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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 59 - Témoignages du 9 mai 2019


OTTAWA, le jeudi 9 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi, se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Chantal Petitclerc(présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, tout le monde. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Je m'appelle Chantal Petitclerc. Je suis sénatrice du Québec, et j’ai le plaisir de présider la réunion aujourd’hui. Avant de donner la parole aux témoins, je demanderais à mes collègues de se présenter, en commençant à ma droite avec la vice-présidente.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Bonjour. Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

[Français]

La sénatrice Poirier : Bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Bienvenue. Nicky Eaton, de Toronto.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

Le sénateur Ravalia : Bonjour, et bienvenue. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Pate : Bonjour. Kim Pate, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Bonjour. Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Bonjour. Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Moodie : Bonjour. Rosemary Moodie, Ontario.

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, Saskatchewan.

Le sénateur Munson : Bonjour. Jim Munson, Ontario.

La présidente : Nous poursuivons donc notre étude du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

[Français]

Je vous présente donc notre premier groupe de témoins aujourd’hui. De l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, nous accueillons Mme Diana Majury, présidente, et de la Société John Howard du Canada, Mme Catherine Latimer, directrice générale.

[Traduction]

Je vous rappelle que nous aurons cinq minutes par question et réponse. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Nous allons commencer par vous, madame Majury, puis nous passerons à Mme Latimer.

Diana Majury, présidente, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous en tant que présidente de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. L’ACSEF est un regroupement de 24 sociétés Elizabeth Fry au Canada. Nous travaillons auprès de femmes et de filles marginalisées, victimisées, criminalisées et institutionnalisées.

Dans le cadre de notre très important programme d’action sur les droits de la personne, nous avons des équipes de défenseurs régionaux qui visitent régulièrement chacune des prisons fédérales où sont incarcérées des femmes pour vérifier leurs conditions de détention et voir si des violations sont commises contre les droits de la personne. Nous sommes malheureusement conscients des terribles conditions dans lesquelles les femmes sont emprisonnées au Canada. Nous avions espéré que le projet de loi C-83 apporterait des changements positifs, mais nous craignons maintenant le contraire.

L’ACSEF s’oppose au recours à l’isolement des femmes sous quelque forme que ce soit. Nous y voyons une pratique inhumaine qui ne peut qu’aggraver les comportements ou les facteurs ayant mené à l’isolement. Nous constatons que la situation des détenues que nous suivons s’aggrave après chaque passage en isolement. Nous estimons depuis longtemps que l’isolement n’a rien à voir avec le nom de cette forme de sanction et pas forcément non plus avec un espace en particulier. C’est la pratique de l’isolement qui est en cause, c’est-à-dire le fait d’isoler une personne du reste de la population carcérale, peu importe comment cela se fait.

Tout le cinéma entourant le projet de loi C-83 nous préoccupe énormément. Tout ce que nous avons vu et entendu depuis son dépôt nous confirme que les « unités d’intervention structurée », les UIS, proposées dans le texte, découleront d’une démarche axée ou fondée sur les hommes qui aboutira à des conditions de détention à peu semblables à celles d’aujourd’hui dans le régime d’isolement préventif, si ce n’est qu’il y aura moins de garanties procédurales pour les femmes.

Nous exhortons le comité à examiner le projet de loi en tenant compte des conditions dont certains d’entre vous ont été témoins dans le cadre de votre étude sur les droits de la personne dans les prisons.

En novembre dernier, l’ACSEF a témoigné devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes au sujet d’unités semblables aux UIS proposées ici, qui existent déjà dans les prisons pour femmes. Ces unités, malgré des différences mineures comme le temps passé en dehors des cellules, fonctionnent à peu près de la même façon que l’isolement et perpétuent les mêmes préjudices que ce régime d’incarcération. En réponse aux témoignages du Bureau de l’enquêteur correctionnel, de l’ACSEF et d’autres, le comité a recommandé de recourir à d’autres solutions que l’isolement. En particulier, il a approuvé une proposition pour les femmes détenues, qui avait été présentée par l’ACSEF en novembre 2016. Celle-ci prévoit l’intervention de représentants de notre organisme pour aider à trouver des solutions de rechange dans des situations où les femmes devraient normalement être isolées. Le directeur parlementaire du budget a récemment publié un rapport comparant les UIS proposées dans le projet de loi C-83 à quatre autres formules plus humaines et plus rentables, y compris la proposition de 2016 de l’ACSEF. Nous serions heureux d’envisager des amendements au projet de loi pour parvenir à d’autres solutions pratiques à l’isolement des détenues pour quelque période que ce soit.

Lors d’une table ronde organisée en mars dernier par la sous-commissaire pour les femmes, il a été confirmé que les UIS seraient mises en œuvre dans les unités de garde en milieu fermé des prisons pour femmes. En d’autres termes, elles seraient ouvertes dans l’infrastructure existante des quartiers d’isolement et de sécurité maximale, et assorties de mesures de sécurité statiques comme l’ajout d’agents correctionnels et de cellules d’isolement. L’ACSEF s’est fait dire que la mise en œuvre des UIS dans les unités sécurisées est non négociable. Cela confirme une fois de plus que le SCC ne suit pas une démarche tenant compte des besoins uniques des femmes, contrairement à la recommandation de Sécurité publique, ainsi que des principes directeurs du SCC en vertu de l’alinéa 4g) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Le rapport annuel de 2016-2017 du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, le BEC, met résolument l’accent sur les unités de garde en milieu fermé dans les prisons fédérales pour femmes, et met du même coup en évidence les conditions sévères, restrictives et répressives qui contribuent à aggraver la santé mentale des femmes et à entraver le soutien dont elles ont besoin. Le BEC prévoit que le nombre de prisonnières et de prisonniers détenus dans ces conditions d’isolement augmentera probablement en vertu du projet de loi C-83. Nous partageons cette crainte.

Lors de la table ronde de mars, il a également été confirmé que les femmes en UIS qui s’automutilent ou risquent de s’automutiler continueront d’être assujetties à la Directive du commissaire 843 voulant qu’elles soient placées dans une cellule d’isolement aux fins de la « surveillance de leur santé mentale ». Dans l’affaire des libertés civiles, la preuve présentée au tribunal indiquait que le seul placement pire que l’isolement était la mise en cellule d’observation en vertu de cette directive. On ne peut permettre que cette violence mentale se poursuive.

À cause du peu de temps dont je disposais, je me suis concentrée sur les UIS, mais le projet de loi est problématique et inadéquat sur de nombreux fronts. Il faudrait le modifier sérieusement pour en faire une mesure susceptible d’améliorer les conditions d’emprisonnement. Par exemple, on pourrait : renforcer les options offertes au sein de la collectivité, comme le prévoit l’article 81; incorporer la recommandation de 1996 de l’honorable Louise Arbour concernant le contrôle judiciaire; donner au personnel de santé toute l’indépendance clinique et professionnelle dont il a besoin; et éliminer la fouille à nu systématique dans les prisons pour femmes.

Je tiens à souligner que nous célébrons la semaine Elizabeth Fry et que la campagne de cette année porte justement sur la fouille à nu. Il y a eu une augmentation spectaculaire de ces fouilles dans les prisons du pays. Il s’agit d’une expérience traumatisante et à répétition pour les détenues dont beaucoup ont été victimes de violence sexuelle avant leur incarcération et continuent de l’être en prison, comme vous le savez peut-être.

Ce sont là toutes des améliorations qu’il y aurait lieu d’apporter au projet de loi, mais j’ai insisté sur l’isolement parce que c’est essentiel. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et d’échanger avec vous. Merci.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Je vous remercie, moi aussi, de me donner l’occasion de parler du projet de loi C-83, qui vise à mettre fin à l’isolement et à créer des unités d’intervention structurée.

En tant qu’organisme de bienfaisance militant pour la justice et pour des services correctionnels justes, efficaces et humains, la Société John Howard appuie la création d’unités d’intervention structurée pour autant qu’elles soient bien financées et qu’elles permettent, quotidiennement, quatre heures hors des cellules, dont deux heures dans le cadre de programmes destinés à aider les détenus à répondre aux raisons de l’isolement et à promouvoir les objectifs correctionnels.

Cependant, le projet de loi C-83 a un défaut : il ne met pas fin à l’isolement en unités d’intervention structurée ou dans d’autres parties de la prison. Les préjudices répertoriés du régime actuel, en lien avec l’isolement et les violations de la Charte, ne sont pas corrigés par la version actuelle du projet de loi C-83, et d’autres modifications s’imposent.

C’est le phénomène de l’isolement dans une cellule, hors de tout contact humain réel, qui est reconnu comme étant la cause de préjudices graves aux êtres humains et qui exige donc le respect des principes fondamentaux de justice et des autres protections prévues par la Charte. Ce type de détention en isolement doit être défini dans la LSCMLC, et les protections législatives contre les formes abusives de cette forme d’enfermement doivent être intégrées à la loi.

L’article 44 des Règles Nelson Mandela de l’ONU, qui énoncent les normes minimales de traitement des prisonniers décrivent ce qu’il y a lieu de combattre : « [...] la détention de prisonniers pendant 22 heures par jour ou plus, sans contact humain réel [...] » Ces règles décrivent une période de plus de 15 jours consécutifs de ce type de confinement comme étant un isolement cellulaire prolongé, ce qui est interdit.

Bien que le projet de loi C-83 prétende éliminer l’isolement, le fait de ne pas en donner de définition signifie que les 22 heures de détention en isolement, sans contact réel, peuvent se produire dans les unités d’intervention structurée et ailleurs dans la prison sous différents noms, qu’il s’agisse des VLAR — les blocs à contacts volontairement limités —, de l’isolement cellulaire, des blocs d’observation, et ainsi de suite.

Le projet de loi C-83 devrait être modifié pour définir le type d’isolement qu’il prétend éliminer, cela en termes de nombre d’heures passées seule ou seul dans une cellule, sans contact humain réel. L’isolement prolongé devrait être interdit, et les principes fondamentaux de justice devraient être expressément énoncés dans la loi et s’appliquer dans toutes les situations d’isolement.

J’ai quelques suggestions de libellé qui modifieraient le projet de loi C-83 pour atteindre cet objectif, et je serai heureuse de les communiquer au comité.

Il y a des problèmes dans les UIS existantes, et il y a des risques...

La présidente : Il faudrait que vous ralentissiez un peu pour nos interprètes, si vous le pouvez. Merci.

Mme Latimer : Je vais essayer. Merci beaucoup.

En prévoyant qu’un prisonnier puisse quotidiennement passer quatre heures à l’extérieur de sa cellule et avoir deux heures de contact réel, le projet de loi C-83 fait que cette forme de détention sort des limites internationales en matière de droits de la personne et de la jurisprudence nationale relativement aux 22 heures ou plus passées sans contact réel. Toutefois, l’article 36 du projet de loi indique que le service est tenu de fournir « la possibilité » aux détenus de sortir de leurs cellules, et l’article 37 précise les circonstances dans lesquelles ils n’ont pas à bénéficier de cette possibilité de sortie, notamment s’ils s’y refusent, s’ils ne se conforment pas à des instructions raisonnables et si des circonstances prescrites s’imposent raisonnablement à des fins de sécurité. Cela signifie que les prisonniers pourraient être détenus dans des unités d’intervention structurée dans des circonstances semblables à celles de l’isolement actuel qui contrevient à la Charte. Il faut donc modifier le projet de loi C-83 pour que les prisonniers soient protégés contre les formes inconstitutionnelles de détention dans les unités d’intervention structurée.

Certains des amendements à envisager touchent aux principes fondamentaux de justice. Le projet de loi C-83 élimine les mesures de protection prévues par la loi pour ceux et celles se retrouvant en isolement pour des raisons disciplinaires. Se trouvent ainsi évacués, dans ce cas de figure : la présence imposée de l’avocat à l’audience, la durée d’isolement limitée à 30 jours, la possibilité pour le détenu de savoir ce qu’on lui reproche et de fournir une réponse complète pour sa défense, et le recours possible à un arbitre indépendant. Comme il y a suppression des libertés résiduelles découlant d’un placement dans une UIS et que le détenu peut se retrouver en isolement cellulaire, il y aurait lieu de prévoir, dans le cadre législatif, la tenue d’un examen indépendant des raisons du placement dans l’unité, et cela dans un délai de cinq jours.

De plus, nous avons été heureux de voir qu’un amendement a été proposé pour que soient nommés des décideurs externes indépendants, des DEI. Je pense qu’il est très important de veiller à ce que leur action soit efficace et de leur donner les outils dont ils auront besoin pour atténuer les préjudices que pourrait causer le régime actuel.

Il faudrait modifier ces dispositions pour les renforcer et, premièrement, s’assurer que les décideurs externes soient vraiment indépendants en excluant de préférence de cet effectif les anciens employés du SCC. Le personnel du SCC ne reconnaît pas toujours les problèmes de santé mentale. Il est tellement imbriqué dans le régime correctionnel qu’il lui est difficile d’apporter des changements, comme nous l’avons vu tout au long de ce processus.

Deuxièmement, si un détenu n’est pas sorti de sa cellule pendant quatre heures dans la journée ou n’a pas eu deux heures de contact humain réel depuis cinq jours, le DEI devrait être appelé à rendre une décision dans les circonstances. Il pourrait proposer au SCC de s’arranger pour accorder au détenu quatre heures de sortie et deux heures de contact réel, mais si le SCC n’y parvient pas, il faudrait alors plafonner la durée de l’isolement à 15 jours. Le critère énoncé dans le projet de loi C-83 doit être changé. La question n’est pas de savoir si le SCC a offert des possibilités adéquates, mais plutôt si la personne est effectivement sortie de sa cellule pour le temps requis. Nous nous inquiétons des effets néfastes de l’isolement sur la personne, effets qui ne sont pas atténués si la personne ne quitte pas la cellule moyennant une action appropriée de la part du SCC.

Troisièmement, le bien-être mental et physique nécessite également un processus décisionnel externe indépendant efficace et rapide. Je pense que les plus grandes faiblesses de la partie du projet de loi qui porte sur l’UIS est la façon dont on y traite de la détérioration de la santé mentale et des mesures de protection contre cette détérioration.

Le processus de sortie d’isolement d’une personne qui souffre des conséquences de ce mode de détention est trop lent et repose sur le principe du « dès que possible ». Les critères devant être appliqués par les membres du personnel pour communiquer à un fournisseur de soins le problème de santé d’un prisonnier qui séjourne dans une unité d’intervention structurée sont limités et n’incluent pas la déclaration d’intentions suicidaires par le détenu à un membre du personnel.

Pour le moment, ceux qui prennent des décisions en matière de santé sont les directeurs d’établissement, les membres d’un comité de hauts fonctionnaires du SCC et le commissaire. Aucun n’est tenu de posséder des connaissances médicales. Les facteurs dont les décideurs actuels doivent tenir compte sont liés au système correctionnel et à la sécurité et ne font pas expressément référence aux problèmes de santé mentale ou physique découlant de la détention dans une UIS. La justification pour maintenir quelqu’un dans une UIS, à l’encontre de l’avis d’un professionnel de la santé, repose sur des critères de sécurité plutôt que sur des critères de santé, c’est-à-dire sur la sécurité de la prison ou sur le risque d’ingérence dans une enquête.

La détérioration de la santé mentale est un risque important associé à l’isolement. Les mesures de protection prévues dans le projet de loi C-83 ne suffisent pas à faire en sorte qu’un prisonnier souffrant d’une maladie mentale grave ne soit plus placé dans un établissement de détention qui lui cause du tort. Il s’agit d’une grave lacune du projet de loi C-83, et des modifications doivent être apportées pour que des décisions externes indépendantes soient prises en temps opportun afin de protéger la santé mentale et physique des personnes confinées dans des UIS ou se retrouvant dans d’autres conditions d’isolement.

En conclusion, je dirais qu’il faudrait disposer d’un cadre législatif pour remplacer les dispositions de la LSCMLC qui maintiennent toutes les formes d’isolement préventif cruel et qui constituent un déni de droits. Bien que les unités d’intervention structurée présentent certains avantages quant aux programmes offerts, il n’existe actuellement aucune protection contre les types de détention en UIS ou ailleurs dans les prisons qui violent les droits garantis par la Charte. Il devrait exister une définition de l’isolement cellulaire exprimé en nombre d’heures passées dans les cellules sans contact humain réel, ainsi que des protections légales contre les formes abusives de ce type de confinement.

Afin d’assurer une protection adéquate aux personnes confinées dans les unités d’intervention structurée, les décideurs externes indépendants devraient pouvoir intervenir chaque fois que les conditions de détention présentent une des caractéristiques des dispositions contestées en matière d’isolement préventif. Autrement dit, la santé mentale ou physique peut-être préoccupante, la personne peut être confinée à sa cellule plus de 20 heures par jour pendant 5 jours de suite, le prisonnier peut être placé dans des conditions s’apparentant à un isolement préventif pendant 15 jours, et il peut contester la légitimité de son placement dans une UIS, et ainsi de suite.

Si le projet de loi C-83 est modifié afin d’assurer la protection des droits garantis par la Charte dans un environnement humain, la Société John Howard du Canada appuiera cette mesure. Merci beaucoup. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci à vous deux pour vos remarques liminaires.

La sénatrice Seidman : Merci pour vos exposés.

Je vais parler d’un domaine que je connais bien, celui de la santé.

Pendant des décennies, on n’a pas tenu compte des femmes dans les études scientifiques et les essais cliniques portant sur les causes et les effets des traitements, par exemple. On a simplement extrapolé les résultats à la gent féminine. Au fil du temps, il est apparu évident que les femmes sont très différentes des hommes, non seulement sur le plan de la symptomatologie, mais aussi sur celui de la relation dose-effet des traitements. Je pense, par exemple, aux maladies cardiovasculaires que nous connaissons maintenant tous très bien.

J’utilise cette analogie et je l’applique au projet de loi. Vous avez parlé de cela, madame Majury, ainsi que de la différence dans la façon dont les femmes et les hommes vivent l’isolement. Je m’inquiète également des différents comportements en fonction desquels quelqu’un peut se retrouver en isolement. Si l’on pense aux stéréotypes auxquels nous sommes habitués, l’assertivité chez une femme peut être considérée comme justifiant l’isolement, mais pas chez un homme. Je crains que ce ne soit une solution à l’emporte-pièce. Je me demande pourquoi vous pensez que cette une solution est appliquée universellement. Existe-t-il des données ou des preuves qui favoriseraient une approche différente, sexospécifique?

Mme Majury : Merci d’avoir soulevé ces questions. Ce n’est que récemment, dans le domaine des soins de santé, que nous avons entamé ce genre de recherche pour reconnaître ce fait. Je dirais que le domaine correctionnel est très en retard sur celui de la santé. Nous commençons à le reconnaître. Le projet de loi prend acte de la nécessité de s’attaquer à ces problèmes, mais dans la pratique, nous éprouvons beaucoup de difficulté à faire reconnaître ces problèmes et à les régler. Il clairement ressorti à l’une des tables rondes que personne n’était là pour parler des répercussions du projet de loi sur les femmes, et lorsque cette question a été soulevée, qu’on a voulu parler des répercussions sous l’angle sexospécifique, les autres participants en sont restés comme deux ronds de flan.

Vous avez tout à fait raison de dire que c’est une grande préoccupation. La raison pour laquelle beaucoup de femmes sont placées en isolement — et je trouve que vous avez raison — découle d’une lecture genrée de leurs comportements; beaucoup d’entre elles étant placées en isolement pour s’être automutilées. Ce n’est pas que cela n’arrive jamais chez les hommes, mais c’est un énorme problème pour les femmes. Presque toutes les femmes en isolement ont des problèmes de santé mentale. Ce n’est pas surprenant, et cela empire les choses pour elles. Nous n’avons que très peu de données et ne faisons que peu de recherches; il faut faire davantage. Nous estimons que le projet de loi et le système carcéral en général ne traitent pas adéquatement de ces questions.

La sénatrice Seidman : Je vais vous mettre sur la sellette et vous demander comment nous pourrions mieux aborder cette question dans ce projet de loi.

Mme Majury : Éliminons l’isolement des femmes et examinons des solutions de rechange dans la population carcérale au cas par cas, comme nous l’avons proposé. Vous pourriez faire un projet pilote sur les femmes pour voir si nous pouvons vraiment mettre fin à l’isolement et faire quelque chose qui fonctionne dans la population carcérale et qui s’attaque aux graves problèmes auxquels ces femmes sont confrontées et qui s’aggravent. C’est une chose. Je dirais qu’il faut cesser de fouiller à nu ces femmes.

La sénatrice Seidman : C’est très utile. Merci beaucoup.

Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Je vous remercie de vos exposés et de vos observations. Cela est très utile.

J’ai quelques questions à poser. L’une porte sur les besoins spécifiques des femmes, quant à la présence ou non d’une maladie mentale. Le projet de loi propose qu’on évalue une personne dès son entrée dans une unité d’intervention structurée, et qu’on doive probablement la placer dans un meilleur endroit si elle présente des symptômes de maladie mentale. J’ai visité un certain nombre d’établissements en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et à Ottawa. Aucun d’entre eux n’était des établissements pour femmes, mais je m’attends à en visiter dans quelques jours. Que dois-je m’attendre à voir ou à comprendre, et que dois-je prendre en considération au sujet des besoins spécifiques des femmes si elles sont placées dans une cellule d’isolement dès le jour de leur évaluation et si elles présentent des signes de maladie mentale? Que recommanderiez-vous à ce moment-là? À quel autre endroit pourrait-on les placer?

Mme Majury : Si je comprends bien votre question, je dirais qu’il faut les sortir de l’isolement. C’est le pire endroit pour elles. On devrait les ramener dans la population carcérale et leur donner l’aide dont elles ont besoin. L’isolement aggravera leur condition.

Le sénateur Klyne : J’aimerais croire que c’est la bonne approche, et je suis d’accord. Quelque chose devrait se produire très rapidement, dans un délai de 24 à 48 heures, parce que la situation ne va pas s’améliorer. Il ne s’agit d’un bon endroit pour elles. Pourriez-vous trouver un libellé précis? Le temps file et un libellé à ce sujet serait très utile à la rédaction d’un amendement à cet égard.

Mme Majury : Évidemment pas sur-le-champ, non, mais nous aurons le plaisir de rédiger quelque chose et de vous l’envoyer.

Le sénateur Klyne : Excellent. Merci.

Dans le même ordre d’idées, madame Latimer, vous avez mentionné que vous aviez un libellé concernant certains aspects. Je veux me concentrer sur la référence à la Charte en ce qui concerne l’environnement humain. Avez-vous un libellé?

Mme Latimer : Parlez-vous des modifications proposées concernant les conditions dans les UIS? Je pourrais vous donner quelque chose. Je n’ai encore rien rédigé, mais je le ferai avec plaisir.

Le sénateur Klyne : Ce serait apprécié. Merci.

Mme Latimer : Puis-je poser une question, sénateur Klyne? Si l’évaluation médicale d’un homme suscite des préoccupations quant à sa santé mentale, ne pensez-vous pas qu’il devrait aussi être placé ailleurs?

Le sénateur Klyne : Oui. Ce n’était pas censé être sexospécifique, mais j’essaie d’éviter d’être sexospécifique parce que les femmes ont des besoins particuliers. Je conviens que ce serait la même chose pour les hommes. L’évaluation devrait avoir lieu très tôt, dans un environnement distinct, et il faut prendre des mesures à cet égard. Nous voulons que cela se traduise, je crois, par des mesures concrètes.

La présidente : Merci, sénateur Klyne. Merci, madame Latimer, de vos questions.

La sénatrice Eaton : Je vais vous poser, mesdames, la même question que j’ai posée au ministre hier. Premièrement, je crains que le projet de loi ne prévoie pas de délai pour l’intégration de certains de ces changements. Deuxièmement, je m’inquiète aussi de la culture. Comment changer la culture dans une prison? C’est un problème important. Troisièmement, en fermant de nombreux établissements de santé mentale à long terme au Canada, les prisons sont-elles devenues nos établissements de santé mentale à long terme?

Mme Majury : Pour ce qui est des délais, oui, de toute évidence — c’est-à-dire, encore une fois, que nous demandons qu’on se débarrasse de plusieurs choses qui pourraient être assorties de délais, mais quant aux des délais relatifs à la loi elle-même...

La sénatrice Eaton : Ces défenseurs, les quatre heures — toutes ces choses.

Mme Majury : Absolument.

Je suis ravie que vous ayez soulevé la question de la culture et, bien sûr, il s’agit du problème sous-jacent. C’est pourquoi, dans une certaine mesure, le rafistolage d’un projet de loi comme celui-ci n’est pas la solution. La réponse passe par un changement culturel fondamental. Toutes les meilleures lois du monde n’amélioreront pas les conditions si nous n’améliorons pas la culture dans ces prisons et, de façon générale, celle qui entoure les personnes criminalisées.

J’ai récemment visité une prison provinciale où j’ai visionné un diaporama; je me suis dit : « Oh, mon Dieu, c’est incroyable. Ils ont des programmes extraordinaires. Ils font un travail extraordinaire ». J’étais très emballée. Ensuite, je suis allée parler aux femmes, et c’était la même histoire. Ces programmes n’étaient pas disponibles. Ils n’étaient pas offerts à ces femmes. Les conditions étaient aussi mauvaises dans cette prison provinciale qu’ailleurs. La culture est tellement ancrée qu’il est très difficile de la changer.

Tel devrait être l’objectif — un examen en profondeur et des efforts pour changer la culture. Nombre de gens se lancent dans ce travail parce qu’ils sont déterminés à changer les choses et à aider les personnes marginalisées qui ont vécu des moments difficiles, mais cela change. Ils ne peuvent pas rester. Une personne de la Société Elizabeth Fry a commencé à travailler comme agente correctionnelle. Elle a démissionné après quelques semaines. Elle ne pouvait pas supporter ce travail. Le défi est énorme. Je pense que vous posez absolument la bonne question.

J’ai pris en note la santé mentale, mais je ne me souviens pas...

La sénatrice Eaton : Nous avons fermé plusieurs établissements de santé mentale...

Mme Majury : Oui, absolument. C’est tellement intéressant. Autrefois, nous emprisonnions des hommes et des femmes dans des établissements de santé mentale. Le nombre de femmes incarcérées dans les prisons ne cesse d’augmenter. Il s’agit de la croissance la plus importante. Nous intervenons auprès des femmes qui ont des problèmes de santé mentale de cette façon. Nous les incarcérons.

La sénatrice Eaton : Merci.

Mme Latimer : Je pense que la bureaucratie bouge très lentement. Si vous n’avez pas de délai pour ce genre de choses...

La sénatrice Eaton : Vous devriez travailler au Sénat.

Mme Latimer : Cela n’arrivera pas. Si vous envisagez des réformes législatives, il est extrêmement important de fixer des délais, surtout en ce qui concerne les questions de soins de santé. Il semble qu’on prend énormément de temps avant de réellement venir en aide à ces personnes.

Pour ce qui est du changement de culture, c’est vraiment un défi important, mais certains pays l’ont fait. Si vous regardez la Norvège, l’Allemagne et certains pays scandinaves, ils ont en fait transformé leur système carcéral de façon très progressiste, et tout le monde en convient, y compris les agents correctionnels et les agents de première ligne. Toute leçon que nous pouvons tirer de leur approche pour l’appliquer au Canada serait un énorme tremplin quant à...

La sénatrice Eaton : L’Allemagne et la Suède?

Mme Latimer : La Suède. La Norvège est un bon exemple. L’Allemagne est formidable. Je pense que la Suède a bien fait les choses, mais je vous reviendrai pour vous dire si elle est parmi les chefs de file.

Quant aux fournisseurs de soins de santé mentale à long terme, il ne fait aucun doute que le nombre de personnes ayant de graves problèmes de santé mentale a augmenté dans les prisons en raison de la fermeture des établissements de santé mentale. Je crois que nous devons vraiment nous pencher sérieusement sur les réformes législatives qui visent à fournir des réponses adaptées aux personnes qui souffrent d’une maladie mentale grave avant qu’elles n’entrent dans le système carcéral. Nous devons aider le système carcéral à améliorer le sort des détenus qui ont des problèmes de santé mentale.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le sénateur Munson : J’aimerais parler brièvement des personnes touchées par ce projet de loi. Nous avons des experts, des ministres, des fonctionnaires, des avocats et la Constitution. Vous y étiez presque. Avec ce projet de loi et la possibilité d’amendements — vous êtes près des prisonniers, et nous espérons qu’un ancien prisonnier viendra témoigner devant nous au sujet de l’humeur et des sentiments actuels. Ils ont prêté attention. Lorsque j’étais président du Comité des droits de la personne, nous avons reçu beaucoup de lettres, parce que nous étions dans les prisons et que nous discutions de façon réaliste de ce qui se passait. Portent-ils attention à ce projet de loi? De nos jours, on semble faire grand cas du fait que le nombre de détenus en isolement soit passé de 800 à 300. Est-on réellement conscient — je ne peux pas utiliser le mot enthousiaste — que cela à une incidence sur leurs vies? Pensez-vous que c’est pour le mieux, dans le sens de ce que propose le projet de loi?

Mme Latimer : Bien sûr. À mon avis, il ne fait aucun doute que la réduction du nombre de détenus en isolement préventif est une mesure très positive. Je pense que les prisonniers comprennent généralement cela. Il y a un certain degré d’anxiété à mesure que l’on transforme les choses dans le système carcéral parce que, même pour les prisonniers, il peut être difficile de s’adapter au changement.

Pour ce qui est de la façon dont cela est mis en œuvre, nous devons être très vigilants pour nous assurer que ceux qui, par exemple, ont cherché à être placés en isolement préventif parce qu’ils sont vulnérables dans la population carcérale en général, recevront une réponse de gestion de la population qui leur fera comprendre qu’ils seront en sécurité pendant cette transition. Je pense qu’il y a des choses que nous pouvons faire pour aider à soulager une partie de l’anxiété à cet égard.

Les syndicats et d’autres intervenants vous diront que l’effet dissuasif de placer un détenu en isolement préventif pendant une longue période disparaîtra et qu’il y aura plus de violence. En fait, j’ai entendu certains syndicats en parler. Le directeur adjoint de Collins Bay m’a dit récemment que la réduction de l’isolement préventif n’avait pas provoqué d’augmentation de la violence. Je pense que nous devons examiner très sérieusement si cela se produit effectivement et, le cas échéant, pourquoi cela se produit. Une bonne partie des ressources actuellement mises à la disposition des unités d’intervention structurée devraient vraiment servir à réduire la violence pour ceux qui risquent d’être violents envers d’autres personnes, si elles font partie de la population carcérale générale.

Mme Majury : Puis-je répondre rapidement à cela? Je dirais que les femmes sont assez sceptiques et méfiantes à l’égard du changement. Lorsque nous leur disons de déposer un grief, elles répondent : « J’ai déposé 20 griefs et rien ne s’est passé. » Certaines des femmes que nous avons rencontrées se trouvaient dans la Prison des femmes. Elles ont vécu cela, puis elles ont vécu la promesse du rapport Créer des choix, où il y avait beaucoup d’engouement et d’enthousiasme quant aux possibilités. Elles vivent maintenant dans des conditions pires ou du moins aussi mauvaises que celles dans la Prison des femmes. Elles sont un peu sceptiques quant aux promesses de changement.

Le sénateur Munson : On a fait grand cas des 450 millions de dollars et des 150 millions de dollars pour la santé mentale, dont vous avez parlé. Comme je l’ai demandé hier au ministre et aux fonctionnaires, les détenus qui ont reçu un diagnostic — et j’ignore si ces diagnostics sont adéquats. J’ignore s’il y a suffisamment de gens à la porte d’une prison qui comprennent les déficiences intellectuelles et les troubles du développement de l’autisme. On a accordé beaucoup d’attention à la santé mentale, mais les gens entrent dans ces prisons, étant donné qu’ils ont commis une erreur en raison de leur état. C’est en partie à cause de leur état. À votre avis, y a-t-il dans ce projet de loi, ou en dépit de celui-ci, suffisamment de praticiens internes qui s’en préoccupent? On parle des diagnostics et du fait de passer à travers ce processus. À mon avis, ce n’est pas le cas. J’aimerais savoir ce que vous en pensez aux fins du compte rendu.

Mme Latimer : Je crois qu’il existe plusieurs problèmes sous-jacents qui ont une incidence sur le comportement et qui ne sont pas traités adéquatement dans les prisons, y compris les traumatismes cérébraux et le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Il y a toutes sortes de problèmes — la sénilité, par exemple. Nous voyons beaucoup de prisonniers plus âgés qui arrivent avec la maladie d’Alzheimer, ce qui rend en fait plus difficiles les peines d’emprisonnement. Nous devons accorder une attention particulière à cela également.

En général, la pénurie de psychiatres et de soutien psychiatrique nous empêche d’obtenir de bons diagnostics quant aux questions essentielles sur la santé mentale et les autres troubles de la personnalité. C’est un secteur du système carcéral qui manque de ressources et qui a vraiment besoin d’aide.

Mme Majury : Je suis d’accord avec cela.

Nous avons aussi un problème, dans certains contextes, avec les praticiens qui travaillent dans les établissements et qui font partie de la culture de l’endroit. Il est très difficile de trouver des praticiens qui veulent travailler dans ces milieux. Cela aggrave le problème. À l’intérieur des établissements, les temps d’attente pour les soins de santé sont extrêmement longs. Presque tous les détenus soulèvent constamment la question des soins de santé, et encore plus fréquemment lorsqu’il s’agit de consulter un professionnel de la santé mentale à l’intérieur de l’établissement.

On modifiera les ordonnances de plusieurs femmes en raison des limites relatives aux médicaments qui peuvent entrer dans les prisons. Cela est extrêmement perturbant pour les femmes, comme ce le serait pour toute autre personne. Voilà certains des problèmes.

Malgré tout l’argent qui a été consacré à la santé mentale, nous avons aussi des problèmes à l’extérieur. En Nouvelle-Écosse, les gens veulent rester en prison parce que même si la liste d’attente est extrêmement longue pour voir un psychiatre, elle l’est encore plus à l’extérieur. Les femmes ont donc l’impression qu’elles pourraient avoir accès à ces services. Les gens préfèrent et choisissent de rester en prison pour avoir éventuellement accès à un professionnel de la santé mentale : voilà une critique sévère à l’endroit de notre système.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je vais poser mes deux questions l’une après l’autre, et vous déciderez qui voudrait y répondre.

J’aimerais parler des fouilles à nu chez les femmes. Quelles sont les conséquences de cela pour la femme, et quelles seraient vos recommandations pour modifier le projet de loi C-83 afin d’améliorer cet aspect? Le projet de loi prévoit le balayage corporel, mais est-ce suffisant? Y a-t-il d’autres moyens de changer cela?

Deuxièmement, avez-vous des chiffres? Par exemple, nous savons tous que les Autochtones et les groupes racialisés représentent une plus grande proportion de la population carcérale; cependant, cette proportion est-elle aussi grande parmi les personnes qui sont placées en isolement? Voilà mes deux questions.

[Traduction]

Mme Latimer : Je peux commencer par les chiffres. Il y a des statistiques qui indiquent une surreprésentation de certains groupes en isolement préventif. Nous pouvons vous les faire parvenir. Je pense que l’enquêteur correctionnel les a. En général, les hommes y sont fortement surreprésentés. Environ 95 p. 100 des 300 personnes en isolement sont des hommes.

Mme Majury : Pour ajouter à cela, on y trouve aussi un grand nombre de femmes autochtones. Encore une fois, je me ferai un plaisir de vous fournir les données que nous avons.

Pour ce qui est de la fouille à nu, nous constatons que les femmes y sont régulièrement soumises en l’absence de toute cause ou de tout soupçon qu’elles ont fait entrer quelque chose dans la prison. Cela se passe donc après des sorties avec escorte, des visites familiales et parfois même en raison d’un simple geste à l’intérieur de la prison. Nous croyons savoir qu’il existe un nouveau protocole qui permet, au moyen d’un ordinateur, de choisir au hasard une femme sur trois pour une fouille à nu. Ce sont des femmes qui reviennent d’une mise en liberté sous condition. Cela signifie que les femmes refusent d’être mises en liberté sous condition et de voir leurs enfants parce qu’elles ne peuvent envisager la perspective d’une fouille à nu à leur retour. Cela a des effets dévastateurs sur les femmes.

Les fouilles à nu systématiques sont permises en vertu de la loi, mais le libellé stipule une utilisation discrétionnaire — on dit qu’elles « peuvent » avoir lieu. Elles ne sont certainement pas obligatoires, et en vertu des Règles Mandela les fouilles à nu devraient être des mesures de dernier recours. Cela devrait être un dernier recours, pas un processus courant ou aléatoire. À notre avis, il devrait toujours y avoir une solution de rechange aux fouilles à nu — elles ne sont pas nécessaires — et ces solutions de rechange devraient être examinées.

La présidente : Vous pourriez peut-être juste nous donner une précision quant au balayage corporel que prévoit le projet de loi. Avez-vous une opinion à ce sujet?

Mme Majury : Non, mais je vous ferai parvenir une opinion.

La présidente : D’accord, cela semble bien. Merci.

La sénatrice Forest-Niesing : Je remercie les témoins de leur présence et de leurs témoignages instructifs. Cela met en lumière des enjeux réels que vous connaissez malheureusement très bien.

Je m’intéresse particulièrement aux détenus autochtones. L’article 23 ajoute l’article 79.1, qui inscrit la nécessité de tenir compte d’une série de facteurs précis dans la prise de décisions qui touchent un délinquant autochtone, et il prévoit les principes élaborés et exposés dans l’arrêt Gladue de la Cour suprême du Canada.

Je me demande ce que vous pensez d’un amendement au projet de loi qui imposerait un examen interne après 24 heures d’isolement, une demande de contrôle judiciaire obligatoire si le Service correctionnel du Canada veut prolonger l’isolement au-delà de 48 heures et — je crois que vous en avez parlé — de la durée ferme de 15 jours. Pouvez-vous revenir sur ces points?

Mme Latimer : Un examen interne et l’accès à un contrôle judiciaire sont de bonnes initiatives. Est-ce que cela s’appliquerait à tout le monde ou seulement aux personnes dont on devrait tenir compte selon les dispositions de l’arrêt Gladue?

La sénatrice Forest-Niesing : Je vous comprends quant à la portée de cette mesure, mais ma question concernait les détenus autochtones.

Mme Latimer : Du point de vue de la Société John Howard, il faut isoler les prisonniers qui commettent des actes de violence contre des codétenus ou contre un gardien. Dans ces cas, il faut le faire tout de suite, mais pour une période très limitée.

La personne visée par une décision de mise en isolement, surtout si elle estime que c’est pour des raisons inappropriées, devrait, je pense, avoir une possibilité de recours. Il se peut fort bien que cette situation touche davantage certaines minorités raciales, y compris les Autochtones, que d’autres. J’ai visité l’unité d’isolement préventif de l’établissement de Collins Bay. J’ai parlé à un prisonnier autochtone qui estimait avoir été indûment placé en isolement préventif. Il n’est pas le seul. Les personnes dans ce cas devraient avoir le droit de demander une révision de la décision.

Mme Majury : On a beaucoup critiqué les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue qui n’ont pas fonctionné comme prévu dans le contexte de la détermination de la peine, alors je crains que nous n’ayons les mêmes problèmes si nous reprenions ces facteurs dans le milieu carcéral. Ils sont compliqués et tout dépend de la personne chargée de les examiner, de sa compassion envers les peuples autochtones et de la connaissance qu’elle a de leur situation.

Le racisme sévit dans les prisons, comme partout ailleurs. Il entre en jeu dans la décision d’isoler un prisonnier et dans le contexte dans lequel ce prisonnier doit vivre avec d’autres prisonniers et les gardiens. Il est intolérable de punir cette personne en la mettant en isolement.

La sénatrice Poirier : Merci encore d’êtredes nôtres. J’ai quelques questions à poser.

Tout d’abord, madame Majury, vous avez dit estimer qu’en vertu du projet de loi C-83, plus de femmes se retrouveraient dans des UIS. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous pensez qu’on y enverrait plus de femmes que ce n’est le cas actuellement?

Mme Majury : Encore une fois, on recourt à ce type d’isolement pour cerner un plus vaste éventail de problèmes, y compris les problèmes de santé mentale. Ces changements, parfois qualifiés d’« améliorations », vont élargir le filet. C’est un phénomène très courant. Je crains que ce ne soit le résultat.

La sénatrice Poirier : L’une des solutions, disiez-vous, pour sortir les femmes de l’isolement consiste à les intégrer dans la collectivité. Vous avez également parlé du temps qu’il leur faut pour avoir accès aux soins de santé professionnels dont elles ont besoin, dans le système, qu’il s’agisse de psychiatres, de spécialistes des troubles mentaux, de médecins ou d’autres professionnels. Comme vous l’avez mentionné, nous savons tous qu’à l’extérieur du système, ce n’est pas mieux.

Comme le sénateur Munson l’a dit, 450 millions de dollars seront investis dans le système. On a parlé d’embaucher quelque 900 personnes pour aider les travailleurs en santé mentale et les travailleurs de la santé au sein du système.

Si on sort ces personnes de l’isolement pour les intégrer dans la collectivité, aura-t-on la main-d’œuvre professionnelle et qualifiée nécessaire pour les aider? Sinon, y a-t-il quelque indication qu’une partie de l’argent qui va être injecté dans le système peut sortir du système pour aider la collectivité, si c’est ce que vous recommandez? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Majury : Bien sûr. La recommandation de transférer les femmes dans la collectivité va nécessiter des ressources, mais moins qu’il n’en faudrait pour s’en occuper en milieu carcéral. Cependant, il faudrait que des ressources soient affectées à la collectivité, ce qui serait merveilleux.

Oui, comme vous le dites, chacun sait que le niveau de service en l’espèce est inférieur à ce qu’il devrait être et qu’il faudrait pouvoir compter sur un soutien. Les Sociétés Elizabeth Fry font ce travail et seraient heureuses d’aider, mais il faut aussi que des professionnels y soient affectés.

La sénatrice Poirier : Disposons-nous de l’infrastructure nécessaire pour nous occuper de ces femmes dans la collectivité?

Mme Majury : Pour les femmes, oui, parce qu’elles ne sont pas nombreuses.

La sénatrice Poirier : Merci.

La présidente : Vouliez-vous ajouter quelque chose? Pensez-vous que nous avons l’infrastructure nécessaire pour les hommes?

Mme Latimer : Bon nombre des personnes placées en isolement préventif ont de sérieux problèmes dans le système carcéral. Vous vous trouveriez à prendre des hyperactifs, agressifs et violents pour les remettre à une collectivité autochtone ou autre. Il faudrait que la collectivité d’accueil dispose de beaucoup de ressources et de soutien pour être disposée à les accepter. J’ai remarqué que ces personnes peuvent se calmer très rapidement dans les bonnes circonstances, mais la démarche présente un risque important, selon moi.

La présidente : Merci.

La sénatrice Omidvar : Merci à vous deux de votre présence.

J’aimerais connaître votre point de vue sur un aspect du projet de loi qui me tracasse. Vos avis à vous deux nous seront utiles. Devrions-nous considérer ce projet de loi comme une mesure de nature transformationnelle, comme étant une étape ou simplement comme de la poudre aux yeux — comme du vin de l’année servi dans des bouteilles vieillies?

Mme Majury : Ma réponse ne vous surprendra guère. Selon moi, c’est de la poudre aux yeux. On rafistole un système défectueux, puis on rebaptise l’isolement « unité d’intervention structurée », comme si cela réglait le problème. C’est donc vraiment de la poudre aux yeux.

Mme Latimer : À mon avis, ce serait faire un pas dans la bonne direction que de modifier le projet de loi afin de garantir les droits de la Charte aux prisonniers risquant d’être placés dans des conditions semblables à celles de l’isolement préventif, et d’ajouter le soutien au programme que pourraient fournir les unités d’intervention structurée. S’il ne sert pas à protéger les droits de la personne, ce n’est pas un bon projet de loi.

Mme Majury : Qui plus est, les droits de la personne et les droits garantis par la Charte existent déjà, mais ils ne sont pas protégés. On peut modifier ce projet de loi et le rendre conforme à la Charte et aux protections des droits de la personne, mais rien ne dit que les choses vont effectivement changer dans les prisons. C’est ce qui nous préoccupe.

La sénatrice Omidvar : Il a été question dans d’autres témoignages et séances d’information, du changement de culture nécessaire pour faire en sorte que nous passions d’un système correctionnel répressif à un système axé sur la réinsertion, le projet de loi C-83 constituant en fait la stratégie pour y arriver. L’expérience m’a enseigné que, face à la culture organisationnelle, la stratégie ne fait pas le poids. Dans quelle mesure, sur une échelle de 1 à 10, ce projet de loi va-t-il changer la culture de l’institution?

Mme Latimer : Vous soulevez un point très intéressant. Je suis membre des Associations nationales intéressées à la justice criminelle (ANIJC). Nous avions demandé au SCC dans quelle mesure la procédure de contact réel fera appel à des personnes de la collectivité et bénéficiera de programmes d’éducation. Nous n’avons pas obtenu de réponse très satisfaisante quant aux montants destinés à la mise en place d’éléments externes qui permettraient de commencer à changer les choses.

Dans la mesure où vous comptez sur le SCC et son personnel pour assurer la transformation, vous allez vous heurter à certains problèmes et à une certaine résistance. En revanche, si vous invitiez des membres de la communauté, des gens intéressés, venant des ONG, du monde de l’éducation et de l’entreprise, alors les choses pourraient vraiment commencer à bouger, je pense.

La sénatrice Omidvar : Hier, nous avons accueilli la commissaire du Service correctionnel. À notre question sur les normes internationales et les leçons apprises, elle a répondu, si je ne m’abuse, que le Canada est en fait « la » référence en matière d’isolement. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Latimer : « La » référence, hein? Eh bien, c’est l’emploi de formules de ce genre qui explique les sarcasmes de nombreux témoins à propos de la sémantique. Si, par isolement, on entend le fait de passer 22 heures par jour seul dans une cellule, sans contact réel, c’est effectivement ce qui se passe dans tout le système carcéral à l’heure actuelle, que ce soit dans les unités d’isolement préventif, dans les blocs de confinement ou autres. La difficulté est d’enterrer et d’occulter la mesure dans laquelle ces conditions dévastatrices se produisent en isolement préventif. La commissaire voulait sans doute parler de la mise en œuvre des unités d’intervention structurée. À l’heure actuelle, il n’y a rien dans les unités d’isolement préventif qui assure la prestation efficace des programmes. Quand le SCC parle de « la référence ». il a peut-être tendance à prendre ses désirs pour des réalités.

La sénatrice Omidvar : C’est ce à quoi nous aspirons, mais nous n’en sommes pas encore là.

Mme Majury : On entend surtout parler du respect potentiel des Règles Mandela, mais si nous voulons être des chefs de file dans ce domaine, nous devons aller plus loin. Ces règles constituent la norme internationale minimale que nous devrions aspirer à dépasser pour être des chefs de file.

Je veux attirer votre attention sur une chose, certes minime, mais tout de même. Dans l’affaire de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, des preuves ont été présentées au sujet d’un contact humain réel. La preuve destinée à confirmer qu’il y avait eu un réel contact humain décrivait une série d’interactions de deux minutes avec le personnel par le passe-plat. Cela était considéré comme un contact humain réel.

La présidente : Nous allons accueillir ces gens-là dans cinq minutes, et ils pourront peut-être nous en dire un peu plus à ce sujet.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux et à vos organisations respectives pour le travail qu’elles accomplissent chaque jour. J’ai deux questions. Je vais les poser toutes les deux, puis vous pourrez répondre.

Lorsque Louise Arbour a examiné la situation dans les prisons pour femmes, elle a formulé quelques recommandations, dont l’une est que les services correctionnels pour les femmes pourraient être le champion d’approches novatrices — cela me semble conforme à ce que vous recommandez, madame Majury. Vous me corrigerez si je me trompe, mais Mme Arbour a jugé possible de lancer un projet pilote pour éliminer l’isolement chez les jeunes, les femmes et les personnes atteintes de maladie mentale, et elle a aussi recommandé de pouvoir soumettre les services correctionnels à des contrôles judiciaires. Étant donné les chiffres que les services correctionnels ont recueillis, c’est-à-dire qu’il n’y aurait plus que 300 femmes d’incarcérées au pays, cela semble infiniment réalisable, compte tenu de ce que nous avons fait concernant la mise en œuvre de la Charte pour la police, et ainsi de suite. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Madame Latimer, quand vous étiez au ministère de la Justice, vous avez apporté à la justice pour les jeunes l’un des changements les plus novateurs qui aient jamais été apportés, selon moi, qui a consisté à exiger dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents que toutes les autres options soient examinées avant l’incarcération. Seriez-vous intéressée à un semblable amendement? Compte tenu de votre expertise, pourriez-vous en proposer un au comité?

Mme Majury : Oui, étant donné le petit nombre de femmes incarcérées au pays, c’est vraiment une bonne occasion. Il y a des différences et on ne peut pas transposer chez les hommes ce qui se passe chez les femmes. Quoi qu’il en soit, c’est une occasion fabuleuse de mettre à l’essai ces autres solutions novatrices et communautaires et de voir ce qu’elles donnent. Les Sociétés Elizabeth Fry seraient très intéressées. Notre proposition portait en partie sur l’isolement, mais pas seulement; on peut tester quantité de solutions novatrices et voir ce que ça donne.

Oui, la surveillance judiciaire, compte tenu de ce dont nous avons parlé, est essentielle pour aller de l’avant. Quel que soit le projet de loi, un mécanisme de surveillance s’impose pour s’assurer qu’il est respecté dans l’esprit et pas seulement dans la lettre.

Mme Latimer : Tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter, sénatrice Pate, pour toutes les innovations que nous avons déjà constatées dans les établissements pour femmes. On n’y sert pas des repas cuits-réfrigérés et on y trouve des chalets individuels plutôt que des blocs cellulaires. J’aimerais beaucoup que l’on transpose cela du côté des hommes.

Quand cela commencera à se vérifier, d’abord chez les femmes, en espérant que cela s’étende au reste du système carcéral, ce sera une bonne chose, mais j’aimerais le voir se produire à un moment donné. À mon avis, nous n’en sommes pas encore là.

Pour ce qui est de la surveillance judiciaire, je ne suis pas contre, et ce serait même une bonne chose. Ce qui me préoccupe, c’est que l’isolement préventif est essentiellement camouflé. S’il y avait une surveillance judiciaire, on verrait que cette procédure touche beaucoup plus de monde. Les coûts seraient peut-être un peu plus élevés s’il était défini comme il se doit, sans s’en tenir aux effectifs actuels des unités d’isolement préventif.

La sénatrice Pate : La surveillance judiciaire permettrait aussi d’indiquer le genre de changement de culture nécessaire au service correctionnel. Pensez-vous que chaque cas finirait dans les mailles de la surveillance judiciaire?

Mme Latimer : On pourrait établir des critères justifiant un contrôle judiciaire rapide. Par exemple, en cas de désaccord et de mécontentement apparent du décideur externe indépendant, un recours accéléré au contrôle judiciaire pourrait se justifier. Oui, je me ferai un plaisir d’y réfléchir. Cela a un certain mérite. Je me ferai un plaisir d’examiner la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et de voir quelles autres solutions elle permettrait d’envisager avant la détention. Vous avez en vue des solutions de rechange avant le renvoi à une UIS? Est-ce à cela que vous pensez?

La sénatrice Pate : Aux deux, oui. Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup. J’ai une question qui comporte deux volets. Premièrement, un grand nombre de femmes incarcérées, sinon la plupart d’entre elles ont des antécédents importants de traumatisme, qu’elles aient ou non une maladie mentale. Cela a des effets combinés et indépendants.

Vous avez abordé la question de l’isolement et de la fouille à nu. Pourriez-vous appliquer ce prisme du traumatisme au reste du projet de loi, en réfléchissant aux éléments qui pourraient être atténués de façon à ne pas raviver le traumatisme ou faire obstacle à l’amélioration? Ce sont deux choses différentes.

La deuxième partie de la question m’amène à un élément qui est complètement absent ici. Pour paraphraser Yogi Berra : Comment saurons-nous que nous sommes à destination quand nous serons arrivés? Quel est l’élément d’évaluation? Selon vous, en quoi consisterait une évaluation rationnelle? Si l’on met quelque chose en place, comment saurons-nous si cela fonctionne? Quels sont les résultats probants que l’on doit en attendre?

Mme Latimer : Il est probablement très utile d’examiner le placement en isolement préventif dans la perspective du traumatisme. Il ne fait aucun doute que le fait d’être placé en isolement préventif pendant de longues périodes a un effet traumatisant sur les personnes. Bon nombre de détenus souffrent d’épisodes post-traumatiques, à la sortie.

L’un des hommes dont je m’occupe a été placé en isolement au Centre de détention d’Ottawa pendant quatre ans. Quand il a ensuite été placé dans le système fédéral, on l’a mis en isolement préventif à un moment donné et il a immédiatement commencé à se cogner la tête contre le mur jusqu’à ce qu’il tombe inconscient. Cela était dû aux traumatismes subis lors de ses passages antérieurs en isolement préventif.

Il est très important de connaître les effets dévastateurs que l’isolement, l’isolement à long terme en particulier, peut avoir sur les individus en général et pas seulement sur les femmes. Je dirais que, sur le nombre de personnes en isolement préventif dans le système fédéral aujourd’hui, la proportion d’hommes ayant vécu des expériences traumatisantes après avoir été placés dans de telles conditions, est beaucoup plus élevée. L’un des hommes à qui j’ai parlé à Collins Bay, il y a deux semaines, m’a dit qu’il souffre de stress post-traumatique parce qu’il a vu son ami se faire tuer par un policier qui lui avait tiré en plein visage. Les détenus ont vu et vécu beaucoup de choses traumatisantes, d’où la grande importance de ce genre de point de vue.

Quant aux moyens de mesurer le succès de ce projet de loi, il convient de retenir une définition plus large de ce qui constitue la mise en isolement, de déterminer si les mesures de protection des droits de la personne ont été intégrées dans le projet de loi et de voir si ces personnes en bénéficient. En ce qui concerne les conditions générales en prison, il ne fait aucun doute que les études montrent que les personnes placées en isolement préventif ne s’en portent pas mieux. On pourrait s’attendre à ce qu’une diminution du nombre de recours à l’isolement préventif ait des effets calmants qui se feront sentir ailleurs dans la vie du détenu. Je m’engage volontiers à chercher des résultats mesurables, si cela peut vous intéresser. Merci.

Mme Majury : Pour ce qui est d’analyser les choses sous l’angle du traumatisme, c’est une excellente suggestion pour le reste du projet de loi, mais il serait déjà très utile d’appliquer cette façon de voir à l’incarcération en général.

Les femmes peuvent aller en prison sans avoir reçu de diagnostic de santé mentale — et certaines d’entre elles peuvent avoir des problèmes de santé mentale non diagnostiqués —, mais presque toutes en sortent avec une maladie mentale diagnostiquée. Les prisons ont un effet traumatisant. Cela n’a rien de surprenant.

L’autre jour, une détenue a sauvé la vie de l’occupante de la cellule d’à côté, qui était sur le point de se pendre. Elle a sonné l’alarme et a sauvé la vie de cette femme. Celle qui a sonné l’alarme n’est pas en isolement, mais imaginez l’impact que cette situation a eu sur elle. Cela arrive tout le temps. Ce sont des environnements extrêmement traumatisants dans lesquels on place des gens qui ont commis des erreurs dans leur vie.

L’évaluation est vraiment importante. Je le répète, nous serons heureux d’y réfléchir et de vous revenir là-dessus.

La présidente : Merci beaucoup. Nous devons passer au prochain groupe de témoins. Merci pour ces réponses perspicaces. Elles sont très utiles pour notre étude du projet de loi. Nous vous en sommes reconnaissants.

Mme Majury : Je vous remercie de tout le travail que vous faites. Nous savons que ce n’est pas une tâche facile.

La présidente : Merci.

[Français]

Chers collègues et témoins, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi. Merci à nos témoins de comparaître devant nous aujourd’hui pour nous aider dans cette étude.

De l’Association canadienne des libertés civiles, nous accueillons M. Michael Rosenberg, avocat; de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, nous recevons, par vidéoconférence, M. Josh Paterson, directeur général; de l’Université Queen’s, M. Allan Manson, professeur; et, enfin, de l’Université de la Colombie-Britannique, Mme Debra Parkes, professeure et titulaire de la Chaire d’études juridiques féministes.

[Traduction]

Merci beaucoup de votre présence. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire. Je vous demanderais de ne pas dépasser les cinq minutes. Cela nous aidera, car nous avons beaucoup de questions et de nombreux témoins aujourd’hui.

Nous allons commencer par M. Paterson.

Josh Paterson, directeur général, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique : Merci, madame la présidente. Les ministres et les fonctionnaires vous ont dit hier qu’il s’agissait d’un régime complètement différent du régime actuel et que les conditions ayant causé le type de préjudice qui a motivé les deux décisions des tribunaux ne pourront pas exister dans le cadre de ce projet de loi. Le gouvernement prétend donc que les conclusions des tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, pour citer les propos tenus hier par le ministre, ne s’appliquent pas à ce nouveau projet de loi.

Certains sénateurs ont eu raison de dire — comme l’on fait hier les sénatrices Dasko, Pate, Omidvar et bien d’autres — que les anciennes conditions peuvent toujours exister avec ce projet de loi et que celui-ci ne respecte pas les décisions actuelles des tribunaux. Lorsque ces conditions existent, nous disons qu’il doit y avoir une durée ferme imposé par la loi, car la persistance de ces conditions au-delà de 15 jours est tout simplement contraire à la loi actuelle du Canada. Ce projet de loi fera courir aux gens un risque considérable d’être détenus dans des conditions reconnues comme étant un isolement cellulaire, pendant plus de 22 heures par jour et durant de longues périodes. Cela doit être interdit, or ce projet de loi ne l’interdit pas.

Nous savons que le régime actuel de l’isolement préventif a été utilisé, dans bien des cas, de façon arbitraire. Nous l’avons prouvé et l’Association canadienne des libertés civiles, l’ACLC, l’a prouvé dans deux affaires judiciaires différentes. Le pouvoir discrétionnaire prévu dans ce projet de loi pourrait lui aussi être utilisé de façon arbitraire. Un détenu pourrait refuser de se prévaloir de la possibilité de quitter sa cellule en raison de problèmes de santé mentale. Il pourrait y avoir un isolement prolongé, comme on l’a vu dans les prisons partout au Canada. Un gardien pourrait dire : « Eh bien, la personne n’a tout simplement pas suivi les instructions raisonnables pour assurer la sécurité », que ce soit le cas ou non.

La raison pour laquelle une personne est à l’isolement n’a pas d’importance. Ce qui importe, c’est la durée. Ce que les tribunaux ont jugé inconstitutionnel, c’est un ensemble de conditions causant un ensemble de préjudices : 22 heures par jour, voire davantage, à l’isolement pour une période prolongée supérieure à 15 jours; et toute période d’isolement pour une personne ayant une maladie mentale ou une incapacité. Les tribunaux ont jugé que les raisons de sécurité avancées par le gouvernement ne justifiaient pas ce genre de traitement. À moins que cette possibilité n’en soit éliminée, cette loi sera inconstitutionnelle dès qu’elle recevra la sanction royale.

Je tiens à souligner que le ministre a reconnu hier et c’est la première fois que j’entends le gouvernement dire cela, corrigez-moi si je me trompe, mais il a reconnu, en parlant du décideur externe, qu’il était possible que les anciennes conditions se reproduisent et c’est à ce moment-là que le décideur externe interviendrait et ferait ses évaluations.

Avec tout le respect que je vous dois, la loi dit actuellement qu’au bout de 15 jours, il n’est pas nécessaire d’évaluer si des mesures raisonnables ont été prises par les services correctionnels. Ce qu’il faut, c’est sortir la personne de l’isolement. C’est ce que la Constitution exige. Il est formidable d’avoir diverses formes d’examen, mais il faut qu’il y ait une durée ferme.

Les propos tenus hier par la sénatrice Eaton au sujet de la culture de l’institution nous ont conduit à la ferme conviction que le projet de loi ne peut pas être adopté tel quel et que les pouvoirs discrétionnaires inscrits dans ce projet de loi qui permettraient à ces conditions de persister doivent être revus.

Il y a quelques mois à peine, le Canada a essayé de faire valoir devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique que ce qui s’était passé en isolement préventif était simplement le résultat d’une série de mauvaises décisions individuelles qui ne respectaient pas la loi et que le pouvoir discrétionnaire était mal exercé. Les juges d’appel ont interrompu les avocats du ministère de la Justice et ont dit : « Vous ne contestez pas les conclusions de fait du juge de première instance ». Le juge du procès a conclu qu’il y avait des problèmes systémiques et non une série de problèmes individuels. C’est essentiel. Le gouvernement du Canada n’a pas contesté les conclusions de fait dans notre procès. Il a reconnu qu’il y avait des mauvais traitements et des violations de droits graves, systémiques et persistantes — une illégalité systémique au sein de l’institution. Lorsque vous, sénateurs, réfléchirez aux mesures et aux pouvoirs discrétionnaires qui sont proposés ici, je n’ai aucune raison de douter de la sincérité du ministre et de ses hauts fonctionnaires, mais nous avons le devoir d’être réalistes quant à ce qui se passe sur le terrain et c’est pourquoi il faut imposer une durée ferme.

Je me ferai un plaisir de vous faire part tout à l’heure de mes réflexions sur le décideur externe, mais mon temps est écoulé.

Debra Parkes, professeure et titulaire de la Chaire d’études juridiques féministes, Peter A. Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vais consacrer le peu de temps dont je dispose aujourd’hui à trois problèmes clés du projet de loi C-83, dans sa version modifiée que vous avez devant vous, en mettant l’accent sur le nouveau régime d’isolement des détenus. Le premier étant que le régime de l’unité d’intervention structurée, l’UIS, ne respecte pas les normes constitutionnelles, d’autres témoins vous l’ont déjà dit. De plus il équivaut à des conditions d’isolement cellulaire qui relèvent des préjudices reconnus par la cour et par les limites constitutionnelles. Le deuxième point crucial est que la structure de reddition de comptes et de révision des UIS ne répond pas aux exigences constitutionnelles. Enfin, troisièmement, je dirais un mot de ce que le comité et le Sénat peuvent faire à ce sujet.

Les tribunaux canadiens ont clairement indiqué que le nom des unités importait peu. C’est la teneur des conditions de détention qui doit être conforme à la Charte. Comme mon collègue vous l’a dit tout à l’heure, nous sommes toujours aux prises avec ces conditions. Il est évident, d’après la lecture des récentes affaires canadiennes, que les unités d’intervention structurée proposées, même si elles ont été modifiées récemment à la Chambre, entrent toujours dans la définition de l’isolement cellulaire et, ce qui est plus important encore, elles sont visées par les conclusions de fait et les conclusions juridiques rendues par les tribunaux dans ces affaires.

En ce qui concerne la structure de reddition de comptes et de révision proposée —

La présidente : Pardonnez-moi, madame. Je sais que je vous ai demandé de ne parler que pendant cinq minutes, mais vous devez ralentir un peu pour la traduction, s’il vous plaît.

M. Paterson : Ne déduisez pas ceci de son temps de parole.

Mme Parkes : Tout d’abord, il n’y a pas de limite au temps qu’une personne peut passer dans une unité d’intervention structurée, comme vous venez de l’entendre, alors je ne m’attarderai pas là-dessus.

L’ensemble des processus décisionnels et des examens entourant le placement et le maintien des personnes dans les unités d’intervention structurée sont le fait du Service correctionnel du Canada, auquel s’ajoute le palier supplémentaire du décideur externe décrit aux articles 36.6 à 37.9, dont je vais parler dans un instant.

Ces paliers de prise de décisions et d’examens internes, de haut en bas de la chaîne de commandement du Service correctionnel du Canada, sont franchement ahurissants et complexes. Ce qui est remarquable, c’est qu’il s’agit d’examens de dossiers sur papier. Il n’y a aucune obligation de rencontrer le détenu, de tenir une audience et de respecter le droit à un avocat. Il y a ces multiples paliers d’examens. Toutes les recommandations des professionnels de la santé ne sont rien d’autre que cela : des recommandations sans aucune force exécutoire.

Le nouveau décideur externe indépendant est décrit dans le projet de loi et je me contenterai d’en dire quelques mots. Pour ce qui est de l’indépendance, il s’agit d’un poste dont le titulaire est nommé par le ministre de la Sécurité publique, alors je dirais qu’il n’est pas vraiment indépendant du gouvernement — il ne s’agit pas d’un fonctionnaire du Parlement et il n’est pas indépendant. De plus, tout comme l’examen interne mené par le Service correctionnel du Canada, cet examen est un examen sur papier. Encore une fois, il n’est pas nécessaire de tenir une réunion en personne, il n’y a aucune audience et aucun droit à un avocat.

Le régime du décideur externe intervient après qu’un certain nombre d’autres décisions et examens aient eu lieu dans le cadre de ce régime, ce qui signifie que ces questions ne seront pas soumises au décideur externe en temps opportun. Cette situation ne sera donc pas conforme aux décisions des tribunaux concernant la durée ferme de 15 jours, qui correspond aux Règles Nelson Mandela de l’ONU, le comité le sait, découlant de la preuve des préjudices profonds causés par l’isolement prolongé et des conclusions du tribunal.

Depuis au moins les années 1980, nous avons une succession de rapports qui font état de la nécessité d’une surveillance externe indépendante des placements en isolement et nous avons maintenant ces décisions des tribunaux. Il faut donc voir ce que l’on peut faire pour régler ce problème.

M. Paterson a déjà expliqué pourquoi ce problème se pose dans ce projet de loi. C’est parce que le gouvernement estime qu’il ne s’agit pas là de ségrégation et , à mon avis, le Sénat doit tout simplement rejeter cette mesure.

La modification la plus importante qui pourrait être apportée consisterait à supprimer les multiples examens effectués par divers décideurs nommés par les services correctionnels et le ministère et d’affirmer à la place que tous les placements en isolement, dans les unités d’intervention structurée, peu importe comment on les appelle, sont extraordinaires et généralement interdits. Si un détenu est placé en isolement pendant 48 heures, cela déclenche une révision automatique par le tribunal. C’est un peu comme les révisions du cautionnement ou d’autres examens que les tribunaux font régulièrement et qu’ils ont le pouvoir et la possibilité de faire.

J’ai utilisé le seuil de 48 heures plutôt que celui de 15 jours en raison des preuves indiquant que des préjudices peuvent déjà survenir après cette durée. Il est probable que, même avec l’examen, la personne sera maintenue dans ces conditions pendant une période pouvant atteindre les 15 jours avant que sa libération soit ordonnée.

Je vois que mon temps est écoulé. Je réserverai mes commentaires pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci. Je suis certain que nous aurons beaucoup de questions à vous poser à tous les deux.

Nous passons maintenant à M. Rosenberg.

Michael Rosenberg, avocat, Association canadienne des libertés civiles : Bonjour mesdames et messieurs les sénateurs. Merci beaucoup de m’avoir invité à prendre la parole devant vous.

Je m’appelle Michael Rosenberg. Je suis associé du groupe de litige de McCarthy Tétrault et je représente l’Association canadienne des libertés civiles, l’ACLC dans sa contestation de la constitutionnalité de l’isolement préventif.

Selon l’ACLC, le projet de loi C-83 est une occasion ratée de mettre en œuvre des changements plus significatifs. Il est clair que le Service correctionnel du Canada a l’intention d’héberger bon nombre de ses unités d’intervention structurée dans ce qui sont actuellement des unités d’isolement. Bien qu’il y ait un engagement manifeste d’accorder plus de temps hors de la cellule et de fournir un contact humain réel, les unités d’intervention structurée demeurent des lieux d’isolement extrême. De plus, les droits d’un détenu dans les unités d’intervention structurée sont assujettis à l’alinéa 37(1)c), qui prévoit que ces droits peuvent lui être refusés lorsque le Service correctionnel du Canada le juge nécessaire pour maintenir la sécurité de l’établissement. Malheureusement, ce libellé fait écho aux critères actuels du paragraphe 31(3) aux fins de l’admission en isolement préventif.

Toutefois, au-delà d’être une occasion manquée, le projet de loi C-83 est inconstitutionnel. Si le Sénat adopte ce projet de loi, il approuvera des mesures législatives qui ne sont pas conformes aux normes constitutionnelles minimales déjà établies par nos tribunaux. Le projet de loi C-83 a été en partie dépassé par la décision rendue le 28 mars par la Cour d’appel de l’Ontario à l’ACLC et qui a imposé une durée ferme de 15 jours. Toutefois, le projet de loi C-83 n’a jamais été conçu pour corriger d’autres défauts constitutionnels, comme l’absence d’examen indépendant après cinq jours ouvrables, ce que la Cour d’appel a souligné dans la décision rendue à l’ACLC le 26 avril.

De l’avis respectueux de l’ACLC, le Sénat doit veiller à ce que la sanction royale ne soit pas demandée pour un projet de loi qui a déjà été jugé inconstitutionnel. À cette fin, l’ACLC souhaite souligner trois des lacunes du projet de loi.

Le juge en chef adjoint Marrocco a conclu qu’il devait y avoir un examen indépendant après cinq jours ouvrables. Le juge Leask a rendu une décision semblable dans l’affaire British Columbia Civil Liberties Association et la Société John Howard du Canada v. Canada.

Le 26 avril, la Cour d’appel de l’Ontario a examiné le projet de loi dont vous êtes saisis, mesdames et messieurs les sénateurs, et a déclaré ce qui suit à l’article 14.

Rien n’indique que la violation de la Constitution relevée par le juge de première instance soit corrigée ou qu’elle le sera à l’avenir.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-83 prévoit un examen indépendant lorsqu’un détenu se voit refuser ses droits pendant cinq jours consécutifs. Cela peut vouloir dire que le détenu est dans une cellule 24 heures  sur 24. L’examinateur indépendant doit ensuite attendre au moins une semaine avant d’ordonner la libération du détenu. Lorsque le Service correctionnel du Canada estime que le détenu a accès à ces droits, il n’y a pas d’examen indépendant pendant 90 jours. L’ACLC affirme qu’il n’est pas approprié de s’en remettre au jugement du Service correctionnel du Canada au sujet de ces droits ni de retarder le pouvoir du décideur d’ordonner la libération du détenu. Il devrait y avoir un examen indépendant pour tous les détenus placés en unités d’intervention structurée après cinq jours, avec le pouvoir d’ordonner la libération de ces détenus après cinq jours. C’est un plancher constitutionnel déjà établi par nos tribunaux.

Deuxièmement, il doit y avoir une durée ferme de 15 jours pour les placements dans les unités d’intervention structurée lorsque le détenu n’a pas accès aux droits promis en vertu de l’article 36 du projet de loi C-83.

Enfin, en excluant bel et bien les personnes atteintes de maladie mentale de l’isolement extrême, nous disons ici que le Canada doit tenir compte du dictum de la Cour d’appel de l’Ontario dans son avis du 28 mars, où la Cour d’appel a accepté, en principe, que les détenus atteints de maladie mentale devraient être exclus de l’isolement extrême. Elle a demandé des preuves supplémentaires pour établir les limites à partir desquelles cette exclusion devait entrer en vigueur, mais l’ACLC demande au Sénat d’énoncer ces critères et de les énoncer clairement afin que nous puissions identifier un groupe de détenus qui ne devrait jamais être assujetti à ces conditions.

Nous nous préparons maintenant à respecter la date limite du 17 juin 2019, date à laquelle tous les pouvoirs en vertu des articles 31 à 37 de la loi deviendront caducs. Il incombe au Sénat, en sa qualité de dernier rempart contre un projet de loi inconstitutionnel, d’au minimum modifier le projet de loi C-83 afin qu’il respecte les exigences constitutionnelles définies par les tribunaux.

Je me ferai un plaisir d’en parler davantage en réponse à vos questions. Merci beaucoup.

Allan Manson, professeur émérite, Université Queen’s, à titre personnel : C’est un privilège pour moi de vous parler de cette importante question. Je représente des détenus lors de procès et je fais de la recherche universitaire sur la détermination de la peine et l’emprisonnement depuis 1975. Cela fait longtemps.

La sénatrice Pate m’a demandé il y a peu de temps de préparer un rapport analysant le projet de loi C-83 à la lumière des plus récentes décisions judiciaires canadiennes. J’ai terminé ce travail il y a une dizaine de jours. Certains d’entre vous l’ont peut-être lu. Je me ferai un plaisir de vous le fournir. Il n’a pas été traduit, il est en anglais. Je peux l’envoyer à M. Charbonneau.

Disons simplement que si ce projet de loi m’avait été envoyé par le gouvernement sous forme d’ébauche il y a six ou sept ans, j’aurais dit : « Bon travail. » Cela atténuera ou pourrait atténuer certains des préjudices causés par l’isolement cellulaire. Je dis bien pourrait atténuer.

Il s’est passé beaucoup de choses au cours des six ou sept dernières années, dont deux événements majeurs. Le premier est le consensus international entre les experts, les psychologues, les psychiatres et les spécialistes des sciences sociales au sujet des graves préjudices causés par l’isolement cellulaire, de la rapidité avec laquelle ils peuvent se produire et de la difficulté qu’il y a à les observer. Tous ces experts se concentrent sur trois questions, soit la durée de la détention, l’indétermination — c’est-à-dire le fait que le détenu ne sait pas quand cela va se terminer — et la troisième préoccupation, d’ordre général, porte sur l’isolement, c’est-à-dire l’incidence de l’absence de contact humain et de stimuli appropriés.

Le deuxième événement tient à ces importantes décisions judiciaires canadiennes. Celles rendues à l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique dont M. Paterson a parlé, l’affaire de l’Association canadienne des libertés civiles dont M. Rosenberg a parlé et un recours collectif légèrement anormal appelé Brazeau. Par conséquent, des semaines durant, nos tribunaux ont entendu des témoignages d’experts, de prisonniers et de responsables des prisons. Dans le rapport que j’ai préparé, la première partie présente les diverses conclusions de fait. Ce ne sont pas des opinions. Ce sont des juges qui disent : « J’ai entendu les témoignages et voici ce que je constate. » Les conclusions de fait — je ne veux pas les citer maintenant, cela prendrait trop de temps — ont trait aux préjudices de l’isolement cellulaire, à la durée, aux conditions, à l’examen du placement en isolement, aux répercussions sur les délinquants autochtones et sur les détenus atteints de maladie mentale. Les trois décisions tirent ensuite des conclusions juridiques en appliquant les normes de la Charte. À différents égards, ces trois tribunaux ont constaté des violations de la Charte, qu’il s’agisse des articles 7, 12 ou 15.

Maintenant, le gouvernement dira : « Eh bien, c’est différent. Tout cela concerne le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la LSCMLC. Nous parlons maintenant d’unités d’intervention structurée et de seulement 20 heures dans une cellule. » Eh bien, le gouvernement peut dire cela, mais d’abord, dans tous les documents d’experts que j’ai eu l’occasion d’examiner, je n’ai vu aucun de ces experts dire que si nous pouvions simplement réduire le temps passé en cellule de 8,3 p. 100 — c’est-à-dire de deux heures — tout irait bien. Ils se concentrent sur l’isolement. Oui, il y a le mot « réel » dans le projet de loi C-83, mais je ne vois rien de précis. Je ne vois aucun détail. Les délais ne tiennent pas compte de la durée ferme de 15 jours. Ils sont interminables. Le nouveau décideur externe indépendant n’aura accès au dossier qu’après 90 jours et, oui, comme M. Rosenberg l’a souligné, cette personne a le pouvoir, si quelqu’un s’est vu refuser son temps de cellule pendant cinq jours consécutifs, d’examiner la décision, mais personne n’a la responsabilité de le lui signaler. Comment pourrait-elle le savoir?

Ce qui est plus important encore, tous les tribunaux ont déclaré que l’isolement cellulaire des personnes atteintes de maladie mentale est extrêmement dangereux et que ce danger survient très tôt. Le projet de loi ne rend même pas obligatoire une évaluation de la santé mentale après qu’une personne ait été placée dans l’une de ces unités d’intervention structurée. Dans ce projet de loi, les problèmes de santé mentale ne font pas partie des critères. Je pense qu’au minimum, ce projet de loi doit interdire l’isolement cellulaire des gens — je ne vais pas utiliser l’expression malades mentaux. J’ai une définition à vous proposer : les gens qui ont des antécédents de maladie mentale ou qui présentent des symptômes de maladie mentale. Les directives actuelles du commissaire parlent de troubles mentaux graves qui provoquent des déficiences. Eh bien, c’est une norme qui ne tient pas compte de nombreux problèmes, surtout lorsque les experts disent que les problèmes de santé mentale sont très difficiles à observer en isolement cellulaire et qu’ils sont difficiles à traiter dans ce contexte.

C’est tout ce que je voulais dire.

La présidente : Merci beaucoup. Je vous remercie de votre déclaration préliminaire. Les sénateurs ont des questions à poser. Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Seidman, qui sera suivie du parrain du projet de loi, le sénateur Klyne.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup à tous de vos exposés.

Je ne suis pas une constitutionnaliste. Je ne suis pas avocate. Excusez-moi si ma compréhension des choses très techniques n’est pas parfaite, mais je dirais qu’aucun d’entre vous n’a été vague. C’est certain.

Madame Parkes, vous dites très clairement, si je peux vous citer :

L’idée que passer une nouvelle couche de peinture et apposer un nouvel écriteau sur une unité d’isolement, en aspirant à ce que les gens qui y sont isolés soient sortis de leur cellule pendant quatre heures par jour et que la création de toute une série d’examens internes sur papier suffit à nous éloigner de la compétence de la Charte et des lois sur les droits de la personne.

Je crois que M. Rosenberg a dit que le Sénat constitue la dernière ligne de défense.

Aidez-moi à comprendre. Selon vous, que devrait au minimum faire le comité au sujet de ce projet de loi? Bien sûr, le projet de loi sera renvoyé au Sénat par la suite, où il y aura beaucoup plus de débats à l’étape de la troisième lecture. Au cours de cette étape de l’étude du comité, lorsque nous envisageons de proposer un ou deux amendements, ou trois ou quatre, y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour faciliter les choses?

Mme Parkes : Vous avez entendu aujourd’hui trois choses concrètes. La première est ce dont vient de parler M. Manson, c’est-à-dire l’interdiction de tout placement dans des conditions d’isolement pour les personnes ayant des antécédents de maladie mentale ou présentant des symptômes de maladie mentale. La deuxième chose, c’est une durée ferme d’au minimum 15 jours. Je dirais qu’il faut commencer les examens plus tôt, mais qu’il faut imposer une durée ferme de 15 jours. Ensuite, il faut un processus d’examen vraiment indépendant qui permette d’ordonner qu’une personne soit sortie de l’isolement pendant cette période de 15 jours. Je préconise le contrôle judiciaire; d’autres préconisent la nomination d’un décideur indépendant. Il faut à tout le moins qu’il y ait ces trois éléments.

M. Paterson : Merci, sénatrice Seidman.

Je suis d’accord avec ce qu’a dit Mme Parkes. Il y a d’autres problèmes et préoccupations au sujet du décideur externe indépendant sur lesquels je peux me prononcer en vue d’apporter certains changements. S’il y avait un contrôle judiciaire, nous y serions certainement favorables.

En ce qui concerne le décideur externe indépendant, nous avons établi que, dans deux cas, la culture du SCC est profondément problématique. Pourquoi une personne qui a déjà servi au sein du SCC devrait-elle être nommée décideur externe indépendant? Cela me dépasse. Nous sommes 36 millions au Canada. Nous pouvons trouver d’autres personnes pour qui la question de l’appartenance à cette culture ne se posera pas.

Nous disons qu’il doit y avoir un examen externe au bout de cinq jours. En fait, nous ne sommes pas les seuls. Comme M. Rosenberg l’a souligné, les tribunaux l’ont dit eux aussi.

Il est également très préoccupant que même lorsque le décideur externe indépendant effectue son examen après 5 jours ou après 15 jours, si une personne n’obtient pas ce à quoi elle est censée avoir droit, il y a une période de 7 jours pendant laquelle il peut faire une recommandation. Nous pensons qu’il devrait pouvoir rendre une ordonnance immédiatement.

Deuxièmement, en vertu du projet de loi actuel, s’il est convaincu que des efforts raisonnables ont été déployés après l’expiration des sept jours, il n’a pas le pouvoir d’ordonner la sortie d’une personne. Pourquoi est-ce important? Le SCC a pu faire des efforts herculéens et surhumains, mais si la personne est toujours là pour quelque raison que ce soit et qu’elle refuse de sortir, les préjudices ont lieu. Les efforts réalisés n’ont aucune importance. Cela ne devrait pas faire partie de la norme.

M. Rosenberg : Comme je l’ai dit, ce projet de loi comporte de graves lacunes. Je ne peux pas vous dire ce qu’il faudrait pour obtenir un bon projet de loi sur le plan constitutionnel. En revanche, je peux vous indiquer les éléments sur lesquels les tribunaux ont déjà statué et ont déclaré que ce qui est proposé est inconstitutionnel.

Il s’agit donc d’un examen de cinq jours.

À l’heure actuelle, le paragraphe 37.83(1) proposé est limité aux détenus qui ont été incarcérés pendant 5 jours consécutifs ou 15 jours sans avoir accès à leurs droits. Il devrait s’agir de tous les détenus. Concernant le paragraphe 37.83(3) proposé. M. Paterson vient d’en parler. Il n’est pas nécessaire de prévoir une période d’attente de sept jours avant que le décideur indépendant puisse ordonner la libération d’un détenu. Il faut que l’examen après cinq jours donne aussi la capacité d’ordonner la libération du détenu.

Passons aux durées fermes. Cela nous ramène à la décision rendue le 28 mars par la Cour d’appel de l’Ontario selon laquelle les détenus n’ont pas accès à leurs droits en vertu de l’article 36. Il y a une durée ferme de 15 jours. C’est la loi du pays.

Enfin, sur l’exclusion des malades mentaux. La Cour d’appel a demandé à des organismes délibérants comme celui-ci de comprendre qu’il y a des personnes trop atteintes de maladie mentale pour être soumises à un isolement extrême et elle a demandé à des organismes comme celui-ci d’énoncer cette norme. C’est la responsabilité du Sénat et il vous incombe, mesdames et messieurs les sénateurs, de l’expliquer et de veiller à ce que ces personnes soient protégées.

M. Manson : Il faut une durée ferme de 15 jours et une interdiction concernant les personnes atteintes de maladie mentale. L’un ou l’une d’entre vous, mesdames et messieurs les sénateurs, a parlé de l’article 79.1 et des délinquants autochtones. Cela doit être reformulé. J’en ai parlé. Il faut tenir compte des antécédents familiaux particuliers, y compris les parents, les grands-parents et les autres proches parents, ainsi que leur fréquentation des pensionnats et leur adoption à l’extérieur de la collectivité.

La logique du paragraphe 2 est inversée. Il a été modifié — je sais que je ne suis pas censé le dire, mais c’était à la Chambre des communes — et, par conséquent, tous les antécédents des délinquants autochtones ne sont plus pertinents pour l’évaluation des risques. Ce que l’auteur de l’amendement voulait dire, c’est que nous ne devrions pas tirer des conclusions défavorables des antécédents autochtones. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas pertinents pour l’évaluation des risques. Il faut remettre les choses dans l’ordre.

Il y a des amendements très simples comme celui-là. Je ne m’étendrai pas sur la question du contrôle judiciaire. C’est un gros problème. Ce problème peut-il être corrigé? Avec du travail. Le projet de loi peut-il être corrigé? Avec beaucoup de travail.

Le sénateur Klyne : Je tiens à remercier tous les témoins de leurs exposés. Je les ai trouvés judicieux. J’avais des questions, mais après avoir relu mes notes, je constate que vous avez répondu aux questions auxquelles je cherchais des réponses.

Il est certain que le comité vous a entendu. J’ai relevé beaucoup d’idées, de bons conseils et de remarques utiles. Je vous dirais que si vous avez un libellé exact à nous proposer, j’aimerais l’examiner sérieusement. Vous pourriez probablement améliorer ce projet de loi. Je pose la question parce que, comme vous le savez, nous n’avons que peu de temps, alors toute aide serait grandement appréciée.

M. Manson : Mme Latimer m’a montré l’amendement qu’elle voulait apporter. Je ne l’ai vu que pendant deux secondes, mais je pense qu’il est assez bon. Il donne une définition de l’« isolement cellulaire prolongé » comme étant supérieur à 15 jours et il l’interdit. Il y a aussi une partie qui porte sur les délinquants atteints de maladie mentale. Je vous la recommande.

Je peux envoyer mon rapport à M. Charbonneau. Il contient des exemples de libellé précis, mais en écrivant, je ne jouais pas le rôle de rédacteur législatif.

Le sénateur Klyne : Merci beaucoup.

La présidente : Si vous avez quelque chose à nous envoyer, nous n’avons pas beaucoup de temps pour ce projet de loi, alors assurez-vous de le faire en temps opportun. Nous vous en serions reconnaissants.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous de votre présence et de vos commentaires.

Monsieur Rosenberg, l’article 10 du projet de loi, qui remplacerait l’isolement préventif par l’unité d’intervention structurée, entrerait en vigueur à une date ultérieure fixée par le gouverneur en conseil. Les tribunaux ont accordé au gouvernement, comme vous l’avez mentionné, une prolongation jusqu’au 17 juin 2019 pour remédier à la situation, mais l’entrée en vigueur du projet de loi C-83 est sous le signe de l’incertitude. Selon vous, quelles seraient les conséquences si son entrée en vigueur avait lieu après le 17 juin et dans ce cas la sécurité des détenus et des agents de correction serait-elle menacée?

M. Rosenberg : Je vous remercie de cette question, sénatrice.

J’ai passé pas mal de temps à contre-interroger les fonctionnaires du Service correctionnel au sujet des délais de mise en œuvre des unités d’intervention structurée. Leur calendrier prévoit qu’elles seront mises en œuvre d’ici la fin du mois de novembre de cette année. Je remarque toutefois que le financement est en place depuis 2018 et qu’on travaille à installer le personnel nécessaire pour ces unités. On ne nous a fourni aucun calendrier indiquant les mesures prévues pour l’entrée en vigueur de ces unités. D’après les informations qui m’ont été fournies, je ne suis pas en mesure de vous dire si le 30 novembre est l’échéance la plus courte qu’il soit réaliste d’attendre pour la mise en service des unités d’intervention structurée.

Le service a déjà entrepris certaines initiatives de gestion de la population carcérale afin de se préparer à la mise en place des unités d’intervention structurée — par exemple, la fermeture de l’isolement à Millhaven, le déménagement des détenus à Collins Bay —, mais les personnes qui en ont la responsabilité au sein du service sont les mieux placées pour dire quel est le délai minimal pour que ces unités soient opérationnelles.

Pour ce qui est des conséquences constitutionnelles, le pouvoir prévu aux articles 31 à 37 de la LSCMLC, comme je l’ai dit, prendra fin le 17 juin 2019 et la Cour d’appel a dit très clairement qu’il n’y aura plus de prolongation. Il s’agit de l’entrée en vigueur d’une ordonnance rendue par le juge en chef adjoint Marrocco en décembre 2017. Elle a été suspendue pendant un an. Elle a été prolongée de plusieurs mois, puis à nouveau de plusieurs semaines. Il ne s’agit pas d’un fait nouveau et le Canada a eu beaucoup de temps pour s’y atteler.

La suppression de ce pouvoir a pour conséquence de priver le service de la capacité de placer les détenus en isolement préventif. Malheureusement, selon mon interprétation de la loi, il y aurait alors une zone grise en ce qui concerne les droits des détenus en l’absence des articles 31 à 37 de la loi. J’examine ici l’article 83 des règlements et j’espère qu’en fin de compte, ce n’est pas le plancher qui sera appliqué, mais que les détenus se verront appliquer une norme de droits beaucoup plus élevée en cas de vide législatif, pour ainsi dire, entre l’adoption du projet de loi, avec des modifications satisfaisantes espérons-le et la mise en service des unités d’intervention structurée.

La sénatrice Poirier : Merci.

Ma prochaine question reprend celle de la sénatrice Eaton. Elle n’a pas précisé à qui s’adressait sa question, alors je suppose que n’importe qui peut y répondre. Elle voulait savoir ce que vous faites d’un détenu qui est dangereux pour les autres prisonniers. Que recommandez-vous? Que faites-vous de quelqu’un qui représente un danger pour les autres dans le système carcéral?

M. Manson : Je pense qu’il y a un certain nombre de solutions de rechange, mais il pourrait s’agir de transférer un prisonnier de l’établissement X à l’établissement Y, ou d’avoir une partie distincte de l’établissement réservée à certains groupes de délinquants sans qu’ils ne soient placés en isolement cellulaire, où ils interagissent avec d’autres prisonniers et d’autres personnes, avec des programmes qui leur conviennent.

La loi doit faire entrer le SCC dans le XXIe siècle. Les pratiques d’isolement cellulaire sont des outils de gestion utiles et constituent une solution de facilité depuis des décennies et ce n’est que récemment que la communauté internationale, le Canada et les tribunaux canadiens ont dit : « Nous faisons beaucoup de mal. C’est cruel, anormal et inacceptable ».

La sénatrice Poirier : Je veillerai à ce que la sénatrice Eaton obtienne la réponse à sa question.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous de votre présence.

Pour gagner du temps, je vais faire un certain nombre de déclarations. Si l’un d’entre vous n’est pas d’accord avec ces déclarations ou veut ajouter quelque chose, j’aimerais que vous le fassiez, surtout si vous n’êtes pas d’accord, ainsi nous aurons une analyse plus complète au compte rendu.

Comme l’a dit M. Manson, l’isolement cellulaire est maintenant critiqué. À l’échelle internationale, les gens parlent de cette question en des termes similaires à ceux employés pour évoquer les châtiments corporels, des régimes alimentaires et des restrictions qui sont aujourd’hui proverbiaux et sont désormais considérés comme tellement barbares et désuets qu’ils n’existent plus. Beaucoup ont dit, pas moi — enfin, si — que c’était le destin de l’isolement cellulaire et de l’isolement, que dans 10 ans, il se peut que nous disions tous : « Comment pouvions-nous même dire qu’une durée de 15 jours était raisonnable? » Êtes-vous d’accord ou non?

Les normes de l’ONU sont fixées pour être un plancher ou un plafond, selon la façon dont on voit les choses, mais pas pour être un horizon à atteindre et particulièrement pour les pays comme le Canada qui se targuent d’avoir de nombreux chefs de file en matière de droits de la personne, 15 jours devraient constituer la limite absolue et non l’horizon à atteindre pour prendre une décision.

Troisièmement, lorsque Louise Arbour a examiné la situation des femmes à Kingston dans son rapport, il y a plus de 23 ans, elle a indiqué que la seule chose qui permettrait de rendre les services correctionnels conformes était de veiller à ce qu’il y ait un contrôle judiciaire des services correctionnels et que c’était la seule façon de vraiment changer la culture de ces services. Rien de moins que cela n’était susceptible de changer la culture. Vingt-trois ans plus tard, il semble que ce soit toujours le cas.

Deuxièmement, elle a laissé entendre que, dans le domaine des services correctionnels, les femmes étaient si peu nombreuses, que cela pourrait être le porte-étendard du Service correctionnel du Canada. Selon certains rapports, trois femmes sont en isolement au pays. Chaque fois que j’ai visité une prison pour femmes depuis ma nomination, il n’y avait pas de femmes en isolement. Il me semble qu’il y a toutes sortes de solutions de rechange possibles.

Seriez-vous d’accord pour dire que nous pourrions commencer par un projet pilote ou un processus visant à interdire l’isolement pour ceux qui ont des problèmes de santé mentale, en utilisant la définition proposée par Mme Manson, à l’interdire pour les femmes, pour les jeunes, y compris ceux qui ont été transférés ou autre et ensuite envisager une élimination progressive de l’isolement pour tous les autres prisonniers?

Enfin, l’enquête sur le décès d’Ashley Smith a montré qu’avant son décès, il n’avait pas été établi qu’Ashley  Smith avait des problèmes de santé mentale. La capacité des services correctionnels de cerner les problèmes de santé mentale, comme Mme Manson, Mme Parkes et vous tous l’avez dit, est donc pour le moins mise en doute. Le fait qu’il faille nous tourner vers quiconque au sein des services correctionnels pour faire ces évaluations est problématique. L’examen des preuves qui ont été révélées pendant l’enquête indique que tout le monde a présumé avoir affaire à une femme dangereuse et violente en raison de ce qu’ils ont lu dans les dossiers qui l’ont précédée au cours des 17 transfèrements dont elle a fait l’objet en 11 mois et demi. Cela a quand même été renforcé. Personne n’a contredit cette évaluation lorsqu’elle était en vie, même lorsque des témoins successifs ont déclaré à l’enquête qu’ils l’appréciaient beaucoup et s’entendaient bien avec elle. Son comportement a malgré tout été signalé de façon tout à fait problématique.

Y aurait-il une raison de ne pas prévoir, dans les 24 ou 48 heures, une révision judiciaire du placement en isolement, quel que soit le nom qu’on lui donne? Y a-t-il une raison de ne pas commencer immédiatement par interdire ce traitement aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale, aux femmes et aux jeunes? Y a-t-il une raison de ne pas se prononcer en faveur d’une élimination progressive de l’isolement, d’ici un à deux ans, avec les durées recommandées par Mme Latimer, que vous avez tous recommandé, que les tribunaux ont recommandé?

La présidente : Merci, sénatrice Pate, pour cette combinaison de déclarations et de questions. J’ai vu beaucoup de gens hocher la tête. Nous prenons note du fait que de nombreuses personnes acquiescent à toutes vos questions.

Mme Parkes : Merci, sénatrice Pate. J’aurai tendance à être d’accord sur tous ces points. Surtout en ce qui concerne les femmes, j’aimerais avoir plus de temps pour en parler. Je crois que la Société Elizabeth Fry vous a dit qu’il n’est absolument pas nécessaire qu’une femme soit placée en isolement dans ces conditions. Malheureusement, les décisions des tribunaux ne traitent pas précisément de cette question. Ces conclusions ne font pas partie des décisions des tribunaux, mais je pense que nous avons énormément de preuves à ce sujet et ce serait une très bonne chose de commencer avec une interdiction pour les femmes, en plus de ceux qui ont des problèmes de santé mentale et de jeunes. Je suis également d’accord avec les autres déclarations.

La présidente : Je remercie les témoins d’avoir indiqué clairement qu’ils étaient d’accord. Vos hochements de tête sont de bonnes réponses aux questions.

M. Rosenberg : Au sujet des jeunes détenus, je voulais ajouter que c’est une question importante pour l’ACLC. Nous avons demandé une déclaration constitutionnelle à cet égard et nous avons présenté ce que nous pensions être une preuve convaincante que les personnes de moins de 22 ans devraient être exclues tant de l’isolement cellulaire que d’autres formes d’isolement extrême. Nous considérons que c’est un élément important de tout régime humain pour loger des prisonniers.

La sénatrice Omidvar : Je pense que les quatre témoins ont suffisamment parlé des contestations constitutionnelles. Il me semble que le gouvernement a l’air de penser ou est d’avis que « puisque l’isolement préventif n’existe pas, nous sommes par conséquent en conformité étant donné que nous avons une nouvelle structure, que nous appelons des unités d’intervention structurée. Ainsi, les décisions des tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario ne s’appliquent pas à nous ». Je ne suis pas avocate. Certains d’entre nous le sont, mais beaucoup ne le sont pas. D’après mon expérience, cette querelle constitutionnelle qui a lieu au comité et au Sénat nous oblige à anticiper ce que fera la Cour suprême.

Permettez-moi de vous poser une question sur les principes de justice fondamentale et de vous demander de nous dire ce que vous pensez du mécanisme de surveillance prévu dans le projet de loi. Quand on met quelqu’un en prison, il faut le surveiller. Je suppose que cette surveillance ne signifie pas qu’il faut le regarder à l’aide d’un téléviseur ou même à travers les barreaux. Les mécanismes de surveillance sont-ils conformes aux principes de justice fondamentale énoncés dans la Charte? Monsieur Paterson, vous pourriez peut-être répondre à cette question.

M. Paterson : Merci, sénatrice Omidvar. Si par surveillance vous voulez dire le décideur externe indépendant plus, je crois, les divers examens internes qui auront lieu, ils ne sont pas adéquats selon nous.

Prenons, par exemple, le délai de 90 jours au terme duquel le décideur externe indépendant interviendrait. C’est 18 fois plus long que l’examen externe exigé dans le jugement rendu en Colombie-Britannique, par exemple, concernant un placement en isolement préventif. Nous ne pensons pas que ce soit acceptable sur le plan constitutionnel, et nous pensons qu’il doit y avoir un examen externe après cinq jours.

Vous avez parlé de surveiller quelqu’un à l’aide d’un téléviseur. Pourquoi vous, à titre de sénateurs, avez-vous le droit d’aller dans les prisons alors que les décideurs externes indépendants ne peuvent que communiquer avec les prisonniers? Le projet de loi ne leur permet pas d’aller dans les prisons. Nous ne comprenons tout simplement pas pourquoi ils n’auraient pas le droit de le faire. Ils demanderont peut-être à l’un d’entre vous d’y aller pour eux et de faire rapport. Cela n’a aucun sens.

Nous avons déjà dit qu’il ne devrait pas s’agir d’un ancien employé du SCC. J’aimerais revenir sur ce que la sénatrice Pate et ma collègue ont dit au sujet du contrôle judiciaire. Nous en serions très heureux également.

Nous savons que Mme la juge Arbour l’a dit il y a de nombreuses années, et c’est sur cette base que nous avons porté notre cause devant les tribunaux. La culture ne change pas du jour au lendemain. Lorsque le projet de loi ou un autre projet de loi recevra la sanction royale, il ne changera pas la façon dont des milliers d’employés du SCC agissent partout au pays. La preuve en a été faite. Je suis sûr qu’il y a beaucoup de gens formidables, mais c’est la culture qui aide à produire ces résultats, et c’est très, très difficile à changer.

Nous sommes allés à la consultation du SCC en janvier. J’ai été alarmé par ce qu’ont dit les responsables des opérations du SCC et le syndicat, à savoir à quel point ils sont sceptiques et à quel point ils semblent hostiles au projet de loi. Si les dirigeants syndicaux disent à leurs membres que le projet de loi est dangereux et qu’il ne fonctionnera pas, c’est une excellente chose que le sous-ministre dise que le ministère s’y est engagé. Cela m’inquiète beaucoup.

La sénatrice Omidvar : Ai-je raison de déduire de cette déclaration que, selon vous, le projet de loi est plus dans l’intérêt de l’établissement et des employés du SCC que dans celui des détenus?

M. Paterson : Je sais que nous avons passé des années à nous battre pour en arriver au point où nous en sommes. Nous discutons avec eux depuis des années, depuis qu’ils ont promis de régler le problème. Nous avons dit qu’il n’était pas nécessaire de recourir aux tribunaux. Pourquoi ne pas bâtir quelque chose de mieux ensemble? Ils ont mené une lutte acharnée pour le faire. Ils ont dit que ce qui se passe actuellement, c’est un contact humain réel. Le ministre a changé de position quand il vous a parlé hier. Il a dit que, non, le régime actuel ne permet pas des contacts humains réels. Ce n’était pas sa position. Nous nous sommes battus contre le ministère pendant quatre ans pour que le ministre puisse le dire. Je pense qu’on peut nous pardonner notre scepticisme quant à la façon dont tout cela va se dérouler. Ils continuent d’interjeter appel du jugement que nous avons obtenu. Je crois le ministre lorsqu’il dit qu’il veut apporter des changements, mais les instructions données aux avocats étaient de résister au changement.

Mme Parkes : Puis-je ajouter quelque chose? Cela soulève la question de la primauté du droit. Dire qu’il y a de la résistance au sein du Service correctionnel, du gouvernement et du syndicat des agents correctionnels, encore une fois, nous reconnaissons que c’est un milieu de travail difficile, mais nous vivons dans un État de droit. C’est pourquoi les décisions des tribunaux doivent être respectées. Elles le seront, d’une façon ou d’une autre. Nous pourrions recevoir des demandes massives d’habeas corpus de la part des prisonniers si la loi n’est pas respectée. Je comprends la situation difficile dans laquelle se trouve le Sénat, mais vous êtes la dernière ligne de défense, et vous disposez de tout ce qu’il faut pour que le projet de loi soit conforme à la Constitution et pour le renvoyer pour le soumettre à un vote. Nous vivons dans un État de droit et, d’une façon ou d’une autre, il faut respecter cette situation.

La sénatrice Forest-Niesing : Je vais formuler ma question et laisser à tous le soin d’y répondre, si le temps le permet.

J’ai écouté très attentivement et je vous ai tous entendus le décrire. Je suis tout à fait convaincu qu’il faut corriger le projet de loi. À tout le moins, il faut modifier les définitions, imposer un plafond absolu, modifier le processus d’examen pour en assurer l’indépendance et inclure le contrôle judiciaire, sans parler de ce que nous devons faire au sujet des détenus autochtones pour améliorer leur expérience.

Le temps file. Je me demande dans quelle mesure nous pourrions intégrer rapidement et efficacement tous ces changements dans un projet de loi qui est, à mon avis, une étape importante. Cela ne nous amène certainement pas au changement de culture qui est souhaitable, mais c’est assurément un pas dans la bonne direction. Compte tenu du fait que, comme vous l’avez dit, il a fallu des années pour en arriver là où nous en sommes, comment pouvons-nous tirer parti des avantages globaux du projet de loi pour les détenus, et dans quelle mesure êtes-vous optimistes quant au fait qu’il peut être corrigé suffisamment pour faire une différence, sinon la différence?

M. Manson : Je ne vois pas beaucoup d’avantages globaux. Il est bon de voir des expressions comme « l’isolement cellulaire doit prendre fin le plus tôt possible ». On retrouve partout dans le projet de loi l’expression « dès que possible », plutôt que des délais, alors que la durée et l’indétermination sont au cœur du problème.

Le projet de loi pourrait être corrigé. Avec un plafond absolu de 15 jours, une grande partie de l’examen de 30 jours par les directeurs d’établissement serait terminée parce que l’isolement cellulaire serait terminé après 15 jours. Au plan législatif, il faudrait un véritable scalpel pour enlever tout ce qui est inutile et reformuler la partie importante. Oui, cela pourrait se faire, mais il faudrait vraiment porter une attention chirurgicale au projet de loi.

La sénatrice Forest-Niesing : À défaut de cela, pensez-vous qu’il serait préférable que nous rejetions carrément le projet de loi?

M. Manson : Si j’étais seul au Sénat du Canada, c’est ce que je ferais.

M. Rosenberg : Je ne sais pas s’il est possible, dans le temps dont vous disposez, de modifier le projet de loi de façon à le rendre constitutionnel. Je suis convaincu qu’il est possible de l’améliorer considérablement. Les témoins d’aujourd’hui vous ont mentionné certaines améliorations. Ce qui est clair, c’est que le non-respect des obligations constitutionnelles du Canada ne peut pas continuer. Ce débat a déjà eu lieu. Pour faire suite aux observations de la sénatrice Omidvar, ce n’est pas une question d’anticiper ce que fera la Cour suprême du Canada.

Aucun appel n’a été interjeté des conclusions de violation de l’article 7 de la Charte en Ontario ou en Colombie-Britannique. Elles en font partie intégrante. Lorsque la Cour d’appel de l’Ontario dit : « Nous ne prolongerons pas ce sursis, comme le Canada l’avait demandé, jusqu’au 30 novembre, et il prendra fin le 17 juin », c’est la Cour qui dit que, pour être un gardien de la Constitution, elle doit veiller à ce que les déclarations d’inconstitutionnalité entrent en vigueur. Cela signifie que l’on ne tolérera pas que les violations des droits des détenus — il s’agit de violations graves — se poursuivent. Que ce soit corrigé à l’aide d’un projet de loi ou d’autre chose, il faut que ce soit corrigé, et ce, dès maintenant. C’est le message clair que nous ont transmis deux cours d’appel.

La sénatrice Forest-Niesing : Nous pouvons donc nous sentir rassurés si le projet de loi n’est pas adopté.

M. Rosenberg : Vous pouvez être rassurés par le fait que les tribunaux sont actifs, qu’ils sont engagés et qu’ils se sont exprimés clairement. Il reste à voir comment le Canada va se conformer.

La présidente : Je vois que Mme Parkes et M. Paterson hochent la tête. Voulez-vous ajouter quelque chose? Non? D’accord.

Nous avons la sénatrice Mégie, suivie du sénateur Ravalia. Ensuite, on aurait peut-être le temps de faire un deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je voudrais continuer dans la même veine que la sénatrice Eaton et la sénatrice  Poirier concernant les mesures alternatives dans le cas d’un détenu qui représente un danger pour ses codétenus. Tantôt, on a dit qu’on pouvait le loger dans une autre cellule. Cependant, s’il représente un danger pour ceux qui l’entourent, y a-t-il d’autres mesures qui ont été mises à l’essai dans d’autres pays et qui ont connu du succès? M. Manson pourrait-il répondre?

[Traduction]

M. Manson : Vous voulez savoir ce qui se passe dans d’autres pays dans le cas des prisonniers violents. J’ai déjà proposé des solutions de rechange. Cependant, comme l’a dit le dernier groupe de témoins, il y a des endroits dans le monde où l’on a développé une culture différente pour l’emprisonnement. Par exemple, les meurtriers obtiennent régulièrement des congés d’un mois pour aller avec leur famille dans des camps loin dans la nature, et on utilise davantage les ressources de médiation et de conciliation au sein de l’établissement pour régler les problèmes. Je ne pense vraiment pas qu’il vous suffirait de claquer des doigts et de dire que l’on peut transposer ces exemples dans le système carcéral canadien. En ce qui concerne les établissements pour hommes, il y a des dimensions de brutalité qui engendrent des tensions, de l’agression et de la violence. Mis à part le recours à d’autres types d’établissements, certaines des techniques assez imaginatives que nous observons en Scandinavie et dans de rares pays d’Europe exigent un changement de culture avant même que l’on puisse commencer à songer à ces techniques en raison de la façon dont la culture actuelle de l’emprisonnement crée, surtout dans les établissements à sécurité maximale, des environnements très difficiles.

M. Rosenberg : À un niveau très élémentaire, il y aura des situations de nature urgente où des détenus devront être séparés d’autres détenus et de tous les détenus. Ce n’est pas une excuse pour priver un détenu d’un contact humain réel et pour l’assujettir à des conditions qui équivalent à l’isolement cellulaire. Dans la mesure où il y a des mesures de gestion de la population qui sont en cause ici, rien ne justifie d’enfermer des détenus dans de minuscules cellules — parfois sans fenêtre, sans ventilation naturelle, les privant d’une interaction sociale — pendant toute la journée ou presque. Lorsque vous parlez d’atténuer les préjudices, c’est ce sur quoi nous devons vraiment nous concentrer, c’est-à-dire quelles sont les solutions de rechange qui évitent ce résultat indésirable?

La présidente : Merci. Monsieur Paterson, vous vouliez ajouter quelque chose?

[Français]

M. Paterson : Très brièvement, il y a toutes sortes de solutions de rechange à l’utilisation de l’isolement. Dans le cadre de notre procès devant les tribunaux de la Colombie-Britannique, il y avait diverses preuves provenant d’autres pays qui font les choses autrement. Même ici, au Canada, il y a les transferts et les programmes spéciaux pour les Autochtones. Outre-mer, certains pays n’ont presque pas recours à l’isolement carcéral, car il y a des prisons qui sont aménagées différemment de sorte à prévoir des sections qui permettent une sous-population et des transferts au sein de l’institution même. On ne voit pas ce type de créativité dans ce projet de loi. En effet, comme l’a dit mon ami de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, c’est une occasion manquée.

[Traduction]

Mme Parkes : Il existe des modèles et des exemples. Il y a même des administrations au Canada où des établissements entiers n’ont pas eu recours à l’isolement depuis longtemps et où l’on a recours à une intervention dynamique — c’est-à-dire le contact humain, ce dont les gens ont besoin pour faire face à des difficultés, à des problèmes de santé mentale ou à des agressions. Oui, il peut y avoir des moments où ils doivent être isolés pendant une courte période, mais la façon dont les gens se rétablissent et réintègrent la société, reconnaissant que presque tous ces gens seront un jour de retour dans la société, ils ont besoin d’une interaction humaine avec des professionnels qui font partie de l’effectif, qui possèdent ce qu’il faut et qui sont formés pour désamorcer certaines situations. Il existe de nombreux modèles à cet égard.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de votre témoignage très convaincant.

Nous avons beaucoup entendu parler de contact humain réel. Pouvez-vous m’expliquer cela en contexte, de façon concrète? Que signifie un contact humain réel? Peut-il être mis en œuvre et évalué? Nous avons essayé de poser cette question hier, et les réponses obtenues étaient très génériques. Cela semble évidemment être au cœur de certaines des questions dont nous discutons aujourd’hui.

La présidente : Posez-vous la question à une personne précise?

Le sénateur Ravalia : Non, je laisserais la question ouverte.

La présidente : Qui veut répondre à cette question?

M. Rosenberg : Je peux en parler. Nous avons consulté le professeur Juan Mendez, ancien rapporteur spécial des Nations Unies qui est maintenant à la American University à Washington. Nous avons posé cette question parce que nous voulions obtenir du contenu pour comprendre ce qui constitue ou non un contact humain réel. Il nous a parlé d’un rapport du Essex Group, un groupe d’experts internationaux qui ont essayé de s’attaquer à cette question dans le contexte des Règles Nelson Mandela, d’où vient l’expression. Je vous recommande le rapport.

Il y a une différence entre le contact amorcé par le détenu et celui qui lui est imposé. Les interactions avec le personnel du SCC, les interactions courantes qui font partie de la vie quotidienne en prison, ne constituent pas un contact humain réel. Un contact humain réel est une interaction sociale amorcée volontairement par le détenu. Cela semble être, du moins d’après les experts internationaux, une définition simple. Elle est peut-être trop simple, mais c’est certainement un bon point de départ.

M. Paterson : Dans notre cas, nous avions un expert, Craig Haney, dont le témoignage a été accepté par notre tribunal à ce sujet. Je ne peux faire mieux que de lire ce qu’il a dit à ce sujet. Voici ce que ce n’est pas :

Je veux dire dans le contexte de l’isolement cellulaire qui n’est pas protégé par des barreaux, des clôtures, des passe-plats et des vitres de sécurité où les gens interagissent comme vous et moi l’avons fait […]

Il parle aux gens du tribunal.

[…] la façon dont nous sommes tous habitués à interagir les uns avec les autres de façon réelle et authentique.

Souvent, cela veut dire être en mesure de collaborer à des activités à but déterminé en classe ou dans le cadre d’une formation professionnelle, dans un emploi, où l’activité est de nature sociale, où elle est aussi normale que possible dans un milieu carcéral, mais elle est réelle et elle n’est pas liée par l’importante barrière psychologique qui existe entre les détenus et le personnel et qui, malgré les bonnes intentions de nombreux membres du personnel, est pratiquement insurmontable.

Il poursuit en disant :

[...] les types d’interactions de routine et symboliques qui ne sont rien d’autre que des fonctions essentielles à la vie [...]

Les interactions suivantes ne comptent pas : la visite de l’infirmière; ne compte pas. La distribution des pilules; ne compte pas. La livraison des repas; ne compte pas. Vérifier si quelqu’un s’automutile; ne compte pas.

Comme l’a dit M. Rosenberg, ce ne sont là que les éléments essentiels de notre présence.

Il ajoute :

Il ne s’agit pas d’une interaction sociale réelle.

La présidente : Il nous reste quelques minutes pour une deuxième série de questions. Une brève question s’adressant à un témoin en particulier serait vraiment utile.

Le sénateur Klyne : Avec tout le respect que je vous dois, j’ai une brève observation et une courte question.

Relativement à ce dont nous sommes saisis, que ce soit difficile ou facile n’a rien à voir. Les contraintes de temps, oui. Je crois que nous pouvons régler ces problèmes en travaillant ensemble. Je suis à peu près certain que nous ne faillirons pas à la tâche pendant que nous nous y attaquons.

Ma question s’adresse à M. Rosenberg. Je cherche à obtenir des précisions parce que quelques points m’ont échappé. Vous avez dit que vous vouliez exclure les jeunes, les moins de 22 ans. Je n’étais pas certain quant à qui vous avez consulté et quels ont été les résultats. Vous avez demandé cette exclusion.

M. Rosenberg : Merci, sénateur, de votre question.

Nous avons démontré que le développement du cerveau des jeunes de 18 à 21 ans se poursuit à un point tel qu’il présente des dangers particuliers pour eux. Selon les témoignages que nous avons reçus du Canada, le cerveau de chacun continue de se développer et on ne peut pas isoler ce groupe de jeunes. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir d’exclusion dans leur cas. En fin de compte, le juge en chef adjoint Marrocco n’a pas accepté qu’il y ait une interdiction constitutionnelle d’assujettir ce groupe à l’isolement. Nous avons interjeté appel de cette décision et la Cour d’appel l’a rejeté.

L’ACLC est tout à fait en désaccord avec cette conclusion. Elle croit que la preuve établit absolument que ce groupe est particulièrement vulnérable aux préjudices de l’isolement extrême. Nous demandons au Sénat d’intervenir là où les tribunaux ont échoué, de reconnaître un groupe qui ne devrait pas être exposé à ce danger tout simplement parce qu’il est incapable de s’en sortir. Ces jeunes ne se sont pas développés au point de pouvoir faire face à l’isolement. Nos propres témoins ont parlé de cela, de la terreur d’être placé en isolement pour un jeune. Une personne nous a parlé du fait de constamment renifler de la buspirone, un médicament contre l’anxiété pour s’évanouir, reprendre connaissance, recommencer, s’évanouir. C’est ainsi que cette personne a passé sa journée en isolement. À mon avis, la mise en isolement des jeunes équivaut à des traitements ou peines cruels et inusités. Le projet de loi devrait régler ce problème en interdisant de placer des jeunes en isolement extrême.

Le sénateur Klyne : Merci. Pourriez-vous remettre au greffier un mémoire concis à ce sujet afin que nous puissions l’examiner?

La présidente : Oui. Si vous pouviez faire parvenir cette information au greffier, ce serait apprécié.

La sénatrice Pate : En réponse à la question de la sénatrice Eaton, vous avez parlé de solutions de rechange concernant le changement de culture que des experts internationaux et d’autres pays ont trouvées. Pourriez-vous chacune nous parler des options qui sont déjà prévues dans la LSCMLC? Le Bureau du directeur parlementaire du budget a également établi le coût de l’application de l’article 29 aux personnes ayant des problèmes de santé mentale, pour que les articles 81 et 84 soient utilisés de la façon prévue au départ et non aux fins limitées déterminées par les services correctionnels.

J’aimerais également parler des questions d’accès à la justice dont M. Rosenberg et M. Paterson ont parlé, je crois. À quand remontent ces affaires et pour les ramener devant les tribunaux, que faut-il faire? C’est beaucoup de travail?

En outre, lorsque le sénateur Klyne et moi étions à Collins Bay lundi dernier, nous avons entendu des détenus dans les établissements à sécurité maximale, ceux dont M. Manson a parlé, demander des programmes, des interventions comme celle de Rick Sauvé, des interventions qui ne se font pas. En fait, la réponse que nous avons reçue des services correctionnels hier, c’est qu’ils ont une stratégie antigang, mais qu’il n’y a pas de programme pour l’accompagner. Le seul programme qui existe au pays n’est même pas financé. Il pourrait être mis en œuvre pour 200 000 $, alors que des millions de dollars sont investis dans le personnel. Selon l’enquêteur correctionnel, le ratio employé-prisonnier dans ce pays est supérieur à un — c’est le ratio le plus élevé au monde. Que pourrait-on faire avec les dispositions existantes pour ne pas avoir à attendre ce changement de culture à long terme ou à court terme?

La présidente : Il s’agit d’un deuxième tour rapide. Je vais peut-être demander à un témoin de répondre maintenant, mais nous serons heureux de recevoir toute réponse écrite que vous pourriez avoir aux questions précises de la sénatrice Pate.

La sénatrice Pate : Je sais que Mme Parkes s’est penchée sur la question.

Mme Parkes : Brièvement, il y a bien des choses que nous pourrions faire. L’une des façons d’atténuer les pressions qui s’exercent au sein des établissements et qui mènent ensuite à des tensions et à l’isolement des gens, comme nous le faisons de diverses façons, ce serait de se pencher sur le nombre de personnes qui y sont et qui n’ont pas besoin d’y être. La loi prévoit déjà qu’elles peuvent être dans la communauté. Comme vous l’avez dit, il y a des ententes en vertu de l’article 29 et de l’article 81 avec les collectivités autochtones pour les installations et les placements à domicile. Il y a toutes sortes de possibilités à cet égard.

Il faudrait aussi respecter les dates d’admissibilité à la libération conditionnelle et disposer des ressources humaines nécessaires pour faire sortir les gens des établissements à la date prévue. Nous avons le rapport de l’enquêteur correctionnel qui montre que les Autochtones ne sont toujours pas libérés à la date à laquelle ils seraient admissibles à la libération conditionnelle.

Il y a beaucoup d’outils mis à notre disposition et que nous pouvons utiliser sans même devoir modifier la loi, mais il faut que la volonté y soit. Dans son plus récent rapport, le vérificateur général montre à quel point les dépenses privilégient le système correctionnel et la sécurité et non la libération dans la collectivité. Il faut rectifier ce déséquilibre.

Des programmes comme la stratégie d’intervention auprès des gangs — j’oublie le nom du programme — pourraient être mis en œuvre. Je le répète, pour des questions culturelles, cela ne se fait pas.

La sénatrice Omidvar : J’ai une question très brève. Quelqu’un peut répondre, je l’espère, monsieur Rosenberg.

Si le projet de loi était modifié pour y inclure le contrôle judiciaire — et permettez-moi de supposer que les 300 personnes en isolement préventif, qui seraient alors dans l’unité d’intervention structurée, déposeraient toutes une demande d’aide —, les tribunaux auraient-ils la capacité de traiter ce volume? Avons-nous besoin de dire autre chose dans l’amendement?

M. Rosenberg : C’est une question importante, sénatrice. Je ne suis pas bien placé pour parler de la capacité des tribunaux. Madame la juge Arbour, qui aurait été bien placée pour faire cette recommandation, a certainement recommandé un contrôle judiciaire. Je m’en remets à son opinion à ce sujet.

Ce que je dirais, c’est que quel que soit le système d’examen indépendant — et peut-être que l’examen au premier palier dans la période de cinq jours ouvrables n’est pas un critère —, il doit être rapide et efficace. Il ne faut pas qu’il s’enlise dans les procédures au point d’être inefficace pour les détenus qui risquent d’être exposés à des préjudices très graves. Nous appuyons certes l’idée d’un contrôle judiciaire, mais dans la mesure où il génère des résultats significatifs pour les détenus.

M. Manson : Au cours des derniers mois, la Cour suprême du Canada, pour la première fois, s’est penchée sur l’examen de 90 jours de la mise en liberté sous caution qui figure dans le code depuis 1972. C’est la première fois que la Cour suprême se dit que les provinces faisant toutes des choses différentes, il est temps pour elle d’intervenir. Il y a non pas 300, mais des milliers de prisonniers en détention provisoire, c’est-à-dire qui sont détenus et toujours en attente de leur procès. Le détenu doit présenter une demande de révision de sa libération sous caution; ce n’est pas à lui de décider. Dès que la période de 90 jours commence, le processus est amorcé. Le juge doit agir rapidement. Il a très clairement été dit que le but, c’est de voir à ce que les gens ne soient pas inutilement détenus avant le procès. Il y a beaucoup d’analogie avec l’isolement préventif — même si nous ne parlons pas de 90 jours, mais bien de 15 — et la Cour suprême n’a pas hésité à affirmer que c’est ce que le pouvoir judiciaire devrait faire.

Le sénateur Kutcher : Nous savons qu’il y a des taux élevés notamment de maladie mentale chez les détenus. L’expression « professionnel de la santé agréé », qui revient sans cesse dans le projet de loi, inclut-elle, d’après ce que vous savez, les fournisseurs de soins de santé qui ont des compétences et des connaissances importantes en matière de santé mentale, de troubles mentaux, de diagnostic et de traitement? Ce qui me préoccupe, c’est que même dans nos milieux communautaires, la plupart des professionnels de la santé agréés n’ont pas ces compétences et ces capacités. Est-ce que cela répond à cette norme ou à une norme plus élevée?

M. Manson : Il n’y a aucune raison de penser que vous parlez de quelqu’un d’autre qu’une infirmière et pas nécessairement d’une infirmière psychiatrique.

Le sénateur Kutcher : Il n’y a rien ici qui garantirait que les compétences nécessaires pour prodiguer des soins à la plupart des détenus soient celles des professionnels qui prodiguent ces soins?

M. Manson : La visite quotidienne se fait par un professionnel de la santé. Il y a ici une disposition qui dit que si le professionnel de la santé a des craintes, il devrait y avoir des renvois, ce qui signifie, je suppose, à un professionnel spécialiste de la santé mentale. Le professionnel de la santé agréé dont il est question pourrait simplement être une infirmière qui n’a pas les compétences nécessaires face à des problèmes de santé mentale particuliers.

M. Paterson : En ce qui concerne les professionnels de la santé agréés, le projet de loi précise que les employés professionnels engagés par le service peuvent recommander au directeur de l’établissement de changer des choses. Ce qui nous préoccupe, c’est ce qu’un médecin fait si les gens sont emmenés dans un hôpital ordinaire à l’extérieur et qu’il a une opinion sur ce qui se passe. Il n’y a pas de mécanisme facile pour que ces professionnels de la santé puissent faire rapport. Depuis des années, on s’inquiète notamment du fait que les médecins et les autres employés du service ne sont peut-être pas aussi indépendants ou ne semblent pas l’être autant que nous l’aurions espéré. Je sais que ce projet de loi tente d’y remédier. Il y aurait lieu de donner aux autres un moyen de faire part de leurs préoccupations.

La sénatrice Moodie : La stratégie qui appuie ce projet de loi semble exiger un diagnostic précoce et rapide de la maladie mentale et une intervention. Nous avons entendu parler de quelque 900 nouveaux emplois dont la moitié seraient pour des fournisseurs de soins de santé et on nous a également assuré hier que ce ne serait pas une tâche difficile à accomplir, ce qui franchement est surprenant. À votre avis, est-ce réalisable et, en fait, est-ce que ce sont les bonnes personnes, comme le sénateur Kutcher vient de le dire, qui se retrouveront dans les établissements? Comme le sénateur Kutcher nous le dira, il est souvent difficile de faire une évaluation précise en temps opportun avec des diagnostics de santé mentale. Comment pouvons-nous nous assurer que c’est ainsi que les choses se dérouleront? C’est essentiel au succès de cette stratégie. Je n’ai entendu personne suggérer un moyen réaliste de mettre en place ce mécanisme vraiment essentiel et cela m’inquiète. Qu’en pensez-vous?

M. Rosenberg : Je pense que cette stratégie doit comporter divers volets — un diagnostic de routine à l’admission est incontournable, mais ce n’est pas suffisant, comme vous le dites. Une durée ferme du séjour à l’isolement et un examen indépendant sont les autres volets. La Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que l’idée de surveiller les détenus pendant qu’ils sont à l’isolement et de s’en occuper avant qu’ils ne décompensent ne fonctionne pas. Ils ne présentent pas de symptômes avant de souffrir. Ils subissent un préjudice, puis on dit après-coup que c’est inacceptable, cruel et inhabituel. C’est une stratégie à plusieurs volets qui est absolument essentielle.

M. Paterson : Je suis d’accord avec ce que mon collègue vient de dire.

Nous, dans la société civile — pas seulement nous autour de la table, mais bien d’autres — avons fait de notre mieux pour faire avancer ce dossier et amener le Canada où il est à l'heure actuelle. Nous comptons maintenant sur les sénateurs pour faire de leur mieux — et je sais que vous êtes tous ici pour le faire — et voir à ce que toute loi adoptée respecte la loi suprême du pays. Merci beaucoup de nous avoir invités.

La présidente : Merci à nos témoins d’aujourd’hui. Je sais qu’avec quatre témoins, vous n’avez pas tous pu répondre à chaque question. Si vous avez des commentaires ou quelque chose à ajouter, des questions auxquelles vous vouliez répondre, n’hésitez pas à nous en faire part par écrit. Nous accueillerons avec plaisir tout ce que vous enverrez au greffier.

[Français]

Sur ce, merci, chers collègues, la réunion est terminée.

(La séance est levée.)

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