LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 23 novembre 2020
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 h 30 (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes prêts à accueillir l’honorable David Lametti, c.p., ministre de la Justice et Procureur général du Canada. Il est accompagné de ses fonctionnaires du ministère de la Justice Canada : M. François Daigle, sous-ministre délégué; et Mme Laurie Wright, sous-ministre adjointe principale.
Monsieur le ministre, j’aimerais prendre un instant pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : le sénateur Campbell, vice-président du comité; la sénatrice Batters, vice-présidente du comité; le sénateur Boisvenu; la sénatrice Boniface; et la sénatrice Boyer. Le porte-parole du projet de loi est le sénateur Carignan. Le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, la sénatrice Dupuis, la sénatrice Keating, le sénateur Tannas, le sénateur Gold et le sénateur Plett sont aussi avec nous.
Plusieurs autres sénateurs participent à cette importante étude : la sénatrice Moodie; la sénatrice Seidman; la sénatrice Petitclerc, la marraine du projet de loi; le sénateur Munson; la sénatrice McCallum; la sénatrice Pate; et le sénateur Woo, coordonnateur du Groupe des sénateurs indépendants.
Nous sommes très heureux de vous recevoir, monsieur le ministre, avec vos fonctionnaires. Je vais maintenant vous céder la parole, puis nous aurons des questions à vous poser.
[Français]
L’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, madame la présidente, de votre invitation à comparaître devant le comité pour discuter du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir) .
Je participe à partir d’Ottawa, donc, des territoires non cédés des peuples algonquins. J’aimerais aussi remercier les fonctionnaires qui sont avec moi ce matin, François Daigle et Laurie Wright.
J’aimerais décrire brièvement les principaux aspects du projet de loi C-7, qui apporte des changements importants au régime d’aide médicale à mourir, ou AMM.
Premièrement, en réponse directe à la décision Truchon, le projet de loi C-7 abrogerait le critère d’admissibilité exigeant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible.
L’accès à notre régime d’aide médicale à mourir ne serait donc plus limité aux personnes qui souffrent en fin de vie. Ce changement permettrait aux Canadiens et aux Canadiennes qui souffrent et qui respectent les critères d’éligibilité de choisir d’avoir une mort paisible si, selon eux, leur situation est devenue intolérable. Ce changement respecte l’autonomie des Canadiens et des Canadiennes.
[Traduction]
J’aimerais prendre un moment pour parler de la vive réaction des organisations de défense des droits des personnes handicapées à cette modification. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a écouté les témoignages de personnes handicapées et d’organismes nationaux œuvrant pour les personnes handicapées qui sont préoccupés par la modification proposée du projet de loi. Les intervenants et les experts avaient soulevé des préoccupations similaires pendant nos tables rondes en janvier 2020.
Depuis l’adoption de la première loi sur l’AMM en 2016, ces groupes considèrent le critère exigeant que la mort soit raisonnablement prévisible comme étant la plus importante des mesures de sauvegarde. Même si nous comprenons leurs préoccupations, il existe d’autres positions raisonnables, que certaines personnes handicapées ont quant à cette question.
Notre gouvernement a aussi entendu le témoignage de personnes handicapées, comme feu M. Jean Truchon, Mme Nicole Gladu et Mme Julia Lamb, en Colombie-Britannique, selon qui le régime actuel d’AMM ne respecte pas leur autonomie et leur droit à l’autodétermination en ce qui concerne leur corps et leur vie.
L’aide médicale à mourir a toujours été une question extrêmement délicate, qui soulève des points de vue aux antipodes les uns des autres. Cela exige de prendre en considération divers intérêts, et je crois fermement que c’est justement ce que fait le projet de loi C-7.
Sous le régime de la loi, il serait toujours obligatoire que la personne, ayant la capacité de prendre des décisions, demande volontairement et en connaissance de cause l’AMM. Le projet de loi propose un ensemble de mesures de sauvegarde plus rigoureux, dans les cas où il sera obligatoire d’examiner en profondeur toutes les autres solutions qui pourraient aider à soulager la souffrance de la personne dont le décès n’est pas raisonnablement prévisible.
Nous croyons qu’un tel régime réussirait à protéger les personnes contre les pressions ouvertes ou subtiles de demander l’AMM que craint la communauté des personnes handicapées, tout en donnant davantage d’autonomie à un plus grand nombre de Canadiens quant à cette décision extrêmement importante.
De façon plus générale, une plus grande liberté pour certains veut dire plus de risque pour d’autres. En conséquence, le projet de loi C-7 compense le plus grand accès à l’AMM par deux autres mesures pour prévenir que d’autres ne s’exposent à un risque indu : une exclusion visant les personnes atteintes de troubles mentaux, ainsi qu’un ensemble de mesures de sauvegarde procédurales plus rigoureuses pour les personnes dont le décès n’est pas raisonnablement prévisible, comme je l’ai déjà mentionné.
L’exclusion des personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale est fondée sur les préoccupations exprimées par les experts, qui ne s’entendent pas sur la question de savoir si une maladie mentale peut jamais constituer un problème de santé irrémédiable et, plus fondamentalement, sur la façon d’offrir à ces personnes un accès sécuritaire à l’AMM ou pour dire si cela est même possible.
Je sais qu’il y a des sénateurs et des sénatrices qui sont très préoccupés par ces questions. Nous savons que les gens atteints de maladie mentale souffrent parfois de façon intolérable, que les maladies mentales peuvent avoir des conséquences débilitantes et qu’elles peuvent miner profondément la qualité de vie des gens. Cependant, de nombreux experts en santé mentale, qui se soucient grandement du bien-être de leurs patients, soulignent que les caractéristiques de certaines maladies mentales présentent des problèmes pratiques et éthiques uniques. Contrairement à la plupart des maladies physiques, bon nombre de maladies mentales ne suivent pas une trajectoire prévisible, et il y a toujours la possibilité d’une amélioration ou d’une guérison inattendues. Cela veut dire que, selon les experts, il est impossible de prédire si les symptômes d’une personne donnée s’amélioreront un jour ou si elle devra vivre avec sa maladie pour le restant de ses jours.
Le fait qu’il existe le risque de mettre fin aux jours d’une personne dont les symptômes auraient pu s’améliorer constitue un aspect très important de la question de l’admissibilité, et c’est pourquoi, dans une certaine mesure, nous croyons que la solution la plus prudente serait que les personnes dont la seule affection est une maladie mentale ne soient pas admissibles à l’AMM, compte tenu des contraintes de temps auxquelles nous faisons face par rapport au projet de loi C-7. Nous étudierons cette question comme il se doit, dans le cadre d’une étude parlementaire plus vaste et plus approfondie, qui est aussi prévue dans le projet de loi initial C-14.
Une autre considération pertinente justifiant cette exclusion est le fait qu’il peut être très difficile de savoir si le désir de mourir est la manifestation d’un des symptômes de la maladie ou s’il s’agit d’une décision réfléchie. De l’incertitude et des désaccords demeurent quant à l’impact potentiel sur la prévention du suicide, si ce groupe était admissible à l’AMM.
Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a entendu le témoignage de diverses personnes sur l’exclusion des personnes atteintes d’un trouble de santé mentale, et nous avons constaté que, à l’instar de ce qui est ressorti des études du groupe d’experts sur les demandes d’AMM anticipées du Conseil des académies canadiennes, les experts ne s’entendent pas sur la question de savoir si une personne dont la seule affection est une maladie mentale devrait être admissible à l’AMM, et si oui, comment la demande doit être traitée. Vu l’extrême importance de la question, la grande incertitude et l’absence de consensus entre les experts, nous devons absolument faire preuve d’une grande prudence. J’ai dit très clairement que cette question devait être étudiée jusque dans le moindre détail, comme je l’ai déjà mentionné, et aussi rapidement que possible après l’adoption du projet de loi C-7, lors de l’examen parlementaire à venir du régime d’AMM.
En plus de la question de l’exclusion elle-même, certaines personnes ont demandé quel genre de préoccupations sont censées être exclues de la définition de « maladie mentale » et si les médecins ou infirmiers praticiens interpréteront l’exclusion de façon uniforme. Les préoccupations spécifiques des experts dans le domaine de la santé mentale en ce qui concerne tout particulièrement l’aide médicale à mourir ont été prises en considération, et, conséquemment, l’exclusion vise les affections qui sont traitées principalement par un psychiatre et dont le pronostic est imprévisible ou dont les symptômes possibles comprennent des idées suicidaires.
Pour que ce soit clair : il n’est pas prévu que l’exclusion vise les troubles neurocognitifs associés à la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson ou à des troubles neurodéveloppementaux comme des troubles de la parole ou des troubles moteurs, qui altèrent aussi le fonctionnement du cerveau, mais qui ne comprennent pas le même genre de risques inhérents que ceux signalés par les experts en santé mentale. Cela peut soulever des préoccupations en matière de capacité décisionnelle dans certains cas, mais elles sont d’un tout autre ordre que les risques inhérents associés à la maladie mentale.
J’ai entendu des préoccupations selon lesquelles l’expression « maladie mentale » n’est pas définie clairement. J’accorde beaucoup d’attention à ce genre de préoccupation, en particulier lorsqu’il est question de droit pénal. J’accueillerais volontiers tout commentaire du comité, et en particulier des experts qui vont venir témoigner devant vous. Notre but est évidemment que les mesures du projet de loi C-7 soient mises en œuvre de façon uniforme à l’échelle du pays. Notre gouvernement continuera de défendre l’égalité, l’autonomie et la dignité des personnes atteintes de maladie mentale, et il appuiera l’examen parlementaire qui nous permettra d’étudier exhaustivement cette question délicate.
Le projet de loi propose également un ensemble distinct de mesures de sauvegarde adaptées aux risques auxquels s’exposent les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir, mais dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Il y a une différence entre mettre fin aux jours d’une personne dont la souffrance subjective est liée à sa qualité de vie et offrir une mort paisible à une personne dont l’agonie serait autrement douloureuse et prolongée et lui enlèverait sa dignité. Donc, le projet de loi C-7 propose un ensemble de mesures de sauvegarde rigoureuses dans les cas où la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible.
Tout comme c’est le cas dans le régime actuel, le critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible n’est pas associé à un pronostic maximum ou minimum. Cependant, il doit obligatoirement y avoir un lien temporel, mais variable, avec l’état de santé global de la personne et son décès anticipé.
Les mesures de sauvegarde pour ceux dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible sont une version renforcée des mesures de sauvegarde existantes. Un exemple important est que l’évaluation médicale de l’admissibilité de la personne doit s’étendre sur au moins 90 jours. Cela ne veut cependant pas dire que la personne doit attendre 90 jours après avoir été admise. Plutôt, les médecins et les infirmiers praticiens doivent, sur une période de trois mois, examiner en détail l’état de santé de la personne et la nature et les causes de ses souffrances. Ils doivent aussi travailler avec la personne pour trouver des traitements raisonnables ou d’autres options, et ils doivent obligatoirement en discuter avec la personne.
La personne qui demande l’AMM n’est pas tenue de suivre un traitement, mais dans le cadre de cette expansion du régime d’AMM, nous croyons que, si nous voulons procéder collectivement de façon sécuritaire, nous devons nous assurer que toutes les options ont été fournies à la personne et qu’elle les a bien examinées.
[Français]
Le dernier aspect du projet de loi C-7 dont j’aimerais discuter est celui de la renonciation au consentement final dans des circonstances particulières. C’est une question qui a été soulevée à maintes reprises au cours de nos consultations et il s’agit, selon nous, d’une question d’équité fondamentale. Si une personne dont la mort est raisonnablement prévisible veut obtenir l’aide médicale à mourir et qu’elle est jugée admissible à la recevoir, elle n’aurait plus à choisir de mourir plus tôt qu’elle le souhaite ou de refuser de prendre des médicaments contre la douleur, parce qu’elle craint de ne plus avoir la capacité de donner son consentement au moment de la procédure.
Ce changement ciblé et prudent permettrait d’éviter l’injustice dans ces situations. Le projet de loi C-7 prévoit qu’une personne peut donner son consentement au préalable, au moyen d’une entente avec le médecin, pour permettre d’obtenir l’aide médicale à mourir à la date fixée, et ce, même si elle perd sa capacité à consentir dans l’intervalle.
Nous savons que cette mesure ne va pas aussi loin que certains le souhaiteraient. La question aux demandes anticipées est nettement plus complexe sur les plans éthique et pratique. Comme dans le cas des personnes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, les demandes anticipées d’aide médicale à mourir sont un aspect qui réclame davantage d’étude et de débat, et nous sommes d’avis qu’il doit s’agir d’une partie importante de l’examen parlementaire.
Merci, madame la présidente. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup de votre exposé très détaillé, monsieur le ministre. Avant de passer aux questions, j’aimerais vous demander un éclaircissement. Je suis sûre que cela a été fait, mais a-t-on appliqué l’analyse comparative entre les sexes au projet de loi, et pouvez-vous nous en donner les faits saillants, comme vous l’avez déjà fait par le passé?
M. Lametti : Oui, madame la présidente. L’analyse comparative entre les sexes a été faite, et je peux en présenter les grandes lignes au comité.
La présidente : J’aimerais aussi savoir si on a effectué une analyse axée sur la race.
M. Lametti : À ma connaissance, madame la présidente, cela fait partie de l’analyse comparative entre les sexes, et je pourrai aussi vous en parler.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je vais maintenant donner la parole à la marraine du projet de loi, la sénatrice Chantal Petitclerc.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre, d’être parmi nous aujourd’hui et de votre présentation très bien détaillée.
Je vais commencer par une question qui concerne la communauté des personnes handicapées en ce qui concerne les mesures de sauvegarde contenues dans le projet de loi C-7. Vous le savez, ce projet de loi sur l’aide médicale et sur l’accès à l’aide médicale à mourir a une portée sociale et philosophique, mais il a également une portée juridique. Vous avez sûrement entendu dire, comme moi, que certains groupes de personnes qui représentent ou qui comptent des personnes en situation de handicap s’inquiètent de ce projet de loi et de la vulnérabilité dans laquelle ils pourraient se retrouver si ce projet de loi est adopté.
Vous en avez déjà parlé, mais j’aimerais vous entendre à ce sujet parce que, d’un côté, on essaie d’éviter un certain paternalisme social et médical. D’un autre côté, il faut tenir compte de l’importance du droit à toute personne à l’autodétermination.
Pouvez-vous nous expliquer le processus qu’a adopté le gouvernement pour arriver à ces mesures de sauvegarde, et comment voyez-vous cette espèce d’équilibre?
M. Lametti : Merci, sénatrice, de votre question et aussi de parrainer ce projet de loi au Sénat.
D’abord, je dois souligner la présence de la ministre Qualtrough dans l’équipe. Cela était inclus dans ma lettre de mandat, ainsi que dans la lettre de mandat de la ministre Hajdu. Nous devions travailler ensemble. Nous avions aussi déterminé que la présence de la ministre Qualtrough était nécessaire, car elle est non seulement une porte-parole, mais aussi une personne qui est en situation de handicap et qui est bien connectée à cette communauté. Nous avons tout de suite inclus sa participation. Elle a participé en tant que membre à part entière — nous étions comme une troïka, si je peux m’exprimer ainsi — pour élaborer la réponse à la décision dans l’arrêt Truchon.
Nous avons mené des consultations très intensives partout au Canada et nous avons parlé aux représentants de la communauté ainsi qu’aux experts en l’espèce.
Ils étaient présents à presque toutes les tables rondes que nous avons organisées partout au Canada. J’ai également assisté à une autre réunion qu’ils avaient convoquée pour discuter de l’aide médicale à mourir. De plus — et vous pourrez lui poser la question cette semaine —, elle a été plus ou moins en contact constant avec les dirigeants de la communauté.
Pour ce qui est du fond du projet de loi, comme je l’ai expliqué, le critère de fin de vie, d’une mort raisonnablement prévisible, était vu par la communauté comme une sauvegarde. Le fait qu’il fallait réagir à l’arrêt Truchon était une question existentielle pour beaucoup d’entre eux.
Nous avons donc modifié le rôle du critère d’une mort raisonnablement prévisible. Ce n’est plus un critère d’éligibilité, mais plutôt un critère d’acheminement. Donc, il y a deux voies. Grâce à l’expérience que nous avons avec l’ancienne loi, nous sommes à l’aise avec les modalités qui ont été définies.
Pour ce qui est des personnes qui ne sont pas en fin de vie, nous avons ajouté des sauvegardes justement pour provoquer une discussion de fond entre le patient et son médecin et d’autres experts, pour mieux comprendre les options. L’autonomie fait en sorte qu’il faut faire un choix entre la vie, avec des mesures de soutien, et l’aide médicale à mourir. Cependant, pour faire un vrai choix, pour protéger l’autonomie, d’un côté, et pour sauvegarder la crainte exprimée par la communauté des personnes qui vivent en situation de handicap, de l’autre, nous avons mis en place un système où l’autonomie est respectée et où toute forme de vie est valorisée, pour que les gens puissent prendre une décision éclairée.
Le sénateur Carignan : Merci, monsieur le ministre, de votre présence et de votre présentation. Ma question porte sur les maladies mentales. D’après ce que vous avez expliqué, une personne aux prises avec une maladie mentale qui rend sa vie et sa souffrance intolérables ne pourrait pas avoir accès à l’aide médicale à mourir.
Cependant, dans la documentation qui nous a été fournie par votre gouvernement, il semble que, dans le contexte de la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir, les termes « maladie mentale » n’incluraient pas les troubles neurocognitifs ou neurodéveloppementaux ni d’autres conditions susceptibles d’affecter les capacités cognitives, comme la démence, les troubles du spectre de l’autisme et les déficiences intellectuelles, qui peuvent être traitées par des spécialistes. On a un peu de difficulté à suivre le gouvernement. La maladie mentale est-elle exclue complètement, ou est-elle exclue, mais il y a toute une sphère de la maladie mentale qui pourrait être admissible à l’aide médicale à mourir? Pourquoi ces exclusions de la définition ne sont-elles pas dans la loi, plutôt que dans la documentation qui nous a été envoyée?
M. Lametti : Merci, sénateur, de la question. De toute évidence, nous souhaitons clarifier le tout. Si votre comité a des suggestions à faire à la fin de notre étude, nous serions prêts à les examiner...
Le sénateur Carignan : Quelle est votre intention?
M. Lametti : Je vais répondre à la question. C’était un commentaire préalable.
Nous voulons exclure la maladie mentale comme seul critère. Comme je viens de le dire, on parle des maladies traitées par les psychiatres. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de consensus. Il faut vraiment étudier la question. Il n’y a pas de consensus, comme je viens de le dire. Je peux vous dire que, après avoir fait des consultations à travers le pays, notamment au Québec, il est clair qu’il n’y a pas de consensus.
Si ce n’est pas la seule condition, si la maladie mentale est jumelée avec une autre condition, cela pourrait être admissible. C’était déjà le cas dans l’ancienne version de la loi et cela pourrait être le cas ici aussi.
Quand on parle de maladies comme la maladie d’Alzheimer ou d’autres maladies — des maladies neurocognitives, comme vous venez de le mentionner —, ces maladies pourraient faire partie de la capacité d’une personne à prendre la décision. C’est admissible, mais il s’agit d’une autre question. Est-ce que la personne est en mesure de prendre une telle décision? C’est une décision qui doit être prise par une personne qui en est capable. Donc, ces maladies ne sont pas classées comme des maladies mentales, même si elles touchent le cerveau ou la capacité, car la capacité est une tout autre question.
Le sénateur Carignan : C’est loin d’être clair. Je vais passer à mon autre question.
La Cour suprême s’est prononcée vendredi dernier sur la discrimination fondée sur la maladie mentale. En bref, la Cour suprême a invalidé des dispositions de la Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels de l’Ontario en sanctionnant, encore une fois, la discrimination fondée sur la maladie mentale. Avec une définition aussi floue de la maladie mentale, tout porte à croire que tout cela sera encore invalidé. N’est-ce pas un peu gros, comme motif de discrimination, de dire qu’il n’y a pas de consensus? N’y a-t-il pas de la discrimination?
M. Lametti : Je vous remercie de cette question. C’est, évidemment, une question très importante, surtout pour des juristes comme vous et moi et d’autres membres qui participent à cette réunion. J’espère que ce sera une mesure temporaire, dans le sens où la question sera étudiée profondément par le comité chargé de revoir la loi, conformément à la loi en vigueur en 2016. C’est une question qu’il faut étudier avec une certaine profondeur et en y mettant le temps nécessaire. Nous reconnaissons que les maladies mentales sont des maladies très profondes qui causent de la souffrance. Ce n’est pas un manque d’empathie ou de compassion. Je reconnais qu’il faut aborder la question, mais nous n’avions pas le temps à cette étape-ci, parce qu’il fallait répondre à l’arrêt Truchon. C’est une exclusion très modeste. Nous avons décrit l’exclusion de façon restreinte et nous croyons que celle-ci est constitutionnelle. Des changements sont prévus après avoir effectué une étude en profondeur.
[Traduction]
Le sénateur Campbell : Je laisse tomber ma question, madame la présidente.
La présidente : Merci, sénateur Campbell. Poursuivons.
La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, lors de la deuxième lecture du projet de loi en octobre, vous avez dit ce qui suit pour justifier d’exclure de l’admissibilité les personnes dont la seule affection sous-jacente est une maladie mentale :
[L]a trajectoire d’une maladie mentale est plus difficile à prédire que celle de la plupart des maladies physiques. De plus, l’état du malade peut s’améliorer de façon spontanée, et le fait d’avoir une perception déformée de sa propre situation et de souhaiter mourir compte parmi les symptômes de certaines maladies mentales.
Je suis d’accord. Au cours des 10 dernières années, je suis devenue une défenseure de la santé mentale, pour des raisons personnelles. Je vais vous lire ce que j’ai dit pendant le débat sur le projet de loi C-14, et je le pense toujours. Voici :
[I]l est particulièrement important de tenter de fournir de réelles solutions aux gens qui sont aux prises avec des troubles mentaux, plutôt que de leur offrir des moyens plus faciles de recourir à l’irrémédiable. Les personnes qui souffrent sur le plan psychologique ont besoin de soutien et de ressources, et nous devons leur promettre que nous ne les abandonnerons jamais, même lorsque, pour elles, la seule solution, c’est de lâcher prise définitivement.
Monsieur le ministre, je vous demanderais de prendre une minute du temps qui m’est imparti pour défendre la constitutionnalité de la disposition excluant les personnes atteintes de maladie mentale du projet de loi C-7. Pour eux, je crois que c’est une question d’espoir.
M. Lametti : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice. Devant la Chambre des communes, comme je l’ai fait aujourd’hui dans ma déclaration préliminaire, j’ai présenté l’avis de certains experts médicaux qui insistent sur la gravité des maladies mentales et sur le fait que nous devons essayer de donner de l’espoir et d’encourager les professionnels de la santé à donner autant d’options que possible aux gens qui sont atteints de maladie mentale.
Dans cette mesure, je suis d’accord avec la majeure partie de ce que vous avez dit. Nous croyons que ce projet de loi, puisque l’exclusion est très restreinte, est constitutionnel, comme je viens de le dire au sénateur Carignan. Il s’agit d’une exclusion très étroite, et compte tenu aussi du manque de certitude dans le domaine de la santé à propos des « paramètres », disons, ou plutôt de la façon dont il faut appliquer le régime d’AMM aux personnes dont la seule affection est une maladie mentale, nous devons faire preuve de prudence.
Donc, il va falloir étudier la question. Vous aurez l’occasion de le faire, tout comme d’autres — par exemple, des experts — pourront formuler des commentaires dans le cadre de l’examen parlementaire. Je ne peux pas prédire quel sera le résultat de cet examen, mais pour l’instant, nous croyons que le projet de loi et l’exclusion sont constitutionnels.
La sénatrice Batters : Merci. J’ai une autre question à ce sujet, monsieur le ministre. J’aimerais que vous me répondiez par oui ou par non. Est-ce exact que vous avez nommé la semaine dernière la juge Christine Baudouin de la Cour supérieure du Québec, qui a rendu la décision Truchon, à la Cour d’appel du Québec?
M. Lametti : Oui, je l’ai nommée à une instance supérieure, ainsi qu’un autre juge. Comme pour toutes mes nominations à un tribunal de première instance ou à une instance supérieure, il y a eu de vastes consultations à l’intérieur de la cour elle-même, et cette nomination a recueilli un vaste appui. Des juges avaient manifesté leur intérêt à cet égard, et elle en faisait partie.
La sénatrice Batters : Merci.
Monsieur le ministre, il y a quatre ans, le Sénat a étudié soigneusement et rigoureusement le premier projet de loi sur le suicide assisté de votre gouvernement. Des études exhaustives ont été menées, il y a eu de longs débats, de nombreux experts ont témoigné, et plusieurs amendements ont été proposés. Puis, seulement trois ans plus tard, le projet de loi C-14 a été contesté devant un tribunal inférieur, et votre gouvernement n’a même pas essayé de défendre sa loi. Monsieur le ministre, vous conviendrez, j’en suis sûr, qu’il est extrêmement inhabituel que le gouvernement du Canada n’essaie même pas de défendre sa propre loi, compte tenu de son importance — pas celle d’un ancien gouvernement, mais bien une loi de votre propre gouvernement —, si tôt après son adoption. C’est inhabituel, surtout que la seule décision sur la constitutionnalité du projet de loi C-14 a été rendue par une juge d’un tribunal de première instance et non par une cour d’appel ou la Cour suprême du Canada, où la décision est rendue par plus d’un juge.
Donc, monsieur le ministre, avant d’être nommé au Cabinet, vous aviez voté contre le projet de loi C-14, parce que, selon vous, il n’allait pas assez loin. Est-ce la raison pour laquelle vous n’avez pas interjeté appel de la décision du tribunal inférieur? Est-ce que vous vouliez cette décision?
La présidente : Sénatrice Batters, votre temps est écoulé. Vous pourrez reprendre la parole au deuxième tour.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur le ministre, d’être ici ce matin. C’est une question fort délicate de revoir les critères d’éligibilité à l’aide médicale à mourir. Vous proposez aujourd’hui d’étendre l’admissibilité en permettant aux gens qui souffrent non pas d’une maladie en phase terminale, mais d’un mal de vivre, jusqu’à un certain point, et qui ont des souffrances intolérables de demander de mettre fin à leur situation.
Ma question porte sur l’arrêt rendu vendredi dernier par la Cour suprême du Canada auquel le sénateur Carignan a fait référence, Ontario (Procureur général) c. G, dans lequel la Cour suprême reconnaît que l’article 15 de la Charte, qui garantit le droit à l’égalité, est violé si on nie à des personnes l’accès à quoi que ce soit en raison de la maladie mentale. La loi va donc nier l’accès à l’aide médicale à mourir parce qu’on souffre de maladie mentale. Il y aura donc violation de l’article 15. Le gouvernement devra, à la lumière de l’analyse faite par la Cour suprême, présenter un argument sur l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, afin de justifier qu’il s’agit malgré tout d’une dérogation acceptable.
Pourriez-vous parler plus en détail de l’application de l’article 1 et de la façon dont le gouvernement voit une justification à nier le droit à l’égalité aux personnes souffrant de maladie mentale, alors que vous dites qu’il n’y a pas de consensus sur l’impact de la maladie mentale sur la capacité à consentir et alors que, dans l’arrêt de la Cour suprême, on parle d’une analyse au cas par cas, et non pas d’une analyse stéréotypée?
M. Lametti : Merci, sénateur Dalphond, de votre question. C’est une question fondamentale, surtout après la décision de la Cour suprême vendredi dernier. La réponse est la même, que ce soit pour l’article 15 ou l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. En fait, nous avons créé une exception assez particulière pour des raisons encore plus particulières, parce que les connaissances nous manquent actuellement, soit dans le cas de l’article 15, pour bien évaluer la situation et pour déterminer si une exception est raisonnable dans une société démocratique. Donc, c’est une exception créée par l’incertitude scientifique. Ce n’est pas une exception créée par un manque d’empathie ou de compassion, ou parce que nous reconnaissons que nous avons une obligation de respecter les droits de tous lorsque nous le pouvons.
C’est une exception qui est prévue parce qu’on ne comprend pas suffisamment, et qu’il faut prendre le temps de comprendre. J’espère que nous allons le faire lors de prochaine étape, avec les connaissances que nous pourrons acquérir et en prenant le temps nécessaire. Cependant, comme je viens de le dire, même après la décision de la Cour suprême vendredi dernier, nous pensons que cela devrait encore être déterminé comme étant constitutionnel dans ce cas particulier. Je comprends la portée de votre question. Cependant, parce que nous avons identifié des raisons particulières dans l’espace et que ce sont des raisons assez précises, nous pensons que nous pouvons justifier cette exclusion pour l’instant, jusqu’à la prochaine étape, puis nous verrons ce que les parlementaires vont faire.
Le sénateur Dalphond : Pouvons-nous vous demander, monsieur le ministre, de nous envoyer un avis juridique sur la constitutionnalité de la loi révisée, qui tiendrait compte de l’arrêt de vendredi, pour nous expliquer comment l’article 1 est respecté?
M. Lametti : Oui, nous pouvons le faire. J’ai déposé, comme je le fais pour n’importe quel projet de loi, une opinion sur la constitutionnalité de la loi devant la Chambre des communes. Nous allons examiner de nouveau cette opinion à la lumière de la décision de vendredi, et nous pourrons communiquer notre décision à votre comité.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : Merci, monsieur le ministre, d’être venu témoigner aujourd’hui. Ma question concerne le contenu autochtone. Le 3 février 2020, vous avez tenu une table ronde avec des médecins et infirmiers praticiens autochtones ainsi qu’avec des leaders communautaires. Parmi les préoccupations soulevées lors de cette table ronde, mentionnons la discrimination dans le système de soins de santé, l’absence de soins respectueux de la culture et la possibilité que les patients autochtones pourraient demander l’AMM parce qu’ils n’ont pas accès à d’autres services de santé.
Pouvez-vous nous dire comment les préoccupations soulevées lors de la table ronde autochtone ont été prises en considération et comment elles ont été intégrées dans le projet de loi C-7, s’il vous plaît?
M. Lametti : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Effectivement, cette table ronde ainsi que les autres activités de consultation que nous avons menées auprès des membres de la communauté autochtone, y compris les leaders, qui avaient une certaine expérience par rapport à l’AMM ou qui étaient des fournisseurs de soins de santé nous ont été d’une aide précieuse dans le cadre de tout ce processus. D’entrée de jeu, je reconnais que la discrimination systémique existe dans le système de santé, et que nous devons la combattre et la corriger ensemble, en tant que pays, en collaboration avec les provinces, étant donné que les soins de santé relèvent de la compétence provinciale. Tous les partis, de tous les côtés, doivent faire preuve de leadership à cet égard.
Certaines des questions soulevées pendant la table ronde concernaient des problèmes que l’on peut atténuer, principalement, en améliorant les soins de santé, les investissements dans le logement et les investissements visant les divers déterminants sociaux des différentes collectivités autochtones, mais ces investissements doivent cibler les collectivités autochtones à l’échelle du Canada.
En ce qui concerne ces commentaires en particulier, nous cherchons un équilibre lorsqu’il est question en particulier d’une personne qui n’est pas en fin de vie. Encore une fois, cela nous aide à justifier les mesures de sauvegarde qui s’appliquent aux personnes qui ne sont pas en fin de vie; avec ces mesures, nous voulons vraiment faire en sorte que les gens puissent examiner de façon adéquate quelles sont leurs options pour rester en vie, et quelles sont leurs options pour l’AMM. Si nous pouvons, en tant que pays, investir — comme nous devrions le faire — dans les soins de santé et améliorer les conditions sociales différentes — mais souvent lacunaires — en matière de logement, par exemple ou la capacité d’obtenir des services d’aide à la vie autonome dans les collectivités autochtones du Canada, et si nous pouvons travailler avec nos partenaires provinciaux, alors je crois que nous serons bien placés pour respecter notre promesse de respecter la décision d’une personne qui choisit de vivre ou qui choisit l’aide médicale à mourir.
La sénatrice Boyer : J’ai une autre question à ce sujet. J’ai demandé au bureau de la ministre de la Santé de me fournir des détails sur la table ronde avec les Autochtones, et j’ai été surprise d’apprendre que, alors que le gouvernement fédéral préconise une approche axée sur la distinction, aucun leader métis ni expert métis de la santé n’a participé.
Votre ministère a-t-il tenté par d’autres moyens de consulter des collectivités ou des représentants métis, et dans le cas contraire, pourquoi? Pouvez-vous nous expliquer comment ces consultations ont été menées, et pourquoi aucun Métis n’a été invité à la table ronde?
M. Lametti : Nous avons organisé ces tables rondes du mieux que nous l’avons pu. J’en ai effectivement discuté avec M. David Chartrand. Nous avons mené des activités de consultation auprès des leaders et des collectivités métisses. Nous pouvons vérifier quelles autres activités de consultation nous avons menées, si vous le voulez, madame la sénatrice.
Nous avions comme but d’adopter une approche axée sur la distinction et d’organiser des consultations, et nous avons effectivement pu recueillir des commentaires de gens travaillant dans les collectivités métisses. Encore une fois, les considérations n’étaient pas identiques, mais l’essence était similaire. Elles visaient majoritairement les déterminants sociaux et la nécessité d’offrir un véritable choix aux personnes, afin qu’elles ne choisissent pas l’AMM parce qu’elles ont l’impression que c’est leur seule option.
La sénatrice Boyer : D’accord. Je vous serais reconnaissante de m’envoyer une copie de cela. Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Monsieur le ministre, merci d’être parmi nous aujourd’hui. Le préambule du projet de loi C-7 affirme quelque chose qui semble contradictoire entre la version anglaise et la version française. Dans la version anglaise, au premier paragraphe, on dit : « [...] Canada has committed to responding [...] » — au jugement de la Cour supérieure du Québec — alors que, dans la version française, on dit que : « [...] le gouvernement du Canada s’est engagé à donner suite à la décision [...] ».
Il y a un problème de cohérence entre les deux versions. Dans la version anglaise, on annonce qu’on va répondre comme on souhaite répondre, alors que la version française dit qu’on va répondre favorablement au jugement, qu’on va accepter le jugement. Donc, il y a une contradiction, et je pense que cela devrait être corrigé.
Ma question est la suivante : quand on parle de la réponse à l’arrêt Truchon, cette décision de 2019 n’est en fait qu’une réponse à l’arrêt Carter de 2015, lequel a fixé le critère comme étant les souffrances de la personne et l’autonomie de la personne dans la décision qu’elle prend par rapport à sa vie, par rapport aux souffrances qu’elle endure. Cette décision Carter s’inscrit dans un mouvement social et juridique beaucoup plus large, qui remonte à 32 ans, soit en 1988, avec la décision de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Morgentaler, dans laquelle on a reconnu que les décisions concernant la santé d’une personne relèvent de son autonomie et que c’est là le critère déterminant.
Le projet de loi C-7 réintroduit le critère de la mort raisonnablement prévisible; il a été invalidé, et vous n’avez pas fait appel du jugement. C’est un recul, un retour en arrière, et j’essaie de comprendre ce choix. Pouvez-vous nous expliquer ce qui motive ce choix?
M. Lametti : Merci, madame la sénatrice, pour la question. Évidemment, je ne suis pas d’accord avec votre interprétation. La mort raisonnablement prévisible n’est plus un critère d’éligibilité. Donc, on respecte la décision de la Cour supérieure dans l’arrêt Truchon. C’est maintenant un critère d’acheminement, c’est-à-dire qu’on a décidé de tenir compte des expériences des personnes, des familles et des praticiens.
Ces derniers sont maintenant assez à l’aise avec les procédures et ils ont, dans certains cas, accumulé une expérience et des connaissances particulières.
Nous avons également facilité quelques éléments sur lesquels ils avaient des suggestions précises, mais je dois dire que nous avons conservé le critère d’acheminement pour la grande majorité des cas de personnes en fin de vie qui souffrent d’un cancer ou d’une autre maladie. En effet, dans la grande majorité des cas, il s’agit de personnes en fin de vie et, comme nous voulions protéger les expériences et les connaissances acquises depuis 2016, nous avons donc ajouté un autre chemin pour y parvenir; il ne s’agit plus d’une barrière, mais plutôt d’une porte qui mène au choix de l’un ou de l’autre. De ce fait, nous respectons l’arrêt Carter et la décision Truchon, et je crois que cette étape sera bien acceptée par la grande majorité des Canadiens et des Canadiennes et qu’elle obtiendra un consensus social important.
La sénatrice Dupuis : J’aimerais vous poser une question complémentaire.
L’illustration de la question que je viens de vous poser a justement trait à la maladie mentale. On parle d’un concept sur lequel il n’y a pas de consensus au sein de la communauté médicale. On parle aussi des maladies mentales comme étant des maladies pouvant être créées par toutes sortes de phénomènes, comme des facteurs biologiques ou des problèmes de santé. Cela illustre bien la façon dont le projet de loi C-7 représente un pas en arrière, selon moi. En effet, la capacité de décider pour soi-même — un mouvement introduit et confirmé par l’arrêt Carter — est réintroduite, mais à partir d’un concept médical flou, et aux mains d’une communauté médicale qui n’est pas elle-même arrivée à un consensus à propos de ce que recoupe ce concept.
Vous appelez cela un chemin pour avoir accès à l’aide médicale à mourir, mais il s’agit en fait d’obstacles supplémentaires pour ces personnes, plutôt que de mesures visant à favoriser ce que la Cour suprême avait identifié comme étant la reconnaissance d’un mouvement social qui est, de toute évidence, en faveur de l’autonomie de la personne.
Comment peut-on appliquer un critère pour lequel il n’existe pas de consensus dans le milieu médical pour ce qui est de sa définition et qui n’a pas encore de fondement sur le plan juridique? J’essaie de comprendre. S’il existait un fondement sur le plan juridique, peut-être pourrait-ce être envisageable, mais il n’y a même pas de consensus dans aucun milieu.
M. Lametti : Évidemment, madame la sénatrice, je ne partage pas votre opinion. Il s’agit là d’une exception assez particulière et assez étroite. Il est fort possible que cela soit temporaire, puisqu’une révision parlementaire pourra mieux définir ou éclaircir ce concept. C’est vraiment faute de temps que nous ne pouvons aborder cette question à l’heure actuelle, parce qu’il nous faut respecter l’échéance liée à la décision Truchon.
Cependant, comme je viens de le dire, sur les plans juridique et moral, nous respectons l’arrêt Carter en élargissant le droit à l’aide médicale à mourir afin qu’il soit accessible à beaucoup plus de personnes. Comme vous venez de l’identifier, il y a une seule exception, mais cette exception fera l’objet d’une étude complète par un comité parlementaire.
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur le ministre.
Le sénateur Plett : Monsieur le ministre, vous avez dit, en réponse à l’une des questions du sénateur Carignan, qu’il n’y a pas de consensus entre les experts, et que c’est entre autres pour cette raison que vous n’avez pas fait ce qu’il a demandé. Je ne me rappelle pas exactement le terme ou l’expression que vous avez utilisé, mais, essentiellement, vous avez dit qu’il n’y a pas de consensus.
Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, s’il y a jamais eu un projet de loi qui ne crée pas de consensus, je dirais que c’est bien celui-ci, et probablement à tous les égards. Donc, clairement, vous procédez régulièrement sans consensus.
Cependant, ce que je veux savoir, monsieur le ministre, a trait à la protection de la liberté de conscience. Une préoccupation qui a été soulevée par rapport à ce projet de loi concerne l’absence de mesures de protection pour empêcher qu’un médecin soit contraint d’aiguiller un patient vers le suicide assisté, s’il s’y oppose en raison d’une objection de conscience.
Monsieur le ministre, vous avez dit que ce projet de loi consacrait la liberté de conscience, car, je vous cite : « Aucun médecin n’est forcé de quelque façon que ce soit de procéder à l’aide médicale à mourir […] » Vous avez déclaré que l’obligation d’aiguiller le patient découle d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario. Vous avez dit : « [...] cela provient des tribunaux. »
Cependant, le fait est que le régime de suicide assisté est toujours relativement nouveau. La Cour suprême du Canada n’a pas encore examiné la question de savoir si on peut contraindre une personne à en aiguiller une autre vers l’AMM. Nous savons qu’il y a des médecins — de nombreux médecins, à mon avis — qui vont quitter la profession ou qui vont certainement quitter le pays, entre autres le médecin de ma mère. Mon propre médecin en a parlé.
Je vais vous poser mes questions, monsieur le ministre, avant de manquer de temps.
Ne croyez-vous pas qu’il est cavalier de faire ainsi fi de la liberté de conscience? Dans quelle mesure les ministres du Cabinet ont-ils réellement étudié la question? N’êtes-vous pas préoccupé par le fait que de nombreux médecins ont dit qu’ils avaient l’intention de quitter la profession si ces mesures de protection n’étaient pas consacrées explicitement dans la loi?
En réponse à la question du sénateur Carignan, vous avez laissé entendre que vous étiez ouvert à modifier la formulation dans une certaine mesure et que vous accepteriez peut-être des amendements, du moins, c’est ce que j’ai compris de votre réponse. Seriez-vous prêt, monsieur le ministre, par souci de clarté ou de certitude, à faire en sorte que le projet de loi prévoie qu’un médecin qui veut sauver une vie au lieu d’y mettre un terme n’ait pas, compte tenu de son objection de conscience, à jouer un quelconque rôle dans ce processus, même pas celui d’aiguiller le patient? Seriez-vous prêt à ce que cela soit prévu dans le projet de loi, pour ajouter de la certitude?
M. Lametti : Merci de votre question, monsieur le sénateur, mais, dans l’ensemble, je ne peux pas dire que je suis favorable à cet amendement. Tout d’abord, je vais aborder le consensus.
Nous avons mené de vastes consultations en 2016 ainsi qu’après la décision Truchon. Plus de 300 000 personnes ont répondu à notre enquête en ligne, et nous avons tenu, dans le cadre d’un effort intensif, des tables rondes partout au Canada en janvier et en février 2020.
La très grande majorité des Canadiens veulent ce qu’il y a dans ce projet de loi. Je crois que le consensus social est vraiment qu’il faut aller de l’avant. La société a changé depuis 2016, lorsque le premier projet de loi sur l’AMM a été adopté, et nous évoluons avec elle. Nous évoluons avec la société canadienne. Je ne dirais pas que nous agissons de façon cavalière, monsieur le sénateur; je dirais plutôt que nous agissons selon le consensus et que nous évoluons avec le consensus de la société canadienne.
Pour ce qui est de la liberté de conscience des médecins et des infirmiers praticiens, monsieur le sénateur, nous avons déjà beaucoup débattu de cette question en 2016. Cela faisait partie du projet de loi original, mais des députés conservateurs ont proposé des modifications, avec l’assentiment du gouvernement et de la ministre de l’époque. Ces mesures de sauvegarde sont toujours dans le projet de loi. Rien n’a changé. Les médecins, le personnel infirmier ou qui que ce soit d’autre ne sont pas contraints de participer à ce processus.
Le sénateur Plett : Monsieur le ministre, puis-je dire quelque chose, un instant?
M. Lametti : Laissez-moi répondre à la question, monsieur le sénateur. Merci.
La décision que vous avez mentionnée est celle de la Cour d’appel de l’Ontario, La décision concernant les aiguillages et l’obligation d’aiguiller un patient relève entièrement de la compétence provinciale. Les provinces feront ce qu’elles jugent correct en fonction de leurs besoins et de leurs capacités de fournir du soutien et des soins médicaux à leurs habitants.
Les provinces ont une grande expérience en ce qui concerne ce genre d’enjeux controversés — prenez par exemple les services d’avortement —, et la décision de ce tribunal de l’Ontario reflète...
Le sénateur Plett : Monsieur le ministre, c’est inacceptable que cela devienne une affaire partisane. Même s’il s’agit d’une décision provinciale, vous avez le pouvoir de consacrer cela dans la loi, pour ajouter de la certitude. Ce n’est pas la position du gouvernement fédéral; et c’est inacceptable que cela devienne une affaire partisane. Nous sommes le Sénat. Nous représentons non pas le Parti conservateur ni le Parti libéral du Canada, mais bien les Canadiens. Je vous prierais donc de ne pas en faire une question partisane, monsieur le ministre, parce que nous ne sommes pas ici pour cela.
Le sénateur Cotter : Merci d’être avec nous, monsieur le ministre. C’est bon de vous revoir, même virtuellement. C’est une excellente chose de pouvoir vous parler en premier et de pouvoir discuter avec vous, compte tenu de vos responsabilités en tant que ministre du Cabinet et procureur général du Canada. Ma question ne concerne pas vraiment l’AMM directement, même s’il y a un lien clairement important; cela concerne la mesure dans laquelle vous comprenez que nos lois, et ce projet de loi en particulier, vous imposent des responsabilités juridiques et constitutionnelles supplémentaires en tant que procureur général ainsi que comme ministre de la Justice et ministre du Cabinet.
Vous savez sûrement que, dans le passé, nos distingués procureurs généraux comprenaient qu’ils jouaient un rôle distinct, d’une certaine façon. Ils n’étaient pas seulement des ministres de la Couronne et, à titre de procureurs généraux, ils devaient effectivement agir indépendamment des responsabilités politiques qui incombent aux ministres de la Justice. Je crois que c’est quelque chose d’important à prendre en considération dans le contexte de ce projet de loi. Le rapport McClure sur les libertés civiles souligne que le procureur général a le devoir de superviser le processus législatif et que ses responsabilités transcendent ses obligations envers ses collègues et le Cabinet; dans votre rôle, vous devez toujours exercer vos fonctions de façon exemplaire afin de soutenir et de défendre la primauté du droit.
Je crois que ce dont je veux parler, de façon générale, c’est de l’approche adoptée dans le passé par nos distingués procureurs généraux. Je pense à vos anciens collègues, Irwin Cotler, Roy McMurtry, Roy Romanow et Ian Scott, qui comprenaient très bien ce rôle.
Voici donc ma question, dans ce contexte : dans votre rôle de procureur général, suivez-vous ce principe de respect de la primauté du droit, et cela l’emporte-t-il conséquemment sur les questions politiques et stratégiques? Plus précisément, si vous en veniez à la conclusion ou si vous étiez persuadé que ce projet de loi comprend de graves lacunes constitutionnelles, seriez-vous prêt à y remédier? Seriez-vous prêt, dans les faits, à contester vous-même ces parties du projet de loi?
J’ai aussi une question complémentaire qui nous concerne : diriez-vous que les sénateurs et les sénatrices, même si nous ne sommes pas des procureurs généraux, devraient adopter la même approche à l’égard de la primauté du droit, lorsque nous avons de graves préoccupations d’ordre constitutionnel? Merci.
M. Lametti : Merci beaucoup, sénateur Cotter. Je sais que vous avez une grande expérience, autant gouvernementale qu’universitaire, et je constate que cela éclaire votre question.
Oui, j’essaie bel et bien de distinguer les rôles de ministre de la Justice et de procureur général du Canada. De manière concrète, j’essaie de faire en sorte que mes collègues sachent lequel des deux rôles je joue. En particulier, j’avertis toujours mon interlocuteur lorsque je change de rôle au milieu d’une conversation.
Je me suis engagé à mettre en œuvre les recommandations de Mme Anne McLellan, une ancienne ministre de la Justice et procureure générale, et j’ai effectivement commencé à le faire. Comme vous le savez, pour la première fois dans l’histoire du Canada, j’ai prêté un serment différent lors de mon assermentation, et ce serment reflète le fait que les rôles de procureur général et de ministre de la Justice sont distincts.
En tant qu’avocat et procureur général, j’essaie effectivement de faire de mon mieux pour évaluer la constitutionnalité de chaque projet de loi. C’est ce que je faisais en tant que parlementaire et à titre personnel, et vous pouvez être certain que je suis toujours prêt à écouter un autre argument ou un autre point de vue, si jamais quelque chose m’a échappé. C’est mon devoir, en tant que procureur général.
Pour ce qui est de l’affaire à l’étude, je crois sincèrement, pour les raisons que j’ai mentionnées, que ce projet de loi est constitutionnel, et j’ai déposé un avis en ce sens à la Chambre des communes. Malgré tout, à titre de procureur général non partisan et indépendamment de mon devoir en tant que ministre de la Justice de déposer ce projet de loi, je dois, à tout le moins, répondre à vos préoccupations afin que nous puissions poursuivre le processus.
Le sénateur Cotter : J’aimerais faire une observation, dans la minute ou les quelques secondes qui me restent. Je vous suis reconnaissant de votre réponse et je vous remercie. Je crois que votre approche est en harmonie avec notre longue lignée de procureurs distingués.
Ce qui me préoccupe, par rapport à certaines des observations que vous avez faites sur le besoin de consacrer plus de temps à un examen et, peut-être, sur l’absence de consensus, c’est que j’ai l’impression que vous proposez, en ce qui concerne certaines des restrictions dans le projet de loi, des réponses bien réfléchies en matière de politique, mais qui n’abordent pas vraiment la question constitutionnelle. Je voulais seulement vous faire part de cette observation — cette angoisse — pour la suite des choses dans les prochaines semaines. Merci.
M. Lametti : Monsieur le sénateur, pour vous répondre en une phrase, je dirais que l’absence de consensus découle... je ne veux pas dire d’une absence, mais plutôt d’un profond manque de compréhension, disons, à l’égard des principes médicaux ou scientifiques sous-jacents. Cela rend les choses difficiles, autant sur le plan stratégique qu’en droit.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre, au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Je voudrais dire, d’entrée de jeu, que je ne suis pas du tout surpris que nous nous retrouvions à refaire nos devoirs en tant que législateurs, parce que cette mise en garde avait été faite à votre gouvernement en 2016. Je me souviens, car j’ai étudié le projet de loi C-14, que le ministre de la Justice de l’époque avait presque promis au Sénat que les amendements ou les recommandations que nous soumettrions seraient pris au sérieux. Malheureusement, le gouvernement les a presque tous rejetés.
Je suis convaincu que nous allons nous revoir dans deux ou trois ans, peut-être sous un autre gouvernement, pour refaire nos devoirs, surtout sur le volet sur la santé mentale, qui me semble être le plus contradictoire du projet de loi.
Vous faites une affirmation qui me semble un peu douteuse lorsque vous dites qu’on n’est pas allé plus loin sur le plan de la maladie mentale parce que l’évolution des maladies dans ce domaine est imprévisible. Le même problème existe dans le domaine de la santé physique. Des changements scientifiques, des changements dans la médication font en sorte que des maladies incurables d’hier sont aujourd’hui curables. Pensons à la sclérose en plaques. Il y a à peine quelques mois, les gens atteints de cette maladie étaient condamnés à une mort lente, alors qu’il y a maintenant des médicaments sur le marché qui risquent de leur faire recouvrer la santé.
Pourquoi ne pas être allé plus loin sur le plan de la santé mentale? En 2015, dans le contexte du projet de loi C-14, la Cour suprême a demandé dans sa décision de traiter équitablement les mourants et ceux qui souffrent, la maladie mentale et la maladie physique.
M. Lametti : Merci, sénateur. Il est très à propos que nous nous parlions de ce sujet en cette Semaine des victimes et survivants d’actes criminels. Je salue votre travail dans ce domaine.
En 2016, les maladies mentales, les demandes anticipées ainsi que le cas des mineurs ont été identifiés comme des questions qui devaient être étudiées de façon plus approfondie. Des études ont été effectuées par des experts et des universitaires à travers le Canada et par le conseil. Nous avons ces trois rapports. Une révision parlementaire a toujours été prévue et c’est encore le cas. Nous allons étudier ces trois questions de façon approfondie.
Ce que j’ai dit sur les maladies mentales, c’est qu’on n’a pas le temps d’étudier le sujet dans les délais prévus à l’heure actuelle. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas important ou qu’il n’y a pas de questions médicales, juridiques et éthiques fondamentales qui se posent. Il faut les étudier en y accordant le temps et l’attention nécessaires pour en arriver à une bonne conclusion, à un bon projet de loi.
C’est encore le cas et nous allons le faire. Toutefois, pour l’instant, on a décidé de répondre à la décision Truchon et d’ajouter deux ou trois autres améliorations fondées sur l’expérience des personnes, des familles et des praticiens dans le domaine. Dans ce cas-ci, les objectifs sont relativement restreints.
[Traduction]
La sénatrice Keating : Monsieur le ministre, merci à vous et à votre équipe d’être avec nous. Ma question porte précisément sur l’accès.
La loi prévoit qu’une personne qui veut obtenir l’AMM doit passer par un professionnel de la santé, bien sûr, et elle reconnaît déjà que les médecins ont le droit de refuser de donner l’AMM en raison de leurs convictions morales. Cependant, dans ma province du Nouveau-Brunswick, il y a des dizaines de milliers de personnes qui n’ont pas de médecin de famille, ce qui veut dire que le médecin qui signe une entente avec un patient ne sera vraisemblablement pas le médecin qui, au bout du compte, donnera l’AMM.
Je sais aussi que, dans ma province, il y a un médecin à Fredericton qui donne l’aide médicale à mourir. Il y en a aussi un à Saint John et deux à Moncton, ce qui veut dire qu’il n’y a personne qui offre ce service au-dessus de « l’hémisphère sud », si vous voyez ce que je veux dire. Bien sûr, cela touche aussi les collectivités autochtones.
La loi contient aussi un volet sur la reddition de comptes. Nous avons beaucoup parlé des mesures de sauvegarde, mais il n’y a absolument aucune disposition qui oblige les provinces ou les autres régions administratives à mettre en place un système où les gens qui sont admissibles à l’AMM y auront accès.
Voici donc ma question : avez-vous songé à ajouter une disposition qui ferait en sorte que les provinces doivent rendre des comptes sur l’accès à l’AMM?
Avant que vous ne répondiez, je dois dire que j’ai demandé, à 3 heures du matin, à un psychiatre de ma province de me fournir une citation, et il me l’a transmise ce matin. Même si sa citation concerne l’exclusion visant les personnes atteintes de maladie mentale, je crois qu’elle touche aussi de façon plus générale aux préoccupations que j’ai, globalement, à l’égard de l’accès dans le projet de loi. Voici la citation :
Un système qui ne peut prétendre à l’équité dans la vie ne peut prétendre d’assurer l’équité dans la mort.
C’est une citation du Dr Nachiketa Sinha, un psychiatre consultant de Moncton, au Nouveau-Brunswick.
Merci, monsieur le ministre.
M. Lametti : Merci, madame la sénatrice. C’est une citation vraiment percutante. Manifestement, elle a eu l’impact qu’elle devrait avoir et que vous souhaitiez.
C’est bien l’une des difficultés — et vous devriez poser la question à la ministre de la Santé quand elle viendra témoigner devant vous — de la Confédération canadienne et de la façon dont les pouvoirs sont divisés. Nous le voyons pendant la pandémie ainsi que dans d’autres aspects de la vie.
Nous faisons de notre mieux pour coopérer avec les provinces. Dans ce contexte, je me sers du droit pénal pour faire en sorte qu’il soit possible d’éviter que des accusations criminelles soient déposées dans ce genre de situation, conformément à l’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada et à d’autres décisions judiciaires. Les gens ont un droit, et ils ont le droit de demander que leur système de santé provincial respecte leur droit.
Notre devoir à titre de gouvernement fédéral est de travailler avec nos partenaires provinciaux pour veiller à ce que tout soit mis en application, et je peux vous assurer que c’est ce que nous continuerons de faire, mais de là à ajouter une disposition en ce sens dans le projet de loi, je dirais que dès que vous essayez de contraindre les provinces à faire quelque chose d’une manière ou d’une façon précise dans les domaines de la santé, cela reviendrait probablement à empiéter sur les compétences provinciales, alors il faut faire preuve de prudence.
Vous pouvez être sûre que je partage votre avis, et que je souhaite vraiment que les gens aient accès à ce service tout comme ils ont accès aux services de santé. Je veux que les deux s’améliorent, pour être parfaitement honnête avec vous, idéalement dans tout le Canada et, dans la mesure du possible, uniformément. Donc, nous allons faire de notre mieux pour travailler avec les provinces, et je crois que nous avons démontré pendant la pandémie que nous sommes prêts à débloquer des ressources. Je ne sais pas si ce sera le cas ici, mais nous ferons de notre mieux pour travailler avec les provinces afin de trouver une solution.
La sénatrice Keating : Merci. Je dirais seulement, par rapport à votre réplique, qu’il s’agit d’un droit fédéral et constitutionnel, et qu’un droit auquel on n’a pas accès n’en est pas du tout un. Je dirais que je ne suis pas aussi convaincue que vous en ce qui concerne la séparation des pouvoirs, parce que j’ai souvent vu, dans ma propre province, qu’il était difficile d’accéder à certains droits. C’est facile de dire que la mise en œuvre relève de la compétence provinciale, mais ce dont il est question ici, c’est de protéger l’accès ou de donner l’accès à un droit pour les personnes qui souffrent ou qui sont en fin de vie. À mon avis, ce n’est ni correct ni sensé que des gens dans cette condition doivent se battre tout le temps pour avoir accès à ce droit.
Il faut qu’il y ait une reddition de comptes prévisible. Il y a une disposition selon laquelle les provinces doivent fournir des données, et je ne vois donc pas pourquoi il n’y en aurait pas une qui exigerait qu’elles déclarent combien de demandes elles ont reçues et comment elles ont fourni ce service. Voilà, j’ai tout dit. Merci; je vous remercie de votre réponse.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup, monsieur le ministre, d’être avec nous. J’ai deux questions.
En plus de créer des mesures de sauvegarde dans les cas où le décès n’est pas raisonnablement prévisible, les amendements proposés prévoient un délai de 90 jours entre la première évaluation de l’admissibilité et le moment où l’AMM est réellement administrée.
Sur quoi vous êtes-vous fondé pour conclure qu’un délai de 90 jours était approprié, et y avait-il d’autres données probantes qui porteraient à croire qu’un délai plus long ou plus court serait avantageux ou défavorable pour les gens qui souffrent?
M. Lametti : Merci de votre question, madame la sénatrice. Le délai de 90 jours donne suffisamment de temps à la personne et au médecin ou à l’infirmier praticien — ainsi qu’aux autres experts et spécialistes pertinents — d’examiner et d’évaluer la situation et de donner à la personne l’information pour qu’elle puisse prendre indépendamment la bonne décision.
Nous avons consulté des experts afin de déterminer quel serait le délai approprié pour ce genre d’évaluation — je réitère qu’il s’agit d’une période d’évaluation et pas d’une période d’attente — pour que les tests et les discussions nécessaires puissent avoir lieu. Nous avons déterminé que ce délai n’était ni trop long ni trop court, et qu’il était approprié dans ce contexte.
Un exemple qui est souvent utilisé est celui d’un horrible accident où la première réaction de la victime est « J’aurais préféré mourir », mais parfois, après que cette personne a reçu et compris l’information sur les différents types de soutiens offerts, sur les solutions technologiques qui s’offrent à elle et sur les services sociaux auxquels elle a accès, la personne peut changer d’idée après très peu de temps.
Donc, à la suite de ces discussions, nous avons choisi un délai qui, à notre avis, était approprié dans les circonstances sans être trop long. Aussi, il y a une exception dans les cas où le médecin détermine qu’une personne a le droit d’avoir un accès plus rapide à l’aide médicale à mourir, mais, encore une fois, ce délai devrait être approprié pour que l’on puisse mener les consultations et les évaluations.
La sénatrice Boniface : Merci, monsieur le ministre. Ma deuxième question concerne l’examen qu’on a déjà mentionné dans un certain nombre d’autres questions. D’après ce que je comprends, la Chambre souhaite entreprendre cet examen dès que possible, et je m’attends à ce que le Sénat manifeste le même intérêt.
Monsieur le ministre, je me demandais si votre gouvernement ou vous pouviez vous engager à amorcer le processus d’examen législatif de l’ancien projet de loi C-14, lorsque le Parlement reprendra ses travaux après le congé des Fêtes, en février 2021. Est-ce que le gouvernement va amorcer le processus à ce moment-là?
M. Lametti : Merci de votre question, madame la sénatrice. Bien entendu, je me suis engagé publiquement à ce que ce soit fait le plus rapidement possible, mais je ne peux pas prendre un engagement au nom du gouvernement actuellement, étant donné que le Cabinet n’a pas encore pris de décision définitive, mais je peux vous assurer personnellement que je vais travailler aussi fort que je le peux pour que cette étude soit faite le plus rapidement possible. S’il n’en tenait qu’à moi, elle serait terminée... elle commencerait dès demain, mais je dois convaincre mes autres collègues autour de la table.
Le sénateur Campbell : Merci, monsieur le ministre, d’être venu témoigner aujourd’hui. C’est un plaisir de vous accueillir parmi nous. Ma question est plutôt simple : j’aimerais savoir ce que les provinces pensent de ce projet de loi. Vous avez bien évidemment communiqué avec les provinces et avez discuté avec elles. Puisque ce sont elles qui auront à mettre en œuvre ces processus, parce que cela fait partie du domaine de la santé, je voulais connaître leur opinion sur le projet de loi.
M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur. Comme vous le savez d’expérience, ce serait impossible de regrouper toutes les provinces afin de donner une seule réponse. Je peux cependant dire que nous avons été en contact, et que mes collègues sont en contact avec leurs homologues provinciaux.
Évidemment, du côté juridique, j’ai travaillé le plus étroitement avec la province du Québec, puisque le Québec est la seule province dont le régime provincial est en harmonie avec le droit pénal fédéral dans ce contexte particulier. C’est aussi là où la décision a été rendue. Malgré tout, je crois qu’il serait juste de dire — et, encore une fois, je ne m’exprime pas au nom de toutes les provinces — qu’il y a dans l’ensemble un vaste consensus.
L’affaire juridique en 2016 s’est révélée relativement favorable pour la grande majorité des cas concernant des personnes en fin de vie. Nous savons, d’après nos consultations, que les gens ont des histoires très touchantes à raconter sur les expériences très positives qu’ils ont eues par rapport à l’AMM, autant les familles des défunts — peu importe le cas — que les médecins et infirmiers praticiens. Il y a aussi, dans l’ensemble, une certaine opinion positive exprimée par l’Association médicale canadienne et les autres associations de médecins et d’infirmiers praticiens, et je crois que cela se reflète globalement dans la réaction favorable des provinces.
Le sénateur Campbell : Merci.
La présidente : Merci, monsieur le ministre. La parole va maintenant à la sénatrice Batters. Je ne sais pas si vous vous souvenez de sa question, car on vous en a posé plusieurs depuis, mais je n’ai pas pu vous laisser y répondre. Sénatrice Batters, rapidement, voulez-vous poser de nouveau votre question au ministre pour qu’il puisse y répondre?
La sénatrice Batters : Je vais seulement poser la fin. Monsieur le ministre, avant d’être nommé ministre, vous avez voté contre le projet de loi C-14, parce que vous étiez d’avis qu’il n’allait pas assez loin, et je me demandais si c’était pour cette raison que n’avez pas interjeté appel de la décision Truchon rendue par un tribunal inférieur. Est-ce parce que vous vouliez cette décision?
M. Lametti : Pas du tout, et je vous remercie de la question. À dire vrai, vous avez raison quand vous dites que, à titre de député, je croyais que le projet de loi C-14 n’allait pas assez loin. Mais, comme ministre de la Justice, j’ai déclaré publiquement plus d’une fois que, puisque le projet de loi avait été adopté, je respectais le processus parlementaire et que j’allais défendre cette décision.
Pour ce qui est de la décision Truchon, il y a eu d’autres affaires au Canada — notamment l’affaire de Julia Lamb en Colombie-Britannique — qui ont été instruites, mais qui ont été suspendues lorsque la décision Truchon a été rendue; nous savons aussi que d’autres affaires allaient possiblement se retrouver devant les tribunaux. Si nous avons décidé de ne pas interjeter appel de la décision, c’est parce qu’il y a eu une évolution fondamentale au sein de la société canadienne depuis 2016, et cela est reflété dans ces décisions : la société a largement accepté l’AMM. L’Association médicale canadienne est maintenant l’un des nos partenaires les plus proactifs et positifs en ce qui concerne l’AMM, et ce, d’un bout à l’autre du Canada. Les médecins et les infirmiers praticiens qui œuvrent dans ce contexte — par exemple en soins palliatifs ou qui administrent l’AMM — constatent qu’ils peuvent offrir tout un éventail de services aux gens, avec énormément de compassion et d’empathie.
L’AMM est largement acceptée. C’est l’information qui nous parvenait, et la décision Truchon est fondée non seulement sur des arguments constitutionnels et sur des conclusions que nous croyons justes dans cette affaire, mais aussi sur le fait que la société canadienne a beaucoup évolué depuis 2016 par rapport à l’acceptation de l’AMM, et il était temps de passer à la prochaine étape.
[Français]
La présidente : Sénateur Boisvenu, il vous reste une minute.
Le sénateur Boisvenu : J’étais passé à un autre sujet; je me préparais pour le prochain groupe de témoins, donc j’en resterai là. Ce que je trouve déplorable, c’est que le ministre a pris quatre minutes pour répondre à une question qui aurait dû en prendre deux. Dans ces conditions, madame la présidente, on n’a pas la chance d’échanger avec le gouvernement. Ce que je préférerais pour une prochaine fois, c’est que, si l’on pose une question qui dure une minute, notre interlocuteur prendra une minute pour y répondre; sinon, on n’a pas la chance de discuter ou de dialoguer.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci, monsieur le ministre, d’être avec nous. Monsieur le ministre, à la suite de la décision Truchon, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées ainsi qu’un certain nombre de groupes de défense des personnes handicapées ont souligné que, en supprimant le critère d’admissibilité à l’AMM de la « mort raisonnablement prévisible », le Canada manquait peut-être à son obligation de défendre le droit à la vie des personnes handicapées. De plus, la pandémie a révélé le gouffre qui sépare ceux qui ont des ressources et des avantages de ceux qui n’en ont pas, en matière d’accès aux services.
Ma question est la suivante : quelles mesures le gouvernement va-t-il prendre pour réagir aux préoccupations des Canadiens handicapés, compte tenu de l’obligation de défendre leurs droits garantis par la Charte? Aussi, quelles mesures seront prises pour éviter que le devoir de défendre ces droits n’incombe pas à la personne handicapée, qui vit peut-être dans une situation de pauvreté et qui a de la difficulté à accéder à du soutien social ou économique ou en matière de santé et de logement, sans parler des grands efforts que cela suppose, personnellement et financièrement, de monter une contestation en vertu de la Charte pour vérifier si, par l’intermédiaire du projet de loi C-7, le gouvernement a correctement mis en œuvre des mesures pour respecter ses obligations?
M. Lametti : Merci, madame la sénatrice. Je suis tout à fait d’accord avec la prémisse de votre question. Effectivement, les Nations unies ont publié un rapport, dont nous avons été mis au courant par la ministre Qualtrough, parmi d’autres, et nous avons soigneusement rédigé le projet de loi afin de nous assurer de tenir compte de ces préoccupations; je crois que nous avons réussi grâce aux mesures de sauvegarde que nous avons ajoutées, qui visent les personnes qui ne sont pas en fin de vie.
Pour ce qui est des personnes qui sont en fin de vie, la communauté des personnes handicapées a exprimé très peu de préoccupations à cet égard en particulier. Ces préoccupations touchaient surtout les personnes qui ne sont pas en fin de vie. Nous avons aussi tenté de consacrer ces principes dans le préambule du projet de loi, que je vous recommande de consulter.
Je vous le répète, nous — le gouvernement — accordons une grande importance à cette question : nous avons essayé d’investir dans le logement, dans la santé mentale et dans les soutiens, et nous continuerons de travailler avec nos partenaires provinciaux de façon proactive afin d’améliorer les conditions et les déterminants sociaux.
Vous avez tout à fait raison de dire — comme d’autres ici présents l’ont dit — que le choix de demander l’AMM devrait être une décision autonome, et que d’autres options gratifiantes pour la vie doivent être offertes. À cet égard... nous avons aussi déployé de grands efforts pour consulter les leaders de la communauté des personnes handicapées, et nous continuerons, en tant que gouvernement, d’écouter leurs préoccupations.
[Français]
Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, vous justifiez la discrimination envers les personnes atteintes d’une maladie mentale par le fait que la question est complexe et que nous manquons de temps. J’aimerais vous rappeler que, en 2016, il y a quatre ans, le comité mixte avait dit au gouvernement que l’aide médicale à mourir était une question complexe. Le rapport disait également que la complexité de la question ne devait pas être une excuse pour discriminer les personnes atteintes d’une maladie mentale. Le rapport recommandait, et je cite :
Que l’on ne juge pas inadmissibles à l’aide médicale à mourir les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique en raison de la nature de leur maladie.
Le rapport disait également ce qui suit :
La complexité de tels cas ne justifie pas que l’on fasse de la discrimination à l’endroit de ces personnes en leur refusant l’accès à l’AMM.
Il s’agit d’un rapport du comité mixte qui date de quatre ans. Nous nous retrouvons, quatre ans plus tard, avec le même motif de discrimination. Cette justification ne fera pas long feu devant les tribunaux. Il me semble que l’on met, encore une fois, un gros fardeau sur les épaules des personnes atteintes d’une maladie mentale pour revendiquer leurs droits, revenir devant la cour et refaire annuler certaines dispositions, pour nous retrouver dans la même position que celle dans laquelle nous sommes en ce moment, soit de proposer un autre amendement à la Loi sur l’aide médicale à mourir. Les chartes sont là pour que la majorité n’abuse pas des minorités. On dit maintenant que l’on arrêtera de discriminer la minorité lorsqu’il y aura un consensus, donc lorsque la majorité sera d’accord.
Ne trouvez-vous pas que l’on met un gros poids sur les épaules de personnes déjà atteintes et qui souffrent en les discriminant à ce point? Ne trouvez-vous pas que l’on exagère et que l’on devrait prendre nos responsabilités et adopter une loi dont on sait qu’elle sera constitutionnelle?
M. Lametti : J’aimerais atténuer la souffrance des gens; c’est le but du projet de loi et c’est quelque chose qui devrait tous nous animer.
Ce que j’ai dit assez clairement, c’est que je crois sincèrement que la loi est légale et constitutionnelle malgré les observations que vous, le sénateur Dalphond et le sénateur Cotter avez faites. Cela dit, la réponse au comité mixte en 2016 était d’étudier la question lors de la revue parlementaire. C’est encore l’objectif; rien n’a changé. Nous avons eu un actus interveniens à cause de la décision Truchon et nous allons corriger le tir sur une partie de la loi. Cependant, l’objectif de traiter les maladies mentales convenablement demeure le même. Nous allons le faire, et j’espère nous le ferons dès que possible après l’adoption du projet de loi C-7. Je vais prendre cette responsabilité sérieusement. Je peux vous assurer, et c’est très important, que je suis conscient du fait qu’il faut examiner la question dès que possible, mais comme il le faut et avec toute l’attention qu’elle mérite. Je partage vos valeurs, vos sentiments et votre respect profond pour la Charte, mais je crois qu’il faut agir comme le propose le projet de loi C-7, pour faire la revue nécessaire par la suite, comme on l’avait prévu en 2016.
[Traduction]
La présidente : Monsieur le ministre, vous êtes resté avec nous plus longtemps que prévu. Je veux vous remercier de votre présence aujourd’hui. Je sais que nous tiendrons beaucoup de séances avec vous. Il y en aura une très bientôt, quand nous recevrons le projet de loi.
Je veux m’excuser auprès de mes collègues de les interrompre, mais notre temps est limité.
Je remercie beaucoup les sénateurs et les sénatrices de leur patience ce matin. Nous allons accueillir notre deuxième groupe d’aujourd’hui. Avant de commencer, je dois vous souligner que vous n’aurez que quatre minutes pour poser vos questions aux témoins. Je m’en excuse, mais je vais devoir donner la parole au prochain sénateur ou à la prochaine sénatrice dès que vos quatre minutes seront écoulées, si je veux m’assurer que tous les membres du comité puissent prendre la parole.
Je vous demanderais aussi d’aviser le greffier seulement si vous n’avez pas de question à poser. Je prierais aussi les témoins de donner des réponses complètes, mais aussi rapides que possible. Aussi, évitez les longs préambules; je peux vous assurer que les sénateurs et les sénatrices ont déjà lu la documentation au complet et qu’ils sont impatients de discuter avec vous.
Dans notre deuxième groupe, nous accueillons : Dr Sandy Buchman, président sortant de l’Association médicale canadienne; Dre Stefanie Green, présidente de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM; Dre Leonie Herx, consultante en médecine palliative, présidente sortante et membre du conseil d’administration de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs.
Au nom des membres du comité, je remercie les témoins d’être avec nous. Nous passerons aux questions après vos exposés.
Dr Sandy Buchman, président sortant, Association médicale canadienne : Merci, madame la présidente. Je témoigne aujourd’hui devant votre comité en ma qualité de président sortant de l’Association médicale canadienne, ayant l’honneur et la responsabilité de parler au nom de tous nos membres, les médecins de première ligne. Je suis le Dr Sandy Buchman. Je suis médecin en soins palliatifs à Toronto ainsi qu’évaluateur et prestataire de l’AMM.
Il nous incombe dès maintenant de réfléchir aux effets qu’aura l’adoption du projet de loi C-7 non seulement sur les patients, mais aussi sur les professionnels de la santé qui donnent l’aide médicale à mourir, ou AMM. L’Association médicale canadienne a été l’un des intervenants principaux lors de l’élaboration du projet de loi C-14, le projet de loi original sur l’AMM.
Nous avons poursuivi cet engagement avec le projet de loi C-7. Nous l’avons examiné, et nous savons que, de multiples façons, les résultats de nos consultations exhaustives auprès de nos membres s’alignent sur les conclusions des tables rondes du gouvernement. Mme Nicole Gladu, dont le nom est maintenant inextricablement lié à la décision du gouvernement sur l’AMM, a déclaré absolument sans équivoque qu’il revenait aux personnes comme elle de décider si elles « préfère[nt] la qualité de vie à la quantité de vie ».
Même si tous ne partagent pas son avis, rares sont ceux qui oseraient dire que cela ne rappelle pas avec force qui sont les vraies parties prenantes dans l’étude de ce projet de loi, qui touche également les prestataires actuels et futurs de l’AMM. Nos membres sont ces médecins et infirmiers praticiens, mais nous ne pouvons pas faire fi du fait qu’il faut offrir un soutien complet autant aux patients qu’aux prestataires. Pour aller à l’essentiel, l’AMC soutient l’approche prudente et réfléchie du gouvernement pour donner suite à la décision Truchon et Gladu.
Le processus réfléchi et graduel du gouvernement est en harmonie avec la position de l’AMC, qui préconise une approche équilibrée relativement à l’AMM. Cependant, nos consultations ont révélé que de nombreux médecins estiment qu’il y a globalement un manque de clarté. Les efforts récents du gouvernement fédéral pour fournir des précisions aux médecins ont été très bien accueillis. L’AMC est heureuse de constater que de nouvelles mesures non législatives amélioreront l’uniformité de la prestation de l’AMM à l’échelle du pays ainsi que la qualité et l’accessibilité des soins palliatifs, des soins de santé mentale et des soins et ressources en santé pour les gens qui souffrent de maladies chroniques ainsi que les personnes handicapées.
Il faut absolument veiller à ce que tous les patients aient accès à d’autres options valables en matière de soins de santé. L’AMC demeure ferme dans ses convictions sur l’AMM, sur le projet de loi C-14 et sur le projet de loi C-7. Nous croyons qu’il faut respecter le choix des Canadiens et Canadiennes admissibles. Nous croyons aussi qu’il faut protéger les droits des Canadiens et des Canadiennes vulnérables. À cette fin, il faut appliquer rigoureusement des mesures de sauvegarde. Nous croyons que le contexte doit encourager les médecins et les infirmiers praticiens à suivre leurs engagements moraux. Ils insistent là-dessus. Chacun de ces trois principes est également inattaquable.
Nos membres appuient fermement la possibilité de permettre aux patients admissibles qui pourraient perdre leurs facultés avant de demander l’AMM de présenter une demande anticipée. L’AMC estime que les mesures de sauvegarde constituent une protection importante pour les droits des Canadiens et Canadiennes vulnérables et des personnes admissibles qui demandent l’AMM. Il serait important d’accroître la collecte de données afin de pouvoir présenter des chiffres plus complets sur l’AMM au Canada. Cependant, il faut éviter que cela ne crée un fardeau administratif indu pour les médecins.
L’AMC est d’avis que certaines parties du libellé du projet de loi posent des risques. L’AMC recommande de modifier le libellé du paragraphe 2.1, qui se lit comme suit : « […] la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap. » Afin d’éviter de créer de la stigmatisation non voulue, le projet de loi devrait aussi indiquer clairement que l’exclusion s’applique uniquement dans les cas où la seule affection médicale est une maladie mentale, et non dans les cas où la maladie est une comorbidité. Je veux que ce soit clair : l’AMC ne recommande pas de modifier l’intention du législateur. Nous sommes convaincus que le Parlement examinera avec soin le libellé du projet de loi.
Enfin, l’AMC appuie l’approche graduelle que le gouvernement a adoptée pour examiner prudemment les questions délicates. Nous devons aller de l’avant en faisant en sorte que les médecins et les infirmiers praticiens ont les outils qui seront nécessaires, dans un large éventail d’enjeux, à la prestation sécuritaire de l’AMM. Un excellent exemple serait de soutenir l’élaboration de lignes directrices en matière de pratique clinique pour aider les médecins à prendre des décisions cliniques justes. Ce genre de directives renforcerait aussi l’application uniforme des critères juridiques.
Pour conclure, je remercie le comité de son invitation à participer à la séance d’aujourd’hui. C’est un privilège pour moi de vous faire part de la perspective des médecins du Canada. La quête collective d’une mort paisible et dans la dignité est un but noble, et il est primordial, d’un point de vue éthique, de s’assurer que les prestataires sont soutenus.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup, docteur Buchman.
Dre Stefanie Green, présidente, Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM : Je vous remercie de l’occasion de témoigner aujourd’hui. En tant que médecin, j’ai 25 ans d’expérience clinique, et depuis juin 2016, mon travail concerne presque exclusivement l’aide médicale à mourir. Je suis ici aujourd’hui en ma qualité de présidente de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM.
Nous sommes une association médicale nationale qui représente et soutient toutes sortes de professionnels qui sont sans doute devenus les experts les plus éminents du pays en matière d’aide médicale à mourir. Je veux qu’il soit clair pour le comité que notre organisation ne fait pas la promotion de l’aide médicale à mourir. En vérité, nous sommes une communauté de professionnels qui font le travail lié à l’aide médicale à mourir en respectant les normes médicales les plus élevées et les lois du Canada, quelles qu’elles soient. Collectivement, nous avons vécu l’évolution de la pratique relative à l’AMM dans tout le Canada, et nous sommes donc bien placés pour formuler des commentaires sur des façons d’améliorer le système, pour le bien de toutes les personnes concernées. C’est dans ce contexte que je m’adresse à vous ici aujourd’hui et que j’espère pouvoir répondre à vos questions.
Dans le peu de temps que j’ai, je veux souligner les bons points du projet de loi C-7, mettre en relief certains points qui devraient être éclaircis et proposer des modifications importantes. Premièrement, je veux dire que nous soutenons l’abrogation de la période de 10 jours de réflexion pour ceux dont la mort est raisonnablement prévisible. En quatre ans et demi, rien ne montre que cette période de 10 jours de réflexion a protégé qui que ce soit, mais il y a des preuves objectives et subjectives selon lesquelles cette période obligatoire a causé énormément de souffrances. Je présente d’ailleurs des données très convaincantes dans mon mémoire. C’est pour cela que je propose d’éliminer ce qui s’est révélé être une fausse mesure de sauvegarde.
Deuxièmement, j’appuie fermement la modification proposée permettant à une personne de renoncer au consentement final dans les circonstances décrites précisément dans le projet de loi C-7. En 2019, une enquête auprès des prestataires de l’AMM a montré que 85 % des prestataires ont vécu personnellement une situation où, au moment de donner l’aide médicale à mourir, le patient ne pouvait plus donner son consentement final, en raison d’une détérioration subite de ses facultés. Je peux vous dire, d’expérience, à quel point cela est horrible. Les proches du patient vont supplier le médecin de procéder. C’est très douloureux pour tout le monde et je ne vois pas vraiment qui nous protégeons si nous ne pouvons pas donner l’AMM comme prévu dans ces circonstances. Cependant, je peux voir très clairement qui nous faisons souffrir.
L’amendement proposé est essentiel, il est attendu depuis longtemps, et il sera bien accueilli par les patients, leur famille et les professionnels du domaine. Toutefois, l’exigence proposée de fixer une date précise est problématique, d’un point de vue pratique. Dans mon mémoire, je propose plutôt de fixer un délai raisonnable.
Je veux ensuite féliciter le gouvernement d’avoir utilisé précisément le terme « expertise », relativement à l’avis d’un médecin ou infirmier praticien dans les cas de patients dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Cela souligne qu’un médecin ou infirmier praticien n’a pas à être un sous-spécialiste pour posséder une expertise en ce qui concerne une maladie donnée. Les médecins de famille et les infirmiers praticiens sont, en raison de la nature de leur pratique, des experts en ce qui concerne un vaste éventail de maladies, et cela est particulièrement vrai pour les médecins et les infirmiers praticiens dans les collectivités rurales. De nombreux types de professionnels de la santé peuvent acquérir et acquièrent effectivement cette expertise. Il est donc judicieux de reconnaître qu’on peut faire appel à tous ces divers experts.
Malheureusement, il y a dans le projet de loi C-7 une erreur petite mais importante qui semble découler d’une mauvaise compréhension de la réalité des soins de santé, et cette erreur peut avoir de graves conséquences. Je crois toutefois qu’il serait possible d’atteindre un consensus et de corriger facilement cette erreur. Actuellement, le libellé du paragraphe 3.1 semble indiquer que le médecin possédant l’expertise en ce qui concerne la maladie doit aussi être l’un des évaluateurs de l’admissibilité à l’AMM pour les patients dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Il n’est pas déraisonnable de demander l’avis d’un expert dans ces situations, mais il est tout à fait déraisonnable d’exiger aussi que les experts remplissent l’évaluation de l’admissibilité à l’AMM. Les consultants qui m’envoient leur rapport s’en tiennent toujours à leur domaine d’expertise dans leurs commentaires et refusent respectueusement de donner leur avis quant à l’admissibilité globale d’un patient à l’AMM, puisque cela ne relève pas de leur domaine d’expertise ni d’intérêt.
J’ai proposé une formulation simple qui conserve l’exigence relative à l’expertise, mais qui permet... ou plutôt qui exige que deux évaluateurs d’expérience de l’AMM se chargent d’évaluer l’admissibilité du patient à l’AMM. Si le libellé n’est pas modifié, cela aura pour effet, essentiellement, de bloquer l’accès à l’AMM pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.
Enfin, l’expression « raisonnablement prévisible » a créé de la confusion. À présent que nous en sommes arrivés à un large consensus clinique, et que nous avons une interprétation juridique pratique, le gouvernement devrait insister sur cette conclusion selon laquelle une mort raisonnablement prévisible est bel et bien une décision médicale, et que la définition ne changera pas avec la mise en œuvre du projet de loi C-7. Toute tentative de modifier cette définition ou d’imposer un délai arbitraire aurait des conséquences pour les patients qui sont présentement admissibles à l’AMM; cela restreindrait leur accès et les empêcherait de renoncer au consentement final.
Pour conclure, je tiens à rappeler respectueusement au comité la responsabilité qu’assument les médecins qui fournissent ces soins avec sérieux et compassion. Je peux vous assurer que nous faisons preuve de prudence et que nous évaluons toujours la contrainte et la vulnérabilité dans chaque cas. Au cours des quatre dernières années et demie, durant lesquelles 14 000 personnes ont reçu l’aide médicale à mourir, aucun médecin n’a été poursuivi en justice pour conduite répréhensible. Soyez convaincu que nous continuerons d’être rigoureux et attentifs dans notre travail. Je serai maintenant heureuse de répondre à toutes vos questions sur ce sujet ou sur un autre.
Dre Leonie Herx, consultante en médecine palliative, présidente sortante et membre du conseil d’administration, Société canadienne des médecins de soins palliatifs : Bon après-midi. Je suis la Dre Leonie Herx, présidente sortante de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, professeure agrégée et titulaire d’une chaire de médecine palliative à l’Université Queen’s. Je suis aussi conseillère pour la Norme sur la protection des personnes vulnérables. Je m’adresse à vous aujourd’hui au nom de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs.
Le but des soins palliatifs est l’amélioration de la qualité de vie et la gestion des symptômes, autant pour les patients atteints de maladie mortelle que leur famille. Les soins palliatifs ne comprennent pas de mettre volontairement fin à la vie, et cette pratique est reconnue dans le monde entier comme étant distincte de l’AMM.
Nous sommes très préoccupés par les modifications proposées dans le projet de loi C-7, car nous croyons qu’elles auront des conséquences négatives sur les soins donnés aux patients. Le projet de loi C-7 va abroger les mesures de sauvegarde de l’AMM qui existent actuellement, alors que le Canada n’a même pas pu réaliser un examen rigoureux du système en vigueur. Selon un nouveau rapport publié ce mois-ci dans la Revue canadienne de bioéthique, il n’y a pas de données probantes provenant du programme canadien d’AMM qui montrent aux Canadiens que le programme est exécuté conformément aux paramètres législatifs et réglementaires et aux attentes de tous les intervenants. Les lacunes du système de surveillance canadien ont été mises en évidence dans le numéro d’avril 2020 du World Medical Journal et dans le rapport de la Norme sur la protection des personnes vulnérables, qui a été déposé au comité de la justice de la Chambre des communes. Nous nous opposons à l’abrogation de la période de réflexion de 10 jours. Certains affirment que les patients ne demandent l’AMM qu’après avoir réfléchi longtemps à la question, mais ce n’est pas ce que nous avons observé dans notre expérience clinique.
Le désir de mourir et les demandes d’AMM sont souvent des manifestations de la douleur, de la colère, de la perte et du désespoir que ressentent les patients qui reçoivent un diagnostic dévastateur ou dont l’état se détériore. Ce cri du cœur, cet appel à l’aide, mène souvent à une consultation sur l’AMM de nos jours, avant même qu’il soit question de soins palliatifs. Le Dr Harvey Chochinov a publié des articles dans le domaine de la psychiatrie et des soins palliatifs selon lesquels le désir de mourir chez les patients en phase terminale fluctue et disparaît souvent en moins de deux semaines. La période de réflexion de 10 jours assure donc un équilibre important, puisqu’elle permet aux gens de demander l’AMM tout en protégeant ceux qui changeront peut-être d’avis et décideront de vivre pendant encore des semaines, des mois ou peut-être même des années.
Le projet de loi C-7 propose un deuxième volet concernant l’accès à l’AMM, assorti d’une période d’évaluation de 90 jours avant la prestation, pour les personnes handicapées ou souffrant de maladie chronique. Cela n’est pas suffisant pour procéder à une évaluation minutieuse, pour consulter les experts et pour évaluer l’efficacité des traitements. Il faut plus de 90 jours pour accéder aux soins spécialisés comme les traitements psychiatriques, les traitements pour la douleur chronique et la médecine de réadaptation ainsi que pour constater des améliorations. Dans la plupart des cas de maladie chronique avec tendance suicidaire, le désir de mourir disparaît après une période de 3 à 24 mois. Dans les autres pays où l’AMM est accessible aux personnes qui ne sont pas nécessairement en fin de vie, les lois indiquent explicitement que l’AMM doit être donnée en dernier ressort, et que les fournisseurs de soins de santé doivent être d’accord pour dire qu’il n’existe aucune autre option de traitement raisonnable.
L’AMM ne doit pas représenter une solution au manque d’accès aux soins. Selon des rapports médiatiques récents, les Canadiens ont demandé l’AMM parce qu’ils se sentaient seuls, parce qu’ils souffraient de dépression, parce qu’ils vivaient de la privation sociale et parce qu’ils n’avaient pas accès à l’aide dont ils avaient besoin pour continuer à vivre, et la pandémie de COVID-19 n’a fait qu’exacerber ces problèmes.
Le projet de loi C-7 inscrit l’AMM dans la prestation de bons soins médicaux. Selon certains, cela laisse entendre qu’il faut parler aux patients de l’AMM en même temps qu’on leur mentionne toutes les autres options de traitement. Mais l’AMM n’est pas simplement une option parmi d’autres. C’est irréversible, et cela soulève d’importantes questions éthiques et professionnelles. Un médecin qui parle à un patient de l’AMM est peut-être tout ce qu’il faut pour inciter cette personne à la demander.
Dans les autres pays où l’AMM est légale, les lois tiennent compte directement du risque que pose ce genre d’influence. Par exemple, à Victoria, en Australie, la loi établit explicitement que ce sont les patients qui doivent parler en premier de l’AMM; les médecins et les infirmiers praticiens n’ont pas le droit de la proposer en premier.
Le comité de la justice a entendu de nombreux exemples de Canadiens qui se sont sentis contraints de demander l’AMM, y compris le témoignage de première main de M. Roger Foley.
La participation attendue des médecins à l’AMM au Canada dépasse largement celle de tout autre pays au monde qui offre cela. Il faudrait protéger la liberté de conscience des médecins qui ne veulent pas participer, directement ou indirectement, au processus d’AMM. D’ailleurs, l’Association médicale mondiale, l’Association médicale canadienne et l’Ontario Medical Association défendent toutes le droit à la liberté de conscience. Il est donc extrêmement important de modifier le projet de loi C-7 afin de clarifier et de renforcer les dispositions sur la liberté de conscience dans le projet de loi C-14.
Pour terminer, nous sommes convaincus que le manque d’accès aux soins palliatifs au Canada est une tragédie nationale. Dans une étude de Munro et coll., publiée en novembre 2020, il a été conclu que la participation des soins palliatifs auprès des patients qui demandent l’AMM était totalement inadéquate.
Dans cette étude, les deux tiers des patients n’avaient pas accès à un médecin en soins palliatifs dans la collectivité, et 40 % n’avaient reçu aucun soin palliatif avant de demander l’AMM. S’ils n’ont pas accès rapidement à des soins palliatifs de haute qualité, les patients qui souffrent sont peut-être portés à croire que l’AMM est leur seule solution. Sous le régime de la Loi canadienne sur la santé, il faut que la priorité soit accordée aux soins palliatifs, en tant que service essentiel, et que ces soins soient financés adéquatement à l’échelle du Canada afin que tous les Canadiens et Canadiennes puissent recevoir des soins impeccables et avoir une qualité de vie jusqu’à leur mort. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, docteure. Nous allons maintenant passer aux questions. Je tiens à rappeler aux sénateurs et aux sénatrices que vous ne disposerez que de quatre minutes, et je demanderai aux témoins de répondre de façon aussi précise que vous le pouvez. Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins d’être là aujourd’hui.
[Traduction]
J’ai une question pour vous, docteure Green, à propos de la disposition proposée sur la renonciation au consentement final, que vous avez mentionnée. Un son de cloche que j’ai entendu de bon nombre de collègues, c’est qu’il faut s’assurer que les médecins et les infirmiers praticiens soient en mesure de correctement établir si un refus — qu’il s’agisse d’une parole, d’un son ou d’un geste — est volontaire ou involontaire. C’est quelque chose d’extrêmement crucial, bien sûr. Je voulais connaître votre avis sur le sujet.
Dre Green : Bien sûr. Le consentement et la capacité de consentir sont au cœur de tout ce que nous faisons. C’est aussi pourquoi il faut tellement de temps pour évaluer le soutien des patients, mais avant que la décision d’avoir recours à l’AMM soit prise. Je crois que votre question touche surtout au moment où l’AMM est donnée. Dans ce contexte, actuellement, nous devons bien sûr obtenir le consentement final immédiatement à ce moment-là. Cet amendement nous habiliterait à aller de l’avant dans le cas d’un patient qui aurait perdu la faculté de prendre cette décision, mais qui avait fait une demande anticipée. Évidemment, nous savons tous faire la différence entre un mouvement du bras au moment de procéder à une perfusion intraveineuse et un patient qui vous regarde et qui dit « Qui êtes-vous? », « Que faites-vous ici? » ou « Arrêtez, s’il vous plaît ».
Il y a une façon très claire de faire ce genre de distinctions, et je crois que nos médecins cliniciens ont montré, au cours des quatre dernières années et demie, qu’ils font preuve d’une très, très grande prudence et qu’ils seront encore plus prudents dans les circonstances.
La sénatrice Petitclerc : Merci. J’ai maintenant une question pour le Dr Buchman, ainsi que pour les autres, si vous croyez pouvoir répondre.
Docteur Buchman, l’une des préoccupations qui reviennent souvent a trait à l’accès à l’aide médicale à mourir dans les régions rurales. Dans cette période de pandémie, nous entendons que de plus en plus d’efforts sont déployés afin que les consultations soient faites par vidéoconférence ou virtuellement. Votre organisation a-t-elle réfléchi à cette possibilité dans le contexte du projet de loi et des difficultés dans les régions rurales? Croyez-vous que les choses vont devenir un peu plus faciles que dans le passé, compte tenu, j’imagine, du virage virtuel de notre société?
Dr Buchman : Merci beaucoup de votre question. La pandémie a mis en lumière beaucoup de choses. L’AMC a déployé des efforts pendant plusieurs années pour offrir des soins virtuels, et nous avons fini par mettre sur pied un groupe de travail en février, juste avant que la pandémie ne frappe le Canada. En moins de deux semaines, nous sommes passés à 80 % de soins virtuels.
Les soins virtuels ont de toute évidence facilité l’accès aux soins de santé, et l’AMC soutient vivement l’accès à tous les services juridiques et médicaux existants qui sont offerts au Canada.
Il serait donc tout à fait possible de réaliser virtuellement les évaluations relatives à l’AMM. Bien évidemment, la prestation ne pourra se faire virtuellement. Il est important de veiller à ce que les Canadiens et les Canadiennes aient accès à ce service, comme à tous les autres. Nous soutenons fortement l’accès aux soins palliatifs, aux soins de santé mentale et aux traitements de la toxicomanie dans les régions rurales et éloignées. Nous soutenons aussi la mise en place d’une infrastructure qui donne un accès équitable pour tous aux soins de santé.
Donc, oui, je crois que les soins virtuels nous permettent de réaliser davantage d’évaluations, mais il demeure difficile de fournir tous les services aux gens en temps réel et en personne.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux trois témoins et porte sur les soins palliatifs. Je suis impliqué, dans ma région, dans une maison de soins palliatifs. Nous devons faire une collecte de fonds chaque année et recueillir environ un million de dollars. Les besoins sont criants et il y a un sous-financement de la part de l’État dans les soins palliatifs. Nous sommes dans une région située dans la Couronne Nord de Montréal, donc une région fortement peuplée. J’ai des amis qui n’ont pas eu le temps de se rendre à la maison de soins palliatifs, car ils sont décédés avant. On vit pourtant en milieu urbain, au nord de la ville de Montréal.
Ma question est la suivante : l’obligation de donner des informations sur les soins palliatifs n’est-elle pas une fausse sécurité ou une fausse mesure de sauvegarde, dans le sens où l’on dit que oui, des soins palliatifs sont disponibles, mais que la personne a le temps de décéder avant de se rendre à la maison de soins palliatifs? Sinon, si on dit qu’il n’y a pas de soins palliatifs, cela veut-il dire qu’on dirige la personne vers l’aide médicale à mourir? Donc, le fait de dire que les soins existent de manière théorique, mais qu’ils sont fournis de façon pratique dans le milieu a quand même un impact sur la décision de la personne. La personne se trouve dans ce processus.
Dire que les soins palliatifs existent, c’est une chose; dire qu’ils sont accessibles dans ma région, et que, quand j’en aurai besoin, ils seront disponibles, c’en est une autre.
J’aimerais vous entendre sur la disponibilité des soins palliatifs. Cette mesure de sauvegarde n’est-elle pas une fausse mesure de sauvegarde, c’est-à-dire qu’elle donne l’impression qu’il y a autre chose, mais au fond, à cause de la répartition et de l’offre de service différente d’un endroit à l’autre, la mesure est plus théorique que pratique?
[Traduction]
Dre Green : Merci de la question. Je crois que tout le monde serait d’accord pour dire que les soins palliatifs sont sous-financés au Canada, que les patients n’y ont pas suffisamment accès et que nous devons déployer plus d’efforts à cette fin. Notre organisation croit évidemment que les Canadiens méritent des soins palliatifs de qualité, et que ces soins devraient être plus accessibles et mieux financés.
C’est intéressant, malgré tout, de voir que les discussions sur l’AMM et l’accessibilité à l’AMM ont ramené les discussions sur les soins en fin de vie à l’avant-plan, dans l’actualité nationale et dans les conversations entre famille et amis. Incidemment — ou devrais-je dire ironiquement —, l’AMM a peut-être projeté la question des soins palliatifs et de l’accès aux soins palliatifs à l’avant-plan.
Des études récentes ont montré que nous agissons un peu comme les gardiens de nombreuses ressources, dont les soins palliatifs, pour les médecins cliniciens dans le domaine de l’AMM, qui font leurs propres évaluations et qui s’assurent rigoureusement de respecter toutes les mesures de sauvegarde et les procédures détaillées.
Un collègue m’a dit que bon nombre de patients n’avaient pas eu accès aux soins palliatifs ni en avaient été informés avant de demander l’AMM. Ce que mes collègues et moi-même faisons, alors, c’est informer les patients des services qui leur sont offerts et, le plus rapidement possible, leur donnons accès aux ressources. Bien sûr, ce n’est pas parfait, comme vous l’avez mentionné. Malgré tout, une étude récente a montré que, parmi toutes les personnes qui auraient reçu l’AMM en Ontario, 82 % avaient reçu des soins palliatifs. Cela représente une proportion énorme et surprenante, en comparaison de l’accès dans la population générale. Cela reflète à quel point nos médecins cliniciens et ceux qui font les évaluations respectent sérieusement cette exigence et veillent à ce que ces ressources soient offertes aussi rapidement que possible et autant que possible.
Dre Herx : C’est une discussion très importante, et je vous remercie de me permettre d’y prendre part.
Je connais bien l’étude dont a parlé la Dre Green, et je dois dire qu’elle a été fortement contestée dans les publications médicales, parce que la méthodologie était déficiente. L’étude ne comprenait ni les contrôles ni les questions permettant de recueillir les données et l’information nécessaires pour appuyer ces conclusions. Donc, nous n’avons pas de données probantes convaincantes dans la littérature médicale.
Un autre problème tient au fait que la plupart des médecins au Canada ne comprennent pas bien en quoi consistent les soins palliatifs ni ce qui est offert. Si on exige seulement que de l’information soit donnée aux patients dans le cadre du processus de consentement éclairé à l’AMM, cela peut vouloir dire que les patients qui ne savent rien à propos des soins palliatifs recevront de l’information d’une personne qui ne comprend pas nécessairement tous les détails des soins que nous pouvons offrir. C’est un problème grave : l’information fournie dépend de la compréhension de la personne qui la donne.
Beaucoup d’entre nous ont été directement témoins de cas où l’information sur les soins palliatifs fournie aux patients qui demandaient l’AMM n’était pas adéquate. Ils ne comprenaient pas comment leurs souffrances pouvaient être atténuées, ni sous quelle forme les soins seraient administrés. En outre, on ne peut pas comparer le fait de recevoir de l’information à une expérience personnelle, où on prend le temps de préparer les interventions pour soulager les souffrances. Nous pouvons toujours donner des exemples de patients qui ont demandé l’AMM, dont la demande a été approuvée, et qui, ayant ensuite reçu des soins palliatifs de base, ont alors changé d’idée.
Si vous abrogez la période d’attente de 10 jours, cela voudra dire que, au Canada, les gens pourront demander l’AMM et la recevoir le même jour, alors que, comme nous venons de l’entendre, jusqu’à 40 % des gens n’avaient eu aucun contact avec les soins palliatifs avant de demander l’AMM. Et maintenant, avec ce projet de loi, peut-être qu’on va mettre fin à la vie d’une personne le jour même, alors qu’elle ne dispose pas de toute l’information ou de toute l’expérience nécessaires sur la façon dont ses souffrances peuvent être traitées autrement.
La sénatrice Batters : Ma première question s’adresse à l’Association médicale canadienne. Dans votre politique à propos de l’aide médicale à mourir, l’une de vos considérations fondamentales est la protection des personnes vulnérables. Je vais lire ce que dit votre organisation dans cette partie :
Les lois et les règlements, par l’intermédiaire d’un système de mesures de sauvegarde minutieusement élaboré et surveillé, devraient viser à réduire au minimum les préjudices auxquels s’exposent tous les patients et devraient aussi atténuer les problèmes liés à la vulnérabilité et aux contraintes potentielles.
Dans ce contexte, avez-vous des préoccupations quant à l’abrogation prévue dans le projet de loi C-7 de la période d’attente déjà très courte de 10 jours pour le suicide assisté?
Dr Buchman : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice. Je crois, comme cela a été dit plus tôt, que nous appuyons les discussions qui se poursuivent sur les mesures de sauvegarde. Dans les enquêtes que nous avons menées, nos membres n’ont pas exprimé de préoccupations qui porteraient à croire que cette période d’attente de 10 jours était une mesure de sauvegarde absolument nécessaire. Nous croyons effectivement que c’est important qu’il y ait une période durant laquelle une personne peut réfléchir à sa décision. Encore une fois, incidemment et en tant que prestataire de l’AMM, je n’ai jamais été témoin d’un cas où un patient qui avait très clairement décidé d’avoir recours à l’AMM avait changé d’idée après 10 jours.
Nous soutenons donc la disposition législative proposée qui tient compte du cas Audrey Parker, c’est-à-dire une situation où une personne qui demande l’AMM, qui donne son consentement et qui a clairement la capacité de le faire à ce moment-là, perd cette faculté avant de recevoir l’AMM. Nous soutenons cet amendement. Nous estimons que nous protégeons toujours les personnes vulnérables et que nous devrions procéder quand une personne a clairement indiqué son intention lorsqu’elle a donné son consentement, pendant qu’elle en avait la capacité.
La sénatrice Batters : Merci.
Docteure Herx, d’après votre grande expérience en tant que clinicienne de première ligne en soins palliatifs et en tant que conseillère pour la Norme sur la protection des personnes vulnérables, quelles mesures de sauvegarde devraient être mises en place pour que l’on puisse s’assurer que ce projet de loi protège adéquatement les Canadiens et Canadiennes vulnérables?
Dre Herx : Merci beaucoup de la question. C’est quelque chose de très important. J’ai eu le privilège de travailler et d’apprendre auprès de nombreuses personnes vivant avec divers handicaps, ainsi qu’avec des personnes marginalisées. L’un des principaux points que j’ai constatés — et c’est aussi quelque chose qui a été dit haut et fort devant le comité de la justice —, c’est que ces personnes ne veulent pas que leurs médecins leur disent qu’elles seraient mieux mortes. Imaginez une personne dans une situation vulnérable, qui est démoralisée, qui n’a pas accès à des soins ou qui traverse simplement une mauvaise passe, et son médecin lui dit qu’elle devrait envisager l’AMM.
Malheureusement, comme nous l’avons entendu plus d’une fois lors des audiences du comité de la Chambre, cela arrive. Ces gens-là sont terrifiés. Ils ont déjà l’impression d’être victimes de discrimination dans le système de santé, et ils sont forcés de vivre une vie démoralisante, à cause de la discrimination fondée sur la capacité physique. Donc, il est très important que nous protégions ces personnes de la contrainte, et que les discussions et les demandes relatives à l’AMM soient initiées uniquement par le patient. Un médecin ne devrait pas recommander à ses patients de demander l’AMM, comme s’il s’agissait de n’importe quel autre traitement médical. Le risque de coercition est réellement important.
Nous recommanderions aussi que les mesures de sauvegarde existantes qui ont été soigneusement élaborées dans le projet de loi C-14 soient maintenues pour l’instant, jusqu’à ce qu’un examen rigoureux et approfondi de la situation au Canada soit effectué. Même si nous avons entendu plus tôt qu’aucune poursuite n’avait été intentée contre un médecin relativement à la conformité, de nombreuses préoccupations ont été rapportées, par la Commission sur les soins de fin de vie au Québec, par le Bureau du coroner en chef de l’Ontario et, plus récemment, le Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada. Cependant, il y a un écart entre la surveillance à l’échelon provincial et ce qui se passe à l’échelon fédéral, où les préoccupations ne sont ni rapportées ni examinées adéquatement.
Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, il y a un nouvel article, publié par le Dr Kotalik de Thunder Bay, un bioéthicien qui a étudié les lois sur les soins de fin de vie et qui a soigneusement et rigoureusement décrit les problèmes et la lacune dans le système actuel. Même s’il n’y a pas eu de poursuites, le système de surveillance est défaillant. Dans les faits, nous avons besoin d’un système de supervision distinct de ce qui est fait présentement par Santé Canada, dans lequel les cas individuels sont examinés à l’échelon provincial et où chaque province doit rendre des comptes de façon exhaustive et uniforme. C’est une excellente chose que l’Ontario et le Québec aient commencé à faire cela, mais ce sont les deux seules provinces qui fournissent plus d’information. Nous avons besoin d’un système exhaustif de supervision.
Le sénateur Campbell : Bienvenue aux témoins. J’ai deux ou trois questions.
Un des problèmes, c’est que vous dites que les médecins offriraient aux patients l’aide médicale à mourir. Nous avons ensuite entendu dire que les médecins fournissent également des soins palliatifs. Est-ce l’un ou l’autre? Il me semble que nous butons sur cette question. Est-ce qu’il s’agit de l’un ou de l’autre? Docteure Green, quelle est votre réponse à cette question?
Dre Green : Certainement. Merci de poser la question. L’aperçu de la mesure législative indique assez clairement qu’il incombe aux cliniciens de l’AMM de s’assurer que les patients ont connaissance de toutes les options de traitement, des avantages et des inconvénients de chaque option, et de s’assurer que les patients ont bien compris ce qui leur est accessible et comment y avoir accès.
Les soins palliatifs sont précisément énoncés dans la disposition législative. Il est important de reconnaître que nous faisons cela avec tous les patients. Nous le faisons de manière explicite et nous le documentons en tant que tel, car nous sommes très conscients des conséquences du non-respect des règles. Aucun de nous ne cherche à agir de façon irréfléchie.
Le fait de mentionner aux patients l’AMM est une question distincte. Dans certaines circonstances — pas toutes, mais il y en a certaines —, quand un médecin est appelé à expliquer les options dont dispose un patient dans certaines situations — si le patient est en fin de vie et qu’il envisage des soins palliatifs, par exemple —, il pourrait être admissible à l’AMM, mais sans le savoir. On pourrait dire qu’il n’est peut-être pas professionnel de ne pas présenter toutes les options dans une telle situation. C’est la même chose quand vous présentez les options de chimiothérapie; vous devez présenter les trois options, si elles sont disponibles, et pas seulement une.
Dre Herx : Il est très important que nous disions que les soins palliatifs et l’AMM ne s’excluent pas mutuellement, et les gens devraient avoir accès aux deux. Je pense que tout le groupe de témoins d’aujourd’hui serait d’accord avec cela.
La difficulté, c’est que les soins palliatifs sont offerts trop tard aux personnes qui souffrent de maladies graves. C’est attribuable à un manque de ressources et d’éducation adéquates des médecins; un grand nombre de personnes ne comprennent pas les avantages immédiats des soins palliatifs lorsqu’il s’agit d’améliorer la qualité de vie et d’aider à prolonger la vie des gens. Les soins palliatifs doivent être enseignés dans toutes les facultés de médecine et dans tous les programmes de résidence, à savoir que les soins palliatifs devraient être fournis à tout le monde, indépendamment de ce que les personnes choisissent pour la fin de leur vie.
Le problème, c’est que, si vous supprimez la période de 10 jours d’attente, et que la personne n’a pas reçu de soins palliatifs, elle pourrait choisir l’AMM sans savoir ce que les soins palliatifs ont à offrir et sans en faire l’expérience. Nous avons vu des exemples dans ma propre pratique de soins palliatifs.
Le sénateur Campbell : Nous devrons peut-être tenir compte des soins palliatifs lorsque la maladie — j’ai survécu à un cancer, je comprends donc un peu la question —, il faudrait peut-être en parler à ce moment-là, avant d’aller de l’avant. Il y a des situations où le médecin sait que les chances sont mauvaises. C’est peut-être à ce moment-là que nous devrions parler des soins palliatifs, et non pas lorsqu’une personne est sur le point d’envisager l’AMM.
Dre Herx : Exactement. Je vous remercie d’avoir dit cela. C’est exactement ce que notre organisme national spécialisé est en train d’essayer de faire au Canada. Grâce au cadre sur les soins palliatifs au Canada, nous essayons de nous assurer que les soins palliatifs sont mentionnés au moment du diagnostic de toutes les maladies graves et sont offerts en tant qu’approche primaire par tous les cliniciens du Canada.
Le sénateur Campbell : C’est utile.
Le sénateur Dalphond : Docteure Green, si je comprends bien, votre organisme soutient l’accès à l’AMM, selon la seconde stratégie proposée par le gouvernement, soit dans les cas où la mort n’est pas raisonnablement prévisible? Et en ce qui concerne cette question, quel est l’avis de votre organisme sur l’exclusion des maladies mentales, compte tenu de ce que vous auriez dit en commentant un cas en Colombie-Britannique :
Selon moi, la majorité des fournisseurs du pays sont arrivés à la conclusion qu’on peut évaluer les patients atteints de démence pour leur donner accès à l’AMM, que certains d’entre eux peuvent être admissibles dans certaines circonstances, et si c’est le cas, les fournisseurs seraient prêts à les aider.
Dre Green : Je vous remercie de poser la question. Concernant la question de savoir si nous soutenons un second volet pour les patients dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, j’aimerais rappeler d’emblée, à titre de mise en garde, que notre organisme ne fait la promotion de l’AMM auprès de personne, dans aucune circonstance particulière. Nous préconisons une bonne structure, un bon système et une bonne formation pour nos cliniciens afin de leur permettre de faire leur travail en vertu des lois en vigueur au Canada.
La proposition faite dans le cadre du projet de loi C-7 visant à mettre en place un système à deux volets n’est peut-être pas le système idéal, à notre avis, mais c’est un système raisonnable. L’idée d’avoir des mesures de sauvegarde pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible n’est pas une idée déraisonnable. Nous pensons que le projet de loi proposé prévoit suffisamment de mesures de sauvegarde, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de modifier quoi que ce soit qui a été proposé de cette manière.
Cela étant dit, vous avez donné l’exemple du cas d’un patient ayant accès à l’AMM et atteint de démence, et la question de la santé mentale. Je pense que la question de la santé mentale, comme seule condition invoquée pour avoir accès à une AMM, est une question très, très complexe, et nos membres sont quelque peu partagés concernant les mesures de sauvegarde appropriées qui devraient être mises en place pour servir cette population. Nous sommes en faveur d’une discussion sérieuse, qui devrait avoir lieu très prochainement, dans le cadre de l’examen législatif du projet de loi C-14. J’espère que nous ferons partie de cette discussion.
Je pense qu’il est préférable que je m’en tienne à cela, sauf pour dire que la loi actuelle n’exclut pas réellement les personnes dont la seule affection invoquée pour avoir accès à l’AMM est la maladie mentale. Il y a quelques exemples de patients qui ont déjà satisfait à tous les critères du projet de loi C-14, et qui ont reçu l’AMM, et ils l’ont fait conformément à la loi, sous une surveillance rigoureuse. En ce qui concerne l’idée selon laquelle certains patients atteints de démence pourraient également répondre aux critères, je suis, en tant qu’évaluatrice et prestataire de l’AMM, en accord avec le fait que c’est peut-être vrai. Je l’ai personnellement vu et j’ai personnellement aidé des personnes qui étaient dans cette situation.
Ce n’est certainement pas courant. C’est très complexe. Notre association a tenté de fournir des conseils sur la façon de gérer ces situations, et nous continuons d’établir les normes médicales les plus élevées pour faire face à ces cas complexes, et nous continuerons à le faire, à l’avenir.
Le sénateur Dalphond : Pour ce qui est des maladies mentales, je crois comprendre que ce qui est proposé est plus restrictif que ce qui existe actuellement.
Dre Green : En ce qui concerne les maladies mentales, nous estimons que ce qui est proposé exclut les personnes dont la santé mentale est la seule affection invoquée, et c’est encore plus contraignant que ce qui existe actuellement. Je ne suis pas avocate, mais j’imagine que quelqu’un portera plainte pour discrimination et contestera cette disposition devant les tribunaux, tout comme l’expression « raisonnablement prévisible » a été contestée. Je ne peux pas en parler, car je ne suis pas avocate.
Je suppose que cela nous permettra, de manière plus rationnelle, de gagner plus de temps pour avoir la discussion que nous devons avoir au sujet de la santé mentale. Une manière de contourner cela dans le projet de loi C-7 — une chose que je pourrais vous proposer d’envisager sérieusement —, c’est d’inclure une disposition de réexamen concernant l’exclusion des patients ayant des troubles de santé mentale, de façon à mettre les responsables du gouvernement au pied du mur et à les obliger de tenir les discussions nécessaires pour traiter ces patients.
Le sénateur Plett : Mes questions s’adressent à la Dre Herx.
Docteure, ce projet de loi prévoit faire du suicide assisté une norme de soins pour les médecins comme vous pour vous permettre d’orienter les patients et de faire des recommandations. Au Comité de la justice de la Chambre des communes, la Dre Ramona Coelho a dit au comité que les médecins quittent la profession dans tout le Canada, parce que le suicide assisté leur est imposé dans leur pratique. Le gouvernement assure aux Canadiens que les droits à la liberté de conscience des médecins seront protégés dans ce projet de loi. En fait, le ministre Lametti m’a dit ce matin ainsi qu’aux membres de ce comité que le projet de loi C-14 protégeait déjà les droits à la liberté de conscience des médecins, et a tenté de laisser entendre que, étant donné que certains députés conservateurs avaient appuyé le libellé actuel du projet de loi, cela devrait me rassurer un peu.
Docteure, je préférerais obtenir mes informations de quelqu’un qui est en première ligne. À votre avis, les droits à la liberté de conscience des médecins sont-ils protégés de manière adéquate, et avez-vous des préoccupations concernant la protection des droits à la liberté de conscience prévue dans ce projet de loi, s’il est adopté sans modifications?
Dre Herx : Merci, sénateur Plett. C’est une question cruciale qui est très importante pour un grand nombre de médecins.
La réponse est « non ». Le libellé actuel de la disposition sur la protection des droits à la liberté de conscience prévue dans le projet de loi C-14 n’est pas assez clair ni exécutoire pour prévenir une participation forcée, de manière directe et indirecte, à l’AMM. Nous pouvons voir cela dans la vraie vie, dans la décision de la Cour supérieure de l’Ontario, selon laquelle les médecins devront fournir une recommandation effective pour l’AMM, qui exige que nous participions et que nous facilitions l’accès à l’AMM pour une personne, dans des cas où nous pensons peut-être que ce n’est pas indiqué d’un point de vue professionnel ou que cela est contraire à notre intégrité morale. Actuellement, il n’y a pas de protection adéquate dans cette disposition du projet de loi C-14.
Je peux vous donner de nombreux exemples de collègues qui ont pris leur retraite anticipée des soins palliatifs, parce qu’ils ne voulaient pas faciliter l’AMM et y participer. Je connais d’autres médecins qui ont quitté les soins palliatifs à cause de cela. Les soins palliatifs ont réellement fait office de canari dans la mine de charbon. Ils sont en première ligne, car, tous les jours, nous traitons des gens qui sont face à la possibilité de mourir. Ces expressions de souffrance, comme je l’ai mentionné, sont considérées comme un désir de mourir, et nous sommes souvent forcés d’avoir des discussions sur l’AMM. Si un patient en fait la demande, nous fournirons certainement les informations et nous nous assurerons que les patients sont au courant. Le fait d’informer un patient concernant les options qui s’offrent à lui, à la suite d’une demande, est très différent du fait de dire que cela équivaut à la norme en matière de soins médicaux, ce que le projet de loi C-7 propose.
En ce qui concerne ce projet de loi, son libellé actuel sans modifications prévoit que les médecins seront probablement tenus de faciliter le décès d’un patient au moyen de l’AMM, même si ce dernier a une maladie traitable, une maladie pour laquelle les médecins disposent de bons soins médicaux fondés sur des données probantes qu’un patient choisira de ne pas recevoir, car il demandera plutôt à recevoir l’AMM . Les médecins de toutes les spécialités de médecine, pas seulement ceux qui travaillent dans les soins palliatifs, seront touchés par cela. Nous devons réellement faire les choses correctement, si nous comptons élargir l’accès à l’AMM, au titre du projet de loi C-7, les médecins ne devront pas être forcés de participer directement ou indirectement à une AMM. Nous devons exercer notre profession selon notre intégrité professionnelle et notre sens moral, et nous ne devons pas être forcés à faciliter une chose qui n’est pas dans l’intérêt supérieur du patient.
Le libellé de ce projet de loi, qui prévoit de faire de l’AMM une norme de soins médicaux et un choix parmi d’autres options, poussera les médecins à devoir choisir entre quitter la médecine ou aider leurs patients atteints de maladies traitables à mourir. C’est un concept important que de nombreux médecins au Canada n’ont pas encore compris. S’il vous plaît, il est important de renforcer la disposition sur les droits à la liberté de conscience pour que nous n’ayons pas tous à arrêter de pratiquer la médecine.
Le sénateur Plett : Nous essaierons, docteure. Nous essaierons.
La sénatrice Boyer : Ma question s’adresse à la Dre Buchman. Plus tôt cette année, pendant nos consultations publiques et la table ronde avec les Autochtones, une des questions qui ont été soulevées, c’est que les Autochtones pourraient choisir l’AMM en raison du manque d’accès à des services de soins de santé adéquats, et nous avons tout à l’heure entendu parler des populations vulnérables en raison, par exemple, de l’absence de programmes de soins palliatifs conformes à la culture, de soulagement de la douleur, de soutien en santé, et cetera. Certains ont indiqué que la meilleure protection, ou mesures de sauvegarde serait d’améliorer l’accès à des services de santé et à d’autres soutiens sociaux respectueux des valeurs culturelles. Cela est étayé par les données d’un récent rapport de Statistique Canada, indiquant qu’une personne sur 10 parmi les Premières Nations vivant dans une réserve a déclaré ne pas avoir été satisfaite des services de soins de santé au cours des 12 derniers mois.
Selon vous, le manque d’accès à des services de soins de santé adéquats restreint-il l’accès des Autochtones à l’AMM?
Dr Buchman : Je vous remercie beaucoup d’avoir posé votre question, madame la sénatrice. Je pense que la situation est similaire dans tous les secteurs des soins de santé. Les ressources destinées aux Premières Nations et aux Autochtones laissent à désirer. Il n’y a pas d’accès adéquat aux services de soins de santé, et cela comprend, bien sûr, les soins palliatifs. Ils auraient également un accès limité à l’AMM. À l’Association médicale canadienne (AMC), nous défendons l’humilité culturelle nécessaire pour fournir des soins aux Premières Nations dans tout le pays. Il est absolument essentiel d’améliorer l’accès des Premières Nations à tous les services de santé, au Canada.
C’est entièrement cohérent avec la politique. Les Autochtones ont besoin d’avoir accès aux soins palliatifs, mais ils ont également besoin d’avoir accès à l’option de l’AMM. Nous travaillons en étroite collaboration avec des groupes dans tout le Canada qui se concentrent sur la fourniture de soins palliatifs tenant compte des différences culturelles à tous les peuples des Premières Nations également.
La sénatrice Boyer : Merci.
La sénatrice Keating : J’aimerais d’abord remercier la Dre Green de nous avoir rappelé de quoi il est question. Il s’agit de savoir comment appliquer au mieux les lois adoptées par le Canada. Il ne s’agit non pas de récrire les dispositions qui se trouvaient dans la loi originale, mais de tenter de répondre à une décision de la Cour supérieure du Québec. Pour cela, je vous remercie de vos propositions réfléchies concernant les modifications à apporter pour améliorer au mieux le système. Je vais céder le reste de mon temps de parole pour que le Dr Buchman puisse répondre ou réagir comme il veut à la question du sénateur Plett.
Dr Buchman : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je voulais simplement ajouter que l’Association médicale canadienne a interrogé nos membres dans tout le pays. Nous avons reçu plus de 6 000 réponses à nos sondages, plus que dans d’autres sondages précédents, et nous avons, plus tôt cette année, organisé plusieurs tables rondes dans tout le Canada. Nos sondages montraient clairement que les médecins n’allaient pas quitter la profession, la pratique des soins palliatifs ou la médecine, en raison de la présence de l’AMM ou des modifications proposées dans le projet de loi C-7. C’est réellement l’argument que j’ai fait valoir. Selon nos données, les médecins ne quitteront pas la pratique. Je suis certain qu’il existe des cas particuliers parmi les médecins. Nous soutenons les droits à la liberté de conscience des objecteurs de conscience et ceux des prestataires également. Nous soutenons l’autonomie des personnes dans leur propre prise de décisions, tout comme nous appuyons l’autonomie des patients au moment où ils prennent leurs propres décisions quant à savoir s’ils veulent avoir accès ou non à l’AMM.
La sénatrice Keating : Merci beaucoup de cet éclaircissement.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je remercie les témoins d’être parmi nous aujourd’hui. Ma première question s’adresse à nos trois témoins. Nous avons entendu beaucoup de choses sur la distinction entre les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir. Cependant, si nous nous concentrons sur le sujet qui nous préoccupe présentement, c’est-à-dire un projet de loi sur l’aide médicale à mourir, j’aimerais faire suite à l’affirmation du Dr Buchman, sur laquelle je suis d’accord, selon laquelle nous avons établi un système qui permet à des gens de demander l’aide médicale à mourir dans des circonstances très précises.
Un changement de paradigme très important est survenu en ce qui concerne la décision concernant la fin de la vie ou l’action de mettre un terme à la vie, puisque cette décision appartient désormais au patient. Êtes-vous d’accord pour respecter cette décision et tout ce qui concerne le reste, à savoir comment les soins, à différents stades d’une maladie, pourront être fournis au patient, puisqu’il s’agit là d’une question secondaire qui ne concerne pas directement le respect de l’autonomie de la personne, dans le contexte de la décision de demander l’aide médicale à mourir?
[Traduction]
Dr Buchman : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Si j’ai bien compris, je pense que la partie la plus importante, c’est que, lorsqu’une personne tombe malade ou contracte une maladie limitant la durée de vie, nous devons entendre et écouter sa souffrance. Ce qui est important pour tous les médecins, que ce soit des médecins de soins palliatifs ou autres, c’est d’entendre ce que le patient dit.
La littérature est claire concernant le désir de hâter la mort; il y a de nombreuses raisons en cause. Cela a déjà été noté. Je pense qu’il incombe au médecin d’aborder tous les aspects des souffrances du patient — pour réellement écouter ce patient —, et donc, quand le patient dit : « Docteur, je veux mourir », j’entends : « Docteur, ma vie est insupportable, aidez-moi à vivre. » Il incombe à tous les médecins de fournir tous les services et les ressources nécessaires pour soulager la souffrance de la personne. Ensuite, nous constatons souvent que le désir de hâter la mort disparaît. Cependant, même les meilleurs soins palliatifs ne permettent pas toujours de soulager la souffrance du patient. À ce stade, les patients doivent être informés que l’AMM est une option légale au Canada. Nous devons communiquer toutes les options potentielles au patient, mais nous devons d’abord faire tous les efforts nécessaires pour soulager sa souffrance, de toutes les façons possibles, car cela répond souvent à son besoin.
Dre Herx : Puis-je ajouter quelque chose à cela?
La présidente : S’il vous plaît, allez-y.
Dre Herx : Merci. Je suis tout à fait d’accord avec ce que dit le Dr Buchman. Dans certains cas, le désir de hâter la mort disparaît quand les bons soins sont prodigués. D’où notre préoccupation concernant la suppression des 10 jours d’attente et de réflexion. Sans cette période, les gens peuvent avoir ce désir de hâter la mort, sans avoir réellement une autre possibilité que l’on réponde à leurs besoins, et puis changer d’avis. C’est pour cette raison qu’il est si dangereux de supprimer la période de 10 jours. Merci.
Dre Green : Comme a si bien répondu le Dr Buchman, je crois qu’il y a un éventail de soins. Le titre général est « soins en fin de vie ». Notre organisme ne considère pas l’AMM et les soins palliatifs comme étant différents ou opposés. Ce sont tous des soins qui s’offrent au patient, en vertu de la loi concernant les soins de fin de vie. La réponse rapide à votre question, c’est que notre organisme respecte en tous points les résultats de ce processus, quels qu’ils soient. Nous ferons toujours cela. Je mentionnerai que la période de 10 jours de réflexion n’est rien d’autre qu’une goutte dans l’océan du temps que prennent les patients pour envisager cette grande et profonde décision, qu’ils ont souvent passé des semaines, des mois, voire des années à envisager. Les 10 jours de réflexion ne reflètent pas du tout le processus décisionnel.
La présidente : L’heure vient de s’écouler, et comme vous pouvez le voir, mes collègues ont encore beaucoup de questions à poser. Il y aura peut-être une autre occasion; je tiens donc à vous remercier tous les trois d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui.
Nous sommes maintenant prêts à accueillir notre deuxième groupe de témoins. Je vous remercie tous d’avoir pris le temps de venir au Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Comme vous le savez, nous sommes en train d’étudier l’aide médicale à mourir, et nous avons donc hâte d’entendre vos témoignages. Puisque notre temps est limité, j’aimerais vous demander, s’il vous plaît, d’éviter les longs préambules. Vous aurez cinq minutes pour présenter votre exposé, et nous passerons ensuite aux questions.
Nous avons trois témoins : Krista Carr, vice-présidente exécutive d’Inclusion Canada; nous accueillons aussi Amy Hasbrouck, directrice générale, Toujours Vivant-Not Dead Yet, un projet du Conseil des Canadiens avec Déficiences; et Bonnie Brayton, directrice nationale du Réseau d’action des femmes handicapées.
Merci d’être ici. Nous allons tout de suite commencer.
Krista Carr, vice-présidente exécutive, Inclusion Canada : Bonjour. Je suis Krista Carr, vice-présidente exécutive d’Inclusion Canada, anciennement l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, organisme canadien pour les personnes atteintes de déficience intellectuelle et leur famille. Inclusion Canada a défendu les mesures de sauvegarde au chapitre de l’AMM, depuis que nous sommes intervenus dans l’affaire Carter. Notre plus grande crainte a toujours été qu’un handicap devienne une raison valable pour un suicide assisté par l’État. Le projet de loi C-7 est notre pire cauchemar. Inclusion Canada est solidaire de toutes les organisations nationales de personnes handicapées et demande que le programme d’AMM se limite à la fin de vie.
L’ensemble des personnes handicapées sont consternées que le projet de loi C-7 permette aux personnes handicapées de mettre fin à leur vie, alors qu’elles souffrent, mais ne sont pas mourantes. Ce n’est pas de cette façon que nous répondons à la souffrance des autres groupes de Canadiens, sans parler des autres groupes protégés par la Charte. On nous dit que c’est la Cour supérieure du Québec qui a accéléré le cheminement du projet de loi au Parlement; néanmoins, modifier le Code criminel pour satisfaire à une décision d’une cour supérieure semble être sans précédent. On nous dit que les Canadiens veulent cela, pourtant, toutes les organisations nationales de personnes handicapées s’y opposent. Le respect de l’autonomie exige que notre voix soit entendue.
Si les Canadiens soutenaient le suicide assisté pour les Autochtones ou pour les citoyens appartenant à la communauté LGBTQ2S+, par exemple, qui souffrent parce qu’ils sont Autochtones ou en raison de leur identité de genre, nous ne serions pas ici, aujourd’hui. Les Canadiens reconnaissent que le suicide est plus courant parmi les personnes qui sont victimes de racisme systémique ou de dévalorisation sociale; la prévention est donc nécessaire, et chaque vie perdue est une tragédie. Pourquoi n’est-ce pas une tragédie tout aussi grande pour un Autochtone handicapé ou pour une personne handicapée ayant une autre identité de genre?
Les droits de la personne d’un groupe protégé par la Charte ne doivent jamais être une question d’opinion publique. Assimiler le suicide assisté à un droit à l’égalité est un affront moral. Aujourd’hui, j’aimerais parler de trois points.
D’abord, pourquoi nous? Étant donné que la vie d’aucun autre Canadien protégé par la Charte n’est mise en danger par ce projet de loi, il n’y a qu’une seule réponse à cette question : la vie des Canadiens handicapés n’a pas la même valeur. Les mots et les perceptions sont puissants. Le fait d’inclure un handicap comme un état justifiant un suicide assisté équivaut à déclarer que la vie de certaines personnes ne vaut pas la peine d’être vécue, un principe terrible sur le plan historique ayant des conséquences qui devraient tous nous terrifier, et qui terrifient clairement l’ensemble des personnes handicapées, y compris leur famille.
Ensuite, les personnes atteintes de déficience intellectuelle et leur famille luttent constamment pour être incluses; c’est là un droit humain universel qui n’est pas encore complètement garanti au Canada. Quand des personnes ayant des déficiences intellectuelles souffrent de leur exclusion et de leur marginalisation généralisées, nous craignons à présent que ces personnes soient encouragées à mettre fin à leur vie, plutôt que de traiter leur souffrance, comme nous le faisons pour chaque autre Canadien qui tente de mettre fin à sa souffrance par le suicide. Leurs vies sont maintenant jugées comme ne valant pas la peine d’être sauvées.
Soyons clairs, une vie inclusive reste impossible pour une majorité d’adultes ayant des déficiences intellectuelles. Il n’y a pas de droit à des soutiens adéquats au Canada, et 75 % des adultes ayant des déficiences intellectuelles sont au chômage. Il est trois fois plus probable que ces personnes vivent dans la pauvreté, quatre fois plus probable qu’elles subissent de la violence, et un nombre effarant de personnes ayant des déficiences intellectuelles restent confinées dans des établissements de soins de longue durée. Le Canada ne respecte pas ses engagements pris dans le cadre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, en matière de défense des droits et de la dignité inhérente de toutes les personnes handicapées. Au Canada, les personnes handicapées souffrent d’un ensemble de mesures disparates inadéquates en matière de soutien et de services assortis de longues listes d’attente. Une mort autorisée par l’État n’est pas la solution.
Mon troisième et dernier point, c’est que, jusqu’à présent, l’AMM a été limitée aux situations de fin de vie. L’exigence relative à la fin de vie était la seule mesure de sauvegarde où le handicap n’était pas le seul critère. Le fait que le handicap lui-même justifie de mettre fin à la vie, au titre du projet de loi C-7, touche à l’essence même de la Charte canadienne des droits et libertés. La discrimination fondée sur le handicap serait une fois de plus ancrée dans le droit canadien.
Par le passé, les personnes handicapées ont historiquement été dévalorisées et marginalisées au Canada, cela doit être dûment corrigé. Le projet de loi C-7 dévalorise encore davantage la vie des personnes handicapées. Il modifie fondamentalement l’AMM : on passe des médecins aidant des patients qui sont sur le point de mourir à le faire au suicide assisté par un médecin en raison du handicap. La vie des personnes handicapées est aussi nécessaire à l’intégrité de la famille humaine que toute autre dimension de l’humanité, et cette menace à la vie des personnes handicapées est une menace pour nous tous.
Nous exhortons le comité à obtenir une modification pour soutenir l’accès à l’AMM seulement dans le cas des personnes qui sont sur le point de mourir et limiter catégoriquement l’accès à l’AMM à toute personne handicapée, à moins que sa mort naturelle ne soit imminente. Merci.
La présidente : Merci.
Amy E. Hasbrouck, directrice générale, Toujours Vivant-Not Dead Yet, un projet du Conseil des Canadiens avec Déficiences : Je remercie énormément le comité de me donner l’occasion de vous parler, aujourd’hui. Je vous parle de Valleyfield, au Québec, qui se trouve sur la terre de la Confédération iroquoise du Saint-Laurent, Mohawk et Haudenosaunee.
Toujours Vivant-Not Dead Yet est un projet du Conseil des Canadiens avec Déficiences visant à informer, à réunir et à donner une voix à l’opposition, fondée sur les droits des personnes handicapées, au suicide assisté, à l’euthanasie et à d’autres pratiques de fin de vie qui ont des répercussions disproportionnées sur les personnes handicapées, les femmes, les personnes âgées, les Autochtones et les personnes racisées de même que les personnes victimes d’autres formes d’oppression. Toujours Vivant-Not Dead Yet a été fondé en 2013 comme une organisation progressiste, laïque, de personnes handicapées et de nos alliés. Nous croyons qu’il ne peut y avoir de libre choix de mourir, alors que des personnes âgées, malades et handicapées n’ont pas un libre choix du lieu où elles vivent et de leur mode de vie. Nous reconnaissons que ce mouvement en faveur du suicide assisté est alimenté par la dévalorisation de la vie des personnes handicapées, qui se traduit par l’expression « mieux vaut être mort que handicapé » et se manifeste par une application inéquitable par la société des politiques en matière de prévention du suicide, dans des cas où des personnes non handicapées veulent mourir et reçoivent des services de prévention au suicide, alors que des personnes handicapées reçoivent des services leur donnant accès au suicide.
Dans sa décision de 2015 dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général du Canada) qui a annulé l’interdiction de l’aide médicale à mourir, la Cour suprême a déclaré que la protection des personnes vulnérables, telles que les personnes âgées, les femmes, les personnes LGBTQI et les personnes handicapées, ainsi que les Autochtones et les personnes racialisées, exige un système soigneusement conçu imposant des limites strictes scrupuleusement surveillées et appliquées. Le libellé et la mise en œuvre du projet de loi C-14, l’aide médicale à mourir ou l’AMM n’ont pas satisfait au mandat Carter. Le projet de loi C-7 aggrave cet échec en annulant les protections au-delà de ce qui est mandaté par la Cour supérieure du Québec dans la décision Truchon c. Procureur général du Canada et avant que le Parlement n’ait procédé à l’examen quinquennal requis dans la loi sur l’AMM.
Loin d’être « une mesure exceptionnelle pour des cas exceptionnels » comme l’a promis Véronique Hivon, commanditaire en chef de la loi québécoise sur l’euthanasie, le programme du Canada a déjà entraîné la mort de près de 20 000 personnes avec déficience, dont beaucoup étaient également en phase terminale. Le statut de l’AMM se distingue par les garanties manquantes. Par exemple, obliger les gens à exercer leur autonomie en prenant eux-mêmes la dose létale — comme c’est le cas aux États-Unis où seul le suicide assisté, et non l’euthanasie, est autorisé — réduirait de 90 % les décès assistés. La prestation de soins palliatifs, le soutien communautaire pour une vie autonome ou même les interventions de prévention du suicide ne sont pas non plus une condition préalable à l’admissibilité à l’AMM. Et comme Katherine Sorenson l’a appris, il n’y a pas de remède à la pratique courante du magasinage des médecins, où de multiples déterminations d’inadmissibilité peuvent être invalidées par deux votes « oui », et la famille n’a aucun recours juridique. Pas plus que la famille d’Alan Nichols, qui a été euthanasié en 2019 malgré une maladie mentale qui a affecté son humeur et son jugement, mais qui n’avait pas de maladie mettant sa vie en danger.
Dans ses observations préliminaires de 2019, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, Catalina Devandas-Aguilar, a déclaré qu’elle était extrêmement préoccupée par la mise en œuvre de la législation sur l’aide médicale à mourir ainsi que le manque d’options pour une vie autonome.
Dans notre série de webémissions « Le choix n’est pas libre », TVNDY a documenté de nombreux exemples de personnes qui ont demandé l’aide à mourir parce qu’elles n’avaient pas les services et le soutien dont elles avaient besoin pour maintenir une qualité de vie raisonnable. Offrir une aide à mourir aux personnes emprisonnées dans des établissements soulève les mêmes problèmes que ceux relevés par Ivan Zinger dans le rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel.
Il y a trois cas connus où l’AMM a été offerte au sein des services correctionnels fédéraux… Chacun de ces cas soulève des questions fondamentales au sujet du consentement, du choix et de la dignité.
Pendant la pandémie, des militants des droits des personnes handicapées se sont joints aux mouvements raciaux et aux autres mouvements de justice sociale pour déclarer qu’aucun corps n’est jetable, mais 80 % des décès dus à la COVID-19 sont survenus dans des établissements de soins de longue durée.
L’an dernier, dans l’affaire Truchon, la Cour supérieure du Québec a invalidé l’article de la loi sur l’AMM exigeant que la mort naturelle de la personne soit « raisonnablement prévisible ». En choisissant de ne pas faire appel de cette décision, le gouvernement libéral a marqué son approbation de l’euthanasie des personnes en situation de handicap qui ne sont pas en fin de vie. Ensuite, plutôt que de limiter sa réponse législative à la portée de la décision Truchon, le gouvernement libéral a présenté un projet de loi qui apporte des modifications de fonds au programme d’AMM avant que l’examen quinquennal prescrit par le projet de loi C-14 ne soit accompli.
Le projet de loi C-7 réduirait le nombre de témoins requis pour signer la demande écrite de deux à un, et permettrait à cette personne d’être un fournisseur de soins, préparant ainsi le terrain pour qu’un préposé abusif contraigne une personne à demander la mort, puis de servir de seul témoin de la demande. Au lieu de clarifier ce que signifie le fait que la mort naturelle d’une personne soit raisonnablement prévisible ou de supprimer complètement le concept glissant et malléable…
La présidente : Madame Hasbrouck, puis-je vous demander de conclure, s’il vous plaît? Votre temps de parole est écoulé.
Mme Hasbrouck : D’accord.
Au lieu de se précipiter pour adopter une législation démesurée afin de respecter un délai imposé par le tribunal au milieu d’une pandémie, le Parlement devrait se concentrer sur la réalisation d’un examen rigoureux et équilibré du programme d’euthanasie dans son ensemble. Merci beaucoup. Je peux aussi répondre à des questions posées en français.
La présidente : Je vous remercie.
Bonnie Brayton, directrice nationale, Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : Bonjour, madame la présidente et membres du comité. Mes salutations les plus chaleureuses aux autres membres honorables du comité ici présents.
Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître. Je parle au nom du territoire non cédé du peuple Kanyen’kehà:ka. Je vous rappelle que la vérité et la réconciliation ne sont pas que des mots. Il s’agit de la manière dont nous nous conduisons sur le terrain de la vérité.
Je m’appelle Bonnie Brayton et je suis la directrice nationale du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, ou RAFHC. Nous en sommes à notre 35e année de service, et pourtant, nous n’avons pas le cœur à la fête. Selon Statistique Canada, 24 % des femmes au Canada vivent avec un handicap. Le taux de handicap des femmes autochtones est de 34 %. Les femmes handicapées connaissent les taux les plus élevés de violence fondée sur le sexe, soit le double des femmes non handicapées. Notre recherche, qui est plus qu’une simple note de bas de page, montre clairement la discrimination systémique dans les politiques de lutte contre la violence fondée sur le sexe et que le fait que des femmes deviennent handicapées par la violence… [Difficultés techniques]… avec une épidémie invisible de lésions cérébrales traumatiques ou acquises.
Lorsque je me suis présentée devant le Comité de la justice la semaine dernière, j’ai fait part d’une décision importante rendue par la Cour suprême — l’arrêt Slatter, dont l’encre est encore fraîche, rendu le 6 novembre 2020. Dans cette affaire, une femme a été agressée sexuellement à répétition, mais elle fait toujours face à un système judiciaire et à une société qui, au lieu de la croire, remettent son témoignage en question. Depuis près de 10 ans, la majorité — donc, plus de la moitié — des plaintes relatives aux droits de la personne au Canada déposées auprès des commissions et tribunaux fédéraux, provinciaux et territoriaux continuent, selon leurs propres statistiques et données probantes, d’être liées à un handicap.
Le projet Juste et bien — approche intersectionnelle aux droits humains est un autre travail du RAFHC qui a mis en lumière cette preuve irréfutable mais négligée de discrimination systémique endémique. La semaine dernière, devant le Comité de la justice, j’ai évoqué la situation de Ruth. Dans un Canada différent, Ruth recevrait le soutien dont elle a besoin pour mener une vie qui ait un sens; elle aurait notamment un logement digne de ce nom qui lui permettrait de demeurer en sécurité et en vie. Elle est intelligente, s’exprime bien et serait un bon mentor et une bonne conseillère pour quiconque vit avec de l’hypersensibilité environnementale, car elle en connaît les ficelles. La semaine dernière, un article paru dans le magazine Maclean’s a donné un exemple effroyablement semblable d’une femme, dont le pseudonyme est Susan, qui a également perdu tout espoir et considère maintenant l’AMM comme sa seule option.
Nous avons également transmis au Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, ou FEWO, une copie de notre présentation d’une étude sur les répercussions de la COVID-19 sur les femmes et les filles handicapées au Canada. Cette étude établit des liens importants entre la pandémie et les grandes répercussions dans le contexte de l’AMM et parle des craintes qui vont au-delà du simple fait de contracter la COVID-19 en raison des politiques de triage et de la discrimination dont elles ont fait l’objet à plusieurs reprises en essayant d’accéder aux soins de santé. Au lieu de cela, elles se voient poser des questions sur les directives préalables et l’AMM. Comme vous le savez, pendant près de deux ans, la Loi canadienne sur l’accessibilité a donné lieu à des centaines et des centaines de réunions. La ministre Qualtrough a entamé des consultations d’un bout à l’autre de pays. Des organisations comme la mienne et d’autres ont été consultées. Les ressources ont été utilisées de manière appropriée pour que l’on puisse s’assurer que les personnes handicapées soient consultées. Cela aurait pu être un bon exemple de consultation publique, mais le Parlement a déposé le projet de loi et l’a soumis au Sénat, y laissant quelques trous béants.
Heureusement, les membres du Sénat et du comité se sont fondés sur des preuves de discrimination systémique et ont mené une réflexion appropriée avant de proposer les modifications les plus importantes à la Loi canadienne sur l’accessibilité, avant son adoption. Plus important encore, dans le préambule, vous avez reconnu avec beaucoup de force le fait que les formes de discrimination systémiques et croisées doivent éclairer la loi avant qu’elle n’entre en vigueur. Les Autochtones handicapés n’ont pas été consultés. En fait, la loi proposée, le projet de loi C-7, ne prévoit malheureusement aucune consultation publique importante auprès des personnes handicapées, alors qu’elle pourrait avoir des répercussions beaucoup plus profondes sur toute personne vivant avec un handicap. En fait, à l’exception d’une enquête menée en ligne auprès de quelque 15 000 répondants anonymes, il n’y a pas eu de consultation publique.
Où est la justification de la suppression des dispositions sur la mort imminente? Où est cette énorme demande pour l’AMM? Les preuves du contraire sont nombreuses — je le répète : les preuves. Et c’est pourquoi cette précipitation à supprimer les dispositions sur la mort imminente est dangereuse. Des preuves appuient la nécessité d’achever l’examen quinquennal et de s’engager auprès des organisations de la société civile qui ont une expertise établie, comme la mienne — j’ai 35 ans d’expertise —, et pas seulement auprès d’experts du domaine médical qui n’adoptent pas une approche de l’AMM fondée sur les droits.
Vous ne devez pas permettre la suppression des dispositions sur la mort imminente à l’heure actuelle. Vous avez une responsabilité morale, légale et engagée envers notre Constitution et envers tous les habitants du Canada de faire des lois qui servent et protègent tous les Canadiens. Vous devez le faire en vous appuyant sur des témoignages et des informations impartiales sur ceux et celles qui seront les plus touchés par ces lois.
Merci. Meegwetch.
La présidente : Merci à tous nos témoins. Nous allons maintenant passer aux questions. Je demande aux sénateurs et aux témoins de bien vouloir faire en sorte que les questions et les réponses soient brèves et précises.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je remercie nos témoins de leur présence ici aujourd’hui. J’ai une question assez simple à vous poser, et peut-être que Mme Carr pourrait y répondre. Nous nous sommes déjà rencontrées, comme vous le savez. En fait, je vous écoute et je pense aux 6 millions et plus de personnes handicapées ici au Canada, qui sont des individus avec des différences dans leurs droits et leurs vulnérabilités. On s’entend là-dessus. D’un côté, je vous écoute parler de protection des vulnérabilités de certaines personnes handicapées. D’un autre côté, il y a aussi le droit à l’autonomie des personnes qui sont en situation de handicap. On pense bien sûr aux affaires Truchon et Gladu, entre autres. Ce que je n’entends pas dans votre discours... On a devant nous le projet de loi C-7, qui comprend ce volet de sauvegarde pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible. J’aimerais vous entendre sur ce que vous proposez comme mesures de sauvegarde. Je ne vais pas toutes les expliquer, faute de temps, et vous les connaissez aussi bien que moi.
On parle de consultations psychologiques, de soutien en santé mentale, de soutien aux personnes handicapées, de services communautaires, de soins palliatifs. On s’assure que tous les moyens ont été « sérieusement envisagés », comme le projet de loi le dit.
Madame Carr d’abord, que proposez-vous pour répondre à vos craintes?
[Traduction]
Mme Carr : Je vous remercie de votre question, sénatrice Petitclerc. C’est un plaisir de vous revoir.
Il s’agit de distinguer un groupe de personnes. Dans le projet de loi actuel, le projet de loi C-14, toute personne mourante est admissible, peu importe sur quoi reposent leurs caractéristiques individuelles; toute personne dont la mort est raisonnablement prévisible a accès à l’AMM. Le projet de loi C-7 ajoute un volet qui distingue un groupe de personnes. Il ne dit pas que toute personne qui n’est pas mourante peut avoir accès à l’AMM de façon universelle, et nous ne voudrions pas que cela se produise.
Nous avons distingué un groupe de Canadiens, les personnes handicapées, et nous parlons ici de choix autonomes, d’indépendance ou de ce genre de choses. C’est effectivement ce que nous voulons pour les personnes handicapées, mais la malheureuse réalité au Canada est que ce n’est pas ce que nous avons. Nous n’avons pas d’approche fondée sur les droits en matière de soutien aux personnes handicapées. Nous avons des taux disproportionnés de pauvreté, de chômage, de violence et d’abus. Cela n’en finit pas.
Nous connaissons les situations de vie précaires des gens, et il ne peut y avoir de réelle autonomie ou de choix autonomes lorsque vous vivez avec une pomme de terre par jour après avoir payé votre loyer pour le mois, lorsque vous ne pouvez pas obtenir les services d’aide aux personnes handicapées dont vous avez besoin, lorsque vous êtes institutionnalisé comme l’était M. Truchon, qui disait si désespérément qu’il ne voulait pas être dans cette institution; y vivre était pire que mourir pour lui.
De nombreuses personnes handicapées sont dans cette situation au Canada. Non, elles ne le sont pas toutes, mais combien de vies est-il correct de perdre?
La sénatrice Petitclerc : Je ne veux pas vous interrompre, mais je vais le faire, car notre temps est limité. Que proposez-vous?
Mme Carr : Nous vous proposons de supprimer le deuxième volet, d’en rester à la prévisibilité raisonnable de la mort naturelle et de retourner devant la Cour suprême, au besoin, parce que la vie des personnes handicapées justifie une décision rendue par les sept juges du plus haut tribunal du pays, et non par un seul tribunal d’une province du pays. Il s’agit d’une question de vie ou de mort. C’est quelque chose qui doit être pris très au sérieux. Nous faisons avancer ce dossier à une vitesse vertigineuse, sans considération appropriée.
La sénatrice Batters : Mes questions s’adressent à Krista Carr, d’Inclusion Canada. Madame Carr, j’aimerais vous donner un peu plus de temps pour expliquer votre position à ce sujet. Premièrement, pourquoi recommandez-vous un amendement au projet de loi qui, selon certains, va à l’encontre de la décision du juge de la Cour supérieure du Québec dans l’arrêt Truchon?
Mme Carr : Selon Inclusion Canada, il est extrêmement rare que des modifications soient apportées au Code criminel en réaction à une décision rendue en première instance dans une province. Un tribunal de première instance du Québec, ou de toute autre province, en fait, ne peut pas et ne devrait pas déterminer les droits de tous les Canadiens. C’est incompatible avec notre système fédéral.
Comme vous le savez, la communauté nationale des personnes handicapées a plaidé auprès du gouvernement fédéral afin qu’il interjette appel de la décision Truchon-Gladu. Par son refus, le ministère de la Justice nous a mis dans une position un peu délicate.
Certaines mesures peuvent être prises. Le plus simple serait peut-être de retourner devant le tribunal du Québec pour demander plus de temps. Il est question de la situation de vie et de mort de Canadiens handicapés. Nous ne devrions assurément pas faire cela à la hâte.
Une autre solution consisterait à laisser la suspension de la prise d’effet de la déclaration d’invalidité être caduque au Québec. Cette mesure pourrait sembler radicale, mais il n’est pas rare que des dispositions du Code criminel soient invalidées dans une province, et pas dans d’autres. Cela arrive tout le temps dans notre système judiciaire. Habituellement, le gouvernement fédéral ne modifie pas le Code criminel avant que la Cour suprême du Canada contraigne tous les tribunaux du pays à cet égard. Cette solution nous permettrait de porter une autre affaire dans le système judiciaire et de la faire confirmer comme il se doit par la Cour suprême.
La troisième option consisterait à soumettre directement et sans tarder à la Cour suprême une question de renvoi sur cette affaire et à obtenir l’audience exhaustive qui a été refusée aux Canadiens dans le cadre de la décision Truchon.
La sénatrice Batters : Je vous remercie. Vous comptiez parmi les 70 groupes qui ont écrit au ministre de la Justice pour tenter de l’encourager à interjeter cet appel. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de jeter un coup d’œil aux questions que j’ai posées au ministre Lametti ce matin. Je lui disais à quel point je trouvais que cette décision est surprenante et que j’étais surprise qu’il n’en appelle pas.
Madame Carr, pouvez-vous nous expliquer en détail pourquoi vous croyez qu’il est discriminatoire pour les personnes atteintes d’une maladie invalidante d’avoir accès à l’aide médicale à mourir quand elles ne sont pas en fin de vie?
Mme Carr : C’est parce que le fait de cibler un groupe de personnes distinctes au motif de leurs caractéristiques personnelles qui se trouvent à être un motif de protection au titre de la Charte des droits et libertés et d’utiliser ce motif pour justifier l’euthanasie de personnes qui possèdent ces caractéristiques est tout simplement immoral, et nous ne pourrions pas l’envisager. Nous n’envisagerions jamais de faire cela à tout autre groupe de personnes, que ce soit les Autochtones, les personnes racialisées ou les personnes LGBTQ.
Nous savons que ces groupes souffrent disproportionnellement en raison non pas de qui ils sont, mais de ce que la société, les systèmes, les gens et la discrimination font à leurs situations de vie. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour sauver la vie des membres de ces groupes de personnes, comme nous avons le devoir de le faire, mais pourquoi n’est-ce pas le cas des personnes handicapées? Leurs vies ne valent-elles pas autant?
La sénatrice Batters : Merci. C’est parce que vous affirmez que le critère de la fin de vie est le seul qui ne soit pas applicable aux personnes handicapées. Une fois qu’on le retire, tout le reste pourrait s’appliquer aux personnes handicapées, potentiellement, n’est-ce pas?
Mme Carr : C’est exact.
La sénatrice Batters : Je vous remercie.
Le sénateur Dalphond : L’un ou l’autre des trois témoins pourra répondre à ma question. Leurs exposés étaient très intéressants.
Nous avons un problème de principes, d’éthique et de droit. Je présume que dans l’arrêt Carter, la Cour suprême a tranché à l’unanimité qu’il est inutile d’être atteint d’une maladie en phase terminale pour accéder à l’AMM. Les critères sont qu’il faut être un adulte compétent, y consentir clairement et être atteint d’une maladie grave et incurable et que la maladie cause une souffrance durable qui est devenue intolérable.
Vous proposez que nous apportions une modification à la loi, dans un sens, ou bien proposez-vous que nous utilisions la disposition de dérogation et que nous affirmions que nous devrions adopter des dispositions législatives qui rendraient de nombreuses personnes inadmissibles à l’AMM et que nous utilisions la disposition de dérogation à l’appui de leur adoption?
Mme Carr : Puis-je intervenir en premier? Je serai heureuse si quelqu’un d’autre pouvait répondre à la question également.
Je vous remercie de poser la question, sénateur Dalphond. Je ne suis pas avocate. Nous travaillons avec beaucoup d’experts juridiques, mais je dirais qu’il est précisé à plus d’un endroit dans l’arrêt Carter et je sais que vous en êtes probablement plus conscient que moi — qu’il fallait que des mesures soient mises en place pour protéger les personnes vulnérables. Les tribunaux ne rédigent pas de lois. Il incombe au Parlement de faire ces choses en réaction aux décisions des tribunaux, c’est certain.
Le Parlement a décidé que, non seulement la prévisibilité raisonnable d’une mort naturelle garantissait l’égalité parce que tout le monde peut y accéder, mais qu’il s’agissait aussi d’une mesure de protection importante qui devait être en place pour protéger les populations vulnérables en les empêchant de se retrouver dans une situation où elles se font euthanasier par injection létale parce qu’elles vivent dans une situation à laquelle il serait possible de remédier ou qui pourrait être améliorée.
Vous remarquerez que le projet de loi n’exige pas non plus que les gens soient capables d’obtenir les services et le soutien dont ils ont besoin pour améliorer leur vie; il exige seulement qu’ils soient mis au courant de leur existence. Je peux vous assurer que les personnes handicapées qui se retrouvent dans le système d’AMM savent déjà ce qui est offert, mais elles n’arrivent pas à obtenir ces services, ou leur nom est sur une liste d’attente depuis longtemps. Elles vivent dans des conditions de logement dangereuses. Ces personnes vivent dans la pauvreté. Dans la province où j’habite, cela fait deux ans...
Le sénateur Dalphond : Désolé de vous interrompre, mais ce n’était pas le cas de Mme Gladu. Elle est très autonome. Elle mène une vie indépendante et ne se plaint pas de n’avoir aucun accès à...
Mme Hasbrouck : Mais elle craignait d’être institutionnalisée, et c’était l’une des principales raisons qui la motivaient à porter l’affaire devant les tribunaux. Ce [Difficultés techniques] la question de [Difficultés techniques] l’un des principaux facteurs à l’origine des demandes de suicide assisté présentées par de nombreuses personnes.
Je veux seulement apporter des précisions, madame Carr. Dans l’arrêt Carter, je crois que la Cour suprême a commis une erreur en rendant sa décision, car elle a affirmé précisément que l’invalidité était un critère d’admissibilité. Je crois qu’elle a eu tort de le faire. Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême n’a pas procédé à une analyse au titre de l’article 15.
Comme je l’ai dit, nous sommes d’avis que les mesures de protection qui manquent sont très évidentes. Tout d’abord, nous croyons que le suicide assisté — pas l’euthanasie — devrait être le moyen. Si la personne a une limitation physique qui l’empêche de prendre elle-même le médicament [Difficultés techniques] et nous croyons également qu’il devrait être établi comme condition préalable que la personne reçoive des soins palliatifs et des services de soutien communautaires pour mener une vie indépendante et qu’elle fasse l’objet d’une intervention en prévention du suicide avant d’être jugée admissible à l’aide à mourir. Il s’agit aussi d’une réponse à la question de la sénatrice Petitclerc.
Mme Brayton : Je voudrais répondre, moi aussi.
La présidente : Je suis désolée, le temps de parole du sénateur Dalphond est écoulé.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Dans la même veine et sur le même thème, ma question s’adresse à n’importe lequel des trois témoins. Dans la situation où une personne a un handicap, qu’elle n’est pas en fin de vie, qu’elle estime que ses souffrances sont intolérables et qu’elle ne peut continuer à vivre ainsi, êtes-vous d’avis que cette personne devrait pouvoir décider pour elle-même, plutôt que d’attendre un autre moment, quand sa qualité de vie se sera dégradée encore plus, qu’un médecin décide pour elle de mettre un terme à sa vie ou à ses souffrances?
Mme Brayton : Merci, sénatrice Dupuis, pour toutes ces questions.
[Traduction]
La première chose que je voudrais assurément préciser est que, dans le contexte du Québec, en tant que femme handicapée qui vit dans cette province et qui est atteinte du syndrome de post-poliomyélite — le même handicap que Mme Gladu —, je pourrais vous présenter un point de vue personnel sur la vulnérabilité qui me touche en tant que personne, car je vis avec ce handicap au Québec, où cette décision a été rendue. Au lieu de cela, comme je suis une femme blanche privilégiée qui est la directrice nationale d’une organisation, je vous ai présenté une foule de données probantes au sujet de la réalité à laquelle faisait allusion Mme Carr, c’est-à-dire que la réalité d’un grand nombre de personnes handicapées est différente de tout ce que nous pourrions comprendre ou nous imaginer.
Les mesures de protection que nous avons mentionnées sont essentielles à la compréhension de la réalité vécue par les personnes handicapées. C’est la raison fondamentale pour laquelle nous comparaissons devant vous pour vous demander de comprendre pourquoi ces modifications ne doivent pas être apportées et pourquoi, même si elles aspirent à leur idée du Canada dans lequel nous vivons, elles ne représentent pas la réalité. Encore une fois, je répète que les données probantes qui sont présentées montrent très clairement que la majorité des Canadiens handicapés vivent dans la pauvreté. Ils sont sans emploi et vivent dans la violence et l’insécurité relativement au logement et aux déterminants sociaux fondamentaux de la santé.
Voilà pourquoi nous comparaissons devant vous et pourquoi nous vous demandons encore une fois de comprendre les raisons pour lesquelles vous ne devez pas adopter hâtivement ce projet de loi. Faites l’examen qui s’impose. Étudiez toutes les données probantes — pas l’opinion de certaines personnes, mais bien les données probantes. Je suis très certaine que nous arriverons à la même conclusion, c’est-à-dire que notre pays n’est pas encore en mesure d’adopter des projets de loi comme celui-ci. Nous sommes un pays idéaliste, mais nous ne sommes pas bien placés pour faire cela, et nous ne pouvons pas le faire, parce que des gens vont mourir. Merci.
[Français]
Mme Hasbrouck : J’aimerais parler de ce qui se passe avec une personne en situation de handicap quand elle est au bout de son rouleau. Ce que je veux, c’est que la personne reçoive le même soutien nécessaire pour vivre, pour bien vivre, et qu’elle reçoive la même intervention pour prévenir le suicide que les personnes non handicapées. Ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. Voilà la différence. La personne devrait avoir la même responsabilité pour sa mort. Donc, plutôt que le gouvernement prenne la décision et administre la mort, la personne pourrait le faire elle-même si elle a besoin d’accommodements raisonnables pour rendre cette situation possible, mais l’aide au suicide devrait être le moyen employé plutôt que l’euthanasie.
La sénatrice Keating : Si quelqu’un veut prendre mon temps de parole, je suis d’accord.
Le sénateur Boisvenu : Honorables sénateurs, le son ne fonctionne pas.
La présidente : Je suis désolée. Pourriez-vous écrire la question et me l’envoyer?
Le sénateur Boisvenu : Oui, d’accord.
La présidente : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Je remercie infiniment les témoins de leur présence. Je m’intéresse particulièrement aux commentaires de la représentante d’Inclusion Canada sur une question précise. Dans vos commentaires et dans votre mémoire, vous avez mentionné la notion du recours à un renvoi à la Cour suprême du Canada au lieu du projet de loi qui est soumis au Parlement aujourd’hui. Je voudrais savoir si vous avez parlé aux responsables d’autres provinces afin de jauger leur intérêt pour cette solution. Vous soulignez que ni le gouvernement du Québec ni le gouvernement fédéral n’a choisi d’interjeter appel de cette décision, et, compte tenu des commentaires formulés par le ministre ce matin, je crois que c’est parce qu’ils sont d’accord avec la décision. Qu’en est-il des autres provinces? Avez-vous eu l’occasion de parler avec les responsables et d’obtenir leurs réactions à la décision? Dans l’affirmative, y en a-t-il qui sont favorables à la solution de renvoi que vous proposez?
Mme Carr : Je vous remercie infiniment de poser la question, madame la sénatrice. La réponse comporte deux volets. Le premier est que nous avons considéré cela comme une décision du gouvernement fédéral, étant donné qu’il s’agit de modifications apportées au Code criminel du Canada et que cela se produit habituellement après un arrêt de la Cour suprême. Alors, pour être honnête, je ne sais pas quelle serait la réponse des autres gouvernements provinciaux ou quelle serait leur volonté à cet égard. Je me garde de répondre à cette question de façon inadéquate. Je suis désolée.
Mme Brayton : Selon moi, il s’agit d’une autre indication, madame la sénatrice, du fait que nous n’avons pas eu assez de temps pour étudier ces questions de façon appropriée et qu’en effet, nous n’avons pas obtenu de consensus dans l’ensemble du pays avant que ce projet de loi soit présenté par le gouvernement. Merci.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup de me permettre de participer à la réunion du comité. J’éprouve beaucoup d’empathie à l’égard de l’argument en faveur du fait de mourir dans la dignité, mais j’éprouve la même empathie à l’égard d’une vie dans la dignité, et au sein de la collectivité, pour les personnes handicapées. Nous semblons être dans une course contre la montre. Cette date limite du 18 décembre a-t-elle été établie de façon arbitraire? Les gouvernements doivent-ils toujours enchâsser dans la loi les décisions d’un tribunal dans un délai particulier, ou bien le Sénat a-t-il le temps de procéder à une étude un peu plus poussée et de tenir cette discussion à l’échelle nationale?
Mme Carr : Comme je l’ai expliqué plus tôt, on nous dit qu’il y a des options, et nous leur demandons de s’en prévaloir. L’une consisterait à retourner devant le tribunal pour demander plus de temps, compte tenu du fait que nous sommes en pleine pandémie mondiale. Pour cette raison, d’autres projets de loi ont été étudiés en priorité, et celui-ci est présenté bien trop rapidement. Nous devrions attendre et mener les consultations adéquatement, et cetera, surtout auprès des personnes les plus touchées, c’est-à-dire les personnes handicapées.
Pour ce qui est de l’autre option, notre équipe juridique nous dit que, si nous ne faisons rien d’ici le 18 décembre, la décision demeurera en vigueur au Québec, quoiqu’elle pourrait être contestée devant un autre tribunal du Québec, ou bien être ignorée au Québec, selon la façon dont le gouvernement provincial décide de procéder. Pour le reste du Canada, toutefois, la décision n’est pas contraignante si le Code criminel n’est pas modifié d’ici le 18 décembre. Ainsi, nous plaidons en réalité auprès du Sénat afin qu’il freine ce projet de loi, qu’il ralentisse le processus et qu’il nous accorde ce qui nous est dû. Nous devons tenir une discussion approfondie et, comme l’a mentionné Bonnie Brayton, examiner les données probantes, vraiment étudier les conséquences qu’aura ce projet de loi, et répondre à la question suivante : pourquoi ce projet de loi cible-t-il un seul groupe de Canadiens?
Le sénateur Munson : J’ai été parrain de la Loi canadienne sur l’accessibilité au Sénat, et elle promettait d’envisager les choses dans l’optique de l’invalidité. A-t-on appliqué cela à la loi? Si oui, quels sont les résultats et comment cela se traduit-il dans la loi?
Mme Brayton : En effet, sénateur Munson, je suis très heureuse que vous souleviez la question, parce que, dans mes commentaires, j’ai parlé de la Loi canadienne sur l’accessibilité et de l’important travail fait par le Sénat pour vraiment mettre l’accent sur une chose qu’on appelle « discrimination intersectionnelle », une grande préoccupation qui fait effectivement partie de ce que nous tentons de mettre de l’avant aujourd’hui. J’invoque le Règlement : je reconnais que la Loi canadienne sur l’accessibilité prévoit l’application du point de vue des personnes en situation de handicap à absolument tout. Advenant qu’elle soit adoptée, cette loi est déjà en place. On se demande effectivement, alors que nous étudions la loi, comment il est possible qu’elle se concrétise sans cette prise en considération; c’est tout à fait ironique.
Merci, sénateur Munson.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup.
Le sénateur Plett : Malheureusement, j’ai vraiment eu du mal à entendre certains des témoins. Tous les trois témoins ont fourni un témoignage convaincant. Hélas, la seule que j’ai réussi à entendre clairement avec mon casque d’écoute était Krista Carr, et ma question s’adressera donc à elle.
Le Comité de la justice de la Chambre des communes a entendu un témoignage bouleversant de Roger Foley et de Taylor Hyatt : tous les deux ont rencontré des travailleurs de la santé qui, selon eux, leur ont dit que la mort était leur meilleure option. Roger Foley a enregistré une de ces occurrences où il a subi des pressions pour recevoir le suicide assisté, et cela a été rendu public dans les médias traditionnels. Nous croyons savoir que ce type de coercition peut être subtil, mais ses conséquences sont grandes, et malheureusement, c’est beaucoup trop fréquent.
Madame Carr, ces situations se sont produites sous le régime actuel. J’aimerais que vous parliez de ces cas, si vous le pouvez. À votre avis, le projet de loi C-7 offre-t-il une protection contre la coercition? Sinon, que pourrions-nous faire précisément — et je sais que vous avez parlé d’amendements — pour protéger les personnes vulnérables contre ce type de coercition?
Mme Carr : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Oui, l’histoire de Roger Foley vient s’ajouter à de nombreuses autres, et comme vous venez de le dire, il y en a d’autres très semblables à celles qui sont documentées. Nous en avons assurément beaucoup que nous aimerions envoyer à tous ceux qui aimeraient les voir.
Le sénateur Plett : Je vous en serais reconnaissant.
Mme Carr : Absolument, nous ferons un suivi là-dessus.
Pour répondre à votre question, s’il offre des protections contre la coercition? Non, il ne le fait pas. Comme nous l’avons vu, particulièrement dans le cadre de la pandémie mondiale, le capacitisme systémique qui existe dans le système de soins de santé à l’endroit de personnes en situation de handicap est quelque chose dont nous avons toujours été conscients. On a vraiment levé le voile là-dessus, et nous avons des tonnes d’exemples, passant des protocoles de triage qui réduisent la priorité de la vie de personnes en situation de handicap lorsque des équipements permettant de sauver la vie sont rares, à des personnes ne présentant aucun des symptômes de la COVID qui se présentent à l’hôpital durant la pandémie, qui ont un handicap et se font demander s’ils ont dans leur dossier une ordonnance de non-réanimation ou d’AMM.
Nous croyons fermement que la seule vraie mesure de sauvegarde qui protégera fondamentalement les personnes en situation de handicap au pays contre le type de capacitisme systémique et la coercition subtile ou pas si subtile qui se produit consiste à maintenir les critères de fin de vie en tant que critères pour accéder à l’aide médicale à mourir dans notre pays.
Je ne sais pas s’il y en a parmi mes collègues qui veulent formuler des commentaires.
Le sénateur Plett : Merci. Mesdames Brayton ou Hasbrouck, je n’ai pas été en mesure de bien vous comprendre. Je vais lire votre témoignage clairement, mais si vous voulez intervenir, n’hésitez pas.
Mme Brayton : Merci, sénateur Plett. Je vais ajouter quelque chose à ce que Krista vient de dire. Dans le mémoire écrit que je fournirai, nous voyons des conséquences de la COVID-19 sur des femmes en situation de handicap qui traitent des liens entre la dégradation ultérieure de la qualité de vie pour les femmes en situation de handicap, et maintenant, une forte préoccupation que l’AMM est la seule chose à laquelle elles peuvent maintenant penser, parce qu’elles ont perdu espoir.
Nous devons entendre beaucoup plus de témoignages, sénateur Plett, et je crois que c’est assez clair, comme Krista l’a dit, que la seule chose que nous pouvons faire pour nous assurer que personne ne perd la vie parce que nous n’avons pas bien examiné cette question avant d’adopter la législation, c’est de faire du recul. Comme je l’ai dit plus tôt, il s’agit de comprendre que nous avons un pays idéaliste qui veut croire que nous pouvons offrir l’AMM et que personne qui ne le devrait ne perdra la vie, mais ce n’est simplement pas le cas. Les données probantes montrent le contraire, et elles sont solides. Pendant plusieurs années, la plupart des plaintes liées aux droits de la personne touchaient l’invalidité. Il y a beaucoup trop de données probantes.
Merci, monsieur, d’avoir posé la question.
La présidente : Madame Hasbrouck, lorsque vous avez répondu, je sais que vous vouliez ajouter quelque chose à la question de la sénatrice Petitclerc. Puis-je vous demander de répondre à la question de la sénatrice Petitclerc une fois que vous aurez répondu à la question du sénateur Plett?
Mme Hasbrouck : Merci beaucoup. Oui, je voulais appuyer ce que Krista Carr a dit, en ce sens que la motivation qui sous-tend le mouvement vers l’aide médicale à mourir est cette idée selon laquelle il vaut mieux être mort que handicapé. Cela s’applique peu importe si une personne a une maladie terminale ou non. En fait, toutes les personnes touchées par l’aide médicale à mourir sont celles en situation de handicap [Difficultés techniques] ce fait incontestable, et c’est ce qui nous a poussés à vouloir défendre cette cause.
Le projet de loi C-7 ne fait rien pour prévenir ce type de conséquences discriminatoires. Il ne fait rien pour que l’on puisse s’assurer que toutes les personnes, particulièrement les personnes en situation de handicap, sont visées par des interventions en matière de prévention du suicide et reçoivent les mesures de soutien dont elles ont besoin pour vivre dans la collectivité. Ces choses sont très importantes.
Je voulais revenir à la question de la sénatrice Petitclerc. Elle demandait s’il y avait des mesures de protection précises. Comme je le disais, celles qui nous préoccupent tout particulièrement sont, d’abord, le fait d’obliger la personne à commettre le suicide assisté, plutôt que d’avoir des médecins autorisés par l’État à tuer des personnes particulières [Difficultés techniques]; et ensuite, le fait que les gens doivent recevoir du soutien communautaire sous forme de soins palliatifs pour la vie autonome et des services d’intervention en matière de prévention du suicide avant qu’on puisse même les juger admissibles à l’aide médicale à mourir.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Tous les sénateurs qui voulaient poser une question l’ont fait. Je tiens à remercier les intervenants. Nous vous avons entendus très clairement et nous devons maintenant réfléchir. Merci d’avoir participé à très court préavis.
Je remercie mes collègues. Vous êtes vraiment dans un marathon, et je vous remercie du soutien que vous apportez pour ces longues audiences.
Nous recevons maintenant notre prochain groupe d’intervenants sur Zoom. Nous accueillons M. Andrew Galley, analyste national de la recherche et des politiques, de l’Association canadienne pour la santé mentale; la Dre Grainne E. Neilson, présidente, accompagnée de la Dre Alison Freeland, présidente, Comité des normes professionnelles et de la pratique, de l’Association des psychiatres du Canada; et le Dr Tarek Rajji, chef, neurodéveloppement de l’adulte et géronto-psychiatrie, professeur de psychiatrie, Université de Toronto, du Centre de toxicomanie et de santé mentale.
Nous avons vraiment hâte de vous entendre tous sur cette question. Je tiens à vous remercier au nom du comité. Veuillez limiter votre exposé à six minutes, parce que les sénateurs ont beaucoup de questions à vous poser.
Andrew Galley, analyste national de la recherche et des politiques, Association canadienne pour la santé mentale : Merci de me donner l’occasion de m’exprimer aujourd’hui au nom de l’Association canadienne pour la santé mentale. Je m’appelle Andrew Galley et je suis analyste national de la recherche et des politiques pour le bureau national de l’ACSM.
Mes commentaires résumeront la position que nous avons publiée sur l’aide médicale à mourir en ce qui a trait à la santé mentale et tiendront compte des faits nouveaux dans la loi et de l’amendement proposé.
Conformément à la position que nous avons publiée, l’ACSM continue de défendre l’exclusion de la loi de la maladie mentale comme seule raison sous-jacente de l’aide médicale à mourir.
L’ACSM est une fédération d’associations locales, régionales et provinciales dans toutes les provinces et un territoire. Bon nombre de nos membres fournissent des services de santé mentale, et certains apportent de l’aide au logement, à l’emploi ainsi que d’autres mesures de soutien. Nos divisions provinciales et notre bureau national prônent des investissements équitables et durables dans les services de santé mentale et de toxicomanie. Nous sommes favorables à une approche axée sur le rétablissement à l’égard de la santé mentale.
Pour résumer, le rétablissement dans le contexte de la santé mentale renvoie à l’idée que les gens peuvent atteindre une stabilité et vivre une vie active et entière dans leur collectivité, avec ou sans l’élimination complète des symptômes, s’ils reçoivent les mesures de soutien qui sont bonnes pour eux. Nous croyons que tout le monde qui est confronté à des problèmes de santé mentale au Canada a le droit au rétablissement.
En 2017, après l’adoption initiale de la loi sur l’aide médicale à mourir, l’ACSM a publié un énoncé de principe, affirmant que la maladie mentale n’est pas, en soi, une raison adéquate pour demander l’AMM. Notre argument reposait partiellement sur la disposition concernant la mort « raisonnablement prévisible », qui a maintenant été invalidée.
Toutefois, ce n’était pas le seul pilier de notre position ni le plus convaincant. La loi d’alors et la loi modifiée qui est proposée contiennent aussi l’exigence selon laquelle l’état du requérant doit être « grave et irrémédiable » et que le requérant doit se trouver dans un état avancé de déclin de ses capacités qui ne peut être renversé. Nous sommes d’avis que les données probantes inadéquates ne permettent pas d’établir, avec la certitude qu’une décision aussi importante exige, que tout cas particulier est irréversible et irrémédiable et qu’il y a suffisamment de données de recherche — même si plus de recherches sont nécessaires — selon lesquelles de nombreux cas qui semblent résister au traitement montrent en réalité des signes de rétablissement au fil du temps.
Il ne fait aucun doute que la maladie mentale peut être un état grave, et il est peut-être malheureux que certains libellés utilisés dans les discussions au sujet de la nouvelle loi puissent être interprétés comme passant sous silence cette réalité. Le fait de souffrir d’une maladie mentale est tout aussi réel que de souffrir d’une maladie physique, et chez certaines personnes, cette souffrance peut être intolérable et réfractaire au traitement.
Cependant, les données de recherche montrent que l’optimisme est une attitude rationnelle devant une maladie mentale grave; avec les bonnes mesures de soutien, y compris des soins de santé et des mesures de soutien social et économique, le rétablissement est possible. Notre priorité doit être de nous assurer que ces mesures de soutien sont offertes à tout le monde qui en a besoin au Canada. Les recherches futures pourraient clarifier la mesure dans laquelle un cas particulier pourrait se voir attribuer correctement le diagnostic d’« irrémédiable » même s’il reçoit un traitement et des mesures de soutien, mais en ce moment, nous n’avons aucun fondement rationnel, même pour les experts, qui nous permette de repérer avec exactitude quels patients ne peuvent guérir.
Pour ce qui est du critère de l’irréversibilité, la récurrence épisodique et la rémission des symptômes sont des caractéristiques bien connues d’une maladie mentale grave. En effet, elles s’ajoutent aux coûts sociaux et économiques imposés aux personnes ayant une maladie mentale, puisqu’elles sont souvent incapables de prouver leur admissibilité à des mesures de soutien pour les personnes handicapées, comme le crédit d’impôt pour personnes handicapées, et les avantages qui dépendent de l’admissibilité.
Cette tendance de la récurrence et de la rémission s’applique tout particulièrement au trouble dépressif majeur, que l’OMS a désigné comme une des causes les plus prévalentes d’invalidité dans le monde, et au trouble bipolaire. Lorsque le désespoir et les idées suicidaires font partie des symptômes, il faut faire preuve d’une extrême prudence. Il n’y a bien sûr aucun état plus irréversible que le fait de mettre fin à sa propre vie.
Enfin, je me penche sur la question importante de la non-discrimination, qui a été soulevée comme critique de la loi proposée, tout particulièrement ce qui concerne l’exclusion explicite de la maladie mentale. L’ACSM soutient que les gens qui sont aux prises avec une maladie mentale ou avec des problèmes de santé mentale ne perdent pas leur capacité de prendre des décisions médicales indépendantes, y compris concernant une demande d’aide médicale à mourir, lorsqu’ils y sont autrement admissibles. C’est-à-dire que, lorsqu’ils souffrent d’un déclin irrémédiable et irréversible attribuable à un état qui répond aux critères de la loi, l’ACSM croit que l’exclusion de la maladie mentale comme unique affection sous-jacente est une distinction fondée sur l’évolution probable de la maladie, et non pas sur la validité ou la gravité de la maladie elle-même. Les personnes qui seraient autrement admissibles à l’AMM ne devraient pas être exclues au motif qu’elles sont aussi aux prises avec une maladie mentale.
Cela conclut mes commentaires, et je remercie le comité d’avoir invité l’ACSM à prendre la parole aujourd’hui.
La présidente : Merci.
Dre Grainne E. Neilson, présidente, Association des psychiatres du Canada : Merci, madame la présidente. Je vous remercie de me donner l’occasion d’être ici aujourd’hui. Je me présente en qualité de présidente de l’Association des psychiatres du Canada. Je suis une psychiatre judiciaire ayant une pratique clinique et universitaire, et je m’intéresse depuis longtemps à la loi sur la santé mentale, aux droits de la personne et à l’éthique professionnelle.
Pour commencer, je dirai que, au sein de la psychiatrie, il existe des opinions divergentes concernant la prestation de l’AMM ainsi que le fait de savoir si l’AMM devrait être autorisée uniquement en fonction d’un trouble mental. L’APC ne s’est pas prononcée sur le fait de savoir si l’AMM devrait être offerte lorsqu’une maladie mentale est le seul problème de santé sous-jacent. Cependant, nous croyons que toute nouvelle loi doit protéger les droits de tous les Canadiens vulnérables sans instaurer une discrimination indue contre les personnes ayant un trouble mental.
Les critères d’exclusion actuellement proposés vont à l’encontre de dizaines d’années de travail public pour déstigmatiser la maladie mentale et semblent aussi aller à l’encontre de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, dont l’objectif principal est de promouvoir, de protéger et d’assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.
La distinction établie entre la maladie mentale et la maladie physique est incompatible avec les données médicales disponibles. En fait, il y a un grand chevauchement entre les maladies physiques et mentales. Certaines maladies mentales, comme la démence, peuvent s’assortir de manifestations mentales, et certaines maladies physiques, comme la maladie de Huntington, peuvent comprendre des manifestations mentales. Par ailleurs, la vulnérabilité ne se limite pas aux personnes aux prises avec une maladie mentale. De nombreuses personnes ayant une maladie non psychiatrique sont aussi vulnérables en raison de circonstances psychosociales, comme l’isolement social ou la pauvreté, les distorsions cognitives et la démoralisation attribuable à l’échec des tentatives de traitement, ou la difficulté à s’adapter à la vie avec leur maladie.
La trajectoire de la maladie physique peut être aussi imprévisible que celle de la maladie mentale. La démoralisation et la perte d’espoir peuvent survenir, tout comme la rémission spontanée. Prédire les résultats d’un traitement constitue autant un défi pour la psychiatrie que pour le reste de la médecine. L’APC appuie le besoin de mesures de protection et l’évaluation des critères d’admissibilité. Les psychiatres possèdent une formation et une expertise spécialisées dans l’évaluation, le diagnostic et le traitement des maladies mentales, y compris l’évaluation de la capacité décisionnelle ainsi que de la durabilité, de la stabilité et de la cohérence entre la volonté et les préférences exprimées d’une personne. Les psychiatres sont habiles pour prendre en considération toute contrainte externe ou toute psychopathologie interne qui peut avoir une incidence sur ces questions.
Le projet de loi C-7 traite de l’obligation concernant le consentement éclairé et du fait que des moyens raisonnables et disponibles permettant d’atténuer les souffrances d’une personne ont été examinés et sérieusement pris en considération avant la fourniture de l’AMM. Même si l’APC soutient cette disposition, nous constatons qu’elle ne permet pas de réagir aux inégalités dans la fourniture de services et le financement pour tous les types d’affections, et c’est un aspect particulièrement problématique pour les personnes vivant avec une maladie mentale. De telles inégalités sont davantage exacerbées chez les gens qui vivent dans des régions rurales ou éloignées. Les mesures de protection actuellement proposées sont vides de sens si elles ne sont pas essentiellement offertes à tous les Canadiens.
En conclusion, que la maladie soit physique ou mentale ou les deux à la fois, l’accès équitable à des services cliniques est une mesure de protection essentielle pour faire en sorte que les gens ne demandent pas l’AMM en raison d’une absence de traitements, de mesures de soutien ou de services offerts et comme option de rechange à la vie. Peu importe les options concernant l’AMM, ce que le psychiatre ou le professionnel des soins de santé veut pour ses patients, c’est un accès opportun à un traitement et à des services appropriés. L’APC presse le gouvernement de s’assurer que cette loi protégera les droits des Canadiens vulnérables sans instaurer une stigmatisation et une discrimination indues à l’égard des personnes souffrant d’un trouble mental.
La présidente : Merci beaucoup, docteure Neilson.
Dr Tarek Rajji, chef, neurodéveloppement de l’adulte et géronto-psychiatrie, professeur de psychiatrie, Université de Toronto, Centre de toxicomanie et de santé mentale : J’aimerais remercier les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de me donner l’occasion de comparaître devant vous pour discuter du projet de loi C-7 et précisément, de l’amendement portant que les personnes dont le seul problème médical sous-jacent est une maladie mentale ne sont pas admissibles à l’AMM.
Je m’appelle Tarek Rajji et je suis professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto et chef, neurodéveloppement de l’adulte et géronto-psychiatrie au Centre de toxicomanie et de santé mentale, ou CAMH, à Toronto. Le CAMH est le plus grand hôpital d’enseignement en santé mentale du Canada et l’un des principaux centres de recherche au monde dans son domaine. Le CAMH utilise son expertise dans la recherche en soins cliniques, l’éducation et l’établissement d’un système pour améliorer la vie des personnes touchées par la maladie mentale, y compris celles ayant des problèmes de toxicomanie.
Depuis 2015, un groupe de travail composé de membres du CAMH possédant une expertise en psychiatrie, en travail social, en droit, en éthique et en politiques publiques et ayant une expérience vécue a tenu des délibérations régulières sur l’AMM et la maladie mentale. C’est notre avis d’expert collectif que le projet de loi C-7 fait bien les choses. Nous convenons que l’AMM devrait faire l’objet d’une interdiction temporaire pour les personnes dont le seul problème de santé est la maladie mentale jusqu’à ce que, comme l’énonce le préambule du projet de loi, des consultations additionnelles et d’autres délibérations permettent de décider s’il est indiqué de fournir l’AMM aux personnes atteintes d’une maladie mentale lorsque celle-ci est la seule affection médicale invoquée et, le cas échéant, pour décider de la manière de le faire, compte tenu des risques inhérents que comporte le fait de permettre l’AMM dans de telles circonstances et de la complexité de la question.
La raison pour laquelle nous soutenons cette interdiction temporaire, c’est qu’il y a actuellement une absence de consensus dans le domaine de la santé mentale pour ce qui est d’établir si une personne souffre d’une maladie mentale irrémédiable. Histoire d’expliquer cela davantage, pour être admissible à l’AMM, une personne doit avoir un problème de santé grave et irrémédiable. Sa maladie ou son incapacité doit être incurable, irréversible ou irrécupérable et causer des souffrances intolérables.
La gravité d’une maladie est subjective, et il ne fait aucun doute que certaines personnes ayant une maladie mentale éprouvent des souffrances psychologiques intolérables et parfois physiques en raison de leurs symptômes.
La nature irrémédiable d’une maladie, toutefois, est une décision objective qui doit reposer sur les meilleures données médicales disponibles. La préoccupation du CAMH, c’est qu’il n’y a actuellement aucun critère établi qui définit si et quand une maladie mentale devrait être considérée comme irrémédiable. Cela tient au fait qu’il n’y a simplement pas suffisamment de données probantes dans le domaine de la santé mentale à l’heure actuelle pour que l’on puisse prédire la trajectoire de la maladie mentale d’une personne et vérifier si une personne a une maladie mentale irrémédiable. Cela veut dire que les critères concernant le caractère irrémédiable d’une maladie mentale seraient ouverts à interprétation par chaque évaluateur de l’AMM. Toute décision selon laquelle une personne possède une maladie mentale irrémédiable serait intrinsèquement subjective et donc arbitraire. Cela mettrait des gens ayant une maladie mentale à risque d’accéder à l’AMM alors qu’ils ne satisferaient pas en réalité aux critères d’admissibilité.
Par conséquent, le CAMH recommande fortement que des critères reposant sur des données probantes soient élaborés avant toute décision visant à lever l’interdiction temporaire sur l’AMM pour les personnes dont la seule affection médicale est une maladie mentale. Ces critères devraient établir une définition consensuelle pour ce qui est de savoir à quel moment une maladie mentale devrait être considérée comme irrémédiable aux fins de l’AMM.
Le CAMH recommande que le gouvernement nomme un groupe de travail expert pour élaborer ces critères dans un délai raisonnable, vu la complexité de la tâche. Le groupe de travail devrait élaborer les critères en consultation avec un vaste éventail d’experts dans le domaine de la santé mentale, y compris des gens ayant vécu une expérience de maladie mentale et des membres de la famille. L’introduction de ces critères reposant sur des données probantes devrait s’accompagner d’une formation pour les évaluateurs de l’AMM. Le CAMH serait heureux de participer à l’élaboration et à la communication des critères.
Encore une fois, je vous remercie de m’avoir fourni l’occasion de vous parler aujourd’hui de ce sujet complexe et nuancé.
La présidente : Merci, docteur Rajji.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci à nos trois témoins de leur présence aujourd’hui.
En fait, j’aimerais obtenir un peu plus de détails sur les risques associés.
Nous le savons tous, quand le projet de loi C-7 a été rédigé pour élargir la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir, le gouvernement avait plusieurs options. On aurait pu ne rien préciser pour la maladie mentale, on aurait pu exclure complètement tout accès à l’aide médicale à mourir lorsqu’il y a présence de maladie mentale ou, comme c’est le cas ici, exclure la maladie mentale lorsque c’est l’unique condition médicale invoquée. C’est ce que fait le projet de loi C-7.
On s’aperçoit cependant qu’il n’y a pas nécessairement de consensus et que les avis peuvent être divisés. Cela m’intéresse, docteur Rajji, et vous avez beaucoup parlé des risques et des complexités, mais j’aimerais aussi entendre les deux autres témoins sur cette même question.
Donc, au sujet des risques associés et de la complexité des trajectoires, est-ce que les deux autres témoins pourraient nous donner leur avis en la matière?
[Traduction]
Dr Rajji : Si j’ai bien compris la question, la question s’adresse aux deux autres témoins.
La sénatrice Petitclerc : Oui. Peut-être que quelque chose s’est perdu dans la traduction. Ma question s’adressait aux deux autres témoins, afin de recevoir leurs commentaires sur ce que vous avez décrit en matière de risque et de trajectoire ainsi que sur la complexité de la question. Je souhaitais entendre les deux autres témoins sur le même sujet.
M. Galley : Je ne suis pas entièrement certain de comprendre la question.
La sénatrice Petitclerc : Permettez-moi de reformuler en anglais. À l’exclusion de la maladie mentale comme seul critère pour avoir accès à l’AMM, ce que nous entendons dire, c’est que les opinions sont divisées parmi les experts. C’est ce que nous avons entendu dire. Mais nous parlons aussi beaucoup des risques associés à la maladie mentale qui ne sont pas exclus à l’heure actuelle. Le Dr Rajji a parlé de ces risques et des complexités, et je voulais avoir votre opinion sur ce sujet également.
M. Galley : La position du CHMA s’aligne étroitement sur ce que le Dr Rajji a laissé entendre. J’aurais peut-être pu m’exprimer plus clairement pour la faire comprendre. Il y a des risques. Il y a des preuves, par exemple, que si vous avez une cohorte de personnes souffrant d’un trouble dépressif majeur, un nombre important d’entre elles se rétabliront dans une certaine mesure — que ce soit la rémission de tous leurs symptômes au moyen d’un traitement et de mesures de soutien ou l’atteinte d’une certaine stabilité, auquel cas elles peuvent toujours éprouver des symptômes, mais ont l’impression d’avoir trouvé un sens à la vie malgré ceux-ci.
Un des risques, c’est que, dans la situation actuelle, si vous demandiez à des experts qui participent au début du traitement de cette cohorte qui va se rétablir et qui ne le fera pas dans un délai de trois à cinq semaines, par exemple, l’exactitude de la prévision serait assez faible. Dans la mesure où vous comptez sur des experts pour autoriser une personne qui ne pourra pas se rétablir à se prévaloir de l’AMM... il n’y a pas cette confiance en ce moment. Les données probantes donnent à penser que l’absence de consensus n’est pas qu’une question philosophique concernant le fait de savoir si l’AMM devrait être offerte. L’absence de consensus rejoint aussi l’aspect clinique pour ce qui est de savoir qui présente un cas irréversible ou irrémédiable d’un diagnostic particulier.
La présidente : Docteure Neilson, le temps de la sénatrice Petitclerc est écoulé, mais comme il y a eu un peu de confusion, pourriez-vous répondre en une minute?
Dre Neilson : L’APC ne s’oppose pas vraiment à l’opinion exprimée par le Dr Rajji. Il y a des questions juridiques, cliniques, éthiques, morales et philosophiques convaincantes, et parfois concurrentes qui rendent cette question particulièrement difficile. D’une part, nous voulons respecter le choix autonome des personnes ayant une maladie mentale et tenir compte de ce choix, en plus de promouvoir l’inclusion sociale. D’autre part, il y a des principes sociétaux et médicaux éthiques de bienveillance et de non-malfaisance, ainsi que le désir de protéger des personnes peut-être vulnérables contre les conséquences irréversibles de leur décision. Chacune de ces impulsions est assez compréhensible, mais elles peuvent chacune être source d’abus et de discrimination, et c’est pourquoi les mesures de protection sont importantes.
La présidente : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux différents médecins et porte sur le concept de « maladie mentale ». Selon ma compréhension du projet de loi, la maladie mentale ne serait pas un motif ou une raison pour demander l’aide médicale à mourir. Pourtant, le document qui accompagne le projet de loi du gouvernement nous dit que certaines maladies mentales ne feraient pas partie de l’exclusion. Donc, a contrario, les personnes souffrant de troubles neurocognitifs, de troubles neurodéveloppementaux ou d’autres conditions susceptibles d’affecter les capacités cognitives, comme les démences, les troubles du spectre de l’autisme et les déficiences intellectuelles, pourraient avoir droit à l’aide médicale à mourir. Pour vous, à titre d’expert, est-ce que la maladie mentale est exclue ou non de l’application de l’aide médicale à mourir? Dans l’affirmative, comment pouvez-vous vous retrouver avec un document qui n’est pas dans la loi, qui soutient l’adoption du projet de loi et qui donne une définition, une exclusion de la définition des termes « maladie mentale » qui inclut ces concepts?
[Traduction]
Dr Rajji : Si je vous ai bien compris, la première partie de la question concerne le fait de savoir si la maladie mentale devrait être exclue du projet de loi.
Au CAMH, nous croyons que la seule maladie mentale ne doit pas être la raison pour laquelle la maladie mentale est exclue comme unique affection. La raison pour laquelle nous disons qu’il devrait y avoir une interdiction temporaire sur la maladie mentale, c’est parce que, comme pour d’autres maladies, la personne doit satisfaire au critère selon lequel la nature de la maladie est irrémédiable. Et ce critère, la nature irrémédiable de la maladie, n’a pas été défini pour la maladie mentale.
Nous sommes d’avis que, avant que cette définition soit bien comprise et que ce critère soit bien défini dans le cas de la maladie mentale, définition qui pourrait être différente de celle pour une autre maladie physique, y compris certaines maladies neurodégénératives comme l’alzheimer, nous appuyons l’exclusion temporaire de la maladie mentale comme unique affection concernant le projet de loi C-7. Je ne sais pas si cela répond bien à la question.
[Français]
Le sénateur Carignan : Permettez-moi de préciser ma question. Selon vous, une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui n’a pas encore de déficiences physiques, mais qui a des déficiences intellectuelles, est-elle admissible à l’aide médicale à mourir, en fonction de la lecture que vous faites du projet de loi?
[Traduction]
Dr Rajji : La maladie d’Alzheimer est le plus souvent une maladie neurodégénérative. Des marqueurs clairs définissent sa trajectoire. Nous estimons qu’elle se situe à l’extérieur de la portée de la maladie mentale, du point de vue du CAMH. Elle diffère d’autres problèmes de santé mentale comme la dépression, la schizophrénie ou le trouble bipolaire, où nous ne connaissons pas les mécanismes biologiques sous-jacents et avons une moins grande certitude concernant leur trajectoire. Lorsque nous parlons de maladie mentale, nous ne faisons pas référence à ces maladies neurodégénératives qui, dans certaines conditions, ont des trajectoires claires qui pourraient laisser prédire, selon la présentation des symptômes, quelle pourrait être la condition clinique d’une personne d’ici trois à cinq ans.
La présidente : Merci.
La sénatrice Batters : Tout d’abord, je tiens à remercier les membres du comité de tout ce que vous faites pour aider les gens qui doivent composer avec une maladie mentale, tout particulièrement durant la pandémie, ces problèmes ayant été plus prononcés.
Ma première question s’adresse à M. Galley, de l’Association canadienne pour la santé mentale. Tout d’abord, je tiens à vous dire combien j’ai trouvé votre exposé bien formulé. Merci. L’énoncé de position de l’ACSM sur le suicide médicalement assisté est ainsi libellé :
Les patients psychiatriques comptent souvent sur leur psychiatre ou médecin pour obtenir des réponses, et si la mort, plutôt que le rétablissement, est considérée comme une option viable sur le plan médical, le manque d’espoir qui en résulte peut leur coûter la vie.
Et plus loin, vous dites ceci :
De manière générale, la position de l’ACSM sur l’AMAM au Canada est que les gens doivent recevoir une aide à vivre et à s’épanouir, avant de recevoir une aide à mourir.
Je suis très heureuse que vous témoigniez devant notre comité sénatorial des affaires juridiques, puisque vous ne l’avez pas fait devant le comité de la Chambre des communes, et je sais que vous représentez une voix essentielle pour les millions de Canadiens qui doivent composer avec une maladie mentale. Quelles mesures de protection aimeriez-vous voir dans le projet de loi C-7 afin de mieux protéger les Canadiens confrontés à une maladie mentale?
M. Galley : Je crois que c’est une question au sujet de laquelle nous nous mettons au travail en fonction des circonstances nouvelles. Au printemps, nous avons fait un certain travail d’ouverture quant à une mise à jour de notre position, compte tenu de la décision Truchon. Nous voulions vraiment étoffer notre position sur la raison pour laquelle nous croyons au rétablissement et sur le contexte connexe.
Je vais vous avouer que nous n’avons pas vraiment une réponse bien élaborée par rapport à la façon dont les mesures de protection devraient être améliorées, selon nous, par rapport au projet de loi C-7. Principalement, nous avons été heureux de voir que la maladie mentale a été exclue comme motif pour l’AMM. Comme vous l’avez dit, dans le contexte de la pandémie et de ses répercussions sur nos activités, nous avons examiné d’autres choses au cours des derniers mois.
La sénatrice Batters : Tout à fait.
M. Galley : À mesure que ce processus va de l’avant, je suis sûr que nous aurons plus de choses à dire. Malheureusement, en ce moment, je ne ferais qu’improviser des suggestions.
La sénatrice Batters : Je crois que le gouvernement presse peut-être trop cette question également, en raison de la pandémie et de ces types d’enjeux, si une organisation nationale bien connue comme le CMHA n’a pas eu le temps nécessaire pour mener les consultations. Ce n’est pas quelque chose d’inhabituel.
Ma deuxième question est destinée à l’Association des psychiatres du Canada. Je suis heureuse de vous avoir entendu dire, dans votre déclaration liminaire, qu’il existe un gouffre, même au sein de votre organisation, relativement à cette question. Je crois savoir qu’un sondage effectué par l’Association des psychiatres du Canada en 2016 a révélé que, même si 70 % des psychiatres canadiens appuyaient l’AMM en général, moins de 30 % s’opposaient à exclure la maladie mentale comme unique indication de l’AMM.
Je crois aussi savoir que, au cours des dernières années, l’adhésion des psychiatres canadiens à l’APC a baissé en deçà de 50 %, chutant à 44 % en 2018 et à 41 % en 2019. Compte tenu de ce fait — et je sais que l’APC a essuyé quelques critiques concernant le manque de mobilisation psychiatrique dans l’élaboration de la position sur l’AMM — quelle est la représentativité des opinions que vous faites valoir aujourd’hui en ce qui concerne les psychiatres canadiens?
Dre Neilson : Merci de poser la question. L’APC consulte ses membres sur cette question depuis 2016 au moyen de sondages, de groupes de travail ponctuels et de symposiums dans le cadre de conférences annuelles. Récemment, à la suite du changement de l’opinion sociétale concernant l’accessibilité de l’AMM comme intervention médicale, nous avons recueilli des renseignements sur la gamme d’opinions au sein des membres de l’APC au moyen d’un nouveau sondage, d’assemblées publiques de membres et d’une demande de commentaires écrits de la part de nos membres. Ces renseignements ont été renforcés par les commentaires de membres des associations psychiatriques provinciales ainsi que des académies de sous-spécialités psychiatriques : psychiatrie de l’enfance, de l’adolescence, de la gériatrie, psychiatrie judiciaire et psychiatrie de la consultation.
Nous ne croyons pas qu’il y aura un consensus clair relativement au fait de savoir si l’accès à l’AMM devrait être autorisé uniquement en raison d’un trouble mental. Nous cherchons toujours à recueillir les points de vue de nos membres, mais je soupçonne qu’il continuera d’y avoir une diversité d’opinions médicales, comme c’est le cas dans d’autres secteurs de la société. Le mieux que nous puissions faire, c’est de déterminer quelles opinions médicales sont les plus pertinentes selon vous.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur Campbell : Je remercie les témoins d’être venus aujourd’hui. J’aimerais pouvoir mettre en banque du temps pour les questions, parce que j’en ai beaucoup à poser.
Le première chose que je veux demander est la suivante : une personne qui reçoit un diagnostic de maladie mentale est-elle en mesure de donner son consentement éclairé, ou cela dépend-il du diagnostic de la maladie mentale?
M. Galley : Je dirais que la réponse par défaut devrait être « oui », sauf preuve du contraire. La maladie mentale ne nuit pas à la capacité d’une personne de consentir et de prendre des décisions éclairées au sujet de sa vie.
Le sénateur Campbell : D’accord.
Nous utilisons le mot « possible » au lieu de — je suppose que le contraire serait — « probable ». Je pense au cancer, par exemple. Un médecin vous dit que vous avez un cancer de stade 5; ce n’est pas une bonne nouvelle, et le résultat probable est que vous mourrez. Nous utilisons cela ici comme la possibilité de pouvoir aider la personne aux prises avec la maladie mentale par rapport aux probabilités.
Je crois que tout est possible, mais quelles sont les probabilités que vous puissiez le faire? J’ai l’impression qu’elles sont assez élevées. Monsieur Galley, est-ce vrai?
M. Galley : La probabilité dépend du diagnostic ainsi que de la situation individuelle de la personne. Mais je dirais que les données probantes montrent que la probabilité d’atteindre un certain niveau de rétablissement est assez élevée, et ce n’est donc ni la rémission des symptômes ni l’atteinte d’un stade où la personne sent qu’elle a le contrôle et un objectif dans sa vie, même s’il se peut qu’elle vive avec des symptômes, si l’on présume qu’elle reçoit le traitement et les mesures de soutien qui sont appropriés pour elle.
Le sénateur Campbell : Enfin, vous avez dit dans une réponse à la question de la sénatrice Batters que vous n’aviez pas eu le temps d’élaborer un plan. Combien de temps vous faudrait-il pour le faire? C’est important.
M. Galley : Je crois que le fait de ne pas avoir assez de temps n’est pas exactement la façon dont je présenterais les choses. Je dirais que, une fois que nous avons vu que la maladie mentale a été exclue comme la seule raison sous-jacente pour l’AMM, et dans le contexte de la pandémie, qui a brouillé beaucoup de nos opérations de première ligne et retenu beaucoup de notre attention, nous n’avons pas privilégié et examiné cette question. Donc, s’il était nécessaire de le faire, je suis sûr que nous pourrions y arriver en quelques mois, peut-être. Cela dépendrait du niveau de détail et du public, bien sûr.
Le sénateur Campbell : Merci beaucoup.
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse à la Dre Neilson.
Je crois comprendre, docteure Neilson, que vous vous accordez avec les deux autres associations pour dire qu’il y a une forte possibilité de rétablissement pour les personnes qui souffrent d’une maladie mentale. En même temps, je crois comprendre que votre association estime qu’il serait discriminatoire d’exclure complètement les personnes qui souffrent d’une maladie mentale au moyen d’un décret législatif.
Donc, que proposez-vous en matière de mesures de protection si nous décidons d’inclure la maladie mentale comme maladie possible pour le deuxième volet? Quel type de mesures de protection devrions-nous mettre en place?
Dre Neilson : Cette question s’adressait-elle à l’APC?
Le sénateur Dalphond : Oui, à vous, docteure Neilson.
Dre Neilson : Merci de poser la question. Tout d’abord, en tant que psychiatres et que société, nous devons nous assurer que les Canadiens vulnérables ont accès à des soins appropriés reposant sur des données probantes et ont à leur disposition un vaste éventail de mesures de soutien et de services appropriés afin qu’ils puissent participer pleinement et réellement à la société sur un pied d’égalité avec d’autres personnes, de manière à ce qu’ils ne choisissent pas l’AMM comme solution de rechange. Le consentement à une intervention comme l’AMM n’est pas valide s’il résulte de la coercition ou de l’absence d’autres choix.
Des mesures de protection supplémentaires qui pourraient devoir être examinées au moyen d’un règlement comprennent des choses comme le fait de s’assurer que la qualité des données médicales utilisées pour évaluer l’admissibilité à l’AMM respecte les normes médicales les plus élevées possible, et cela concerne le fait de savoir quelles normes en matière de données médicales devraient être exigées de la personne qui doit prendre des décisions à l’égard de la capacité.
Ensuite, il s’agit d’établir des normes liées aux procédures et aux processus d’évaluation, de sorte que la façon dont les critères d’admissibilité sont appliqués partout au pays soit uniforme, et de manière à respecter l’intention de la loi, comme, peut-être, au moyen de l’établissement d’un processus de surveillance efficace qui est prospectif et rétrospectif, puis, bien sûr, d’activités de recherche et d’évaluation des politiques et des pratiques en place.
Je crois qu’un certain nombre de mesures de protection pourraient aider à protéger les personnes vulnérables.
Le sénateur Dalphond : Êtes-vous d’accord avec les autres experts, y compris le Conseil des académies canadiennes, qui disent que les connaissances au sujet des troubles mentaux ne sont pas certaines et que nous devrions effectuer plus de recherches à ce sujet? Cela appelle-t-il à des précautions? À moins que nous ayons plus de renseignements, devrions-nous empêcher les gens qui souffrent d’un trouble mental en tant que seule affection d’accéder au deuxième volet de l’AMM par mesure de précaution?
Dre Neilson : Je crois que c’est une décision législative. Comme je l’ai dit dans le mémoire, c’est très difficile d’établir une distinction entre des troubles physiques assortis d’un aspect mental et les seules affections mentales sous-jacentes. Cela rend très difficile de créer une catégorie distincte de gens qui pourraient être admissibles à l’AMM.
La sénatrice Martin : Je remercie tous les témoins.
Les questions viennent de soulever plus de questions au sujet du délai pour faire les choses. Si je peux poursuivre sur la question du sénateur Dalphond à la Dre Neilson, lorsque vous avez parlé des trois mesures de protection qui seraient nécessaires à votre avis, cela comprendrait des normes pour le processus d’évaluation, la surveillance efficace, et vous avez mentionné une autre mesure. J’imagine qu’il faudrait un certain temps pour les élaborer.
Ces mesures de protection sont-elles déjà en place? Nous parlons en ce moment du projet de loi C-7, et ce n’est pas dans six mois ou dans un an. Nous aborderons ce projet de loi peut-être la semaine prochaine. Pourriez-vous confirmer que ces mesures de protection que vous avez mentionnées sont en place? Dans le cas contraire, combien de temps faudrait-il pour pouvoir les mettre en place de façon réaliste?
Dre Neilson : Merci. Je ne peux pas dire que tout l’éventail des mesures de protection pourrait être en place pour faire en sorte que les Canadiens vulnérables ne deviennent pas encore plus vulnérables en raison de cette loi. Je ne sais pas combien de temps il faudrait, mais je peux vous dire que notre association travaille sur ces mesures depuis 2016.
La sénatrice Martin : Oui, je le sais. Vous en aviez parlé, mais vous avez aussi dit que vous étiez en train de recueillir des commentaires auprès de vos membres. C’était il y a quatre ans. Si nous examinons la loi et le projet de loi C-7 à partir de la semaine prochaine, qui passera à la deuxième et à la troisième lectures, ces mesures de protection que vous avez mentionnées qui seraient essentielles — j’ai l’impression que nous ne sommes pas prêts pour ce projet de loi, même si nous devions faire quelque chose pour qu’il soit prêt à être utilisé et accessible. Nous n’avons pas les mesures de protection en place pour ces personnes vulnérables.
Permettez-moi de poser une question au Dr Rajji. Lorsque vous avez dit que nous avions besoin d’évaluateurs formés de l’AMM au Canada, qu’est-ce que cela voudra dire pour les personnes qui souffrent d’une maladie mentale? Avons-nous suffisamment d’évaluateurs de l’AMM pour fournir une évaluation exacte dans le cas de telles personnes?
Dr Rajji : Ce que j’entendais par là, c’est que nous devons former plus de psychiatres pour effectuer ces évaluations. Précisément, je faisais aussi allusion au fait que, après avoir élaboré les définitions pour ces critères précis, nous devons former des psychiatres qui pourront appliquer ce critère à des personnes, parce que c’est très complexe et nuancé. Si nous arrivons à rédiger une définition concernant la nature irrémédiable dans le contexte de la maladie mentale, alors nous devons former les psychiatres sur la façon de l’appliquer, parce que c’est une chose complexe et nuancée que d’établir une distinction quant à savoir quand une maladie est potentiellement remédiable et quand elle ne l’est pas, compte tenu de la diversité des trajectoires à l’échelon individuel.
Contrairement à certaines maladies physiques où, oui, il y a des probabilités, et parfois des probabilités plus élevées que pour d’autres, pour bon nombre de maladies mentales, y compris les maladies mentales graves, certaines des études longitudinales montrent que 30 % des gens entrent en rémission, 30 % des cas demeurent inchangés et 30 % des cas s’aggravent. Vous pouvez donc voir qu’il y a beaucoup d’incertitude à l’échelon individuel pour ce qui est de savoir dans quel groupe ces personnes se situeront. C’est là qu’interviendra la formation, une fois que nous aurons rédigé une définition pour le mot « irrémédiable » dans le contexte de la maladie mentale.
La sénatrice Martin : C’est très complexe. Selon ce que vous dites tous, je sens que nous avons besoin de disposer de plus de temps et aussi de faire très attention. Merci beaucoup.
La sénatrice Boyer : Ma question s’adresse à M. Galley. Elle porte sur les Autochtones et le suicide.
Nous savons que de nombreux Autochtones se suicident ou envisagent le suicide en raison des difficultés continues liées aux inégalités socio-économiques, aux traumatismes coloniaux intergénérationnels et au manque d’accès à des services de santé mentale. De fait, les taux de suicide chez les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont beaucoup plus élevés que chez les non-Autochtones. Pour les Métis, le taux est deux fois plus élevé; pour les Premières Nations, c’est trois fois plus, et pour les Inuits, il est presque neuf fois plus élevé.
Vu que le projet de loi C-7 abroge la disposition sur la mort « raisonnablement prévisible », est-ce que les mêmes facteurs qui entraînent un taux de suicide plus élevé chez les populations autochtones pourraient aussi contribuer à une augmentation du nombre d’Autochtones qui demandent l’accès à l’AMM?
M. Galley : À ce chapitre, nous nous sommes attachés à la question de l’inclusion pour des raisons de santé mentale, donc, dans la mesure où la maladie mentale est exclue du projet de loi C-7, je dirais non.
Par ailleurs, si vous dites que des Autochtones qui vivent dans une situation de handicap pourraient être admissibles au titre de la loi parce qu’ils présentent une affection irréversible et irrémédiable, seraient-ils plus susceptibles que des Canadiens non autochtones souffrant du même trouble de demander l’AMM en raison d’un manque d’accès aux services? Cela semble certes vraisemblable, mais je ne dirais pas que j’ai une opinion d’expert sur la question ni que le CMHA en a une. C’est tout à fait vrai que la santé mentale des Autochtones nous préoccupe grandement. Je crois que la complexité ou la nuance dans votre question devrait être la suivante : cette différence sur le plan de l’iniquité et les traumatismes coloniaux de même que les résultats du racisme systémique feront-ils en sorte que les gens demanderont l’AMM pour cause de maladie mentale? Ils ne sont pas admissibles à l’AMM en raison d’une maladie mentale au titre de la loi, donc, en théorie, non.
Toutefois, s’il s’agit d’une comorbidité assortie d’autres troubles qui pourraient être admissibles et que vous avez un segment particulier de la population, comme les Autochtones au Canada qui ont déjà du mal à accéder à des mesures de soutien et à des soins de santé appropriés, c’est assurément une question qui devrait être examinée.
La sénatrice Boyer : Et tout particulièrement dans les soins de santé mentale. Merci beaucoup de votre réponse.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D’abord, merci beaucoup à nos invités de traiter de sujets des plus délicats, des plus difficiles et des plus complexes.
Docteur Rajji et docteure Neilson, j’ai l’impression qu’il y a un point en commun entre le projet de loi C-14, qu’on a adopté 2016, et le projet de loi C-7, que nous étudions en 2020. Il y a un facteur commun qui fait en sorte qu’on laissera beaucoup de gens en plan, parce qu’on a pris du retard dans la recherche et pour toutes sortes d’excuses. Je pense qu’encore une fois, ce sont les tribunaux qui devront gérer le problème à votre place, les médecins qui doivent faire de la recherche en ce sens.
Alors, à tous ces patients qui revendiquent des droits égaux face à ceux qui souffrent de maladies physiques, que leur répondez-vous dans votre pratique au quotidien? À ceux qui souffrent de maladies mentales graves qui leur rendent la vie pratiquement impossible, répondez-vous qu’on ne peut pas leur donner les mêmes droits qu’aux patients souffrant d’autres maladies? Qu’est-ce que vous leur répondez?
[Traduction]
Dr Rajji : Merci de poser la question. Je ne dis pas que je n’accorde pas les mêmes droits que ceux que j’accorde à d’autres Canadiens, si c’est l’affection en question. Je suis tout à fait d’accord pour dire que tout le monde doit disposer de droits égaux, et c’est pourquoi nous croyons aussi que la maladie mentale devrait être traitée de la même façon que toute autre maladie physique ou tout autre trouble médical.
Ce que je dirais, c’est que je dois garder à l’esprit que, quand je tente de fournir des soins médicaux fondés sur des données probantes, je dois aussi comprendre et définir le type de médecine que je pratique. Si un des facteurs de la médecine est de définir les critères de la même façon qu’il y a des définitions de la capacité, de l’âge et des souffrances, je crois que nous sommes maintenant confrontés à une définition que nous appliquons à…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Docteur Rajji, j’étais présent en 2016 lors de l’étude du projet de loi C-14 et j’ai l’impression qu’on nous donne encore les mêmes réponses, cinq ans plus tard, en ce qui a trait au manque de connaissances et à l’incertitude.
Cependant, pour ces gens qui souffrent et qui désirent mettre fin à leur vie de façon, dirais-je, très honnête et consciente, car elles souffrent vraiment de maladies qui rendent leur vie impossible, dans combien de temps la médecine répondra-t-elle à leurs attentes en fonction des connaissances, qui semblent évoluer très très lentement, si l’on parle de la psychiatrie et d’autres spécialités de la médecine?
[Traduction]
Dr Rajji : Encore une fois, ce que je dis, c’est que nous devons pratiquer une médecine fondée sur des données probantes. C’est pourquoi, à notre avis, au CAMH, il y a une différence entre des souffrances intolérables et la gravité et la nature irrémédiable d’une maladie. Quand je parle à mon patient, je mets l’accent sur l’espoir et sur le fait que, même s’il souffre maintenant, je ne peux vraiment pas dire à mon patient si les souffrances cesseront d’exister l’an prochain, ou l’année d’après ou le mois prochain. C’est l’état actuel de nos connaissances à l’égard des maladies mentales. Je mets l’accent sur un message d’espoir vu que nous ne connaissons pas la trajectoire, et les données probantes donnent à penser que le rétablissement est probable tout autant que le non-rétablissement. Je ne peux pas dire à un patient individuel quelle trajectoire précise sa maladie empruntera.
C’est pourquoi, encore une fois, nous croyons qu’il est nécessaire de distinguer la définition d’irrémédiable, qui doit reposer sur des données probantes objectives, comme lorsqu’une personne est aux prises avec certaines des affections qui ont été mentionnées, comme la maladie de Huntington. Nous disposons de certaines données probantes au sujet de la trajectoire que nous n’avons pas pour la définition de la gravité et des souffrances. Je ne minimise pas…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Docteur Rajji, est-ce que nos connaissances nous permettent de faire cette distinction aujourd’hui entre ce qui est irrémédiable et ce qui représente une trajectoire incertaine? Est-ce que vous pouvez faire cette distinction aujourd’hui, avec les connaissances que vous avez?
[Traduction]
Dr Rajji : Pour bon nombre des troubles de santé mentale, nous ne pouvons pas déterminer si une maladie est irrémédiable ou non en nous fondant sur la plupart des données probantes. C’est pourquoi, en ce moment, nous devons établir comment nous allons définir tout cela. Ce n’est pas une définition directe permettant de savoir si une maladie est irrémédiable ou non. Cela fait partie de la difficulté dans notre domaine de la santé mentale.
Certains travaux menés depuis 2016, y compris ceux du CAC, ont conclu qu’il n’y a pas de consensus, parce que plus de travail doit être fait. Malheureusement, c’est l’état actuel du domaine de la santé mentale et de la maladie mentale.
La sénatrice Keating : J’ai entendu quelqu’un d’entre vous dire que les patients aux prises avec une maladie mentale sont le plus souvent capables de donner leur consentement éclairé. Cela renforce la conclusion à laquelle je suis parvenue récemment après m’être entretenue avec certains psychiatres et médecins, et j’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Globalement, j’ai maintenant l’impression qu’il y a très peu de différence entre une maladie physique et une maladie mentale, en ce sens que la question tient vraiment au fait de savoir si la personne qui vit avec l’affection physique ou mentale est en mesure ou non d’évaluer réellement où elle se situe lorsqu’elle demande l’AMM, en fonction de son état. Il ne fait aucun doute qu’une personne souffrant d’une maladie physique n’est pas nécessairement, à un certain stade de cette maladie physique, en mesure mentalement d’évaluer pleinement si elle devrait ou non demander l’AMM. C’est vraiment une question, alors, qui doit être abordée et sérieusement prise en considération par son médecin.
Je m’inquiète du fait que nous accordons trop d’importance à des définitions auxquelles nous n’aurons jamais de réponse. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet. Ma question s’adresse à quiconque veut y répondre. Merci.
Dre Neilson : Je peux répondre en partie. Les médecins évaluent la capacité en fonction du cadre législatif qui prévaut. Pour nous, la bonne question clinique à poser est la suivante : quelle est la norme en matière de données médicales qui sera exigée au moment de prendre une décision à l’égard de la capacité? C’est vraiment une décision politique ou législative.
En ce moment, notre évaluation doit reposer sur la seule norme de la prépondérance des probabilités, mais je peux vous dire que, pour la plupart des évaluations de la capacité que nous faisons en tant que psychiatres, lorsque les enjeux pour la personne ou la société sont très élevés, les psychiatres utilisent habituellement un seuil plus élevé pour leur évaluation de la capacité.
Ce dont nous parlons, ce sont des seuils que, selon l’assemblée législative, une personne devrait atteindre pour que cette capacité soit réputée être présente.
La sénatrice Keating : La question n’est-elle pas vraiment de savoir si elles sont ou non correctement en mesure de prendre cette décision? Je ne voulais pas tant savoir si la loi devrait examiner ou non la question. Il s’agit vraiment de la personne, qu’elle ait une maladie physique ou mentale, et du fait de savoir si le médecin estime qu’elle est capable de fournir un consentement éclairé à ce moment-là. Je sais que la loi prévoit des restrictions à ce sujet, mais j’ai du mal à comprendre la différence, au moment de fournir un consentement éclairé, entre ceux qui souffrent d’un handicap physique et ceux qui souffrent d’un handicap mental.
Dr Rajji : Je conviens qu’il existe beaucoup de similitudes entre la maladie mentale et la maladie physique, y compris les souffrances. Ce sont des maladies, et nous devons les voir comme des maladies dans leur ensemble.
Toutefois, je n’admets pas le fait que, comme pour certaines maladies physiques, nous connaissons les probabilités des trajectoires pour les maladies mentales. Un exemple a été donné plus tôt concernant le cancer de stade 4. Je crois que, lorsqu’une personne reçoit un diagnostic de cancer de stade 4 et qu’elle est apte à fournir son consentement, même s’il demeure toujours des probabilités de trajectoires différentes, une trajectoire est associée à une probabilité beaucoup plus élevée qu’une autre. La science ne nous dit pas à ce moment-là de la maladie mentale qu’une certaine trajectoire à un certain échelon individuel est beaucoup plus probable qu’une autre. Vu le manque de données scientifiques probantes pour déterminer la probabilité la plus élevée pour une trajectoire plutôt qu’une autre, nous croyons qu’il est très difficile de définir à l’heure actuelle à quel moment une maladie est irrémédiable. Lorsqu’il y a une probabilité de rémission de 30 %, une probabilité de stabilité de 30 % et une probabilité d’aggravation de 30 %, je ne crois pas que nous pouvons dire que cette personne a une maladie irrémédiable dans de nombreux cas.
La question ne concerne pas la capacité. C’est pourquoi, dans notre position, nous revenons à la question fondamentale : comment définir une maladie irrémédiable dans le contexte de la maladie mentale. Cela ne ressemble pas beaucoup à bon nombre des affections physiques auxquelles nous pensons lorsque nous parlons de l’aide médicale à mourir.
La sénatrice Keating : Merci.
La sénatrice Boniface : J’essaierai d’être brève. Selon ce que nous avons entendu dire aujourd’hui, il semble qu’au moins un certain pourcentage de personnes qui reçoivent l’AMM souffrent d’un trouble mental comme comorbidité, et qu’il est impossible de dire quels effets le trouble mental concomitant a sur la décision de la personne de demander l’AMM. Pourriez-vous s’il vous plaît nous faire part de votre compréhension de la logique qui sous-tend le fait de permettre à des personnes ayant une comorbidité de demander l’AMM, mais de refuser aux personnes aux prises avec un trouble mental comme seule affection de demander l’AMM. J’adresserais ma question à l’Association des psychiatres du Canada. Merci d’être ici.
Dre Neilson : Je crois que la question met en évidence le fait que la vulnérabilité ne se limite pas aux personnes aux prises avec une maladie mentale et que les personnes qui ont un problème de santé physique peuvent aussi éprouver un problème de santé mentale qui peut influer sur leur prise de décisions. Vraiment, la question de savoir si une personne peut ou non prendre une décision est ce qui importe, que sa préoccupation concerne un handicap physique ou mental.
La sénatrice Boniface : Merci.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Il ne semble pas y avoir beaucoup de consensus sur le plan médical au sujet de la maladie mentale. Merci de le dire aussi candidement et aussi ouvertement, parce que nous avons à jongler avec certaines notions dans l’univers juridique. Si ces notions médicales — parce qu’on parle de l’aide médicale à mourir — ne sont pas claires, comment pourrez-vous m’empêcher de demander l’aide médicale à mourir, peu importe s’il y a un facteur biologique lié à ma maladie mentale ou non?
Ce que j’entends de votre part, c’est que nous devrions refuser l’aide médicale à mourir à des gens parce qu’il n’y a pas de consensus dans le monde médical. Nous sommes passés à un régime qui interdisait complètement l’aide médicale à mourir à un régime qui s’est installé au Québec en 2010, où l’on a établi le critère comme étant la capacité à donner un consentement éclairé.
Allons-nous revenir en arrière par rapport à cette question sur la foi d’une absence de consensus dans la communauté médicale?
[Traduction]
Dr Rajji : Notre position, c’est que je ne crois pas que nous reviendrions en arrière. Il n’y a jamais eu de consensus par rapport à la façon de définir une maladie irrémédiable dans le contexte de la maladie mentale. Je ne crois pas que nous ayons réellement fait le travail et qu’il y ait eu un consensus auparavant, de sorte que nous puissions retourner en arrière. La capacité n’a pas la même définition, et il doit y avoir des critères différents. Nous sommes d’avis que le travail n’a pas encore été effectué pour définir le critère irrémédiable dans le contexte de la maladie mentale.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je voulais être certaine d’avoir bien compris. Un des trois témoins nous a dit que, dans le cadre de la loi actuelle, il est possible d’obtenir l’aide médicale à mourir à cause d’une maladie mentale. Est-ce que j’ai bien entendu un de nos trois témoins dire cela?
[Traduction]
M. Galley : Avant l’adoption du projet de loi C-7, il n’aurait pas été possible d’obtenir l’AMM sauf si vous étiez en fin de vie. Vous n’auriez toujours pas pu demander l’AMM en raison d’une maladie mentale, parce que ce n’est pas une maladie terminale.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, je sais qu’il est 17 heures, mais je trouverais difficile d’interrompre la discussion maintenant.
La sénatrice Pate : Je remercie les témoins. J’aimerais revenir sur les questions des sénatrices Boyer et Boniface, ainsi que sur les commentaires de la Dre Neilson concernant le besoin de s’assurer que le consentement est valide et qu’il ne peut pas l’être s’il est le résultat de la coercition ou qu’il n’y a pas d’autres options.
Comme nous l’avons vu durant la pandémie, le manque de mesures de soutien adéquates sur le plan économique et social et sur leplan de la santé a eu pour effet que de nombreuses personnes ont été confrontées à des situations qui semblaient plutôt sombres. Je suis curieuse de savoir pourquoi vous pensez à ce moment-ci que le retrait de la fin de vie est un choix positif à la lumière du fait que nous voyons un si grand nombre de personnes... et que nous avons entendu aujourd’hui des témoignages devant le comité au sujet du lien inexorable entre le caractère inadéquat des soins et certaines des décisions de certaines personnes de choisir l’AMM.
M. Galley : Je dirais que le CMHA est neutre sur la question de savoir si le retrait du critère de la fin de vie est positif ou non. Je m’en remets à la décision du tribunal sur cette question, qui a été invalidée pour certains motifs. Le taux croissant de suicides, le risque d’automutilation et le désespoir sont assurément d’énormes préoccupations en ce moment, durant la pandémie. Nous avons fait le suivi de données qui montrent une croissance assez alarmante pour ce qui est du désespoir et des idées suicidaires chez la population générale, et même davantage dans le cas de certains groupes de gens, y compris ceux qui sont déjà aux prises avec des problèmes de santé mentale.
Encore une fois, j’aimerais établir une distinction, à savoir que, tel qu’il est proposé — et je suis peut-être naïf, mais je ne suis pas un expert juridique — le projet de loi exclut toujours l’AMM seulement en raison d’une maladie mentale. De façon à tout le moins hypothétique, une augmentation des idées suicidaires dans la population générale entraînerait-elle une hausse des demandes et des demandes remplies d’AMM en vertu de cette loi? En théorie, non. En théorie, nous ferions tout ce que nous pouvons, et j’espère que c’est ce que nous faisons. Le CMAH participe à certaines initiatives fédérales sur cette question afin de prévenir le suicide, d’intervenir et de réagir à cette préoccupation. Au moins à première vue, si le projet de loi C-7 maintient l’interdiction visant l’AMM pour les seules raisons liées à la santé mentale, alors je ne vois pas comment il pourrait contribuer à cette crise.
Par ailleurs, comme je l’ai dit à la sénatrice Boyer, si vous avez une comorbidité et que vous vous trouvez déjà dans une position désavantageuse, par exemple si vous faites partie d’un groupe qui a déjà du mal à accéder à des mesures de soutien suffisantes, alors il se peut que ces facteurs soient tous réunis.
Donc, si vous commencez à sentir que votre vie est intolérable et que vous avez une comorbidité assortie d’une maladie mentale et que ce projet de loi élimine le critère de fin de vie, vous pourriez soulever le sujet de l’AMM, alors que vous ne le feriez pas autrement.
Je ne suis pas sûr de savoir ce que cela dit au sujet du projet de loi lui-même. La pandémie est une circonstance qui instaure une crise en matière de santé mentale. Le fait de savoir si l’AMM est légale au Canada me paraît presque comme un enjeu distinct de cette crise.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je vous remercie, on a déjà répondu à ma question. Merci.
[Traduction]
La présidente : Nous voilà maintenant à notre dernier groupe de témoins aujourd’hui par Zoom. Nous accueillons le Dr Georges L’Espérance, président, neurochirurgien, de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. En outre, Helen Long, directrice générale, ainsi que l’honorable James S. Cowan, président, conseil d’administration et ancien sénateur, de Dying With Dignity Canada, se joignent à nous. Monsieur Cowan, comme vous l’avez entendu dire, vous nous manquez.
Puis-je demander à nos témoins de limiter leur exposé à sept minutes?
[Français]
Dr Georges L’Espérance, neurochirurgien, président, Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité : Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, je vous remercie beaucoup de cette invitation à venir discuter avec vous du projet de loi C-7. Neurochirurgien retraité, je fais moi-même de l’aide médicale à mourir et, à ce titre, je fais partie d’un groupe de discussion privé au Québec, comptant uniquement des médecins qui offrent ce dernier soin compassionnel et éthique, ce qui permet de faire des échanges très judicieux et formateurs. Les remarques qui suivront suscitent un fort consensus parmi nous et nourrissent les réflexions de l’association pour nos concitoyens.
Au Québec, du 1er avril 2019 au 31 mars 2020, 1 776 personnes ont reçu l’aide médicale à mourir, c’est-à-dire 2,6 % des décès globaux. Vous conviendrez qu’il s’agit d’un très faible pourcentage. Les maladies neurodégénératives représentent la deuxième catégorie de diagnostics les plus prévalents après le cancer.
Voici quelques commentaires sur le projet de loi. Les assouplissements suivants sont très pertinents, en particulier pour les personnes seules : premièrement, la demande d’aide médicale à mourir par écrit devant un seul témoin indépendant au lieu de deux; deuxièmement, la capacité pour une personne dont l’occupation est de fournir des soins de santé ou des soins personnels d’agir en qualité de témoin indépendant; troisièmement, la période de 10 jours de réflexion est abrogée et cet assouplissement est le fruit de la simple logique clinique. Nos patients qui demandent l’aide médicale à mourir ont, le plus souvent, un historique de maladie très long et ils sont parfaitement au courant de leur situation.
Quatrièmement, la renonciation au consentement final immédiatement préalable aux soins est, là aussi, une réponse qui correspond à la réalité clinique que nous vivons tous. Nos patients n’auront plus à refuser de médicaments contre la douleur afin de garder leur lucidité ni à craindre de perdre leur aptitude par délirium.
Nous sommes tout à fait d’accord avec la clause de renonciation écrite au préalable et nous suggérons cependant que la mesure de sauvegarde au paragraphe (3.4) soit révisée dans deux ans, pour être éventuellement abrogée grâce à l’expérience acquise.
Il reste trois points majeurs sur lesquels nous trouvons que le projet de loi C-7 devrait être bonifié. Premièrement, nous demandons que le concept de « mort naturelle raisonnablement prévisible » soit extirpé du projet de loi C-7 comme mesure de sauvegarde. Les autres critères prévus dans le projet de loi C-7 ont amplement fait la preuve au Canada que les « plus vulnérables » n’ont pas besoin d’autre protection pour leur garantir un accès juste et sécuritaire à l’aide médicale à mourir.
De plus, nos patients et nous, médecins de terrain, serons encore une fois aux prises avec un concept flou, non médical, parce que l’espérance de vie est une notion qui touche la moyenne, et non pas un individu en particulier. Cette mesure est inutile et redondante.
Si, malgré tout, le législateur veut conserver cette mesure, qu’il supprime au moins la période d’évaluation minimale de 90 jours. Cette période de soi-disant « réflexion » est une insulte à l’intelligence et à la souffrance de nos patients.
La révocation de ce critère soumettra la décision de l’aide médicale à mourir à un strict processus médical objectif.
Quant à la vulnérabilité, madame la juge Baudouin l’a longuement analysée et a écrit ce qui suit au paragraphe 252 de son jugement :
[...] ce n’est pas son identification à un groupe qualifié de vulnérable [...] qui doit sous-tendre le besoin de protection d’une personne qui demande l’aide médicale à mourir, mais bien sa capacité individuelle de comprendre et de consentir de manière libre et éclairée à une telle procédure en fonction de ses caractéristiques propres.
Deuxième point : tel qu’il est libellé, le projet de loi C-7 exclut spécifiquement les désordres mentaux. J’ai suivi avec énormément d’intérêt la dernière heure de vos discussions. Or, il s’agit d’une maladie réelle avec des souffrances réelles, parfois intolérables et résistantes à tout traitement. Exclure la santé mentale ne peut que conduire, encore une fois, à des contestations juridiques inacceptables pour les patients touchés.
En tout respect pour ces citoyens et parce que les enjeux sont complexes, nous suggérons de retirer cette clause d’exclusion et d’observer une période légale de non-application de 12 mois pendant laquelle les ordres professionnels de chaque province devront travailler ensemble et auront [Difficultés techniques].
[Traduction]
Mark Palmer, greffier du Comité : La vidéo du témoin a gelé. Je propose que nous passions au prochain témoin.
Helen Long, directrice générale, Dying With Dignity Canada : Merci. Bonjour et merci de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui. Pendant 40 ans, Dying With Dignity Canada s’est engagé à faire avancer les droits de fin de vie et à aider les Canadiens à éviter des souffrances inutiles. Notre rôle consiste à représenter les 86 % de Canadiens qui soutiennent l’arrêt Carter c. Canada rendu en 2015 par la Cour suprême. Nos commentaires aujourd’hui reflètent la voix des Canadiens que nous entendons chaque jour et les résultats de sondages concernant les questions liées à la fin de vie que nous avons réalisés au fil des ans. Ces résultats concordent dans une grande mesure avec les consultations gouvernementales élargies réalisées plus tôt cette année.
Nous sommes en faveur des amendements législatifs présentés dans le projet de loi C-7 et nous vous encourageons à recommander l’adoption du projet de loi C-7, reconnaissant les droits constitutionnels des Canadiens, garantissant l’autonomie personnelle et démontrant de la compassion pour ce petit pourcentage de gens qui peuvent demander l’AMM afin de pouvoir cesser de subir des souffrances qui sont intolérables pour eux.
Nous appuyons fermement le retrait du critère proposé concernant l’admissibilité qu’est la mort naturelle raisonnablement prévisible en raison de la décision de la Cour dans l’affaire Truchon, qui a jugé inconstitutionnelle la loi actuelle.
Le projet de loi C-7 concerne le droit de tous les Canadiens admissibles, y compris ceux ayant une maladie chronique et ceux souffrant d’une maladie, mais n’étant pas près de mourir, d’accéder à l’AMM. Comme cela a été signalé dans l’affaire Carter et rappelé dans la décision Truchon, le fait d’exempter des personnes autrement admissibles en raison de la prévisibilité raisonnable de leur mort peut amener une personne à mettre fin à sa propre vie prématurément par des moyens violents ou à subir des souffrances intolérables jusqu’à sa mort naturelle. La Cour suprême a décrit cette situation comme un choix cruel.
Jean Truchon et Nicole Gladu ont pris la parole pour ceux qui se sont vu exclure l’accès à l’AMM, parce que leur mort naturelle a été réputée n’être pas raisonnablement prévisible. Ils ont tous les deux dit avoir mené une bonne vie et avoir connu le bonheur et le succès pendant des dizaines d’années, malgré leur affection, mais ils voulaient avoir le droit de prendre une décision concernant le moment où leur vie prendrait fin et la façon dont cela se ferait lorsqu’ils arriveraient à un point de souffrance intolérable pour eux.
La juge Baudouin, qui a rendu sa décision dans l’affaire Truchon, a entendu de nombreux témoignages, y compris celui de témoins concernant des questions de vulnérabilité et les préoccupations selon lesquelles la société protège ceux qui peuvent être jugés vulnérables contre la coercition ou les pressions liées à des décisions concernant la fin de vie. Dans sa décision, elle a affirmé ceci :
Or, selon le Tribunal, on ne peut au nom du principe qui est de vouloir protéger certaines personnes contre elles-mêmes ou de vouloir affirmer socialement la valeur inhérente de la vie, prohiber l’aide médicale à mourir à toute une communauté de personnes handicapées justement en raison de leur handicap.
Elle a plus loin affirmé :
La vulnérabilité d’une personne qui demande l’aide médicale à mourir doit exclusivement s’apprécier de manière individuelle, en fonction des caractéristiques qui lui sont propres et non pas en fonction d’un groupe de référence dit « de personnes vulnérables ».
Comme Nicole Gladu l’a dit à l’époque : « Ce sont des épouvantails à moineaux… c’est une loi permissive. Ce n’est pas une loi coercitive. Personne n’est obligé de demander l’aide à mourir. »
Nous félicitons le gouvernement d’avoir inclus l’amendement d’Audrey, qui permet de renoncer à l’exigence concernant le consentement final pour les personnes qui font l’objet d’une évaluation et d’une approbation au titre de l’AMM, mais qui pourraient perdre leur capacité avant leur date prévue, quelque chose que 85 % des Canadiens appuient. Sans cette renonciation au consentement final, des Canadiens comme Audrey Parker ont été forcés d’accéder à l’AMM plus tôt en raison de la crainte importante qu’ils deviennent incompétents.
Même si nous sommes favorables à l’adoption opportune du projet de loi C-7 tel qu’il est libellé, nous demeurons préoccupés par l’exclusion explicite de la maladie mentale de la législation et demandons au gouvernement d’agir pour réagir à cette question en entreprenant immédiatement un examen parlementaire prévu dans la loi actuelle.
Les critères d’admissibilité énoncés dans la décision Carter ne limitent pas explicitement l’accès aux personnes dont le principal problème de santé est physique, et ce n’est pas parce qu’une personne a une maladie mentale grave qu’elle est incapable de prendre des décisions libres et éclairées au sujet de ses soins. D’après un article publié dans la Revue canadienne de psychiatrie :
Il est bien établi que tous les patients adultes sont présumés être capables de prendre des décisions médicales, sauf preuve du contraire.
La souffrance causée par une maladie mentale grave n’est pas moins réelle que celle causée par une maladie physique, une blessure ou un handicap. Dans de nombreux cas, les symptômes d’une maladie mentale grave ne sont pas dissociables de ceux causés par une affection médicale non psychiatrique. Nous souscrivons aux commentaires de l’Association des psychiatres du Canada selon lesquels :
Les patients souffrant d’une maladie psychiatrique ne devraient pas faire l’objet de discrimination uniquement en fonction de leur incapacité et devraient disposer des mêmes options liées à l’AMAM dont tous les patients peuvent se prévaloir.
L’examen parlementaire demande aussi une étude sur l’utilisation des demandes anticipées, l’accès à l’AMM par des mineurs matures et l’état des soins palliatifs. Nous répétons notre demande de commencement immédiat de l’examen afin de permettre une analyse approfondie de ces questions et qui repose sur des données probantes.
Merci à vous tous de votre travail sur cette question importante et de m’avoir donné l’occasion de vous adresser la parole aujourd’hui.
La présidente : Merci beaucoup, madame Long.
Docteur L’Espérance, aimeriez-vous terminer?
Dr L’Espérance : Oui.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Madame la présidente, je peux vous le dire si vous avez besoin qu’on le précise. Le Dr L’Espérance suggérait de retirer la maladie mentale parce que cela générerait plusieurs types de contestations juridiques. Il recommandait une période de 12 mois, mais le son a coupé à ce moment-là.
Dr L’Espérance : Merci, sénatrice Dupuis. Je vais reprendre ici. En tout respect pour ces citoyens et parce que les enjeux sont complexes, nous suggérons de retirer cette clause d’exclusion et d’observer une période légale de non-application de 12 mois pendant laquelle les ordres professionnels de chaque province devront travailler ensemble et auront l’obligation légale de définir un cadre clinique commun.
Ce travail a été fait par l’Association des médecins psychiatres du Québec, et le rapport devrait être rendu public sous peu. Enfin, toute personne apte qui a reçu un diagnostic de maladie neurodégénérative cognitive comme la maladie d’Alzheimer devrait pouvoir indiquer, dans ses directives médicales anticipées rédigées, qu’elle désire obtenir l’aide médicale à mourir au moment où elle le jugera pertinent pour elle, quel que soit son état cognitif à ce moment-là.
J’ajoute ici une réponse au sénateur Carignan : il faut faire une grande différence entre les maladies neurodégénératives cognitives comme la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson et la maladie de Huntington, et les désordres de santé mentale pour les raisons qui ont été données. Les démences organiques de type alzheimer sont des maladies organiques avec une base biologique et elles doivent être considérées comme telles. La recommandation no 7 apparaissait déjà dans le rapport du comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur l’aide médicale à mourir en février 2016 en ce qui concerne les directives médicales anticipées.
En terminant, je tiens à réitérer ici la position ferme et inébranlable de l’AQDMD à l’égard d’une interdiction absolue de l’aide médicale à mourir, sous peine de sanctions criminelles, pour des personnes qui sont inaptes depuis toujours — par exemple, en état de déficience mentale sévère — ou pour celles qui le sont devenues sans avoir fait part de leurs directives médicales anticipées, car cela devient de l’eugénisme.
Les éléments ci-dessus sont un peu plus développés dans le mémoire que je vous ai fait parvenir le 20 novembre. Je vous remercie de votre attention et je suis disponible pour répondre à vos questions.
[Traduction]
La présidente : Merci, docteur L’Espérance.
Je rappelle aux sénateurs de ne pas dépasser quatre minutes, parce que ces questions sont difficiles et qu’il est difficile de vous interrompre. Aux intervenants, je vous demanderais de fournir des réponses précises.
James S. Cowan (ancien sénateur), président, conseil d’administration, Dying With Dignity Canada : Merci, madame la présidente. Je vous remercie de me fournir l’occasion de comparaître devant le comité durant son étude préalable du projet de loi C-7.
L’AMM est un enjeu que je suis de près depuis la décision Carter, et tout particulièrement à la suite de mon adhésion au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir et de ma participation aux débats subséquents au Sénat.
Après ma retraite du Sénat en 2017, je me suis joint au conseil d’administration de Dying With Dignity Canada et j’agis maintenant en tant que président du conseil d’administration de cette organisation. Donc, évidemment, j’appuie les arguments présentés aujourd’hui par notre directrice générale, Helen Long.
Durant les quelques minutes qui me sont allouées, j’aimerais soulever quelques points.
D’abord, le cadre législatif établi par le projet de loi C-14 a essentiellement bien fonctionné pour ceux qui y ont participé. Il n’y a aucune preuve d’abus ou de mauvaise utilisation, ce que certaines personnes craignaient à la suite de l’introduction de l’AMM au Canada.
Ensuite, nous disposons maintenant d’un ensemble d’expériences canadiennes à examiner, tandis que nous envisageons d’apporter des changements et des améliorations au cadre législatif et réglementaire. Nous savons ce qui a bien fonctionné et ce qui doit être modifié. Le projet de loi C-7 est la réponse du gouvernement à la décision Truchon, qui a soutenu que le critère d’admissibilité à la mort naturelle raisonnablement prévisible était inconstitutionnel. Cela ne se veut pas et ne se voulait pas une révision exhaustive du cadre législatif établi par le projet de loi C-14. Cet examen exhaustif est l’objectif de l’examen parlementaire commandé par le projet de loi C-14 et c’est quelque chose sur quoi le Sénat a insisté à l’époque.
Je vous presse d’insister sur une chose : cet examen doit être entrepris le plus tôt possible après la décision quant au sort du projet de loi C-7. Dans le cadre de ce processus, les parlementaires auront l’occasion d’examiner les trois questions soulevées dans le projet de loi C-14 à des fins d’études ultérieures : l’AMM pour des mineurs matures, les demandes anticipées d’AMM et les demandes d’AMM lorsque la maladie mentale est la seule affection sous-jacente. Cette discussion sera guidée par les excellents rapports de recherche préparés par le Conseil des académies canadiennes.
De plus, et il ne faut pas l’oublier, cet examen parlementaire portera sur l’état des soins palliatifs au Canada.
Ensuite, le projet de loi C-7 représente une amélioration importante et souhaitable du régime actuel de l’AMM, en éliminant le critère d’admissibilité de la mort naturelle raisonnablement prévisible et en introduisant l’amendement d’Audrey. Je me range à la croyance exprimée par d’autres selon laquelle l’exclusion expresse de la maladie mentale comme maladie ou affection autorisant une personne à accéder à l’AMM est discriminatoire, stigmatisante et probablement inconstitutionnelle. Je serais assurément en faveur de l’élimination de cette disposition du projet de loi.
Dans ce contexte, je vous presse de recommander l’adoption du projet de loi C-7 et j’insiste pour que son adoption soit suivie le plus tôt possible par l’examen parlementaire de l’AMM et des soins palliatifs que prévoit le projet de loi C-14.
Je vous remercie de nouveau.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Cowan.
Monsieur Cowan, j’ai une question pour vous. Je vous respectais et vous admirais quand vous étiez au Sénat, et maintenant je vous respecte et vous admire encore davantage parce que, après avoir quitté le Sénat, vous continuez toujours de servir les Canadiens. Merci beaucoup du service que vous rendez au Canada. Merci.
M. Cowan : Vous êtes très gentille.
La présidente : Monsieur Cowan, vous avez participé au premier examen. Dans votre article, que j’ai lu avec beaucoup d’attention, vous avez laissé entendre et répété qu’il devrait y avoir un examen. Selon les leçons que vous avez tirées dans le premier examen, pouvez-vous formuler des suggestions par rapport à ce qui devrait absolument figurer dans le deuxième examen?
M. Cowan : Par rapport aux trois questions qui y sont soulevées — et, j’ajouterais, à l’état des soins palliatifs au Canada — je crois qu’il s’agirait d’une occasion pour les parlementaires, et cela inclurait, je l’espère, des sénateurs et pas seulement des députés de la Chambre des communes, de passer en revue et d’examiner ce que j’ai décrit comme les données probantes canadiennes, c’est-à-dire l’expérience que nous possédons réellement ici : parlez aux gens qui ont vécu cette expérience — les évaluateurs et les prestataires, les membres de la famille des personnes qui ont accédé à l’AMM et peut-être les membres de la famille de celles qui ont tenté d’y accéder et n’ont pas été en mesure de le faire. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’analyser ce qui se fait au-delà de nos frontières; nous savons ce qui a fonctionné et ce que nous devons examiner.
Il est possible d’améliorer ce que j’estime être un excellent régime d’aide médicale à mourir, qui a été établi par le projet de loi C-14. L’examen est opportun, et, comme vous le savez, de nombreux textes de loi qui sont adoptés par le Parlement appellent à des examens législatifs qui, pour une raison ou une autre, n’ont jamais lieu. Je vous presse donc de vous assurer que c’est fait.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Cowan.
La sénatrice Petitclerc : Je remercie nos témoins. Merci, monsieur Cowan, de votre insistance par rapport à cet examen parlementaire. Je suis aussi impatiente de le voir. Bon nombre de nos collègues, je crois, auront des questions sur la maladie mentale, mais j’aimerais obtenir quelques réponses de nos deux témoins.
[Français]
Pour nos deux témoins, j’aimerais simplement — et vous l’avez peut-être entendu un peu plus tôt — vous dire une chose : nous avons reçu des témoins qui représentent certains groupes de personnes qui vivent en situation de handicap et qui sont très inquiets du fait que le projet de loi C-7 les met dans une situation de vulnérabilité.
Ce n’est pas la lecture que je fais de ce projet de loi qui, je pense, dans le respect de ce que Truchon et Gladu ont voulu faire, donne droit à ce genre de décisions et, donc, à l’autonomie.
Bref, je voudrais vous entendre sur les mesures de sauvegarde de ce deuxième volet et je voudrais savoir si vous les jugez convenables et suffisantes. Les jugez-vous suffisantes pour répondre aux inquiétudes de ces groupes?
Docteur L’Espérance, si vous voulez bien commencer.
Dr L’Espérance : Je n’ai pas entendu aujourd’hui les groupes qui représentaient les personnes handicapées, mais je les ai entendus par le passé, notamment à la Chambre des communes.
Je crois qu’il y a une réponse relativement simple à cela. Les mesures de sauvegarde qui existent dans la loi actuelle, le projet de loi C-14, m’apparaissent suffisantes. Il est vrai que certains groupes qui représentent des personnes handicapées disent que la loi va leur donner une qualité de vie qui sera moindre dans la perception des gens, mais je crois que c’est une inquiétude qui, bien qu’elle soit légitime, n’est pas réelle.
Il faut se rendre compte que la demande d’aide médicale à mourir vient de la personne elle-même. C’est la personne elle-même qui demande l’aide médicale à mourir, et tous les autres critères à remplir y sont énoncés.
On a aussi souvent dit qu’une personne qui se retrouve avec une paralysie de la moelle épinière brutale pourrait demander l’aide médicale à mourir la semaine suivante. Il n’y a aucun médecin, et c’est un neurochirurgien qui parle, aucun médecin qui accepterait cela, car il y a des délais pour la réadaptation, pour la guérison, etc. Une personne quadriplégique ne serait pas admissible à l’aide médicale à mourir dans l’esprit clinique des médecins qui l’évaluent avant sept à dix ans au moins, voire plus, une fois que tous les processus de réadaptation et de réinsertion sociale ont été tentés.
En ce qui concerne la pathologie mentale, si vous voulez que je dise un mot à ce sujet — même si je crois qu’on en a beaucoup parlé —, le principal élément que l’on voit comme médecins, c’est que, de toute façon, ces gens devront faire des contestations juridiques et, comme l’a dit tout à l’heure le sénateur Cowan, de toute façon, cela aboutira au même résultat.
Cependant, le point important, c’est qu’il faut prendre toutes les précautions cliniques nécessaires et donner des balises plus claires et plus restrictives pour les patients qui ont des désordres mentaux, mais ils y ont tout à fait droit. Il faut savoir que les désordres mentaux sont des pathologies extrêmement souffrantes pour certains.
Il est possible de se donner des délais. Il y a de nombreux questionnements à ce sujet dans mon mémoire, comme celui-ci : quel devrait être le délai pour un patient qui a subi une pathologie de désordre mental?
J’espère avoir répondu à votre question, du moins en partie.
Le sénateur Carignan : C’est toujours un plaisir de recevoir mon ami le sénateur Cowan. Bienvenue.
D’abord, je veux remercier le Dr L’Espérance de sa précision par rapport à la maladie d’Alzheimer et à la maladie mentale.
Le problème, c’est que, quand je lis l’article traitant de l’exclusion du Code criminel et qu’on parle de maladie mentale, sans faire de précision aussi technique que le milieu médical, je crains qu’une personne qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer ne soit discriminée et n’ait pas la possibilité d’avoir accès à l’aide médicale à mourir, d’abord en raison de cette exclusion.
Deuxièmement, je trouve que les patients souffrant d’alzheimer sont discriminés et je vous explique pourquoi. La maladie fait en sorte que le cerveau cesse de bien fonctionner avant le physique. Donc, quand le physique n’est plus en bon état, le cerveau n’a plus la capacité à consentir et il n’y a pas eu de demande anticipée. Une personne dont le bon état physique l’abandonne avant son cerveau a la possibilité de demander l’aide médicale à mourir, ce qui n’est pas le cas des personnes souffrant d’alzheimer. C’est pourquoi j’ai entendu votre suggestion de directives médicales anticipées, qui, je pense, pourraient être un outil ou un moyen de diminuer l’atteinte portée aux droits constitutionnels des personnes atteintes d’alzheimer.
Enfin, j’aimerais vous entendre tous les deux, le Dr L’Espérance et le sénateur Cowan particulièrement, sur cet aspect de la discrimination des personnes atteintes d’alzheimer.
Dr L’Espérance : D’un point de vue strictement médical, les démences de type alzheimer, vasculaires ou autres, sont des maladies physiques, biologiques, identifiables et qui doivent entrer dans le cadre strict de l’aide médicale à mourir.
Le problème — et vous l’avez bien dit — est que le patient perd son aptitude progressive à demander l’aide médicale à mourir. C’est pourquoi cela doit s’inscrire dans le cadre des directives anticipées avec un diagnostic. Encore une fois, la recommandation no 7 des sénateurs il y a quatre ans disait la même chose. On me diagnostique une pathologie de maladie de Huntington ou d’Alzheimer et je décide que, lorsque telle ou telle condition sera satisfaite, même si je ne suis plus apte, je veux obtenir l’aide médicale à mourir. Cela pose un problème pour le mandataire qui va décider, mais rien n’est insurmontable dans ce genre de question. Surtout, puisque je m’adresse à des sénatrices et à des sénateurs, je crois que nous répondrions à l’une des grandes questions que les Canadiens, nos patients, se posent : « J’ai un père ou une mère qui a souffert d’alzheimer, je ne veux pas finir comme cela; je veux une mort digne, et non pas finir mes jours en me tirant un coup de fusil. »
Voilà la réponse courte. La réponse médicale est qu’il s’agit de pathologies médicales qui doivent être considérées comme telles. Les capacités cognitives lâchent souvent avant les capacités physiques, mais, grâce aux directives médicales anticipées, nous pouvons surmonter cette crainte. J’espère vous avoir répondu.
Le sénateur Carignan : Oui, merci. Sénateur Cowan?
La présidente : Sénateur Campbell.
Le sénateur Carignan : Excusez-moi, mais je n’ai pas entendu la réponse du sénateur Cowan. Ma question s’adressait à lui aussi.
[Traduction]
La présidente : Monsieur Cowan, pourrions-nous entendre votre réponse?
M. Cowan : Merci. Je ne suis certes pas un clinicien, et je ne peux donc pas commenter la question.
Je vois les choses ainsi, sénatrice Carignan : les projets de loi C-14 et C-7 tiennent tous au choix individuel. Il ne s’agit pas d’un choix de société. Ce n’est pas quelqu’un qui impose un choix à une autre personne. Il s’agit de donner aux gens le droit à ces droits garantis par la Constitution. Chaque cas doit faire l’objet d’une évaluation individuelle, et c’est une évaluation clinique effectuée par des cliniciens formés. Ce ne sont pas des législateurs ou des juges qui tentent de deviner l’évaluation clinique qu’un clinicien ou deux fera au sujet de cette personne.
Comme la juge Baudouin l’a affirmé dans la décision Truchon, il y a un risque de classer des personnes dans des groupes élargis et de les caractériser en fonction de leurs capacités ou de leur handicap. Elles devraient être évaluées en tant que personnes, et ce, par les cliniciens.
Rien dans ce projet de loi, mis à part l’application limitée de l’amendement d’Audrey, ne permet les demandes anticipées. Cette demande anticipée est une question dont nous avons assurément parlé lorsque nous avons étudié le projet de loi C-14, et je suis sûr qu’il fera l’objet de longs débats dans le cadre de l’examen législatif.
Dans le contexte du projet de loi C-7, nous n’en parlons pas. La personne doit avoir la capacité, et la question de la capacité fait l’objet d’une évaluation clinique. Ce n’est pas une évaluation juridique. C’est une évaluation clinique faite par des professionnels cliniques formés.
La sénatrice Batters : Ma question s’adresse à Mme Long, de Dying with Dignity. Madame Long, à votre avis, est-il approprié pour un médecin ou une infirmière praticienne de parler du concept du suicide assisté à un patient vulnérable qui demande des renseignements sur des dispositions adéquates concernant des soins à domicile, comme cela s’est produit avec Roger Foley? Et croyez-vous qu’il devrait y avoir des limites quant au nombre de fois qu’un médecin ou une infirmière praticienne peut entamer une discussion au sujet de l’AMM avec un patient vulnérable afin de réduire au minimum le risque de coercition perçue?
Mme Long : Merci de poser la question. Par rapport à votre premier point, je crois que les cliniciens, lorsqu’ils se font poser la question, devraient pouvoir communiquer un éventail d’options de fin de vie. Lorsque vous consultez un médecin au sujet d’une affection précise, vous vous faites habituellement donner un éventail de moyens permettant de traiter l’affection ou de gérer vos soins. Dans le contexte de la fin de vie, les cliniciens devraient pouvoir fournir ces mêmes renseignements.
De façon générale, les cliniciens n’entament pas cette conversation. Cela devrait être fait à la demande du patient, et nous serions favorables à cette approche dans l’avenir.
La sénatrice Batters : Vous appuieriez donc l’idée que cela doive être entrepris par le patient? C’est exact?
Mme Long : C’est le patient qui demande des choix concernant la fin de vie, oui.
La sénatrice Batters : Et que c’est inapproprié pour le médecin ou l’infirmière praticienne d’entamer cette conversation — est-ce bien votre position?
Mme Long : Assurément, le collège et les organes de réglementation s’exprimeraient plus clairement et précisément à ce sujet, mais d’après notre expérience, il semble que les cliniciens sont en mesure d’avoir ces conversations dans le contexte approprié avec leurs patients.
La sénatrice Batters : Merci.
Mme Long : Je vous en prie.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Ma question est pour le Dr L’Espérance. Je comprends que la bipolarité est une maladie mentale. Quelqu’un qui est bipolaire et qui souffre d’une maladie physique irrémédiable peut demander l’aide médicale à mourir en fonction du projet de loi proposé, ce qui laisse entendre que les experts pourront évaluer sa capacité et que cette capacité peut exister malgré sa bipolarité.
Par contre, s’il souffre uniquement de bipolarité, il n’a pas le droit de demander l’aide médicale à mourir. Des groupes qui sont passés avant vous, dans le groupe de témoins précédent, nous ont dit que la distinction serait justifiée par le fait qu’on peut guérir la bipolarité chez plusieurs personnes, ou la rendre très gérable, et que, par conséquent, on ne peut pas comparer les situations.
Dr L’Espérance : Vous mettez le doigt sur un des paradoxes de cette exclusion. La Dre Mona Gupta a toujours mis ce paradoxe de l’avant. Une personne qui souffre d’une condition physique et qui demande l’aide médicale à mourir, même si elle souffre d’un problème de désordre mental, sera évaluée comme telle, ce qui montre qu’elle est apte; si elle n’a qu’une condition de santé mentale, le projet de loi C-7 l’empêcherait d’obtenir l’aide médicale à mourir.
Je ne suis pas psychiatre, donc je ne m’avancerai pas. J’ai bien écouté toute la dernière heure et il y a eu des propositions intéressantes. J’ai discuté de la question avec des amis psychiatres. Je pense qu’il faut donner un temps limité. C’est pourquoi j’ai parlé des 12 prochains mois, car, dans le projet de loi C-14, il y avait déjà cette obligation de réévaluer la situation. Si les mécanismes régulateurs ne peuvent pas arriver à un consensus, ils doivent au moins arriver à un cadre médical objectif qui pourrait permettre l’accès à ces personnes à l’aide médicale à mourir. Par exemple, je ne suis pas psychiatre, encore une fois, mais est-ce qu’effectivement un trouble bipolaire bien traité va toujours l’être? Il faut poser la question au psychiatre. Est-ce qu’une schizophrénie grave qui a mené à de multiples problèmes sociaux, entre autres, peut être améliorée jusqu’à l’âge de 55 ou 60 ans? C’est à des cliniciens de répondre à ces questions, ainsi que, bien sûr, à chaque individu selon sa propre ligne de pensée dans la vie. Cela m’apparaît être le point le plus important.
Dans mon mémoire, il y a toute une série de questions de cette sorte. Cela vous regarde tous et cela concerne les droits de la personne : on ne peut pas infliger un traitement à quelqu’un, mais, dans une pathologie de désordre mental, si une personne demande l’aide médicale à mourir et n’a pas reçu tous les traitements qui sont sur le marché, est-ce qu’on devrait l’obliger à recevoir certains traitements qui sont, pour la plupart, non invasifs, sauf peut-être l’électrothérapie?
Il y a des questions liées à la Charte qui vont plus loin qu’un simple oui ou non. Pour tous les patients qui souffrent de désordres mentaux, on se doit d’aller de l’avant et de donner une réponse. Ils y ont droit, comme tous les autres citoyens. Si un jeune homme reçoit un diagnostic de désordre mental à 30 ans et qu’il veut recevoir l’aide médicale à mourir dans les mois qui viennent, c’est là qu’il doit y avoir des balises strictes quant à la sorte de thérapie et à sa durée pour les psychiatres qui s’occupent de lui, et ainsi de suite.
[Traduction]
La sénatrice Martin : Je vous remercie tous de vos exposés. Pour faire fond sur la question du Dr L’Espérance, une partie du problème lié au fait de tenter de donner des droits — je conviens que tous les Canadiens méritent le droit de mourir dans la dignité, mais s’il n’y a pas de normes et que les données probantes actuelles ne sont pas encore complètes, comme des témoins l’ont dit plus tôt, le système n’est pas suffisamment préparé. Je me demande juste si nous devons ralentir un peu la cadence par rapport à notre propre législation et envisager de donner les droits à tous les Canadiens, mais le faire d’une façon à ce que nous soyons prêt en tant que pays. Il semble que ces protections ne soient pas en place dans un système.
Ma question pour Helen Long concerne votre mention des 84 % de Canadiens qui appuient l’AMM. J’aimerais connaître la composition de ces répondants. Je suis d’origine coréenne et je sais que cela n’est offert que dans 14 administrations dans le monde. Connaissez-vous la ventilation du profil démographique de ces répondants? Si je devais sonder des membres de la communauté ethnoculturelle dont je fais partie, je crois que le pourcentage serait assez différent.
Mme Long : Merci de poser la question. En fait, nous ne mesurons pas l’origine ethnique dans ce sondage. C’est un sondage Ipsos, et il reflète la population canadienne et est valide sur le plan statistique. Je dirais que, parmi toutes les données démographiques que nous mesurons, les chiffres sont assez constants, mais nous ne faisons pas de répartition en fonction de l’origine ethnique, pour répondre à votre question.
La sénatrice Martin : Les questions ont probablement été posées en anglais et en français, mais pas dans d’autres langues d’origine. Qu’en est-il des services qu’il serait nécessaire d’offrir aux personnes qui envisagent l’AMM? Avons-nous la capacité linguistique? Y a-t-il suffisamment d’évaluateurs et de professionnels formés? Il s’agit d’un problème généralisé dans tout secteur de la santé. S’agit-il de certaines lacunes que vous avez examinées?
Mme Long : En ce qui concerne les évaluateurs et les prestataires, je ne suis pas au courant d’une lacune. Ce n’est pas quelque chose qui nous a été mentionné tout particulièrement. Le Dr L’Espérance a peut-être une meilleure idée à ce sujet. Ce serait assurément quelque chose à demander à l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM.
La sénatrice Martin : Enfin, comment proposeriez-vous que l’on protège les médecins qui fournissent actuellement l’AMM aux personnes mourantes, mais qui, par acquit de conscience, ne sont pas à l’aise d’évaluer ou d’aider à fournir l’AMM à des personnes ayant un handicap ou une maladie chronique? Croyez-vous que leurs droits à la conscience devraient être protégés? Si oui, croyez-vous que l’on devrait protéger les droits à la conscience de tous les médecins de ne pas participer à quelque chose qu’ils jugent comme contraire à l’éthique? Je sais que de nombreux médecins ont exprimé de grandes préoccupations à ce sujet.
Mme Long : Le projet de loi C-14 prévoit une protection des droits à la conscience pour les cliniciens. Au cours des quatre dernières années, les cliniciens ont pu ne pas fournir l’AMM. Nous pourrions soutenir un système d’aiguillage efficace, comme c’est le cas en Ontario, où un clinicien doit aiguiller une personne vers un autre clinicien qui est prêt à parler de l’AMM avec elle. Assurément, les droits à la conscience sont actuellement protégés en vertu du projet de loi C-14.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci à nos deux témoins pour leurs présentations. Ma question est pour le Dr L’Espérance. J’essaie de comprendre; si j’ai une maladie, n’importe laquelle, un désordre mental, la maladie d’Alzheimer ou un cancer du côlon, est-ce que je me trompe en pensant que j’ai le droit, en tant que patiente, de refuser les soins?
Dr L’Espérance : Absolument. Totalement.
La sénatrice Dupuis : Si j’ai un désordre mental, bipolarité ou autre, sans qu’on ait nécessairement établi de source pour un facteur biologique qui est à l’origine de la maladie, la cause ou la comorbidité, j’aurais le droit de refuser, à 30 ans, tous les traitements qu’on me proposerait? S’il y a une différence de nature dans le fait qu’on me permet de refuser, parce qu’on respecte mon autonomie — car l’idée, depuis 1988, c’est d’axer les décisions en matière de santé sur le respect de l’autonomie des personnes —, est-ce qu’il y a une raison, selon vous, sur le plan clinique, qui permet d’exclure ma demande d’aide médicale à mourir, alors qu’on me reconnaît le droit de refuser tout ce qu’on peut m’offrir par ailleurs?
Dr L’Espérance : Vous mettez le doigt sur une question difficile. Je n’ai pas de réponse toute faite, parce qu’effectivement, l’autonomie de chaque individu lui permet de refuser tous les traitements qu’on peut lui offrir. Voici ce que nous savons. Si vous avez un cancer du côlon ou n’importe quelle pathologie de type néoplasique ou une maladie neurodégénérative, on connaît le cheminement de la maladie et la fin inéluctable qui se produit après un certain temps. Dans les désordres mentaux, c’est là où nous ne connaissons pas l’évolution et c’est là où il faut tenir de grandes discussions entre les experts, soit les psychiatres, les psychologues, les travailleurs communautaires, et cetera, pour décider jusqu’à quel point nous pouvons aller, devant une demande d’aide médicale à mourir chez un patient qui souffre de désordres mentaux, sachant que sa condition peut fluctuer au fil des années, qu’elle va peut-être s’améliorer, mais aussi se détériorer. Je n’ai pas de réponses simples. Il faut se pencher là-dessus, sinon, si nous disons qu’il n’y a pas assez de preuves, nous serons encore au même point dans 20 ans et on devra refuser l’aide médicale à mourir à des patients. Si vous me demandez mon avis comme clinicien non psychiatre, je dirais qu’il faudrait au moins donner une période dans le temps, et je parle d’aller jusqu’à 55 ou 60 ans, pour établir un diagnostic ferme. Est-ce que cela tiendrait la route sur le plan juridique? Je n’en sais rien. La différence doit être bien établie, avec des pathologies physiques et organiques bien cernées.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup. Je serai très brève. J’aimerais poser ma question à Dying with Dignity. Je veux exprimer clairement que la législation telle qu’elle est actuellement libellée tient compte de la renonciation au consentement final, ou de l’amendement d’Audrey, comme vous l’aviez au départ prévu. L’un d’entre vous s’est fait interrompre lorsque l’on discutait de ce sujet. J’aimerais juste être certaine de recevoir une réponse à cette question. Pourriez-vous m’aider, s’il vous plaît?
M. Cowan : Oui, cela tient compte de l’amendement d’Audrey, et nous y sommes favorables.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup.
La sénatrice Boyer : Ma question s’adresse à M. Cowan. Merci de votre exposé. Je sais que vous pressez le gouvernement d’entreprendre un examen exhaustif de la loi sur l’AMM après l’adoption du projet de loi C-7. Vous avez dit que l’examen parlementaire est très important pour passer en revue l’état des soins palliatifs au Canada.
Je tiens à en parler brièvement. Il manque cruellement de soins palliatifs adaptés sur le plan culturel dans les collectivités autochtones, particulièrement dans les réserves. Les soins palliatifs qui sont adaptés sur le plan culturel sont une question de reconnaissance des droits des Autochtones à l’autodétermination dans le contexte de leurs propres soins de santé et de soutien de leur accès à l’AMM. Dans ce contexte, il est important pour les fournisseurs de soins de santé de travailler conjointement avec les chefs spirituels et les aînés pour offrir l’AMM d’une façon sécuritaire sur le plan culturel.
Êtes-vous d’accord pour dire que tout futur examen parlementaire de la loi sur l’AMM devrait aussi se pencher sur l’accessibilité des soins palliatifs adaptés sur le plan culturel pour les collectivités autochtones?
M. Cowan : Oui. Merci, sénatrice, vous avez soulevé un point très important.
Le projet de loi C-14 mentionne précisément que l’examen parlementaire tiendra compte non seulement de ces trois sujets relativement à l’AMM, mais aussi de l’état des soins palliatifs au Canada. C’est un aspect très important. Ce n’est pas une situation où l’on doit choisir entre les deux. La législation qui vous est présentée en ce moment traite de l’aide médicale à mourir. Évidemment, beaucoup d’autres choses doivent être faites dans toutes les régions du pays, pour que nous puissions offrir de meilleurs soins palliatifs et que ceux-ci soient plus adaptés sur le plan culturel ainsi que plus accessibles. Mais selon nous, ce n’est pas une situation où l’on doive choisir entre les deux. Nous ne disons pas faites ceci et ne prêtez pas attention aux soins palliatifs. Ce sont deux choses différentes. Assurément, je suis d’accord avec vous pour dire que nous devons en faire beaucoup plus en tant que société en ce qui a trait aux soins palliatifs, et c’est ce que prévoit précisément le projet de loi C-14. Cela doit faire partie de l’examen parlementaire.
L’argument que j’ai soulevé plus tôt, c’est que je voulais m’assurer que nous ne perdions pas de vue cet examen parlementaire, parce que je me rappelle que de nombreux textes de loi réclamaient un examen de la législation après une certaine période, et ces examens n’ont jamais eu lieu. Je crois donc qu’il est important que vous insistiez, si je peux me le permettre, pour que cet examen s’ensuive et commence le plus rapidement possible après l’adoption du projet de loi C-7.
La sénatrice Boyer : Et tienne compte des Autochtones.
M. Cowan : Absolument.
La sénatrice Boyer : Merci.
[Français]
La sénatrice Keating : Merci beaucoup, docteur L’Espérance, pour vos commentaires. Ils m’ont beaucoup aidée.
Vous avez dit que vous avez écouté la séance précédente. Lors de cette séance, les médecins et psychiatres ont répondu à la question suivante : est-ce qu’une personne atteinte d’une maladie mentale — et je parle ici de maladie mentale non biologique — est capable de donner un consentement informé sur l’aide médicale à mourir? La réponse était oui.
Ce qui m’inquiète, c’est qu’on parle d’avoir plus de temps, de disposer de 12 mois. À mon avis, très peu de choses ont changé quant à l’évaluation des maladies mentales ou à la progression des maladies mentales au cours des 20 ou 30 dernières années. Ainsi, même si on a 12 mois de plus pour commencer à tenter de faire des distinctions de preuve entre les maladies mentales — encore là, elles ne sont pas toutes de même niveau —, croyez-vous que nous serons en mesure de donner des réponses plus claires sur le droit des gens souffrant de maladie mentale à recevoir l’aide médicale à mourir?
Dr L’Espérance : Selon moi, la réponse courte, c’est que les 12 mois supplémentaires que nous suggérons seraient mis à profit pour faire un encadrement plus serré.
Par ailleurs, la réponse plus précise à votre question initiale, c’est que les gens qui ont des problèmes ou des désordres de santé mentale ont l’aptitude requise. D’ailleurs, comme médecins et chirurgiens, nous devons parfois opérer ou traiter des patients qui ont des problèmes de santé mentale, et nous demandons toujours l’opinion d’un psychiatre. Bien sûr, cet encadrement doit être relativement bien développé, mais il faut faire l’effort d’aller plus loin.
Comme l’ont exprimé les personnes qui ont témoigné avant moi, comme le Dr Rajji et d’autres, il restera bien sûr beaucoup d’inconnu, mais il faut aller de l’avant, il faut commencer quelque part, quitte à établir des balises plus importantes.
Pour revenir au projet de loi C-7, nous suggérons qu’il n’y ait pas d’exclusion liée à la pathologie mentale, mais un décalage dans le temps.
La sénatrice Keating : Merci beaucoup, docteur L’Espérance.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup au sénateur Cowan, au Dr L’Espérance et à Mme Long de vos exposés intéressants. Comme vous l’avez vu, il y avait beaucoup plus de questions. Malheureusement, j’ai dû interrompre les sénateurs en raison de contraintes de temps. Je m’en excuse à vous et à eux. Nous aurons d’autres moments, je l’espère, dans le cadre de l’étude du projet de loi. Je vous remercie tous énormément d’avoir été ici. Sénateur Cowan, j’étais heureuse de vous voir.
[Français]
Dr L’Espérance : Merci beaucoup à tout le monde pour votre intérêt.
[Traduction]
La présidente : Je remercie énormément les sénateurs et les sénatrices. Nous reprendrons la séance demain, à 10 heures.
(La séance est levée.)