LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 9 juin 2021
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 12 heures (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité. Aujourd’hui, nous tenons une séance virtuelle du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qu’ils sont priés de garder leur micro éteint en tout temps, à moins que le président leur donne la parole. J’aimerais rappeler aux sénateurs de bien vouloir utiliser la fonction « lever la main » pour demander la parole. Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui veulent poser une question de le faire, mais, pour y arriver, je vous demande d’être brefs dans vos questions et vos préambules. Nous accorderons six minutes par sénateur pour la question et la réponse. La greffière signalera que le temps de parole est écoulé en levant sa main à l’écran.
Si un problème technique survient, particulièrement en ce qui a trait à l’interprétation, veuillez m’en faire part ou en faire part à la greffière, pour que nous puissions le régler rapidement.
J’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; Douglas Black, de l’Alberta; Claude Carignan, du Québec; Brent Cotter, de la Saskatchewan; Jean-Guy Dagenais, du Québec; Rosa Galvez, du Québec; Mary Jane McCallum, du Manitoba; Julie Miville-Dechêne, du Québec; Dennis Glen Patterson, du Nunavut; Paula Simons, de l’Alberta.
Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude préliminaire du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.
Ce matin, pour notre premier groupe de témoins, nous avons l’honneur d’accueillir le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, l’honorable Jonathan Wilkinson.
Monsieur le ministre, bienvenue au comité. Vous êtes accompagné de M. John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement, de M. Douglas Nevison, sous-ministre adjoint, Direction générale des changements climatiques, et de M. Samuel Millar, directeur général, Finances intégrées, ressources naturelles et environnement, Développement économique et finances intégrées.
Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation.
Monsieur le ministre Wilkinson, vous avez la parole.
[Traduction]
L’honorable Jonathan Wilkinson, c.p., député, ministre de l’Environnement et du Changement climatique : Je vous remercie de m’avoir invité à discuter du projet de loi C-12, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Je tiens tout d’abord à remercier les sénateurs d’avoir entrepris une étude préliminaire de ce projet de loi pendant qu’il est à l’étude à la Chambre des communes.
[Français]
La plus haute priorité de notre gouvernement demeure la santé et le bien-être des Canadiennes et des Canadiens. C’est pourquoi nous prenons des mesures sans précédent pour lutter contre l’urgence sanitaire que représente la COVID-19. Les Canadiens se font vacciner en très grand nombre, et nous allons passer au travers de cette pandémie. Toutefois, il y a une autre menace mondiale qui plane, soit celle des changements climatiques. Les Canadiennes et les Canadiens s’attendent à ce que nous ayons un plan réfléchi pour contrer la crise climatique.
[Traduction]
Plus de 120 pays se sont déjà engagés à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, y compris notre plus important partenaire commercial au sud de la frontière. Une transition mondiale est en cours.
La veille du dépôt du projet de loi C-12 à la Chambre des Communes, Tiff Maklem, l’actuel gouverneur de la Banque du Canada, a déclaré : « [...] nous devons donner au Canada les moyens de tirer parti des opportunités liées au climat que recherchent les consommateurs, les travailleurs et les investisseurs. »
Les projets et les technologies à faibles émissions de carbone et résilients au climat ne sont pas seulement bons pour la planète; ils sont bons pour les affaires. Les grandes entreprises canadiennes, comme Cenovus, Teck Resources Limited, MEG Energy, Canadian Natural Resources Limited, Enbridge, Suncor et l’Association canadienne des producteurs d’acier, le reconnaissent et se sont déjà engagées à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Et je tiens à souligner l’annonce faite ce matin par la Oil Sands Producers Alliance à cet égard, un engagement à l’égard de 2050.
Bonifier notre action climatique, alors que nous rebâtissons l’économie canadienne après la pandémie, est tout simplement la chose intelligente à faire. Cela nous permettra d’en sortir plus forts, mieux préparés et plus compétitifs dans un monde à faibles émissions en carbone.
Comme vous le savez, la Chambre des communes étudie un certain nombre d’amendements qui renforceront davantage le projet de loi C-12. Le gouvernement a travaillé en collaboration avec les députés et a annoncé qu’il appuierait un certain nombre de ces amendements, qui ont l’appui d’une majorité de députés. C’est de cette version projetée du projet de loi dont je parlerai aujourd’hui.
[Français]
J’attends avec impatience les travaux du Sénat liés à l’étude du projet de loi C-12. Je continue de privilégier une approche de coopération et de collaboration, et je souhaite recevoir des commentaires sur le projet de loi en ce qui concerne son contenu et sa mise en œuvre.
[Traduction]
Le projet de loi C-12 codifie l’engagement du gouvernement pour que le Canada atteigne la carboneutralité d’ici 2050 grâce à la fixation de cibles nationales de réduction des émissions de gaz à effet de serre établies tous les cinq ans à compter de 2030. Il crée également un régime détaillé de responsabilisation et de transparence pour s’assurer que nous planifions, faisons rapport et apportons des corrections, méthodiquement, sur notre chemin vers l’objectif de la carboneutralité.
La première cible, pour l’année jalon de 2030, sera notre objectif en vertu de l’Accord de Paris. Récemment, nous avons annoncé que cette cible est une réduction de 40 à 45 % des émissions de GES par rapport aux niveaux de 2005. Cette cible sera incorporée par renvoi dès l’entrée en vigueur de la loi. Les cibles subséquentes seront établies par le ministre de l’Environnement 10 ans avant l’année jalon concernée.
Pour établir les cibles, le projet de loi exigera que le ministre tienne compte des meilleures données scientifiques disponibles, des engagements internationaux du Canada par rapport aux changements climatiques, des connaissances autochtones et des observations présentées par le Groupe consultatif pour la carboneutralité. Dans l’année suivant l’établissement de la cible pour 2035, et de même pour les cibles subséquentes, le ministre devra publier une description de haut niveau des principales mesures de réduction des gaz à effet de serre que le gouvernement a l’intention de prendre pour atteindre la cible. Cela vise à s’assurer que la planification commence immédiatement et est mise à jour continuellement.
Le premier plan de réduction des émissions devrait être déposé dans les six mois après l’entrée en vigueur de la loi.
Le projet de loi C-12 exige également que le ministre de l’Environnement élabore chaque plan dans le but ultime d’atteindre la carboneutralité pour 2050. Le ministre devra tenir compte de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et des conseils fournis par le Groupe consultatif pour la carboneutralité lorsqu’il établira un plan.
Le projet de loi C-12 comprend également des obligations supplémentaires pour le ministre de l’Environnement relativement à l’imputabilité avant 2030 : c’est-à-dire un objectif provisoire d’émissions de gaz à effet de serre pour 2026. Le plan comprendra des mesures pour atteindre cet objectif de 2026 alors que nous travaillons à maintenir le Canada sur la bonne voie pour atteindre notre cible de 2030. Dans le contexte de la loi, une cible exige son propre plan de réduction des émissions. L’objectif provisoire est un objectif à mi-chemin entre le dépôt du premier plan de réduction des émissions et l’année jalon de 2030.
[Français]
Les rapports d’évaluation, quant à eux, expliqueront si la cible la plus récente a été atteinte. Si le Canada n’atteint pas une cible, le ministre doit expliquer pourquoi et inclure une description des mesures que le gouvernement compte prendre pour atteindre la cible non atteinte.
En plus de la responsabilité du gouvernement par le biais de l’établissement de cibles et par la participation à un processus ouvert et consultatif, le projet de loi C-12 comprend des mesures précises permettant aux tiers de demander des comptes au gouvernement. Le commissaire à l’environnement et au développement durable du Bureau du vérificateur général doit examiner régulièrement la mise en œuvre des mesures d’atténuation des changements climatiques par le gouvernement, y compris celles qui sont prises pour atteindre chaque cible, et en faire rapport.
[Traduction]
Le projet de loi établit le Groupe consultatif pour la carboneutralité, pouvant être composé d’un maximum de 15 membres. Le groupe fournira des conseils indépendants au ministre sur la façon d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, y compris des conseils sur les cibles et les plans de réduction des émissions. Il doit fournir un rapport annuel au ministre; et le ministre, à son tour, doit publier leurs conseils et y répondre publiquement dans les délais prescrits. Le ministre sera également tenu de veiller à ce que le groupe consultatif possède, dans son ensemble, une expertise ou une connaissance de la science des changements climatiques, des connaissances autochtones, des sciences physiques et sociales pertinentes, des changements climatiques et des politiques sur les changements climatiques, de l’offre et de la demande d’énergie et des technologies pertinentes. Comme vous le savez, il existe déjà un groupe consultatif pour la carboneutralité ministériel, et nous avons l’intention de procéder à une transition vers le groupe consultatif nommé par le gouverneur en conseil.
[Français]
L’année 2030 approche à grands pas, alors que nous travaillons à atteindre les objectifs fixés conformément à l’Accord de Paris. Le premier ministre reconnaît l’impératif scientifique d’une action rapide et ambitieuse afin de décarboniser, et de nous donner les meilleures chances de réduire le réchauffement climatique. En avril, le premier ministre Trudeau a annoncé un nouvel objectif de réduction de 40 à 45 % des émissions de gaz à effet de serre pour 2030 lors du Sommet des dirigeants sur le climat. Les mesures annoncées dans le budget de 2021, ainsi que les travaux en cours avec nos collègues américains sur des questions comme le transport et le méthane, nous aideront à atteindre cet objectif.
[Traduction]
En légiférant nos obligations relatives au climat, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité fera en sorte que les gouvernements soient responsables et transparents sur leurs mesures de lutte contre les changements climatiques. Le projet de loi C-12 obligera tous les gouvernements futurs à déposer des plans climatiques solides, fondés sur des données scientifiques, pour faire face à la menace des changements climatiques.
Les Canadiens comptent sur nous. J’attends avec impatience la discussion vigoureuse sur le projet de loi C-12 au Sénat. J’espère que nous serons en mesure de travailler ensemble pour faire en sorte que ce projet de loi aille de l’avant le plus rapidement possible.
Je suis impatient de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Nous allons passer aux questions.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, monsieur le ministre, d’être ici ce matin pour répondre à nos questions.
Lundi, un groupe de coordination des banques centrales a publié un rapport selon lequel une transition rapide vers la carboneutralité pourrait stimuler le PIB. Inversement, on estime que le coût de l’inaction serait très élevé et qu’il se chiffrerait en billions de dollars. Pouvez-vous nous dire à quels problèmes et à quels risques le Canada pourrait être confronté s’il n’adoptait pas ce projet de loi?
M. Wilkinson : Merci, sénateur. Ce projet de loi vise à établir une cible et un processus fondés sur des données scientifiques, grâce auxquels le gouvernement actuel et tous les gouvernements futurs seront tenus de rendre des comptes sur les progrès réalisés en vue d’atteindre cet objectif fondé sur des données scientifiques.
Comme vous l’avez dit, le Network for Greening the Financial System, qui est l’organisation-cadre des banques centrales, a fait une déclaration percutante cette semaine, à savoir que seule une transition rapide et ordonnée vers une économie à faibles émissions de carbone favorisera la croissance et l’emploi. Une transition retardée aura des répercussions profondes sur l’économie.
Cela est tout à fait conforme à ce que nous disent les institutions financières du monde entier, qui exigent non seulement que les entreprises et les gouvernements divulguent leurs données relatives aux changements climatiques, mais aussi qu’elles prennent des mesures concrètes pour lutter contre ce phénomène. Il est extrêmement important pour le Canada de contribuer à faire de notre monde un endroit où il fait bon vivre, mais aussi de veiller à ce que notre économie soit concurrentielle et prospère dans un avenir caractérisé par de faibles émissions de carbone.
Le sénateur D. Black : Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence et je remercie également vos collaborateurs.
Monsieur le ministre, comme vous le savez sans doute, le compte rendu atteste que j’appuie pleinement ce projet de loi idéaliste. Comme vous venez de le dire en réponse à la question de la sénatrice Galvez, je crois qu’il existe d’énormes possibilités économiques pour le Canada et pour les entreprises canadiennes.
J’espère, bien sûr, tandis que nous franchissons les 60 000 pieds en descente, que nous ne serons pas obligés de faire un atterrissage forcé.
Donc, monsieur le ministre, j’ai plusieurs questions, mais je vais les aborder de mon point de vue à moi. J’estime que nous sommes en train n’entreprendre rien de moins qu’une restructuration de l’économie canadienne. C’est ce que nous faisons ici. Ce projet de loi touchera tous les aspects de notre économie et tous les Canadiens. Il aura aussi des effets sociaux, économiques, sanitaires et environnementaux. Par conséquent, monsieur le ministre, même si vous faites bien votre travail et que vos successeurs marchent dans vos traces, le fait que la responsabilité exclusive incombe au ministre de l’Environnement me semble inutilement limitatif. Je remarque également qu’en vertu du projet de loi C-69, des pouvoirs démesurés sont dévolus à votre cabinet.
Je me demande, monsieur le ministre, si vous seriez ouvert à l’idée que certaines décisions très importantes soient rendues par l’ensemble du gouvernement sous la forme de décrets en conseil.
M. Wilkinson : Je vous remercie de votre question, sénateur, et je vous suis reconnaissant pour ce que vous avez dit au début, au sujet de l’importance de ce travail en vue d’atteindre la cible de parvenir à la carboneutralité d’ici 2050.
À mon avis, le projet de loi accomplit déjà ce dont vous parlez. Il le fait de plusieurs façons. L’article 12 exige explicitement que d’autres ministres concernés participent aux décisions prises dans la lutte contre les changements climatiques. Et, comme vous le savez à propos de toutes les décisions politiques importantes, notamment de celles concernant les objectifs et les plans de réduction des émissions, le cabinet dans son entier est concerné. Tout le cabinet participe activement, mais il incombe au ministre de l’Environnement et du Changement climatique de coordonner les efforts pangouvernementaux, ce que je trouve approprié.
La sénatrice Simons : Monsieur le ministre, merci beaucoup d’être venu nous rencontrer ce matin. Ce qui me préoccupe au sujet de la loi — et c’est une question qui a été soulevée à maintes reprises lors de nos échanges avec le sous-ministre adjoint — c’est qu’il s’agit, comme le dit le sénateur Black, d’un projet de loi « idéaliste ». C’est un plan pour dresser un plan et si, dans le titre même de la loi, on trouve les mots « transparence » et « responsabilité », je ne vois pas de mécanisme de reddition de comptes réel dans le texte.
Pouvez-vous nous dire en quoi, selon vous, ce projet de loi va au-delà des belles paroles couchées sur un bout de papier pour favoriser la réduction des émissions de carbone et tenir le gouvernement responsable de ne pas avoir atteint ces objectifs?
M. Wilkinson : Merci, sénatrice. Je pense que c’est une question très importante qui mérite une réponse très réfléchie.
Je dirais que cette loi encadre le processus d’exécution. Il s’agit d’établir un processus par lequel ce gouvernement et tous les gouvernements futurs seront tenus responsables. En fait, à bien des égards, on vise ici quelque chose de très semblable aux lois qui existent au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en France, en Suède et dans un certain nombre d’autres pays.
Comme vous le savez, cette loi oblige le gouvernement à établir des cibles et des plans de réduction des émissions et à en faire le suivi au moyen de rapports d’étape et d’évaluations. Elle prévoit également de confier un mécanisme de vérification au commissaire à l’environnement et au développement durable. Comme il s’agit d’un plan pangouvernemental, le gouvernement est responsable de sa mise en œuvre.
Par le passé, le gouvernement du Canada a été critiqué pour ne pas avoir atteint ses objectifs. S’il ne l’a pas fait, c’est parce qu’il n’était pas tenu d’avoir des plans, et la plupart des gouvernements n’en ont d’ailleurs pas proposé pour établir le cheminement à suivre en vue d’atteindre leurs cibles. En fait, nous sommes le premier gouvernement à l’avoir fait.
Il est précisément là le mécanisme de responsabilité; c’est la transparence imposée pour toutes les mesures dont j’ai parlé et qui doivent être rendues publiques. Tout cela devra être déposé au Parlement et rendu public. Dans une société démocratique, c’est en définitive l’électorat qui se prononce sur la reddition de comptes. Cela oblige tous les gouvernements à en faire une question publique et prioritaire.
Certaines ont laissé entendre qu’il faudrait une sorte de mécanisme de sanction. Je répondrai que vous faites erreur si vous pensez pouvoir changer quoi que ce soit en obligeant le ministre de l’Environnement en place à démissionner ou à payer une sanction pécuniaire quelconque. Il peut arriver qu’un gouvernement soit élu un an avant une année jalon et qu’il rate cette étape. Qu’aurez-vous accompli le cas échéant?
D’autres ont suggéré que notre gouvernement et ceux qui suivront soient tenus d’acheter des crédits compensatoires internationaux pour combler les écarts éventuels. Vous pourriez le faire, mais je ne suis pas certain que les Canadiens seraient très heureux de voir des milliards de dollars investis dans l’achat de crédits compensatoires internationaux afin de permettre au Canada d’atteindre une cible que leur gouvernement aura ratée.
En fin de compte, je dirais que cette mesure oblige à la transparence. Si la population canadienne croit que les changements climatiques sont un enjeu important, elle demandera des comptes au gouvernement.
Le président : Merci, monsieur le ministre. La sénatrice Miville-Dechêne doit partir sous peu, alors si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous lui permettrons de parler en premier.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous parliez d’autres pays qui ont fait la même chose, mais notre particularité, monsieur le ministre, c’est que nous sommes une fédération. Or, évidemment, la loi est silencieuse sur cet aspect parce que la question de l’environnement est une responsabilité partagée, et chaque ordre de gouvernement a ses responsabilités. Comment comptez-vous mettre les provinces de votre côté? Allez-vous faire la leçon aux provinces, ou allez-vous essayer de les intégrer dans le processus avec une solution qui va suivre? Bref, cette partie de l’équation me semble plus délicate, étant donné que votre dernière initiative, soit celle de la taxe, a été réglée par les tribunaux.
M. Wilkinson : Merci de cette importante question. Bien sûr, nous sommes une fédération. Il y a des compétences fédérales et provinciales et nous devons travailler ensemble. C’est beaucoup mieux si on peut avoir une collaboration entre les provinces et les territoires. Dans ce projet de loi, nous avons mis en place des mesures pour ouvrir des discussions, assurer la collaboration de tous, fixer une cible et développer un plan pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous devons avoir une discussion avec les provinces et les territoires. Nous avons également dit que le Groupe consultatif pour la carboneutralité doit collaborer avec les provinces et les territoires.
Cependant, je dois dire également que la cible de zéro émission nette pour 2050 est basée sur la science. Le gouvernement fédéral a la responsabilité, avec ses partenaires internationaux, d’assurer que l’on peut atteindre cette cible. Bien sûr, nous voulons et nous devons collaborer avec les provinces et les territoires, mais cette loi ne touche pas les juridictions provinciales. Elles ont mis en place un processus pour tenir des discussions qui sont très importantes.
Le sénateur Dagenais : Ma question a déjà été posée. Je vais céder mon temps de parole à un de mes collègues.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Merci de votre présence, monsieur le ministre.
Votre gouvernement a dit clairement que la protection de notre environnement et la croissance de notre économie peuvent aller de pair, que la céréaliculture intelligente ou, comme vous l’avez dit, le fait de pratiquer une agriculture climato-intelligente est porteur d’occasions économiques. Bien sûr, nous savons, par exemple, que nous pouvons fabriquer de l’hydrogène à partir du gaz naturel que nous avons en abondance. Les Canadiens sont probablement les mieux placés pour le faire grâce à un secteur de l’énergie novateur, mais cela exigera des capitaux.
On nous dit aussi que les décisions en matière de politiques publiques doivent reposer sur des données scientifiques. Comme vous l’avez indiqué dans vos propos liminaires, la méthode scientifique suppose une étape importante qui est l’analyse des résultats d’une expérience.
Compte tenu de ces liens entre l’environnement et l’économie, pour fixer des cibles d’émissions de GES, nous avons besoin de mesures économiques correspondantes, comme le PIB réel et la mesure de l’investissement privé ainsi que des investissements du secteur public et des indicateurs sociaux, comme le taux d’emploi. Il nous faut une lentille économique et sociale ainsi que d’une lentille climatique.
Le projet de loi C-12 ne semble pas du tout tenir compte de ces indicateurs économiques et sociaux en plus des indicateurs climatiques. Pourquoi? Pourriez-vous m’expliquer, s’il vous plaît?
M. Wilkinson : Merci, sénateur. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que nous devons réfléchir à l’aspect économique. Avant de me lancer en politique en 2015, j’ai passé 20 ans dans le secteur des technologies propres, où j’ai dirigé des entreprises technologiques qui créent, par exemple, de l’hydrogène bleu. C’est donc un sujet que je connais très bien.
Dans le préambule du projet de loi, il est question de la nécessité de veiller à ce que notre économie soit résiliente, inclusive et concurrentielle à l’avenir. Nous exigeons que le Groupe consultatif pour la carboneutralité tienne compte d’un éventail de facteurs, notamment économiques, technologiques et scientifiques, dans le cadre du processus visant à nous aider à définir les façons de parvenir à une consommation carboneutre.
Fondamentalement, la loi elle-même définit des processus. Il est question de plans de réduction des émissions qui doivent faire en sorte que nous examinions différentes voies et les choix économiques que nous allons faire pour choisir une voie plutôt qu’une autre. C’est exactement le travail qui doit être fait dans le cadre de l’élaboration des plans de réduction des émissions. Il faudra nécessairement examiner les compromis en fonction du PIB, de l’emploi et de toute une gamme de facteurs économiques.
Ce n’est pas la loi elle-même. Il s’agit des plans de réduction des émissions qui seront requis chaque fois qu’un objectif sera fixé, des plans qui tiendront compte à la fois des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et des meilleures voies à suivre du point de vue économique pour le Canada et pour certaines régions du Canada.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question porte sur l’organisme consultatif. Cela m’embête un peu qu’un organisme consultatif, qui doit donner des avis indépendants, soit formé par le ministre et que le ministre fixe le mandat de cet organisme et les questions devant être discutées par ses membres. C’est un emploi à temps partiel. Pourquoi ne pas donner plus de « muscle » à l’organisme consultatif et que le mandat ne vient pas du gouvernement ou des comités de la Chambre, et pourquoi l’organisme ne serait-il pas responsable devant la Chambre? Ne trouvez-vous pas que ça peut devenir facile pour un ministre de l’Environnement de demander à l’organisme consultatif de faire des études plus ou moins pertinentes, alors qu’on risque de « perdre un éléphant dans la pièce »?
[Traduction]
M. Wilkinson : Merci, sénateur. J’apprécie la question. Le Groupe consultatif pour la carboneutralité est évidemment un élément très important du projet de loi.
Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a des exigences en ce qui concerne les compétences des personnes nommées à ce comité. L’un des amendements proposés par le Sénat le rend encore plus clair. Le groupe a un mandat très précis, et le nouvel organisme créé en vertu de cette loi — parce que l’organisme actuel est constitué de personnes nommées par le ministre — aura un mandat semblable et pourrait être amélioré par rapport à celui que nous avons actuellement.
Il s’agit essentiellement de créer un organisme indépendant qui pouvant faire preuve d’indépendance d’esprit pour aider le gouvernement à s’assurer que nous réfléchissons de façon générale aux pistes devant nous permettre de parvenir à la carboneutralité d’ici 2050.
Je dirais qu’en ce qui concerne la reddition de comptes, cet organisme sera tenu de présenter un rapport chaque année au ministre de l’Environnement et du Changement climatique en place. Ce rapport est entièrement public, et le ministre doit être en mesure d’y répondre dans le contexte de la question de savoir si les conseils seront acceptés ou non. Je pense que c’est assez transparent. Si vous examinez la composition du Groupe consultatif pour la carboneutralité, vous constaterez qu’il s’agit d’éminents Canadiens qui ont énormément d’expérience et une solide réputation, et qui nous aident à faire avancer ce dossier. De plus, ils ne sont pas rémunérés.
Le sénateur Cotter : Merci, monsieur Wilkinson, de vous joindre à nous aujourd’hui sur un sujet très important pour nous tous.
Je conçois le projet de loi comme un cadre, et vous en avez d’ailleurs parlé en ces termes. Je suis tout à fait d’accord. Il y a peut-être des améliorations qui viennent de l’autre endroit, et ce serait utile.
Mes questions dépassent un peu la portée du projet de loi. Je veux d’abord savoir si, dans la philosophie de mise en œuvre des initiatives visées par le projet de loi et d’autres initiatives, notre gouvernement voit la nécessité de s’attaquer aux transitions de façon équitable et stratégique. Je pense qu’il est juste de dire — et nous avons entendu d’autres témoignages à ce propos — que cette transition sera difficile en partie. Elle donnera lieu à des possibilités, mais aussi à des défis pour certains secteurs de l’économie.
Prenons l’agriculture comme exemple, domaine que vous et moi connaissons bien. Les nombreux agriculteurs qui produisent une bonne quantité d’émissions de gaz à effet de serre auront de la difficulté à réagir efficacement, bien qu’ils soient très attachés à l’environnement en général, à l’instar des résidents des régions rurales.
De plus, le gouvernement a désigné l’agriculture et l’agroalimentaire comme étant l’un des piliers de la prospérité future. Je crains que certains secteurs de notre économie ne soient freinés à moins que le gouvernement n’ait une stratégie équitable pour les aider à faire la transition.
Si vous me le permettez, j’aimerais poser ma deuxième question, qui fait suite au commentaire de la sénatrice Miville-Dechêne au sujet des dimensions fédérale et provinciale. Elle a dit que l’environnement était une compétence partagée, mais comme nous le savons tous les deux, au Canada, les provinces ont des compétences considérables en matière d’économie. Ce n’est pas seulement une question environnementale. Fondamentalement, il me semble qu’à un très haut niveau, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux travailleront ensemble à ce dossier, car si les gouvernements provinciaux utilisent le poids de leurs pouvoirs économiques et environnementaux pour aller dans des directions différentes de celles du gouvernement fédéral, votre défi, notre défi, sera d’autant plus grand. Pourriez-vous répondre à ces deux questions? Merci.
M. Wilkinson : Merci, sénateur. Ce sont deux questions très importantes.
Pour répondre à votre première question, je dirais que oui, nous devons réfléchir très soigneusement et que c’est à la fois sectoriel et régional en termes d’équité et de stratégie personnalisée. Nous devons penser à faire en sorte d’aller de l’avant avec l’agriculture, l’acier, les mines, le pétrole et le gaz, d’une manière qui nous positionnera réellement pour réussir d’un point de vue économique, mais de façon à nous permettre d’aller au cœur du problème, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est juste de dire que le secteur agricole a la possibilité de faire les deux, mais il a besoin d’une stratégie réfléchie et adaptée pour y parvenir.
C’est vrai aussi au niveau régional. Comme vous le savez, sénateur, le Canada est un pays très diversifié sur le plan des économies régionales. Elles sont très différentes. Si nous avons seulement des politiques et des programmes nationaux qui ne tiennent pas compte des différences régionales, cela ne fonctionnera probablement pas dans ce contexte.
C’est une chose à laquelle je suis très sensible pour avoir grandi en Saskatchewan et m’être occupé des relations fédérales-provinciales pour la province de la Saskatchewan. C’est une chose à laquelle je pense tous les jours. Je pense que nous y travaillons très fort.
Cela m’amène à votre deuxième question sur les provinces et les territoires. Oui, l’idéal est évidemment que nous travaillions ensemble. Comme vous avez pu le constater dans le plus récent Plan climatique renforcé que nous avons annoncé en décembre, nous nous sommes concentrés sur les domaines de compétence fédérale. Nous ne pouvons pas dire aux provinces ce qu’elles doivent faire dans la fédération, et nous ne devrions pas le faire non plus.
Le gouvernement fédéral doit donner l’exemple, dans un dossier où nous nous sommes engagés, envers nos partenaires internationaux, à faire des progrès. Bien entendu, nous voulons collaborer avec les provinces et les territoires, et encore une fois, cette collaboration sera différente selon les régions du pays. Nous pouvons faire plus de progrès en travaillant activement ensemble qu’en travaillant les uns contre les autres.
Permettez-moi de vous donner l’exemple des véhicules zéro émission. En Colombie-Britannique, nous offrons un incitatif à l’achat, et le gouvernement provincial offre aussi un incitatif à l’achat. Nous avons construit une infrastructure de ravitaillement. Le gouvernement provincial a investi dans la construction d’une infrastructure de ravitaillement. À l’heure actuelle, 13 % de toutes les voitures vendues en Colombie-Britannique sont des véhicules zéro émission. Dans le reste du pays, c’est plutôt de l’ordre de 2 %.
Il y a des façons de travailler plus rapidement et mieux en travaillant ensemble. C’est certainement quelque chose que nous voulons faire avec toutes les provinces et tous les territoires. J’ai certainement parlé à mes collègues de toutes les provinces et de tous les territoires, mais je dirai aussi que le gouvernement fédéral ne peut pas attendre l’unanimité. Vous le savez très bien par le travail que vous avez fait dans le passé. Notre fédération, aucune fédération, n’a jamais fonctionné ainsi. Nous devons nous efforcer de collaborer. Nous devons essayer de nous entendre et de travailler ensemble dans les domaines où nous avons des intérêts communs. Parfois, nous devons mettre de côté des questions sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord. À mon avis, la fédération fonctionne mieux lorsque nous travaillons ensemble, et c’est certainement ce que j’essaie de faire tous les jours.
La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé, monsieur le ministre. Je voudrais aborder maintenant les questions autochtones. Dans son rapport intitulé Decolonizing Climate Policy in Canada, l'Indigenous Climate Action Group affirme que ses recherches montrent que :
Les peuples autochtones du Canada et du monde entier sont parmi ceux qui sont les premiers et les plus durement touchés par les effets du climat, tout en étant parmi les moins responsables de la crise.
Nous pouvons lire ensuite que :
Inextricablement liés, le colonialisme et le capitalisme ont jeté les bases de l’économie à forte intensité de carbone qui est à l’origine des changements climatiques.
Les auteurs disent qu’ils n’ont pas été invités à la table et que quelques provinces se sont opposées activement à l’inclusion des Autochtones dans la politique climatique.
Leur conclusion est donc que si cela continue ainsi : « [...] les politiques climatiques pourraient servir à perpétuer les moteurs et les causes profondes des changements climatiques. »
Comment pensez-vous que cela changera grâce à ce projet de loi?
M. Wilkinson : Merci, sénatrice. Je pense que vous avez soulevé une question très importante en ce qui concerne les peuples autochtones et leur participation, ainsi que le fait que ceux qui ont le moins contribué au problème en pâtissent le plus. C’est certainement vrai, en particulier pour les Inuits du Nord qui voient les effets des changements climatiques tous les jours.
En corollaire, cela n’est pas entièrement différent de la scène internationale où le monde en développement a très peu contribué au problème climatique, et pourtant, de nombreuses régions du monde en développement subissent quotidiennement les effets des répercussions climatiques.
J’aurais deux choses à dire. Premièrement, en ce qui concerne la politique climatique en général, nous nous sommes efforcés de travailler en collaboration et en partenariat avec les peuples autochtones. Nous avons établi trois tables distinctes sur le climat. Il y a là des représentants non seulement des organisations autochtones nationales, mais aussi des membres régionaux pour essayer de nous rapprocher le plus possible des titulaires de droits et d’engager ces conversations.
C’est aussi quelque chose que nous avons demandé au comité consultatif de faire.
Dans un certain nombre de parties de la loi, on reconnaît à la fois l’obligation pour nous d’intégrer les connaissances autochtones et la nécessité de tenir compte et de respecter les engagements pris en vertu de l’article 35 de la Constitution et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous nous efforçons certainement d’assurer un partenariat actif et une collaboration continue avec les peuples autochtones du pays, et c’est en fait une exigence du projet de loi à au moins cinq endroits différents.
Le président : Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser une question. Je vous entends très clairement lorsque vous dites que les gens demandent : « Quelle est la sanction? Où est le risque moral? Où est l’équité? Où est l’engagement? »
Je dois admettre que je suis convaincu que vous êtes la bonne personne pour ce poste. Votre expérience, vos antécédents et votre personnalité aideront beaucoup le Canada à y arriver.
J’ai encore des problèmes avec le fait que, comme vous le savez, trois ou quatre fois au cours des 30 dernières années, nous n’avons pas atteint nos objectifs. Cela semble fonctionner, évidemment, mais on dit essentiellement aux Canadiens : « Désolés, nous ferons mieux la prochaine fois. »
Je pense qu’il y a un énorme manque de sérieux au sujet de l’engagement et de l’enjeu. C’est un enjeu non négociable. Notre survie économique, sinon notre survie personnelle et notre qualité de vie dépendent de votre succès.
J’ai un petit problème. Il n’y a pas assez de sanctions si nous ne réussissons pas. Il n’y a pas suffisamment d’engagement. Je vous dirais que dans l’entreprise privée, si nous chargions une personne d’une réponse aussi importante, nous nous attendrions à ce que cette personne offre sa démission si elle ne fournissait pas des résultats concrets. Je dirais que nous devrions envisager cela. Bien sûr, le premier ministre pourrait dire : « Ce n’est pas de votre faute. C’est injuste. Je refuse votre démission », mais il faut qu’il y ait une sanction quelconque pour que les gens finissent par reconnaître que c’est grave. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Wilkinson : Oui, je me ferai un plaisir d’en parler. J’ai certainement déjà entendu ce genre de préoccupations. Je comprends l’intention sous-jacente de ce que vous dites.
Je dirais deux ou trois choses. Tout d’abord, je n’accepte pas la prémisse en ce sens que dans le passé, la situation était semblable, et ce serait la continuation de ce qui s’est passé auparavant.
L’un des problèmes que nous avons eus au cours des deux dernières décennies — et ce n’était certainement pas seulement sous le gouvernement du premier ministre Harper, mais avant celui-ci —, c’est que les gouvernements se sont engagés à atteindre des cibles, mais sans jamais présenter de plan crédible. Ils n’ont jamais eu à proposer sur la place publique un plan dont on pouvait affirmer de façon crédible qu’il se fondait sur des données scientifiques. Ils n’ont jamais eu à suivre leurs progrès de façon détaillée et à faire preuve de transparence à cet égard au moyen de divers mécanismes, y compris la vérification par des tiers effectuée par le commissaire à l’environnement et au développement durable. De plus, ils ont fait cela à un moment où je vous dirais que le changement climatique n’était pas un problème aussi important qu’il l’est aujourd’hui dans l’esprit des Canadiens, si vous regardez les sondages d’opinion.
Ce projet de loi impose la transparence démocratique et la reddition de comptes sur une question qui, à mon avis, est de plus en plus importante pour les Canadiens. Je vous dirais que c’est fondamentalement différent de ce qui s’est passé auparavant. Pour ce qui est de la théorie démocratique, l’idée dans une démocratie, c’est que si vous faites, ou ne faites pas une chose que vous vous êtes engagés à faire et qui est importante pour l’électorat, au bout du compte, l’électorat vous demandera des comptes.
En ce qui concerne la comparaison avec un PDG, je dirais, ayant été PDG, que je ne pense pas que le conseil d’administration vous congédierait si vous aviez été nommé un an auparavant et que le problème existait depuis plus de 10 ans. Comme vous le savez très bien, ce n’est habituellement pas ainsi que cela fonctionne. Vous seriez tenu responsable parce que vous étiez responsable.
En fin de compte, ce projet de loi rend publique votre responsabilité et, en fin de compte, vous serez tenu responsable de vos actions en tant que gouvernement.
La sénatrice Galvez : Monsieur le ministre, il y a 13 ans, le Parlement a adopté un projet de loi d’initiative parlementaire qui a été mis en œuvre par le gouvernement conservateur de M. Mulroney par l’entremise de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, un organisme indépendant. Toutefois, en 2012, nous nous sommes retirés et cette tentative a échoué.
J’aimerais que vous nous disiez où nous en étions, il y a 13 ans, et où nous en sommes aujourd’hui, et pourquoi ce projet de loi est si important pour la sensibilisation aux risques que le climat pose pour notre économie et notre santé. Merci.
M. Wilkinson : Merci, sénatrice. Si nous avions pris les mesures que nous aurions probablement dû prendre, il y a 30 ans ou même il y a 20 ans, il serait plus facile de surmonter les défis auxquels nous sommes confrontés. La preuve, c’est qu’il suffit de regarder ce qui se passe en Europe. Les pays européens ont pris cette question au sérieux au cours des deux dernières décennies et ils ont fait des progrès importants pour ce qui est de réduire leurs émissions.
Maintenant, la structure de leur économie est différente, mais ils ont pris la décision consciente de commencer à travailler sur cette question. Ils ont pris une grande avance sur nous, les Américains et le reste du monde en apportant des changements importants et soutenus en ce qui concerne les émissions provenant de leurs économies et, en fin de compte, la compétitivité à long terme de leurs économies.
Malheureusement, nous les Canadiens, avons perdu du temps dans un dossier où nous n’avons plus de temps à perdre. Nous sommes maintenant dans les années 2020, 2030 se rapproche et 2050 n’est pas si loin. Il est impératif, sur le plan scientifique, que nous réduisions considérablement nos émissions à court terme, sinon le monde que nous léguerons à nos enfants et à nos petits-enfants sera extrêmement difficile. Ce n’est pas une position responsable de notre part. Nous devons commencer. Nous devons commencer maintenant.
Le sénateur Patterson : Monsieur le ministre, en vertu de l’Accord de Paris, il y a un mécanisme pour aider le Canada à atteindre la carboneutralité. Je me reporte à l’article 6, qui permet aux pays d’échanger des crédits pour la réduction des émissions.
Apparemment, un projet canadien de GNL pourrait remplacer la production d’électricité à partir du charbon en Asie ou en Chine et réduire jusqu’à 100 millions de tonnes d’émissions dans le monde en un an. Il y a des centrales au charbon qui s’activent chaque semaine en Chine. Si les carburants propres canadiens réduisent les émissions, nous pourrions obtenir des crédits pour la réduction des émissions mondiales.
Le Canada ne devrait-il pas obtenir des crédits pour cela, comme le prévoit l’Accord de Paris, que notre pays a appuyé?
M. Wilkinson : Merci, sénateur. L’article 6 n’est pas finalisé. Il a fait l’objet de négociations à Madrid, il y a deux ans, et il fera l’objet d’autres négociations à Glasgow, cet automne. La raison pour laquelle cela n’a pas été finalisé, c’est que personne n’a pu s’entendre sur des règles pour s’assurer que les réductions d’émissions sont bel et bien des réductions d’émissions, qu’il n’y a pas de double comptabilisation, qu’il y a un cadre comptable qui garantit que vous pouvez suivre ces émissions.
Le Canada appuie l’article 6, mais il faut que ce soit dans un cadre solide permettant de savoir que la réduction des émissions est réelle. En fait, l’article 6 aiderait le monde, parce qu’il permettrait de s’assurer d’obtenir les réductions au coût le plus bas, et il ouvrirait des débouchés aux entreprises canadiennes, sans aucun doute, mais cela doit être réel et vérifiable. Le Canada appuiera la conclusion de l’article 6 seulement si c’est réel et vérifiable. Autrement, l’ensemble de l’Accord de Paris ne serait pas assujetti à des règles strictes.
La sénatrice Simons : Merci, monsieur le ministre. J’aimerais revenir sur ce que disait le sénateur Patterson. Il s’agit d’un cadre de carboneutralité, et non pas de zéro émission. Hier, des témoins nous ont dit craindre qu’on mette trop l’accent sur l’élimination du carbone plutôt que sur la réduction du carbone.
Comment voyez-vous la bonne formule pour arriver à la carboneutralité? Je dis cela dans le contexte où le ministre Champagne a participé à un événement Zoom avec le premier ministre de l’Alberta et le maire d’Edmonton pour annoncer un important investissement fédéral-provincial dans l’hydrogène, dans ma région.
À votre avis, comment peut-on obtenir le bon bouquet d’éléments pour obtenir des réductions, des retraits, des compensations et pour que nous ayons la bonne combinaison, le bon équilibre dans notre portefeuille?
M. Wilkinson : C’est une très bonne question. Je pense que la solution au problème du climat est loin d’être simple. Si vous examinez les plans que nous avons mis de l’avant, et je peux vous dire qu’il s’agit de certains des plans climatiques les plus détaillés qui existent n’importe où sur la planète, il y a toute une gamme d’initiatives différentes qui s’attaquent aux émissions dans différents secteurs de l’économie. Elles le font de différentes façons.
Certaines de ces initiatives visent à éliminer le carbone, et d’autres visent simplement à éliminer la production de carbone par la combustion.
Je dirais qu’une partie de l’élaboration d’un plan pour atteindre les cibles consiste à examiner ce que vous êtes en mesure de faire, et ce qui est le plus rentable, afin de vous assurer de prendre les mesures nécessaires.
Notre plan comprend deux composantes différentes qui se rapportent à ce dont vous parlez. Il y a d’abord les solutions axées sur la nature, qui consistent à planter des arbres, à restaurer les terres humides et les prairies. Dans le contexte du travail que nous avons fait, je dirais que c’est une partie importante, mais si vous regroupez le travail que nous avons accompli jusqu’à maintenant en ce qui concerne les arbres et les terres humides, d’ici 2050, c’est peut-être 10 %. Peut-être 10 %. Probablement moins que les réductions dont nous aurons besoin.
La deuxième composante, évidemment, ce sont des choses comme le captage et la séquestration du carbone, ou la capture directe de l’air, où l’on aspire le dioxyde de carbone de l’air. Nous voyons certainement un rôle pour le captage et la séquestration du carbone dans le contexte de choses comme ce dont vous avez parlé au sujet de l’hydrogène bleu. Mais il faut s’assurer de capter et de séquestrer tout le carbone.
Ce que le ministre Champagne a annoncé ce matin, c’est un projet qui permet essentiellement de capter 90 % du carbone produit lorsqu’on crée de l’hydrogène bleu. À l’avenir, il faudrait atteindre 100 %. C’est un élément important dans certains secteurs. Je dirais que ces secteurs sont ceux du pétrole et du gaz, de l’acier et du ciment. Et cela peut être à long terme, et il pourrait y avoir d’autres options de remplacement comme les fournaises électriques.
Il est important que nous réfléchissions à tous ces différents éléments dans le contexte de quelque chose qui nous amène à l’objectif final que nous devons atteindre.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’ai écouté votre réponse sur la question de [Difficultés techniques] qui, selon vous, sont indépendants. L’organisme consultatif ne respecte aucune norme d’indépendance institutionnelle ou d’indépendance individuelle. Aucun des critères qui touchent l’indépendance ne s’applique. Vous nous parlez des gens qui sont là aujourd’hui, mais justement, ils ne seront peut-être pas là demain ou dans 5, 10 ou 15 ans. C’est pour cela qu’on a besoin d’un organisme consultatif avec une structure institutionnelle qui privilégie l’indépendance, et qu’il faut que ses membres aient des règles à observer en ce qui a trait à cette indépendance. Je ne vois absolument rien de cela. Comment faites-vous pour dire qu’ils sont indépendants? C’est un peu gratuit comme commentaire.
M. Wilkinson : Merci de la question. Je crois que l’indépendance de ce groupe existe. Il y a quelques éléments qui permettent de dire que le groupe est indépendant. Premièrement, le groupe peut choisir les enjeux qu’il va étudier. Il est complètement libre de faire cela. Il a aussi un secrétariat qui se consacre uniquement au travail de l’organisme. Il a un budget de 15 millions de dollars et il peut décider comment utiliser ce budget. De plus, il peut publier des rapports sur le travail qu’il fait, et ces rapports doivent être rendus publics. Je crois que, dans le travail qu’il fera, l’organisme sera indépendant.
Le sénateur Carignan : Je ne voudrais pas qu’on ait des juges avec des règles d’indépendance comme celles-là, car cela m’inquiéterait pour la démocratie.
Le président : Nous arrivons à la fin de notre séance. Merci encore une fois, monsieur le ministre, et merci à vos collaborateurs. C’était un bon partage d’informations assez substantiel. Je suis certain que ceux qui nous écoutent ont apprécié aussi ces informations.
Chers collègues, pour cette seconde partie de notre réunion, nous accueillons Marc-André Viau, directeur, Relations gouvernementales, et Émile Boisseau-Bouvier, analyste, Politiques climatiques. Nous accueillons également Laure Waridel, co-instigatrice, de Mères au front; la Dre Kelly Martin, médecin et épidémiologiste, de Pour nos enfants — Montréal; Me Andrew Gage, avocat-conseil, de West Coast Environmental Law. Merci à tous d’avoir accepté notre invitation.
J’aimerais vous rappeler que vous avez cinq minutes pour faire vos remarques.
Marc-André Viau, directeur, Relations gouvernementales, Équiterre : Monsieur le président, honorables sénateurs, je m’appelle Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales chez Équiterre. Je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques, avec qui je vais partager mon temps de parole.
D’abord, je vais dire quelques mots sur notre organisation. Elle existe depuis plus de 25 ans et compte plus de 150 000 membres et sympathisants. Nous avons une expertise en politiques climatiques et énergétiques, en mobilité et en agriculture. Bref, nous travaillons dans plusieurs secteurs affectés par la transition.
Avec le Centre québécois du droit de l’environnement, nous sommes intervenus pour défendre la compétence fédérale dans un système de tarification du carbone devant la Cour suprême, dans le respect des compétences provinciales.
Nous vous remercions de nous donner l’occasion d’échanger dans le cadre de votre étude préalable du projet de loi C-12. Cette étude permettra d’accélérer le processus législatif ayant trait à ce projet de loi qui, s’il continue d’être amendé et s’il est adopté, pourrait marquer un tournant dans le bilan climatique du Canada.
Le premier projet de loi sur la responsabilité climatique, le projet de loi C-377, a été déposé il y a près de 15 ans. Adopté par la Chambre, il est mort au Feuilleton au Sénat avec le déclenchement des élections de 2008. Il a été déposé de nouveau, avec le numéro C-311, et a été adopté par la Chambre, mais il a été défait au Sénat par un vote à l’étape de la deuxième lecture en 2010.
Jamais deux sans trois, mais nous espérons que cette fois-ci sera la bonne.
En 2020, en vertu du projet de loi adopté par la Chambre en 2010, on devait avoir réduit de 25 % nos émissions de GES par rapport aux niveaux de 1990. Au contraire, nous avons eu droit à une augmentation de nos émissions, notamment dans les secteurs pétrolier, gazier et des transports.
En matière de crise climatique, le temps est un luxe dont nous ne disposons plus.
Nous avons fait des recommandations dans le cadre des travaux des comités de la Chambre des communes avec nos collègues du Réseau action climat, de West Coast Environmental Law et d’Ecojustice. Je vous invite à consulter notre mémoire et à écouter les témoignages de ce groupe de témoins et des suivants pour avoir plus de détails.
Dans notre mémoire, nous avons identifié cinq piliers pour avoir une loi sur la responsabilité climatique solide. Premièrement, il faut agir rapidement et avoir de l’ambition. Deuxièmement, il faut une prévisibilité à moyen et long terme. Troisièmement, il faut rédiger des plans et des rapports crédibles. Quatrièmement, il est nécessaire d’avoir des mécanismes de reddition de comptes robustes. Cinquièmement, la planification doit être guidée par l’avis d’experts et les meilleures données scientifiques disponibles.
Les travaux du Comité de l’environnement ont permis de renforcer le projet de loi déposé à l’origine, mais il reste encore du travail à faire. Par exemple, à l’heure actuelle, il n’y a aucune obligation d’assurer une adéquation entre les mesures proposées dans les plans et les réductions nécessaires pour atteindre les cibles. Une façon de renforcer la responsabilité ministérielle serait de s’assurer que les efforts en vue d’atteindre la carboneutralité sont concentrés à 90 % sur des réductions absolues, et non sur de potentielles technologies à émissions négatives ou sur la compensation, qui est trop souvent un moyen détourné de continuer à polluer.
Je cède maintenant la parole à mon collègue Émile Boisseau-Bouvier.
Émile Boisseau-Bouvier, analyste, Politiques climatiques, Équiterre : Les signes de l’urgence d’agir pour le climat ne manquent pas. Lundi, on a appris que la concentration de CO2 dans l’atmosphère atteignait maintenant 419 parties par million. C’est une concentration que la Terre n’a pas vue depuis plus de 4 millions d’années.
Le mois dernier, l’Agence internationale de l’énergie a annoncé qu’aucun nouveau projet d’énergie fossile ne pouvait être autorisé si nous voulons limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, et les raisons d’agir rapidement sont aussi bien documentées. Les répercussions des changements climatiques sur la santé pourraient coûter des milliards de dollars au système de soins de santé canadien et réduire l’activité économique de dizaines de milliards de dollars au cours des prochaines décennies, selon l’Institut canadien pour des choix climatiques.
De son côté, Oxfam nous prévient que les pays du G7 perdront 8,5 % de leur PIB par année d’ici 30 ans si les températures augmentent de 2,6 °C, comme cela est probable sur la base des engagements et des politiques actuelles des gouvernements du monde entier.
Ces impacts ne sont pas répartis équitablement. Dans son jugement sur la tarification carbone, la Cour suprême a rappelé que les changements climatiques ont des répercussions particulièrement sévères dans les régions arctiques et côtières du Canada, ainsi que pour les peuples autochtones.
En bref, il est urgent d’agir. Malheureusement, pour faire face au plus grand défi de notre époque, le Canada ne possède actuellement aucune structure pérenne et cela ne fonctionne pas. Nos émissions de GES sont essentiellement aux mêmes niveaux qu’en 2005, et nous sommes le seul pays du G7 dont les émissions ont augmenté depuis l’Accord de Paris. On ne peut pas s’attendre à un résultat différent si nous continuons d’appliquer la même stratégie. Le Canada doit donc prendre exemple sur d’autres pays qui ont adopté des lois en matière de climat s’il veut espérer redevenir un leader environnemental.
Pour conclure, monsieur le président, le projet de loi C-12 a le potentiel de devenir le cadre législatif structurant qui est si nécessaire à la réalisation de l’ambition climatique canadienne et à l’atteinte de nos cibles. S’il n’est pas parfait à la sortie des travaux des comités de la Chambre, il sera néanmoins le meilleur outil dont nous disposons pour assurer une meilleure reddition de comptes climatique. Nous invitons donc les sénateurs et les sénatrices à ne pas manquer cette occasion historique de s’assurer que le Canada soit dorénavant redevable de ses engagements climatiques.
Merci à tous; nous serons disponibles pour répondre à vos questions avec plaisir.
Laure Waridel, co-instigatrice, Mères au front : Bonjour. Je suis écosociologue et professeure associée à l’UQAM, mais aujourd’hui, je m’adresse à vous en tant que maman de Colin et d’Alphée, et aussi à titre de grand-maman par alliance de Theodora. Je parle au nom de 5 600 Mères au front, mobilisées au sein d’une trentaine de groupes au Québec et au Canada. Nous travaillons avec l’organisme Pour nos enfants, au nom de qui la Dre Kelly Martin prendra la parole.
J’imagine que plusieurs d’entre vous ont des enfants, des petits-enfants, et même des arrière-petits-enfants. Dans quel monde souhaitez-vous qu’ils vivent dans 20, 30, 50 ans? Pour protéger leur avenir, ils ont besoin d’une vraie loi en matière de climat qui obligera le gouvernement à atteindre les cibles dictées par la science. À titre de sénateurs et de sénatrices, vous avez le devoir de faire en sorte que le projet de loi C-12 soit adopté et idéalement amélioré avant la fin de la session. Vous avez une responsabilité à l’égard de ceux et celles qui n’ont pas encore le droit de vote et qui n’ont aucune représentation parlementaire.
Nous vous demandons de penser à leur avenir, au-delà des intérêts économiques à court terme. Comme sénateurs et sénatrices, vous devez protéger l’économie du futur, qui dépend de la santé de l’environnement.
La science est claire : nous sommes en état d’urgence climatique. L’humanité tout entière doit se lancer dans une course pour la carboneutralité dès maintenant. Le Canada doit donc se doter de cibles à court terme et rendre des comptes dès 2025. Le projet de loi C-12 doit aussi inclure la mise sur pied d’un comité consultatif indépendant et impartial. Il doit être majoritairement composé de scientifiques et, surtout, il doit exclure les grands émetteurs de GES.
Est-ce qu’on trouverait raisonnable de demander à des représentants de l’industrie du tabac de faire des recommandations au gouvernement en matière de prévention du cancer du poumon? Non! C’est pareil pour le climat avec les énergies fossiles.
Je cède maintenant la parole à la Dre Kelly Martin.
[Traduction]
Dre Kelly Martin, médecin et épidémiologiste, Pour nos enfants — Montréal : Bonjour et merci de l’invitation et de votre intérêt pour l’avenir de nos enfants. En tant que médecin urgentiste et épidémiologiste à l’Université McGill, je suis ici aujourd’hui pour vous parler de la responsabilité que nous avons tous de protéger nos enfants contre la crise climatique. Les enfants sont en grande partie exclus de la discussion sur les réponses appropriées aux changements climatiques, mais ils devraient être au centre de ces débats parce qu’ils ont un intérêt beaucoup plus grand que nous dans les résultats.
Les effets des changements climatiques sur notre santé sont déjà évidents. On ne saurait exagérer combien serait catastrophique un réchauffement de trois ou quatre degrés. Chaque année, de 8 à 10 millions de personnes meurent dans le monde, et 900 bébés de 0 à 4 ans meurent en Amérique du Nord, directement à cause des changements climatiques et des combustibles fossiles.
Ces bébés et ces jeunes enfants meurent parce qu’ils ne peuvent pas respirer, et il a été démontré que cette incidence croissante de maladies respiratoires est liée aux températures extrêmes — surtout à la chaleur — et aux sous-produits de la combustion de combustibles fossiles. Si vous avez du mal à imaginer le décès de ces bébés, je vous invite à nous rendre visite dans notre salle d’urgence pour voir ces jeunes bébés et ces enfants — qui pourraient être votre fils ou votre petite‑fille — qui ont du mal à respirer parce que nous ne les avons pas protégés.
Ces enfants dans nos services d’urgence sont aujourd’hui les canaris dans la mine de charbon. Avec le réchauffement de la planète, les enfants seront particulièrement et gravement touchés par la chaleur extrême, la sécheresse, la pénurie de nourriture et d’eau et les catastrophes naturelles que nous connaîtrons. Leur santé et leurs possibilités économiques seront gravement menacées si nous n’agissons pas — pas l’an prochain ou au cours du prochain cycle électoral, mais maintenant.
Il est trompeur de présenter ce projet de loi comme un compromis entre l’économie et l’environnement. Le véritable compromis, c’est entre le coût à court terme aujourd’hui et l’économie et notre santé à l’avenir, lorsque vos enfants tenteront de pratiquer l’agriculture dans les Prairies, de pêcher sur la côte Est ou de créer des entreprises, et lorsque les effets des changements climatiques réduiront considérablement leurs possibilités et mettront leur vie en danger.
Nous nous joignons aux milliers de parents que nous représentons dans les provinces et les territoires du Canada, pour vous demander d’adopter le projet de loi C-12 avec ses amendements maintenant afin d’assurer un avenir à nos enfants sur cette planète. Ce n’est pas parfait, et ce n’est pas le projet de loi fort et inspirant que nous espérions. Nous espérons qu’il y aura plus de responsabilisation lorsque le projet de loi sera finalisé. Il s’agit d’un premier pas qui permettra au Canada de prendre d’autres mesures et, espérons-le, de faire un bond dans la bonne direction. Nous — et vous — nous battons pour l’avenir de nos enfants, et nous vous demandons de vous souvenir de nos enfants lorsque vous voterez en faveur de ce projet de loi. Merci.
Andrew Gage, avocat-conseil, West Coast Environmental Law : Je remercie les membres du comité de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui à partir du territoire des peuples de langue lekwungen, à Victoria, en Colombie-Britannique. Je suis chef du programme climatique de West Coast Environmental Law, auteur de plusieurs rapports et mémoires sur le droit climatique canadien, et membre d’une coalition d’organisations réclamant une loi sur la responsabilité en matière climatique.
En 1992, sous l’ancien premier ministre Brian Mulroney, le Canada a joué un rôle de premier plan dans la négociation de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Les gouvernements du monde ont convenu de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre et de prévenir les interférences anthropiques dangereuses sur le climat.
En 1992, j’avais encore tous mes cheveux. J’ai attendu toute ma vie d’adulte que le Canada livre la marchandise. Le Canada s’est fixé des objectifs climatiques précis en 1997, sous l’ancien premier ministre Chrétien, et en 2010, sous l’ancien premier ministre Harper, mais il a raté tous ses objectifs climatiques, sans exception. Ma fille, qui a 15 ans, organise maintenant des grèves climatiques, craignant pour son avenir.
Il est clair qu’une responsabilisation s’impose. Selon le dictionnaire Merriam-Webster, cela se définit comme :
la qualité ou le fait d'être responsable, notamment l’obligation ou la volonté d’accepter la responsabilité ou de rendre compte de ses actes.
En tant que société, nous avons beaucoup plus d’expérience de la responsabilité financière que de ce que j’appelle la « responsabilisation climatique ». Nous attendons de nos gouvernements qu’ils établissent des budgets indiquant combien d’argent sera dépensé et qui sera responsable de la gestion de ces dépenses; qu’ils appliquent des principes comptables rigoureux et crédibles pour mesurer notre rendement; qu’ils présentent un rapport annuel; et qu’ils fassent faire régulièrement des vérifications par des experts pour s’assurer que les rapports sont exacts.
Ces structures sont nécessaires pour relever les défis politiques qui se posent à la fois pour la gestion financière et climatique. Les coûts et les avantages associés aux décisions actuelles ne suivent pas nécessairement les cycles électoraux, et il peut y avoir des incitatifs pour que les gouvernements dépensent plus maintenant et reportent des décisions difficiles, pour qu’ils « trafiquent les livres » ou blâment les gouvernements précédents pour les déficits budgétaires.
En 2008, le gouvernement du Royaume-Uni a adopté des versions modifiées des principes de gestion financière dans sa Climate Change Act. Il a permis aux gouvernements travaillistes et conservateurs successifs de réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays à des niveaux jamais vus depuis la fin du XIXe siècle.
Vous avez probablement entendu dire que le meilleur moment pour investir dans une atmosphère saine était en 1992, mais l'autre meilleur moment est maintenant.
Jusqu’à maintenant, le Canada n’avait pas de cadre cohérent, crédible et fondé sur des données scientifiques pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, comme en témoignent les cibles manquées.
Le projet de loi C-12, tel que modifié par la Chambre des communes, mettra en place un bon nombre des éléments nécessaires à une saine gestion climatique. Je ne dirais pas que c’est le modèle parfait qui nous a été promis, mais les pratiques exemplaires en matière de gestion financière n’étaient pas parfaites non plus quand elles ont été intégrées dans la législation canadienne.
Le projet de loi C-12 met en place des objectifs réguliers, fixés 10 ans à l’avance. C’est comme utiliser les budgets pour établir des objectifs financiers. Il faut des plans pour atteindre les objectifs. C’est comme se servir des budgets pour décrire un plan indiquant qui est responsable des dépenses. Toutefois, je ferai remarquer qu’il est moins clair dans le projet de loi C-12 que dans les lois sur le climat du Royaume-Uni ou de la Nouvelle-Zélande que les plans doivent, dans leur ensemble, correspondre à la cible, ce qui est une faiblesse troublante de cette mesure.
Il y a des exigences claires pour l’établissement de cibles et de plans. Ils doivent être établis en fonction des conseils d’experts et tenir compte des meilleures données scientifiques. Les plans doivent comprendre une description des mesures à prendre et une modélisation des réductions qui en découleront. Tout cela équivaut à l’obligation de respecter les principes comptables généralement reconnus en matière de planification financière.
Je tiens à signaler que nous sommes très déçus de ne pas voir l’obligation de modéliser les principales mesures coopératives provinciales sur lesquelles le gouvernement se fonde pour atteindre les cibles ou l’obligation de publier les hypothèses et la méthodologie de modélisation.
Nous avons également des rapports réguliers sur les progrès, bien qu’ils seront beaucoup moins fréquents après 2030, et des examens indépendants réguliers par l’organisme consultatif et le commissaire à l’environnement et au développement durable.
Le projet de loi C-12 est moins ambitieux à plusieurs égards que les lois équivalentes d’autres pays, et c’est décevant. Mais quand vous n’avez pas du tout appris à faire du vélo, la première étape est d’aller de l’avant et d’apprendre à pédaler. La crise climatique sans précédent a été négligée pendant trop longtemps, et si le fait d’essayer de rendre ce projet de loi parfait retarde les choses, le temps nous manque pour cela.
Le plus important à l’heure actuelle, c’est de commencer à mettre en place des structures et des règles qui appuient une solide planification climatique, et de développer une culture au sein du gouvernement et de la société canadienne qui reconnaît l’importance de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Un bon nombre des aspects les plus solides de l’approche du Royaume-Uni ne se trouvent pas dans la Climate Change Act du Royaume-Uni, mais font partie de la façon dont ce pays a choisi de mettre en œuvre sa législation. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une loi et des efforts de bonne foi pour qu’elle fonctionne afin que nous puissions cesser de rater nos cibles. Au besoin, nous pourrons tirer des leçons de notre expérience et renforcer la loi à un moment donné. Merci beaucoup.
Le président : Je vous remercie tous de vos exposés. Je pense qu’ils nous seront très utiles. Nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour Laure Waridel. Je vous ai connue comme écosociologue, donc je vous retrouve sous une autre bannière, avec Mères au front, et je dois dire c’est très frappant. Surtout, cela a le mérite de nous dire qu’en fait, ce sont nos enfants, et pas nous, vieux sénateurs, qui seront touchés par ce réchauffement climatique.
Revenons aux choses un peu moins intéressantes, soit les questions techniques. Vous avez été assez critique, je crois, à l’égard de l’organisme consultatif prévu dans ce projet de loi et sur la façon dont les choses se développent. Je crois qu’il y a un organisme semblable au Québec pour la question des changements climatiques. Que voudriez-vous voir dans cet organisme consultatif qui n’y est pas déjà?
En ce qui concerne les cibles contraignantes, je comprends ce que vous dites — en théorie, ce serait formidable —, mais est-ce que cela ne risque pas de nous mener vers une série de poursuites et de contre-poursuites, plutôt que de garder le débat sur la scène politique?
Mme Waridel : Merci beaucoup, madame la sénatrice, pour ces questions fort pertinentes.
Vous avez tout à fait raison. En effet, on pourrait s’inspirer du Québec pour établir un vrai comité indépendant et, pour ce faire, il faudrait qu’au moins 75 % du comité soit formé de scientifiques et de chercheurs issus de disciplines variées. Il pourrait y avoir également des gens de l’industrie, mais issus de secteurs qui ne sont pas des émetteurs ou de grands émetteurs de gaz à effet de serre. C’est ce qu’ont fait la France et la Grande-Bretagne.
Dans le cas du Québec, par exemple, il y a Alain Lemaire, qui est un pionnier dans l’économie circulaire et la réduction de l’empreinte écologique dans son secteur, qui peut amener des éléments importants. L’indépendance est extrêmement importante pour éviter les conflits d’intérêts.
En ce moment, au Canada, en ce qui concerne l’organisme mis en place, quatre de ses membres cumulent ensemble 25 ans d’expérience dans le secteur des énergies fossiles. Ils ont donc des intérêts qui ne vont pas nécessairement dans le sens d’une réduction des émissions des gaz à effet de serre; c’est très important. D’ailleurs, en ce moment, il y a une seule personne qui a été nommée à ce comité qui est un véritable scientifique indépendant.
En ce qui a trait aux cibles contraignantes, cela me semble essentiel. Comme l’ont dit mes collègues avant moi, notamment ceux d’Équiterre, le Canada s’est, à maintes reprises, doté de cibles qu’il n’est jamais parvenu à atteindre. Donc, il faut qu’à partir de maintenant, les décisions soient prises par l’intermédiaire d’un autre processus pour qu’elles nous permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Depuis le début de la crise de la COVID-19, le Canada a octroyé plus de 31 milliards de dollars en subventions au secteur des énergies fossiles. C’est énorme. Cet argent devrait plutôt aller directement aux travailleurs et aux travailleuses du secteur des énergies fossiles pour les aider directement, et non pour aider cette industrie à faire sa transition écologique.
Le Canada est plein de potentiel à plusieurs égards. Il n’y a pas seulement le Québec avec son hydroélectricité; l’Alberta a également un grand potentiel dans l’éolien et dans l’énergie solaire. C’est là qu’il faut investir; il faut accompagner les communautés, les travailleurs et les travailleuses, et cesser de subventionner une industrie qui envoie dans des paradis fiscaux une partie de ses revenus. Il faut être honnête, regarder la réalité en face et prendre des décisions qui sont dans l’intérêt de nos enfants. Ce sont eux qui subiront les bonnes comme les mauvaises décisions que nous allons prendre. Nous avons une grande responsabilité en tant qu’adultes.
Vous l’avez déjà mentionné, je suis impliquée depuis longtemps, soit depuis 30 ans. C’est mon cœur de mère qui s’exprime maintenant, parce que j’ai l’impression que c’est grâce à cela que nous réussirons à rejoindre la gauche comme la droite, peu importe la religion, la culture ou l’âge. C’est quelque chose qui nous unit tous, Canadiens et Canadiennes, soit le devoir et le désir profond de protéger ceux et celles à qui nous avons donné la vie. Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à l’organisme Mères au front et porte sur l’indépendance de l’organisme consultatif. Je ne sais pas si vous avez entendu le témoignage du ministre. J’ai soulevé ce sujet et il était très peu loquace sur les éléments qui font que cet organisme est indépendant, soit la question du budget de 15 millions de dollars, l’existence d’un secrétariat et peut-être un ou deux autres éléments administratifs. Je ne trouve pas cela très convaincant.
Vous avez également soulevé la question de l’indépendance et de l’impartialité des membres. Pouvez-vous nous donner des exemples de garantie d’indépendance et d’impartialité que vous aimeriez voir dans ce projet de loi? Serait-ce comparable notamment à ce qui se fait ailleurs dans le monde et au Québec, notamment?
Mme Waridel : Il faut un processus qui empêche les conflits d’intérêts. Évidemment, tous les membres pressentis de ce comité devraient remplir une déclaration mettant en lumière leur affiliation ou leur non-affiliation avec certains secteurs d’activité économique qui sont de grands émetteurs de gaz à effet de serre. Voilà un élément. Il faut s’assurer qu’au moins 75 % des membres ou, du moins, une majorité d’entre eux sont des chercheurs de différentes disciplines, des scientifiques ou des universitaires. Il faut qu’ils aient une formation de base solide et pertinente auprès des différents secteurs d’activité qui seront touchés au Canada.
Cependant, il y a effectivement un encadrement juridique du comité d’experts qui doit être réalisé. Je pense que nous avons intérêt à examiner ce que le Québec a fait cet automne en adoptant la Loi visant principalement la gouvernance efficace de la lutte contre les changements climatiques et à favoriser l’électrification, parce qu’il y a un cadre réel qui a été mis en place et c’est ici même au pays, donc je pense qu’on peut s’en inspirer.
La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à la Dre Kelly Martin.
[Traduction]
Vous avez dit que la chaleur arrive, qu’il y a un réchauffement et que cela aura des répercussions sur la santé. Vous semblez penser que cela arrivera demain. Cependant, si l’on regarde ce qui se passe dans les Prairies, surtout en Alberta, avec les incendies de forêt, les inondations et les sécheresses, on constate que les coûts de santé attribuables aux changements climatiques augmentent de façon exponentielle. Même la COVID-19 est une conséquence de l’empiétement des activités humaines dans les habitats fauniques.
Pourriez-vous nous expliquer comment les changements climatiques ont évolué et ont une incidence sur le Canada? Pourquoi sommes-nous si pressés d’agir et pourquoi y a-t-il urgence? Comme l’a dit un témoin, le temps est maintenant un luxe.
Dre Martin : Je tiens à préciser que je ne crois pas que les effets sur la santé arriveront demain. Je travaille au centre hospitalier de McGill et à l’hôpital pour enfants, et notre salle d’urgence est débordée par ces bébés qui sont sous ventilateur, sous respirateur et sous perfusion. Quand je dis que 900 bébés meurent, pour chaque bébé qui meurt, il y en a des milliers d’autres. Nous ne parlons ici que des bébés. Il y a des enfants qui souffrent et qui sont hospitalisés.
C’est la pointe de l’iceberg quand on parle de décès. On parle beaucoup de souffrance avant de voir un décès. Vous n’avez qu’à entrer dans notre service des urgences et à voir les salles d’urgence avec deux ou trois enfants au lieu d’un seul dans chaque salle, tous avec des problèmes respiratoires.
Chez les adultes, il y a des problèmes cardiaques et respiratoires. Comme vous le savez, hier, il faisait 35 degrés à l’extérieur, 41 degrés avec l’humidité. Pendant mon quart de travail, j’ai eu une personne de 36 ans en arrêt cardiaque. C’est sans interruption. Des ambulances attendent à l’extérieur. Ce sont des jeunes travailleurs qui ne peuvent pas travailler à cause de la chaleur extrême.
Je ne dis absolument pas que cela s’en vient. Je dis que c’est déjà ici. Je prédis les changements climatiques depuis 30 ans. On ne le prédit pas, on le voit tous les jours.
Si nous parlons des coûts de la santé, je dis qu’il faut agir dès aujourd’hui pour lutter contre les changements climatiques. Cela coûte déjà cher. Comme vous l’avez dit, la COVID en est un exemple. Il s’agit de prévoir les coûts des soins de santé. Combien coûtera l’augmentation des maladies infectieuses? Quel sera le coût de l’augmentation de l’ozone troposphérique, des matières particulaires et de tous les effets cardiaques et respiratoires? On prévoit 400 ou 500 milliards de dollars. C’est ce que nous prédisions avant la COVID-19. Selon les économistes, la COVID-19 représente un manque à gagner de 18 billions de dollars en PIB. Cela ne tient pas compte de tous les lits dans les unités de soins intensifs, des admissions, de l’augmentation du nombre d’ambulances, de toutes nos tentes et de toutes nos pertes d’infirmières que nous ne savons pas comment récupérer. Qu’arrivera-t-il à tous ces patients atteints de la COVID qui devront être traités pendant des décennies? S’il s’agit de 18 billions de dollars pour une année de COVID, combien nous en coûtera-t-il en cas de pandémie récurrente ou de maladies liées à la chaleur? Comme vous l’avez dit, c’est une urgence. C’était une crise du changement climatique; c’est maintenant une urgence du changement climatique.
Nous nous induisons nous-mêmes en erreur — et les économistes en conviendront — si nous pensons qu’il ne vaut pas la peine de dépenser un peu d’argent maintenant pour sauver des vies et des possibilités économiques pour nos enfants à l’avenir. Prenez la COVID. Regardez les provinces qui n’ont pas agi. Regardez où elles en sont maintenant. Chaque semaine, nous rencontrons nos urgentologues pour essayer de transférer les patients des provinces qui ont refusé d’agir pendant que les gens mouraient. Je pense qu’il ne faut pas l’oublier. Nous n’avons pas la situation aussi bien en main que nous le croyons.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Simons : Merci. Je voudrais poser mes questions en français, mais, malheureusement, je manque de vocabulaire pour trouver les mots justes. C’est pour cette raison que je devrai m’exprimer en anglais. J’ai des questions qui s’adressent à M. Viau et à M. Boisseau-Bouvier.
[Traduction]
Je vais maintenant passer à l’anglais, après avoir fait mon effort de bonne foi pour parler dans l’autre langue officielle du Canada.
Nous parlons d’un projet de loi qui vise à nous mener vers la carboneutralité. Vous avez tous les deux parlé de votre préoccupation pour l’équilibre des options dans le portefeuille, si je peux m’exprimer ainsi. Mais ne seriez-vous pas d’accord pour dire que si nous voulons vraiment atteindre l’objectif de zéro émission, nous ne pouvons pas le faire simplement en réduisant les émissions? Nous allons devoir adopter des stratégies d’élimination du carbone, de compensation et de puits de carbone naturels. Pensez-vous qu’il soit réaliste d’essayer de faire cela exclusivement, ou même principalement, avec des réductions d’émissions plutôt qu’avec un portefeuille équilibré d’options?
[Français]
M. Viau : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice. Je tiens aussi à vous remercier d’avoir fait votre introduction en français. C’est très apprécié. Vous n’êtes pas loin de pouvoir poser vos questions en français. Selon moi, ce serait possible.
Dans notre mémoire, nous suggérons de nous orienter vers des réductions absolues dans une proportion de 90 %. D’autres pays imposent certaines contraintes également, notamment en ce qui a trait à la compensation ou à la captation du carbone. D’autres modèles existent. Nous ne serions pas les premiers à le faire. Est‑ce réaliste? C’est réaliste, parce que c’est la meilleure façon d’atteindre nos cibles comme nous le souhaitons et telles qu’elles ont été identifiées.
Si on se fie à des mécanismes de compensation, on peut dire que, souvent, les mécanismes de compensation sont utilisés afin de poursuivre les mêmes activités industrielles qu’auparavant, sans trop changer nos comportements. Par exemple, on va planter des arbres pour acheter un pipeline. Cela ne fonctionne pas. On a besoin de ces réductions absolues. On suggère la cible de 90 % pour y arriver.
On doit continuer de faire de la recherche et du développement pour trouver d’autres techniques de réduction, ce qui est tout à fait acceptable. Toutefois, on ne peut envisager de répéter les mêmes activités économiques en obtenant des résultats différents et en ajoutant de la technologie. Si quelque chose est brisé, ce n’est pas avec la technologie qu’on va le réparer. On obtiendra une solution technologique brisée. On ne réalisera pas de progrès. Ce sera un problème au-dessus duquel on aura ajouté une solution technologique. C’est pour cette raison qu’on suggère la cible de 90 %. Est-ce réaliste? Nous croyons que oui. Il est possible de faire de la modélisation. Dans le cadre des travaux que nous avons menés avec des partenaires, nous avons fait des modélisations de réduction à 60 % d’ici 2030. Cependant, plus on attend, plus la courbe sera abrupte. C’est pour ça qu’il faut agir rapidement, afin que le projet de loi passe par toutes les étapes législatives.
La sénatrice Simons : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse à Andrew Gage. Je m’adresse à vous depuis le territoire traditionnel des Inuvialuit, à Tuktoyaktuk, dans les Territoires du Nord-Ouest, où nous subissons de graves effets des changements climatiques et du réchauffement de la planète. Nous faisons face à des menaces pour nos maisons, notre infrastructure, notre subsistance, notre mode de vie, là où nous chassons et pêchons; à des changements dans notre glace et l’intensité de l’océan Arctique pendant les mois d’été. Habituellement, ce sont les municipalités qui sont les premières à déterminer l’impact sur les collectivités, et à partir des municipalités, cela s’étend ensuite aux territoires, aux provinces et au gouvernement fédéral.
Mon expérience de la crise qui sévit à Tuktoyaktuk me porte à croire qu’à mesure que nous progressons, le sentiment d’urgence diminue et la compréhension des répercussions sur les personnes directement touchées est quelque peu amoindrie, le temps que cela arrive jusqu’aux gouvernements territoriaux ou provinciaux, puis jusqu’au gouvernement fédéral.
J’aimerais savoir comment vous voyez ce projet de loi appuyer ou refléter les réalités des municipalités, des territoires et des provinces partout au Canada?
Me Gage : Je vous remercie de la question. Je dirais que pour le moment, le projet de loi ne va pas assez loin sur ce plan-là. Le ministre a dit qu’il lance la conversation, et cela en fait partie. Il est clair que le fait d’avoir une mesure qui oblige le gouvernement fédéral à se fixer une cible nationale et à élaborer un plan favorisera les discussions avec tous les ordres de gouvernement sur la façon de le faire. Mais ce n’est certainement pas vraiment prévu dans le projet de loi sous sa forme actuelle en ce qui concerne le rôle des différents ordres de gouvernement.
Ce n’est pas un modèle qui a été adopté dans ce projet de loi, mais j’ai fait valoir, par le passé, qu’il serait vraiment formidable d’avoir un organisme national d’experts qui pourrait donner des conseils à tous les ordres de gouvernement et inclure des représentants nommés par tous les niveaux de gouvernement. Ce n’est pas l’approche adoptée ici. Comme je l’ai dit, je ne pense pas que nous puissions retarder ce projet de loi pour le rendre parfait.
Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que les administrations locales doivent composer avec les répercussions des changements climatiques d’une façon que les autres ordres de gouvernement commencent à peine à envisager.
Le président : Merci. Permettez-moi de poser une brève question à vous quatre.
La plupart d’entre vous recommandent des amendements au projet de loi. Comme vous le savez, le projet de loi est toujours à l’étude à la Chambre des communes, et on y apporte encore des amendements. Nous espérons qu’il nous sera renvoyé sous peu afin que nous puissions poursuivre son étude.
La plupart d’entre vous recommandent des amendements, mais si vous regardez la situation réelle que nous avons, il se peut très bien que nous ne recevions le projet de loi que la semaine prochaine, et pourtant, comme nous le prévoyons habituellement, la Chambre des communes va probablement partir en vacances à la fin de la semaine prochaine et il se peut qu’elle ne soit pas là pour examiner des amendements.
Veuillez répondre brièvement. Devrions-nous donc attendre jusqu’à l’automne pour terminer notre analyse et donner à la Chambre des communes le temps d’étudier nos amendements? Où allons-nous nous pincer le nez et accepter le projet de loi tel qu’il est présenté maintenant? Est-ce que chacun d’entre vous préfère attendre ou aller de l’avant?
Me Gage : C’est une question très difficile, et je suis sûr que vous vous y attaquez de la même façon que nous.
Comme nous l’avons dit dans nos mémoires, nous pensons que les éléments du projet de loi modifié sont positifs. En l’absence de mécanisme de planification climatique, il est extrêmement utile de mettre quelque chose en place pour commencer à déterminer si cela va fonctionner.
Le président : Vous accepteriez donc le projet de loi sous sa forme actuelle?
Me Gage : Je l’accepterais tel quel, à condition qu’il soit réexaminé plus tard. Il doit être revu lorsque nous aurons une certaine expérience de la loi et de son fonctionnement. Nous devons voir s’il fait le travail nécessaire, et l’améliorer.
Le président : Monsieur Viau, qu’en pensez-vous?
[Français]
M. Viau : Je suis sensiblement du même avis que mon collègue Andrew Gage. Ce projet de loi doit être adopté avant les prochaines élections, car le risque d’une élection avant le retour probable de la Chambre à l’automne est trop grand. Des progrès ont été faits et peuvent encore être faits. Mon collègue d’Ecojustice, Alan Andrews, directeur de programme, Climat, en parlera plus tard dans le prochain groupe de témoins. Cependant, comme je l’ai dit dans mes remarques d’introduction, nous avons déjà 10 ou 15 ans de retard en ce qui concerne ce projet de loi.
Le président : Alors, on l’adopte comme tel?
M. Viau : Oui, en tenant compte du fait qu’il pourrait toujours être renforcé par la suite.
Le président : D’accord, merci. Madame Waridel, on adopte le projet de loi comme tel?
Mme Waridel : Je partage l’avis exprimé par mes collègues. Il s’agit déjà d’un pas dans la bonne direction. Il faut l’adopter; ensuite, on pourrait s’assurer que le projet de loi permettra de faire plusieurs autres pas dans la bonne direction et que d’autres mécanismes seront mis en place. Il est fondamental que ce projet de loi soit adopté, et cela devrait être une priorité.
[Traduction]
Dre Martin : Je vous remercie de la question. C’est la question du jour. Oui, nous sommes d’accord pour que le projet de loi soit adopté. Je vous dirais que nous continuerons de suivre la situation de près et d’exercer des pressions. Nous vous demandons de nous aider à garder le cap et à en faire le meilleur projet de loi que nous voulons tous.
[Français]
Le président : Merci. Nous passons maintenant à la deuxième ronde de questions.
La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à Me Andrew Gage.
[Traduction]
Je suis tout à fait d’accord avec vous au sujet de la comparaison des lois sur la responsabilité en matière climatique. Le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande sont beaucoup plus forts, mais ils ont plus d’expérience et sont de plus petits pays. Ils ne sont pas confrontés aux mêmes problèmes que nous avec les provinces et la responsabilité partagée en matière d’environnement.
Une chose a particulièrement retenu mon attention dans ce que vous avez dit. Vous avez souligné que le cadre du projet de loi ou de la loi au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande est assez court. Mais il y a beaucoup d’autres outils et règlements qui peuvent être mis en place et qui peuvent permettre de tout harmoniser pour atteindre nos objectifs. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la contribution du règlement à cet égard?
Me Gage : Je vous remercie de la question. Je parlais moins de la réglementation stricte que de la culture qui s’est développée. Le projet de loi du Royaume-Uni a reçu l’appui de tous les partis au Parlement pour être adopté, et le comité consultatif relève directement du Parlement.
Par conséquent, la façon dont tous les partis l’ont utilisé au Parlement pour faire pression en faveur de lois plus rigoureuses sur le climat a été très utile. On peut avancer que le niveau de détail des plans ne correspond pas à ce qu’exige la loi. En effet, ils vont beaucoup plus loin que ce qui est exigé par la loi. Mais comme le gouvernement a commencé à procéder ainsi, les gouvernements qui lui ont succédé ont aussi présenté des plans plus détaillés.
Les exigences juridiques strictes quant aux personnes qui peuvent être nommées au comité consultatif ne sont probablement pas beaucoup plus détaillées que ce qui se trouve dans la loi canadienne, même s’il y a un processus différent qui est probablement utile. Pourtant, les experts qui ont été nommés possèdent le genre d’expertise que nous et bien d’autres avons demandée. Il s’agit donc de procédures qui ne figurent peut-être même pas dans le règlement, mais qui font maintenant partie de la pratique observée au Royaume-Uni.
La sénatrice Galvez : Merci.
Le sénateur Patterson : Merci. Monsieur Boisseau-Bouvier, vous avez parlé des répercussions de l’industrie sur le PIB, vous avez cité l’Agence internationale de l’énergie, l’AIE, et Me Gage a aussi parlé des compromis à faire entre l’économie et le climat. Nous savons que le passage aux technologies vertes exige des investissements en immobilisations. J’espère que vous êtes d’accord pour dire qu’une partie de cette somme devrait provenir du secteur privé. Tout cela ne peut pas venir du gouvernement.
Ce que j’aimerais savoir, c’est ce que vous entendez quand vous dites que la planification doit être guidée par les meilleures données scientifiques. Ne devrions-nous pas aussi nous soucier des répercussions économiques des plans de réduction des émissions de GES sur le PIB réel, des répercussions sociales et des compromis à faire, comme en ce qui a trait à l’emploi, et les mesurer? Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que cela semble manquer dans le projet de loi C-12?
[Français]
M. Boisseau-Bouvier : Merci, sénateur, de poser cette question. Dans mon allocution, j’ai parlé des impacts de l’inaction face aux changements climatiques, qui sont bien plus grands que les conséquences économiques qui vont de pair avec la transition que nous devrons forcément faire pour atteindre nos cibles de réduction de gaz à effet de serre.
Cela aura des impacts économiques évidents sur l’économie canadienne, et c’est pour cela que le gouvernement devra être présent dès aujourd’hui pour accompagner les travailleurs, les industries et les régions qui dépendent des industries fortement émettrices, par exemple.
D’un point de vue économique, l’inaction est beaucoup plus coûteuse que les coûts liés aux changements structurels dont nous avons besoin.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Merci. Si nous voulons produire de l’hydrogène, une énergie propre, les abondantes ressources en gaz naturel du Canada, jumelées à des technologies énergétiques de pointe, constitueraient une excellente source. Comme vous le savez, le gaz naturel canadien pourrait aussi remplacer la production d’électricité au charbon s’il est exporté. Seriez-vous d’accord pour dire que le gaz naturel a un rôle à jouer, par exemple, pour aider à réduire les émissions mondiales qui nous préoccupent tous, ainsi qu’au pays? Merci.
[Français]
M. Boisseau-Bouvier : Merci de cette question. Malheureusement, je ne suis pas d’accord avec vous sur le rôle du gaz fossile à titre d’énergie de transition. Pas plus tard que le mois dernier, l’Agence internationale de l’énergie, comme je l’ai mentionné plus tôt, a indiqué qu’aucun nouveau projet fossile ne pouvait être accepté si nous voulions atteindre l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C. Malheureusement, le gaz fossile canadien n’est pas une énergie de transition et ne nous permettra pas d’atteindre nos cibles. On pourrait miser sur l’hydrogène; je comprends qu’on ne peut assurer l’électrification de certains secteurs, par exemple, et le Canada a la chance de compter sur de l’électricité renouvelable abondante. Misons donc plutôt sur l’hydrogène renouvelable, l’hydrogène vert, afin de décarboniser certains secteurs qui ne peuvent pas directement faire le transfert vers l’électrification.
Le président : Merci beaucoup à nos témoins et à nos experts. Nous sommes heureux d’avoir été en mesure de connaître vos opinions et de profiter de vos connaissances; cela nous a été très utile.
Nous allons maintenant analyser tout cela dans le cadre de notre rapport final et de la révision de la loi qui, nous l’espérons, se fera très bientôt.
Chers collègues, pour notre troisième groupe de témoins, nous accueillons Michael McSweeney, président et chef de la direction, Association canadienne du ciment; Alan Andrews, directeur de programme, Climat, Ecojustice; Monica Gattinger, professeure titulaire et directrice, Énergie positive, Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique de l’Université d’Ottawa, à titre personnel.
Bienvenue, et merci d’avoir accepté notre invitation. Vous avez cinq minutes chacun pour présenter vos remarques. Nous aurons des questions pour vous après vos allocutions. Monsieur McSweeney, vous avez maintenant la parole.
[Traduction]
Michael McSweeney, président et chef de la direction, Association canadienne du ciment : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis président de l’Association canadienne du ciment. Je vous remercie de me donner l’occasion de faire quelques brèves observations sur la question déterminante de notre époque, les changements climatiques.
Le ciment et le béton sont des produits stratégiques essentiels dans le monde moderne et ils joueront un rôle central dans les efforts du Canada visant à moderniser nos bâtiments et notre infrastructure afin que nous puissions relever les défis de l’avenir en matière de faibles émissions de carbone et de résilience aux changements climatiques.
Au cours des cinq prochaines années, le Canada produira quelque 55 millions de tonnes de ciment et 400 millions de tonnes de béton. Cela permettrait de remplir suffisamment de bétonnières pour faire le tour du globe quatre fois et demie. La décarbonisation du secteur du ciment doit donc être prioritaire.
Partout au pays, l’industrie du ciment et du béton a toujours appuyé une politique climatique vigoureuse et efficace, y compris la tarification du carbone et toutes les mesures prises par le gouvernement du Canada.
L’ambition de notre industrie est de produire du béton neutre en carbone d’ici 2050, mais nous élaborons notre plan en prévision de cibles pour 2025 et 2030 également. Nous sommes fiers d’avoir annoncé lundi dernier une collaboration officielle avec le ministre Champagne, Innovation, Sciences et Développement économique Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, le Conseil national de recherches du Canada et le Conseil canadien des normes afin de travailler à l’échelle du gouvernement sur des feuilles de route technologiques et stratégiques qui feront de notre ambition climatique une réalité.
La voie à suivre ne sera pas facile, mais il reste des solutions à notre portée dont la mise en œuvre est entravée aujourd’hui non pas par la technologie, mais par des politiques gouvernementales désuètes, des codes et des normes dépassés et, bien franchement à mon avis, par un sentiment d’urgence inexistant dans certaines parties du secteur public.
Nous espérons que l’adoption rapide du projet de loi C-12 nous aidera à mettre un terme à cette complaisance et à envoyer un signal clair que le Canada est déterminé à respecter ses engagements en matière de lutte contre les changements climatiques. Fait important, nous croyons que le Canada peut tirer parti de ses avantages, des ressources naturelles, de l’énergie propre et de l’esprit d’innovation pour assurer la prospérité économique dans la transition mondiale vers une économie propre.
Dans notre industrie seulement, nous avons cerné des projets prêts à démarrer qui pourraient éviter de produire quelque 15 mégatonnes d’émissions d’ici 2030, avec une réduction permanente de 4 à 5 mégatonnes par année, soit près de la moitié des émissions annuelles totales de notre industrie. Imaginez si l’industrie du ciment pouvait réduire ses émissions de CO 2 de 15 mégatonnes d’ici 2050.
Nous pourrons y arriver en remplaçant les combustibles fossiles utilisés pour chauffer nos fours par des solutions de rechange à faible teneur en carbone, comme la biomasse, les biosolides, les déchets de construction et de démolition, les plastiques non recyclables, les bardeaux, les tapis, et ainsi de suite. Tout ce qui a une valeur calorifique ne devrait jamais prendre le chemin du dépotoir, mais plutôt être envoyé à l’industrie canadienne du ciment pour remplacer les combustibles fossiles.
Nous innovons avec de nouveaux ciments à faible teneur en carbone comme le ciment calcaire Portland, qui pourrait réduire les gaz à effet de serre de 10 % sans qu’il en coûte un sou aux contribuables.
Nous devons accélérer nos investissements et nos technologies transformationnelles, y compris l’utilisation et la séquestration du carbone. Cette technologie promet de réduire la production de carbone dans la fabrication du ciment, mais aussi de séquestrer le carbone dans le béton. Il existe donc des solutions.
Cela m’amène au projet de loi C-12. Nous ne nions pas l’ambition de ce gouvernement en matière de climat. Je crois que les changements climatiques sont prioritaires pour tous les partis politiques, même s’il y a des désaccords sur la façon la plus efficace d’y parvenir. Cependant, nous devons reconnaître que la lutte contre les changements climatiques n’est pas seulement un défi économique. Ce n’est même pas un défi technologique. C’est effectivement un défi culturel. Elle exige de nouvelles façons de penser, de faire des affaires, une innovation dans l’élaboration et la prestation de politiques et de services publics. Un changement systémique de cette ampleur est difficile à réaliser. Il ne se fera pas de façon organique sans des mécanismes de responsabilisation solides et transparents.
Le projet de loi C-12 n’est peut-être pas parfait. Nous encourageons ce comité et le Sénat à réfléchir à son renforcement, y compris afin d’obtenir une plus grande reddition de comptes de la part des provinces, des territoires et des municipalités. Mais si le projet de loi C-12 peut contribuer à susciter le sentiment d’urgence nécessaire, s’il peut mettre un terme à la complaisance et à l’inertie bureaucratique et s’il peut inspirer aux entreprises et aux investisseurs un sentiment de confiance, et favoriser la stabilité et la prévisibilité nécessaires pour attirer des investissements de capitaux dans l’économie propre ici au Canada, peut-être aurons-nous la chance pour la première fois de notre histoire d’atteindre enfin nos objectifs.
Honorables sénateurs, je vous exhorte à adopter le projet de loi C-12 avant la fin de la session. Merci beaucoup.
Alan Andrews, directeur de programme, Climat, Ecojustice : Je vous remercie de me donner la parole aujourd’hui. Je suis Alan Andrews, directeur de programme, Climat, à Ecojustice. Je suis un avocat autorisé à exercer au Canada, en Angleterre et au pays de Galles.
Je me joins à vous aujourd’hui depuis le territoire ancestral traditionnel non cédé des Premières Nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh à Vancouver, en Colombie-Britannique.
Je suis originaire du Royaume-Uni, et c’est la Climate Change Act de 2008 du Royaume-Uni qui est habituellement considérée comme la référence en matière de législation sur la responsabilité en matière climatique, à juste titre. Elle est celle qui est en place depuis le plus longtemps, de sorte qu’elle a traversé plusieurs changements de gouvernement, une crise financière et le Brexit, et qu’elle est fondée sur un système juridique semblable à celui du Canada. Cependant, d’autres pays, notamment la Nouvelle-Zélande, ont pris ce modèle et l’ont peaufiné et adapté.
Malheureusement, le Canada a emprunté une voie différente avec le projet de loi C-12 et, dans sa version initiale, il n’est pas à la hauteur. Toutefois, comme il a été sensiblement renforcé en comité, je vais me concentrer de résumer, à un très haut niveau, les principaux amendements apportés jusqu’à maintenant et d’évaluer dans quelle mesure ils améliorent le projet de loi.
À la fin de la session de lundi, le comité s’est rendu jusqu’à l’article 20 sur un total de 29 dans le projet de loi. La plupart des dispositions clés du projet de loi ont donc été débattues et amendées. De toute évidence, le texte est encore sujet à d’autres amendements, mais nous avons maintenant une assez bonne idée de la force que l’ensemble du projet de loi aura à l’étape de la troisième lecture.
Voyons d’abord les objectifs. Ils seront maintenant fixés 10 ans à l’avance au lieu de 5. Les cibles doivent être de plus en plus rigoureuses pour ne pas s’affaiblir, et au lieu d’être inscrites par le ministre seulement six mois après l’entrée en vigueur de la loi, la cible de 2030 sera maintenant dans la loi dès le premier jour et reflétera la plus récente contribution déterminée au niveau national du Canada. Il faudra attendre de voir à quel point cette cible est ambitieuse, mais comme il y aura une révision de la cible en 2026, il sera possible de viser encore plus haut.
Je passe maintenant aux obligations en matière de planification et de rapports, qui sont vraiment essentielles à l’efficacité du projet de loi C-12. Elles constituent le fondement redditionnel du projet de loi C-12, et tous les autres freins et contrepoids que le projet de loi met en place reposent sur l’existence d’un plan détaillé. Trop souvent, les plans sont imprécis et ne tracent pas un cheminement réalisable vers l’atteinte des objectifs, si bien que, comme les témoins précédents en ont parlé, nous ratons la cible.
Heureusement, le projet de loi C-12 amendé apporte des améliorations en ce qui concerne les détails exigés dans les plans et les rapports. Nous verrons des projections annuelles des réductions d’émissions combinées prévues dans le plan. Ces projections doivent être ventilées par secteur industriel, et un calendrier doit être prévu pour la mise en œuvre de ces mesures.
Nous avons également constaté une légère amélioration dans le rapport d’étape, si bien que face à une indication que nous allons rater une cible, le ministre doit désormais présenter les mesures qui pourraient être prises pour accroître les chances de l’atteindre.
Enfin, les rapports seront plus fréquents au cours de la période cruciale qui nous mènera jusqu’en 2030.
Bien que ces amendements améliorent sensiblement le projet de loi, plusieurs lacunes subsistent. Je vais en souligner trois.
Tout d’abord, vous avez entendu des intervenants précédents parler du manque de précisions obligatoires sur les plans de coopération entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. Je partage ces préoccupations. Il est essentiel que les responsabilités soient établies clairement sur le plan redditionnel.
Deuxièmement, ces plans détaillés ne sont requis que cinq ans avant l’atteinte d’un objectif, ce qui, dans le domaine de la politique climatique, est une très courte période. Il faut une « description de haut niveau » des mesures 10 ans à l’avance, mais on ne sait pas trop dans quelle mesure cette description sera détaillée.
Ensuite, comme nous demeurons préoccupés quant à savoir si l’organisme consultatif aura l’indépendance et l’expertise nécessaires pour tenir le gouvernement sur la sellette en ce qui concerne les changements climatiques, nous sommes impatients de voir si d’autres amendements seront apportés à cet égard.
Je conclurai en disant que, même si les amendements adoptés jusqu’ici améliorent grandement le projet de loi, celui-ci est encore loin de respecter les pratiques exemplaires internationales, mais il renferme certains des éléments fondamentaux d’un cadre redditionnel. S’il est adopté, il ne fait aucun doute que ce serait un énorme pas en avant pour le Canada en matière de responsabilité climatique. Merci.
Monica Gattinger, professeure titulaire et directrice, Énergie positive, Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci et bon après-midi.
Je me joins à vous aujourd’hui depuis le territoire non cédé du peuple algonquin.
À l’Université d’Ottawa, Énergie positive est notre programme phare de recherche et d’engagement qui utilise le pouvoir rassembleur de l’université et de la recherche universitaire axée sur les solutions pour déterminer comment renforcer la confiance du public dans les décisions concernant l’avenir énergétique du Canada à l’ère des changements climatiques.
Mon témoignage d’aujourd’hui s’appuie sur plus de cinq ans de recherche et d’engagement dans le cadre du programme Énergie positive. J’ai trois principaux messages à communiquer au comité au sujet du projet de loi C-12.
Tout d’abord, la confiance du public jouera un rôle déterminant dans l’atteinte de la carboneutralité. Sans l’appui du public, des collectivités, des investisseurs, des organismes autochtones, de la société civile et de tous les ordres d’administration publique, le Canada ne réalisera pas de progrès continus en matière de réduction des émissions.
Les cibles sont importantes. Elles suscitent l’ambition vers des objectifs toujours plus élevés. Elles nous inspirent. Les modèles sont également importants. Ils proposent des pistes de solution pour réduire les émissions.
Mais les cibles et les modèles sont souvent défaillants dans le monde réel de la politique, des marchés, des réseaux énergétiques, des consommateurs, des investisseurs, des collectivités et des relations fédérales-provinciales. Les plans qui paraissent bien sur papier ne le sont pas toujours dans le monde réel de l’énergie.
L’adoption d’approches qui intègrent tous ces facteurs dans la planification et la prise de décisions sera essentielle. Une lecture ligne par ligne du projet de loi C-12 révèle qu’il y a place à l’amélioration à cet égard.
Deuxièmement, le Canada doit définir un rôle constructif pour le secteur pétrolier et gazier en ce qui concerne la carboneutralité. L’un des débats les plus controversés sur l’avenir énergétique du Canada porte sur le pétrole et le gaz, opposant ceux qui réclament des mesures énergiques de lutte contre les changements climatiques passant par l’abandon du pétrole et du gaz le plus rapidement possible à ceux qui réclament un processus de changement plus mesuré et un rôle continu pour le pétrole et le gaz.
Ces deux « réalités » de la transition énergétique pour le Canada sont au cœur de nombreux débats sur le projet de loi C-12, mais il y a une voie à suivre.
Le mois dernier, l’Agence internationale de l’énergie a publié un rapport qui propose une voie vers des émissions mondiales nettes de GES nulles d’ici 2050. L’aspect de cette annonce qui a le plus défrayé les manchettes, c’est qu’il ne devrait pas y avoir d’exploitation de nouveaux gisements de pétrole et de gaz si l’on veut que le monde atteigne ses objectifs de carboneutralité.
Certains s’en servent pour réclamer la fermeture de l’industrie pétrolière et gazière du Canada. Ce serait une interprétation étroite et erronée du rapport. L’AIE ne précise nulle part dans son rapport que le pétrole et le gaz ne feront pas partie du bouquet énergétique mondial dans les prochaines décennies.
De plus, l’Agence souligne que l’atteinte de l’objectif de carboneutralité repose sur l’innovation dans le secteur pétrolier et gazier, notamment les progrès technologiques en matière de captage, d’utilisation et de stockage du carbone, et nous devrons compter sur l’hydrogène bleu produit à partir du gaz naturel qui, grâce au captage du carbone, permettra de réduire les émissions dans des secteurs où il est plus difficile de le faire, comme le ciment, l’acier et la fabrication de produits chimiques, en plus de développer les marchés mondiaux de l’hydrogène.
Qu’est-ce que cela a à voir avec le projet de loi C-12? On indique dans ce dernier que les plans de réduction des émissions doivent tenir compte à la fois du court et du long terme, c’est‑à‑dire des technologies et des sources d’énergie qui peuvent être déployées maintenant pour réduire les émissions jusqu’en 2030 et de celles qui devront être mises au point au cours des 30 prochaines années. Il y a place à une réflexion en deux étapes dans le projet de loi C-12.
Troisièmement, la sécurité énergétique sera au cœur de la route vers la carboneutralité. L’AIE définit la sécurité énergétique comme la pratique qui consiste à assurer la disponibilité ininterrompue de sources d’énergie à un prix abordable. Les décideurs connaissent bien le volet de la sécurité énergétique qui concerne les sources d’énergie — ils sont témoins de nos débats sur le pétrole et le gaz, les énergies renouvelables, le nucléaire et plus encore. Mais la disponibilité et l’abordabilité sont souvent négligées, même s’il s’agit de piliers essentiels de la transformation du réseau énergétique.
L’électrification sera essentielle en ce qui concerne la disponibilité de l’énergie et les interruptions possibles dans ce domaine. À mesure qu’augmente la dépendance du réseau énergétique à l’électricité, sa vulnérabilité aux pannes d’électricité augmente à l’avenant.
Les défis sont multiples et englobent les changements climatiques en soi sous la forme d’événements météorologiques extrêmes plus fréquents, de la capacité d’intégrer des sources d’énergie intermittentes au réseau, de la protection contre les cyberattaques et de la capacité de financer et de construire un nombre astronomique d’éléments d’infrastructure. Si l’offre ne suit pas la demande, attendez-vous à des interruptions, ou à une flambée des prix.
Ce dernier point nous amène à la question de l’abordabilité. Les prix de l’énergie sont notoirement difficiles à prédire, mais une chose est certaine. Les Canadiens ne restent pas les bras croisés devant les prix élevés et canalisent souvent leur colère à ce sujet vers les politiciens, ce qui risque d’entraîner un recul de nos engagements en matière de lutte contre les changements climatiques.
Il n’y a toutefois rien de tout cela qui justifie d’affaiblir la lutte contre les changements climatiques. Cette situation met plutôt en relief l’importance de maintenir la sécurité énergétique à l’avant‑plan de l’objectif de carboneutralité. À ce sujet, j’aimerais signaler au comité que la sécurité énergétique n’est pas mentionnée une seule fois dans le projet de loi C-12, pas plus que la disponibilité ou l’abordabilité. À mon avis, cela doit changer.
Je remercie le comité de m’avoir invitée à témoigner et j’ai hâte d’entendre vos questions et vos commentaires.
Le président : Merci à vous trois. Vous nous avez fait de très bonnes suggestions et vous nous avez fait profiter de votre bagage de connaissances.
Le sénateur Patterson : J’aimerais revenir sur votre dernier point, madame Gattinger, à savoir que ni l’abordabilité ni la sécurité énergétique ne sont mentionnées dans le projet de loi. Je suis également préoccupé par le fait qu’il n’y a pas de paramètres économiques dans d’autres domaines, comme le PIB réel, dans le projet de loi. Pourriez-vous nous expliquer, si vous y avez réfléchi, comment corriger ces lacunes?
Mme Gattinger : Je pense que cela se résume en fait à deux parties du projet de loi. Il y a d’abord le préambule. Il sera essentiel, à mon avis, d’ajouter des concepts concernant l’énergie et la sécurité énergétique. Je remarque aussi que l’énergie elle‑même n’est pas mentionnée une seule fois dans le projet de loi, ce qui m’a un peu surpris. Le préambule serait certainement une façon de rectifier la situation.
L’autre aspect, bien sûr, est l’article 10, le plan de réduction des émissions et son contenu. Je pense que vous pourriez facilement ajouter une disposition sur l’énergie et les systèmes énergétiques, la compétitivité et les marchés, pour revenir à ce que vous avez dit, ainsi que la sécurité énergétique. Je pense que ce sont là les deux principaux aspects que je proposerais au comité d’examiner.
Le sénateur Patterson : Conseils très utiles. Merci.
Le sénateur D. Black : Madame Gattinger, ma question s’adresse à vous. Merci pour ces conseils très utiles, dont le comité est reconnaissant.
Il y a des dizaines de milliers de personnes qui nous écoutent aujourd’hui, alors, à partir de ce que vous nous avez dit, j’aimerais que vous donniez aux Canadiens une idée de ce qu’il faudra pour atteindre les objectifs énoncés dans le projet de loi C-12. Qu’est-ce que cela signifie pour les Canadiens, s’il vous plaît?
Mme Gattinger : C’est une excellente question. Je pense qu’il faudra beaucoup de collaboration et beaucoup de décloisonnement.
En ma qualité d’analyste du domaine de l’énergie, je constate que bon nombre de ces débats se déroulent en vase clos. Nous avons des gens qui s’intéressent au climat de leur côté et d’autres qui ont une grande expertise en matière énergétique, d’un autre côté. Nous devons vraiment commencer à éliminer ces silos et à adopter une approche intégrée qui réunit les impératifs énergétiques et climatiques. Ce sera essentiel pour gagner la confiance du public dans les années à venir et pour réaliser des progrès et réduire les émissions au Canada.
Le sénateur D. Black : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Oui, merci. Ma question a trait au décloisonnement. Ne devrait-on pas avoir des plans qui feraient collaborer davantage l’entreprise privée? On impose des cibles et des plans gouvernementaux pour atteindre des objectifs, mais, tout compte fait, ce sont les entreprises privées, particulièrement les grands émetteurs, qui nous aideront à atteindre nos objectifs si nous travaillons ensemble. Ne devrait-on pas avoir un système où toutes les grandes entreprises qui dépassent un certain niveau d’émissions de gaz à effet de serre devraient avoir un plan de réduction de gaz à effet de serre pour leur industrie et pour leurs usines? On a réussi à implanter le programme d’équité salariale, on a établi des codes, on a créé des comités d’équité salariale où on évalue la situation dans chacune des entreprises. On a fait la même chose en ce qui a trait à la prévention des accidents de travail et à la prévention des incendies, avec des systèmes particuliers pour chacune des entreprises. Ne devrait-on pas faire de même dans le contexte environnemental?
Mme Gattinger : Je pense que c’est très important et il y a plusieurs entreprises qui sont très actives dans ce domaine, de toute évidence. Toutefois, pour ce qui est du projet de loi, il y a une chose qui m’a frappée dans le préambule : on parle de l’action de plusieurs acteurs dans la société, y compris les entreprises, mais on ne parle pas de collaboration. Je pense que nous avons la possibilité d’ajouter ce concept au préambule. J’ajouterais également, pour ce qui est de la section 10, qui porte sur le contenu du plan en vue de réduire les émissions, qu’il n’y a aucune disposition que ce soit qui traite de la collaboration avec le secteur privé ou les organisations gouvernementales.
Je crois que vous avez eu un témoin d’Environnement Canada; ce ministère a bien un programme, mais il s’agit d’un programme volontaire, justement pour le genre d’initiatives dont vous avez parlé. Pour ce qui est de savoir si ce programme devrait être obligatoire, je pense que ce serait plutôt au comité de se pencher là-dessus, mais je constate que, du côté de l’énergie, il y a de plus en plus d’entreprises qui développent des plans et des engagements assez ambitieux par rapport aux réductions des émissions de gaz à effet de serre.
[Traduction]
M. McSweeney : Je pense que c’est pour cette raison qu’il était important que le ministre Champagne annonce la semaine dernière un partenariat entre l’industrie du ciment et Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Le travail se fera au niveau d’un groupe de travail pangouvernemental composé d’ISDE, du Conseil du Trésor, du Conseil national de recherches du Canada, du Conseil canadien des normes et des marchés publics pour créer une chaîne d’approvisionnement à faibles émissions de carbone mise en place par le moyen d’une stratégie de collecte d’information, de normes industrielles et de leviers d’approvisionnement. Le groupe coordonnera le travail à l’échelle du gouvernement sur la recherche à haut potentiel et les investissements axés sur de nouvelles technologies et de nouveaux produits et procédés visant à réduire la quantité de carbone libérée durant le processus de fabrication du ciment et du béton.
Il mobilisera également des partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux, des fabricants et des fournisseurs de solutions de technologies propres, ainsi que d’autres intervenants qui travailleront ensemble à ce dossier. Je pense que c’est la première fois en 13 ans que je vois le gouvernement activement mettre sur pied un groupe de travail qui réunira tout le monde autour de la table pour notre industrie.
J’espère que le gouvernement se sentira encouragé à envisager d’autres partenariats avec les industries forestière, minière et chimique ainsi qu’avec d’autres groupes. Le sénateur Carignan soulève un point important, à savoir que nous devons réunir tous les intervenants, notamment les groupes environnementaux comme Ecojustice, les universitaires, la société civile et l’industrie manufacturière. C’est la seule façon de lutter contre les changements climatiques, c’est en travaillant ensemble. Je félicite le ministre Champagne d’avoir annoncé cela avec moi la semaine dernière.
La sénatrice Simons : Je tiens à remercier nos invités de cet après-midi, Me Andrews et Mme Gattinger, de leur excellente analyse et de leurs observations préliminaires sur ce projet de loi. Cela m’a énormément aidée à comprendre ce que le projet de loi prévoit et ne prévoit pas.
Ma question s’adresse à M. McSweeney. J’aimerais savoir comment cela fonctionne. Je me demande si vous pouvez m’expliquer deux choses. Premièrement, comment peut-on utiliser la production de ciment et de béton pour effectivement séquestrer le carbone?
Deuxièmement, comment proposeriez-vous de brûler des tapis et des vieux canapés Chesterfield sans produire toutes sortes de bonnes vieilles particules atmosphériques polluantes extrêmement nocives?
M. McSweeney : Aujourd’hui, les combustibles utilisés pour fabriquer le ciment sont principalement le charbon et le coke de pétrole. N’importe quel matériau qui a une valeur calorifique et qui est envoyé à la décharge de nos jours. Nous disons qu’il faut envoyer cela dans les fours à ciment et que nous les utiliserons comme combustible. Sur une échelle de 1 à 10, si le charbon et le coke de pétrole étaient à 10 comme polluants, des choses comme la biomasse et les biosolides ne produiraient aucune émission selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ou GIEC, et le combustible dérivé des déchets, comme les plastiques non recyclables, les choses que vous avez mentionnées comme les déchets de construction et de démolition, les tapis et les bardeaux, sont tous autour de 2 ou 3 sur cet indice. N’oubliez pas qu’une fois dans des sites d’enfouissement, ces articles se décomposent avec le temps et créent du méthane, un des pires gaz à effet de serre que nous connaissions aujourd’hui.
C’est la réponse à votre deuxième question. La première porte sur le captage, l’utilisation et la séquestration du carbone. Notre industrie demande de l’argent dans le cadre du Fonds stratégique pour l’innovation, l’accélérateur net zéro, pour lequel la vice‑première ministre, Mme Freeland, a annoncé une augmentation de 5 milliards de dollars dans le dernier budget. Nous avons donc 8 milliards de dollars qui seront versés à l’industrie pour qu’elle cherche à réduire les émissions par des moyens comme le captage, l’utilisation et le stockage du carbone. À Ressources naturelles Canada, il y a aussi un programme sur le captage, l’utilisation et le stockage du carbone.
Nous avons d’autres technologies comme CarbonCure, qui réduit la quantité de ciment entrant dans le béton et qui séquestre également une petite quantité de CO2 au moment où il pénètre dans le béton. Nous avons Svante, nous avons Solidia; il y a beaucoup de nouvelles entreprises. Comme le ministre de l’Environnement l’a souvent dit, les technologies dont nous avons besoin pour réduire les émissions de CO2 afin d’atteindre nos cibles de 2030 n’ont pas encore été découvertes, mais elles le seront au cours de la prochaine décennie, en grande partie avec l’aide du gouvernement et du secteur privé. Nous devons mettre fin à l’inertie. Nous devons amener le gouvernement à collaborer. Je suis un ardent défenseur de la réduction des gaz à effet de serre depuis 13 ans. Nous avons demandé au gouvernement d’utiliser certaines choses, comme, par exemple, un nouveau ciment, le ciment Portland au calcaire, qui réduit les gaz à effet de serre de 10 % dans le cadre de ce projet. Cela fait trois ou quatre ans que nous essayons de faire en sorte que le Conseil du Trésor impose l’utilisation de ce ciment dans les contrats du gouvernement fédéral. Il n’y a aucun sentiment d’urgence. Nous sommes en 2021. Si nous voulons réduire les émissions de CO2 de 40 à 45 % d’ici 2030, nous devons envisager des solutions faciles qui ne coûtent même pas un sou aux contribuables. Ce nouveau ciment est l’équivalent du ciment d’usage général. Nous ne fabriquons que deux ciments, le ciment d’usage général et le ciment Portland au calcaire.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, monsieur McSweeney, de votre exposé incroyable. Nous sommes tout à fait d’accord. Les codes du bâtiment et le recyclage d’articles contenant du ciment sont la voie à suivre. Ce sont des fruits faciles à cueillir. Ma question s’adresse à Mme Gattinger. Nous allons accueillir quelqu’un de l’Agence internationale de l’énergie, et nous allons lui poser des questions sur certaines des choses que vous nous avez dites. J’ai lu le rapport de l’AIE, et nous n’avons pas la même compréhension. Je suis heureuse que cette personne vienne.
Madame Gattinger, pouvez-vous confirmer qui finance la recherche pour votre initiative Énergie positive? J’ai ici l’Alberta Energy Regulator, la British Columbia Oil and Gas Commission et l’Association canadienne des producteurs pétroliers, qui ont exprimé exactement la même opinion au sujet du dernier rapport de l’AIE. Qui d’autre appuie votre centre de recherche?
Mme Gattinger : Il s’agit d’une initiative de mobilisation et de recherche universitaire financée par une multitude de bailleurs de fonds tiers. Quand nous avons élaboré le modèle de financement pour ce projet, nous avons voulu nous assurer d’avoir un « guichet unique » traitant de la diversité de notre système énergétique au Canada. Nous avons plus d’une douzaine de bailleurs de fonds, dont le gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, Ressources naturelles Canada et Alberta Energy, qui comprennent des organismes de réglementation. Nous avons reçu du financement de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, de la British Columbia Oil and Gas Commission, de la British Columbia Utilities Commission et de l’Alberta Energy Regulator. Il y a du financement provenant d’associations industrielles. Vous avez parlé de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, mais il y a aussi l’Association canadienne de l’électricité et l’Association canadienne de l’énergie renouvelable. Encore une fois, l’éventail est large et nous voulons vraiment que notre travail soit axé sur l’énergie en général, ainsi que sur différentes entreprises. Nous recevons des fonds de Cenovus et d’Ovintiv, ainsi que d’innovateurs comme le Clean Resource Innovation Network, que vous connaissez peut-être. Ces entreprises ont reçu de l’argent du Fonds stratégique pour l’innovation, le FSI, en vue de réduire les impacts environnementaux dans le secteur pétrolier et gazier, dans toute la chaîne de valeur. Les ententes de financement que nous avons conclues avec tous ces organismes sont des fonds indépendants, des fonds de tiers. Il s’agit d’une recherche universitaire qui passe par le comité d’éthique de la recherche, comme toute autre recherche effectuée à l’université. Tout est examiné par les pairs. Nous avons également reçu du financement du Conseil de recherches en sciences humaines des trois conseils.
Nous avons lancé une initiative d’engagement et de recherche universitaire. Nous utilisons le pouvoir de mobilisation de l’université pour rassembler les dirigeants de tous les secteurs : entreprises, gouvernements, organismes de réglementation, organisations autochtones, ONG environnementales et différentes entreprises du secteur de l’énergie. Afin que le public ait confiance dans la prise de décisions relatives à l’avenir énergétique du Canada à l’ère des changements climatiques, il faut adopter une approche collective axée sur la collaboration, toutes sources d’énergie confondues. Nous profitons de ces occasions de nous réunir avec des gens du domaine de l’énergie — encore une fois, de partout au pays; c’est une approche pancanadienne — pour cerner les enjeux. Je dirige une équipe de recherche qui compte de 15 à 20 chercheurs, selon ce sur quoi nous travaillons à un moment ou un autre, qui font de la recherche appliquée en milieu universitaire, une recherche axée sur des solutions. Il s’agit de recherche appliquée. Nous voulons être utiles. Quelles recommandations pouvons-nous faire aux décideurs, y compris vous-mêmes, quant à ce qu’il faudra pour gagner la confiance du public quand viendra le temps de prendre des décisions sur l’avenir énergétique et climatique du Canada?
Si vous me le permettez, j’aimerais parler du rapport de l’Agence internationale de l’énergie. Je parle de la feuille de route sur la carboneutralité. Celle-ci n’est qu’un scénario, et non le seul scénario. L’AIE ne laisse pas entendre que les choses se passent ainsi. Elle laisse entendre qu’il s’agit d’un scénario d’un avenir probable à l’horizon 2050. L’un des jalons est l’absence de financement supplémentaire ou de financement pour les nouveaux champs de pétrole et de gaz, mais on ne dit pas que le pétrole et le gaz ne feront pas partie du bouquet énergétique à l’avenir. En 2050 — encore une fois, c’est un scénario —, il est prévu que la production sera de 24 millions de barils de pétrole par jour et de plus de 1 500 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Une grande question pour le Canada est de savoir si nous voulons participer à cette production. Je ne suis pas ici pour dire que j’ai les réponses à cette question, mais c’est le genre de sujet sur lequel le Canada n’a pas nécessairement eu la discussion stratégique solide qu’il aurait pu avoir.
Ce rapport souligne également l’importance de certaines innovations dans le secteur pétrolier et gazier et dans le secteur des combustibles fossiles. C’est un problème mondial qui ne touche pas uniquement le Canada. L’importance de ce travail et l’application des enseignements tirés de ce travail à d’autres secteurs — en particulier ceux où les réductions sont difficiles à réaliser, qu’il s’agisse du ciment, de l’acier, de la fabrication de produits chimiques ou d’autres secteurs — peuvent en fait s’appliquer à d’autres secteurs.
Me Andrews : J’aimerais ajouter une mise en garde relativement à certains des commentaires formulés par les autres témoins. Il est important de se rappeler que le projet de loi C-12 vise principalement à obliger les gouvernements à rendre compte des mesures prises pour atteindre les cibles climatiques. Bien que nous ayons un libellé utile qui exige des stratégies sectorielles, ce qui est important, il s’agit principalement des gouvernements. Si nous perdons cela de vue et que nous commençons à imposer au projet de loi C-12 toutes sortes d’autres obligations, des indicateurs de progrès économique et ce genre de choses, nous perdons de vue l’objectif premier. Nous devons continuer de nous concentrer sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’exiger des comptes du gouvernement. Oui, absolument, l’industrie doit jouer un rôle important à cet égard, mais ces conversations auront lieu. L’innovation se produira si nous obligeons les gouvernements à rendre des comptes. Le projet de loi C-12 met en place les éléments de base d’un mécanisme qui nous permettra de le faire.
La sénatrice McCallum : Merci beaucoup aux témoins. Ce qui n’est pas dans ce projet de loi, c’est la protection des peuples autochtones et de leurs terres pendant les changements climatiques. Qu’est-ce que cela signifie pour les peuples autochtones quand leurs terres et leurs lieux de vie se trouvent à proximité de mégabarrages, comme dans le Nord du Manitoba avec le barrage du site C à Muskrat Falls, l’exploitation minière de sable et la crise de l’eau qui l’accompagne?
Lorsque nous examinons les grands barrages hydroélectriques et la déforestation qui en découle, nous constatons que cela réduit continuellement la capacité de stockage et la durée de vie des barrages, et Bharat Lal Seth dit :
Chaque source d’énergie présente des avantages propres au secteur et au site. Ce que nous remarquons de plus en plus, ce sont les conditions météorologiques erratiques, où le nombre de jours de pluie diminue alors que l’intensité des précipitations augmente. Ce à quoi les cours d’eau pourraient ressembler au cours des 10 à 20 prochaines années fait de l’hydroélectricité une proposition risquée, d’un point de vue purement financier, sans tenir compte des autres impacts sociaux et environnementaux.
Comment proposeriez-vous qu’une mesure de reddition de comptes soit mise en place pour veiller à ce qu’il n’y ait pas d’érosion continue des terres et des droits des peuples autochtones? J’aimerais que tous les témoins répondent, s’ils le peuvent. Il y a tellement de ciment dans l’hydroélectricité.
M. McSweeney : Merci beaucoup, sénatrice McCallum. L’industrie du ciment veut travailler en étroite collaboration avec les collectivités autochtones, et elle le fait. Je sais qu’en Colombie-Britannique, nous travaillons étroitement avec les collectivités autochtones sur les terres où se trouvent nos installations. Il nous incombe de travailler avec les collectivités autochtones et les gouvernements — en partenariat et aussi étroitement que possible — pour veiller à répondre aux besoins de tous.
Me Andrews : J’aimerais faire valoir trois points. Il est essentiel que les peuples autochtones soient représentés et consultés tout au long du processus prévu dans le projet de loi C-12. Les peuples autochtones doivent être représentés au sein de l’organisme consultatif, qui doit tenir compte du savoir autochtone.
Pour en revenir au régime de planification et de production de rapports, c’est la disposition la plus importante du projet de loi C-12. Il est essentiel que les peuples autochtones soient consultés au début de l’élaboration de ces plans et au fur et à mesure de leur mise en œuvre, afin qu’ils n’aient pas les effets négatifs dont la sénatrice a parlé.
Mme Gattinger : Merci de ce commentaire, madame la sénatrice. C’est absolument essentiel. C’est un domaine dans lequel nous avons fait des recherches, y compris l’élaboration de projets hydroélectriques. Comme vous le savez sans doute, la norme va de plus en plus bien au-delà de l’engagement; c’est un partenariat, et cela prend du temps. Il faut du temps pour établir la confiance. Il faut du temps pour élaborer un projet qui convient à toutes les parties.
Si nous nous concentrons sur ce que font les gouvernements, cela signifie aussi que nous nous concentrons sur le respect des obligations de la Couronne à l’égard des peuples autochtones.
Pour ce qui est du projet de loi, il risque d’y avoir des tensions. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de s’assurer que vous avez ces divers éléments — qui devront être équilibrés et traversés à mesure que nous allons de l’avant — pour obtenir la confiance de tous, y compris les collectivités autochtones, en ce qui concerne les réductions d’émissions.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour M. Andrews. J’aimerais vous sonder sur l’expérience britannique. Vous avez dit que la loi britannique était en vigueur depuis 2008. On parle quand même de 12 ans. Vous êtes très en avance. D’ailleurs, vous avez d’assez bons résultats. J’aimerais savoir quel est le lien entre votre comité, votre organisme consultatif, et le gouvernement. D’après ce que j’ai lu, le gouvernement a toujours suivi — et corrigez-moi si j’ai tort — les recommandations du comité. Est-ce à cause de la façon dont la loi est écrite ou y a-t-il une volonté politique qui s’ajoute à cela, si on fait la comparaison avec le texte de notre propre projet de loi?
[Traduction]
Me Andrews : Merci de cette excellente question. Pour ce qui est du succès du comité sur les changements climatiques du Royaume-Uni, comme un témoin l’a dit plus tôt, certains de ces facteurs ne figurent pas dans le projet de loi. Le comité sur les changements climatiques du Royaume-Uni est présidé par un ancien ministre conservateur de l’Environnement. Il s’est révélé un excellent critique de l’inaction du gouvernement en matière de climat.
Le comité sur les changements climatiques dispose d’un personnel à temps plein d’une trentaine de spécialistes du climat, ce qui lui assure crédibilité, expertise et, surtout, indépendance par rapport au gouvernement. Il ne dépend pas du gouvernement pour l’information, les rapports, la modélisation, et cetera. Ces facteurs ont été déterminants.
De plus, la loi du Royaume-Uni est née dans un esprit de coopération entre les partis. Elle a reçu l’appui de gouvernements conservateurs et travaillistes. Bien que nous ayons subi des pressions au fil des ans, à mesure des changements de gouvernement, que nous ayons résisté aux tempêtes du Brexit, de la crise financière et de tout le reste, cet esprit de coopération s’est lézardé, mais il est resté en place. Plus important encore, nous avons vu récemment un gouvernement conservateur donner suite aux conseils du groupe consultatif afin de faire preuve de plus d’ambition. Je pense que c’est important.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Si l’on tient compte du fait que le président est un ancien conservateur, si je comprends bien, et non un scientifique ou un expert scientifique, diriez-vous que cela va à l’encontre de l’idée selon laquelle ce sont les scientifiques qui doivent occuper la majorité des sièges ou presque tous les sièges au sein d’un tel comité? Comment voyez‑vous cet équilibre?
[Traduction]
Me Andrews : Je pense que l’essentiel n’est pas seulement d’examiner l’organisme lui-même — qui devrait certainement avoir une perspective scientifique; c’est vraiment important —, mais d’examiner l’expertise globale dont dispose le comité. C’est le secrétariat qui fournit les connaissances et l’expertise scientifiques. Bien entendu, il est guidé dans ses travaux par le comité, dont les membres sont issus de milieux divers.
Le président : Si vous me le permettez, j’aimerais poser une question à M. McSweeney. Je vous ai entendu dire avec plaisir que, même dans votre industrie — parce que je pensais en termes d’industrie — [Difficultés techniques] l’acier, le ciment, les produits chimiques, la solution technique. Vous avez dit plus tôt que ce n’est pas le cas, que toute la technologie est là. Vous avez ensuite parlé des améliorations à apporter pour obtenir l’appui du gouvernement. Ensuite vous avez donné deux exemples. L’un est le nouveau ciment qui peut réduire jusqu’à 10 % les GES et aussi le CO2 dans les [Difficultés techniques].
Comme vous le savez, puisque vous travaillez à la réalisation de l’objectif de 2050, ces deux solutions ne sont que les premiers pas vers une réduction de 100 %. Donc, vous parlez de travailler avec le gouvernement.
Je me méfie toujours quand les gens sont enthousiastes au sujet de la solution proposée quand il est prévu que le gouvernement intervienne, si ce n’est pour se faire payer une grande partie des dépenses par le gouvernement. Dans votre industrie, quel pourcentage des améliorations requises sera financé par le gouvernement et quel pourcentage sera financé par l’industrie elle-même, ce qu’elle doit faire si elle veut survivre?
M. McSweeney : Avec le fonds accélérateur net zéro du FSI — qui est de 8 milliards de dollars, comme je l’ai précisé —, l’industrie ne pourra présenter une demande que pour un financement maximum à parts égales, donc rien n’est 100 %.
Ce sont des changements transformateurs qui exigent des sommes énormes. Par exemple, si nous prenons le projet de captage, d’utilisation et de stockage du carbone à l’usine de ciment Lehigh à Edmonton, il coûtera entre 750 millions et 1 milliard de dollars. C’est un investissement énorme.
Des pays comme la Norvège, par exemple, financent à 100 % la technologie de captage, d’utilisation et de stockage du carbone. Donc, les multinationales cherchent à investir là où elles vont obtenir le meilleur retour sur investissement. Oui, elles ont toutes leurs objectifs stratégiques en matière de durabilité. Oui, elles sont toutes engagées dans la lutte contre les changements climatiques, mais elles sont appuyées par des investisseurs qui fournissent des fonds. Elles iront là où elles peuvent obtenir l’investissement des gouvernements.
D’ici 2030, grâce à de modestes investissements et à des modifications réglementaires et législatives, notre industrie pourra réduire ses émissions de 15 mégatonnes. Je ne vois pas beaucoup d’industries aujourd’hui affirmer qu’elles peuvent réduire leurs émissions de 15 mégatonnes moyennant un investissement modeste ou des changements à la réglementation.
Imaginez que vous construisiez avec du béton, pourquoi ne pas utiliser le ciment qui réduit les gaz à effet de serre de 10 % sans qu’il vous en coûte quoi que ce soit? C’est fou. Cela fait presque 13 ans que nous essayons de négocier ou de plaider notre cause auprès du gouvernement. J’ai imploré les gouvernements de l’Ontario, de l’Alberta et du Québec de nous permettre d’utiliser des combustibles de remplacement à faible intensité en carbone ou des combustibles sans carbone. Mais les politiques de ces provinces encouragent des industries comme celle du ciment à utiliser le charbon et le coke de pétrole.
Le président : À quoi correspondent, en pourcentage du nombre total de mégatonnes produites par l’industrie, les 15 mégatonnes dont vous parlez?
M. McSweeney : Nous serions en mesure de réduire d’ici 2050 la moitié des gaz à effet de serre que produit l’industrie du ciment.
Le président : Pourquoi pas 100 %?
M. McSweeney : Eh bien, quand vous fabriquez du ciment, 60 % de vos émissions sont constituées par ce qu’on appelle des émissions liées aux procédés; 40 % sont des émissions de combustion de combustible. Si nous pouvions recourir au captage, à l’utilisation et au stockage du carbone, nous pourrions réduire presque 100 % de nos émissions. Il faut avoir la bonne géologie et la bonne géographie pour stocker le CO2.
À Edmonton, en Alberta, c’est près du projet de pipeline principal pour le carbone, mais l’entreprise devra décider qui utilisera le CO2 dans l’avenir.
Le président : Y a-t-il d’autres questions de la part de nos sénateurs et sénatrices? Je pense que vous avez tous fait un excellent travail pour nous aider à mieux comprendre vos suggestions et vos recommandations. Madame Gattinger, avez‑vous un dernier commentaire?
Mme Gattinger : Oui. J’aimerais revenir à votre question précédente et à la réponse de M. McSweeney. La question de la distance entre les émissions de sources ponctuelles et les sites de stockage du carbone est importante. Pour vous donner une idée de l’échelle, aux États-Unis, un projet de loi bipartite a récemment été déposé dans le but de créer une structure d’incitatifs afin de faciliter le transport. Essentiellement, il faudra construire des pipelines, n’est-ce pas? Il faut donc mettre en place des incitatifs pour que cela se fasse du point de captage au point de stockage.
Il en coûtait 5 milliards de dollars pour cette seule pièce du casse-tête. Il s’agit de garanties de prêts pour aider les industries à aller dans cette direction. Ce sont là quelques-uns des principaux enjeux, compte tenu des différents secteurs et du genre de travail qu’il faut faire pour mettre à profit les réductions d’émissions. Merci.
Le président : Madame Gattinger, j’aimerais poser une question à ce sujet. Il y a un certain espace dans le système de captage et de stockage du carbone, ou CSC. Tout le monde veut cet espace, et ce, gratuitement. Comment arbitrez-vous cela? Comment composez-vous avec cette différence? Tout d’abord, il ne devrait pas être gratuit. C’est un produit de grande valeur. Que faites-vous de cette question? C’est une fausse solution.
Mme Gattinger : Je ne dirais pas que c’est une fausse solution. Je tiens à souligner que c’est exactement le genre de questions auxquelles nous n’avons pas encore de réponses. Il y en aura beaucoup que nous devrons examiner dans les cadres de politiques et de réglementation. C’est là que le rôle du gouvernement est absolument crucial. Nous travaillons en étroite collaboration avec ceux qui sont soi-disant sur le terrain, ou dans ce cas-ci, nous travaillons sur les problèmes pour essayer de déterminer quelles sont les structures du marché qui vont vraiment faire fonctionner cela.
La sénatrice Galvez : J’aimerais laisser le temps qu’il me reste à Me Andrews.
Me Andrews : Merci, madame la sénatrice. Une très brève observation sur le CSC. Il est important de se rappeler que, même si ce n’est pas forcément une fausse solution, c’est de toute évidence une solution qui n’a pas fait ses preuves, du moins pas commercialement. Il est vraiment important qu’à mesure que nous faisons progresser ce projet de loi C-12, nous fondions nos plans et nos objectifs sur des hypothèses réalistes quant à ce que ces technologies peuvent offrir, surtout dans un horizon temporel plus court. C’est un domaine où l’organisme consultatif pourrait jouer un rôle très important en fournissant des conseils indépendants et objectifs sur ce qui est vraiment crédible dans un avenir immédiat en ce qui concerne ce que nous pouvons réaliser grâce au CSC, pour que cela ne freine pas l’ambition ailleurs et ne ralentisse pas le déploiement des énergies renouvelables et des autres technologies qui vont s’attaquer plus directement au problème des émissions de gaz à effet de serre.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. Je suis tout à fait d’accord avec Me Andrews quand il dit que nous devons nous concentrer sur le problème, c’est-à-dire la réduction des émissions et l’atteinte de nos objectifs parce que les coûts et les répercussions de l’inaction sont énormes.
Quelle observation pourrons-nous mettre au crédit du projet de loi C-12 après les amendements? Nous savons que plus de 25 amendements ont été adoptés à l’autre endroit. Qu’est-ce que nous pouvons faire comme observation, selon vous?
Le président : À qui vous adressez-vous?
La sénatrice Galvez : À Me Andrews.
Me Andrews : Merci, sénatrice. Je ne suis pas certain de bien comprendre le processus. Mais je pense que vous voulez savoir si le Sénat peut dire quelque chose qui exprime son point de vue sur le projet de loi C-12 pendant qu’il poursuit son cheminement.
La sénatrice Galvez : Exactement.
Me Andrews : Excellent. Je pense que je vais répéter ce qu’ont dit les témoins précédents. Le projet de loi C-12 n’est pas parfait. Il présente des lacunes préoccupantes, des lacunes dont nous avons parlé. Le Sénat pourrait peut-être signaler certaines de ces préoccupations et cerner les aspects qui pourraient être renforcés à l’avenir grâce à un processus qui permettrait d’évaluer le projet de loi et d’apporter ces améliorations à un moment donné, au fur et à mesure que nous en apprenons. Il n’est pas nécessaire que tout soit parfait dès le premier jour, mais nous apprenons et le processus évolue.
La sénatrice Galvez : Merci.
Le président : Merci à tous. Je remercie mes collègues. Je remercie les experts de leurs importantes connaissances et de leur expérience, dont nous leur sommes énormément gré.
Chers collègues, nous nous reverrons demain matin à 9 heures. Merci beaucoup à tous.
(La séance est levée.)