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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 50 - Témoignages du 8 novembre 2018


OTTAWA, le jeudi 8 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-243, Loi visant l’élaboration d’une stratégie relative au programme national d’aide à la maternité, se réunit aujourd’hui à 10 h 32 pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous. Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Mon nom est Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec, et j’ai le plaisir de présider cette réunion.

[Traduction]

Avant de commencer, je demanderais à mes collègues de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Seidman : Bonjour. Judith Seidman, du Québec, vice-présidente du comité.

[Français]

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

Le sénateur Munson : Jim Munson, de l’Ontario. J’habite à Ottawa, en Ontario, au Canada.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-243, Loi visant l’élaboration d’une stratégie relative au programme national d’aide à la maternité.

[Traduction]

J’aimerais maintenant présenter nos témoins.

[Français]

Merci beaucoup d’être avec nous ce matin.

[Traduction]

Dans notre premier groupe, nous accueillons Sheila Pepper, vice-présidente, Développement social, au Conseil national des femmes du Canada.

[Français]

Nous recevons également, de l’Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades, M. Roch Lafrance, secrétaire général.

[Traduction]

Bienvenue. Nous entendrons d’abord M. Lafrance. Je vous rappelle que vous avez sept minutes pour prononcer vos remarques liminaires.

[Français]

Roch Lafrance, secrétaire général, Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades : Dans un premier temps, nous vous remercions de nous avoir invités à participer à cette consultation. Nous tenons à souligner, en ce qui concerne le projet de loi C-243, que nous sommes favorables à son adoption tel qu’il est. Nous avons quelques détails à vous présenter, mais nous sommes satisfaits du projet de loi tel qu’il est actuellement, soit à la suite des amendements qui ont été apportés par la Chambre des communes, et notamment de la disparition des articles 6 et 7 du projet de loi original. Je reviendrai un peu plus tard sur la question des articles 6 et 7.

Malgré son titre — parce que nous ne sommes pas certains qu’il soit exactement ce que l’on retrouve dans le projet de loi —, nous comprenons que l’objectif premier du projet de loi est de mener une consultation visant la mise sur pied d’un programme pancanadien de retrait préventif pour les travailleuses enceintes.

Nous ne ferons pas de commentaires sur le titre, mais nous préférerions qu’il soit plus conforme à l’objectif de la loi. Cependant, pour nous, c’est un détail.

Nous sommes d’accord sur la tenue de cette consultation, qui est prévue par le projet de loi et décrite à l’article 3. Nous soulignons qu’il serait toutefois important — comme on l’indique dans le projet de loi — de respecter les champs de compétence des provinces. Ce petit commentaire montre que nous croyons que ce serait un grand pas en avant pour les travailleuses canadiennes d’avoir accès, comme au Québec, à un programme de retrait préventif de la travailleuse enceinte.

Le Québec possède déjà un tel programme depuis 1981, et ce droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite est prévu dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Cela a été un avancement important pour les femmes à l’époque. Il a notamment permis de mettre fin au terrible arbitrage que les femmes devaient faire lorsqu’elles étaient enceintes, entre, d’une part, la nécessité de gagner un salaire pour faire vivre leur famille et, d’autre part, prendre le risque de perdre leur bébé ou d’hypothéquer la santé de leur enfant à naître lorsque leurs conditions de travail présentaient un danger.

Nous insistons sur le fait que ce programme, à part le fait que nous avons accordé ce retrait préventif, a été une très grande avancée en matière de santé publique au Québec. Évidemment, cela a contribué à protéger les travailleuses, mais cela a aussi permis, à cause de la nécessité de documenter les conditions de travail des femmes, de faire reculer le mythe que le travail des femmes est moins dangereux que celui des hommes, croyance qui persiste encore aujourd’hui. Les études nous ont démontré que le travail des femmes était tout aussi dangereux.

Cela a également permis de prévenir de nombreuses lésions professionnelles que les femmes subissaient. Cette expérience est largement positive et nous incite à penser que l’intérêt public serait mieux servi si les travailleuses canadiennes avaient accès à un programme visant les mêmes objectifs. C’est pourquoi nous trouvons souhaitable que le projet de loi soit adopté dans l’état dans lequel il est actuellement.

Nous attirons cependant votre attention sur le libellé du premier paragraphe de l’article 3 ainsi que sur son alinéa b). Le texte ne vise explicitement que les femmes pendant leur grossesse. Nous pensons qu’il serait préférable d’inclure également la période de l’allaitement, comme cela existe au Québec.

Comme nous l’avons dit lors de l’introduction, nous désirons revenir sur la question de l’assurance-emploi parce que nous avons vu que des gens sont invités à comparaître pour discuter de cette question. Cela a disparu du projet de loi original. Nous en sommes très contents, et nous voulons vous dire pourquoi nous pensons que la Chambre des communes a pris une bonne décision en retirant ces dispositions.

Il faut comprendre que le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte n’est pas un congé de maternité. Il était traité un peu comme tel dans le projet de loi original. Dans le cas d’un retrait préventif, ce sont les conditions de travail dangereuses pour la grossesse qui sont en cause, et non la grossesse elle-même.

C’est pourquoi, dans le régime québécois — comme dans d’autres régimes dans le monde —, avant d’accorder un congé, nous tentons d’abord de modifier les conditions de travail ou de réaffecter la travailleuse à un emploi qui ne l’expose pas à un danger. Le principe de base n’est pas d’accorder un congé, mais de modifier des conditions de travail malsaines ou dangereuses.

À notre avis, le régime d’assurance-emploi n’est pas le bon véhicule pour ce programme, puisqu’il existe déjà un programme de congé de maternité géré par l’assurance-emploi et que ce sont deux questions distinctes. Nous parlons plutôt ici de conditions de travail que de congé de maternité, et nous ne pensons pas que le régime d’assurance-emploi actuel possède les ressources et l’expertise nécessaires pour gérer un tel programme. De plus, un important fonctionnement de nature médicale reste à envisager, et nous croyons que le régime d’assurance-emploi n’aurait pas le personnel nécessaire pour gérer tout cela.

Deuxièmement, nous ne voyons pas l’utilité de fixer dans une loi le moment d’un retrait préventif, comme c’était le cas avec les articles 6 et 7 de l’ancien projet de loi, où l’on accordait ce retrait préventif en fin de grossesse. Prenons l’exemple d’une femme qui travaille dans une garderie où il y a une épidémie de varicelle ou de rougeole qui se déclare. Évidemment, la travailleuse n’attendrait pas la fin de sa grossesse pour être retirée du lieu de travail. C’est pourquoi nous croyons que le retrait préventif doit être accessible dans le cas où les conditions de travail deviennent dangereuses. Nous vous donnerons d’autres exemples lors de nos discussions.

Il faut savoir que, au Québec, 94 p. 100 des retraits préventifs sont accordés avant la 23e  semaine de grossesse. Le fait de bénéficier d’un retrait préventif seulement à la fin de la grossesse n’apporterait pas grand-chose. Par ailleurs, le régime d’assurance-emploi contient certaines dispositions qui, à notre avis, pénaliseraient les travailleuses enceintes qui demanderaient un retrait préventif. D’abord, au niveau du revenu, on parle de 55 p. 100 du salaire, alors qu’au Québec le régime compense à 90 p. 100 du salaire et il n’y a pas de période de carence. De plus, l’employeur et la travailleuse continuent de contribuer au fonds de retraite chez l’employeur, ce qui n’est pas le cas lorsque la personne reçoit des prestations d’assurance-emploi.

Il faut comprendre que, si la travailleuse faisait une demande de retrait préventif dans le cadre du régime d’assurance-emploi, elle hypothéquerait son droit à des prestations futures régulières ou spéciales plus tard, après sa grossesse.

En conclusion, nous accueillons favorablement le projet de mener une consultation pancanadienne sur le droit au retrait préventif des travailleuses enceintes. De plus, nous suggérons que cette consultation porte également sur la question de l’allaitement. Enfin, nous recommandons de ne pas réintégrer dans le projet de loi C-243 les articles 6 et 7 du projet de loi original, qui visaient à modifier la Loi sur l’assurance-emploi. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Lafrance.

[Traduction]

Nous entendrons maintenant les remarques liminaires de Mme Pepper.

Sheila Pepper, vice-présidente, Développement social, Conseil national des femmes du Canada : Je pensais que vous passeriez tout de suite aux questions.

La présidente : Non, nous allons d’abord entendre vos témoignages à tous les deux. Ensuite, si cela vous convient, nous vous poserons des questions.

Mme Pepper : C’est bien. Cela me va tout à fait.

Comme vous l’avez probablement vu dans vos recherches, le Conseil national des femmes du Canada est un organisme de défense des intérêts d’une fédération nationale canadienne formée de nombreuses associations de défense des femmes, des familles et des collectivités fondé par Lady Aberdeen en 1893. Nous travaillons avec ces organisations et tous les ordres de gouvernement à améliorer les conditions de l’ensemble de ces groupes.

Chaque année, nous présentons à votre gouvernement des résolutions, des documents de politique, des lettres et des pétitions bien étayés — et étudiés par tous les conseils — sur nombre de questions d’actualité auxquelles nos citoyens sont confrontés.

Nos conseils locaux et provinciaux au Canada contribuent à des présentations comme celle que je suis en train de faire concernant nos politiques des 40 dernières années ou presque sur des aspects de la question de l’aide à la maternité. On pense par exemple aux services de sages-femmes au Canada, à la politique en matière de droits liés à la procréation, aux modifications à la Loi sur l’assurance-emploi nationale et aux prestations de maternité qui protègent les femmes enceintes au travail, et les femmes dans les emplois précaires.

Nous sommes ravis qu’on nous ait demandé de témoigner devant ce comité sénatorial. Nous sommes impressionnés par l’étude et l’attention rigoureuses que vous avez déjà consacrées à cette question pour protéger et aider les femmes dans bien des milieux de travail différents afin qu’elles mènent leurs grossesses à terme de façon sécuritaire et qu’elles restent en sécurité par la suite afin d’avoir des bébés et des tout-petits en santé.

Nous souhaitons vous faire remarquer, cependant, qu’il faut assouplir la durée, la nature et la portée du programme d’aide à la maternité. Nous croyons comprendre que vous avez prolongé la durée de l’aide pour qu’elle couvre la période qui précède et suit la naissance, que vous avez tenu compte de l’adoption et de la maternité de substitution, mais le Programme de l’assurance-emploi est limité pour les personnes qui travaillent à temps partiel, à contrat et à leur compte, ce qui est le cas de bien des femmes qui vivent près du seuil de la pauvreté.

Le régime d’assurance-emploi pourrait ne pas reconnaître diverses difficultés que les femmes éprouvent durant la grossesse et à l’accouchement, comme le rétablissement à long terme après avoir vécu des traumatismes pendant l’accouchement et le besoin de faire appel à des soignants externes parce que les membres de la famille ne suffisent plus à la tâche ou qu’on n’a ni amis ni membres de la famille qui puissent aider. D’autres, comme celles qui vivent des mortinaissances ou des fausses couches, ont besoin de soutien pendant un certain temps avant de retourner au travail. Elles sont admissibles à des prestations « avant la naissance », mais pas après.

Nombre d’obstétriciens doivent suivent des lignes directrices fermes. Je crois que les sages-femmes ont plus de latitude et qu’elles peuvent trouver beaucoup de solutions non médicales dans diverses situations où les naissances sont exceptionnelles, solutions que pourrait, toutefois, ne pas approuver le régime d’assurance-emploi. La fécondation in vitro peut, elle aussi, entraîner d’autres complications dont il faut tenir compte dans un système de soutien assoupli. Nous devons donc chercher des solutions qui sortent de l’ordinaire lorsqu’on impose des conditions fermes au soutien autorisé avant et après la naissance.

Un certain nombre de maladies potentiellement mortelles pourraient compliquer la situation, comme le syndrome d’alcoolisation foetale et le VIH/sida, questions sur lesquelles le conseil national a rédigé des politiques par le passé.

Nous vous conseillons vivement de tenir compte d’autres possibilités exceptionnelles lorsque vous formulerez vos recommandations sur ce programme de soutien essentiel.

Comme vous le savez, nos régimes provinciaux de soins à domicile varient d’un endroit à l’autre au Canada. Certains permettent d’offrir un soutien plus inclusif que d’autres avant et après la naissance. Comme dans le cas des systèmes médicaux provinciaux, la couverture des soins à domicile varie grandement dans nombre de situations liées à la maternité. Dans la présente mesure législative, je vous prierais d’envisager d’exiger des provinces qu’elles normalisent l’ensemble du régime de soutien de leur programme d’aide à la maternité.

Nombre d’entre nous avons vécu nos propres expériences il y a quelques décennies, alors que le régime national d’aide à la maternité était considérablement moins convivial. Il est important d’avoir des choix lorsqu’on doit envisager de demander de l’aide pendant diverses périodes avant et après la naissance. Nous sommes ravis qu’on en tienne compte dans le projet de loi.

On se rappelle des études menées il y a près de 40 ans, et plus récemment aussi, sur les différents effets du tabac, de la drogue et de l’alcool sur les femmes enceintes ou qui allaitent, ainsi que sur les effets à court et à long terme sur les enfants et le soutien supplémentaire dont ils auraient besoin. Vous connaissez probablement les résultats de bien d’autres études, comme nous tous.

Si nous ne souhaitons pas engager d’autres dépenses publiques, nous devons tenir compte de nombreuses exceptions à la norme de soutien dans cette mesure législative pour les naissances « à problème » en région rurale et dans le Grand Nord, et les coûts supplémentaires inattendus qu’elles génèrent pour les déplacements, le soutien médical d’accompagnement et l’hébergement des familles en pareilles circonstances.

Merci de l’occasion que vous avez donnée à notre conseil de prendre part à l’étude; au fil des ans, nous avons beaucoup examiné les diverses circonstances entourant cette question très importante de l’aide à la maternité et des prestations qui l’accompagnent.

La présidente : Merci beaucoup. Merci à nos deux témoins. Nous sommes prêts à passer aux questions.

Avant que nous commencions, j’ai une question.

[Français]

J’aurais une question pour vous, monsieur Lafrance. Vous avez mentionné le titre. Or, je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche, mais il n’est pas représentatif du projet de loi. Cela m’a rappelé l’intervention d’une de nos collègues, la sénatrice Dupuis, qui, à l’étape de la deuxième lecture, a elle aussi soulevé ce point. Elle disait même que l’on devait soit changer le projet de loi, soit changer le titre. J’aimerais vous entendre un peu plus à ce sujet.

M. Lafrance : Le titre du projet de loi est le suivant : Loi visant l’élaboration d’une stratégie relative au programme national d’aide à la maternité. Ce titre donne un peu l’impression qu’on parle de congés de maternité et de mesures assez larges qui peuvent englober toutes sortes de choses qui concernent la maternité. Toutefois, lorsqu’on lit le projet de loi, il est clair, tant dans le préambule qu’à l’article 3, qu’on propose de mener des consultations sur un programme de retrait préventif de la travailleuse enceinte.

On a beau le lire comme on voudra, le titre ne va pas avec ce projet de loi. Il a été choisi à une époque où on voulait étendre la période de congé de maternité prévue dans la Loi sur l’assurance-emploi. Cette intention étant disparue, nous estimons que ce n’est pas bien grave, car un titre est un titre. À sa lecture, on comprend que l’intention est de traiter du retrait préventif. Cependant, il serait logique de modifier le titre et, plutôt que de parler d’un programme national d’aide à la maternité, on pourrait parler d’un « programme national de retrait préventif de la travailleuse enceinte », en ajoutant les mots « et qui allaite ».

La présidente : Merci beaucoup de ces précisions.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Merci à tous les deux pour vos présentations.

Monsieur Lafrance, je veux vous poser des questions. On doit féliciter le Québec d’avoir opté pour une approche à l’égard de la santé publique et d’avoir intégré le retrait préventif à un régime de santé et de sécurité au travail dès 1981. C’est assez impressionnant.

C’est vrai que nous voulons que les femmes envisagent des emplois non traditionnels. Comme vous l’avez dit, il existe un mythe selon lequel le travail des femmes est moins dangereux que celui des hommes. On n’a qu’à penser aux risques qu’il y a, par exemple, dans nombre de professions paramédicales, sans parler, comme vous l’avez mentionné, chez les enseignants mêmes.

Vous dites que dans le programme du Québec, environ 90 p. 100 des salaires sont garantis et que 94 p. 100 des retraits préventifs sont accordés dans la vingt-troisième semaine de la grossesse.

Savez-vous si le Québec possède des données sur le régime puisque celui-ci est en place depuis très longtemps? Le gouvernement a-t-il des données sur l’utilisation et les coûts pour le régime?

Ensuite, qu’en est-il des petits employeurs qui n’ont aucune façon de trouver un remplaçant au travail? Comment gèrent-ils la situation?

[Français]

M. Lafrance : Vous posez plusieurs questions. Je vais tenter d’y répondre brièvement. Oui, il existe toutes sortes de statistiques. J’en ai ici. Il faut comprendre que le régime est géré, pour l’ensemble du Canada, par une entité qu’on pourrait appeler la Commission des accidents du travail. Au Québec, elle porte un nom maintenant très compliqué, soit la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. L’indemnisation est basée sur 90 p. 100 du revenu net et elle est régie par deux lois différentes. Dans la Loi sur la santé et la sécurité, on dit que les femmes qui ont accès au retrait préventif vont être indemnisées en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Ce sont les mêmes dispositions d’indemnisation. Au Québec, le taux d’indemnisation est de 90 p. 100 du salaire net.

Comment le régime fonctionne-t-il, particulièrement pour les petits employeurs? Il faut comprendre qu’une cotisation est prélevée sur la masse salariale de tous les employeurs au Québec. Tous les employeurs au Québec sont obligés de cotiser d’abord au régime d’accident du travail, et une cotisation spéciale est prévue pour le régime de retrait préventif.

À titre d’exemple, en 2017, le taux moyen de cotisation de l’entité que l’on pourrait appeler la Commission des accidents du travail au Québec était de 1,77 p. 100 de la masse salariale. Sur ce pourcentage, 0,2 p. 100 est affecté au retrait préventif. Pour chaque tranche de 100 $ en salaire versé, 0,20 $ sont versés pour le retrait préventif et environ 1,70 $ va aux accidents du travail.

Les cotisations sont égales pour tous les employeurs. Lorsqu’une travailleuse est enceinte et qu’on lui dit qu’il faut qu’elle quitte son emploi, l’employeur essaiera d’abord de la réaffecter et verra si certaines conditions de travail peuvent être modifiées. Si ce n’est pas possible, la travailleuse cessera de travailler, et la commission l’indemnisera sur la base du montant prélevé chez tous les employeurs, qui est de 0,20 $ par tranche de 100 $ en salaire versé.

Pour les petits employeurs en particulier, si jamais des modifications font en sorte que la travailleuse, par exemple, gagnait un salaire de 20 $ l’heure et qu’on pourrait la réaffecter à un autre poste, mais à un salaire de 14 $ l’heure, l’employeur paiera quand même 20 $ l’heure. Cependant, la commission remboursera l’employeur. Cela incite l’employeur à garder la travailleuse. La travailleuse est là, elle connaît l’entreprise. Même si l’emploi n’est pas le même, elle connaît la culture de l’entreprise, et c’est beaucoup plus simple que de retourner sur le marché du travail. Les coûts supplémentaires défrayés par l’employeur sont assumés par la commission.

En termes de nombres, chaque année, environ 32 000 à 33 000 retraits préventifs sont accordés au Québec. Quand on dit qu’un retrait préventif est accordé, il peut s’agir d’une réaffectation. Environ 50 p. 100 des travailleuses ont un retrait préventif total. Les autres peuvent avoir des périodes d’arrêt de travail, d’autres auront des périodes de réaffectation. Certaines seront réaffectées pendant le reste de leur grossesse. En termes de chiffre, environ 50 p. 100 des travailleuses, lorsque le retrait préventif est accordé, seront en congé pour le reste de leur grossesse; 25 p. 100 seront réaffectées à une autre tâche jusqu’à la fin de la grossesse; et, enfin, dans 25 p. 100 des cas, il y aura une réaffectation pendant un certain temps et un arrêt de travail pendant une autre période.

La présidente : Merci beaucoup. La prochaine question sera de la sénatrice Mégie, marraine de ce projet de loi au Sénat.

La sénatrice Mégie : J’ai une question pour M. Lafrance.

D’après ce que vous avez dit, vous êtes en faveur du projet de loi, et vos membres devraient l’être aussi, si je comprends bien. Comment pensez-vous que les syndicats pourraient travailler avec les employeurs pour essayer de trouver une solution? Si c’est difficile pour les petits employeurs, avez-vous déjà pensé à des interventions ou à des propositions à faire aux employeurs pour aider ces femmes?

M. Lafrance : Le programme de retrait préventif au Québec est une très grande fierté pour l’ensemble des Québécoises et des Québécois, et il fait consensus. Vous savez que, dans le régime de la santé et la sécurité, tant les travailleuses et les travailleurs que les employeurs, lorsqu’ils ne sont pas satisfaits d’une décision, peuvent la contester et demander une révision. Au Québec, en 2015, il y a eu 52 000 demandes de révision dans tout le régime de santé et sécurité. Sur ces demandes, il n’y a euque 208 demandes de révision concernant le retrait préventif, bien qu’il y ait environ 33 000 travailleuses qui y ont accès. Pour ce qui est du régime d’accident du travail, on parle de 100 000 personnes environ. Il y a une disproportion.

C’est un programme qui fait consensus, parce que les employeurs qui ont besoin d’aide pour réaffecter les employées peuvent avoir du financement. Les employeurs qui ne veulent pas s’en occuper devront embaucher quelqu’un d’autre. C’est leur problème. Même les employeurs au Québec ne remettent pas le programme en question. Bien sûr, les employeurs aimeraient que le programme soit financé par des fonds publics plutôt que de le financer eux-mêmes. Demandez à des employeurs ce qu’ils ne veulent pas payer, et ils répondront probablement qu’ils ne veulent pas payer pour les accidents du travail et pour l’assurance maladie. Cela n’est pas particulier au régime de retrait préventif, c’est dans tous les régimes auxquels ils doivent cotiser.

La sénatrice Mégie : Quel conseil donneriez-vous à un employeur à l’extérieur du Québec?

M. Lafrance : On pense que, s’il y avait des régimes — il faudrait que ce soit des régimes provinciaux, avec un régime fédéral pour les entreprises de compétence fédérale — , les employeurs fonctionneraient comme ceux du Québec. Ils comprendraient que c’est avantageux pour eux de garder une travailleuse au travail.

Il y a eu beaucoup de critiques au début du régime, et les employeurs ne voulaient pas garder les travailleuses en disant : « Tu es enceinte, tu ne veux pas travailler, retourne chez toi. » Collectivement, les employeurs se sont rendu compte que cela pouvait coûter cher. Le taux de cotisation a augmenté. Ils ont compris que c’était très avantageux du point de vue financier et qu’ils pouvaient conserver leurs travailleuses. Une travailleuse qui est en retrait préventif et se fait dire par l’employeur de retourner chez elle, puisqu’elle ne veut pas travailler pendant sa grossesse et son congé de maternité, se cherchera peut-être un emploi ailleurs.

C’est un changement de culture. Ce programme n’est pas contesté au Québec. Une fois que ce sera établi, les employeurs comprendront et ce sera un plus pour eux.

La sénatrice Mégie : D’accord, merci. Il y a un modèle.

La sénatrice Poirier : J’ai quelques questions. Vous avez mentionné qu’environ 94 p. 100 des retraits préventifs débutent avant la 23e semaine de grossesse. J’imagine que, lorsque le bébé naît, ces femmes ont droit au régime d’assurance-emploi pour leur congé de maternité. Si l’employée est partie pendant un an à un an et demi, est-ce que son emploi est garanti lorsqu’elle reviendra?

M. Lafrance : Oui, l’emploi est garanti. L’employeur ne peut pas congédier une travailleuse à cause d’une grossesse et il ne peut pas la congédier parce qu’elle décide de se prévaloir du retrait préventif. Donc, son emploi est assuré.

Cela fonctionne de la même façon que le régime québécois au niveau des accidents du travail et des maladies professionnelles. Lorsque la travailleuse quitte son emploi parce que l’employeur ne peut pas l’affecter à un autre poste, elle est toujours considérée à l’emploi de l’employeur. Donc, elle continue d’accumuler de l’ancienneté et de participer au régime de retraite, aux assurances, et cetera.

Le retrait préventif se termine un mois avant l’accouchement. À partir de ce moment-là, contrairement au reste du Canada, le Québec a un régime particulier pour le congé de maternité, soit le Régime québécois d’assurance parentale. La durée est variable, cela ne dure pas nécessairement un an. Ces deux régimes sont coordonnés et, lorsque la travailleuse est prête à retourner au travail, l’employeur a l’obligation de la reprendre — à moins qu’il y ait fermeture de l’entreprise —, donc, c’est comme si elle continuait à travailler.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Madame Pepper, notre témoin d’hier soir, Mme Ballard, a expliqué les difficultés qu’elle a éprouvées lorsqu’elle a abordé son employeur pour lui dire que sa grossesse l’empêchait de faire son travail de soudeuse. Son seul choix a été de rentrer chez elle. C’est là qu’elle a pris conscience de la difficulté d’obtenir son assurance-emploi et que, même lorsqu’elle l’a reçu, ce n’était que pour une courte période.

J’aimerais connaître votre opinion : dans un cas comme celui-là, où un employeur estime que l’employée n’a rien à offrir, ne serait-il pas préférable que l’employeur dise à l’employée qu’elle ne peut plus faire le travail qu’il a besoin qu’elle fasse et la licencier au lieu de la forcer à quitter son emploi? Si elle démissionne, elle n’a aucune garantie d’emploi à son retour. Si son employeur lui accorde un licenciement, elle aurait la possibilité de toucher des prestations d’assurance-emploi pendant un certain temps au lieu de prendre un congé de maladie. Cela lui donnerait aussi la possibilité de voir si elle peut compléter ses heures dans un autre type d’emploi qui ne présenterait pas de risques pour sa grossesse. Ensuite, après son congé de maternité, quand son bébé aurait un an, elle finirait par avoir besoin de trouver un nouvel emploi. D’une façon ou d’une autre, elle devra toujours finir par trouver un nouveau travail. J’ignore si c’est possible ou si c’est un peu tiré par les cheveux.

Mme Pepper : C’est intéressant, car il y a des années, nous avons encouragé les femmes à opter pour des métiers non traditionnels. Nous sommes ravis qu’elles occupent ces postes. Nous espérons qu’elles pourront les garder. Peut-être qu’elles pourraient opter pour des métiers connexes ou choisir de suivre des formations de plus pendant leur congé de maternité.Lorsqu’elles reprennent leur poste de soudeuse, par exemple, elles pourraient avoir mis à niveau leurs compétences, si bien que l’employeur accueillerait favorablement ce type d’expérience liée au travail qu’elles auraient acquise pendant qu’elles ne peuvent pas exercer leur métier non traditionnel.

La sénatrice Poirier : Cela a-t-il été accepté?

Mme Pepper : Je n’en ai pas la moindre idée. J’espère simplement que ce puisse être un exemple de solution, si tel est le cas.

Manifestement, c’est une situation assez difficile s’il est question de sécurité au travail.

La sénatrice Poirier : D’accord. Pouvez-vous nous parler des emplois typiques que des femmes seraient contraintes à quitter pendant leur grossesse? Avez-vous une liste des différents types d’emplois que les femmes risquent plus d’interrompre pendant leur grossesse?

Mme Pepper : Les emplois dans lesquels il faut soulever des objets lourds. Je prends pour exemple la situation de ma fille. Lorsqu’elle était enceinte, on lui a donné d’autres tâches pour qu’elle n’ait pas à soulever de lourdes boîtes aussi souvent. On a modifié son emploi.

D’autres emplois comportent des exigences qui ne représentent pas nécessairement des dangers environnementaux, mais qui sont difficiles sur le plan physique et peuvent nécessiter des changements. Lorsque j’étais enceinte, le bébé exerçait une pression sur mes nerfs sciatiques. C’était difficile.

Désolée, je ne suis pas censée parler d’autre chose que de la politique du Conseil national des femmes du Canada. Comme vous m’avez demandé des exemples, je pense à diverses choses qui pourraient empêcher une femme de travailler jusqu’à la fin de sa grossesse, si c’est ce qu’elle peut et souhaite faire.

La sénatrice Poirier : D’accord. Merci.

Mme Pepper : Cela répond-il à votre question?

La sénatrice Poirier : Nous avons entendu deux ou trois choses différentes. Je sais que M. Lafrance en a mentionné une à laquelle je n’avais pas pensé, et c’est l’exemple d’une personne qui travaille dans une garderie où il y a l’éclosion d’un virus ou d’une maladie. Je suppose que la même chose pourrait se produire dans le cas des personnes qui travaillent dans un hôpital ou une école, les enseignants, leurs assistants ou même un chauffeur d’autobus.

Plus j’y pense, plus je me demande si c’est même possible de dresser une liste. Tout milieu de travail pourrait, à un moment ou un autre, représenter un risque pendant une grossesse selon la situation.

Mme Pepper : Oui, et un autre aspect est celui des déplacements. Comme vous le savez, les gens sont souvent appelés à parcourir de courtes ou de longues distances dans le cadre de leur travail. Cela pourrait présenter des dangers supplémentaires à bien des égards.

Nous savons tous que lorsque nous prenons l’avion, nous revenons souvent avec des symptômes grippaux. Les maladies et les accidents sont, bien entendu, endémiques dans bien des déplacements. Or, il arrive souvent que les résidants du Grand Nord doivent se déplacer en cas d’urgence pour recevoir des soins médicaux qui ne sont pas offerts en milieu rural, bien sûr, lorsque c’est le cas.

Le sénateur Ravalia : Ma question s’adresse à M. Lafrance. Pourriez-vous m’expliquer en détail le processus de demande de retrait préventif et les cas où pareille demande pourrait être rejetée? Vous avez parlé d’un processus d’appel. Si la demande de quelqu’un est rejetée, comment se déroule le processus d’appel?

[Français]

M. Lafrance : Je vais répondre en français, si vous me le permettez. Le processus est relativement simple et il se déroule principalement à l’extérieur de la commission.

La loi prévoit qu’une travailleuse enceinte consulte son médecin. Son médecin discute avec la travailleuse. S’il pense qu’il y a des risques pour la grossesse ou pour le fœtus, le médecin fait une demande à la Direction de la santé publique. Dans les CLSC — des cliniques communautaires un peu partout au Québec —, il y a des médecins qui se spécialisent dans ce genre de questions. Il y a aussi des infirmières et des hygiénistes industriels.

Évidemment, lorsque le milieu de travail est connu, ce n’est pas nécessaire de faire une visite du lieu de travail, mais lorsque le milieu de travail est inconnu, l’hygiéniste industriel, l’infirmière ou le médecin peuvent s’y rendre. À la suite de cette visite, le médecin spécialisé identifie les risques. En ce qui concerne les risques, le ministère de la Santé du Québec a publié plusieurs études sur des risques physiques particuliers, par exemple la rougeole, la grippe, et cetera. Le médecin utilise ces guides et contextualise les conditions de travail réelles de la travailleuse. Par la suite, il énumère les risques et remet le rapport au médecin traitant. C’est à ce moment-là que le médecin traitant décide s’il émet un certificat de retrait préventif ou non. Si les deux médecins s’entendent, une demande est faite. En principe, la CNESST accepte le retrait si les deux médecins sont d’accord et si, évidemment, la travailleuse respecte les conditions.

Par exemple, si c’est une travailleuse dans une entreprise de compétence fédérale, elle n’aura pas droit au retrait préventif,parce que tous les employés du gouvernement du Canada, les banques et les compagnies de transport interprovincial sont exclus du régime.

La CNESST va rendre sa décision, que l’employeur et la travailleuse ont le droit de contester devant le Tribunal administratif du travail. Comme je le mentionnais plus tôt, il n’y a eu que 250 contestations sur 33 000 demandes il y a trois ans. Donc, ce processus est très peu judiciarisé, et la majorité des refus concernent des travailleuses dont l’emploi est de compétence fédérale. Parfois, pour certaines grandes entreprises, c’est connu, mais il y a de petites entreprises de transport dont la juridiction est plus ou moins claire, et c’est souvent un motif de refus.

Est-ce que j’ai bien répondu à votre question, sénateur?

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Merci. Je pense que cela pourrait nous être utile si nous cherchons à en faire une directive nationale. Cela pourrait nous simplifier grandement la vie dans le contexte d’un système qui est déjà fonctionnel. Merci.

La sénatrice Dasko : Merci beaucoup pour vos exposés d’aujourd’hui. Je m’intéresse particulièrement aux aspects fédéro-provinciaux. Ma question s’adresse à vous deux.

Vous vous êtes tous les deux opposés à ce que cette initiative soit instaurée au titre du programme d’assurance-emploi. Quel serait le rôle du fédéral, le cas échéant, dans ce domaine? Celui de lancer un programme? De fixer des objectifs ou des normes? De ne rien faire? Devrait-il s’agir uniquement d’une initiative lancée et exécutée par le provincial?

J’aimerais connaître votre vision à tous les deux du programme idéal. Le fédéral a-t-il un rôle à jouer et, le cas échéant, quel serait-il?

Mme Pepper : Nous avons rédigé beaucoup de résolutions fédéro-provinciales. Un certain nombre d’entre elles visent à essayer de normaliser divers aspects médicaux de l’aide d’une province à l’autre — pas seulement ce type d’aide, mais le reste. Il faut qu’il y ait une continuité interprovinciale, sinon beaucoup de personnes pourraient s’y opposer et changer de province pour essayer de trouver de l’aide où elles peuvent.

Cela est, bien sûr, très perturbant pour les familles. Il serait utile de pouvoir normaliser rapidement entre les provinces et les territoires un certain nombre de mesures d’aide de nature médicale organisées à l’échelon provincial.

Cela coûte de l’argent. Vous ne pouvez pas simplement dire que cela ne coûtera rien de plus au fédéral. Ce doit être le cas.

Est-ce une partie de ce que vous vouliez entendre?

La sénatrice Dasko : Vous parlez donc d’établir une norme.

Mme Pepper : Oui. J’en ai parlé dans la résolution que j’ai présentée au sujet des services de sages-femmes. Nombre des résolutions auxquelles j’ai fait allusion dans mes remarques liminaires doivent être normalisées à la grandeur du pays en ce qui concerne les soins médicaux. La plupart des situations de nature médicale relèvent du provincial, bien qu’un certain nombre d’entre elles se rapportent constamment au fédéral.

La sénatrice Dasko : Lorsque le gouvernement fédéral fixe une norme, du financement doit y être associé, n’est-ce pas?

Mme Pepper : Je ne suis pas entrée dans les détails. Cependant, à titre d’exemple, lorsque nous avons rédigé la résolution sur les services de sages-femmes, certaines provinces n’étaient pas aux normes, si bien que les sages-femmes pouvaient aller dans les hôpitaux pour seconder les médecins, qui n’étaient pas d’accord. Il y avait beaucoup de différences à cet égard.

Une collègue à moi est chef du programme de sages-femmes à Ryerson. Il a été incroyablement difficile de normaliser les programmes entre les provinces. Les provinces qui n’ont pas, par exemple, les mêmes normes et mesures de soutien qu’ailleurs au pays devraient engager des dépenses.

La sénatrice Dasko : Si vous essayez de fixer des normes, les provinces pourraient dire : « Cela semble intéressant. Au revoir. Merci. »

Mme Pepper : Vous avez probablement composé avec la question dans bien d’autres situations. Je me concentre simplement sur la mienne. Est-ce une question piège?

La sénatrice Dasko : Non, ce n’est pas une question piège. Je cherche des façons de voir comment cela pourrait fonctionner côté pratique, compte tenu des différents types de programmes.

Monsieur Lafrance, que pensez-vous du rôle du fédéral, le cas échéant? Toutes ces réponses ou aucune?

[Français]

M. Lafrance : Ce que prévoit le projet de loi, c’est de tenir une consultation. Le rôle du gouvernement fédéral, pour nous, c’est de créer des circonstances favorables, dire qu’il faut, d’ici quelques années, s’asseoir ensemble, réfléchir à la question et essayer de trouver des solutions. Évidemment, on se retrouve dans une zone de compétences partagées. Il est question de santé et de sécurité au travail, de conditions de travail et, donc, si le régime ne s’applique pas aux entreprises fédérales au Québec, c’est parce que la Cour suprême du Canada est venue dire, dans une décision rendue il y a très longtemps, dans une cause qui opposait le gouvernement à Bell Canada, que les entreprises de compétence fédérale ne sont pas couvertes par les lois provinciales de cette nature. Le rôle du gouvernement fédéral est donc de mobiliser les provinces et les territoires autour de cet enjeu important.

Les provinces peuvent dire que cela ne les intéresse pas. Cependant, il faut comprendre que toutes les provinces au Canada ont des régimes de prévention en santé et sécurité. Le gouvernement fédéral a aussi des règles en cette matière, qui relève du Code canadien du travail. Donc, le gouvernement fédéral, de son propre chef, peut décider d’adopter un régime qui va s’appliquer aux travailleuses qui relèvent de la compétence fédérale, donc du gouvernement. Les banques, le transport, les télécommunications, tout cela représente quand même — en tout cas pour le Québec — environ 10 p. 100 des travailleuses. Donc, à la grandeur du Canada, ce doit être environ les mêmes proportions. Ensuite, les gouvernements provinciaux, qui ont tous des lois en santé et sécurité du travail, devront décider s’ils veulent avoir ce genre de programme ou non.

Je pense que le gouvernement fédéral ne peut pas aller beaucoup plus loin que cela, mais juste le fait d’en parler... Si une province dit que cela ne l’intéresse pas, que le sort de ses travailleuses ne l’intéresse pas, qu’elles doivent régler leurs problèmes et assumer les dangers ou les frais financiers que cela occasionne, la province devra vivre avec cela. Le gouvernement fédéral ne peut pas obliger les provinces.

Je suis persuadé que la tenue d’une telle consultation permettrait justement de faire avancer cette cause, mais je ne peux pas aller plus loin.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Merci. C’est vraiment utile.

Le sénateur Munson : Toutes les bonnes questions ont été posées.

Madame Pepper, que pensez-vous du programme québécois?

Mme Pepper : J’ai été impressionnée que la province se soit dotée, il y a des années, d’un programme d’aide qui soit meilleur que ceux du fédéral et de l’Ontario. Nous faisons pression pour qu’on offre divers programmes d’aide depuis le début des années 1980.

Il a raison de dire que les consultations devraient se tenir à la grandeur du pays. Elles s’inscriront dans le mouvement pour accepter tranquillement les normes nationales. Les provinces résistent. Nous pouvons, en quelque sorte, les encourager en leur donnant un incitatif et non le contraire pour aider à équilibrer l’aide provinciale à la grandeur du pays.

Le sénateur Munson : J’aime ce terme, « mouvement ». C’est ce dont vous avez parlé, monsieur Lafrance, et je vous en remercie. Il semble que le modèle du Québec fonctionne.

Monsieur Lafrance, vous avez parlé de diverses façons de l’incidence d’un programme de maternité sécuritaire au Québec. Je suis curieux de son incidence sur les travailleuses enceintes et qui allaitent, ainsi que sur les entreprises. Avez-vous des données à ce sujet? Peut-être que vous en avez parlé et que je n’ai pas saisi. Est-ce bon pour les entreprises de garder ces employées?

[Français]

M. Lafrance : Je ne suis pas certain qu’il existe des chiffres à ce sujet. Je crois que c’est bon pour les entreprises de retenir leur personnel, de garder leurs travailleurs en bonne santé, mais je ne suis pas certain que des études ont été faites quant à la rentabilité à long terme pour les entreprises. Je ne sais pas, je n’ai pas de réponse pour vous.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Nous pourrions chercher à obtenir de telles données dans le cadre des consultations. S’il y a un avantage économique, c’est donc bon pour tout le monde. Merci.

La sénatrice Omidvar : J’ai très peu de temps. J’aimerais poser une très brève question aux deux témoins. J’ai entendu deux propositions ou amendements pour améliorer le projet de loi. Premièrement, il y a le titre. L’autre proposition est d’inclure les femmes allaitantes et les femmes enceintes.

Avez-vous d’autres amendements au projet de loi, dans sa forme actuelle? C’est un projet de loi qui nous forcera à mener des consultations et à en faire rapport. Y a-t-il d’autres éléments dont vous aimeriez que nous tenions compte dans nos travaux?

[Français]

M. Lafrance : De notre côté, ce sont les deux choses que l’on voyait. On n’a pas fait de proposition, mais le titre ne nous semble pas cohérent par rapport au contenu, et nous voulons ajouter l’allaitement.

Pour le reste, on souligne quand même que l’on ne veut pas d’amendements qui ramèneraient les articles qui ont été retirés par la Chambre des communes, et qui faisaient que ce programme était géré par le Régime d’assurance-emploi, avec des prestations payées par l’assurance-emploi, parce que tout cela est très différent.

Je n’ai pas passé beaucoup de temps sur ce point, mais il faut comprendre que cela aurait un impact important pour le Québec, parce qu’il est évident que, à partir du moment où il y aurait un programme fédéral géré par l’assurance-emploi, cela mettrait notre programme en péril.

Les employeurs demanderaient pourquoi ils doivent payer deux fois. Ils paient au niveau fédéral et au Québec. C’était très important pour nous. Nous ne voulons pas voir ces deux articles réapparaître dans le projet de loi.

[Traduction]

Mme Pepper : J’aimerais faire un commentaire. Le temps est pratiquement terminé. Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, envisagez de nombreuses exceptions. Vous ne pouvez évidemment pas tout inclure. Si vous envisagez toutes les exceptions, que divers aspects des dispositions les regroupent et que c’est assez général, il sera possible de prendre des mesures d’adaptation dans le cas de certaines de ces situations exceptionnelles qui surviendront peut-être et auxquelles nous n’avons pas pensé ou que nous n’avons pas encore mentionnées.

Je pense au soutien pour les femmes enceintes et évidemment celles qui ne le sont pas dans les autres situations. Il faut que ce soit un soutien global pour que la prochaine génération ne se fasse pas dire que ce sont les femmes qui doivent assumer toute la responsabilité d’élever la prochaine génération. C’est la responsabilité de l’ensemble des Canadiens. Comme nous le savons, nous avons besoin de plus d’immigrants pour soutenir les générations futures. Nous sommes trop nombreux à vivre très vieux.

La présidente : Merci.

La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse à vous, monsieur Lafrance. J’examine le programme québécois. Je trouve remarquables la façon dont c’est formulé et le degré de maturité. Je me demande si vous avez l’information pour répondre à ma question. Quels sont les secteurs et les professions où nous retrouvons la plus forte représentation en ce qui a trait au retrait préventif durant la grossesse parmi les milieux qui participent au programme?

[Français]

M. Lafrance : Si vous allez sur le site de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, vous trouverez des statistiques comme Pour une maternité sans danger : Statistiques de 2011 à 2014. Ils en sont probablement à 2012-2015. Vous avez des tableaux qui couvrent 50 pages et qui traitent de toutes sortes de sujets. Les catégories d’emploi où il y a le plus de retraits préventifs qui sont accordés, ce sont les infirmières et les enseignantes, des emplois qu’on pourrait qualifier de « féminins », parce que les femmes les occupent plus souvent que les hommes.

Je vais essayer d’aller rapidement là-dessus. Les emplois des femmes ont été importants. Il y a eu beaucoup de recherche sur le travail des femmes. J’aimerais vous donner un exemple de recherches qui ont été menées après l’adoption de la loi au Québec. On a comparé des postes, comme le travail d’un manutentionnaire dans un entrepôt — un travail d’homme — et le travail d’une couturière, une opératrice de machine à coudre. On voulait vérifier qui soulevait le plus de poids et d’autres critères, et on s’est aperçu que c’est la couturière qui soulevait le plus de poids en une journée. Même les chercheurs ne s’attendaient pas à ce résultat. Ce n’est pas le même poids. Soulever un demi-kilo 10 000 fois par jour, ce n’est pas la même chose que soulever des boîtes de 20 kilos, mais moins souvent. Cela a des impacts, et c’est avec ce genre de chiffres que nous pouvons documenter le fait que le travail des femmes est aussi dangereux que celui des hommes.

Évidemment, il y a des statistiques, et je vous invite à les consulter. Le comité peut consulter le document qui est disponible sur Internet. Vous avez tous les chiffres sur les emplois les plus dangereux, quels en sont les coûts, le nombre de journées d’arrêt de travail, et ainsi de suite. C’est une mine d’or.

La présidente : Merci, monsieur Lafrance, pour votre réponse et pour la référence que nous allons partager avec les membres du comité.

[Traduction]

Je remercie les deux témoins de leurs témoignages importants pour la suite de nos travaux sur le projet de loi.

Bienvenue à la deuxième partie de la réunion. Nous avons de nouveaux témoins.

[Français]

De la Commission canadienne des droits de la personne, nous avons le plaisir d’accueillir Monette Maillet, directrice exécutive adjointe et avocate générale principale. Nous accueillons aussi Valerie Phillips, directrice et avocate générale. D’Emploi et Développement social Canada, nous avons avec nous Brenda Baxter, directrice générale, Direction du milieu de travail, Programme du travail, Andrew Brown, directeur général, Politique de l’assurance-emploi, et Rutha Astravas, directrice, Prestations spéciales, Politique de l’assurance-emploi.

[Traduction]

Bienvenue. Nous entendrons en premier la Commission canadienne des droits de la personne et, en deuxième, Emploi et Développement social Canada. Chaque organisme aura sept minutes pour faire son exposé, et je crois comprendre que vous partagerez vos sept minutes.

Monette Maillet, directrice exécutive adjointe et avocate générale principale, Commission canadienne des droits de la personne : Bonjour, honorables sénateurs. Merci d’avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à contribuer à votre étude du projet de loi C-243. Nous aimerions soulever trois éléments concernant cette étude. Premièrement, nous appuyons sans réserve le projet de loi. Nous sommes d’avis que l’étude qu’il propose pourrait nous aider à mieux comprendre et à éliminer les obstacles à l’égalité entre les sexes auxquels les femmes se heurtent en milieu de travail.

Deuxièmement, l’étude devrait s’appuyer sur une démarche fondée sur les droits de la personne. Troisièmement, il faudrait s’assurer que les recommandations tiennent compte des obligations en matière de droits de la personne de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation et de répondre aux besoins d’une employée relativement à sa grossesse.

[Français]

La Commission canadienne des droits de la personne est une organisation indépendante qui rend compte de ses activités au Parlement. Elle agit en tant qu’organisme de surveillance des droits de la personne au Canada. La commission reçoit les plaintes pour discrimination et tente d’amener les plaignants et les mis en cause à régler leurs différends. Quand les parties n’arrivent pas à s’entendre, ou quand la commission considère qu’il faut étudier la plainte plus à fond, elle peut renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne.

Aujourd’hui, nos remarques s’appuient sur de vastes consultations que nous avons menées auprès d’intervenants et sur les plaintes pour discrimination que nous avons reçues au fil des ans. Vous avez peut-être vu notre politique en cas de grossesse ou notre guide à l’intention des proches aidants. La commission les a rédigés en partie à la suite de plaintes que nous avions reçues de femmes à qui on avait refusé des mesures d’adaptation lorsqu’elles étaient enceintes ou devaient s’occuper de leurs enfants.

Cela m’amène à formuler ma première remarque. Nous appuyons totalement ce projet de loi, parce qu’il représente une autre façon de favoriser une participation égale des femmes dans les milieux de travail. Si le projet de loi est adopté, nous croyons que des consultations sur la création d’un programme national d’aide à la maternité contribueraient à cerner les barrières pour les femmes. Elles aideraient aussi à cerner les éléments d’une stratégie nationale.

Alors que la participation des femmes à la population active augmente encore, les statistiques demeurent inférieures en ce qui concerne les métiers spécialisés, les sciences et le secteur du transport. Nous pensons que ces secteurs d’activité se privent d’un grand bassin de talents. Ils freinent leur croissance et refusent aux femmes des chances égales de participer à la population active. Selon des études, quand on permet aux femmes de prendre leur place dans un milieu de travail, cela favorise des organisations plus saines et concurrentielles. On obtient également des avantages réels pour l’économie et la société dans son ensemble.

Même si nous appuyons le projet de loi, et en admettant qu’un programme national d’aide à la maternité puisse contribuer à éliminer certains obstacles pour les femmes, nous savons qu’il ne pourra pas tous les éliminer. Il restera certainement des obstacles créés par les normes de genres et les stéréotypes. Voilà pourquoi il faudrait adopter une approche axée sur les droits de la personne.

[Traduction]

Pour ce qui est de mon deuxième point, nous recommandons d’adopter une démarche fondée sur les droits de la personne pour tous les éléments de l’étude. Ce que nous entendons par une démarche fondée sur les droits de la personne, c’est qu’il faut interdire, prévenir et éliminer toutes les formes de discrimination. Cela signifie que les consultations doivent inclure les femmes dont les droits sont touchés pour entendre directement leurs commentaires. Cela signifie aussi qu’il faut accorder la priorité aux femmes qui sont les plus marginalisées ou qui se trouvent dans les situations les plus vulnérables, soit celles qui se heurtent à de multiples obstacles qui viennent nuire à l’exercice de leurs droits. Cet aspect est souvent appelé l’intersectionnalité.

Le projet de loi énumère les enjeux qui seront évalués, et c’est un bon départ. Le recours dans le processus à une démarche fondée sur les droits de la personne contribuera à nous assurer que la dignité de la personne est au cœur des politiques et des programmes qui en découleront.

Voilà qui m’amène à mon troisième point. Il faut nous assurer que les recommandations tiennent compte des obligations en matière de droits de la personne de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation et de répondre aux besoins d’une employée relativement à sa grossesse. La Loi canadienne sur les droits de la personne exige que les employeurs prennent des mesures d’adaptation pour les employés dans la mesure où cela ne pose pas de contrainte excessive.

Dans une décision du Tribunal canadien des droits de la personne, soit l’affaire Hoyt, où un employeur n’avait pas pris de mesures d’adaptation dans le cas d’une femme enceinte dans un milieu de travail à prédominance masculine, le tribunal a affirmé que les employeurs doivent prendre des mesures d’adaptation pendant la grossesse et qu’ils doivent faire tous les efforts raisonnables pour soutenir leurs employées dans la mesure où cela ne pose pas de contrainte excessive.

Nous avons collaboré avec de nombreux employeurs qui sont bien au fait de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et du concept de contrainte excessive. La majorité des employeurs comprennent qu’ils doivent examiner en profondeur la situation de chaque personne avant d’écarter la possibilité de prendre des mesures d’adaptation. Dans le cas d’une situation où la sécurité fait en sorte qu’il est impossible de prendre des mesures d’adaptation pour une employée enceinte, il est certain qu’un programme d’aide à la maternité fournirait le soutien nécessaire.

Toutefois, nous courons le risque que certains employeurs voient un futur programme comme une occasion, une justification ou une échappatoire pour éviter de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins d’une employée. Je répète que c’est la raison pour laquelle nous recommandons que l’étude s’assure que toute recommandation tient compte des obligations en matière de droits de la personne de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation et de répondre aux besoins d’une employée relativement à sa grossesse.

En conclusion, la commission est très encouragée par le projet de loi et elle l’appuie. L’adoption de mesures concrètes dans ce domaine permettrait de réaliser l’objectif de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des droits de la personne au Canada. Cela contribuerait aussi à promouvoir la mise en œuvre par le Canada de ses obligations internationales quant aux droits de la personne.

Les conclusions de l’étude pourraient renforcer l’égalité entre les sexes pour les femmes dans les milieux de travail partout au Canada. Des obstacles pourraient être éliminés, et un plus grand nombre de femmes pourraient être tentées d’explorer des carrières qui leur étaient auparavant impossibles. Le Canada en profiterait sur les plans économique et social, et cela renforcerait notre réputation de chef de file mondial dans le domaine des droits des femmes et des droits de la personne. J’ai hâte d’entendre vos questions.

La présidente : Merci.

[Français]

Je donne maintenant la parole aux représentants d’Emploi et Développement social Canada.

Brenda Baxter, directrice générale, Direction du milieu de travail, Programme du travail, Emploi et Développement social Canada : C’est avec plaisir que je comparais devant le comité au sujet du projet de loi C-243, Loi visant l’élaboration d’une stratégie relative au programme national d’aide à la maternité. Ces travailleuses enceintes sont exposées à des conditions de travail qui peuvent nuire à leur santé et à leur sécurité ou peuvent poser un risque pour leur fœtus. Ce projet de loi s’attache à offrir un soutien accru aux travailleuses enceintes lorsqu’il y a des enjeux de santé et de sécurité en raison de leur milieu de travail.

Plus précisément, ce projet de loi donne au gouvernement du Canada le mandat de consulter les provinces, les territoires et les intervenants pertinents quant à la perspective d’élaborer un programme national d’aide à la maternité pour soutenir les femmes qui ne sont pas en mesure de travailler en raison de leur grossesse et ne peuvent être réaffectées par leur employeur.

[Traduction]

Le Code canadien du travail définit et réglemente les protections minimales en matière de santé et de sécurité au travail ainsi que les normes du travail pour les milieux de travail relevant de la compétence fédérale et il inclut un certain nombre de protections pour les travailleuses enceintes ou allaitantes. Les entreprises qui relèvent de la compétence fédérale représentent, selon la partie du code, entre 6 et 9 p. 100 des milieux de travail au Canada et comprennent les banques, les télécommunications et la radiodiffusion ainsi que les transports au niveau interprovincial et international. Les provinces et les territoires réglementent tous les autres secteurs et, dans la plupart des cas, ils offrent des protections de l’emploi similaires pour leurs travailleuses enceintes ou allaitantes.

À tout moment, si un employé, y compris les femmes enceintes ou allaitantes, croit qu’il y a un danger grave ou imminent dans son milieu de travail, il peut refuser de travailler et demander que les circonstances soient évaluées par l’employeur et le comité de santé et de sécurité au travail pour éliminer ou atténuer le danger ou protéger l’employé contre ce danger.

L’exemple présenté plus tôt concernant une épidémie de rougeole est un exemple d’une telle situation.

De plus, le code permet à une femme enceinte ou allaitante qui craint qu’il y ait un risque au travail pour elle-même ou son fœtus d’arrêter de travailler pour demander un avis médical. Sur obtention d’un avis médical, elle peut demander à l’employeur de modifier son travail ou de l’affecter à un autre poste qui ne présente pas de risque. Comme nous l’avons entendu dans les discussions précédentes, cela peut inclure des limites relatives aux déplacements par avion au pays ou aux charges à lever.

Une fois que l’employée a présenté la demande à son employeur, elle peut alors prendre un congé rémunéré jusqu’à ce que l’employeur puisse l’affecter à un autre poste ou confirme ne pas être en mesure de le faire.

Si aucune modification n’est apportée à son travail ou si elle n’est pas réaffectée à un autre poste, une femme peut prendre un congé sans solde, avec protection de l’emploi, tant et aussi longtemps qu’il y a un risque ou tout au long de la grossesse.

Le Code canadien du travail offre également une protection de l’emploi continue lorsque l’enfant est né. La femme peut prendre jusqu’à 17 semaines de congé de maternité et jusqu’à 63 semaines de congé parental, ce qui correspond aux prestations d’assurance-emploi.

La Loi no  2 d’exécution du budget de 2018, récemment déposée, propose des modifications au Code canadien du travail pour retirer le critère d’admissibilité de six mois aux congés de maternité ou parentaux afin de renforcer davantage la protection de l’emploi pour ces travailleuses. La mesure législative élargit aussi la définition des personnes admissibles à évaluer le risque pour la femme; cela passe d’un médecin praticien à un professionnel de la santé.

Je cède maintenant la parole à mon collègue, Andrew Brown, qui abordera les prestations offertes dans le cadre du programme d’assurance-emploi.

Andrew Brown, directeur général, Politique de l’assurance-emploi, Emploi et Développement social Canada : Merci, Brenda.

Je suis directeur général de la Direction de la politique de l’assurance-emploi à Emploi et Développement social Canada. Je suis ravi de témoigner ce matin devant le comité.

Il est utile de bien donner un aperçu des prestations de maternité de l’assurance-emploi. Elles sont versées aux prestataires admissibles pour une durée maximale de 15 semaines et elles s’ajoutent à d’autres prestations de l’assurance-emploi telles que les prestations parentales. En 2016-2017, quelque 170 000 prestataires ont reçu des prestations de maternité de l’assurance-emploi, ce qui représente une somme d’environ 1 milliard de dollars.

Lors de son dépôt initial à la Chambre des communes au début de 2016, le projet de loi C-243 proposait des changements au régime d’assurance-emploi pour soutenir les travailleuses enceintes et leur donner accès plus tôt aux prestations de maternité, soit jusqu’à 15 semaines avant la date prévue de l’accouchement de la travailleuse enceinte au lieu de 8 semaines. Avant les plus récents changements, une travailleuse enceinte était admissible à des prestations de maternité 8 semaines avant la date prévue de l’accouchement.

Il y a des différences entre le retrait préventif et les prestations de maternité. En effet, les prestations de maternité de l’assurance-emploi sont liées à la grossesse et visent à protéger la mère de toute interruption de gains attribuable à son incapacité physique ou émotionnelle à travailler ou à chercher du travail dans les semaines entourant la naissance. Le retrait préventif a plutôt trait au droit des employées enceintes ou allaitantes d’être réaffectées temporairement ou de prendre congé si leur travail pose un risque pour leur santé ou la santé du fœtus ou de l’enfant allaité.

À l’automne 2016, nous avons mené des consultations auprès du public et des intervenants sur la façon d’assouplir les modalités des prestations parentales et de maternité de l’assurance-emploi et de rendre plus inclusives les prestations de soignant. Inspirées du projet de loi, ces consultations comportaient des questions liées au retrait préventif. Au sujet des prestations et du congé de maternité, nous avons notamment entendu qu’il était important pour les travailleuses enceintes exposées au travail à des risques pour leur santé et leur sécurité d’avoir accès à un congé de maternité préventif.

Les résultats de ces consultations et les propositions prébudgétaires des associations professionnelles, des syndicats et des organisations féminines ont mené à des modifications qui ont été annoncées dans le budget de 2017 et mises en œuvre le 3 décembre 2017. Ces modifications consistaient à permettre aux femmes enceintes de demander des prestations de maternité plus tôt, soit jusqu’à 12 semaines avant leur date d’accouchement, ce qui était une augmentation comparativement aux 8 semaines accordées antérieurement. Ces mesures permettent de donner aux travailleuses la possibilité de commencer leur congé en fonction de leur situation. Cette modification a été accueillie favorablement par le député et les intervenants qui appuient le projet de loi. Des modifications correspondantes ont été apportées au Code canadien du travail afin de s’assurer que les travailleuses des entreprises sous réglementation fédérale qui reçoivent des prestations de maternité de l’assurance-emploi bénéficient aussi d’une protection de l’emploi.

Par la suite, un comité de la Chambre des communes a amendé le projet de loi afin de retirer les modifications prévues à la Loi sur l’assurance-emploi qui traitaient d’un accès précoce aux prestations de maternité pour répondre aux enjeux de retrait préventif.

Pour la période du 3 décembre 2017 au mois d’août 2018, les données préliminaires révèlent que 5 600 demandes présentées pour des prestations de maternité de l’assurance-emploi ont été versées durant les neuf à 12 semaines avant la date de l’accouchement. Cela représente des cas où les femmes ont profité de la nouvelle mesure.

Voilà qui met fin à notre exposé sur l’état actuel du Code canadien du travail et les dispositions de l’assurance-emploi, notamment les modifications apportées récemment visant à mieux soutenir les travailleuses enceintes.

La présidente : Merci beaucoup. Commençons maintenant les séries de questions avec la vice-présidente, la sénatrice Seidman.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés. J’aimerais d’entrée de jeu vous remercier énormément, monsieur Brown, d’avoir clairement fait la distinction entre le retrait préventif et les prestations de maternité. C’est une distinction claire, comme nous l’avons entendu avec le précédent groupe de témoins, et c’est une importante distinction.

Cela étant dit, j’aimerais vous poser une question sur l’accent que vous mettez sur les droits de la personne. J’aimerais soulever la dichotomie.

Si je comprends bien ce que vous avez dit dans votre exposé, madame Maillet, la démarche fondée sur les droits de la personne impose le fardeau à la personne qui doit ensuite se tourner vers un tribunal des droits de la personne.

Par ailleurs, dans le programme dont parlait M. Brown, les travailleuses doivent arrêter de travailler et demander un avis médical. Cela place l’employée dans une possible situation de conflit avec son employeur. Dans le cas d’une femme enceinte, cela crée énormément de stress. Elle doit alors faire face à cette situation par elle-même. Le modèle québécois, qui repose sur une démarche de santé publique dans le cadre d’un régime de santé et de sécurité au travail, ce qui se veut un droit collectif, ne crée pas de situation de conflit entre l’employée et l’employeur.

J’aimerais connaître votre impression. Comment évaluez-vous cette dichotomie? En fin de compte, pourquoi les employés fédéraux dans les diverses provinces n’ont-ils pas accès à ce droit collectif? Merci.

Mme Maillet : Merci de votre question. La santé et la sécurité des employés au travail, en particulier dans le cas des femmes enceintes, doivent tenir compte du droit de demeurer dans le milieu de travail. La Loi canadienne sur les droits de la personne impose aux employeurs l’obligation de s’assurer... C’est particulièrement le cas dans certaines plaintes que nous avons vues concernant une industrie à prédominance masculine, et certains employeurs ne sont peut-être pas très sympathiques à l’endroit de certaines femmes dans le milieu de travail. Il y a du harcèlement et d’autres problèmes. Les employeurs ne font pas ce qu’ils doivent faire pour s’assurer de prendre des mesures d’adaptation pour une employée enceinte.

Je suis d’accord avec vous. Ce n’est pas la meilleure approche que de devoir déposer une plainte relative aux droits de la personne pour vous assurer du respect de vos droits, mais c’est une protection. Lorsque des femmes sont victimes de discrimination en milieu de travail parce que des mesures d’adaptation ne sont pas prises à leur égard ou pour toute autre raison, elles ont un tribunal qui entendra leur plainte.

Nous essayons d’offrir de la médiation, et la majorité des plaintes se règlent. Il s’agit d’un mécanisme nécessaire que les femmes utilisent pour s’assurer de faire respecter leurs droits.

Qui plus est, les employeurs savent que la Commission canadienne des droits de la personne est là et que les gens se prévalent de leur droit de déposer une plainte; ils prennent souvent ensuite des mesures d’adaptation pour s’assurer de répondre aux besoins des femmes. Je ne connais aucun employeur qui aime que des plaintes soient déposées contre lui. Nous espérons que cela encourage aussi les employeurs à faire ce qui s’impose.

La sénatrice Seidman : J’aimerais peut-être vous entendre, monsieur Brown, à ce sujet, comme vous représentez Emploi et Développement social Canada. Je ne sais pas si vous avez un commentaire au sujet des employés fédéraux et des droits collectifs des femmes en ce qui a trait en particulier au retrait préventif.

M. Brown : Pour la perspective de l’emploi, je m’en remets à ma collègue Brenda.

Mme Baxter : Merci. Comme nous l’avons mentionné, il y a 13 compétences en matière de santé et de sécurité au travail au Canada. La compétence fédérale comprend les banques, les transports interprovinciaux et internationaux, ainsi que les fonctionnaires fédéraux.

La partie II du Code canadien du travail comprend des dispositions pour les situations où il y a un danger ou une demande de réaffectation en raison d’un danger potentiel pour une femme qui est enceinte ou qui allaite, et toutes les employées y ont droit. Si l’employeur ne se conforme pas à ces dispositions, les employées peuvent porter plainte auprès du Programme du travail. Nous procéderions alors à une enquête, et une conclusion serait signifiée. Dans l’éventualité ou l’une ou l’autre des parties ne serait pas d’accord avec cette conclusion, elle peut faire appel auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail.

Permettez-moi cependant de signaler ceci : en ce qui concerne les accidents du travail, il faut savoir qu’au niveau fédéral, il n’y a pas d’indemnisation. L’indemnisation des accidentés du travail est administrée à l’échelon provincial. Par exemple, si vous êtes un employé travaillant dans un secteur de compétence fédérale en Colombie-Britannique et que vous êtes blessé et admissible à l’indemnisation des accidentés du travail, vous obtiendrez cette indemnisation par le biais du système provincial d’indemnisation. C’est à ce régime que les employeurs cotisent.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie.

La présidente : Je demanderais à mes collègues et aux témoins de se soucier un tant soit peu du temps dont nous disposons. Nous devons finir à 12 h 30. Nous avons beaucoup de sénatrices et de sénateurs qui ont de très bonnes questions, j’en suis certaine.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je ne sais pas qui va pouvoir répondre à ma question. Des témoins nous ont dit que le titre du projet de loi ne correspondait pas au contenu. On veut parler du retrait préventif dans le contenu, alors que le programme parle de mise en place d’un programme national d’aide à la maternité. Sur quoi devrait-on mettre l’accent dans nos consultations? Serait-ce plutôt la mise en place d’un programme national d’aide à la maternité ou devrions-nous nous restreindre au retrait préventif? Auriez-vous des suggestions?

M. Brown : À mon avis, je crois qu’il est important de vraiment penser aux enjeux et se demander quels sont les besoins de ces travailleuses qui se trouvent dans cette situation, et pas seulement ou nécessairement penser à un programme comme tel au Québec. C’est une possibilité, mais il est possible qu’il y ait d’autres mesures qui pourraient aider les travailleuses qui se retrouvent dans cette situation. Donc, c’est une partie de ce qu’il y a dans notre régime d’assurance-emploi, mais également dans les codes du travail partout au pays.

La sénatrice Mégie : Tout à l’heure, vous avez dit que des consultations avaient déjà été menées pour faire des propositions prébudgétaires en 2017. J’ai vu des associations professionnelles, des syndicats et des organisations. Savez-vous s’ils ont interrogé les gens de l’industrie des métiers spécialisés ou de l’industrie de la construction?

Rutha Astravas, directrice, Prestations spéciales, Politique de l’assurance-emploi, Emploi et Développement social Canada : Madame la sénatrice, pour répondre à votre question, on a tenu des consultations de deux façons.

Tout d’abord, on a fait des consultations en ligne qui étaient ouvertes partout au pays. On a surtout entendu des réactions de personnes et d’organismes hors Québec, parce que le Québec a son propre régime de RQAP. On a eu aussi une discussion, une table ronde ministérielle avec une combinaison de différents organismes provenant de différents secteurs. On a aussi reçu des soumissions écrites de la part d’organismes et de syndicats qui touchent à la construction, des syndicats à l’échelle nationale qui comprennent des organismes qui représentent les droits des femmes, des familles, des travailleurs et des travailleuses et comprenant quelques organismes qui ont appuyé ce projet de loi. Lorsque le site web a été lancé, plusieurs organismes ont vraiment appuyé le projet de loi C-243. On a vu un mélange de conclusions, soit en réaction à ce projet de loi, mais aussi dans les consultations qu’on a menées à peu près en même temps.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Merci. Ma première question s’adresse à Me Phillips. Dans l’optique des droits de la personne, nous avons eu une discussion sur la violation potentielle des dispositions visant à contrer les obstacles à l’égalité. Pourriez-vous me donner quelques exemples, en particulier en ce qui concerne les femmes enceintes ou les mères allaitantes, où ces droits ont été violés. Pouvez-vous aussi me donner une idée du temps moyen qu’il vous faut pour mener à bien vos audiences et me dire si les populations vulnérables sont surreprésentées dans les groupes que vous examinez dans ce contexte?

Valerie Phillips, directrice et avocate générale, Commission canadienne des droits de la personne : Je vous remercie de votre question. Je crois que la première partie de cette question portait sur les obstacles auxquels font face les femmes enceintes sur le marché du travail.

Le premier obstacle pour ces femmes est le fait de s’abstenir d’entrée de jeu de postuler un emploi parce qu’elles estiment qu’elles ne seront pas en mesure d’avoir une famille ou de vivre la vie qu’elles souhaitent avoir. C’est la raison d’être de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des codes provinciaux et territoriaux : essayer d’éliminer ces obstacles. La commission veille également à l’application d’une partie de la Loi sur l’équité en matière d’emploi et elle fait la promotion de la représentation des groupes désignés auprès des employeurs fédéraux. Les femmes font partie de ces groupes, tout comme les minorités visibles, les personnes handicapées et les peuples autochtones.

Dans son exposé, Mme Maillet a parlé de l’intersectionnalité. Je crois que vos discussions ont surtout porté sur la situation des femmes qui exercent des professions dangereuses. Il y a aussiles femmes handicapées, qui font partie des minorités visibles et qui sont issues de milieux vulnérables. Ce sont des obstacles supplémentaires.

À quoi cela ressemble-t-il? Le fait d’avoir un accent peut entraîner votre mise à l’écart lors d’une entrevue. Le fait de tomber enceinte peut vous faire perdre votre emploi. Nous en avons entendu parler. Le fait de ne pas travailler dans un milieu où il existe d’autres emplois que vous pouvez occuper pendant votre grossesse peut entraîner une perte de revenu, et c’est ce dont vous avez surtout parlé.

Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Ravalia : J’essaie de voir comment nous pourrions développer et peaufiner certains aspects de ce projet de loi. Je cherchais à savoir s’il y a des domaines spécifiques que vous aimeriez que nous ajoutions directement dans le libellé actuel de ce document pour veiller à ce que ces droits ne soient pas violés.

Mme Phillips : Nous suggérons que l’étude elle-même adopte une approche fondée sur les droits de la personne. Si ce libellé pouvait être incorporé dans le projet de loi, ce serait utile. La commission se fera un plaisir de vous aider pendant la période de consultation si ce projet de loi est adopté. Par exemple, pour l’enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées, nous avons fourni un cadre afin de définir ce à quoi ressemblerait une approche fondée sur les droits de la personne.

Le sénateur Ravalia : Avec votre permission, madame la présidente, nous pourrions peut-être vous demander de rédiger une partie de ce genre de documents que nous pourrions examiner après la présente séance. Me reste-t-il un peu de temps?

La présidente : Le juriste sera en mesure de vous aider à rédiger quelque chose que vous pourrez examiner.

Le sénateur Ravalia : Ma prochaine question s’adresse à M. Brown. Nous avons beaucoup comparé la couverture de l’assurance-emploi et celle du modèle québécois. Le modèle québécois couvre jusqu’à 90 p. 100 du revenu. Pouvez-vous me donner une idée du pourcentage de son revenu qu’une femme enceinte obtient lorsqu’elle bénéficie d’un congé de maternité?

M. Brown : Je vous remercie de votre question. Il est important de reconnaître qu’au Québec, il y a aussi le programme Pour une maternité sans danger dont nous avons entendu parler ce matin. La province a également son propre Régime québécois d’assurance parentale qui offre des prestations de maternité, des prestations parentales, des prestations de paternité et des prestations d’adoption. Il s’agit de deux régimes distincts. Il y a des règles qui encadrent comment une personne doit mettre fin à sa demande de prestations Pour une maternité sans danger et passer au Régime québécois d’assurance parentale.

Les prestations de maternité et les prestations parentales prévues aux termes de l’assurance-emploi s’apparentent davantage au Régime québécois d’assurance parentale qu’au programme Pour une maternité sans danger.

Le taux de remplacement du programme d’assurance-emploi correspond à 55 p. 100 de la rémunération hebdomadaire assurable moyenne d’un travailleur. La différence entre le programme québécois et le programme fédéral d’assurance-emploi, c’est qu’il s’agit d’un taux de remplacement de 55 p. 100 jusqu’à ce que le revenu atteigne ce que l’on appelle le maximum de la rémunération assurable, qui est actuellement d’environ 52 000 $. Lorsque les gens paient des cotisations d’assurance-emploi, ils ne les paient que jusqu’à concurrence de gains de 52 000 $, environ. C’est la seule portion de leur revenu qui est assurée. Bref, jusqu’à ce plafond, le programme couvre 55 p. 100 du revenu.

Le sénateur Ravalia : Merci.

La sénatrice Omidvar : J’accueille favorablement la suggestion formulée par le sénateur Ravalia à l’intention de nos deux collègues de la Commission canadienne des droits de la personne. Afin d’intégrer les concepts des droits de la personne dans ce projet de loi, nous devons les codifier dans le libellé. Je suis aussi de cet avis. À mon dernier tour, j’ai manqué de temps pour ma question. Je tiens à ce que cela figure au compte rendu.

Le sénateur Munson : Vous pouvez prendre le mien.

La sénatrice Omidvar : Je vais vous poser une question qui n’est pas vraiment liée à votre exposé, mais qui a trait aux déclarations que nous avons entendues hier soir et avant cela.

L’expérience du Québec nous a appris que les femmes enceintes qui demandent un soutien pour le retrait préventif viennent majoritairement de professions traditionnellement dominées par les femmes, comme celle d’infirmière ou d’enseignante. Le préambule de ce projet de loi, cependant, met davantage l’accent sur les professions non traditionnelles.

Croyez-vous que le libellé du préambule devrait être plus équilibré qu’il ne l’est actuellement afin d’éviter que nous donnions préséance à nos propres préjugés? Notre collègue du Québec m’a clairement dit tout à l’heure que le danger pour les femmes enceintes est associé à des milieux et à des lieux habituels et inhabituels.

Mme Maillet : Étant donné ce que les témoins précédents ont dit, il est devenu évident que nous ne nous intéressons pas seulement aux milieux de travail à prédominance masculine. Il est clair que le travail traditionnel des femmes a ses propres obstacles à l’emploi des femmes enceintes.

Le fait qu’il s’agisse d’un milieu de travail à prédominance masculine peut constituer un obstacle supplémentaire.

La sénatrice Omidvar : Pourriez-vous jeter un coup d’œil au préambule et nous communiquer vos propositions?

Mme Maillet : Oui, nous pouvons faire cela.

La sénatrice Poirier : J’aimerais clarifier certaines choses auprès de M. Brown.

Dans votre exposé, vous avez parlé des changements qui ont été mis en œuvre pour faire passer le nombre de semaines de huit à 12. Ensuite, vous avez dit que l’admissibilité aux prestations de maternité de l’assurance-emploi pouvait aller jusqu’à 15 semaines et vous avez parlé du nombre de personnes qui se sont prévalues de ces prestations.

Encore une fois, certaines observations formulées par nos témoins d’hier soir laissent entendre qu’une employée enceinte à qui l’employeur ne pourrait offrir un autre type de travail pour accommoder le fait qu’elle ne peut plus faire son travail habituel pour des raisons médicales — et qu’un médecin affirme que cela pourrait représenter un risque pour l’enfant ou pour elle — n’aurait pas d’autre choix que de prendre un congé de maladie aux termes de l’assurance-emploi.

Ces témoins disaient que cela n’était pas correct, parce qu’ils étaient d’avis que le fait d’être enceinte ne signifie pas que l’on est malade. Ils estimaient que cela obligeait les femmes dans cette situation à prendre un congé de maladie. Or, en étant en congé de maladie, leur revenu n’est couvert qu’à 55 p. 100 et elles ne sont pas autorisées à gagner un revenu d’appoint dans l’intervalle si l’occasion se présente.

De plus, ces 15 semaines ne couvrent pas la durée nécessaire. Il y a donc une période autour de l’accouchement où elles n’ont absolument aucun revenu avant de pouvoir commencer leur congé de maternité et cela cause beaucoup de difficultés.

Ma question est la suivante : quel est le rôle de l’employée ici? Lorsqu’une employée ne peut plus faire le travail que lui demande son employeur et que l’employeur ne peut lui offrir de solution de remplacement, au lieu de la faire démissionner — ce qui est l’une de ses options — ou de la forcer à prendre un congé de maladie alors qu’elle n’est pas réellement malade et que cela la pénalisera à cause de la limite, ne serait-il pas préférable de la mettre à pied? De toute manière, elle n’a aucune garantie qu’elle pourra reprendre son emploi par la suite.

De cette manière, elle aurait droit à des prestations ordinaires d’assurance-emploi pendant sa grossesse, et elle aurait la possibilité de travailler parallèlement à un autre emploi pour compléter son revenu et éviter d’avoir à vivre toutes ces difficultés.

Une fois que l’enfant est né, ou près de huit à 12 semaines plus tard, elle recevrait des prestations de maternité normales. Est-ce que cela pourrait être légal et acceptable dans le cadre du programme d’assurance-emploi? Est-ce un scénario que l’employeur devrait être tenu d’examiner ?

M. Brown : Vous soulevez plusieurs aspects distincts. Je peux parler de ce qui concerne l’assurance-emploi et je me tournerai peut-être vers mon collègue du Programme du travail, si cela est nécessaire.

Tout d’abord, voudrions-nous voir des employeurs licencier des travailleuses qui sont dans cette situation? Je ne le crois pas. J’ai entendu dire que les employés et les employeurs ont recours à différentes façons pour aborder ces situations particulières.

Permettez que je parle un instant de l’assurance-emploi, car je crois qu’il est important que le comité en comprenne les différents éléments. Premièrement, il y a les prestations de maladie, dont vous avez parlé. Ce sont ces prestations qui s’appliquent quand quelqu’un est malade. Il est facile d’y avoir accès, mais il faut effectivement qu’un médecin dise que, pour des raisons médicales, la personne concernée est incapable de travailler pour l’instant. C’est tout ce que nous demandons, une raison médicale.

Dans le cas de la maternité, c’est essentiellement la travailleuse qui nous dit qu’elle est enceinte et qu’elle pense accoucher à une certaine date. Nous lui permettons alors d’avoir accès aux prestations de maternité. La prestation est liée au fait de porter un enfant. La femme peut s’en prévaloir à partir de 12 semaines avant la date prévue et jusqu’à un maximum de 17 semaines après. Ces 15 semaines devraient être prises autour de la date prévue de l’accouchement.

L’une des raisons pour lesquelles cela n’est pas allé jusqu’à 15 semaines — et, en fin de compte, on s’est arrêté à 12, 12 semaines avant l’accouchement —, c’est qu’avec 15 semaines ouvertes, il y a toujours une incertitude quant à la date d’arrivée réelle de l’enfant. Si les femmes avaient droit à des prestations 15 semaines avant leur accouchement, qu’elles les utilisaient toutes et que l’enfant n’arrivait pas à la date prévue, on se retrouverait dans une situation où aucune prestation ne serait payable. Elles risqueraient donc de perdre leur congé sans solde en attendant l’arrivée de l’enfant. C’est ce qui explique les 12 semaines.

Ce qui suit concerne les prestations parentales. Ce sont les prestations pour la garde de l’enfant et elles ne sont payables qu’après l’arrivée de l’enfant ou, dans le cas d’une adoption, une fois que l’enfant prend place dans le foyer. Ce sont les prestations que les parents peuvent recevoir pour s’occuper de leurs enfants. Je pense qu’il est important de comprendre que les prestations de maladie, les prestations de maternité etles prestations parentales ont toutes un objectif distinct, et que ces objectifs distincts expliquent les différences qui existent en matière de flexibilité.

La sénatrice Poirier : Si une femme tombe enceinte et qu’on lui dit au début de sa grossesse qu’elle ne peut pas faire le genre de travail qu’elle faisait auparavant et que l’employeur n’est pas en mesure de l’accommoder d’une façon ou d’une autre, il n’y a pas suffisamment de semaines pour couvrir le temps qu’elle devra prendre. Il y aura un laps de temps au cours duquel elle n’aura aucun revenu. C’est une épreuve pour une famille, à plus forte raison s’il s’agit d’une mère célibataire. On dirait qu’il y a une erreur.

C’est ce que j’essaie de comprendre. Y a-t-il une erreur? Dans l’affirmative, y a-t-il une autre solution qui pourrait être envisagée dans le cadre du programme d’assurance-emploi? C’est pour cette raison que j’ai soulevé la question : si l’employeur ne peut offrir d’emploi à cette personne, la mise à pied est-elle la meilleure solution — même si ce n’est pas ce que nous souhaitons —, c’est-à-dire pour essayer de procurer un revenu garanti jusqu’à ce que nous ayons mis en place une stratégie dans l’ensemble du pays, comme au Québec?

M. Brown : Je peux parler d’un autre élément du programme. Le congé de maternité ne peut commencer avant au moins 12 semaines après la date prévue de l’accouchement, soit environ trois mois plus tard. Il n’y a rien avant cette période. En ce qui concerne cette période, vous avez discuté de la question à savoir si ces personnes pouvaient ou non accepter un travail supplémentaire afin d’augmenter leur revenu. C’est possible. En fait, des modifications ont été apportées cette année. Elles ont été annoncées dans le budget de 2018 et elles sont entrées en vigueur en août. Ce sont les dispositions que nous appelons « Travail pendant une période de prestations ». Auparavant, ces dispositions ne s’appliquaient qu’à d’autres types de prestations d’assurance-emploi. Elles n’ont jamais visé les prestations de maternité et de maladie, puisque le but de ces prestations était de vous permettre de vous rétablir d’une façon ou d’une autre, et non de vous inciter à accepter un emploi. Or, une nouvelle souplesse a été ajoutée pour permettre aux travailleurs de se prévaloir de ces dispositions tout en recevant des prestations de maladie ou de maternité. Cela signifie qu’une personne qui décrocherait un emploi à temps partiel pendant cette période pourrait compléter son revenu tout en conservant une partie de ses prestations d’assurance-emploi.

La sénatrice Poirier : Les trois derniers mois.

M. Brown : Oui.

La sénatrice Poirier : Il n’y a rien pendant les six premiers mois.

M. Brown : C’est exact.

La sénatrice Dasko : Très intéressant. Il y a beaucoup d’information à digérer. Je veux simplement revenir à ce que nous ont dit les témoins précédents — je crois que vous étiez là pour les entendre. Ils se sont prononcés contre l’utilisation du programme d’assurance-emploi quand vient le temps de s’occuper des questions liées à la maternité. D’ailleurs, un amendement avait été apporté, mais celui-ci a été retiré après coup.

J’aimerais connaître votre avis sur la possibilité d’élargir, d’améliorer ou de modifier davantage le régime d’assurance-emploi, en tenant compte des arguments invoqués par les témoins précédents qui s’opposent à cette proposition. Je vous pose peut-être une question alambiquée.

Au fil des ans, l’assurance-emploi a pu évoluer. Songeons, par exemple, au congé de compassion qui s’applique à des circonstances particulières. Ainsi, diverses modifications ont été apportées au programme pour tenir compte des problèmes cernés par la société. C’est un peu cela, ma question. J’espère qu’elle ne semble pas trop compliquée. Par ailleurs, advenant la tenue de l’enquête, quel sera votre rôle? Viendrez-vous plaider pour un rôle accru de l’assurance-emploi? D’après vous, quelles responsabilités pourriez-vous assumer à partir de là?

M. Brown : Je ne dirais pas que nous envisagerions d’adopter une position particulière, du point de vue du programme d’assurance-emploi, sur la question de savoir si telle ou telle nouvelle mesure devrait y figurer ou non. Je peux tout de même essayer de répondre à cette question.

La sénatrice Dasko : Bien. Merci.

M. Brown : Le programme d’assurance-emploi a subi des changements considérables au fil des ans. En fait, toute la question de ce que nous appelons des prestations spéciales a commencé par la création des prestations de maternité et de maladie en 1971. Cela a eu un impact énorme en ce qui a trait à la maternité, et le tout a ensuite été élargi grâce à la création des prestations parentales afin de garder les femmes sur le marché du travail. C’est également attribuable, en partie, aux nombreux changements culturels. Au fil des ans, les modifications apportées aux prestations de maternité ont été maintenues. Les 15 semaines ont pour but précis d’accorder aux femmes une période de rétablissement lié à l’accouchement. La prolongation de la durée est surtout attribuable aux prestations parentales. Cela s’est fait de différentes façons à différents moments, mais au fil du temps, leur durée a augmenté. L’objectif a été de donner la souplesse voulue aux familles et de reconnaître que les parents sont les mieux placés pour déterminer leurs propres besoins et pour partager ces prestations entre eux, comme ils l’entendent. Dans la foulée des changements les plus récents, il est possible de se prévaloir de ces prestations non seulement sur une période de 12 mois, mais même sur une période de 18 mois, lorsqu’elles sont combinées aux prestations de maternité. On retrouve également cette souplesse dans les modifications permettant aux femmes enceintes de demander des prestations de maternité plus tôt — à partir de 12 semaines avant la date prévue et jusqu’à 17 semaines après, selon le choix. C’est vraiment important; il y a certains types de souplesse que nous pouvons offrir dans un grand programme comme l’assurance-emploi, mais il y en a d’autres qui seront plus difficiles à concrétiser.

Nous ne voulons pas placer les agents de Service Canada dans une situation où ils doivent essayer de déterminer si quelque chose est logique. La souplesse permet justement aux personnes qui font une demande de prestations d’assurance-emploi de déterminer à quel moment elles aimeraient que leurs prestations débutent ou prennent fin.

Il faudrait réfléchir un peu à la question de savoir si un programme comme l’assurance-emploi devrait s’immiscer dans le domaine des mesures d’adaptation qu’un employeur devrait prendre à l’égard de ses employés. Ce serait quelque chose d’épineux et de nouveau pour le programme d’assurance-emploi, comparativement à la situation actuelle.

La sénatrice Dasko : Si je comprends bien ce que vous dites, il sera un peu difficile de répondre à ces besoins particuliers dans le cadre du programme. C’est une question importante.

M. Brown : En effet, c’est une question importante.

La sénatrice Dasko : C’est même vital, parce que l’assurance-emploi est un programme d’envergure sur lequel comptent les Canadiens pour une foule de mesures distinctes. Je viens de cerner un autre enjeu qui pourrait relever de votre mandat.

M. Brown : C’est là que le bât blesse. Ce qui nous préoccupe, ce n’est pas le dossier dans son ensemble, mais la question de savoir quels éléments seraient intégrés dans le programme d’assurance-emploi. Selon la version originale du projet de loi, qui comprenait des mesures précises liées aux normes de travail — j’utilise là mes propres termes —, une travailleuse aurait droit aux prestations si son employeur était incapable de lui fournir des mesures d’adaptation. C’est ce qu’on pouvait lire dans la première mouture du projet de loi, mais cette disposition a été retirée. Voilà qui nous donnerait du fil à retordre, car il faudrait alors former nos agents pour qu’ils soient en mesure d’évaluer si une tentative raisonnable a été faite pour réaffecter l’employée, et cetera.

Dans le contexte de l’administration du programme, quelque 170 000 femmes par année reçoivent des prestations de maternité; voilà donc un exemple des défis auxquels nous ferions face.

La sénatrice Dasko : C’est très utile. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Brown. C’est tout le temps dont nous disposons. J’ai bien l’impression qu’il nous restait beaucoup d’autres questions, mais notre étude se poursuivra. Merci de votre contribution.

Chers collègues, je tiens à vous rappeler un point puisqu’on a parlé d’améliorer le projet de loi. Si vous envisagez de présenter des amendements, je vous propose de communiquer avec les experts du Bureau du légiste. Comme on le sait, ils se spécialisent dans la rédaction d’amendements pour le Sénat. Je vous encourage donc à les consulter, si cela vous intéresse.

(La séance est levée.)

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