LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 25 novembre 2020
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 30 (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, je déclare la séance ouverte. Je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider le comité. Nous tenons aujourd’hui une autre séance hybride. Je vous remercie encore une fois, messieurs les sénateurs et mesdames les sénatrices, de votre patience tandis que nous nous adaptons à cette nouvelle façon de tenir nos séances.
[Français]
Avant de commencer, j’aimerais vous faire part de quelques suggestions utiles. Je vous rappelle que, lorsque vous parlez, vous devez être sur la même chaîne que la langue dans laquelle vous parlez. Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente ou au greffier, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.
[Traduction]
Sachez que nous devrons peut-être suspendre la séance, vu les circonstances, pour nous assurer que tous les membres puissent pleinement participer.
Chers collègues, je sais que la plupart d’entre vous ont des questions, mais que vous décidez parfois de donner plus de temps de parole aux autres. Je vous demande donc d’aviser le greffier si vous ne comptez pas poser de questions.
Nous devrons peut-être suspendre la séance dans certains cas pour nous assurer que tous les membres puissent pleinement participer, par exemple s’il y a un problème avec l’interprétation ou d’autres problèmes techniques.
Sénateurs et sénatrices, je sais que la plupart d’entre vous ont des questions à poser. Donc, je le répète, je vous demanderais, si vous ne comptez pas poser de questions, d’aviser le greffier. Dans le cas contraire, je donnerai la parole à tous les membres.
Pour ceux qui ne sont pas membres du comité, vous pouvez aviser le greffier si vous avez une question, et je ferai de mon mieux pour que vous puissiez la poser.
Chers collègues, vous n’aurez que quatre minutes pour poser vos questions et écouter la réponse, je vous demanderais donc de ne pas poser de questions s’il ne vous reste que quelques secondes. Je vous demanderais aussi humblement de ne faire que de courts préambules, afin que nous puissions écouter ce que les témoins ont à dire.
Nous accueillons maintenant notre premier groupe d’aujourd’hui : Mme Julia Beazley, directrice, Politique publique de l’Alliance évangélique du Canada; Me Derek Ross, directeur exécutif et avocat général de l’Alliance des chrétiens en droit; Mgr William McGrattan, évêque catholique romain de Calgary et membre du Bureau de direction, Conférence des évêques catholiques du Canada; et M. Laurence Worthen, directeur général de l’Association des médecins et dentistes chrétiens du Canada.
À tous nos témoins, je tiens à dire que c’est un véritable honneur pour nous, les membres du comité, de vous accueillir ce matin. Je peux vous assurer que nous sommes impatients d’écouter vos exposés.
[Français]
Je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : la vice-présidente, la sénatrice Batters, le vice-président, le sénateur Campbell, le sénateur Boisvenu, le sénateur Carignan, porte-parole du projet de loi, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, la sénatrice Dupuis, la sénatrice Keating, le sénateur Kutcher, la sénatrice Petitclerc, marraine du projet de loi, le sénateur Gold, la sénatrice Martin et la sénatrice Pate.
[Traduction]
Nous avons vraiment hâte d’écouter vos commentaires. Nous allons commencer par Mme Beazley. Elle a témoigné de nombreuses fois devant nous, alors elle sait comment fonctionne notre comité. Allez-y, madame Beazley.
Julia Beazley, directrice, Politique publique, Alliance évangélique du Canada : Merci, honorables sénateurs et sénatrices. Nous vous sommes reconnaissants de cette occasion de participer à votre étude sur le projet de loi C-7.
L’Alliance évangélique du Canada est l’association nationale des chrétiens évangéliques. Nous offrons une tribune nationale aux quatre millions de chrétiens évangéliques du Canada. Notre approche quant à cette question est fondée sur le respect de la vie humaine et de la dignité ainsi que sur la protection des personnes vulnérables. Ces principes, qui sont ancrés dans notre foi, se reflètent aussi dans les lois et les politiques publiques canadiennes. Nous demeurons fermement opposés à l’accélération de la mort. Cependant, nous voulons offrir des recommandations afin de réduire au minimum les préjudices et les risques auxquels s’exposent les Canadiens et Canadiennes vulnérables.
Le projet de loi C-7 propose des changements critiques dans les domaines du droit, de la médecine et de la société. Ces changements sont proposés alors que nous ne pouvons même pas offrir à tous les Canadiens et Canadiennes des soins palliatifs de haute qualité, et alors que des problèmes procéduraux cernés dans le régime actuel n’ont même pas encore été corrigés.
Nous vous implorons de réfléchir soigneusement aux conséquences de ce projet de loi et nous vous demandons, respectueusement, de prendre en considération les modifications suivantes :
Réintroduire l’exigence de fin de vie pour remplacer le critère de la mort « raisonnablement prévisible ». Sans l’exigence de fin de vie, une personne handicapée pourrait être admissible à la mort accélérée en raison de son handicap. Ces personnes, à cause de leur handicap, ne bénéficieront pas des protections dont jouissent les autres Canadiens et Canadiennes. Cela est discriminatoire et viole les droits à l’équité des Canadiennes et Canadiens handicapés. Cela laisse même entendre qu’il ne vaut pas la peine de vivre avec une maladie chronique ou un handicap. Nous devons rejeter sans équivoque cette notion. Toutes les organisations de personnes handicapées au pays s’opposent à cette modification. Le gouvernement peut et devrait introduire un critère d’admissibilité de rechange, dépourvu de toute ambiguïté, à l’AMM.
Maintenir l’exclusion précise visant les personnes atteintes de maladie mentale, et ajouter des dispositions sur les troubles mentaux concomitants. Chaque année, un Canadien sur cinq souffrira d’un trouble mental ou d’une maladie mentale. Pourtant, plus de 1,6 million de Canadiens et Canadiennes affirment chaque année qu’ils ne reçoivent pas les soins en matière de santé mentale dont ils ont besoin. Le projet de loi devrait prévoir que, lorsqu’une personne qui demande l’AMM a peut-être un trouble concomitant, la maladie mentale sous-jacente fasse l’objet d’une évaluation de santé mentale pour aider le patient et le médecin et infirmier praticien à mieux comprendre les facteurs pour lesquels il y a eu une demande d’AMM, ce qui permettra aussi de prendre une décision plus éclairée à propos du traitement.
Maintenir les mesures de sauvegarde clés pour les personnes dont le décès est prévisible. Ces mesures s’inscrivent dans les limites les plus strictes, qui sont minutieusement surveillées et appliquées afin de réduire au minimum les risques inhérents qui ont été décrits dans l’arrêt Carter. Sans ces mesures de sauvegarde, le risque de décès injustifié augmente.
Maintenir la période de réflexion de 10 jours. Si cette mesure de sauvegarde est abrogée, on pourrait mettre fin à la vie d’une personne le jour même où elle en fait la demande. Selon un rapport sur l’AMM publié en 2019 par Santé Canada, 263 personnes ont retiré leur demande d’AMM, dont plus de la moitié parce qu’elles avaient changé d’idée. La loi en vigueur permet déjà de renoncer à cette période de réflexion si la personne risque probablement de perdre ses facultés ou si son décès est imminent. Cette modification, alors, semble à la fois inutile et dangereuse.
Supprimer la disposition sur la renonciation au consentement final. Parmi ceux qui ont changé d’idée à propos de l’AMM en 2019, une personne sur cinq avait retiré son consentement immédiatement avant qu’elle ne reçoive l’AMM. La mesure de sauvegarde qui prévoit qu’une personne doit pouvoir donner son consentement au moment de la mort accélérée est cruciale et devrait être préservée. Le fait d’abroger cette mesure de sauvegarde pour tous les patients dont la mort est raisonnablement prévisible serait une réaction démesurée à des circonstances exceptionnelles. Il serait plus judicieux d’introduire une exclusion dont le libellé très ciblé s’appliquerait seulement dans des circonstances précises.
Supprimer la disposition visant à réduire le nombre et l’indépendance des témoins. Ainsi, nous conservons la fonction essentielle des témoins indépendants qui veillent à ce que la décision d’un patient de recevoir l’AMM a été faite librement et sans contrainte.
Étendre les nouvelles mesures de sauvegarde proposées pour les personnes dont le décès n’est pas raisonnablement prévisible à celles dont le décès l’est, y compris l’obligation de consulter un médecin ou infirmier praticien qui possède une expertise en ce qui concerne l’affection à l’origine des souffrances, de s’assurer que la personne a été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances et qu’elle y a bien réfléchi et de fournir des consultations avec les prestataires. Toutefois, bon nombre de ces ressources ne sont pas facilement accessibles. Il est inconcevable que nous facilitions l’accès à la mort accélérée au Canada au lieu d’améliorer l’accès à des soins palliatifs de qualité ou à des soins de santé mentale ou, pour les personnes handicapées, aux ressources dont elles ont besoin pour vivre sur le même pied que les autres Canadiens et Canadiennes.
Enfin, nous vous demandons d’ajouter des dispositions précises et concrètes protégeant la liberté de conscience des travailleurs et des organisations dans le domaine de la santé. Nous avons entendu des travailleurs de la santé qui se sentent de plus en plus contraints de participer au processus d’AMM, même si cela va à l’encontre de leurs croyances profondes. Si l’accessibilité à l’AMM s’étend aux patients qui ne peuvent plus donner leur consentement ou qui ne sont pas mourants, alors il y aura encore plus de professionnels de la santé qui jugeront qu’ils ne peuvent pas mettre fin à la vie d’un patient dans ces circonstances. Il faudrait corriger cette absence de mesures de protection dans le projet de loi C-7. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Nous vous remercions de votre témoignage, et soyez sûre que nous vous avons écoutée. Nous allons passer au prochain témoin, Me Derek Ross, de l’Alliance des chrétiens en droit.
Derek Ross, directeur exécutif et avocat général, Alliance des chrétiens en droit : Merci beaucoup. Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. C’est un privilège d’être parmi vous. Je vous remercie du travail que vous accomplissez aujourd’hui, et je vous remercie de me donner l’occasion aujourd’hui de témoigner au nom de l’Alliance des chrétiens en droit. L’ACD est une association juridique nationale regroupant plus de 700 avocats, professeurs et étudiants en droit d’un bout à l’autre du Canada. L’ACD est intervenue devant les trois paliers du système judiciaire dans l’arrêt Carter, et nous sommes aussi intervenus dans l’affaire Truchon.
Nous sommes grandement préoccupés par les conséquences que pourrait avoir l’élargissement de l’AMM à l’extérieur du contexte de fin de vie. Nous sommes très préoccupés par l’idée que plus nos lois élargissent l’accès à l’AMM, plus nous banalisons la notion qu’il est approprié de mettre fin à sa vie pour abréger ses souffrances. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’accès à l’AMM était restreinte en premier lieu : pour éviter que cela ne devienne une solution générale pour mettre fin à la souffrance ou une solution de rechange au suicide.
Cent quarante avocats et étudiants en droit ont récemment signé une lettre ouverte mettant en relief ces préoccupations. Comme cela est écrit dans la lettre :
Si ce projet de loi est adopté, le droit canadien désignera explicitement la vie avec une maladie ou un handicap comme la seule sorte d’existence qui justifie une cessation financée par l’État.
Honorables sénateurs et sénatrices, le droit canadien ne doit jamais consacrer l’idée, même implicitement que la vie avec un handicap est de quelque façon que ce soit inférieure. Cela n’a bien sûr jamais été l’intention du projet de loi C-7, mais nous sommes préoccupés par le fait que cela pourrait être une conséquence du projet de loi, et c’est pourquoi des amendements sont nécessaires.
De nombreuses personnes dans les communautés de personnes handicapées ont soulevé avec éloquence ces points, et je ne veux pas les répéter ici. Je comprends également qu’il y a différents points de vue sur le sujet et sur les questions fondamentales entourant le projet de loi, alors je vais me limiter aux quelques points sur lesquels j’espère que nous pourrons atteindre un consensus, peu importe notre position sur l’AMM et peu importe nos désaccords en ce qui concerne ce projet de loi en général.
Entre autres, nous voulons encourager le Sénat à examiner de très près les conclusions très dérangeantes de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées. Je sais que vous avez déjà commencé à vous y intéresser. Je veux souligner que 19 mois se sont écoulés depuis la publication de ce rapport, et à notre connaissance, le gouvernement n’y a toujours pas réagi, y compris dans le projet de loi C-7, et cela, malgré le fait que le préambule du projet de loi C-7 réitère très clairement les obligations du Canada en vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies.
Nous devons donner suite concrètement à ces mots. C’est pourquoi le projet de loi devrait, à tout le moins, prévoir un examen indépendant des préoccupations et des recommandations de la rapporteuse spéciale. Comme nous l’expliquons dans notre mémoire, l’AMM doit être mieux encadrée et mieux supervisée au Canada.
Nous devons aussi veiller à ce que toutes les options de traitement raisonnables aient été offertes aux patients avant que l’AMM soit une option, ce que nous n’arrivons pas à faire présentement.
Selon le Premier rapport annuel sur l’aide médicale à mourir au Canada, 2019 publié plus tôt cette année, au moins 87 patients qui ont reçu l’AMM en 2018 avaient besoin de services de soutien aux personnes handicapées, mais ne les ont jamais reçus. De plus, au moins 91 patients qui ont reçu l’AMM avaient besoin de soins palliatifs, mais n’en ont pas reçu.
La décision Truchon a fait couler beaucoup d’encre, mais nous devons garder à l’esprit que cette décision était fondée sur la conclusion de la juge selon laquelle l’aide médicale à mourir au Canada constitue « un processus strict et rigoureux qui, en lui-même, ne présente pas de faiblesse évidente ».
Cependant, les dernières données, dont une grande partie sont survenues seulement après la décision, montrent le contraire. Malheureusement, il y a des faiblesses dans notre système, en particulier en ce qui concerne les personnes âgées du Canada, comme nous avons pu le constater à cause des événements de cette année.
Ces questions doivent être réglées, et l’ACD recommande à cette fin un certain nombre d’amendements dans son mémoire. En priorité, il faut corriger les lacunes dans notre régime actuel, plutôt que d’étendre l’AMM de façons qui n’avaient même pas été effleurées dans la décision Truchon, par exemple en autorisant les demandes anticipées ou en supprimant des mesures de sauvegarde importantes.
Heureusement, honorables sénateur et sénatrices, le Sénat, qui est le lieu d’un second examen objectif, a la légitimité, l’autorité et le mandat d’examiner ces questions, et nous vous remercions du travail que vous accomplissez avec soin. Nous voulons vous soutenir dans vos efforts, parce qu’il s’agit d’un enjeu extrêmement important. Nous vous implorons de tenir compte des recommandations formulées dans notre mémoire pour améliorer cette loi. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, maître Ross.
La parole va maintenant à Mgr William McGrattan.
Son Excellence Mgr William McGrattan, évêque catholique romain de Calgary et membre du Bureau de direction, Conférence des évêques catholiques du Canada : Bonjour, et merci, honorables sénateurs et sénatrices. Au nom des évêques catholiques du Canada, je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de participer à ces discussions très importantes. Je suis aussi reconnaissant des efforts supplémentaires qui ont été faits afin que nous puissions tenir ces discussions en cette période des plus difficiles.
En tant que représentants de l’Église catholique, nous nous sommes associés à d’autres chefs religieux pour exprimer notre opposition à l’élargissement de l’aide médicale à mourir prévu dans le projet de loi C-7. Je sais que beaucoup d’entre vous ont lu le rapport.
En tant qu’évêques catholiques, nous demeurons très préoccupés par les dispositions du projet de loi C-7, et en particulier par les impacts dévastateurs qu’elles vont avoir — comme cela a déjà été mentionné — sur un grand nombre de Canadiennes et Canadiens handicapés et marginalisés.
Vivre avec un handicap amène son lot de difficultés en ce qui concerne, par exemple, l’accès à un logement adéquat, les déplacements, l’accès aux soins de santé et les emplois. De plus, le risque de vivre dans des conditions de pauvreté est beaucoup plus grand chez les personnes handicapées que chez les autres. Ces conditions injustes ne font qu’empirer la souffrance du grand nombre de personnes qui vivent avec un handicap. Et maintenant, en dépit de ces conditions injustes, nous nous apprêtons à offrir aux personnes handicapées, à nos frères et sœurs canadiens et canadiennes, une nouvelle forme d’aide... mais pour les aider non pas à vivre, mais bien à se suicider.
Nous demandons : comment peut-on justifier cela, moralement? Au lieu d’aider ces personnes à se suicider, ne devrait-on pas redoubler d’efforts, pour les soutenir, pour les aider à vivre des vies épanouies et à appartenir à leur collectivité? L’euthanasie, entre autres choses, montre que nous, en tant qu’humains, avons failli à notre engagement de combattre avec ingéniosité la souffrance humaine et d’offrir d’autres solutions.
Un fait est tout aussi préoccupant : on a pour l’essentiel fait fi des voix de la communauté des personnes handicapées au Canada, alors que nous croyons que le Canada devrait être une communauté et un pays inclusif.
Le Conseil des Canadiens avec déficiences et d’autres groupes de personnes handicapées ont fait valoir leurs préoccupations. Nous croyons que le retrait du critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible élargira la portée du projet de loi et aura un impact sur cette communauté.
Nous voulons aussi souligner que les avertissements de la rapporteuse spéciale des Nations Unies — qui ont été mentionnés par rapport à l’AMM — ont été complètement occultés. Je veux évoquer ce qui a été rapporté : il y a des témoignages inquiétants à propos de personnes handicapées, en établissement, qui subissent des pressions afin qu’elles demandent l’aide médicale à mourir, et les médecins et les infirmiers praticiens ne signalent pas officiellement les cas où il s’agit d’une personne handicapée.
Même s’il est vrai que certaines personnes ont exprimé leur appui envers ce projet de loi, la création et l’élargissement de l’accès à l’euthanasie ne sont pas simplement une question de choix personnel; c’est un choix social important et lourd de sens. En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas appuyer une telle modification au Code criminel qui permettrait de mettre fin illicitement à une vie innocente.
On ne peut élaborer des lois qui soient louables et justes en se fiant simplement à l’opinion populaire ou aux circonstances de certaines personnes, même si elles sont touchantes et impérieuses. Nous devons plutôt prendre conscience du fait que nous devons fonder nos lois sur des principes moraux sains, des principes qui assurent que tous sont protégés, en particulier les personnes les plus vulnérables et les personnes marginalisées, parce que tous ont droit à la dignité, et tous ont droit à ce don.
Nous trouvons aussi préoccupant de constater que le gouvernement prétend qu’il y a un vaste consensus favorable, alors qu’en vérité les plus récents sondages menés par Cardus et Angus Reid montrent que 68 % des Canadiens ont été troublés par le rapport des Nations Unies et l’absence de mesures de sauvegarde cruciales pour les personnes handicapées. En tout, 63 % des Canadiens craignent que l’élargissement de l’AMM accentuera les pressions sur les personnes handicapées — et les personnes qui éprouvent certains sentiments — pour qu’elles choisissent la mort plutôt que d’être, d’une certaine façon, un fardeau pour les autres.
Malgré tout, je veux conclure sur un point positif. Je veux souligner que les soins palliatifs, qui ne sont pas offerts pleinement au Canada, constituent une solution de rechange sur laquelle le gouvernement devrait miser dans un projet de loi plus large. Si les gens ont accès à du soutien émotionnel et psychologique suffisant, alors ils pourront choisir les options de soins médicaux qui leur permettront de vivre dans la dignité au lieu de choisir tragiquement cette solution qui n’en est pas une, le suicide.
Les évêques canadiens se préoccupent aussi du fait que ce ne sont pas tous les professionnels de la santé au Canada qui ont accès aux protections pertinentes, et nous appuyons les discussions à ce sujet. Nous vous demandons, à vous, les législateurs qui œuvrent au Sénat d’intervenir par rapport à ces besoins très pressants. Je vous remercie de m’avoir permis de témoigner.
La présidente : Merci beaucoup de votre exposé. Nous allons maintenant écouter M. Laurence Worthen de l’Association des médecins et dentistes chrétiens du Canada.
Laurence Worthen, directeur général, Association des médecins et dentistes chrétiens du Canada : Merci de me donner l’occasion de vous présenter notre avis sur le projet de loi C-7. L’Association des médecins et dentistes chrétiens du Canada représente 1 600 membres d’un bout à l’autre du Canada. L’élargissement de l’AMM constitue une préoccupation sérieuse pour tous nos membres, qui se soucient du bien-être de leurs patients vulnérables.
Il n’est pas rare pour une personne qui apprend qu’elle sera handicapée à vie en raison d’un accident ou d’une maladie de vouloir mettre fin à ses jours. En tant que médecins, notre rôle est aussi de veiller à ce que les patients aient accès à des traitements de réadaptation intensifs et à des services de counseling afin de leur redonner de l’espoir et le goût de vivre.
Il y a plusieurs facteurs qui peuvent empêcher un patient de réaliser cette transition constructive, comme le manque de ressources en matière de services sociaux et de soins de santé, la stigmatisation sociale des personnes handicapées et la difficulté de surmonter les obstacles qui bloquent l’accès aux services. Si vous voulez un exemple concret, vous n’avez qu’à vous promener dans n’importe quelle rue canadienne avec un ami en fauteuil roulant.
Nous vivons dans une société capacitiste, dans laquelle l’apparence, un corps physiquement apte, l’indépendance et l’autonomie sont des valeurs absolues. Cependant, nous croyons que toute personne possède une valeur intrinsèque qui lui est donnée par Dieu et qui ne peut pas lui être enlevée, que ce soit par la maladie, un handicap ou quoi que ce soit d’autre.
Certains résultats aidant à mieux comprendre les conséquences potentielles de l’élargissement de l’euthanasie se trouvent dans le Premier rapport annuel sur l’aide médicale à mourir au Canada, 2019. Ce rapport donne toutes les sources de souffrances mentionnées par les 5 631 personnes qui ont reçu l’AMM en 2019 : pour 13,7 %, la nature de la souffrance était l’isolement ou la solitude; pour 53 %, c’était la perte de dignité; pour 34 %, c’était la charge perçue sur la famille; pour 82 %, c’était la perte de la capacité à s’engager dans des activités significatives de la vie; et pour 56,4 %, c’était le contrôle insuffisant de la douleur ou des inquiétudes au sujet de la douleur.
Nous pouvons nous attendre à ce que des raisons similaires soient données dans le rapport de 2021 si le projet de loi C-7 est adopté, et cela devrait nous préoccuper. L’isolement ou la solitude peut découler d’une réticence à intégrer les personnes handicapées dans la société. La perte de la dignité peut découler d’un préjugé capacitiste dans la société. La crainte d’être une charge pour la famille est aussi très répandue chez les personnes gravement malades.
Si une personne n’a pas de famille pour l’épauler, cela veut-il dire qu’elle devrait mourir? Ces personnes ont besoin de soins et d’un counselling adéquats pour trouver un sens à leur vie, malgré leurs nouvelles limites. Un programme de soins palliatifs exhaustif peut atténuer la crainte de souffrir.
À la lumière de ces résultats, en ce qui concerne les personnes handicapées, nous nous demandons si les personnes vont choisir l’AMM parce que la société les a laissés tomber. Le protocole de l’AMM établit qu’une personne doit être compétente, affectée de problèmes de santé ou d’un handicap graves et irrémédiables et que son choix ne doit pas être fait sous la contrainte, mais une demande d’euthanasie peut aussi être un appel à l’aide déguisé. Je le sais, parce que je l’ai personnellement vécu avec mon père, qui a traversé cette épreuve vers la fin de sa vie. J’étais là pour l’aider, afin qu’il ne soit pas seul. Malgré tout, je sais qu’il y a d’autres personnes qui sont dans des circonstances similaires, mais qui n’ont personne pour les aider, et cette idée me hante. Ce n’est pas suffisant d’offrir des services inadéquats. Nous devons montrer à ces personnes qu’elles ont de l’importance pour nous.
Nos membres sont prêts à remplir ce rôle. Récemment, pendant la flambée de COVID-19, l’un de nos membres et son épouse se sont volontairement mis en quarantaine pour offrir un soutien quotidien aux résidants de leur centre d’hébergement. Pendant que lui fournissait des services médicaux, son épouse passait du temps avec les résidants qui se sentaient seuls, parce que leur famille ne pouvait pas les visiter. Malheureusement, ce médecin songe à prendre une retraite anticipée, parce qu’il n’y a pas de mesures suffisantes qui protègent sa liberté de conscience.
Tout particulièrement à cause du projet de loi C-7, il doit y avoir des dispositions dans la loi faisant en sorte que les travailleurs de la santé puissent renoncer à participer à toutes les formes d’AMM. Le Bureau du directeur parlementaire du budget estime que ce projet de loi fera en sorte que 1 200 personnes s’ajouteront aux 6 465 décès prévus en 2021 dans le cadre de l’AMM, pour un total de 7 665 personnes.
Mais qu’en serait-il si ces personnes qui vont mourir en 2021 avaient l’amour, le soutien, les conseils et d’autres services dont ils ont besoin? Nous ne saurons jamais combien de personnes auraient pu s’adapter à leur nouvelle situation, retrouver espoir et reprendre goût à la vie. Comme société, devons-nous les conforter dans leurs croyances que leur vie n’a pas de valeur en leur donnant l’AMM, ou devons-nous nous battre pour leur redonner espoir et sauver leur vie? La réponse à cette question déterminera le Canada dans lequel nous voulons vivre. Merci.
La présidente : Merci beaucoup de nous avoir présenté votre exposé. Merci à tous les témoins.
Honorables sénateurs et sénatrices, veuillez préciser à quel témoin vous posez votre question. S’il vous plaît, ne dites pas « à tous », parce que vous savez que nous n’avons pas assez de temps. Ne me donnez pas la tâche embarrassante de choisir.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : J’ai une question et j’aurais aimé avoir une réponse de chacun des groupes, mais il faudra choisir.
En fait, chacun de nos témoins aujourd’hui — et dans d’autres réunions que nous avons eues — a fait des affirmations assez fortes au nom des personnes handicapées. Je ne peux pas m’empêcher de retourner en arrière et de penser que, derrière le projet de loi C-7, il ne faut pas oublier les individus, il ne faut pas oublier Jean Truchon, Nicole Gladu et Julia Lamb. Ces individus, en raison de souffrances intolérables et irréversibles, se sont battus pour nous dire qu’ils avaient le droit de décider, le droit à l’autonomie, le droit à l’autodétermination et le droit à une fin de vie dans la dignité. Chaque fois, la cour leur a donné raison. Avec ce mouvement, nous voyons la fin de décennies de paternalisme médical, social et moral.
Ma question est la suivante : il y a plus de 6 millions de personnes handicapées au Canada, qui sont toutes différentes, et je trouve assez troublant qu’on se donne le droit de parler en leur nom. Je vous demanderais donc bien simplement en quelle autorité vous le faites, avec quelle expertise et, surtout, après quel type de consultation.
Je suis désolée, madame la présidente, je ne sais pas qui pourrait répondre à cette question. Quelqu’un peut-il se manifester pour répondre précisément à ces questions?
[Traduction]
Me Ross : Merci beaucoup, madame la sénatrice. C’est une question très réfléchie. Pour être clair, je ne prétends pas aujourd’hui m’exprimer au nom de toute la communauté des personnes handicapées, ni même au nom de n’importe quelle autre communauté que celle de l’Alliance des chrétiens en droit. Je suis ici pour réitérer les préoccupations lancées par de nombreuses personnes de la communauté des personnes handicapées.
Comme vous le dites, nous ne représentons pas un bloc homogène; il y a des opinions différentes, mais de nombreuses voix au sein de la communauté des personnes handicapées se disent très préoccupées. Nous les avons écoutées, et nous avons participé aux tables rondes organisées par Inclusion Canada et le Conseil des Canadiens avec déficiences ainsi que d’autres groupes. Si nous sommes ici devant vous, c’est simplement pour faire valoir, d’un point de vue juridique, le fait que la rapporteuse spéciale des Nations Unies a dit à notre gouvernement qu’il avait manqué à son devoir et qu’il accusait du retard par rapport aux autres en ce qui concerne ses obligations en vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. C’est quelque chose qu’il faut étudier soigneusement et avec attention.
De plus, l’Alliance des chrétiens en droit est intervenue dans l’affaire Truchon, et comme vous l’avez dit, les plaignants dans cette affaire vivaient une situation extrêmement difficile et pénible. Les deux plaignants, M. Truchon et Mme Gladu, ont demandé l’AMM en partie parce qu’ils se préoccupaient du fait qu’ils n’auraient pas accès à suffisamment de soutien s’ils étaient en établissement.
Donc, encore une fois, nous prenons du recul pour dire — peu importe notre avis sur l’AMM, l’autonomie et les autres questions — ne pouvons-nous pas nous entendre sur le fait qu’il faut faire plus d’efforts pour veiller, peu importe notre philosophie, à ce que personne n’ait jamais à choisir l’AMM sans que nous ayons d’abord tout fait pour que les ressources adéquates soient en place? Voilà ce que nous défendons. Mais ce devoir revient au Parlement, pas aux tribunaux, parce que seul le Parlement et vous, le Sénat, pouvez examiner ces questions en adoptant un point de vue différent. Votre capacité institutionnelle diffère de celle du tribunal, et c’est ce rôle que vous êtes appelés à jouer aujourd’hui.
Mgr McGrattan : Pour poursuivre sur la lancée de Me Ross, nous nous sommes beaucoup engagés auprès de la communauté des personnes handicapées, et je voulais seulement vous faire part des préoccupations que nous avons entendues, et que le Sénat devrait entendre aussi, selon nous.
Vous entendez ce genre de préoccupations quand vous œuvrez dans des établissements de santé catholiques ou dans le domaine de la santé au Canada : les gens veulent que ce soit possible de les protéger. Ils veulent pouvoir trouver un refuge, où ils pourront rendre l’âme naturellement avec le soutien de leur famille et avec l’aide de professionnels qualifiés pour soulager leur douleur. C’est ce que nous avons constaté directement dans le cadre de notre travail social catholique et de nos soins de santé catholiques : c’est ce genre d’interventions que nous faisons.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse principalement à Me Ross et elle porte sur une suggestion du mémoire par rapport à la création d’un organisme indépendant de surveillance. Est-ce que vous pourriez préciser un peu cette suggestion, les raisons d’être et le rôle que cet organisme pourrait tenir?
De plus, je ne sais plus si c’est dans votre mémoire ou dans un autre, mais j’ai lu que l’on remettait en question la décision du gouvernement de ne pas porter en appel la décision Truchon. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi?
[Traduction]
Me Ross : Merci de poser ces questions très pertinentes, monsieur le sénateur. Nous avons bien souligné le besoin d’un organisme de surveillance dans notre mémoire. Je suis sûr que vous le savez tous déjà, mais le gouvernement du Québec a mis sur pied une commission sur les soins de fin de vie dont le mandat est d’examiner les dossiers d’AMM, de recueillir des données, de veiller à l’application de la loi et d’examiner la mise en œuvre de l’AMM à l’échelon provincial.
C’est cet organisme qui nous a fourni l’information la plus exhaustive que nous avons sur l’AMM au Canada. De 2015 à 2018, la Commission sur les soins de fin de vie du Québec a relevé 62 cas dans la province où les lois fédérales ou provinciales n’avaient pas été entièrement respectées.
Nous n’avons pas un tel organisme à l’échelon fédéral, alors nous ne savons pas vraiment ce qui se passe dans les autres provinces. Notre système est un peu dépareillé. Nous avons des organismes de réglementation. Nous avons des coroners en Ontario. Le Bureau du coroner en chef de l’Ontario a examiné 2 000 dossiers, et il a déclaré que l’examen avait « révélé quelques préoccupations, parfois récurrentes, en ce qui concerne la conformité aux dispositions du Code criminel et aux attentes de l’organisme de réglementation ».
Mais même si les organismes de réglementation relèvent des préoccupations dans leurs examens, on ne voit pas clairement quelles sont les mesures prises en réaction. Y a-t-il quelqu’un qui examine ces préoccupations en détail? S’agit-il simplement de violations techniques mineures? Nous n’avons pas beaucoup d’information, ou du moins, il n’y a pas beaucoup d’information accessible ou publique. Et c’est exactement le problème. Il y a tellement de choses que nous ne savons pas à propos des raisons pour lesquelles les gens demandent l’AAM. Nous ne savons pas s’ils ont accès à l’aide dont ils ont besoin ni même si l’AMM est administrée en conformité avec la loi.
Une chose que nous recommandons vivement au gouvernement fédéral est de s’assurer qu’il y ait un cadre uniforme à l’échelle du pays pour faire en sorte que ces préoccupations soient examinées. Nous vous implorons de présenter ces recommandations à la ministre de la Santé ainsi qu’à vous tous, les parlementaires, afin que nous puissions savoir ce qui se passe sur le terrain.
Une autre de nos recommandations est la nomination d’un ombudsman qui sera chargé d’enquêter sur ce genre de préoccupations et d’examiner de près les dossiers d’AMM qui pourraient être conformes. Ainsi, vous, les sénateurs et le Parlement, pourrez vraiment savoir, d’un point de vue stratégique, ce qui se passe.
Vous avez posé une autre question, monsieur le sénateur, et j’aimerais y répondre rapidement. C’était à propos de la décision du gouvernement de ne pas interjeter appel de la décisionTruchon. Je vais vous expliquer pourquoi cela nous a préoccupés, parce que c’est évidemment une question d’importance nationale. Si nous sommes ici aujourd’hui, peu importe notre avis sur l’AMM, c’est que nous reconnaissons l’importance du dossier ainsi que ses répercussions sur la vie quotidienne d’un si grand nombre de gens au pays. Nous trouvons préoccupant qu’il ait été décidé de transformer ainsi le droit en se fondant sur les motifs d’une seule juge. Avec tout le respect que je dois à ce tribunal, la Cour suprême, ni même une cour d’appel, n’a pas examiné ni évalué ces motifs. Certains ont exprimé des préoccupations quant au raisonnement dans cette décision. Nous sommes d’avis que la Cour du Québec a interprété l’objet de la loi de façon indûment restrictive, et que cela a entaché toute son analyse. Nous avons réalisé une analyse plus poussée montrant pourquoi, selon nous, les motifs de cette décision étaient inadéquats. Quoi qu’il en soit, nous croyons que la décision aurait tout de même dû être portée en appel.
La sénatrice Batters : Je vais m’adresser tout d’abord à Me Ross, de l’Alliance des chrétiens en droit. Compte tenu du fait que vous représentez une grande organisation qui a énormément travaillé du côté juridique sur ce sujet, peut-être pourriez-vous nous expliquer pourquoi le fait d’exclure les personnes dont la seule affection est une maladie mentale de l’admissibilité au suicide assisté, comme le prévoit le projet de loi C-7, permet en vérité de prévenir la discrimination? Aussi, maître Ross, croyez-vous que les mesures de sauvegarde spéciales et l’exclusion de l’AMM visant la maladie mentale sont importantes et juridiquement valides?
Me Ross : Merci, madame la sénatrice. Vous posez une question très importante. Je sais que l’exclusion visant la maladie mentale, en tant que critère d’admissibilité, a été l’un des points centraux, et à juste titre, des discussions du comité.
Je dirais que je comprends pourquoi les gens jugent que cette exclusion est discriminatoire, à première vue, mais je crois, parallèlement, que nous devons reconnaître que toute distinction, toute limite, tout paramètre que le gouvernement mettrait en place par rapport à l’AMM seraient perçus comme étant discriminatoires ou arbitraires. Il doit toujours y avoir — quand vous mettez en place une exception à l’application du Code criminel — des paramètres pour encadrer cette exception. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada l’exige. Pour la citer, la Cour suprême a convenu que l’AMM devait être « un régime assorti d’exceptions, rigoureusement circonscrit et surveillé attentivement ».
L’AMM est l’exception à la règle dans le Code criminel qui interdit le suicide assisté. Je crois donc, pour répondre à votre question, que cela soulève une autre question : pourrait-on dire que toute restriction à l’accès à l’AMM serait discriminatoire ou arbitraire parce que cela aurait toujours pour effet d’exclure les personnes dans certaines situations? Mais il faut que le Parlement ait une marge de manœuvre, sans quoi il faudrait rendre l’AMM accessible pour n’importe quelle forme de souffrances, et dans ce cas, l’AMM deviendrait pratiquement indifférenciable du suicide.
Donc, il ne faut pas se demander uniquement si une exclusion particulière est discriminatoire. Comme beaucoup d’entre vous le savent, en vertu de la Constitution, en vertu de la Charte, l’article premier permet une restriction de nos droits et libertés, dans certaines circonstances. Donc, la question qui demeure est : est-ce que cette disposition est discriminatoire d’une façon qu’elle ne puisse être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique? C’est dans ce cadre que le Parlement dispose d’une certaine marge de manœuvre pour examiner les détails de ces questions.
Je crois que le ministre de la Justice vous a déjà dit à quel point ce dossier est complexe. Les opinions sont extrêmement partagées, et il n’y a aucun consensus. Il y a des préoccupations très concrètes selon lesquelles le fait que la mort devienne une solution aux problèmes de santé mentale transformera complètement la psychiatrie, en plus d’aller à contre-courant de son objectif, qui est de fournir et d’offrir de l’espoir et des soins aux gens dans cette situation.
La sénatrice Batters : Merci. M. Worthen a dit quelque chose d’important dans sa déclaration préliminaire : l’année dernière, en 2019, je crois qu’il a dit qu’il y a eu 5 631 décès par suicide assisté au Canada. Cela dépasse déjà le taux moyen de suicide de 4 000 décès par année au Canada. C’est même beaucoup plus.
Rapidement, peut-être que Mgr William McGrattan pourrait nous dire, s’il vous plaît, pourquoi il croit que les mesures protégeant la liberté de conscience des médecins et infirmiers praticiens sont encore plus importantes dans le cadre du projet de loi C-7 que dans le projet de loi C-14, compte tenu du fait que, dans ce nouveau projet de loi, les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible sont admissibles au suicide assisté.
Mgr McGrattan : Je crois qu’il faut protéger non seulement la liberté de conscience des médecins et infirmiers praticiens, mais aussi leur droit d’utiliser leurs dons comme ils le veulent dans leur vie professionnelle, et qu’il faut aussi s’assurer qu’ils puissent suivre leur conscience lorsqu’ils offrent ces services. Si une loi commence à restreindre cela d’une façon ou d’une autre, cela veut dire que cette loi est en train de devenir discriminatoire par rapport à leur vie professionnelle. Si, comme cela a été avancé plus tôt, chaque fois que nous créons une exclusion ou que nous permettons une exception, cela peut être interprété comme une atteinte aux droits de certaines personnes, je me dis que nous perdons de vue le bien commun. Voilà ce que nous essayons de mettre en lumière ici. Est-ce que cela est bon pour l’ensemble du Canada?
Tout ce que je veux dire, c’est que nous voulons que cela soit envisagé d’une façon qui respectera la liberté et d’une façon qui sera uniforme pour toute la société canadienne, sans qu’il y ait de conséquences pour un groupe ou des personnes professionnelles en particulier.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Ma question est pour M. Worthen, de l’Association des médecins et dentistes chrétiens du Canada. Vous avez fait référence à la liberté de conscience et vous demandez que la loi prévoie une option de refuser. J’aimerais que vous expliquiez davantage votre perception des choses. Selon vous, la loi vous oblige-t-elle à fournir l’aide médicale à mourir?
[Traduction]
M. Worthen : Merci beaucoup de la question, madame la sénatrice. Parmi les pays qui ont légalisé l’euthanasie, le Canada est le seul qui n’a pas mis en place de mesures robustes pour protéger la liberté de conscience des professionnels de la santé. Je suis intervenu auprès du gouvernement lors de l’adoption des premières modifications apportées au Code criminel, et nous avons demandé qu’il y ait des mesures robustes pour protéger la liberté de conscience. En réponse, on nous a donné une disposition qui dit que rien dans le projet de loi ne peut être interprété comme exigeant d’une personne qu’elle fournisse ou aide à la prestation de l’AMM.
Le problème que nous avons au Canada, contrairement à tout autre pays qui a légalisé l’euthanasie, c’est que le droit criminel relève de la compétence fédérale, alors que la santé relève de la compétence provinciale.
Nos médecins tombent entre les mailles du filet. D’un côté, nous avons une disposition dans le Code criminel dont l’applicabilité est douteuse, compte tenu des dispositions sur la division des pouvoirs, et d’un autre côté, on nous a demandé d’intervenir à l’échelon provincial; au moins deux provinces nous ont demandé d’intervenir.
Ce que nous demandons, c’est la mise en place de mesures complètes et exhaustives pour protéger la liberté de conscience. Probablement que la seule façon de faire cela à l’échelle nationale serait de créer une disposition dans le Code criminel selon laquelle personne ne peut être forcé contre son gré de participer à n’importe quelle étape du processus d’euthanasie. Il pourrait aussi y avoir une sanction pénale en cas de contravention. Ce serait la seule façon de faire en sorte qu’il y ait cette protection dans tout le Canada.
Actuellement, dans bon nombre de régions, des médecins ont décidé de prendre une retraite anticipée; des médecins abandonnent leur carrière en soins palliatifs; des médecins décident d’opter pour une autre spécialisation. Nous avons fait une tentative de contestation devant un tribunal de l’Ontario, sans résultat. Nous demandons simplement au Parlement de reconnaître que, lorsque vous changez le Code criminel de cette façon, vous exposez peut-être involontairement de nombreux médecins consciencieux à un risque. Je parle non pas uniquement de médecins chrétiens, mais aussi de médecins musulmans ou sikhs, ou de médecins qui n’appartiennent à aucune religion en particulier. Tous ces médecins se retrouvent dans une situation précaire, parce qu’on ne leur permet pas de fournir ou d’aider à fournir de l’aide ou d’aiguiller.
Nous sommes prêts à soutenir nos patients, peu importe leurs décisions. Nous ne voulons pas leur imposer notre point de vue. Nous demandons simplement de ne pas être obligés de participer à quelque chose qui, il n’y a que quelques années, était illégal et qui va complètement à l’encontre de nos convictions. Le serment d’Hippocrate, vieux de 2 500 ans, est que nous ne devons jamais faire de mal à un patient. Merci.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Ma question est la suivante : voulez-vous que nous créions une infraction criminelle spécifique, pour forcer à offrir un soin ou à donner de l’information au sujet de l’existence d’une autre option?
[Traduction]
M. Worthen : Non. Nos médecins n’ont aucun problème à fournir de l’information sur l’existence d’une autre option, et beaucoup de provinces, dont l’Alberta, se sont dotées d’un moyen pour que les patients puissent avoir accès à cela sans aiguillage.
Nous n’avons pas de problème pour ce qui est de donner de l’information. Nous trouvons tout à fait correct de fournir aux patients et à leur médecin l’information sur le patient, leur dossier. Il y a tout un éventail de choses que nous sommes prêts à faire. Ce que nous voulons, simplement, c’est que nous ne soyons pas forcés de participer.
Actuellement, les militants nous disent qu’il y a une obligation éthique selon laquelle nous devons dire aux patients s’ils sont admissibles. Cela veut dire que si on donne à un patient un diagnostic de quadriplégie ou de paraplégie, alors la prochaine chose qu’on devra leur dire, c’est : « Je dois vous dire que vous êtes admissible à l’euthanasie. » Vous voyez l’absurdité. Nous demandons simplement d’être protégés.
Cela pourrait aussi être fait par l’intermédiaire d’une loi provinciale. Nous avons fait du lobbying auprès des provinces, mais les gouvernements provinciaux sont réticents à s’aventurer dans ce domaine, à l’exception du gouvernement manitobain. Une façon de régler le problème serait d’ajouter une disposition au Code criminel selon laquelle personne ne peut être forcé de participer contre son gré.
Le sénateur Kutcher : Ma première question s’adresse à Mgr William McGrattan. Merci de nous rappeler l’importance d’utiliser les bons mots lorsque nous examinons des questions délicates.
J’aimerais vous demander, en soulignant que nous n’utilisons plus l’expression stigmatisante « se suicider », de nous faire part des similitudes et des différences qui existent, selon vous, entre la mort par suicide et la mort par l’AMM. Dans votre réponse, pourriez-vous tenir compte des pièges, comme les raisonnements fallacieux ou les fausses équivalences.
Mgr McGrattan : Merci de cette question. De mon point de vue, monsieur le sénateur, la différence entre le suicide et l’aide médicale à mourir tient au fait que, actuellement, sous le régime de cette loi, la personne qui aide quelqu’un à se suicider dans le cadre de l’aide médicale à mourir ne peut pas être accusée d’un acte criminel. Le suicide est une décision qu’une personne prend, peut-être parce que, dans sa situation, elle croit que c’est le seul choix qui lui reste. Parfois, cela tient à une maladie mentale, ou alors à ses conditions de vie. Nous ne pouvons être certains, alors nous essayons d’être très compréhensifs et de ne pas juger dans ce genre de situation.
Cependant, quand il s’agit d’un acte prémédité, quand une personne, dans son processus décisionnel obtient de l’information pour peser le pour et le contre, demande des conseils et prend des dispositions pour prendre une décision éclairée, dans ce cas, on dit qu’il y a une « tentative délibérée » de prendre cette décision. Si une personne dans cette situation ne peut pas le faire elle-même et qu’elle demande à quelqu’un d’autre de l’aider, et que cette personne va en conséquence être forcée, comme M. Worthen l’a dit, de prendre part à cet acte, nous nous disons que cela va contre la conscience et les croyances fondamentales de certaines personnes, que ce soit des infirmiers ou des médecins, et nous trouvons cela préoccupant. Il y a aussi des membres de la famille qui ne vont pas nécessairement être d’accord avec la décision que leur proche a prise.
Le sénateur Kutcher : Vous vous êtes éloigné de la question en parlant des membres de la famille et de leur processus décisionnel au lieu de la décision indépendante de la personne. J’aimerais que vous reveniez en arrière. Vous n’avez toujours pas répondu à ma question sur la différence entre la mort par suicide et la mort par l’AMM.
Mgr McGrattan : La mort, au bout du compte, est un fait que Dieu réserve à chacun d’entre nous. Nous devrons tous, un jour ou l’autre, affronter la mort. Parfois, c’est à cause d’un accident tragique, et d’autres fois, c’est à la suite d’une décision personnelle.
Le sénateur Kutcher : Avec tout le respect que je vous dois, monseigneur, vous ne répondez pas à ma question. Je suis désolé, je ne veux pas me montrer difficile.
Vous avez établi une distinction importante. Les gens utilisent le mot « suicide » quand ils parlent de l’AMM. Vous-même avez utilisé ce mot. J’aimerais que vous nous aidiez à comprendre la différence entre le suicide et l’AMM ainsi que leurs similitudes.
Mgr McGrattan : Les similitudes tiendraient au fait que le suicide est l’acte d’une personne qui décide par elle-même de mettre fin à sa vie. Cette interprétation vaut aussi pour le suicide... l’aide médicale à mourir, où une personne décide de mettre fin à sa vie.
Le sénateur Kutcher : Et quelles seraient les différences?
Mgr McGrattan : La différence serait que, dans l’aide médicale à mourir, une autre personne doit en aider une autre dans l’acte de mettre fin à ses jours. La personne n’est pas seule; elle a besoin que quelqu’un l’aide.
La sénatrice Martin : Merci à tous les témoins de vos témoignages. Je sais que c’est une discussion très importante, mais vraiment difficile.
Ma question s’adresse à M. Derek Ross. Vous avez mentionné que l’Alliance des chrétiens en droit était intervenue dans l’affaire Truchon, et que ce projet de loi dépassait peut-être ce que cette décision exige du Parlement. Je me demandais si, selon vous, les demandes anticipées et l’annulation des mesures de sauvegarde sont, d’une façon ou d’une autre, prises en considération dans la décision. Un certain nombre de témoins ont dit au comité qu’il y avait un manque d’information et de données probantes, qu’il était nécessaire d’élaborer des normes. Ils ont aussi souligné à quel point les aspects de la question étaient complexes.
Nous sommes pressés par le temps. Je partage certaines des préoccupations dont je vous ai écouté parler, et d’après ce que je vois, il y en a d’autres qui ne sont même pas prises en considération.
Pourriez-vous formuler précisément des commentaires sur la décision Truchon et sur ce qui est exigé du Parlement, selon vous?
Me Ross : Merci de cette question, sénatrice Martin. La partie importante du libellé de la décision Truchon se trouve au paragraphe 16. C’est au paragraphe 16 que sont clairement établis les paramètres de la décision. La Cour a énoncé très clairement que la seule question qu’elle tranchait était celle de la constitutionnalité du critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible.
La Cour a énoncé explicitement qu’elle n’allait pas trancher ni examiner les questions relatives aux instructions médicales données à l’avance, c’est-à-dire les demandes anticipées. Le tribunal a pris la peine de dire qu’il n’allait pas examiner ces questions dans ses motifs.
Nous ne sommes pas d’accord avec le critère de la mort raisonnablement prévisible, mais à part cela, la date limite du 18 décembre n’a rien à voir avec les demandes anticipées. Le Parlement — le Sénat — n’est certainement pas tenu de changer quoi que ce soit par rapport aux exigences en matière de demande anticipée, de témoin ou de période d’attente à la suite de la décision Truchon.
Je crois que c’est très important de le dire, parce que, encore une fois, il faut tenir compte du fondement de la décision Truchon. L’une des choses que le tribunal a dites — l’une des mesures de sauvegarde sur lesquelles le tribunal s’est appuyé pour conclure que l’aide médicale à mourir devait être un régime circonscrit — était que, par mesure de sauvegarde, le patient reste apte jusqu’à la toute fin. C’est au paragraphe 273 de la décision. Le projet de loi C-7, en éliminant l’exigence du consentement final, annule cette mesure de sauvegarde.
Donc, l’un des principes sur lesquels la décision Truchon était fondée pourrait être éliminé, puisqu’on n’exige plus que le patient soit apte jusqu’à la toute fin, dans certaines circonstances. Comme Mme Beazley l’a fait remarquer, cela pose problème, parce que les données montrent que les patients peuvent effectivement changer d’avis, même après avoir déposé une demande écrite d’AMM. C’est pour cette raison que le Conseil des académies canadiennes est d’avis que les demandes anticipées représentent un problème, parce que si un patient n’est plus apte, le médecin ne pourra jamais être sûr s’il souhaite toujours recevoir l’aide médicale à mourir.
Le même principe s’applique à la période de réflexion. Il y a effectivement des patients qui changent d’idée au cours de cette période de 10 jours. Comme nous l’avons entendu, il y a des centaines de patients qui ont changé d’idée au cours de cette période.
Pour protéger l’autonomie des patients et pour veiller à ce que la décision reflète bel et bien leurs souhaits, il est absolument essentiel que ces mesures de sauvegarde soient maintenues. C’est pour ces raisons que nous croyons que ces dispositions ne devraient pas faire partie du projet de loi C-7, si son véritable objectif est de donner suite à la décision Truchon.
Le sénateur Cotter : Je crois que je vais adresser mes questions à M. Worthen et à Mgr McGrattan.
Monsieur Worthen, si j’ai bien compris les préoccupations que vous avez cernées à propos des personnes handicapées et des personnes vulnérables, vous dites que ce que nous devrions vraiment faire, c’est répondre à leurs besoins concrètement afin que ces personnes puissent participer pleinement à la société et ainsi éviter qu’elles ne choisissent pas inutilement, sans réfléchir et peut-être même de façon contraire à la morale de demander l’AMM pour mettre fin à leur vie. Je crois avoir bien résumé ce que vous avez dit.
Voici ce qui me préoccupe : je crois qu’il faudrait s’arrêter à « Nous devrions répondre aux besoins des personnes handicapées ». J’ai l’impression que vous utilisez les « personnes handicapées et les personnes vulnérables » comme pierre angulaire de votre argument contre l’AMM et que votre argument principal ne tient pas compte de la question fondamentale des besoins légitimes des personnes handicapées. Plutôt, vous utilisez les personnes handicapées dans votre argument principal pour nous convaincre de ne pas adopter le cadre à l’étude.
J’aimerais que vous répondiez à cela, s’il vous plaît.
Ma deuxième question s’adresse probablement à Mgr McGrattan. Dans vos commentaires, vous avez parlé des Canadiens et Canadiennes marginalisés et avez relevé les vulnérabilités et les risques auxquels ils s’exposent. Si nous pouvions répondre pleinement aux besoins des personnes handicapées et vulnérables — les personnes dont vous avez parlé — seriez-vous prêt à appuyer le régime d’AMM?
M. Worthen : Merci beaucoup de votre question très réfléchie, monsieur le sénateur. Je répondrai ainsi : ce qui me préoccupe, par rapport aux décisions judiciaires sur cette question, c’est que nous avons des exemples — le cas de Gloria Taylor serait un bon exemple — de personnes qui sont indépendantes et qui voulaient l’AMM dans un contexte où cela était illégal. Ces personnes ont réfléchi longuement, et avaient accès à du soutien. D’une certaine façon, quand le public canadien envisage l’AMM, il pense à des gens comme Gloria Taylor.
Ce que nous essayons d’expliquer, c’est que, à la lumière de notre expérience clinique, la plupart des gens ne sont pas comme Gloria Taylor : ils sont incertains. Ils ne savent pas comment ils se sentent. La plupart ont du soutien, et d’autres non. Certains peuvent aussi avoir un trouble concomitant de maladie mentale. Dans la plupart des cas, les choses sont très très loin d’être claires.
Pour vous donner un bon exemple, j’ai récemment fait des recherches sur un cas récent à Bridgewater : l’épouse d’un homme qui voulait demander l’AMM s’est rendue devant les tribunaux pour l’en empêcher. Nous avons consulté les affidavits dans cette affaire judiciaire, et nous avons constaté que ce patient avait des antécédents, et qu’il y avait des préoccupations quant à la façon dont sa maladie psychiatrique l’affectait.
Donc, tout ce que nos médecins essaient de dire, c’est que quand vous regardez d’un côté — les exemples très médiatisés dans les affaires judiciaires —, vous devez aussi prendre en considération toutes les autres personnes invisibles, qui peuvent être des victimes. Notre position est que pour le bien commun et l’intégration de la société, vous ne pouvez pas nécessairement accéder au souhait d’une personne, si cela risque de mener d’autres à une mort injustifiée.
Voilà notre préoccupation : vous devez prendre en considération tous les Canadiens et Canadiennes, et pas seulement ceux qui ont les moyens de porter leur cause devant les tribunaux. Selon nous, l’AMM ne devrait pas être élargie, parce que le risque serait trop grand pour les Canadiens et Canadiennes vulnérables.
J’espère que cela éclaircit pourquoi nous avançons cet argument. Nous voulons jeter la lumière sur toutes ces personnes qui ne peuvent pas s’exprimer et qui en subiront les conséquences si nous ouvrons cette boîte de Pandore.
Mgr McGrattan : Voulez-vous une autre réponse, sénateur Cotter?
Le sénateur Cotter : J’aimerais vraiment que Mgr McGrattan réponde, mais cela attendra peut-être le deuxième tour. J’aimerais être remis sur la liste. Je ne vais même pas poser la question, je veux seulement pouvoir obtenir une réponse, si cela ne pose pas problème.
Mgr McGrattan : Bien sûr. Merci.
La présidente : Je vais laisser Mgr McGrattan répondre tout de suite, sénateur Cotter, puisqu’il n’y aura pas vraiment de deuxième tour. Monseigneur, je vous prierais de répondre rapidement.
Mgr McGrattan : Sénateur Cotter, vous avez soulevé la possibilité que toutes ces situations que vivent les personnes handicapées puissent être atténuées si les bons moyens sont utilisés, et vous voulez savoir si, dans ce cas, j’appuierais l’AMM. Je dois dire que non. Pour moi, l’AMM est une façon d’accélérer la mort. Le message que je veux faire valoir est que, pour certaines personnes, des conditions sociales jouent un rôle dans ce contexte et font que ces personnes ont l’impression qu’elles doivent accélérer leur mort, et c’est pourquoi elles choisissent l’aide médicale à mourir.
Mais l’Église catholique s’est toujours opposée à l’aide médicale à mourir pour accélérer le décès d’une personne, même lorsque les tribunaux ont établi qu’il s’agit d’un choix — d’une liberté — que peuvent prendre les personnes qui sont dans une situation de souffrance irrémédiable et dont la mort est prévisible. Malgré tout, nous nous opposons toujours à l’aide médicale à mourir.
Le sénateur Cotter : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Comme je le disais tantôt, c’est un débat très difficile qui se situe au niveau des valeurs morales qui sont propres à chacun. À écouter les témoignages, je crois que l’accès à l’aide médicale à mourir ne fait pas la promotion du suicide, mais le refus de l’aide médicale à mourir dignement fait la promotion du suicide.
Sonia Blanchette, qui a assassiné ses trois enfants et qui a été condamnée à la prison à vie, ne pouvait pas vivre pendant 25 ans avec les remords provoqués par les gestes qu’elle avait posés. Elle s’est donné la mort en jeûnant pendant 15 jours. Hélène L., à la veille de ses 70 ans, après avoir passé des décennies atteinte d’une maladie incurable et alors qu’il ne lui restait que quelques années à vivre, s’est donné la mort après 15 jours de jeûne parce qu’on lui refusait l’aide médicale à mourir. Jacques Campeau, en 2019, s’est donné la mort après avoir essuyé plusieurs refus d’aide médicale à mourir.
Monseigneur, qu’est-ce qui est le plus moral, laisser des êtres humains abandonnés par la médecine disposer de leur vie, ou permettre à des êtres humains d’être accompagnés par la médecine vers une mort digne et humaine?
[Traduction]
Mgr McGrattan : Je suis d’accord pour dire que tous devraient avoir accès à du soutien et à des soins pour vivre leur vie dans la dignité, qu’il s’agisse de soutien ou de soins médicaux, communautaires ou spirituels, et pour que leur vie puisse se terminer naturellement. Participer... accélérer ou accepter... je crois que certaines personnes ont l’impression qu’il n’y a pas d’autres solutions, et qu’elles croient donc qu’elles doivent avoir ce choix.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Lorsque l’atténuation des souffrances d’une personne aux prises avec une maladie incurable consiste à lui administrer des doses de morphine au point où elle n’a plus conscience de son âme, de son cœur et de sa vie, n’est-ce pas aussi une forme de suicide?
[Traduction]
Mgr McGrattan : Il y a une distinction à faire ici, monsieur le sénateur. De nombreuses façons, l’atténuation médicale des souffrances fait en sorte que le patient n’est pas pleinement conscient. Mais cela est fait pour soulager sa souffrance et sa douleur. Je crois qu’il faut distinguer l’acte et l’intention. L’acte de donner de la morphine ou un médicament a pour but d’aider et de soulager : ce n’est pas de causer la mort.
Je crois qu’il faut faire la distinction entre l’administration de ce genre de traitement, et ces deux intentions différentes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monseigneur, est-ce que vous avez déjà accompagné des cancéreux en fin de vie, quand les doses de morphine abrègent leur vie?
[Traduction]
Mgr McGrattan : Oui. De fait, j’ai accompagné mon père qui était atteint du cancer et qui recevait des soins palliatifs à domicile, administrés par du personnel infirmier, et un médecin qui venait lui donner des médicaments. Ils nous ont expliqué que les médicaments permettaient de soulager sa souffrance, même si cela voulait dire qu’il y avait des moments où il n’était pas pleinement conscient et où on ne pouvait pas discuter avec lui.
Malgré tout, je crois sincèrement, parce que je l’ai personnellement vécu... j’ai réalisé que c’était un privilège d’accompagner une personne dans ses derniers moments, pour les proches, mais aussi pour les patients, afin qu’ils puissent ressentir que quelqu’un les soutient et s’occupe d’eux. C’est ce que nous voulons, d’une certaine façon : pouvoir répondre de façon équilibrée aux besoins de ceux qui sont en train de mourir naturellement, et ne pas accélérer le processus.
La présidente : Merci beaucoup, monseigneur.
La sénatrice Keating : Merci à tous les témoins. Je crois que vos conseils nous seront utiles.
Ma question s’adresse à Mgr McGrattan. Je comptais poser la même question que le sénateur Cotter, alors, monseigneur, je vais aller dans une autre direction. Ma question s’inscrit dans le grand nombre de droits constitutionnels en matière de santé qui sont garantis aux Canadiens. Je n’ai jamais cru que vous accepteriez l’AMM, même si tout le reste était correct, même si on offrait de bons soins palliatifs et de bons services. Ce n’est pas quelque chose à quoi je m’attendais de votre part.
L’une des choses sur lesquelles nous nous entendons probablement, c’est l’état désastreux des soins palliatifs, des soins pour les personnes handicapées, les personnes atteintes de maladie mentale et les personnes marginalisées, sans parler de l’écart qui existe entre chaque province et territoire. Malgré tout, chaque fois que je porte ce problème à l’attention du gouvernement, on me répond que la mise en œuvre de ces services relève de la compétence provinciale ou territoriale, et que cela ne concerne pas le fédéral.
Cela fait très longtemps qu’on parle des soins adéquats, et de nombreux témoins ont parlé du fait que la marginalisation des personnes pauvres et démunies posait un problème dans le cadre de l’AMM, et je ne peux pas dire qu’ils ont tort. Cependant, j’ai l’impression, compte tenu de tout le temps que nous avons passé à chercher à assurer une équité entre les gens et entre les provinces et territoires, qu’il est presque utopique de croire que la situation va s’améliorer de quelque façon que ce soit.
Je ne sais pas si je devrais vous poser cette question, mais croyez-vous qu’il y a quoi que ce soit que nous puissions faire pour améliorer la situation?
Mgr McGrattan : Merci, sénatrice Keating. Oui, vous posez une question très fondamentale. Je crois que vous allez au cœur de la discussion d’aujourd’hui... ce cadeau qu’est la dignité humaine. Mais même si cela est protégé dans la société, de nombreuses personnes se retrouvent dans des situations défavorables, que ce soit par rapport au logement, à l’emploi ou aux soins médicaux.
J’assure aussi la liaison entre les évêques pour tous les soins de santé catholiques d’un bout à l’autre du Canada, et à ce titre, je participe à ces discussions depuis les 12 dernières années. J’ai écouté ce que disent les diverses régions administratives, et on dénonce parfois cette approche parcellaire et la situation difficile quant à la fourniture des soins de santé; dans certaines régions, il y a des gens qui ne reçoivent pas les soins appropriés.
Ici en Alberta, il y a une initiative nommée L’importance des soins palliatifs. Souvent, les fournisseurs de soins de santé sont ceux qui peuvent fournir des solutions, et avec la créativité et l’ingéniosité dont j’ai parlé, nous pouvons préserver ce cadeau qu’est la dignité humaine. Je suis peut-être un utopiste, mais je crois sincèrement en la bonté et en la volonté des gens; je crois que nous voulons prendre soin des personnes les plus vulnérables. Il nous faut simplement la détermination et les ressources, et faire en sorte que les personnes qui ont la vocation de prendre soin des autres — je parle des médecins, du personnel infirmier et des travailleurs de la santé — ont accès à des structures et à de l’aide pour cela.
Soyez assurés que j’ai participé à ces discussions et que j’ai essayé d’encourager les diverses administrations, dans tous les secteurs de la santé des provinces d’un bout à l’autre du Canada, à continuer de s’occuper des personnes les plus vulnérables de notre société. C’est la mission des soins de santé catholiques.
La présidente : Merci, monseigneur.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Deux témoins nous ont parlé de personnes avec des handicaps comme si c’était des cas exceptionnels ou des citoyens choyés dans leurs conditions matérielles.
J’ai une question pour M. Worthen. J’ai cru comprendre, dans votre réponse au sénateur Kutcher, que vous vous opposiez à donner l’aide médicale à mourir à une personne qui a un handicap en disant que cela a pour conséquence de priver de soins d’autres personnes vulnérables. Je trouve cela très problématique. Est-ce que je vous ai bien compris?
[Traduction]
M. Worthen : Merci de la question. Non, je ne voulais pas dire que d’autres personnes pourraient être privées de soins. Ce que je voulais dire, c’est qu’il faut comprendre que, dès que nous cessons de considérer l’euthanasie comme une solution de fin de vie pour l’envisager comme une solution accessible à une personne qui n’est pas en fin de vie, cela peut ouvrir les vannes — disons-le ainsi — pour que toutes les personnes handicapées puissent avoir accès à l’euthanasie. Donc, si nous le permettons pour une personne, ce sera pratiquement impossible pour nous de créer un mécanisme juridique protégeant les autres personnes vulnérables qui pourraient choisir cela parce qu’elles n’ont pas accès à du soutien.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Si je vous comprends bien, monseigneur McGrattan, vous dites que vos croyances amènent l’Église catholique à une position de principe où l’on refuse l’aide médicale à mourir.
Êtes-vous au courant de l’expérience québécoise, qui a été développée à partir de discussions menées de 2010 jusqu’à maintenant, et sur les réalités que cela comporte? Il existe une espèce de corpus de preuves et d’expériences. Est-ce que vous êtes au courant de ces expériences?
[Traduction]
Mgr McGrattan : Je dois vous répondre sincèrement que non, madame la sénatrice, parce qu’actuellement, nous n’avons aucun représentant du Québec à l’Alliance catholique canadienne de la santé. La seule information dont je dispose me provient des discussions que j’ai avec mes confrères évêques du Québec, et leur expérience correspond à ce que vous dites. Je n’ai pas de connaissance directe à cet égard dans mon rôle pour soutenir les soins de santé catholiques au Canada, mais j’ai une certaine connaissance indirecte, parce que j’ai discuté avec des évêques du Québec à propos de ce qui s’est passé et de ce qu’ils ont vécu.
La sénatrice Dupuis : Merci.
La présidente : Nous passons au sénateur Kutcher pour une courte question. Ce sera notre dernier intervenant.
Le sénateur Kutcher : Ma question s’adresse au Dr Worthen. Vous nous avez dit que les médecins seraient tenus de donner l’AMM. Je suis moi-même médecin, et à ma connaissance, les codes de déontologie professionnelle ne contraignent pas les médecins à faire cela.
Pourriez-vous préciser votre pensée, s’il vous plaît?
M. Worthen : Avant toute chose, docteur Kutcher, je ne suis pas médecin. Je tiens à le préciser : je travaille pour des médecins. Malgré tout, je connais bien les exigences relatives aux normes de toutes les provinces.
Le mot que j’ai utilisé est « participer ». Par exemple, en Nouvelle-Écosse, une province que je connais bien, tout comme vous, j’en suis sûr, le collège provincial exige que les médecins aiguillent efficacement les patients vers l’euthanasie. Le College of Physicians and Surgeons exige que les médecins fassent cet aiguillage officiel.
Mgr McGrattan vous le dira, mais pour les catholiques, il s’agit d’une coopération officielle avec le mal. Ce n’est pas une chose que peuvent faire les catholiques, les évangélistes, les musulmans ou des membres d’autres groupes religieux.
En outre, des défenseurs de l’euthanasie — notamment l’un d’entre eux qui vit à Halifax — soutiennent que les médecins ont la responsabilité morale de dire à leurs patients qu’ils sont admissibles à l’AMM si le médecin croit que c’est le cas.
Si le projet de loi C-7 est adopté, nous serons dans une situation où les médecins devront dire à une personne qui devient quadriplégique ou paraplégique qu’elle est admissible à l’AMM. Ce n’est pas une chose que nos médecins peuvent faire. Le mot clé est « participer ». Il y a d’autres choses que nous pouvons faire, comme des évaluations psychiatriques, d’autres solutions.
Par exemple, il y a deux écoles de médecine au Canada où, dans le processus d’admission, des questions sur l’AMM ont été posées. Je suis sûr que vous connaissez, docteur Kutcher, le processus actuel d’admission. Cela se fait avec des acteurs, et les candidats suivent un scénario, et on évalue leur réaction. Dans un scénario, un patient demandait l’AMM, et on demandait au candidat s’il allait aiguiller le patient vers l’AMM.
En acceptant l’AMM, cela crée des préoccupations dès l’admission. Il y a des préoccupations à propos des exigences liées à l’enseignement médical. Il y a des préoccupations entourant le fait que les médecins seront officiellement tenus d’aiguiller les patients, comme c’est le cas en Nouvelle-Écosse. Il y a des préoccupations quant à la participation obligatoire aux évaluations psychiatriques. Il y a une très grande préoccupation parce que, essentiellement, les médecins seront obligés de dire à leurs patients qu’ils sont admissibles.
Dans le système médical, l’AMM est traitée comme n’importe quelle autre procédure, mais pour nous, cette procédure nous oblige à faire quelque chose qui va complètement contre nos croyances, contre nos valeurs et contre nos buts en tant que médecins qui ont prêté le serment d’Hippocrate de faire ce qui est le mieux pour notre patient.
On accuse parfois les chrétiens d’imposer leurs valeurs, mais dans ce cas, ce sont les défenseurs de l’AMM qui nous imposent leurs valeurs. Nous voulons simplement pouvoir pratiquer la médecine, comme Mgr McGrattan l’a dit, de la façon qui, selon nous, est dans le meilleur intérêt de nos patients, sans être obligés de faire quoi que ce soit qui pourrait leur porter préjudice ou mettre en danger les personnes vulnérables.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie d’avoir souligné que ce n’est pas au médecin de décider ce qui est le mieux pour le patient; il est là pour fournir de l’information afin que le patient puisse décider de la meilleure solution pour lui.
M. Worthen : Oui, c’est un bon point. Mais je crois que les médecins sont tout de même investis d’un devoir moral. On ne doit pas mettre les médecins dans une position où ils sont obligés de participer à cela une fois que le patient prend la décision.
Le sénateur Kutcher : Merci. S’il me reste une minute...
La présidente : Non, vous n’avez pas une minute. Je voulais seulement m’assurer que vous aviez terminé.
Je veux remercier tous ceux qui ont témoigné ce matin. Je suis vraiment désolée, parce que les sénateurs et sénatrices avaient des questions très importantes, et vous avez soulevé des points vraiment importants, mais je n’ai d’autre choix que de couper court à cette conversation très importante.
Soyez cependant assurés que, pour nous, notre discussion ne s’arrête pas là. Vous avez tous présenté des mémoires, et nous les lirons attentivement. S’il y a aussi d’autres points auxquels vous voulez répondre, vous pouvez toujours déposer de l’information supplémentaire.
Vous vous êtes tous rendus disponibles très rapidement, et ne croyez pas que nous n’en sommes pas reconnaissants. Nous vous en remercions énormément.
Cela a été un privilège pour nous d’écouter vos témoignages ce matin. Donc, merci beaucoup d’avoir été parmi nous. Honorables sénateurs et sénatrices, nous attendons maintenant d’accueillir le prochain groupe. Merci.
À tous les témoins, merci beaucoup d’être avec nous ce matin pour témoigner devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, dans le cadre de notre examen du projet de loi C-7, un projet de loi fort important.
Vous pouvez être certains que nous sommes impatients d’entendre ce que vous avez à dire. Je vais présenter les témoins : premièrement, M. Refaat Mohamed, président du Conseil canadien des imams; deuxièmement, M. André Schutten, directeur du droit et des politiques de l’Association for Reformed Political Action Canada; troisièmement, M. Daniel Hayward, président, Comité théologie et relations interconfessionnelles et interreligieuses de l’Église Unie du Canada; et finalement, M. Alexander King de l’organisme Vivre dans la Dignité. Nous allons commencer par le premier témoin. As-salamu alaikum, monsieur Mohamed. Vous avez cinq minutes.
Refaat Mohamed, président, Conseil canadien des imams : Wa alaikum assalaam. Merci beaucoup. Bonjour à tous, et bonjour aux sénateurs et sénatrices et à tous ceux qui prennent part à cette discussion. C’est un privilège pour moi de participer à la séance d’aujourd’hui pour discuter, au nom du Conseil canadien des imams et de la communauté musulmane, d’un sujet si important.
Nous avons la conviction que le système très robuste de soins palliatifs au Canada constitue une solution beaucoup plus efficace pour soulager la souffrance et pour protéger notre dignité sacrée en tant qu’être humain. Nous nous préoccupons grandement de la possibilité que l’élargissement de l’AMM poussera certaines personnes souffrant de problèmes de santé, par exemple de dépression, à choisir la mort plutôt que d’essayer de traiter les causes sous-jacentes de leur affection.
Nous craignons énormément que l’élargissement de l’AMM poussera des personnes handicapées — ainsi que des aînés — à choisir la mort parce qu’ils ne veulent pas devenir un fardeau pour les autres. Nous craignons énormément que le système de soins de santé va favoriser l’AMM au détriment des soins de longue durée et du traitement des maladies chroniques chez les personnes âgées.
Nous sommes tous perplexes en constatant que, même si la société a beaucoup évolué, nous avons tout de même grandement reculé dans la façon dont nous traitons les personnes vulnérables, malades ou marginalisées. Nous, musulmans, aux côtés de nos camarades et chefs religieux de la société canadienne, demeurons farouchement opposés à l’euthanasie et au suicide assisté : le meurtre intentionnel d’un autre être humain, même si on appelle cela « l’aide médicale à mourir » par euphémisme, n’est littéralement et tragiquement rien de moins qu’un meurtre, comme le définissait le Code criminel avant l’adoption du projet de loi C-14 en juin 2016.
Si notre système de santé de renommée mondiale appuie maintenant l’euthanasie comme solution à la souffrance humaine, alors nous minons la créativité et la volonté nécessaires pour trouver des solutions aux cas médicaux les plus complexes.
Nous devons épauler les personnes qui souffrent et offrir des soins exceptionnels à ceux qui regardent la mort et la maladie dans les yeux. Nous, Canadiens, donnons le meilleur de nous-mêmes quand nous fournissons des soins palliatifs avec compétence ainsi qu’une compassion et une générosité inébranlables. Au lieu de laisser seuls à eux-mêmes les gens qui vont bientôt quitter ce monde, nous devrions les soutenir encore plus étroitement, pour les aider à trouver un sens dans les derniers moments de leur vie. C’est de cette façon qu’on bâtit une communauté humanitaire.
Dans l’islam, le caractère sacré de la vie prime les dilemmes éthiques. Nous croyons fermement que la vie de chaque être humain, intrinsèquement, a de la valeur. Dieu tout-puissant dit : « Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous » (Coran 4:29). Il dit aussi : « Et quiconque lui fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes » (Coran 5:32). Il dit aussi que quiconque tuerait une personne ou l’aide à mourir, c’est comme s’il avait tué tous les hommes.
En conclusion, devant la douleur, la souffrance et la solitude humaines, nous devons réagir, en tant que société, en faisant preuve d’une grande solidarité et d’une compassion extraordinaire. Nous devons reconnaître profondément la beauté et la dignité de la vie humaine : la mort de quiconque doit être naturelle et ne doit pas être causée par des forces extérieures. Laissez Dieu tout-puissant décider de notre fin et faisons notre part pour aider les personnes jusqu’à ce qu’elles rendent leur dernier souffle. Je vous remercie au nom du Conseil canadien des imams et au nom de la communauté musulmane.
La présidente : C’est maintenant au tour de M. Schutten.
André Schutten, directeur du droit et des politiques publiques, Association for Reformed Political Action Canada : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’exprimer sur cette question fondamentalement importante. Je m’appelle André Schutten. Je suis avocat constitutionnaliste, militant pour les droits des personnes handicapées et directeur du droit et des politiques publiques de l’Association for Reformed Political Action Canada.
L’adoption du projet de loi C-7 aurait pour effet d’élargir grandement l’accès au suicide assisté pour les gens au Canada qui ne sont pas mourants. Il s’agit d’une modification énorme d’une loi qui n’est même pas en vigueur depuis cinq ans et qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen législatif par le Parlement. Un gouvernement civil n’a qu’un seul travail, n’a qu’une seule raison d’être : maintenir et appliquer les lois et protéger de façon égale la vie de ses citoyens, afin que tous puissent s’épanouir équitablement, mais le fait d’étendre l’accès au suicide assisté pour ceux qui ne sont pas mourants va à l’encontre de cet idéal. Dans l’arrêt Carter, autant le tribunal de première instance que la Cour suprême du Canada ont admis, et je cite :
[L]es risques inhérents à l’autorisation de l’aide médicale à mourir peuvent être reconnus et réduits considérablement dans un régime soigneusement conçu, qui impose des limites strictes scrupuleusement surveillées et appliquées.
Malgré tout, dans cette déclaration, les juges du tribunal de première instance et de la Cour suprême du Canada admettent implicitement que, dans les faits, des gens innocents pourraient mourir. Les risques sont inhérents, selon eux, et même s’il est possible de les atténuer, ils ne peuvent pas être éliminés complètement. La juge de première instance a admis qu’aucun autre de ces systèmes légalisés n’était parvenu à éliminer parfaitement les risques. La juge de première instance a examiné de nombreux éléments de preuve sur ce qui se faisait à l’étranger par rapport au suicide assisté légal, et elle a conclu qu’il y avait un manque de conformité avec les mesures de sauvegarde en Oregon, aux Pays-Bas et en Belgique et qu’il y avait des problèmes avec les données probantes sur l’impact du suicide assisté sur les personnes vulnérables aux Pays-Bas et en Oregon. Elle a aussi conclu que les personnes souffrant de dépression pouvaient passer à travers les mailles du système d’autorisation, même si ce n’est que dans des « cas très rares ».
Il y a donc des éléments de preuve au tribunal et des conclusions de fait montrant qu’on a assassiné des gens qui n’auraient pas dû mourir. On a euthanasié des gens qui souffraient de dépression. Ces patients étaient malades, et le médecin, au lieu de soigner leur dépression, a assassiné son patient. L’article 15 de la Charte dit que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, mais le fait d’avoir droit au même bénéfice de la loi ne veut pas dire avoir un accès égal au suicide assisté. Si nous acceptons ce raisonnement, alors cela suppose que les professionnels de la santé seront tenus, logiquement, de ne jamais empêcher quelqu’un de faire ce choix. En d’autres mots, la société, ou du moins le gouvernement civil, aurait le devoir de ne jamais interférer avec une tentative de suicide, ce qui est clairement insensé.
Plutôt, le droit au même bénéfice de la loi devrait s’entendre du fait d’avoir un accès égal à la protection de la vie humaine en droit. C’est le bénéfice conféré par le Code criminel : la protection complète et égale pour tous, indépendamment de tout handicap, de la vie humaine.
Si le Parlement décide d’élargir le suicide assisté au-delà du contexte de fin de vie, le risque additionnel auquel s’exposent les personnes handicapées est lié non pas à leur capacité de prendre une décision autonome, mais bien à l’attitude préjudiciable de la société envers une personne handicapée qui demande de mourir. Le risque découle de notre tendance, en tant que société, d’accepter automatiquement une telle demande, parce que nous tenons pour acquis que la vie des personnes handicapées a moins de valeur.
Encore une fois, si l’État a un rôle à jouer, c’est celui de protéger également la vie de tous ses citoyens, contre ceux qui leur feraient du mal, et lorsqu’il s’agit des citoyens les plus vulnérables, le rôle du gouvernement civil ne devrait être que plus grand. À mon avis, le projet de loi C-7 va à l’encontre de l’article 15 de la Charte, pas parce qu’il n’est pas assez permissif, mais parce que le projet de loi C-7 dévalorise toute une communauté de Canadiens, en leur enlevant la protection complète et égale à leur vie dont ils devraient bénéficier sous le régime du Code criminel. Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
La parole va maintenant au révérend Hayward.
Daniel Hayward, ministre du culte, Église Unie du Canada : Merci, honorables sénateurs et sénatrices, de m’avoir invité à témoigner devant vous aujourd’hui. Je suis le président du Comité théologie et relations interconfessionnelles et interreligieuses de l’Église Unie du Canada
En 2017, l’Église Unie du Canada a adopté une déclaration portant sur la question de l’aide médicale à mourir au regard de notre contexte théologique et de nos traditions religieuses. Sachant fort bien que les membres des communautés religieuses de l’Église Unie du Canada devront faire face à la possibilité que leurs proches demandent l’AMM ou qu’eux-mêmes songent à la demander, nous avons déclaré que les enfants de Dieu doivent épauler ceux qui doivent affronter des décisions difficiles. Le choix de demander la mort assistée doit être fait librement et en connaissance de cause. Avec l’appui et l’accompagnement d’autrui, et avec l’Église cherchant à maintenir l’indépendance morale de chacun ainsi que la vie communautaire, la personne doit considérer l’AMM comme étant un choix parmi d’autres, et non comme son seul choix.
Nous avons aussi déclaré que l’Église partage les préoccupations valides qu’ont exprimées les personnes handicapées au sujet des idées déformées et des abus qui pourraient, même subtilement, exercer des pressions sur les patients. En situation de contrainte ou en l’absence d’accès aux soins palliatifs, il ne peut y avoir de consentement éclairé à la mort assistée au sens de la loi. De plus, le droit à l’aide médicale à mourir pour certains patients peut créer un danger pour les autres, en particulier les personnes handicapées dont la capacité d’agir est inhibée par la société.
Le cadre établi dans notre déclaration initiale a servi à orienter notre position sur le projet de loi C-7. J’aimerais examiner brièvement chacune des principales dispositions du projet de loi, puis je vous ferai part de notre opinion à leur sujet.
Premièrement, l’élimination de la disposition exigeant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible comme critère d’admissibilité à l’AMM. Si on retire le critère de la fin de vie, l’accès à l’AMM est élargi de façon à ce que non seulement elle soit accessible aux personnes mourantes, mais aussi aux personnes handicapées. Cela soulève de graves préoccupations pour bon nombre de personnes handicapées, qui ont l’impression que cela veut dire qu’elles ne sont pas nécessaires et que leurs dons n’ont aucune valeur. Le retrait de cette exigence reviendrait à considérer la souffrance des personnes handicapées comme étant différente de celle des autres groupes dans la société; l’État signalerait que les personnes handicapées, contrairement aux autres, n’ont pas d’espoir et que leurs souffrances sont irrémédiables. Essentiellement, le défaut de la loi sur l’AMM d’inclure le critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible aurait un effet hautement discriminatoire sur les personnes handicapées. L’existence de ce critère est justifiée, car il protège le droit à l’égalité des personnes handicapées canadiennes.
Deuxièmement, la disposition selon laquelle les personnes dont la seule affection est une maladie mentale ne sont pas admissibles à l’AMM. Nous soutenons cette disposition, et nous insistons, dans notre déclaration, sur le fait que l’AMM ne doit pas être une façon d’éliminer les gens dans la société qui sont perçus comme étant peu utiles. Nous avons aussi insisté sur le fait qu’il ne faut pas exploiter le désespoir découlant de la stigmatisation des personnes handicapées. Ces deux affirmations sont particulièrement pertinentes à l’égard des questions de santé mentale dans le contexte de l’AMM. Nous demandons aussi, en tant qu’Église, comment pourrait-on accroître l’accès aux ressources pour les personnes atteintes de maladie mentale?
Troisièmement, l’autorisation de présenter une demande anticipée pour remplacer le consentement à l’AMM dans le cas d’une personne qui perdrait ses facultés. Un tel changement dans le régime d’AMM revient à dire que la vie d’un groupe, celui des personnes handicapées, n’a pas de valeur. Nous avons dit au comité parlementaire chargé d’examiner le premier projet de loi que les demandes anticipées soulèvent de profondes questions quant à la responsabilité personnelle, peu importe si le fait de donner l’AMM donne suite à cette demande.
Il y a le risque de contraintes inconscientes ou même évidentes. Même si on utilise souvent la situation pénible des personnes atteintes de démence ou de maladies connexes pour justifier l’autorisation des demandes anticipées, il serait préférable de fournir à ces personnes de meilleures options de soins.
L’Église s’est engagée à honorer sa mission à l’égard de la capacité d’agir de chacun et du lien qui nous unit dans la vie et dans la mort, et de protéger et de prendre soin des personnes les plus vulnérables, et c’est pourquoi nous nous opposons à cette disposition du projet de loi C-7.
La présidente : Nous allons passer au dernier témoin de ce groupe, M. King.
Alexander King, président du conseil d’administration (par intérim), Vivre dans la Dignité : Bonjour. En tant que président du conseil d’administration de Vivre dans la Dignité, je suis reconnaissant de pouvoir être ici afin de vous faire part de nos commentaires sur le projet de loi C-7. Vivre dans la Dignité a été fondé en 2010. Il s’agit d’un réseau de plus de 5 000 citoyens intéressés. Je veux qu’il soit clair que nous ne sommes affiliés à aucun groupe politique ou religieux.
Tout d’abord, nous sommes aussi très préoccupés du retrait du critère de la fin de vie. Ce critère a été énoncé comme étant la mesure de sauvegarde la plus importante pour protéger les personnes vulnérables. Cependant, le libellé actuel du projet de loi C-7 dépasse la décision Gladu et Truchon en éliminant ou en modifiant inutilement certaines mesures de sauvegarde. Pourquoi veut-on éliminer des mesures de sauvegarde qui étaient réputées nécessaires il n’y a que quelques années, sans d’abord avoir analysé leur impact? D’ailleurs, une telle analyse aurait eu lieu dans l’examen prévu l’année prochaine en vertu de l’article 10 du projet de loi C-14.
Actuellement, une demande écrite d’AMM doit être signée par la personne qui fait la demande devant deux témoins indépendants. Cette exigence était réputée nécessaire pour protéger les personnes vulnérables en cas de contrainte indue, mais le projet de loi C-7 n’exige qu’un seul témoin. En vertu de la loi fédérale en vigueur, il y a un délai obligatoire de 10 jours entre le dépôt de la demande d’AMM et la prestation. Encore une fois, il s’agissait d’une mesure de sauvegarde faisant en sorte que le patient ait une période de réflexion après avoir pris une décision qui allait changer sa vie, ou plutôt y mettre fin. Dans le projet de loi C-7, cette mesure de sauvegarde disparaît.
Ensuite, il y a la question du consentement final à l’AMM, que la personne doit donner tout juste avant de recevoir l’aide médicale à mourir. À mon avis, cela va de soi, et c’est même une norme de pratique pour toute opération qui suppose une anesthésie générale. Cependant, parce qu’il est possible qu’une personne qui a demandé l’AMM ne puisse plus y consentir au moment de la recevoir, le projet de loi C-7 prévoit de retirer cette mesure de sauvegarde, ce qui exposerait les personnes vulnérables au risque énorme de recevoir l’AMM alors qu’elles n’y consentent pas.
D’ailleurs, le projet de loi C-7 énonce même qu’il « est entendu que des paroles, des sons ou des gestes involontaires […] » en réponse à la prestation de l’AMM « ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance […] ».
Si je demande l’aide médicale à mourir, mais que je change d’idée au moment où on va me la donner, et que j’essaie, par exemple, de résister physiquement, cela pourrait être considéré en toute impunité comme ne constituant pas un refus à l’AMM. Ce genre de cas s’est malheureusement déjà vu au Québec : deux médecins ont admis, lors d’une audience publique, qu’ils avaient simplement endormi leur patient avant d’administrer l’AMM.
Je veux aussi aborder la question du délai de 90 jours avant l’administration de l’AMM pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie et qui ont reçu de l’information sur leurs autres options. Au lieu de prévoir un délai arbitraire — et je dirai que 90 jours, c’est clairement trop court, étant donné que le temps d’attente moyen pour voir un spécialiste est environ de 140 jours —, il serait certainement préférable de donner l’accès à d’autres solutions et de les mettre à l’essai avant d’envisager la mort comme solution. Nous devons aider les gens à vivre avant de les aider à mourir.
Parfois, ce ne sont même pas des soins médicaux dont la personne a besoin. Elle a parfois seulement besoin de mesures d’adaptation, comme en ont témoigné, je crois, certaines personnes handicapées physiquement. Nous voulons que ce projet de loi fasse en sorte que l’AMM ne puisse pas être proposée aux personnes vulnérables, même parmi d’autres options, sans quoi nous nous retrouvons dans une situation tordue où on offre la mort aux personnes suicidaires au lieu de les aider.
Les groupes anti-euthanasie ont été ridiculisés en 2015 et en 2016 parce qu’ils s’opposaient à l’adoption de ces lois et parce qu’ils nous ont mis en garde contre cette pente glissante. On nous a assuré qu’il y avait des mesures de sauvegarde pour protéger des personnes vulnérables. D’accord, mais à présent, quelques années plus tard, ces mesures de sauvegarde sont retirées l’une après l’autre : le critère de la fin de vie, éliminé; la période d’attente de 10 jours, éliminée; les deux témoins indépendants, éliminés; le consentement final, éliminé. En adoptant ce projet de loi sans modifications, on expose des millions de personnes vulnérables à un risque encore plus grand.
Enfin, les dispositions du projet de loi ne seront pas suffisantes pour protéger la liberté de conscience des professionnels de la santé. Si je suis malade ou blessé, je consulte mon médecin pour obtenir son opinion professionnelle. Je ne peux pas exiger qu’il me donne un traitement ou un autre. Les médecins doivent offrir ce qui est, selon eux, dans l’intérêt supérieur de leurs patients. Mais, sous le régime du projet de loi C-7, je vais pouvoir lui demander de me tuer. Cela semble très différent des pratiques médicales habituelles. Certains professionnels ne veulent pas participer à la mort délibérée de leurs patients, que ce soit directement ou en les aiguillant vers la personne qui s’en chargera. Nous croyons que la liberté de conscience des professionnels doit être respectée, et que le libellé du projet de loi à cet égard devrait être considérablement renforcé. Merci.
[Français]
Je pourrai répondre aux questions en français ou en anglais. Merci.
La présidente : Monsieur King, merci beaucoup pour votre présentation.
[Traduction]
Nous allons passer aux questions. Honorables sénateurs et sénatrices, je vais vous demander de préciser à qui vous posez votre question, parce que c’est très difficile pour moi de diriger votre question autrement, et que je ne veux pas être obligée de m’en charger. La première intervenante est la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc.
La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins de s’être rendus disponibles au pied levé et de nous avoir fait part de leurs opinions. Je n’ai pas de questions pour le moment, mais peut-être que j’en aurai plus tard. Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Mohamed. Vous êtes le seul à avoir parlé du réseau de soins palliatifs qui est inexistant, ou en tout cas qui est insuffisant. Pourriez-vous nous parler de votre expérience du réseau de soins palliatifs et de ses lacunes? On sait qu’il y a des lacunes, que le réseau est insuffisant, mais peut-être pourriez-vous nous parler des lacunes dans les soins palliatifs, des disparités régionales ainsi que du nombre de lits manquants, par exemple?
[Traduction]
M. Mohamed : Merci beaucoup de vos questions. Comme je l’ai dit dans mon exposé, nous nous opposons complètement au projet de loi C-7. Nous nous y opposons parce que nous croyons qu’il est injuste d’interférer dans la vie de quiconque ou de les soutenir dans leur choix de demander que leur médecin leur donne la mort. En tant que chefs religieux, nous nous entendons pour dire qu’une personne ne devrait jamais avoir le choix de mettre fin à sa vie ou de mettre fin à la vie d’une autre. Cela va à l’encontre des principes de notre religion et de la dignité humaine, d’un point de vue logique. Ce n’est une décision pour personne.
En conséquence, des soins et du soutien doivent être offerts à tous les Canadiens et à toutes les Canadiennes, à toute personne et à tout être humain sur terre. Pour les gens dans cette situation, c’est une responsabilité qu’ils « doivent » assumer, que ce soit en santé ou en politique. Nous sommes tous censés nous aider et nous soutenir les uns les autres, alors que nous tentons de diverses façons d’affronter la vie. Les soins palliatifs constituent un service essentiel dans toute société et pour tous les gouvernements. Au Canada, nous avons l’un des meilleurs systèmes de santé, et c’est pourquoi nous devons continuer de soutenir la dignité humaine jusque dans les derniers moments de la vie.
[Français]
Le sénateur Carignan : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Mes questions s’adressent à M. Schutten, de l’ARPAC. En vous appuyant sur votre grande expertise juridique et votre travail sur cette question — j’ai remarqué que vous aviez une maîtrise en droit constitutionnel de la faculté de droit Osgoode Hall —, pourriez-vous nous expliquer pourquoi, selon vous, l’exclusion visant les personnes dont la seule affection est une maladie mentale prévue dans le projet de loi C-7 survivrait à une contestation constitutionnelle? Aussi, croyez-vous qu’il est important que nous ayons des mesures de sauvegarde spéciales et une exclusion à l’AMM pour les personnes atteintes de maladie mentale, et est-ce que cela est valide en droit? Merci.
M. Schutten : Merci beaucoup de la question. À mon avis, l’exclusion selon laquelle les personnes dont la seule affection est une maladie mentale ne sont pas admissibles à l’AMM, l’aide médicale à mourir, est constitutionnelle. Il n’est pas non plus inconstitutionnel que cette exclusion soit dans le projet de loi. Je crois qu’il y a deux raisons : premièrement, il faut bien comprendre quel est le bien ou le service en question, c’est-à-dire le bénéfice offert dans le Code criminel. Il ne s’agit pas du droit au suicide ou à la mort assistée. Ce n’est pas le bien qui est offert par l’intermédiaire du Code criminel. Plutôt, le bien est la protection égale de la vie humaine, et l’aide médicale à mourir constitue la plus haute des exceptions. Le régime est censé être extrêmement circonscrit, parce que nous ne voulons pas d’une société où plein de gens sont autorisés à mettre un terme à la vie d’autres êtres humains.
Même si vous rejetez cet argument, nous savons malgré tout que la décision Truchon et l’arrêt Carter donnent au Parlement une marge de manœuvre pour interdire le suicide assisté, ou l’AMM, dans le cas de personnes atteintes d’une maladie mentale. Je vais donner la décision Truchon en exemple, dans laquelle, aux paragraphes 654 et 659, la juge de première instance a dit plus d’une fois que c’est à cause de leur condition physique propre que les personnes concernées ne pouvaient pas se suicider ou mettre fin à leurs jours d’une façon qui n’augmenterait pas leurs souffrances.
C’est pour cette raison que la décision Truchon élargit l’accès au suicide assisté, à l’aide médicale à mourir. Cela vaut aussi pour Gloria Taylor, dans l’arrêt Carter. C’est aussi vrai en ce qui concerne Kay Carter, Sue Rodriguez, Jean Truchon et Nicole Gladu. C’est à cause de leur condition physique qu’on leur a donné accès à l’aide médicale à mourir. Nous ne devrions donc pas élargir l’accès aux personnes dont la seule affection est une maladie mentale, et je doute que la Cour suprême du Canada rende jamais une décision en ce sens.
La sénatrice Batters : Merci. Une autre tragédie est que, chaque année, 4 000 Canadiens se donnent la mort en se suicidant. Comme vous l’avez dit, les données montrent que 95 % de ces personnes souffraient d’une maladie mentale.
Nous avons reçu votre mémoire ce matin, et j’ai remarqué que, dans une section, on avance que nous nous trompons en ce qui concerne la période d’attente de 90 jours. Pouvez-vous nous expliquer cet argument, ainsi que la modification très simple que vous proposez pour corriger le problème?
M. Schutten : Merci à nouveau. Le problème, c’est le manque de clarté. En ce qui a trait au début exact de la période de 90 jours, le projet de loi C-7 est confus et brouillé. Le libellé du projet de loi est très ambigu.
Est-ce que cette période commence dès le moment où le médecin rencontre le patient et se dit, dans son esprit « Je crois que ce patient est admissible à l’AMM »? Est-ce que le délai de 90 jours commence à ce moment-là, ou est-ce plutôt quand le patient commence à s’interroger au sujet de l’aide médicale à mourir, qu’il soit ou non admissible? Ou alors, est-ce que le délai commence quand le patient fait officiellement la demande?
Je crois que nous avons besoin de clarifications et d’une orientation, parce que c’est très confus. Les médecins prestataires de l’aide médicale à mourir ont besoin que les législateurs, vous, leur donnent des directives. La modification la plus simple consiste à s’assurer que le projet de loi précise clairement que le délai de 90 jours commence lorsque le patient dépose par écrit une demande officielle d’aide médicale à mourir.
Je crois fermement que c’est le patient, de sa propre initiative, qui doit amorcer le processus. Il y a un déséquilibre des forces entre les médecins et leurs patients. Quand c’est le médecin qui mène la conversation et qui propose une telle solution, cela a un effet profond sur le patient. Nous devons permettre aux patients d’avancer cette idée par eux-mêmes.
La sénatrice Batters : Merci.
M. Schutten : Merci de la question.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse à M. King, qui a beaucoup parlé de la liberté de conscience des médecins. Lorsqu’on regarde la décision rendue par trois juges de la Cour divisionnaire de l’Ontario, qui a ensuite été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario, on voit que celle-ci portait sur les directives émises par le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario. Les trois juges de la Cour d’appel ont écrit ceci, et je cite :
[Traduction]
Les médecins jouent un rôle positif pour leurs patients à titre de gardiens des services de santé. Ils sont soumis à l’obligation de non-abandon, ainsi qu’à l’obligation de duplication et de faire passer les intérêts de leurs patients avant les leurs. La politique a pour but de garantir que les religions et les objections consensuelles des médecins ne constituent pas un obstacle aux soins de santé pour les patients qui demandent des services auxquels certains médecins pourraient s’opposer.
[Français]
Vous n’êtes visiblement pas d’accord avec cette décision. Vous pensez que ce n’est pas le choix du patient qui est important, mais celui du médecin?
[Traduction]
M. King : Le problème, avec cette décision — je ne suis pas un avocat qualifié, et je ne vis pas en Ontario, alors vous m’excuserez si jamais ma réponse est incohérente —, est qu’elle définit un « meurtre » comme étant un soin, pour commencer. Effectivement, oui, les médecins sont des gardiens, des gardiens qui doivent offrir ce qui est, à leur avis, dans l’intérêt supérieur de leur patient. Je ne crois pas qu’une loi, peu importe laquelle, peut forcer qui que ce soit à envisager que tuer son patient est dans son intérêt. Nous pouvons débattre de la question, mais je crois qu’il serait vraiment fallacieux de dire que, sous le régime d’une loi, on peut forcer quelqu’un à commettre un tel acte.
Le sénateur Dalphond : Personne ne demande aux médecins de commettre un acte auquel ils s’opposent, comme enlever la vie à une personne. On leur dit, cependant, qu’ils devraient donner toute l’information nécessaire à propos des services auxquels le patient qui pose la question est admissible.
M. King : Oui, je comprends. Je comprends qu’il soit nécessaire de s’attacher autant aux détails techniques. Nous sommes tous humains. Nous avons de l’expérience dans les services aux personnes vulnérables. Je peux vous donner deux ou trois exemples.
Prenez un alcoolique : vous ne lui offririez pas une bière si c’est l’un de vos amis... Je ne sais pas si quiconque ici sait ce que c’est d’avoir un membre de sa famille qui a des problèmes d’alcoolisme. Prenons seulement l’exemple d’un proche qui est au régime; vous ne lui offririez pas une barre de chocolat. Dans le cas d’une personne vulnérable... il est tout à fait normal de ressentir des problèmes dans sa vie. C’est donc envisageable qu’une personne qui affronte des difficultés extrêmes ait parfois, sûrement, le sentiment que la mort serait préférable. Vous n’offririez pas à ces personnes...
Le sénateur Dalphond : Je crois que les médecins savent ce qu’il y a de mieux. Merci. Je pense que mon temps est écoulé.
Le sénateur Cotter : Ma question s’adresse à M. Schutten. J’ai deux questions. Je ne suis pas aussi rapide que la sénatrice Batters, et je n’ai pas encore lu votre mémoire, mais j’aimerais avoir quelques éclaircissements au départ. Vous avez fait une observation sur la portée et la responsabilité du pouvoir gouvernemental, lorsque vous avez commencé à parler du Code criminel, et je me demandais si vous pouviez répéter, si cela ne vous dérange pas, aussi rapidement que vous le pouvez.
Ma deuxième question est plus étoffée. Si je ne me trompe, vos commentaires sont fondés sur une riche tradition religieuse, ce que je respecte, mais d’un autre côté, l’ARPA explique avec éloquence, dans sa déclaration, pourquoi il est nécessaire de séparer l’Église et l’État.
Je crois que cela me serait utile si vous m’expliquiez ou me décriviez comment on peut examiner cette question d’un point de vue séculier, tout en reconnaissant qu’il y a une grande dimension morale, mais sans devoir s’en remettre aux principes religieux, qui ont souvent été mentionnés.
Pourriez-vous faire des commentaires là-dessus? Aidez-moi à comprendre dans quelle mesure je devrais accepter vos arguments, parce que même si je reconnais qu’il y a une composante morale, je sais qu’ils sont surtout fondés sur la force des convictions chrétiennes de votre organisation.
M. Schutten : Merci, monsieur le sénateur. Je comprends vos deux commentaires.
Je crois avoir tout dit dans ma déclaration préliminaire sur la portée du pouvoir gouvernemental. S’il y a un devoir très important — peut-être même le plus important — d’un gouvernement civil, c’est bien de protéger la vie de ses citoyens. C’est sa vocation et sa responsabilité la plus élémentaire. Bien sûr, il est investi de nombreuses autres tâches, mais celle-là serait la plus élémentaire... cela touche aussi l’article 15 de la Charte, qui dit que toutes les personnes et tous les citoyens ont le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi. Donc, je dirais que, si la tâche la plus élémentaire d’un gouvernement civil est de protéger toutes les vies humaines du mieux qu’il le peut, par l’intermédiaire du Code criminel, alors il doit s’assurer que cela est fait également pour tous, peu importe leurs capacités ou leur handicap.
En réponse à votre deuxième question sur la séparation de l’Église et de l’État, je suis d’accord, oui. Je suis un chrétien réformiste, et cela fait des centaines d’années que cette tradition tente de répondre à cette question... du moins, depuis les 500 dernières années. Nous admettons que l’institution religieuse a des responsabilités différentes de l’institution de l’État. Il y a une séparation des institutions. Cela ne veut pas dire que ces deux institutions ne peuvent pas dialoguer, tout comme le font le Parlement et la Cour suprême à propos de certaines questions. De façon similaire, l’Église et l’État peuvent aussi discuter.
Cela dit, prenez le groupe de témoins actuel, par exemple. Nous avons un témoin de la communauté musulmane, un témoin d’une communauté chrétienne progressiste, un témoin d’une communauté chrétienne plus conservatrice, et il y a un témoin qui présente un point de vue séculier, mais tous les quatre nous nous entendons pour dire — parce que nous avons une croyance commune sur l’importance des personnes, handicapées ou non — qu’il y a énormément de raisons de politique publique pour lesquelles la dignité humaine doit être traitée avec respect et que la vie doit être protégée. Donc, je ne crois pas qu’il s’agit d’un point de vue unique à la foi chrétienne; nous semblons tous avoir ce point de vue.
Je ne suis pas médecin. Je suis avocat. Il ressort clairement des témoignages de la communauté médicale que j’ai entendus que, pour beaucoup de médecins, le problème n’est pas tant « Mes convictions religieuses m’empêchent de faire ceci », que « Je dois servir et bénir mon patient au mieux de mes capacités. En ce moment, une demande de suicide assisté ou d’AMM n’est pas ce qu’il y a de mieux pour ce patient. » Cela se voit tout le temps.
Donc, ce ne serait pas cohérent de dire « Non, nous ne respectons pas l’autonomie du patient de cette façon ». Je ne crois pas que quiconque dise « Eh bien, nous ne respectons pas l’autonomie du patient de cette façon ». Je crois que nous ne sommes pas toujours cohérents, parce que si c’est un adolescent suicidaire qui dit : « C’est assez, je veux en finir », nous ne respecterions pas l’autonomie du patient, et à juste titre, dans ce cas. Je crois qu’il faut simplement comprendre les raisons, et les appliquer uniformément et globalement. J’espère avoir répondu à votre question, monsieur le sénateur.
Le sénateur Cotter : Oui.
Monsieur Schutten, ce qui me frustre — et j’en ai parlé aux témoins du groupe précédent —, c’est la défense de cette approche fondée sur la valeur quand il s’agit de l’AMM. Quand il s’agit d’un autre sujet que de la mort assistée, on ne défend presque jamais cette valeur. Peut-être avez-vous témoigné devant le Sénat à propos de la pauvreté, de l’injustice ou des personnes vulnérables, mais j’ai réellement l’impression que cette préoccupation visant les personnes handicapées, les personnes vulnérables, est utilisée de façon instrumentale pour défendre votre cause, soit que l’aide médicale à mourir soit rejetée. Je vous demanderais de réagir à cela.
M. Schutten : Merci de votre honnêteté, monsieur le sénateur.
Le sénateur Cotter : Et je vous saurais gré d’être aussi honnête.
M. Schutten : Oui, bien sûr. Je peux seulement parler au nom de ma communauté religieuse, dans laquelle j’ai grandi et à laquelle j’appartiens encore, et au nom de ma communauté personnelle et professionnelle. Notre communauté accorde énormément de valeur à l’ensemble des droits de personnes handicapées. En ce qui me concerne, chaque été, je fais du bénévolat dans un camp d’été pour les hommes et les femmes ayant une incapacité mentale. Je suis jumelé avec deux hommes atteints de trisomie 21. C’est quelque chose que je fais depuis 15 ans. Ma communauté religieuse œuvre sans soutien ni ressources du gouvernement civil. Nous finançons avec notre propre argent cinq foyers dans notre province seulement, pour les personnes qui ont des besoins spéciaux ou des handicaps. Depuis longtemps, grâce à des dons diaconaux, chaque dimanche, les gens de ma communauté religieuse aident les personnes dans le besoin qui ont des difficultés financières ou autres.
Pour revenir à votre question originale sur la séparation de l’Église et de l’État, nous croyons bien sûr que le rôle du gouvernement civil est de fournir un filet de sécurité sociale, et c’est aussi ce que nous faisons. Nous joignons le geste à la parole. Nous ne faisons pas que demander — en votant ou directement — « Eh, les membres du gouvernement civil, faites-en plus ici et là ». Nous disons : « Nous sommes prêts à le faire nous-mêmes, avec notre propre argent, de nos propres mains et avec notre propre temps. » Je crois que nous faisons de notre mieux.
J’espère que cela vous donne une autre perspective.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je remercie tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma première question s’adresse à l’imam Mohamed et ma deuxième à M. Schutten.
Monsieur Mohamed, après avoir exprimé votre opposition à l’aide médicale à mourir et l’avoir qualifiée de meurtre, vous avez terminé votre présentation en disant : « Laissez Dieu décider de notre fin. »
Si vous dites que l’aide médicale à mourir, telle que nous la connaissons, telle qu’elle est pratiquée au Québec depuis un certain nombre d’années et telle qu’elle est permise dans la loi fédérale, est un meurtre et que nous ne pouvons pas laisser les gens choisir, même s’ils éprouvent des souffrances intolérables, de vouloir mettre un terme à ces souffrances, comment jugez-vous la situation actuelle, où c’est la décision du médecin d’administrer, en dehors de l’aide médicale à mourir, une sédation terminale qui met un terme à la vie de son patient? Comment qualifiez-vous ce geste? Est-ce un meurtre, selon vous?
[Traduction]
M. Mohamed : Merci beaucoup, madame la sénatrice, de la question. Je comprends votre argument. Vous dites que, dans le domaine médical, ce sont les médecins qui décident, dans les faits, s’il faut ou non aider une personne à mourir, alors comment peut-on qualifier cela de meurtre?
Nous accordons énormément de valeur à nos médecins dans les sociétés canadiennes qui soutiennent et qui aident leurs patients et qui soulagent leur douleur. C’est toujours notre travail d’aider ceux qui en ont besoin.
Nous savons que nous sommes créés et que nous serons mis à l’épreuve dans notre vie, que ce soit par la maladie ou par d’autres problèmes de la vie, et que nous devrons affronter ce genre de choses, mais mourir ou aider quelqu’un d’autre à mourir n’est pas la solution. Honnêtement, on nous demande d’aider les gens à vivre, de multiples façons et en employant toutes sortes de solutions. Les personnes dans le domaine médical, ceux qui traitent les patients, ne choisissent jamais de les laisser tomber. Plutôt, si le patient a besoin d’un médicament, il faut soutenir physiquement et mentalement cette personne et lui donner tout ce dont elle a besoin pour soulager ses souffrances, au lieu de lui donner l’option de demander l’AMM.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Avec tout le respect que je vous dois, monsieur l’imam, ce n’est pas ma question. Ma question est : comment qualifiez-vous la décision unilatérale d’un médecin de mettre un terme à la vie de son patient en lui administrant une sédation terminale en dehors du cadre de l’aide médicale à mourir? Est-ce que vous qualifiez cela également de meurtre?
[Traduction]
M. Mohamed : Les personnes ont des choix qui leur permettent de vivre; ils n’ont pas l’option de demander à quelqu’un d’autre de les laisser partir. Donc, nous nous opposerons, même si la personne souffre, à ce genre de demande. N’importe qui traversant une période difficile ou souffrant demandera d’être soulagé. Peut-être même qu’il va demander : « Laissez-moi partir ».
Nous croyons que cela revient à un meurtre. Ce serait un genre de meurtre de laisser cette personne partir ou de l’aider à mourir. Donc, oui, pour nous, c’est toujours un meurtre. Si une personne prend la vie d’une autre avant que Dieu ne la ramène à lui, alors c’est sans conteste un meurtre.
[Français]
La présidente : Avez-vous terminé, sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Ma seconde question s’adresse à M. Schutten. Monsieur Schutten, vous nous avez présenté les organisations religieuses qui comparaissent présentement comme étant relativement progressistes, moins progressistes et plus conservatrices. Pour éclairer les membres de notre comité, pourriez-vous nous dire quelles sont celles qui sont considérées comme plus progressistes ou plus conservatrices?
[Traduction]
M. Schutten : Je suis désolé, mais je ne saurais pas dire où se situe mon collègue imam sur le continuum entre progressiste et conservateur. À dire vrai, ce n’est probablement pas très pratique comme étiquette. Je l’ai seulement utilisée pour décrire les deux organisations chrétiennes, parce que je crois que, en général et de façon peu rigoureuse, on nous a apposé l’étiquette de « conservateur », en ce qui concerne notre tradition religieuse. En contrepartie, l’Église Unie du Canada a été étiquetée comme étant « progressiste ». Je ne suis pas vraiment en faveur d’utiliser des étiquettes pour séparer et distinguer les gens; j’ai seulement mentionné cela pour souligner que même si notre groupe a plusieurs points de vue, nous avons tous d’importantes préoccupations quant au projet de loi C-7.
Le sénateur Kutcher : Ma question s’adresse au révérend Hayward. Dans les cas de maladies graves, intraitables et incurables, il y a souvent un trouble mental concomitant. [Difficultés techniques] comorbidité, tout en excluant les personnes dont la maladie mentale [Difficultés techniques] est la seule affection.
Vous avez dit que vous êtes en faveur de cette exclusion. Pouvez-vous nous aider à comprendre ce qui semble, à première vue, une contradiction, si les gens qui ont des troubles psychologiques en plus d’une autre maladie quelconque sont admissibles? Merci.
Révérend Hayward : Merci de la question, monsieur le sénateur. Dans ma déclaration, quand j’ai parlé de l’exclusion dans le projet de loi selon laquelle les personnes dont la seule affection est une maladie mentale ne sont pas admissibles à l’AMM, je parlais uniquement des cas où il s’agissait vraiment de la seule affection.
Il n’est pas rare que la maladie mentale soit une composante de l’affection d’une personne, et qu’il y ait d’autres affections. Cela a été mis en relief dans la littérature sur l’AMM qui porte en particulier sur le Belgique et les Pays-Bas, à propos des combinaisons complexes d’affections. Donc, une personne qui serait atteinte d’une affection qui entraînerait une mort naturelle, sans être liée à une maladie mentale, serait-elle admissible à l’AMM? Je dirais que oui.
Je crois que, comme Église, nous nous préoccupons davantage de savoir qu’il y a des ressources offertes aux personnes atteintes de maladie mentale. Notre préoccupation, comme nous l’avons dit tout au long de nos commentaires, est qu’il ne faut pas que l’AMM soit la seule option offerte à ces personnes, mais que ce soit une option parmi beaucoup d’autres.
Le sénateur Kutcher : Merci. Je ne crois pas avoir jamais parlé à quiconque qui contredirait votre observation selon laquelle l’accès à des soins de santé mentale efficaces est inégal au Canada. Cependant, je ne comprends pas toujours la contradiction. Une personne qui a une maladie mentale en plus d’une autre affection est admissible, même si sa maladie mentale pourrait être le seul facteur qui la pousse à vouloir cela. Les autres qui ont seulement une maladie mentale ne sont pas admissibles. Pouvez-vous m’aider à rétablir la logique?
Révérend Hayward : Dans ce contexte, un message que nous essayons de faire passer est le fait que certaines choses font en sorte que la vie mérite d’être vécue. Un handicap ou, pour revenir à votre question, une maladie mentale ne peut être le seul facteur déterminant de la décision de demander l’AMM ou le seul facteur sur lequel s’appuie une personne pour décider si sa vie mérite d’être vécue.
Nous avons des préoccupations par rapport à la conception sociale de ce qu’est une bonne vie. Cela se reflète aussi dans la formulation entourant les demandes anticipées : les personnes handicapées, y compris les personnes atteintes de maladie mentale, peuvent vivre leur vie en plénitude, pour reprendre l’expression biblique. Leur vie a de la dignité aux yeux de Dieu. Leur vie a de la valeur, et cela milite contre le recours à l’AMM.
La sénatrice Pate : Je suis désolée si cela a déjà été demandé... Madame la présidente, si je pose une question qui a déjà été posée, faites-le moi savoir, s’il vous plaît. Ma connexion a été coupée un petit moment.
La présidente : Vous avez eu des difficultés techniques. Ce n’est pas grave. Posez de nouveau votre question.
La sénatrice Pate : Je serais très intéressée de savoir, compte tenu de ce que chacun d’entre vous avez dit, quels amendements au projet de loi vous recommanderiez. J’aimerais surtout savoir si l’un ou plusieurs d’entre vous avez examiné la situation des personnes en établissement, en particulier dans les prisons. Vous êtes-vous intéressés au régime d’AMM pour ces personnes?
M. Schutten : Voulez-vous que nous répondions dans un ordre particulier, madame la présidente?
La présidente : Sénatrice Pate, pouvez-vous adresser votre question à une personne en particulier? Autrement, nous n’aurons pas suffisamment de temps.
La sénatrice Pate : Sans problème. Merci beaucoup. Commençons avec M. Schutten, puis avec M. King. Puis, s’il nous reste du temps, avec l’imam Refaat et le révérend Hayward.
M. Schutten : Merci, madame la sénatrice. Je crois qu’il y a plus d’un amendement que nous aimerions voir apporter au projet de loi C-7 pour améliorer les mesures de sauvegarde. Il faudrait par exemple rétablir la période d’attente de 10 jours. Son retrait va coûter la vie à certaines personnes. Il y a des données probantes, dont certaines ont été présentées au comité et à d’autres instances, montrant que les gens ont changé d’idée pendant ce délai de 10 jours. Sans cette période, ces personnes ne seraient plus avec nous aujourd’hui.
Je crois qu’il faut des directives. L’assemblée législative, le Parlement, doit donner des directives aux fournisseurs de l’AMM afin qu’ils puissent déterminer laquelle des deux voies — la voie rapide ou la voie lente — convient à un patient, et la façon de faire cela, c’est de donner des définitions ou des directives quant à ce qui rend une mort raisonnablement prévisible.
Le député du Bloc Québécois qui siège au comité de la justice a proposé des directives en vue de prévoir une période de 12 mois au comité de la justice, mais sa proposition a été rejetée. Je ne vois cependant pas pourquoi votre comité ne pourrait pas ajouter cela.
Je crois que nous avons besoin d’éclaircissements au sujet de la période d’attente de 90 jours. Dans les faits, la période ne commence pas jusqu’à ce que soit déposée par écrit une demande officielle devant témoin. Aussi, pour répondre à votre deuxième question, je crois qu’il y a eu un rapport... je crois qu’il est mentionné dans le mémoire de l’Alliance des chrétiens en droit. Ce n’est pas dans le nôtre. Il y avait un représentant de l’Alliance dans le groupe précédent, et dans son mémoire, on mentionne un rapport du Service correctionnel du Canada indiquant que l’AMM avait été donnée en prison. Le fait qu’un détenu peut demander l’AMM et la recevoir a soulevé toutes sortes de préoccupations. Ce serait une pratique douteuse dans le meilleur des cas. Il faudrait qu’il y ait une enquête là-dessus. Je crois que ce rapport mérite d’être examiné par votre comité.
M. King : Je serais d’accord avec les amendements proposés par M. Schutten. Je suis d’accord avec le fait qu’il faut rétablir le délai de 10 jours. Je crois aussi qu’il faut rétablir le consentement final.
Je suis d’accord avec la question du délai de 90 jours. C’est très important de ne pas se contenter de dire qu’il faut qu’une personne soit informée de toutes les options. Il faut que ces autres options soient véritablement offertes et accessibles avant de proposer l’AMM. Il faut consacrer dans le projet de loi le principe élémentaire selon lequel il faut offrir du soutien pour vivre avant d’offrir du soutien pour mourir.
La sénatrice Pate : Je suis désolée de vous interrompre, monsieur King, mais comment pourrions-nous y parvenir? Comment cela serait-il possible, selon vous? Devrions-nous adopter des lignes directrices nationales, des normes nationales ou des accords de partage des coûts? Que feriez-vous pour y arriver? Désolée de vous avoir interrompu.
M. King : Je vais devoir passer mon tour, parce que je ne suis pas un expert juridique.
M. Schutten : Il faudrait qu’on repose la question. La fin de ce que vous avez dit m’a échappé, monsieur King, et la question complémentaire de la sénatrice Pate. Je vais m’en remettre à la présidente.
La sénatrice Pate : Je voulais savoir si, selon vous, il faudrait prévoir les lignes directrices nationales ou des normes nationales, et comment cela pourrait être mis en place dans le cadre du projet de loi.
M. Schutten : Beaucoup de choses ont été dites sur les soins palliatifs. Je crois que l’une des principales difficultés, dans le système du fédéralisme, c’est que les soins palliatifs sont gérés par les provinces. Il s’agit d’un projet de loi en droit pénal, et, il appartient au Parlement de l’adopter. Mais le seul fait de modifier le libellé du Code criminel pour faire en sorte que l’AMM ne puisse être offerte à moins que d’autres soutiens aient été offerts concrètement et rendus accessibles — avec ce genre de directives, on s’assure qu’il incombe aux évaluateurs et prestataires de l’AMM ainsi qu’au reste du système de santé de veiller à ce que ces soutiens soient accessibles. C’est le Parlement qui exerce, à juste titre, la pression sur les fournisseurs de ce — entre guillemets — service, pour s’assurer que les autres services soient accessibles, en offrant aux patients de l’aide, des soins palliatifs et ainsi de suite. Je crois qu’ajouter cela au Code criminel serait suffisant pour encourager les provinces à accorder la priorité aux soins palliatifs.
La présidente : Merci beaucoup, sénatrice Pate.
Honorables sénateurs et sénatrices, nous arrivons à la fin de notre temps avec ce groupe. Je tiens à remercier tous les témoins d’avoir témoigné aujourd’hui. Comme vous pouvez le voir, nous avons encore beaucoup de questions et de discussions devant nous. Je tiens encore une fois à vous remercier de vous être rendus disponibles au pied levé, et nous sommes impatients de travailler avec vous dans l’avenir.
Le sénateur Cotter : Merci aux témoins.
La présidente : Oui, merci beaucoup, messieurs. Merci d’avoir été parmi nous.
Je veux remercier les témoins qui se joignent à nous aujourd’hui. Nous savons que vous vous êtes rendus disponibles à court préavis, et nous sommes honorés que vous ayez pris le temps de venir participer à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour témoigner à propos de ce projet de loi extrêmement important. Le projet de loi C-7 pourrait changer beaucoup de choses dans notre société.
Je vais présenter les témoins : Mme Fleur-Ange Lefebvre, directrice générale et chef de la direction de la Fédération des ordres des médecins du Canada, Mme Louise Auger, directrice, Affaires professionnelles et Mme Vyda Ng, directrice générale du Conseil unitarien du Canada.
Merci d’être avec nous. Chaque organisation disposera de cinq minutes. Allez-y.
Fleur-Ange Lefebvre, directrice générale et chef de la direction, Fédération des ordres des médecins du Canada : Je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner aujourd’hui à propos du projet de loi C-7. Je m’appelle Fleur-Ange Lefebvre. Je suis la directrice générale et chef de la direction de la Fédération des ordres des médecins du Canada. Je ne suis pas médecin moi-même, mais je suis l’un des deux représentants de notre organisation; l’autre est le Dr Scott McLeod, notre président.
La FOMC représente 13 ordres de médecins provinciaux et territoriaux à l’échelle du Canada. Ces ordres ont le pouvoir législatif délégué de réglementer le travail de médecin, ce qu’ils font dans l’intérêt supérieur de la sécurité publique. Notre mission est de faire progresser la réglementation de la profession de médecin pour le bien du public en misant sur la collaboration, sur des normes uniformes et sur des pratiques exemplaires.
Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est pour veiller, au nom des patients relevant des ordres médicaux et de leurs médecins, que l’AMM soit encadrée par une réglementation efficace. Comme nous l’avons fait en 2015-2016, la FOMC et ses membres croient qu’une approche uniforme d’AMM doit être adoptée à l’échelle du pays. À cette fin, je suis sûre que vous serez tous d’accord pour dire que la loi doit être claire. Le libellé ne doit laisser aucune place à des interprétations divergentes ou à des incertitudes. Les patients, leur famille, le public, les médecins et les autres professionnels de la santé et les organismes d’application de la loi doivent tous avoir la même interprétation de la loi.
En ce qui concerne la question de la mort raisonnablement prévisible, nous soutenons la disposition dans le projet de loi C-7 qui étend l’admissibilité à l’AMM aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Si des mesures de sauvegarde additionnelles sont nécessaires pour protéger les populations vulnérables, alors nous croyons que ces mesures de sauvegarde ne doivent pas miner l’autonomie des patients.
Pour ce qui est de la santé mentale, la FOMC n’a pas comme mandat de commenter ce genre de grandes questions de société, comme la proposition d’exclure les personnes dont la seule affection est une maladie mentale de l’admissibilité à l’AMM. Malgré tout, nous croyons que ces dispositions dans le projet de loi C-7 soulèvent quelques préoccupations en matière de réglementation.
Premièrement, il y a le manque de clarté. La « maladie mentale » n’est pas un terme médical précis. En médecine, « maladie » peut s’entendre de l’expérience individuelle d’un patient qui souffre d’une affection. Si l’intention est de faire en sorte que les patients dont la seule affection est une maladie psychiatrique ne soient pas admissibles à l’AMM, alors il faudrait peut-être relier cette disposition réglementaire aux normes internationalement reconnues décrites dans la cinquième version du DSM, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
Cela dit, le DSM-5 comprend d’autres affections, comme les troubles neurologiques, qui ne devraient peut-être pas être visés par une exclusion. Il serait peut-être utile que votre comité consulte l’Association des psychiatres du Canada. Comme je l’ai dit, je ne suis pas médecin, alors je ne veux pas m’aventurer plus loin sur le sujet.
Deuxièmement, nous croyons qu’il y a des problèmes logistiques. Même s’ils peuvent être rares, il peut y avoir des patients qui satisfont à tous les critères d’admissibilité à l’AMM, alors que leur seul diagnostic est celui d’une maladie mentale. Il n’y a aucune directive quant à ce qui adviendra de l’admissibilité de ces patients à l’entrée en vigueur du projet de loi C-7.
Nous avons quelques autres préoccupations et commentaires. Nous soutenons l’utilisation d’une formulation précise dans la loi afin qu’il soit clair que le rôle du médecin est d’informer ses patients de l’existence de l’AMM, et que cela ne suppose pas de la recommander. La FOMC maintient que la question de la liberté de conscience des médecins devrait continuer de relever de la compétence provinciale et territoriale. Nous croyons que la responsabilité d’orienter les médecins dans leurs responsabilités vis-à-vis des patients qui demandent l’AMM, lorsqu’il y a une objection de conscience, devrait toujours incomber à l’ordre auquel le médecin appartient. La FOMC souligne que le devoir d’aiguiller efficacement le patient, devoir prévu dans les normes professionnelles de bon nombre de ces ordres, a été maintenu par les tribunaux à la suite de contestations.
Pour ce qui est du consentement et de l’administration, la FOMC croit qu’il faudrait clarifier la loi de façon à ce qu’il soit expressément permis aux patients de consentir à l’un ou l’autre des deux modes d’administration, afin que les médecins cliniciens puissent intervenir dans les cas de tentative individuelle qui ne réussissent pas.
Nous soutenons l’ajout de mesures de sauvegarde claires et exhaustives ainsi que l’ajout proposé de dispositions qui permettraient l’administration de l’AMM à un patient qui n’est plus apte à donner son consentement après avoir, au préalable, été jugé admissible et donné son consentement. Nous aimerions qu’il soit clair et confirmé que cela s’applique autant aux patients dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible qu’aux patients dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Encore une fois, l’expression « raisonnablement prévisible » est trop vague pour être comprise ou appliquée dans un contexte médical, en plus d’être trop ambiguë pour être efficace dans un contexte réglementaire. Il serait très utile d’ajouter une définition claire et consensuelle.
Les patients doivent être informés des moyens dont ils disposent pour soulager leurs souffrances, y compris, lorsque cela est approprié, des services de counselling, des services de soutien en santé mentale et pour les personnes handicapées, des services dans la collectivité et des soins palliatifs. Il faut aussi leur offrir des consultations avec des professionnels qui fournissent ces services ou ces soins.
La FOMC et ses membres soutiennent avec force l’objectif législatif d’assortir l’AMM d’une approche uniforme à l’échelle du pays et entre les groupes de patients, et nous continuerons de travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral et chaque gouvernement provincial et territorial à cette fin. Nous allons fournir plus de commentaires dans nos observations écrites au cours des prochains jours. Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup.
Vyda Ng, directrice générale, Conseil unitarien du Canada : Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole dans le cadre de cette audience publique. Le Conseil unitarien du Canada défend depuis longtemps le droit de choisir de mourir. Nous sommes un groupe confessionnel libéral qui croit que le droit de décider de l’heure de son décès et de la façon de mourir, dans des circonstances particulières, est un droit de la personne. Nous avons comparu comme intervenants devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique en 2011 et la Cour suprême du Canada en 2014.
Nous sommes favorables aux changements proposés dans le projet de loi C-7 et reconnaissons que beaucoup de travail a été fait dans le cadre des consultations avec le public et de la rédaction des changements. Nous pressons le gouvernement de respecter l’échéancier de décembre. Nous l’invitons aussi à tenir compte des besoins et des droits constitutionnels des personnes aux prises avec une maladie mentale et de ceux de mineurs matures, et de consacrer le temps et l’attention nécessaires pour clarifier et définir ces enjeux et faire des recherches sur ceux-ci.
À l’instar de la juge Baudouin, nous croyons que chaque cas doit faire l’objet d’une évaluation individuelle, la capacité de la personne de comprendre et de consentir étant le principal facteur. Des mesures de sauvegarde juridiques et médicales appropriées doivent bien sûr être en place.
À ce moment-ci de la pandémie, nos systèmes de soins de santé sont accablés et très sollicités. Nous pressons le gouvernement de trouver le moyen de fournir les ressources nécessaires afin de s’assurer que ceux qui veulent accéder à l’aide médicale à mourir peuvent le faire, tout particulièrement les personnes qui vivent dans des collectivités éloignées et en manque de ressources.
De plus, l’examen de l’AMM ne devrait pas être retardé davantage. Nous invitons le gouvernement à s’assurer que les ressources permettant d’entreprendre cet examen sont rendues disponibles et de continuer de consulter ces groupes, ces personnes et les parties compétentes afin d’obtenir des commentaires relativement à l’examen.
Nous croyons que le fait de vivre dans la dignité est un droit de la personne; le fait de mourir dans la dignité en est aussi un. Il n’y a aucune dignité dans le fait de vivre avec des douleurs et des souffrances extrêmes. La loi de 2015 et les changements proposés actuels ont bien préparé le Canada pour qu’il puisse s’assurer que nos citoyens et nos résidents ont accès à cette aide médicale élémentaire.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup de votre exposé.
J’ai une question pour vous, madame Ng. Vous parlez de l’examen des enjeux que vous avez soulevés. Comment voyez-vous cet examen? Quelle en est la structure?
Mme Ng : Je crois que le comité s’est inspiré d’un très bon processus au départ. Il a entrepris beaucoup de consultations avec des groupes communautaires, et je crois que le processus de consultation devrait se poursuivre avec les groupes actuels, les personnes et les gens qui ont une expérience vécue. Beaucoup de gens se portent à la défense de ce projet de loi et de ces changements. Il y a aussi des gens qui ont beaucoup de préoccupations morales et éthiques au sujet du projet de loi. Je crois que toutes ces opinions devraient être prises en considération.
L’examen préliminaire original a permis de dégager de bons renseignements ainsi que des lacunes dans la loi. L’essentiel consiste à consulter les gens qui ont consacré beaucoup de temps et de réflexion à cet examen.
La présidente : Merci beaucoup. Nous passons maintenant aux questions, et la première est celle de la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup à nos témoins d’être avec nous aujourd’hui pour nous aider dans nos réflexions sur ce projet de loi très important.
Mes questions s’adressent à vous, madame Lefebvre. J’aimerais que vous nous aidiez à préciser quelques points. Comme on le sait, les organismes de réglementation médicale provinciaux et territoriaux ont établi depuis quatre ans des politiques et des lignes directrices.
Selon vous, quel sera l’impact du projet de loi C-7 sur ces politiques et ces lignes directrices? Quels seront les défis qu’apportera le projet de loi? Comment peut-on se préparer à tout cela?
Des comités de révision ont été créés pour s’assurer que tout se passait conformément aux meilleures pratiques ayant trait à l’aide médicale à mourir. J’aimerais que vous nous disiez ce qu’on apprend lors des réunions de ces comités.
Mme Lefebvre : En effet, les politiques et lignes directrices vont s’adapter à la nouvelle version de la loi. Cette nouvelle loi s’intéresse surtout à l’accès. Les lignes directrices sont quand même assez complètes. Il s’agit tout simplement d’apporter les changements nécessaires afin que les médecins travaillent dans le cadre de cette loi.
Pour ce qui est de l’impact, les ordres de médecin ont déjà commencé à travailler là-dessus. Comme vous le savez, le Collège des médecins du Québec est pas mal en avance sur tout le monde en vertu de la décision Truchon.
Les rapports et les comités de révision, quant à eux, ne relèvent pas des ordres de médecins. Tous les ordres professionnels au Canada ont un système de plaintes. Donc, s’il y a un problème, une plainte sera portée à l’ordre, et l’ordre entamera les démarches habituelles. Il n’y a pas de grands changements.
Certaines juridictions obtiennent des rapports un peu plus fréquemment, et certains rapports sont probablement un peu plus complets que d’autres, mais en moyenne, à travers le pays, on est plutôt satisfait par rapport à ces exigences et à ces rapports tels qu’ils sont décrits dans la loi.
La sénatrice Petitclerc : Merci, votre réponse m’aide beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Ma question s’adresse à la Fédération des ordres des médecins du Canada. La Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées s’est penchée sur le manque de protocole pour :
… démontrer que les personnes handicapées ont reçu des solutions de rechange viables lorsqu’elles sont admissibles à l’aide médicale à mourir.
Elle avait reçu :
… des plaintes inquiétantes concernant des personnes handicapées dans des institutions qui subissent des pressions pour obtenir de l’aide médicale à mourir, et des praticiens qui ne signalent pas officiellement les cas impliquant des personnes handicapées.
À votre avis, quelles conséquences l’adoption du projet de loi C-7, sous sa forme actuelle, aura-t-elle sur la réputation du Canada en tant que chef de file international dans le domaine des droits de la personne de façon générale, et plus particulièrement pour les droits des personnes handicapées?
Mme Lefebvre : Merci de poser la question, madame la sénatrice Batters. C’est nouveau pour moi. Nous avons beaucoup discuté de cette question lors de la réunion de janvier organisée par les trois ministres fédéraux. Beaucoup de groupes d’intervenants étaient là pour représenter les populations vulnérables. Nous croyons que la loi doit inclure les mesures de sauvegarde pour veiller à ce que cela soit fait avec le consentement éclairé. Nous n’aurions pas de commentaires à ce sujet.
Le travail de nos membres consiste à réglementer la pratique des médecins. Un des tests qu’ils utilisent lorsqu’ils approchent un patient consiste à demander au patient s’il consent à recevoir l’aide médicale à mourir. D’autres mesures de protection entourant la vie quotidienne des patients vulnérables et d’autres populations vulnérables doivent être intégrées dans la loi. Ce n’est pas quelque chose à quoi nous pourrions contribuer directement, malheureusement.
La sénatrice Batters : Plus tôt ce matin, nous avons entendu — et je ne sais pas si vous écoutiez — une personne de l’organisation appelée l’ARPA. Elle a parlé de la période d’attente de 90 jours et de la façon dont, à son avis, il est vraiment nécessaire d’enchâsser dans cette loi particulière un échéancier plus précis pour savoir à quel moment exactement cette période d’attente de 90 jours commence, parce que cela pourrait donner lieu à de nombreuses ambiguïtés — que la période d’attente de 90 jours commencerait peut-être beaucoup plus tôt que la demande réelle d’aide à mourir. Seriez-vous en faveur d’un amendement qui apporterait des précisions quant au moment où la période d’attente de 90 jours doit commencer?
Mme Lefebvre : Nous serions favorables à tout amendement qui apporte des précisions dans ce texte de loi. Nous avons constaté que, lorsque le gouvernement fédéral se fait imposer un délai qui n’est pas le sien, il se peut que vous vous retrouviez avec un texte de loi qui n’est pas aussi clair que ce qu’on aurait espéré. Qu’il s’agisse de la période d’attente de 90 jours ou de quoi que ce soit d’autre, la clarté est vraiment importante. Nous voulons que le médecin A, le médecin B et le médecin C interprètent la loi de la même façon, et il en va de même lorsqu’ils parlent aux patients, aux familles et aux établissements de soins de santé.
Vous devez comprendre que nous avons été invités hier après-midi exactement pour cela. Nous comptons des membres partout au pays, et ils ne se trouvent pas dans le même fuseau horaire. Nous avons reçu quelques commentaires supplémentaires, et certains d’entre eux concernent la période d’attente de 90 jours. Nous n’avons pas eu le temps d’intégrer cela dans l’exposé d’aujourd’hui, mais ce sera fait dans le mémoire que nous rédigerons plus tard cette semaine. Les gens demandent des éclaircissements à ce sujet et ils s’inquiètent du fait que cela puisse être une tactique pour retarder les choses. Nous devons nous montrer très prudents à ce sujet. Nous intégrerons cela dans notre mémoire écrit, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
La sénatrice Batters : C’est d’accord. Je comprends certainement les délais, parce que je viens de la Saskatchewan, et je dois m’adapter à ce délai de temps en temps. Et en Saskatchewan, il n’y a pas de changement, donc c’est nouveau pour nous. Merci.
Mme Lefebvre : Le greffe de la Colombie-Britannique a été le premier à répondre.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Ma question est pour Mme Lefebvre. Vous avez exprimé l’idée que votre organisation n’a pas d’opinion relativement à l’exclusion ou à l’inclusion des maladies mentales, mais vous avez dit que c’était un terme non défini et vous avez suggéré une définition. Je vous demanderais de parler davantage de cet aspect.
Mme Lefebvre : Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas médecin. Dans mes commentaires, je fais référence à un document américain bien connu, soit le DSM — le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Il s’agit d’un document qui établit des normes à l’échelle internationale pour les psychiatres et les gens qui s’occupent de gens ayant des maladies d’ordre neurologique. Cela explique pourquoi je vous suggère de vous adresser à l’Association des psychiatres du Canada, qui pourra vous donner une multitude de bons renseignements. Il s’agit encore de clarifier les choses au point où tout le monde interprète la loi de la même manière. C’est ce que nous visons. Il y a plusieurs points sur lesquels on aurait avantage à mettre les choses plus au clair.
Le sénateur Dalphond : Votre organisation est un peu comme la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.
Mme Lefebvre : Exactement.
Le sénateur Dalphond : Vous n’avez pas de pouvoir réglementaire direct, mais vous faites de la collaboration avec ceux qui l’ont.
Mme Lefebvre : Nous n’avons pas de pouvoir réglementaire et nous n’avons vraiment aucun pouvoir auprès de nos membres; il faut que ce soit une entente et une approche collective.
Le sénateur Dalphond : Bien. Merci.
La sénatrice Dupuis : Ma question est pour Mme Lefebvre. Vous avez, à mon avis, très bien expliqué que, plus la loi est claire, plus cela permettra d’en faire une interprétation cohérente et une mise en œuvre tout aussi cohérente partout au Canada. Vous avez parlé de l’expression « raisonnablement prévisible » comme d’un concept trop vague qui ne peut être régulé. Puisque le jugement Baudouin a invalidé ces termes dans la décision Truchon, et qu’on a éliminé cette exigence que la mort soit raisonnablement prévisible, pourriez-vous me dire, si vous avez une position, si vous êtes d’accord avec cette décision ou si vous êtes d’avis qu’il vaudrait mieux ne pas du tout faire de référence à ces termes-là, plutôt que d’adopter des termes vagues et ambigus?
Mme Lefebvre : Dans le fond, ce sont des termes qui nous tracassent depuis longtemps. Je voyage beaucoup et je communique souvent avec d’autres ordres de médecins à l’international, surtout aux États-Unis et en Angleterre. Nous leur avons demandé s’ils pouvaient nous aider à définir les termes « raisonnablement prévisible ». Dans le fond, au moment où je suis née, ma mort est « raisonnablement prévisible ». C’est un peu flou de ma part, mais il faut quand même pouvoir dire aux médecins : « Vous avez un patient mourant, un patient qui exige quelque chose qui est un acte médical payé par l’État, soit un acte médical auquel le patient devrait avoir accès. » Il faut jouer avec l’expression « raisonnablement prévisible ». Nous en avons discuté lors de notre rencontre en janvier et nous avons convenu d’éliminer cette exigence. Ma lecture du projet de loi C-7 indique cependant qu’il y aura deux catégories : une catégorie de patients pour qui la mort est raisonnablement prévisible et une autre catégorie de patients pour qui la mort ne l’est pas. Si cette expression reste dans la loi, il faut qu’il y ait une définition.
La sénatrice Dupuis : Merci beaucoup, c’était exactement le sens de ma question.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Je remercie les témoins. Je présume que vous êtes au courant des questions soulevées par des groupes de personnes handicapées concernant les préoccupations, particulièrement à la lumière de ce qui s’est produit durant la pandémie et de l’exposition à des mesures de soutien inadéquates sur les plans social et économique et sur les plans de la santé et du logement ainsi qu’à d’autres mesures de soutien pour les personnes.
Pour réagir tout particulièrement à la réponse que vous venez de fournir à la question de la sénatrice Dupuis, je suis curieuse de savoir comment cela encadrerait cette question pour vous, à savoir la position dans laquelle les médecins se trouveraient, et le fait que des personnes handicapées disent qu’elles craignent essentiellement de ne pas disposer de l’éventail des options qui leur seraient autrement offertes et que cela pourrait autrement les inciter à ne pas accéder à l’AMM... et dans quel type de position cela met les médecins.
Mme Lefebvre : Cela pourrait mettre les médecins dans une position difficile; cela me met dans une position intéressante.
C’est un enjeu de société, et nous n’avons pas d’avis sur ce qui constitue des enjeux de société; les gouvernements doivent les aborder. Toutefois, dans ce contexte, les médecins doivent obéir à la loi et aux règlements établis par les ordres de médecins respectifs. Si, à un moment donné, un médecin se préoccupe du fait qu’un patient ne consent pas à recevoir l’aide médicale à mourir, le médecin doit le signaler et agir en conséquence.
Lorsque vous avez un patient qui est parfaitement apte à fournir un consentement, mais qui subit des pressions externes, je crois que c’est là que doivent intervenir les mesures de protection dans la loi. Je ne crois pas que quiconque ait une boule de cristal par rapport à un patient A ou à un patient B, et c’est là que les mesures de protection doivent être vraiment précises et explicites.
La sénatrice Pate : Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche, mais je crois que vous avez déjà dit que vous estimez que ce n’est pas suffisamment explicite en ce moment.
Avez-vous des recommandations concernant des amendements que vous aimeriez proposer?
Mme Lefebvre : Encore une fois, ce n’est pas quelque chose que nous faisons habituellement. De façon générale, nous disons que nos membres jouent un rôle pour ce qui est de fournir une orientation aux médecins qui peuvent décider qu’ils fourniront l’AMM, et en ce moment, nous estimons que certaines parties de la loi ne sont pas très claires. Par exemple, nous n’avons pas pu élaborer une définition de ce qui est « raisonnablement prévisible ». Nous avons besoin d’autres personnes qui sont des experts dans le domaine pour le faire. Notre travail par l’entremise de nos membres consiste à réglementer les médecins en exercice.
La sénatrice Pate : Merci.
Y a-t-il quelqu’un d’autre qui aimerait commenter la question?
Mme Ng : Merci. La santé mentale n’est pas non plus un de nos domaines d’expertise, mais je ne suis pas en désaccord avec ce que Mme Lefebvre vient de dire. Il doit y avoir des mesures de protection et des examens attentifs des droits des personnes qui vivent avec une maladie mentale et un handicap. L’élément central est la capacité de comprendre et de consentir. Nous devons prévoir des scénarios pour protéger les droits individuels et ne pas regrouper des gens dans une catégorie de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de personnes en situation de handicap, parce que le spectre et les différences chez les personnes qui vivent ces situations sont immenses.
Il convient encore une fois de mener des consultations étendues et prudentes auprès de groupes de défense des droits en santé mentale et de personnes en situation de handicap. Ce n’est pas une situation où vous pouvez prendre une décision soudaine d’ici à mars prochain. Je vous presserais encore une fois d’entreprendre la consultation.
La présidente : Merci.
[Français]
La sénatrice Keating : Nous avons entendu des témoins nous dire que le seul fait d’avoir à confier un patient pour recevoir l’aide médicale à mourir est une atteinte à leur liberté de conscience et, essentiellement, ils font fi de leur obligation de répondre aux droits constitutionnels de leurs patients.
Je sais que vous n’êtes pas médecin, mais j’aimerais connaître votre propre réflexion sur le rôle du médecin et, ici, je ne parle pas de l’administration de l’aide médicale à mourir, car les médecins sont déjà protégés par une disposition à cet effet. Je parle simplement du fait de confier les patients à quelqu’un d’autre.
Mme Lefebvre : Mon opinion personnelle ne vaut rien aujourd’hui. Je suis ici pour représenter la Fédération des ordres des médecins du Canada. Les médecins du Canada sont là pour fournir des soins aux patients. Avec l’adoption du projet de loi sur l’aide médicale à mourir, comme je le mentionnais plus tôt, l’aide médicale à mourir devient un acte médical payé par l’État. Donc, les patients doivent avoir accès à cet acte médical.
Si un médecin a une objection de conscience, il doit agir au mieux des intérêts du patient ou de la patiente, et pour moi, c’est là où se termine la discussion. Il y a des exigences imposées par leur ordre professionnel et il faudrait qu’ils les suivent. Le patient est la priorité.
La sénatrice Keating : La raison pour laquelle je le demande, c’est que, contrairement aux témoins qui se sont présentés, j’ai eu beaucoup de discussions avec des médecins qui fournissent l’aide médicale à mourir chez nous, et je vous dirais que c’était l’opinion de la majorité. En fait, c’était l’opinion de 100 % des médecins à qui j’ai parlé qui m’ont dit que, mis à part toute liberté de conscience, ils estiment que leur responsabilité absolue est de fournir l’aide médicale à mourir, surtout dans les régions où les services sont moins accessibles qu’ailleurs. Ceux à qui j’ai parlé voient cela comme leur responsabilité, mis à part la liberté de conscience et les autres éléments qui en découlent.
La suggestion qui nous est faite est vraiment extrême, dans la mesure où non seulement certains ne veulent pas fournir l’aide médicale à mourir, mais ils ne veulent pas avoir à confier leurs patients. Je sais qu’ils ont déjà perdu une cause à ce sujet.
Mme Lefebvre : J’aimerais ajouter que le médecin n’est pas obligé de fournir l’aide médicale à mourir. Jamais.
La sénatrice Keating : Je le sais.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : J’ai deux questions, une pour chaque témoin. Je tenterai d’être bref.
Ma première s’adresse à la Fédération des ordres des médecins du Canada. Nous ne voulons pas qu’il y ait des différences importantes entre les diverses administrations concernant les règlements médicaux liés à l’AMM. Y a-t-il une discussion continue sur l’harmonisation de la réglementation liée à l’AMM dans l’ensemble du Canada, et le cas échéant, quel rôle la Fédération des ordres des médecins du Canada joue-t-elle dans ces discussions? De plus, croyez-vous que tout changement réglementaire, si le projet de loi C-7 est adopté, sera harmonisé à l’échelle nationale?
Mme Lefebvre : Merci.
À l’échelon de notre organisation — de la Fédération des ordres des médecins du Canada — comme je l’ai dit, nous ne sommes pas un ordre de médecins et nous n’avons pas de pouvoir sur nos membres. Nous élaborons des cadres. Nous en avons élaboré un à la fin de 2015 sur l’aide médicale à mourir. Nous la désignons comme l’aide d’un médecin pour mourir, parce que nous nous occupons uniquement des médecins autorisés.
Ce que nous faisons, c’est écrire les points que chaque ordre des médecins de chaque province ou territoire devrait examiner lorsqu’il fournit de l’orientation aux médecins. Puis, nous leur fournissons quelques formulations types. Celles-ci ont été très bien accueillies.
En ce moment, les règlements et l’orientation fournis par les ordres de médecins dans l’ensemble du pays se ressemblent beaucoup plus que le contraire. Avec l’adoption du projet de loi C-7 — je parlais en français plus tôt, mais c’est la même chose — c’est davantage une question d’accès. Ce qui a changé principalement dans le projet de loi C-7, c’est l’accès, et cela devra être incorporé. Cela reflétera la loi; cela ne peut refléter que la loi et les bonnes pratiques médicales générales. C’est ce qui se passera. Et je crois que nous arriverons à atteindre une cohérence très rapidement.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.
Ma deuxième question d’adresse à Mme Ng. À votre avis, est-ce la personne compétente qui a le droit et la responsabilité de décider s’il convient ou non de demander l’AMM, et dans le cadre de ce processus décisionnel, a-t-elle aussi le droit de recevoir de l’information au sujet de l’AMM en tant qu’option pour son médecin?
Mme Ng : Oui, absolument. Toute personne qui envisage l’AMM a le droit d’accéder à tous les renseignements dont elle a besoin pour prendre des décisions éclairées.
L’AMM n’est pas quelque chose que tout le monde choisirait, et je crois que c’est seulement dans des situations où les personnes sentent qu’il n’y a pas d’autres options qu’elles envisageraient même d’aller dans cette direction, d’explorer cette option. La personne doit être complètement renseignée, absolument en mesure de prendre sa propre décision. Ceux qui offrent du soutien à cette personne doivent aussi pouvoir s’assurer qu’elle ne subit pas de pressions indues et que la décision qu’elle prend est entièrement la sienne. Elle doit avoir toutes les options à sa disposition.
Le sénateur Kutcher : Merci. Croyez-vous que, si un médecin choisit, peu importe les raisons pour lesquelles il le fait, de ne pas informer une personne qui a de grandes souffrances que l’AMM est une option, cela contreviendrait aux droits du patient d’obtenir les renseignements complets au sujet de son traitement et de ses soins?
Mme Ng : Ce serait un dilemme, parce que le patient ne saurait pas que l’AMM est une option, mais il incomberait au médecin et au personnel de soins de santé de s’assurer que la personne a accès à l’information. Il doit y avoir une autre couche pour qu’on s’assure que cette information est fournie, tout particulièrement si le médecin lui-même se débat avec sa conscience par rapport au fait d’offrir ou non cette option.
Le sénateur Kutcher : J’essaie de comprendre si la propre opinion du médecin contreviendrait aux droits à l’information du patient.
Mme Ng : Le devoir de diligence du médecin est envers le patient, donc son propre avis ne devrait pas en faire partie.
Le sénateur Kutcher : Merci.
Le sénateur Cotter : Merci de vos exposés.
J’ai deux questions pour Mme Lefebvre, si je le peux. La première fait fond sur l’observation de la sénatrice Batters concernant les préoccupations de votre organisation au sujet d’une plus grande clarté et, tout particulièrement, de la question de la prévisibilité raisonnable. C’est une expression que les avocats utilisent et avec laquelle ils travaillent beaucoup, mais nous ne nous entendons pas tous clairement là-dessus, donc vous avez peut-être raison.
Nous avons entendu des suggestions, à savoir qu’une option pourrait consister à définir un délai particulier, ce qui a le mérite d’être clair. C’est un type de choix généralement assez difficile et rapide, et il n’est peut-être pas très flexible ou précis, mais j’aimerais savoir si un échéancier défini concernant la question de la prévisibilité raisonnable de la mort est quelque chose que votre organisation appuierait ou dont elle se préoccuperait?
Je poserai ensuite une deuxième question.
Mme Lefebvre : Merci, monsieur Cotter. Nous n’avons en fait pas examiné cette question de manière approfondie. Je crois que ce que vous voyez dans une population de patients qui demandent l’aide médicale à mourir, ou à tout le moins, qui veulent obtenir des renseignements au sujet de l’aide médicale à mourir... pendant que j’y suis, je veux dire que nous devons énoncer clairement que, lorsqu’un médecin fournit des renseignements au patient, il ne lui conseille pas réellement de recevoir l’AMM. C’est une clarification très importante.
Je pense que, comme la population de patients qui demandent cet acte médical est très différente et diversifiée, le fait d’avoir un seul repère dans le temps ne suffira pas, et c’est pourquoi nous devons discuter de cela avec les experts qui ont l’habitude de traiter avec des patients qui vivent avec ce problème de santé.
Le sénateur Cotter : Merci. Vous anticipiez, d’une certaine façon, ma deuxième question. Vous aviez remarqué la question concernant la protection, dans les limites raisonnables, de la liberté de conscience des médecins en ne fournissant pas l’aide médicale à mourir, mais en même temps, l’attente qu’ils fournissent des aiguillages. C’est en place dans la plupart des provinces. Nous avons entendu certaines discussions à ce sujet dans le débat sur la conscience.
Vous avez mentionné que c’est une affaire qui est déléguée par l’intermédiaire de la législation provinciale aux collèges de médecins et de chirurgiens. Il me semble toutefois que c’est le genre de choses qui devraient être uniformes à l’échelon national, même si je comprends l’argument évoqué au sujet de la compétence provinciale. Ma question consiste à savoir si votre organisation convient ou non de la valeur de l’uniformité, de sorte que pas seulement les médecins, mais aussi les patients, selon l’administration dans laquelle ils se trouvent, dans quelle province ou quel territoire, sachent à quoi ils ont le droit de s’attendre de leur médecin. Il s’agit aussi de savoir, comme dimension de cette question, si votre organisation nationale prévoit quelque chose comme, ainsi que l’a mentionné le sénateur Dalphond, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, qui était l’architecte d’un code de conduite modèle pour les avocats? Avez-vous une position modèle sur la question qui a été communiquée aux collèges provinciaux de médecins et de chirurgiens?
Mme Lefebvre : Nous avons notre document — notre cadre de 2015 — mais le problème avec les ordres de médecins, c’est qu’ils sont établis dans la loi. Prenons une question aussi simple que les tests de compétences linguistiques en anglais pour les gens formés à l’extérieur du Canada; c’est de la bouillie pour les chats. Vous pourriez penser que nous administrerions des tests, mais ce ne sont pas toutes les lois ni toutes les administrations qui permettent l’évaluation des compétences linguistiques pour ces postes. C’est un petit exemple pour montrer comment différents textes de loi peuvent influencer ce que vous faites.
Aimerions-nous avoir une uniformité à l’échelle nationale? Absolument. Comme je l’ai dit, nous faisons essentiellement preuve de cohérence, mais avons-nous le pouvoir de faire appliquer une uniformité nationale? Pas si les règlements professionnels et commerciaux sont la responsabilité de chaque province et territoire.
Le sénateur Cotter : Mais avez-vous une position modèle pour la prise en considération par les collèges de médecins et de chirurgiens de la question de la conscience ou de l’obligation de renvoyer le patient?
Mme Lefebvre : Je vais demander à Mme Auger de rechercher cette information. Elle a rédigé ce document avec notre groupe consultatif sur la mort avec l’assistance d’un médecin, et je vais lui demander de chercher cette information pendant que nous nous occupons d’autres questions, et nous pourrons peut-être y revenir plus tard. Je ne peux me rappeler tout le contenu du document. Je pourrais le regarder, mais je ne pourrais plus vous regarder en face.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’ai manqué une partie de votre présentation, mais il est toujours intéressant d’avoir le point de vue des médecins, particulièrement de votre fédération.
Je lisais de la documentation touchant le Québec qui mentionnait que, dans le plan de 2015-2020, le ministère de la Santé et des Services sociaux visait un taux approximatif d’un lit en soins palliatifs par 10 000 habitants.
Il semble que ce taux ait augmenté — au Québec, en tout cas — au cours des dernières années. Selon votre expérience, est-ce un taux réaliste? Est-ce ce que vous voyez du point de vue du nombre de lits en soins palliatifs à travers le Canada dans les différentes régions?
Mme Lefebvre : Nous n’avons pas d’opinion à ce sujet. Nos membres sont responsables de la réglementation des médecins, et non du système de soins de santé. On entend souvent dire qu’il n’y a pas assez d’accès, pas assez de lits en soins palliatifs et pas assez d’information partagée avec les patients. Voici l’une de nos demandes : que, parmi tous les renseignements fournis aux patients qui exigent l’aide médicale à mourir, on explique les options, soit les soins palliatifs, les soins sociaux, etc. Cela dit, malheureusement, je ne connais pas assez bien le système de soins de santé, surtout au Québec, pour faire des commentaires sur le nombre de lits.
Le sénateur Carignan : Pour ce qui est de l’obligation d’informer, un témoin nous a suggéré non seulement de donner de l’information, mais d’obliger à offrir le traitement avant toute aide médicale à mourir. Qu’est-ce que vous pensez de cela?
Mme Lefebvre : Offrir un traitement de soins palliatifs?
Le sénateur Carignan : Le témoin suggérait qu’on doit non seulement dire : « Voici, le traitement X existe pour soigner ou pour diminuer les douleurs causées par votre handicap ou votre maladie », mais qu’on doit offrir le traitement; qu’on doit non seulement informer le patient que le traitement existe, mais aussi le rendre disponible. Je trouvais cela un peu utopique, compte tenu de la qualité des services, mais je voulais avoir votre opinion là-dessus.
Mme Lefebvre : Il est primordial d’informer le patient de tout ce qui est possible afin que le patient puisse choisir.
L’autonomie du patient est quand même une chose très importante. Si le patient choisit d’essayer autre chose, si un traitement est disponible, je crois qu’il devrait l’essayer. Toutefois, si le patient ne choisit pas d’essayer autre chose, et que l’option n’est pas disponible, on revient à la question originale, à savoir si le patient aura accès à l’aide médicale à mourir.
Le sénateur Carignan : Comment vos médecins gèrent-ils la question de la disponibilité? Il est un peu cruel de dire à quelqu’un qu’un traitement serait disponible, mais qu’il coûte 2 millions de dollars par année, ou encore de lui dire qu’il n’est pas offert dans sa région, pour une raison ou une autre.
Je discutais ce matin avec les responsables d’un centre de soins palliatifs, et on me disait qu’on refusait 53 % des demandes, faute de lits disponibles. Ce centre refuse 53 % des demandes, faute de lits disponibles.
Comment vos médecins gèrent-ils cette situation avec leurs patients avant d’administrer l’aide médicale à mourir?
Mme Lefebvre : Les médecins font leur possible. Il ne nous appartient pas de réglementer le système de soins de santé. En général, les médecins sont mieux en mesure de savoir si les soins sont disponibles dans leur quartier ou non. Pour notre part, nous n’avons pas d’opinion en ce sens. On demande aux médecins de faire leur possible, de s’assurer qu’ils donnent les informations nécessaires aux patients, qu’ils tentent de faire ce que les patients désirent, si c’est possible et si les soins sont disponibles. Toutefois, la principale condition à respecter est que le patient puisse essayer une autre option s’il le désire.
Le sénateur Carignan : Les ordres de médecins ont pour mandat de protéger le public. Votre fédération regroupe les ordres professionnels de médecins qui ont pour mandat de protéger le public. De ce point de vue, le fait que les services ne soient pas disponibles ne vous choque-t-il pas?
Mme Lefebvre : Personnellement, cette situation me choque. On a vu, avec la COVID, ce qui est arrivé dans les établissements de soins de longue durée.
La réglementation sur les soins de santé au Canada comporte plusieurs facettes. Le mandat de nos membres est de réglementer les médecins qui fournissent individuellement des soins aux patients. Ce n’est pas de réglementer le système. Les médecins travaillent, en grande partie, au sein du système, et c’est ainsi qu’ils procurent les soins. Ce n’est pas à nous de le faire, donc, malheureusement, je ne peux pas me prononcer.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup de votre réponse. J’avais une deuxième question pour Mme Lefebvre, mais le sénateur Carignan a lu dans mes pensées et l’a posée avant moi. Elle concernait l’accès à des services et la manière dont les médecins faisaient face à ce genre de situation. J’ai déjà une réponse à ma question.
[Traduction]
La présidente : Je veux prendre une minute pour vous remercier toutes les deux. Madame Lefebvre, vous avez dit que vous n’aviez pas beaucoup de temps, mais vous avez toutes deux organisé tout cela, et nous vous en sommes certainement reconnaissants. Merci beaucoup à vous deux d’avoir été ici. Nous espérons collaborer avec vous dans l’avenir. Merci.
Mme Lefebvre : Tout le plaisir est pour nous. Merci.
Mme Ng : Merci de nous avoir fourni l’occasion.
La présidente : Je remercie énormément les trois intervenants d’avoir été ici aujourd’hui. Vous avez dû réagir rapidement pour nous présenter ces exposés, et nous en sommes vraiment reconnaissants. Nous sommes impatients d’apprendre ce que vous nous montrerez. Nous allons commencer par la Dre Mona Gupta, psychiatre et chercheuse, professeure agrégée, Département de psychiatrie et d’addictologie, Université de Montréal. La Dre Gupta n’est pas étrangère à notre comité, donc je vous souhaite de nouveau la bienvenue.
Nous recevons aussi M. Jean-Pierre Ménard, avocat, ainsi que M. Jean-François Leroux, avocat. Bienvenue à vous trois.
Dre Mona Gupta, psychiatre et chercheuse, professeure agrégée, Département de psychiatrie et d’addictologie, Université de Montréal, à titre personnel : Je remercie les membres du comité de me donner l’occasion d’être ici aujourd’hui. J’exerce la psychiatrie depuis plus de 20 ans, et j’ai une expérience clinique. Comme l’a mentionné la présidente, je suis professeure agrégée à l’Université de Montréal et chercheuse en éthique. J’ai aussi fait partie du groupe de travail du Conseil des académies canadiennes sur l’AMM pour les troubles mentaux comme seul problème de santé sous-jacent. Je vais limiter mes commentaires à la question de l’AMM pour les personnes aux prises avec un trouble mental, puisqu’il s’agit de mon domaine d’expertise. Vu les limites de temps, je vais parler de deux enjeux particuliers qui sont fréquemment soulevés dans la discussion sur ce sujet : l’incurabilité et le suicide.
Les expressions « maladie mentale » et « maladie physique » sont des généralisations commodes, mais sur le plan clinique, il n’y a pas de ligne franche entre les deux. Dans le débat sociétal entourant l’AMM, les maladies physiques sont souvent caractérisées comme des affections précises assorties d’un déclin progressif, dont on connaît l’évolution avec une certitude absolue. C’est vrai pour certaines maladies physiques, mais pas pour d’autres. Les maladies mentales, par ailleurs, sont caractérisées comme des affections ambiguës dont l’évolution est intrinsèquement imprévisible. C’est vrai pour certaines maladies mentales, mais pas pour d’autres.
Je soulève ce point, parce que les raisons pour lesquelles le gouvernement a prévu d’exclure les personnes aux prises avec des maladies mentales de la demande d’AMM — des préoccupations touchant la capacité décisionnelle, la prévisibilité et le suicide — ne sont en fait pas propres à la maladie mentale. Elles peuvent s’appliquer à des gens confrontés à une maladie mentale et physique en même temps ou à des personnes qui ont seulement une maladie physique. J’ai approfondi ce point dans mon mémoire.
Permettez-moi d’illustrer mon point en parlant précisément de l’incurabilité. Le but de l’exigence touchant l’incurabilité est d’éviter une situation où une personne reçoit l’AMM alors que son état aurait pu s’améliorer. Toutefois, lorsque nous nous situons à l’extérieur de la fin de vie, nous ne pouvons avoir une certitude absolue concernant l’évolution de nombreuses maladies, y compris des maladies physiques. Si nous exigeons une certitude absolue pour l’incurabilité et l’irréversibilité, alors beaucoup d’autres affections, mis à part les maladies mentales, devront être exclues. Si nous sommes prêts à accepter que nous ne pouvons pas avoir de certitude absolue, alors nous devrons définir ce qu’on entend par incurabilité et irréversibilité pour un vaste éventail d’affections.
En ce qui concerne les préoccupations touchant le suicide, il est important de souligner que ce ne sont pas toutes les maladies mentales qui sont associées à un risque accru de suicide et que, parmi celles qui le sont, ce ne sont pas toutes les personnes touchées qui auront des idées suicidaires. Il importe aussi de se rappeler que les personnes aux prises avec un trouble mental prennent tout le temps des décisions visant à mettre fin à la vie concernant leurs soins, et elles ont le droit de le faire. La question centrale est non pas de savoir si la personne a un trouble mental, mais bien s’il y a des raisons de croire qu’elle n’agit pas dans son propre intérêt.
L’Association des médecins psychiatres du Québec, l’association provinciale des psychiatres, a formé un comité consultatif sur l’AMM pour les troubles mentaux. Actuellement, je suis présidente de ce comité, qui comprend cinq psychiatres aux vues opposées au sujet de l’AMM, ainsi qu’un partenaire patient et un membre de la famille. Le comité a produit un document de travail qui décrit une approche à l’égard de l’évaluation des demandes d’AMM pour les troubles mentaux, ce qui suppose la prise en considération des questions difficiles de l’incurabilité, du suicide, des souffrances et de la capacité. Je peux fournir certains exemples montrant comment une personne pourrait évaluer ces questions avec un patient durant la période de questions. Une copie de ce rapport a été soumise au comité. J’espère que les membres du comité consulteront ce document dans le cadre de leurs délibérations, car votre travail illustre, par-dessus tout, que les professionnels qui travaillent avec des patients et des familles sont en mesure de se réunir et de s’entendre sur des normes de pratique liées à l’aide à mourir pour les personnes dont le trouble mental est le seul problème de santé sous-jacent.
Pour terminer, je ne crois pas qu’il y ait un moyen de distinguer tous les cas de maladie mentale des autres problèmes cliniques pour lesquels l’AMM est autorisée, moyen qui puisse se défendre sur le plan clinique ou éthique. Par conséquent, ce que la disposition d’exclusion fera, c’est montrer qu’il est acceptable de traiter les personnes aux prises avec des maladies mentales différemment d’autres personnes. L’Association des médecins psychiatres du Québec n’accepte pas cette position. Nous croyons que nos patients doivent être autorisés à exercer les mêmes droits que toutes les autres personnes. Merci.
[Français]
Me Jean-Pierre Ménard, avocat, à titre personnel : Madame la présidente, je vous remercie de l’invitation de commenter le projet de loi C-7. Je vais résumer très succinctement ma présentation. Une copie du mémoire intégral et une copie du résumé de la déclaration vous ont été envoyées.
Tout d’abord, je vais vous parler un peu des principes. J’ai eu le privilège d’être l’avocat principal de M. Truchon et de Mme Gladu devant la Cour supérieure du Québec. C’était la première fois qu’un tel litige était présenté dans ce domaine. Ma présentation s’inspirera beaucoup du jugement que nous avons obtenu dans ce dossier, parce que le projet de loi C-7 comporte des écarts par rapport à ce que propose la jurisprudence.
Nous sommes d’accord avec l’essentiel des éléments du projet de loi C-7 qui visent à adoucir et à simplifier la présentation d’une demande d’aide médicale à mourir, particulièrement l’abrogation du délai de l’approbation de la mort raisonnablement prévisible comme condition d’obtention de l’acte. Le fait de retirer cet élément est très positif. M. Truchon et Mme Gladu étaient très heureux de ce retrait. Par contre, le délai n’a pas été supprimé complètement. Il a plutôt été déplacé ailleurs dans le déroulement des procédures. On en fait un critère de distinction pour orienter les personnes dont la mort est prévisible ou non raisonnablement prévisible.
Je vous soumets qu’il s’agit là d’un principe dangereux parce qu’il crée deux catégories de citoyens : ceux qui peuvent avoir un droit d’accès à l’aide médicale à mourir tout simplement et ceux qui n’ont pas ce droit d’accès immédiatement en raison d’une série de formalités à respecter. On considère un peu les gens dont la mort n’est pas prévisible comme des gens vulnérables, ce qui est faux. Cela ne tient pas compte de la situation des personnes. La juge Christine Baudouin a inclus dans son jugement un élément très important. Les médecins sont en mesure d’évaluer chaque cas selon une formule propre pour déterminer quels patients ont des pointes de vulnérabilité et lesquels n’en ont pas. Il n’est donc pas question de créer une catégorie générale de gens qui ont des troubles mentaux pour les exclure de la loi.
Il y a des critères liés à la mort raisonnablement prévisible et, à ce moment-là, les citoyens sont sur le même pied et c’est aux médecins de juger effectivement ce qui en est et à quels patients accorder la demande. Il y a un délai de 90 jours associé à cela qui est inacceptable; c’est comme si nous voulions punir ces gens d’avoir fait une demande d’aide médicale à mourir alors que, la plupart du temps, ils y pensent depuis un bon bout de temps. Quatre-vingt-dix jours de souffrance de plus, c’est tout à fait inutile et sans objet.
De plus, nous introduisons ici aussi une discrimination bien claire par rapport aux gens qui ont des problèmes de santé mentale. Nous les excluons tout simplement du processus, alors que, la plupart du temps, les gens qui ont une maladie mentale sont aptes à consentir et peuvent décider librement d’y participer. Les exclure d’emblée signifierait ouvrir la porte à une discrimination fondée sur le handicap mental.
On s’écarte visiblement des principes énoncés par la juge Baudouin dans sa décision, qui affirmait que la mort raisonnablement prévisible n’était pas un critère utilisable. D’ailleurs, on se rappelle que le projet de loi a été déposé en 2016. On avait fait alors une série de représentations au gouvernement par rapport à cette partie de la loi. Nous reprenons encore le même débat. Ce critère n’est pas plus défini, il est aussi flou qu’il était et il crée des groupes qui n’auront pas les mêmes droits par rapport à l’aide médicale à mourir.
Je vais arrêter mes commentaires ici. Essentiellement, l’aide médicale à mourir ne doit pas être conditionnelle à autre chose qu’à la condition propre du patient. Nous devons éviter de créer des groupes avec des droits distincts et des formalités diverses. Je pense que la formule de la juge Baudouin est tout à fait correcte et que nous devons essentiellement y adhérer.
Me Jean-François Leroux, avocat, à titre personnel : D’abord, je vous remercie de l’invitation. Effectivement, le préavis était quand même court. J’ai reçu l’invitation hier et j’ai quand même préparé une petite présentation.
En janvier et février 2019, j’ai eu le privilège d’agir comme coprocureur dans l’affaire [Difficultés techniques], un procès de 31 jours qui s’est échelonné sur deux mois au cours duquel le tribunal a pu entendre 15 experts. Certains ont dû vous dire, depuis le début des travaux du comité du Sénat, que le débat était restreint à la situation des demandeurs; sans vouloir les contredire, ce n’est pas tout à fait exact. [Difficultés techniques] le débat dans les affaires Gladu et Truchon a été beaucoup plus large que la situation des demandeurs. Le tribunal a pu entendre une preuve abondante sur la situation [Difficultés techniques] personnes âgées, déficience intellectuelle, anciens combattants, membres des Premières Nations et évidemment [Difficultés techniques].
L’essentiel de mon propos, c’est que, au cours du procès Gladu et Truchon, 15 experts ont été entendus, dont 7 psychiatres. Nous avons passé la grande majorité du temps à discuter de la prévention du suicide, des distinctions entre le phénomène du suicide et l’aide médicale à mourir et la juge Baudouin a, comme vous le savez, rendu un jugement très étoffé qui a souvent été comparé à une commission d’enquête. Au cours des dernières années, le Canada a bénéficié de deux formes de commission d’enquête sur le sujet, soit l’affaire Carter et l’affaire Gladu et Truchon. Dans les deux cas, après avoir entendu une preuve abondante, les tribunaux ont tiré des conclusions fort similaires. D’une part, les médecins sont en mesure d’évaluer l’aptitude à consentir et, d’autre part, on a convenu, tant dans l’affaire Carter que dans l’affaire Gladu et Truchon, que la prohibition absolue pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie ne résistait pas au test de la constitutionnalité.
Je vous soumets que, si le projet de loi C-7 est adopté en incluant la prohibition absolue pour les personnes qui souffrent uniquement de problèmes de santé mentale, cette prohibition est discriminatoire. Je vous dirais même que cette prohibition, assumée nettement et de façon troublante par le gouvernement, ne résisterait pas davantage à l’analyse constitutionnelle. La juge Baudouin a clairement démontré que le concept de vulnérabilité populationnelle ne pouvait pas être évoqué pour justifier des restrictions à l’aide médicale à mourir, et ce, en incluant les problèmes de santé mentale.
À ce sujet, elle écrivait ceci au paragraphe [252] :
La vulnérabilité ne doit pas être comprise ni évaluée en fonction de l’appartenance d’une personne à un groupe défini, mais au cas par cas [...]
Elle écrivait aussi ceci :
Or, selon le Tribunal, on ne peut au nom du principe qui est de vouloir protéger certaines personnes contre elles-mêmes ou de vouloir affirmer socialement la valeur inhérente de la vie, prohiber l’aide médicale à mourir à toute une communauté de personnes handicapées [...]
Ce que nous faisons, c’est pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale. En fait, c’est ce que fait indirectement le législateur en visant une protection diffuse de certains groupes.
La juge suggérait plutôt d’instaurer des mesures [Difficultés techniques].
En conclusion, en ce qui me concerne, il est évident que le critère ne pourra résister à l’analyse et je fais référence aux propos de la juge Baudouin, avec lesquels nous pouvons faire des parallèles importants sur un éventuel débat pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale.
Dix jours après l’adoption du projet de loi C-14, alors que le Sénat avait recommandé d’en retirer l’exclusion pour les gens en fin de vie, une contestation judiciaire a été déposée. Je vous soumets que l’histoire se répétera si le critère visant à exclure les gens qui ont des problèmes de santé mentale est maintenu.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Leroux. Nous vous remercions de votre effort et nous lirons certainement votre mémoire.
Passons maintenant aux questions des sénateurs.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je remercie chacun des témoins de leur présentation. J’ai une question qui s’adresse à la Dre Gupta.
Dans votre introduction, vous avez parlé du document de réflexion qui a été distribué et auquel vous avez participé. Ce document a été rédigé par l’Association des médecins psychiatres du Québec. À la fin de ce document, à la page 47, on dit ceci, et je cite :
Bien que les psychiatres connaissent bien les questions discutées dans ce document, savoir comment les appliquer dans la pratique est une priorité urgente. On doit développer un programme de formation pour les médecins qui désirent s’engager dans ces cas à titre d’évaluateurs, de prestataires, de membres […] de futurs professeurs, et rendre ce programme facilement accessible.
Que représente la mise sur pied de ce genre de programme? Qu’est-ce que cela implique? À votre avis, combien de temps cela pourrait-il prendre et à quel point est-ce aussi important que votre document semble le dire?
Dre Gupta : Je vous remercie, madame la sénatrice, de la question. En fait, l’association est en train de concevoir une telle formation. On pense que cela prendra des mois pour créer des modules sur chaque sujet dont on veut traiter. Divers moyens pourraient être offerts aux psychiatres. Évidemment, il y a certaines limites dans le contexte actuel de la pandémie, mais cela pourrait être offert sous forme de webinaires, et éventuellement de cours. On pourrait s’inspirer des programmes de formation qui existent aux Pays-Bas offerts sous forme de cours de trois jours en présentiel avec des devoirs, des examens, etc. Même si le médecin connaît le concept, il a l’occasion de peaufiner ses connaissances et d’échanger avec les autres médecins. Au Québec, au cours des cinq dernières années, on a reconnu l’importance du mentorat dans ce domaine de pratique où les gens qui prodiguent les soins et qui évaluent les demandes peuvent échanger entre eux sur les meilleures pratiques et discuter des cas difficiles. C’est ainsi qu’on parvient à améliorer nos compétences et à assurer une certaine harmonisation dans nos pratiques. Même si on n’a pas les mêmes cours, il y a des variantes. C’est pour cette raison que ce genre d’échanges est important.
La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie. Cela répond à ma question.
Le sénateur Carignan : Bienvenue aux témoins.
C’est un privilège de vous entendre et de vous avoir parmi nous. Maître Ménard, vous semblez en forme, c’est une bonne nouvelle. Ma question s’adresse à la Dre Gupta et porte sur l’exclusion de la maladie mentale. Dans le document du gouvernement, on fait référence au fait qu’on n’inclut pas les maladies neurocognitives et neurodéveloppementales et l’alzheimer. Lorsque vous lisez l’article, quand on parle de maladies mentales en général, est-ce qu’elles sont clairement exclues pour vous? Donc, une personne qui souffre d’alzheimer pourrait demander l’aide médicale à mourir, au-delà du fait que des problèmes physiques peuvent survenir par la suite?
Dre Gupta : Je vous remercie, sénateur, de la question. Non, je dirais que cette expression de « maladie mentale » n’est pas claire. Dans la terminologie standard en psychiatrie, on parle de troubles mentaux. Il s’agit d’une sphère assez vaste. Je comprends que le gouvernement utilise l’expression « maladie mentale » afin de viser un groupe de patients plus restreint, mais sans donner une telle liste ou expliquer ce qui est inclus et ce qui est exclu. Je pense que cela prête à confusion. Par exemple, dans le document d’analyse de la Charte, on dit que les maladies mentales sont principalement traitées par les psychiatres. Cependant, il y a beaucoup de chevauchements dans les patients qui sont traités, par exemple, par les omnipraticiens, les gériatres et les neurologues. Il est possible qu’un patient qui a des problèmes de toxicomanie... En fait, la grande majorité des patients sont traités par les omnipraticiens et les spécialistes en toxicomanie. Est-ce que cela veut dire qu’ils sont inclus ou est-ce qu’on considère qu’il s’agit d’une maladie et qu’ils sont exclus? Je pense qu’il y a une réelle confusion dans l’expression « maladie mentale ».
Le sénateur Carignan : Maître Ménard, avez-vous l’impression que les personnes qui souffrent de maladies mentales sont victimes de discrimination à un autre niveau, étant donné que, souvent, leurs capacités à consentir aux soins ou à l’aide médicale à mourir évolueront davantage que leurs capacités physiques? Une personne dont les capacités physiques diminuent, mais qui garde son cerveau intact possède toujours la capacité de demander l’aide médicale à mourir. Par contre, une personne dont le cerveau « décroche » avant de perdre ses capacités physiques n’a plus cette faculté. Les critères sont plus sévères pour la personne qui perd ses capacités mentales avant ses capacités physiques. Il y a un effet discriminatoire en raison des critères distincts. Selon moi, on pourrait résoudre ce problème grâce à des directives anticipées. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
Me Ménard : C’est difficile de faire une catégorisation générale. Ce que nous enseigne la jurisprudence, c’est qu’on fait cela au cas par cas. Dans chacun des cas, on examine l’effet de la maladie sur la personne. Avoir une maladie mentale, ce n’est pas la fin du monde. C’est pour cette raison que cela ne peut pas être un critère d’exclusion. Par exemple, on constate que la maladie va nuire à la capacité à consentir, que la personne va changer d’idée plusieurs fois par jour, qu’elle ne comprendra pas ce qu’on explique. Cela reste du cas par cas. Vous pouvez avoir deux personnes avec les mêmes caractéristiques de santé physique, mais, pour ce qui est de la santé mentale, une personne peut être plus capable que l’autre de prendre une décision et de donner son consentement. Dans le cas d’une personne dont les capacités sont diminuées, il faut être plus prudent. Essentiellement, ce qu’on propose dans ces cas-là, c’est qu’on puisse obtenir d’autres évaluations, une deuxième opinion, pour s’assurer qu’on ne se trompe pas. Cela évite qu’on laisse les gens dans l’arbitraire. Il ne faut pas oublier que, dans les pays où la maladie mentale est acceptée, un tout petit nombre de personnes réussit quand même à passer à travers les mailles du filet pour avoir accès à l’aide médicale à mourir. Dans la grande majorité des cas, on ne les accepte pas tout de suite. Par exemple, aux Pays-Bas, environ 90 % des gens ne sont pas acceptés sur la base de la maladie mentale et 10 % ont accès à l’aide médicale à mourir. On pourrait très bien en arriver aux mêmes résultats ici. Toutefois, on ne doit pas exclure ces gens-là d’emblée de l’accès à l’aide médicale à mourir. Dans la mesure où les gens sont relativement hypothéqués sur le plan cognitif, on doit évaluer s’ils sont encore aptes à prendre une décision ou non. Chaque cas est un cas individuel qu’il faut examiner attentivement. Je ne sais pas si j’ai bien répondu à votre question.
Le sénateur Carignan : Je vous remercie.
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse aux deux juristes, soit MM. Ménard et Leroux.
En excluant toute une classe de gens, dont les personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale, le gouvernement nous dit que la loi veut protéger un groupe de personnes vulnérables, mais cela exclut alors automatiquement l’évaluation individuelle au cas par cas parce que, même si vous êtes membre d’une classe vulnérable, cela ne signifie pas que vous êtes vous-même vulnérable.
Me Ménard : C’est exact.
Le sénateur Dalphond : Vous répétez ce qu’a dit la juge Baudouin. Beaucoup de sénateurs s’inquiètent du fait que c’est un jugement de première instance qui n’a pas été porté en appel. Je ne sais pas si vous avez pris connaissance du jugement de la Cour suprême rendu vendredi dernier dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. G, mais ma lecture des paragraphes 69 et 70 m’amène à conclure que le défaut d’avoir une possibilité d’évaluation individuelle est une violation de l’article 15.
Me Ménard : C’est exact.
Le sénateur Dalphond : Je voudrais entendre vos commentaires à tous les deux, s’il vous plaît.
Donnez-vous un peu de temps, afin que vous disposiez chacun d’une minute et demie ou deux minutes pour répondre.
Me Ménard : La Cour suprême va dans le sens de ce qu’a dit la juge Baudouin, à savoir que tous ces cas nécessitent une évaluation individuelle. Nous faisons fausse route en collectivisant l’évaluation des personnes. Chaque cas doit être évalué selon son propre mérite. Dans ce contexte, la décision de la Cour suprême va dans le même sens que le jugement Truchon. Je pense que c’est une tendance lourde qui va rester. Cela fragilise d’autant plus ce que l’on se propose d’adopter avec le projet de loi C-7, avec l’exclusion complète de la maladie mentale.
Me Leroux : J’ajouterais pour ma part que c’est exactement l’exercice qu’on a fait dans l’affaire de Truchon et Gladu. L’argument du procureur général du Canada était d’évoquer la vulnérabilité populationnelle pour justifier le critère de la mort naturelle devenue raisonnablement prévisible. C’est la raison pour laquelle autant de psychiatres ont témoigné pour expliquer les concepts et leurs points de vue par rapport à la vulnérabilité populationnelle. C’est ce qui a été rejeté par la juge Baudouin. Lorsque je me suis préparé pour le procès, j’ai lu l’ensemble des débats qui avaient eu lieu notamment devant le Sénat. Ultimement, les ministres de la Santé et de la Justice de l’époque avaient justifié la présence du critère pour exclure la santé mentale de l’aide médicale à mourir. On a donc tenté de discriminer indirectement par l’adoption du critère de mort naturelle. Comme cela n’a pas fonctionné devant la juge Baudouin, on discrimine maintenant de façon assumée, on admet que le but est d’exclure cette population à laquelle on a attribué une étiquette de population vulnérable, mais les enseignements de la juge Baudouin nous prouvent qu’on ne peut absolument pas retenir ce critère pour limiter l’accès à l’aide médicale à mourir. C’est la primauté des évaluations individuelles. Pour moi, il n’y a aucun débat, et il me semble évident que, si le projet de loi est adopté tel quel, il prêtera le flanc à une attaque constitutionnelle. Avec une bonne argumentation, je suis certain que c’est quelque chose qui pourrait arriver, et probablement se conclure avec succès.
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Martin : Excusez-moi pour mon arrivée tardive. Je n’ai pas pu entendre vos témoignages en entier, alors mes questions s’adresseront uniquement à la Dre Gupta, qui a répondu à la sénatrice Petitclerc. J’avais quelques questions par rapport à une chose que vous avez dite.
C’est lié aux modules de formation qui sont en préparation, selon ce que vous avez dit, et au fait que, à cause de la pandémie, il pourrait y avoir des retards. Vous avez donné comme exemple de cette formation les Pays-Bas — les Pays-Bas et la Belgique sont les deux seules administrations dont nous avons entendu parler — et c’est un cours de trois jours qui culmine par un examen.
Docteure Gupta, j’ai du mal à accepter qu’un cours de trois jours suivi d’un examen soit suffisant pour former des professionnels qui doivent composer avec la mort et la fin de vie, compte tenu de la complexité de la question et de la mesure dans laquelle un très grand nombre de cas différeront de ceux des Pays-Bas. Le Canada est un pays plus diversifié, alors lorsqu’il est question de toutes les sensibilités culturelles, des différents groupes ethnoculturels que nous avons dans l’ensemble du Canada et du fossé entre les régions rurales et les régions urbaines... en tant que pays, nous sommes complexes et différents.
J’essaie de comprendre comment cela pourrait suffire et de savoir qui prépare ce cours. Qui prépare ces modules, et de quelles façons avez-vous tenu compte de la diversité et des types d’éléments dont nous devons tenir compte au Canada?
Dre Gupta : Merci de poser la question. Vous avez tout à fait raison. En fait, c’est une très bonne chose de soulever ces considérations importantes qui devraient être intégrées non seulement dans la formation de spécialistes concernant la pratique de l’AMM, mais dans toutes nos pratiques en ce moment. Nous devons accorder beaucoup plus d’attention à l’inclusion de la diversité que nous l’avons fait jusqu’à maintenant.
Pour que cela soit clair, il s’agit d’une initiative de l’Association des médecins psychiatres du Québec, qui est l’association des psychiatres du Québec, et nous avons déjà préparé un document de travail sur ce sujet. Nous voulons passer à la prochaine étape, qui consiste à fournir une formation aux psychiatres concernant la pratique de l’AMM.
Il importe de rappeler que les psychiatres peuvent déjà agir en tant que deuxième médecin dans les évaluations de l’AMM. C’est important que le projet de loi soit ou non adopté avec la disposition sur l’exclusion, que les psychiatres reçoivent une certaine formation dans ce domaine. Le nombre de jours de formation que j’ai mentionné est un exemple tiré d’un autre pays, mais vous avez raison. Est-ce une bonne durée pour un cours? Celui-ci devrait-il être plus long? La forme devrait-elle être différente? Devrait-il s’agir d’un cours longitudinal? Ce sont toutes de bonnes questions, mais nous sommes au début du processus et n’avons encore rien élaboré. Nous commençons juste à réfléchir à ce que nous devons faire pour mettre quelque chose en place. Cette rétroaction est inestimable.
Je tiens à dire que les types de sujets que nous aborderions dans un cours, relativement à la pratique de l’AMM, sont le pain et le beurre de la psychiatrie. Parler du suicide, de la capacité et des souffrances; ce sont des choses que nous faisons quotidiennement dans notre travail clinique. La valeur ajoutée d’un cours est de transposer cela dans le contexte de l’AMM.
La sénatrice Martin : Merci. C’est un nouveau domaine pour nous tous, parce que cette loi n’est pas très vieille. Je me rappelle le débat entourant le projet de loi C-14. Vous étiez en train d’élaborer des modules qui devraient être offerts à tout le monde au pays, mais il semble que cela soit toujours en cours, et nous ne sommes donc pas tout à fait prêts pour que le projet de loi soit adopté et pour que l’AMM soit offerte à tout le monde.
Je m’inquiète un peu du délai et de l’état de préparation par rapport à ce que j’entends dire, mais je vous remercie du bon travail que vous faites. J’espère que ces modules seront élaborés et qu’ils seront efficaces.
Le sénateur Cotter : Je remercie chacun d’entre vous de vos exposés, que j’ai jugés enrichissants et utiles.
J’ai moi-même étudié en droit, mais contrairement au sénateur Dalphond, je ne vais pas poser de questions à Me Ménard ou à M. Leroux. Je vous remercie de vos commentaires et de vos réponses à ses questions. Mes questions ressemblent à celles qui ont été soulevées par la sénatrice Martin, mais précisent peut-être un peu plus les choses, docteure Gupta.
J’ai lu aussi vite que j’ai pu le rapport auquel vous avez fait allusion, et il s’est révélé être, du moins pour moi, enrichissant. Mais cela m’amène à la question de savoir si oui ou non — si nous pouvions mettre de côté l’exemption concernant une maladie mentale — nous pourrions accélérer les choses pour rendre cela accessible conformément aux pratiques exemplaires de la psychiatrie. Pour autant que je sache, vous recensez dans le rapport… le rapport lui-même ne tente pas de produire des lignes directrices en matière de pratique dans ce domaine et il encourage l’élaboration de mesures de sauvegarde précises. Le rapport renvoie à certains des autres pays qui ont fait cela. Ma première question vise à savoir dans quelle mesure, à votre avis, celles-ci seraient nécessaires et dans combien de temps elles pourraient être mises en place.
Je souligne que, dans le contexte d’une recommandation que nous avons reçue il y a quelques jours d’un autre intervenant, qui concernait le fait que nous devrions inclure dans le projet de loi la maladie mentale ou le trouble mental aux fins de l’admissibilité à l’AMM, mais suspendre son activité pour une certaine période afin que le travail préparatoire puisse être fait, la période proposée par ce témoin était de 12 mois. Puis-je avoir votre avis là-dessus?
Dre Gupta : Oui, merci, monsieur le sénateur. Vous avez soulevé un certain nombre d’enjeux, et je vais m’assurer d’aborder chacun d’entre eux.
C’est pour une raison technique et médicale que nous avons dit que le document ne consiste pas en des lignes directrices en matière de pratique, parce que dans notre domaine, les lignes directrices en matière de pratique doivent répondre à certains critères afin d’être considérées comme telles, et nous ne les avons pas respectées. Nous ne voulions pas faire croire que nous faisions passer notre travail pour des lignes directrices en matière de pratique alors que nous n’avions pas répondu aux critères.
C’est aussi essentiellement une première recommandation. C’est la façon dont nous organiserions les choses si nous devions fournir l’AMM à ce groupe de patients. Cela tient aussi particulièrement compte de la spécificité de la pratique de l’AMM au Québec, qui diffère un peu de celle en vigueur dans d’autres régions du Canada. Nous demandons un bureau administratif pour coordonner les soins, nous parlons d’autorités au Québec, et cetera. Tout cela fait vraiment partie de ce contexte.
Je pense que le gouvernement aimerait avoir un seul régime au Canada, et évidemment, nous avons fait une partie du travail sur ce sujet. Je crois que l’Association des psychiatres du Canada fait actuellement du travail sur cette même question. Douze mois semblent une période raisonnable pour permettre à des administrations de réfléchir aux questions, de travailler ensemble, d’échanger des renseignements et peut-être, du côté du gouvernement, de réfléchir au fait de savoir s’il y a des choses précises qui doivent en réalité s’inscrire dans la loi, plutôt que d’être laissées à une orientation pratique ou à des normes de pratique.
Je crois que nous pourrions débattre des périodes de 12 mois, de 8 mois ou de 13 mois. Ce qu’il y a d’intéressant au sujet de la suggestion, c’est qu’elle reconnaît que les personnes aux prises avec un trouble mental ne devraient pas être exclues ou qu’il n’y a pas de raison légitime pour les exclure, mais elle dit simplement : donnons-nous le temps de faire et d’organiser correctement les choses.
Le sénateur Cotter : J’ai une question un peu plus difficile, docteure Gupta, à laquelle on ne peut pas répondre aussi facilement. Vous dites dans le rapport que :
Les médecins ne pourront pas évaluer adéquatement l’admissibilité d’un patient si celui-ci n’a pas reçu ou n’a pas eu accès à des soins appropriés.
Et cela touche divers aspects. Le rapport poursuit ainsi :
Avant d’être admissible à l’AMM, une personne devrait avoir tenté toutes les options thérapeutiques qui lui sont acceptables.
Cela soulève une question beaucoup plus importante en ce qui concerne la disponibilité de ces soins thérapeutiques. Je me demande, selon vous, dans quelle mesure à l’heure actuelle, et peut-être depuis un très long moment dans d’autres régions du pays, cette norme est-elle prohibitive en ce qui concerne l’accès à l’AMM si vous devez vous être prévalu de toutes les options thérapeutiques mises à votre disposition?
Dre Gupta : Dans cette partie du rapport, nous tentons de trouver un équilibre : nous assurer que les gens se sont vu offrir et ont essayé des soins appropriés pour leur problème — et des soins excellents pour leur problème — selon ce qu’ils sont capables de subir et d’essayer, vu l’historique de leur affection. Évidemment, on ne peut forcer personne à prendre quelque chose qu’il ne veut pas prendre, et nous ne voulions pas faire valoir l’idée que pour recevoir l’AMM, vous devriez être forcé de prendre des choses que vous ne voulez pas prendre ou essayer.
De toute évidence, vous avez lu le document. Les types de considérations qui devraient être mises à profit, à notre avis, sur les questions de l’incurabilité et de l’irréversibilité, signifient que nous parlons de patients qui sont malades depuis des dizaines d’années et ont effectivement tenté durant cette période de nombreux types d’interventions différentes. Heureusement, comme j’ai rencontré très peu de ces patients dans ma carrière, mon expérience personnelle en tant que clinicienne me montre que la plupart ont en réalité eu accès à un éventail de traitements. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres choses que nous pourrions tenter ou suggérer, ou que de nouvelles avancées ne devraient pas être proposées. Elles doivent l’être. Je ne vois pas cela comme prohibitif, parce que lorsque nous nous demandons qui pourrait réalistement être admissible, nous parlons des gens qui reçoivent les soins d’équipes psychiatriques spécialisées depuis des années.
Le sénateur Cotter : Merci, c’est très utile.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Docteure Gupta, sur la même question, ai-je bien lu ce qui suit dans la version française :
Avant d’être admissible à l’AMM, une personne devrait avoir tenté toutes les options thérapeutiques qui lui sont acceptables.
Est-ce bien ce que j’ai compris? D’accord. Cela suppose que l’on respecte la volonté d’une personne de refuser un certain nombre de soins?
Dre Gupta : Oui, exactement. Ce que je disais au sénateur, c’est que nous avons essayé de trouver un équilibre. Il ne faut pas dire que quelqu’un est admissible après avoir essayé un ou deux traitements, mais en même temps, nous ne pouvons pas forcer les gens à accepter des traitements, surtout quand on pense à la population qui pourrait être admissible. On parle de gens qui ont enduré des traitements pendant des décennies; on ne force personne, et on ne voulait pas que cela soit une condition.
La sénatrice Dupuis : Je voudrais saluer Me Ménard. Ma question s’adresse à Me Leroux. Maître Ménard, vous avez bien fait ressortir votre position au sujet de la maladie mentale comme seule condition qui ne devrait pas être exclue parce que ce serait discriminatoire.
Ma question est la suivante. Ai-je bien lu le jugement de la juge Baudouin dans la décision Truchon comme un jugement qui applique les critères de la Cour suprême dans la cause Carter? Je vous pose la question, car nous avons reçu beaucoup de commentaires sur le fait que c’était un jugement d’une cour de première instance avec ce que cela vaut. Ai-je bien lu dans le jugement Baudouin que la juge essayait d’interpréter plus strictement la décision Carter?
Me Ménard : Effectivement, la décision de la juge Baudouin colle de très près à la décision Carter. Elle dit bien clairement que ce que disait la décision Carter était très clair et s’applique effectivement à M. Truchon et à Mme Gladu. Elle ne voyait pas de raison de s’en écarter ou de décider autre chose. Dans Carter, les souffrances intolérables ressenties par les patients représentaient le critère de décision de la cour.
C’était un critère suffisant pour qualifier les gens à l’aide médicale à mourir. Elle a bien appliqué le test et elle n’avait pas à aller au-delà de cela — elle n’y est pas allée, d’ailleurs. Elle a simplement ramené la discussion dans les limites de la décision Carter, et non dans les limites du projet de loi C-14.
La sénatrice Dupuis : En réintroduisant le critère dans le projet de loi C-7 — devant le comité, le ministre Lametti a dit que ce n’était plus un critère d’admissibilité, mais une voie vers l’accessibilité aux services... Ma question est la suivante. En réintroduisant une distinction artificielle entre « en fin de vie » par opposition à « pas en fin de vie », ou entre « mort raisonnablement prévisible » par opposition à « mort non raisonnablement prévisible », cela constitue-t-il également une forme de discrimination?
Me Ménard : Cela en constitue une aussi, car on a affaire à deux groupes différents qui ont des droits différents. Il faut voir que les droits de l’un ne sont pas les mêmes que les droits de l’autre. Les gens qui sont en condition de mort non prévisible ont moins de droits et ont moins de facilité à faire valoir leurs droits. On sous-entend aussi que tous ces gens sont vulnérables, alors que ce n’est pas le cas. La grande majorité des gens dont la mort n’est pas prévisible ne sont pas vulnérables. M. Truchon et Mme Gladu n’étaient pas des gens vulnérables, même si on ne pouvait pas prédire leur mort dans un délai quelconque. Même si l’on n’en fait pas une condition d’accès à l’aide médicale à mourir, il reste que l’on pose quand même des conditions à cet accès.
De plus, c’est un critère qui n’a jamais été défini en 2016 lorsqu’on en discutait. La discussion à la Chambre des communes et au Sénat a été la même aussi. On ne pouvait pas en arriver à une définition précise, toutes sortes de délais ont été imposés, des délais qui dépendaient de qui faisait la sélection.
Ce n’est donc pas un critère opérationnel. Autrement dit, du point de vue légal, les médecins ne se reconnaissent pas dans ce critère. On leur demande de l’appliquer, mais c’est un critère qui ne veut rien dire — ou qui veut tout dire.
Me Leroux : J’ajouterais qu’on se trouve dans une période d’exemption constitutionnelle. En ce moment, au Québec, les gens peuvent se prévaloir d’une exemption. Or, on le voit sur le terrain, les médecins ont de la difficulté à interpréter le critère pour savoir si une exemption est requise ou non dans certains cas. On a vu certaines situations où il y avait mésentente entre médecins pour déterminer si le patient devait avoir ou non une exemption constitutionnelle, car on ne s’entendait pas sur ce critère. Ce critère demeure donc très difficile à appliquer. La situation est très concrète, nous la vivons en ce moment au quotidien.
La sénatrice Dupuis : D’ailleurs, ce fait nous a été confirmé par la Fédération des ordres des médecins du Canada. Ce critère est tellement vague qu’il ne peut pas être régulé.
Merci beaucoup, maître Ménard et maître Leroux.
La sénatrice Keating : Merci aux témoins. Maître Ménard, maître Leroux, le gouvernement maintient que l’exemption absolue des gens souffrant de maladie mentale est justifiée d’un point de vue constitutionnel. Nous avons également entendu des témoins nous dire que cette exemption n’était pas constitutionnelle, mais qu’elle était sauvée par l’article 1.
Au bénéfice de tous les membres du comité, j’aimerais que vous m’expliquiez quels critères pourraient être établis, et s’ils permettraient d’invoquer avec succès l’application de l’article 1. Avant que vous répondiez, je précise que je suis tout à fait d’accord avec vous. J’aimerais toutefois que vous nous donniez des précisions, au bénéfice du comité.
Me Ménard : Je crois qu’il sera très difficile de concilier ce critère dans le cadre de l’article 1. Encore une fois, c’est un critère arbitraire et flou, qui permet n’importe quoi ou rien du tout. Par conséquent, on n’avance pas en appliquant ce critère.
Le meilleur critère qu’on pourrait appliquer, c’est de dire, comme le juge Baudouin l’a indiqué, que les médecins sont compétents pour évaluer chaque cas selon son mérite propre. Ils savent comment évaluer l’aptitude des patients : un patient peut être apte ou inapte. Quand les cas sont à la limite, on ira chercher une deuxième opinion pour valider le point de vue, dans un sens ou dans l’autre, et l’exercice est suffisant.
Les autres mesures de sauvegarde sont à la fois importantes et lourdes, et on ne les remet pas en question. On fait donc des évaluations individuelles, et la personne aura accès ou non en fonction de l’évaluation qui est faite. Il n’est pas question de délai, et rien ne change pour ce qui est du choix des personnes si on doit attendre encore 90 jours ou plus avant de savoir si elles peuvent avoir accès à l’aide médicale à mourir. Si elles peuvent y avoir accès dès le jour 1, qu’on leur donne cet accès librement, sans leur imposer une pénalité de souffrances intolérables pendant encore 90 jours. Je crois que c’est une question d’équilibre.
La sénatrice Keating : Je parlais exclusivement de l’exemption totale de la maladie mentale.
Me Leroux : Dans une hypothétique contestation judiciaire, pour arriver à la conclusion qu’un critère résiste à l’analyse de l’article 1, bien humblement, je pense qu’il faudrait qu’une preuve prépondérante soit présentée selon laquelle les médecins ne sont pas en mesure d’évaluer l’aptitude à consentir. C’est la seule façon d’y arriver pour résister à l’article 1. Ce que l’histoire nous dit, c’est que l’arrêt Carter, après un procès mammouth et beaucoup de témoignages d’experts, est arrivé à la conclusion que les médecins sont en mesure d’évaluer l’aptitude. Les mêmes conclusions se retrouvent dans le jugement Baudouin.
Pour ce qui est de l’économie même du consentement aux soins, tous les jours, des gens souffrant de santé mentale se présentent devant le tribunal et font l’objet d’une ordonnance de soins, et les médecins sont capables d’évaluer cette aptitude à consentir. C’est donc la seule façon d’y arriver. Après les procès que j’ai vus, et après l’arrêt Carter, je ne vois pas comment on pourrait en arriver à une telle conclusion si c’est une preuve similaire qui est présentée.
La sénatrice Keating : Merci beaucoup. Je ne le voyais pas non plus.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Je tiens à remercier les témoins de l’étalage rafraîchissant de leur expertise et de la clarté de leurs communications.
Ma première question s’adresse à la Dre Gupta. En tant que psychiatre, vous êtes très bien formée pour évaluer la capacité décisionnelle d’un patient. En fait, cela comprend des facteurs cognitifs et émotionnels, ainsi que l’intention suicidaire. Vous êtes donc en mesure d’établir une distinction entre les pensées suicidaires — le désir de mourir par suicide — et la décision d’entreprendre l’AMM. Vous faites ce type d’évaluation presque quotidiennement en ce qui concerne le refus d’accepter un traitement et l’admission involontaire, et cetera.
Croyez-vous qu’un médecin adéquatement formé qui n’est pas psychiatre peut améliorer ses compétences existantes, au moyen d’un programme de formation complet, en ce qui concerne les compétences décisionnelles pour l’AMM?
Dre Gupta : Merci de poser la question.
En gros, absolument. Dans notre domaine, comme vous le savez bien, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, donc plus nous en faisons, plus nous échangeons et apprenons, et plus nous nous améliorons dans les cours que nous suivons. Oui, nous avons tous en commun la discipline de la médecine — nous nous divisons ensuite dans des spécialités — mais il y a beaucoup de chevauchement dans notre travail. Chaque jour, je vois des médecins de famille qui font de l’excellent travail dans les soins de santé mentale, en fait, la plupart des soins psychiatriques au pays sont fournis par des médecins de famille, donc les médecins de différentes disciplines peuvent assurément acquérir ces compétences au moyen de la pratique et de la formation.
Le sénateur Kutcher : On peut présumer qu’on ne ferait pas valoir de façon importante que les médecins ne peuvent appliquer les évaluations très minutieuses nécessaires pour déterminer la capacité décisionnelle d’un patient, parce qu’ils sont essentiellement formés pour le faire.
Dre Gupta : Je crois que certains médecins en font moins que d’autres. En théorie, nous le faisons tous pour les traitements que nous proposons nous-mêmes. Un dermatologue sait comment évaluer la capacité concernant un traitement dermatologique tout comme un psychiatre sait comment l’évaluer pour un traitement psychiatrique.
Lorsqu’il s’agit de décisions pour lesquelles les enjeux sont élevés, il y a des disciplines qui ne fonctionnent pas bien avec ces types de patients, et les professionnels ne sont donc pas habitués de faire ce travail. Mais s’ils devaient finir par participer aux évaluations de l’AMM, oui, je crois que c’est possible d’apprendre comment faire ce genre de travail.
Le sénateur Kutcher : Croyez-vous que les médecins qui choisissent de participer aux évaluations de l’AMM auraient un intérêt et les ensembles de compétences nécessaires pour acquérir ces compétences, pour être en mesure de faire un bon travail?
Dre Gupta : Absolument. La communauté clinique réclame depuis longtemps plus de formation sur l’AMM, les soins de fin de vie et un éventail de domaines dans lesquels nous, en tant que praticiens maintenant en exercice, n’en avons pas reçu suffisamment lors de notre formation. Cela pourrait non seulement être fructueux, mais il y a un désir de la part des cliniciens d’en recevoir davantage. C’est pourquoi vous voyez des groupes comme l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM se former organiquement afin de pouvoir s’enseigner les uns aux autres, apprendre ensemble, acquérir des compétences, s’échanger de nouvelles connaissances, se réunir pour effectuer de nouvelles recherches, et cetera.
Le sénateur Kutcher : J’ai entendu dire plus tôt qu’un programme de formation de trois jours pourrait ne pas être suffisant. Vous n’avez pas dit qu’il devait durer trois jours; cela pourrait être la durée nécessaire.
Mais connaissez-vous d’autres programmes de formation professionnelle continue qui peuvent enseigner les compétences requises à des médecins, que ce soit l’assistance respiratoire ou des procédures chirurgicales précises, qui nécessitent des interventions incroyablement compétentes, dans un cours de trois jours environ?
Dre Gupta : Oui, absolument. Les médecins apprennent des choses comme la technique spécialisée de réanimation cardiorespiratoire en un jour. Ils pourraient apprendre, comme vous l’avez dit, la technique d’assistance respiratoire avancée en une demi-journée ou une journée, par exemple.
Je crois que certaines de ces choses sont une question de culture, n’est-ce pas? Les gens ne peuvent s’absenter de leur pratique que pour un certain temps afin de suivre ces cours. De plus, nous ne devrions pas voir la formation comme quelque chose qui se fait à un moment donné et qui n’est pas repris. La formation est quelque chose de continu. Lorsque vous êtes un professionnel de la santé, c’est un processus continu. Quelque chose comme un cours vise vraiment à vous fournir les connaissances essentielles. Puis, vous devez passer à la pratique, les appliquer, voir ce que vous savez, ce que vous ne savez pas, retourner en apprendre davantage, apprendre auprès de vos collègues, poser des questions. C’est le processus d’un apprentissage tout au long de la vie auquel les médecins s’adonnent maintenant dans le cadre de leur adhésion, que ce soit au Collège royal des médecins et chirurgiens, au Collège des médecins de famille ou au Collège des médecins du Québec.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, docteure Gupta. Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Pate : Ma question s’adresse à la Dre Gupta. À la lumière des réalités qui ont été très clairement mises à nu durant la pandémie, et malgré les garanties dans le projet de loi C-7 selon lesquelles les médecins devront fournir des renseignements au sujet de la disponibilité des services, le manque de services est un énorme problème. Assurément, les groupes de personnes en situation de handicap ont évoqué la préoccupation selon laquelle cela limite essentiellement le choix des personnes qui dépendent de ces systèmes pratiquement inexistants. J’aimerais savoir comment les médecins réagissent à cela et comment il se peut que l’accès à des services inexistants se traduise en réalité par aucun accès du tout. Comment proposeriez-vous que l’on remédie à cela dans la loi?
Dre Gupta : Merci, madame la sénatrice. C’est une question excellente et difficile. Je veux dire que le rôle des médecins à cet égard devrait intervenir à deux niveaux, et c’est réellement ce qui se passe. Le premier est un niveau organisationnel, car les groupes demandent au gouvernement d’engager des ressources dans des projets particuliers, d’effectuer des recherches pour exposer les domaines où il y a des lacunes dans les services et faire ressortir les avantages de ces services.
Il y a aussi le travail que nous faisons chaque jour auprès de nos patients individuels, lorsque nous rencontrons des gens qui n’ont pas ce dont ils ont besoin. C’est un travail de défense de leurs intérêts. Il s’agit de ne rien laisser au hasard afin de tenter d’accéder à ce dont ils ont besoin pour eux-mêmes.
Comme c’était le cas des soins palliatifs et du projet de loi C-14, et de la loi concernant les soins de fin de vie au Québec, c’est une occasion pour les gouvernements de faire preuve de leadership dans la hiérarchisation des priorités concernant les services de santé mentale, d’investir sérieusement et de s’engager pleinement pour faire en sorte que les gens reçoivent ce dont ils ont besoin. Le fait d’autoriser l’AMM n’exclut pas de fournir de bons soins, voire d’excellents soins à ceux qui en ont besoin. Je vois cela comme une occasion dans le projet de loi, et pour le gouvernement, il s’agit d’entreprendre ce processus très important. Si une période de 12 mois est bel et bien prévue afin de vous laisser le temps de vous organiser, c’est une occasion pour les gouvernements provinciaux d’améliorer également la qualité de leur engagement dans ce domaine particulier.
La sénatrice Moodie : Merci, madame. Ma question s’adresse à la Dre Gupta, parce que je veux approfondir un peu plus les réflexions du sénateur Kutcher. Ma question repose sur le principe que nous croyons que nous devrions maintenir la santé mentale comme un diagnostic primaire dans le projet de loi et ne pas permettre son exclusion actuelle. Il s’agit de la base de connaissances des praticiens, de leurs compétences et des normes qui peuvent être élaborées pour soutenir cette activité.
Nous avons appris que, partout au Canada, cette activité sera réalisée par des praticiens ayant des domaines et des niveaux d’expertise très différents. Certains d’entre eux ont des lacunes au chapitre des connaissances et de la formation à l’heure actuelle. Certains travaillent de façon isolée; ils desservent de grandes populations, peut-être seuls. Il pourrait s’agir, comme nous l’avons mentionné, d’infirmiers praticiens ou de médecins de famille. Nombre d’entre eux ne sont certainement pas des spécialistes, et ils feraient face au défi de comprendre s’il y a une certitude médicale entourant un diagnostic précis et si un patient particulier répond aux critères de l’AMM.
Nous convenons que l’accès à la formation appropriée est possible. Vous parlez du modèle qui est en place au Québec. Vous avez même mentionné que cela pourrait devenir un modèle national.
Quel travail déjà en place pourrait permettre l’opérationnalisation d’une disposition qui était peut-être une disposition de temporisation? Cette disposition pourrait permettre de maintenir la santé mentale comme diagnostic dans le projet de loi. Elle chercherait à fournir la bonne formation, le bon cadre, les bonnes normes et le bon accès à la formation appropriée, à fournir une certitude médicale entourant un diagnostic de maladie mentale. Il s’agirait de quelque chose qui rendrait les témoins individuels et d’autres personnes qui ont soulevé des préoccupations dans ce domaine plus confiants, sachant que nous apporterons des mesures de soutien aux praticiens. Elle montrerait que cela peut en fait être opérationnalisé d’une façon sécuritaire et normalisée, prévisible et, dans une certaine mesure, étayée, et que les travailleurs de première ligne qui sont peut-être très isolés dans leur pratique peuvent accéder, au besoin, à une expertise de niveau supérieur.
Dre Gupta : Merci, monsieur le sénateur.
La sénatrice Moodie : Une approche pansystémique est ce dont je parle.
Dre Gupta : C’est un problème intéressant et complexe dans un pays qui possède autant de systèmes de santé différents dirigés par les provinces, de nombreux organismes de réglementation différents et, bien sûr, de nombreux établissements d’enseignement où les gens reçoivent leur affiliation principale.
Le premier principe que je veux communiquer est un principe auquel tous les praticiens adhèrent — nous devons y adhérer sur le plan éthique et aussi du point de vue réglementaire — c’est-à-dire que nous ne devrions pas pratiquer au-delà de notre champ de pratique. Quelqu’un qui ne possède pas les compétences ou les connaissances pour pratiquer dans un certain domaine ne devrait de son côté réaliser aucun type de service clinique, aucune évaluation de l’AMM ou autre, à moins qu’il ait reçu une formation ou soit épaulé ou soutenu d’une façon appropriée. Les gens ne se retrouveraient pas, nous l’espérons, dans une situation où ils se font demander quelque chose qu’ils ne sont pas en mesure de faire.
J’aimerais parler un peu du Québec. D’abord, je veux juste rappeler qu’il n’y a encore rien en place au Québec concernant la formation. C’est quelque chose que nous voulons commencer à mettre au point, mais cela n’existe pas encore.
Je veux parler d’une évolution intéressante qui est survenue lorsque la loi du Québec est entrée en vigueur, c’est-à-dire le leadership dont a fait preuve l’organisme de réglementation. C’est un acteur vraiment important dans cette histoire, parce que tous les médecins doivent être membres de l’ordre, et celui-ci a non seulement le pouvoir réglementaire, mais aussi une autorité éthique et morale.
L’organisme de réglementation a en fait pris l’initiative d’élaborer des documents de formation, un cours, des services de mentorat, et cetera. C’est devenu un moyen pour les médecins d’apprendre, mais aussi de savoir que ce qu’ils apprenaient était approuvé et considéré comme une pratique appropriée.
Dans ce débat, il y a vraiment un rôle à jouer pour la FOMC, dont vous avez déjà entendu parler, et pour les organismes de réglementation provinciaux afin qu’ils collaborent par l’entremise de la FOMC afin d’élaborer des normes qui constituent non seulement de bonnes pratiques, mais sont aussi reconnues par cette autorité, parce que nous devons tous trouver notre place et faire ce qui est exigé, et tous ces organes agissent dans l’intérêt public. Cette organisation me semble idéale pour assumer ce rôle.
Le dernier point que je veux soulever en ce qui concerne la pratique sur le terrain est le suivant, et je vois cela chaque jour dans ma propre pratique. Une des quelques bonnes choses que la pandémie a amenées, c’est l’adoption rapide et prompte de la télémédecine. On ne peut pas l’utiliser pour tout. Ce n’est pas parfait, mais cela a donné un accès. Cela a permis d’offrir des consultations, du renfort et du soutien à des gens qui n’auraient pas pu accéder à une consultation de spécialiste, du soutien de collègues ou même simplement le respect de leur rendez-vous avant la pandémie. Nous commençons à peine à apprendre à quel point cet outil peut être utile, éliminant enfin, certaines des barrières réelles auxquelles les gens dans des collectivités éloignées ou dans des collectivités en manque de personnel peuvent faire face, en les faisant profiter davantage de cette technologie. C’est en place, c’est fonctionnel, et je crois que cela pourrait servir assez bien ce projet particulier.
La présidente : Un certain nombre de sénateurs ont des questions, mais nous avons un problème. Nous devons changer les interprètes, parce que cela fait un bon moment que nous avons commencé, et on doit désinfecter la salle. Je dois m’arrêter maintenant, mais je tiens à vous remercier tous, mesdames et messieurs, de votre patience.
[Français]
Merci de votre présence aujourd’hui, docteure Gupta, maître Ménard et maître Leroux. Vous nous avez certainement fourni beaucoup d’information. Je vous remercie du travail que vous faites et de contribuer à aider les Canadiens et les Canadiennes.
[Traduction]
Madame la ministre, merci beaucoup d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui. Nous savons très bien que vous êtes probablement une des ministres les plus occupées durant la pandémie, mais malgré tout, vous vous êtes rendue disponible pour nous. Sachez que le comité ne l’oubliera pas. Merci beaucoup. Étant donné tous les défis que vous vivez en ce moment, vous avez pris du temps pour nous, et nous vous en remercions. Merci.
Madame la ministre, je veux prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité, et de nombreux autres sénateurs qui participent. Les membres du comité sont le sénateur Campbell, vice-président, et la sénatrice Batters, vice-présidente; le sénateur Boisvenu; le sénateur Carignan, critique du projet de loi; le sénateur Cotter; le sénateur Dalphond; la sénatrice Dupuis; la sénatrice Keating; le sénateur Kutcher; et la sénatrice Petitclerc, qui est la marraine du projet de loi. Deux de nos chefs se joignent également à nous, le sénateur Gold, qui est le leader du gouvernement au Sénat; et la sénatrice Martin, qui est la chef adjointe du Parti conservateur. Elle est également membre du comité. D’autres sénateurs nous écoutent aussi : la sénatrice Pate, la sénatrice Moodie, la sénatrice Miville-Dechene et la sénatrice Lankin.
Madame la ministre, je sais que mes collègues ont beaucoup de questions pour vous, donc je vous laisse commencer, puis nous passerons aux questions. Merci, madame la ministre.
Honorable Patty Hajdu, c.p., députée, ministre de la Santé, Santé Canada : Je remercie les sénateurs et les sénatrices. Merci à tous de votre soutien et de votre travail durant cette période très difficile. Je veux juste dire que c’est vraiment un moment pour faire front commun en ce qui concerne la COVID-19. Je vous remercie pour les bons commentaires.
Je suis ici parce que je crois que le projet de loi C-7 est un texte de loi très important pour de nombreux Canadiens. J’aimerais parler un peu du projet de loi et vous faire part des projets et des considérations du gouvernement sur cette question importante qui, comme nous le savons, touche la vie d’un si grand nombre de gens.
Essentiellement, la décision Truchon de septembre 2019 concerne l’équité, la compassion et le respect des droits des Canadiens. Dans cet esprit, les amendements proposés dans le projet de loi C-7 vont au-delà d’une interprétation littérale de la décision Truchon. Ils réduiraient les obstacles à l’accès et tiendraient compte de certaines exigences procédurales dans la loi originale qui ont eu les conséquences imprévues que l’on sait pour des personnes approchant de la fin de leur vie. En tant que ministre de la Santé, je crois fermement que les changements que nous avons proposés dans le projet de loi sur l’AMM élargiront la liberté de choix pour les personnes qui souffrent de manière intolérable et pour celles pour qui il n’existe aucun traitement ni mesure de soutien acceptable qui pourrait améliorer leur état, mais pour qui la mort n’est pas prévisible. En même temps, nous voulons nous assurer que nos citoyens les plus vulnérables sont protégés. Pour cette raison, nous avons renforcé les mesures de sauvegarde afin de protéger ces personnes tout en respectant l’autonomie et le choix individuels, qui sont au cœur du projet de loi.
En janvier et en février derniers, le gouvernement du Canada a effectué un sondage en ligne pour s’assurer que le cadre fédéral sur l’aide médicale à mourir était guidé par les perceptions et les besoins actuels des Canadiens. Je dois dire que le taux de réponse nous a abasourdis. Plus de 300 000 personnes ont rempli un questionnaire en ligne sur un éventail de questions allant de l’expansion des critères d’admissibilité à l’introduction des mesures de sauvegarde possibles. Ce fort taux de mobilisation et de réponse témoigne vraiment de l’importance de cette question pour les Canadiens.
En plus du sondage public, les ministres Lametti, Qualtrough et moi-même, ainsi que les secrétaires parlementaires Virani et Fisher, ont tenu 10 tables rondes d’experts dans 8 villes de l’ensemble du pays pour discuter du cadre de l’aide médicale à mourir du Canada. Au total, nous avons rencontré plus de 125 personnes. Il s’agissait d’un groupe diversifié d’intervenants représentant un groupe diversifié d’expertises et de points de vue dans les domaines de la santé, du droit, de l’éthique, des sciences sociales, plus de 50 fournisseurs de soins de santé, médecins, infirmières, travailleurs sociaux, ordres de médecins et d’infirmières et organisations professionnelles de la santé, ainsi que plus de 15 personnes ayant participé au nom d’organisations représentant les personnes en situation de handicap. Une des tables rondes s’est concentrée sur le point de vue des peuples des Premières Nations, y compris des professionnels de la santé autochtones qui ont exprimé leur point de vue sur l’aide médicale à mourir. Le processus de consultation a été robuste. Je dois dire que je suis profondément reconnaissante des points de vue échangés dans le cadre de ces consultations, qui étaient souvent très personnels, souvent professionnels et personnels, et c’est pourquoi je peux dire en toute confiance que les dispositions du projet de loi C-7 reflètent le point de vue des Canadiens qui ont été activement consultés sur ce sujet.
L’aide médicale à mourir, comme je suis sûre que vous l’avez entendu dire dans vos délibérations, est un sujet difficile, mais aussi un sujet qui suscite des débats ressentis et réfléchis. Nous l’avons vraiment vu durant les discussions à la Chambre jusqu’à la deuxième lecture et dans les témoignages présentés devant le Comité de la justice et des droits de la personne. Certaines personnes croient que les amendements proposés vont trop loin. D’autres insistent pour dire qu’ils ne vont pas assez loin. Mais le gouvernement croit que ce projet de loi présente une approche prudente et mesurée.
Tout d’abord, j’aimerais parler du sujet des mesures de protection, et de la justification qui sous-tend l’élimination d’une mesure de protection et la modification d’une autre. Durant la période de consultation, nous avons constamment entendu les cliniciens et les défenseurs des patients dire que la période de réflexion de 10 jours ne respectait pas l’intention originale de protéger les personnes vulnérables. Plutôt, cette période de réflexion servait uniquement à prolonger la souffrance des personnes qui avaient déjà évalué leur situation de façon très attentive et avaient déjà pris beaucoup de temps pour réfléchir à leur décision, bien avant de demander officiellement l’aide médicale à mourir. À la suite de ces réflexions et des commentaires des Canadiens, nous avons éliminé cette exigence dans le cas des personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible.
Nous avons aussi appris que, dans certains cas, l’obligation relative aux deux témoins présentait un obstacle à l’accès, particulièrement pour les personnes dans des établissements de soins, qui ont souvent des réseaux sociaux très limités. Le seul rôle d’un témoin est de confirmer l’identité de la personne qui signe la demande et de la dater. Les témoins ne jouent aucun rôle pour établir si une personne est admissible à l’AMM ou savoir si sa décision est volontaire et éclairée. Pour cette raison, au terme d’une prise en considération attentive, nous avons modifié cette disposition pour exiger la présence d’un témoin. Encore une fois, nous sommes confiants que ce changement ne présente pas de risque supplémentaire.
Nous avons aussi présenté un certain nombre de nouvelles mesures de protection renforcées afin de protéger les gens qui n’approchent pas de la fin de leur vie. Il y a une préoccupation largement répandue que certaines personnes vulnérables qui ne sont pas en train de mourir peuvent demander l’aide médicale à mourir durant un moment de faiblesse ou parce qu’elles ressentent des pressions directes ou indirectes, ou dans la foulée d’un événement catastrophique qui a une influence défavorable sur leur santé, leur trajectoire de vie et leurs perspectives. Pour les personnes qui ne sont pas vers la fin de leur vie, l’évaluation d’une demande d’aide médicale à mourir peut se révéler plus complexe et exiger des consultations plus approfondies. C’est pourquoi le projet de loi prévoit une période d’évaluation de 90 jours.
Cela veut dire qu’il doit se passer au moins 90 jours entre le moment où le praticien commence son évaluation et le jour où l’aide médicale à mourir est fournie.
Cette mesure de protection a été ajoutée afin de prévoir une période suffisante pour aider une personne à explorer tous les aspects pertinents de sa situation sans prolonger inutilement ses souffrances. C’est une période minimum. Dans certains cas, si la situation d’une personne est plus complexe ou exige plus de temps, le clinicien peut prendre plus de temps, au besoin, pour entreprendre une évaluation appropriée.
Le projet de loi renferme aussi une exigence selon laquelle la personne qui demande l’aide médicale à mourir doit être informée des services de counseling offerts, ainsi que des services de santé mentale et de soutien aux personnes handicapées, d’autres services de soutien communautaire et soins palliatifs, dans le respect de sa situation.
Le fait de s’assurer qu’une personne s’est fait offrir et a sérieusement pris en considération les options pertinentes et disponibles est essentiel à son consentement éclairé à l’AMM et offre une protection contre les personnes qui consentent à l’AMM parce qu’elles ont été mal renseignées au sujet des options ou pas du tout.
Afin de renforcer davantage les protections pour les personnes qui n’en sont pas à la fin de leur vie, le projet de loi comprend une exigence portant qu’un des deux prestataires de l’AMM doit avoir une expertise liée à l’affection qui cause les souffrances de la personne. Cependant, nous avons entendu des préoccupations concernant les difficultés liées à l’accès que cette exigence pourrait poser, particulièrement dans les régions rurales et éloignées, où la disponibilité des prestataires ayant une expertise dans des affections rares et complexes peut être limitée.
Un amendement de cette disposition a été proposé par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Dans des cas où aucun des prestataires de l’AMM ne possède l’expertise nécessaire, un de ceux-ci devrait consulter un autre praticien possédant cette expertise. Nous croyons que c’est une modification pratique de la disposition qui préserve toujours l’intention de la mesure de protection proposée originale, soit de veiller à l’évaluation exhaustive de l’état d’une personne et à la prise en considération de l’ensemble des mesures et des soutiens pertinents qui pourraient atténuer les souffrances de cette personne.
Durant nos consultations, nous avons aussi entendu le témoignage de personnes, de familles et de professionnels de la santé au sujet de situations où une personne approchant de la fin de sa vie a demandé l’AMM et y a été jugée admissible, mais craint de perdre la capacité de donner son consentement à l’AMM avant la date choisie pour la procédure. Cette date, bien sûr, reflète son désir de vivre de manière tolérable le plus longtemps possible. Cela décrit la situation d’Audrey Parker, qui a choisi de se prévaloir de l’AMM plus tôt qu’elle l’aurait voulu par crainte que son cancer métastatique l’amène à perdre sa capacité de fournir un consentement final.
L’écrasante majorité des personnes et des praticiens consultés sur ce sujet étaient en faveur de permettre ce que nous désignons maintenant dans le projet de loi comme une renonciation au consentement final dans ces situations.
Certains d’entre vous pourraient se demander pourquoi la renonciation au consentement final ne serait pas non plus autorisée pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. On peut concevoir que les personnes de cette catégorie pourraient aussi perdre la capacité de fournir leur consentement. Des experts et des intervenants ont soulevé des préoccupations selon lesquelles le fait de permettre l’option de renoncer au consentement final pour des personnes dont la mort pourrait survenir des années plus tard pourrait revenir à autoriser une demande anticipée.
Nous savons que de nombreux Canadiens croient et veulent effectivement que notre régime d’AMM inclue une option qui permet aux gens de présenter des demandes anticipées d’AMM. C’est une demande maintes fois répétée durant les conversations que nous avons eues avec des Canadiens et dans les commentaires que nous avons reçus.
Toutefois, le gouvernement, suivant l’avis d’experts, de praticiens et d’intervenants, estime que des consultations et un examen plus approfondis sont nécessaires avant que l’on puisse élaborer et mettre en œuvre un cadre concernant les demandes anticipées. C’est pourquoi nous choisissons de reporter la question et de recommander son examen durant l’examen parlementaire de la loi sur l’AMM.
C’est aussi une voie que nous choisissons de suivre en ce qui a trait à l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale. Nous estimons que cette admissibilité dans cette situation est mieux examinée lorsqu’on a plus de temps pour tenir compte de cette situation compliquée, de toutes les questions et des témoignages.
Je veux être claire : ce n’était pas une décision facile, et elle n’a pas été prise à la légère par le gouvernement. On ne devrait pas non plus l’interpréter pour dire que le gouvernement estime que les souffrances causées par une maladie mentale sont moins douloureuses que celles causées par une maladie physique. Cette décision reposait sur les préoccupations soulevées par les praticiens, les organisations de santé mentale et les experts ayant participé à l’examen du Conseil des académies canadiennes. La question bénéficierait d’un examen plus exhaustif mené dans le cadre de l’examen parlementaire élargi de la loi sur l’AMM.
Par rapport à un autre point, l’exclusion de la maladie mentale ne signifie pas que les personnes souffrant d’une affection comme la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson sont également exclues de l’admissibilité à l’AMM. Il s’agit de troubles neurodéveloppementaux et neurocognitifs qui s’inscrivent dans le terme élargi de « troubles mentaux ». Généralement, ces maladies ne présentent pas le même type de risque, particulièrement pour ce qui est d’évaluer si l’état d’une personne est vraiment irrémédiable, afin qu’elle ne soit pas automatiquement exclue. Les personnes aux prises avec ces maladies, toutefois, doivent tout de même satisfaire aux critères d’admissibilité, y compris avoir la capacité de consentir.
Enfin, j’ai entendu les préoccupations exprimées par mes honorables collègues et certains intervenants à propos du fait que des gens choisissent l’aide médicale à mourir en l’absence d’options de soins de soutien appropriées, comme les soins palliatifs. Nous comprenons parfaitement l’importance de ces ressources pour prendre une décision vraiment éclairée. Les données probantes disponibles ne montrent toutefois pas que les Canadiens choisissent l’AMM parce que les soins palliatifs ne sont pas offerts. En fait, les conclusions du premier rapport annuel sur l’aide médicale à mourir, publié l’été dernier, révèlent que l’écrasante majorité des gens qui reçoivent l’aide médicale à mourir se sont vu offrir et ont bel et bien reçu des soins palliatifs.
Le gouvernement du Canada s’engage à améliorer l’accès aux soins palliatifs afin que les gens aient un éventail d’options de rechange quand il s’agit de décisions liées à la fin de vie. À cette fin, nous avons réalisé des investissements importants dans les services de soins de santé, en finançant notamment les provinces et les territoires pour les aider à améliorer l’accès aux soins à domicile et aux soins communautaires, ainsi que les soins palliatifs. En tant que ministre de la Santé, je poursuivrai mon travail avec les provinces et les territoires, les gens aux prises avec une maladie limitant l’espérance de vie et leurs fournisseurs de soins, ainsi qu’avec d’autres intervenants pour améliorer la qualité et la disponibilité des soins palliatifs.
Il est essentiel que les gens sachent que des services de soins palliatifs sont offerts, mais nous devrions nous rappeler que même les meilleurs soins palliatifs peuvent ne pas soulager toute l’étendue des souffrances que certaines personnes subiront plus tard au cours de leur vie.
Madame la présidente, l’exigence concernant un examen parlementaire fait partie intégrante de la loi originale sur l’AMM. Elle sera l’occasion d’examiner des enjeux importants et complexes qui ne figurent pas dans le projet de loi C-7, comme les demandes anticipées pour des personnes qui viennent de recevoir le diagnostic d’une affection qui pourrait influencer leur capacité décisionnelle dans l’avenir, l’admissibilité des personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale et l’admissibilité des mineurs matures. Le gouvernement du Canada s’engage à effectuer un examen approfondi et exhaustif de ces enjeux et d’autres enjeux dans le cadre du processus d’examen parlementaire.
Je vais conclure en réagissant aux préoccupations selon lesquelles les changements contenus dans le projet de loi C-7 vont au-delà de ce qui est exigé pour répondre à la décision Truchon. Je comprends cette préoccupation; elle reflète la considération profonde et respectueuse que nous, en tant que Canadiens, avons pour les personnes malades et vulnérables, ou qui peuvent se sentir diminuées par les normes sociales ou le manque de soutien. Cependant, comme je l’ai décrit dans mes commentaires, notre réponse à la décision Truchon traite, d’une part, des protections renforcées pour les personnes nouvellement admissibles, celles qui ont un état de santé complexe où la mort naturelle n’est pas imminente, tout en éliminant, d’autre part, les obstacles qui ont été érigés devant les personnes déjà admissibles à l’AMM; c’est-à-dire celles dont la mort naturelle est prévisible.
Enfin, l’objectif est d’atteindre un équilibre approprié qui met la barre haut en ce qui concerne des mesures de protection pour le premier groupe tout en permettant d’aplanir dans une certaine mesure les obstacles à l’accès pour le dernier groupe.
Merci beaucoup de votre temps.
La présidente : Merci beaucoup, madame la ministre, de votre exposé. Se joignent à vous aujourd’hui Stephen Lucas, sous-ministre; Abby Hoffman, conseillère principale en politique; Sharon Harper, directrice générale, Direction générale de la politique stratégique; et Karen Kusch, conseillère principale en politiques, Direction générale de la politique stratégique. Je vous remercie tous d’être ici aujourd’hui.
Madame la ministre, j’aimerais clarifier quelque chose avant de passer aux questions. Pendant un certain nombre d’années, le premier ministre Trudeau a dit qu’on fera toujours une analyse sexospécifique de toutes les lois. Vous avez un rôle très précis à l’égard de la loi. Le ministre Lametti a dit qu’il présentera les faits saillants de ce qui, j’imagine, a été fourni au ministère de la Justice par le Cabinet sur une analyse sexospécifique. Puis-je vous demander de vous engager également à fournir au comité les faits saillants? Je crois savoir que vous ne pouvez pas fournir de renseignements confidentiels du Cabinet, mais pourriez-vous s’il vous plaît fournir les faits saillants de ce qui a été recueilli sur l’analyse sexospécifique?
Mme Hajdu : Je peux tout à fait rappeler au ministre Lametti son engagement à l’égard du comité. Assurément, cela permettra de veiller à ce que son équipe travaille avec la vôtre afin que vous obteniez l’accès aux renseignements très détaillés de l’analyse sexospécifique.
La présidente : Je ne m’inquiète pas pour lui. Il va nous la donner. Je le sais bien. Je vous demande seulement si vous avez fait une analyse sexospécifique distincte.
Mme Hajdu : Nous avons travaillé en collaboration avec tous nos organismes, et le mémoire au Cabinet qui est présenté au nom de je ne sais combien de ministres intervenants contient une analyse sexospécifique réalisée en collaboration avec tous nos ministères.
La présidente : L’analyse axée sur la race... il a aussi dit qu’il fournira les faits saillants à ce sujet. Je ne m’inquiète pas. Il le fera. Mais je posais la question en raison des répercussions terribles que les groupes racialisés ont connues durant la COVID — et je sais que vous êtes très au courant des répercussions — je me demandais si vous aviez préparé un mémoire au Cabinet distinct sur cette loi concernant les groupes racialisés?
Mme Hajdu : Lorsque nous présentons un mémoire au Cabinet au nom de plusieurs ministres parrains, le travail est réalisé conjointement avec tous nos ministères. Puis, nous présentons l’ensemble du travail en tant qu’une seule équipe, si vous le voulez.
La présidente : Merci beaucoup pour ces précisions. Je vais maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Gold : Madame la ministre, bienvenue et merci d’être ici. Madame la présidente, merci beaucoup de m’avoir donné la possibilité de poser une question.
Madame la ministre, au début de vos commentaires, vous avez parlé des consultations publiques que vous avez effectuées au début de 2020 sur tous les aspects du projet de loi, mais en particulier les critères d’admissibilité, le processus et les règles entourant les demandes d’aide médicale à mourir. À la lumière de ce que vous avez entendu auprès des nombreux experts en santé dont vous avez parlé, entre autres, pouvez-vous expliquer un peu plus ce qui suit : croyez-vous que l’exclusion de la maladie mentale, lorsqu’il s’agit du seul problème de santé sous-jacent, au moins à l’heure actuelle, est appropriée jusqu’à ce qu’un examen plus complet et exhaustif du cadre de l’aide médicale à mourir soit effectué? Merci.
Mme Hajdu : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Par l’entremise de la présidente, je dirai que le groupe de professionnels qui administrent l’aide médicale à mourir, qui font les évaluations et travaillent avec les patients est un très petit groupe au Canada. Ensuite, ce sont vraiment certains des professionnels les plus attentionnés que j’aie rencontrés dans ma vie pour ce qui est du travail qu’ils font, lequel est, comme vous le savez, très délicat et personnel. Je dois les remercier publiquement, d’abord, d’avoir accepté de faire ce travail et de faire du choix à la fin de la vie une réalité pour un très grand nombre de Canadiens. En passant, les Canadiens ont grandement envie d’avoir un choix à la fin de la vie. C’est l’autre chose que nous avons constatée dans le cadre des consultations.
Une chose que les professionnels ont dite, c’est qu’il serait très mal à l’aise à l’heure actuelle si la santé mentale était la seule affection en cause pour demander l’aide médicale à mourir et y accéder, pour nombre des raisons que j’ai exposées dans mon discours. Selon les circonstances de la personne, bien sûr, et l’affection particulière dont souffre la personne, parfois le désir de mettre fin à votre vie est un symptôme d’une affection qui peut être traitée, et il se peut que ce ne soit pas une souffrance irrémédiable dans le cas de la maladie mentale. Cela peut être traitable. De nombreux praticiens ont fait part de leur anxiété à l’égard du fait qu’il serait difficile pour eux d’évaluer ces types de demandes sans comprendre pleinement si cette affection avait fait l’objet de tous les traitements possibles dans le but de remédier, si vous le voulez, au désir de mettre fin à sa vie. Vous pouvez bien l’imaginer.
J’ai longuement travaillé, par exemple, dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie. Croyez-moi, il arrive parfois qu’une personne se sente au pire moment de sa maladie, quand elle a tout perdu, qu’elle n’a plus de raison de vivre et, pourtant, avec le traitement et les mesures de soutien appropriés, elle peut se sentir complètement différente en quelques mois. C’est un problème auquel on peut remédier. C’est pourquoi nous croyons que ce domaine doit faire l’objet d’autres recherches, études et expertises afin que l’on comprenne vraiment comment nous pourrions soutenir les personnes qui demandent l’AMM, de façon à nous assurer qu’il s’agissait vraiment d’une situation où les souffrances étaient irrémédiables. Les praticiens auraient aussi la garantie qu’ils approuvent et administrent l’aide médicale à mourir dans une situation où il s’agissait vraiment de souffrances irrémédiables.
Le sénateur Gold : Merci, madame la ministre. Merci de votre engagement au nom du gouvernement à l’égard de l’examen parlementaire. En tant que représentant gouvernemental au Sénat, je soulèverai la question auprès de mes collègues dans tous les groupes, car je crois que le Sénat a un rôle important à jouer. Nous sommes impatients de jouer ce rôle. Merci, madame la ministre. Encore une fois, je vous remercie, madame la présidente et mesdames et messieurs.
La présidente : Merci. Pour les sénateurs qui se sont joints à nous aujourd’hui, veuillez envoyer votre nom au greffier, et nous ferons de notre mieux pour vous inviter également. Je vais vous demander de vous limiter à quatre minutes. S’il y a du temps, nous ferons un deuxième tour.
La sénatrice Martin : Madame la ministre, merci de votre exposé. J’ai quelques questions liées aux soins palliatifs et à la surveillance que fait actuellement le gouvernement.
Nous avons vu dans les médias des rapports et avons entendu au Comité de la justice des personnes qui ont demandé l’AMM en raison du manque d’accès à des mesures de soutien nécessaires pour vivre, y compris Sean Tagert. Je sais que vous en avez parlé dans votre discours dans une certaine mesure. Nous avons entendu la ministre Qualtrough dire dans ses commentaires au Comité de la justice que « dans certaines régions de notre pays, il est plus facile d’accéder à l’AMM que d’obtenir un fauteuil roulant ».
Madame la ministre, quelles mesures le système de surveillance du gouvernement fédéral a-t-il mises en place pour examiner les facteurs socio-économiques — y compris la pauvreté et le manque de soins élémentaires à la vie — et s’assurer qu’ils n’amènent pas les gens à choisir l’AMM? Je crois comprendre que la seule mesure de surveillance du fédéral pour tenir compte des facteurs socio-économiques consiste à recueillir le code postal. Est-ce exact?
Mme Hajdu : Je suis désolée; la question était si la seule information recueillie était le code postal?
La sénatrice Martin : Que la mesure de surveillance du fédéral pour tenir compte des facteurs socio-économiques consiste à recueillir le code postal, mais quelles mesures le système de surveillance du gouvernement fédéral a-t-il mises en place en ce moment?
Mme Hajdu : Merci de poser la question. Il y a quelques fausses conceptions selon lesquelles nous nous bornons à recueillir des codes postaux. En fait, nous avons beaucoup appris par l’intermédiaire des données fournies par les évaluateurs et les prestataires de l’AMM au sujet de leurs expériences, des changements qu’ils aimeraient voir et de certaines des difficultés que les gens peuvent avoir pour accéder à l’AMM. En fait, un des faits saillants de la collecte de données est la difficulté pour accéder à l’AMM dans l’ensemble du pays. Comme je l’ai mentionné dans mes commentaires précédents, le fait qu’il y ait si peu de praticiens prêts à faire ce travail dans le pays — c’est un choix, en passant, pour les praticiens de choisir de devenir évaluateurs et prestataires de l’AMM — veut dire qu’il est très difficile d’accéder à l’AMM dans certaines régions du pays.
Nous avons entendu le contraire, à savoir que ce n’est pas un service facile d’accès, particulièrement pour les personnes plus éloignées de grandes villes, pour celles qui vivent dans des collectivités rurales et éloignées, qui ont du mal à accéder aux soins de santé en général.
En ce qui touche les propositions dans la loi, nous proposons de renforcer en réalité la collecte de données, afin que nous puissions encore mieux comprendre les évaluations : qui a fait l’objet d’une évaluation et a choisi de ne pas y donner suite, par exemple, y compris toute demande qui n’est pas présentée par écrit; les évaluations préliminaires entreprises par tout autre professionnel de la santé, y compris les membres du personnel infirmier qui peuvent ne pas être les personnes pouvant fournir l’approbation, mais qui contribuent à une partie de l’évaluation préliminaire. Cela nous aidera à mieux comprendre le portrait global des demandes d’aide médicale à mourir dès le tout début, à conceptualiser si vous voulez, le processus, depuis la personne qui explore cette avenue avec un professionnel de la santé jusqu’aux personnes qui ont exploré le processus d’approbation et ont choisi de ne pas y donner suite.
Une fois que le projet de loi sera adopté, des consultations se tiendront avec des intervenants principaux ayant participé à l’AMM et à la déclaration de l’AMM, et nous pourrons mieux comprendre le portrait global. Mais je dirai que le régime de collecte de données qui figurait originalement dans l’aide médicale à mourir nous a fourni de précieux renseignements en ce qui concerne — de mon point de vue, tout particulièrement — l’accès inégal au service lui-même.
La sénatrice Martin : À ce sujet, pour une personne qui demande initialement l’AMM, y a-t-il des mécanismes de frein en place? Y a-t-il un signal d’alerte révélant que cette personne n’a peut-être pas pu accéder aux soins et à d’autres options? Si cette information est découverte, quel type de mécanisme de frein est en place?
Je sais que la déclaration de l’AMM n’est examinée que de façon rétrospective. Je suis curieuse. Si quelqu’un est en voie de recevoir l’AMM, comment mesurons-nous en cours de route et nous assurons-nous de fournir à cette personne toutes les possibilités de réfléchir? Certaines des mesures de protection que l’on propose d’éliminer du projet de loi C-7 sont également très préoccupantes.
Mme Hajdu : Pour commencer, j’aimerais parler une fois de plus de ma réflexion sur les très rares praticiens au Canada qui fournissent l’aide médicale à mourir et la profonde considération avec laquelle ils abordent leur travail. Cette loi renforce en réalité le travail que, dans de nombreux cas, ils font de toute façon officieusement. La considération des praticiens au moment de s’assurer que les personnes auprès de qui ils travaillent ont accès à des services dans la collectivité et comprennent bien les soutiens qui s’offrent d’aiguiller des personnes vers des soins palliatifs ressort dans les données que nous possédons en fait sur les bénéficiaires de l’AMM et leur accès à des soins palliatifs. La majorité des personnes qui ont reçu l’AMM, 82 %, auraient aussi reçu des soins palliatifs.
La loi renforce les mesures de protection, tout particulièrement pour les personnes qui font partie du deuxième volet, c’est-à-dire celles dont la mort n’est ni raisonnable ni prévisible dans l’avenir rapproché, en garantissant qu’il y a une obligation de la part du prestataire d’explorer tous les services offerts, y compris les services psychosociaux pour les personnes qui doivent composer avec des souffrances irrémédiables, mais qui ne recherchent pas une mort immédiate.
Je suis convaincue que la loi tient compte en réalité du type de préoccupations que vous avez. À la base de tout cela, vous demandez si les gens reçoivent toute l’aide nécessaire pour vivre la vie la plus enrichissante et indolore possible, de sorte que l’AMM ne finisse pas par devenir leur solution de rechange à un manque de services. C’est un peu ce que je comprends dans votre question.
La loi renforce en réalité l’obligation pour les prestataires dans le cas de personnes qui vivent avec des souffrances irrémédiables, mais dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Elle renforce les obligations pour ces prestataires d’adopter une approche rigoureuse afin de s’assurer qu’elles comprennent les mesures de soutien, qu’elles ont pu accéder à celles-ci et que ces mesures sont entièrement comprises par la personne qui demande l’aide médicale à mourir.
La présidente : Messieurs et mesdames, je me suis trompée. Ce n’est pas quatre minutes avec la ministre, c’est cinq. Désolée.
Madame la sénatrice Martin, vos cinq minutes sont écoulées.
Nous passons maintenant à la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup, madame la ministre, ainsi qu’à votre équipe, de votre présence parmi nous aujourd’hui.
Ma première question porte sur l’amendement qui a été déposé et adopté hier. Je suis bien consciente du fait que demain nous entendrons la ministre Qualtrough qui nous en parlera.
L’amendement a été proposé par Paul Manly, pour faire suite à des informations reçues de la part d’organisations comme Inclusion Canada et Inclusion BC. L’amendement dit que, dans l’exercice de ses responsabilités au titre du paragraphe (3), le ministre de la Santé consulte, lorsque cela est indiqué, le ministre responsable de la condition des personnes handicapées.
Vous avez mentionné plus tôt que certains groupes s’inquiètent du fait que, en ce qui concerne les individus dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, on ait besoin de s’assurer qu’ils sont protégés et qu’ils ne sont pas placés en situation de vulnérabilité. Comment envisagez-vous cet amendement dans la pratique? Pensez-vous que cela accordera une protection supplémentaire qui fera une différence?
[Traduction]
Mme Hajdu : Merci beaucoup. Au final, ce que nous essayons de faire, c’est de trouver un équilibre très délicat.
Je suis reconnaissante, madame la présidente, de la volonté de la sénatrice pour parrainer ce projet de loi. C’est particulièrement puissant, compte tenu de sa propre expérience personnelle, parce que, bien sûr, il y a beaucoup de voix qui parlent au nom des personnes en situation de handicap. Il y a autant de points de vue qu’il y a de personnes handicapées. Parfois, on perd un peu cela de vue, mais c’est une considération importante.
Je veux répondre à votre question, mais je veux dire pourquoi j’estime qu’il est important pour nous de parvenir à cet équilibre.
Une des électrices les plus puissantes que nous ayons entendues dans le cadre de nos consultations avec les intervenants était Mme Julia Lamb. Vous connaissez peut-être son histoire. Cette femme a un handicap important. Elle a dit : « Écoutez, ce n’est pas parce que j’ai un handicap que je ne devrais pas avoir le droit d’accéder à l’aide médicale à mourir si je le veux. »
C’était très puissant. Elle a dit que les mesures de protection doivent être les bonnes. Évidemment, nous voulons nous assurer que les gens qui vivent avec un handicap ont pleinement droit à l’inclusion, à la dignité et aux mesures de soutien et aux services qui donnent un sens et un but à leur vie ainsi qu’à une inclusion complète. Le fait de choisir s’ils veulent continuer de vivre des douleurs irrémédiables fait aussi partie de ce choix.
J’ai trouvé que c’était un point de vue très important, qui était comme perdu dans la nature, si vous voulez, mais qu’il est très important de se rappeler dans le cadre de nos délibérations.
Il importe aussi toutefois que nous nous rendions compte du fait que les personnes handicapées n’ont parfois pas le même pouvoir ni la même autonomie en matière d’autoreprésentation, en fonction de leur handicap particulier, ainsi que de leur propre situation socio-économique, selon la région du pays où ils vivent. C’est pourquoi il est important que nous atteignions cet équilibre. Il est possible de renforcer notre travail, et je pense aux mesures de soutien que nous avons en place pour les personnes handicapées.
Vous savez que la ministre Qualtrough a réalisé une bonne partie de ce travail en s’appuyant sur les conseils qu’elle a reçus de vous et de nombreuses autres personnes. Le chemin est long pour atteindre l’inclusion complète des personnes vivant avec un handicap, particulièrement celles qui sont le plus éloignées des mesures de soutien et de l’inclusion socio-économique également. Je crois que ce que nous tentons de faire, c’est de trouver le juste équilibre entre une approche paternaliste, qui peut en réalité réduire les choix d’une personne, et la protection des personnes handicapées, particulièrement les plus vulnérables.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Oui. Merci beaucoup.
Le sénateur Carignan : Merci, madame la ministre, et merci aux membres de votre personnel qui ont répondu à mes questions en me donnant des informations sur le financement que le gouvernement fédéral accorde aux provinces, particulièrement pour les soins palliatifs.
Je vous avoue que j’ai été surpris par le peu de financement que le gouvernement fédéral accorde aux soins palliatifs. Pour vous faire part de mon expérience personnelle, j’aide une maison de soins palliatifs dont le budget s’élève environ à 1,4 million de dollars, et chaque année il manque 650 000 $. Donc, chaque année, nous devons faire une campagne de financement pour cette maison de soins palliatifs.
Par ailleurs, je me suis intéressé au financement qu’accorde le gouvernement fédéral par lit, par maison de soins, pour chaque province.
La Colombie-Britannique reçoit 12,8 millions de dollars de la part de votre ministère, somme qui finance environ 13 % des besoins, soit 74 lits, alors que la province aurait besoin de 500 lits. Le Manitoba reçoit 2 millions de dollars, soit l’équivalent de 12 lits en soins palliatifs, alors que les besoins de cette province sont de 140 lits. En Alberta, il s’agit d’un financement d’environ 8 millions de dollars, ce qui correspond environ à 10 % des besoins, soit 47 lits.
Comment pouvez-vous dire que vous aidez les maisons de soins palliatifs et que les gens auront vraiment une option lorsque les médecins leur diront qu’ils peuvent choisir les soins palliatifs, alors qu’il y a si peu de lits en soins palliatifs et si peu de soutien de la part des gouvernements aux maisons de soins palliatifs? J’inclus les gouvernements provinciaux, mais surtout le gouvernement fédéral. À l’heure actuelle, pour la maison que je soutiens, 53 % des refus sont motivés par le manque de lits. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
Mme Hajdu : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Tout d’abord, j’aimerais juste rappeler que, dans le budget 2017, on a investi 6 milliards de dollars en plus des transferts en soins de santé aux provinces et aux territoires, précisément dans le but d’inclure les soins à domicile et les soins palliatifs. Encore une fois, je crois que le gouvernement fédéral redouble d’efforts pour fournir des mesures de financement aux provinces et aux territoires afin qu’ils puissent s’acquitter de leurs responsabilités en matière de soins de santé, y compris les soins palliatifs. Nous continuerons de faire cela. Bien sûr, vous avez vu dans le cadre de la COVID-19 un transfert sans précédent d’argent en plus des investissements pour réagir à la pandémie. Je dirais aussi que les provinces et les territoires sont entièrement responsables de leurs budgets de soins de santé et ils ont le pouvoir décisionnel pour déterminer comment ils affecteront les sommes et dans quelle mesure.
Les 6 milliards de dollars, comme vous le savez, sont une somme d’argent distribuée aux provinces et aux territoires avec très peu de critères quant à la façon de la dépenser. C’est parce que les soins de santé relèvent entièrement de la compétence des provinces et des territoires. Parfois, nous n’aimons pas cela. En tant que gouvernement fédéral, nous aimerions avoir plus de pouvoir, nous aimerions pouvoir mesurer davantage les résultats, mais nous respectons aussi le fait que les provinces et les territoires possèdent la compétence pour établir leurs propres priorités, leurs propres formules de financement, et travailler au sein de leur propre système de soins de santé selon ce qu’ils jugent pertinent et convenable. Au gouvernement fédéral, notre rôle est de nous assurer qu’ils possèdent les fonds nécessaires pour les soutenir et les aider à faire face aux réalités financières liées à la fourniture de ces soins.
[Français]
Le sénateur Carignan : Vous parlez de 6 milliards de dollars, de sommes qui ne sont pas dirigées vers les soins palliatifs.
Au Manitoba, c’est 2 millions de dollars, en Saskatchewan c’est 5 millions de dollars, en Alberta, c’est 8 millions de dollars, en Colombie-Britannique, c’est 12 millions de dollars, au Nouveau-Brunswick, c’est 3 millions de dollars. Ce sont les chiffres de votre ministère. Arrêtez de nous parler de 6 milliards de dollars, il ne s’agit pas de cette somme qui est versée aux soins palliatifs, c’est beaucoup moins que cela. Si vous voulez vraiment aider les soins palliatifs et aider les gens à cet égard, imposez des critères et concluez des ententes précises sur les soins palliatifs. Actuellement, ce n’est pas le cas et les maisons de soins palliatifs sont dirigées par des organismes sans but lucratif qui les tiennent à bout de bras et qui n’arrivent pas à suffire à la demande.
Avant d’offrir l’aide médicale à mourir, les professionnels de la santé doivent informer la personne qui demande l’AMM des services disponibles en soins palliatifs, mais c’est utopique, cela n’existe pas.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Madame Hajdu, vous avez reçu le Prix parlementaire des champions de la santé mentale pour vos travaux antérieurs. Une étude du Dr Scott Kim a révélé que les femmes sont deux fois plus susceptibles que les hommes de demander l’AMM pour une maladie mentale seule et de la recevoir. Je me demande si votre analyse sexospécifique dans le projet de loi C-7 renferme cette statistique alarmante.
Le projet de loi exclut la maladie mentale comme seule affection pour l’admissibilité à l’AMM, et je me demande — je sais que vous en avez parlé brièvement avec le sénateur Gold, mais j’aimerais obtenir plus de renseignements — en tant que ministre de la Santé et que championne de la santé mentale, si vous pouviez expliquer pourquoi vous croyez que cette exclusion est importante. Madame la ministre, j’espère que votre appui à l’égard de cette disposition clé est plus enthousiaste que celui du ministre de la Justice Lametti. Il a dit qu’il espérait que l’exclusion visant la santé mentale ne soit que temporaire.
Mme Hajdu : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je dirais que c’était un honneur de recevoir ce prix. C’était une surprise de le recevoir. C’était la première fois que j’étais élue, mais cela reflète assurément mon travail antérieur, dans le domaine de la toxicomanie et de la santé mentale, ainsi que de l’itinérance. Je respecte profondément les professionnels qui œuvrent dans ce secteur. Ils nous ont bien guidés en nous faisant part de leurs préoccupations au sujet du risque d’inclure des dispositions, en ce moment-ci, visant les personnes dont la seule affection est la maladie mentale. En fait, leurs préoccupations se font l’écho des préoccupations, comme je l’ai mentionné, de ce groupe dévoué de prestataires de l’AMM qui ont dit qu’ils seraient préoccupés par l’absence d’un cadre approfondi ou d’un ensemble de recherches permettant de déterminer comment évaluer le désir de mourir, en particulier en présence d’affections dont un symptôme est parfois le désir de mourir.
C’est un domaine dans lequel je crois que nous devons effectuer de plus amples recherches et études, et c’est exactement ce qui sera fait dans le cadre de l’examen parlementaire. De fait, le Conseil des académies canadiennes a aussi mentionné que c’était un domaine très difficile à évaluer pour les médecins. J’attends avec impatience les recherches continues et l’examen parlementaire.
La sénatrice Batters : Merci. Ma deuxième question, madame Hajdu, est la suivante : vos anciennes collègues du Cabinet, la ministre de la Justice de l’époque, Mme Wilson-Raybould, puis la ministre de la Santé de l’époque, Mme Philpott, ont coécrit en février dernier un article convaincant au sujet du nouveau projet de loi C-7. Dans cet article, elles ont discuté de la différence considérable entre le projet de loi C-14 qu’elles ont rédigé, et le nouveau projet de loi C-7. Elles affirment ceci :
Cependant, il y a une distinction qualitative et éthique à établir entre le fait de précipiter une mort qui approche déjà à sa fin et de mettre fin à une vie qui devrait se poursuivre. Ce n’est pas un petit écart. Il incombe aux décideurs de tenir compte des répercussions que cela pourrait avoir pour les cliniciens et de leur volonté à participer à un cadre élargi concernant l’aide à mourir.
Bon, Mme Philpott était médecin avant sa carrière politique et elle est retournée à cette profession, ce qui lui donne un point de vue unique sur la question. Madame Hajdu, en tant que ministre de la Santé actuelle, reconnaissez-vous la position éthique difficile dans laquelle vous mettez de nombreux médecins, vu l’élargissement majeur de l’aide médicale à mourir dans le projet de loi C-7?
Mme Hajdu : En fait, je crois, avec tout le respect que je dois à mes anciennes collègues, que la force du projet de loi que nous proposons tient en réalité au fait qu’il s’agit d’un choix; les médecins choisissent de fournir ce service. En fait, l’éventail de professionnels — et je veux dire l’éventail des domaines de pratique des gens qui fournissent l’AMM — était très intéressant. Nous avions des anesthésistes, des généralistes, un éventail d’experts différents qui ont choisi de devenir évaluateurs et prestataires d’AMM. Mais, comme je l’ai dit, ce n’est pas un grand volume de médecins. Pour de nombreux médecins à qui nous avons parlé, il s’agissait d’un choix essentiellement personnel. Ils ressentaient beaucoup de compassion pour les gens qui souffrent à la fin de leur vie et estimaient qu’il s’agissait d’un service qu’ils voulaient être en mesure de fournir à ces personnes.
Durant ces consultations, en fait, ils ont dit être nombreux à être impatients de pouvoir aider des gens qui souffrent de douleurs irrémédiables, mais dont la mort n’est pas immédiate. Ils ont constaté que, parfois, les restrictions étaient trop strictes, mais ils ont aussi trouvé parfois difficile de tracer la ligne par rapport au fait de savoir quand une mort était raisonnablement prévisible ou non. Ils étaient fermement convaincus qu’il était nécessaire d’apporter des changements à la loi qui reflètent la compassion, particulièrement, par exemple, dans les mesures de protection que nous proposons de changer.
Je remercie ces praticiens qui font ce travail depuis maintenant quatre ans, qui l’ont fait de manière réfléchie, avec compassion, dans des circonstances où, parfois, ils sont vraiment la personne la plus proche de celle qui souffre. Je les remercie de nous avoir fait part de ces expériences très personnelles.
Le sénateur Dalphond : Madame la ministre, dans votre exposé, vous avez dit très clairement que, à la suite du jugement de la Cour supérieure du Québec, le gouvernement a décidé de ne pas porter en appel les décisions, mais plutôt de mettre en œuvre le jugement, et même d’aller un peu plus loin que celui-ci. Un de ces changements consiste vraiment à créer un système à deux volets. Vous excluez du deuxième volet ceux qui souffrent d’une maladie mentale. Nous avons entendu de nombreux témoins experts dans le domaine juridique et psychiatrique dire que cette exclusion leur semble contestable, et la plus susceptible d’être constestée. De plus, ils jugent qu’elle envoie un signal à ceux qui souffrent d’une maladie mentale, à savoir qu’ils n’ont pas le même accès à l’inclusion totale et à l’égalité des droits que ceux qui souffrent d’autres types de maladie.
Une option envisagée — et j’aimerais avoir votre réaction par rapport à celle-ci — serait d’éliminer l’exclusion du projet de loi, mais en ce qui concerne la maladie mentale, les dispositions n’entreront en vigueur qu’un an après l’adoption de la loi, afin que les psychiatres et ces experts puissent élaborer les lignes directrices uniformes appropriées dans l’ensemble du Canada, afin de s’assurer que le droit est accessible, tout comme les bonnes mesures de protection.
Qu’en pensez-vous?
Mme Hajdu : Merci, sénateur. Selon ce que je comprends, il se trouve des gens des deux côtés en ce qui a trait à la question de l’inclusion de la maladie mentale comme seule affection provoquant des souffrances. Je comprends tout à fait la passion qui anime les deux camps et la complexité de tout cela.
Je vais juste dire ceci : je crois que le moment choisi pour présenter la mesure législative doit entrer en ligne de compte. Comme vous le savez, la Cour nous a accordé une prolongation pour nous aligner sur la décision du Québec, et je crois qu’il sera possible d’étudier la question de la maladie mentale comme critère unique. Cette étude doit se faire. Il doit y avoir des recherches et des analyses pour soutenir les praticiens qui pourraient finir par répondre à des demandes dans ces circonstances.
Comme je l’ai dit, lorsque nous avons mené les consultations et, en particulier, lorsque nous avons parlé aux évaluateurs et prestataires de l’AMM, c’était un domaine dans lequel ils ressentaient un certain inconfort — en fait, dans certains cas, un inconfort profond — principalement en raison de la coexistence de certains des symptômes de la maladie mentale avec un profond désir de mourir.
Avant toute chose, les praticiens ne veulent pas mettre fin à une vie de manière prématurée. Ils veulent vraiment s’assurer que c’est un choix que la personne fait librement et non pas le résultat d’une symptomatologie particulière de sa maladie. Ils passent beaucoup de temps à tenter de comprendre la demande du patient dans des circonstances normales dans le cadre de la loi actuelle.
Comme je l’ai dit, c’est une relation profonde qu’ils tissent, dans certains cas, non seulement avec la personne qui reçoit le service, mais avec la famille ou les amis de cette personne.
Nous devons respecter ces praticiens qui ont dit que c’est un travail très difficile et personnel qu’ils font pour les Canadiens et qu’ils aimeraient avoir plus de clarté et de certitude lorsqu’ils font des évaluations encore plus complexes, par exemple, dans le cas d’une personne qui souffre d’une maladie mentale ayant un profond désir de mourir.
Le sénateur Dalphond : Merci.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Madame la ministre, merci d’être avec nous aujourd’hui. Vous avez dit, au début de votre présentation, que le projet de loi C-7 va au-delà de la décision Truchon. Peut-être va-t-il au-delà de la décision Truchon, mais il va certainement à l’encontre de la décision Truchon.
La décision Truchon, comme vous le savez, a éliminé l’exigence de la mort raisonnablement prévisible. Les ordres de médecins qui réglementent le comportement et l’attitude des pratiques médicales au Canada nous ont dit, hier et aujourd’hui, que c’était un concept vague, ambigu et impossible à mettre en œuvre.
Vous avez parlé de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, donc ceux qui administrent l’aide médicale à mourir, qui nous ont dit clairement il y a deux jours qu’il n’y avait pas de consensus entre eux sur l’ajout d’une exclusion relative à la maladie mentale uniquement dans le projet de loi.
On reconnaît même qu’il y a présentement une possibilité, si vous êtes en fin de vie, d’obtenir l’aide médicale à mourir si vous souffrez une maladie mentale.
S’il n’y a pas de consensus chez les médecins, pourquoi faites-vous le choix, en tant que gouvernement, de supprimer la possibilité d’assurer l’exercice d’un droit constitutionnel? Est-ce que la compassion n’exigerait pas, au contraire, que l’on facilite l’exercice de ce droit constitutionnel, qui a été reconnu et qui est compromis par le projet de loi C-7?
[Traduction]
Mme Hajdu : Merci, sénatrice.
Tout d’abord, dans le cas de la fin de vie, c’est un paramètre très clair. La vie d’une personne se termine. Elle peut choisir l’aide médicale à mourir. C’est une circonstance très claire pour les médecins. De fait, les évaluateurs ont dit qu’ils étaient très à l’aise avec ce processus. Lorsque la mort du patient était raisonnablement prévisible, avec ou sans maladie mentale, cette personne a une voie d’accès à l’aide médicale à mourir que les praticiens connaissent bien.
Or, ce dont nous parlons, c’est d’une situation où la mort n’est pas raisonnablement prévisible et où la seule affection est la maladie mentale. Bien sûr, dans ces circonstances, nous avons encore une fois entendu les praticiens dire qu’ils sont préoccupés, vu que certaines maladies mentales présentent des symptômes dont fait partie le désir de mettre fin à sa vie, qui est en fait traitable. Les intervenants que nous avons consultés ont dit que cela devait faire l’objet de plus d’études; ils se sentiraient plus à l’aise dans un contexte où ils peuvent faire ces types d’évaluations en comprenant, de façon plus claire, les recherches à ce sujet et la façon de traiter les demandes sans précipiter le décès d’une personne qui — avec le traitement et les soins appropriés — pourrait remédier à ses souffrances.
N’oubliez pas que ce projet de loi concerne le fait de mettre fin à des souffrances irrémédiables, ce qui est au cœur de la préoccupation des praticiens avec qui nous avons parlé. Dans ces cas, lorsqu’une personne souffre d’une maladie mentale et que le symptôme est qu’elle veut mettre fin à sa vie, et que les souffrances peuvent être soulagées, les praticiens étaient réticents à fournir l’aide médicale à mourir. C’est pourquoi nous avons exclu la question pour le moment, car nous croyons que c’est un domaine d’étude important pour l’examen parlementaire et pour les recherches continues dans ce domaine.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Vous parlez de la révision de la loi, qui aurait dû commencer en juin 2020, et je pense qu’on est en mesure de reconnaître que la crise de la COVID-19 a beaucoup changé les choses. Cependant, si vous inscrivez de nouveau dans un projet de loi le concept de la mort raisonnablement prévisible, ce n’est pas un point sur lequel on pourra facilement revenir sous prétexte qu’on révise la loi. Seriez-vous prête à vous engager à ce qu’il y ait une formule, mais surtout une date de début pour cette révision?
[Traduction]
Mme Hajdu : Merci beaucoup, sénatrice.
Le Parlement détermine la date et le moment de ses examens particuliers, et je ne peux pas, en tant que ministre, dicter au Parlement à quel moment cet examen commencera. Mais nous participerons activement lorsque l’examen commencera.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue au Sénat, madame la ministre. Nous réalisons aujourd’hui, en 2020, à peu près le même travail que nous avons réalisé en 2016 concernant l’aide médicale à mourir. À l’époque, nous avions avisé notamment les ministres de la Justice et de la Santé que, sans amendements, le projet de loi C-14 serait contesté et que nous devrions refaire nos devoirs. Ces ministres avaient, à l’époque, démontré une certaine sympathie à l’égard de notre contribution.
Madame la ministre, de nombreux témoins ont fait le même commentaire concernant le projet de loi C-7, soit que, sans amendements fondamentaux, il sera contesté auprès des tribunaux. En 2020, votre gouvernement sera-t-il à l’écoute des recommandations du Sénat, afin que le projet de loi C-7 soit conforme à la décision de la Cour suprême, ou le prochain gouvernement devra-t-il refaire ses devoirs dans quelques années?
[Traduction]
Mme Hajdu : Merci, sénateur. Par l’entremise de madame la présidente, je dirai juste ceci : je crois que c’est un cheminement important pour le Canada, que nous ne pouvons pas prendre à la légère. Quand je réfléchis au processus du projet de loi C-14... il était important de l’amorcer prudemment. C’était important de prendre notre temps pour fournir des mesures de protection, particulièrement à la lumière du fait que le Canada n’a jamais utilisé l’aide médicale à mourir auparavant. Nous n’avions jamais demandé aux praticiens d’offrir l’aide médicale à mourir, et les Canadiens n’y avaient jamais accédé au Canada.
Après un certain nombre d’années d’accès à l’AMM, par l’intermédiaire du projet de loi C-14 et des règlements qui ont découlé du projet de loi, et grâce aux consultations que nous avons tenues en janvier et en février derniers, il est devenu clair que ces aspects de la loi devaient être modifiés afin que l’on puisse mieux soutenir les Canadiens dans leurs demandes, mieux soutenir…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame la ministre, permettez-moi de vous interrompre pour vous poser une deuxième question, parce que le temps file. J’ai posé une question aux intervenants à propos de la réduction des délais dans le cas d’un patient qui perd ses capacités cognitives et de l’absence d’un cadre législatif pour guider ces professionnels de la santé. J’ai obtenu, comme première réaction, un long silence de leur part, ce qui est assez inquiétant. Comptez-vous apporter des précisions au projet de loi actuel afin de guider les professionnels pour qu’ils puissent prendre des décisions relativement à la réduction des délais dans l’obtention de l’aide médicale à mourir, pour quelqu’un qui est en voie de perdre ses capacités cognitives?
[Traduction]
Mme Hajdu : Je ne suis pas certaine de la circonstance dont vous parlez, mais une personne doit être pleinement informée lorsqu’elle demande l’AMM, faire l’objet d’une évaluation et être jugée apte à prendre cette décision, donc une personne qui était inconsciente ne pourrait pas…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame la ministre, conformément au projet de loi, si le patient est en voie de perdre ses capacités cognitives, les délais peuvent être raccourcis. J’ai demandé aux professionnels de la santé s’ils avaient établi des critères pour essayer de réduire ces délais. La réponse que j’ai obtenue, c’est un long silence. C’est assez inquiétant si les professionnels n’ont pas de cadre pour bien gérer la réduction des délais dans ces cas-là.
[Traduction]
Mme Hajdu : Sénateur, par l’entremise de la présidente, les professionnels travaillent avec les organismes de réglementation une fois que la loi est adoptée pour s’assurer que les professionnels qui fournissent l’aide médicale à mourir reçoivent la formation et le soutien nécessaires. Je veux être claire : aucun professionnel n’administrerait l’aide médicale à mourir si la personne n’a pas demandé à la recevoir, n’a pas reçu une approbation pour l’AMM ou n’a pas convenu d’une date à laquelle la recevoir si elle perdait conscience.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie, madame.
[Traduction]
La sénatrice Keating : Je vous remercie beaucoup, madame la ministre, ainsi que vos employés d’être ici. Nous reconnaissons tous que ce processus a été très difficile pour tout le monde, au moins jusqu’ici.
Plus tôt au courant de la semaine, madame la ministre, j’ai rencontré un prestataire d’AMM de ma province, le Nouveau-Brunswick. Il y a un comité sur l’AMM dans la province, ce qui est une bonne chose, mais une chose qu’on m’a dite, c’est qu’il y a une grande difficulté au chapitre de l’accès en ce qui concerne l’élargissement de ce qui sera englobé par l’AMM, parce que la province compte très peu de spécialistes. Le cas auquel ils étaient exposés concerne une personne qui souffre d’une maladie neurologique grave, pour laquelle ils n’avaient aucun doute qu’elle serait admissible à l’AMM, mais certains d’entre eux n’avaient jamais entendu parler de la maladie et ils n’avaient aucun spécialiste.
Je tiens à souligner que le deuxième amendement qui nous a été fourni par la Chambre — qui oblige les médecins praticiens et les infirmiers praticiens à demander l’avis d’un spécialiste si l’affection fait partie d’un domaine dans lequel ils n’ont aucune spécialité — est vraiment très malheureux. Je dois maintenant retourner voir le prestataire de l’AMM et lui dire que sa préoccupation concernant l’accès a été renforcée par cette disposition.
Je viens d’une province qui compte le taux de décès par le cancer le plus élevé au pays. Malgré tout, même si nous comptons quelques très bons oncologues dans de nombreuses régions, nous n’avons pas d’oncologues spécialisés pour certains des cancers qui affectent les gens. Je voulais juste dire que c’est très malheureux. Cela peut fonctionner à Toronto, à Montréal et à Vancouver, mais cela ne tient pas compte de la nature très spéciale des petites administrations et provinces, voire des territoires. Je ne peux imaginer comment cela fonctionnerait dans les régions nordiques de la province et dans les collectivités autochtones.
Cela m’amène à ma question, qui se rattache à la question de l’accès. Même si je reconnais que la prestation de services de santé relève de la compétence provinciale, je n’admets pas la responsabilité exclusive de la province lorsqu’il s’agit de la fourniture d’un droit reconnu par la Constitution. Ma question est simple : le projet de loi demande déjà aux provinces de fournir des chiffres relativement à l’AMM, donc pourquoi le gouvernement fédéral ne peut-il pas intégrer dans ce projet de loi, à tout le moins, une disposition qui obligerait les provinces à rendre compte de leur plan concernant la prestation de l’AMM? Merci.
Mme Hajdu : Merci beaucoup. L’importance d’une collecte de données robustes est au cœur de votre question, et nous pouvons donc vraiment comprendre qui accède à l’aide médicale à mourir, qui présente la demande et qui ne remplit pas cette demande — peut-être pour un éventail de raisons différentes. Il y a parfois des demandes qui n’ont pas été couchées par écrit, des conversations que des gens ont eues, de vive voix, et des évaluations préliminaires faites par d’autres professionnels de la santé, comme des infirmières et infirmiers. Cela nous donnera une compréhension meilleure et plus claire des personnes qui demandent l’aide médicale à mourir. Cela touchera certaines des difficultés que vous faites ressortir dans la nature de votre question, soit la suivante : y a-t-il des obstacles à recevoir l’aide médicale à mourir dans les collectivités rurales et éloignées auxquelles des personnes dans des centres urbains dotés d’un plus vaste éventail de praticiens pourraient ne pas être exposées?
J’aimerais réagir à votre préoccupation concernant le besoin de consulter une personne qui possède une expertise à l’égard d’une affection particulière. Nous avons accepté un amendement à la Chambre des communes, comme vous le savez, afin de permettre à une personne donnée de consulter un spécialiste et de ne pas nécessairement avoir besoin d’un deuxième évaluateur dans ce domaine d’expertise particulier, de manière à réagir à la préoccupation même que vous avez dans les collectivités rurales et éloignées, où il peut n’y avoir qu’un ou deux praticiens en général, encore moins une personne qui possède une expertise particulière à l’égard d’une maladie rare particulière ou d’une affection difficile.
Cela permettra que se produisent ces consultations entre professionnels issus d’un éventail de lieux différents. Cela aidera les évaluateurs à comprendre la nature de la maladie de la personne qu’ils traitent et à savoir s’il y a ou non d’autres options pour cette personne. C’est vraiment l’intention qui sous-tend tout cela, c’est-à-dire de s’assurer que la personne s’est vu fournir toutes les options pour tenir compte de l’affection particulière avec laquelle elle vit.
La présidente : Merci, madame la ministre.
Le sénateur Cotter : Merci, madame Hajdu, de vous être jointe à nous avec vos représentants. J’ai simplement quelques observations préliminaires avant de poser ma question.
La première, c’est que je ressens vraiment votre engagement sincère à l’égard de ce travail en vue de rédiger un bon projet de loi, tout en respectant l’autonomie des personnes afin qu’elles puissent faire ces choix. Pour moi, les élargissements sont judicieux. J’y suis très favorable. J’ai quelques préoccupations d’ordre juridique au sujet de certains d’entre eux, mais nous en parlerons dans un autre contexte.
Je me préoccupe fortement d’un aspect qui n’est pas directement lié au projet de loi. Vous avez souvent répété : « Il est essentiel que les citoyens vulnérables soient protégés. Nous avons beaucoup de chemin à parcourir à cet égard ».
Cette loi et son élargissement favorisent une grande accessibilité de l’AMM pour les citoyens de façon générale, mais cela crée aussi de grandes possibilités pour les gens vulnérables, pauvres, vulnérables sur le plan social, d’y accéder. Parfois, ces types de circonstances, qui reposent non pas tant sur l’accès aux soins palliatifs que sur des conditions de vie terribles et peu satisfaisantes, peuvent donner lieu à un choix qui n’est pas optimal. En ce sens, leur autonomie est compromise.
Dans le cadre de cet exercice, vous exercez un pouvoir fédéral de créer cette occasion — reconnaissant que presque tout ce que je viens de décrire, ce sont des questions relevant de la responsabilité provinciale — afin de tenter de donner à ces personnes une vie plus riche et plus satisfaisante, de sorte qu’il n’arrive pas que des gens choisissent l’AMM parce que leur vie n’est pas aussi enrichissante que nous devrions être en mesure de la rendre.
En toute franchise, je trouve inacceptable que nous fassions ce choix, en tant que gouvernement national pour ensuite dire que c’est maintenant aux provinces de remédier à ces vulnérabilités. Je comprends tout à fait la dimension constitutionnelle de qui est responsable des services de santé et des services sociaux, mais je n’admets pas que tout ce que vous pouvez faire c’est regarder et espérer qu’elles feront leur travail. Les exemples de fois où vous avez associé des fonds à des résultats particuliers, pas juste dans le secteur de la santé, mais dans beaucoup de secteurs sociaux, sont innombrables.
Ma question pour vous est la suivante : êtes-vous prêts à vous asseoir avec vos homologues provinciaux de la santé et dire que vous pouvez réaliser un transfert important de fonds pour soutenir ces collectivités vulnérables — non pour régler tous leurs problèmes, mais pour apporter des contributions importantes — sous réserve que l’argent soit dépensé pour les aider? Merci.
Mme Hajdu : Merci, sénateur. Oui, c’est exactement le travail que nous avons tenté de faire. Par exemple, dans mon ancienne vie où je travaillais dans des refuges pour sans-abri, l’expérience de regarder une personne souffrir d’itinérance prolongée et durable est vraiment horrible. Le gouvernement fédéral associe en réalité de l’argent, au moyen d’un grand investissement dans la stratégie fédérale en matière de logement, à des résultats réels.
Or, c’est un peu plus difficile, je dois dire, dans le domaine de la santé. C’est parce que, comme nous le savons, les provinces et les territoires détiennent la compétence pour fournir des soins de santé dans leur réseau.
Cela dit, nous travaillons avec les provinces et les territoires sur un certain nombre d’aspects dans le but de nous entendre sur les choses comme les résultats des mesures de soutien et des services de santé mentale. C’est un travail difficile parce que, bien sûr, la façon dont les provinces et les territoires dépensent l’argent et choisissent de fournir ces services est très variable. Mais nous continuons de déployer ces efforts dans tous les transferts que nous faisons — des milliards de dollars dans un éventail de moyens différents — tout cela dans l’intention, en passant, de créer de meilleures occasions pour les personnes d’enrichir leur vie partout au pays.
Pour terminer, j’aimerais juste dire ceci : j’ai été ministre fédérale de l’Emploi pendant un certain temps. Il y avait des difficultés semblables concernant les ententes de transfert relatives au marché du travail, où des milliards de dollars sont aussi destinés aux coffres provinciaux afin d’améliorer la formation axée sur l’acquisition des compétences et de soutenir les efforts pour améliorer les résultats des gens. Nous continuons ce travail. C’est un partenariat délicat avec les provinces et les territoires, comme vous le savez, mais nous avons une occasion qui s’offre si nous travaillons ensemble.
Le sénateur Cotter : J’ajouterais une observation et je vous demanderais peut-être votre commentaire. Je suis d’accord avec tout cela. Je salue le travail effectué sur le front social. Nous parlons ici de vie et de mort. Il me semble que cela nécessite un engagement spécial de la part du gouvernement du Canada pour tenter de jumeler les façons dont nous pouvons soutenir les collectivités vulnérables, afin qu’elles fassent les meilleurs choix et non pas des choix sous-optimaux, tout particulièrement à ce chapitre.
Mme Hajdu : Avec tout le respect que je vous dois — et je suis tout à fait d’accord — les mesures dont je viens de parler sont en fait interreliées avec l’expérience des gens à la fin de leur vie. Par exemple, si vous avez un endroit où rester, cela protège non seulement votre santé, mais aussi votre dignité. Cela permet plus de choix. Je crois que vous avez raison; il y a une occasion de travailler avec les provinces et les territoires afin de renforcer les mesures de résultat pour tout l’argent que nous dépensons collectivement, mais il faudra une volonté politique aux échelons provincial et territorial également, pour travailler en partenariat avec les gouvernements fédéraux afin de fournir ces données, de fournir ces mesures de résultat, de convenir d’un ensemble commun de mesures de résultat. C’est toujours un défi dans une fédération d’administrations ayant la compétence de fournir des soins de santé.
La sénatrice Pate : Merci à vous, madame la ministre, ainsi qu’à vos représentants de vous être joints à nous. Madame la ministre, avant et durant la pandémie, vous avez montré la voie à suivre en cherchant à passer de lignes directrices à des normes nationales dans le système de soins de longue durée, ainsi que dans d’autres systèmes, afin de veiller à ce que tout le monde puisse accéder à des soins adéquats.
En ce moment, nous savons que, à mesure que nous entrons dans des discussions sur ce projet de loi, les Canadiens ont accès à l’aide médicale à mourir protégée par la loi, mais ils n’ont pas accès à des soins palliatifs comme service fondamental inclus dans la Loi canadienne sur la santé.
Ma question pour vous est la suivante : envisageriez-vous de soutenir un amendement du projet de loi C-7 pour exiger que les mesures de soutien, y compris les soins palliatifs, les services aux personnes handicapées, les soins à domicile — vous avez parlé du logement, donc je suis sûre que vous y seriez favorable — et les mesures de soutien au revenu soient véritablement accessibles à ces personnes, avant qu’elles soient admissibles à l’AMM?
Ce faisant, vous engageriez-vous à assurer — pour donner suite à une question du sénateur Cotter — la fourniture de services comme étape préalable au versement des paiements de transfert et comme exigence concernant la fourniture de ces services dans le cadre des ententes avec les provinces et les territoires?
Mme Hajdu : Merci, sénatrice Pate. J’aime bien que vous ayez tout réuni dans une question.
Je ne sais pas si je suis censée répondre directement à la sénatrice. Je m’excuse si je commets une erreur protocolaire. Au cœur de la question se trouve l’engagement de la sénatrice à l’égard des déterminants sociaux de la santé. Les types de choses dont la sénatrice parle sont les choses qui touchent profondément notre gouvernement et sur lesquelles il travaille depuis les cinq dernières années. Ce sont l’accès à un logement abordable, l’équité dans les soins de santé, l’élimination du racisme et du racisme systémique dans les établissements. Je pourrais continuer, et mentionner l’inclusion et les droits complets des personnes handicapées. Ce travail est, comme la sénatrice le sait, difficile lorsque nous travaillons avec des partenaires comme les provinces et les territoires. Nous avons un contrôle limité sur la façon dont ils choisissent de fournir les services que nous cofinançons, en quelque sorte. Pourtant, nous n’avons pas nécessairement une grande responsabilité pour leur prestation directe proprement dite.
Nous avons l’occasion d’en faire davantage par rapport à toutes les choses sur votre longue liste. La COVID-19 a fait ressortir tout cela; que nous devons en faire davantage, et ce, plus rapidement. Cela se voit dans des choses comme l’annonce du ministre Hussen sur les mesures de soutien rapides au logement et pour les gens qui accèdent à un logement rapidement.
En ce qui concerne les investissements que je consens au chapitre de la toxicomanie et de la santé mentale, et en particulier, des choses comme un approvisionnement sécuritaire et des mesures de réduction des méfaits dans le pays, il y a plus à faire, particulièrement en ce qui concerne les dossiers touchant l’équité.
Par rapport à ce dossier particulier, nous devons agir rapidement. Si nous devions tenter d’intégrer tout cela dans un seul texte de loi, cela pourrait remettre en péril la capacité de faire adopter rapidement cette loi. Nous nous retrouverions devant un grand défi pour ce qui est de respecter les obligations de la Cour et de mieux nous situer.
En tant que députée, j’ai rencontré nombre d’intervenants, y compris l’association des enseignants retraités et un certain nombre d’autres associations qui représentent les intérêts des adultes vieillissants au Canada.
Ils m’ont parlé à répétition de certains des irritants du projet de loi original, et je crois que nous avons corrigé ces irritants dans le projet de loi C-7. Il me tarde d’être en mesure de fournir ce soulagement aux Canadiens qui veulent avoir la garantie... qu’ils ont le droit de choisir comment ils mourront en cas de souffrances irrémédiables.
La sénatrice Pate : Si nous élaborons un amendement qui permettrait de réagir à certains de ces irritants, pourrions-nous compter sur votre soutien?
Mme Hajdu : Eh bien, il faudrait que je voie l’amendement. Encore une fois, je serais prudente avec un amendement qui tente d’intégrer tout ce que vous tentez d’examiner dans ce projet de loi particulier. Je crois que les occasions où nous pouvons travailler avec les sénateurs et tous les parlementaires sont nombreuses afin de réagir à la multitude des inégalités que vous abordez dans vos commentaires. Encore une fois, cette loi vise à réagir à une situation très particulière dans une circonstance très particulière.
Le sénateur Kutcher : Bienvenue, madame la ministre. Je remercie la sous-ministre et d’autres membres de l’équipe d’être ici avec nous aujourd’hui.
Je veux insister sur cette question d’une façon légèrement différente. On a constaté, parmi les organisations médicales clés, un intérêt croissant envers la collaboration sur l’élaboration de programmes de perfectionnement professionnel continu, afin d’aider les prestataires de l’AMM à renforcer et à maintenir leurs compétences dans l’évaluation et la prestation de l’AMM qui mèneraient à une certification professionnelle de ces compétences. Maintenant, le gouvernement du Canada serait-il ouvert à : A) amandier le projet de loi afin de prévoir du financement pour les organisations qui feraient ce travail; B) ne pas modifier le projet de loi, mais prévoir un concours de financement spécial pour soutenir ce type de travail; ou C) confier à Santé Canada le mandat d’organiser un processus semblable au travail que Santé Canada a fait avec…
Mme Hajdu : Merci beaucoup, monsieur Kutcher. Sur une note personnelle, merci beaucoup du temps que vous avez fourni alors que je tentais de réfléchir aux besoins en matière de santé mentale des Canadiens durant la COVID-19. Je vous en suis très reconnaissante.
Je crois que les options B et C sont probablement les plus possibles. Cela semble très intéressant, et je sais que des gens qui fournissent une aide médicale à mourir font ce travail. C’est très personnel, comme je l’ai dit, mais je crois que nous profiterions de la collaboration. Tout ce que nous pouvons faire du point de vue pratique à Santé Canada pour faire ce travail, pour aider les praticiens à renforcer leur expertise, à travailler vers l’atteinte, comme vous l’avez dit, d’un certain type de désignation. Évidemment, c’est aussi de compétence provinciale, en ce sens que nombre d’entre eux ont des collèges à qui ils rendent des comptes et avec qui ils interagissent. Mais je crois que le gouvernement fédéral ne s’opposerait pas du tout à appuyer ce travail, parce que cela serait dans notre intérêt à tous d’avoir des professionnels compétents, formés et bien soutenus, partout au pays qui font ce travail. Je suis ouverte à ces types d’explorations.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie, madame la ministre. Une autre chose que nous oublions souvent et qui est importante, et je sais que vous devez composer avec ces questions... et cela vient de la relation très personnelle que j’ai moi-même avec ces questions. Les personnes qui fournissent l’AMM dans le cadre de leur pratique médicale sont profondément touchées par les difficultés que l’AMM crée pour elles, aussi bien en tant qu’humains qu’en tant que médecins. Il serait vraiment important pour nous de ne pas oublier cela, tandis que nous poursuivons nos discussions sur l’AMM, parce que ce sont de vraies personnes qui font un travail très difficile. Elles ont elles-mêmes des besoins en matière de santé mentale que, je crois, nous devons reconnaître dans l’avenir.
Mme Hajdu : Je suis tout à fait d’accord, sénateur. Ayant moi-même travaillé sur la ligne de front avec des personnes très vulnérables et en difficulté, je sais que l’expérience des traumatismes vicariants est réelle. Nous devons soutenir les gens qui travaillent auprès de personnes vulnérables et souffrantes d’une bien meilleure façon en tant que société, à tous les échelons du gouvernement. Vous le savez, cela commence par reconnaître qu’il peut être très difficile et épuisant de travailler avec des êtres humains. Nous devons nous soutenir les uns les autres dans ce travail. Merci de cette observation.
Le sénateur Kutcher : Merci, madame la ministre.
[Français]
Le sénateur Carignan : Madame la ministre, vous avez donné à peu près la même explication que le ministre de la Justice en ce qui concerne la motivation de l’exclusion des personnes atteintes d’une maladie mentale de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, en disant que c’est compliqué et que le gouvernement a besoin de plus de temps. En 2016, le gouvernement disait la même chose : « C’est compliqué, on a besoin de plus de temps. »
Lorsque les lois seront contestées ou seront examinées d’un point de vue constitutionnel, les tribunaux étudieront l’intention du législateur et examineront vos témoignages : celui du ministre de la Justice, celui du ministre de la Santé; la justification pour discriminer, c’est de dire : « On a besoin de plus de temps, c’est compliqué. » Il est évident que cette disposition sera annulée d’un point de vue constitutionnel, particulièrement avec la justification que vous nous donnez. Pourquoi ne pas modifier immédiatement le projet de loi, quitte à prendre un certain temps pour le mettre en vigueur, pour éviter qu’il y ait des personnes qui soient obligées de faire comme M. Carter ou M. Truchon, d’aller en cour et de consacrer de l’argent et de l’énergie pour combattre des dispositions qui sont manifestement inconstitutionnelles, et qui vont à l’encontre de votre lettre de mandat? Je regardais plus tôt votre lettre de mandat; le premier ministre Trudeau vous a dit : « Suivez et respectez la Charte canadienne des droits et libertés. »
[Traduction]
La présidente : Madame la ministre, puis-je prendre de votre temps? Je vais demander à la sénatrice Miville-Dechene de poser sa question rapidement, puis à la sénatrice Lankin, de sorte que vous pourrez répondre aux trois questions en même temps.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je reviens sur la question des soins palliatifs. Votre réponse sur ce point m’a troublée quant au fait que tous ceux qui avaient eu recours à l’aide médicale à mourir avaient reçu des soins palliatifs. Or, la situation au Québec n’a rien à voir avec cela. Il y a une crise majeure. Il n’y a aucun quartier, sauf un, où des équipes de médecins vont donner des soins palliatifs à domicile. Ma question est donc celle-ci, madame la ministre : s’il est plus facile d’obtenir l’aide médicale à mourir que des soins palliatifs, dans quel genre de société vivons-nous?
[Traduction]
Mme Hajdu : Par rapport à la question du sénateur Carignan, je ne peux prédire ce que les tribunaux diront ou s’ils rendront une décision d’une façon précise. Tout ce que je peux dire, c’est que nous croyons que cette exclusion des personnes, celles ayant seulement une maladie mentale, est l’approche prudente à adopter en fonction des consultations que nous avons tenues ainsi que du rapport peu concluant du Conseil des académies canadiennes, qui a aussi manifesté sa préoccupation en devant composer avec cette question, qui n’était pas claire en ce qui concerne les résultats et les prochaines mesures. Je crois que le sujet mérite une réflexion et un examen ultérieurs. Je suis impatiente de voir le travail qui sera fait dans le cadre de l’examen parlementaire et d’autres recherches.
Pour ce qui est de savoir s’il est plus facile ou non d’accéder à l’AMM qu’aux soins palliatifs, je dirais que ce n’est pas correct. Je n’ai pas dit que tout le monde qui obtient l’aide médicale à mourir accède à des soins palliatifs, mais en fait, c’est le cas de la majorité. La grande majorité des gens qui accèdent à l’aide médicale à mourir le font après avoir reçu des soins palliatifs — ce sont 82 ou 83 % des bénéficiaires. Ce n’est pas une vérité.
Ce que je dirais, c’est que nous avons entendu dire, qu’il est en fait difficile d’accéder à l’aide médicale à mourir dans notre pays, et ce, pour une diversité de raisons différentes : il n’y a pas beaucoup de praticiens, particulièrement pour les gens dans les collectivités rurales et éloignées, et certaines des mesures de protection ont rendu pratiquement impossible pour les gens de demander l’accès à l’aide médicale à mourir. Notre loi cherche à atteindre cet équilibre afin de faire en sorte que les gens qui veulent y accéder peuvent le faire d’une façon qui respecte leur autonomie et leur dignité à la fin de leur vie. Merci beaucoup, sénateurs.
La présidente : Merci beaucoup, madame la ministre, de nous avoir donné autant de votre temps durant cette période très difficile, alors que vous avez beaucoup d’autres tâches. Nous vous remercions vous, ainsi que vos employés, d’avoir été ici et nous sommes impatients de collaborer avec vous dans l’avenir. Merci beaucoup.
Je remercie les sénateurs et les sénatrices de leur patience. Nous recommencerons demain matin avec la ministre Qualtrough.
(La séance est levée.)