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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 10 mai 2021

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 10 heures (HE), par vidéoconférence, afin d’examiner la teneur du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le sénateur Dan Christmas (président) occupe le fauteuil.

[Note de la rédaction : Certains passages ont été présentés par l’intermédiaire d’un interprète.]

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’à nos auditeurs dans l’ensemble du pays qui nous regardent peut-être sur sencanada.ca, à la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Avant de commencer, je tiens à reconnaître que nous nous réunissons aujourd’hui sur les terres non cédées des Algonquins Anishnabeg.

Nous allons passer en revue quelques points d’ordre administratif avant les présentations. J’aimerais rappeler aux sénateurs que vous êtes priés de garder votre micro éteint en tout temps, à moins que le président vous donne la parole. Si des difficultés techniques surviennent, en particulier au chapitre de l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou à la greffière, et nous tâcherons de régler le problème. Si vous avez d’autres problèmes techniques, vous pouvez communiquer avec le centre de services de la DSI en composant le numéro d’assistance technique fourni dans le document de confirmation de la réunion.

Afin de préserver la confidentialité des conversations, je rappelle aux sénateurs et aux sénatrices, à leurs employés et au personnel de soutien du comité qui participent à la réunion qu’ils ont la responsabilité de s’assurer que l’environnement dans lequel ils se trouvent est privé et que les conversations qui se tiennent dans le contexte de la réunion du comité ne sont pas entendues par des tierces parties. Les participants devraient savoir qu’ils doivent participer à la réunion dans un lieu privé et être conscients de leur environnement.

Je m’appelle Dan Christmas et je suis sénateur de la Nouvelle-Écosse. J’ai le privilège d’agir à titre de président du comité. Je vais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion : la sénatrice Margaret Dawn Anderson des Territoires du Nord-Ouest, la sénatrice Mary Coyle de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Josée Forest-Niesing de l’Ontario, le sénateur Brian Francis de l’Île-du-Prince-Édouard, la sénatrice Nancy J. Hartling du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Patti LaBoucane-Benson de l’Alberta, le sénateur Michael L. MacDonald de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Kim Pate de l’Ontario, le sénateur Dennis Glen Patterson du Nunavut, la sénatrice Carolyn Stewart Olsen du Nouveau-Brunswick et le sénateur Scott Tannas de l’Alberta.

Il y a d’autres sénateurs qui ne sont pas membres du comité, mais que nous avons le plaisir de recevoir. Nous nous attendons à recevoir la sénatrice Yvonne Boyer, de l’Ontario; nous avons le sénateur Brent Cotter, de la Saskatchewan. Le sénateur Pierre J. Dalphond pourrait se joindre à nous plus tard, tout comme la sénatrice Mary Jane McCallum, du Manitoba.

Je vais maintenant présenter nos témoins de ce matin. Je suis très fier de présenter Sheryl Lightfoot, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits et les politiques concernant les Autochtones du monde à l’Université de la Colombie-Britannique; Wilton Littlechild; et Drew Lafond, président, et Lori Mishibinijima, membre du conseil d’administration, de l’Association du Barreau autochtone.

Mme Lightfoot, M. Littlechild et Me Lafond présenteront des déclarations liminaires d’environ six minutes chacune, qui seront suivies d’une période de questions et de réponses. La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, et la deuxième sera posée par le critique du projet de loi, le sénateur Patterson.

Si d’autres sénateurs ont une question, y compris les sénateurs qui ne sont pas des membres, ils sont invités à utiliser la fonction « lever la main » sur Zoom pour le signaler à la greffière. Ils seront reconnus dans la conversation sur Zoom. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité dans la liste des intervenants. S’il arrive que je doive interrompre une réponse, vous pouvez poser une question, et les témoins peuvent soumettre une réponse de suivi par écrit à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité avisera le président par message texte lorsqu’il restera 10 secondes du temps de parole pour les exposés liminaires des témoins et les questions et les réponses des sénateurs. Le président fera un décompte visuel de 10 secondes en levant les mains à l’écran, puis lorsqu’il restera cinq secondes et zéro seconde, j’annoncerai que le temps est écoulé.

Merci beaucoup de votre indulgence par rapport à ces commentaires. J’aimerais maintenant inviter nos témoins à présenter leur déclaration liminaire, en commençant par Mme Lightfoot.

Sheryl Lightfoot, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits et les politiques concernant les Autochtones du monde, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs.

Pour commencer ce matin, j’aimerais reconnaître que je me joins à vous depuis le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la bande de Musqueam, que nous désignons maintenant sous le nom de Vancouver, où je vis et je travaille. Je tiens à vous remercier d’être ici avec vous ce matin.

Je suis une Anishinaabe de la bande ojibwée du lac Supérieur. À l’Université de la Colombie-Britannique, je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits et les politiques concernant les Autochtones du monde. Récemment, j’ai été nommée membre nord-américaine du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones des Nations unies.

Cependant, je suis ici ce matin à titre personnel et je ne représente aucune organisation. Mon but est de vous fournir une perspective fondée sur mon expertise universitaire et en matière de droits de la personne. Je suis ravie d’être ici aujourd’hui et j’espère que le projet de loi C-15 recevra bientôt la sanction royale. J’aimerais présenter plusieurs points durant mes six minutes.

D’abord, les textes traitant des droits de la personne des Autochtones comme la déclaration des Nations unies sont conçus aux fins d’une mise en œuvre pleine et entière dans les différents contextes nationaux. Tout comme l’étape charnière que représente la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui énonçait les droits de la personne fondamentaux de tous les membres de notre famille humaine, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones inscrit ces droits de la personne fondamentaux dans le contexte autochtone et établit des normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones.

Dans mon travail universitaire, à titre de spécialiste des sciences politiques, j’ai pu observer une tendance que j’ai qualifiée d’« adoption sélective » et sur laquelle j’ai écrit. Cela veut dire que certains États-nations, y compris le Canada, essaient de diluer la déclaration des Nations unies en se limitant à mettre en œuvre certains éléments pour écarter les autres de leur propre chef. Il est tout à fait moralement inacceptable de choisir ainsi certains droits de la personne que l’on va respecter pendant que d’autres sont mis de côté. En tant que Canadiens, nous critiquons et tenons pour responsables de nombreux autres pays pour ce type de comportement.

Des institutions mondiales s’attendent de plus en plus à voir la mise en œuvre intégrale de la déclaration des Nations unies. L’Assemblée générale des Nations unies l’a réaffirmé au moins 10 fois à ce jour, elle est couramment citée par les rapporteurs spéciaux des Nations unies et elle est de plus en plus réclamée par des organes de suivi des traités internationaux. De fait, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a publié une lettre à l’intention du Canada en novembre 2020 dans laquelle il demandait précisément un compte rendu sur le statut de la mise en œuvre de la loi à l’étude ici.

Bien sûr, elle sert à rappeler à tous que l’appel à l’action no 43 de la Commission de vérité et réconciliation invitait tous les ordres de gouvernement au Canada à adopter et à mettre en œuvre la déclaration des Nations unies. Puis, en 2019, les 231 appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées comprenaient l’appel 1.2(v), qui demande à tous les gouvernements de mettre en œuvre dès maintenant et de respecter pleinement la déclaration des Nations unies.

La plupart de mes travaux universitaires examinent les expériences comparatives des peuples autochtones du monde entier, et j’ai l’impression que le projet de loi C-15 fait avancer la conversation mondiale sur la mise en œuvre des droits de la personne des Autochtones et donne un exemple très positif pour d’autres États-nations.

Un certain nombre d’États dans le monde ont pris des mesures juridiques et stratégiques afin de mettre en œuvre la déclaration. Les membres du comité auront peut-être entendu parler du plan d’action national de la Nouvelle-Zélande, par exemple. Plusieurs pays d’Afrique ont aussi mis en œuvre des lois nationales et des politiques correspondantes. L’Amérique latine a été tout particulièrement proactive sur le plan de réformes constitutionnelles, et divers tribunaux nationaux du monde entier ont cité la déclaration dans des décisions judiciaires. Ma propre base de données montre que, à la fin de 2020, 98 décisions judiciaires au Canada renvoyaient à la déclaration des Nations unies.

Les institutions nationales des droits de la personne dans de nombreux pays utilisent la déclaration comme cadre pour la surveillance de la mise en œuvre des droits de la personne des peuples autochtones à l’échelon national. La déclaration est aussi mise en œuvre actuellement à l’échelle régionale dans des lieux comme l’Union européenne, l’Organisation des États américains et la Commission africaine. La Cour interaméricaine des droits de l’homme s’est aussi grandement inspirée de la déclaration. Pendant plus d’une dizaine d’années, elle a été utilisée pour définir les lignes directrices et les normes à l’échelle internationale, et un certain nombre d’organisations internationales ont élaboré des politiques et des directives qui s’harmonisent avec elles. Le plan d’action à l’échelle du système des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, lancé en 2016, vise à renforcer davantage la cohérence des systèmes pour faire avancer la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies.

J’ai entendu d’autres personnes défendre l’idée qu’une législation fédérale n’est pas requise pour commencer tout ce travail d’un plan d’action national, et je ne suis pas du même avis. Je crois que le projet de loi C-15 est essentiel pour assurer officiellement la mise en œuvre continue des efforts à l’échelon fédéral d’une façon systématique et méthodique. À mon avis, le projet de loi C-15 représente la meilleure approche pour la mise en œuvre des droits de la personne que j’aie vue à l’échelle mondiale et elle établira un exemple véritablement positif pour le reste de la communauté internationale. Merci beaucoup.

Wilton Littlechild, à titre personnel : [mots prononcés en cri.]

Je vous salue dans ma langue, le cri, afin de remercier le grand esprit d’une autre bénédiction et pour remercier chacun d’entre vous de cette occasion historique qui m’est offerte de me prononcer sur l’examen du projet de loi C-15 sur la déclaration des Nations unies.

Je préfère présenter un point de vue personnel dans une optique positive. On m’a souvent dit que je ne parle pas au nom des chefs, alors d’un point de vue holistique, quelqu’un pourrait considérer, par exemple, le préambule comme une compilation de 17 paragraphes axés sur des solutions pour faire avancer la réconciliation, la mise en œuvre de traités et pour poursuivre les instructions de mes aînés concernant la reconnaissance, le respect et la justice. Dans le premier paragraphe du préambule, le cadre de réconciliation qui est mis en évidence favorise un bon départ pour le projet de loi C-15 et la collaboration pour vivre en harmonie. La guérison des blessures causées durant la période des pensionnats indiens est signe d’un objectif important. Par rapport à la paix, il est particulièrement important pour les traités de paix et d’amitié de rétablir des relations respectueuses; le premier paragraphe du préambule nous met sur la voie. Je signale aussi que la justice, le respect pour les droits de la personne souligne les cérémonies de nos aînés qui guident notre chemin tout au long de notre travail. La référence au respect et à la promotion de nos droits inhérents — [mots prononcés en cri.] — des traditions spirituelles et des systèmes juridiques sont tous des éléments essentiels de notre droit fondamental à l’autodétermination — [mots prononcés en cri.]. L’aspect positif se maintient avec le consentement libre, préalable et éclairé dont il a beaucoup été question.

J’ai eu le grand honneur de présider la première réunion des Nations unies d’experts internationaux sur le consentement libre, préalable et éclairé, et voici mon rapport que j’ai présenté au Conseil économique et social des Nations unies. La citation sur laquelle je veux attirer votre attention dans ce rapport est une conclusion sommaire ainsi libellée :

En résumé, même si de nombreux obstacles doivent être surmontés pour appliquer ce principe du consentement préalable, dans l’ensemble, la plupart des participants ont estimé que les avantages offerts par la procédure de consentement préalable, libre et éclairé l’emportaient largement sur les difficultés éventuelles.

Selon une étude plus récente, qui comprend des exemples de pratiques exemplaires à l’échelle mondiale, j’ai présenté au comité l’étude sur le Mécanisme d’experts des Nations unies et le rapport sur le consentement libre, préalable et éclairé.

Une autre référence importante est la mise en œuvre d’un cadre de la conférence spéciale de l’Union interparlementaire internationale de la déclaration des Nations unies par des parlementaires des quatre coins du monde. C’est un guide à l’intention des parlementaires. À la page 4, on dit qu’il est maintenant temps de passer à la mise en œuvre des dispositions de la déclaration des Nations unies.

Plus loin, à la page 29, on s’interroge sur ce qu’est un consentement libre, préalable et éclairé et pourquoi il est important pour les parlementaires. Le document dit ceci :

L’obligation pour les États d’obtenir ou, dans certains cas, de chercher à obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones est clairement exprimée dans la Déclaration des Nations Unies [...]

Parfois, il semble que l’industrie privée — et, avouons-le, avec une certaine aide des peuples autochtones — soutient que les entreprises et les investisseurs s’écarteront du consentement libre, préalable et éclairé. Je renverrais ces personnes au Pacte mondial des Nations unies, qui demande aux entreprises d’embrasser, de soutenir et d’adopter un ensemble de valeurs centrales dans les domaines des droits de la personne. Il y a un questionnaire à remplir par les sociétés en fonction d’une autoévaluation de leur respect de la déclaration des Nations unies fondé sur deux principes. Des milliers de sociétés littéralement ont adhéré au Pacte mondial des Nations unies, et il y a maintenant aussi un nouveau pacte mondial qui se concentre sur le Canada. Il y a aussi le nouveau forum sur les entreprises et les droits de l’homme aux Nations unies qui examine actuellement une convention.

En résumé, je tiens à dire que le consentement libre, préalable et éclairé permet cinq choses : premièrement, il confirme la souveraineté et l’autodétermination des peuples autochtones; deuxièmement, il protège les terres, les territoires et les ressources des Autochtones; troisièmement, il réduit ou élimine le risque de perte importante; quatrièmement, il facilite les partenariats équitables; et cinquièmement, il nous invite à travailler ensemble.

Le CPLCC n’est pas un nouveau concept. Le consentement est un droit qui a été inclus dans la Proclamation royale de 1763. Il a été compris dans nos traités internationaux, d’abord en tant que consentement, puis comme consentement mutuel, et maintenant comme CPLCC. Personnellement, j’ai été très déçu de voir que le comité précédent ne l’a pas inclus au paragraphe 2(5) — pour plus de certitude. Les traités constituent la base du renforcement des partenariats et sont une solution. Enfin, mesdames et messieurs, je vous presse d’adopter ce projet de loi de façon non partisane. Après tout, il en va de notre égalité, de notre survie, de notre dignité, de notre bien-être et de notre réconciliation. Hiy hiy, merci.

Me Drew Lafond, président, Association du Barreau autochtone : Merci et bonjour aux membres du comité. Je vous remercie de m’avoir invité.

Je m’appelle Drew Lafond et je suis ici pour représenter l’Association du Barreau autochtone du Canada, une organisation sans but lucratif qui représente des avocats, des juges, des étudiants et des universitaires autochtones de l’ensemble du Canada. [mots prononcés dans une langue autochtone.]

Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis les territoires du Traité no 6 situés en Saskatchewan et j’aimerais commencer en disant que le projet de loi C-15 est une tentative louable pour mettre en œuvre et recommander à l’échelle nationale la DNUDPA au Canada. Cependant, pour les raisons qui sont décrites dans notre correspondance adressée au comité permanent de la Chambre des communes sur le projet de loi C-15 datée du 11 mars, notre appui au projet de loi est très mitigé.

L’hésitation de l’ABA à appuyer sans réserve le projet de loi C-15 plonge ses racines dans le fait que le Canada a pour habitude de ne pas terminer le travail lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des changements fondamentaux concernant les peuples autochtones. Dans le cas du projet de loi C-15, il se dégage un manque d’harmonie préoccupant entre l’intention déclarée du projet de loi et son libellé actuel. Il importe de mentionner que l’ABA est une organisation à but non lucratif. Ce n’est pas une entité titulaire de droits. Nous reconnaissons que les peuples autochtones, en tant que nations souveraines au Canada, entretiendront leurs propres relations avec la DNUDPA. Tout comme le Canada travaille à mettre en œuvre la DNUDPA au sein des lois canadiennes, les gouvernements autochtones s’attachent de même à examiner comment les droits et les responsabilités décrits dans la DNUDPA trouveront une expression au sein de leurs nations respectives, de leurs systèmes juridiques et de leurs relations mutuelles dans l’État canadien.

Nous reconnaissons que nombre de dirigeants, de défenseurs et de militants juridiques autochtones ont joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de la DNUDPA et dans son adoption par l’Assemblée générale des Nations unies. Les progrès qu’ils ont réalisés au chapitre de la reconnaissance et du respect de la mise en œuvre et de l’application des droits des Autochtones ont jeté des bases solides pour le Canada, et cela comprend le travail acharné de certains de nos membres qui se sont présentés devant notre conseil actuel, notamment M. Littlechild.

Cela dit, d’une part, dans le cas du projet de loi C-15, les déclarations de la ministre Bennett, qui prévoyait sans équivoque l’adoption et la mise en œuvre de la DNUDPA dans le droit canadien et le libellé actuel qui est devant nous aujourd’hui, où le Parlement n’a pas pris les mesures qu’il a prises dans le cas d’autres instruments internationaux et de leur mise en œuvre dans le droit canadien, c’est très préoccupant pour l’Association du Barreau autochtone.

Nous avons prévu cinq recommandations de changement au projet de loi C-15 dans notre correspondance envoyée au comité permanent de la Chambre des communes et nous serions ravis d’explorer ces amendements proposés avec le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ici aujourd’hui. Merci.

Le président : Merci, maître Lafond. J’aimerais maintenant passer à nos questions, en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Bonjour et merci à tous nos invités et aux experts de leurs interventions aujourd’hui. Ma question s’adresse au chef Littlechild.

J’ai été très encouragée d’entendre tous les renseignements que vous avez transmis sur le CPLCC et j’aimerais poser une question concernant la certitude. Nombre de personnes, Autochtones et non-Autochtones, s’inquiètent du fait que le projet de loi C-15 entraînera de l’incertitude dans l’industrie. Pourriez-vous nous aider à comprendre en quoi la mise en œuvre du projet de loi C-15 permettra en fait de créer une certitude pour les investisseurs?

M. Littlechild : Tout d’abord, je suis déçu par la mauvaise caractérisation et les propos alarmistes qu’on a tenus concernant cette déclaration et le projet de loi lui-même. Comme je l’ai dit, j’ai aussi été déçu parce que les premiers mots du paragraphe (5) de l’article 2 sont « Il est entendu que », et le mémoire du comité précédent l’a écarté.

Je pense que lorsque vous prenez la déclaration et le projet de loi, bien sûr, ce n’est pas parfait, mais notre travail consiste à les améliorer et à les renforcer. Pour ceux qui ont peur de le faire, essayez-le et faites-le bien, et vous verrez que cela fonctionne.

Le président : Merci, monsieur Littlechild. La deuxième question revient au critique du projet de loi, le sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : Merci d’être ici, mesdames et messieurs. J’aimerais poser cette question à M. Littlechild. Je suis heureux de vous revoir à notre comité.

Étant donné votre expérience dans le droit national et international, et je m’adresse à nos témoins de l’ABA, vendredi, le ministre Lametti a dit au comité que les décisions passées des tribunaux « resteront en vigueur », et que :

[...] les lois fédérales et provinciales canadiennes continuent d’exister, et que ces lois auront encore le dernier mot dans diverses circonstances [...]

La doctrine du précédent juridique lie de toute évidence les cours de compétence égale ou inférieure aux décisions précédentes des cours supérieures. Comprenez-vous aussi que le projet de loi C-15 n’entrave pas la doctrine du précédent juridique? Autrement dit, les décisions passées des cours supérieures continueront-elles de s’appliquer après l’adoption du projet de loi? Merci.

M. Littlechild : Je pense qu’il est temps de tourner la page. Je l’ai déjà entendu à la Cour suprême du Canada une fois, et je pensais que l’avocat allait se faire jeter dehors quand il a dit : « Ce dont nous avons besoin sur le banc, ce sont des juges qui ont du cran. » Ce qu’il voulait dire par là, c’est qu’il est temps de changer certaines des vieilles lois qui continuent de nous freiner en tant qu’Autochtones. Oui, il existe un précédent juridique, mais il y a aussi des occasions pour les juges de changer la loi et de l’améliorer, de l’actualiser, par exemple. C’est ce que je dirais pour ce qui est de la loi.

Il y avait un professeur de droit qui a pris 10 des pires décisions judiciaires de la Cour suprême contre des Autochtones; il a relu toutes ces décisions, puis il les a lues avec la déclaration en main. Il a conclu que toutes ces 10 affaires se seraient réglées différemment si la déclaration avait existé à l’époque. L’heure du changement a donc sonné. C’est ce que je dirais.

Le président : Merci, monsieur Littlechild. Nous allons maintenant passer à la sénatrice Stewart Olsen.

La sénatrice Stewart Olsen : Ma question s’adresse à Me Lafond. J’ai examiné l’étude article par article au comité de la Chambre des communes et j’ai été frappée de voir que les amendements qui ont été présentés pour la partie prescriptive du projet de loi ont été rejetés par des membres du gouvernement, mais ils ont été acceptés et mis dans le préambule. Par exemple, l’amendement visant à faire reconnaître les droits issus de traités n’est pas figé et peut évoluer et s’accroître. Je signalerai également que le préambule est un outil d’interprétation et qu’il n’a aucune force exécutoire.

N’êtes-vous pas préoccupé par le fait que le gouvernement ne s’est pas engagé à clarifier les amendements qui ont été adoptés par les tribunaux dans la partie prescriptive du projet de loi? Je vous en parle parce que cela me préoccupe que le projet de loi suscite beaucoup d’attentes qu’on a ensuite refusé de mettre dans le projet de loi.

Me Lafond : Merci beaucoup de poser la question, madame la sénatrice, et je pense que c’est uniforme. Vous avez mis le doigt sur nos préoccupations formulées dans nos mémoires écrits qui correspondent directement à ce que nous tentons de transmettre.

Comme vous le savez, le droit international est extraordinairement complexe pour la personne moyenne. Étant un avocat qui pratique le droit des sociétés et le droit commercial, juridictionnel et constitutionnel depuis un peu plus de 12 ans, j’éprouve moi-même beaucoup de difficultés quand j’entre dans le domaine du droit international. C’est un domaine très nuancé, et il y a beaucoup de libellés et de précédents que vous devez absorber dans une courte période si vous voulez vous attaquer à quelque chose de cette nature.

Lorsque vous entrez dans ce domaine, nous savons que la DNUDPA n’est pas un accord international ni une convention. C’est une déclaration, mais nous savons aussi que le Parlement a la capacité et le pouvoir de mettre en œuvre les conditions des déclarations internationales dans le droit canadien pour les rendre valides et contraignantes.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas en ce moment au sein de la DNUDPA des dispositions qui ne soient pas déjà contraignantes. Juste par leur nature, quelques dispositions au sein de la DNUDPA que nous pouvons examiner répètent simplement des engagements précédents concernant les droits de la personne qui se reflètent dans le droit canadien. Cependant, beaucoup de dispositions de la DNUDPA ne sont actuellement pas juridiquement contraignantes pour les décideurs fédéraux, et le processus est ce qui nous préoccupe dans ce cas-ci.

Le processus concernant la mise en œuvre de la loi doit être énoncé clairement et de façon non équivoque dans la loi qui permet la mise en œuvre, et c’est sur ce plan que nous sommes curieux de savoir pourquoi le Canada n’a pas été à la hauteur d’autres instruments où il a pris des pactes internationaux non contraignants et a tenté de les mettre en œuvre au Canada, où le libellé de ces lois est sans équivoque. Lorsque vous regardez le libellé, c’est presque comme si le Parlement, en rédigeant la loi, avait esquivé certains objectifs assez clairs, dont un est la mise en œuvre de la DNUDPA.

Le président : Merci, maître Lafond.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous les témoins qui ont présenté une déclaration ce matin. Elles ont été très utiles. Ma question s’adresse à M. Littlechild. Bienvenue à nouveau. Je suis heureuse de vous revoir et je suis désolée que nous n’ayons pas mis un point final à cette question la dernière fois.

Vous nous avez dit qu’il a fallu 24 ans pour que les Nations unies approuvent cette déclaration, toute cette expérience à laquelle vous avez participé. Une des raisons, c’était de trouver le bon libellé qui serait acceptable pour toutes les parties — en particulier, le libellé concernant le « consentement libre, préalable et éclairé ». Pourriez-vous vous prononcer sur le processus que vous et vos collègues du monde entier avez suivi pour obtenir le libellé qui est là? Aidez-nous à comprendre pourquoi vous vous êtes arrêtés sur ce libellé exact et pourquoi c’est important pour nous.

M. Littlechild : Tout d’abord, la scène internationale — au moins aux Nations unies — travaille à partir du consensus. Il suffit seulement qu’un État dise « non », et vous devez tout recommencer. C’est pourquoi cette déclaration a été celle qui a été la plus longtemps débattue dans l’histoire des Nations unies — 27 ans. C’est aussi parfois attribuable à un changement politique — des élections — qui modifie l’idéologie des délégations qui se présentent aux Nations unies. Donc oui, c’était un long processus. Après l’établissement de l’Instance permanente, durant les trois premières années, nous entendions sans cesse parler de la nécessité du consentement libre, préalable et éclairé, parce que nos gens continuaient d’être assassinés ou tués par des armées de sociétés et ils ont dit que nous devions examiner le problème.

Nous avons donc convoqué une réunion internationale des avocats indépendants internationaux pour venir discuter aux Nations unies pendant trois jours de ce que signifie le consentement libre, préalable et éclairé. En fait, j’ai entendu des témoins précédents réclamer une définition. La définition est intégrée dans cette phrase, le « consentement libre, préalable et éclairé ». C’est très important, tout particulièrement en raison de l’exemple que je viens de vous fournir au sujet des massacres qui continuent. Ce n’est pas un jeu de mots. Les massacres qui touchent nos peuples se produisent bel et bien.

J’ai été invité récemment dans un pays pour examiner la situation. À l’aéroport, on m’a dit : « Vous feriez mieux de ne pas venir. » J’ai dit : « J’ai mon billet; je suis prêt à monter à bord de l’avion », seulement pour découvrir le lendemain que 200 personnes ont été tuées aux Philippines. La même chose est arrivée au Pérou, et la même chose au Guatemala.

Le président : Merci, monsieur Littlechild.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à Mme Lightfoot. Félicitations pour votre nomination en tant que représentante nord-américaine du Mécanisme d’experts des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. À cet égard, non seulement vous marchez dans les traces de M. Littlechild, mais vous faites tomber les barrières en tant que première femme autochtone du Canada à occuper le poste.

J’aimerais vous demander de dire comment le projet de loi C-15, s’il est adopté, pourrait influencer la réputation internationale du Canada, tout particulièrement après l’échec lié à l’adoption de son prédécesseur, le projet de loi C-262. Quelles répercussions aurait-il concernant la promotion et la protection des droits des Autochtones ici et à l’étranger?

Mme Lightfoot : Merci beaucoup, sénateur Francis, de vos félicitations chaleureuses. C’est un grand honneur pour moi de suivre les traces de mon prédécesseur, M. Littlechild. C’est toujours un honneur de comparaître dans un comité avec lui comme je le fais ce matin.

Merci d’avoir posé la question. Pour moi, le projet de loi C-15 est une occasion pour le Canada sur la scène internationale. C’est une occasion d’être un chef de file dans le domaine et de rehausser de manière importante la réputation du Canada. Cependant, bien sûr, ce n’est pas la simple adoption de la loi qui permettrait de rehausser la réputation du Canada, c’est son respect complet des droits de la déclaration des Nations unies dans toutes ses pratiques, tant au pays qu’à l’étranger, qui sera l’élément vers lequel le monde se tournera. À mon avis, cela permettra d’établir un climat positif pour amener d’autres pays à aller de l’avant avec des mesures semblables en matière de mise en œuvre, que ce soit cette loi, des progrès par rapport à des plans d’action nationaux ou ce qui est capital à mes yeux concernant le projet de loi C-15, le mécanisme redditionnel ainsi que la responsabilisation et la reddition de comptes requises de façon régulière. Comme nous le savons tous, nous sommes tous plus performants lorsque nous devons rendre compte chaque année de notre rendement. Je suis impatiente que cela constitue une nouvelle norme sociale sur la scène internationale et qu’on établisse des lois et des exigences concernant la responsabilisation et la déclaration complètes et périodiques, lesquelles seraient, bien sûr, interprétées non seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’étranger. Donc, je pense que c’est une grande occasion.

Le sénateur Francis : Merci, madame Lightfoot.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci beaucoup à vous tous d’être avec nous et de nous éclairer au sujet de ce projet de loi important.

La question et la réponse précédentes ouvrent la porte à ma question. Nous avons entendu plusieurs témoins qui nous encouragent à ne pas passer à côté de la possibilité de faire adopter ce projet de loi. C’est une occasion très importante, comme vient de le souligner Mme Lightfoot, pour le Canada de faire preuve de leadership dans ce domaine.

La question que je veux vous poser porte sur l’insistance répétée de plusieurs témoins pour dire que la perfection ne devrait pas être l’ennemie du bien. J’aimerais tout particulièrement connaître la réponse de Me Lafond à cette question dans le contexte du projet de loi C-15.

Dans votre propre document, vous avez présenté cinq recommandations qui n’ont pas été adoptées sous la forme des amendements que vous espériez. Croyez-vous que le projet de loi a toujours besoin d’autres amendements avant de pouvoir être envisagé, ou pensez-vous qu’il est possible que le projet de loi soit adopté et qu’on apporte des améliorations futures dans le cadre du processus d’examen annuel et de l’élaboration, bien sûr, du plan d’action?

Me Lafond : Merci de poser la question, madame la sénatrice.

Dans ce cas-ci, notre préoccupation a toujours été et continue d’être le libellé de la loi.

Comme je l’ai dit dans mes commentaires précédents, nous saluons l’intention du gouvernement de faire avancer ce projet de loi. Nous croyons qu’il s’agit d’une étape importante et cruciale. Nous sommes à la croisée des chemins, où nous avons la possibilité de tirer parti d’une occasion politique pour mettre en œuvre une loi qui inscrit la DNUDPA dans le droit canadien, mais nous ne l’avons pas encore fait, selon ce que nous voyons dans le projet de loi.

Le projet de loi et son libellé ne sont pas à la hauteur. Vous n’avez pas besoin de regarder plus loin que le titre du projet de loi lui-même. Lorsque nous examinons d’autres conventions ou accords internationaux ou même des déclarations, ils sont définis en tant que lois de mise en œuvre, à l’échelon tant fédéral que provincial. Pour quelque raison que ce soit, cela n’a pas été introduit dans ce cas-ci. Le projet de loi lui-même, à commencer même par le titre, est insuffisant dans ses engagements à l’égard d’un processus légalement contraignant, clair et conscient concernant la mise en œuvre de la DNUDPA en tant que partie intégrante de la législation fédérale. Est-il possible de le mettre en œuvre maintenant? Assurément, oui, c’est possible, mais la crainte, c’est que la mise en œuvre soit incomplète et inachevée.

Le président : Merci, maître Lafond.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse à M. Littlechild. L’article 19 décrit le besoin pour les États d’obtenir le consentement donné librement, préalable — et j’insiste sur le mot « préalable » — et en connaissance de cause des peuples autochtones avant d’adopter toute loi ou politique qui aurait une incidence sur les droits des Autochtones. L’article 3 dit aussi que les peuples autochtones ont le droit de déterminer leur propre statut politique.

Vendredi dernier, le grand chef Abram a dit ceci : « Je ne connais aucun titulaire de droits en Ontario qui a participé aux travaux entourant ce projet de loi. »

L’Association of Iroquois and Allied Indians nous a dit sans équivoque qu’elle a rejeté le processus de mobilisation à l’égard du projet de loi C-15 parce qu’il ne s’étend pas aux titulaires de droits. Elle a dit qu’elle rejetait ce projet de loi, et je crois comprendre que cela veut dire qu’elle refuse son consentement.

Pourriez-vous s’il vous plaît m’aider à comprendre cela? On nous a dit que le consentement est contextuel, donc dans ce contexte-ci, le consentement signifie-t-il seulement le consentement de certaines personnes? Merci.

M. Littlechild : Je vous rappelle que la version précédente, qui a maintenant été améliorée — le projet de loi C-262 — a été adoptée par la Chambre des communes. En tant que Commission de vérité et réconciliation, nous avons tenu les consultations les plus longues et les plus exhaustives auprès des peuples autochtones. Plus de 7 000 témoins se sont présentés devant nous et nous ont parlé de la déclaration des Nations unies.

Pour ce qui est du délai, de combien de temps avons-nous besoin? Aussi, c’est très facile de rejeter quelque chose. C’est très facile de déchirer quelque chose, mais c’est une tout autre chose que de bâtir. Et c’est ce que nous tentons de faire, de bâtir un meilleur avenir ici, pour les peuples autochtones.

En ce qui concerne le commentaire du président de l’ABA au sujet du titre, je l’ai moi-même présenté. Changer le titre. Cela aussi a été rejeté. Ce n’est pas uniquement le temps qui a été réservé pour la consultation.

Je ne sais pas depuis combien d’années — depuis 2007 je pense, nous tenons des consultations sur ce sujet. Quand est-ce suffisant? Quand savons-nous à coup sûr ce qui se passe et ce qui s’est produit? Je pense que le moment est maintenant venu.

Concernant la troisième partie de votre question, je pense qu’il s’agissait...

Le sénateur MacDonald : Dans ce contexte, le « consentement » signifie-t-il seulement le consentement de certaines personnes? C’était ma question.

M. Littlechild : Oui. Eh bien, le comité lui-même sélectionne la liste des intervenants, n’est-ce pas, et aussi le comité parlementaire?

Le président : Je suis désolé, monsieur Littlechild. Le temps est écoulé.

La sénatrice Anderson : [mots prononcés dans une langue autochtone].

Ma question s’adresse à Mme Lightfoot. Dans votre déclaration liminaire, vous avez fait allusion à 98 décisions des tribunaux qui renvoient à la déclaration. Selon vous, quels devraient être le rôle et l’application devant les tribunaux du projet de loi? Que pensez-vous de l’idée de certaines personnes qui disent qu’il fournira un veto pour les peuples autochtones?

Mme Lightfoot : Merci beaucoup d’avoir posé la question, madame la sénatrice. La base de données que mon équipe à l’UBC et moi avons mise sur pied sur les décisions des tribunaux montre que, comme je l’ai dit, à la fin de 2020, il y avait 98 décisions dans les tribunaux canadiens — divers tribunaux; les tribunaux provinciaux, fédéraux et le tribunal des droits de la personne — qui faisaient référence à la déclaration des Nations unies. Certaines de ces décisions remontaient à 2001, et elles renvoyaient à la déclaration provisoire sur les droits des peuples autochtones. Certaines de ces références sont légères ou mineures, je dirais. D’autres sont des références majeures et substantielles.

L’adoption de ce projet de loi apporte une visibilité considérablement améliorée au pouvoir judiciaire dans la façon dont la déclaration peut être utilisée. J’ai l’intention de produire un article qui montre comment il a été utilisé à ce jour, qui servira d’outil éducatif. Et je sais qu’un bon nombre d’associations juridiques peaufinent l’éducation continue des avocats et des juges sur le sujet. Je pense que c’est un grand pas en avant.

Pour ce qui est d’un veto, c’est un mot qui est très utilisé et dans de nombreux cercles. Je pense qu’il est important que nous comprenions ce que nous voulons dire lorsque nous utilisons ce mot. Certaines personnes l’utilisent pour parler du droit de dire non, et d’autres, pour évoquer le droit de superposer une décision qui a été prise par une politique particulière. Nous devons nous montrer uniformes dans notre compréhension du mot « veto ».

Notez que le mot « veto » n’est nulle part utilisé dans la déclaration elle-même. Le veto s’emploie habituellement comme outil visant à semer la peur, comme l’a mentionné M. Littlechild, mais l’essence du consentement donné librement, préalable et en connaissance de cause, ou le CPLCC, est en réalité assez simple. Le consentement signifie qu’une personne a la capacité de dire oui à une proposition, de dire non à une proposition ou de dire « Oui, mais j’ai des conditions » en réponse à la proposition.

Plus simplement, on l’a décrit ainsi : lorsqu’une personne contracte un mariage, un engagement à vie, elle ne peut pas promettre que vous ne rénoverez jamais la salle de bain. Cependant, elle peut promettre que, si l’un des deux veut rénover la salle de bain, il y aura un processus et une procédure pour aller jusqu’au bout avec son partenaire et décider comment ils aimeraient rénover la salle de bain.

Je pense que lorsque nous disons les choses simplement, le consentement et le droit de dire oui, non ou oui avec des conditions deviennent un peu plus clairs et beaucoup moins confus.

La sénatrice Anderson : Qujannamiik.

Le président : Merci, madame Lightfoot.

Le sénateur Tannas : Merci à tous les éminents témoins qui sont avec nous aujourd’hui. Je voulais consacrer mon temps à quelque chose qui me trouble un peu. J’espère obtenir des éclaircissements. Cela concerne ce discours selon lequel le projet de loi C-262 est essentiellement le même projet de loi que le projet de loi C-15 et que nous avons en quelque sorte raté le bateau avec le projet de loi C-262, et maintenant on le présente de nouveau, et ils sont identiques.

Ma question s’adresse à Me Lafond. Pourriez-vous nous éclairer un peu sur cette question? Le projet de loi C-262 est-il le même que le projet de loi C-15? Je pense au libellé, à l’emplacement de certains passages et ainsi de suite, dans le projet de loi C-262, particulièrement les phrases dans ce qu’on a appelé la section d’application du projet de loi, qui ont donné lieu à d’énormes préoccupations de la part des titulaires de chaires de recherches du Canada et d’autres experts, y compris un juge retraité de la Cour suprême, qui se sont sentis contraints de présenter des mémoires.

Nous avons entendu différents messages de la part du gouvernement concernant le moment de faire les choses et que nous réglerons la question touchant le CPLCC au cours des prochaines années, et sur les territoires et le fait de savoir qui donne son consentement et qui ne le fait pas, et ainsi de suite. Pourriez-vous une fois pour toutes régler, pour moi, la question de savoir si le projet de loi C-262 et le projet de loi C-15 sont deux projets de loi différents et comportaient des forces et des faiblesses différentes — oui ou non?

Me Lafond : Merci de poser la question. Dans le projet de loi C-262, M. Romeo Saganash a fini par établir une base solide pour le projet de loi C-15. Je ne peux pas parler des critiques qui ont été formulées contre le projet de loi C-262 lorsqu’il a été présenté devant le Parlement à l’époque. Et je peux seulement parler d’une partie de l’évolution qui s’est faite.

Le projet de loi précédent, le libellé du projet de loi C-262, a été remis aux membres du comité à des fins d’examen. Il est très important dans ce cas-ci de décrire l’intention sous-jacente qui sous-tend la mise en œuvre de la DNUDPA et l’état actuel du libellé.

La teneur du projet de loi C-262 et l’intention du projet de loi C-15 sont identiques dans les deux cas, mais comme je l’ai dit plus tôt, sous les auspices du projet de loi C-15, le plus grand risque que nous voyons avec l’Association du Barreau autochtone, c’est que dans ce cas-ci, la mise en œuvre de dispositions assez fondamentales, y compris le CPLCC et l’article 37, sera incomplète et demeurera inachevée.

Le sénateur Tannas : D’accord, merci.

Le président : Merci, maître Lafond.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins. J’aimerais revenir à l’Association du Barreau autochtone. Dans votre mémoire présenté au comité de la Chambre, vous avez parlé de l’importance de s’assurer que le financement nécessaire et les mesures de soutien de la capacité sont offerts aux collectivités, aux organisations et aux gouvernements autochtones en ce qui concerne tant l’élaboration du plan que la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies. Pourriez-vous s’il vous plaît nous en dire davantage sur ce qui doit être en place selon vous? Car nous avons certainement vu au comité, avec la loi précédente, quand les ententes de financement n’étaient pas en place, que cela a entraîné des critiques légitimes sur l’absence de processus de mise en œuvre.

Me Lafond : Certainement. En ce qui concerne les possibilités de collaboration avec les décideurs, les ressources et les enveloppes de financement, pour nous assurer que des recherches et des analyses critiques sont effectuées au chapitre de l’analyse et de la mise en œuvre du projet de loi, nous avons à de maintes reprises vu que le financement et la mobilisation ont vraiment changé le cours des choses, tout particulièrement dans le cas de l’ABA et de projets de loi comme le projet de loi S-3.

Notre capacité de participer à ces types de processus est extraordinairement limitée par notre budget serré. Nous sommes une organisation bénévole : moi-même et les autres membres du conseil donnons généreusement de notre temps pour des questions comme celles-là. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le droit international et la mise en œuvre de déclarations, de conventions et de pactes internationaux dans le droit canadien sont des processus extraordinairement complexes. La capacité de naviguer dans ces processus de manière compétente, vu l’importance de questions capitales comme la DNUDPA, sera dictée par la quantité de ressources qui sont fournies et l’ampleur de la collaboration opportune que peut fournir l’ABA dans ce cas-là.

Au final, cela changera complètement la mise en œuvre.

La sénatrice Pate : J’aimerais bien que Mme Lightfoot et M. Littlechild parlent d’exemples internationaux que le Canada pourrait examiner concernant la mise en œuvre.

Mme Lightfoot, vous avez parlé de la Nouvelle-Zélande. Y a-t-il quelque chose en particulier que nous pourrions apprendre de ce pays?

Mme Lightfoot : Merci beaucoup, madame la sénatrice Pate. La Nouvelle-Zélande a réalisé des progrès importants par rapport à son plan d’action national, et durant la dernière semaine ou les 10 derniers jours, certains documents comprenant des détails sur le plan d’action ont été publiés. Toutefois, les choses ont ralenti un peu puisqu’aucune loi n’encourage la poursuite du travail, et le dossier peut donc facilement être mis de côté. C’est le risque que nous courons en ce moment.

L’autre problème que j’ai vu, c’est que, dans certains cas, particulièrement en Amérique latine, on a décidé d’avancer trop rapidement avec une loi sans avoir de cadre. Je pense que le projet de loi C-15 nous fournit le meilleur des mondes et aide vraiment à faire avancer l’effort de mise en œuvre à l’échelle mondiale.

Le président : Merci, madame Lightfoot.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question s’adresse à Mme Lightfoot. L’article 5 demande au gouvernement d’harmoniser les lois canadiennes actuelles et futures avec les articles de la DNUDPA. Si vous deviez donner des conseils au gouvernement, comment ce processus se déroulerait-il à votre avis?

Mme Lightfoot : Merci de poser la question. Cela signifie simplement que, à mesure que des dispositions législatives et des lois sont proposées, elles sont examinées à travers le prisme de la déclaration des Nations unies. Le travail de M. Echo-Hawk auquel M. Littlechild faisait allusion dans le contexte américain est vraiment important, et il interprète toutes les anciennes décisions judiciaires à la lumière de la déclaration et explique en quoi elles seraient différentes. Je dois insister à nouveau sur ce fait.

Bien sûr, nous devons examiner les textes législatifs existants et déterminer comment ils s’harmonisent avec la déclaration des Nations unies, mais aussi nous demander, à mesure que chaque texte est adopté, s’il s’aligne sur les principes de la déclaration dans l’avenir. C’est un exercice assez simple. Nous le faisons tout le temps avec tout texte de loi : satisfait-il aux normes des droits internationaux de la personne? C’est une question valide à se poser aussi relativement aux droits des Autochtones.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Madame Lightfoot, vous avez dit que le projet de loi C-15 représente une nouvelle norme à l’échelle internationale pour la mise en œuvre de la DNUDPA et que cela fait partie des mesures redditionnelles. Pourriez-vous rapidement en dire plus à ce sujet, comment se fait-il que personne d’autre n’ait fait cela à l’échelle mondiale? Quel type de précédent établissons-nous?

Mme Lightfoot : Merci de poser la question. Jusqu’ici, personne n’est arrivé avec la formule critique que le projet de loi C-15 fournit, à mon avis. C’est la combinaison des éléments. C’est la législation qui va permettre d’établir un cadre très systématique et méthodique. Elle offre des dispositions précises concernant la création du plan d’action national, que, bien sûr, nous avons vu en Nouvelle-Zélande, mais sans la loi, et aussi le cadre redditionnel et de responsabilisation, que, à ce jour, je n’ai pas vu dans toute autre politique dans le monde.

C’est une combinaison essentielle qui aide à combler certaines des difficultés et des lacunes que nous avons vues dans d’autres endroits et nous fait tous aller de l’avant. Je pense qu’elle profiterait à bon nombre d’États-nations d’ici une décennie ou deux.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : J’aimerais poser ma question à Me Lafond. Vous avez dit que le projet de loi n’était pas à la hauteur du soutien qu’a offert le Canada à d’autres instruments internationaux, comme la déclaration, et que le Canada a esquivé des engagements au moment de mettre en œuvre la DNUPDA.

Mis à part ce que vous avez évoqué au sujet du libellé qui est mal formulé, pourriez-vous décrire certains des autres amendements que l’Association du Barreau autochtone a recommandés? Merci.

Me Lafond : Merci de la question, monsieur le sénateur. Oui, nous les décrivons aussi pour le comité dans nos mémoires datés du 11 mars 2021. Nous avons une série d’amendements.

En ce qui concerne le point que vous avez soulevé concernant la nature équivoque des engagements à l’égard de la mise en œuvre du projet de loi, nous commencerions par l’article 4. Nous aimerions voir à la disposition 4a) un libellé qui décrit l’intention que la DNUDPA ait force de loi dans le droit canadien et qu’elle incorpore la déclaration dans le droit canadien.

Avec l’article 6 du projet de loi, nous voulons voir un engagement pour incorporer la déclaration dans le droit canadien.

Même si nous disons que le préambule est le libellé non contraignant, il joue un rôle important et informatif lorsque vous regardez le contexte du projet de loi dans son ensemble. Nous aimerions que soit ajouté un libellé supplémentaire concernant la mise en œuvre de la déclaration que nous avons énoncée dans nos mémoires.

Ce sont quelques-uns des exemples que j’aimerais porter à votre attention, afin d’ajouter quelques précisions concernant la mise en œuvre de la DNUDPA et d’harmoniser davantage les intentions du projet de loi avec son texte.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup à tous les témoins.

Le président : Le temps réservé à ce groupe de témoins est maintenant terminé. Je tiens à remercier Mme Lightfoot, M. Littlechild et Me Lafond de leur comparution. Merci beaucoup.

Nous sommes maintenant heureux d’accueillir des représentants et des témoins. J’aimerais souhaiter la bienvenue au chef Ghislain Picard, Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. Mira Levasseur-Moreau, conseillère politique et juridique pour l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, accompagne le chef. J’aimerais souhaiter la bienvenue à Aluki Kotierk, présidente de Nunavut Tunngavik Incorporated. Je regrette d’aviser les sénateurs que notre troisième témoin, Duane Smith, de la Société régionale inuvialuit, vient de nous aviser qu’il ne peut pas se joindre à nous.

J’aimerais inviter le chef Ghislain Picard et la présidente Kotierk à présenter leur déclaration liminaire d’environ six minutes chacune, qui seront suivies par une période de questions et de réponses avec les sénateurs, pour environ trois minutes par sénateur.

La présidente Kotierk va présenter sa déclaration en inuktitut. Veuillez noter que seule l’interprétation de l’inuktitut vers l’anglais sera fournie. L’interprétation en anglais sera ensuite traduite en français.

La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson; et la deuxième question sera posée par le critique du projet de loi, le sénateur Patterson. Si d’autres sénateurs ont une question, vous êtes priés d’utiliser la fonction « lever la main », comme vous la voyez déjà à l’écran, sur Zoom pour le signaler à la greffière. Cela sera signalé dans la conversation Zoom. Veuillez noter que les membres de notre comité auront la priorité sur la liste des intervenants. Toute réponse faisant suite aux questions peut être soumise par écrit à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité avisera la présidence par message texte lorsqu’il restera 10 secondes du temps de parole pour les observations préliminaires des témoins et la période de questions et de réponses des sénateurs. Je ferai un signe de la main lorsqu’il restera 10 secondes afin que vous ayez un décompte visuel. Lorsque nous arriverons à zéro, je vous informerai que le temps est écoulé.

J’aimerais maintenant demander au chef Ghislain Picard de présenter sa déclaration liminaire.

Ghislain Picard, chef, Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador : Merci beaucoup. [mots prononcés dans une langue autochtone].

C’est un privilège d’être accueilli par nos frères et nos sœurs mohawks; je m’adresse à vous ce matin de Kahnawake.

[Français]

J’aimerais d’abord remercier le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de l’occasion de m’adresser à ses membres ce matin. Je vous adresse ces remerciements au nom de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), qui souhaite présenter sa position dans le cadre de l’étude de la teneur du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le 26 février dernier, les chefs de l’APNQL ont adopté unanimement une motion à l’effet que :

[...] des amendements au projet de loi C-15 constituent une condition minimale afin que l’APNQL puisse même envisager l’appui au projet de loi.

Les amendements proposés par le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, devant lequel nous avons témoigné le 23 mars dernier, représentent un pas dans la bonne direction, mais ils sont insuffisants pour corriger les écueils majeurs soulevés par l’APNQL.

Je veux être très clair : les chefs de l’APNQL soutiennent l’adoption d’une loi fédérale ayant pour objet la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La mise en œuvre de la déclaration est d’autant plus essentielle pour les Premières Nations, qui doivent coexister avec un gouvernement québécois qui, au cours des dernières années, s’est distingué par des positions qui sont en porte-à-faux en ce qui a trait aux principes de la déclaration, notamment le droit des peuples autochtones à l’autodétermination et le droit à l’autonomie gouvernementale, ce qui a fait l’objet de plusieurs contestations judiciaires.

Dans ce contexte, la préservation des droits et des identités de nos peuples rend d’autant plus urgente la mise en œuvre de la déclaration en droit canadien. Le contexte politique au Québec, qui conditionne les relations entre les Premières Nations et le gouvernement provincial, mérite une attention particulière. Nous devons composer avec un gouvernement provincial qui se dit hésitant à entreprendre toute discussion sur la mise en œuvre de la déclaration au Québec, en dépit d’une résolution adoptée par l’Assemblée nationale qui l’engage à en négocier les termes. De plus, la validité constitutionnelle de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, soit le projet de loi C-92, qui a été adopté en juin 2019, est contestée en Cour d’appel par le gouvernement du Québec.

Avec un gouvernement fédéral qui envisage le dépôt d’autres projets de loi, il est essentiel que le contexte législatif soit propice pour que tous les futurs projets de loi soient compatibles avec les droits et principes issus de la déclaration. La mise en œuvre de la déclaration en droit canadien est une urgence, afin que les Premières Nations puissent efficacement contrer les positions inacceptables des gouvernements provinciaux, notamment le Québec, qui persistent à refuser de reconnaître notre droit fondamental à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale. L’APNQL est en faveur des principes issus de la déclaration et de leur mise en œuvre en droit canadien.

[Traduction]

Comme mentionné, les recommandations du comité permanent ne répondent pas à l’exigence de l’APNQL d’appuyer le projet de loi C-15. Primo, nous demandons la modification du paragraphe 2(2) du projet de loi afin d’obtenir la certitude que les dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones seront appliquées pour interpréter l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Secundo, nous déplorons le recours excessif à un préambule expansif qui ne reflète pas les dispositions de fond du projet de loi et, en particulier, la répudiation de la doctrine de la découverte qui doit se trouver dans le corps du projet de loi.

Premièrement, l’APNQL est préoccupée par le fait que le paragraphe 2(2), qui parle, à l’article 35, de « maintenir » en français et de « not [...] derogating from » en anglais, pourrait être interprété comme un bouclier contre une évolution de l’interprétation de l’article 35 fondée sur les droits reconnus dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le résultat potentiel va complètement à l’encontre de l’objectif législatif d’établir un processus vers la mise en œuvre de la déclaration.

Deuxièmement, vendredi dernier, vous avez entendu la sous-ministre adjointe, qui a expliqué que le paragraphe 2(2) utilise un libellé qui est :

... il est plus adapté, pour ainsi dire, au contexte canadien que le libellé de la déclaration des Nations Unies qui traite de diminution et d’extinction des droits.

Pour des raisons expliquées plus en détail dans notre mémoire, l’utilisation d’un libellé standard de non-dérogation, qui traite de l’interaction entre les lois fédérales et la Constitution, ne peut être transposée dans un contexte de législation fédérale qui entend mettre en œuvre une déclaration internationale des droits de la personne fondée sur les droits inhérents des peuples autochtones. L’APNQL exige plutôt que le libellé du paragraphe 2(2) soit modifié conformément au libellé de l’article 45 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et d’une manière qui s’aligne sur l’objectif déclaré du projet de loi.

Troisièmement, le paragraphe 2(2) devrait donc être modifié pour, tout d’abord, établir expressément dans les versions française et anglaise que les lois du Canada, y compris l’article 35, doivent être interprétées conformément aux droits et aux principes énoncés dans la déclaration et, ensuite, établir que la loi n’a pas pour effet de diminuer ou d’éteindre les droits ancestraux et issus de traités reconnus et confirmés par l’article 35.

Quatrièmement, notre deuxième préoccupation est liée au recours excessif à un préambule expansif qui ne reflète pas les dispositions de fond du projet de loi. Plus important encore, la répudiation des doctrines de supériorité contenues dans le préambule doit être renforcée et contenue dans le corps du projet de loi. Comme ce type de doctrine est à l’origine de l’entreprise de colonisation dont souffrent encore aujourd’hui les peuples autochtones du monde entier, la répudiation de toutes les doctrines de supériorité, y compris la doctrine de la découverte, doit être énoncée sans équivoque dans le corps du projet de loi.

Cinquièmement, le projet de loi devrait donc être modifié pour, primo, indiquer clairement que le gouvernement du Canada répudie toutes les doctrines de supériorité et, secundo, ajouter une disposition dans le corps du projet de loi qui confirme la répudiation des doctrines de supériorité, y compris la doctrine de la découverte, dans le droit canadien.

En conclusion, ces amendements correspondent à ce qui est minimalement requis...

Le président : Merci, grand chef. Je crains que votre temps ne soit écoulé.

J’aimerais maintenant céder la parole à la présidente Aluki Kotierk, qui s’adressera à nous en inuktitut.

[Traduction de l’interprétation]

Aluki Kotierk, présidente, Nunavut Tunngavik Incorporated : Bonjour à vous tous. Tout d’abord, j’aimerais reconnaître le projet de loi C-15, que j’appuie. Le projet de loi vise à faire reconnaître les droits des Autochtones et ceux qui ont été reconnus par les Nations unies. Ça fait cinq ans que le projet de loi a été adopté aux Nations unies, et il serait mis en œuvre au Canada, et ce, entièrement. Le gouvernement doit mettre en œuvre le projet de loi pour que celui-ci soit pleinement mis en œuvre. Avant que le Canada accepte cette législation, les droits des peuples autochtones ont été examinés pendant de nombreuses années, et pour ceux qui en faisaient la promotion... nombre de décideurs et de chefs inuits ont participé à la rédaction des droits de la déclaration.

Avant que le Canada fournisse son appui, la rédaction de la DNUDPA a exigé des décennies d’efforts persistants et de lobbying. De nombreux grands esprits s’y sont attaqués. Lorsque l’on regarde le site Web des Nations unies, la DNUDPA est décrite comme suit : « Elle établit un cadre universel de normes minimales pour garantir la survie, la dignité, le bien-être et les droits des peuples autochtones du monde. » Et elle donne des précisions sur les normes en matière de droits de la personne existantes et les libertés fondamentales qui s’appliquent à la situation propre aux peuples autochtones.

Permettez-moi de répéter, des normes minimales pour garantir la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones. Comme vous le savez, en tant qu’Inuits, à tous les niveaux, nos conditions de vie sont inférieures à celles dont jouissent d’autres Canadiens en ce qui concerne le logement, la sécurité alimentaire, l’espérance de vie et le revenu. Les Inuits sont surreprésentés dans les prisons, et nous perdons notre langue à un rythme très dangereux. Dans le contexte de la langue et pour ce qui est de recevoir des services publics essentiels en inuktut, j’ai comparu devant vous pour tenter de vous fournir suffisamment de renseignements ou les bons renseignements afin de vous obliger à comprendre comment nous voulons simplement vivre avec dignité sur nos propres terres.

Je ne les vois pas comme des signes de désespoir. Plutôt, je les fais ressortir comme des circonstances actuelles qui ont besoin de notre attention tandis que nous continuons de faire amende honorable concernant notre histoire avec le Canada. La DNUDPA est un cadre des droits de la personne qui protège les Inuits et l’intégrité de nos collectivités. Nous devons nous concentrer sur la façon dont nous travaillerons ensemble afin de protéger les cultures et les langues autochtones et la façon dont nous nous assurerons que les conditions de vie des Inuits sont égales à celles des autres Canadiens.

La DNUDPA offre une partie de réponse. Le projet de loi C-15 ne sera pas une panacée, mais c’est un outil important à mesure que nous continuons de travailler sur l’évolution de notre relation entre le Canada et les Inuits et le gouvernement fédéral. Afin de renforcer davantage cet outil, le gouvernement devrait songer à établir une commission indépendante des droits de la personne des Autochtones, qui servirait de mécanisme d’évaluation et de surveillance indépendant important. Un peu comme la Commission canadienne des droits de la personne est un mécanisme d’application de la loi capital qui aide à garantir que les droits affirmés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne sont exécutoires, une commission des droits de la personne des Autochtones permettrait aussi de garantir que les droits de la personne des Autochtones affirmés dans le projet de loi C-15 sont aussi exécutoires.

[Anglais]

Le président : Merci, madame Kotierk. Le temps est écoulé. Je voudrais maintenant passer aux questions et aux réponses. Étant donné que nous avons une période prolongée, j’accorderai maintenant trois minutes et trente secondes pour chaque question et réponse. Je vais commencer par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, qui sera suivie du critique, le sénateur Patterson, puis de la sénatrice Coyle.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question s’adresse à Mme Kotierk, et je tiens à vous remercier de votre témoignage puissant. L’article 6 du projet de loi exige du gouvernement du Canada qu’il consulte les peuples autochtones et collabore avec eux afin d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’action. Quels conseils donneriez-vous au gouvernement sur la façon dont il devrait consulter les dirigeants autochtones, et en particulier les dirigeants inuits?

Mme Kotierk : Merci de votre question. Comme vous le savez peut-être, les Inuits participent à un processus dans le cadre du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne avec le gouvernement du Canada. Dans le cadre de ce processus, nous avons pu tenir des discussions différentes sur des projets de loi importants. Nous avons un groupe de travail qui se concentre précisément sur la législation. Donc je pense que c’est une tribune appropriée dans le cadre de laquelle le gouvernement peut travailler avec les Inuits pour obtenir nos commentaires. Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci. Je me demande si je pourrais poser la même question à M. Picard. Que conseilleriez-vous au gouvernement concernant la consultation dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un plan d’action?

M. Picard : Merci beaucoup d’avoir posé la question, madame la sénatrice. Je pense qu’il est très opportun que nous soulevions cette question à l’heure actuelle à la lumière du temps qui nous a été accordé tout au long du processus de consultation, et cela reflète assurément en quelque sorte le Parlement que nous avons au Canada. Nous avons des points de vue différents concernant les négociations avec des administrations différentes.

Une consultation aussi vaste que possible serait l’avenue privilégiée, et en ce qui concerne le plan d’action lui-même, nous pouvons certainement appuyer l’idée qu’une période de trois ans est beaucoup trop longue; le délai devrait être révisé pour que nous puissions avoir un plan d’action bien plus tôt qu’au terme des trois ans qui sont maintenant prévus.

Donc je dirais que la consultation doit être aussi vaste que possible, et à titre d’exemple, nous comptons 43 collectivités au Québec et au Labrador, et il y a tout un éventail de situations du point de vue géopolitique. Je pense que le processus doit tenir compte également de cette réalité.

Le sénateur Patterson : Madame Kotierk, [mots prononcés dans une langue autochtone].

Dans une entrevue menée en décembre 2020 par le Nunatsiaq News, que j’ai remarquée, le président de l’ITK, Natan Obed, a affirmé que « les revendications territoriales sont muettes sur bien des points ».

Cependant, comme vous le savez, l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut contient des dispositions qui garantissent l’accès des Inuits à tous les droits et privilèges accordés aux peuples autochtones au Canada, ainsi que des mécanismes permettant l’arbitrage ou la réouverture de la revendication. Comme vous le savez, l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut a déjà été amendé à de nombreuses occasions. En juin 2019, de plus, Makivik a conclu un protocole d’entente avec le Canada sur l’autodétermination, et des organismes bénéficiaires inuits comme la NTI ont reçu un financement direct important pour de nouveaux programmes et de nouvelles initiatives dans le cadre des tables du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, comme vous l’avez mentionné et comme vous le savez.

Étant donné que nous utilisons déjà la déclaration comme outil d’interprétation au Canada et qu’il existe de nombreux mécanismes permettant de contester ou de rouvrir une revendication territoriale, quels sont les effets pratiques et immédiats que vous entrevoyez pour les Inuits si le projet de loi est adopté?

Mme Kotierk : Qujannamik, monsieur le sénateur, merci de votre question. Tout d’abord, je pense que, en tant qu’Inuits, nous faisons partie des peuples autochtones de l’ensemble du Canada et nous participons par l’intermédiaire du Conseil circumpolaire inuit. Nous avons participé à l’échelle internationale aux discussions qui ont précédé l’adoption de la DNUDPA afin de nous assurer que les droits de la personne des Inuits sont protégés tout comme nos collectivités inuites. Je pense que cela fournit un mécanisme général, en ce sens qu’il s’applique à tout le Canada, et par conséquent, il s’appliquerait aussi aux Inuits. Il fournit donc le mécanisme national qui viendrait clarifier une déclaration qui a déjà été approuvée à l’échelle internationale.

Je reconnais qu’aucun nouveau droit n’est accordé dans le cadre de cette déclaration, mais son affirmation est importante, et elle lui permet d’être accessible pour tous les peuples autochtones de l’ensemble du Canada.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé de la commission des droits des Autochtones que les Inuits avaient fermement défendue. Recommanderiez-vous au comité d’apporter un amendement pour établir la commission des droits des Autochtones?

Mme Kotierk : Je vous remercie de cette question. Au titre de l’alinéa 6(2)b), on parle généralement de la façon dont on peut obtenir les ressources pour des mesures liées au contrôle et à la surveillance; je pense que s’il y avait un moyen de créer un engagement concret à l’égard de l’établissement d’une commission des droits des Autochtones, cela serait plus efficace pour garantir l’évaluation et la surveillance du renforcement des droits.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup aux deux témoins, le chef Picard et Aluki Kotierk. Bienvenue, madame Kotierk. Je suis ravie de vous revoir dans ce contexte.

Mes questions s’appuient sur ce que demandait le sénateur Patterson. Elles vont essentiellement dans le même sens. Nous ne sommes pas tous au courant de la relation entre la Couronne et les Inuits du Nunavut.

D’abord, pourriez-vous nous dire comment à votre avis l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut interagira avec la nouvelle situation au Canada lorsque le projet de loi C-15 sera adopté, le cas échéant? J’aimerais comprendre la relation entre votre accord existant et cet accord.

Ensuite, pourriez-vous en dire un peu plus sur les différences pratiques qui pourraient survenir après la mise en œuvre du projet de loi pour les Inuits, en abordant tout particulièrement certaines des conditions que vous avez décrites qui représentent le mode de vie des Inuits au Nunavut? Merci.

Mme Kotierk : Je vous remercie de la question.

Je dirai que notre accord du Nunavut est protégé par la Constitution et je signale que le sénateur Patterson a dit que Natan Obed a mentionné que nos accords n’englobent pas tout. Je crois que le projet de loi C-15 offrira des avantages : il renferme des dispositions dont, nous le savons en tant qu’Inuits, nous avons le droit de nous prévaloir et disposons de l’autodétermination pour le faire, mais ce serait vraiment bien si le gouvernement du Canada reconnaissait aussi cela dans notre législation nationale. Je pense tout particulièrement aux articles 13 et 14 de la DNUDPA, où il est question des langues autochtones — mais chaque fois que je les lis, je vois les langues inuites — ainsi que la possibilité de faire de l’inuktut la langue d’instruction dans notre système d’éducation. Il y a une possibilité d’élargissement des droits que nous détenons déjà.

La sénatrice Coyle : Vous avez parlé du Conseil circumpolaire inuit. Je suis curieuse de savoir si, dans les autres pays où vivent des Inuits, on travaille de la même façon sur la législation en vigueur dans ces pays et s’il y a un soutien dans ces autres pays.

Mme Kotierk : Merci de la question. Malheureusement, je ne suis pas au courant des États membres et de leurs lois. J’ai communiqué récemment avec l’Alaska et Kalaallit Nunaat — le Groenland — mais je ne sais pas où ils en sont pour ce qui est d’avoir une législation.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse au chef Picard. Je crois savoir que vous êtes un ardent défenseur du projet de loi C-262, qui est mort au Feuilleton au Sénat, en raison de ce qu’un de vos communiqués de presse a nommé « une déplorable partisanerie politique ». Étant donné que le projet de loi C-15 repose sur le projet de loi C-262, j’ai du mal à comprendre votre position, tout particulièrement après les amendements présentés à la Chambre des communes, qui portent sur nombre des préoccupations que vous avez soulevées ici. Par exemple, le préambule indique maintenant clairement que les droits reconnus à l’article 35 de la Constitution ne sont pas figés, et aucune dérogation ne sera possible dans le cadre de ce projet de loi.

Pourriez-vous s’il vous plaît clarifier pour nous la position de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador? Ne seriez-vous pas d’accord pour dire que le gouvernement fédéral doit s’assurer que ses lois, ses politiques et ses programmes doivent respecter, voire surpasser, les normes minimales en matière de droits de la personne nécessaires pour la promotion et la protection des peuples, des nations et des collectivités autochtones? Ce projet de loi définit un cadre pour entamer ce processus général. Pourquoi maintenir le statu quo?

M. Picard : Merci beaucoup de votre question, sénateur Francis.

D’abord, permettez-moi de rappeler le même message que nous avons transmis au comité permanent lorsque nous avons comparu devant lui en mars dernier. Nous sommes entièrement favorables au projet de loi C-15. Je tiens à être très clair là-dessus. Mais cela ne devrait pas vouloir dire que nous devons adopter un projet de loi à la hâte. C’est très clair pour moi que — et nous l’avons indiqué clairement dans notre mémoire au comité permanent — tout autant que nous l’avons fait dans ce cas-ci, en vous rencontrant en tant que comité permanent du Sénat — que ce sont des exigences importantes à la lumière du contexte géopolitique qui règne au pays.

On a mentionné plus tôt qu’il existe des relations différentes en fonction de cette réalité géopolitique dans le cadre de laquelle certains traités se voient accorder une protection constitutionnelle. Quant à ceux qui se fondent sur l’article 35, nous savons quelle est l’histoire. Elle est sujette à diverses interprétations. Dans certains cas, comme c’est la réalité de mon peuple, nous sommes à la table de négociation depuis 40 ans.

Pour moi, c’est pour cela que nous avons besoin d’un outil plus solide, comme le projet de loi C-15, qui exercerait assurément une pression sur les provinces pour qu’elles se joignent à la fête — pour ainsi dire — ce qui n’est pas le cas en ce moment.

Le sénateur MacDonald : Je vais aussi m’adresser au chef Picard. J’aimerais obtenir des éclaircissements à ce sujet, et je suis toujours un peu confus.

Dans le mémoire déposé à la Chambre des communes, monsieur Picard, l’APNQL a dit qu’elle déplore le fait que l’urgence n’a duré que trop longtemps en ce qui concerne l’adoption d’un projet de loi visant à mettre en œuvre la déclaration et qu’on lui demande maintenant de soutenir ce projet de loi sous la contrainte. L’APNQL est entièrement favorable aux principes de la déclaration, mais elle doit s’opposer au projet de loi C-15 sous sa forme actuelle tout en aidant à proposer des amendements qui le rendraient plus acceptable.

Vous n’êtes pas la seule personne à penser qu’il est adopté à toute vapeur. Nous avons beaucoup entendu dire cela. Mais depuis, vous nous avez dit que les amendements proposés pour la partie relative à l’application du projet de loi ont été rejetés et que seuls les amendements touchant le préambule ont été acceptés, préambule qui n’est aucunement exécutoire et qui est plutôt de nature interprétative.

Pouvez-vous confirmer que l’APNQL n’est pas favorable au projet de loi C-15 sous sa forme actuelle? Merci.

M. Picard : Merci beaucoup, monsieur le sénateur, de votre question. Permettez-moi de dire ceci : pourquoi y a-t-il autant de gens qui insistent pour faire imputer aux Premières Nations ce que vous interprétez comme de l’opposition au projet de loi? Nous venons de le dire ici, à la table. Nous avons dit la même chose devant le comité permanent qui appuie le projet de loi, mais cela veut-il dire que nous ne pouvons pas demander des améliorations du projet de loi afin de répondre aux réalités particulières auxquelles les Premières Nations du pays font face?

Comme je l’ai dit, le Québec n’est pas un acteur pour ce qui est de mettre en œuvre le projet de loi dans la province. Ce fait seul devrait être un argument suffisamment fort pour appuyer notre position qui consiste à renforcer le projet de loi afin qu’il soit applicable au sein de toutes les différentes réalités auxquelles nous faisons face, y compris celle du Québec.

Le sénateur MacDonald : C’est bien. Merci.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Ma première question s’adresse au chef Picard. Merci beaucoup d’être parmi nous et de répondre à toutes nos questions.

Nous avons entendu de part et d’autre plusieurs personnes nous recommander de ne pas aspirer à la perfection, car celle-ci peut être l’ennemie du bien. Dans ce contexte, à la lueur des recommandations que vous avez faites, recommandations qui n’ont pas été retenues, vous nous avez très clairement indiqué que vous appuyiez le projet de loi maintenant. Je voudrais particulièrement vous entendre à ce sujet : à la lueur de la reconnaissance de l’interprétation évolutive prévue maintenant dans la déclaration, qui est comprise dans le projet de loi C-15, estimez-vous que les améliorations que vous auriez souhaité apporter soient possibles, après son adoption, par les moyens et les mécanismes qui sont envisagés dans le projet de loi?

M. Picard : Merci beaucoup pour votre question, sénatrice. J’aimerais tout de suite mettre en évidence le fait qu’on a beaucoup entendu les voix qui appuient le projet de loi C-15 dans sa forme actuelle, mais beaucoup moins les voix qui cherchent à renforcer l’esprit du projet de loi et, surtout, à permettre à des groupes comme le nôtre d’avoir voix au chapitre sur des propositions qui pourraient consolider le projet de loi C-15, et non diminuer son impact et sa mise en œuvre. Je pense qu’il faut être très, très clair là-dessus. De toute évidence, nous reconnaissons le travail du comité permanent de la Chambre des communes et nous constatons qu’il y a eu une progression qui se rapproche beaucoup plus des positions que nous soutenons. En même temps, ce qu’il faut comprendre, c’est que le paragraphe 2(2) du projet de loi est également aussi important, pour les raisons que nous avons largement expliquées dans notre mémoire et dans notre présentation de ce matin. Nous voulons tout simplement que les positions que nous avançons soient prises en considération.

Cela dit, nous voulons être un joueur important dans la démarche, mais nous comprenons aussi qu’il y a une diversité de situations à l’échelle du pays, et je dirais même une diversité de situations à l’échelle des différentes juridictions, dans les provinces et dans les territoires. Nous venons d’entendre notre collègue du Nunavut, qui nous a parlé de sa spécificité; c’est la même chose du côté des Premières Nations. Il est également important que le processus tienne compte de la réalité géopolitique, qui est très diverse et qui a un impact sur l’esprit même de la Constitution canadienne.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci, chef Picard.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Ma question s’adresse à la présidente Kotierk. Je voudrais revenir sur la série de questions qui ont été posées par le sénateur Patterson, à des fins de clarification, parce que je ne crois pas que vous ayez pu terminer votre réponse. Croyez-vous que si votre amendement proposé était adopté, il apporterait les engagements concrets que vous recherchez? Cela rendrait-il meilleur tout cet exercice?

Mme Kotierk : Merci de poser cette question. Je veux être claire : nous sommes favorables au projet de loi C-15. Je pense qu’il représente une amélioration par rapport à ce que nous avons actuellement, parce que ce sera un outil. Cependant, je crois qu’il pourrait avoir plus de mordant, pour ainsi dire, si le plan d’action décrivait clairement un mécanisme d’évaluation et de contrôle par l’intermédiaire d’une entité, comme une commission des droits des Autochtones. Nous savons que c’est utilisé dans d’autres lois, et cela permet à un organe indépendant de suivre la façon dont les choses sont mises en œuvre. Merci.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à la présidente Kotierk.

Vous avez proposé un mécanisme, mais vous avez aussi parlé dans votre exposé de la surreprésentation dans les prisons des Inuits et de tous les Autochtones. Je suis curieuse de savoir comment la commission que vous avez proposée — ou un certain autre mécanisme au sein du plan d’action dont nous discutons — permettrait de réagir à la discrimination et au racisme systémiques que la déclaration des Nations unies vise à prévenir. De plus, comment cela serait-il mis en œuvre? Quelles mesures aimeriez-vous voir dans un plan d’action pour réagir à la surreprésentation, la surcriminalisation et l’incarcération des Inuits et d’autres Autochtones?

Mme Kotierk : Je vous remercie de la question.

L’adoption du projet de loi C-15 sera un autre outil, une lentille à travers laquelle nous pourrons examiner les différentes questions auxquelles nous faisons face dans nos collectivités.

Ce n’est pas un secret — et nous le vivons tous les jours — que le racisme systémique et les obstacles auxquels nous sommes exposés au quotidien dans nos collectivités se traduisent par l’ensemble des diverses iniquités sociales que je signalais. En ayant une commission où nous pouvons décrire les écarts sur le plan des droits de la personne auxquels nous sommes exposés, même si nous sommes aussi des Canadiens, ce serait un mécanisme très pratique pour faire la lumière là-dessus et, au final, prendre des mesures pour qu’on puisse y réagir de manière positive. Merci.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui. Je vous remercie de fournir vos points de vue différents.

J’aimerais adresser ma question à Mme Kotierk. Merci beaucoup de communiquer dans votre langue. C’est magnifique d’entendre la langue. Je suis heureuse que nous ayons reçu des services d’interprétation, mais le rythme est magnifique, donc je vous en remercie.

Ma question concerne la situation des femmes et des filles dans vos collectivités et certaines des difficultés sous-jacentes. Si le projet de loi C-15 était adopté, comment toucherait-il les femmes et les filles dans vos collectivités? Voyez-vous cela avec d’autres groupes auxquels vous êtes liés, que ce soit des Autochtones, des Inuits ou d’autres peuples? Pourriez-vous s’il vous plaît parler un peu de ces questions?

Mme Kotierk : Merci d’avoir posé la question. Certainement, cela aurait un effet positif sur les femmes et les filles; toute discussion sur les droits de la personne et l’adoption de cette perspective auraient un effet positif sur les femmes et les filles.

Actuellement, nous vivons tous une pandémie mondiale. Je sais que nous connaissons une éclosion ici, à Iqaluit, mais ce que nous avons vécu a fait ressortir une fois de plus les inégalités dans les infrastructures et le logement. Nombre de nos collectivités n’ont pas de refuges ou de maisons d’hébergement, et nombre d’Inuits se couchent chaque soir le ventre vide.

La création d’un mécanisme où nous pouvons mettre en lumière ces enjeux est ce qui me paraît utile avec le projet de loi. Merci.

La sénatrice Hartling : Je m’intéresse à la question de la violence familiale. Dans ma région du pays, dans l’Est du Canada, nous nous penchons sur la question des femmes qui ont été victimes de violence familiale et n’ont pas pu obtenir d’aide. Comment cela se passe-t-il dans votre collectivité? Est-ce un facteur? Ont-elles du mal à tendre la main et obtenir l’aide dont elles ont besoin?

Mme Kotierk : Merci de poser la question.

Absolument. Avec notre crise des logements surpeuplés, de nombreuses personnes choisissent de rester avec leur partenaire, qu’elles vivent ou non de la violence familiale, parce qu’il n’y a aucun autre endroit où elles peuvent aller. Récemment, dans le cadre du Fonds de soutien aux communautés autochtones, en réaction à la COVID, nous avons pu utiliser certaines des ressources que nous avons reçues et les transférer en fonds d’immobilisations afin d’ouvrir quatre différents refuges dans l’ensemble de nos territoires. Mais cela ne répond pas à nos besoins.

Cela touche aussi le fait de savoir si les gens choisissent — même si ce n’est pas un choix — de quitter notre territoire pour aller dans une autre administration où il pourrait y avoir plus d’installations offertes, parce qu’il n’y a pas d’autres options de logement. Merci.

La sénatrice Hartling : Merci.

La sénatrice Anderson : Qujannamik. Ma question s’adresse à Mme Kotierk, et elle va dans le même sens que les deux dernières questions.

Vous avez parlé de la disparité, de l’iniquité et des situations existantes dans votre région et vous avez décrit la déclaration comme étant un outil potentiel. Si l’adoption du projet de loi était vouée à l’échec, quelles seraient à votre avis les répercussions pour votre région? Aussi, avez-vous une solution de rechange à un commissaire aux droits des Autochtones comme outil pour faire avancer une déclaration, s’il recevait la sanction royale?

Mme Kotierk : Le plus grand désavantage de la non-adoption du projet de loi serait que cela renforcerait notre méfiance à l’endroit du gouvernement. Je le dis, parce que, en tant qu’organisations inuites titulaires de droits, nous défendons quotidiennement les droits des Inuits et nous continuerons de le faire, que le projet de loi soit adopté ou non.

Nous savons que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a été adoptée. Nous voyons cela comme la prochaine étape que le Canada doit franchir pour démontrer qu’il reconnaît et respecte réellement les droits que nous détenons déjà.

S’il n’est pas adopté, cela entraînerait cette méfiance. S’il est bel et bien adopté, cela démontrera de façon très positive et concrète qu’il n’y a réellement aucune relation plus importante que celle qu’a le gouvernement avec les peuples autochtones.

Le président : Merci, madame Kotierk.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question s’adresse au chef Picard.

Je réfléchissais à votre témoignage précédent concernant le fait que la doctrine de la découverte ne soit pas répudiée dans le corps du projet de loi, et je réfléchissais aussi à l’article 5, qui demande au gouvernement canadien, en consultation et en collaboration avec les Autochtones, de réviser les projets de loi actuels et futurs pour s’assurer qu’ils s’harmonisent avec les articles prévus dans la DNUDPA.

Si la doctrine de la découverte n’est pas répudiée dans le projet de loi C-15, avez-vous pensé à d’autres lois au Canada qui doivent traiter particulièrement de la doctrine de la découverte et de terra nullius que vous aimeriez voir révisées? Dans l’affirmative, comment consulteriez-vous le gouvernement pour vous assurer que la doctrine de la découverte est abordée dans d’autres lois au Canada?

M. Picard : Merci, madame la sénatrice, pour la question.

J’aimerais reprendre ce que notre honorable collègue du Nunavut a dit et poursuivre sur ses commentaires précédents par rapport au fait de soutenir le projet de loi tout en affirmant, du même souffle, qu’il doit avoir plus de mordant. Cela n’est pas différent de notre position. Nous appuyons l’esprit du projet de loi C-15, mais il doit être renforcé. Vous en avez fourni un bon exemple.

Selon moi, nous n’avons pas passé en revue toutes les lois fédérales qui devraient être modifiées en fonction des principes et de l’esprit de la déclaration des Nations unies, mais nous aimerions faire fond sur les mesures favorables qui ont été prises jusqu’ici. Je fais référence aux projets de loi C-91 et C-92, ainsi qu’aux projets de loi possibles qui fourniront une reconnaissance de notre compétence dans le domaine de la santé et aussi de la sécurité publique.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup, chef.

M. Picard : Inspirons-nous des réussites que nous avons obtenues jusqu’ici. Selon moi, tout cela fait partie de la difficulté liée au plan d’action. Je pense que le plan d’action fournira le type d’occasion permettant d’examiner le cadre législatif dans sa forme actuelle.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.

La sénatrice Forest-Niesing : J’aimerais poursuivre dans le même ordre d’idées, mais en abordant les préoccupations particulières touchant les consultations actuelles et futures qui seront nécessaires, en particulier par rapport à la diversité qui existe au sein des peuples autochtones.

Ma question pour les deux témoins est la suivante : votre organisation a-t-elle accès aux ressources dont elle a besoin pour participer à ces discussions, et sinon, qu’est-ce qui serait nécessaire?

M. Picard : Ma collègue peut répondre en premier, si elle le veut.

Mme Kotierk : Merci de votre question. Merci, cher collègue.

J’ai mentionné que, dans le cadre du processus du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, nous avons un groupe de travail qui se concentre précisément sur les priorités législatives. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones fait partie du mandat de ce groupe de travail, donc à l’heure actuelle, les Inuits possèdent les ressources nécessaires pour participer en fournissant des commentaires sur ces propositions.

Et je soupçonne que nous continuerons d’y participer durant la partie de mise en œuvre de la loi. Merci.

M. Picard : Si je peux me permettre, je vais juste ajouter que la mise en œuvre est essentielle. Si je peux faire un parallèle avec le projet de loi C-92, je comprends que le dernier budget fédéral fournit certaines ressources pour soutenir le travail fondé sur le projet de loi C-92. Tout cela est certes très positif, mais les choses ne s’arrêtent pas là. Vous avez besoin de partenaires à la table. Dans le cas du projet de loi C-92, nous savons que le Québec conteste ce projet de loi fédéral.

Vous pouvez détenir toutes les ressources dont vous avez besoin et que vous voulez, mais vous devez aussi vous assurer que tous les bons partenaires sont à la table, ce qui est très loin d’être la réalité en ce qui concerne le projet de loi C-92.

La sénatrice Forest-Niesing : Compte tenu de cela, juste pour faire un suivi, quelles mesures supplémentaires seraient nécessaires à cet égard, au vu de l’expérience du projet de loi C-92, si le projet de loi C-15 était mis en œuvre?

M. Picard : Encore une fois, je me réfère au plan d’action. Je pense que le plan d’action serait le fondement de ce qui est requis comme ressources adéquates. Évidemment, le défi qui se présente à nous dans le cadre du projet de loi C-15, et comme l’ont déjà mentionné de nombreux témoins, il s’agit du travail d’une génération... selon moi, il exige une révision complète de la manière dont le Canada traite les questions autochtones dans leur ensemble. Je dirais donc que cela nécessitera toutes les ressources nécessaires, pour dire les choses franchement.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse aux deux témoins. Seriez-vous d’accord pour dire que le cadre de mise en œuvre proposé dans ce projet de loi aurait un impact sur les efforts de réconciliation nationale et sur les progrès nécessaires de toute urgence?

Pensez-vous que l’adoption de ce projet de loi pourrait y contribuer, surtout en remettant en question les relations coloniales et les structures connexes, et si oui, de quelle manière? Madame Kotierk, souhaitez-vous commencer?

Mme Kotierk : Je vous remercie de cette question. D’abord et avant tout, le fondement de l’adoption de ce projet de loi est qu’il montrerait le respect que nous avons déjà pour les droits autochtones. Je pense qu’en soi, cette démarche en dit long et contribue à la réconciliation étant donné que, dans une forme de respect, nous travaillons en tant qu’égaux. Les Inuits travailleraient avec la Couronne dans cet esprit de respect. Je vous remercie.

M. Picard : Je n’ai pas vraiment grand-chose à ajouter au commentaire précédent, mais je dirais de prendre l’exemple de nos relations historiques en tant que nations. À mon avis, lorsque nous avons été capables de créer et de renforcer ces alliances historiques, c’est à ce moment-là que le pays, dans son ensemble, a fait des progrès. Le projet de loi C-15 nous donne l’occasion de mettre en place cette zone de confort pour toutes les nations autochtones du pays. Selon moi, c’est une excellente occasion de mettre enfin en pratique cette notion de réconciliation qui est sur les lèvres de tant de gens depuis cinq à sept ans.

Le sénateur Francis : Je vous remercie tous les deux.

Le président : Cela met fin à nos questions. Je tiens à remercier nos invités, le chef Ghislain Picard, de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, et la présidente Aluki Kotierk, de Nunavut Tunngavik Incorporated.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins de cet après-midi. Il s’agit de M. Tom Flanagan, professeur émérite de sciences politiques, à l’Université de Calgary, de Mme Brenda Gunn, professeure à la Faculté de droit de l’Université du Manitoba et de Mme Val Napoleon, directrice du programme JD/JID et professeure agrégée de la Chaire de justice et de gouvernance autochtone de la Fondation du droit de l’Université de Victoria. Bienvenue à nos invités.

M. Flanagan, Mme Gunn et Mme Napoleon feront chacun une déclaration préliminaire d’environ six minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs d’environ trois minutes par sénateur.

La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson. La deuxième question sera posée par le critique du projet de loi, le sénateur Patterson. Si d’autres sénateurs ont une question, ils sont priés d’utiliser la fonction « lever la main » sur Zoom pour le signaler à la greffière. Ils seront reconnus dans le clavardage Zoom. Veuillez prendre note que les membres du comité auront la priorité sur la liste des intervenants. Toute réponse écrite aux questions doit être soumise à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité informera le président par message texte quand il restera 10 secondes de temps de parole pour la déclaration préliminaire des témoins et la période de questions des sénateurs. Je ferai un compte à rebours visuel de 10 secondes en utilisant les deux mains. Quand le compte à rebours atteindra zéro, je vous ferai signe, puis je vous informerai que le temps est écoulé.

J’aimerais maintenant inviter nos témoins à présenter leurs observations préliminaires. Commençons par M. Tom Flanagan.

Tom Flanagan, professeur émérite de sciences politiques, Université de Calgary, à titre personnel : Merci de m’avoir invité à comparaître devant votre comité. J’aimerais dire quelques mots au sujet de l’article 32.2 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que j’appellerai la DNUDPA — même si ce n’est pas très élégant. Ce qui m’intéresse, c’est la formulation « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » qui est généralement connue sous l’acronyme CPLCC — lui aussi peu élégant, mais plus concis.

Le projet de loi C-15 n’inscrit pas immédiatement dans la loi le CPLCC ou la DNUDPA. Cependant, il stipule que le gouvernement doit « prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration [...] ». Un citoyen lisant le projet de loi C-15 conclura que le plan est de légiférer sur la DNUDPA et le CPLCC au Canada tôt ou tard.

Le Canada dispose déjà d’une jurisprudence élaborée en matière de consultation, et il a été établi dans cette jurisprudence que le droit d’être consulté n’est pas un droit de veto. Ce résultat serait bouleversé si l’on y ajoutait le CPLCC, car il n’est rien d’autre qu’un droit de veto. Comme l’a dit l’ancien sénateur Murray Sinclair lors du débat au Sénat sur le projet de loi C-262, le prédécesseur du projet de loi C-15 :

Le concept du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est très simple. Cela signifie qu’avant de faire quelque chose qui aura une incidence sur mes terres, vous devez m’en parler et obtenir mon autorisation.

La nécessité d’obtenir une autorisation équivaut à un droit de veto.

Les difficultés deviennent très importantes lorsque l’on considère les projets linéaires tels que les pipelines, les autoroutes, les chemins de fer et les lignes électriques, qui peuvent traverser le territoire traditionnel de dizaines de Premières Nations.

En vertu de la doctrine du CPLCC, est-ce que chacun pourrait exercer un droit de veto concernant la construction sur son territoire traditionnel? Dans l’ensemble de la société canadienne, les limites de ce genre sont réglées par l’expropriation avec une juste indemnisation. L’équivalent en droit autochtone est la doctrine de l’atteinte justifiée aux droits et au titre autochtones, que les tribunaux ont énoncée à de nombreuses reprises. Légiférer sur le CPLCC risquerait de renverser la doctrine de l’atteinte justifiée et aurait des conséquences incalculables sur les infrastructures nécessaires.

Les conséquences concrètes de l’adoption d’une législation sur le CPLCC ont été mises en évidence au début de l’année 2020 dans le cadre du conflit concernant le gazoduc Coastal GasLink. Le projet était soutenu par les gouvernements élus des 20 Premières Nations concernées, mais une faction de la nation Wet’suwet’en, dirigée par certains des chefs héréditaires, s’y opposait. Les opposants à Coastal GasLink ont cité le projet de loi 41 de la Colombie-Britannique, dont le libellé était semblable à celui du projet de loi C-15. Quelques mois après l’adoption du projet de loi 41, l’opposition à Coastal GasLink s’est transformée en blocages d’autoroutes et de voies ferrées à l’échelle nationale, en particulier sur la ligne principale du CN.

Les sénateurs ne devraient pas croire que les effets se limitent à l’obstruction des oléoducs et des gazoducs. Si le Canada veut se rapprocher de l’objectif du gouvernement actuel, c’est-à-dire zéro émission nette de carbone d’ici 2050, il faudra construire de vastes barrages, des parcs éoliens et des parcs solaires. Bon nombre de ces installations seront situées dans des régions éloignées et nécessiteront de nouvelles lignes électriques pour se raccorder au réseau électrique. Elles nécessiteront également de nouvelles routes de service pour la construction et l’entretien. Si le Parlement choisit d’aller de l’avant avec le projet de loi C-15, il serait sage d’inclure un amendement spécifiant que le CPLCC ne l’emportera pas sur la jurisprudence évoluée du Canada concernant l’obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones en ce qui concerne le traitement des ressources affectant leurs territoires traditionnels.

Ces observations sont brèves, mais j’ai soumis un document écrit au comité, qui cite un document plus long que j’ai écrit sur la DNUDPA, publié l’année dernière. Si quelqu’un est intéressé par mon point de vue, il peut consulter ce que j’ai écrit.

Le président : Merci, monsieur Flanagan, de votre exposé. Je voudrais donner la parole à Mme Gunn.

Brenda Gunn, professeure à la Faculté de droit de l’Université du Manitoba,  à titre personnel : [mots prononcés dans une langue autochtone.] Bonjour, je m’appelle Brenda Gunn. J’habite à Winnipeg, et ma famille est originaire de St. Andrews.

Aujourd’hui, je vous parle depuis le territoire du Traité no 1 et de la terre natale de la nation métisse, mon territoire natal. Je suis métisse et professeure de droit à l’Université du Manitoba. Je travaille dans les domaines du droit international et du droit constitutionnel, notamment dans le domaine de l’application au Canada du droit international en matière de droits de la personne depuis près de 20 ans.

J’ai rédigé un manuel sur la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies et j’ai fait des exposés dans tout le pays et à l’étranger concernant l’importance de la déclaration et sur la manière dont elle doit être mise en œuvre au pays.

Je tiens à vous remercier de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui, et je suis honorée d’être assise aux côtés de Mme Val Napoleon aujourd’hui. Cependant, je dois admettre qu’il est difficile de s’asseoir à côté de quelqu’un qui estime que je ne devrais pas exister ou que je n’ai aucun droit.

Aujourd’hui, je veux concentrer mon exposé sur les raisons pour lesquelles j’appuie le projet de loi C-15. Le projet de loi offre une plus grande certitude quant à l’application de la déclaration des Nations unies dans le droit canadien et il permet de dissiper certaines des hésitations des juges qui ne comprennent pas la manière dont le droit international s’applique. Le plan d’action offre un espace de négociation et de discussion sur la façon de mettre en œuvre les droits, permettant ainsi d’aborder les différences spécifiques entre les peuples autochtones. La déclaration des Nations unies et le projet de loi C-15 se fondent sur les droits existants, et le rapport annuel fournit un degré de responsabilisation et de transparence pour la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies. Enfin, il s’agit d’un pas important vers la réconciliation et vers un Canada plus équitable et plus juste pour tous.

Au Canada, nous devons arrêter de croire aux mythes qui prétendent que la reconnaissance des droits des peuples autochtones va en quelque sorte diviser le Canada. Nous devons accepter que la seule façon de se réconcilier est de reconnaître les droits des peuples autochtones et de faire passer la relation d’une relation coloniale à une relation fondée sur la justice, la démocratie, le respect des droits de la personne, la non-discrimination et la bonne foi. C’est ce qui est expliqué dans le préambule de la déclaration des Nations unies.

Je voudrais faire quelques remarques sur le contenu de la déclaration. La déclaration des Nations unies inclut les droits économiques, sociaux et culturels dans des domaines tels que les droits linguistiques, l’éducation, les soins de santé, le logement et le développement économique, qui sont tous essentiels à l’exercice des droits civils et des droits politiques.

Il n’existe pas de hiérarchie des droits de la personne. Un plan d’action national doit veiller à ce que les droits économiques, sociaux et culturels reçoivent le même niveau d’attention et de considération que les droits politiques et civils. Ce point est essentiel pour garantir que les femmes autochtones bénéficient également de la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies.

La déclaration des Nations unies comporte tellement de choses, et sa mise en œuvre aidera grandement les peuples autochtones et le Canada. Il est dommage que les gens se concentrent sans cesse sur le droit de participer à la prise de décisions et sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, afin de nous distraire des nombreux bénéfices qui peuvent être réalisés grâce à la mise en œuvre de la déclaration.

En raison de la préoccupation de nombreuses personnes et de l’idée qu’il existe une incertitude ou une confusion sur ce qu’est le CPLCC, j’ai pensé partager une partie de l’étude sur le CPLCC réalisée par le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones des Nations Unies, ou MEDPA.

Dans cette étude, ils définissent trois fondements du CPLCC : redonner aux peuples autochtones le contrôle de leurs terres et de leurs ressources; restaurer l’intégrité culturelle, la fierté et l’estime de soi des peuples autochtones; corriger le déséquilibre des pouvoirs entre les peuples autochtones et les États, afin de créer de nouveaux partenariats fondés sur les droits et le respect mutuel entre les parties.

Le MEDPA fait remarquer que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause constitue une garantie fondamentale pour les droits collectifs des peuples autochtones. Le rapport précise en outre que l’obligation des États de consulter les peuples autochtones doit être un processus qualitatif de dialogue et de négociation dont l’objectif est le consentement. La déclaration vise non pas un moment ou une mesure uniques, mais un processus de dialogue et de négociation tout au long d’un projet, de la planification jusqu’au suivi en passant par la mise en œuvre.

La déclaration utilise les termes combinés « consulter » et « coopérer » pour désigner le droit des peuples autochtones d’influer sur l’issue des processus décisionnels qui les concernent; et non le simple droit d’être associés à ces processus ou de faire entendre leur point de vue.

Pour mettre en lumière davantage ce point, la déclaration des Nations unies n’est pas le seul instrument des droits de la personne qui reconnaît le droit des peuples autochtones de participer à la prise de décisions et au CPLCC. Le CPLCC est fondé sur des droits tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques — le droit de participer aux affaires publiques — et il est adapté aux expériences des peuples autochtones.

Enfin, je voudrais juste mettre en évidence quelques conclusions du rapport du MEDPA en soulignant deux objectifs clés qui, selon moi, sont pertinents au Canada. Premièrement, l’un des objectifs du CPLCC est de corriger l’exclusion de droit et de fait des peuples autochtones de la vie publique ou de la prise de décisions en raison de nombreux facteurs, dont les opinions préconçues à leur égard, le faible niveau d’éducation, les difficultés à obtenir la citoyenneté ou des documents d’identité et la non-participation aux processus électoraux et aux institutions politiques.

Deuxièmement, l’autre objectif est de revitaliser et de restaurer les institutions décisionnelles et représentatives des peuples autochtones.

Le président : Madame Gunn, le temps est écoulé.

Mme Gunn : Merci. Est-ce que je peux avoir 30 secondes pour conclure?

Le président : Peut-être que pendant la période de questions, vous pourrez obtenir ces 30 secondes.

Mme Gunn : Merci.

Val Napoleon, directrice du programme JD/JID, professeure agrégée, Chaire de justice et de gouvernance autochtones de la Fondation du droit, Université de Victoria, à titre personnel : Bonjour. J’aimerais commencer par deux courtes citations. Doris Lessing a dit :

S’il faut se rappeler cette histoire, ce n’est pas pour garder vivante la mémoire des anciennes tyrannies, mais pour reconnaître l’actuelle, car ces schémas sont toujours inscrits en nous. Le contraire serait étrange.

Elle poursuit :

Il me semble que nous devrions étudier ces schémas, en devenir conscients, les reconnaître lorsqu’ils apparaissent en nous et dans les sociétés où nous vivons.

La deuxième citation est tirée du journal The Guardian du mois dernier et elle dit ceci : « Chaque système juridique est aussi imparfait et institutionnellement faussé que le pays dans lequel il existe. »

Je soutiens depuis longtemps que le droit est à la fois constitutif et constitué par les relations de pouvoir omniprésentes qui composent nos mondes. Actuellement, au Canada, alors que nous délibérons sur le projet de loi C-15, nous avons une occasion extraordinaire de commencer à changer le modèle colonial des relations entre le Canada et les peuples autochtones. Nous avons également l’occasion de créer une nouvelle ère pour le Canada et pour le droit autochtone.

C’est extraordinaire et il faut le célébrer, même si nous ne sommes pas encore parvenus au but. Nous continuons à faire du multijuridisme une réalité. La vision et l’espoir de ce travail ont été soutenus par les peuples autochtones au cours de décennies de lobbying, de recherche, de litiges, de négociations, d’éducation et d’activisme pragmatiques et acharnés.

Je voudrais simplement aborder quelques points essentiels. Premièrement, un appui sérieux aux ordres juridiques et au droit autochtones permet aux peuples autochtones de collaborer à l’élaboration de mesures juridiques raisonnées et fondées sur les principes afin de résoudre des problèmes économiques et politiques urgents.

Deuxièmement, l’espace accordé aux ordres juridiques et au droit autochtones permet au consentement autochtone d’être éclairé par la légalité des processus juridiques autochtones.

Troisièmement, l’engagement envers les ordres juridiques et le droit autochtones permet aux peuples autochtones de négocier en se fondant sur leurs propres légitimités. Cela signifie que les peuples autochtones peuvent négocier avec des tiers et le Canada d’une manière qui ne fait pas automatiquement du droit canadien le droit par défaut d’une manière qui mine continuellement le droit autochtone.

Quatrièmement, les lois autochtones concernant le consentement sont essentielles pour veiller à ce que les expressions et les instruments du consentement soient valides, légitimes, stables et durables. Le projet de loi C-15 peut soutenir et favoriser cette stabilité pour le Canada et les peuples autochtones.

Cinquièmement, pour ce qui est de la question de l’équilibre, le paragraphe 46(3), prévoit une disposition importante qui exige ce consentement :

[...] seront interprétées conformément aux principes de justice, de démocratie, de respect des droits de l’homme, d’égalité, de non-discrimination, de bonne gouvernance et de bonne foi.

Voilà les limites de l’interprétation.

Sixièmement, le consentement est un acte de raison et de réflexion. C’est l’acte d’une citoyenneté active et réfléchie, ce qui est l’objectif de la reconstruction du droit autochtone au Canada et ailleurs dans le monde.

Dans une perspective juridique autochtone, nous devons réfléchir à la façon dont le consentement est établi dans le droit autochtone. Qu’est-ce qui le rend légal selon ce droit? Quelles sont les normes de légalité nécessaires au consentement selon le droit autochtone?

Jusqu’à présent, le problème a été l’inaction des gouvernements et le déni continu du droit et des administrations autochtones. Cette inaction et ce déni sont également à l’origine de l’incertitude que l’on craint tant. Il faut trouver une manière intelligible de réorganiser nos régimes juridiques respectifs afin que les gouvernements et les ordres juridiques autochtones puissent être reconnus et bénéficier d’un espace approprié. Cette démarche s’oppose à ce qui a été des processus contradictoires progressifs, source de discorde et souvent, de chaos devant les tribunaux.

Un des obstacles est que, pour beaucoup de gens, les lois autochtones et les institutions juridiques qui les régissent sont encore invisibles. Le consentement est une notion juridique et politique collective qui découle de systèmes de droit, notamment du droit autochtone. En tant que concept juridique, le consentement crée des obligations, et tous les systèmes juridiques reconnaissent, créent, modifient et appliquent les obligations. Les obligations sont au cœur du rôle social du droit. Il faut être en mesure d’expliquer les obligations pour comprendre l’autorité du droit.

Un autre aspect du projet de loi C-15 concerne l’accès à la justice et la mesure dans laquelle les gens croient qu’ils comptent pour les institutions juridiques...

Le président : Je suis désolé, madame Napoleon, le temps est écoulé. Je vous remercie beaucoup. J’aimerais maintenant passer à la période de questions.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup à nos témoins d’aujourd’hui. Cette question s’adresse à Mme Napoleon. Je prends un risque, car je ne comprends pas les traditions juridiques autochtones aussi bien que vous. Je vais donc vous poser une question très élémentaire et digne d’une débutante.

Comment les articles de la DNUDPA font-ils plus de place aux traditions juridiques autochtones en particulier? Pouvez-vous donner un exemple concret de la façon dont les traditions juridiques autochtones peuvent éclairer les discussions et les négociations?

Mme Napoleon : Merci. Le point de départ est que chaque partie du Canada comprend un ordre juridique autochtone. Dans chaque espace géographique du Canada, il y a plus d’un système de droit. Cela signifie qu’il faut se concentrer sur la question d’un ordre juridique autochtone ou la poser pour établir sa légalité ou son illégalité, puis passer par les processus juridiques du raisonnement juridique fondé sur des principes au sein de cet ordre juridique pour déterminer la consultation, l’inclusivité et l’équité, ainsi que l’application substantielle du droit dans cet ordre juridique.

Ensuite, ce processus éclaire la relation avec le Canada. C’est cette possibilité que soutient le projet de loi C-15, mais cela va exiger beaucoup de travail. C’est un travail que nous faisons déjà — que les peuples autochtones font déjà dans la réinterprétation substantielle du droit et des processus juridiques autochtones. Je perçois une occasion pour le Canada d’être activement et véritablement multijuridique afin que les principes juridiques puissent guider la façon dont les peuples autochtones interagissent avec le Canada, mais de manière soutenue, car ces systèmes ont été minés. Il y a eu des lacunes, des écarts et des distorsions, et il est donc nécessaire de les reconstruire. Cela vous aide-t-il?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Oui, merci, madame Napoleon. C’est un plaisir de vous revoir.

Le sénateur Patterson : Madame Gunn, dans le glossaire des droits de la personne fournis par Patrimoine canadien, une « déclaration » est définie comme suit :

Dans l’usage de l’ONU, une déclaration est un énoncé de principe tenu comme universel. À la différence d’une convention, une déclaration n’est pas un accord par lequel les États s’engagent en droit international [...]

Je crois qu’il est également important de mentionner que la déclaration est déjà utilisée comme outil d’interprétation en droit canadien.

Madame Gunn, dans votre domaine de pratique, qui rejoint le droit international et les droits des Autochtones, si je comprends bien, pouvez-vous confirmer que la définition de Patrimoine canadien concernant le statut d’une déclaration en tant qu’énoncé de principe plutôt que comme quelque chose de contraignant en droit international est correcte?

Mme Gunn : Merci de la question, sénateur. Je pense qu’en général la déclaration reflète les déclarations, mais elle n’est pas complète quant à la façon dont nous devrions envisager la déclaration des Nations unies.

Comme je l’ai démontré dans un exemple, les droits contenus dans la déclaration des Nations unies s’appuient clairement sur le droit international coutumier et les droits de la personne figurant dans les traités, mais cela nous aide vraiment à comprendre comment les droits de la personne en général s’appliquent dans ce contexte autochtone spécifique.

Ainsi, bien que oui, une déclaration soit un énoncé de principe, peut-être que les droits contenus dans la déclaration des Nations unies sont fondés sur des obligations contraignantes que le Canada a contractées dans les divers traités relatifs aux droits de la personne.

De plus, nous devons nous rappeler que le Canada, en tant que membre en règle des Nations unies, doit respecter toutes ses obligations en matière de droits de la personne. Étant donné que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un instrument des droits de la personne, elle fait aussi partie des obligations du Canada envers le reste du monde.

Le sénateur Patterson : Merci. J’ai posé une question ce matin au sujet de la doctrine des précédents jurisprudentiels. Selon vous, le projet de loi C-15 annulerait-il les précédents d’environ 150 années de jurisprudence canadienne principale qui, comme le chef national Bellegarde nous l’a dit vendredi, a souvent été favorable aux titulaires de droits autochtones?

Mme Gunn : Je ne sais pas exactement ce que vous voulez dire en général. C’est une déclaration très large. La législation annule-t-elle les précédents? Cela dépendrait des précédents en question. Nous voulons réfléchir à la question de savoir si, par exemple, notre interprétation de l’article 35 est conforme ou non aux normes internationales en matière de droits de la personne maintenant reconnus.

Le président : Désolé, madame Gunn, votre temps est écoulé. Je suis désolé.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous nos témoins.

Ma question est destinée à Mme Napoleon. Bienvenue à nouveau devant notre comité. Je vais citer l’ancien sénateur Sinclair, dont les propos diffèrent de ceux que nous venons d’entendre dans le témoignage de M. Flanagan. Le sénateur Sinclair a dit :

De plus en plus souvent, la jurisprudence canadienne précise très clairement que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, n’équivaut pas à un veto.

Il s’agit d’une citation de l’ancien sénateur Sinclair dans son témoignage au sujet du projet de loi C-262.

M. Flanagan nous a dit qu’avec le projet de loi C-15 — et il le verrait comme quelque chose qui légiférerait le CPLCC —, cela renverserait ce qu’il a appelé la doctrine de l’atteinte aux droits et au titre autochtones. Est-ce qu’il s’agit vraiment d’un renversement? Serait-ce une si mauvaise chose ou une bonne chose? Devons-nous nous inquiéter de cela? Je ne suis pas avocate et je me tourne vers vous pour connaître votre opinion à ce sujet.

Mme Napoleon : Selon moi, dans le régime juridique d’un pays, pour toutes les questions qui font partie du droit et que nous gouvernons au moyen de la loi, la jurisprudence en matière de législation sert habituellement à équilibrer, à informer et à évoluer au fil du temps.

L’un de mes points de vue à ce sujet est que la peur du veto découle d’une perception très appauvrie du droit. Elle vient de la pire perception possible quant à la manière dont le droit fonctionne. Si nous pensons aux normes qui régissent le fonctionnement du droit au Canada et aux aspects juridiques qui le rendent légal, ces normes se perpétueront dans toutes les interprétations que nous en ferons au cours des travaux sur les questions que nous soumettrons au droit. Donc, l’idée d’un veto n’est pas la façon dont l’application de la loi fonctionne et dont les tribunaux fonctionnent.

Il existe des processus juridiques équilibrés et fondés sur des principes qui permettent de légitimer une décision concernant une question particulière. Ensuite l’affaire suivante nécessitera un autre processus fondé sur des principes concernant la question qui lui est soumise. Il est donc problématique de limiter ce processus et de dire qu’il créera un veto.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à Mme Napoleon et à Mme Gunn. Diriez-vous que l’interprétation du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle par la Cour suprême du Canada n’a pas permis de redéfinir la relation coloniale entre les peuples autochtones et le Canada, en particulier parce qu’elle n’a pas bien compris que les peuples autochtones ont le droit d’avoir leurs propres traditions juridiques? Le cas échéant, le cadre proposé dans le projet de loi pour harmoniser les lois et politiques canadiennes avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, aide-t-il à combler le fossé?

Mme Napoleon : De mon point de vue, ce projet de loi est une autre étape, un autre recueil d’idées qui soutiennent les aspirations de notre pays. Dans tous les systèmes juridiques, la mise en œuvre est un reflet de leurs aspirations. Le droit autochtone incarne des aspirations dans sa mise en œuvre, et c’est aussi vrai pour chaque ordre juridique autochtone.

En ce qui concerne la jurisprudence et son application, il va y avoir des différences selon l’affaire dont la cour est saisie, le contexte et tout le reste, parce que le droit n’est pas indépendant des relations politiques qui l’entourent.

Je ne sais pas si je serais d’accord avec une affirmation si générale. Je dirais qu’il y a eu des tentatives de réaliser des aspirations, et que les gens vont continuer. Les peuples autochtones se battent depuis des années et des années pour faire reconnaître diverses choses, et cela vaut aussi pour l’article 35 et tout le reste, tout ce qui concerne la reconstruction du droit autochtone. Je dirais donc qu’il y a une complémentarité. Ce n’est pas l’un ou l’autre.

Le sénateur Francis : Merci. Voulez-vous dire quelque chose, madame Gunn?

Mme Gunn : Je dirais que, dans l’ensemble, il y a eu beaucoup de contestations quant à la façon dont la cour a interprété l’article 35. Si nous adoptons une approche robuste pour la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies, cela nous donnerait l’occasion de revoir la portée de l’article 35 pour nous assurer que nous respectons ces idéaux.

Il y a une raison pour laquelle la Commission de vérité et réconciliation a dit que la déclaration des Nations unies était le cadre de la réconciliation, et c’est qu’elle nous permet de nous unir et contribue à reconstruire notre relation en laissant derrière nous l’idéologie de la dominance coloniale, en faveur des nouveaux principes dont j’ai parlé, soit les principes de justice, de démocratie, de respect des droits de la personne, d’égalité et de non-discrimination.

Le sénateur Francis : Merci à vous deux.

La sénatrice Stewart Olsen : La question s’adresse à Mme Napoleon. En réponse à la question de la sénatrice LaBoucane-Benson, vous avez dit que, selon vous, le projet de loi C-15 allait faire du Canada un pays véritablement multijuridique. Cependant, vendredi, le ministre Lametti nous a dit que, je cite :

[...] les lois fédérales et provinciales canadiennes continuent d’exister, et [...] ces lois auront encore le dernier mot dans diverses circonstances.

Pouvez-vous s’il vous plaît réconcilier cela avec vos commentaires?

Mme Napoleon : Il est juste de dire que le fédéralisme et les provinces... La structure de notre pays ne va pas disparaître. Il est aussi vrai de dire que le droit autochtone ne s’est pas épanoui au Canada. On l’a écrasé. Comme je l’ai dit, il y a des lacunes et d’autres choses. Donc, les droits autochtones ont permis de continuer à éclairer les peuples autochtones dans leurs négociations avec le gouvernement, dans le cadre des litiges et des différentes interactions entre les peuples autochtones et le Canada.

Il arrive maintenant que les juges des tribunaux inférieurs utilisent le droit autochtone, pas comme élément de preuve ou comme fait, mais comme source de principes de raisonnement juridiques. J’ai eu des discussions, par exemple, avec des juges en Australie justement à ce sujet. Le droit autochtone est une source de réflexion et de solutions, et cela ne va pas s’arrêter. Cela va continuer parce que nous faisons des recherches, parce que nous travaillons en partenariat avec les collectivités et parce que les gens font cela d’un bout à l’autre du pays. C’est ce que j’entends par multijuridique. C’est la mesure dans laquelle ces relations sont productives ou constructives et permettent des discussions et une application complète des lois autochtones en droit, et il nous revient à tous de relever ce défi, de faire le travail et de nous assurer de comprendre ce que cela veut dire.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, madame. Me reste-t-il du temps, même un peu? Je veux poser une question à M. Flanagan. Ne serait-il pas plus prudent, devant un nouveau projet de loi qui pourrait présenter des défauts, de peut-être ajouter un amendement pour bien réaffirmer la jurisprudence et le droit canadien actuels?

M. Flanagan : Eh bien, oui, je serais d’accord avec vous, madame la sénatrice. Nous entrons en territoire inexploré avec le projet de loi C-15. Le gouvernement du Canada a adopté la DNUDPA en 2010 à titre de document d’aspirations, mais il est clair que le projet de loi est un pas vers une révision de la loi pour l’harmoniser avec la déclaration, et nous ne savons pas quelle sera l’issue du processus. Je crois que ce serait très utile de placer quelques jalons dès le début pour protéger la certitude de...

Le président : Je suis désolé, monsieur Flanagan, mais le temps est écoulé.

La sénatrice Pate : Ma question n’est pas vraiment une question, mais plutôt une demande que je fais à Mme Gunn et à Mme Napoleon.

Relativement à l’adoption du projet de loi, y a-t-il des observations ou des recommandations que le comité devrait porter à l’attention du gouvernement, selon vous, avant que nous allions de l’avant avec le projet de loi C-15, si nous voulons vraiment donner vie à ces dispositions et aux idées que vous avez formulées?

Mme Gunn : Je voulais dire que je crois que c’est peut-être la quatrième fois que je témoigne devant le comité sur le même projet de loi. Je crois que c’est très important que nous allions de l’avant, et que nous le faisions rapidement. Il nous a fallu beaucoup de temps pour nous rendre jusqu’ici, et nous ne voulons pas que les choses ralentissent. L’idée d’ajouter des amendements qui pourraient retarder le processus me préoccupe. Nous devons avancer.

Je crois cependant que, à mesure que nous avançons vers la mise en œuvre au Canada de la déclaration des Nations unies, nous devons continuer à mobiliser les peuples autochtones pendant l’élaboration et la mise en œuvre du plan d’action national. Ce serait très important. C’est d’ailleurs ce en quoi consiste le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Je ne veux pas dire que le gouvernement doit consulter à cette étape seulement; il faut qu’il le fasse tout au long du processus. J’encouragerais le gouvernement à continuer de consulter les titulaires de droits autochtones pour cela.

Mme Napoleon : Tout ce que j’ajouterais, c’est que l’adoption de ce projet de loi sert en partie à faire avancer le Canada — c’est une époque passionnante pour notre pays — sur la voie dans laquelle il s’est engagé : celle du soutien aux peuples autochtones et du soutien pour le rétablissement du droit et des ordres juridiques autochtones, pour qu’il y ait aussi davantage de programmes universitaires en droit autochtone, comme celui où j’enseigne, que nous avons élaboré et que nous enseignons ici à Victoria. Nous avons des gens ici. Il y a des gens, et je crois qu’il serait possible de travailler avec tous les ordres juridiques pour mettre en place une doctrine s’inspirant de plus d’un ordre juridique afin de trouver une solution à chaque problème. Cela se voit, au Québec, avec le droit civil et la common law.

Ce serait incroyable si on pouvait créer cet espace et fournir ce genre de soutien.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Ma question est pour M. Flanagan.

Monsieur, il y a un énorme désaccord sur la notion de consentement, quant à l’entité qui doit donner son consentement dans les diverses circonstances et quant à la mesure dans laquelle le projet de loi est contraignant pour la Couronne. Selon vous, cela veut-il dire que de longs litiges sont inévitables à cause du projet de loi C-15?

M. Flanagan : Je crains que l’adoption du projet de loi C-15 ne déclenche de nouvelles contestations contre la nouvelle doctrine récemment établie sur la consultation. Selon la décision la plus récente de la Cour d’appel fédérale, il est assez clair que la consultation doit être robuste, mais que, au bout du compte, le droit à la consultation n’est pas un droit de veto. Avec un nouveau projet de loi, tout ce qui a été établi est remis en question à nouveau, et nous sommes encore une fois face à l’incertitude.

Le sénateur MacDonald : Croyez-vous que nous allons au-devant de litiges qui dureront des années ou même des décennies?

M. Flanagan : Oui, cela ne fait pas de doute. Il a fallu environ 15 ans pour clarifier les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les arrêts relatifs à la nation haïda et à la Première Nation de Taku River, en 2004... à dire vrai, cela a même pris plus de 15 ans. Je dirais que cela va probablement prendre autant de temps si nous appliquons le concept du CPLCC dans le contexte de la jurisprudence actuelle.

La sénatrice Forest-Niesing : Ma question est pour Mme Gunn.

Vous, comme beaucoup d’autres, encouragez les sénateurs à faire fi du profond désir de proposer des amendements afin de permettre l’adoption de ce projet de loi nécessaire et attendu depuis longtemps. Je vous comprends, sincèrement. Quand de l’ITK a témoigné, il nous a dit qu’il recommandait d’inclure dans le projet de loi la création d’une commission autochtone indépendante sur les droits de la personne. Puisque vous êtes une experte des droits de la personne internationaux, pourriez-vous nous dire dans quelle mesure, sans cet amendement, le projet de loi actuel permettra la surveillance du respect des droits de la personne?

Mme Gunn : Merci de la question, madame la sénatrice. Je dirais que la réponse est très simple : l’applicabilité des droits devrait faire partie du plan d’action national. Ce projet de loi est en réalité le cadre qui permet de créer le cadre et le plan qui sera mis en œuvre. La question soulevée par l’ITK est très importante : comment faire respecter les droits? Nous savons que les tribunaux sont une option, mais nous ne voulons peut-être pas que ce soit la première option ou la meilleure. Je m’attendrais à ce que l’un des aspects envisagés dans le plan d’action national soit la façon de faire respecter les droits. Peut-être que, dans ce contexte, on pourrait discuter d’une commission autochtone sur les droits de la personne.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci. Madame Gunn, je voudrais vous offrir le temps qu’il me reste pour que vous puissiez terminer votre précédent commentaire en 30 secondes, si vous le voulez.

Mme Gunn : Merci. Je veux rappeler aux sénateurs et sénatrices que le projet de loi C-15 est en réalité fondé sur le projet de loi C-262 d’initiative parlementaire, qui avait été rédigé par un député cri. Le projet de loi C-262 avait fait l’objet d’une longue consultation pour laquelle l’ancien député, M. Saganash, avait même parcouru le pays d’un bout à l’autre. Quand le projet de loi C-262 est mort au Feuilleton au Sénat, il a fallu que les peuples autochtones fassent énormément de lobbying avant que le projet de loi C-15 soit déposé. Encore, la version antérieure du projet de loi a fait l’objet de consultations. Il y aura une foule d’occasions de consulter les peuples autochtones pour la suite des choses, mais j’ai l’impression que le temps est compté, ici. Je ne veux pas dire que le Sénat ne devrait pas proposer des amendements, mais j’ai sincèrement l’impression qu’il reste très peu de temps à la discussion, et je ne veux pas que nous perdions l’élan que nous avons présentement. Merci.

Le sénateur Tannas : J’aimerais remercier les témoins d’être avec nous aujourd’hui.

Je vous écoute aujourd’hui même si je n’ai aucun bagage juridique et que j’ai très peu d’intérêt pour ce qui m’apparaît ésotérique. Je suis davantage un homme d’action, mais je ne dis pas cela pour vous manquer de respect, pour que ce soit clair. Quand je vous écoute, je me rends compte que c’est surtout des questions pratiques qui me viennent à l’esprit.

Pendant que vous êtes là, madame Napoleon, j’aimerais vous poser une question sur le droit autochtone. Vous pourrez peut-être m’éclairer. Le fait est que nous avons des centaines de collectivités. Nous avons quelque chose entre 50 et 75 nations autochtones distinctes. La situation est d’autant plus complexe, puisque 50 % ou plus des Autochtones de ces nations ne vivent pas sur leurs territoires; ils vivent dans les villes ou ailleurs. Compte tenu de ce contexte, je me demandais si vous pouviez m’aider. J’espère que vous allez me dire qu’il existe quelques principes communs qui peuvent être dégagés du droit autochtone. Dans le cas contraire, va-t-il y avoir 70, 80 ou 100 codes de loi autochtones, ce qui veut dire que quiconque voudra établir un partenariat ou créer des emplois ou quoi que ce soit au pays devra devenir un expert du droit autochtone? C’est vraiment ce qui me fait hausser les sourcils, présentement. J’espère que vous pourrez m’aider.

Mme Napoleon : Merci d’avoir posé la question, parce qu’elle est importante. Vous avez raison : nous avons environ 60 ordres juridiques autochtones au Canada, et ceux-ci ont été fragmentés en de plus petites entités, c’est-à-dire les bandes définies géographiquement au sein de territoires plus vastes.

Les ordres juridiques dont je parle sont d’ordre sociétal. L’ordre juridique de la nation Gitxsan, par exemple, comprend six bandes, mais les territoires de la nation Gitxsan s’étendent sur plus de 58 000 milles carrés. L’efficacité de la loi dans ce contexte à grande échelle s’appuie sur des systèmes de reddition de comptes et tout le reste.

C’est le travail que nous faisons présentement. Cela fait des décennies que nous travaillons avec les peuples autochtones afin d’élaborer avec rigueur des dispositions juridiques par rapport à l’eau, aux territoires et aux ressources et aux droits autochtones de la personne, c’est-à-dire les principes autochtones des droits de la personne, d’un point de vue autochtone. Grâce à ce travail, ce sera possible d’extrapoler.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le président : Nous allons commencer le deuxième tour. Je veux souhaiter la bienvenue à la sénatrice Pat Duncan, du Yukon, qui vient de se joindre à nous.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question s’adresse à Mme Gunn.

Quand vous avez témoigné devant le comité de l’autre endroit, vous avez dit que le projet de loi C-15, je cite : « [...] comporte des mesures importantes de reddition de comptes pour s’assurer que le Parlement joigne l’acte à la parole. » J’ai trouvé que c’était une excellente citation. Pouvez-vous nous en dire davantage? De quelles mesures de reddition de comptes parlons-nous? Comment cela va-t-il être appliqué, selon vous, et comment cela avantage-t-il les peuples autochtones?

Mme Gunn : Merci. Je crois qu’il est crucial qu’il y ait une production périodique de rapports. Cela assure la reddition de comptes et la transparence, surtout parce que — et je le sais parce que cela fait un bout de temps que je fais ce travail maintenant — ce n’est pas toujours facile de savoir ce que le gouvernement met en œuvre pour respecter ses diverses obligations. En donnant au gouvernement une occasion de rendre des comptes, cela veut dire que le public aura accès à de l’information et que les gens pourront l’examiner. Cela veut aussi dire qu’il y aura un temps où on pourra poser des questions au gouvernement, dans le cadre d’une tribune publique où le gouvernement pourra rendre des comptes sur ce qu’il fait. Nous savons que cela se fait, dans une certaine mesure, dans le processus suivi par la Colombie-Britannique, par exemple.

Je crois aussi que la reddition de comptes passe par l’engagement des peuples autochtones envers le plan d’action national et qu’il faut collaborer avec eux.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Très bien. Par rapport au plan d’action, si vous aviez des conseils à donner au gouvernement, que lui conseilleriez-vous de faire pour intégrer la reddition de comptes dans le plan?

Mme Gunn : Je crois que la transparence fait partie de la reddition de comptes, alors il faut qu’on sache ce qui se fait. Il faut que ces processus soient ouverts au public. Il faut que le public soit mobilisé. Les gens ont tout simplement besoin de savoir ce qui se fait, et il faut aussi qu’il y ait des occasions de passer en revue ce qui s’est passé. Le processus ne peut pas être statique. Il faudra qu’il continue à évoluer afin que les peuples autochtones puissent être mobilisés du début à la fin du processus.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Génial. Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : Madame Gunn, vous avez parlé des consultations menées aux fins du projet de loi C-262, même si, bien sûr, c’est un autre projet de loi qui est à l’étude. Nous savons que le grand chef Abram, de l’Ontario, rejette ce projet de loi. Nous savons aussi que d’autres intervenants autochtones, y compris un témoin de ce matin, croient qu’il faudrait modifier le projet de loi pour le rendre plus robuste. Ne devrions-nous pas chercher à écouter les intervenants pour renforcer le projet de loi, comme ils le demandent?

Mme Gunn : Merci de la question, même si ce ne sera vraiment pas facile d’y répondre. Je crois qu’il est important de garder à l’esprit que les peuples autochtones ne sont pas toujours tous du même avis; ils ne sont pas en tous points pareils, et il va y avoir des différences dans leurs approches et leurs expériences. Je voulais simplement mettre en relief, pour le comité, le fait que le projet de loi C-15 ne vient pas de nulle part, et que ce n’est pas une invention du gouvernement libéral. La vérité est que son libellé vient à l’origine des peuples autochtones.

Certains des changements apportés entre le projet de loi C-262 et le projet de loi C-15 découlent des consultations auprès de diverses organisations, surtout des organisations nationales autochtones. Nous croyons qu’il devrait y avoir un préambule légèrement plus long et que le comité devrait ajouter du texte pour dissiper quelques-unes des préoccupations.

Bien sûr, nous voulons faire en sorte que le Canada continue de consulter les peuples autochtones pour la suite des choses, qu’il consulte vraiment les titulaires de droits et qu’il donne aux peuples autochtones l’occasion de définir par eux-mêmes qui sont les institutions représentantes compétentes. C’est d’ailleurs l’un des principes et des droits compris dans la déclaration des Nations unies, et c’est pourquoi la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies pourra nous aider à mettre en place un meilleur cadre de consultation et de mobilisation des peuples autochtones dans les processus décisionnels futurs.

Le sénateur Patterson : Trouvez-vous préoccupant que les améliorations que vous avez décrites pour le comité aient été retirées de la partie habilitante du projet de loi et déplacées au préambule en droit, qui est moins important?

Mme Gunn : Honnêtement, ma plus grande préoccupation actuellement est la rapidité du processus. Je suis très préoccupée par le fait que le projet de loi C-262 est mort au Feuilleton au Sénat, la dernière fois. Je suis préoccupée parce que, depuis la dernière fois que j’ai témoigné devant le comité, j’ai eu une fille, et elle a deux ans maintenant. Beaucoup de ce dont nous discutons, j’en ai parlé la dernière fois. Donc, oui, je veux toujours que le gouvernement continue de consulter les peuples autochtones pour qu’ils aient vraiment leur mot à dire dans la mise en œuvre de leurs droits, mais je veux aussi m’assurer que nous continuons d’avancer vers la concrétisation des droits des peuples autochtones.

Le président : Merci.

La sénatrice Coyle : Ma question s’adresse à tous les témoins. Durant l’une des premières séances du comité, la semaine dernière, la question de la confiance a été soulevée. Je sais que vous êtes des experts en droit et en sciences politiques, mais il a aussi été question de la relation. Ce projet de loi porte aussi sur la relation entre les Autochtones du Canada et le reste du Canada. Vous avez aussi parlé de la réconciliation et de la grande importance de ce projet de loi pour la réconciliation.

Selon vous, par rapport à la confiance, que la plupart d’entre nous veulent renforcer, j’imagine, que se passera-t-il si le projet de loi C-15 n’est pas adopté ou s’il est adopté sous sa forme actuelle? Pouvez-vous faire des commentaires sur la confiance?

Mme Napoleon : La confiance doit être bâtie sur notre réalité. Les gens doivent croire que le système juridique reconnaît leur importance, sinon ils ne se considéreront pas comme titulaires de droits et ils ne s’adresseront pas aux systèmes juridiques s’ils subissent des préjudices ou des dommages. Quand le lien de confiance est rompu, cela mène à la fragmentation de la société, et c’est ce qui est en train de se passer dans le reste du monde. Les peuples autochtones doivent avoir la conviction qu’ils ont de l’importance, pas juste pour les institutions juridiques du Canada, mais aussi pour leurs propres institutions juridiques. Dans notre monde, la confiance des citoyens est primordiale, la confiance dans notre capacité à leur donner un sens et à leur permettre de participer pleinement en tant que citoyens du monde.

Il faut qu’il soit possible d’avoir ces discussions avec les peuples autochtones et avec le reste du Canada. Il faut que les autres Canadiens et Canadiennes puissent discuter des choses dont nous discutons dans nos ateliers, à propos de l’essence du droit, des voix qui devraient être entendues. Qu’est-ce qui est important, quels efforts les gens veulent-ils que nous poursuivions? Nous devons pouvoir compter sur un intellectualisme public et engagé, autant pour les peuples autochtones que pour le reste du Canada.

La sénatrice Coyle : Et est-ce que le projet de loi C-15 contribue à cela?

Mme Napoleon : Je crois que le projet de loi C-15 est un pas sur le sentier qui mène à la reconnaissance réfléchie des peuples autochtones et des ordres autochtones politiques, juridiques et économiques avec lesquels le Canada pourra travailler à cette fin.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à M. Flanagan. À votre avis, les peuples autochtones sont-ils les premiers peuples de la terre où nous nous trouvons, et cela leur donne-t-il des titres et des droits inhérents sur la terre?

M. Flanagan : Pour répondre à la première partie de votre question, oui. Ils étaient certainement les premiers peuples à habiter la terre où nous nous trouvons.

En ce qui concerne les droits et les titres qu’ils s’attribuent, c’est une question complexe à laquelle les législateurs, les auteurs de la Constitution et les tribunaux réfléchissent depuis la naissance du Canada. Je ne voudrais pas essayer de donner une réponse simple à cette question. Je dirais que, effectivement, ils ont des titres et des droits qui ont été élaborés par les autorités politiques et juridiques au fil du temps.

Le sénateur Francis : Merci.

Le sénateur Patterson : Madame Gunn, en répondant à ma question de tout à l’heure, vous avez parlé de l’effet contraignant du projet de loi C-15 sur la Couronne. Cela m’a laissé perplexe, parce que, quand j’ai demandé si ce projet de loi obligeait la Couronne à faire quoi que ce soit, les représentants m’ont clairement dit que le projet de loi obligeait seulement le gouvernement à établir un plan d’action. Pouvez-vous m’expliquer ces points de vue divergents? Merci.

Mme Gunn : Merci, monsieur le sénateur. Je me ferai un plaisir de clarifier les choses. Je dois admettre que je ne suis pas vraiment certaine de savoir d’où vient la divergence, mais je crois que je parlais, en réponse à votre question, du rôle des déclarations en droit international et de la définition qui a été fournie.

Je faisais référence aux droits prévus dans la déclaration des Nations unies, à l’article 3, par exemple, sur le droit des peuples autochtones à l’autodétermination. Le libellé de l’article 3 est identique à celui de l’article premier commun au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Ce que j’essayais d’expliquer, c’est que la déclaration des Nations unies et les droits qu’elle protège sont fondés sur des traités existants relatifs aux droits de la personne, en plus d’y donner suite. Ces traités imposent des obligations contraignantes au Canada.

Le président : Merci. C’est tout le temps que nous avions pour les questions. Je tiens à remercier M. Tom Flanagan, Mme Brenda Gunn et Mme Val Napoleon d’avoir témoigné aujourd’hui.

Accueillons nos autres témoins de l’après-midi : le chef Steve Smith et Me Alexa McClaren, avocate et conseillère juridique des Premières Nations de Champagne et d’Aishihik; et, à titre personnel, Me Jason T. Madden, avocat et partenaire de gestion chez Pape Salter Teillet LLP et Me Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone, de l’Université Ryerson.

Le chef Smith, Me Madden et Me Palmater présenteront chacun une déclaration préliminaire d’environ six minutes, puis nous passerons à la période de questions. Les sénateurs et sénatrices auront environ trois minutes chacun pour poser leurs questions. La sénatrice Patti LaBoucane-Benson, la marraine du projet de loi, ouvrira le bal, et sera suivie du porte-parole du projet de loi, le sénateur Dennis Patterson. Si les autres sénateurs ont des questions, je leur demanderais d’utiliser la fonction « lever la main » sur Zoom pour en informer la greffière, et vous serez ajoutés à la liste des intervenants dans la messagerie Zoom. Sachez que les membres de notre comité auront la priorité sur les autres intervenants. Si vous avez des réponses à envoyer par écrit à une question, vous pouvez les transmettre à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

L’équipe du comité va m’envoyer un message texte quand il restera 10 secondes au temps de parole, autant pour la déclaration préliminaire des témoins que pour les questions des sénateurs et sénatrices. Vous verrez, je vais faire un décompte de 10 secondes avec les mains. À zéro, je vais vous informer que votre temps est écoulé.

J’inviterais maintenant le chef Smith, Me Madden et Me Palmater à nous présenter leurs déclarations préliminaires.

Steve Smith, chef, Premières Nations de Champagne et d’Aishihik : [mots prononcés dans une langue autochtone] — du territoire ancestral des Premières Nations de Champagne et d’Aishihik. Je remercie les honorables personnes qui prennent le temps d’écouter les mots que j’ai à dire. [mots prononcés dans une langue autochtone.]

J’appartiens aux Premières Nations de Champagne et d’Aishihik. [mots prononcés dans une langue autochtone.] Les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik ont signé un accord définitif avec le gouvernement du Canada et le gouvernement du Yukon en 1993. Cet accord s’inspirait de l’accord-cadre définitif, lequel fournit un cadre pour négocier les ententes définitives individuelles au Yukon.

L’Entente définitive des Premières Nations de Champagne et de Aishihik est un traité moderne protégé par la Constitution, et les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik sont, en vertu de l’accord sur l’autonomie gouvernementale, une Première Nation autonome du Yukon. Nous avons conclu un accord sur l’autonomie gouvernementale avec le Yukon et le Canada, qui nous confère quelques pouvoirs d’autonomie gouvernementale, y compris les pouvoirs de légiférer, de lever des impôts et d’administrer des programmes et des services. Nous sommes l’une des 11 Premières Nations du Yukon à avoir conclu un accord d’autonomie gouvernementale définitif avec le Canada et le Yukon.

La majeure partie de notre territoire ancestral est situé dans le Sud-Ouest du Yukon ou le Nord-Ouest de la Colombie-Britannique. Le parc national Kluane et la réserve du parc provincial de Tatshenshini-Alsek se trouvent sur notre territoire ancestral.

À propos du projet de loi C-15, les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik soutiennent la mise en œuvre de la DNUDPA et veulent que le projet de loi C-15 soit adopté. Dans mon témoignage devant votre comité sénatorial, je compte mettre en relief quatre aspects du projet de loi C-15 qui me préoccupent en tant que chef des Premières Nations de Champagne et d’Aishihik.

Premièrement, les Premières Nations autonomes du Yukon sont un sous-ensemble distinct des peuples autochtones; nous traçons la voie en ce qui concerne l’autonomie gouvernementale et les traités modernes. Nous estimons qu’il est important que nous soyons consultés à propos du plan d’action, afin que nos opinions soient prises en considération et intégrées au plan d’action. Nous voulons en particulier nous assurer que le plan d’action comprend des mesures visant à appliquer la DNUDPA à l’interprétation de nos droits issus de traités et de nos droits à l’autonomie gouvernementale.

Deuxièmement, les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik aimeraient que le projet de loi C-15 soit modifié de façon à renforcer et à soutenir l’autonomie gouvernementale. Le projet de loi C-15 pourrait par exemple comprendre des dispositions semblables à celles que l’on trouve dans la Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act de la Colombie-Britannique — la loi sur la déclaration sur les droits des peuples autochtones —, afin que les ministres puissent conclure des accords avec des organisations autochtones pour la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies et afin que le Cabinet puisse partager le pouvoir décisionnel avec les gouvernements autonomes des Premières Nations ou leur déléguer ce pouvoir.

Le projet de loi C-15 devrait être modifié de façon à ce qu’il énonce clairement qu’il n’aura aucun impact défavorable sur les traités modernes comme l’Entente définitive des Premières Nations de Champagne et de Aishihik; que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones peut seulement être utilisée pour tirer parti des droits issus de traités existants; et que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones s’applique effectivement au moment d’interpréter et de mettre en œuvre les accords existants conclus avec des Premières Nations.

Enfin, le projet de loi C-15 devrait être modifié de façon à ce que les provinces et les territoires ne puissent pas — je le répète, ne puissent pas — s’y soustraire. Cela est particulièrement important pour la mise en œuvre des traités entre les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik et le Yukon, parce que le gouvernement du Yukon continue d’interpréter de façon restrictive nos traités modernes.

Sur ce, je vais céder le reste de mon temps. Merci.

Le président : Merci, chef Smith. Je demanderais donc à Me Madden de commencer sa déclaration préliminaire.

Me Jason T. Madden, avocat et partenaire de gestion, Pape Salter Teillet LLP, à titre personnel : Merci, monsieur le sénateur. Je suis Me Jason Madden, et je suis partenaire de gestion dans le cabinet d’avocats Pape Salter Teillet. Nous avons participé aux négociations des accords d’autonomie gouvernementale et des traités modernes au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest pour le gouvernement tlicho. Nous participons aussi aux négociations qui viennent de débuter avec les Métis.

Je vais m’attacher à deux points en particulier, que le sénateur Tannas, je crois, a soulevés à propos des aspects concrets de la DNUDPA.

L’une des difficultés du cadre de l’article 35, qui a été façonné au fil des décisions juridiques, y compris les arrêts de la Cour suprême du Canada et les décisions des cours inférieures, est que son approche est axée sur les droits pris un par un. Auparavant, on se demandait si l’article 35 était un cadre vide. La réponse est : absolument pas, mais à présent, ce cadre a été rempli un droit à la fois, au fil d’un nombre extraordinaire de litiges. Je dirais, en tant qu’un de ceux qui participent aux négociations avec les ministères responsables de donner suite à ces affaires, qu’il y a une interprétation extrêmement restreinte de la jurisprudence, et une absence de politiques d’information.

Par exemple, les Métis ont des droits de récolte établis. Parfait, vous avez des droits de récolte; alors, négocions un accord pour faire reconnaître ces droits. Cependant, cet accord est assorti d’un corollaire sur la responsabilité, ce qui nous ramène à l’autonomie et à la réglementation gouvernementales. Mais il n’en a jamais été question dans la jurisprudence. Les litiges ne portent pas sur ce genre de chose. Après une victoire devant les tribunaux, nos clients sont obligés de négocier avec les gouvernements la consolidation de cette victoire.

Il y a une citation de la Commission royale sur les peuples autochtones qui, je crois, illustre cela très bien. Cela révèle la naïveté, dans l’un des litiges, et explique pourquoi nous sommes si souvent devant les tribunaux.

En 1996, la CRPA a écrit ce qui suit :

Les tribunaux sont assujettis à plusieurs contraintes. En effet, ils interprètent les droits ancestraux et issus de traités à partir des éléments qui leur sont présentés dans chaque cause. Ils n’ont pas le pouvoir de mettre en œuvre l’autonomie gouvernementale. Ils doivent se conformer aux structures constitutionnelles existantes et se garder d’innover hors de celles-ci. Liés par la jurisprudence, ils sont appelés à appliquer les principes qui se dégagent de causes antérieures où les peuples autochtones n’ont même pas pu se faire entendre. En ce sens, les tribunaux peuvent, sans le vouloir, devenir des instruments de division plutôt que de réconciliation.

Mon but n’est pas de critiquer leur rôle. Des victoires importantes ont été remportées devant les tribunaux, mais là où le bât blesse, c’est dans la mise en œuvre et l’opérationnalisation de ces victoires.

La DNUDPA comble ce fossé. Les arguments comme « D’accord, vous avez peut-être un droit, mais nous ne sommes pas obligés de négocier l’autonomie gouvernementale avec vous » ou « Nous ne savons pas comment négocier » trouvent réponse dans la déclaration. La déclaration explique de façon fouillée et détaillée que ces droits s’appliquent ensemble. Certaines personnes — dont moi — disent que les droits prévus à l’article 35 qui sont issus de la jurisprudence sont inadéquats, et c’est justement ce que la commission royale disait en 1996.

À l’inverse des bureaucrates qui doivent obtenir un nouveau mandat, dans le cadre du système en place, ou que nous devons convaincre que, bien sûr, il faut aussi qu’il y ait une reconnaissance de ce droit, la DNUDPA fournit des réponses et comble ces lacunes.

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’article 35 n’était pas censé être un droit au litige, même si c’est surtout pour cela qu’il a été utilisé au cours des 30 dernières années. L’article 37 prévoyait des conférences constitutionnelles pour régler les différends entre les parties, mais celles-ci n’ont pas porté de fruit, et les écarts ont surtout été comblés — parfois correctement et parfois incorrectement — par les tribunaux. La déclaration des Nations unies a donc le potentiel de combler ces lacunes. Sur une foule de choses, ce que dit la déclaration relève simplement du bon sens. Je dirais — sans vouloir offenser personne — que le bon sens n’est pas toujours présent aux tables de négociations avec le ministère des Relations Couronne-Autochtones. Les gens vont dire : « Où est-il écrit dans le jugement du tribunal que les Métis ont droit à l’autonomie gouvernementale? Il est seulement question des droits de récolte. » Pourquoi cela arrive-t-il, selon vous?

Ce que nous voulons dire, par-dessus tout, est que la déclaration est un outil d’information qui permettra véritablement de faciliter les discussions, étant donné que, premièrement, la promesse de l’article 37 n’a jamais été remplie; et, deuxièmement, que les tribunaux en sont incapables. Voilà donc pourquoi les peuples autochtones se tournent de plus en plus vers le droit et les ordres juridiques autochtones, parce que la jurisprudence relative à l’article 35 et son approche du droit par droit ne peuvent pas combler ce fossé.

Deuxièmement, il y a un point que je veux faire valoir. Le CPLCC est essentiellement... D’ailleurs, dans l’une des affaires que notre cabinet a défendues jusque devant la Cour suprême du Canada, le tribunal a effectivement demandé si c’était un droit de veto. C’était dans l’arrêt Little Salmon, et c’est le genre d’épouvantail qui est continuellement brandi. Le problème, c’est que cela change la discussion. Si la discussion a pour but d’obtenir le consentement, cela veut dire que les parties à la table se demandent quelle solution pourrait satisfaire tout le monde. Mais si l’une ou l’autre des parties à la table a un veto, alors la discussion ou les négociations ne mèneront jamais à rien.

Ce que la DNUDPA dit, c’est installons-nous à la table et essayons d’obtenir un consentement; disons dès le départ que nos lois vont interagir et que nous allons travailler en partenariat. Quand des gens disent que cela est impossible, je leur donne en exemple des cas qui sont survenus dans les Territoires du Nord-Ouest. L’un de nos clients, le gouvernement tlicho, fait partie de l’Office des terres et des eaux du Wek’eezhii. Il gère conjointement le territoire en partenariat avec des peuples autochtones et non autochtones, qui sont des partenaires égaux pour les projets d’aménagement du territoire et d’exploitation des ressources.

L’exploitation conjointe, dans le cadre de la loi, est quelque chose qui se fait régulièrement. L’une des difficultés que nous avons, c’est que les gens au sud du 60e parallèle n’ont rien connu d’autre dans leur vie que les brèches créées par le projet de loi C-91 et le projet de loi C-92, et pour eux, il n’y a pas d’espace pour les lois autochtones, pour la constitution autochtone ou pour un processus décisionnel auquel les Autochtones participent activement et utilement. Voilà le problème.

Le CPLCC donne une optique différente dans laquelle envisager les négociations futures. Merci beaucoup.

Le président : Merci. Je demanderais maintenant à Mme Palmater de nous présenter sa déclaration préliminaire.

Me Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone, Université Ryerson, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. [mots prononcés dans une langue autochtone.]

Je suis de la nation souveraine mi’kmaq du territoire non cédé de Mi’kma’ki. Je suis membre du barreau d’Eel River de la Première Nation d’Ugpi’ganjig. Je pratique le droit depuis 23 ans, dont 10 au ministère de la Justice du Canada et au ministère des Affaires indiennes et où j’ai reçu une formation sur le processus législatif, la rédaction législative et l’interprétation des lois. Depuis, ma spécialité professionnelle, c’est les lois et les politiques touchant les Premières Nations et les obligations juridiques internationales en matière de droits de la personne.

En ce qui concerne le projet de loi C-15, je souscris aux observations de Mme Gunn et de Mme Napoleon, c’est-à-dire que je suis en faveur de son adoption. Il est plus que temps que le Canada prenne les mesures nécessaires pour appliquer la DNUDPA dans ses propres lois. Les peuples autochtones du monde entier, y compris les collectivités et les organisations des Premières Nations, ont demandé avec insistance au Canada de mettre en œuvre cette déclaration, et c’est grâce à leur travail, d’ailleurs, que la déclaration existe.

Nous savons que les appels à l’action numéros 43, 44 et 45, entre autres, de la Commission de vérité et réconciliation soulignent que la mise en œuvre de la déclaration est au cœur de la réconciliation, c’est-à-dire qu’il ne suffit pas de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de se doter d’un plan d’action national, il faut aussi rejeter les concepts comme la doctrine de la découverte et la terra nullius qui ont servi à justifier la revendication de la souveraineté sur les terres des Autochtones.

Nous savons aussi que les tous premiers appels à la justice de l’enquête nationale visent à ce que le Canada se dote d’un plan d’action national pour mettre fin au génocide. Le plan d’action englobe spécifiquement la mise en œuvre de tous les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, dont ceux que nous avons déjà mentionnés, comme la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la DNUDPA et, pas seulement ces conventions, déclarations et traités, d’ailleurs, mais aussi toutes les recommandations provenant des organes de défense des droits créés en vertu d’instruments internationaux, visant à ce que le Canada mette un terme aux violations graves et continues des droits de la personne.

Pourquoi? Parce que malgré toutes les lois fédérales, provinciales et territoriales du Canada sur les droits de la personne, la Charte des droits et libertés et les protections relatives aux droits ancestraux et issus de traités prévues à l’article 35, le Canada transgresse nos droits davantage qu’il ne les respecte.

Pourquoi? Parce que le Canada est un pays hors-la-loi. L’État a perpétré un génocide dans le passé, et ce génocide se poursuit. Les droits, la jurisprudence et tout le système juridique du Canada ont ouvert la porte à ce génocide permanent, et c’est pourquoi les peuples autochtones se meurent.

Le but absolu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est de modifier le droit. Nous n’avons qu’à lire la lettre envoyée tout récemment au Canada par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale pour lui demander d’expliquer son défaut de protéger les droits du peuple mi’kmaq de pêcher en sécurité et de régir leurs pêches.

Nous savons que le racisme systémique est présent dans tous les gouvernements et toutes les institutions ainsi que dans certains segments de la société et des industries, et que cela cause un préjudice réel aux peuples autochtones. Les lois et le système juridique actuels du Canada ne protègent pas les peuples autochtones.

Nous savons aussi que, chaque jour, le Canada manque à ses obligations; il choisit — même dans ses décisions stratégiques — de violer les droits de la personne pour maintenir et protéger le statu quo qui a privilégié et avantagé beaucoup de personnes pendant si longtemps.

Ce qui est incroyable, c’est que ces décisions ont été prises même si nous sommes au courant de toutes les statistiques atroces sur le taux d’enfants en famille d’accueil, sur les femmes et les filles autochtones assassinées ou disparues, sur les taux d’incarcération, d’itinérance et de violence.

Donc, à la question de savoir si nous devons appliquer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au système juridique canadien, la réponse est oui, absolument. Les États devraient toujours prendre des mesures pour mettre en œuvre l’ensemble des obligations internationales sur les droits de la personne.

Le projet de loi C-15 va-t-il nous aider à prendre dans la bonne direction? Oui, tout à fait. Tous les instruments relatifs aux droits de la personne dont nous disposons sont des outils servant à protéger les droits des peuples autochtones, qui ne sont pas protégés présentement.

Est-ce que je fais confiance au gouvernement pour ce qui est de l’interprétation, de la mise en œuvre et du respect des droits? Absolument pas. L’histoire nous a montré que les gouvernements feront tout ce qu’ils peuvent pour s’opposer à chacun de nos efforts, mais ça, c’est la prochaine étape. Nous devons d’abord avoir les outils avec lesquels défendre nos droits de la personne.

Le projet de loi C-15 et la DNUDPA minent-ils nos droits autochtones de quelque façon que ce soit? Je ne crois pas. Les deux documents contiennent des dispositions spécifiques précisant qu’il n’y aura aucune abrogation des droits qui existent déjà ni dérogation à ces droits. Vous n’avez pas besoin d’une autre disposition pour le redire.

Je crois que la première étape est d’adopter le projet de loi C-15 pour nous donner un outil de plus pour combattre notre Goliath — le système canadien responsable du génocide — et ce, même si le projet de loi lui-même n’est pas parfait. Si vous me le donniez, en tant que rédactrice législative, j’y ajouterais une foule d’autres dispositions. J’ajouterais plein d’éclaircissements, y compris à propos de ce qui devrait se passer pendant l’élaboration du plan d’action national. Mais je crois que le plus urgent pour nous présentement est que la déclaration des Nations unies soit intégrée dans le système juridique, les idéologies et l’interprétation judiciaire du Canada. Nous pourrons régler la grande majorité des questions dans le cadre du plan d’action national.

Je crois aussi que le Canada doit montrer l’exemple à l’échelon fédéral. Comment pouvons-nous demander aux provinces de faire une chose si le gouvernement fédéral n’est pas prêt à agir? Je ne veux surtout pas que ce projet de loi soit bloqué au Sénat, comme cela est arrivé au projet de loi C-262, parce qu’il est question ici des droits fondamentaux de la personne : le droit à la vie, le droit de ne pas être tué ou ciblé par des agents de police; le droit de ne pas être exploité sexuellement ou exploité par des agents de police, des agents correctionnels, des travailleurs sociaux et des enseignants. Nous avons le droit de dire « non » à la violence.

Le président : Merci, maître Palmater. Nous allons commencer la période de questions. La première intervenante est la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, qui sera suivie du porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question est pour Me Madden. Je vous suis très reconnaissante de vos commentaires d’aujourd’hui. Beaucoup de chefs ont dit que la DNUDPA était un cadre pour la réconciliation. D’après ce que vous avez dit, il semble qu’il y ait un lien à faire avec ce que vous avez appelé l’approche de la négociation axée sur le consentement.

Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit et comment nous pouvons opérationnaliser cette approche axée sur le consentement? Pouvons-nous l’utiliser pour trouver un terrain d’entente et conclure un accord qui, même s’il n’est pas parfait pour les deux parties, serait tout de même acceptable?

Me Madden : Merci beaucoup de cette question. Je pense que beaucoup de gens se préoccupent de l’épouvantail et que personne ne porte vraiment attention à ce qui fonctionne. Prenons l’exemple de l’office des terres et des eaux des Tlichos. Au total, 50 % des personnes qui sont nommées sont tlichos, et l’autre 50 % sont non autochtones. Les permis délivrés par cet office font l’objet de moins de contrôles judiciaires et de contestations juridiques que tous les autres offices ou ceux au sud du 60e parallèle.

Pourquoi? Parce que les peuples autochtones font partie de l’organe lui-même et participent au processus décisionnel, ce qui veut dire que, essentiellement, ils ont tout aussi intérêt à ce que leur institution soit crédible que leurs proches et voisins non autochtones.

Je pense que la DNUDPA et le CPLCC, vous permettront d’entamer une discussion — sans vouloir nécessairement dire que quiconque a un veto — en disant : « Comment pouvons-nous reconnaître les différents intérêts des gens autour de la table et intégrer dans le processus décisionnel le droit autochtone ou encore l’évaluation environnementale faite par un groupe autochtone pour le projet? »

L’industrie sait comment faire. Il y a une multitude de projets en cours d’un bout à l’autre du pays actuellement où les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont de vrais partenaires dans les projets exécutés sur leurs territoires; ou alors ils sont des participants essentiels de toutes sortes de façons, et ils partagent les richesses de ces terres, ou, dans certains cas, ils ont essentiellement le droit de dire « non ».

Ce que je veux dire, en fait, c’est qu’adopter une perspective différente ou une approche axée sur le consentement n’est pas quelque chose de négatif. Cela donne seulement aux gens la souplesse et l’espace nécessaires pour trouver une solution qui convient à tout le monde.

Je ne crois pas que les gens le sachent, parce que ce qui est montré dans les médias, ce sont toutes les affaires portées devant les tribunaux par des peuples autochtones qui veulent pouvoir dire non. Mais il y a une foule d’exemples de collaboration, de cogestion et de copropriété, et, à dire vrai, c’est grâce à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, et la DNUDPA permettra simplement de renforcer cela davantage.

Le président : Merci.

Le sénateur Patterson : Merci aux témoins. Maître Palmater, bienvenue encore une fois au comité.

Vous avez mentionné, parmi les nombreuses injustices commises à l’encontre des peuples autochtones, celle commise contre les Mi’kmaq. Les deux arrêts Marshall de la Cour suprême établissent que le ministère des Pêches et Océans peut gérer les pêches, et cela comprend l’imposition de restrictions. Nous savons cependant que les Mi’kmaq ont rejeté certaines restrictions, par exemple en ce qui concerne les saisons.

Je ne veux pas prendre parti, mais j’aimerais vous demander ceci : selon vous, le projet de loi C-15 va-t-il forcer le Canada à faire fi des décisions de la Cour suprême?

Me Palmater : Merci de poser la question, parce qu’elle est très importante.

Je pense que le projet de loi C-15 va obliger le Canada à harmoniser toutes ses lois avec la DNUDPA, y compris toutes les mesures de protection des droits de la personne comprises dans la déclaration ou qui y sont liées, comme le droit de gouverner nos territoires, nos ressources et nos peuples en conformité avec nos lois et en partenariat avec les autres ordres de gouvernement lorsque nous parvenons à un règlement négocié.

Le projet de loi va aussi obliger les tribunaux à prendre en considération l’ensemble des protections des droits de la personne dont ils ne tiennent pas compte présentement. L’approche des tribunaux est surtout axée sur les faits et sur les précédents, mais ce n’est pas parce que la common law est fondée sur les précédents qu’elle est juste pour autant. La Constitution est un document vivant, ce qui veut dire qu’elle est censée évoluer au fil du temps et qu’elle changera les lois. Il faut reconnaître que les lois et les valeurs et principes juridiques de tout système juridique — même un système multijuridique —, changent avec le temps.

Imaginez où nous serions présentement si nous avions écouté les craintes des hommes, quand les femmes demandaient d’être leurs égales en droit. Imaginez ce qui serait arrivé si nous avions accepté ces craintes. Ces hommes avaient prédit l’apocalypse si les femmes avaient leur mot à dire quant à ce qu’elles faisaient, le droit de voter et le droit de participer au gouvernement.

Nous sommes dans une situation présentement où nous avons normalisé le racisme, la dépossession et l’oppression non seulement dans les éléments fondamentaux de nos institutions gouvernementales et de nos lois, mais aussi dans la façon dont nous envisageons ce qui est bien ou mal pour notre pays. Comment pouvons-nous avoir une discussion où on se demande si le fait même de reconnaître les droits de la personne les plus élémentaires des peuples autochtones pourrait soulever des problèmes?

Le président : Merci, maître Palmater.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos trois témoins. D’après ce que je comprends, vous voulez tous que ce projet de loi soit adopté. Je suis heureuse de l’entendre.

Ma question s’adresse en particulier à Me Madden. Je ne suis pas avocate, ni une experte de la Constitution, et j’essaie tout simplement de comprendre ce que vous avez dit. J’ai trouvé votre témoignage très utile, mais j’aimerais avoir votre avis sur quelque chose.

Si je comprends bien ce que vous avez dit sur l’article 35, puisque le cadre de la DNUDPA n’est pas appliqué aux lois du Canada, les tribunaux sont devenus des instruments de division, parce que nous avons adopté une approche disparate, différente pour un droit et un autre, sans cadre exhaustif dans lequel regrouper ces droits, et la déclaration va aider à combler ce fossé. Dites-le-moi si j’ai bien compris cette partie.

Pouvez-vous nous dire quelle sera l’incidence sur les tribunaux du Canada, une fois que le projet de loi C-15 sera adopté et que nous verrons comment la déclaration s’applique à chacune des lois du Canada et comment celles-ci devront être modifiées en conséquence? Comment voyez-vous la transition, d’aujourd’hui à ce qui va se passer dans un certain nombre d’années?

Me Madden : C’est une excellente question. Oui, c’est exactement ce que je disais. Je crois que les tribunaux, malgré eux, alimentent la division, et qu’ils font partie du problème. Je crois que le problème, comme je l’ai décrit en citant la Commission royale sur les peuples autochtones, est qu’ils doivent répondre à la question qui leur est posée en fonction des faits dont ils sont saisis. Les tribunaux disent souvent : « Nous répondons seulement à cette question-ci. »

Le problème, pour les peuples autochtones, c’est que, quand ils se rendent devant les tribunaux pour obtenir justice, ils veulent une décision beaucoup plus large; même si nous remportons une cause, nous perdrons la guerre parce que les politiques gouvernementales seront mises en œuvre ou interprétées de façon très restrictive, selon la jurisprudence. Pour une raison ou une autre, nous croyons que les tribunaux ont toutes les réponses, mais ce n’est pas le cas. Ce sont les gouvernements autochtones, le gouvernement canadien et les gouvernements provinciaux et territoriaux qui ont les réponses, quand ils négocient et respectent leur souveraineté commune, leurs compétences et les lois de chacun.

Les contestations relatives à la conception de l’article 35 étaient censées faire l’objet de négociations dans le cadre d’une vaste discussion — semblable à celle qui a débouché sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — il y a longtemps, après 1982, mais cela n’a jamais eu lieu, et les peuples autochtones ont mis beaucoup de temps et d’énergie pour définir et établir les éléments minimaux de la déclaration. En résumé, c’est essentiellement ce que nous donne la déclaration.

Une autre chose que je voulais dire est que cela va aider les politiques gouvernementales, qui sont toutes aussi importantes que les lois...

Le président : Merci, maître Madden, mais le temps est écoulé.

Le sénateur Francis : Merci. Certains d’entre vous ont déjà abordé le sujet, mais je voulais vous donner l’occasion d’en dire plus, si vous le voulez.

Diriez-vous que l’interprétation donnée par la Cour suprême du Canada du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle n’a pas réussi à redéfinir la relation coloniale entre les peuples autochtones et le Canada, en particulier parce qu’elle n’a pas compris les droits des peuples autochtones dans le contexte de leurs propres traditions juridiques?

Dans l’affirmative, le cadre proposé dans ce projet de loi permettra-t-il d’harmoniser les lois et politiques canadiennes avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, afin de combler cet écart? Quelle incidence cela pourrait-il avoir sur l’interprétation des droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution?

Je crois que je vais demander à ma sœur mi’kmaq, Me Palmater, de répondre en premier.

Me Palmater : Wela’lin. C’est une question très importante. Non seulement l’article 35 n’a pas permis de redéfinir la relation, il a même renforcé la relation déséquilibrée et oppressive qui existe dans tous les litiges qui y sont liés, où, même quand on vous accorde la victoire, il y a toujours des facteurs restrictifs. Il y a toujours cette présomption de souveraineté, cette présomption de contrôle et cette présomption de primauté, et c’est bien le problème.

Je crois que la vraie question serait : est-ce que le Canada fonctionne, présentement? Vous ne pouvez pas dire « oui », parce que nous vivons un génocide actuellement. Le Canada est l’auteur d’un génocide. Donc, il faut considérer l’ensemble des modifications qui ont été progressivement apportées à toutes ces diverses lois et politiques, et tous les litiges relatifs à l’article 35, et se demander : « Est-ce que cela nous a aidés à mettre un terme au génocide? »

La vérité est que, comme le montrent de nombreux indicateurs socioéconomiques, comme le taux d’incarcération, les assassinats et les disparitions et les enfants en famille d’accueil, la situation continue de se détériorer. Nous avons donc besoin de quelque chose qui va redéfinir la relation.

Prenez la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Même si certaines personnes ont des craintes, la déclaration ne fait que protéger les normes les plus minimales en matière de droits de la personne pour assurer la santé, la sécurité, le bien-être et la dignité des peuples autochtones; des choses qui, comme Mme Gunn l’a dit, font déjà partie d’une foule d’autres déclarations et traités qui lient le Canada. Alors, il n’y a pas de crainte à avoir. Nous devrions nous réjouir de la protection de la vie humaine, de l’autodétermination et de la paix et de la stabilité dans ces territoires et travailler ensemble, comme cela a été prévu dans les traités originaux... même si ce n’est pas ce qui est arrivé.

Le sénateur Francis : Merci, maître Palmater. D’autres témoins veulent-ils répondre?

Me Madden : J’aimerais revenir sur un commentaire de la sénatrice Coyle. Le plus important est le besoin d’harmoniser les politiques gouvernementales. Les politiques internes du gouvernement sont tout aussi destructrices que les lois externes.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse à Me Madden. Quel effet aura l’adoption du projet de loi sur les nations métisses du Canada? Aussi, beaucoup de personnes ont décrit ce projet de loi comme étant un premier pas, et non un aboutissement. Quelles prochaines mesures aimeriez-vous que le Canada prenne après l’adoption du projet de loi C-15 pour renforcer encore plus la relation entre les nations métisses et le gouvernement du Canada?

Me Madden : C’est une excellente chose pour les Métis, les Premières Nations et pour les Inuits. Je crois que le projet de loi est quelque chose dont nous avons absolument besoin présentement. En continuant de tergiverser ainsi, on ne fait que retarder l’harmonisation des lois et politiques canadiennes avec la DNUDPA.

Ce que j’ai essayé de dire plusieurs fois, c’est que, d’après mon expérience de la science occulte des négociations avec le ministère des Relations Couronne-Autochtones, ce ne sont pas les lois ni les décisions de la Cour suprême du Canada qui nous défavorisent; ce sont plutôt les politiques internes du gouvernement qui le font, celles que doivent suivre les bureaucrates avec qui nous négocions et qui sont encore fondées sur la doctrine de la découverte et sur le déni plutôt que sur la reconnaissance des autres lois et compétences, et c’est ce problème que nous devons régler.

Essentiellement, les bureaucrates cherchent une réponse dans les décisions de la Cour suprême du Canada. Mais, comme je l’ai dit plus tôt, cela est inévitablement voué à l’échec, parce que les tribunaux ne font qu’examiner une question précise, ils ne se prononcent pas sur les questions générales, contrairement à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La DNUDPA sera un outil qui permettra à la nation métisse de réaliser l’autonomie gouvernementale et aux gouvernements qui la représentent d’enfin se tailler une place au sein de la Confédération et d’avoir une relation de nation à nation ou de gouvernement à gouvernement. C’est l’objectif clé de la déclaration, et c’est pourquoi ceux qui participent aux négociations ou qui représentent nos clients dans ces affaires sont si nombreux à demander cet outil. Nous avons déjà essayé, mais le fait est, essentiellement, que l’harmonisation des politiques internes du gouvernement ne peut pas se résumer à l’application du cadre rigide des décisions judiciaires; il faut quelque chose pour combler l’écart entre les décisions, et c’est pourquoi, pour parler franchement, c’est la partie la plus importante des négociations et des accords que nous avons conclus.

Même si les traités modernes sont volumineux et exhaustifs, il y a toutes sortes d’écarts à l’intérieur de ceux-ci, et c’est pourquoi nous voulons pouvoir nous appuyer sur la déclaration pour dire : voilà les normes minimales, et c’est ce qui devrait orienter la façon dont ces accords sont interprétés.

Le projet de loi C-15 est important et immense, et il doit être adopté. Je sais que les chefs de la nation métisse sont du même avis. Le temps est venu, parce que je crois que plus nous attendrons, plus il y aura de droits qui seront bafoués. Nous savons que le système actuel ne fonctionne pas; donc, pourquoi attendre davantage, alors qu’il existe un outil auquel nous aspirons tous? Les aspirations n’ont pas à être inatteignables. Il faut simplement du temps pour les atteindre.

La sénatrice Pate : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à Me Palmater. J’ai écouté il n’y a pas si longtemps un balado où vous discutiez du projet de loi C-15 avec Mme Ellen Gabriel, et vous disiez que la déclaration des Nations unies sortait du cadre de la Loi sur les Indiens et de l’article 35 de la Charte. Selon vous, le but du projet de loi C-15 est-il de changer la loi, et quelle incidence cela aura-t-il sur le génocide dont vous avez parlé plus tôt et lors du balado?

Me Palmater : Merci de la question. C’est ce pourquoi nous sommes ici. Nous essayons de changer la loi et toutes les politiques et tous les règlements qui sont liés à ces lois et ces politiques, tous les systèmes économiques et de gouvernement et la façon dont les systèmes fonctionnent. C’est exactement pourquoi nous sommes ici.

S’il n’y a aucune intention de modifier la loi, alors ce qu’on fait ici équivaut à, disons, une tape politique dans le dos — « oui, oui, vous avez les droits de la personne, seulement pas ici » —, et nous ne devrions même pas avoir cette discussion. Mais le fait est que nous sommes ici maintenant et que nous discutons, et cela devrait nous faire prendre conscience du fait que les gens qui défendent la soi-disant jurisprudence défendent en réalité les injustices ancrées dans le système, les violations des droits de la personne, des droits issus de traités et des droits ancestraux... J’irais jusqu’à dire du droit à la vie et à la sécurité. Il est question ici d’un système favorisant l’injustice, le racisme et le génocide.

Mais la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones offre quelque chose de différent. La DNUDPA dit que, si notre relation est fondée à tout le moins sur les droits de la personne élémentaires, des droits dont jouissent, en passant, la plupart des gens, et si les peuples autochtones peuvent avoir ces droits de la personne élémentaires, alors nous pourrons avancer en collaboration, sans craindre que, si nous ne sommes pas d’accord, pendant une négociation, on va envoyer la GRC et l’armée contre nous et nous mettre en prison. Ce n’est pas ce que j’appelle une négociation.

Nous devons être conscients du fait que la réconciliation ne sera pas facile. Des gens vont perdre le pouvoir, les privilèges et les richesses qu’ils ont acquis en raison de notre dépossession continue, parce que nous voulons redéfinir la relation dans l’esprit des traités, où chacun trouve sa place, chacun prospère et chacun reconnaît les droits de l’autre.

Donc, effectivement, le projet de loi devrait changer le droit de manière fondamentale et concrète, peu importe ce que les représentants du gouvernement fédéral ont à dire. C’est son seul but. L’article 35 n’a pas permis de faire cela, et à dire vrai, il y a beaucoup de litiges problématiques relatifs à l’article 35 qui doivent être réexaminés. Mais comment pouvons-nous possiblement réexaminer ces litiges s’il n’y a rien de fondamental comme la DNUDPA pour établir que les droits de la personne représentent le strict minimum?

La sénatrice Pate : Merci.

Le sénateur MacDonald : Ma question est pour le chef Smith. J’ai lu le mémoire que les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik ont soumis au comité de la Chambre des communes, et j’ai noté que vous demandiez un délai plus raisonnable pour élaborer et peaufiner un plan d’action. Il était écrit que la Chambre a raccourci le délai, qui est passé de trois à deux ans. Vous avez demandé au gouvernement d’intégrer les [Difficultés techniques] appropriés avec les titulaires de droit. On nous a dit vendredi que le grand chef Abram de l’Association des Iroquois et des Indiens unis pouvait jurer qu’aucun titulaire de droit en Ontario n’avait été consulté.

Vous avez aussi dit, entretemps, que le projet de loi C-15 s’appliquait selon vous au gouvernement du Yukon; cependant, les ministres et les représentants du gouvernement ont clairement dit que le projet de loi s’appliquait seulement à la compétence et aux lois fédérales.

De mon point de vue, aucune de vos préoccupations n’est dissipée par les amendements de la Chambre. Ai-je bien compris votre position? Êtes-vous satisfait du projet de loi sous sa forme actuelle? Merci.

Me Alexa McClaren, avocate et conseillère juridique, Premières Nations de Champagne et d’Aishihik : Bonjour. Je suis ici pour aider le chef Smith et pour répondre à la question que vous venez de poser.

Je suis conseillère juridique auprès des Premières Nations de Champagne et d’Aishihik, et j’ai contribué à la rédaction du mémoire.

D’après ce que je sais, la position des Premières Nations de Champagne et d’Aishihik est qu’elles soutiennent l’adoption du projet de loi sous sa forme actuelle. Je crois, comme Me Palmater l’a dit dans ses commentaires, qu’il est important que ce projet de loi soit adopté. Est-ce que des modifications seraient souhaitables? Oui, et c’est ce que proposaient les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik à propos, par exemple, du renforcement de la clause de non-dérogation. Malgré tout, la priorité est réellement d’adopter ce projet de loi, puis de l’utiliser comme tremplin pour atteindre les buts.

Pour ce qui est de l’application du projet de loi au gouvernement du Yukon et aux autres gouvernements territoriaux et provinciaux, comme le chef Smith l’a dit, les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik considèrent qu’il est primordial que ce projet de loi s’applique au gouvernement du Yukon.

C’est le genre de choses qui ont fait l’objet de litiges récemment au Yukon. Par exemple, la Cour du Yukon soutient présentement que les lois et même les constitutions des Premières Nations ont été possibles parce qu’on leur a délégué des pouvoirs. Il n’est pas approprié que le gouvernement du Yukon avance ce genre d’arguments. C’est le genre de choses que l’on voit encore et encore, et souvent, on passe beaucoup de temps...

Le président : Je suis désolé, maître McClaren, mais le temps est écoulé.

La sénatrice Hartling : Merci aux témoins d’être parmi nous aujourd’hui. J’apprends beaucoup de nouvelles choses aujourd’hui. J’ai une question pour Me Palmater et pour Me Madden.

Je vis sur le territoire non cédé des Mi’kmaq, ici, au Nouveau-Brunswick. Il y a quelques exemples qui me viennent à l’esprit, et je me demandais si le projet de loi C-15 allait avoir une incidence de ce côté-là. Je pense entre autres à ce qui s’est passé avec la fracturation à Elsipogtog il y a quelques années. Il y a eu une contestation, et il a fallu beaucoup de temps pour que la question soit réglée. Cela a été une dure épreuve. Si le projet de loi C-15 était adopté et que cela se reproduisait à nouveau, qu’arriverait-il?

Mon autre question concerne la Nouvelle-Écosse et les pêcheries. On en parle presque chaque soir aux nouvelles, et j’ai l’impression que les gens vivent beaucoup de stress, parce qu’ils doivent faire reconnaître leurs droits. Si le projet de loi C-15 était adopté, quel impact cela aurait-il sur le peuple mi’kmaq, et en quoi les résultats seraient-ils différents pour eux?

Me Palmater : Merci de la question.

Je suis moi-même des Maritimes, alors je réponds avec plaisir à toute question venant du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse. Nous savons tous que, si le projet de loi C-15 était adopté demain, cela ne ferait pas une loi de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il n’est pas écrit dans ce document « le présent document est une loi ». Nous savons qu’il y a des problèmes, et qu’il y a des différends et des débats quant aux compétences fédérales et provinciales.

Cela dit, par rapport à la communauté juridique et aux systèmes juridiques relatifs aux droits internationaux de la personne, l’obligation incombe au Canada. La façon dont le Canada s’organise à l’interne, c’est-à-dire à l’échelon fédéral ou provincial, a peu d’importance. La loi, c’est la loi. Une fois que le Canada s’engagera à respecter les droits internationaux de la personne, il lui incombera de donner suite à cette obligation.

Même s’il s’agit d’une loi fédérale, elle enverra un message clair à toutes les cours du Canada, et ce, même si les provinces ne l’ont pas elles-mêmes appliquée, selon lequel il s’agit des normes minimales en matière de droits de la personne. Ce serait assez difficile pour une province comme le Nouveau-Brunswick de dire « oui, mais au Nouveau-Brunswick, nous ne respectons pas les droits de la personne des Autochtones », si le projet de loi C-15 et la déclaration des Nations unies étaient appliqués à l’échelon fédéral. Cela ne passerait pas.

Je crois que les provinces et territoires devraient tous adopter des lois similaires, mais dans le cas contraire, cela ne pose pas de problème. Seulement, cela aiderait notre position, en particulier au Nouveau-Brunswick où les choses ne bougent pas, et à d’autres endroits comme la Nouvelle-Écosse.

Me Madden : J’ajouterais que la DNUDPA a aussi pour effet de rouvrir la Constitution et de reconnaître que les peuples autochtones ont droit à une présence dans l’espace constitutionnel.

Le Canada est fondé sur un mythe, et cela de toutes sortes de façons, comme ces deux solitudes qui n’ont jamais existé et l’idée que les peuples autochtones sont des partenaires égaux dans la Confédération, en tant que gouvernements relevant des articles 91 et 92. C’est quelque chose qui n’a jamais eu lieu dans le passé.

Même si chacun dit qu’il rejette la doctrine de la découverte, personne ne reconnaît qu’il y avait déjà des lois sur ces terres et qu’elles ont été écartées, foulées au pied et éliminées par les gouvernements relevant des articles 91 et 92 ou la Constitution de 1867 avec laquelle les peuples autochtones n’avaient rien à voir.

Ce que nous avons fait, grâce aux traités modernes et à la jurisprudence, à divers moments de notre histoire, c’est créer ces espaces. L’un de nos clients, la réserve Listuguj, a récemment signé un accord avec le Québec à propos des pêcheries, mais cet accord était fondé sur les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, sans plus...

Le président : Encore une fois, le temps est écoulé, maître Madden.

Le sénateur Tannas : Premièrement, j’aimerais remercier les témoins et en particulier Me Palmater. Vos témoignages sont toujours comme une décharge électrique; ils sont empreints d’urgence. Beaucoup de sénateurs et moi-même le remarquons, et nous vous en sommes reconnaissants. Merci.

Je crois que les 95 % de la population qui ne sont pas Autochtones qui ont pris le temps de lire la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones seraient prêts à accepter 95 % de ce qui est dit.

Je crois que la raison pour laquelle il y a toujours une réticence à propos du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est que c’est seulement sur cet aspect que les gens trouvent des défauts. Personnellement, je n’en vois aucun et, comme Me Madden l’a dit, c’est un document impressionnant et rempli de principes.

Il y a cependant deux choses qui m’inquiètent, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et les territoires. Qu’est-ce qu’un territoire? Par rapport au CPLCC, ce qui me préoccupe, c’est le consentement, même si j’accepte entièrement la notion du consentement qui ne constitue pas un droit de veto. Je suis tout à fait d’accord là-dessus.

M. Harold Calla, que nous entendrons s’exprimer plus tard, a formulé des commentaires très réfléchis à ce sujet. La question de savoir qui donne son consentement est délicate pour un entrepreneur qui a investi du capital quelque part, qui crée de la valeur et des emplois, et qui peut choisir entre s’installer ici, avec des règles clairement définies, ou là avec des règles floues. Ma grand-mère a dit quelque chose à l’une de ses filles qui voulait se marier à un homme sans avenir, mais qui avait une belle apparence : « Au moins, quand il n’y aura rien à manger, tu pourras toujours l’admirer. » La façon dont on définit le CPLCC et les territoires me préoccupe. Notre ministre nous a dit que cela allait être fait dans les deux prochaines années. Est-ce possible? Pouvez-vous répondre rapidement? J’ai pris tout le temps que j’avais.

Me Palmater : Merci beaucoup de vos commentaires. Merci de ce que vous avez dit.

Voici ce que j’ai à dire, à propos du CPLCC, en ce qui a trait au consentement. S’il est question du consentement d’une femme dans un contexte de relations intimes, oui veut dire oui, et non veut dire non. S’il s’agit d’un consentement médical, oui veut dire oui et non veut dire non. S’il s’agit du consentement parental, même pour quelque chose d’aussi anodin qu’un voyage scolaire, oui veut dire oui et non veut dire non. Pourquoi y a-t-il donc cette notion affaiblie du consentement et cette crainte, mais seulement pour les peuples autochtones? Le reste du monde a ce droit au consentement. Merci beaucoup.

Le président : Nous allons passer au deuxième tour, en commençant par la sénatrice LaBoucane-Benson, la marraine du projet de loi.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je n’ai pas d’autres questions pour ce groupe de témoins. Je vais laisser à mes collègues la chance de poser d’autres questions. Merci.

Le sénateur Patterson : Maître Palmater, vous êtes optimiste en ce qui concerne les impacts du projet de loi C-15, mais vous avez aussi critiqué le niveau d’engagement du gouvernement en ce qui concerne la mise en œuvre de toutes sortes de projets de loi, y compris le projet de loi C-91 — nous attendons toujours un commissaire aux langues, plus de deux ans plus tard —; le projet de loi C-92, et je n’ai pas à vous rappeler les contestations qui en ont découlé; et, bien sûr, le projet de loi S-3, dont vous connaissez bien les lacunes relativement à la mise en œuvre de l’égalité entre les sexes.

On dit que le processus de rédaction et de mise en œuvre du plan d’action sera compliqué. Craignez-vous que la même chose se produise avec ce projet de loi-ci, et si oui, y a-t-il des mesures que nous pourrions prendre par rapport à la mise en œuvre pour qu’il y ait plus de reddition de comptes?

Me Palmater : Merci de la question. Comme tout le monde le sait, j’ai toujours relevé d’importants problèmes dans les lois du gouvernement fédéral sur lesquelles j’ai témoigné, et la plupart du temps, j’étais opposée à ces lois, sous réserve d’importants amendements; alors c’est assez remarquable que je sois ici en faveur du projet de loi C-15. L’objectif fondamental est d’intégrer la DNUDPA et les droits fondamentaux de la personne aux lois du pays. Et, effectivement, je crois évidemment que le Canada va finir par s’y opposer, que ce soit un autre gouvernement ou le gouvernement actuel. Le processus va-t-il être retardé? Les gouvernements vont-ils proposer leurs propres interprétations? D’accord, ils ont déjà un document d’information là-dessus, où ils s’avancent sur ce que cela veut dire ou ne veut pas dire, et ce, avant même le début des négociations. Malgré tout, cela n’enlève rien à l’outil en lui-même. C’est un outil qui permet de faire avancer les choses. C’est un outil pour aller de l’avant. C’est un levier juridique et politique.

Compte tenu de l’important déséquilibre de la situation des peuples autochtones, qui sont soumis à un génocide permanent, nous essayons de pousser le Canada, et n’importe quel outil sera incroyablement efficace. Nous en avons absolument besoin. Le seul but du plan d’action national est de définir tous ces processus et de comprendre comment nous voulons faire les choses. Peut-être que nous allons vouloir faire les choses différemment. Peut-être que les Inuits vont vouloir une commission. Différentes Premières Nations vont peut-être vouloir autre chose.

C’est l’objectif global : reconnaître indépendamment nos droits de la personne à ce chapitre et ne pas retenir contre nous le fait que la colonisation nous a divisés en 634 Premières Nations au Canada. Ce n’est pas nous qui avons fait cela. Le Canada ne peut pas nous dire maintenant : « Oh, c’est trop dur de parler à vous tous », parce que c’est vous qui avez créé cela, pas nous. Nous avons déjà 634 Premières Nations avec tous leurs codes d’appartenance à la bande, leurs codes électoraux et leurs règlements administratifs. Nous avons déjà ce système, alors vous ne pouvez pas dire que ce sera trop complexe de commencer à reconnaître leurs propres lois. Nous les avons déjà. Nous voulons simplement que les lois de nos nations soient reconnues, ce qui serait, en fait, beaucoup plus simple.

La sénatrice Coyle : Ma question s’adresse à Me Madden, pour creuser un peu plus ce que disait le sénateur Tannas.

Bien des gens sont préoccupés et craintifs par rapport à ce projet de loi et pensent qu’il pourrait décourager l’investissement dans les projets d’exploitation des ressources du Canada ou d’autres projets d’entreprise. Que devrait-on dire en réaction à ce message?

Me Madden : Excellente question. Je lutterais contre ce message en disant de regarder ce qui se fait déjà, parce que vous avez forcé les peuples autochtones à s’engager dans des processus qui ne tiennent pas compte de leurs lois, de leurs droits ou de leur consentement. Qu’on parle du projet Northern Gateway ou du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain, ne croyez-vous pas que cela montre déjà que quelque chose ne fonctionne pas? Il y a aussi au pays des exemples de choses qui fonctionnent, et ces processus sont fondés sur le principe du CPLCC d’abord.

C’est quelque chose qui me pose problème. C’est comme si vous criez au feu, et qu’il y a à un certain endroit des outils pour éteindre l’incendie, mais qu’on ne peut y aller qu’en adoptant un angle précis. Cela fait 150 ans que les gouvernements disent qu’ils ont raison par rapport aux relations avec les peuples autochtones. La DNUDPA permet d’avoir une relation de partenariat ou de nation à nation, d’entretenir un dialogue de gouvernement à gouvernement.

Les choses ne peuvent pas être pires. À dire vrai, nous savons pertinemment que, lorsqu’il y a un regroupement à l’échelle nationale ou une association de collectivités autochtones, cela donne d’énormes possibilités d’accroître l’investissement au Canada et de stabiliser davantage le climat d’investissement. Nous sommes déjà à l’étape où les tribunaux jouent constamment le rôle d’arbitre. Nous savons que, quand il y a de la cogestion et des décisions communes, les décisions juridiques et les litiges dans ces secteurs diminuent. Nous avons des statistiques à ce sujet pour comparer les offices des terres et des eaux au nord et au sud du 60e parallèle.

C’est parce qu’il y a un régime différent, plutôt qu’un régime de dénégation qui relègue les peuples autochtones au rôle de spectateurs de ce qui se fait sur leur territoire. Ils sont invités à collaborer dès le début du processus avec les promoteurs ou les institutions elles-mêmes, ce qui donne un processus décisionnel cohérent.

Les peuples autochtones ne vont aller nulle part. C’est une chose qui me pose toujours problème, avec les gouvernements. Il faut avancer, pas viser la perfection. Vous ne pouvez pas faire pire. Le fait est que cela va vraiment faire bouger les choses, et c’est ce dont nous avons besoin maintenant, pas dans deux ou trois ans.

Le président : Merci, maître Madden.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse au chef Steve Smith. Vous avez parlé d’un amendement aux traités modernes. Pouvez-vous nous en dire davantage sur vos préoccupations concernant le projet de loi et son incidence sur les traités modernes? Est-ce que votre préoccupation quant à la possibilité que les provinces ou les territoires choisissent de se retirer découle directement de vos expériences passées des négociations ou de la mise en œuvre des traités modernes qui ont été négociés? Aussi, craignez-vous que cela puisse arriver avec ce projet de loi?

Me McClaren : Je vais encore une fois répondre pour le chef Smith. Si nous sommes préoccupés à l’idée que le projet de loi ne s’appliquera pas au Yukon, c’est effectivement parce qu’il y a eu des complications pendant la mise en œuvre. Clairement, comme je le disais plus tôt, il y a eu des litiges devant les tribunaux concernant l’interprétation des accords, par exemple l’affaire de la Première Nation des Nacho Nyak Dun, où il y avait un processus en place, conformément au chapitre 11 de l’accord, pour décider d’un plan d’aménagement du territoire de la rivière Peel. Le gouvernement du Yukon a essayé de revenir en arrière. Toutes les années de planification ont plus ou moins été mises de côté. La cour a reconnu les processus et les a renvoyés à une étape antérieure, une bonne chose.

Vous pouvez donc constater que, souvent, quand on essaie de mettre en œuvre des accords définitifs et des accords d’autonomie gouvernementale, le Yukon va tout de même contester et essayer d’interpréter de façon restrictive les droits issus des traités, en particulier lorsqu’il s’agit d’accords d’autonomie gouvernementale.

Je crois que la première partie de votre question portait sur la préoccupation à l’égard des droits existants issus de traités. La réponse est qu’il faut simplement veiller à ce que tous les droits issus de traités qui sont déjà dans les accords y restent; ils existent. Les traités modernes sont différents des traités ancestraux. Les Premières Nations sont plus avancées en ce qui concerne l’adoption de leurs propres lois dans le cadre des accords d’autonomie gouvernementale que peut-être partout ailleurs au Canada, et, même si cela ne concerne pas toutes les Premières Nations, il y a un certain élan au Yukon, grâce aux accords définitifs et aux accords d’autonomie gouvernementale. Il faut donc être certains que la DNUDPA contribue à l’interprétation des accords existants et qu’elle ne les minera d’aucune façon.

Je ne sais pas si j’ai bien répondu à votre question.

Le président : Merci, maître McClaren.

Je suis désolé, sénatrice Pate, mais nous n’avons plus de temps.

Je tiens à remercier nos témoins de cet après-midi, le chef Smith et Me Alexa McClaren. Je remercie aussi Me Madden et Me Palmater. Merci d’avoir témoigné.

(La séance est levée.)

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