Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 61 - Témoignages du 29 mai 2019
OTTAWA, le mercredi 29 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, se réunit aujourd’hui, à 15 h 15, pour examiner la teneur des éléments des sections 15, 16, 18, 19 et 20 de la partie 4, et des sous-sections C, K et L de la section 9 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures (sujets : sections 15 et 16).
La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, nous avons un après-midi assez chargé. Nous avons un vote, nous recevons le ministre Blair avec un deuxième groupe de témoins, alors mettons-nous tout de suite en action.
[Traduction]
Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Français]
Je suis Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec, et je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui pour cette réunion.
[Traduction]
Avant de donner la parole à nos témoins, j’aimerais que mes collègues se présentent, à commencer par la vice-présidente.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Québec.
Le sénateur Ravalia : Mohamed-Iqbal Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Bonjour. Josée Forest-Niesing, du Nord de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, Ontario.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, Ontario.
La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, Ontario.
[Français]
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La présidente : Avant d’accueillir nos témoins, il faut prendre quelques minutes pour régler quelque chose. Après notre dernière réunion concernant le projet de loi C-83, vous avez peut-être reçu une note de service à ce sujet. À titre de rappel, ce lundi, lors de la dernière réunion, nous avons adopté un sous-amendement à l’article 40.1 pour mettre au pluriel l’expression « House of Parliament », qui désigne à la fois le Sénat et la Chambre des communes. Le Bureau du légiste et le greffier de notre comité, après avoir examiné le sous-amendement, ont fait savoir au comité qu’il était problématique et erroné sur le plan grammatical. Il faut donc le corriger.
L’amendement du paragraphe (1) charge un comité de chaque chambre, le Sénat et la Chambre des communes, de procéder à son propre examen. Il mentionne expressément le Sénat et la Chambre des communes.
Au paragraphe (3) de la version anglaise, l’expression « House of Parliament » désigne individuellement le Sénat et la Chambre des communes, comme c’est le cas de nombreux projets de loi. C’est la raison pour laquelle elle est au singulier, et non au pluriel. Concrètement, cela signifie qu’un comité sénatorial doit soumettre un rapport au Sénat, et il en va de même pour la Chambre des communes.
Pour corriger ce problème, vous avez devant vous une motion visant à réexaminer l’article 40.1 et à adopter une version corrigée de l’amendement.
S’il n’y a pas de question, nous demanderons à quelqu’un de proposer la motion. Est-ce que c’est clair? Il me faut quelqu’un pour proposer la motion.
La sénatrice Seidman : Chers collègues, je propose :
Que, conformément au Règlement 10.5 du Règlement, l’article 40.1 du projet de loi C-83 soit réexaminé;
Que, nonobstant la décision du comité du 27 mai 2019 qui a amendé l’article 40.1, le projet de loi C-83 soit modifié, à l’article 40.1...
Des voix : Suffit.
La présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
La présidente : La motion est adoptée.
Aujourd’hui, nous poursuivons avec une nouvelle étude de la teneur des éléments des sections 15, 16, 18, 19 et 20 de la partie 4, et des sous-sections C, K et L de la section 9 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.
Notre comité passera en revue les diverses sections cette semaine et la semaine prochaine. Cette semaine, nous allons nous concentrer sur les sections 15 et 16.
Aujourd’hui, nous entendrons le premier groupe de témoins sur la section 15. Les deuxième et troisième groupes s’intéressent à la section 16. Je le mentionne pour que vous sachiez que demain nous reviendrons sur la section 15 avec le ministre Hussen, qui n’était pas disponible aujourd’hui.
[Français]
Nous sommes heureux de recevoir, par vidéoconférence, Me Robin Seligman, avocate et procureure, de Seligman Law. Merci d’être là. Du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, nous accueillons M. John Murray, président et chef de la direction, ainsi que M. Michael Huynh, directeur de la déontologie. Puis, de l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration, nous avons M. Dory Jade, chef de la direction.
Merci beaucoup d’être là.
[Traduction]
Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour présenter votre déclaration préliminaire, puis nous vous poserons des questions. Nous commencerons avec Mme Seligman, suivie de M. Murray et de M. Jade
Robin Seligman, avocate et procureure, Seligman Law : Madame la présidente, mesdames et messieurs, je suis ravie d’avoir été invitée à participer à ce processus.
Je m’adresse à vous aujourd’hui en mon nom personnel, même si je suis une ancienne présidente de l’Association du Barreau de l’Ontario et de la Section du droit de l'immigration de l’Association du Barreau canadien. Je suis actuellement professeure auxiliaire en droit de l’immigration à l’Université Western et avocate spécialiste en droit de l’immigration certifiée depuis de nombreuses années. J’exerce dans le domaine du droit de l’immigration depuis 35 ans.
Il y a environ 25 ans, j’ai comparu devant un Comité parlementaire sur la réglementation des consultants en immigration pour le compte de l’Association du Barreau canadien. Les travaux portaient sur les mêmes enjeux que ceux dont nous parlons aujourd’hui.
À l’époque, la position adoptée était que les consultants en immigration ne devraient pas être autorisés à exercer leurs activités, mais que si on les y autorisait, il fallait qu’ils soient bien réglementés. Cette proposition l’a emporté et depuis, ils sont réglementés, si je ne me trompe pas, au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou LIPR, depuis 2002. Malheureusement, ils ont fait la preuve que l’autoréglementation des consultants n’est pas une option viable.
À mon avis, les consultants ne devraient pas être autorisés à exercer le droit, et ils devraient travailler sous la supervision d’un avocat. Depuis toutes ces années, ma position n’a pas changé, parce que j’ai été à même de constater les dommages occasionnés par des consultants, intentionnellement ou non. Soyons clairs : les consultants exercent le droit même s’ils n’ont aucune formation. J’estime pour ma part que pour exercer le droit, il faut avoir un diplôme d’une faculté de droit, comme il faut avoir étudié dans une faculté de médecine pour exercer la médecine.
Encore une fois, le gouvernement continue de soutenir les consultants et il continuera de leur permettre de s’autoréglementer, ce qui revient à mettre le public en danger, j’en suis convaincue.
Le gouvernement a permis la prolifération des consultants à un rythme alarmant. On en compte aujourd’hui près de 5 500, alors qu’ils étaient 3 600 en 2016. Il existe également des milliers de consultants fantômes, au Canada et à l’étranger. Il s’en ajoute 1 000 environ par année, et leur nombre augmente parce qu’il est trop facile de devenir un consultant en immigration. Je vais revenir brièvement sur les exigences en matière de formation dans un instant.
Le nombre de plaintes est élevé, et ce n’est que la pointe de l’iceberg. De nombreuses victimes sont déportées ou ont trop peur de porter plainte parce qu’elles sont trop vulnérables ou reçoivent des menaces des consultants lorsqu’elles sont tentées de le faire. Je vous ai fourni un lien avec certaines plaintes reçues par le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, le CRCIC.
La réforme du gouvernement perpétue son appui aux consultants et, pire encore, leur donne un sceau d’approbation assorti d’un financement de 10 millions de dollars par année, qui seront versés par les contribuables canadiens.
Je vois régulièrement des exemples des dommages occasionnés par les consultants, depuis des années. Il me semble que la situation ne fait qu’empirer. Je vais vous parler d’un exemple parmi tant d’autres où les consultants n’ont pas représenté correctement les requérants devant la Section d’appel de l’immigration et d’autres tribunaux.
Récemment, j’ai assisté des demandeurs qui avaient fait appel à des consultants et qui ont vu leur demande d’audience refusée par la Section d’appel de l’immigration. À titre d’exemple, un résident permanent du Canada depuis l’âge de 2 ans, qui est maintenant âgé de 34 ans, fait l’objet d’une mesure de renvoi en raison de nombreuses infractions criminelles, dont aucune n’est vraiment sérieuse. Il avait le droit d’en appeler auprès de la Section d’appel de l’immigration. Cette personne a une conjointe canadienne et cinq jeunes enfants qui sont tous des citoyens canadiens. Il m’est apparu clairement après l’avoir rencontré qu’il avait des problèmes de santé mentale très graves et des problèmes de toxicomanie.
Devant la Section d’appel de l’immigration, le consultant n’a présenté aucune preuve concernant sa santé mentale et ses problèmes de toxicomanie, aucun rapport psychologique ou sur ses efforts pour se réadapter et ses remords. Comme on le sait, ces renseignements sont déterminants dans les cas d’appel d’une mesure de renvoi devant la Section d’appel de l’immigration pour les résidents permanents ayant des antécédents de criminalité. Ce sont là des facteurs fondamentaux qui doivent être pris en compte. Le consultant lui a demandé de jurer qu’il n’avait aucun problème de santé mentale ni de toxicomanie, et qu’il allait bien. De toute évidence, c’était loin d’être le cas, comme je l’ai moi-même constaté rapidement en lui parlant.
Le consultant a perdu l’appel, et l’un des principaux motifs de la décision était que le demandeur ne semblait pas participer à un traitement et n’avait pas reconnu ses problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Aucun élément de preuve n’a été présenté à ce sujet. Lorsque l’affaire m’a été confiée, j’ai tenté d’obtenir un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, mais la demande a été rejetée parce que la Cour ne peut pas être saisie de questions qui n’ont pas été soulevées devant l’instance précédente. Par conséquent, cet homme sera probablement déporté ou renvoyé.
N’importe quel avocat qui exerce dans ce domaine aurait discuté des problèmes de santé mentale et les aurait étudiés à fond compte tenu de la longue liste de démêlés avec la justice.
Les conséquences d’un échec devant la Section d’appel de l’immigration sont la déportation et sans doute la séparation permanente d’avec sa conjointe et ses enfants. Comme cet homme n’a pas de famille dans son pays d’origine et faute de soins médicaux, il présente des risques élevés de suicide, qui ont d’ailleurs été confirmés dans des rapports psychiatriques subséquents.
Le 24 avril 2019, le Globe and Mail a publié une lettre d’opinion du juge Evans, qui a déjà siégé à la Cour fédérale. Je ne reprendrai pas ses propos en entier, mais voici ce qu’il dit à propos des réfugiés :
Les avocats jouent également un rôle essentiel en aidant la Commission et les tribunaux fédéraux dans l’interprétation et l’application de la loi. Le droit des réfugiés est d’une grande complexité. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés comporte à elle seule plus de 200 articles touffus. Elle doit être interprétée à la lumière du droit international en matière de droits de la personne et elle est assujettie aux protections garanties par la Charte canadienne des droits et libertés. Pour plaider une cause dans ce domaine, il faut également connaître le droit administratif, un ensemble de principes qui donnent du fil à retordre même aux avocats plaidants les plus chevronnés.
J’ai fourni dans ma documentation un lien vers la lettre d’opinion du juge Evans.
Je suggère des études obligatoires à un niveau beaucoup plus élevé. Par exemple, un programme d’études de deux ans à temps plein, des exigences linguistiques obligatoires, un score moyen minimal de 6,5 à tous les examens de l'International English Language Testing System, l'IELTS, un diplôme d’études de premier cycle comme condition d’entrée, aucune reconnaissance des droits acquis et un champ d’exercice nettement limité.
Pour leur défense, les consultants me donnent l’exemple des infirmières et des médecins. Selon eux, des infirmières font sensiblement le même travail qu’un médecin. Je trouve que c’est une bonne comparaison, mais les infirmières ont un baccalauréat. Elles travaillent sous la supervision d’un médecin, et leur champ d’exercice est bien balisé. Aussi, pour obtenir leur diplôme de premier cycle, elles doivent posséder les compétences linguistiques nécessaires.
Personne ici ne voudrait que le gouvernement autorise des consultants médicaux à réaliser des chirurgies après avoir suivi une formation de six mois en ligne, n’est-ce pas?
C’est pourtant l’équivalent pour les consultants en immigration, à qui l’on propose de continuer de la même façon. Même si leurs interventions ont des conséquences importantes sur la vie des gens, dans bien des cas les consultants en immigration ne possèdent pas la formation nécessaire ou n’ont aucun code de déontologie.
Je ne veux pas manquer de respect envers les bons consultants, mais ma réponse demeure la même. Pour exercer le droit, il faut fréquenter la faculté de droit.
En Ontario, par exemple, les assistants judiciaires et les parajuristes doivent respecter des exigences minimales en matière de formation et de compétences linguistiques, et leur champ d’exercice est limité. Je vous ai fourni l’exemple du programme d’études des parajuristes du Centennial College, qui se donne à temps plein pendant deux ans, et de celui du Humber College, qui dure également deux ans.
À l’opposé, j’ai inclus dans ma documentation, aux pages 17 à 19, la publicité du CDI et des listes publiées sur Internet de programmes de formation de consultants en ligne. Le CDI n’est qu’un exemple, on ne peut même pas obtenir de renseignements utiles dans sa publicité. La durée du programme n’est pas indiquée et, pour obtenir de l’information, il faut fournir ses coordonnées pour que quelqu’un vous rappelle pour vous inciter à participer au programme. J’ai fait le test, et le seul moyen d’obtenir de l’information a été de les laisser m’appeler encore et encore pour voir si je voulais m’inscrire au programme de six mois.
À titre comparatif, j’ai inclus aux pages 20 à 23 les exigences de formation pour les infirmières, qui correspondent à un diplôme de premier cycle, comme vous le verrez. Je mentionne également les limites de leur champ d’exercice. Si on continue d’autoriser les consultants à exercer le droit, il faudrait à tout le moins établir des paramètres clairs pour encadrer ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire. Par exemple, je suggérerais qu’on leur interdise toute forme d’intervention dans une procédure judiciaire, c’est-à-dire aucun droit de comparution devant la Section d’appel de l’immigration, la Section du statut de réfugié, la Section de l’immigration ou tout autre tribunal. Ils n’ont aucune formation générale en droit, en droit de la preuve, en droit civil, et les conséquences d’une mauvaise représentation peuvent signifier la vie ou la mort, ou une séparation permanente des familles, et je n’exagère pas.
Ils sont peut-être en mesure de représenter des demandeurs de visa de visiteur ou de permis d’études, ou pour remplir des formulaires de base pour les conjoints lorsqu’il n’y a pas de complication ou de problème d’interdiction de territoire. Une discussion plus détaillée avec le gouvernement est impérative pour déterminer les domaines dans lesquels ils pourraient être autorisés à exercer, et cela pourrait facilement se faire.
L’accès à la justice n’est pas en cause ici. Rien ne montre que les avocats exigent des honoraires plus élevés ou que les demandeurs n’ont pas accès aux avocats. Les consultants ont mené des campagnes fructueuses de relations publiques avec l’aide de lobbyistes. Cependant, le gouvernement et le Sénat doivent donner la priorité à l’intérêt public. Il est clair qu’en continuant d’autoriser des consultants qui ne sont pas avocats à exercer le droit, on met le public en danger et que, si le passé est garant de l’avenir, absolument rien ne permet de croire que les choses vont changer. Le moment est venu d’agir, de mettre fin à cette pratique et de protéger le public. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Monsieur Murray.
John Murray, président et chef de la direction, Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada : Madame la présidente, mesdames et messieurs, bonjour. Je m’appelle John Murray et je suis président et chef de la direction du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada.
Je vous remercie de nous permettre, à moi et à mon collègue, Michael Huynh, directeur de la déontologie, de vous exposer les raisons de notre appui à la Loi sur le Collège des consultants en immigration et en citoyenneté proposée dans la section 15 du projet de loi C-97.
Le Conseil est l’organisme national d’autoréglementation. Son mandat est de protéger le public en réglementant les consultants en immigration et en citoyenneté autorisés, de même que les conseillers réglementés en immigration pour étudiants étrangers.
À titre de nouveau président et chef de la direction du Conseil, j’ai été à même d’apprécier les importants services que les consultants en immigration fournissent à ceux qui arrivent au Canada. Il n’est pas facile de comprendre la complexité et les nuances de notre système d’immigration. Les consultants en immigration fournissent aux futurs Canadiens une aide appréciable à ceux qui peinent à s’y retrouver dans notre système d’immigration, pendant une période que beaucoup considèrent comme incertaine et éprouvante.
Les consultants offrent également aux consommateurs la liberté de choisir, en leur fournissant des conseils et des services à un prix raisonnable. Aujourd’hui, vous entendrez peut-être des critiques au sujet des consultants en immigration et des activités de surveillance antérieures du Conseil. Ces critiques tirent leur source d’un rapport sur les consultants en immigration déposé en juin 2017 par vos collègues du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes. Les problèmes mentionnés dans ce rapport concernaient notamment les retards dans le règlement des plaintes, les mesures insuffisantes pour sensibiliser les consommateurs et les normes insuffisantes en matière de formation pour exercer la profession.
L’une des principales recommandations de ce rapport consistait en la création d’un organisme indépendant et axé sur l’intérêt public, qui serait autorisé par le gouvernement fédéral à réglementer et à régir la profession de consultant en immigration. Nous ne pouvions être plus d’accord sur la nécessité d’un tel pouvoir législatif fédéral.
Le projet de loi C-97 marque une étape importante de modernisation du cadre législatif applicable aux consultants en immigration. S’il est adopté, le projet de loi C-97 transformerait le Conseil en un nouveau Collège des consultants en immigration et en citoyenneté, il resserrerait la surveillance du gouvernement et il fournirait au Collège des outils améliorés et le pouvoir de s’acquitter de son mandat d’assurer l’intérêt public. Ces outils comprennent notamment des pouvoirs accrus d’enquête, de collecte d’éléments de preuve importants et d’assignation de témoins à comparaître lors des audiences disciplinaires.
D’autres outils proposés contribueront à protéger les immigrants potentiels contre les praticiens frauduleux.
Compte tenu des difficultés éprouvées dans l’industrie par le passé, je comprends les réserves de certains concernant le nouveau rôle qui serait donné au Conseil. Je vous prie de croire que le CRCIC n’est plus le même organisme que celui qui est décrit dans le rapport de 2017. Nous avons pris très au sérieux les préoccupations et les recommandations qui y sont formulées, et nous avons procédé à des changements importants.
Pendant les deux années qui ont suivi la publication du rapport, le Conseil a relevé les normes en matière de formation. Ainsi, au début du mois, nous avons annoncé qu’un diplôme d’études universitaires supérieures serait exigé. Nous avons simplifié et amélioré les processus disciplinaires et de règlement des plaintes, renforcé la gouvernance du conseil d’administration et renouvelé nos stratégies de sensibilisation et de communications avec le public.
L’un des changements majeurs a consisté en l’embauche de nouveaux cadres supérieurs, notamment un nouveau président et chef de la direction et de nouveaux directeurs dans les secteurs clés de la déontologie, de la formation et des communications.
Nous avons quadruplé les ressources en personnel dans la Division de la déontologie et mis en œuvre de nouveaux mécanismes qui ont considérablement amélioré le processus disciplinaire et de règlement des plaintes.
En dépit de tous ces efforts, nos principaux défis demeurent nos pouvoirs limités de mener des enquêtes approfondies sur les plaintes sérieuses et de sévir contre les praticiens non autorisés ou les consultants fantômes, ces personnes sans permis qui se prétendent consultants en immigration pour frauder des migrants potentiels vers le Canada.
Ces fraudeurs sans permis représentent un réel danger pour le public et la profession parce qu’ils exercent leurs activités clandestinement, souvent à partir de l’étranger.
Le nouveau collège serait doté des pouvoirs nécessaires pour prendre des mesures concrètes contre les consultants fantômes. Le projet de loi confère également au collège une capacité accrue de collaborer étroitement avec la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada pour démanteler les réseaux de consultants illégaux.
Nous avons accompli des progrès énormes depuis deux ans et nous sommes impatients de tirer parti de ce savoir et de cette expérience en tant que collège. Nous sommes convaincus que le projet de loi C-97 sera adopté, que le Conseil pourra effectuer la transition en douceur vers le nouveau collège et qu’il continuera de tabler sur les changements réels et positifs qui ont été opérés pour instaurer l’organisme de réglementation efficace et fiable auquel le public a droit.
Merci encore de cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Murray.
C’est à vous, monsieur Jade.
Dory Jade, chef de la direction, Association canadienne des conseillers professionnels en immigration : Madame la présidente, sénateurs, mesdames et messieurs, bonjour. Au nom de l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration, je tiens à vous remercier de votre temps et de votre attention.
[Français]
Au nom de l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration, je voudrais vous remercier de nous accorder votre temps et votre considération.
[Traduction]
L'Association canadienne des conseillers professionnels en immigration, l'ACCPI, soutient vivement la Loi sur le Collège des consultants en immigration et en citoyenneté, convaincue que cette loi renforcera la protection des consommateurs. Cependant, il comporte une omission flagrante concernant le privilège du secret professionnel pour les consultants. La Cour suprême a tranché que ce secret professionnel s’applique seulement aux notaires, aux avocats et aux parajuristes, qui sont les trois autres parties considérées comme des représentants autorisés. Étant donné que les consultants en immigration donnent accès à la justice à un tarif beaucoup plus abordable comparativement à d’autres représentants autorisés, le secret professionnel est d’une importance vitale pour leurs clients.
Selon un avis juridique du professeur Peter Hogg, un expert en droit constitutionnel, le secret professionnel doit également s’appliquer aux consultants en immigration et citoyenneté. Les consommateurs qui sollicitent les conseils de consultants en immigration et citoyenneté doivent avoir droit à la même protection que s’ils s’adressaient à un représentant autorisé.
[Français]
Un avis juridique qui nous a été fourni par un expert en droit constitutionnel, le professeur Peter Hogg, confirme que le secret professionnel doit également s’appliquer aux consultants en immigration et citoyenneté. En fait, les consommateurs qui cherchent à être conseillés par des consultants en immigration et citoyenneté doivent avoir droit au même degré de protection, qu’ils choisissent les consultants ou d’autres représentants autorisés.
[Traduction]
Pour cette raison, nous demandons que le projet de loi soit amendé pour que le secret professionnel s’applique aussi aux clients des consultants.
L’article 80 porte sur les règlements internes et les règles, mais il n’apporte pas de détails. Il y est prévu que le Collège concevra les règlements internes, mais aucune explication n’est donnée concernant les limites du pouvoir qui lui sera conféré en la matière. Nous craignons que l’organe de réglementation établisse des règlements internes sans tenir compte des règles, au détriment du principe d’autoréglementation.
[Français]
Nous avons connu cela par le passé. Par exemple, l’organisme de réglementation a créé des spécialisations alors que, techniquement, il s’agissait de programmes d’études destinés aux consultants en immigration. Nous réclamons un système parallèle au sein duquel l’organisme de réglementation établira des règles, pour octroyer ensuite à une école tierce qualifiée un mandat d’enseigner aux consultants en immigration. L’organisme de réglementation a tenté de le faire une fois auparavant, mais il y a eu un conflit.
[Traduction]
Nous demandons un système parallèle au sein duquel l’organisme de réglementation établirait les règles, donnerait par la suite le mandat à une école tierce qualifiée de donner la formation aux consultants et aux étudiants, puis procéderait aux vérifications du programme. L’organisme de réglementation a déjà tenté de le faire à son niveau, mais il y a eu conflit.
Enfin, nous avons lu dans les journaux des articles qui donnent une image biaisée et erronée de la profession de consultant en immigration. Est-il plus raisonnable de fonder nos lois sur les opinions qui y sont exprimées ou de s’en remettre aux faits, dont bon nombre sont connus du gouvernement actuel?
Dans le cadre mondial, le Canada a effectué un excellent travail de protection du public en proposant la section 15 du projet de loi C-97, qui respecte la Charte. Le Canada a toujours été un chef de file en matière d’immigration et dans le maintien de l’intégrité du système migratoire, et la législation visant à réglementer les consultants en immigration et citoyenneté en est un bon exemple.
[Français]
Merci de m’avoir donné l’occasion de me présenter devant vous. Je suis disponible pour répondre aux questions. Merci.
La présidente : Merci de vos commentaires préliminaires. C’est le moment de passer aux questions des sénateurs.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Merci à tous de vos exposés. Il s’agit probablement de la troisième proposition d’organisme de réglementation pour les consultants en immigration et en citoyenneté, et j’essaie de comprendre la structure, essentiellement, et de voir comment nous allons pouvoir corriger certains des problèmes qui existaient par le passé.
J’aimerais adresser ma question à chacun d’entre vous. Si vous me le permettez, je vais entrer dans les détails et me pencher sur la composition du conseil d’administration du collège, notamment. Il est formé d’administrateurs élus qui sont des titulaires de permis et d’administrateurs nommés qui ne sont pas titulaires de permis. En fait, le ministre peut, par arrêté, fixer le nombre d’administrateurs, qui doivent être sept au moins. Il semble y avoir beaucoup de souplesse pour ce qui est d’augmenter ou de diminuer le nombre d’administrateurs au sein du conseil. Il y a également deux comités, soit le comité des plaintes et le comité de discipline. Quant au collège, il est essentiellement responsable, en tant que collège professionnel, de délivrer les permis, de faire appliquer les normes d’exercice, et ainsi de suite.
En quoi la structure qui nous est proposée diffère-t-elle de la précédente? En quoi cette structure permettra-t-elle de corriger les problèmes que nous connaissons tous? Sera-t-elle en mesure de corriger les problèmes bien connus?
Je devrais peut-être commencer par vous, maître Seligman.
Mme Seligman : À mon avis, l’organisme de réglementation représente seulement une partie de la solution aux problèmes liés aux consultants. Le pouvoir de l’organisme de réglementation sera infime s’il n’est pas appuyé par une hausse radicale des exigences en matière de formation et la limitation du champ d’exercice des consultants. Je pense que nous nous retrouverons à la case départ. Je ne compte plus les versions.
Selon mon expérience, plus précisément en tant qu’avocate — et sans vouloir manquer de respect aux nombreux bons consultants qui pratiquent sur le terrain —, le problème se résume à un manque de formation. Les programmes sont approximatifs et les diplômes faciles à décrocher. Il suffit de suivre un cours en ligne pendant six mois et de passer un examen pour faire de la représentation lors d’une audition d’une demande de statut de réfugié. C’est assez aberrant. Paul Aterman, l’ancien président de la Section d’appel de l’immigration, a déclaré que le manque de qualifications est stupéfiant. Je ne le cite pas intégralement, mais en parlant de ces gens qui comparaissent devant ces tribunaux — où l’existence des demandeurs d’asile est littéralement en jeu parce qu’ils risquent d’être déportés et séparés de leur famille — et qui ne comprennent même pas les règles de la preuve, les règles de la procédure civile, les recherches, la loi.
La sénatrice Seidman : Merci. Mon temps est limité. Désolée.
Mme Seligman : Merci.
La sénatrice Seidman : J’aimerais vraiment entendre les points de vue du conseil de réglementation et des consultants en immigration professionnels. Avez-vous quelque chose à ajouter, messieurs Murray et Jade?
M. Jade : Si je peux me permettre de corriger certaines affirmations, il ne s’agit pas de la troisième version ou du troisième essai. Il s’agit d’une évolution normale dans tout domaine professionnel. Pour les besoins de la démonstration, l’année dernière, le gouvernement de l’Ontario a proposé une refonte majeure du Barreau du Haut-Canada, allant jusqu’à changer son nom pour Barreau de l’Ontario. Il est tout à fait normal d’évoluer en matière de réglementation. J’apprécierais que l’on corrige l’affirmation voulant qu’il s’agit de la troisième mouture de l’organisation. C’est totalement faux.
Deuxièmement, lorsqu’elle a été créée, en 2003, elle relevait d’Industrie Canada. Pour ceux d’entre vous qui l’ignoreraient, la loi appliquée permet la création d’organismes à but non lucratif. En 2014, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif a été adoptée et CRCIC a été créé sous son régime. Aucune de ces deux lois n’encadre la prise de règlements. Elles s’appliquent aux organismes de bienfaisance, aux associations professionnelles ou aux groupes de personnes cherchant à faire le bien, c’est tout, parce que les pouvoirs sont accordés aux membres, et non à l’organisme. La loi fédérale est attendue depuis longtemps.
Le gouvernement du Canada aurait dû adopter cette loi en 2002, et non après 25 ans, pardonnez-moi l’expression, d’un véritable cirque dans ce domaine. Si le gouvernement avait agi en 2002, je pense que nous serions ici aujourd’hui, ou devant d’autres comités du Parlement, pour modifier la loi que le gouvernement fédéral aurait adoptée à cette époque. Merci.
M. Murray : Monsieur Jade a tout à fait raison. La nouvelle loi fédérale proposée accomplira deux choses qui sont extrêmement importantes pour la capacité du Conseil et, par la suite, pour permettre au Collège de remplir son mandat dans l’intérêt public. Premièrement, la nouvelle organisation ne relèvera plus de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif qui, comme l’a dit M. Jade, convient mieux à un club ou à une association.
La Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif présente deux problèmes : elle ne vise pas les organismes de réglementation et, comme elle est récente, les tribunaux n’ont pas eu souvent l’occasion d’en faire une interprétation. Par conséquent, les membres soumis à des mesures disciplinaires ont tout loisir d’éplucher ses dispositions et de chercher toutes les échappatoires possibles pour contester nos processus disciplinaires. Nous avons un certain nombre de cas devant la Cour fédérale parce que des membres ont fait exactement cela et, bien entendu, ces contestations retardent le processus disciplinaire jusqu’à l’extrême limite.
Le projet de loi nous accorde des pouvoirs additionnels qui nous permettront d’exercer notre mandat dans l’intérêt public principalement contre des tiers. La Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif nous donne compétence uniquement à l’égard de nos membres. Tout autre organisme de réglementation, comme le Barreau ou un collège des médecins, possède le pouvoir d’obtenir des preuves, d’assigner des tiers à témoigner et de faire des perquisitions et des saisies contre des tiers en vue d’appuyer ses activités en matière disciplinaire. Nous n’avons pas obtenu ces pouvoirs importants à notre création, et les précédents organismes de réglementation dans le domaine des consultants en immigration ne les avaient pas non plus.
La sénatrice Seidman : Mon temps est écoulé.
La présidente : En effet. Je peux vous inscrire pour une deuxième série de questions, si nous avons le temps.
La sénatrice Poirier : Ma première question s’adresse au CRCIC. J’aimerais obtenir des précisions concernant la transition. Le projet de loi contient deux scénarios : soit vous continuez en tant que collège, soit vous êtes prorogé complètement pour devenir un collège entièrement autonome. Pourquoi le projet de loi n’expose-t-il pas les choses clairement et ne demande-t-il pas à votre institution d’incorporer la modification? Ne serait-ce pas plus efficace, sur le plan des coûts et du temps?
M. Murray : Pour répondre à votre deuxième question, oui, ce serait plus efficace sur le plan des coûts et du temps, effectivement. La seule raison, à notre connaissance, pour expliquer la structure prévue dans le projet de loi découle, encore une fois, de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, qui exige la création d’une nouvelle personne morale afin que les membres puissent voter pour approuver ou refuser les changements fondamentaux. Il s’agirait d’un changement fondamental à l’organisation. Le plan A et le plan B, comme nous les appelons, dans les dispositions transitoires du projet de loi exigent, dans le cas du plan A, un vote des membres pour approuver la demande du Conseil de devenir un collège.
La sénatrice Poirier : Est-ce que ce serait la plus grande différence entre les deux?
M. Murray : Oui, en effet.
La sénatrice Poirier : Ma deuxième question s’adresse aux trois témoins. Comme vous le savez, on nous présente une mesure législative de fond en matière d’immigration qui a été engoncée dans un projet de loi omnibus sur le budget. Est-ce que le gouvernement a consulté votre organisme à ce sujet?
M. Murray : Le gouvernement a certainement consulté le Conseil. Nous discutons depuis plusieurs années avec le gouvernement du projet de disposition législative habilitante et des raisons pour lesquelles nous en avons besoin. Ces discussions ont inspiré la même conclusion à toutes les parties : sans pouvoir légal, une organisation comme la nôtre est vouée à l’échec.
Bref, nous collaborons depuis un certain temps avec le gouvernement en vue de ce résultat.
M. Jade : Oui, le gouvernement nous a consultés. Nous avons aussi soumis des documents et des propositions très étoffés à cet égard, dont une grande partie porte sur les changements fondamentaux proposés pour ne plus relever de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif.
Mme Seligman : Oui. Comme je l’ai dit tout à l’heure, je ne parle pas au nom du Barreau aujourd’hui, mais c’est un dossier que je connais très bien et auquel j’ai participé. L’Association du Barreau canadien a présenté un document très détaillé au comité et tient des consultations depuis. Sa position est que les consultants ne devraient même pas exister, ou alors qu’ils exercent sous la supervision d’un avocat.
La sénatrice Poirier : Ma dernière question est pour vous, maître Seligman.
Pour un cabinet d’avocats spécialisé dans le droit de l’immigration comme le vôtre, quelles seront les répercussions de la transition vers le collège de l’immigration?
Mme Seligman : Ce qui me déplaît, c’est que le gouvernement s’ingère dans la réglementation proprement dite, et je pense que des questions de financement et d’autres activités sont en jeu, comme vous l’avez mentionné. Pour ce qui est d’obtenir l’aval du public — et je suis tout à fait certaine que les consultants mèneront une campagne — il semble que le gouvernement accorde la préférence ou son sceau d’approbation aux consultants.
Pour ce qui est du travail courant des consultants et des dommages causés par les non-avocats qui exercent le droit, je pense que rien ne va changer. Comme je l’ai déjà mentionné, le collège ne fera aucune différence si les compétences des personnes qui passeront par ce collège ou qui suivront ses cours restent les mêmes.
J’hésite à recommander l’instauration d’exigences minimales obligatoires en matière de formation qui ne seront pas à la discrétion du collège. Parce que ne nous faisons pas d’illusions : s’il est livré à lui-même, je doute qu’il fasse beaucoup pour améliorer la formation.
La sénatrice Poirier : Merci.
M. Murray : Madame la présidente, puis-je me permettre?
La présidente : Soyez bref.
M. Murray : J'aimerais corriger l’affirmation de Me Seligman comme quoi nous recevons du financement du gouvernement. Nous n’avons reçu aucun engagement de financement gouvernemental pendant toute la durée de ce processus, ni après.
La présidente : Merci.
Maître Seligman, vous vouliez —
Mme Seligman : Désolée. Je pensais qu’il était de notoriété publique que vous alliez recevoir une somme de 50 millions de dollars pour les cinq prochaines années.
M. Jade : J’invoque le Règlement, madame la présidente.
La présidente : Vous ne pouvez pas invoquer le Règlement.
M. Jade : D’accord, je comprends. Je suis désolé. Puis-je faire un commentaire?
La présidente : Absolument, vous pouvez faire un commentaire.
M. Jade : Je ne suis pas un sénateur. Je suis désolé.
La présidente : Merci. Tout cela sera consigné au compte rendu, alors votre message sera entendu.
La sénatrice Omidvar : On nous présente parfois des points de vue divers et parfois complètement divergents, entre lesquels il nous appartient de trouver l’équilibre — et la voie à suivre.
Je veux obtenir des précisions quant au contexte. Selon ce que je vois dans le résumé, ce n’est pas clair. Peut-être pourriez-vous éclairer ma lanterne.
Nous avons entendu parler des longs délais à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le CISR, et à la Section d’appel des réfugiés. Il est prévu que l’arriéré atteindra les 100 000 dossiers. J'aimerais vous demander en premier, maître Seligman, dans quelle mesure cet arriéré pourrait être imputé à ce que vous pourriez définir comme les « avis juridiques inexperts » donnés aux demandeurs d’asile?
Mme Seligman : Tout commentaire que je pourrais formuler ne reflète que mon opinion personnelle. Je n’ai pas de chiffres là‑dessus.
À mon avis, les retards sont probablement imputables à de nombreux facteurs, y compris l’augmentation du nombre de personnes qui se présentent à la frontière et qui revendiquent le statut de réfugié. Comme je l’ai dit, je n’ai pas vraiment de données à ce sujet, mais je sais pertinemment qu’une représentation inadéquate entraîne normalement des délais, des questions de procédure et des audiences qui ne se déroulent pas bien et qui débouchent sur des appels devant la Section d’appel des réfugiés. Le problème vient donc de la qualité de la représentation.
La sénatrice Omidvar : Cela entraîne également des coûts pour le public. Les retards coûtent énormément d’argent au système.
Mme Seligman : Absolument.
La sénatrice Omidvar : Permettez-moi de me tourner vers vous, monsieur Jade. C’est également une question d’accès. Les avocats, comme nous le savons, ne sont pas bon marché; leurs honoraires sont élevés, surtout ceux des cabinets. Maintenant, le premier ministre de l’Ontario a décidé de refuser l’aide juridique aux demandeurs d’asile.
Croyez-vous que vos membres seront plus sollicités, monsieur Jade, et sont-ils qualifiés pour s’occuper de cette question? Pouvez-vous me dire s’ils sont qualifiés pour faire ce travail? Dans quelle mesure sont-ils capables de représenter le client à travers les complexités des audiences de la CISR, des appels possibles devant la Section d'appel des réfugiés, la SAR, et, éventuellement, lors d’un contrôle judiciaire, et ainsi de suite? La différence entre une bonne et une mauvaise représentation revient à la différence entre la vie et la mort pour ces gens. J’essaie de trouver un équilibre entre l’accès et la protection des consommateurs. Pouvez-vous me venir en aide?
M. Jade : Merci de votre question. Je l’apprécie. Avant d’y répondre, j'aimerais faire valoir un point important. Les consultants en immigration, et plus particulièrement l’ACCPI, avec l’accréditation accordée par la Commission — le CCR et d’autres groupes qui viennent en aide aux réfugiés — rencontrent la CISR deux fois par année pour discuter de toutes les questions en détail. Ces discussions se poursuivent depuis plus de 20 ans, un fait largement méconnu. Cela signifie que nos membres sont tout aussi exposés aux questions débattues devant la CISR, aux problèmes que la CISR doit affronter et, dans un certain sens, je dirais qu’ils participent à la consultation qui se fait avant que la CISR ne prenne une décision dans le cadre de ce consortium.
Aussi, nos membres de partout au Canada participent aux réunions régionales de la Section d'appel de l'immigration, la SAI,, de la SAR, et de toutes les autres sections de la Commission. C’est une première partie de la réponse.
La deuxième, c’est que nos membres suivent un programme de formation professionnelle continue très rigoureux, qui leur permet de se tenir à jour. À titre d’exemple, certains cas qui font désormais partie de la jurisprudence sont confiés ou ont été confiés à des consultants en immigration. Dans bien des cas, ce sont même des consultants en immigration qui les ont remportés.
J’aimerais vous faire part d’un autre point. Nos membres qui se présentent devant la commission sont très compétents et, techniquement, il est vrai que leurs honoraires sont moins élevés que ceux de leurs homologues qui sont avocats.
Si le projet de loi à l’étude est adopté, ce qu’il est convenu d’appeler un permis d’exercer à plusieurs niveaux sera créé. Par conséquent, la barre sera beaucoup plus haute qu’elle ne l’est aujourd’hui. Avec le nouveau collège, la barre sera fixée plus haut qu’aujourd’hui et les exigences seront relevées pour tous ceux qui voudront représenter des clients devant la CISR.
Comme je l’ai dit au début, il s’agit d’un processus de réglementation progressif, qui s’améliore au fil du temps.
La sénatrice Omidvar : Ai-je le temps de poser une autre question?
La présidente : Non, mais je vais vous inscrire pour le deuxième tour, si nous avons le temps. Vouliez-vous entendre les commentaires de Me Seligman? Brièvement, si possible.
Mme Seligman : Je suis désolée. Les commentaires comme quoi les consultants sont très compétents et établissent des précédents sont, d’après mon expérience, tout simplement faux. Pour ce qui est de la question des honoraires plus élevés des avocats, là encore, nous ne disposons pas de données à ce sujet. C’est une affirmation que l’on répète à l’envi. Il y a tellement d’avocats dans les domaines de l’aide juridique, de l’aide aux réfugiés et aux personnes touchées par des mesures de renvoi qui travaillent à titre bénévole ou à peu de frais. Ces affirmations sont fausses. Je ne me suis jamais, de toute ma carrière, fondée sur un précédent créé par des consultants en immigration. Ils ne peuvent pas plaider devant la Cour fédérale. Ce n’est tout simplement pas possible, d’après mon expérience.
La présidente : Merci.
La sénatrice Forest-Niesing : Ma question porte sur le processus de plaintes. J’aimerais entendre les deux parties sur cette question.
Nous comprenons que le processus de plaintes non seulement traîne en longueur, mais aussi qu’il débouche sur des résultats très décevants, c’est-à-dire sur l’absence de réprimandes ou de suspensions.
Dans quelle mesure la création du nouveau collège contribuera-t-elle à régler ce problème? J’aimerais entendre les deux côtés s’exprimer sur ce point.
Michael Huynh, directeur de la déontologie, Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada : À titre de directeur de la déontologie au CRCIC — je me suis joint au conseil l’année dernière —, j’ai eu l’occasion de comparer mon expérience de travail auprès d’un autre organisme de réglementation professionnelle, et j’ai constaté les différences entre les méthodes de mon ancien employeur et celles du CRCIC.
En essayant de transposer les mesures prises par mon précédent organisme de réglementation professionnel au CRCIC, j’ai compris des lacunes évidentes dues au fait que notre organisme a été créé en vertu de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif. Nous ne possédons pas de pouvoir d’enquête et d’application. Ce n’est pas dramatique pour régler des plaintes moins graves, par exemple lorsque le membre reconnaît son incompétence et se déclare prêt à remédier à la situation, mais, dans les cas plus graves et lorsqu’il y a des fraudes, le CRCIC ne peut pas s’attaquer aux tiers. Bien souvent, nous devons régler les plaintes de personnes qui sont, par exemple, des travailleurs étrangers temporaires. Dans ces cas, en plus d’enquêter sur les membres du CRCIC, il faut s’intéresser à d’autres praticiens sans autorisation, qui sont parfois des avocats ou même, fait encore plus grave, des agents de recrutement et des employeurs, à l’égard desquels je n’ai aucun pouvoir d’enquête.
Il s’agit d’une lacune grave, qui fait traîner les enquêtes en longueur. Avant de révoquer le permis d’un membre, il faut suivre les procédures établies. Il faut réunir des preuves, les présenter devant un tribunal indépendant et le convaincre que le membre en question a bien commis des infractions.
Lorsqu’on dit qu’il s’agit de la troisième version — nous avons demandé à maintes reprises au gouvernement de nous accorder des pouvoirs d’application, et c’est la première fois qu’il donne suite à nos demandes. J’ai été assez surpris de voir que le CRCIC n’avait aucun pouvoir d’application à l’égard des praticiens non autorisés, ni de pouvoir de contrainte à l’égard de ses propres membres. À l’égard des tiers, l’incapacité de leur demander des preuves ou des documents compromet nos audiences.
Malgré tout, notre organisation a travaillé avec les moyens du bord. Nous avons collaboré avec IRCC, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), Canada Border Services Agency (CBSA) et la GRC afin de tirer parti des renseignements issus de leurs enquêtes quand nous ne pouvions nous les procurer nous‑mêmes. Même si ces organisations sont clairement touchées par la diminution des ressources, nous avons essayé de réunir les renseignements dont nous disposions avec les données tirées de ces enquêtes très complexes sur la main-d’œuvre. Nous avons maintenant établi et imposé des sanctions très importantes, alors qu’au cours de nos six premières années d’existence, nous avons réussi à révoquer un seul permis à l’issue d’un processus disciplinaire.
Actuellement, nous révoquons le permis d’un membre chaque mois. C’est un progrès très important, même si le but n’est pas la révocation en soi. Ce sont nos membres, et ces audiences prolongées ont englouti beaucoup de ressources, non seulement les nôtres, mais aussi celles d’autres organismes gouvernementaux avec lesquels nous travaillons.
J’admets que l’organisme de réglementation, dans sa forme antérieure, a éprouvé des difficultés importantes, mais il faut accuser le manque d’imagination. J’ai constaté que lors de la création de cet organisme de réglementation, on a procédé au coup par coup et on lui a attribué seulement des pouvoirs résiduels de peu d’importance, mais aucun pouvoir d’application.
Avec la mise en œuvre de ce projet de loi, nous serons en mesure non seulement de rappeler à l’ordre les membres qui abusent de leurs clients et dont on parle aux nouvelles, mais aussi d’envoyer un message clair que ce genre de comportement ne sera plus accepté à l’avenir.
La sénatrice Forest-Niesing : Merci. Avons-nous le temps d’écouter la réponse de Me Seligman?
La présidente : Oui.
Mme Seligman : Je trouve primordial de donner du mordant à l’organisme de réglementation. Si le projet de loi est adopté, il sera tout aussi fondamental et crucial d’aider à protéger le public. Seulement, et je m’excuse de me répéter, à défaut d’exigences obligatoires en matière de formation et d’une limitation du champ d’exercice — je n’ai entendu personne parler des exigences en matière de formation —, nous aurons affaire aux mêmes personnes qui s’inscrivent et qui exercent le droit sans avoir été formées et, bien souvent, qui ne sont pas qualifiées sur le plan déontologique pour exercer le droit. Vous pouvez dire ce que vous voulez au sujet des avocats, mais ils sont diplômés, ils ont fréquenté les facultés de droit, ils ont fait des stages, ils ont réussi les examens du Barreau. Ils sont assujettis à une réglementation rigoureuse. Pourtant, vous accordez ce pouvoir à des gens qui ne possèdent tout simplement pas ces qualifications. Je le répète, ils ont suivi une formation de six mois en ligne.
À moins d’un cours obligatoire d’une durée minimale de deux ans et réglementé correctement — je ne parle pas d’un de ces programmes offerts en ligne par des écoles privées —, avec des cours appropriés et une portée limitée, je pense que nous allons nous retrouver ici dans quelques années et que leur nombre aura augmenté jusqu’à 10 000. Les dommages auront été faits. C’est le nœud du problème, comme l’a justement dit la sénatrice Omidvar. Il faut trouver un équilibre entre la protection du public et ce que vous avez devant vous. À mon avis, il faut imposer une scolarité minimale. C’est fondamental.
La sénatrice Forest-Niesing : Merci.
Le sénateur Ravalia : Simplement pour poursuivre sur ce que vient de dire Me Seligman au sujet de l’exigence d’un programme d’études universitaires supérieures, seriez-vous en mesure de me décrire en quoi consisterait ce cours et quelles seraient les mesures de suivi? Est-ce que les membres devront respecter des exigences en matière de formation continue pour conserver leur statut? Quelles seraient les répercussions pour les consultants actuels, une fois que le conseil sera devenu un collège, et quelle serait l’incidence sur les consultants dont vous surveillerez les pratiques douteuses?
M. Murray : Je peux commencer par une description des changements proposés au système d’éducation.
Actuellement, les membres du conseil doivent avoir suivi le programme de praticien en immigration, qui est offert au niveau collégial et qui consiste en un minimum de 500 heures de cours. Ensuite, ils doivent démontrer qu’ils possèdent des compétences linguistiques en français ou en anglais conformes aux normes, puis réussir l’examen d’entrée pour être autorisés à exercer la profession, lequel est conçu et organisé par le conseil.
Une fois admis à titre de membres, ils doivent suivre neuf cours de gestion professionnelle offerts par le conseil, et satisfaire aux exigences annuelles en matière de formation continue, soit 16 heures de formation continue en lien direct avec le droit de l’immigration et les processus d’immigration.
À partir de septembre 2020, nous offrirons de remplacer le programme de praticien en immigration par le programme de diplôme d’études universitaires supérieures que nous avons annoncé récemment et qui sera offert à l’échelle nationale, en anglais par l’intermédiaire de la faculté de droit de l’Université Queen’s et en français par l’intermédiaire de la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke.
Ces études seront suivies d’un programme obligatoire d’expérience pratique, puis d’un examen d’entrée entièrement revu pour exercer la profession. Vous pouvez donc voir que nous sommes déterminés à relever considérablement les normes en matière de formation qui encadrent l’exercice de la profession de consultant en immigration.
Quant aux exigences relatives à la formation continue, elles sont actuellement à l’examen, mais notre intention n’est certainement pas de les abaisser.
Mme Seligman : J’aurais un commentaire à ce sujet. Bien entendu, toute hausse des exigences en matière de formation est la bienvenue, mais, là encore, tout se joue dans les détails. Je fais confiance à l’Université Queen’s, et j’ai d’ailleurs parlé à l’un des professeurs qui y enseignent. Je ne demande rien de moins qu’un baccalauréat et, je le répète, un champ d’exercice limité. Ces étudiants n’obtiendront pas les mêmes qualifications qu’un avocat. C’est un peu comme si quelqu’un avait suivi une version modifiée du cours donnant droit au diplôme de médecin ou d’infirmière — il ne serait pas autorisé à pratiquer la médecine. Leur champ d’exercice devrait être limité, et ils ne pourraient pas se présenter en tant qu’avocats.
L’autre chose c'est que toutes ces décisions sont discrétionnaires à ce moment-ci. Rien n’oblige la nouvelle organisation à adopter ces normes. Ce n’est qu’une idée, et c’est pourquoi j’aimerais que ces exigences soient inscrites dans la loi ou prévues dans un règlement. Il faut des exigences minimales et, bien entendu, une amélioration continue de la formation et des exigences d’entrée très élevées. Je recommanderais un baccalauréat, un peu comme pour les programmes d’assistant judiciaire et de parajuriste. Ce sont les exigences minimales pour ces professions.
Encore une fois, si on ne fait pas équipe avec l’organisme de réglementation et si on ne rend pas ces exigences obligatoires, je pense que nous nous retrouverons au même point, devant les mêmes problèmes.
Il faut également s’occuper des droits acquis. Ma position à cet égard est claire, ils ne doivent pas être reconnus. J’ignore comment vous envisagez de faire la transition pour ces personnes — les exigences en matière de formation sont non négociables. On ne peut pas laisser la situation dégénérer pendant encore un an ou deux et se retrouver avec 6 500 personnes qui exercent cette profession dans le fouillis le plus complet. Il faut mettre des balises ou imposer une rééducation.
La présidente : Je sais, monsieur Jade, que vous souhaitez répondre à ces commentaires. Il nous reste encore quelques minutes parce que le ministre est un peu en retard. Nous avons donc un peu plus de temps pour un deuxième tour. Je vais vous laisser formuler vos commentaires, et nous verrons ensuite combien de temps il nous reste.
M. Jade : Merci. Ce sont de bonnes nouvelles. À titre d’exemple, j’enseignais au cégep de Saint-Laurent, qui a offert ce programme pendant de nombreuses années. Dans ma classe, il y avait plusieurs avocats, dont au moins deux notaires publics du Québec qui étaient membres de la Chambre des notaires du Québec.
Ils ont suivi le cours au complet, parce qu’à la faculté de droit, ils n’avaient pas appris le droit de l’immigration et de la citoyenneté. J’aimerais entendre ce que Me Seligman a à dire sur le sujet.
La présidente : Donc, si j’ai bien compris, vous interrogez notre témoin.
Mme Seligman : Je peux répondre à cette question parce que j’enseigne le droit de l’immigration à l’Université Western, et je recrute des étudiants d’Osgoode Hall ainsi que de Windsor et d’Ottawa, où il se donne des programmes très intensifs en matière d’immigration et d’aide juridique. Les étudiants suivent ces cours. Ceux qui s’intéressent au droit de l’immigration suivent ces cours, mais il ne faut pas oublier que sur 150 ou 200 étudiants en droit, seulement un petit nombre s’intéresse au droit de l’immigration. Dans le cas de votre programme, tout le monde s’intéresse au droit de l’immigration. Alors, ce que vous dites n’est pas vrai, parce que pratiquement toutes les facultés de droit que je connais offrent des programmes très intensifs en droit de l’immigration et des programmes pratiques.
La présidente : Merci beaucoup. Je constate que les opinions qui se sont exprimées aujourd’hui sont très différentes. Bien entendu, comme l’a fait remarquer la sénatrice Omidvar, il appartient aux sénateurs de démêler tout ça.
Les sénatrices Moodie et Deacon ont des questions.
La sénatrice Moodie : Ma question porte sur le coût pour le consommateur. Nous savons qu’il y a un problème à cet égard. Les honoraires ont tendance à s’accumuler au fil du temps, et les infortunés clients se retrouvent parfois à devoir des sommes exorbitantes pour bénéficier des services des consultants. Je me demande s’il ne devrait pas y avoir une structure tarifaire et une autoréglementation des honoraires.
À titre de collège, avez-vous l’intention d’examiner la possibilité d’adopter une structure tarifaire du début à la fin d’un mandat, et de réglementer cet aspect également?
M. Huynh : La possibilité de limiter les frais est une question très intéressante. Effectivement, les avocats eux-mêmes n’offrent pas nécessairement de tarifs fixes pour des dossiers particuliers. Je sais que le CRCIC souhaiterait exercer ses activités dans le contexte d’une économie de marché et imposer les tarifs qu’il juge appropriés pour la somme de travail fournie.
Cependant, nous travaillons à l’établissement d’une grille tarifaire. La raison pour laquelle nous le faisons est que dans des domaines très précis, comme je viens de le mentionner, par exemple pour obtenir des permis de travail pour les travailleurs étrangers temporaires, il y a beaucoup d’abus parce que les clients ne comprennent pas vraiment ce pour quoi ils paient. Ainsi, la grille tarifaire n’indiquerait pas seulement le montant des honoraires, mais aussi en quoi consistent exactement les services, s’il est approprié de payer pour faire exécuter ces tâches, ou s’il est approprié de payer l’agent de recrutement pour ces tâches. C’est ce genre de précisions qui doivent être apportées aux clients. Je pense que, de manière générale, on comprend mal en quoi consistent les pratiques justes d’un agent de recrutement. En tout cas, au Canada, ce n’est pas approprié. À l’échelle internationale, en général, ce n’est pas accepté. Donc, je pense que dans ces domaines, nous allons élaborer des grilles tarifaires détaillées, et il nous sera un peu plus facile de définir le montant qu’un travailleur étranger temporaire devrait débourser pour une demande de permis de travail. Dans d’autres domaines plus complexes — par exemple, pour une demande relative au conjoint ou de permis d’études —, les démarches peuvent être un peu plus compliquées. Il est certain que nous allons réfléchir à la possibilité de produire une grille tarifaire.
La sénatrice Moodie : Sauf votre respect, je suis médecin, et mon collège me fournit les grilles tarifaires, et les honoraires que je peux demander sont très clairs. À toutes les étapes, mes patients savent que s’ils devaient se retrouver sur le marché, ils sauraient exactement à quoi s’attendre.
M. Huynh : J’ai peur de ne pas bien comprendre.
La sénatrice Moodie : Si je me rends chez un avocat et que je lui demande de s’occuper de la transaction relative à l’achat d’une maison du début à la fin, il devrait normalement pouvoir me donner ses honoraires. Est-ce que votre collège se penchera sur les divers services que vos consultants peuvent offrir, et est‑ce qu’il établira une grille tarifaire qui non seulement servira de guide, mais qui aussi vous permettra de revenir en arrière et de réglementer les tarifs inappropriés?
M. Huynh : C’est certainement une chose que nous allons étudier, en effet.
La sénatrice M. Deacon : Nous avons entendu parler de champ d’exercice, de l’absence de latitude, des coûts, de l’équilibre et des diverses choses que l’on tente de réaliser à partir de différents points de vue aujourd’hui, et j’ai eu du plaisir à entendre certaines questions et certaines réponses au sujet de la diversité.
Profitant de ma présence ici, j’aimerais saisir l’occasion pour aborder une question qui semble nous échapper. Je suis curieuse d’entendre, maître Seligman, ce que vous n’avez pas eu la chance de nous dire, et je m’adresse aux autres témoins aussi, parce que je pense qu’il s’agit d’une question importante. Il est important de tenir compte de la diversité, et je veux m’assurer que tous les points de vue pourront s’exprimer.
Mme Seligman : Vous me demandez si j’ai autre chose à dire?
La sénatrice M. Deacon : Exactement.
Mme Seligman : Je crois avoir été assez claire. Je pense que les consultants en immigration devraient être supervisés par des avocats. Je ne vois pas comment je pourrais être plus claire. À mon avis, toute personne qui veut exercer le droit devrait faire des études de droit. Cela ne fait aucun doute dans mon esprit. Ces gens posent des gestes lourds de conséquences et ils exercent le droit. Vous pouvez dire que pour une simple demande de visa de séjour, ce n’est pas si terrible.
Quand une personne qui n’a aucune formation en droit et en déontologie dit à quelqu’un de remplir un formulaire de demande et de mentir sur ce formulaire et d’y mettre de faux renseignements — par exemple, d’indiquer qu’il est marié et qu’il a des enfants même si c’est faux parce qu’il aura une meilleure chance d’obtenir un visa de visiteur parce que l’agent des visas pensera qu’il retournera dans son pays... J’ai souvent vu des consultants donner ce genre d’instructions. Généralement, ces consultants ne sont pas réglementés — ce sont des consultants fantômes.
Quelles sont les conséquences? Ce sont de fausses déclarations, qui entraînent une interdiction de territoire au Canada pendant cinq ans. Si une nouvelle demande est soumise, elle sera refusée. Si une personne se marie, elle n’aura pas le droit d’entrer au Canada parce qu’elle a fait une fausse déclaration. Inutile de dire que les conséquences sont graves.
Étant donné que le gouvernement ne semble pas disposé à donner suite aux recommandations de l’Association du Barreau canadien, je recommande d’obliger les consultants à travailler sous la supervision d’un avocat. Mon autre recommandation est de vérifier que ces consultants ont toute la formation et toutes les compétences voulues. J’ai précisé, je le rappelle, qu’il faut limiter leur champ d’exercice afin d’assurer la protection de la population. C’est l’essentiel. Il ne faut jamais perdre de vue le risque couru par la population.
La présidente : Merci, maître Seligman.
Sénatrice Deacon, très brièvement.
La sénatrice M. Deacon : Je voulais seulement ajouter que vous avez commencé en disant très clairement que c’était votre avis. Je crois que nous avons très bien compris comment vous voyez les choses.
Nous avons entendu et saisi votre point de vue. Est-ce que dans les rangs des juristes et des universitaires, vous militez activement aux côtés de nombreux autres qui font le même genre de travail que vous?
Mme Seligman : Oui, en effet. J’ai précisé que c’était mon avis parce que je ne représente pas l’Association du Barreau canadien aujourd’hui. J’ai quand même participé activement à l’élaboration de sa position. Je peux probablement affirmer que j’ai été active dans ce dossier depuis plus longtemps que quiconque ici. Comme je l’ai dit, je ne peux même pas vous dire depuis combien de temps au juste. Tout ce que je sais, c’est que je suis dans le métier depuis 35 ans et que, il y a 25 ans au moins, j’ai témoigné devant un comité parlementaire qui étudiait cette question. Vous comprenez que je milite dans ce dossier depuis très longtemps et que je suis très inquiète de voir les conséquences de la prolifération des consultants. La situation empire et leur nombre grimpe de manière incontrôlée, si vous voulez mon avis.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
La présidente : Merci, maître Seligman. J’espère que les témoins peuvent rester un peu pendant que nous attendons le prochain groupe. Tout le monde est d’accord? Les témoins sont‑ils d’accord? Je suis désolée, maître Seligman.
Mme Seligman : Je peux rester une dizaine de minutes, pas plus. J’ai un vol pour Winnipeg.
La présidente : Nous vous en remercions.
La sénatrice Omidvar : J’aimerais parler de la protection des consommateurs. J’ai travaillé auprès des demandeurs d’asile et des immigrants pendant toute ma vie. J’ai vu toutes sortes d’histoires, dans lesquelles la demande d’une personne n’a jamais été déposée et à qui aucune garantie de remboursement n’a été offerte, la décision de refus n’a jamais été communiquée, les frais imposés étaient exorbitants, la demande était frivole, et ainsi de suite. Malgré tout, les consultants en immigration existent et, comme Me Seligman, je pense que le moment est venu de prendre des mesures pour nous assurer que leurs services aux consommateurs remplissent certaines normes.
J’aimerais vous entendre sur la question des droits acquis. Avez-vous une réponse? Je m’adresse aux représentants de l’association ou du collège. Avez-vous une proposition? Que faudrait-il faire pour obliger les membres actuels à se conformer aux normes proposées?
La présidente : Je vous demanderais de répondre très brièvement. Le groupe suivant est arrivé, et ce serait très apprécié si vous pouviez donner des réponses brèves et précises. Nous allons ensuite suspendre la séance pour quelques minutes.
M. Murray : La question des droits acquis se pose dans tous les domaines professionnels un jour ou l’autre. Quand j’ai commencé à exercer le droit il y a 30 ans, certains avocats n’avaient aucune formation parce que les facultés de droit n’existaient pas encore.
C’est une question complexe, et la réponse passe essentiellement par la formation continue. Il a été mentionné tout à l’heure que le projet de loi prévoit un régime d’octroi de permis par niveaux selon lequel les personnes qui représentent un client ou défendent une cause devant la CISR ou un autre tribunal gouvernemental devront suivre des formations spécialisées supplémentaires. Pour l’instant, c’est la direction que nous entendons prendre pour les personnes ayant des droits acquis.
La sénatrice Omidvar : Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre réponse. Respecterez-vous les droits acquis ou non?
M. Murray : Oui, nous avons l’intention de protéger les droits acquis de nos membres, mais ils devront acquérir d’autres qualifications.
La sénatrice Omidvar : Autrement dit, les normes proposées ne seront pas remplies?
M. Murray : Elles seront appliquées de manière progressive par l’intermédiaire de la formation continue.
La sénatrice Omidvar : Dans l’intervalle, les consommateurs continueront de subir les conséquences.
[Français]
La présidente : Merci à nos témoins. Je suis désolée de vous interrompre, mais nous devons accueillir le prochain groupe de témoins.
Honorables sénateurs, nous poursuivons sans plus tarder notre étude de certains éléments du projet de loi C-97. À l’aide des deux prochains groupes de témoins, nous allons étudier la section 16 de la partie 4, qui modifie la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Nous avons le privilège de recevoir M. Bill Blair, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé. Bienvenue parmi nous, monsieur le ministre. Du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, nous accueillons Fraser Valentine, directeur général, et André Baril, directeur principal, Affaires de réfugiés, ainsi que Jennifer Lutfallah, directrice générale des Programmes d’exécution de la loi et du renseignement à l’Agence des services frontaliers du Canada.
Monsieur le ministre, vous pouvez faire votre présentation. Merci d’être ici aujourd’hui.
[Traduction]
L’honorable Bill Blair, C.P., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci à vous tous.
Honorables sénateurs, je suis heureux de comparaître aujourd’hui devant votre comité afin de parler de cette question importante. Je parlerai aujourd’hui des modifications proposées par le gouvernement à notre système d’octroi de l’asile et aux mesures en matière de protection frontalière contenues dans le projet de loi C-97.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais autant de personnes n’ont été déplacées à l’échelle de la planète. On estime que 258 millions de personnes sont en migration et que plus de 25,4 millions sont réfugiées.
Les pays doivent s’adapter rapidement pour offrir un refuge sûr aux personnes les plus vulnérables dans le monde, et le Canada ne fait pas exception. Comme de nombreux autres pays du monde, le Canada a récemment connu une hausse de la migration.
Compte tenu de l’état de la migration à l’échelle mondiale, il est probable que le nombre de demandeurs d’asile continue d’être élevé. Ainsi, il est essentiel que notre système de protection des réfugiés soit en mesure de gérer les afflux à venir. Quoiqu’il soit impossible de prédire l’avenir, nous souhaitons être prêts.
Il faut nous assurer que notre frontière et notre système d’octroi de l’asile sont bien gérés, pour nous assurer de continuer à remplir nos obligations internationales et à protéger ceux qui ont besoin d’aide. Nous devons également nous assurer que notre système d’octroi de l’asile continue de respecter les principes d’équité et de compassion à l’égard de tous les demandeurs d’asile.
Le budget de 2019 prévoit des investissements de 1,18 milliard de dollars sur 5 ans, à compter de 2019-2020, et de 55 millions de dollars par année par la suite pour améliorer l’intégrité des frontières et du système d’octroi de l’asile du Canada.
Ces investissements nous permettront d’approfondir le travail déjà mené en matière de gestion des frontières canadiennes, et d’améliorer l’efficacité du système d’octroi de l’asile du Canada sans en compromettre le caractère équitable et compatissant.
Les investissements appuieront la Stratégie en matière de protection frontalière du gouvernement et augmenteront la capacité du système d’octroi de l’asile à traiter des volumes de demandes plus importants, afin d’assurer aux réfugiés une protection en temps opportun et de garantir le renvoi plus rapide des demandeurs d’asile rejetés.
Le financement supplémentaire permettra à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de rendre plus de décisions concernant jusqu’à 50 000 demandes d’asile et 13 500 recours en appel d’ici l’exercice 2020-2021. Cela réduira le temps d’attente pour les personnes ayant besoin de protection et permettra le renvoi rapide des demandeurs d’asile rejetés.
En outre, nous augmentons le financement pour permettre le renvoi en temps opportun des personnes qui s’avèrent n’avoir pas un réel besoin de protection, et nous prenons des mesures pour accélérer le renvoi des demandeurs refusés qui sont entrés au Canada de façon irrégulière.
Comme vous le savez, madame la présidente, la modification législative proposée limiterait l’accès à la CISR aux personnes qui ont présenté une demande d’asile dans des pays étrangers avec lesquels le Canada a conclu des ententes d’échange de données biométriques et de renseignements.
La mesure proposée est conforme au principe appuyé par le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Cette mesure aiderait également à réduire la charge de travail de la CISR, tout en garantissant à tous un traitement équitable avant la déportation vers le pays d’origine.
Cela dit, le gouvernement reconnaît que des préoccupations ont été soulevées au sujet dela modification proposée à nos processus. Il est important de noter que cette cohorte de demandeurs ferait l’objet d’un examen des risques avant renvoi, plus connu sous son acronyme ERAR, pour éviter la déportation vers un pays où ils risquent la persécution, la torture ou la maltraitance.
À cette fin, nous appuyons les modifications apportées par le Comité des finances, ailleurs dans le texte, garantissant à toutes les personnes de cette nouvelle cohorte une audience verbale.
Une décision positive à la suite de l’ERAR accorde le statut de personne protégée, et le demandeur peut ensuite présenter une demande de statut de résident permanent. Il s’agit du même statut que celui découlant d’une décision positive de la Section de la protection des réfugiés. Les personnes dont on a établi qu’elles ne courent aucun risqueseraient déportées plus rapidement vers leur pays d’origine.
Madame la présidente, la Stratégie en matière de protection frontalière permettra également de maintenir l’intégrité de la frontière du Canada. Nous investissons dans une capacité permanente d’interception entre les points d’entrée, et la Gendarmerie royale du Canada continue d’accroître ses capacités à des endroits clés de la frontière et d’investir dans de nouveaux équipements technologiques frontaliers. Par ailleurs, nous mettons en place des mesures d’urgence pour nous préparer à réagir à de potentielles augmentations du nombre de migrants irréguliers.
Reconnaissant l’augmentation des demandes d’asile, nous consacrons des fonds supplémentaires à l’établissement, car un nombre accru de personnes se verront accorder le statut de personne protégée.
Puisque les personnes protégées sont admissibles aux services d’établissement, comme la formation linguistique, il s’agit d’un investissement dans l’avenir du Canada.
Madame la présidente, nous investissons dans le système d’octroi de l’asile afin qu’il soit rapide, équitable et définitif.
Grâce aux investissements et aux propositions législatives contenus dans le budget de 2019, le Canada continuera à respecter ses obligations internationales à l’égard des personnes qui fuient véritablement la persécution afin qu’elles obtiennent une décision définitive dans le cadre de notre système d’octroi de l’asile.
Ensemble, ces mesures garantiront que le Canada traite les demandes d’asile conformément à ses obligations nationales et internationales, tout en protégeant l’intégrité de ses frontières, de son système d’immigration et de la sécurité de ses citoyens.
Merci, madame la présidente. Nous répondrons volontiers à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Effectivement, nous avons des questions.
Je rappelle aux membres du comité que nous aurons un vote à 17 h 30, et que nous devrons donc avoir terminé avec ce groupe de témoins à 17 h 15. Je tenais à vous le rappeler. Nous pouvons commencer les séries de questions.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, monsieur le ministre, d’être des nôtres aujourd’hui et de nous avoir présenté quelques éléments préliminaires de ce projet de loi.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner l’article paru aujourd’hui dans le National Post relativement à la comparution de Richard Wex devant le Comité des comptes publics de la Chambre des communes hier. Il répondait au rapport que le vérificateur général a publié au début du mois, dans lequel il affirme que le système d’octroi de l’asile ne peut pas absorber les hausses soudaines de demandeurs et que les voies de communication entre les trois organismes responsables laissent à désirer.
Pourtant, dois-je le rappeler, vous venez d’injecter 173 millions de dollars dans le système en 2018, et vous avez annoncé un autre octroi de 1,18 milliard de dollars au cours des cinq prochaines années.
M. Wex a déclaré que cet argent servira essentiellement pour l’administration du système. Il ne servira pas à régler les lacunes graves de ce système, mais il sera mieux administré. C’est ce qu’il a dit.
J’aimerais savoir comment, selon vous, ces modifications assez importantes pourraient permettre d’améliorer le système dans son ensemble, pas seulement son administration?
M. Blair : Oui, madame. Comme je suis conscient que votre temps est limité, je vais tenter d’être bref. Vous tenez les commandes, madame la présidente.
Le Canada a connu des vagues de demandes de personnes qui cherchaient à obtenir sa protection. Bien entendu, depuis 2017, nous sommes aux prises avec une vague inédite et assez importante de personnes qui traversent clandestinement la frontière et qui revendiquent ensuite l’asile. Le nombre total des demandeurs d’asile, peu importe la manière dont ils arrivent et déposent leur demande, de manière irrégulière ou non, a connu une hausse assez marquée à cause de ce qui se passe dans le monde et les pays voisins.
Jusque-là, la CISR avait des ressources financières et humaines suffisantes pour tenir 24 000 audiences par année environ. En réalité, nous avons constaté que près de 50 000 personnes traversaient la frontière et revendiquaient l’asile. Nous n’avons pas eu le choix de reconnaître que nous avions l’importante responsabilité d’assurer la bonne administration du système.
Nous avons dû prendre deux mesures. La première visait à accroître considérablement la capacité de la CISR à tenir des audiences. Nous avons investi une somme importante en 2018 et, comme vous l’avez mentionné, nous investirons de nouveau en 2019 pour que cette capacité passe de 26 000 à 50 000 audiences par année, soit presque le double.
Parallèlement, nous avons fait des efforts considérables et, je crois, assez fructueux pour réduire le nombre de migrants irréguliers à la frontière. Par exemple, en 2019, le nombre d’entrées irrégulières a reculé de 47 p. 100, et il continue de baisser. Ce n’est pas un hasard, madame la sénatrice. C’est le résultat direct du travail acharné de nos fonctionnaires pour faire des interventions et de la sensibilisation auprès des communautés et des gouvernements du monde entier. C’est aussi, je trouve important de le souligner, le fruit du soutien extraordinaire que le Canada a reçu de ses voisins internationaux pour mieux gérer ces afflux.
Nous avons donc amélioré nettement notre capacité à tenir des audiences dans de meilleurs délais, et nous avons pris des mesures, que nous avons intégrées dans le budget de 2019 et au projet de loi que vous est présenté aujourd’hui, pour mieux gérer ces afflux et ces processus. Notre plan repose sur plusieurs facteurs combinés pour accroître l’efficacité de la gestion.
Nous constatons une baisse assez nette du nombre de demandeurs irréguliers. Par contre, de plus en plus de personnes arrivent aux points d’entrée officiels et déposent une demande au Canada, ce qui reflète là aussi le contexte mondial.
Nous tenons la situation à l’œil et nous collaborons étroitement avec la CISR, dont M. Wex est le président.
Selon ce que j’ai pu observer, sa vision de la gestion est extrêmement éclairée et prudente. J’ai grande confiance dans la manière dont nos investissements dans la CISR seront utilisés sous sa gouverne. Ce n’est pas tout d’augmenter les ressources. Il faut trouver des façons de mieux les utiliser et, si j’en juge par le travail de M. Wex, c’est exactement ce qui se passe.
La sénatrice Poirier : Nous avons sous les yeux une section du projet de loi omnibus d’exécution du budget dans laquelle votre gouvernement propose une réforme importante et majeure de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. À mon avis, ces propositions devraient faire l’objet d’une étude approfondie par les comités visés plutôt que de nous être imposées dans un projet de loi omnibus. Pourquoi votre gouvernement ne présente-t-il pas cette section dans un projet de loi distinct qui serait soumis à un processus d’examen rigoureux? Comment justifiez-vous cette décision?
M. Blair : Nous avons proposé des mesures très complètes, y compris les investissements considérables annoncés dans le budget de 2019. Si vous avez la chance de lire le document budgétaire que nous avons présenté, vous y trouverez des explications très claires des mesures extrêmement complètes que nous proposons pour gérer de manière plus efficiente et plus efficace les systèmes d’octroi de l’asile et de détermination du statut de réfugié.
Nous avons conjugué nos investissements substantiels à des mesures réglementaires compatibles et complémentaires afin d’en accroître l’efficacité. C’est pour cette raison que nous les présentons dans le même projet de loi. Nous considérons que les modifications réglementaires intégrées au projet de loi sont intimement liées et complémentaires aux investissements substantiels dans le système que nous avons annoncés dans le budget.
La sénatrice Poirier : La section 16 introduit un nouveau motif d’irrecevabilité des demandes soumises par des personnes qui ont déjà revendiqué l’asile dans un autre pays, que ce soit les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Existe-t-il dans ces quatre autres pays des mesures similaires sur l’irrecevabilité des demandes soumises par une personne qui a déjà revendiqué l’asile au Canada?
M. Blair : Je vous assure, madame la sénatrice, que cette disposition respecte le principe de la primauté de l’asile auquel adhère l’immense majorité des pays, y compris ceux que vous avez énumérés et avec qui nous avons conclu une entente d’échange de renseignements. Selon le principe de la primauté, une personne devrait soumettre sa demande d’asile dans le premier pays d’arrivée.
Comme nous le savons tous, les personnes qui arrivent au Canada de manière irrégulière viennent des États-Unis. Ailleurs, notre territoire est entouré d’eau. Depuis 2004, aux termes du traité signé entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays, les personnes qui ont déjà revendiqué l’asile aux États-Unis ne sont pas admises à présenter une demande au Canada. Le fait que cette disposition ne s’appliquait pas aux migrants traversant irrégulièrement la frontière a eu l’effet regrettable et inattendu d’inciter plus de personnes à venir au Canada de cette façon.
La sénatrice Poirier : Serions-nous le seul de ces cinq pays à appliquer ce motif d’irrecevabilité? Dans l’affirmative, n’y a-t-il pas un risque que l’arriéré augmente davantage?
M. Blair : Je pense au contraire, madame la sénatrice, que c’est exactement l’inverse. Cette mesure réduit l’arriéré de la CISR et offre ce qui m’apparaît comme une possibilité juste et compatissante d’avoir accès à une audience s’il a été établi qu’une personne a besoin de protection. Toutefois, notre véritable objectif est d’inciter les personnes qui ont déjà déposé une demande d’asile dans un pays sûr à poursuivre leurs démarches dans ce pays au lieu de revendiquer la protection ailleurs.
La sénatrice Poirier : Nous serions néanmoins le premier pays à prendre une telle mesure?
M. Blair : Je ne crois pas, mais mon collègue d’IRCC pourra mieux que moi vous donner l’heure juste.
Fraser Valentine, directeur général, Affaires de réfugiés, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Tous les pays avec lesquels nous avons conclu une entente d’échange de renseignements ont des systèmes d’octroi de l’asile aussi solides que le nôtre. En revanche, aucun de ces pays n’a adopté de mesures qui lui permettraient, comme nous le proposons, d’orienter les demandeurs vers un processus de détermination de la recevabilité, soit l’évaluation des risques avant renvoi. Aucun de ces pays n’a ce type d’outil dans son programme d’asile. La réponse à votre question est que ces autres pays n’ont pas de mesure semblable en matière d’irrecevabilité parce que cet outil n’existe pas dans leur programme d’asile.
La sénatrice Omidvar : Dans votre mot d’ouverture, vous avez parlé des caractéristiques d’équité et de compassion de notre système. Je crois que nous devrions ajouter l’indépendance à cette liste. En effet, notre système se caractérise par le fait que les décisions concernant les demandeurs d’asile sont rendues par des commissaires indépendants de la CISR.
Concernant l’ERAR, si j’ai bien compris, il est question qu’elle soit effectuée dans le cadre d’une audience verbale et donc, comme auparavant, par des fonctionnaires. Je tiens en haute estime nos fonctionnaires, mais je ne crois pas qu’ils soient entièrement indépendants de la branche politique.
Voici ma question : pourquoi ne pas envisager de confier les audiences liées aux évaluations des risques à des juges de la CISR afin de préserver l’indépendance du système et d’économiser tout l’argent qui serait dépensé autrement? Au fait, puis-je vous demander combien d’argent sera dépensé dans ce mécanisme de réacheminement? Pourquoi ne pas le réinvestir dans la CISR qui, comme nous le savons, manque de ressources malgré les hausses récentes?
M. Blair : Madame la sénatrice, je vais tenter de vous répondre, mais je vais aussi, si vous me le permettez, demander à mon ami d’IRCC de compléter ma réponse, et notamment le volet plus technique.
Tout d’abord, je précise que le rôle de la CISR est d’établir si une personne est admissible à la protection au titre du statut de réfugié. C’est sa principale responsabilité.
L’évaluation des risques avant renvoi est un mécanisme distinct, et je comprends bien vos préoccupations. Nous avons déjà discuté de l’indépendance de la fonction publique. Historiquement, ces évaluations ont été confiées non pas à des juges désignés de la CISR, mais à des fonctionnaires. Selon nos observations des deux dernières années au moins, le nombre de personnes qui n’ont pas eu accès à une audience de la CISR et à une évaluation des risques avant renvoi a connu une augmentation considérable. Voilà en quoi consiste l'examen des risques avant renvoi tel que nous l'avons défini.
Dans l’esprit du droit canadien, il nous semble juste de leur offrir la possibilité d’obtenir une audience, et ce sera inscrit dans le projet de loi par suite de la réforme proposée par le Comité des finances. Il faut donner à ces gens la possibilité de faire entendre leur point de vue et d’être représentées par un avocat. C’est l’une des particularités de ces audiences. Par ailleurs, la décision rendue à l’issue de cette audience pourra faire l’objet d’un contrôle indépendant par la Cour fédérale.
Je sais que ces contrôles sont souvent limités à des questions de droit, mais ils assurent une certaine forme d’indépendance.
Je vous garantis qu’en ce qui concerne la détermination du statut de réfugié, l’indépendance de la CISR nous tient énormément à cœur et nous ferons tout pour la protéger. L’évaluation des risques avant renvoi relève d’un autre processus de détermination. Je pense que dans l’immense majorité des cas, c’est le cadre le plus approprié. Je cède maintenant la parole à M. Valentine pour qu’il nous parle des aspects un peu plus techniques.
M. Valentine : Merci, monsieur le ministre.
J’aimerais soulever deux autres points, madame la sénatrice. Le premier, et je ne vous apprendrai rien, a trait au fait que tant l’institution elle-même que les décideurs de la CISR sont indépendants du gouvernement canadien.
Dans le volet de l’évaluation des risques avant renvoi, les fonctionnaires font bel et bien partie du ministère, mais leurs décisions sont indépendantes et libres de toute ingérence des ministres et de la haute direction. C’est la même approche pour tous les processus décisionnels des autres secteurs d’activités. Dans le volet des visas, par exemple, il n’y a pas non plus d’ingérence dans les décisions.
Deuxièmement, concernant votre question sur le coût, il correspond à une hausse de 10 millions de dollars par année. La demande totale indiquée dans le budget de 2019 s’établit donc à 50 millions de dollars. Pour vous donner une idée de la manière dont l’argent sera utilisé, je précise que le ministère compte actuellement 65 agents chargés de rendre des décisions liées aux évaluations des risques avant renvoi. Les investissements supplémentaires permettront d’engager 49 autres agents qui seront aussi chargés de rendre ce genre de décisions.
La sénatrice Omidvar : Merci.
Je ne suis pas convaincue de l’indépendance des décideurs. Nous avons déjà parlé de l’indépendance des décideurs d’IRCC attachés au processus de révocation de la citoyenneté. C’est un problème dont notre chambre a déjà discuté.
Ma question au ministre porte sur l’avenir. Je suis loin d’être certaine que la redirection, peu importe si la portée de ce mécanisme est aussi limitée que vous voulez le croire... N’y a‑t‑il pas un risque que les prochains gouvernements, que ce soit le vôtre ou d’autres, choisissent de rediriger un nombre grandissant de personnes vers un système moins bien articulé? Partagez-vous cette inquiétude?
M. Blair : Je ne peux pas vraiment parler au nom des prochains gouvernements, mais je peux vous parler de l’objectif de mon gouvernement. Nous avons la conviction qu’une personne qui a soumis une demande dans un pays sûr doit poursuivre ses démarches à cet endroit. Peu importe la manière dont elle est arrivée au Canada — s’il est établi avant son renvoi qu’elle doit avoir droit à une audience visant à déterminer si elle a besoin de protection... Si c’est la décision rendue, on lui accordera un statut de personne protégée, qui légalement est à peu près équivalent au statut d’une personne qui a obtenu gain de cause dans un autre processus. Le Canada ne la renverra pas vers un pays où elle sera exposée à des risques. C’est la position que nous défendons.
Je peux vous donner des chiffres exacts. Ces deux dernières années, il a été établi que 3 000 personnes qui sont arrivées au Canada de manière régulière et ont réclamé le statut de réfugié avaient déjà fait cette demande dans un autre pays, soit les États-Unis. Nous avons jugé que le nouveau processus amélioré est le plus efficace pour traiter ces dossiers. Étant donné que nous avons rétabli un équilibre presque parfait entre les différentes voies d’accès au système — peu importe si une personne arrive au Canada par un point d’entrée régulier ou non — nous nous attendons, et les résultats nous donnent déjà raison, à une réduction importante du nombre de personnes qui ont déjà soumis une demande aux États-Unis et qui traversent quand même au Canada. Nous avons adopté de nouvelles règles pour que ce contournement du système cesse. Les règles sont appliquées exactement de la même façon, peu importe que les personnes arrivent à l’aéroport, par le pont Ambassador ou à un point de passage irrégulier. À nos yeux, le principe de l’équité exige que toutes les personnes soient traitées équitablement et conformément à nos lois, peu importe la manière dont elles arrivent.
La sénatrice Omidvar : Merci.
La sénatrice Eaton : La tâche est loin d’être simple. Je pense que l’immigration et les déplacements des populations feront partie des grands défis des 50 prochaines années.
Au sujet de l’Entente sur les tiers pays conclue avec la plupart des partenaires du Groupe des cinq, et particulièrement avec les États-Unis, j’aimerais savoir à quel point vous avez confiance dans les renseignements qu’ils vous communiquent? J’ai l’impression que quand des migrants traversent des forêts pour entrer par le Québec ou le Manitoba, au risque de mourir de froid, les autorités américaines disent bon débarras! C’est peut-être cruel à dire, mais est-ce que les Américains préfèrent éviter le fardeau de la déportation en leur laissant entendre qu’ils peuvent aller Canada par les bois...
Selon les statistiques de votre ministère, parmi les personnes qui ont franchi irrégulièrement la frontière au cours des derniers mois ou des dernières années, quelle proportion s’était vu refuser l’asile aux États-Unis?
M. Blair : Oui, bonne question, madame. Sur les quelque 50 000 personnes qui sont entrées au Canada ces deux dernières années, comme je l’ai déjà dit, nous avons établi que 3 000 environ avaient demandé l’asile dans un autre pays. Ce ne sont pas des demandeurs refusés, mais ceux qui n’ont pas donné suite aux démarches entamées ailleurs. Je ne sais pas combien se sont vu refuser l’asile dans un autre pays, seulement combien ont soumis une demande.
La sénatrice Eaton : De toute façon, pourquoi voudrions-nous savoir si ces personnes ont soumis une demande dans un autre pays?
M. Blair : Selon ce que j’ai pu constater... Ce dossier occupe la majeure partie de mon temps depuis l’été dernier, et je collabore étroitement avec les fonctionnaires américains, qui se sont avérés d’excellents partenaires. Ils prennent au sérieux notre responsabilité commune de préserver l’intégrité de notre frontière. Nos deux pays accordent une grande importance à l’intégrité et à la sécurité de la frontière. La collaboration entre nos fonctionnaires respectifs est excellente.
Cela dit, il est clair des deux côtés de la frontière que nos accords pourraient être améliorés, et que les nouvelles technologies et l’évolution des mouvements migratoires sur la planète, les phénomènes environnementaux...
La sénatrice Eaton : Est-ce que des négociations ont lieu actuellement?
M. Blair : Oui, nous sommes en pourparlers sur les améliorations et les gains d’efficacité qui pourraient bénéficier à nos deux pays. Dans le cadre de notre collaboration... Si vous me le permettez, je vais donner un exemple bref.
Nous avons découvert que beaucoup de personnes demandent un visa de visiteur en vue d’entrer aux États-Unis et, après un délai relativement court, de traverser la frontière canadienne pour réclamer l’asile. Ce constat a forcé une remise en question du processus de délivrance de ce type de visas américains dans les pays d’origine de ces personnes. Nous nous sommes rendus aux États-Unis et nous avons collaboré étroitement avec eux pour régler ce problème. Ils ont reconnu qu’il y avait une faille et ils ont pris des mesures justes et proactives, en collaboration avec nos fonctionnaires. Très rapidement, le nombre de personnes qui entrent aux États-Unis avec un visa de visiteur et qui se présentent ensuite à notre frontière a reculé de 73 p. 100. C’est le résultat direct de la collaboration et de la coopération entre nos deux pays.
La sénatrice Eaton : Une fois que vous avez établi qu’une personne a soumis une demande dans un autre pays, les renvoyez-vous aux États-Unis après avoir procédé à une évaluation des risques, bien évidemment? Retournent-ils aux États-Unis ou dans leur pays d’origine?
M. Blair : Non, madame. Les États-Unis n’ont absolument aucune obligation de les accueillir de nouveau.
La sénatrice Eaton : Bien.
M. Blair : Après l’évaluation des risques avant renvoi, s’il est établi que ces personnes ne sont exposées à aucun risque, elles sont normalement renvoyées dans leur pays d’origine, pas aux États-Unis.
La sénatrice Eaton : Merci.
La sénatrice Moodie : Ma question porte sur le genre. Les femmes qui demandent l’asile aux États-Unis et qui ont été victimes de violence conjugale ou d’une autre forme de sévices horribles comme la mutilation génitale risquent de ne pas être visées par une exemption dans ce pays et pourraient chercher à venir au Canada, où l’exemption existe. Pouvez-vous m’expliquer l’incidence du projet de loi pour ces femmes et comment il prévoit traiter leur demande d’asile si le système d’octroi américain ne prévoit aucun traitement spécial à leur égard?
M. Blair : Oui, madame. Je veux tout d’abord vous rassurer, honorables sénateurs. Avant de présenter le projet de loi, notre gouvernement a réalisé une analyse comparative entre les sexes plus très rigoureuse qui a mis au jour d’importants enjeux liés au genre en raison de l’intersectionnalité avec les communautés LGBTQ et des vulnérabilités qui leur sont propres. Nous voulions nous assurer que personne ne serait exposé à des risques inacceptables et nous avons donc étudié très attentivement cette situation.
Je peux vous dire une chose, et j’espère vous convaincre : si la demande d’une personne est bloquée, aux États-Unis par exemple, parce que sa situation n’est pas reconnue... J’ai bien entendu leur procureur général déclarer que la violence conjugale n’est pas un motif d’octroi de l’asile aux États-Unis. Si cette personne vient au Canada, elle a droit à une évaluation des risques. S’il est établi qu’elle pourrait subir de la violence conjugale ou de la discrimination en tant que membre de la communauté LGBTQ, elle obtiendra notre protection. Nous n’allons pas l’arrêter et la renvoyer, mais nous allons lui offrir le droit à une audience. S’il est établi qu’elle coure un risque, nous lui accordons notre protection.
La sénatrice Moodie : Pourra-t-elle se prévaloir d’une exemption? Irez-vous aussi loin?
M. Blair : Non, madame. Une évaluation des risques sera effectuée pour cette personne et toutes les personnes jugées à risque. Nous reconnaissons le risque que peut présenter un partenaire intime violent ou une relation conjugale violente, et nous accordons notre protection aux personnes exposées à ce risque. Si ces personnes ont besoin de protection, elles la recevront.
La sénatrice Moodie : Très bien. Merci.
La sénatrice Dasko : J’ai des questions concernant les personnes qui traversent la frontière irrégulièrement. J’aimerais savoir... Vous avez dit que leur nombre diminuait, et j’imagine que c’est une réussite. Dans quelle mesure ces demandeurs obtiennent-ils l’asile par rapport à ceux qui ne traversent pas la frontière illégalement? Quel est le taux de succès de ces demandeurs? Pouvez-vous nous dire qui sont ces demandeurs? S’agit-il de membres de groupes ethniques ou religieux particuliers? J’aimerais savoir qui sont ces demandeurs et si leurs caractéristiques ont changé au fil du temps.
M. Blair : Merci de soulever cette question, madame. J’ai quelques chiffres pour l’année 2018. C’est une année seulement, mais je crois qu’ils nous donnent un bon portrait de la situation. Parmi les personnes qui ont soumis une demande après avoir traversé la frontière irrégulièrement, c’est-à-dire qu’elles sont arrivées ailleurs qu’à un point d’entrée ordinaire et ont soumis une demande de détermination du statut de réfugié, le taux de demandes acceptées est de 49 p. 100. Plus précisément, 49 p. 100 de tous les demandeurs ont été jugés à risque et ont reçu la protection du Canada. Il en reste donc 51 p. 100 à qui cette protection n’a pas été accordée.
Plusieurs processus entrent en jeu avant que cette détermination soit faite. Une première audience est tenue, mais il y a aussi une division d’appel et, selon le temps écoulé, il peut y avoir une évaluation des risques avant renvoi. Les demandeurs peuvent s’adresser à un tribunal d’appel. Toutefois, le taux de succès...
La sénatrice Dasko : Comment se comparent ces 49 p. 100 de demandeurs aux autres — aux demandeurs non irréguliers, si je peux m’exprimer ainsi? Leur taux de succès est-il supérieur par rapport à celui des autres demandeurs?
M. Blair : Vous voulez dire par rapport à ceux qui traversent la frontière de manière irrégulière et qui soumettent ensuite une demande? Le taux de succès est de 10 à 15 p. 100 moins élevé pour les migrants irréguliers que pour ceux qui entrent régulièrement.
Cette répartition peut varier dans le temps. Comme je l’ai dit, les nombres ont atteint des sommets. La cohorte la plus nombreuse de personnes qui sont arrivées au Canada provenait d’un même pays d’Afrique.
La sénatrice Dasko : Quel est ce pays?
M. Blair : Le Nigeria. Nous avons découvert que la grande majorité de ces migrants arrivent aux États-Unis avec un visa de visiteur, délivré pour des fins de tourisme, et qu’ils en profitent pour se présenter à notre frontière. Après des efforts concertés avec le gouvernement nigérian et celui des États-Unis, les représentants de l’ASFC et d’IRCC ont obtenu des résultats très positifs. En plus des mesures prises pour limiter l’accès aux États-Unis avec ces visas, beaucoup de travail de sensibilisation et d’information a été fait pour éduquer cette population. Énormément de faussetés et de mythes circulaient.
Dans beaucoup de cas, il s’agit de migrants vulnérables qui sont exploités par des individus sans scrupules qui cherchent le profit.
La sénatrice Dasko : Avez-vous été en lien avec ces communautés ethniques?
M. Blair : Oui, madame, nous avons fait de sérieux efforts. Nous avons envoyé des délégations dans ces pays et nous avons investi pour diffuser de l’information en ligne, parce que c’est surtout là que les gens se renseignent.
La sénatrice Dasko : Faites-vous de la publicité dans leurs médias?
M. Blair : Oui, madame. Dans les pays où le Canada est perçu comme une destination d’immigration de choix, nous voulons nous assurer que les gens ne tombent pas sur l’information fictive véhiculée dans YouTube, mais sur des faits.
La sénatrice Dasko : Y a-t-il des sonnettes d’alarme?
M. Blair : L’important est de nous assurer que les gens prennent des décisions éclairées. Beaucoup de ces personnes agissent rationnellement. Si nous leur dressons un portrait réaliste du système d’immigration canadien... Nous avons réalisé que les demandeurs refusés aspirent à une vie meilleure. Ils n’ont pas besoin de notre protection. Ce qu’ils veulent, c’est venir au Canada. C’est un pays extraordinaire. Des gens de partout dans le monde aimeraient avoir la chance de venir ici.
Notre système d’immigration est solide. Dans le cas de ceux que l’on pourrait appeler des migrants économiques plutôt que des réfugiés, notre travail consiste essentiellement à leur expliquer comment soumettre une demande de manière légale et correcte pour immigrer de manière régulière au Canada plutôt que d’être pris en charge par le système. Une grande partie de nos efforts consiste à déboulonner des mythes et à coopérer avec beaucoup de ces communautés.
Nous avons obtenu une bonne collaboration. Par exemple, je me suis rendu aux États-Unis pour rencontrer les consuls généraux de pays dont pourrait provenir une diaspora. Ces pays ont été très coopératifs et ont contribué à la diffusion d’information exacte à leurs citoyens afin de leur éviter d’être pris en charge par un système dans lequel leurs démarches sont vouées à l’échec. Nous avons réalisé des progrès importants à cet égard. Nous allons poursuivre ces efforts.
C’est pourquoi, comme je l’ai dit plus tôt, nous n’avons pas investi uniquement pour accroître le nombre d’audiences. C’est une partie importante, mais nous voulons aussi que ces audiences soient accessibles aux personnes qui ont vraiment besoin de notre protection. Une partie de ce travail consiste à rediriger les personnes qui pourraient ne pas avoir besoin de notre protection vers un mécanisme mieux adapté à leur situation.
Le sénateur Oh : Bienvenue, monsieur le ministre. Après le désormais célèbre tweet dans lequel le premier ministre souhaitait la bienvenue aux réfugiés, notre frontière a été véritablement assaillie par les demandeurs d’asile. J’aimerais citer les constats récents du vérificateur général :
L’explosion des demandes présentées en 2017 a diminué la capacité du gouvernement de traiter les demandes dans les délais prescrits, ce qui a rallongé les temps d’attente. [...]
D’après nos prévisions, si le nombre de nouveaux demandeurs d’asile se maintient à environ 50 000 par année, le délai d’attente pour obtenir une décision aura plus que doublé d’ici 2024 pour atteindre cinq ans. [...]
Monsieur le ministre, le gouvernement a haussé le financement et les ressources de la CISR. Quand le gouvernement espère-t-il rattraper l’arriéré?
M. Blair : Merci beaucoup de poser la question, sénateur. Il est important de réfléchir à cette question et de rappeler la longue et fière tradition du Canada comme terre d’accueil et d’ouverture pour tous ceux qui cherchent à fuir la guerre et la persécution. Cette tradition ne date pas de 2017, mais des origines de notre pays. Notre pays a toujours représenté un havre de sécurité, comme une terre d’accueil, et le Canada a reçu énormément des immigrants et des réfugiés qui s’y sont établis. Ils ont contribué à son évolution et à sa construction.
Quand le premier ministre a dit que le Canada était un pays accueillant, il témoignait de l’histoire et des valeurs de notre nation. Pour être franc, l’idée que le tweet du premier ministre aurait pu avoir un effet aussi spectaculaire sur les migrations... J’ai dit tout à l’heure que 250 millions de personnes sont en déplacement et que 25 millions ont revendiqué le statut de réfugié. Partout dans le monde, les pays comme le Canada — je parle de pays sûrs et prospères — sont tous confrontés aux défis que représentent les personnes en quête de sécurité.
C’est vrai, leur nombre a explosé en 2017, pour des raisons multiples, bien documentées et bien comprises.
Le rapport du vérificateur général est un document très pertinent, dans lequel il reconnaît le défi affronté en 2017, mais il l’a rédigé avant d’avoir entendu parler de nos investissements considérables dans la CISR, notamment pour accroître sa capacité de tenir des audiences et de faire passer leur nombre de 26 000 en 2017 à près de 50 000 par année actuellement. Le vérificateur général n’avait pas eu non plus la possibilité de constater l’amélioration de la gestion des flots de migrants grâce à l’excellent travail de nos fonctionnaires, ni de nos efforts de sensibilisation.
Très honnêtement, j’estime que nous avons la responsabilité d’administrer ce système, de faire respecter notre droit et de remplir toutes nos obligations internationales. Nous avons aussi la responsabilité de continuer de rassurer les Canadiens relativement au maintien et au respect de nos valeurs et de nos lois, ainsi qu’à la bonne administration de notre système. Selon moi, c’est exactement ce qui transparaît dans le budget que nous avons présenté en 2019 et les efforts accomplis en 2018. Je peux vous affirmer que j’ai été aux premières loges pour admirer l’excellent travail de nos fonctionnaires et le dévouement, la compassion et l’esprit de justice qu’ils insufflent à ces processus. Si les Canadiens pouvaient le voir de leurs yeux, ils seraient fiers.
Les préoccupations soulevées par le vérificateur général... À vrai dire, ce n’était rien de nouveau et nous n’avions pas besoin d’un rapport du vérificateur général pour comprendre qu’il y avait matière à amélioration. Nous n’avons pas attendu pour prendre les mesures requises. Nos fonctionnaires ont travaillé d’arrache-pied pour améliorer notre capacité.
Nous avons constaté, comme je l’ai déjà mentionné, une réduction marquée du nombre de personnes qui traversent la frontière irrégulièrement. C’est important parce que c’est conforme à l’esprit de justice des Canadiens. La sécurité n’est pas menacée, je vous l’assure. La sécurité et la sûreté n’ont jamais été mises en cause, mais l’esprit de justice des Canadiens a été ébranlé. Ils ont besoin de savoir que le système est administré de manière juste. Ils nous demandent aussi d’agir en administrateurs compétents, et je crois que nous pouvons faire la démonstration que la rigueur de notre administration est à la hauteur de leurs attentes.
Le sénateur Oh : Est-ce que j’ai encore du temps?
La présidente : Oui, mais rapidement.
Le sénateur Oh : Monsieur le ministre, même si les États-Unis sont aussi un pays d’immigration, les demandeurs d’asile continuent de monter au nord pour traverser notre frontière. N’y aurait-il pas quelque chose qui cloche?
M. Blair : Sénateur, nous avons la chance d’occuper une telle position dans le monde. Nous sommes entourés de trois océans et nous avons un grand allié au sud. En réalité, les défis auxquels font face les États-Unis sont énormes. Quelqu’un m’a demandé récemment si les États-Unis font vraiment partie des tiers pays sûrs. L’an dernier, 95 000 personnes en quête de sécurité ont pensé que c’était le cas et ont cherché un refuge et la sécurité aux États-Unis. Au cours des 40 dernières années, 3,5 millions de personnes ont demandé et obtenu l’asile aux États-Unis.
C’est un pays aux prises avec de multiples défis, comme l’Allemagne, l’Angleterre, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la plupart des pays européens. La plupart des pays développés se trouvent devant d’immenses défis. C’est l’une des raisons qui ont poussé le Canada à endosser et à appuyer le Pacte mondial pour les migrations des Nations Unies. Nous devons unir nos efforts pour gérer la situation avec équité et compassion. C’est notre devoir à tous.
La sénatrice M. Deacon : Dans votre mot d’ouverture, vous avez parlé de nouveaux équipements. Vous avez mentionné les efforts de la GRC pour améliorer ses capacités, de même que des investissements dans de nouveaux équipements technologiques frontaliers. C’est très bien. Je suis simplement curieuse de savoir à quoi ces nouveaux équipements technologiques frontaliers donneront accès, s’ils soutiendront les décisions, donneront de la valeur ajoutée au travail accompli et faciliteront les recherches. En fait, quels seront les véritables avantages?
M. Blair : Je peux vous donner quelques éléments de réponse, puis je me tournerai vers les fonctionnaires, et particulièrement ceux de l’ASFC.
Une chose est certaine : les renseignements et les données peuvent vraiment faciliter la gestion des flux de migrants. Il est important que la collecte et le partage de données biométriques soient faits dans les règles et de manière à protéger les renseignements personnels. Nous savons que l’échange de renseignements se fait de manière appropriée avec les pays signataires d’ententes, soit les autres membres du Groupe des cinq. C’est un aspect qui peut être fondamental.
D’autres technologies récentes permettent d’identifier les personnes qui entrent et qui sortent du pays, ou celles qui traversent irrégulièrement la frontière. La technologie peut être utilisée pour protéger la sécurité de la frontière et nous aider à résoudre certains de ces problèmes.
L’une des chances de notre pays... Beaucoup de migrants ont traversé la frontière en 2017. C’était un phénomène assez nouveau. Par exemple, 1 300 personnes environ ont passé la frontière entre les États-Unis et le Manitoba, près d’Emerson. Des mesures efficaces ont été prises. J’ai été heureux de constater que cette année, seulement une personne a traversé à cet endroit en janvier, et une autre encore en février. Ce nombre est passé à quatre ou cinq en mars.
Nos fonctionnaires font un travail extraordinaire pour gérer la situation, de manière concertée la plupart du temps, grâce à des outils d’échange de renseignements et d’autres outils améliorés à la frontière.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Est-ce que je dois m’arrêter ici?
La présidente : Si ce n’est pas trop vous demander, pour laisser du temps pour un suivi rapide. Est-ce que cela vous va avant que nous allions voter?
La sénatrice M. Deacon : Oui, aucun souci.
La présidente : Merci.
La sénatrice Seidman : Ce sera très rapide, monsieur le ministre. C’est intéressant, parce que l’article 301 du projet de loi ajoute un nouvel objectif à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Voici la disposition en question :
(f.1) de préserver l’intégrité du système d’immigration canadien grâce à la mise en place d’une procédure équitable et efficace;
L’ajout d’un objectif à une mesure législative n’a rien d’anodin. Pourriez-vous nous en expliquer la signification?
M. Blair : Si vous me le permettez, je vais demander au directeur d’IRCC de nous éclairer.
M. Valentine : Merci, monsieur le ministre.
C’est assez technique. En fait, les dispositions qui ajoutent un nouvel objectif en matière d’immigration vise à donner effet à l’article 304 du projet de loi, qui confère au gouverneur en conseil le pouvoir d’interrompre ou de faire cesser le traitement des demandes de visa en cas de difficulté avec un pays vers lequel nous souhaitons renvoyer des demandeurs refusés. C’est un problème que rencontre actuellement le gouvernement canadien. Certains pays ne délivrent pas les documents de voyage requis pour le renvoi d’un demandeur refusé.
Le projet de loi habilite le gouverneur en conseil à prendre cette mesure. Nous n’avions pas le choix d’ajouter cet objectif pour ajouter ce pouvoir.
La sénatrice Seidman : Je vois. Je ne pensais pas que la réponse serait aussi technique et aussi complexe.
M. Blair : À vrai dire, dans son aspect moins technique, la protection de l’intégrité de nos institutions et de nos systèmes et la prise d’un engagement en ce sens sont tout à fait justifiées.
La sénatrice Omidvar : Vous avez parlé d’équité. C’est important, mais il est tout aussi important de respecter les lois. Ces réformes sont-elles constitutionnelles? Sont-elles conformes à la jurisprudence? Risquent-elles d’être contestées devant les tribunaux?
M. Blair : J’ai discuté avec le ministre de la Justice et il croit très fermement que ces réformes sont constitutionnelles. Je dois mentionner que le jugement Singh et d’autres jugements connexes ont grandement guidé notre réflexion relativement aux mesures à prendre pour garantir l’accès à une audience avant le renvoi à toute personne qui n’aura pas eu accès à la CISR, conformément aux nouvelles règles. Les tribunaux ont tranché clairement que toute personne dans cette situation devrait avoir droit à une audience. Elle devrait avoir la possibilité de faire entendre son point de vue et avoir accès à une représentation par un avocat, et la décision rendue devrait être susceptible de contrôle par nos tribunaux. Je crois que tous ces éléments rendent ces mesures conformes à la jurisprudence et qu’elles sont constitutionnelles.
J’ajouterai que mon expérience des cours de justice — j’y ai passé beaucoup de temps, croyez-moi! — m’a appris que tout est sujet à contestation, madame la sénatrice.
La sénatrice Omidvar : Ce sera contesté.
[Français]
La présidente : Sur cette note, nous vous remercions, monsieur le ministre, d’avoir été parmi nous.
[Traduction]
Nous allons suspendre la séance, mais je vous demande de revenir rapidement après le vote pour que nous poursuivions avec le dernier groupe de témoins.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
[Français]
La présidente : Chers collègues, nous allons poursuivre cette étude du projet de loi et de la section 16 de la partie 4 avec notre troisième et dernier panel pour aujourd’hui.
[Traduction]
Je vois que nos collègues ne sont pas tous revenus de la Chambre, où nous venons de voter. Toutefois, par souci d’efficience, nous allons reprendre nos travaux tout de suite.
Merci de vous joindre à nous et de nous aider dans le cadre de cette étude.
[Français]
Du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, nous accueillons M. Jean-Nicolas Beuze, représentant au Canada. Merci d’être là. Du Conseil canadien pour les réfugiés, nous accueillons, par vidéoconférence, M. Richard Neil Goldman, membre du Comité des affaires juridiques et, de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, M. Andrew Brouwer, vice-président.
[Traduction]
Nous commencerons par vous, monsieur Goldman, par vidéoconférence.
Richard Neil Goldman, membre, Comité des affaires juridiques, Conseil canadien pour les réfugiés : Merci. Au nom du Conseil canadien pour les réfugiés, je vous remercie de cette occasion de parler à votre comité de cette question très importante des droits des réfugiés et, partant, des droits de la personne.
[Français]
Je vais faire mes commentaires en anglais. Toutefois, nous avons produit notre mémoire dans les deux langues. Par la suite, je serai très heureux de répondre aux questions dans la langue de votre choix.
[Traduction]
Dans son mémoire de neuf pages, le Conseil canadien pour les réfugiés énumère en détail les très graves lacunes que présentent les amendements proposés, dont je serais très heureux de parler au cours de la période de débat, mais rien n’est plus éloquent qu’une histoire vraie. Ceci est tiré d’un article d’opinion que j’ai écrit, qui fait partie des documents qui vous ont été distribués, je crois.
C’est l’histoire de Reina, ce qui n’est pas son vrai nom, qui a quitté son petit village d’El Salvador après que les gangs s’y sont installés. Un membre de gang avait jeté une bombe sur la maison de ses voisins, tuant quatre personnes. Un autre avait abattu son frère, qui était un ancien soldat du gouvernement et, partant, un ennemi aux yeux du gang. Les membres du gang l’ont avertie que le reste de la famille avait tout intérêt à partir.
De nombreux groupes de défense des droits de la personne ont documenté l’histoire de Reina, qui est typique de milliers de migrants fuyant la violence d’El Salvador pour trouver asile dans le nord. Bien sûr, la géographie étant ce qu’elle est, quiconque espère arriver au Canada doit d’abord passer par les États-Unis. Cela signifie, normalement, faire une demande d’asile quand on est intercepté par les agents des États-Unis, et espérer être libéré pour pouvoir poursuivre jusqu’au Canada.
Pourquoi Reina ne tenterait-elle pas simplement d’obtenir l’asile aux États-Unis? À cette question je réponds que si une personne comme Reina avait la moindre chance que l’asile lui soit octroyé aux États-Unis, cet espoir a disparu en juin 2018, quand l’ancien procureur général des États-Unis, Jeff Sessions, a proclamé une décision rendant pratiquement impossible l’obtention du statut de réfugié aux États-Unis pour des motifs de violence des gangs.
Dans son témoignage plus tôt, le ministre Blair a dit que les États-Unis demeurent un pays sûr pour les réfugiés. Je dirais, respectueusement, que cela n’aurait pas été un pays sûr pour Reina.
Bien sûr, Reina aurait pu vouloir venir au Canada parce qu’elle ne connaît personne aux États-Unis et a des membres de sa famille au Canada, peut-être un oncle ou une tante qui sont venus au Canada durant la guerre civile d’El Salvador — qui a pris fin au début des années 1990 — et sont maintenant bien établis au Canada.
Pour les personnes qui n’ont rien quand elles arrivent, la famille est un grand confort et une grande aide, ce que l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis reconnaît en incluant une exception pour les membres de la famille.
Si Reina arrivait aujourd’hui, le 29 mai 2019, elle aurait droit à une audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le tribunal indépendant hautement réputé du Canada, chargé de se prononcer sur les demandes d’asile. Bien sûr, si la CISR avait conclu que les peurs de Reina étaient fondées, celle-ci se serait vue octroyer l’asile.
Cependant, si les amendements proposés que vous étudiez devaient être adoptés, cela changerait. En dépit de l’excellente raison qu’avait Reina d’abandonner sa demande d’asile — le fait qu’elle aurait eu très peu de chances de se voir octroyer l’asile aux États-Unis pour des motifs de violence des gangs —, elle n’aurait pas droit à une audience de la CISR et, plutôt, serait reléguée au processus d’examen des risques avant renvoi, l’ERAR, un processus beaucoup moins juste qu’une audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
Il est important de noter que, même si Reina avait eu un membre de sa famille au Canada et avait été admise à un point d’entrée officiel au titre de l’exception de l’Entente sur les tiers pays sûrs, une audience devant la CISR lui aurait quand même été refusée et elle aurait été reléguée à l’ERAR.
Adopter les amendements proposés serait comme reculer dans le temps jusqu’avant 1985, date à laquelle la Cour suprême a statué, dans la décision Singh, que tous les demandeurs du statut de réfugié avaient droit à une audience.
Si les changements proposés sont injustes pour les réfugiés, ils nuisent aussi à toute tentative de faire fonctionner le système de détermination du statut de réfugié du Canada de façon opportune. Ils créeront un système de détermination parallèle exigeant une nouvelle infrastructure et donnant lieu à des retards et à des coûts inutiles. Ce système ferait probablement aussi l’objet de contestations judiciaires, comme l’a admis le ministre Blair il y a quelques instants dans son témoignage.
Il serait beaucoup plus logique d’augmenter la capacité du système existant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, un système qui est reconnu comme étant le meilleur au monde.
Le Comité des finances de la Chambre des communes a maintenant voté en faveur d’un amendement garantissant le droit à une audience pour tous les demandeurs touchés par les changements proposés. Malheureusement, fort de l’expérience poussée de l’ERAR que ses membres ont acquise, le CCR sait que la garantie d’une audience ne corrigera pas la situation. Nous soutenons que l’ERAR est un processus si inférieur comparativement à une audience devant la CISR et que les droits des demandeurs dans le processus d’ERAR sont si compromis que, même si l’ERAR garantissait une audience, il serait quand même inacceptable de priver des milliers de demandeurs d’une audience devant la CISR et de les reléguer au processus d’ERAR.
Comme le décrit en détail notre mémoire, un des problèmes de l’ERAR est le fait que ses agents sont des fonctionnaires moins expérimentés que les membres de la CISR et qu’ils ne sont pas formés de la même façon.
Aucun appel sur le fond n’est possible après une décision négative de l’ERAR, comme dans le cas d’une décision de la CISR qui peut être portée en appel à la Section d’appel des réfugiés.
Les demandeurs d’asile déboutés à l’issue du processus d’ERAR peuvent être expulsés même pendant qu’ils exercent leur seul moyen de contestation de la décision, c’est-à-dire la demande d’un contrôle judiciaire à la Cour fédérale.
Contrairement à la CISR, l’ERAR ne comprend aucun mécanisme selon lequel un représentant est désigné pour que les mineurs non accompagnés et les autres personnes vulnérables puissent comprendre les procédures.
Les demandeurs inadmissibles de pays frappés par un moratoire — ce sont les pays pour lesquels le Canada a suspendu les mesures de renvoi, comme la République démocratique du Congo, le Burundi et l’Irak — se retrouveront dans un vide juridique à long terme, car ils n’auront pas accès au processus d’ERAR puisqu’ils ne sont pas exposés à un risque d’expulsion imminent, mais ils n’auront pas, non plus, accès à un statut de personne protégée.
Enfin, IRCC n’a pas l’infrastructure nécessaire pour mener des milliers d’audiences, et ce serait un dédoublement inutile d’en créer une toute nouvelle plutôt que de continuer à améliorer la capacité de la CISR qui, comme l’a mentionné plus tôt le ministre Blair dans son témoignage, traite déjà près de 50 000 cas par année.
Jusqu’au dépôt de ce projet de loi, les Canadiens pouvaient être fiers de leur gouvernement qui a réagi à l’augmentation récente et probablement temporaire du nombre de demandeurs d’asile arrivant au Canada selon ses principes et dans le respect des droits de la personne. Avec cette proposition, le Canada se joindrait, hélas, à tant d’autres pays qui ont réagi à l’augmentation du nombre de réfugiés en fermant la porte aux personnes qui fuient des violations des droits de la personne au lieu d’augmenter la capacité selon les besoins.
Merci.
La présidente : Merci.
Jean-Nicolas Beuze, représentant au Canada, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés : Je vous remercie de cette occasion de parler des changements qui sont envisagés ou proposés dans la Loi d’exécution du budget.
Si le nombre de demandeurs d’asile arrivant au Canada a augmenté au cours des deux dernières années, comme nous l’avons entendu, j’avais auparavant noté que les mesures adoptées par le gouvernement ont maintenu un accès au statut de réfugié d’une manière humaine et efficace, avec des contrôles de sécurité adéquats.
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le UNHCR, cependant, reconnaît que les gouvernements, y compris le gouvernement du Canada, doivent arriver à un équilibre entre la gestion des flux de migration, la sécurité frontalière et le maintien de la confiance du public dans les systèmes d’immigration et d’octroi de l’asile. Nous avons constaté un certain changement dans l’opinion publique, dans le discours de certains politiciens, ainsi que dans certains médias.
Dans ce contexte, les mouvements à venir des demandeurs d’asile venant de pays comme les États-Unis pourraient être perçus par le public comme un abus du système d’octroi de l’asile. Il est par conséquent légitime pour les gouvernements de prendre des mesures pour apaiser de telles préoccupations et trouver des moyens de faire un triage des cas avec équité, efficacité et fermeté, en temps opportun. En faisant cela, ils doivent respecter l’obligation internationale qu’ils ont d’accorder l’asile à ceux qui risquent d’être persécutés.
À cet égard, nous sommes heureux de voir les investissements dans le système canadien d’octroi de l’asile figurant dans le budget de 2019, et la capacité de la CISR de traiter 50 000 cas, ce qui a été la moyenne au cours des deux dernières années.
Selon les changements proposés, certaines personnes qui ont fait une demande d’asile dans un autre pays, surtout les États-Unis ou, peut-être même, le Royaume-Uni, ne pourront plus plaider leur cause devant la CISR. Cependant, il ne leur sera pas interdit de demander l’asile au Canada. Elles pourront quand même faire une demande d’asile, mais elles seront aiguillées vers un autre processus appelé l’examen des risques avant renvoi, ou l’ERAR, dont on a parlé aujourd’hui.
À cet égard, nous devons reconnaître que l’ERAR a les mêmes objectifs que le processus de la CISR pour les réfugiés. Il est fondé sur les mêmes motifs et confère le même degré de protection. En d’autres termes, la même définition est appliquée pour évaluer si une personne a besoin d’une protection au Canada en raison des risques qu’elle pourrait avoir dans son pays d’origine.
Ainsi, on peut s’attendre que Reina, dont notre ami du Conseil canadien pour les réfugiés a présenté le cas, soit évaluée selon la peur qu’elle a des gangs ou la persécution qu’elle a subie de la part de ces derniers dans sa collectivité en Amérique centrale et du fait qu’elle n’a pas reçu la protection des États-Unis, selon les mêmes critères que ceux de la CISR.
En fin de compte, l’important, c’est que chaque cas soit jugé sur le fond équitablement, et qu’aucune personne, y compris Reina, ne soit forcée à retourner dans un pays où elle risque la torture ou la persécution.
Dans l’exposé du Conseil canadien pour les réfugiés, il n’a pas été mentionné qu’il y a eu quelques changements plus tôt cette année. Le HCR est très heureux de l’amendement au projet de loi que le gouvernement a déposé et que le Comité des finances de la Chambre des communes a adopté plus tôt cette semaine. Ils ont ainsi intégré dans la loi le droit à une audience d’ERAR pour les personnes touchées par les nouvelles mesures. C’est exactement ce que le ministre Blair a expliqué il y a un moment. C’est ce qu’il avait déclaré au Comité de l’immigration et de la citoyenneté il y a quelques semaines.
L’amendement fait état de l’assurance d’un ERAR amélioré que le gouvernement a signifié au HCR précédemment, à savoir l’assurance qu’aucune personne ne sera expulsée sans bénéficier d’une application régulière de la loi. Cela comprend, notamment, le droit à une audience avant le renvoi et à la présentation et à la prise en compte de la crainte de persécution. J’encourage, par conséquent, les sénateurs à appuyer cet amendement qui garantit fermement un aspect important de l’application régulière de la loi.
Dorénavant, nous devons veiller à ce que les mesures de protection qui se trouvent dans le processus soient pleinement appliquées, y compris par l’adoption de politiques garantissant une équité procédurale. Pour que cette équité soit garantie, les demandeurs d’asile qui se retrouvent dans ce nouveau volet devront avoir accès à des renseignements complets sur le processus d’ERAR, à des services d’interprétation et à des avocats.
D’autre part, les agents de l’examen des risques avant renvoi, ERAR, devront être formés davantage, en particulier sur la jurisprudence de la Commisssion de l’immigration et du statut des réfugiés, la CISR, pour qu’ils puissent s’en inspirer, puisque c’est la même définition qui détermine si une personne est considérée comme une réfugiée au Canada et la façon de mener les audiences individuelles avec équité et efficacité, y compris — et c’est très important — s’assurer que les avocats peuvent assumer pleinement leur rôle par des interventions durant l’audience.
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a depuis longtemps appuyé le modèle du Canada pour la détermination du statut de réfugié et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la CISR, et son modèle d’indépendance. Aussi, le UNHCR reconnaît la légitimité de l’objectif de trouver des moyens d’augmenter l’efficacité au moyen de meilleurs processus de rationalisation et de triage. Les systèmes d’octroi de l’asile doivent parfois avoir la souplesse de tenir compte des changements — pas seulement du nombre, mais aussi des tendances et du profil des demandeurs d’asile, pour demeurer justes, efficaces et rentables.
C’est ainsi que l’on peut garantir la confiance du public envers l’intégrité du système d’octroi de l’asile et, par conséquent, du système d’immigration. Il faut s’assurer, en fin de compte, qu’aucune personne n’est renvoyée en un endroit où elle peut être victime de persécution ou de torture. Nous sommes convaincus qu’en faisant cet amendement, le Canada répond à ses obligations internationales.
Andrew Brouwer, vice-président, Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs.
Je témoigne aujourd’hui au nom de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés. Nous sommes 365 avocats et professeurs en droit des réfugiés dans tout le Canada, et nous sommes ici pour demander à cette chambre de rejeter les changements proposés à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contenus dans la Loi d’exécution du budget.
Si elles sont adoptées, les mesures que contient la Loi d’exécution du budget risquent de priver les réfugiés vulnérables, notamment les femmes fuyant la violence conjugale et les membres de collectivités LGBTQ+, d’une protection contre la persécution.
Le risque de se voir refuser l’accès et de s’exposer à nouveau à la persécution découle d’une absence de protection procédurale dans le processus d’ERAR, tant sous sa forme actuelle qu’après les amendements du Comité des finances.
Il est important de regarder de près les faits, la façon dont le système fonctionne réellement. La disposition proposée pour l’interdiction de territoire s’applique à quiconque a déjà soumis une demande d’asile dans un des pays du Groupe des cinq. On parle ici, principalement, des personnes qui ont présenté une demande d’asile aux États-Unis. Cette disposition ne se limite pas aux personnes qui ont présenté une demande d’asile et ont été refusées. Elles portent également sur les femmes qui fuient la violence conjugale, comme Reina, celles à qui les États-Unis ont refusé la protection de réfugié en raison des politiques d’asile draconiennes imposées par l’administration Trump, ainsi que les personnes... désolé, comme Reina qui fuit la violence des gangs, surtout en Amérique centrale.
Elles se verront refuser l’accès au Canada par le tribunal indépendant, la CISR, et leur dossier sera évalué par des agents d’examen des risques avant renvoi, qui relèvent du ministre.
En dépit de ce que nous avons entendu du gouvernement il y a quelques minutes, les agents d’ERAR ne sont pas indépendants du ministre. En exerçant leur pouvoir délégué de rendre une décision à l’issue de l’examen des risques avant renvoi, ils font cela conformément aux politiques et instructions du ministère et du ministre. Il est crucial de reconnaître cette distinction par rapport à la CISR.
Les agents d’ERAR ont déjà le pouvoir délégué de mener des soi-disant audiences, mais selon la structure actuelle du système, il s’agit plutôt d’entrevues. Rien ne nous dit que ce système changera.
À l’heure actuelle, au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de son règlement d’application — et ces dispositions demeurent inchangées —, et selon les règles et les instructions données aux agents d’ERAR, ces entrevues ou audiences d’ERAR n’ont pas pour objet de statuer sur la demande d’asile. Ce sont des entrevues au cours desquelles l’agent est autorisé à poser des questions au demandeur d’asile.
Les entrevues d’ERAR ne ressemblent en rien à une audience du tribunal en bonne et due forme. Les demandeurs et leurs avocats ne sont pas autorisés à présenter des arguments et ne sont là que pour répondre aux questions posées par l’agent. Ils ne sont pas autorisés à citer des témoins. Ils ne peuvent pas contre‑interroger des témoins. Aucune contre-interrogation n’est autorisée.
Les amendements qui ont été adoptés hier au Comité des finances ont étendu ces entrevues ou audiences d’ERAR à toutes les personnes visées par la disposition, mais, là encore, cela ne transforme pas la procédure en une véritable audience. Même si c’était le cas, si l’entrevue était transformée en une audience du tribunal en bonne et due forme, cela ne réglerait pas le problème du manque d’indépendance du décideur. Cela ne corrigerait pas non plus l’absence d’une possibilité d’appel quant au bien-fondé d’une décision d’ERAR défavorable. Comme l’a remarqué la sénatrice Omidvar plus tôt, une erreur dans la détermination du statut de réfugié peut être une peine de mort.
Disons les choses comme elles sont. Comme le ministre Blair vient juste de confirmer, les personnes dont la demande d’ERAR est refusée dans le cadre de ce processus ne retournent pas dans le pays où elles avaient précédemment fait une demande d’asile. Elles retournent dans le pays qu’elles avaient fui.
Si les demandeurs d’ERAR éconduits peuvent, s’ils ont un avocat, demander un contrôle de la décision défavorable par la Cour fédérale, le contrôle judiciaire à la Cour fédérale ne remplace pas un appel sur le fond. Si c’était le cas, le Canada n’aurait jamais créé la SAR, la Section d’appel des réfugiés, une mesure, notez bien, que le UNHCR avait fortement appuyée à ce moment-là.
Vous venez d’entendre le message des représentants du gouvernement : ne vous inquiétez pas, faites-nous confiance, il y aura un processus adéquat pour les personnes touchées. Cependant, à notre avis, des assurances de la part du gouvernement ne remplacent pas la primauté du droit.
Vous avez aussi entendu dire par le UNHCR, que malgré le fait qu’il avait conseillé au Parlement en 2001 de ne pas remplacer la CISR par des ERAR, et malgré le fait qu’il avait précédemment opposé en 2012 la réduction des droits procéduraux établis, il accorde maintenant son appui à ces mesures.
En tant qu’avocats qui étudient et exercent le droit des réfugiés dans ce pays et qui le font depuis des décennies, nous sommes franchement consternés par le soutien qu’accorde le UNHCR à cette réduction proposée de la protection des réfugiés au Canada. En fin de compte, bien sûr, c’est au Parlement canadien de décider ce que les lois et les valeurs canadiennes exigent face à des personnes vulnérables demandant une protection. L’opinion du UNHCR, selon laquelle la convention permet moins de protection, a peu d’influence sur les décisions de votre comité et du Parlement.
Nous comprenons que le gouvernement et le UNHCR s’inquiètent de l’appui du public pour le système canadien de protection des réfugiés. Nous aussi. Cependant, réduire des protections procédurales cruciales pour donner l’impression d’être plus sévères à l’endroit des membres les plus vulnérables de notre collectivité n’est pas, à notre avis, un objectif législatif acceptable. Nous exhortons cette chambre à recommander la suppression de cette disposition.
La présidente : Merci beaucoup.
Je précise que nous devrons quitter la salle bientôt. Nous pouvons pousser jusqu’à 18 h 35, mais nos collègues ne nous aimeront pas. Ça laisse très peu de temps pour les questions, et je vous demande de bien vouloir être précis et concis.
La sénatrice Seidman : Sans aucun doute, nous avons un projet de loi complexe intégré dans le projet de loi d’exécution du budget, et cela crée un énorme problème pour nous. C’est un projet de loi d’exécution du budget, ce qui nous laisse très peu d’options.
J’aimerais parler du processus d’ERAR, si possible, parce que, monsieur Beuze, vous avez dit quelque chose de différent de ce que nous avons entendu M. Brouwer et M. Goldman dire. Néanmoins, vous avez parlé de mesures de protection qui doivent être intégrées dans le processus d’ERAR. J’aimerais savoir quelles seraient d’après vous ces mesures. Comment pouvons-nous garantir que c’est un processus humain et efficace, et que les personnes ne finissent pas par retourner dans leur pays d’origine pour être torturées, ou pire encore?
Je ne sais pas quoi penser. Le ministre est convaincu que personne ne finirait dans cette situation, car il estime que le processus d’examen des risques avant renvoi serait humain et efficace.
Pouvez-vous m’aider un peu à ce sujet? Je commencerais par vous, monsieur Beuze, si vous voulez bien.
M. Beuze : Je commencerai par une remarque importance : le système d’ERAR existe déjà pour nombre de demandeurs d’asile qui sont arrivés au Canada et qui ne sont pas admissibles à une audience devant la CISR; ce n’est donc rien de nouveau. En ce moment même, plusieurs personnes passent par ce processus.
Bien que je n’aime pas du tout citer des statistiques, je vais quand même le faire. Quand l’ERAR est le processus décisionnel de première instance, 30 p. 100 des demandeurs sont reconnus comme réfugiés — 30 p. 100.
En deuxième lieu, nous devons veiller à ce que les nouveaux agents d’examen des risques avant renvoi ainsi que ceux qui sont déjà en poste reçoivent la formation nécessaire concernant la jurisprudence de la CISR et de la Cour fédérale pour éviter les appels judiciaires au niveau de la Cour fédérale, ce qui cause des retards et entraîne des coûts supplémentaires pour le système. Ce serait injuste aussi pour le demandeur d’asile, parce qu’il serait sans protection. Cela signifie probablement qu’il faut aussi fournir une formation sur les entrevues délicates pour des profils particuliers, les femmes à risque, les survivants de la torture, les victimes de violence fondée sur le sexe ou les LGBTQ+. Tout cela fait déjà partie de la formation, mais devrait être renforcé.
La principale mesure de protection, en réalité, est le rôle dont nous avons tous parlé, celui des avocats. Pour l’instant, ceux-ci ont un rôle limité, parce que c’est souvent en dernier recours qu’ils interviennent dans le processus d’ERAR après la Section de la protection des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés et la Cour fédérale. C’est un processus différent, mais dans un mécanisme de première instance, les avocats devront pouvoir citer des témoins et défendre les causes, comme ils le font devant la Section de la protection des réfugiés. Ainsi, la coopération entre la loi et l’avocat tenant pour responsable l’agent d’ERAR sera absolument cruciale.
M. Brouwer : Merci. Nous sommes une association d’avocats en droit des réfugiés. Nous reconnaissons ou sommes d’avis que le rôle des avocats dans ces procédures est d’une importance cruciale, mais avec la structure actuelle, ce rôle est extrêmement limité. La loi n’en parle pas, et nous n’avons vu aucun règlement ni nouvelle règle permettant de penser que cela changera.
En ce qui concerne le taux d’acceptation de 30 p. 100 pour les décisions d’ERAR de première instance, c’est un pourcentage qu’il faut comparer aux 62 à 65 p. 100 qui obtiennent le statut de réfugié quand ils passent par la CISR. Certes, 30 p. 100 représentent presque un tiers, mais qu’en est-il de la différence entre 62 p. 100 et 30 p. 100, ceux qui obtiennent une décision négative parce qu’ils sont dans le processus d’ERAR? C’est un grave problème.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Je reviens à vous, monsieur, si vous voulez bien. Je regarde votre exposé. Dans la deuxième partie, quand vous parlez des mesures de protection, initialement, puis vous avez dit que les agents d’ERAR devront être formés davantage — particulièrement en ce qui concerne la jurisprudence de la CISR sur la façon de mener les audiences individuelles de façon juste et efficace, y compris, veiller à ce que l’avocat puisse assumer pleinement son rôle.
J’ai entendu une partie de ma réponse dans votre réponse à la question de ma collègue, mais ma question sur ce sujet est la suivante : comment doit-on améliorer le processus d’entrevue et la formation pour que les audiences soient menées de façon plus juste? Qu’est-ce qui, d’après vous, améliorerait cela?
M. Beuze : Assurément, ce serait enseigner aux agents d’examen des risques avant renvoi la façon de créer l’espace et les occasions pour que les avocats aient un rôle actif dans la défense des causes. Cela a dans les deux sens. Certes, les agents d’ERAR doivent recevoir, par le truchement des règlements, des instructions sur la façon de faire cela, mais le UNHCR estime que les avocats ont aussi la responsabilité, si un processus d’ERAR amélioré est institué, ce qui a été promis sur le plan politique par le ministre Blair devant ce comité et d’autres comités, de tenir responsable le ministère de l’Immigration pour ce qui est de leur offrir la possibilité de plaider les causes.
Je n’aime pas les statistiques, parce que si l’on regarde de plus près, la moyenne se situe à 55 p. 100, quoique pour certains profils — et il nous faudra cerner activement les personnes qui font partie de cette catégorie —, dans le cas de plusieurs pays d’origine, c’est 20 p. 100 ou moins — 18 p. 100 pour Haïti et 20 p. 100 pour plusieurs autres pays, ce qui pourrait s’inscrire ou non dans le cadre de cette rationalisation.
Voilà pourquoi je n’aime pas citer des statistiques; elles peuvent induire en erreur.
M. Brouwer : J’admets que le UNHCR reconnaît la nécessité d’améliorer considérablement le processus pour que cela fonctionne, mais vous avez devant vous un projet de loi qui mettra en œuvre un système avant toute amélioration. Une fois de plus, l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, l’ACAADR, est d’avis — et je crois que c’est le cas aussi du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), mais nous devrions le demander à M. Goldman — que l’étude de tout ceci est précipitée et, de surcroît, dans un contexte tout à fait inapproprié, un projet de loi d’exécution du budget. Si, reconnaissant les problèmes du système actuel, le gouvernement voulait vraiment mettre au point un système plus efficace, plus juste et qui fonctionnera, nous sommes d’avis qu’il devrait enlever tout cela de ce projet de loi. Ce devrait être un projet de loi distinct avec une ébauche de règlement démontrant la façon dont cela fonctionnerait.
La présidente : Monsieur Goldman, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Goldman : Tout le monde semble s’entendre sur le fait que, à l’heure actuelle, l’examen des risques avant renvoi est une procédure très inférieure qui, au mieux, serait à peine aussi bonne que la CISR. Pourquoi créer un système parallèle? Quelle est la raison pour construire des salles d’audience et pour tenter d’améliorer la formation d’agents quand le système existe déjà? Est-ce pour épargner la différence de 30 000 $ ou 40 000 $ par année entre le salaire d’un membre de la CISR et celui d’un agent d’ERAR? Après la construction, la formation et les autres activités de développement, je doute qu’il y ait une épargne quelconque.
Si la procédure ne sera pas aussi bonne — et le Conseil canadien pour les réfugiés croit fermement tout ce qui a été avancé concernant l’absence d’indépendance institutionnelle et la véritable nature d’une audience —, pourquoi pénalisons-nous les personnes comme Reina qui, comme notre représentant du UNHCR l’a admis, ne bénéficieraient pas de la protection des États-Unis et, par conséquent, est tout à fait justifiée de demander la protection au Canada?
La présidente : Je demande que l’on se limite à une question par sénateur, car il reste très peu de temps.
Le sénateur Oh : Je vous remercie beaucoup, monsieur Beuze, de votre travail. J’ai eu le plaisir de collaborer avec vous au cours de la dernière année pour le groupe des jeunes. Je vous remercie de votre soutien.
Quelle est la chose la plus importante que vous recommanderiez pour aider les réfugiés et trier adéquatement les jeunes qui entrent au Canada? Quelles sont les meilleures choses que nous pourrions faire pour les aider?
M. Brouwer : En ce qui nous concerne, c’est d’utiliser le système que nous avons en place et veiller à ce que celui-ci soit correctement financé, soit doté des bonnes ressources et n’empêche pas certaines catégories de demandeurs d’asile d’avoir accès aux procédures en raison de ce que nous estimons être des considérations tout à fait inopportunes.
Cette proposition d’écarter toute une catégorie de demandeurs d’asile pour la simple raison qu’ils ont présenté une demande ailleurs ne constitue pas utilisation appropriéedu système de détermination du statut de réfugié.
M. Beuze : Rationaliser le triage des cas en fonction du profil et de la façon dont ils peuvent être évalués avec plus d’efficacité et de rentabilité tout en maintenant le principe de la justice pour tous est une tâche à laquelle tous les pays sont confrontés, surtout les pays occidentaux qui ont de robustes procédures de détermination du statut de réfugié.
Je doute que ce comité pense qu’il y a une solution miracle. Nous avons eu l’occasion de débattre de ces questions avec probablement 30 ou 40 pays. Le Canada le fait et, de concert avec plusieurs autres pays occidentaux, il dirige la recherche des meilleurs moyens de rationalisation tout en restant juste, conservant la confiance du public et évitant de finir avec des retards jurisprudentiels massifs et un énorme budget.
M. Goldman : Je ne suis pas du tout d’accord avec la notion de rationalisation. Je ne comprends pas comment créer un système parallèle rationalise quoi que ce soit.
Nous avons, essentiellement, une roue, la CISR, qui roule très bien. Maintenant, non seulement nous tentons de réinventer la roue, mais nous prenons un cube et essayons de l’arrondir pour qu’il prenne la forme d’une roue dans l’espoir qu’il roulera peut-être aussi bien que la roue originale. C’est la meilleure analogie à laquelle je peux penser.
La présidente : Je vous en remercie.
La sénatrice Omidvar : J’ai deux ou trois questions, et je demanderais à une seule personne de répondre, parce que nous avons peu de temps.
J’ai pour premier principe, dans un tel contexte, celui de « tu ne feras aucun mal », et c’est manifestement un principe qui n’est pas suivi dans ce projet de loi.
Je m’inquiète surtout des femmes qui seront touchées, et du point de vue pratique, comme l’a dit la sénatrice Seidman, du fait que c’est incorporé dans le projet de loi d’exécution du budget. Les outils qui sont à notre disposition pour accomplir quoi que ce soit au sujet de ce projet de loi sont limités.
Je me demande, monsieur Beuze, si vous recommanderiez une exemption pour les femmes qui entrent au Canada de façon irrégulière en invoquant la violence conjugale, la violence des gangs et la mutilation des organes génitaux féminins, parce que ces motifs ne sont pas inclus dans d’autres administrations. Devrions-nous envisager une chose aussi restreinte que celle-ci pour améliorer la mesure? Je sais que c’est graduel, je le sais, mais nous n’avons pas les mains libres ici.
M. Beuze : C’est certainement une chose que nous avons recommandée à un certain nombre de pays, tenir compte des différents profils et acheminer et orienter les personnes en fonction de leurs vulnérabilités et du type de violations dont elles ont été victimes ou craignent d’être victimes.
Les femmes, les enfants et les membres des collectivités LGBTQ+ sont à risque. Les personnes qui ont survécu à la torture ont des besoins particuliers qui ne sont pas les mêmes que ceux d’un cas normal, si l’on peut parler de cas normal dans les processus d’octroi de l’asile. Néanmoins, nous pouvons certainement avoir une liste des personnes qui, au lieu d’être aiguillées vers l’ERAR, pourraient encore être dirigées vers la Section de la protection des réfugiés, l’organe décisionnaire de première instance de la CISR.
La sénatrice Omidvar : Pourriez-vous nous remettre une telle liste?
M. Beuze : Avec plaisir, parce qu’elle représente une recommandation standard que nous faisons à de nombreux pays, y compris le Canada.
La sénatrice Omidvar : Que pensez-vous de cela, monsieur Brouwer? Je sais que ce n’est pas parfait, mais —
M. Brouwer : Nous maintenons notre opinion qu’aucune raison valable ne puisse justifier cet amendement, sauf d’un point de vue esthétique ou pour donner l’impression que l’on fait quelque chose. À notre avis, nous avons un système de détermination du statut de réfugié. Le bifurquer et envoyer des personnes vers un système qui est si déficient est tout à fait inacceptable du point de vue de la primauté du droit.
La sénatrice Omidvar : Vous n’êtes manifestement pas Robin Seligman, désolée. C’est M. Goldman. Je vais vous poser la même question qu’au ministre. Est-ce un moyen détourné de miner le dynamisme de l’important système qu’est la CISR dans une succession de gouvernements, quelles que soient leurs couleurs? Cela sera-t-il utilisé ainsi? Parce que nous savons que la fonction publique, par exemple, essaie depuis bien longtemps d’attirer la CISR sous son contrôle. Est-ce un moyen d’y arriver?
M. Goldman : Cette question s’adresse à moi?
La sénatrice Omidvar : Oui.
M. Goldman : Je crois que c’est une crainte très légitime. Ce pourrait être le canari dans la mine de charbon, pour ainsi dire. Maintenant, ce n’est que 3 000 sur deux ans, d’après ce que le ministre Blair a dit, je crois. Ensuite, ils pourraient dire : « Regardez, nous allons vers le strict minimum. » Malheureusement, au lieu de proposer d’opter pour le système solide du Canada, le UNHCR dit que l’on peut faire moins, qu’il est acceptable d’en faire moins. Pourquoi devrions-nous en faire moins? Pourquoi ne devrions-nous pas être un modèle, le modèle dans la détermination du statut de réfugié?
La présidente : Merci beaucoup.
M. Beuze : J’ai une recommandation pour la sénatrice Omidvar. Nous avons recommandé un sursis automatique à la mesure de renvoi lorsqu’il y a un contrôle judiciaire, pour ceux qui n’ont été que dans le processus d’examen des risques avant renvoi — le mécanisme de première instance —, de sorte qu’en cas de décision négative de l’ERAR, il y a un sursis automatique à la mesure de renvoi de la personne en attendant l’issue du contrôle judiciaire à la Cour fédérale.
Ainsi, les personnes qui ne sont pas passées par la Section de la protection des réfugiés et la Cour fédérale resteront dans le pays en attendant que la Cour fédérale décide, par le truchement d’un contrôle judiciaire, s’il y a eu violation ou mauvaise interprétation de la loi.
La sénatrice Omidvar : Cette mesure fera-t-elle l’objet d’une révision après un certain nombre d’années?
M. Beuze : Une révision par...?
La sénatrice Omidvar : Une révision par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, IRCC, de ce nouveau processus.
M. Beuze : Vous devrez le leur demander.
M. Brouwer : À notre connaissance, rien ne semble l’indiquer.
La présidente : Je tiens à m’excuser de vous avoir imposé un rythme accéléré pour ces questions et réponses. Je vous remercie de votre coopération.
S’il y a quoi que ce soit que vous aimeriez communiquer au comité après être rentrés chez vous, nous serons heureux de recevoir tout ce que vous voudrez nous envoyer.
(La séance est levée.)