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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 60 - Témoignages du 15 mai 2019


OTTAWA, le mercredi 15 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi, se réunit aujourd’hui, à 15 h 15, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Je suis la sénatrice Petitclerc, du Québec, et c’est avec plaisir que je vous accueille aujourd’hui.

[Traduction]

Avant de donner la parole à nos témoins, je demande à mes collègues de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Montréal, Québec.

Le sénateur Ravalia : Mohamed-Iqbal Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Pate : Kim Pate, Ontario.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Jim Munson, Ontario.

La présidente : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

[Français]

Je vous présente notre premier groupe de témoins. Nous vous remercions d’avoir accepté de comparaître aujourd’hui dans le cadre de notre étude. Nous accueillons Mme Elana Finestone, conseillère juridique de l’Association des femmes autochtones du Canada, M. Richard Sauvé, facilitateur chez Breakaway, et Mme Renee Acoby, à titre personnel.

[Traduction]

Je rappelle aux témoins qu'ils disposent de cinq minutes pour leur déclaration liminaire, qui sera suivie des questions des membres du comité.

Madame Acoby, nous sommes prêts à entendre votre déclaration liminaire par vidéoconférence.

Renee Acoby, à titre personnel : Je ne crois pas que le nouveau projet de loi modifierait l’isolement cellulaire. En réalité, cela aggraverait la situation. Il n’existe aucune supervision indépendante, et ce, depuis des décennies. Même si le SCC, le Service correctionnel du Canada, recommande une supervision indépendante, on n’a pas précisé qui s’en chargerait ou quels intervenants pourraient éventuellement y prendre part.

J’ai été en isolement pendant huit ans, astreinte à une routine d’établissement à sécurité maximale renforcée. Sur ces huit années, j’en ai passé six en isolement cellulaire pendant 23 heures. J’ai été incarcérée pendant environ 18 ans avant de finalement bénéficier d’une libération conditionnelle, l’année dernière. Au total, j’ai probablement passé en isolement, par intermittence, près des deux tiers des 18 années, dont six années consécutives en isolement cellulaire pendant 23 heures.

Le SCC n’a pas tenté de mettre en place une supervision indépendante. J’ai dû passer par la Société Elizabeth Fry et ses avocats pendant de nombreuses années avant de pouvoir enfin attirer l’attention sur ma situation. Beaucoup de gens ont été horrifiés quand ils ont appris que j’ai été en isolement cellulaire pendant tant d’années.

Je ne crois pas que ce que propose le SCC pour le moment va changer la situation. On laisse entendre qu’il mettra en place une unité d’intervention structurée afin que les gens aient davantage de contacts humains et de droits, mais ce n’est pas le cas.

Comme le SCC l’a démontré, ce qui va arriver, c’est qu’on va changer le nom de l’isolement pour unité de garde en milieu fermé à sécurité renforcée, selon un protocole de gestion ou maintenant ce nouveau terme, mais c’est toujours l’isolement cellulaire.

En fait, il a fallu des décennies pour en arriver à certaines des recommandations de la Commission canadienne des droits de la personne. Je ne crois pas que ce qui est proposé en ce moment se passera du jour au lendemain. Je ne suis pas optimiste quant à un changement de quoi que ce soit actuellement sur le plan de l’isolement cellulaire. Il faut l’abolir et instaurer une supervision indépendante avec des personnes indépendantes du SCC.

Elana Finestone, conseillère juridique, Association des femmes autochtones du Canada : J'aimerais commencer par dire que pour l’Association des femmes autochtones du Canada, ou l’AFAC, la réforme de la justice pénale commence et se termine avec les collectivités autochtones. C’est la raison pour laquelle l’AFAC appuie l’appel de la sénatrice Pate à des solutions de rechange plus efficaces et moins coûteuses au projet de loi C-83. L’AFAC aimerait qu’on abolisse le placement en isolement et les conditions restrictives comme les UIS, les unités d’intervention structurée, dans les établissements carcéraux pour femmes.

Les femmes autochtones ont le plus besoin de soutien pour guérir des séquelles de l’histoire de la colonisation du Canada. Pourtant, elles sont les plus punies dans les pénitenciers fédéraux par l’application de conditions restrictives et le placement en isolement. Les UIS ne font pas exception à la règle.

Lorsque j’ai assisté à la table ronde des intervenants sur le projet de loi C-83 en janvier dernier, on m’a dit que les nouvelles UIS seraient ce que nous appelions auparavant les unités d’isolement préventif.

J’aimerais parler de l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui pourrait remplacer le projet de loi C-83. En gros, l’article 81 de cette loi donnerait aux femmes autochtones incarcérées sous responsabilité fédérale la possibilité de purger leur peine dans des collectivités autochtones et de recevoir des soins adaptés aux réalités culturelles.

En tant que conseillère juridique de l’Association des femmes autochtones du Canada, j’ai eu l’occasion de nouer le dialogue avec des femmes autochtones et des dirigeants de collectivités autochtones ayant le pouvoir d’appliquer l’article 81 dans leur propre collectivité. Ces consultations m’ont permis d’apprendre que l’article 81 est inaccessible à de nombreuses collectivités autochtones, mais qu’il est rempli de possibilités.

L’article 81 offre aux femmes autochtones la possibilité de rentrer chez elles dans leur collectivité, d’être avec leur famille et de guérir. Un sentiment d’appartenance culturelle fait partie de la guérison. Quand une femme autochtone incarcérée est guérie, ses enfants le sont également.

Plutôt que de continuer à punir les femmes autochtones dans les pénitenciers fédéraux, le gouvernement doit prendre du recul et permettre à l’article 81 de se déployer dans les collectivités en faisant confiance aux collectivités autochtones et aux femmes autochtones en tant qu’expertes de leur propre guérison et autodétermination.

À titre subsidiaire, l’AFAC serait reconnaissante si les recommandations suivantes de nos mémoires et de nos observations écrites se réalisaient afin que les femmes autochtones puissent recevoir des soins adaptés aux réalités culturelles.

Les amendements énumérés dans le mémoire et les documents écrits du Comité permanent de l’AFAC pour la table ronde des intervenants de l’AFAC ont pour objectif, premièrement, de garantir que les facteurs systémiques et historiques touchant les peuples autochtones sont correctement appliqués et utilisés uniquement pour évaluer les besoins d’un détenu; deuxièmement, de mettre à la disposition des femmes autochtones incarcérées dans les établissements fédéraux, lorsqu’elles le demandent, un soutien tenant compte des traumatismes et adaptés aux réalités culturelles, sachant que les collectivités autochtones et surtout les femmes autochtones, doivent être consultées et savent ce qui est culturellement approprié dans leur collectivité; et troisièmement, de préciser quels groupes et organisations autochtones peuvent faire partie des accords en vertu des articles 81 et 84 afin que la loi leur soit accessible.

Pour la table ronde des intervenants, l’AFAC a décrit les progrès du Parlement dans la mise en œuvre de ces recommandations à partir de la page 3. Des progrès ont été accomplis, mais ils sont loin d’être suffisants.

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie est le dernier espoir pour faire en sorte que les femmes autochtones incarcérées dans les établissements fédéraux soient mieux placées pour guérir des effets de la colonisation. Je vous remercie.

Richard Sauvé, facilitateur, Breakaway : Je suis dans ma 41e année de peine d’emprisonnement à perpétuité. J’ai obtenu la liberté conditionnelle totale en 1995. Je retourne fréquemment dans les établissements fédéraux de la région de l’Ontario depuis la fin de 1998.

Récemment, la semaine dernière en fait, j’étais à l’Établissement de Collins Bay avec la sénatrice Pate. Lorsque nous sommes entrés dans l’unité d’isolement, nous avons entendu des détenus frapper sur les portes et crier, demandant simplement à être reconnus et à obtenir de l’aide. Bien que je n’aie jamais passé beaucoup de temps en isolement, j’ai été placé en isolement dans les prisons de comté et à l’Établissement de Collins Bay, mais pas pour des problèmes de comportement. Lorsque j’ai entendu cela, j’ai ressenti beaucoup d’émotions à cause du travail que j’accomplis et de ma propre expérience du placement en isolement.

Même si la plupart des gens ne le remarqueraient pas, quand je suis entré, mon odorat a déclenché des émotions en moi. Cela m’a rappelé le sentiment d’être dans une unité d’isolement. J’écoutais les hommes qui hurlaient, voulant seulement être entendus et avoir quelqu’un qui écoute leurs préoccupations.

Par la suite, nous avons rencontré un certain nombre de détenus. Certains d’entre eux avaient suivi le programme que j’ai présenté dans divers établissements de la région de l’Ontario. L’un des hommes avait passé beaucoup de temps dans une unité spéciale de détention. Il avait lu le projet de loi. Quand il a regardé la nouvelle unité comme on l’appelait, il a dit : « Cela ressemble beaucoup à une unité spéciale de détention. Cela ressemble beaucoup à une USD pour moi. »

Cela doit être fait correctement. Quand j’ai lu le passage sur la supervision, j’ai d’abord pensé : qui va s’en occuper? Une personne indépendante des services correctionnels va-t-elle rencontrer les détenus dès leur admission à l’unité? On ne le fait pas actuellement.

Voilà mes préoccupations. Merci beaucoup.

La sénatrice Seidman : Merci à vous tous de vos exposés cet après-midi. Ce sont des témoignages vraiment importants.

J’adresserai ma question à vous, madame Finestone, mais j’aimerais beaucoup recevoir les réponses de Mme Acoby et de M. Sauvé, si vous le permettez.

Dans un article rédigé par le ministre de la Sécurité publique, l’honorable Ralph Goodale, et publié aujourd’hui dans The Hill Times, intitulé « Answering the Tough Questions on Bill C-83 », sur la réforme de notre approche des services correctionnels, il est indiqué :

En vertu du projet de loi C-83, il y aura de deux à quatre cellules dans l’UIS à chaque établissement pour femmes, mais leur utilisation sera exceptionnelle. Dans les établissements pour femmes, le SCC utilisera principalement les nouvelles ressources pour gérer l’environnement de soutien accru à sécurité moyenne, où la présence d’un personnel qualifié permettrait la mise en œuvre d’interventions auprès d’un groupe difficile de détenues dans un environnement sécuritaire et positif, réduisant ainsi la réévaluation de la cote de sécurité en matière de sécurité maximale ou le transfèrement dans des UIS. Le modèle a été mis au point en collaboration avec l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et l’Association des femmes autochtones du Canada.

Le gouvernement fédéral vous a-t-il effectivement consultée lors de l’élaboration de ce modèle, et votre avis a-t-il été pris en considération?

Mme Finestone : Mon personnel chargé des politiques a assisté à cette réunion. Reste à savoir si l’avis a été pris en considération. Il n’a pas encore vraiment abouti ou été mis en œuvre.

Au retour de la réunion, notre personnel chargé des politiques a déclaré qu’on verra à l’usage. Les mots sont vraiment bien, mais les approches tenant compte des traumatismes et culturellement appropriées ne sont pas juste des mots que nous pouvons lancer. Les recommandations doivent être mises en œuvre.

Nous devons voir à quoi cela ressemble. Nous avons présenté des recommandations, mais nous devons voir ce qui se passe.

La sénatrice Seidman : Je suppose que ma question est de savoir si vous avez donné des conseils. Vos conseils sont associés au modèle utilisé dans les dispositions législatives concernant expressément les établissements pour femmes.

J’aimerais savoir si vous croyez que le projet de loi représente les meilleurs conseils que vous pouviez donner et le type de modèle que vous avez recommandé?

Mme Finestone : Notre meilleur conseil serait de ne pas prévoir ces unités au départ. Je pense que nous préférerions qu’il y ait quelque chose plutôt que rien. Nous avons formulé des recommandations, mais nous préférerions ne pas les avoir du tout.

La sénatrice Seidman : Vos commentaires nous sont utiles.

Madame Acoby, que diriez-vous? Je sais que vous avez commencé par dire que ces unités n’apportent pratiquement aucun changement par rapport au statu quo, à votre avis.

Que nous conseilleriez-vous tandis que nous étudions ce projet de loi et réfléchissons à la manière dont nous pourrions l’améliorer?

Mme Acoby : On va peut-être garder une forme quelconque d’isolement cellulaire. Je ne pense pas qu’on le devrait, point final. Si on devait en conserver une forme quelconque, il faudrait faire appel à des personnes indépendantes des services correctionnels qui peuvent formuler des recommandations et superviser le processus d’isolement cellulaire.

Si on continue de le faire de cette façon, cela laisse à désirer dans la mesure où les détenus insultent les personnes qui les ont placés en isolement et qu’ils comptent toujours sur elles pour faire des recommandations en vue de leur mise en liberté et de leur réinsertion sociale.

Qui plus est, pour aller encore plus loin, il faudrait mettre davantage l’accent sur la mise en œuvre et l’utilisation des articles 81 et 84 pour ceux qui suivent un cheminement autochtone. Cela ne devrait pas être limité aux délinquants autochtones. L’approche, quelle qu'elle soit, devrait être accessible à toute personne qui suit ce cheminement.

Il faudrait y accorder plus d’attention, car ces dispositions sont sous-utilisées et ont une incidence sur le processus de réinsertion sociale. Cela contribue à la surpopulation carcérale, à la double occupation des cellules, et cetera. Il faut avoir une vision plus large que le simple placement en isolement. Il faut envisager la réinsertion sociale et utiliser les ressources avec lesquelles des ententes contractuelles sont en place actuellement.

La sénatrice Seidman : Vos commentaires nous sont utiles.

Monsieur Sauvé, merci de vos propos, de votre témoignage très évocateur. Ces dispositions législatives prévoient quatre heures de contacts humains réels pour les personnes à l’UIS, mais il n’existe pas de définition claire de ce que sont vraiment des contacts humains réels.

Auriez-vous quelque chose à nous dire à ce sujet?

M. Sauvé : En effet. Quand j’ai lu cela au sujet de contacts humains réels, j’ai tout de suite pensé : des contacts humains réels avec qui?

Au sein de comités de détenus, à diverses occasions durant mon séjour en prison, on m’a emmené à l’unité d’isolement pour rencontrer des prisonniers qui étaient en isolement cellulaire.

À plusieurs reprises, dans le cadre de mon travail, des directeurs de différents établissements m’ont demandé de parler à des prisonniers en situation de crise réelle.

Deux prisonniers à Gravenhurst faisaient une grève de la faim. L’un d’entre eux faisait la grève depuis un certain temps. Le directeur a dit : « Nous ne savons pas qui d’autre envoyer. Pourriez-vous y aller? »

J’ai tout de suite pensé : pourquoi ne pas envoyer des gens là‑bas dès leur admission? Historiquement, les services correctionnels recouraient à l’isolement comme première intervention. Je crois que vous avez besoin d’une personne de l’extérieur qui peut venir à l’établissement et parler à la personne avant qu’elle ne soit placée en isolement. Ensuite, il ne sera peut‑être pas nécessaire de la placer en isolement.

Ce n’est pas que je n’aie jamais cru qu’il est tout à fait nécessaire de placer une personne en isolement, mais je pense qu’une solution viable pourrait être de recourir au soutien par les pairs ou de faire appel à une personne de la collectivité qui peut venir sur place et utiliser ce type de médiation.

Le sénateur Munson : Ma question s’adresse à M. Sauvé. Je ne pense pas que tous les membres du comité connaissent votre bilan unique et les bonnes choses que vous avez accomplies au cours des dernières années.

Je viens de lire un article dans le Globe and Mail : vous avez reçu le Prix Ed McIsaac pour la promotion des droits de la personne dans le système correctionnel, vous avez remporté deux victoires devant la Cour suprême, vous avez obtenu de multiples diplômes universitaires derrière les barreaux et vous êtes le pilier du concept Option-Vie.

Vous n’en avez pas trop parlé lorsque nous vous avons rencontré auparavant. Je voulais donc que ces détails soient consignés au compte rendu, et je pense que c’est important de le faire.

Je ne connais pas très bien le programme Breakaway et la désaffiliation des gangs, mais selon le rapport du directeur parlementaire du budget sur le sujet, la réussite de la désaffiliation des gangs pouvait améliorer la sécurité et les coûts globaux du système de justice, voire générer des économies de coûts compensatoires.

Comment fonctionne le programme de désaffiliation des gangs Break Away visant à éviter que des personnes criminalisées ne soient placées en isolement? Pensez-vous que nous devrions avoir un amendement au projet de loi C-83 afin de garantir la mise en œuvre à l’échelle nationale du programme Break Away?

M. Sauvé : Il fonctionne avec des béquilles. Il n’y a pas eu beaucoup de financement à ce titre. La sénatrice Pate a aidé à cet égard.

Le sénateur Munson : Comment cela fonctionne-t-il?

M. Sauvé : Le programme a commencé lorsque de jeunes membres de gang sont venus me voir l’une des fois où j’étais dans l’établissement et ont dit : « Vous étiez membre d’un club de motards. Vous purgez une peine d’emprisonnement à perpétuité. Comment avez-vous échappé à ce mode de vie? Comment avez-vous rompu les liens et laissé tout ça derrière vous? »

Je leur ai parlé de la découverte de soi et du processus qui consiste à oublier le passé. C’est une évolution par rapport au programme Straight Talk dont je me suis occupé pendant mon incarcération. Nous faisions venir de jeunes contrevenants dans l’établissement et travaillions avec eux afin qu’ils puissent voir ce que pourrait être leur vie à l’avenir et ce qu’elle était dans le passé. Ce n’était pas un programme de dissuasion par la peur. Cela ne fonctionne pas.

J’ai eu la permission de travailler avec quelques groupes à titre d’essai. Le directeur m’a permis d’entrer pour le faire. La rumeur a commencé à se répandre, pas par moi mais par les gars qui faisaient partie de ce groupe. Ils avaient le sentiment d’acquérir des compétences profitables auxquelles ils pouvaient s’identifier.

L’idée a commencé à se répandre. Ils n’arrêtaient pas de me demander : « Pourriez-vous venir et vous adresser à un autre groupe? » Ils demandaient de l’aide. Je suis intervenu auprès de neuf ou dix groupes jusqu’à présent. Demain, je vais dans un établissement à sécurité maximale. Finalement, la porte de la cellule s’est entrouverte; on a pu entrer et le faire.

Pendant que je dirigeais ces groupes, certains de ces hommes sont partis. La plupart d’entre eux étaient de très jeunes hommes quand ils sont arrivés. La plupart d’entre eux appartiennent à des groupes de minorité visible, des groupes autochtones. De très jeunes hommes arrivent à l’établissement et se perdent dans le milieu carcéral.

Ils sont les ambassadeurs du groupe. Ce sont eux qui encouragent cette activité et ce genre de groupe. Ils ont pris en charge non pas seulement le programme, mais aussi leur vie. Certains d’entre eux ont passé à un niveau de sécurité inférieur, la sécurité minimale, et d’autres ont maintenant obtenu la libération conditionnelle totale. Ils ont réussi, comme moi, derrière les barreaux. Ce n’est pas à cause du milieu carcéral, mais malgré le milieu carcéral.

Le sénateur Munson : Ils ont évité l’isolement.

M. Sauvé : Je n’en connais aucun qui s’est retrouvé en isolement.

Permettez-moi de revenir en arrière un moment. Un gars a été placé en isolement pendant une courte période. Il est maintenant au niveau de sécurité minimale et l’un des plus grands ambassadeurs du groupe.

Le sénateur Munson : C’est un sujet de réflexion pour nous. J’apprécie beaucoup.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’ai deux questions à poser, une qui s’adresse à Mme Acoby, et l’autre, à M. Sauvé.

Madame Acoby, qu’est-ce que le projet de loi C-83 pourrait apporter, compte tenu des traumatismes intergénérationnels que vivent certaines personnes autochtones? Est-ce que cela apportera quelque chose? Faudrait-il prévoir un amendement, par exemple, pour faire en sorte qu’on réponde au problème des traumatismes intergénérationnels?

[Traduction]

Mme Acoby : Je pense que le projet de loi contient quelques points positifs à cet égard, mais je pense qu’il faut élargir les dispositions afin d’inclure les collectivités des Premières Nations et les aînés, plutôt que de se concentrer uniquement sur la présence de femmes et d’hommes autochtones dans les établissements carcéraux travaillant avec les aînés embauchés ou ayant conclu une entente contractuelle avec le SCC. L’AFAC et les femmes autochtones sont au courant de leur propre culture et de leurs propres enseignements. Elles devraient être autorisées à choisir des aînés issus de leurs collectivités, indépendants du SCC, qu’elles connaissent et en qui elles ont confiance. Cela devrait également être une option, et cela aiderait les choses.

La confiance met beaucoup de temps à s’installer en milieu carcéral. Parfois, il y a beaucoup de bons aînés dans les établissements carcéraux qui ont conclu une entente contractuelle avec le SCC; alors, il est très difficile de leur faire confiance. Il est essentiel de faire participer la collectivité des Premières Nations à la guérison de manière à permettre aux femmes de choisir avec qui elles veulent travailler, au lieu de dire : « Voici les aînés que nous avons à l’établissement. Travaillez avec eux. »

[Français]

La sénatrice Mégie : Cela m’amène à la question que j’aimerais poser à M. Sauvé. Lorsqu’on parle de contact humain significatif, il y a deux scénarios possibles : soit le détenu ne veut rien savoir, parce qu’il est en crise et ne veut rencontrer personne, soit il veut rencontrer des gens. S’il s’agit d’une personne à laquelle il fait confiance, ça va. Selon votre expérience, s’il s’agit d’une personne qui est choisie par l’administration, y a-t-il la même méfiance, comme on vient de le souligner, que pour les personnes autochtones?

[Traduction]

M. Sauvé : Je crois que lorsque vous faites venir des gens de la collectivité, ils deviennent la fenêtre sur la collectivité. Ils apportent de nouvelles approches à l’établissement.

Je purge toujours ma peine, mais l’une des meilleures choses que j’ai vécues lorsque j’étais en détention a été la venue de bénévoles de l’extérieur dans l’établissement. C’étaient des personnes auxquelles vous pouviez vous identifier. Lorsque vous êtes derrière les barreaux et que vous avez affaire à des agents de sécurité, il arrive souvent que vous ne voyez pas la personne. Vous voyez un uniforme. Cela m’a vraiment étonné, car parfois, quand je les voyais sans leur uniforme, je ne les reconnaissais pas.

Il est essentiel que quelqu’un vienne de l’extérieur pour travailler avec ces détenus avant qu’ils ne soient placés en isolement et qu’il les rencontre pendant qu’ils sont en isolement. Je crois vraiment que c’est la clé.

Vous ne pouvez pas avoir quelqu’un à distance qui essaie de trouver des solutions sans engager le dialogue avec la personne. S’asseoir et parler à quelqu’un par l’ouverture dans la porte d’une cellule, à quatre pattes, n’est pas réellement de la communication. Une grande partie de la communication se fait maintenant par une petite ouverture dans la porte.

[Français]

La sénatrice Mégie : Les services correctionnels peuvent-ils aviser un détenu que la personne qu’il désire rencontrer n’est pas fiable et qu’il ne peut compter sur elle dans le cadre de son cheminement? Les services correctionnels peuvent-ils empêcher un détenu de rencontrer une personne parce qu’ils doutent de sa fiabilité?

[Traduction]

M. Sauvé : Je suis désolé. Je n’ai pas pu entendre votre question.

[Français]

La sénatrice Mégie : Si la personne que vous désirez rencontrer pour établir un contact significatif est, aux yeux des services correctionnels, une personne à laquelle ils ne font pas confiance, que pourriez-vous suggérer comme autre solution?

[Traduction]

M. Sauvé : Merci de votre question. Je purge toujours une peine d’emprisonnement à perpétuité et je me rends dans l’établissement depuis la fin de 1998. Je vais dans les rangées. Je vais dans les entrailles de l’établissement. Les responsables du Service correctionnel du Canada me font-ils confiance pour me laisser entrer dans l’établissement? Ils ont les clés. Ils m’autorisent à entrer.

Nous le faisions régulièrement. Auparavant, il y avait 26 intervenants accompagnateurs dans l’ensemble du pays qui se rendaient dans tous les établissements au pays, et on nous a fermé la porte. La porte était fermée. Ils nous ont interdit l’entrée à l’établissement.

Nous frappons toujours à la porte en disant : « Hé, nous voulons revenir. Nous voulons faire partie de la solution. »

[Français]

La sénatrice Mégie : D’accord, merci.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Mes questions s’adressent à Mme Acoby et à M. Sauvé. Pendant votre incarcération, avez‑vous eu besoin de soins de santé, en particulier de tout type de soutien en santé mentale?

Si oui, comment évalueriez-vous votre accès à ces soins? Comment envisageriez-vous d’améliorer ces soins? Certains aspects du projet de loi relatifs aux changements dans les soins de santé me déconcertent un peu.

Mme Acoby : D’après mon expérience, l’accès aux soins de santé mentale en milieu carcéral était très médiocre. J’étais visée par un protocole de gestion au niveau de sécurité maximale renforcée, comme je l’ai expliqué. Je devais rencontrer un psychologue. On a enlevé tous les meubles de la pièce. On m’a mise dans un coin, et le psychologue, dans un autre coin. Deux agents correctionnels se tenaient de chaque côté de moi.

Cela a duré longtemps. J’ai refusé de participer à une rencontre avec le psychologue, ce qui m’a en fait empêchée d’avancer. On m’a dit que c’était l’une des nombreuses raisons qui m’avaient empêchée d’être réintégrée au sein de la population régulière ou de suivre les étapes du protocole de gestion. J’ai dit que je ne participerais pas aux réunions psychologiques en présence de personnel correctionnel.

Lorsque je refusais de participer à des évaluations rédigées ou soumises par des psychologues du SCC, ceux-ci procédaient à un examen du dossier, en fonction du choix de représentants du SCC. Ils sélectionnaient différents dossiers à leur transmettre, puis ils formulaient des recommandations fondées sur l’examen du dossier.

Mon expérience avec des psychologues et des psychiatres dans l’établissement n’a pas été bonne. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à travailler avec un psychiatre indépendant en 2015, qui n’est pas tenu de divulguer quoi que ce soit au SCC, que j’ai été en mesure de surmonter beaucoup de traumatismes et d’actes de violence auxquels j’avais été confrontée tout au long de ma vie en milieu carcéral.

Si je devais dire quelque chose, je dirais que l’accès à un psychiatre ou un psychologue indépendant, à l’extérieur du SCC, est une mesure essentielle.

Le sénateur Ravalia : Monsieur Sauvé, s’il vous plaît.

M. Sauvé : Je suis tout à fait d’accord avec ce que je viens d’entendre. On pourrait supposer qu’il y aurait plus de psychologues et de psychiatres travaillant dans les établissements carcéraux, mais on s’appuie à l’excès sur l’évaluation des risques plutôt que sur l’étude des cas réels.

Souvent, il est difficile d’avoir accès à un psychologue ou un psychiatre. Lorsque vous communiquez ouvertement avec les personnes que vous considérez comme étant celles qui vous traitent et qu’elles vous évaluent, cela peut vous hanter, car il arrive que le compte rendu de la conversation soit inexact.

Il peut s’écouler des décennies avant que vous vous retrouviez devant la Commission des libérations conditionnelles, à l’étape où vous êtes le plus vulnérable. Si vous avez assez de chance et que vous parlez à un psychologue ou à un psychiatre, 10, 15 ou 20 ans plus tard, de quoi vous souvenez-vous? Avec de multiples peines d’emprisonnement à perpétuité et au terme de la clause de la dernière chance, comment vous souvenez-vous des traumatismes que vous avez vécus pendant votre enfance, il y a 25 ou 30 ans? Cela ne suscite pas la confiance. Cela suscite la méfiance.

Je conviens que la présence de psychologues et de psychiatres indépendants à des fins de traitement et non d’évaluation est primordiale dans les établissements.

La sénatrice Pate : J’aimerais revenir sur quelque chose dont vous avez toutes les deux parlé. Madame Finestone, je crois que vous avez assisté à certaines des consultations où nous avons entendu le commissaire du service dire que la présence des agents correctionnels sera l’une des façons d’obtenir des contacts humains « réels ».

À la lumière de ce que vous avez signalé, madame Acoby, pourriez-vous nous dire ce que signifie avoir des contacts avec des personnes en présence d’agents correctionnels? La question souvent soulevée, c’est que la personne serait autrement susceptible de présenter un risque pour le professionnel, l’employé ou d’autres détenus, et c’est pourquoi la présence des agents correctionnels est exigée.

J’aimerais vous entendre à ce sujet et aussi sur les contacts réels que vous avez eus avec des gens de l’extérieur lorsque vous étiez en isolement, que ce soit vos enfants, vos autres proches ou quiconque à l’extérieur de la collectivité, à l’exception des organisations qui pourraient venir.

Comment ces contacts ont-ils changé au fil des ans, si vous pouvez nous dire quoi que ce soit à ce sujet?

Mme Acoby : Pendant une minute, je pensais que j’avais des brûlures d’estomac à cause de mon dîner, mais en fait, je me rends compte que je suis très en colère à l’idée qu’une organisation comme l’AFAC irait suggérer de façon absurde que les agents correctionnels devraient être présents. Je ne suis pas non plus vraiment surprise, parce que mon expérience avec l’AFAC dans le passé n’a pas été bonne.

La sénatrice Pate : Je suis désolée de vous interrompre. Elle était à la consultation, mais c’est le commissaire du service qui a dit qu’il devrait y avoir deux membres du personnel présents.

Mme Acoby : Donc ce n’était pas l’AFAC.

La sénatrice Pate : Non, non.

Mme Acoby : Bien. Je me suis énervée pour un moment.

Si je pense à ma propre expérience, j’ai vu qu’on l’a fait avec beaucoup de femmes et d’hommes différents, parce qu’ils nous gardaient dans le pénitencier pour hommes à un certain moment. Les agents correctionnels devaient être présents quand moi, personnellement, ou d’autres femmes dans des unités d’isolement, nous trouvions en réunion ou avec des aînés. Si nous voulions pratiquer la purification, nous devions le faire par l’ouverture, et deux agents correctionnels se trouvaient de part et d’autre de l’aîné. On finissait par se pencher et essayer de faire entrer la fumée. L’aîné utilisait une plume pour la faire pénétrer, et les agents se tenaient à l’extérieur, de part et d’autre de la porte de la cellule, pendant la purification.

Leur justification, c’était que moi ou d’autres femmes pourrions nous emparer d’une braise ardente et la lancer aux employés ou à l’aîné. Donc, vous ne voulez pas participer à une pratique de purification, et, comme je l’ai dit, cela comporte des ramifications en raison de chaque restriction qu’on vous impose. Que ce soit la présence des agents correctionnels à des réunions ou même à des purifications, vous ne voulez pas participer, parce que vous ne pouvez pas être honnête ou n’avez pas envie de vous sentir vulnérable lorsque deux agents correctionnels sont présents.

Comme je l’ai dit, les ramifications, c’est qu’ils commencent à dire : « Non, vous ne participez pas à des activités spirituelles » et « Non, vous ne participez pas à des interventions psychologiques ». On vous considère comme peu coopérative ou comme une personne qui ne participe pas pleinement à son programme correctionnel.

Il n’y a vraiment aucune façon pour vous d’aller de l’avant. Étant donné toutes les barrières et les restrictions qu’ils vous imposent, vous vous repliez. Comment êtes-vous censée accéder à votre spiritualité ou dire en privé à un aîné : « Je suis blessée »? C’est ce que vous vivez quand deux agents correctionnels situés de part et d’autre de la porte écoutent tout ce qui se passe puis utilisent des observations, des déclarations et des rapports d’agent pour consigner tout ce que vous avez dit.

Quelle était la deuxième question?

La sénatrice Pate : Il s’agissait des contacts avec votre famille et vos autres proches.

Mme Acoby : C’était très difficile d’avoir des contacts avec ma fille. Ma sœur s’occupait de mon enfant après qu’elle m’a été retirée dans le pavillon de ressourcement. J’ai vraiment eu du mal à obtenir l’accès à un type de contact humain quelconque. On leur donnait le téléphone pour quelques heures. On me laissait parler au téléphone aussi longtemps que je le voulais, à condition que je paye ou que ma famille téléphone à l’établissement. À un certain moment, cette option était offerte aux femmes qui se trouvaient dans un établissement à sécurité maximale.

C’était très difficile d’obtenir l’accès même à un stylo ou à du papier, parce que cela aussi devait se mériter. J’étais limitée quant au nombre de feuilles de papier que je pouvais avoir dans ma cellule, ou les stylos et le papier devaient être retournés avant 16 heures. S’ils n’étaient pas retournés avant un certain moment, vous pouviez perdre vos privilèges de droit à un stylo ou privilèges d’écriture jusqu’à ce qu’on détermine que vous les aviez regagnés.

Ce genre de choses se produisait dans de multiples établissements. Aucun plan de réinsertion n’était jamais le même. Il était difficile d’essayer d’établir un certain type de contact familial ou constant. Comme tout le monde le sait, si vous êtes dans un établissement à sécurité maximale, vous n’avez pas droit à des visiteurs et n’avez absolument pas le droit d’aller dans les unités de visites familiales privées.

M. Sauvé : Je n’ai jamais subi l’affront de me trouver en isolement pendant des périodes prolongées. Quand j’étais dans l’Établissement de Millhaven, il y avait là-bas des USD. Quand on m’a envoyé au trou la semaine dernière, cela a déclenché des symptômes, où je me rappelle clairement avoir eu un souvenir fulgurant : sentir le gaz lacrymogène et entendre les gars crier que quelqu’un venait d’être tabassé et envoyé en isolement. Ils demandaient qu’on communique avec les médias ou qu’on communique avec qui que ce soit d’autre pour qu’il vienne les voir.

Les fois que je me suis retrouvé en isolement dans les prisons de comté, c’était en raison de la nature de mon infraction. Je n’avais pas encore subi un procès. Nous n’avions pas accès à qui que ce soit. Nous étions seulement gardés en isolement.

À l’Établissement de Collins Bay, quand j’ai été placé en isolement, c’était par rapport à une enquête qui n’avait absolument rien à voir avec moi. J’ai été mis dans une cellule vidée de son contenu. C’était dans l’ancien bloc B2, qui est verrouillé. Il n’y avait pas de toilette. Il n’y avait rien. On m’a dénudé, parce que la police voulait voir mon pyjama, et c’était tout ce que je portais. J’étais nu là-bas.

J’ai demandé si je pouvais appeler un avocat, et on m’a dit : « Non ». Je ne savais même pas pourquoi j’étais là-bas. Je n’ai pas eu de contact avec qui que ce soit jusqu’à ce qu’ils terminent leur enquête et me relâchent.

Je suis allé chercher mon dossier d’isolement, parce que j’effectuais quelques recherches en parcourant tous mes dossiers. Je possédais des boîtes de dossiers, j’ai trouvé mon dossier d’isolement, et étrangement, il était écrit : « Enfermé par la Police provinciale de l’Ontario. Libéré sous l’ordre de la PPO ». C’est tout ce qu’il disait.

Le sénateur Kutcher : Ma première question s’adresse à Mme Acoby. Nous vous avons entendu dire que vous ne croyez pas que les UIS soient différentes de ce qu’elles étaient auparavant. Nous avons également entendu d’autres personnes dire la même chose.

Une des questions qui sont ressorties comme étant très positives dans les témoignages que nous avons entendus a été l’augmentation de deux à quatre heures de contact par jour. J’aimerais que vous nous disiez si vous pensez que cette augmentation fait une différence manifeste dans la vie des gens qui seraient en isolement.

Mme Acoby : Non, je ne crois pas que cela aurait une incidence ou ferait une différence. Si un détenu est considéré comme imprévisible ou difficile, le SCC a toujours l’option de ne pas autoriser les détenus, particulièrement les détenus masculins, à sortir de leur cellule de la journée ou à se doucher aux deux jours. Il y a toujours quelque chose d’intégré là-dedans qui n’a pas changé à cet égard, pas à ma connaissance. Le SCC aurait toujours le pouvoir décisionnel de décider si quelqu’un obtient deux heures de sortie.

S’il veut utiliser cette mesure de manière punitive, ce qui est souvent le cas, il peut dire : « Non, vous obtenez une heure à l’extérieur de votre cellule ». Je ne peux pas voir l’efficacité de cette mesure. Lorsque deux heures de contacts humains sont mis en contexte, vous vous trouvez toujours en isolement cellulaire. Je ne crois pas que cela changera quoi que ce soit ou que ça aiderait.

Le sénateur Kutcher : Monsieur Sauvé, je veux vous remercier d’utiliser un langage plus clair. Je dois avouer que, durant la discussion, je me demandais si le mot « isolement » était utilisé avec euphémisme pour signifier isolement cellulaire. Vous avez parlé du « trou », qui comporte une connotation très différente de celle que véhicule le mot « isolement ».

Dans des témoignages précédents, on nous a dit que, parfois, les détenus demandent à être isolés d’autres détenus ou qu’ils sont isolés d’autres détenus pour leur propre protection. Y a-t-il des meilleures façons ou des solutions de rechange à l’isolement cellulaire pour séparer une personne des autres si un détenu souhaite être isolé des autres ou a besoin d’être isolé pour sa propre protection?

M. Sauvé : Je crois qu’il y a de meilleures façons. Je connais des gars, des détenus, qui ne peuvent parfois pas être transférés d’un établissement parce que quelqu’un dit : « Vous avez un détenu incompatible là-bas ».

Puis-je utiliser une résolution informelle pour régler la question? Non, on ne vous permettra pas de le faire. Pourquoi ne pouvons-nous pas utiliser de résolution informelle? Pourquoi ne pouvons-nous pas faire venir certains médiateurs? Pourquoi ne pouvons-nous pas trouver une certaine manière de régler la question sans dire : « Non, nous allons vous garder en isolement; nous allons vous garder dans le trou »?

Comme je l’entends dire si souvent, quand le sénateur Klyne et la sénatrice Pate étaient à l’Établissement de Collins Bay, j’ai entendu dire que certains des détenus souhaitaient être en isolement pour leur propre sécurité. Pourquoi personne ne vient‑il leur parler pour savoir quels sont les problèmes?

J’entends des gens dire qu’ils ont besoin d’aller en isolement parce qu’ils ont des pensées suicidaires ou des problèmes de santé mentale. Pourquoi ne sont-ils pas traités pour cela plutôt que d’être isolés?

Il n’est pas logique, selon moi, d’utiliser l’isolement et la séparation comme première mesure d’intervention. Ce n’est pas l’isolement, c’est un trou. Cela ne fait aucun doute. C’est un trou.

La sénatrice Dasko : À certains égards, ma question fait suite à celle que le sénateur Kutcher vient juste de poser.

En ce qui concerne le public canadien, il a tendance à se préoccuper des questions de sécurité des détenus et du personnel. Selon ce que nous avons entendu, nous ne sommes pas certains s’il y aura une transition, mais s’il y a bel et bien une transition entre l’isolement et les UIS, et si l’on réfléchit seulement à votre propre expérience dans les établissements, y a-t-il des préoccupations en matière de sécurité qui sont pertinentes à votre avis?

Mme Acoby : Le Syndicat des agents correctionnels du Canada reçoit beaucoup de formation. Il s’exerce abondamment en utilisant le Modèle de gestion des situations d’urgence à l’intérieur des établissements carcéraux ou pour évaluer les situations. J’ai l’impression qu’il reçoit beaucoup de formation pour composer avec des situations, et c’est le cas.

Je ne dis pas qu’un établissement carcéral est dépourvu de risques. C’est une prison. On n’est pas dans le monde de Passe-Partout. Globalement, je ne crois pas qu’il y a beaucoup de risques de sécurité inhérents dans les établissements carcéraux. J’ai l’impression que beaucoup de gens veulent faire de grands progrès et des efforts de réinsertion pour être remis en liberté dans la collectivité.

Personne n’aime la prison. Il y a peut-être des gens qui y sont depuis longtemps et qui deviennent graduellement institutionnalisés, et qui craignent peut-être un peu de sortir dans le monde, mais honnêtement, je ne crois pas que quiconque aime la prison. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de risques de sécurité inhérents.

M. Sauvé : Je me préoccupe de la sécurité du public, de ma famille, de mon quartier, des gens qui travaillent à l’intérieur de l’établissement carcéral et des détenus qui sont là-bas.

Je trouve un peu étrange que des bénévoles de la collectivité puissent se rendre dans un établissement à sécurité maximale et s’asseoir avec 20, 30 ou 40 détenus, sans qu’il y ait de personnel dans le gymnase ou dans la salle de classe. Je vois des agents de libération conditionnelle individuels qui rencontrent des clients. Deux agents de sécurité vont les faire venir, les laisser dans le bureau et s’en aller.

Parfois, on a la perception d’un danger. Oui, la prison peut se révéler une expérience dangereuse. Quand j’étais dans l’établissement à sécurité maximale, pas aussi longtemps que ma collègue, ce qui m’a frappé, c’est que quand les détenus se déplaçaient, le personnel était enfermé. Quand les détenus étaient enfermés, le personnel se déplaçait.

Je trouvais toujours étrange de voir un gardien particulier se promener le long de la rangée quand tout le monde était sorti, et de voir les détenus aller lui parler. Si nous gardons constante la perception du danger et de la peur, cela crée une situation encore plus explosive.

Je suis d’avis qu’il devrait y avoir plus d’interactions. Il devrait y avoir plus de gens de la collectivité qui viennent dans les établissements carcéraux. Auparavant, à l’Établissement de Collins Bay, nous avions les Olympiades des personnes exceptionnelles. Des centaines de personnes, des bénévoles et des personnes handicapées — non, elles n’avaient pas de handicap — se précipitaient dans l’établissement pour travailler et être libres à l’intérieur d’un établissement carcéral. Certains détenus étaient comme des frères pour les gens qui venaient dans l’établissement.

Je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu de la violence. Je n’ai pas souvenir qu’on ait eu peur. En fermant les portes à la collectivité, nous avons entretenu le mythe que les établissements carcéraux sont absolument horribles. Ils le sont, mais c’est nous qui avons créé cela. Je crois que le ratio entre les employés et les détenus est de un pour un.

La sénatrice Dasko : Ce n’est pas comme une salle de classe, n’est-ce pas?

M. Sauvé : Ce n’est vraiment pas comme une salle de classe.

Le sénateur Munson : Quand je siégeais au Comité des droits de la personne, nous nous sommes rendus dans les établissements carcéraux dont vous avez parlé. Un des grands problèmes, c’était de créer des plans de libération pour les détenus dont la date de libération conditionnelle approchait. Chacun d’entre eux disait qu’il n’était pas psychologiquement prêt.

Ils ont besoin d’un plan de libération pour sortir, et ce genre de choses n’était pas en place. Ils n’étaient pas préparés, psychologiquement ou émotionnellement, pour avoir les documents.

Y a-t-il quoi que ce soit dans le projet de loi qui aide cette situation ou la change complètement? Ils sont prêts à partir, mais ils ne sont pas préparés à le faire, selon ce qui se passe à l’intérieur de l’établissement.

M. Sauvé : Je suis allé quelques fois à l’Établissement Grand Valley, mais pas depuis un certain nombre d’années.

Je crois et j’adhère à une philosophie que j’utilise quand je travaille avec des hommes à l’intérieur des établissements carcéraux. Je prépare les gens à réussir lorsqu’ils seront en libération conditionnelle, non pas à se rendre jusqu’à la porte, mais après qu’ils ont franchi la porte, afin qu’ils puissent mener une vie productive.

J’admire la solidité de ma collègue après un si long isolement. Je ne crois pas que je pourrais le faire. Je ne crois pas qu’on insiste assez, dans les établissements carcéraux, sur la vie après l’incarcération. On ne parle que de franchir la porte, mais qu’arrive-t-il par la suite? C’est ce qui manque.

La sénatrice Pate : Par rapport à ce que vous venez de dire, monsieur Sauvé, peut-être pourriez-vous parler tous deux de ces questions. Combien de fois avez-vous vu des transfèrements au titre de l’article 29 pour envoyer dans les hôpitaux des personnes qui ont des problèmes de santé mentale? Combien de fois avez‑vous vu des transfèrements visés à l’article 81 ou des déplacements d’hommes ou de femmes dans des collectivités autochtones afin qu’ils puissent purger leur peine? Quelle est l’efficacité du processus de grief existant?

Mme Acoby : Je n’ai pas vu beaucoup de transfèrements au titre de l’article 29 vers des établissements de santé mentale pour femmes. J’en ai vu quelques-uns où les femmes étaient transférées contre leur gré ou étaient internées pour quelques jours, et il devait y avoir des interventions. Je crois que vous avez été mêlé à quelques interventions où les gens vous appelaient immédiatement et des choses du genre. Je n’ai vraiment pas considéré cela comme une option.

Je sais que, à un moment, il y avait un contrat avec Brockville, qui est, je crois, un établissement psychiatrique près d’Ottawa. Il n’y a que deux places pour les femmes qui pourraient avoir besoin des ressources d’un établissement psychiatrique plutôt que d’un établissement carcéral. Même essayer de se rendre à un établissement était difficile, parce qu’il y avait deux places. C’est vraiment difficile d’être transféré vers un établissement, car ceux qui souffrent habituellement de problèmes de santé mentale sont mis en isolement et considérés comme présentant le plus grand risque; c’était le cas d’Ashley Smith, que nous connaissons tous très bien.

Les articles 81 et 84 sont vraiment sous-utilisés. L’article 81 serait plus pragmatique. Pour les gens qui sont désignés comme des délinquants dangereux ou qui purgent une peine d’emprisonnement à vie ou juste de longues peines, l’article 81 leur permettrait en fait de réintégrer la collectivité à tout moment de leur peine.

Je ne dis pas qu’une personne qui vient de recevoir une peine de 25 ans sera en mesure d’aller dans la collectivité après deux années d’incarcération, mais il est plus facile pour les délinquants de longue durée de commencer le processus de réinsertion, d’apprendre à connaître la collectivité et peut-être de voir les nouvelles technologies qui sont apparues, de sorte qu’ils ne soient pas craintifs lorsqu’ils sortiront.

J’aimerais raconter rapidement l’histoire d’un ami à moi. C’était un détenu incarcéré depuis l’âge de 19 ans qui a obtenu la libération conditionnelle dans sa quarantaine. Il ne savait pas comment utiliser une machine Keurig, une machine à café à dosettes uniques. Je n’utilise pas cette machine, mais quelque chose d’aussi simple que cela a changé les choses pour les gens incarcérés depuis longtemps. Ils ne connaissent pas tous ces gadgets.

Même le fait d’avoir accès à des permissions de sortir avec escorte de façon régulière, qui sont aussi vraiment difficiles à obtenir, faciliterait la réinsertion en temps opportun ou même juste la réinsertion pour les détenus qui purgent une peine de courte ou de longue durée globalement. Il doit y avoir un comité indépendant qui participe à la réinsertion et à la facilitation des permissions de sortir avec escorte (PSAE). C’est assez difficile de s’en remettre à un établissement pour décider à quel moment vous pouvez vous réintégrer et à quel moment vous avez gagné votre liberté si vous avez beaucoup offensé les responsables dans le passé.

M. Sauvé : Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Je sais que je vous en ai parlé, sénatrice Pate, mais un jeune homme a reçu sa peine d’emprisonnement à perpétuité à 16 ans, avec possibilité de libération conditionnelle après 7 ans. C’était un détenu autochtone qui était passé d’une famille d’accueil jusqu’à un établissement carcéral, en passant par une école de formation. Il a été incarcéré pendant 17 ans. Il a récemment été transféré d’un établissement à un autre parce qu’on a dit qu’il avait été impliqué dans une altercation physique.

Le commentaire que j’ai entendu était le suivant : « Nous avons essayé chaque intervention à laquelle nous avons pu penser ». J’ai dit : « Avons-nous essayé la réinsertion? Il n’a jamais eu sa chance dans la collectivité ».

Mme Finestone : Je pourrais peut-être parler de mes consultations au sujet de l’article 81. Beaucoup de gens ignoraient son existence. Durant mes consultations, j’ai entendu des gens incarcérés dire qu’on leur avait souvent dit de retirer leur demande si un gardien de prison n’était pas venu les voir, ou sinon, celui-ci ne les appuierait pas.

Pour me faire l’écho de mes collègues au sujet de la réinsertion, la même femme a essentiellement dit que la première fois qu’elle est rentrée à la maison, qui se trouvait dans une province différente de l’établissement carcéral, elle ne savait pas du tout quoi faire en sortant de l’avion. Il n’y avait personne pour l’aider.

M. Sauvé parle de la façon de réussir. Les gens ont besoin de soutien pour réussir. Il y a des exemples comme le fait de trouver une maison pour la première fois, de sorte qu’ils ne se retrouvent pas dans la rue à commettre des crimes. Ce sont des choses auxquelles nous devons réfléchir lorsque nous pensons à la réinsertion.

La présidente : Je vous remercie tous les trois des témoignages utiles que vous avez fournis dans le cadre de notre étude. Je tiens aussi à vous remercier spécialement, sachant que vous avez dû organiser votre horaire pour être ici aujourd’hui, car nous vous avons demandé de comparaître à la dernière minute. Le comité souhaitait vraiment entendre ce que vous aviez à dire, donc je vous remercie de vous être rendus disponibles.

Nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-83. Avant que je présente nos témoins, nous devrons suspendre nos travaux à 17 h 15, car les cloches sonneront pour le vote à 17 h 30, après quoi nous reviendrons avec notre troisième groupe de témoins.

Je souhaite la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins. C’est le temps que nous aurons avec vous pour vos déclarations liminaires et vos questions.

[Français]

Nous recevons M. Jason Godin, président national sortant du Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN, et M. Glen Brown, formateur en justice pénale au Collège Langara.

[Traduction]

J’aimerais vous rappeler que vous avez chacun cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.

Jason Godin, président national sortant, Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN : Nous représentons plus de 7 300 membres qui travaillent dans les établissements carcéraux de l’ensemble du pays. En tant qu’agents du maintien de l’ordre, nous formons une composante cruciale de Service correctionnel Canada et permettons ainsi au SCC de remplir son mandat de maintien de la sécurité publique 24 heures sur 24, 365 jours par année.

Le rôle que joue l’isolement au sein du système carcéral canadien, à l'échelon provincial comme fédéral, a récemment suscité beaucoup d’attention. Il a été soigneusement examiné, et les conséquences de l’isolement ont été analysées et débattues par des intellectuels et par les critiques du système judiciaire.

Avec le dépôt du projet de loi C-83, récemment, le SCC sera forcé de changer radicalement sa manière de gérer les populations carcérales. L’adoption de ce projet de loi se traduira par des changements des politiques opérationnelles.

Je vais essayer de ralentir pour les interprètes. Je vais peut-être sauter par-dessus quelques parties de mon exposé, mais en voici certaines que je veux mettre en lumière.

Si le projet de loi est adopté, le SCC sera forcé de mettre en place une politique qui modifiera radicalement la manière dont il gère les segments les plus difficiles de la population carcérale. Comme nous l’avons vu avec les récents changements de la politique DC 709, où le recours à l’isolement a été remplacé par les unités d’intervention structurée, le SCC aura encore plus de difficulté à réaliser son mandat, soit exercer une surveillance sécuritaire et humaine des populations carcérales.

Nous sommes préoccupés par ces révisions, car elles semblent réduire la possibilité de recourir à l’isolement pour assurer la sécurité d’un détenu ou celle du personnel, qui figure à l’article 37.3. Nous ne voulons en aucun cas insinuer que ce projet de loi est sans mérite.

Même si UCCO-SACC-CSN reconnaît que l’efficacité d’un système correctionnel repose sur sa capacité d’adaptation, il faut se rappeler que nos membres ont la tâche d’assurer la sécurité des détenus et du personnel carcéral dans les pénitenciers.

Si on élimine l’isolement préventif et disciplinaire, la capacité de garder le contrôle des diverses populations sera substantiellement touchée. Nous comprenons que le recours trop fréquent à l’isolement comme mesure disciplinaire peut engendrer un résultat négatif. Il y a néanmoins des situations où une réponse immédiate à un comportement dangereux est nécessaire.

Nous avons été témoins de l’impact inattendu des changements de la politique correctionnelle, notamment la DC 709 et la DC 843. Ces politiques ont considérablement réduit la possibilité du SCC de gérer ses établissements à l’aide de l’isolement. Quoique bien intentionnés, ces changements ont mené à une hausse marquée de la violence dans les milieux carcéraux fédéraux.

Les données préliminaires publiées par le Bureau de l’enquêteur correctionnel sur les répercussions de ces amendements donnent quelques indications des retombées opérationnelles de ces changements. L’analyse révèle une nette corrélation entre la réintégration de ces détenus dans la population de l’établissement et les incidents violents.

Il faut également considérer la nature transitoire du projet de loi C-83. S’il est adopté, tous les détenus assujettis à l’isolement disciplinaire ne le seront plus, conformément aux articles 39 et 40. Sa mise en œuvre entraînera des changements immédiats à la gestion des délinquants violents dans les populations carcérales, sans égard à la façon dont ils seront dorénavant gérés.

Le projet de loi C-83 cherche aussi à modifier la manière dont est géré le segment le plus difficile de la population carcérale. Les détenus vivant dans les unités d’intervention structurée auront l’occasion d’interagir avec les autres détenus pour au moins deux heures et auront le droit de passer quatre heures à l’extérieur de leur cellule. Malgré les bonnes intentions qui sous‑tendent ces changements, ces derniers ne sont pas viables avec le personnel et l’infrastructure actuels.

Bon nombre des détenus actuellement placés en isolement le sont pour leur propre protection puisqu’ils sont extrêmement vulnérables. Afin de respecter les dispositions du projet de loi, ces détenus requerront une surveillance directe et constante de la part d’un nombre limité d’agents correctionnels et de travailleurs des soins de santé.

De façon générale, si la mise en place du modèle des unités d’intervention structurée au lieu des unités d’isolement allait de l’avant, nous espérons que ces changements seront mis en œuvre graduellement afin qu’ils puissent être adéquatement évalués et corrigés, au besoin.

Il est encourageant de noter que la commissaire conserve le pouvoir discrétionnaire de prolonger au-delà de 30 jours le statut d’un détenu placé dans des unités d’intervention structurée, ce qui permet aux agents correctionnels de gérer les délinquants à risque élevé, instables ou au comportement autodestructeur sans être pris avec des délais fixes. Malheureusement, une récente décision a maintenant imposé des plafonds fermes aux délais. J’en parlerai un peu plus tard.

Avec la mise en place des unités d’intervention structurée, la possibilité pour le SCC de restructurer les installations existantes pour respecter les critères établis dans le projet de loi C-83 demeure floue. Les changements découlant de l’adoption de ce projet de loi vont limiter la capacité d’un établissement de répondre aux besoins de certains détenus et de ceux de la population carcérale générale, de respecter son mandat et de fournir un environnement de travail sécuritaire à ses employés.

Si ces changements sont adoptés, l’implantation de changements structurels significatifs sera nécessaire pour que le SCC puisse continuer à se conformer aux priorités stratégiques cruciales à l’échelon de l’établissement.

De plus, depuis 2005, nous demandons la création d’unités spéciales de détention pour les femmes. En effet, malgré les efforts déployés, certaines délinquantes affichent des comportements qui ne peuvent tout simplement pas être contrôlés de façon sécuritaire dans les établissements réguliers du modèle actuel. Dans des circonstances similaires touchant les détenus masculins, le SCC a la possibilité de transférer un détenu autrement ingérable dans une unité d’intervention structurée au Québec.

Au fil du temps, faute d’options, des délinquantes ont été placées en isolement pendant de trop longues périodes. Cependant, en vertu de l’orientation énoncée dans le projet de loi C-83, le SCC sera peut-être forcé de transférer ces détenues de façon régulière et continue pour se conformer à la loi.

Les mêmes circonstances que celles qui ont marqué l’incarcération d’Ashley Smith deviendront plus courantes, ce qui ne servira ni le détenu ni le mandat législatif du SCC. Pourtant, tant que des modifications ne sont pas apportées aux infrastructures, nous devrons vivre avec cette réalité.

Après l’élimination de cet outil d’isolement, le SCC sera forcé de gérer les groupes de détenus en créant des sous-populations. Dans les faits, ces détenus se retrouvent isolés, sans toutefois être placés en isolement. Cette façon de faire est déjà appliquée sous diverses formes. Par exemple, des détenus sont davantage confinés à leur cellule ou à leur rangée pendant la journée. De plus, les restrictions gérant le moment où les différents groupes de détenus pourront accéder à la cour seront plus courantes.

Même si ces options sont assurément viables, elles dépendent entièrement des infrastructures physiques. Implanter de telles options dans des lieux qui n’ont pas été conçus pour ce faire augmente le risque et exerce une pression inutile sur le personnel qui y travaille et les détenus qui y vivent.

La décision récente de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) montre que le placement des détenus en isolement préventif pendant plus de 15 jours constitue un traitement cruel et inhabituel. Cette décision est tout le contraire de l’arrêt Burnside de la Cour supérieure de la Nouvelle-Écosse, où le juge Kevin Coady s’est dit convaincu que le détenu savait comment vivre dans une unité, mais ne pouvait pas maîtriser son comportement pour atteindre cet objectif au sein du cadre d’un établissement. Par conséquent, il a conclu que le placement du détenu en isolement préventif était raisonnable compte tenu de son modèle de comportement.

Dans de récents documents déposés au tribunal par le gouvernement, où on a accordé une prolongation pour ne pas imposer une limite de 15 jours, le gouvernement a immédiatement laissé entendre que l’imposition d’une limite de 15 jours pourrait à tout moment provoquer le chaos dans les pénitenciers. Nous sommes d’accord avec cette analyse.

Dans un affidavit déposé avec la requête en sursis provisoire, le directeur de l’Établissement de Joyceville, à Kingston, a déclaré qu’un délai de 15 jours ne laisserait pas suffisamment de temps au personnel pour évaluer de manière adéquate les nouveaux détenus potentiellement dangereux avant de devoir les retirer des cellules d’isolement et les renvoyer dans la population générale avec d’autres détenus. Dans de nombreux cas, les détenus ont refusé de sortir de l’isolement après 15 jours, obligeant les agents correctionnels à recourir à la force.

Le SCC a indiqué qu’il y a eu des cas où une tentative de recours à la force pour retirer un détenu d’un isolement préventif s’était heurtée à de la violence de la part du détenu à l’endroit d’autres détenus ou de membres du personnel, ou à des comportements autodestructeurs dans le but de demeurer maintenu ou d’être renvoyé en isolement préventif.

Pour terminer, nous reconnaissons que les changements des priorités stratégiques afin de s’adapter aux tendances émergentes et aux politiques opérationnelles sont une réalité du travail. Cependant, inclure nos membres dans les discussions entourant ces changements, et ce, avant leur implantation, est un élément critique pour que l’on puisse s’assurer de leur efficacité. Le SCC ainsi que le gouvernement qui délivre son mandat ont besoin de prendre conscience du fait que les changements apportés aux politiques peuvent grandement hausser le potentiel de situations instables au sein des pénitenciers, ce qui aura une incidence sur la sécurité du personnel et des détenus.

En conséquence, nous espérons que vous prendrez en considération nos préoccupations et nous permettrez dorénavant de collaborer en tant que partenaires afin d’obtenir les meilleurs résultats possible.

J’ai remis au comité mon exposé, qui renferme un ensemble de recommandations.

Glen Brown, formateur en justice pénale, Collège Langara, à titre personnel : Étrangement, et peut-être malheureusement, cela fait maintenant plus de 40 ans que j’examine des sujets comme celui-là. J’ai étudié la criminologie en sortant de l’école secondaire, j’ai passé 33 ans auprès des services correctionnels fédéraux et j’enseigne les services correctionnels et la criminologie à l’Université Simon Fraser et au Collège Langara depuis les quatre dernières années. Mes enseignements portent surtout sur des questions correctionnelles.

Je me suis joint au SCC en 1978, dans la foulée du rapport parlementaire McGuigan sur le système pénitentiaire. C’était le début de 25 années de changements assez progressistes survenus au Service correctionnel du Canada. En 1996, lors de la parution du rapport Arbour, j’ai été nommé directeur adjoint de l’Établissement de Matsqui, et je suis devenu directeur en 2006. Dans le cadre de ces fonctions, j’étais responsable de l’unité d’isolement.

Je vais parler un peu des dommages psychologiques. Dans une certaine mesure, le cheval s’est échappé de l’écurie dans ce cas‑ci, mais j’estime que je dois en parler.

Pendant des années, j’ai interviewé des détenus placés en isolement au moins chaque semaine et toujours en personne. Nous avons beaucoup entendu parler de la fente qui sert à passer les assiettes, qui a été mentionnée encore aujourd’hui. On en a parlé dans la récente décision du tribunal. Je peux vous dire que, quand je parlais aux détenus de façon hebdomadaire, c’était en personne, que ce soit à travers la porte ouverte de la cellule, dans mon bureau ou dans une salle d’entrevue. On examinait toujours soigneusement les cas, et les agents correctionnels, les gestionnaires de cas, le personnel infirmier, les psychologues, les aumôniers et les aînés nous fournissaient une rétroaction. Il était bien rare de voir un quelconque signe de préoccupation en matière de santé mentale.

J’ai essayé de résoudre cette incohérence entre ma conclusion d’une absence de conséquences en matière de santé mentale découlant de l’isolement et les récentes conclusions des tribunaux selon lesquelles il existe des liens forts et des liens de cause à effet. Les tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario arrivent à leurs conclusions sans aucun document de recherche canadien qui confirme les dommages psychologiques découlant de l’isolement. Il n’y a eu aucun témoignage de cliniciens en exercice qui ont confirmé les dommages dans des établissements du SCC. Ils ne se sont jamais non plus prononcés sur la situation d’un détenu particulier dans une unité d’isolement au moment de parvenir à leurs conclusions relativement à ces décisions.

Plutôt, ces tribunaux se sont fortement appuyés sur des chercheurs américains qui témoignent habituellement sur la question. Craig Haney, un psychologue de l’Université de la Californie, a témoigné devant un comité sénatorial américain en 2012 sur la façon dont il percevait l’isolement cellulaire, soit un isolement de 23 heures par jour, des cellules sans fenêtre, l’isolement à long terme durant peut-être des années, l’absence de contacts sociaux réels, aucune visite, pas même de conseillers juridiques, la possession limitée de biens dans la cellule et l’utilisation de dispositifs de retenue à l’extérieur de la cellule.

Fort des 12 ans que j’ai passés à l’Établissement de Matsqui, je trouve que chacun de ces éléments est carrément faux. Pourtant, nos tribunaux et d’autres sont heureux d’accepter cette caractérisation des environnements à sécurité maximale renforcée des États-Unis pour définir les expériences d’isolement au Service correctionnel du Canada.

La discussion est devenue idéologique et fondée sur des positions, et elle ne repose pas sur des données probantes. Je trouve particulièrement troublant que, dans la plus récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario, la cour ait fondé sa conclusion de dommages psychologiques sur le témoignage d’un avocat et d’un sociologue. À la cour de la Colombie-Britannique, on accorde de l’importance à des recherches phénoménologiques et à des enquêtes vieilles de dizaines d’années et on rejette les enquêtes à des fins de recherche plus poussées qui comprennent mieux le processus d’isolement.

Pour autant que je sache, l’étude du projet de loi à la Chambre des communes et au Sénat a été une parade d’avocats et de groupes de défense des intérêts, qui ont témoigné sans qu’on n’entende le témoignage d’experts en santé mentale ou des milieux correctionnels ou judiciaires.

Cela dit, je ne prétends pas que l’isolement soit du tout sain sur le plan psychologique, et je crois que son utilisation devrait être limitée. Toutefois, je ne crois pas que les unités d’intervention structurée soient la meilleure solution. Elles demeurent largement indéfinies sur le plan opérationnel. Elles pourraient produire des résultats contradictoires et imprévus. Il existe un risque réel qu’elles deviennent des refuges attrayants pour de nombreux détenus et augmentent en réalité le nombre global de détenus se retrouvant sous une certaine forme dans un hébergement restrictif.

Si l’objectif est de séquestrer des détenus à court terme pour régler un problème pressant, pourquoi équipons-nous ces unités de soins à long terme? Avec les UIS, les détenus se déplaceront essentiellement vers une autre unité et un autre établissement, dans certains cas, et l’équipe de gestion de cas et le directeur d’établissement deviendront moins actifs et moins responsables devant le détenu particulier. Il pourrait même y avoir un changement de l’équipe de gestion de cas.

Les détenus sont habituellement admis en isolement en période de crise, une crise qui présente la possibilité d’une intervention. Ce n’est pas le moment de désamorcer la responsabilisation ou de briser ou de rompre ces relations avec l’équipe de gestion de cas, avec qui le détenu pourrait avoir travaillé pendant des mois, voire des années.

Le ministre a parlé d’un investissement d’environ un demi‑milliard de dollars. Imaginez si ces fonds étaient directement investis dans des ressources destinées aux dépendances, à la santé mentale, aux Autochtones et à d’autres groupes racialisés, ainsi qu’aux services correctionnels communautaires.

Évidemment, il y a un besoin de changement. Je préférerais qu’on ne dépense pas cet argent dans des UIS, mais qu’on s’appuie de façon plus importante sur un examen externe indépendant afin de donner aux Canadiens la confiance dont ils ont besoin dans un système d’isolement.

Les changements doivent appliquer les Règles Mandela, soutenir un milieu correctionnel sain pour les employés et les délinquants, limiter l’utilisation de l’isolement et garder les choses simples. Les examens doivent être prévisibles et comporter une structure redditionnelle claire.

Les directeurs d’établissement devraient détenir les pleins pouvoirs durant les 15 premiers jours. Ils devraient continuer d’examiner les cas aux 24 heures, aux 5 jours et aux 15 jours. Un examen régional devrait être effectué par le sous-commissaire au 30e jour, puis le cas serait envoyé vers un examinateur externe indépendant au 60e jour. L’examinateur externe indépendant devrait être nommé par le gouverneur en conseil, et non par le ministre, tenir des audiences et prendre des décisions exécutoires.

On devrait consentir des investissements pour améliorer le lieu consacré aux activités et aux programmes. Des ressources supplémentaires devraient être fournies afin de permettre la surveillance psychologique et d’aider les détenus en isolement préventif, et le SCC doit élargir sa relation avec les universités afin que des recherches soient effectuées dans des établissements. À l’heure actuelle, rien n’est vraiment fait.

En conclusion, nous devons aller de l’avant en nous fondant sur les données probantes, non pas sur l’idéologie. Merci.

La sénatrice Seidman : Merci tous les deux de votre exposé. Monsieur Godin, nous avons beaucoup entendu parler des quelque 900 nouveaux postes créés pour répondre aux exigences liées à ces changements. Vous avez mentionné dans vos recommandations la bonification de la formation existante et la mise en œuvre d’une nouvelle formation pour offrir des outils supplémentaires aux agents correctionnels.

D’après votre évaluation de la situation, pensez-vous que le projet de loi et les ressources supplémentaires sont adéquats?

M. Godin : Je pense que nous devons faire attention en parlant des 900 postes. Il y en a en fait environ 700. Ils visent à remplacer des personnes qui partent à la retraite ou des personnes qui sont mutées ailleurs. Il ne s’agit pas de 700 agents correctionnels ni de 700 employés pour les unités d’intervention structurées.

Nous avons un problème lorsque nous parlons des ressources. Si nous avons une unité d’isolement — disons plutôt une unité d’intervention structurée —, on peut y trouver 54, 55 ou peut-être 76 détenus. J’ai vu des unités où les détenus étaient aussi nombreux. Le problème avec les ressources, c’est que, pour assurer la sécurité de tout un chacun, il faut habituellement deux agents correctionnels pour ouvrir une porte, de sorte qu’on puisse garantir que les détenus les plus instables sont escortés en toute sécurité et que les professionnels de la santé, les psychiatres et tous ces gens sont en sécurité.

Lorsqu’on parle de laisser sortir les détenus de leur cellule quatre heures par jour... Prenons l’exemple de 55 détenus. Il faut une quantité considérable de ressources pour gérer cela au cours d’une journée de 8 heures ou de 16 heures. Cela n’inclut pas les douches, les appels téléphoniques ni les rencontres avec l’avocat; ce sont toutes des choses que nous sommes tenus d’offrir en vertu de la loi.

Dans l’état actuel des choses, ce sera extrêmement difficile de gérer ces types de populations ou ces grands nombres de détenus sans ressources. Nous sommes quelque peu préoccupés par les ressources. Les 700 postes auxquels vous faites allusion ne se trouvent pas directement dans les unités d’intervention structurées.

En fait, nous avons déjà entamé des discussions quant à la forme que pourraient prendre les modèles de dotation. Nous éprouvons quelques difficultés à cet égard; le simple fait de nous conformer aux politiques afin d’obtenir le nombre d’employés nécessaires pour faire le travail constitue un problème. Ce sera un véritable défi.

La sénatrice Seidman : Vous avez parlé de la nécessité de procéder à une évaluation et à une transition graduelle vers ce processus. Vous avez exprimé des préoccupations quant à la façon dont se dérouleraient les choses.

De quelle manière voudriez-vous que la transition soit gérée?

M. Godin : Le problème réside dans la limite de temps. Les tribunaux ont maintenant imposé une limite de 15 jours. Parfois, cela ne suffit pas pour effectuer une évaluation adéquate dans le but de réintégrer le délinquant en toute sécurité dans la population générale.

Nous devons être conscients des dettes de jeu, des autres activités de gang en cours et des menaces pour la vie de la personne. Parfois, 15 jours ne suffisent pas. À l’heure actuelle, nous voyons des détenus qui ne veulent pas quitter l’isolement et qui sont en fait forcés de le quitter, et ce n’est pas ce que nous voulons non plus. Nous devons faire attention à la façon dont nous réintégrons les délinquants au sein de la population générale.

Honnêtement, je ne peux décrire les choses plus simplement qu’en disant ce qui suit : si je me promène sur la rue Wellington cet après-midi et que je tiens un couteau dans ma main, il y a de bonnes chances qu’on m’envoie ailleurs. Je vais probablement aller au poste de police d’Ottawa-Carleton ou au Centre de détention d’Ottawa-Carleton.

Nous faisons réellement la même chose. Nous essayons de nous assurer que les détenus de la population générale ont accès aux programmes et qu’ils disposent de ce dont ils ont besoin. Lorsqu’il y a des perturbations, le fait de transférer un détenu de l’isolement préventif vers la population générale peut parfois perturber tout le monde. Nous devons également être conscients de cela.

C’est une question d’équilibre, et 15 jours, pour nous, dans certains cas, ne suffisent pas pour évaluer la réintégration en toute sécurité dans la population carcérale.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous les deux de votre présence et de vos exposés.

Ma question s’adresse à M. Godin. Au cours des deux ou trois réunions que nous avons eues au sujet du projet de loi C-83, nous avons entendu divers faits et écouté différentes personnes parler de l’isolement préventif et de ce que c’est.

Pourriez-vous me décrire une journée en isolement, de votre point de vue? Comment les choses fonctionnent-elles sur le terrain pour les agents correctionnels et les détenus? Expliquez‑moi à quoi ressemble une journée en isolement de votre point de vue.

M. Godin : Bien sûr. Je peux vous raconter mon expérience personnelle. J’ai travaillé dans les unités d’isolement au Centre de détention de Quinte, au pénitencier de Kingston et à l’Établissement de Millhaven, je connais donc bien ces milieux.

Pour être honnête avec vous, il y a beaucoup d’activités courantes dans les unités d’isolement. Avant tout, il est de notre devoir de nous assurer que les détenus reçoivent des visites. Nous faisons cela dans les unités d’isolement comme nous le faisons au sein de la population générale. Nous devons nous assurer que les détenus sont nourris, qu’ils prennent une douche et des choses semblables. Nous devons nous assurer qu’ils passent du temps dans la cour. Nous devons leur garantir l’accès à des services juridiques, ce que nous faisons.

Il y a beaucoup d’activités dans les unités d’isolement. Nous devons également nous assurer que les détenus peuvent consulter en toute sécurité des thérapeutes du comportement, des psychiatres ou toute autre personne-ressource qui doit venir les rencontrer. Le personnel infirmier vient habituellement jusqu’à quatre fois par jour pour s’assurer que la médication est adéquate, entre autres.

C’est un tourbillon d’activités. Cette période de 16 heures est assez chargée. J’ai déjà travaillé dans une unité d’isolement où il y avait plus de 50 détenus; c’est plutôt exigeant d’essayer de gérer tout cela. Par ailleurs, les interactions sont constantes. Je me rappelle à peine m’être déjà assis quelque part. On est toujours debout, parce qu’on interagit avec les délinquants toute la journée.

C’est malheureux que les films américains brossent un tableau bien sombre de notre système correctionnel, mais ce n’est pas la réalité. Personnellement, je suis indigné par le trou ou l’isolement cellulaire, car cela n’existe pas réellement dans les prisons canadiennes. Peut-être dans un pays du tiers monde, mais pas ici au Canada.

Il y a beaucoup d’interactions constantes. Nous connaissons parfois des réussites. Nous réussissons à faire venir un délinquant, à nous assurer qu’il suive les programmes et parfois à le libérer très rapidement. Nous arrivons parfois à faire cela. D’autres fois, nous avons des détenus qui présentent des troubles de comportement que nous n’arrivons pas toujours à régler, ou nous avons parfois des détenus qui souffrent de problèmes de santé mentale et qui nécessitent un soutien supplémentaire. C’est une difficulté en soi. Nous fournissons également des soins de santé mentale aux détenus lorsqu’ils sont en isolement. C’est un endroit très actif.

La sénatrice Poirier : Monsieur Godin, vous avez certains membres du personnel qui peuvent aider dans le cas de troubles mentaux. Ces membres du personnel sont-ils disponibles tous les jours 24 heures sur 24 ou y a-t-il un moment dans la journée où ces employés ne sont plus sur les lieux et où l’agent correctionnel doit prendre la relève? Si c’est le cas, que faites‑vous si une situation se produit à 23 heures, durant la nuit ou à un autre moment?

M. Godin : C’est la partie décourageante. C’est ce dont nous avons parlé dans notre mémoire. Nous militons ardemment pour qu’il y ait du personnel de santé présent 24 heures sur 24. Malheureusement, à l’heure actuelle, c’est le cas dans nos hôpitaux régionaux et nos centres de traitement, mais pas dans le reste des établissements. Il arrive parfois qu’un détenu s’automutile ou éprouve des problèmes de santé mentale après 16 heures ou 19 heures et qu’il n’y a pas de professionnels de la santé pour nous aider. C’est habituellement nous qui devons intervenir.

Je dis toujours que nous sommes les travailleurs sociaux, les psychiatres, les policiers, les pompiers et les ambulanciers paramédicaux. Nous assumons tous ces rôles après 16 heures. Certains de nos collègues sont compétents à cet égard, mais nous avons besoin de professionnels de la santé 24 heures sur 24, et ce n’est pas le cas à l’heure actuelle.

Nous continuons de militer en ce sens. Partout où nous allons, à chaque table de discussion, nous exerçons des pressions en ce sens. Il serait très utile d’avoir un ergothérapeute ou un membre du personnel infirmier pour nous aider en dehors des heures normales de travail.

Nous serons là pour offrir du soutien, mais nous ne sommes pas nécessairement les experts en la matière. Même dans le mémoire que j’ai présenté, nous demandons différents types de formation qui pourraient nous aider à gérer des cas de santé mentale ou à désamorcer des situations. Cela ferait certainement partie de notre liste de souhaits.

La sénatrice Eaton : Les prisonniers font-ils l’objet d’une évaluation en santé mentale lorsqu’ils arrivent pour la première fois dans un établissement correctionnel? Nos pénitenciers deviennent-ils nos unités de santé mentale? Comme vous le savez, dans la majorité des grandes villes, nous avons fermé les établissements de soins de longue durée en santé mentale. Je me demande si on ne fait pas qu’utiliser simplement nos pénitenciers de plus en plus pour gérer ce type de problème.

M. Brown : Manifestement, il y a un taux élevé de troubles mentaux et de problèmes de santé mentale au sein des populations carcérales. Cela dépend du type de trouble que vous avez; il peut s’agir par exemple de toxicomanie ou de trouble de la personnalité antisociale.

La sénatrice Eaton : Je pense à ceux qui souffrent de bipolarité. Je pense aux gens qui ont eu plus d’épisodes psychotiques que la normale et aux gens qui sont sans-abri depuis longtemps.

M. Brown : La proportion est manifestement beaucoup plus élevée qu’au sein de la population générale. Il y a certaines variantes. Pour ce qui est des troubles psychotiques aigus, la proportion se situe entre 3 et 10 p. 100.

La sénatrice Eaton : Ces gens font-ils l’objet d’une évaluation en santé mentale à leur arrivée?

M. Brown : Lorsqu’ils arrivent au centre d’accueil, il y a un processus d’accueil qui dure huit semaines. À leur arrivée, on réalise une évaluation préliminaire. On procède à un court dépistage et à une évaluation préliminaire de la santé mentale. S’il y a des antécédents significatifs de violence ou toute autre indication de perturbation mentale, on procède à une évaluation du risque psychologique plus approfondie.

Dans certains cas, s’il s’agit d’un état de psychose aiguë ou de certaines affections psychiatriques majeures, le détenu sera immédiatement transféré à l’unité psychiatrique. Le processus d’accueil se poursuivra dans le contexte d’un hôpital psychiatrique désigné.

La sénatrice Eaton : Je vais vous poser la même question, monsieur Godin. Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Godin : Je souscris à ce que vous dites, sénatrice. Il y a beaucoup de défis. Quelque 72 p. 100 de nos délinquants sont désignés comme ayant une certaine forme de maladie mentale. Le problème, c’est que nous n’avons qu’un petit nombre de centres de traitement, comme le disait M. Brown.

La sénatrice Eaton : Il n’y a qu’un nombre limité de places, comme l’a dit notre témoin précédent.

M. Godin : Exactement. L’autre gros problème que nous avons, c’est que nous ne pouvons pas simplement téléphoner aux établissements psychiatriques de la province et leur dire que nous allons leur envoyer des détenus. Dans bien des cas, les établissements de la province ne les prendront pas. S’ils les acceptent, les détenus doivent y aller de façon volontaire. S’ils montrent la moindre forme de violence, on nous les renvoie sur‑le-champ.

C’est le défi auquel nous faisons face au moment de gérer les 72 p. 100 de nos délinquants qui présentent un problème de santé mentale. Il y a 28 p. 100 des détenus qui ne souffrent pas de problèmes de santé mentale, mais ils peuvent avoir des problèmes de comportement.

Vos propos sont tout à fait exacts. Nous n’avons tout simplement pas la capacité nécessaire pour gérer tous les délinquants. Les cas les plus graves ou aigus sont généralement aiguillés vers les centres de traitement.

Nous essayons toujours de régler ce problème. Le fait que nous ne puissions pas envoyer ces gens dans des établissements psychiatriques de la province constitue un problème majeur pour nous. Par ailleurs, les professionnels de la santé ne se bousculent pas à nos portes pour venir travailler dans le domaine correctionnel non plus. Voilà le genre de défis auxquels nous faisons face.

La décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique est très préoccupante, car une partie du problème vient du fait qu’il n’y a pas de définition de la maladie mentale. Nous savons tous que les Nations Unies ne peuvent pas réellement définir la maladie mentale, car chaque jour, certaines maladies sont répertoriées, et d’autres sont éliminées de la liste.

Une partie de notre préoccupation réside dans la gestion des délinquants. Pour donner un exemple, le jeu est reconnu comme un problème de santé mentale. Si je suis, et je m’excuse pour le terme, un gangster ou repris de justice membre d’un gang, je peux très facilement regarder mon psychiatre et dire : « Écoutez, j’ai un problème de jeu, vous ne pouvez donc plus me séparer du reste de la population. » Pendant ce temps, il peut se passer toutes sortes d’autres choses avec cette personne en particulier.

Nous sommes tout à fait d’accord pour dire que, plus les 72 p. 100 de délinquants désignés ont accès à des programmes et à des services de santé mentale, plus les effets sont bénéfiques. C’est évident. Nous n’avons tout simplement pas la capacité de gérer tous ces délinquants; nous devons donc établir un ordre de priorité pour ces cas. Comme l’a fait remarquer mon collègue, lorsque les délinquants arrivent, ils font l’objet d’une évaluation. Dès l’instant où ils passent la porte, on les évalue afin de déterminer dans quel volet ils devraient aller, selon qu’ils souffrent d’un problème intermédiaire ou aigu de santé mentale.

La sénatrice Eaton : Le projet de loi pourrait-il être plus progressiste en allouant plus de fonds, comme vous l’avez dit à juste titre, monsieur Brown, afin qu’il y ait plus de formation et que l’on puisse aider les détenus à réintégrer la société?

Lors de séances précédentes du comité, nous avons entendu des témoins dire que les détenus devraient suivre de la formation lorsqu’ils sont incarcérés afin d’avoir un emploi ou de posséder des compétences à leur sortie. Pourrions-nous faire quelque chose du genre avec ce projet de loi? Le projet de loi permet-il d’insister moins sur l’isolement et davantage sur des aspects positifs?

M. Brown : Il est certain qu’il y a des besoins à n’en plus finir et qu’il existe de nombreuses possibilités d’investir dans les compétences professionnelles, la santé mentale et la toxicomanie. Les besoins sont pratiquement infinis. Je ne sais pas comment cela pourrait s’inscrire dans le cadre du projet de loi.

Lorsque j’écoutais le témoignage antérieur et que je réfléchissais à l’argent, il y a eu une question à propos des interactions de ces délinquants durant leur incarcération. Nous avons parlé des agents correctionnels et des thérapeutes, du fait de parler à un agent correctionnel et du type de travail qu’a fait M. Sauvé. Je sais que certains ex-délinquants ont fait un travail assez remarquable dans la région du Pacifique. Ce n’est pas très coûteux, et il n’y a pas beaucoup d’investissements dans ce genre d’activité.

Le travail que font les ex-délinquants à l’égard de certains problèmes correctionnels représente un investissement très modeste. Il pourrait même y avoir un rôle pour eux au sein des unités d’intervention structurées si on examine la définition des contacts réels et qu’on se demande qui parlera à ces délinquants. Il y a certains agents correctionnels assez remarquables qui ont des aptitudes à communiquer avec les délinquants. Pour d’autres, ce genre d’environnement constitue un défi plus important. Les détenus sont différents. Certains vont répondre à l’intervention d’un agent correctionnel, d’autres à celle d’un thérapeute ou peut-être à celle d’un ex-délinquant.

La sénatrice Eaton : Quelqu’un qui a déjà été là.

M. Brown : Exactement. Vous avez parlé d’emploi. Le SCC accuse un important retard en ce qui a trait à l’utilisation de la technologie éducative. Comment utilisez-vous les ressources didactiques hors ligne? C’est quelque chose qui pourrait bien fonctionner dans les unités d’intervention structurées.

La présidente : Je rappelle à tous que nous devons partir à 17 h 15 pour le vote. Nous avons peu de temps, et il y a encore cinq sénateurs sur ma liste; je vais donc demander à tout le monde de poser des questions brèves et de donner des réponses précises. Merci.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je vais poser ma question en français. Comment les modifications apportées au projet de loi C-83 ont‑elles été accueillies par les employés des services correctionnels?

[Traduction]

M. Godin : Je vais être honnête avec vous. Il y a beaucoup de scepticisme au sein de notre groupe, et je pense que c’est le cas également parmi les professionnels de la santé. La réalité opérationnelle peut être très difficile pour nous.

Même si nous sommes bien intentionnés en essayant d’offrir des programmes de santé mentale et d’organiser plus d’interactions pour les délinquants, il peut y avoir un ou deux délinquants qui perturbent tout le groupe. Cela peut nécessiter du temps et des ressources. Nous pourrions être aux prises avec un délinquant qui s’automutile; tout peut arriver. Cela fait partie du défi auquel nous faisons face.

Malheureusement, sur le plan opérationnel, il y a certains délinquants qui ne veulent pas sortir de leur cellule. Pour être honnête avec vous, qui sommes-nous pour les forcer à sortir de leur cellule? Ce n’est pas l’approche que nous souhaitons adopter.

Il y a beaucoup de scepticisme en ce qui a trait au projet de loi. Toutefois, pour être honnête, nous sommes plus que prêts à lui donner une chance, car nous craignons que les tribunaux imposent des décisions qui auront des répercussions négatives majeures sur le système. Nous préférerions essayer de prendre le contrôle au moyen du projet de loi C-83.

Il y aura certains obstacles, mais nous essaierons de les surmonter au fur et à mesure, car c’est la réalité dans laquelle nous vivons.

[Français]

La sénatrice Mégie : Si le projet de loi C-83 est adopté, comment allez-vous pouvoir concilier la sécurité des employés, le bien-être des détenus et le respect des droits de la personne? Avant ou après, y aura-t-il une différence ou est-ce que cela ne changera rien?

[Traduction]

M. Godin : Manifestement, nous souhaitons changer les choses. Nous avons de l’espoir. Le Service correctionnel du Canada n’a pas toujours fait les choses correctement en ce qui a trait à l’isolement préventif, mais il y a bien des choses qui ont fonctionné.

C’est intéressant, car nous devrons réellement voir les répercussions. Je témoigne assez régulièrement, et j’ai trouvé très ironique le fait que deux anciens délinquants avec qui j’ai témoigné ont également dit la même chose, soit qu’il faut maintenir l’isolement préventif.

Il n’y a pas que le syndicat ou les agents correctionnels qui disent que nous devons continuer d’utiliser l’ancien modèle, il y a aussi des personnes de première ligne qui vivent et travaillent 24 heures sur 24 dans ce lieu. Nous devrions peut-être accueillir certains changements pour voir si les choses fonctionnent, mais à bien des égards, nous ne sommes pas nécessairement d’accord pour dire qu’il faut changer l’isolement préventif. Il faut peut-être l’améliorer, l’examiner ou le surveiller davantage. Nous ne nous opposons pas à cela, mais nous ne sommes pas certains de la manière dont le projet de loi C-83 nous touchera, car nous mettons en quelque sorte la charrue avant les bœufs. Cela viendra très rapidement. L’échéance de la prolongation fixée par les tribunaux est le 17 juin. Malheureusement, nous constituerons cette nouvelle unité au fur et à mesure, et c’est quelque peu effrayant.

Nous sommes inquiets pour nos membres. Nous savons que certains détenus sont préoccupés. Ils m’en ont parlé ouvertement lorsque je visitais les établissements. Ils disent : « Nous ne sommes pas certains que cela fonctionnera. » Des détenus sont incompatibles. Il y a certains cas d’isolement protecteur. Certains détenus ont des problèmes de comportement. Nous sommes en quelque sorte dans les limbes, mais au départ, nous ne voulions pas remplacer l’isolement préventif; nous voulions le corriger. Il comporte certaines lacunes.

Le sénateur Munson : Monsieur Godin, vous avez dit être offusqué par le terme « trou ». M. Sauvé vient tout juste d’utiliser ce terme. J’ai visité l’Établissement de Millhaven et celui de Collins Bay. L’isolement cellulaire n’est pas exactement une suite à l’hôtel Royal York. Vous dites que ce n’est pas le tiers-monde. Ce n’est pas très loin de cela.

Si vous êtes emprisonné dans cette pièce particulière, vous constatez que ce n’est pas un endroit très pratique ni confortable. C’est morne, sombre et froid. Peut-être que les détenus ont fait quelque chose de mal pour se retrouver là. Je tiens à dire, aux fins du compte rendu, quelle est ma perception de l’isolement cellulaire après avoir vu ce que cela représentait pour les détenus qui s’y retrouvent.

Vous avez parlé des unités d’isolement préventif et de l’isolement cellulaire. Quelle est la différence? Les gens disent que c’est un tour de passe-passe, un nouveau terme pour décrire ce que c’est réellement. Ma question est la suivante : êtes-vous satisfait de la situation actuelle? Les choses doivent-elles rester comme elles sont? Y a-t-il un autre recours que l’isolement cellulaire?

Personnellement, je ne comprends pas vraiment les mots « isolement préventif ». Vous êtes quand même seul. Vous sortez quatre heures au lieu d’une heure ou deux, selon le cas. Êtes-vous convaincu qu’il s’agit de la bonne façon de réhabiliter un détenu? Les agents correctionnels en sont-ils convaincus?

M. Godin : Sénateur Munson, pour être honnête avec vous, les pénitenciers ne sont pas des lieux plaisants. Au bout du compte, je peux vous dire que les agents correctionnels considèrent l’isolement préventif comme une mesure de dernier recours. En toute franchise, nous voulons venir dans une unité. Nous voulons être capables d’interagir avec les délinquants et de faire notre travail, mais malheureusement, il y a des cas où nous devons séparer les délinquants ou les isoler des autres à des fins de sécurité pour les autres délinquants.

Oui, les interactions sont limitées en isolement préventif, mais d’un autre côté, il y a certaines interactions avec d’autres délinquants également. C’est ce que nous faisons maintenant. Les contacts humains ne sont pas complètement exclus. Comme je l’ai dit plus tôt, il y a beaucoup d’interaction avec les membres du personnel au cours d’une journée selon les visites, les rencontres avec des professionnels de la santé ou ce genre de choses. Existe-t-il de meilleures façons de faire des choses? Nous cherchons toujours à nous améliorer.

Comme je l’ai déjà mentionné, nous serions très heureux d’avoir des professionnels de la santé avec nous. Si nous avons affaire à une personne qui s’automutile, il arrive parfois que nous n’ayons pas de place pour ces personnes et, malheureusement, l’isolement préventif devient la solution. Ce n’est pas nécessairement ce que nous voulons. Bien entendu, nous voulons réussir à faire admettre les délinquants en centre de traitement.

Je ne désapprouve pas ce que vous dites. Je n’aime tout simplement pas dire que notre système ressemble à ce qu’on voit dans les films américains. Malheureusement, c’est ainsi qu’on le caractérise parfois, et cela ne reflète pas la réalité. Vous avez entendu mon collègue dire à quel point les agents correctionnels sont compétents pour gérer les délinquants 24 heures sur 24 lorsqu’ils essaient de les dissuader de se suicider, qu’ils désamorcent des situations ou qu’ils essaient de leur trouver de l’aide quelque part.

Nous pourrions améliorer certaines choses. Nous aimerions qu’il y ait un meilleur accès aux professionnels de la santé. Comme je l’ai mentionné, nous avons un sérieux problème de recrutement, et c’est l’un des domaines dans lesquels c’est le cas.

Le sénateur Munson : Cela constituerait-il un contact réel? Les mots « contact réel » ont été mentionnés ici au cours des dernières semaines par le ministre.

Selon vous, qu’est-ce qu’un contact réel? Je n’arrive toujours pas à comprendre. Y a-t-il eu des contacts réels au cours des cinq ou dix dernières années? On ne dirait pas.

M. Godin : Je pense que c’est quelque chose de personnel. Je vais vous donner un exemple. Certains délinquants aiment être en retrait lorsque c’est bruyant, qu’il y a beaucoup de gens ou qu’ils ne s’entendent pas avec les autres délinquants. Ils aiment rester tranquilles.

Cela dépend de la personne. Certains délinquants ont besoin de beaucoup d’interaction, et il peut y en avoir. Cela dépend de leur volonté à participer à leurs programmes correctionnels. S’ils souhaitent s’investir dans leurs programmes correctionnels, ils auront plus d’interaction qu’une personne qui ne s’intéresse pas réellement aux programmes et qui préfère la quiétude.

Pour être honnête avec vous, sénateur, je pense que la définition dépend des gens. C’est normalement mesuré par le personnel qui travaille dans l’unité et certainement par les détenus eux-mêmes. Il n’est pas inhabituel pour nous de solliciter quelqu’un de l’extérieur. Il arrive parfois que nous appelions un psychiatre si nous pensons qu’il est approprié de le faire.

L’interaction réelle dépend beaucoup de la perception. C’est ce que je crois.

M. Brown : L’une des mesures importantes, qu’il s’agisse d’isolement, d’unités d’intervention structurées ou de visite, est le nombre d'heures que passe le délinquant avec sa famille. Au Canada, que vous soyez en isolement ou non, vous avez droit à des visites. Dans la plupart des cas, il s’agit de visites avec séparation. On prévoit aussi des visites-contacts. On pourrait mesurer l’interaction simplement en posant la question suivante : combien d’heures par semaine les détenus passent-ils avec leur famille en visite? Combien d’heures par semaine passent-ils au téléphone avec leur famille?

Lorsque j’allais dans le secteur d’isolement, j’avais parfois de la difficulté à trouver de l’espace dans la salle d’entrevue pour interroger le détenu face à face, car il y avait un psychologue, un aîné et un agent de libération conditionnelle qui voulaient tous avoir une conversation en personne avec le délinquant. Il est possible de mesurer certains de ces aspects.

M. Godin : Pour ajouter des précisions aux propos qu’a tenus mon collègue, nous étudions diverses technologies. En ce qui concerne les interactions réelles, par exemple avec les membres de la famille — comme l’a mentionné M. Brown —, nous envisageons des technologies comme Skype, lesquelles permettraient d’offrir aux délinquants un meilleur accès à leurs êtres chers ou aux membres de leur famille.

Il y a des choses que nous pouvons faire, sur lesquelles nous travaillons. Le SCC va dans cette direction actuellement afin que cela puisse se produire.

Le sénateur Kutcher : J’ai une question à poser qui comporte deux volets. Une somme d’argent considérable a été affectée à l’embauche de nouveaux membres du personnel de la santé et de nouveaux employés correctionnels. Je paraphraserai quelque chose qui nous a été dit : nous ne voyons aucun problème concernant l’embauche de professionnels ayant de l’expérience en santé mentale. J'aimerais simplement connaître votre opinion à ce sujet.

Pour ce qui est de l’autre volet de la question, je me rends compte du fait que les agents correctionnels ont un rôle difficile à jouer. Je souhaite savoir quel genre de formation ils reçoivent pour les aider à assumer ce rôle afin qu’ils puissent repérer les détenus qui ont d’importants besoins en matière de santé mentale et qu’ils sachent comment cerner les perturbations comportementales et les distinguer d’un comportement causé par une maladie. Quelles compétences utilisent-ils ou possèdent-ils afin de pouvoir mener une intervention thérapeutique fondée sur les relations humaines?

M. Godin : Je vous fournirai certainement des détails. Nous éprouvons manifestement un problème de recrutement en ce qui concerne les professionnels de la santé. Cela ne fait aucun doute. Un psychiatre travaillant dans la collectivité peut faire quatre fois plus d’argent que s’il travaillait pour le Service correctionnel du Canada.

Ce n’est pas une tâche facile. Il s’agira de l’un des plus grands problèmes posés par le projet de loi. Je dis ouvertement et honnêtement que notre liste de personnes qui accourent et qui lèvent la main afin de travailler dans un établissement carcéral n’est pas longue. C’est un peu plus agréable de travailler dans la collectivité que dans un milieu institutionnel.

Concernant le volet de la santé mentale, je milite très ouvertement en faveur d’une formation en santé mentale à l’intention des agents correctionnels. De fait, on a commencé à offrir deux cours de formation en santé mentale à l’intention de tous les travailleurs des centres de traitement.

Il s’agissait d’un pas dans la bonne direction. C’était bon pour les agents correctionnels, mais, ce qui est malheureux, c’est que cette formation a pris le bord et que les gens sont en train de l’oublier au sein de l’organisation. Nous continuons à militer pour la mise en place d'une formation. Le strict minimum que nous devrions offrir correspond à au moins deux journées complètes sur la compréhension de la maladie mentale. Le problème tient au fait qu’on n’a pas étendu cette formation au-delà des centres de traitement. J’ai mentionné plus tôt dans mon témoignage que 72 p. 100 de nos délinquants sont atteints d’une maladie mentale.

Je vois un problème majeur lié à l’absence de formation. Certains agents correctionnels sur le terrain possèdent de très bonnes connaissances, mais, en même temps, des activités comme une formation sur le désamorçage leur seraient utiles. Il s’agit d’un autre élément que nous devons ajouter au volet santé mentale.

Mon épouse est une professionnelle de la santé mentale. Elle m’en apprend à ce sujet parce que je n’ai jamais reçu ce type de formation. Souvent, on laisse les agents correctionnels seuls avec les détenus sans que des professionnels de la santé soient présents. Il leur serait utile de pouvoir cerner ou repérer ces cas rapidement et dire que c’est le résultat des médicaments que prend la personne ou d’autres choses. Cette formation nous manque vraiment.

Pour être honnête, sans soins de santé offerts 24 heures sur 24, c’est comme si le projet de loi C-83 mettait la charrue avant les bœufs. Nous devons prendre toutes sortes d’autres mesures avant d’arriver à l’opérationnalisation du projet de loi. On peut en faire beaucoup plus.

La sénatrice Pate : Je vous remercie tous les deux de votre travail. J’ai été surprise par la description de toutes les activités. Monsieur Brown, à quand remonte la dernière fois que vous êtes allé dans l’unité d’isolement de l’Établissement Matsqui?

M. Brown : Je n’y suis pas allé depuis cinq ans. Je suis allé dans celles de l’Établissement Mountain et d’autres établissements.

La sénatrice Pate : J’y étais le mois dernier avec un de mes collègues. En fait, ce que vous avez décrit n’est pas ce que nous avons observé. La pièce avait une fenêtre, mais elle avait été recouverte. Il n’y avait pratiquement aucune ventilation. La peinture avait été refaite juste avant notre arrivée. Nous n’avons pas vu les types d’activités mentionnées dans le cadre des visites effectuées par un certain nombre d’entre nous.

Je voulais me concentrer sur deux ou trois éléments que vous avez mentionnés au sujet du manque de recherche. Vous ne savez peut-être pas qu’il y a eu des affidavits et qu’en fait, des détenus du Canada ont présenté des témoignages dans ces affaires.

M. Brown : Je comprends cela, oui.

La sénatrice Pate : Comme vous avez travaillé dans les services correctionnels, vous savez probablement qu’il y a environ 20 ans, la capacité de recherche de Sécurité publique — à l’époque, le Solliciteur général — a été transférée à l’interne par les services correctionnels. C’est essentiellement devenu un peu comme une chambre d’écho où les responsables mènent leurs propres recherches et élaborent leurs propres politiques, sans faire intervenir des gens de l’extérieur.

Considéreriez-vous qu’il s’agit d’une partie de ce qui a contribué au manque de travaux canadiens à l’extérieur des recherches menées par les services correctionnels?

M. Brown : Quand des étudiants à la maîtrise et au doctorat parlent de l’endroit où ils veulent effectuer leur recherche, ils mentionnent les obstacles qui les empêchent d’entrer dans les établissements carcéraux et de mener des recherches dans ces environnements. Je ne peux pas affirmer que c’est parce que le SCC crée un mur. Il existe également des obstacles éthiques et procéduraux au fait de mener des recherches dans un milieu carcéral, mais il en manque, quoi qu’il en soit.

La sénatrice Pate : J’essaie d’être brève parce que je sais que le temps dont nous disposons est limité.

Vous avez tous deux abordé le besoin de ressources en santé mentale. Seriez-vous favorable à une expansion de l’article 29 afin que l’on puisse s’assurer que les personnes ayant des problèmes de santé mentale puissent être placées dans des établissements de soins de santé mentale plutôt que dans un établissement carcéral?

M. Brown : J’aurais certainement répondu par l’affirmative il y a deux ou trois ans, surtout en ce qui concernait les femmes. Si on regarde la région du Pacifique, il y a peut-être 85 femmes en détention. Peut-être une ou deux, à tout moment, sont en crise aiguë. Pourquoi ne pas les transférer dans un établissement médico-légal situé à 35 kilomètres, qui est accessible par l’autoroute et qui est équipé pour ces cas?

J’ai récemment discuté avec des cliniciens des systèmes fédéral et provincial. Ils me disent qu’ils se sentent plus à l’aise avec le statu quo. De fait, en raison de la relation entre le FBI et l’Établissement du Pacifique et le Centre de traitement régional, le SCC possède des capacités solides lui permettant de mieux réagir à ces problèmes que les hôpitaux provinciaux. C’est ce que j’entends dire.

La sénatrice Forest-Niesing : Je peux céder mon temps de parole à la sénatrice Pate, si elle a des questions supplémentaires à poser.

La sénatrice Pate : Renee Acoby, qui vient tout juste de présenter un exposé, était dans la région. Elle comptait parmi les personnes qui vous ont amené, avec d’autres, à adopter votre position relativement aux unités de traitement. Pourtant, comme elle l’a mentionné et confirmé aujourd’hui, ce n’est qu’au moment où elle a eu accès à un psychiatre de l’extérieur en qui elle a pu avoir confiance qu’elle a pu faire le travail nécessaire.

Compte tenu de cette information, votre position changerait‑elle en ce qui a trait au fait de garder la recherche à l’interne dans le cas des services correctionnels?

M. Brown : Je pense que le psychiatre travaille probablement sous contrat, de toute manière. Il existe un conflit dans le cas de certains détenus parce que les psychologues effectuent généralement les évaluations du risque. Ils disposent de relativement peu de temps pour les interventions de traitement. Je pense qu’il s’agit d’un irritant réel pour certains détenus.

Manifestement, dans le cas de certains délinquants, il s’agira moins d’un obstacle si la personne est perçue comme étant indépendante.

La sénatrice Forest-Niesing : Ma question ne sera pas facile. J’ai tendance à croire, d’après ce que nous avons entendu à ce jour de la bouche de divers témoins, qu’un changement de culture est justifié.

J'aimerais vous entendre tous deux me dire si vous en convenez ou non. Si vous ne souscrivez pas à cette opinion, la réponse sera courte. Si vous y souscrivez, toutefois, je souhaiterais vous entendre m’expliquer quelles modifications positives nous pourrions apporter, lesquelles, à votre avis, apporteraient peut-être un certain changement de culture requis.

La présidente : Merci. La sénatrice Forest-Niesing vous a demandé si vous en conveniez ou non. Je vous demanderais de répondre par oui ou par non, mais j’accueillerai favorablement une réponse écrite parce que la sonnerie retentit. Il y a une petite marche à faire pour se rendre à la Chambre. Je ne voudrais pas que mes collègues soient en retard pour le vote.

M. Brown : Les services correctionnels sont une dualité. Il y a le volet contrôle et le volet aide. Les objectifs concurrents créent une tension. À notre époque, notre culture est très axée sur la sécurité. Cette culture règne aux dépens des efforts thérapeutiques.

En fait, je n’ai pas de réponse facile à cette question, mais la culture doit effectivement changer. C’est plutôt le volet contrôle. On doit maintenant passer davantage du côté de l’intervention.

La présidente : Merci. Nous allons devoir suspendre la séance. Sentez-vous à l’aise d’envoyer au greffier tout ce que vous voudrez ajouter. Je vous remercie de vos témoignages.

Nous allons suspendre la séance jusqu’à après le vote.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

[Français]

La présidente : Nous vous remercions d’être parmi nous aujourd’hui. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi. Nos derniers témoins de la journée sont les suivants : du Bureau de l’enquêteur correctionnel, Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada, qui est accompagné de Marie-France Kingsley, directrice générale. De la Commission canadienne des droits de la personne, nous accueillons Marie-Claude Landry, présidente, ainsi que Fiona Keith, avocate.

[Traduction]

Vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, laquelle sera suivie de questions. Nous allons commencer par M. Zinger.

[Français]

Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada, Bureau de l’enquêteur correctionnel : Merci beaucoup de m’avoir invité à témoigner devant votre comité sur un sujet fort important. Je suis accompagné de Mme Marie-France Kingsley, directrice générale au sein de mon bureau, qui a une vaste expérience dans le domaine des enquêtes.

[Traduction]

Le projet de loi C-83 comporte de nombreux éléments positifs, et j'aimerais en souligner certains. Il interdit l’isolement cellulaire au sens des Règles Mandela, la forme la plus contraignante d’incarcération. Il intègre un certain degré de surveillance externe à l’égard des unités d’intervention structurées. Il renforce le principe des mesures les moins contraignantes. Il confirme celui de l’autonomie professionnelle et de l’indépendance clinique des professionnels de la santé. Il instaure également des postes de défenseurs des droits des patients au sein des services correctionnels fédéraux. Enfin, il confirme l’application des facteurs Gladue aux services correctionnels fédéraux.

Toutefois, le projet de loi C-83 comporte des lacunes importantes. C’est très surprenant parce qu’il s’agit de la troisième tentative d’élaboration d’un régime législatif. Si vous vous en souvenez, nous avons d’abord eu le projet de loi C-56. Ensuite, le projet de loi C-83 a été présenté, et, maintenant, nous avons le même projet de loi, mais avec des articles supplémentaires prévoyant une surveillance externe. Bien entendu, ces dispositions ont été ajoutées en réaction à des décisions judiciaires défavorables.

L’ébauche de projet de loi est maintenant une bonne étude de cas de la difficulté qu’éprouve le gouvernement du Canada à élaborer une politique saine. Encore une fois, après trois tentatives, le projet de loi est encore lacunaire. Une approche très étroite est adoptée à l’égard des réformes carcérales. C’est une approche fragmentaire. Aucune consultation de fond n’a été menée auprès des intervenants ou d’experts externes avant le dépôt de ces trois projets de loi.

Aucune action de prévention n'a été menée. Tout a été fait pas mal dans le secret et en réaction à des litiges. Cette politique élaborée de façon insulaire et dictée principalement par le Service correctionnel du Canada — une organisation connue pour le caractère limité de son ouverture, de sa transparence et de sa responsabilisation — est très problématique.

En guise de contexte supplémentaire, le SCC a perdu dans une multitude d’instances judiciaires au cours des cinq dernières années. Pourtant, il continue d’éviter de prendre des mesures de responsabilisation améliorées. On veut maintenant faire adopter le projet de loi à la hâte, à la dernière minute, alors que cela fait des années, voire des décennies, que des problèmes sont documentés.

Le gouvernement a engagé des ressources importantes de 140 millions de dollars par année et les a déployées avant même que le projet de loi soit adopté. Je n’ai pas l’impression qu’il y a beaucoup d’ouverture à la possibilité d’apporter des modifications importantes au projet de loi, et je demeure très sceptique.

On en sait peu sur la façon dont ces unités d’intervention structurées fonctionneront dans la pratique. Les services correctionnels ne communiquent pas publiquement leurs modèles opérationnels ou de dotation proposés pour ces unités. Le Service correctionnel du Canada aurait dû mettre sur pied ces unités d’intervention structurées il y a des années, sans modification législative, en réaffectant une partie de ses ressources, lesquelles semblent plus qu’adéquates.

Nous avons également appris que le SCC est en train d’instaurer des rangées où les détenus peuvent être placés de façon volontaire et où ils sont associés à un nombre limité de détenus. C’est tout nouveau. Ce sont des rangées de protection destinées aux détenus qui sont placés en isolement à long terme. Pourtant, encore une fois, le SCC aurait pu mettre en place ces rangées il y a des années afin de réduire le nombre de détenus en isolement préventif.

Les unités d’intervention structurées pourraient également élargir le filet. Je peux certainement envisager des unités semblables aux unités d’intervention structurées sans application régulière de la loi. Cela va devenir un problème important.

Enfin, je suis également préoccupé par le fait que de nombreux observateurs, notamment Mme Debra Parks, M. Allan Manson et les responsables de l’Association canadienne des libertés civiles, considèrent que le projet de loi C-83 est inconstitutionnel.

Je ne suis pas un expert de la Constitution, mais, si j’étais joueur de nature, je miserais sur ces observateurs, après que l’on m’a dit à trois reprises que les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) étaient constitutionnelles et après qu’elles ont été jugées comme exclues du projet de loi C-56 et de la première version du projet de loi C-83.

Dans le cadre d’un exercice de planification stratégique, mon bureau a rédigé la LSCMLC 2.0, qui est plus conforme aux lois et aux politiques fondées sur des données probantes et qui intègre les meilleures pratiques correctionnelles aux échelles nationale et internationale.

Il est nécessaire de procéder à un examen complet de la LSCMLC, qui a maintenant plus de 25 ans. Nous avons commencé par examiner les principes de base et les pratiques correctionnelles modernes partout dans le monde. Mon équipe a collaboré pour voir à quoi ressemblerait une réforme législative importante. Nous sommes également très reconnaissants de l’aide considérable que Mary Campbell, ancienne directrice générale de Sécurité publique Canada, a apportée à notre bureau dans le cadre de cet exercice de planification stratégique.

Le projet de loi proposé n’est certainement pas parfait, mais il constitue une amélioration importante par rapport à la LSCMLC actuelle et au projet de loi C-83. J’espère que le projet de loi proposé suscitera un examen législatif complet dont nous avons grandement besoin.

[Français]

Je vous remercie. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

Marie-Claude Landry, présidente, Commission canadienne des droits de la personne : Je vous remercie d’avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à prendre part à cette importante étude sur le projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

Nous sommes encouragés par la volonté et l’intention qui sous-tendent ce projet de loi. Depuis de nombreuses années, cependant, nous soulevons publiquement nos inquiétudes face aux impacts de l’isolement cellulaire. Nous reconnaissons la démarche du gouvernement visant à résoudre cet enjeu en matière de droits de la personne. Nous avons procédé à une analyse approfondie du projet de loi et nous avons de sérieuses préoccupations quant à sa forme actuelle. Nous croyons qu’avec quelques amendements, il pourrait mieux protéger la santé, la vie et les droits de la personne des détenus dans le système carcéral fédéral.

Nous allons transmettre par écrit nos propositions d’amendement. Elles se divisent en trois grandes catégories. Premièrement, nous recommandons des exemptions intégrées dans la loi, car certains détenus ne devraient jamais être placés dans les unités d’intervention structurée. Deuxièmement, il s’agirait de prévoir une surveillance interne plus étroite des conditions d’isolement dans les unités d’intervention structurée. Troisièmement, nous proposons un contrôle judiciaire à certaines étapes clés.

J’aborderai d’abord le besoin d’inclure des exceptions. À maintes reprises, les recherches ont démontré clairement les dommages à long terme que peut causer l’isolement, particulièrement pour les personnes vulnérables. Les tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario ont déterminé que les détenus qui ont des problèmes de santé mentale et ceux qui s’automutilent ne devraient pas être placés en isolement.

De plus en plus de plaintes en matière des droits de la personne nous sont soumises par des détenus qui souffrent de problèmes de santé mentale ou qui ont des antécédents d’automutilation et qui se retrouvent en isolement. En réalité, le nombre de plaintes de cette nature a augmenté considérablement au cours des 10 dernières années. C’est pourquoi nous proposons des amendements qui incluent des exceptions pour les personnes qui ne devraient pas être placées dans les unités d’intervention structurée.

À titre d’exemple, nous proposons des amendements qui comprennent une exception pour les détenus atteints d’une maladie mentale, les jeunes délinquants dont le cerveau est toujours en développement, et les femmes enceintes qui allaitent ou qui viennent tout juste d’accoucher.

[Traduction]

Ensuite, nous demandons que ce projet de loi comprenne des mesures concrètes supplémentaires pour le contrôle interne et moins de paliers d’examen interne. Nous considérons qu’il s’agit là d’un point essentiel.

Les dispositions actuelles du projet de loi qui prévoient des examens supplémentaires de la part du SCC sont complexes et fastidieuses. Les protections législatives dans ce domaine devraient être simples et directes. Des règles claires sont nécessaires pour assurer leur mise en application et une meilleure protection des droits de la personne des détenus qui sont en isolement. Cela permettra d’éviter que des personnes passent entre les mailles, ce qui a tendance à se produire dans des systèmes administratifs complexes.

Enfin, et il s’agit peut-être du point le plus important, nous demandons que ce projet de loi assure qu’il y ait un contrôle judiciaire à des moments déterminés lors de la détention dans une unité d’intervention sécurisée. De toute évidence, il y a trop de questions relatives aux droits de la personne en jeu pour qu’il n’y ait pas de contrôle judiciaire.

Par conséquent, nous demandons l’ajout d’un contrôle judiciaire à certaines étapes précises du processus de détention : un avis de détention automatiquement soumis à la Cour fédérale lorsqu’une personne est placée en isolement dans une unité d’intervention structurée; un examen par un juge lorsque les conditions pendant une détention de plus de cinq jours sont semblables à l’isolement cellulaire; un examen par un juge lorsque le Service correctionnel ne suit pas les recommandations d’un professionnel de la santé agréé de retirer un détenu d’une unité d’intervention structurée; un examen par un juge lorsqu’un détenu est placé en isolement dans une unité d’intervention structurée pour plus de 15 jours; et un examen par un juge lorsqu’un détenu est placé en isolement dans une unité d’intervention structurée pour un total de plus de 60 jours au cours d’une même année.

En conclusion, nous reconnaissons l’intention derrière ce projet de loi. Bien que nous ayons des préoccupations quant au projet de loi dans sa forme actuelle, nous croyons que le fait d’accepter les amendements que nous proposons permettra de garantir que le projet de loi établisse l’équilibre nécessaire entre la sécurité et le respect des droits de la personne.

Merci. Ma collègue, Fiona Keith, et moi-même serons heureuses de répondre à vos questions.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup à nos témoins pour leurs présentations. Nous sommes prêts à procéder à la période des questions.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Merci d’être des nôtres. Vous nous avez fourni beaucoup de matière à réflexion. J’espère que nous pourrons tous prendre une profonde respiration. C’est un sujet vraiment sérieux.

Monsieur Zinger, en entendant vos propos sceptiques décrivant une approche très étroite et considérablement déficiente, fragmentée, adoptée à la dernière minute et votre adhésion à l’aspect constitutionnel du projet de loi, je me demande parfois ce que nous sommes censés modifier.

Évidemment, vous ne l’aimez pas, mais il y a des parties qui traitent des articles 29, 81 et 84. Seriez-vous en faveur d’un amendement du projet de loi C-83 qui permettrait de donner la priorité à ces trois ententes pour la mise en liberté de personnes ayant des besoins en matière de santé mentale dans les établissements de soins de santé appropriés et des détenus autochtones dans leur collectivité?

J’aurai une question pour Mme Landry.

M. Zinger : J’ai commencé ma déclaration préliminaire en disant que le projet de loi contenait certainement des dispositions utiles, et je crois en avoir énuméré six. Cela ne fait aucun doute qu’il y a des éléments importants.

Ce qui me préoccupe, c’est plutôt les UIS. Le projet de loi fournira une excellente occasion de repenser les UIS. La commission propose un contrôle judiciaire. L’arbitrage indépendant assurerait probablement un contrôle comparable, mais le projet de loi comporte d’importantes lacunes.

Nous avons entendu le représentant du syndicat parler plus tôt aujourd’hui de l’isolement disciplinaire. Pour une raison étrange, nous aurons maintenant un système disciplinaire dans le cadre duquel l’application régulière de la loi se fera de manière extrêmement rigoureuse au moyen des audiences les plus complètes et adéquates qui puissent être. Les conséquences d’une infraction disciplinaire grave se limiteront à une amende ou à la perte d’un privilège.

Même en vertu de ce régime, je ne pense pas qu’un président indépendant serait tenu d’accorder l’accès à un avocat pour une telle audience, parce que le risque de perte de liberté est inexistant.

Beaucoup de choses n’ont pas été pleinement réfléchies. Quoi qu’il en soit, j’en resterai là, parce que j’ai dépassé mon temps de parole.

Le sénateur Munson : Je pense que d’autres parleront des UIS, parce que c’est extrêmement grave. C’est essentiellement la raison pour laquelle nous sommes ici.

Madame Landry, êtes-vous en faveur d’une interdiction immédiate de l’isolement des femmes, des jeunes et des personnes ayant des problèmes de santé mentale? Dans l’affirmative, comment les articles 29, 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition peuvent-ils aider à atteindre cet objectif?

Ma question s’adresse à Mme Landry, mais vous pouvez tous deux y répondre.

Mme Landry : Nous sommes certainement d’accord pour dire qu’un établissement n’est pas l’endroit approprié pour les détenus ayant des problèmes de santé mentale, parce qu’ils ont besoin de soins. Je vais reléguer la question à ma collègue.

Fiona Keith, avocate, Commission canadienne des droits de la personne : Nous déposerons un mémoire écrit ainsi que des propositions d’amendements détaillées dans les deux langues officielles.

Les exceptions que la commission propose au comité comprennent l’interdiction pour les détenus atteints de maladies mentales, les jeunes ainsi que les femmes enceintes, qui allaitent ou qui ont récemment accouché. Tous les amendements proposés sont conformes aux Règles Mandela et aux Règles de Bangkok.

Nous proposons également de retarder l’entrée en vigueur de toute disposition relative aux unités d’intervention sécurisée pour les femmes. Cela est conforme à la position adoptée par la commission depuis un certain nombre d’années, à savoir qu’il devrait y avoir un moratoire sur l’utilisation de l’isolement pour les femmes. Comme nous le savons tous, il y a peu de femmes en isolement de façon générale. Le 8 mai, je crois qu’il n’y avait que trois femmes en isolement dans les établissements correctionnels fédéraux. De toute évidence, on peut trouver des solutions de rechange à l’isolement pour les femmes.

M. Zinger : Je vous renvoie à l’article 70 proposé de la LSCMLC 2.0. Il comprend l’interdiction de l’isolement cellulaire, comme le définissent les Règles Mandela. Il énumère également cinq interdictions différentes fondées sur la grossesse, l’accouchement récent, les comportements automutilatoires chroniques, les tendances suicidaires, un trouble mental, le besoin de demeurer sous observation médicale ou une mobilité réduite. Nous reconnaissons qu’il s’agit là d’interdictions essentielles et importantes.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de mettre en place des UIS ou un isolement préventif pour les femmes. Nous avons déjà des conditions de détention très difficiles dans les unités de garde en milieu fermé. À mon avis, ces unités de garde en milieu fermé sont équivalentes aux UIS. Elles ne devraient être utilisées que très rarement, seulement pour isoler quelques femmes qui, dans le passé, auraient été placées en isolement préventif.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous de votre présence et du travail que vous faites de façon continue. J’ai quelques questions à poser à propos de votre LSCMLC 2.0. J’invite certainement la commission à répondre aux questions que je vais poser.

Le paragraphe 21(1) de votre document LSCMLC 2.0 indique ce qui suit :

Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d’application de l’alinéa 134(z.9).

Le paragraphe 21(3) se lit comme suit :

La cote de sécurité d’un détenu doit être fondée sur des méthodes fiables et validées de façon empirique, et toutes les méthodes utilisées doivent avoir été validées de manière indépendante pour les hommes, les femmes, les personnes autochtones et les membres d’autres groupes.

Dans votre rapport annuel de 2016-2017, vous avez fait part au vérificateur général d’une préoccupation commune, à savoir que les Autochtones sont plus susceptibles que les non-Autochtones d’obtenir une cote de sécurité plus élevée, et vous avez recommandé que le niveau de sécurité maximale pour les femmes soit aboli.

De plus, étant donné que le rapport de Moira Law, commandé par le Service correctionnel du Canada en réponse au rapport de 2003 de la Commission canadienne des droits de la personne, recommandait que toutes les femmes obtiennent au départ une cote de sécurité minimale, pensez-vous qu’il serait avantageux d’inscrire cela dans le projet de loi? Seriez-vous en faveur d’un amendement visant à attribuer aux femmes une cote de sécurité minimale au début de leur peine?

M. Zinger : C’est une question difficile. Je suis d’accord avec l’idée de Mme Moira Law selon laquelle, au moment de l’admission, il faut essentiellement attribuer à la personne la cote la plus basse possible et voir si elle peut en fait s’adapter, et on attribuerait une cote de sécurité plus élevée seulement aux personnes qui ne peuvent pas s’adapter. C’est une idée très intelligente et réfléchie. Cela vaut la peine de l’essayer. C’est certainement plus cohérent avec le fait de créer des choix comme toile de fond. Ce serait tout à fait novateur.

Le problème, c’est qu’il faudrait probablement changer la culture de manière significative avant de pouvoir aller de l’avant avec cela. Si vous essayez d’innover dans un environnement qui est réticent à l’accepter, le résultat final sera problématique.

La sénatrice Pate : Cela a soulevé une question supplémentaire.

Seriez-vous surpris d’apprendre que la juge Louise Arbour avait à l’époque indiqué qu’une façon de changer la culture, comme elle l’a dit dans son rapport de commission d’enquête, était de modifier la loi? Convenez-vous que, parfois, la façon la plus rapide de changer la culture est d’avoir l’obligation légale de faire les choses différemment?

M. Zinger : J’en conviens tout à fait. C’est pourquoi un examen complet de la LSCMLC est nécessaire pour établir une philosophie ou une culture différentes et pour donner au commissaire un modèle de réforme. Je ne pense pas qu’une lettre de mandat d’un ministre suffira à renverser la situation.

La sénatrice Pate : La commission aimerait-elle faire un commentaire?

Mme Keith : Merci de votre question, sénatrice Pate. La commission étudie actuellement la question de la cote de sécurité, y compris pour les femmes. Nous sommes au courant des recherches de Mme Moira Law.

Nous n’avons pas encore de position définitive à ce sujet, mais nous convenons que la pratique consistant à attribuer à toutes les femmes une cote de sécurité minimale au départ serait compatible avec la création de choix.

La sénatrice Pate : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Zinger. Vous avez décrit le projet de loi C-83 comme une troisième tentative législative erronée. Y a-t-il eu une réflexion sur la possibilité d’apporter des changements au sein des services correctionnels au moyen de politiques que l’on pourrait faire évoluer au lieu de passer par la voie législative? Serait-ce plus simple ou plus compliqué d'avoir recours aux politiques correctionnelles établies pour effectuer de tels changements?

M. Zinger : Ce qui a été assez extraordinaire dans le cadre du projet de loi C-83, avant qu’on introduise le niveau de surveillance externe, c’est que tout ce qu’il y avait dans ce projet de loi aurait pu être fait à l’aide des politiques internes du Service correctionnel du Canada. Par exemple, on peut augmenter le nombre d’heures qu’un détenu peut passer dans une unité d’intervention structurée à l’aide de politiques. Les services correctionnels ont d’ailleurs fait passer la période en cellule de 23 heures à 22 heures, et rien ne l’empêche de passer à 20 heures. C’est cela qui a été le plus surprenant avec le projet de loi initial, le projet de loi C-83.

Vous avez tout à fait raison en disant que le Service correctionnel du Canada aurait pu le faire par voie de politiques, de même qu’avec les nouvelles unités de protection qui visent à diminuer l’utilisation de l’isolement préventif. Tout cela aurait pu être fait il y a des années.

Il y a cinq ans, il y avait environ 800 personnes chaque jour en isolement préventif et, maintenant, il y a environ 350 personnes. Pourtant, la loi n’a pas encore été modifiée, alors qu’est-ce qui explique ce phénomène? C’est simplement en raison d’une volonté de diminution. Cependant, la volonté n’est pas venue directement de Service correctionnel Canada, mais bien parce qu'il a fait l’objet de toutes sortes de poursuites, qu’il a perdues dans chacun des cas. Il y a maintenant une série de jurisprudences qui sont toutes défavorables à Service correctionnel Canada. Les services correctionnels n'ont donc pas le choix maintenant, mais ce n’est pas grâce à une volonté altruiste de sa part.

La sénatrice Mégie : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Ma question s’adresse à M. Zinger. Sur votre site web, vous parlez du recrutement et du maintien en poste de professionnels de la santé mentale. Lorsque le ministre était ici, la semaine dernière, je crois, je l’ai interrogé au sujet de mes préoccupations concernant les 900 employés qu’il a parlé d’embaucher. Nous savons déjà qu’il y a parfois un manque de main-d’œuvre qui nous empêche d’avoir le nombre de personnes nécessaires dans les professions de la santé pour répondre aux besoins de la communauté et que le même problème existe dans nos prisons.

Cela ne le préoccupait pas, parce que, essentiellement, il y avait 43 établissements répartis dans 7 provinces différentes. Il n’avait pas l’impression qu’il y aurait de véritables problèmes de recrutement et de maintien en poste des employés.

Il y a quelque temps, M. Godin nous a dit dans son témoignage que l’un des défis auxquels il faisait face était que les salaires des spécialistes de la santé en pratique privée, en particulier les psychiatres et les autres professionnels de la santé mentale, étaient beaucoup plus élevés dans la collectivité que dans les établissements. C’est certainement un défi que d’obtenir le nombre de personnes nécessaires dans les établissements.

Dans le même ordre d’idées, j’ai deux questions à poser. À l’heure actuelle, combien de temps en moyenne les gens dans les établissements devraient attendre pour consulter un professionnel de la santé mentale? Pensez-vous que nous serons en mesure de répondre au besoin, comme le disait M. Godin, de fournir des soins de santé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans les établissements afin de pouvoir aider tout le monde?

M. Zinger : Je crois que le recrutement et le maintien en poste du personnel posent toujours problème. Le commissaire a travaillé très fort et a collaboré avec des organismes centraux pour tenter de s’assurer que les salaires sont compétitifs.

La situation varie selon la province, ce qui complique encore plus les choses. Le taux salarial du fédéral est le même que partout au pays, mais il rivalise avec les régimes de traitements des provinces, ce qui peut représenter un défi. Le SCC a fait certains progrès à cet égard.

En ce qui concerne l’éventail complet de services, des soins primaires aux soins secondaires et intermédiaires, en passant par l’hospitalisation et le congé, il faut comprendre que d’importants problèmes doivent être réglés. Selon moi, les cas les plus troublants sont ceux de personnes qui sont atteintes d’une maladie mentale aiguë, qui ont des comportements chroniques d’automutilation ou qui sont suicidaires.

Ces personnes ne devraient pas être dans le système correctionnel. Elles devraient être transférées dans des hôpitaux psychiatriques externes. Le service a largement les moyens d’offrir un environnement thérapeutique plus approprié où il y a du personnel de première ligne et des fournisseurs de soins de santé, et non pas des agents correctionnels. Nous devons vraiment remettre cet aspect en question.

Vous pouvez certainement demander au SCC quelle est sa façon de faire le suivi de l’accès. Selon nous, il s’agit d’une importante proportion. Ces services sont très en demande. Parfois, nous sommes atterrés de voir comment le SCC a mis en place les unités de soins courants, qui sont censées être des unités thérapeutiques au sein des pénitenciers fédéraux. Cependant, nous savons que certaines d’entre elles ont simplement été installées dans d’anciennes unités d’isolement. Il n’y a rien de thérapeutique à propos des unités d’isolement où il y a des barreaux, des murs de béton et des dalles de béton dans la cour. On n’a pas tenté d’installer des tapis ou des meubles afin de mettre en place des espaces communs avec des canapés. On n’a pas déployé des efforts pour retirer une partie du béton dans les cours et planter un peu de gazon. Ces unités n’ont rien de thérapeutique.

Si les UIS sont censées être une version un peu moins thérapeutique que les unités de soins courants, nous sommes dans le pétrin, parce qu’aucun financement n’a été attribué à l’infrastructure.

La sénatrice Poirier : Lorsque vous transférez ces personnes dans des établissements de soins de santé, y a-t-il en place les mesures de sécurité et de protection nécessaires jusqu’à ce que le patient ou la personne qui a besoin de soins se trouve dans un endroit qui est sécuritaire pour tout le monde?

Savez-vous si on a accès à ces établissements de soins de santé au sein du système de soins de santé?

M. Zinger : Il s’agit d’une réelle préoccupation. Le SCC gère cinq centres régionaux de traitement. Ces centres disposent de 140 millions de dollars par année pour tenter d’embaucher plus de professionnels de la santé mentale. Le problème, c’est que le personnel de première ligne est majoritairement composé d’agents correctionnels qui se trouvent toujours dans ces centres régionaux de traitement.

Lorsqu’il y a des problèmes concernant leur transfert, il faut établir un partenariat et acheter des lits, ce qui coûte de l’argent. Le système dispose de beaucoup d’argent. C’est simplement une question de priorité.

Les chiffres ne sont pas si élevés. On parle probablement d’une dizaine de femmes qui doivent être transférées vers l’extérieur. Oui, ce serait un peu plus cher; cependant, si vous calculez combien il en coûtera, c’est une aubaine. Nous savons que certains établissements provinciaux ont les ressources nécessaires, et, s’il y a lieu, pourraient facilement le faire.

[Français]

Mme Landry : Je peux ajouter des détails en ce qui a trait au nombre de plaintes.

[Traduction]

Le manque de services et le manque de soins de santé présumés dans les plaintes que nous recevons.

[Français]

Cela fait partie des plaintes que nous recevons, ou plutôt de l’augmentation des plaintes que nous avons reçues en raison du manque de soins de santé mentale dans les établissements carcéraux.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Ma question porte sur la situation des membres de groupes marginalisés qui sont incarcérés, comme les LGBTQ, les minorités et les Afro-Canadiens. Envisagez-vous de mettre en place un plan qui permettrait à ces personnes d’être mises en liberté au sein de leur collectivité? Avons-nous un exemple de cela? Selon vous, quels pourraient être les résultats?

M. Zinger : Je crois que le SCC éprouve toujours des difficultés concernant les membres de la communauté LGBTQ incarcérés. Récemment, il y a eu des changements stratégiques positifs, mais c’est toujours un défi.

Il y a une surreprésentation des Canadiens d’origine africaine en prison: ils représentent 8 p. 100 de la population carcérale alors que dans la collectivité, ils comptent pour environ 3 p. 100. Nous avons fait plusieurs recommandations visant l’amélioration des programmes et de l’accès à la réadaptation afin qu’ils soient mieux adaptés à la culture et aux besoins de ces délinquants.

La LSCMLC 2.0 fait la promotion d'un changement dans l’équilibre entre les services correctionnels en établissement et dans la collectivité. Le SCC n’a dépensé que 6 p. 100 de son budget pour les services correctionnels communautaires. Je crois qu’il faut sérieusement repenser la façon de transférer certaines des ressources afin qu’il y ait plus de solutions de rechange à l’incarcération.

Nos infrastructures correctionnelles vieillissent. Nous avons trois pénitenciers qui ont plus de 100 ans. La majorité des pénitenciers ont plus de 50 ans. Ils ont été conçus selon une ancienne mentalité. Il ne s’agit pas du tout de services correctionnels modernes. Bien souvent, il ne s’agit pas d’un endroit approprié pour répondre aux besoins des Autochtones, des femmes ou des personnes qui sont atteints d’une maladie mentale. La liste est longue.

Nous avons d’importants problèmes d’infrastructure dans ce pays.

Le sénateur Ravalia : Est-ce qu’une partie de la solution pourrait être une meilleure représentation de la communauté LGBTQ, des Afro-Canadiens et des autres groupes minoritaires au sein des agents correctionnels? Y a-t-il eu des mesures proactives visant à recruter, à former et à sensibiliser des personnes?

Nous avons beaucoup entendu parler de l’existence d’une culture intégrée et qui se trouve encastrée. Y a-t-il des façons constructives de se pencher sur la façon dont nous formons et recrutons des agents correctionnels afin qu’ils soient mieux sensibilisés à certains de ces problèmes?

M. Zinger : Il s’agit d’une bonne question pour la commission.

Mme Keith : Oui, il s’agit de la position de la commission. Comme vous le savez peut-être, la commission est également responsable de l’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Nous sommes au courant qu’il y a des écarts de représentation dans bon nombre des groupes professionnels et que l’embauche d’un plus grand nombre de personnes issues de populations ciblées améliorerait la prestation des services correctionnels et aiderait à changer la culture qui les sous-entend.

[Français]

La présidente : Il nous reste quelques minutes.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je reviens sur la question du sénateur Ravalia, croyez-vous que l’application des articles 81 et 84 à ces groupes pourrait être une solution? Selon leur libellé, ces dispositions peuvent être appliquées non seulement aux prisonniers autochtones, mais également à d’autres groupes.

On a examiné la possibilité d’établir des ententes de détermination de la peine et d’inclure des options comme celles qui existent dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ou les accords de suspension des poursuites qui ont récemment été mis en place pour les entreprises.

Seriez-vous en faveur, pour une question de principe, de quelque chose qui permettrait ce genre d’intervention auprès d’adultes? Vous pourriez examiner la possibilité que des personnes soient aiguillées vers un traitement ou vers une initiative de justice réparatrice au sein de la collectivité et reviennent comparaître devant le tribunal, et — dans la mesure où elles ont respecté leurs obligations — ne soient pas condamnées à une peine d’emprisonnement.

Mme Landry : À la commission, nous estimons que le libellé de la loi en général est assez vaste pour permettre la prise de mesures spéciales pour des groupes minoritaires ou des groupes particuliers. S’il y a la volonté et le désir de le faire, cela pourrait être fait.

M. Zinger : On a vraiment besoin, et cela figurait dans mon dernier rapport annuel, de repenser le fonctionnement du système correctionnel. Nous obtiendrions probablement de meilleurs résultats correctionnels pour trois groupes en particulier, par exemple, si nous acheminions des ressources à la collectivité de façon importante.

Premièrement, on pourrait transférer à la collectivité les rôles et les responsabilités en matière de soins, de garde et de surveillance des délinquants autochtones. Deuxièmement, il y a certainement ceux qui sont atteints d’une maladie mentale et qui ont besoin d’un environnement plus thérapeutique, parce que les services correctionnels ne répondent pas à leurs besoins. Troisièmement, il y a les délinquants âgés. C’est incroyable que nous ayons des personnes dans nos pénitenciers qui ont besoin de soins palliatifs, qui sont en phase terminale, qui souffrent de démence ou qui ont d’importants problèmes de mobilité. La liste est longue. Si chacune de ces personnes pouvait être traitée de façon plus humaine et appropriée au sein de la collectivité, le SCC devrait réaffecter des fonds à l’interne pour le faire.

Mme Marie-Claude Landry et moi-même avons mené une enquête systémique sur les délinquants âgés, et les conclusions que nous avons tirées énoncent clairement que ce qui se passe à l’heure actuelle ne correspond pas du tout à la position du Canada en ce qui concerne le respect des droits de la personne et de la dignité humaine.

La présidente : Le sénateur Munson souhaite prendre 30 secondes très rapidement.

Le sénateur Munson : Monsieur Zinger, si vous étiez à notre place, quel serait l’amendement majeur que vous aimeriez voir dans ce projet de loi? Nous devons prendre ces décisions demain en raison de notre échéancier.

M. Zinger : Je comprends la pression à laquelle le gouvernement fait face avec les échéances imminentes. Je comprends également que vous ne voulez pas faire outrage au tribunal.

Si je devais proposer un amendement, j’envisagerais sérieusement de renforcer la surveillance des unités d’intervention structurées, par la mise en place, par exemple, d’un arbitrage indépendant ou d’une surveillance judiciaire. Il faut qu’il y ait bien plus d’ouverture, de transparence et de reddition de comptes.

Si j’étais commissaire, je serais heureux de cela. Il s’agit de la seule façon de changer cette culture pour faire en sorte de respecter les droits de la personne et de les promouvoir, de détecter les violations des droits de la personne et d’obtenir réparation. Vous avez besoin d’augmenter la surveillance.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup.

[Français]

La présidente : Madame Landry, vous semblez approuver?

Mme Landry : Tout à fait. Je suis absolument d’accord.

La présidente : Merci à vous tous de votre collaboration. Merci à nos témoins d’avoir participé à cet examen du projet de loi C-83. Nous poursuivrons nos travaux demain matin avec l’étude article par article du projet de loi. Si vous n’avez pas d’autres questions, je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)

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