment répondu à votre question ou non.
La sénatrice Omidvar : Pas exactement, mais vous nous avez fourni des renseignements très intéressants. Pour ce qui est de la question du marché du cannabis thérapeutique, du cannabis consommé à des fins thérapeutiques, avez-vous remarqué un recul du marché gris illicite dont vous avez parlé?
M. Garza : Nous avons rapidement produit une DP, et c’est quelque chose qui nous suit depuis cinq ans, maintenant, pour trouver des experts afin qu’ils nous aident à déterminer de quelle façon nous devons mettre en place nos systèmes et la quantité de cannabis qu’il faudrait faire pousser. En fait, nous avons embauché le Dr Beau Kilmer, de la RAND Corporation, afin qu’il sonde les villes et les comtés de l’État pour déterminer la quantité de THC et de cannabis qui était consommée par les personnes âgées de 21 ans et plus dans notre État. C’est ainsi que nous avons établi notre système de 170 tonnes métriques. La raison pour laquelle nous avons dû procéder ainsi, c’était pour convaincre le gouvernement fédéral que nous n’allions pas surproduire du cannabis et détourner la production à l’extérieur de notre État. Je ne crois pas que vous aurez ce problème, mais c’était une problématique avec laquelle nous devions composer.
Je veux vous parler de la taille de l’industrie. Actuellement, nous misons sur BOTEC; je le mentionne parce que c’est ce que nous avons demandé à cette entreprise de nous dire quels sont, actuellement, les pourcentages du marché légal et du marché noir. Nous ne le savons pas encore. Nous le saurons au cours des prochains mois. Cependant, nous savons que, pour ce qui est des ventes, nous sommes passés de 280 millions de dollars, à 800 millions de dollars, puis à 1,3 milliard de dollars et que — nous en sommes à notre quatrième année de ventes au détail —, nous allons probablement atteindre cette année 1,6 milliard de dollars.
Nous imposons une taxe d’accise de 37 p. 100 sur le cannabis. C’est l’une des taxes les plus élevées au pays, mais cette taxe a permis au gouvernement de l’État de recueillir 1 milliard de dollars au cours des quatre dernières années.
Nous le découvrirons. Je crois qu’on peut dire sans se tromper que probablement au moins la moitié du marché est légale et que l’autre moitié reste probablement encore illégale.
Ce qui nous préoccupe, c’est que, actuellement, sur notre marché légal, le cannabis se vend environ 7 $ le gramme, ce qui est assez bas, en moyenne, et nous sommes concurrentiels par rapport au marché noir. Tout cela a commencé il y a environ deux ans. C’est à ce moment-là que nous avons constaté une augmentation majeure de nos ventes, parce que, au départ, nous avions établi des prix très élevés. L’offre était faible, mais une fois que l’offre et la demande ont été bien en place, nous avons effectivement réussi à faire concurrence au marché noir.
Je pense que ce qui préoccupe le gouvernement fédéral, c’est que les intervenants du marché illicite et du marché noir ayant perdu une partie de leur marché et en raison du faible coût du cannabis légal à Washington, ils détournent une partie de la production à l’extérieur de l’État. En d’autres mots, si je paie 1 000 $ la livre de cannabis à Washington et que je peux en obtenir 3 000 $ ou 5 000 $ dans les États du Sud, du Midwest ou de la côte Est, alors je vais transporter la marchandise dans un autre État où je peux la vendre plus cher qu’à Washington.
Le président : J’ai une brève question de suivi à poser au Dr Butler sur une statistique que vous nous avez fournie, monsieur Garza. Vous nous avez dit que vous réalisez encore des recherches pour brosser un tableau exact, mais que, selon vous, à l’heure actuelle, le marché légal et le marché illégal détiennent des parts à peu près égales du marché. Dr Butler, qu’en est-il en Alaska?
Dr Butler : Monsieur le sénateur, si je devais vous répondre, je ne ferais que lancer une estimation au hasard.
J’aimerais ajouter que la situation en Alaska est un peu différente dans la mesure où, vers 1998, nous avons aussi adopté des lois sur la marijuana thérapeutique, sans prévoir de dispositions sur la façon d’en obtenir. C’est quelque chose qui s’appuyait sur la décision Ravin, et on présumait que les gens allaient cultiver leur propre cannabis ou que des petites quantités allaient leur être données, mais, au bout du compte, la carte de marijuana thérapeutique est seulement et principalement un moyen de défense positive en cas d’ennui.
Nous n’avons jamais eu un taux de participation aussi élevé que les États qui font la distinction entre l’usage récréatif et l’usage thérapeutique, particulièrement des États comme le Colorado, qui ont adopté une structure fiscale différente. Même à l’heure actuelle, nos points de vente au détail ne font aucune distinction. Il n’y a que de la marijuana vendue au détail, et c’est aux gens de décider de quelle façon ils la consomment.
La sénatrice Poirier : Merci de vos exposés. J’ai des questions pour vous deux.
Ma première question est destinée à M. Garza. Vous avez mentionné dans vos commentaires les enjeux liés à la publicité. Vous nous avez donné un peu d’information sur de nouvelles limites en matière de publicité qui se sont ajoutées récemment. J’imagine que vous avez dû mettre en place certaines règles en matière de publicité au tout début, mais que, en 2017, vous avez déterminé qu’il fallait changer la loi. Est-ce parce que les détaillants ne respectaient pas les dispositions législatives sur la publicité qui avaient été mises en place au début ou est-ce en raison du fait que les lois n’étaient pas assez sévères au départ? Vous avez parlé des panneaux publicitaires. À quoi ressemble la situation actuellement?
M. Garza : L’une des choses que je voudrais dire et que je n’ai pas eu l’occasion de dire plus tôt, c’est que, dans le cadre de l’initiative, on avait prévu des interdictions dans un rayon de 1 000 pieds. Les permis de producteur ou de transformateur peuvent être fixes en ce qui concerne leur emplacement. Ils doivent se situer à au moins 1 000 pieds de sept entités, comme des parcs, des écoles, des centres de transport en commun, des bibliothèques ou partout où on retrouve habituellement des enfants. C’est une restriction qui avait été prévue dans l’initiative et elle s’applique aussi à la publicité. Aucune publicité ne peut se trouver dans un rayon de 1 000 pieds de tels endroits. On tentait ainsi en fait de régler les cas des panneaux publicitaires, des entreprises ou des gens voulant faire la publicité du cannabis près des écoles, par exemple.
Selon moi, ce qui s’est produit, encore une fois, c’est que, puisque 44 p. 100 des électeurs de l’État ont voté non, ils ne s’attendaient pas à ce que l’industrie mise sur les mêmes types de techniques de publicité et les mêmes outils que les autres secteurs, et c’est quelque chose qui a pris tout le monde par surprise.
Certaines des restrictions prévues en ce qui concerne la publicité sur panneaux publicitaires incluaient l’interdiction de tout ce qui peut attirer un enfant, mais il ne fallait pas non plus que la plante soit visible sur le panneau, pas de fumée et rien qui suggère la consommation du produit en tant que telle. Les gens ont fait preuve de pas mal d’imagination au moment de concevoir certains panneaux publicitaires, et, en fait, je serais heureux de vous envoyer des copies de certaines des choses qui ont été créées et qui, vraiment, nous ont pris par surprise. Les membres du grand public ont regardé tout cela et ont dit : « Vous savez, je n’ai pas de problème à ce que ce soit légal ». Même ceux qui ont approuvé la mesure étaient préoccupés par le niveau de publicité et le recours aux hommes-sandwichs acrobatiques. Je crois que c’était un peu plus que ce que le grand public était prêt à accepter. Certains ont même tenté de tout simplement interdire les panneaux publicitaires, mais il y a évidemment des enjeux liés à la liberté d’expression en jeu. Je vais vous communiquer tout ce sur quoi j’arrive à mettre la main, et je peux vous envoyer tout particulièrement la nouvelle loi et les nouvelles restrictions mises en place.
La sénatrice Poirier : Si vous pouviez envoyer tout cela au greffier du comité, ce serait vraiment bien d’avoir cette information. Merci.
Ma deuxième question est destinée au Dr Butler. Vous avez mentionné au tout début de votre déclaration préliminaire que, même si la marijuana reste illégale à l’échelon fédéral aux États-Unis, elle est maintenant légale dans neuf États et que près d’un Américain sur quatre vit dans un État qui permet la possession et la vente au détail de marijuana. Je voulais vous en parler rapidement.
Durant notre étude, des personnes nous ont parlé d’éventuels problèmes lorsque des personnes traversent la frontière canado-américaine après avoir peut-être fumé, des gens qui ont peut-être un casier judiciaire ou qui ont peut-être déjà été accusés par le passé, et se font demander s’ils ont déjà fumé. Si elles répondent par l’affirmative, ces personnes pourraient perdre leur carte Nexus. Il y a tellement de problèmes de ce genre dont on nous a fait part.
Pouvez-vous me dire de quelle façon les Américains composent avec cette réalité lorsqu’ils se rendent dans un pays et reviennent par des frontières différentes? Si c’est un problème et que vous en avez entendu parler, de quelle façon cette situation est-elle gérée?
Dr Butler : Je peux répondre à la question en ce qui concerne la façon dont nous avons composé avec la soi-disant préoccupation de l’industrie du tourisme d’accueil selon laquelle des gens qui viennent dans l’État pourraient ne pas se rendre compte que ce qu’ils ont acheté en Alaska ne peut pas être transporté à l’extérieur de l’État, du moins, pas légalement. C’est l’une des choses qu’on a abordées dans les premiers messages : « ce qui pousse en Alaska, reste en Alaska ».
Pour ce qui est de la question de savoir de quelle façon les Américains en général perçoivent cette situation, cela dépasse un peu mon champ d’expertise.
Beaucoup de questions ont été soulevées relativement au dépistage fédéral. Si un agent de sécurité fédéral récupère de la marijuana, doit-il faire quoi que ce soit? Je crois que c’est l’un des enjeux liés à l’application de la loi qu’on tente encore de régler.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup à vous deux de vos déclarations.
Je veux parler rapidement d’économie. Les fonds que vous percevez grâce à la taxe sont énormes. C’est une grosse industrie. En même temps, vous avez souligné le manque de recherches. Que fait le gouvernement avec l’argent? Certains des fonds sont-ils utilisés pour effectuer des recherches afin d’améliorer la réglementation?
M. Garza : L’une des choses intéressantes qui ont été faites dans le cadre de l’initiative — lorsqu’il a été question de la façon dont les revenus allaient être distribués —, c’est que, en fait, on a utilisé, encore une fois, le vieux modèle de l’alcool, le modèle utilisé pour déterminer la méthode de redistribution des revenus associés à la vente d’alcool, la bière, le vin ou les spiritueux.
Comme je l’ai déjà dit, on a recueilli 1 milliard de dollars grâce à la taxe d’accise au cours des quatre dernières années. La moitié de cet argent, 500 millions de dollars, sert à payer pour les soins de santé des pauvres et des personnes à faible revenu dans notre État; cet argent est utilisé dans le cadre de notre programme Medicare d’État. Pour être plus précis, dans le cadre de l’initiative, des responsables ont affecté les fonds à d’autres endroits que dans le fonds général de l’État. En d’autres mots, la moitié est destinée aux services de santé. Une autre grande part est affectée au département des Services sociaux et de la Santé pour réaliser des programmes de prévention et de réduction de la toxicomanie à l’échelle de l’État. Il y a une part destinée au département de la Santé pour l’éducation sur la marijuana et les problèmes de santé publique. C’est probablement là que va la grande majorité des fonds. Malheureusement, seulement une petite partie des fonds va à l’Université de Washington ou l’Université de l’État de Washington pour des recherches, et ces deux établissements ont mentionné qu’ils aimeraient obtenir plus de financement de l’État. Il est intéressant de noter que, initialement, les universités étaient craintives à l’idée de recevoir des fonds parce qu’elles obtiennent aussi des fonds fédéraux en tant que grandes universités.
Pour revenir à ce que vous disiez, madame la sénatrice, je crois que c’est l’une des choses qui manquent à Washington et dans de nombreux États : du financement pour les grandes universités afin qu’elles puissent vraiment effectuer les recherches nécessaires. Je ne dirai jamais trop que l’un des principaux défis de l’organisme est le suivant : comment pouvons-nous prendre des décisions fondées sur des données et définir des politiques, des règles et même des lois au sujet du cannabis lorsqu’on n’a pas accès au genre de recherches dont on a besoin pour le faire.
Dr Butler : Madame la sénatrice, pour mettre la discussion en contexte, l’Alaska a une population similaire à celle du Nouveau-Brunswick, dont environ 750 000 personnes. Selon nos précisions pour 2018, les revenus de taxe découlant des ventes de cannabis s’élèveront à environ de 10 à 12 millions de dollars. C’est donc beaucoup d’argent. Notre structure fiscale officielle est différente de celle dans beaucoup d’autres États dans la mesure où nous avons imposé une taxe d’accise fondée sur le poids aux cultivateurs au moment où ils vendent leur production, soit dans des points de vente au détail, soit dans des installations de production.
Initialement, on prévoyait que les recettes fiscales iraient dans le fonds général. L’année dernière, 50 p. 100 des fonds ont été attribués à un programme de lutte contre la récidive afin d’aider à réduire la population carcérale. Je regarde l’horloge, et je sais que nos législateurs arrivent à leur bureau, à Juno, et qu’un des points à l’ordre du jour aujourd’hui, j’espère, c’est un projet de loi qui fera en sorte que 25 p. 100 des revenus découlant de la vente de marijuana seraient affectés à un fonds d’éducation et de prévention lié à la santé publique.
Je vous encouragerais vraiment à réfléchir au fait que la gestion de la marijuana vendue au détail, la marijuana légale, doit faire appel au travail de Santé Canada et de vos ministères provinciaux de la santé. Notre objectif, c’est de pouvoir utiliser ces fonds à des fins d’engagement communautaire afin de pouvoir aborder des enjeux comme l’éducation, la participation des parents, le soutien des programmes parascolaires, mais aussi pour pouvoir soutenir le travail de l’État en matière de surveillance, afin de pouvoir évaluer la prévalence de la consommation, ainsi que les répercussions sur la santé. On parle toujours seulement des répercussions, et on est toujours confronté à la même question : les données sont bonnes ou non? C’est parce que, souvent, nous devons composer avec des mises en garde et des associations temporelles. Il s’est passé beaucoup de choses au cours des 10 dernières années, mais je ne sais pas si nous pouvons toutes les attribuer à la légalisation de la marijuana.
La sénatrice Raine : Je sais très bien comment la marijuana est produite. On la fait pousser, et je comprends qu’il y a certains règlements quant à la façon dont on la cultive, à l’utilisation des pesticides et des rodenticides, des choses comme cela. Puis, on la transforme ou on en fait des produits, qui sont envoyés aux détaillants. À chaque niveau, il y a un cadre réglementaire en place. La situation au Canada est, je crois, assez inhabituelle, dans la mesure où notre marijuana thérapeutique, assurément en Colombie-Britannique, était toujours livrée par Postes Canada. Nous avons éliminé les détaillants et sommes passés directement aux consommateurs. Quelque chose de similaire s’est-il produit dans l’un ou l’autre de vos États?
Le président : Pour ce qui est de la marijuana consommée à des fins thérapeutiques, partout au Canada, elle est livrée par Postes Canada, notre service postal. Faites-vous quelque chose de semblable dans l’État de Washington?
M. Garza : Non, nous ne faisons rien du genre. En fait, nous ne permettons pas la livraison de cannabis qu’il soit consommé à des fins thérapeutiques ou récréatives. Il y a une proposition. En fait, on nous a demandé durant la dernière session — et nous travaillons sur ce dossier entretemps — de présenter une proposition afin qu’on permette la livraison de marijuana thérapeutique. Chaque État fait les choses un peu différemment. Je soupçonne que, au Canada, en raison de la distance, la livraison est logique, mais il n’y a rien de tel par l’intermédiaire du service postal américain. Le cannabis ne peut pas passer par ce système et, en fait, dans l’État de Washington, il n’y a pas d’option de livraison. Mais c’est logique. Nous y réfléchissons. Mais nous n’y sommes pas encore.
Dr Butler : Les restrictions fédérales en matière postale s’appliquent tout de même en Alaska et nous en sommes encore au processus réglementaire pour ce qui est des livraisons à domicile.
La sénatrice Raine : Une personne de l’État de Washington à qui j’ai longuement parlé de tout cela — elle travaille dans le système de l’éducation — a dit que nous devrions aller de l’avant lentement et nous assurer de bien faire les choses à l’échelon fédéral. Actuellement, ce que nous faisons, c’est que nous permettons la mise en place de beaucoup de réglementation supplémentaire à l’échelon provincial. Dans un monde parfait, selon vous, qu’est-ce qui devrait être contrôlé à l’échelon national?
M. Garza : Madame la sénatrice, vous avez dit quelque chose dont je n’ai pas parlé précédemment. Nous avons rencontré les représentants de 40 États et 11 pays au cours des 4 dernières années pour communiquer notre expérience. Habituellement, en ce qui concerne le Colorado, les gens sont soit en voie de devenir comme le Colorado ou en voie de s’en éloigner. Vous venez de dire ce qui est probablement la chose la plus importante : « Il faut prendre son temps et s’assurer de bien faire les choses. »
Le Colorado a commencé son processus six mois avant nous, et il y a eu tout un tollé : « Oh, mon Dieu, l’État de Washington prend du retard. » Nous n’étions pas trop préoccupés. Dans le cadre des discussions que j’ai eues avec le gouverneur et l’assemblée législative, il était plus important de s’assurer de bien faire les choses. Personne ne se souviendra de la période qu’il a fallu pour mettre le système en place, mais si vous gâchez les choses, les gens s’en souviendront. Tout cela est très difficile et très complexe. Pour nous, dans l’État de Washington et aux États-Unis, c’est plus difficile en raison de l’interdiction fédérale. L’incapacité des banques est aussi très problématique. Le fait qu’une personne ne peut pas se tourner vers une banque pour obtenir un prêt, ce qui est habituellement la façon dont on lance une entreprise, le fait que les gens doivent miser sur leurs propres capitaux ou le fait d’avoir à accepter les investissements ou le financement de personnes qu’on ne connaît pas peut être très problématique.
Ce que je peux vous dire, madame la sénatrice, c’est que votre principe doit être généralisé. Qu’on parle d’emballage et d’étiquetage, de banques, de pesticides ou d’application de la loi, je crois qu’il faut prendre le temps qu’il faut pour bien faire les choses. C’est intéressant : une fois qu’on délivre des permis à cette industrie, elle commence son lobbying. Le lobbying n’existe pas aujourd’hui. La pression que j’ai constatée au fil des ans en tant que responsable de la réglementation de l’alcool, c’est qu’on lutte souvent contre l’industrie : elle a des lobbyistes et lutte contre la réglementation et les lois qui, selon nous, sont importantes pour protéger le public. Vous n’avez pas encore tout cela, ou, en ce moment, vous n’avez pas encore délivré de permis. Cette industrie n’a pas le pouvoir de se battre contre vous au sujet des choses relativement auxquelles elle le ferait habituellement, comme on le voit dans l’industrie de l’alcool. Je tiens à rappeler à tout le monde que c’est un moment important pour le Canada. Vous devez vous assurer que, dans tous ces domaines, vous prenez le temps qu’il faut pour bien faire les choses.
Dr Butler : Je tiens seulement à ajouter que j’ai appris beaucoup de M. Garza au cours des deux ou trois dernières années, et je suis d’accord avec tout ce qu’il a dit.
Le président : Voilà qui termine la première série. En fait, on arrive à la fin de la réunion aussi. Nous avons respecté notre échéance.
Je tiens à vous remercier tous les deux, docteur Butler et monsieur Garza. Votre participation a été très utile. Vous avez fourni de très bons renseignements de façon très précise, ce qui nous aidera dans le cadre de notre étude. Nous vous remercions beaucoup d’avoir été là durant la réunion.
Chers collègues, je vais vous demander de rester pour une séance à huis clos durant laquelle nous passerons à un autre sujet, dans deux ou trois minutes. Je demande donc aux membres du comité de bien vouloir rester.
(La séance se poursuit à huis clos.)