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VEAC

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des
Anciens combattants

Fascicule no 17 - Témoignages du 6 juin 2018


OTTAWA, le mercredi 6 juin 2018

Le Sous-comité des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 12 heures, afin de poursuivre son étude sur les services et les prestations dispensés aux membres des Forces canadiennes; aux anciens combattants; aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale du Canada et à leurs familles.

Le sénateur Jean-Guy Dagenais (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Chers collègues, sans plus tarder, nous allons commencer notre réunion. Je vais demander aux honorables sénateurs de bien vouloir se présenter, en commençant par ma droite.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : Avant de présenter notre invité, nous devons nous occuper d’une question d’intendance. Y a-t-il des propositions pour l’élection d’un sénateur à titre de vice-président du Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense?

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Je propose la sénatrice Jaffer.

[Français]

Le président : Mesdames et mesieurs les sénateurs, acceptez-vous la nomination de la sénatrice Jaffer?

Des voix : D’accord.

Le président : Tout le monde est d’accord. Félicitations à notre nouvelle vice-présidente, la sénatrice Jaffer.

Sur ce, je profite de l’occasion pour souhaiter la bienvenue à notre témoin. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales par les anciens combattants canadiens. Notre témoin, du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, est le colonel Rakesh Jetly, psychiatre principal et conseiller en santé mentale, Groupe des services de santé des Forces canadiennes.

Colonel Jetly, comme nous nous sommes vus lundi dernier, je vous souhaite de nouveau la bienvenue. Nous allons écouter vos remarques préliminaires, et il y aura par la suite une période de questions.

Je vous invite maintenant à faire votre présentation.

[Traduction]

Colonel Rakesh Jetly, psychiatre principal et conseiller en santé mentale, Groupe de services de santé des Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Monsieur le président, mesdames et monsieur les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de faire de brèves observations préliminaires. Je suis le colonel Rakesh Jetly, psychiatre principal des Forces armées canadiennes. J’occupe diverses fonctions au sein du Groupe des services de santé des Forces canadiennes, y compris celles de conseiller en santé mentale auprès du médecin général.

Depuis la fin des années 1980, j’ai occupé différents postes, y compris ceux de médecin militaire généraliste et de psychiatre dans le cadre de plusieurs déploiements, dont notre récente mission à Kandahar. À l’heure actuelle, je dirige le centre d’excellence du Groupe des services de santé des Forces canadiennes et je suis premier titulaire de la Chaire des Forces canadiennes Brigadier Jonathan C. Meakin en santé mentale chez les militaires, à l’Institut de recherche en santé mentale, l’IRSM, de l’Hôpital Royal Ottawa.

Ces deux derniers postes permettent de penser à l’avenir et de concrétiser des initiatives de recherche. Les traitements actuels fondés sur des données probantes pour les troubles de santé mentale sont les meilleurs que nous n’ayons jamais eus, mais ils ne fonctionnent pas pour tout le monde. De plus, en ce qui concerne le traitement des troubles de santé mentale, on a recours à une approche d’essais et erreurs qui peut être frustrante tant pour les cliniciens que pour les patients. Nous ne pouvons tout simplement pas prévoir quel traitement va fonctionner pour un patient donné. C’est le contraire de la détermination des stades d’une maladie et du typage tissulaire qui permettent de recommander, par exemple, la chimiothérapie pour le traitement du cancer du sein. Fait intéressant, des publications récentes suggèrent que les traitements fondés sur des données probantes qui fonctionnent pour les civils atteints d’un trouble de stress post-traumatique, par exemple à la suite d’un viol ou d’un accident de la route, sont moins efficaces pour les anciens combattants et les militaires en service actif. Nous ne pouvons donc pas compter sur le simple recours à une recherche faite auprès des civils.

Nos recherches ont trois principaux objectifs. Le premier est de comprendre les causes biologiques des maladies mentales. Nous devons effectivement comprendre ce qui se passe dans le cerveau et dans le reste du corps. Nous en savons plus sur les circuits cérébraux affectés, l’électrophysiologie, les hormones et d’autres marqueurs sanguins. Ces connaissances permettront de rendre l’invisible visible. Ces études pourraient aussi potentiellement nous donner des balises objectives concernant la maladie et le rétablissement. Nous avons beaucoup d’études de ce type en cours.

Le deuxième objectif est de tirer profit de la technologie. En 2018, grâce à la science, on peut analyser des milliards de points de données pour prédire le suicide, la maladie ou la résilience. Nous pouvons mettre au point des applications et des traitements en ligne, et utiliser des plateformes vidéo aux fins d’évaluation et de traitement. La neuroimagerie peut aider à démontrer objectivement les effets du traitement. Plusieurs études sont en cours dans ce domaine. Nous avons également mis au point une application pour notre programme En route vers la préparation mentale.

Les deux objectifs précédents contribuent au troisième, soit la médecine personnalisée ou de précision. À l’aide de la science et de l’analytique prédictive, nous pourrions peut-être proposer des traitements plus susceptibles de réussir et réduire ainsi les essais et erreurs. Nous avons deux études en cours sur la génétique et l’électrophysiologie du cerveau pour prédire la réponse au traitement antidépresseur.

Vous m’avez demandé de venir ici aujourd’hui pour discuter de l’utilisation du cannabis dans le traitement des maladies mentales. Les Forces armées canadiennes estiment qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments probants pour conseiller la marijuana dans le traitement de maladies comme le trouble de stress post-traumatique. Par conséquent, nos politiques n’autorisent pas le remboursement de la marijuana et nos cliniciens ne recommandent pas son utilisation.

Nous avons la preuve des dangers possibles de la marijuana, y compris l’apathie, la dépression, l’anxiété et la psychose. Il y a également un risque accru d’accidents et de troubles cognitifs. Il faut noter que de nombreux médicaments que nous utilisons ont également de sérieux effets secondaires, mais qu’il y a aussi des données scientifiques probantes sur leurs bienfaits. Nos politiques, comme la gamme de soins, ne nous permettent pas de nous éloigner des approches fondées sur des données probantes.

Cela dit, je me sens interpellé par les anecdotes et les histoires de ceux qui vont mieux grâce à l’utilisation de la marijuana pour traiter une multitude de problèmes de santé. Je suis enthousiasmé par les bienfaits potentiels toujours cachés dans le système endocannabinoïde. Ces substances ne nous affecteraient pas si nous n’avions pas les récepteurs pour elles dans notre corps. Comme les récepteurs pour les opiacés et l’alcool, il y a des récepteurs naturels pour les cannabinoïdes et les cannabinoïdes naturels produits par le corps. À titre d’exemple, la neuroimagerie du cerveau d’une personne atteinte d’un trouble de stress post-traumatique montre que le cerveau s’illumine comme un arbre de Noël quand on regarde le système endocannabinoïde. Bref, les récepteurs endocannabinoïdes se trouvent en grande concentration dans les mêmes régions du cerveau qui sont déjà établies comme importantes dans le trouble de stress post-traumatique.

Il faut faire des recherches approfondies pour mieux comprendre ce système et son potentiel. Notre propre équipe des Forces armées canadiennes a publié en 2014 un article sur notre petite étude qui démontre l’efficacité de Cesamet, un endocannabinoïde synthétique, dans la réduction des cauchemars attribuables au trouble du stress post-traumatique. Nous devons déterminer l’innocuité et l’efficacité de la marijuana dans le traitement de maladies mentales comme le trouble du stress post-traumatique.

Nos trois objectifs de recherche devraient être utilisés dans une telle étude. L’imagerie cérébrale et d’autres biomarqueurs peuvent mesurer le changement réel. Il y a plus de 630 000 façons de répondre aux critères du trouble de stress post-traumatique, et ce nombre est multiplié par les troubles concomitants possibles comme la douleur, la dépendance et la dépression. Il n’y aura manifestement pas de traitement universel. Peut-être que la marijuana aide une sous-population, mais pas d’autres. La recherche nous aidera à trouver des solutions précises.

J’ai hâte de répondre à vos questions. Merci.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, colonel Jetly.

Avant de passer à la période des questions, j’aimerais signaler la présence du sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Nous allons maintenant céder la parole à la sénatrice Jaffer.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Colonel Jetly, merci beaucoup de témoigner à nouveau. Vous nous avez donné de votre temps à maintes reprises, et nous vous sommes reconnaissants de travailler avec nous. Nous avons entre autres entendu — je ne sais pas si vous observez la même chose — que le trouble de stress post-traumatique affecte les gens différemment, pas seulement les anciens combattants, et à différents moments.

Une personne ayant servi dans les Forces armées canadiennes peut souffrir du trouble de stress post-traumatique deux ans plus tard, si c’est le cas. Quel genre d’aide reçoit-elle? Peut-elle revenir et dire que c’est attribuable au temps qu’elle a passé dans l’armée? Reçoit-elle de l’aide? Refuse-t-on de lui en offrir parce que deux années se sont écoulées? Ce n’est qu’un exemple. Pouvez-vous expliquer ce qu’il en est?

Col Jetly : Bien sûr. Lorsqu’un militaire part, il ne quitte jamais vraiment la famille. Ce sont des familles régimentaires, et on prend certainement soin les uns des autres, mais d’un point de vue administratif, la responsabilité revient alors au ministère des Anciens Combattants. Nous avons déployé beaucoup d’efforts auprès d’un grand nombre de nos organisations, notamment la légion et Anciens Combattants. Nous essayons de sensibiliser les médecins de famille partout au pays. Je me rends régulièrement à l’Université de la Colombie-Britannique pour m’adresser aux finissants en médecine afin qu’ils aient le numéro pour communiquer avec le groupe de soutien par les pairs du programme Soutien social; blessures de stress opérationnel.

Nous essayons de faire comprendre aux médecins de famille dans le système provincial que lorsqu’un patient éprouve de la difficulté et qu’il affirme être un ancien combattant, il existe toute une gamme de services, des traitements au soutien financier. Les médecins peuvent ensuite appeler Anciens Combattants pour déterminer si le patient a droit à ces services.

Au fil des ans, le bénéfice du doute a gagné en importance. L’évaluation et le traitement commencent avant le diagnostic définitif et l’aiguillage vers les services, ce qui signifie que nous poursuivons les démarches.

Bien entendu, l’un des points faibles, c’est le risque de ne pas diagnostiquer la personne lorsqu’elle est encore dans l’armée, alors que la transition peut se faire plus facilement. Lorsque le patient est déjà parti et vit dans une petite collectivité, c’est alors un peu plus difficile, mais nous essayons sans cesse de faciliter les démarches au sein du gouvernement. On peut maintenant consulter les dossiers de santé, car ils sont en format électronique depuis des années. Il n’est plus nécessaire de faire la queue à la photocopieuse pour en obtenir un. C’est essentiellement un disque compact qui contient le dossier de santé du militaire, ce qui facilite les choses.

La sénatrice Jaffer : Ces dossiers sont-ils faciles à obtenir?

Col Jetly : Une demande de transfert doit être présentée, et on peut ensuite les obtenir.

La sénatrice Jaffer : Dans le cadre de nos délibérations, nous avons entre autres entendu que lorsqu’une personne quitte les Forces armées canadiennes, elle doit refaire tous les tests. Est-ce encore ainsi?

Col Jetly : Une fois de plus, nous pouvons poser la question à nos collègues d’Anciens Combattants, mais je dirais que non, ils ne doivent pas refaire les tests. Dans l’éventualité où nous n’aurions pas fait les tests ni rendu un diagnostic, il faut évidemment que ce soit fait. C’est ici que je ne veux pas mélanger les deux questions. Lorsque nous avons dans le dossier de santé un diagnostic établi de trouble de stress post-traumatique attribuable au service militaire, ce dossier suffit à Anciens Combattants.

Lorsqu’un ancien militaire se rend à une clinique d’Anciens Combattants et qu’il y rencontre la nouvelle équipe, une évaluation sera faite. Donc, si je vois un patient pour la première fois, je ne peux pas nécessairement prendre le diagnostic de quelqu’un d’autre et partir de là. Il y aura encore une fois un processus d’admission à la nouvelle clinique.

Pour ce qui est de l’admissibilité à la pension, si la maladie est diagnostiquée et qu’un lien est établi avec le service dans les Forces armées canadiennes, Anciens Combattants Canada peut s’en servir pour régler le dossier.

La sénatrice Jaffer : Je pense que nous vous avons questionné la dernière fois sur le problème des préjugés.

Col Jetly : Oui.

La sénatrice Jaffer : Donc, si quelqu’un est encore dans les Forces armées canadiennes et souffre du trouble de stress post-traumatique, est-ce que cela signifie qu’il doit automatiquement être libéré?

Col Jetly : Non, pas du tout. Ce que nous essayons de faire, c’est présenter aussi le modèle du continuum de la santé mentale — vert, jaune, orange et rouge —, qui s’écarte du raisonnement binaire à cet égard.

La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous expliquer les couleurs?

Col Jetly : Oui. Dans le cadre de notre campagne En route vers la préparation mentale, j’ai parlé hier de la recherche et de l’importance de comprendre sa population.

Quand nous nous sommes penchés sur l’attitude des gens envers la maladie, nous avons observé un raisonnement binaire : soit qu’on est en santé, soit qu’on ne l’est pas; on est malade ou on ne l’est pas. Comme pour une maladie physique, par exemple si j’ai mal au dos, il y a une différence entre être agacé par la douleur et ne pas être capable de sortir du lit. Et la situation peut empirer ou s’améliorer avec le temps.

Nous avons donc créé ce qui s’appelle le continuum de santé mentale. Nous pouvons vous donner des brochures sur son fonctionnement. On passe de vert, soit en santé; à jaune, un peu affecté — au retour d’un déploiement, tout le monde est à peu près au jaune —; à orange et à rouge. Nous avons des moyens de vérifier. Nous avons une application qui permet de cocher comment on se sent chaque jour, et cela change. La flèche fait des va-et-vient.

Nous disons aux militaires qu’au retour d’un déploiement, ils pourraient avoir un peu de difficulté à dormir pendant un certain temps, être un peu sarcastiques ou irritables, et qu’ils devraient ensuite commencer à se sentir mieux. Nous leur disons de demander de l’aide s’ils ne se sentent pas mieux, qu’ils passent aux autres couleurs.

Nous essayons de faire en sorte que les gens ne diagnostiquent pas eux-mêmes la maladie, mais qu’ils disent plutôt comment ils se sentent, bien ou mal en point, s’ils ne se portent pas mieux. Nous leur enseignons aussi comment reconnaître la maladie chez les autres.

C’est l’idée, car comme nous l’avons dit, l’un des plus importants obstacles aux soins est lorsque les personnes atteintes ne comprennent pas qu’elles sont malades. Lorsque des patients font une auto-évaluation et disent qu’ils se situent ou qu’un collègue se situe à peu près à telle couleur, par exemple l’orange, ils en informent ensuite un médecin.

Nous avons donc créé cette méthode, qui n’entraîne pas de stigmatisation. Elle examine comment vous vous sentez, comment vous dormez et comment vous interagissez avec vos amis. Si vous remarquez un changement en vous ou chez vos amis, prenez des mesures pour corriger la situation, ce qui vous amènera parfois à demander de l’aide. Nous essayons de travailler en ce sens.

La sénatrice Jaffer : Ma dernière question porte sur les différences entre les sexes relativement au cannabis à des fins médicinales. Y a-t-il des considérations liées au genre qu’il faut prendre en considération en ce qui a trait au cannabis à des fins médicinales? Par exemple, y a-t-il des signes qui indiquent que la consommation de cannabis toucherait différemment les femmes par rapport aux hommes?

Col Jetly : Plus de recherches doivent être effectuées pour le savoir. Lorsque nous commençons à examiner le cannabis, nous devons aussi réfléchir à son rôle sur le cycle menstruel, sur la grossesse et sur l’allaitement. Le cannabis est-il absorbé dans le lait maternel? Je sais que c’est liposoluble, alors j’imagine qu’il y a un risque, mais j’ai lu que peu d’études dans le domaine pharmaceutique ont examiné ces détails. Je dirais que nous devrions certainement y réfléchir. Le cerveau est différent, les hormones sont différentes et les interactions sont différentes.

Des recherches ont été réalisées sur le sujet, mais je ne sais pas si suffisamment de travaux de recherche ont été menés pour établir quelles sont les différences pour le moment.

La sénatrice Jaffer : Y a-t-il des barrières entre les hommes et les femmes pour ce qui de la consommation de cannabis à des fins médicinales, ou n’y en a-t-il pas?

Col Jetly : Dans les forces, tant les hommes que les femmes ne peuvent en consommer. Chez les civils, non, pas que je sache.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être ici encore une fois. Je serais très intéressée de savoir comment on pourrait recueillir des renseignements sur le cannabis.

Vous avez parlé de trier les données anecdotiques. Y a-t-il un plan en place pour recueillir une partie de ces données ou de colliger des données de référence dans les Forces armées?

Col Jetly : Nous ne voulons pas mener l’étude définitive, mais nous voulons mener une étude définitive qui se penche sur le traitement des personnes qui sont atteintes du trouble de stress post-traumatique, TSPT, et qui consomment du cannabis — là encore, il y a de nombreux types de TSPT, de nombreux types de marijuana et différentes façons de consommer le cannabis, et c’est là où le bât blesse. Il y a plus de 100 produits actifs dans la marijuana. Ceux dont on parle le plus dans le domaine de la santé, et de façon un peu excessive, sont le THC et le CDB, qui sont deux produits différents.

Dans une étude idéale, on administrerait à la même personne différents niveaux de CBD ou de THC et un placebo au fil du temps pour voir quels seront les effets.

Dans le cadre d’une étude idéale, cependant, on ne se contenterait pas de demander : « Vous sentez-vous mieux? » Je pense que c’est ce qui est déconcertant, car tout comme avec les opiacés, il y a le soulagement de la douleur et le sentiment de bien-être. Depuis des années, nous avons du mal à déterminer ce qui aide les gens qui souffrent de douleurs dentaires ou de maux de dos. Ce sentiment de bien-être est un sentiment agréable, si bien que la consommation de marijuana est-elle une solution de rechange pour se sentir mieux?

Lorsque nous avons mené l’étude avec Cesamet, qui est une substance synthétique qui agit sur le système endocannabinoïde, nous avons démontré que les cauchemars diminuaient chez les personnes qui prenaient le médicament par rapport aux personnes qui prenaient le placebo. Les gens signalaient avoir moins de cauchemars et n’avaient pas seulement l’impression de se sentir mieux.

Toutefois, si nous réalisions l’étude ultime, nous ferions appel à la neuroimagerie. On montrerait les changements dans le cerveau et on verrait s’ils ont des effets apaisants. Nous effectuons une étude dans laquelle nous examinons la rétroaction neurologique, et nous avons démontré que l’amygdale, qui est la partie du cerveau qui est stimulée lorsqu’une personne est atteinte du TSPT, est calme après ce traitement.

Avec la marijuana, nous pouvons examiner pour voir les changements dans le cerveau. Nous pouvons également examiner des indicateurs tels que l’inflammation. C’est apparemment efficace. Les personnes atteintes du TSPT et de maladie mentale ont beaucoup d’inflammation et plus de douleurs. Nous pouvons donc mesurer le sommeil, la douleur, la neuroimagerie, la qualité de vie et tous ces facteurs qui démontrent l’efficacité mais aussi l’innocuité. Nous devons examiner ces deux éléments.

Ce serait l’étude idéale que nous espérons réaliser en partenariat avec Anciens Combattants sous peu.

La sénatrice Boniface : Avec la légalisation, croyez-vous qu’il y aura une plus grande ouverture à l’égard de ce type d’étude?

Col Jetly : Je ne pense pas qu’il y a un manque d’ouverture. Je veux vraiment faire la distinction dans ma tête entre la légalisation et ceci.

J’ai eu une discussion avec notre ancien médecin général il y a deux ans. Nous étions en route vers Petawawa pour rendre visite à des troupes, et je me rappelle lui avoir dit à quel point j’étais emballé. Nous avons une politique, mais nous allons participer à des recherches. Si les recherches me disent que nous utilisons la cocaïne dans les interventions chirurgicales à l’oreille, au nez ou à la gorge, alors peu m’importe si c’est illicite ou non.

Mon ministère est tout à fait ouvert à explorer la question d’un point de vue médicinal, car s’il existe une substance qui peut aider les gens d’une manière que les traitements conventionnels ne peuvent pas le faire, nous nous intéresserons à cette substance.

La sénatrice Boniface : Merci.

Le sénateur McIntyre : Merci, colonel Jetly, de votre exposé.

Des programmes de santé mentale sont offerts aux bases des Forces armées canadiennes de grande et de petite taille. De plus, si j’ai bien compris, il y a des centres de soutien pour trauma et stress opérationnels, CSTSO. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces programmes et sur les centres et leur fonctionnement?

Col Jetly : Certainement. D’une certaine manière, les CSTSO se trouvent sur les bases de plus grande taille. Si l’on pense aux bases militaires, elles sont de grande, de moyenne ou de petite taille. Techniquement, si l’on regarde les postes par opposition aux bases, il y en a environ 31 au pays et ils offrent tous des services de santé mentale. Ils peuvent aller de quelques travailleurs sociaux à 50 professionnels de la santé.

À bien des égards, les CSTSO sont sur les bases qui ont les populations les plus importantes. Vers la fin des années 1990, après le Rwanda, la Somalie et l’ancienne Yougoslavie, lorsque nous commencions à nous concentrer davantage sur le TSPT, nous avons créé ces cliniques de soins pour trauma et stress opérationnels.

Comme je l’ai mentionné l’autre jour, le seul résultat n’est pas qu’une personne souffrira du TSPT après avoir subi un traumatisme, et c’est pourquoi nous n’avons pas appelé ces cliniques des cliniques de traitement du TSPT car les gens peuvent souffrir de dépression, de toxicomanie et d’autres problèmes.

Nous en avons créé cinq initialement, et nous en avons maintenant sept. Elles sont essentiellement situées sur nos bases navales à Halifax et à Esquimalt et sur différentes bases militaires au pays : Gagetown, Québec, Valcartier, Petawawa. Nous en avons une à Ottawa également, en raison de notre population importante, ainsi qu’à Petawawa et à Edmonton.

Les centres de soutien pour trauma et stress opérationnels ont regroupé, en près de deux décennies — j’en ai dirigé un à Halifax pendant plusieurs années —, une expertise particulière dans le traitement des traumatismes psychologiques et leurs conséquences. Nous utilisons une approche axée sur le travail d’équipe, ce qui nous distingue des systèmes publics habituels où il y a un cloisonnement entre les thérapeutes et les médecins et où la RAMO paie pour certains traitements mais pas pour d’autres. Nous avons des psychiatres, des psychologues, du personnel infirmier en santé mentale, des travailleurs sociaux, des aumôniers qui ont suivi des formations en santé mentale et en counselling, et des conseillers en toxicomanie. Ils font tous partie de l’équipe spécialisée qui travaille ensemble.

Admettons que nous examinons une personne et que nous lui diagnostiquons un TSPT et, en discutant avec notre équipe, nous constatons que le plus important pour cette personne dans l’immédiat est de suivre une thérapie de couple avant d’être traitée pour son TSPT. Nous avons nos collègues dans le domaine du travail social qui peuvent se concentrer là-dessus, car la décision du conjoint ou de la conjointe de rester dans le couple ou non au cours des prochaines années peut avoir préséance sur le traitement du TSPT.

C’est une approche fondée sur des données probantes et axée sur le travail d’équipe adoptée à l’échelle du pays et dans nos bases de plus grande taille. Dans les bases de plus petite taille, il y a des experts, selon les bases, mais les principaux experts se trouvent dans les bases de plus grande taille.

Le sénateur McIntyre : Qu’en est-il du traitement du TSPT parmi les militaires? Ces programmes et ces traitements sont-ils disponibles? Quels traitements sont les plus efficaces à l’heure actuelle?

Col Jetly : Les traitements les plus efficaces, d’après les données probantes, sont les thérapies fondées sur l’exposition, à savoir l’exposition prolongée. C’est une approche orientée sur les phases. La première phase consiste à calmer les gens, peut-être à traiter la consommation d’alcool, à régler les difficultés conjugales, et à traiter l’insomnie ou la dépression. Nous leur montrons à relaxer.

Une fois que c’est fait, la majorité des traitements adoptent une approche axée sur l’exposition, qui consiste à exposer les personnes à leur traumatisme, puis nous utilisons des outils de conditionnement classique tels que la désensibilisation et l’accoutumance. Ce faisant, on atténue la netteté de ces souvenirs qui envahissent leurs pensées.

Une façon de décrire cette méthode est que si je vous demande de regarder le film le plus effrayant que vous avez regardé dans votre vie, vous le regarderez avec un œil ouvert. Si vous le regardez 10 jours d’affilée, vous serez moins effrayé le 10e jour.

L’EMDR — la désensibilisation et le reconditionnement à l’aide de mouvements oculaires —, l’exposition prolongée et la thérapie par le traitement cognitif sont des thérapies classiques. Le problème avec ces thérapies, c’est qu’elles ne fonctionnent pas pour tout le monde, et le taux d’abandon est très élevé. Ces thérapies sont extrêmement difficiles.

Mes collègues à l’OTAN et quelques-uns d’entre nous les critiquent un peu. Elles sont toutes fondées sur un paradigme axé sur la peur du TSPT, comme l’anxiété, et il y a des limites à ces méthodes. Nous parlons de plus en plus que l’état des gens ne s’améliore peut-être pas à cause de la culpabilité et de la honte. Il y a peut-être une blessure morale, ou les gens pensent peut-être qu’ils ne méritent pas d’aller mieux.

Nous voyons des gens qui suivent le traitement à la lettre. Nous devons écouter nos patients et essayer de découvrir ce qui les trouble. Ne présumons rien. Leur traumatisme est peut-être attribuable au fait qu’ils ont vu un enfant dans le caniveau.

Nous avons un consortium international avec sept ou huit pays qui envisagent d’opérationnaliser cette blessure morale, cette culpabilité, cette honte.

Le sénateur McIntyre : Des chercheurs ont fait savoir au sous-comité que le TPST dont sont atteints les militaires n’est pas le même TPST dont sont atteints les civils, et ils ne réagissent pas aussi bien aux traitements.

Col Jetly : Ils réagissent moins, comme je l’ai dit.

Le sénateur McIntyre : Quelles sont les principales différences? Quelles sont les raisons de ces différences?

Col Jetly : Les raisons? C’est la question à un million de dollars. J’aimerais bien connaître la réponse.

Comme je viens de le mentionner, je pense que le rôle de la blessure morale, de la honte, de la culpabilité, de la colère… c’est l’humiliation. Je pense que c’est un élément très unique et important de notre histoire.

Le fait de se sentir abandonné par son pays, par ses habitants, par votre gouvernement, votre leadership, est souvent le facteur aggravant.

Il y a un excellent livre qui a été rédigé par notre collègue, Charles Hoge, intitulé Once a Warrior — Always a Warrior. C’est un colonel à la retraite des États-Unis.

Par ailleurs, la documentation sur le TSPT chez les civils parle souvent de « victimisation ». Il y a une terminologie et une culture propres à ce phénomène. Les soldats dans une armée occidentale, les militaires bénévoles qui vont à la guerre, ne se considèrent pas comme étant des victimes de la guerre. La façon de concevoir ce type de blessure est complètement différente de la notion de victimisation.

Il y a de nombreuses différences. C’est la raison pour laquelle nous devons effectuer des recherches sur notre propre population et non pas seulement nous fier aux recherches qui ont été menées chez les victimes d’accidents de la route, de viol, et cetera.

Le sénateur McIntyre : Autrement dit, il faut faire plus de recherches.

Col Jetly : Il faut mener plus de recherches auprès de notre population, absolument.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup, colonel, d’être venu. J’ai obtenu une bonne réponse à ma question. Je me demandais s’il existe des thérapies autres que l’utilisation de la marijuana à des fins médicinales.

Des gens m’ont parlé à ce sujet et m’ont dit que j’ai tort, mais je suis d’avis que cela occulte le problème plutôt que de le régler. La majorité de ces hommes et de ces femmes se médicamentent probablement eux-mêmes avant de consulter un psychiatre ou un professionnel de la santé car ils souffrent et éprouvent des difficultés. L’automédication ne cessera peut-être pas avec la thérapie, et je me demande s’il existe d’autres moyens de traiter le TSPT. Vous avez répondu en quelque sorte à cette question lorsque vous avez répondu aux questions du sénateur McIntyre.

Col Jetly : C’est une question très importante. Je suis psychiatre. Je suis médecin. Je prescris des médicaments, mais le principal traitement du TSPT est la psychothérapie. Ce ne sont pas les médicaments. C’est vraiment important.

Merci de soulever ce point. Les médicaments ont un effet apaisant pour pouvoir aller de l’avant avec la thérapie. La personne a une mémoire surconsolidée. Elle se rappelle trop clairement un souvenir. Normalement, les souvenirs s’estompent. Si une femme se rappelait à quel point l’accouchement est douloureux, elle n’aurait jamais un deuxième bébé, n’est-ce pas?

Ces souvenirs de traumatismes sont surconsolidés. Ils sont trop vifs dans l’esprit des gens. Si nous voulons trouver une logique aux traumatismes et relier l’effet et les émotions, télécharger les éléments d’information sur le disque dur, aucun médicament ne peut faire cela, si bien qu’il faut se tourner vers la thérapie par la parole.

Nous voulons apaiser la personne, essayer de traiter la dépression et veiller à ce qu’elle dorme. Nous devons parfois utiliser des médicaments.

J’espère que personne qui œuvre dans le domaine du traitement des traumatismes ne suggérera que la prise de médicaments à elle seule peut traiter le trouble.

Avec nos médicaments contre les cauchemars, Cesamet et Prazosine — nous utilisons quelques petits médicaments —, la plupart du temps, si les gens cessent de les prendre, les cauchemars reviennent. Donc, on ne traite pas le problème, ce qui est correct. La personne peut souffrir de douleurs chroniques. Les médicaments contre la douleur peuvent aider à atténuer la douleur, mais les cauchemars disparaîtront une fois que la mémoire aura été consolidée, si bien que la psychothérapie est impérative.

Le sénateur Richards : Merci.

[Français]

Le président : Avant de conclure, colonel Jetly, j’aimerais vous poser une question que j’ai peut-être déjà posée lors de votre comparution au Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. On parle de traiter les militaires, mais si cela affecte les membres de la famille, allez-vous également vous occuper des membres de la famille, des conjoints, des conjointes et des enfants?

[Traduction]

Col Jetly : Les Forces armées canadiennes et les publications reconnaissent les graves répercussions sur les familles. Il y a l’incidence d’avoir une personne malade dans la famille, qu’elle souffre d’une maladie psychologique, physique ou chronique. Il y a aussi un effet intergénérationnel intéressant du TSPT qui est un phénomène épigénétique.

La Loi canadienne sur la santé nous limite quant aux soins directs que nous pouvons offrir aux familles dans le cadre de soins médicaux traditionnels, mais nous étirons au maximum cette définition.

Si on détermine qu’une personne est atteinte du TSPT dès l’évaluation préliminaire, nous invitons le conjoint ou la conjointe à comprendre ce que vit son partenaire. Nous pouvons le faire en évaluant comment nous pouvons aider la personne. Bien entendu, le respect de la confidentialité de la personne déterminera si son partenaire participera au processus. Une thérapie de couple sera offerte.

Au pays, nous avons des groupes de conjoints. Nous tiendrons six ou sept séances où nous pourrons poser des questions à un expert. On peut notamment discuter des médicaments et d’autonomie en matière de soins de santé pour aider les conjoints.

Nos Centres de ressources pour les familles des militaires ont de plus en plus d’initiatives en place et ont des travailleurs sociaux sur place pour venir en aide aux familles. Ils offrent des services de garderie d’urgence et toutes sortes de programmes différents.

Notre formation En route vers la préparation mentale comporte un modèle sur les familles, et nous offrons une formation sur la résilience et d’autres mesures précises destinées aux familles. De plus en plus de ressources sont en train d’être élaborées conjointement avec nos partenaires civils. Il y a une bande dessinée pour aider les enfants à comprendre ce qui se passe lorsque leur mère et leur père sont malades. On déploie d’énormes efforts pour essayer de les aider, en raison du manque de soins directs pour traiter les maladies mentales. Là encore, la Loi canadienne sur la santé nous limite.

[Français]

Le président : Merci de votre témoignage, colonel Jetly. Nous vous avons tenu occupé cette semaine. Vous avez comparu au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense lundi et aujourd’hui, vous êtes ici devant notre comité. Votre témoignage sera très utile pour la rédaction de notre rapport. Encore une fois, merci de vous être rendu disponible.

(La séance est levée.)

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