LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 1er février 2021
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue. Je suis la sénatrice Mobina Jaffer, de Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider ce comité.
Aujourd’hui, la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aura une forme hybride. Je demande donc à chacun d’être patient, puisque nous pourrions avoir des problèmes techniques.
[Français]
Avant de commencer, j’aimerais vous faire part de plusieurs suggestions utiles qui, selon nous, vous aideront à participer à une réunion efficace et productive. Vous êtes priés d’éteindre votre microphone durant la réunion à moins que ce ne soit à votre tour de prendre la parole, auquel cas vous pourrez l’allumer puis l’éteindre de nouveau tout de suite après. Lorsque vous parlez, veuillez parler lentement et clairement. Je vous rappelle que lorsque vous parlez, vous devez être sur le canal de la langue que vous utilisez.
[Traduction]
S’il se produit des problèmes techniques, notamment du côté de l’interprétation, veuillez en faire part à la présidence ou au greffier, et nous tâcherons de les régler. Si vous avez des difficultés techniques d’un autre ordre, veuillez vous adresser au greffier. Il faudra peut-être suspendre la séance à ce moment-là, puisque nous devons nous assurer que tous les membres puissent participer intégralement.
Honorables sénateurs, je ferai de mon mieux pour que tout le monde puisse poser une question au ministre, mais, pour me faciliter la tâche, je vous demanderai d’être aussi brefs que possible dans vos questions et préambules. Je sais que la plupart des membres du comité voudront poser des questions aux témoins, et je vous demanderai donc de ne pas communiquer avec le greffier au moyen de la fonction Chat de Zoom pour le faire savoir. Faites-le seulement si vous n’avez pas de question aux témoins. Si vous avez une question, je vous donnerai la parole. Pour le reste, j’inviterai tous les députés à en poser.
Si vous n’êtes pas membre du comité, veuillez communiquer avec le greffier si vous avez une question. Honorables sénateurs, je ferai de mon mieux pour vous faciliter les choses, mais je crois que nous aurons peu de temps.
Aujourd’hui, nous avons pour tâche d’étudier le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Comme vous le savez, nous avons trois longues journées de réunion cette semaine, pour finir par l’étude article par article du projet de loi mercredi après-midi. Je vous rappelle que, si vous avez des observations à formuler, il faut les adresser au greffier avant mercredi, dans les deux langues officielles.
Aujourd’hui, nous écouterons d’abord le ministre de la Justice, David Lametti, qui disposera de 90 minutes. Ses fonctionnaires resteront après son départ. Chaque sénateur aura cinq minutes pour poser des questions au ministre. Veuillez noter que ses fonctionnaires resteront avec nous pour une durée de 90 minutes par la suite : veuillez donc leur réserver vos questions à caractère technique.
Monsieur le ministre Lametti, je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Nous sommes sensibles au fait que c’est la deuxième fois que vous venez nous parler de l’AMM. Nous vous sommes également très reconnaissants de nous accorder plus de temps aujourd’hui. Nous savons que votre point de vue nous permettra d’en apprendre beaucoup sur le projet de loi.
Je souhaite également la bienvenue aux représentants du ministère de la Justice : François Daigle, sous-ministre délégué, et Laurie Wright, sous-ministre adjointe principale.
[Français]
Monsieur le ministre, j’aimerais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : la vice-présidente, la sénatrice Batters, le sénateur Boisvenu, la sénatrice Boniface, la sénatrice Boyer, le sénateur Carignan, qui est le critique du projet de loi, la sénatrice Dupuis, la sénatrice Griffin, le sénateur Harder, la sénatrice Keating, le sénateur Kutcher et le sénateur Tannas. Le sénateur Gold, membre de facto, la sénatrice Martin, membre d’office.
[Traduction]
Plusieurs non-membres participent également à cette importante étude du Sénat, à savoir les sénateurs Woo, Moodie, Seidman et Pate, la sénatrice Petitclerc, qui parraine le projet de loi, et la sénatrice McCallum.
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
[Français]
L’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, madame la présidente. Je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui pour discuter du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
Je tiens à souligner le travail considérable que le comité a déjà effectué dans le cadre de son étude préalable du projet de loi C-7, qui a entendu plus de 80 témoins, examiné encore plus de mémoires et produit un rapport qui fait état des nombreux défis et complexités de cette question. J’aimerais aussi remercier d’abord la sénatrice Petitclerc, qui parraine le projet de loi au Sénat ainsi que les sous-ministres adjoints François Daigle et Laurie Wright.
Mes remarques aujourd’hui porteront sur deux points qui ont figuré au premier plan de l’étude préalable du projet de loi C-7 et dans les débats à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre. Ces points découlent de la proposition d’abroger le critère de l’admissibilité de l’aide médicale à mourir exigeant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible.
Le premier point touche les préoccupations que certaines personnes handicapées et plusieurs organisations représentant leurs droits et intérêts ont à l’égard des répercussions négatives possibles du projet de loi sur les personnes handicapées. Le deuxième point porte sur l’exclusion de l’admissibilité de l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée.
[Traduction]
Certaines personnes handicapées et de nombreux organismes qui les représentent craignent que l’admissibilité sans l’exigence d’une « mort raisonnablement prévisible » les ferait considérer comme des personnes dont la mort pourrait être dûment facilitée puisqu’une personne handicapée pourrait être admissible à l’AMM, alors qu’une personne sans handicap ou maladie et dont l’état et la capacité ne seraient pas considérablement dégradés ne pourrait pas y être admissible, quel que soit son degré de souffrance.
Ce point de vue est considéré comme discriminatoire et stigmatisant. Plus simplement, on craint que l’invalidité en soi ne devienne une justification pour mettre fin à la vie. On craint aussi qu’une mort assistée soit plus facile à obtenir que les soins nécessaires pour vivre dans la dignité et que certains choisissent la mort alors qu’ils préféreraient continuer à vivre.
D’autres personnes handicapées, dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, estiment cependant que l’exigence d’une mort raisonnablement prévisible est une violation directe de leur autonomie et les prive de l’accès à des moyens privilégiés de soulager des souffrances intolérables.
La Cour supérieure du Québec a également statué en ce sens. Je tiens à préciser que le gouvernement du Canada a pour conviction absolue que toutes les vies se valent, qu’elles ont une valeur intrinsèque et que le handicap n’est pas une justification pour mettre fin à la vie.
Nous n’ignorons pas, par ailleurs, que des souffrances intolérables peuvent se prolonger toute la vie, dont certaines, tragiquement, ne peuvent pas être suffisamment apaisées malgré tous les efforts ou peuvent être traitées par des moyens que l’intéressé n’est pas prêt à accepter.
Le projet de loi C-7 donnerait aux Canadiens la latitude nécessaire pour soulager des souffrances intolérables associées à un état pathologique lorsqu’ils estiment qu’ils n’en peuvent plus. Nous estimons que les Canadiens sont les mieux à même d’en décider pour eux-mêmes.
[Français]
Malgré les défis que représente la conciliation de l’autonomie, de l’affirmation de la valeur de toutes les vies et de la protection des personnes vulnérables, je crois fermement que les autres critères d’admissibilité ainsi que les nouvelles mesures de sauvegarde proposées pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible permettraient de répondre efficacement à ces préoccupations.
Pour être admissibles à l’aide médicale à mourir, les Canadiens devront tout de même avoir la capacité de prendre des décisions, faire une demande de manière volontaire, notamment sans pression extérieure, et consentir de manière éclairée à recevoir l’aide médicale à mourir. Ces éléments protègent la valeur fondamentale de l’autonomie individuelle qui est au cœur de la politique sur l’aide médicale à mourir (AMM).
Puisque l’élargissement de l’admissibilité aux personnes qui ne sont pas à l’approche de la mort constitue un changement fondamental dans la politique sur l’aide médicale à mourir au Canada, le projet de loi dont vous êtes saisis propose une nouvelle série de mesures de sauvegarde accrues, précisément conçues pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, où les risques sont plus grands.
[Traduction]
Dans le cadre de l’élaboration du projet de loi C-7, la ministre de la Santé, la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées et moi-même avons rencontré des représentants d’organismes et des particuliers s’exprimant au nom des personnes handicapées dans le cadre de tables rondes organisées partout au pays en janvier et février 2020.
L’une de ces tables rondes portait précisément sur les droits des personnes handicapées et elle était composée principalement de représentants d’organisations nationales et régionales de défense des droits des personnes handicapées. Le projet de loi tient compte des préoccupations soulevées au cours de ces consultations, notamment par l’inclusion d’un système à deux volets assorti de meilleures mesures de protection pour les demandeurs dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.
J’aimerais parler des mesures de protection prévues dans le cas où la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Il y a d’abord la période d’évaluation. Le projet de loi exigerait d’abord une période d’évaluation d’au moins 90 jours. Certains estiment que trois mois, c’est trop long, tandis que, pour d’autres, ce n’est pas assez. Je tiens à préciser le but de cette mesure de protection. Une période minimale de 90 jours serait nécessaire pour évaluer l’admissibilité d’une personne à l’AMM. Ce n’est pas une période d’attente après approbation de la demande, ni une période minimale obligatoire avant la demande. C’est la période minimale que les praticiens doivent consacrer à l’évaluation de l’admissibilité.
La période d’évaluation de 90 jours représente un délai minimum raisonnable, compte tenu de la diversité des cas que les praticiens doivent régler. Il ne s’agit pas de régler tel ou tel type de situation en particulier. Il faut se rappeler que les mesures proposées dans le projet de loi C-7 et que, de fait, la compétence du Parlement en l’espèce relèvent du droit pénal. En droit pénal, ces mesures doivent établir un cadre général de normes minimales pour tous les cas d’AMM et non une série de règles spécifiques dépendant des caractéristiques particulières de différents types de troubles de santé ou du pouvoir discrétionnaire illimité de praticiens.
[Français]
Le projet de loi C-7 propose une autre mesure de sauvegarde visant à exiger l’avis d’un expert dans le cadre de l’évaluation d’admissibilité. Dans sa version initiale, le projet de loi aurait exigé que l’un des deux évaluateurs possède une expertise en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances de la personne.
Selon les témoins qui ont comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, les experts sont généralement disposés à donner des avis dans leur champ d’expertise lorsqu’ils sont consultés, mais ils procèdent rarement eux-mêmes aux évaluations complètes de l’admissibilité à l’AMM.
Le Comité de la justice et des droits de la personne a donc adopté un amendement exigeant que les médecins et les infirmiers praticiens qui procèdent à l’évaluation consultent un médecin ou un infirmier praticien possédant une expertise en ce qui concerne la condition de la personne, dans le cas où ni l’un ni l’autre des évaluateurs ne possède l’expertise en question.
Cet amendement a reçu l’appui du gouvernement puisqu’il est logique du point de vue des praticiens. Il élimine les obstacles potentiels à l’accès à l’AMM et permet toujours d’atteindre l’objectif de protection consistant à inclure dans l’évaluation de l’admissibilité les connaissances et l’expertise de médecins en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances de la personne.
De l’avis du gouvernement, il est essentiel de veiller à ce que toutes les mesures possibles et raisonnables d’apaiser les souffrances d’une personne soient connues avant de mettre fin à la vie d’une personne dont la mort n’est pas encore raisonnablement prévisible.
[Traduction]
L’expertise des praticiens contribuera également à l’application de deux autres mesures de protection garantissant un consentement vraiment éclairé. Premièrement, le demandeur doit être informé des moyens disponibles pour soulager sa souffrance et se voir proposer des consultations avec des professionnels offrant les services et soins applicables; deuxièmement, les deux évaluateurs doivent discuter de ces solutions de rechange avec le demandeur et être convaincus que celui-ci a sérieusement envisagé ces moyens.
Pour être clair, le demandeur n’est pas contraint de suivre un traitement ou d’obtenir un service qui pourrait alléger ses souffrances. Le gouvernement est d’avis qu’on irait trop loin et qu’il serait contraire au principe fondamental de l’autonomie du demandeur que d’exiger qu’il ait suivi tous les traitements raisonnables possibles. Nous estimons cependant essentiel qu’il soit informé de tous les traitements raisonnables disponibles et que les praticiens soient convaincus qu’il a bien réfléchi à ces solutions de rechange. Cela est conforme à l’un des objectifs du projet de loi, qui est d’alléger les souffrances des Canadiens.
L’aide médicale à mourir est une mesure extrêmement grave, dont les conséquences sont irréversibles, et sa gravité ne fait que s’amplifier lorsque la vie interrompue aurait pu se prolonger pendant des décennies. En tant que société, nous devons faire davantage pour soutenir les membres de notre collectivité qui souffrent en raison de situations complexes et souvent interreliées.
L’AMM se veut une solution exceptionnelle quand plus rien d’autre ne suffit à alléger la souffrance. En matière de droit pénal, il faut admettre que certaines difficultés ne peuvent pas être résolues par le projet de loi C-7, par exemple, l’accès garanti aux soins de santé ou aux services sociaux.
[Français]
Cela dit, les mesures de sauvegarde proposées permettent d’atteindre un juste équilibre. Elles ne créent pas des obstacles à l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes qui sont déterminées à l’obtenir, mais elles contribueront à veiller à ce que personne n’obtienne l’aide médicale à mourir sans qu’il soit accordé suffisamment de temps et d’attention aux vulnérabilités et aux options propres à la situation médicale de chaque personne.
Cela m’amène à discuter de l’autre aspect que j’avais abordé, c’est-à-dire l’exclusion de la maladie mentale lorsqu’il s’agit de la seule condition médicale invoquée. Je précise d’emblée qu’il ne m’appartient pas, en tant que ministre de la Justice et procureur général, de donner des avis juridiques aux comités parlementaires, qui, bien entendu, ont accès à leurs propres conseillers juridiques et à des témoins indépendants.
Cependant, comme vous le savez, en vertu de la Loi sur le ministère de la Justice, j’ai l’obligation d’examiner les projets de loi du gouvernement pour toute incompatibilité avec la Charte. Il m’incombe de préparer les annonces concernant la Charte en ce qui concerne les projets de loi du gouvernement.
Les énoncés concernant la Charte ne sont pas des opinions juridiques. Ils visent plutôt à présenter au public et au Parlement des renseignements juridiques sur les effets possibles d’un projet de loi sur les droits garantis par la Charte, ainsi que les considérations qui appuient la compatibilité d’un projet de loi avec la Charte.
Conformément à mes obligations en vertu de la Loi sur le ministère de la Justice, j’ai déposé, le 21 octobre dernier, un énoncé concernant la Charte pour le projet de loi C-7. Cet énoncé traite de l’exclusion de l’admissibilité de l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée.
[Traduction]
Comme vous le savez, la pertinence et la constitutionnalité de cet aspect du projet de loi C-7 ont fait l’objet de nombreux débats au Parlement et dans la sphère publique. C’est dans ce contexte que je propose d’analyser les principes formulés dans l’énoncé de la Charte à ce sujet et de fournir un peu plus de renseignements sur les raisons pour lesquelles l’admissibilité à l’AMM est ainsi limitée.
Comme l’indique l’énoncé concernant la Charte, l’exclusion de la maladie mentale lorsqu’elle est la seule condition médicale invoquée renvoie à la garantie d’égalité en vertu de l’article 15 et pourrait renvoyer à la garantie de liberté et de sécurité de la personne en vertu de l’article 7. Avant d’aborder la justification de cette exclusion, je rappelle que les considérations constitutionnelles associées à l’AMM dans le cas des personnes souffrant uniquement de maladie mentale n’ont pas donné lieu à des conclusions probantes par les tribunaux.
Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’aide médicale à mourir pour les « personnes affectées de troubles psychiatriques » ne s’appliquait pas aux paramètres de ses motifs. De même, dans la décision Truchon, au Québec, la cour a expressément souligné que la preuve apportée au sujet de personnes demandant l’AMM en invoquant uniquement une maladie psychiatrique était de peu de pertinence, puisque les deux demandeurs invoquaient une maladie physique.
[Français]
En ce qui concerne l’exclusion, il pourrait être utile de commencer par décrire ce sur quoi l’exclusion n’est pas fondée.
Contrairement à ce que certains ont fait valoir, la justification ne se fonde pas sur l’hypothèse que les personnes atteintes d’une maladie mentale ne possèdent pas la capacité de prendre des décisions. En effet, la présence d’une maladie mentale n’empêcherait pas une personne d’être admissible à l’aide médicale à mourir si elle remplit, par ailleurs, les critères prévus.
De même, l’exclusion n’est pas fondée sur l’idée que la maladie mentale ne donne pas lieu à des souffrances profondes ou graves, ou qu’elle constitue une source moindre de préoccupations que la maladie physique. En termes simples, l’exclusion se fonde sur une préoccupation relative au risque unique et grave que l’aide médicale à mourir pose dans les cas où la maladie mentale est la seule condition invoquée.
[Traduction]
À la suite de la légalisation de l’AMM, le gouvernement a demandé au Conseil des académies canadiennes, le CAC, de procéder à des examens indépendants fondés sur des données probantes au sujet de trois extensions éventuelles du système d’AMM du Canada, dont la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée. Le rapport du CAC traduit à cet égard des opinions et des éléments de preuves très contradictoires. Le rapport ne donne pas lieu à une conclusion consensuelle, mais il comprend des éléments de preuve et des avis d’experts selon lesquels l’assouplissement de l’interdiction de l’aide médicale à mourir dans ces circonstances entraînerait des risques insoutenables, compromettant ainsi la protection des personnes vulnérables.
J’aimerais aborder trois aspects particulièrement préoccupants signalés dans le rapport du CAC et référencés également dans l’énoncé concernant la Charte. Il y a d’abord les difficultés associées à la mesure de la capacité décisionnelle dans ce contexte. La plupart des personnes atteintes de maladie mentale ont la capacité de prendre des décisions concernant leurs traitements, mais certains troubles mentaux peuvent nuire à cette capacité et accroître le risque d’inaptitude. Des données probantes attestent qu’il est particulièrement difficile d’évaluer la capacité décisionnelle et que le risque d’erreur est élevé dans le cas des personnes souffrant d’une maladie mentale suffisamment grave pour justifier une demande d’aide médicale à mourir. C’est parce que le désespoir, le sentiment d’inutilité et le désir de mourir sont des symptômes courants de certaines maladies mentales. Il peut être difficile, même pour des praticiens expérimentés, de faire la distinction entre un désir de mourir autonome et bien réfléchi et un symptôme de maladie.
À titre secondaire, il faut également tenir compte des données probantes portant sur la nature et la trajectoire de la maladie mentale. Certains éléments indiquent que l’évolution de la maladie mentale est généralement moins prévisible que celle de la maladie physique. Beaucoup de gens dont le pronostic est pessimiste iront mieux, du moins s’agissant de leur souffrance et de leur désir de mourir. D’autres, non, mais il n’y a pas de moyen sûr de le savoir à l’avance.
[Français]
La troisième préoccupation touche les données émanant des quelques pays qui permettent l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, soit la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.
La pratique récente dans ces pays a soulevé des préoccupations tant du point de vue de l’accroissement du nombre de cas que du vaste éventail de maladies mentales ayant donné lieu à la prestation de l’aide médicale à mourir.
Sur le fondement des données probantes actuelles, il n’est pas certain qu’une mesure autre que l’exclusion proposée permettrait d’atténuer les risques importants et de protéger suffisamment les personnes vulnérables qui demandent l’aide médicale à mourir sur le fondement de la maladie mentale.
[Traduction]
Le gouvernement a l’intention, dans un prochain examen parlementaire, d’examiner la question de la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée. C’est pourquoi j’estime que l’interdiction de l’AMM pour les personnes souffrant uniquement de maladie mentale est une avenue possible pour le gouvernement et qu’elle est conforme à la Charte. Nous aurons l’occasion d’examiner attentivement cette question et de tenir compte de nouvelles données probantes, à moins qu’un consensus médical émerge au cours de l’examen parlementaire du projet de loi. Je crois qu’il est plus prudent de procéder ainsi pour l’instant. Nous avons l’obligation d’adopter une loi claire et de nous engager à poursuivre notre réflexion dans le cadre de l’examen parlementaire.
Merci. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions du comité.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Monsieur le ministre, j’ai été négligente. Je n’ai pas présenté le sénateur Cotter et la sénatrice Pate, qui se sont joints à nous aujourd’hui.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Monsieur le ministre, merci beaucoup d’être avec nous encore une fois aujourd’hui, et du temps que vous prenez pour répondre à nos questions.
[Traduction]
Monsieur le ministre, j’aimerais vous entendre sur quelque chose dont vous n’avez pas parlé dans votre déclaration préliminaire, mais dont il a été un peu question dans le cadre de l’étude préalable. Il s’agit de l’amendement d’Audrey Parker et de la renonciation au consentement final. Certains se demandent pourquoi la renonciation au consentement final s’applique lorsque la mort est raisonnablement prévisible, mais pas lorsque la mort n’est pas raisonnablement prévisible. J’aimerais savoir ce que vous en pensez et pourquoi le gouvernement a fait ce choix.
M. Lametti : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je tiens à vous remercier encore une fois d’avoir piloté l’étude de ce projet de loi au Sénat.
C’est une très bonne question. L’amendement très limité d’Audrey Parker, en fait, ne s’applique qu’au scénario de fin de vie, et il visait explicitement à ne s’appliquer qu’au scénario de fin de vie, parce qu’il y avait évidemment un large consensus. La situation d’Audrey Parker et d’autres situations de fin de vie semblables ont suscité énormément de sympathie. Nous avons estimé que nous pouvions sans risque donner suite à ce consensus pour permettre ce consentement préalable dans un scénario très restreint.
Dans le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie, nous sommes clairement devant la question plus vaste des demandes anticipées. C’est toujours envisagé dans le cadre de l’examen parlementaire. C’est l’une des trois autres questions soulevées en 2016 qui nécessitaient un examen plus approfondi. Certains aimeraient que cette possibilité soit prolongée très loin dans l’avenir. D’autres, notamment à l’égard de certaines maladies, ne le souhaitent pas.
Il faut examiner tout cela beaucoup plus attentivement. Nous pouvons utiliser également les travaux du CAC. Mais, pour l’instant, nous avons simplement essayé de répondre à la décision Truchon et d’intégrer quelques mesures dans le scénario de fin de vie qui a suscité un large consensus partout au Canada, notamment l’amendement d’Audrey Parker.
La sénatrice Petitclerc : Peut-être une question rapide sur la protection de la liberté de conscience de nos praticiens. Vous savez peut-être que, au cours de l’étude préalable, certains ont estimé que le fait d’exiger qu’un professionnel de la santé oriente un patient vers un service d’aide médicale à mourir pourrait porter atteinte à sa liberté de conscience si cela est contraire à ses principes. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
M. Lametti : Merci de cette question. Je rappelle que rien dans la loi n’oblige un praticien à fournir l’AMM. N’oubliez pas que nous parlons du Code criminel et de dispositions du Code criminel. Les dispositions relatives au mécanisme d’orientation vers ce service sont généralement décidées par les provinces en vertu de leurs pouvoirs juridictionnels en matière de santé et compte tenu des exigences pratiques et des ressources disponibles.
Il est vrai que la Cour d’appel de l’Ontario a décidé que l’absence d’orientation vers le service utile serait un obstacle à l’AMM dans cette province, mais nous estimons que la disposition du Code criminel que nous avons mise en place n’oblige personne à participer à l’AMM. Et nous estimons que c’est suffisant.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au ministre Lametti. Monsieur le ministre, lorsque la juge Baudouin a rendu son jugement dans la cause Truchon, elle a accordé un délai pour déclarer la partie inconstitutionnelle. Elle a dit, au paragraphe 744, et je cite :
[…] cette période de suspension permettra une concertation du Parlement et de la législature afin d’éviter de perpétuer les incongruités actuelles en matière d’aide médicale à mourir au Québec.
En mars 2020, lors de la deuxième prolongation, la juge a accordé un autre délai, et elle mentionne ce qui suit au paragraphe 15 :
[…] la nécessité de favoriser un travail de consultation et de coordination avec les législatures provinciales et les territoires.
Or, il s’est écoulé plus de 16 mois depuis cette déclaration d’inconstitutionnalité. J’ai reçu copie d’une lettre qui vous a été envoyée le 15 décembre 2020 par les ministres de la Justice et de la Santé du gouvernement du Québec. Dans leur lettre, ils ne semblent pas avoir été consultés. En fait, ils vous disent qu’ils aimeraient travailler à l’amélioration du projet de loi et partager l’expérience du Québec, particulièrement sur la question de la maladie mentale. À aucun endroit dans la lettre on ne suggère qu’il y a eu des échanges entre vous avant le projet de loi C-7.
Étant donné que la juge vous avait demandé de faire cette coordination et de parler aux législatures, particulièrement au gouvernement du Québec pour éviter les incongruités, avez-vous eu des discussions ou des échanges concernant le projet de loi C-7 avec le gouvernement du Québec avant son dépôt et son adoption à la Chambre des communes?
M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur, pour cette question. Je peux vous assurer que je suis en contact avec mes homologues à Québec. J’étais dans l’équipe, si vous voulez, pour l’élaboration du projet de loi C-7. On était en contact direct avec les deux ministres responsables au Québec à l’époque. C’est un travail en cours, mais il y avait une insatisfaction quant à nos démarches à cette époque avant le dépôt du projet de loi original. Nous sommes toujours prêts à travailler avec les provinces et les territoires, y compris le Québec, sur les questions de maladie mentale. J’ai eu des échanges au début avec la ministre de l’époque. Pour l’instant, comme je l’ai mentionné dans mes remarques liminaires, nous croyons qu’il est responsable d’aborder cette question dans le processus de revue parlementaire, et évidemment, nous allons entamer les discussions avec les provinces et les territoires sur la question des maladies mentales à cette étape.
Le sénateur Carignan : Ma deuxième question porte sur l’exclusion de la maladie mentale. Lorsque vous êtes venu témoigner la première fois, on vous a parlé de l’arrêt G de la Cour suprême, qui avait été rendu précédemment, et qui nous dit qu’on ne peut pas exclure la maladie mentale. C’est une violation de l’article 15 de la Charte lorsqu’on crée un traitement différent entre les personnes qui ont une maladie mentale et celles qui n’en ont pas. D’autre part, ce traitement différent perpétue des perceptions discriminatoires ou impose ou aggrave un désavantage injustifié aux personnes atteintes de maladies mentales.
Lorsque vous avez témoigné précédemment, votre justification pour l’exclusion de la maladie mentale a été de dire que vous avez manqué de temps et que vous n’avez pas pu approfondir la question. Aujourd’hui, vous nous dites que c’est parce qu’il est difficile pour certaines maladies sur le plan du consentement ou du pronostic. Donc, vous êtes un petit peu plus précis, je vois que vous avez parlé avec vos fonctionnaires.
Lors des auditions pour l’étude préalable, les experts nous ont dit justement le contraire, qu’il était possible d’évaluer une personne sur le plan de la qualité de son consentement. On est également beaucoup plus performant au niveau des pronostics; on a des témoignages à ce sujet. Pourquoi continuer à exclure tout un groupe de personnes atteintes de maladies mentales alors que la preuve qui est devant nous actuellement est qu’il est possible de faire des distinctions lorsque la maladie empêche un consentement libre et éclairé?
M. Lametti : Merci pour votre question très importante encore une fois.
Avant tout, nous partageons la préoccupation de traiter les maladies mentales comme les autres maladies. Ce sont des maladies, nous en sommes conscients. Je crois que notre point de vue est le bon.
Cela dit, nous croyons que la décision de la Cour suprême rendue en décembre dernier est en harmonie avec ce que nous sommes en train de faire. Mes justifications n’ont pas changé. Nous travaillons avec des experts et avec nos équipes juridiques. Je m’engage à travailler avec vous pour trouver des solutions lors des prochaines étapes.
Nous envisageons effectivement que ce soit une prohibition temporaire. Nous avons eu les mêmes preuves que vous, mais nous avons également eu d’autres preuves et d’autres opinions d’experts qui nous ont dit qu’il est encore très difficile d’évaluer les cas de maladie mentale. Donc, il n’y a pas de consensus. Peut-être y a-t-il des consensus qui sont en train d’émerger, mais c’est une question pour les prochaines étapes. Nous sommes prêts à aborder les vrais défis et à trouver des solutions. Moi, personnellement, je suis prêt à travailler là-dessus et je peux parler au nom du gouvernement pour dire que nous sommes prêts à aborder de telles questions. Cependant, il faut le faire avec toute la preuve et en travaillant avec la communauté médicale à travers le pays. Comme je l’ai dit, nous sommes devant des preuves contraires, alors un consensus n’existe pas actuellement. Cependant, je suis optimiste; je crois que nous pouvons atteindre un consensus, mais qu’il faudra y travailler.
[Traduction]
La présidente : Avant de donner la parole au prochain intervenant, puis-je demander aux sénateurs de rester brefs? Sinon, je serai obligée de poursuivre sans que le ministre ne réponde afin que tout le monde puisse poser une question.
La sénatrice Batters : Monsieur le ministre Lametti, vous avez fourni à notre comité une analyse en vertu de la Charte qui justifie la conformité et la constitutionnalité de l’exclusion de la maladie mentale dans le projet de loi C-7, mais la seule page de l’énoncé à ce sujet ne mentionne pas ce qui est probablement votre argument le plus solide pour justifier cette exclusion, à savoir que, presque sans exception, la maladie mentale n’est pas irrémédiable. C’est fondamental.
La maladie mentale comme seule condition invoquée ne répond donc pas à l’un des critères essentiels d’admissibilité à l’AMM dans le projet de loi. Veuillez expliciter comment cet important facteur de l’« irrémédiabilité » s’inscrit dans votre analyse en vertu de la Charte et justifie la constitutionnalité de l’exclusion de la maladie mentale dans le projet de loi C-7.
M. Lametti : Merci de votre question, madame la sénatrice. Je tiens à dire que le gouvernement reconnaît et que je reconnais personnellement la nature profonde de la maladie mentale et son statut de maladie. Je suis évidemment favorable à l’idée de consacrer davantage de ressources à son étude et à sa compréhension.
L’analyse en vertu de la Charte traduit l’incertitude du milieu médical à ce sujet. Elle donne voix à certaines préoccupations que vous avez soulevées, mais aussi à d’autres, notamment en sens contraire. Il faut donc étudier cette question plus attentivement. Je ne suis pas médecin et je ne vais donc pas évaluer les différents... il y a des médecins ici, dont des gens qui ont une expertise en la matière, et je ne vais donc pas évaluer les deux points de vue, mais je m’engage à examiner les diverses préoccupations que vous et d’autres avez soulevées et à travailler de bonne foi pour voir où cela nous mènera. Je ne garantis pas de résultat, mais je m’engage à suivre un processus et à le faire de bonne foi et avec le degré de sensibilité qui convient — et plus — à l’égard de la maladie mentale, de ceux qui en souffrent et en ont souffert et de ceux qui les entourent. C’est important.
La sénatrice Batters : Merci. Monsieur le ministre Lametti, vous nous avez également fourni l’analyse comparative entre les sexes plus, l’ACS+, du projet de loi C-7, et je remarque que le document renvoie à l’étude du Dr Scott Kim, mais qu’on n’y signale pas le fait alarmant que révèle cette étude, à savoir que 70 % des cas d’aide médicale à mourir pour raison psychiatrique aux Pays-Bas sont des femmes. C’est un fait important à noter dans l’ACS+ du projet de loi C-7.
De plus, dans l’évaluation des raisons pour lesquelles les hommes sont généralement trois fois plus nombreux que les femmes à mourir par suicide, votre document ACS+ omet un autre fait important et l’une des principales raisons pour lesquelles les taux de suicide chez les hommes sont beaucoup plus élevés, à savoir que ceux-ci utilisent des moyens plus meurtriers lorsqu’ils tentent de mettre fin à leurs jours. L’admissibilité à l’AMM offre cependant des moyens létaux garantis. Je dirais, monsieur le ministre, que cela devrait faire partie de votre analyse comparative entre les sexes portant sur l’exclusion de la maladie mentale dans le projet de loi C-7 et je vous demande de bien vouloir accepter de l’inclure.
M. Lametti : Je vous remercie de cette importante question. Je vais en parler à mes fonctionnaires et je pense que cette inclusion est très possible.
La sénatrice Batters : Merci.
La présidente : Sénatrice Batters, votre temps de parole est écoulé. Je vous inscris au deuxième tour.
Monsieur le ministre, j’ai aussi une question sur l’analyse comparative entre les sexes et je tiens à vous remercier sincèrement, vous et le premier ministre. Vous avez pris cette analyse au sérieux. Je tiens à vous féliciter non seulement de l’avoir prise au sérieux, mais aussi de l’avoir communiquée aux parlementaires. Mes antécédents parlent pour moi. Pendant des années, j’ai demandé à de nombreux gouvernements s’ils l’avaient faite et s’ils la rendraient publique. Vous êtes le premier à le faire avec autant de courage, et je vous en félicite.
Monsieur le ministre, lorsque je vous avais demandé si vous alliez rendre publique l’analyse comparative entre les sexes, vous aviez dit que vous le feriez, et vous l’avez fait. Je vous avais demandé si l’analyse comparative en fonction de la race serait effectuée séparément, et vous aviez répondu que non, qu’elle faisait partie de l’analyse comparative entre les sexes.
J’ai examiné attentivement le document et, au premier paragraphe de la page 2, on peut lire que le système de suivi fédéral ne recueille pas de renseignements sur le revenu individuel, sur le niveau de scolarité, sur l’origine ethnique et sur la diversité de genre. Il n’est question ici que de démographie. Il n’est nullement question par ailleurs d’analyse fondée sur la race.
Monsieur le ministre, nous venons de vivre une année terrible à cet égard, depuis juillet dernier, et même à l’égard de tous les enjeux liés à la race, mais il n’y a rien dans cette analyse qui porte sur les distinctions en fonction de la race. Je ne tiens pas à vous importuner, mais, en cette journée inauguratrice du Mois de l’histoire des Noirs, puis-je obtenir de votre part l’engagement que, à partir de maintenant, une analyse sérieuse fondée sur la race sera incluse dans l’analyse comparative entre les sexes ou sera effectuée à titre distinct?
M. Lametti : Merci beaucoup, madame la sénatrice. C’est effectivement le premier jour du Mois de l’histoire des Noirs, et je partage vos préoccupations.
Je m’engage à faire de mon mieux, à faire mieux. Il y a un grave problème à l’échelle du gouvernement, qui s’est révélé dans un certain nombre de contextes différents, dont celui-ci et celui des mesures prises pour lutter contre la COVID-19, et c’est le manque de données désagrégées. Il est difficile, partout au gouvernement, d’obtenir de meilleures données, des données désagrégées qui nous permettraient de répondre aux questions que vous posez et de procéder aux très nécessaires analyses fondées sur la race.
C’est un problème dont nous sommes conscients, et nous faisons de notre mieux. Statistique Canada est au courant, et nous nous sommes engagés, dans un certain nombre de ministères, à faire mieux pour obtenir des données désagrégées et convaincre les provinces de nous aider là où ce sont elles qui détiennent les données, notamment dans le domaine de la santé.
Nous allons redoubler d’efforts. Nous avons tous besoin d’alliés — nous avons aussi besoin d’alliés dans cette recherche — et nous ferons mieux.
Concernant un autre enjeu lié à la distinction en fonction de la race, nous avons fait de notre mieux, dans le délai imparti, pour consulter les Autochtones et les représentants des Autochtones partout au Canada au sujet de l’AMM. On peut toujours faire mieux, compte tenu des données et compte tenu de la complexité de la situation. Nous continuons de nous améliorer, mais je tiens à vous assurer que nous avons fait de notre mieux en l’occurrence.
La présidente : Monsieur le ministre, lorsque vous parlez d’alliés, je me souviens très bien que, quand le caucus des parlementaires noirs se réunissait et que nous étions aux prises avec les problèmes soulevés depuis juillet, vous étiez présent et très coopératif. Je sais que vous prenez cela au sérieux. C’est pourquoi je ne voulais pas vous agacer au sujet de l’absence d’analyse fondée sur la race. Mais il y a une chose qui me dérange vraiment — et vous avez mis le doigt dessus —, c’est que les fonctionnaires examinent des données qui s’appliquent aux États-Unis. Nous sommes très différents, et je pense que l’une des meilleures choses que vous puissiez faire serait de créer une base de données pour l’analyse fondée sur la race. Vous l’avez déjà dit, mais, s’il vous plaît, n’utilisez pas de données américaines, parce que c’est presque insultant au regard de nos réalités distinctives.
Merci, monsieur le ministre.
Le sénateur Harder : Merci, monsieur le ministre. Au cours de l’étude préalable du projet de loi par le comité, certains témoins ont laissé entendre qu’il vaudrait mieux laisser expirer le délai de suspension de l’invalidité de la loi imposé par la Cour supérieure du Québec. La décision Truchon ne s’appliquerait qu’au Québec et créerait un vide juridique à l’égard de la question de la mort raisonnablement prévisible.
À leur avis, les vides juridiques ne sont pas rares, et il n’est pas rare non plus que les décisions des tribunaux ne s’appliquent que dans la province où ils les ont rendues. Qu’en pensez-vous?
M. Lametti : Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur. C’est également une question importante. Je ne suis pas d’accord avec ce point de vue. Et ce pour plusieurs raisons.
Je rappelle tout d’abord que nous parlons ici de droit pénal, et il est souhaitable que le droit pénal s’applique de façon uniforme à l’ensemble du Canada : nous désirons donc que les médecins qui pratiquent l’aide médicale à mourir — notamment au Québec, mais aussi dans le reste du pays — puissent le faire dans la certitude que ce qu’ils font n’est en rien contraire au droit pénal. C’est l’outil le plus important qu’un gouvernement ait à sa disposition. Il sanctionne les crimes les plus graves, et nous ne voulons donc pas que cette incertitude devienne une préoccupation générale.
J’ajouterais que l’adoption de notre projet de loi a pour but de réduire des souffrances. Nous voulions régler cette question dans deux cas au Québec, celui de Jean Truchon et celui de Nicole Gladu. Mais d’autres dispositions ne seraient pas disponibles si nous n’adoptions pas ce projet de loi.
Et il y a l’amendement d’Audrey Parker. Nous avons éliminé certaines contraintes dans le régime de fin de vie, dont des professionnels de la santé de partout au Canada — et des personnes ayant accompagné des proches dans l’aide médicale à mourir — nous ont dit clairement qu’elles ne servent à rien, par exemple la période d’attente de 10 jours.
Les avantages de ce projet de loi échapperaient à certaines personnes. Il en vaut donc la peine. Je pense que ce projet de loi est une mesure positive qui en vaut la peine au moment où nous nous apprêtons à analyser les autres enjeux dans le cadre d’un examen parlementaire et au moment où la société canadienne évolue à cet égard.
Le sénateur Harder : Merci beaucoup. Je partage votre point de vue. J’aimerais poser la même question sous un angle un peu différent. À l’instar de nombreux sénateurs, j’ai reçu un très grand nombre de courriels de particuliers et de groupes nous invitant à rejeter ce projet de loi. Quelles seraient, selon vous, les conséquences du rejet de ce projet de loi?
M. Lametti : Je vous remercie de cette question. Tout d’abord, au Québec, il serait possible d’obtenir l’AMM en fin de vie, mais aussi en dehors de ce critère sans aucun garde-fou intégré.
Plus précisément — si vous avez comme moi eu connaissance des préoccupations des personnes handicapées —, nous avons conçu le régime prévu dans le projet de loi en nous appuyant justement sur les commentaires de leurs groupes représentatifs, pour lesquels il était important de prévoir un deuxième volet, applicable en dehors du principe de la mort raisonnablement prévisible, et assorti de mesures de protection supplémentaires adaptées aux situations où la fin de vie n’est pas en vue. C’est une critique très pertinente de la part des représentants des personnes handicapées. Ces garanties ne seraient pas présentes au Québec, et c’est extrêmement problématique.
J’ai parlé du manque de cohérence du droit pénal au Canada. Cela aussi est extrêmement problématique, à mon avis. Si ce projet de loi était rejeté, il s’ensuivrait que, dans les neuf autres provinces et territoires, des gens en fin de vie — et puis, il n’y aurait pas de mesure hors fin de vie raisonnablement prévisible là non plus — des gens, disais-je, perdraient des avantages comme l’amendement d’Audrey Parker, c’est-à-dire des améliorations importantes visant précisément à réduire les souffrances des gens.
Le sénateur Harder : Merci.
La sénatrice Martin : Merci, monsieur le ministre. Je pense que nous comprenons mieux l’importance de protéger les droits des Canadiens dans le cadre de ce projet de loi, ainsi que l’importance de ce projet de loi.
J’aimerais qu’on parle des droits de ceux qui administreront l’AMM. Monsieur le ministre, la protection de la liberté de conscience est une question qui a été soulevée à maintes reprises au cours de notre étude préalable. Les médecins de l’Ontario ont le mandat de fournir une orientation efficace vers les services compétents, tandis que l’Association médicale canadienne estime que cela revient à entériner une procédure pour les patients.
Lorsqu’on vous a posé la question au cours de notre étude préalable, vous nous avez renvoyés à l’article utile du projet de loi C-14 et déclaré que les mesures de protection étaient toujours en vigueur. Mais des témoins n’étaient pas de cet avis et restent inquiets. Si les médecins sont tenus de participer, il n’y a évidemment pas de mesures de protection.
Des médecins et des infirmières autochtones et d’autres objecteurs de conscience estiment simplement que cette pratique va à l’encontre de leur morale ou de leur éthique professionnelle.
Monsieur le ministre, est-ce que les praticiens qui disent avoir l’intention de quitter le pays ou la profession si ce projet de loi est adopté sans protection explicite de la liberté de conscience vous inquiètent?
Reconnaissez-vous le rôle du gouvernement fédéral — qui a créé ce changement de paradigme — dans la protection de l’intégrité éthique des médecins?
M. Lametti : Merci beaucoup de cette question, madame la sénatrice. Je rappelle que la liberté de conscience est déjà protégée dans ce texte législatif, comme elle l’était dans le projet de loi initial, le C-14, en 2016. Aucun professionnel de la santé n’est obligé de participer à l’AMM, et cela demeure une disposition inviolable de cette loi.
Comme je l’avais dit alors — et c’est vrai dans d’autres cas, à l’égard d’autres enjeux de la santé, comme l’avortement, qui me vient immédiatement à l’esprit —, certaines provinces décideront de leur politique d’orientation vers ces services, en fonction de leurs ressources et de leur disponibilité. C’est une question d’équilibre, mais la Cour suprême a statué, dans l’arrêt Carter, que l’aide médicale à mourir est un droit, un droit garanti par la Charte, et que l’État — en l’occurrence les provinces, qui sont chargées des services de santé — a l’obligation de fournir ce service, selon les modalités qu’il décidera. Mais, à ma connaissance, aucune province n’impose aux professionnels de la santé de participer à l’aide médicale à mourir. C’est un droit enchâssé dans notre loi pour les praticiens.
Je pense donc qu’on a obtenu un assez bon équilibre. Il n’y a pas eu d’exode de médecins du Canada après 2016. Par ailleurs, un groupe de médecins a commencé à acquérir de l’expertise en matière d’aide médicale à mourir. Nous les avons entendus au cours de nos consultations. Ils n’ont pas soulevé cette question. En fait, ils se préoccupent davantage de la clarté de la loi et ils nous ont proposé des solutions très constructives sur les moyens de donner suite à la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Truchon et d’améliorer la loi dès maintenant. Je ne m’inquiète donc pas d’un exode éventuel des médecins, et nous avons fait de notre mieux pour énoncer des règles claires.
La sénatrice Martin : Monsieur le ministre, nous avons entendu des professionnels de la santé. Je vis en Colombie-Britannique, et en 2016, c’était du nouveau. Mais depuis, d’autres préoccupations se sont fait jour. J’espère que vous en tiendrez compte.
À ce sujet, nous avons également entendu de nombreux témoins autochtones qui ont dit au comité que la consultation était tout à fait insuffisante. Peut-être que si elle avait été plus large, le gouvernement aurait mieux compris la nécessité de protéger la liberté de conscience des médecins autochtones.
Le gouvernement a-t-il consulté les médecins, les infirmières et les communautés inuits ou métis? Pouvez-vous nous parler plus précisément de ce processus? Avez-vous consulté des Canadiens autochtones handicapés?
Selon les témoins qui ont comparu devant le comité, vous ne l’avez pas fait suffisamment.
M. Lametti : Je vous remercie de cette question. J’ai fourni à la sénatrice Jaffer une réponse à nos consultations.
Nous avons fait de notre mieux, dans le délai dont nous disposions, dans la période dont nous disposions, pour consulter des experts du milieu autochtone. Je répète que rien dans cette loi n’oblige un praticien à participer à l’AMM.
Dans la mesure où il peut y avoir des objections spirituelles ou culturelles à l’aide médicale à mourir, rien dans cette loi n’oblige un praticien à y participer. Rien dans cette loi n’oblige qui que ce soit à demander l’AMM. C’est une décision autonome pour le patient aussi.
Le gouvernement est évidemment déterminé à favoriser la réconciliation — nous sommes déterminés à mener des consultations significatives auprès des Autochtones partout au Canada — selon une approche fondée sur les distinctions. Donc, s’agissant des Inuits, des Métis et des Premières Nations, nous avons fait de notre mieux dans ce contexte. Aurions-nous pu faire mieux? On peut toujours faire mieux, et nous sommes toujours ouverts aux suggestions sur les moyens de faire mieux la prochaine fois.
Mais je suis satisfait du contenu des propositions que nous avons reçues de nos interlocuteurs, autochtones et non autochtones, mais bien informés du contexte autochtone.
La sénatrice Boyer : Merci, monsieur le ministre, de votre exposé d’aujourd’hui. Je remercie la sénatrice Martin d’avoir abordé le sujet dont je vais également parler.
Au cours de nos consultations avec des Autochtones dans le cadre de l’étude préalable et du projet de loi C-7, il s’est avéré que de nombreuses préoccupations communes n’ont pas été prises en considération dans le projet de loi. Il y avait notamment le fait qu’une personne autochtone pourrait avoir l’impression de devoir choisir l’AMM en raison du manque de — [Difficultés techniques]. Ma question porte sur l’efficacité des mesures de protection prévues aux alinéas 3.1g) et 3.1h) du projet de loi C-7, qui imposent au médecin de s’assurer que le patient qui souhaite avoir accès à l’aide médicale à mourir a été informé de tous les moyens à sa disposition pour soulager ses souffrances et a envisagé sérieusement ces autres moyens.
Dans le contexte d’un accès inégal aux soins de santé — et cela concerne surtout ceux qui en ont le plus besoin —, comment ces dispositions protégeront-elles vraiment l’ensemble des Canadiens, y compris les Autochtones?
M. Lametti : Merci de cette question, madame la sénatrice. C’est effectivement d’une extrême importance dans le contexte plus général de la prestation des soins de santé au Canada et pour notre aspiration à faire un bien meilleur travail à cet égard.
Nous devons effectivement travailler avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour veiller à ce que la prestation des soins de santé soit améliorée partout au Canada et notamment dans les régions éloignées du Nord du pays et dans les communautés autochtones.
Je travaille avec mes collègues — le ministre Miller et la ministre Qualtrough — sur la question des personnes handicapées dans le but de déployer le maximum d’efforts qu’un gouvernement fédéral puisse se permettre pour apporter de l’aide, faciliter les choses et fournir des ressources afin que les soins de santé soient à hauteur des normes les plus élevées. Nous travaillons aussi avec les provinces, évidemment, puisque ce domaine est de leur ressort.
Je suis tout à fait d’accord. Le projet de loi à l’étude porte sur l’autonomie du choix et vise à faire en sorte que les personnes connaissent les options qui s’offrent à elles pour vivre dans la dignité ou pour choisir l’AMM en fonction de leur état et de leur évaluation de la situation. C’est là le rôle qui m’est dévolu. J’espère que ce projet de loi suscitera le genre de discussions qui doivent avoir lieu lorsque l’option valable qui est disponible ne répond pas, pour une raison ou une autre, à la norme.
Je pense que ces discussions ont déjà commencé, et c’est une bonne chose. J’espère que nous pourrons faire des progrès dans les domaines qui me semblent les plus susceptibles d’amélioration, à savoir la prestation de services de santé dans les collectivités éloignées du Nord et les communautés autochtones, ainsi que la prestation de services aux personnes handicapées. J’ai bon espoir que les choses s’amélioreront puisque ce projet de loi a, je crois, donné un coup de pouce en ce sens.
La sénatrice Boyer : Merci beaucoup de cette réponse. Je nourris le même espoir que vous.
[Français]
La sénatrice Keating : Merci, monsieur le ministre, d’être avec nous ce matin, je vous suis énormément reconnaissante de prendre le temps de répondre à nos questions. C’est très utile. Monsieur le ministre, le sénateur Carignan a exprimé la question que j’avais de manière beaucoup plus éloquente que je n’aurais pu le faire. Vous y avez répondu, cependant vous avez dit dans vos réponses que plusieurs experts ont également exprimé la difficulté à analyser la maladie mentale et ces questions sur la liberté de choix de patients souffrant de maladie mentale face à l’AMM. La difficulté à mon avis, cependant, est le fait que la loi ou la modification législative omet de définir la maladie mentale et donc par ce fait même, je crois, exclut certaines maladies et donc le droit de choisir et de fournir l’AMM. Je me demandais si, lors de la révision de l’AMM, vous aviez l’intention d’examiner la définition même de ce que constitue la maladie mentale. Merci.
M. Lametti : Merci, madame la sénatrice, de la question. Oui, évidemment, l’étape suivante est d’étudier la définition elle‑même. Pour l’instant, j’aimerais souligner que c’est exclu maintenant dans ce projet de loi, uniquement quand la maladie mentale est la seule condition invoquée. Il y a des exemples, évidemment, où la maladie mentale est jumelée avec d’autres conditions, de telles circonstances ne sont pas exclues du projet de loi. C’est une exception assez étroite, mais c’est vrai qu’il faut absolument étudier la définition. Il faut trouver un consensus pour non seulement la pratique, mais une façon d’encadrer la pratique dans le Code criminel. Donc, s’il y a un consensus sur les maladies mentales, comment l’encadrer dans un projet de loi? Ce sont des questions difficiles.
La sénatrice Keating : Merci. Je ferai un constat à cet effet. Je reconnais certes qu’on ne parle que de gens souffrant uniquement de maladie mentale, mais encore faut-il savoir ce qui constitue la maladie mentale pour ne pas inclure des maladies qui, clairement, devraient en principe offrir le choix de l’AMM. Merci.
M. Lametti : Pour l’instant, il n’y a pas de définition, mais il s’agit de maladies qui nécessitent les soins d’un psychiatre. Donc, c’est insuffisant; nous étudierons le tout comme il faut.
[Traduction]
Le sénateur Cotter : Je vous remercie, monsieur le ministre, de vous être joint à nous une deuxième fois pour étudier ce texte législatif important, complexe, peut-être fondamental, comme vous l’avez vous-même souligné.
Vous avez également signalé, avec sagesse je crois, ce qu’on pourrait appeler une série de décisions stratégiques pour tenter de résoudre les difficultés que posent les mesures de sauvegarde, les choix appropriés et ainsi de suite. Je tiens à dire que je respecte ces décisions. Je pense que nous pouvons vous donner des conseils, à vous, à vos fonctionnaires et au gouvernement du Canada, mais il demeure que bon nombre de ces décisions sont de nature stratégique.
Comme vous l’avez fait remarquer, il s’agit ici de droit pénal, d’une loi importante, fondamentale du Canada, mais il y a une loi qui la prime, la Charte des droits. Je pense que certaines des questions soulevées par le projet de loi ont une incidence sur le plan constitutionnel.
Quelle que soit la teneur définitive du projet de loi, des contestations constitutionnelles sont prévisibles. Les personnes qui s’y lanceront auront à en porter le fardeau : le coût financier, le temps, le stress émotionnel de préparer un argument constitutionnel soutenant, soit l’insuffisance du texte législatif, soit son caractère excessif. La maladie mentale, sans autre condition médicale invoquée, est évidemment l’un de ses aspects qui risque d’être contesté.
Comme vous le savez, certains ont laissé entendre qu’un renvoi constitutionnel pourrait être une façon appropriée de répondre aux préoccupations qui ne manqueront pas de surgir même à la suite d’un examen. Cela permettrait au gouvernement du Canada d’exercer sa responsabilité de respecter les paramètres de constitutionnalité de la loi.
Pourriez-vous nous parler de certains des facteurs que vous et le gouvernement avez pris en considération quant à l’opportunité d’un renvoi constitutionnel et nous dire pourquoi, jusqu’à maintenant du moins, le gouvernement du Canada n’a pas opté pour cette voie? Merci.
M. Lametti : Je vous remercie beaucoup, sénateur Cotter, de votre question, ainsi que de votre travail dans ce dossier.
Nous sommes bien conscients d’éventuelles embûches constitutionnelles. Nous les avons signalées dans l’énoncé concernant la Charte déposé à la Chambre des communes.
Il va sans dire que nous avons envisagé un renvoi à la Cour suprême du Canada. Mon objectif est de franchir cette étape le plus rapidement possible afin de réduire sans plus tarder les souffrances du plus grand nombre possible. Un renvoi relatif à la constitutionnalité d’une loi prend du temps. Nous pensons que, dans ce projet de loi, nous nous rapprochons beaucoup plus de l’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada, qui est en quelque sorte notre pierre de touche.
Je pense que c’est une meilleure façon d’aller de l’avant pour soulager rapidement les souffrances des gens. Oui, il y a des possibilités de contestation, mais nous pensons avoir réduit leur portée ainsi que la période de contestation puisque nous passerons bientôt, je l’espère, à l’étape suivante, c’est-à-dire à l’examen parlementaire. Cet examen portera sur les autres questions en suspens, que nous étudierons de façon expéditive, mais pondérée. Nous avons donc vraiment réduit la portée d’éventuelles contestations constitutionnelles et la période pendant laquelle elles pourront être lancées. Je pense que nous l’avons fait de façon relativement efficace dans le but de diminuer les souffrances des gens.
Je prends néanmoins note de vos arguments. Cela reste toujours une option, mais je n’ai jamais été convaincu que c’était notre meilleure option.
La sénatrice Boniface : Merci, monsieur le ministre, d’être ici. J’avais une première question, mais le sénateur Harder l’a déjà posée.
Je passe donc à ma deuxième question. Dans plusieurs de vos réponses, vous avez fait mention de l’examen parlementaire. Depuis votre comparution ici en novembre, avons-nous fait des progrès à cet égard? Comme vous le savez, c’est une mesure que beaucoup d’entre nous jugent urgente et trop longtemps attendue. Y a-t-il du nouveau à ce sujet?
M. Lametti : Je vous remercie, madame la sénatrice, de cette question. Je n’ai pas de renseignements officiels à vous donner. Je peux vous dire que je fais de mon mieux pour convaincre notre leader parlementaire. Il s’agit de négocier avec les deux chambres et avec les nombreux partis politiques, de différents types, qui s’y trouvent. Nous sommes déterminés à aboutir. Il m’est impossible de vous donner des détails sur la forme que prendra cet examen parlementaire, mais je vous assure que je fais tout ce dont je suis capable pour pouvoir vous en faire l’annonce le plus tôt possible.
Encore une fois, je pense que c’est important. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il est essentiel d’avoir une idée de la façon dont nous irons de l’avant à la Chambre des communes et au Sénat et de nous assurer de disposer d’assez de temps pour travailler avec les experts et aussi entre nous, je le dis très franchement, en vue de passer à la prochaine étape. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous répondre à ce stade-ci au sujet du moyen à prendre.
La sénatrice Boniface : Merci, madame la présidente. C’était ma seule question.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bonjour, monsieur le ministre, j’ai deux questions à vous adresser.
La première se rapporte à l’adoption du projet de loi C-14 en 2016. Votre prédécesseure avait garanti au Sénat qu’elle était ouverte à recevoir des amendements au projet de loi, ce qui a été fait par le Sénat. Je pense que le Sénat à l’époque avait proposé de très bons amendements. Cependant, une fois rendu sur son bureau, aucun de ces amendements n’a été accepté.
Monsieur le ministre, lorsque le Sénat adoptera ce projet de loi, serez-vous ouvert positivement à recevoir les amendements que nous vous recommanderons en vue de son amélioration?
M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur, pour la question.
Oui, je suis toujours ouvert aux amendements. Je vais les évaluer de bonne foi et en parler avec le Sénat. Durant mes deux ans en tant que ministre, je crois avoir démontré sincèrement au Sénat que j’étais ouvert à améliorer les projets de loi en collaborant avec vous sur d’autres projets dans le passé.
Cependant, ce n’est pas une garantie que je serai d’accord avec les amendements proposés, mais je m’engage à évaluer les amendements et à travailler avec vous.
Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur le ministre.
La seule partie de votre réponse qui m’inquiète, c’est que vous ne garantissez pas ces amendements : c’est à peu près la même réponse que votre prédécesseur.
Dans un autre ordre d’idées et relativement à la mort par procuration, est-ce que ce projet de loi va ouvrir à des gens qui souffrent de maladies mentales dégénératives? Je pense à ceux qui souffrent de la maladie d’Alzheimer, et à ce sujet, je vous invite à lire un article de ce matin dans La Presse, Mme Sandra Demontigny qui vient d’apprendre qu’elle est atteinte de cette maladie. Son père en est décédé à 53 ans. Elle a trois enfants de l’âge de 14, 18 et 22 ans, et elle veut s’assurer que ce projet de loi va lui permettre d’autoriser l’accès à l’aide médicale à mourir par procuration. Sinon, elle devra se rendre en Suisse — comme beaucoup d’autres familles ont dû le faire au cours des dernières années — et dépenser jusqu’à 40 000 $ pour recevoir ce service.
Est-ce que ce projet de loi va garantir aux familles dont un membre souffre de la maladie d’Alzheimer de pouvoir autoriser l’aide médicale à mourir par procuration?
M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur.
Je suis conscient que plusieurs Canadiennes et Canadiens à travers le pays voudraient avoir accès à cette possibilité. Pour l’instant, cela fera partie de la prochaine étape, car c’est impossible dans cette loi d’avoir une telle procuration. On a encadré l’exception d’Audrey Parker dans le régime de fin de vie, mais on ne peut aller plus loin dans ce projet de loi.
Cela dit, c’est un sujet qui a été traité en 2016. Des études ont été commandées, car il y a des gens à travers le Canada, comme nous le savons, qui voudraient en bénéficier. Il faudra en parler lors de la revue parlementaire.
Le sénateur Boisvenu : Êtes-vous conscient que vous condamnez ces familles à faire appel à un autre pays ou un état américain pour recevoir ces services, à dépenser des sommes énormes, et possiblement, comme on l’a vu dans les médias au Québec, de faire appel au suicide?
Je vous dirais, monsieur le ministre, que le temps joue contre ces personnes-là. Vous devriez profiter de la loi C-7 afin d’offrir à ces familles — surtout celles souffrant de maladies dégénératives comme l’alzheimer qui mènent à des morts atroces — la mort par procuration. Je pense que ce serait un geste très humanitaire de votre part.
M. Lametti : Je suis très empathique à ce que vous venez de dire. Je comprends la situation. Nous avons entrepris nos consultations en ligne justement afin de poser des questions sur les maladies dégénératives cognitives. Nous avons entamé le travail, mais c’est très complexe. Je suis très sympathique à la souffrance de ces gens. Il faut agir aussitôt que possible.
Cela dit, il faut agir avec une certaine prudence pour trouver l’équilibre et les sauvegardes nécessaires. Il faut regarder l’expérience d’autres pays. Je comprends la souffrance des gens. C’est difficile, mais pour l’instant, c’est quelque chose qu’il faut étudier comme il faut à la prochaine étape.
La sénatrice Dupuis : Bonjour, monsieur le ministre. Merci d’être encore avec nous aujourd’hui. Au tout début de votre intervention, vous avez parlé de nouvelles mesures de sauvegarde accrues — c’est le terme que vous avez utilisé — quand la mort n’est pas prévisible. Selon vous, c’est dans le cas où les risques sont plus grands. De quels risques parlez-vous? Jusqu’ici, je ne vous avais pas entendu parler en ces termes. Pourquoi ces mesures de sauvegarde accrues puisque les risques sont plus grands quand la mort n’est pas prévisible? Quels sont ces risques? Merci.
M. Lametti : Merci encore une fois, sénatrice, pour votre engagement et votre question. Ce sont des risques soulevés par certaines parties de notre population, surtout les personnes vivant avec un handicap, qui ont un certain scepticisme envers un régime non fin de vie. Il faut comprendre qu’ils voient une telle possibilité comme une crainte existentielle, que la vie avec un handicap sera toujours traitée ou considérée comme étant moins valable et comme ayant moins besoin d’être protégée.
Ce que nous avons essayé de faire avec le régime non fin de vie, c’était justement de trouver, avec des sauvegardes, un équilibre où l’on s’assurait que la personne exerçait une réelle autonomie après avoir compris ou après avoir été informée des possibilités de vivre ou de choisir l’aide médicale à mourir. Cela est accru dans ce sens-là. Ce sont des questions qui ne sont pas nécessairement soulevées dans le régime fin de vie. Le cas typique est celui d’une personne avec un cancer avancé. Cela ne représente pas le même défi pour les personnes qui vivent avec un handicap, par exemple, que le régime non fin de vie.
La sénatrice Dupuis : À ce moment-là, ce dont vous nous parlez, ce sont des craintes exprimées. Ce ne sont pas des risques factuels qu’on peut constater. Ce sont les appréhensions des gens, parce que nous les avons entendus devant le comité. Il y a la question des appréhensions et il y a la question de la réalité. L’expérience au Québec montre qu’il y a des appréhensions bien moindres parce qu’on a démontré que l’application du régime se fait très sérieusement.
M. Lametti : Nous sommes en train d’évoluer avec la possibilité de l’aide médicale à mourir. Le pays a beaucoup changé depuis 2016. Il y a une acceptation de la pratique. On l’a vu lors des consultations. Nous le voyons maintenant grâce à la discussion que nous sommes en train d’avoir. Je crois que ce sera la même chose avec le régime non fin de vie. Il nous faut des données. Il faut continuer de surveiller la situation. Il faut continuer d’être en dialogue avec les personnes qui vivent avec les handicaps. Il faut continuer à évoluer.
Je crois sincèrement que l’équilibre a été trouvé en dialogue avec le leadership du groupe de personnes vivant avec un handicap. C’est quelque chose qui est reconnaissant du fait qu’une personne a droit à l’aide médicale à mourir. Je crois que nous avons atteint un juste équilibre. Évidemment, c’est quelque chose qui pourrait évoluer à l’avenir.
La sénatrice Dupuis : Pouvez-vous me dire ce qui vous a amené à exclure ou prévoir la renonciation à un consentement uniquement dans le cas où la mort est prévisible? Pourquoi ne pas avoir établi cette possibilité de renoncer à un consentement dans tous les cas?
M. Lametti : Nous croyons que cela tombe sous la rubrique des demandes par anticipation. C’est quelque chose qui a été identifié comme un sujet à étudier lors de la revue parlementaire. Comme je l’ai dit lors d’une réponse précédente, oui, il y a beaucoup d’appui à travers la population, mais il y a aussi certains risques, et cela ne fait pas l’unanimité. Il n’y a pas encore de consensus là-dessus.
Nous avons pris l’exception d’Audrey Parker parce qu’il y avait un consensus là-dessus et c’était dans le régime fin de vie. Avant d’ouvrir la possibilité dans les régimes non fin de vie, il faut aborder la question des demandes par anticipation comme il faut auprès des experts et des praticiens. C’est quelque chose qui rend certains praticiens très inconfortables.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Merci, monsieur le ministre, d’être ici aujourd’hui. J’ai trois petites questions. Tout d’abord, pourriez-vous nous dire la date exacte à laquelle le projet de loi C-7 doit être approuvé par le Sénat pour que le Cabinet puisse examiner toute modification qu’il pourrait recommander?
M. Lametti : Merci, madame la sénatrice, de cette question. D’ordinaire, par prudence, je laisse les questions de date à mes leaders parlementaires. Voilà justement que je vois apparaître de temps à autre le sénateur Gold dans l’une des cases à la Hollywood Squares que j’ai sous les yeux.
Cela dit, nous comptons évidemment à rebours à partir de la date de la sanction royale qui nous a été imposée par la Cour supérieure du Québec. J’espère que vous nous renverrez le projet de loi en ayant soin de laisser assez de temps au Cabinet pour l’examiner et à la Chambre des communes, au besoin, pour le voter. Je vous demanderais donc, si vous envisagez des modifications, de nous accorder suffisamment de temps. J’ai déclaré, en toute bonne foi, mais sans m’engager à un résultat précis, que nous examinerions ces modifications et que nous déterminerions, en dialogue avec vous, où en sont les choses. Mais je vais laisser au sénateur Gold le soin de travailler avec vous et avec ses homologues à la Chambre des communes pour que le nécessaire se fasse.
La sénatrice Griffin : Merci. Votre gouvernement permettra‑t-il aux députés d’arrière-ban du parti ministériel de voter librement sur toute modification proposée par le Sénat?
M. Lametti : Encore une fois, je laisse au premier ministre le soin d’en décider. Il s’agit d’un projet de loi d’initiative gouvernementale et, comme il arrive souvent dans de tels cas, il se peut que le vote soit soumis à la discipline de parti. Mais c’est aussi un projet de loi qui pose un problème de conscience chez certains, situation qui justifie, dans bien des cas, la tenue d’un vote libre.
Je laisse au premier ministre le soin de décider de la nature du vote sur ces modifications.
La sénatrice Griffin : D’accord. J’en viens à ma troisième question. Votre gouvernement sera-t-il ouvert à ce que la Chambre des communes apporte elle-même des changements au message du gouvernement concernant les modifications adoptées par le Sénat?
M. Lametti : Pour être tout à fait franc, madame la sénatrice, je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que vous voulez dire par cette question. En tant que député, j’ai toujours été très respectueux du travail législatif du Sénat. Je me souviens d’une occasion où j’ai été très favorable à une initiative du Sénat et heureux de le voir réussir là où je n’avais pu le faire en tant que député à la Chambre des communes.
J’ignore s’il existe un parti pris politique concernant les modifications adoptées par le Sénat. Je sais que dans mon parti, vous trouverez des gens favorables aux modifications apportées par le Sénat sur diverses questions, mais je ne sais pas trop où vous voulez en venir avec votre question.
La sénatrice Griffin : D’accord. Restons-en là. Merci.
La présidente : Monsieur le ministre, le temps prévu pour votre comparution tire à sa fin. Au nom du comité, je vais vous demander si vous avez le temps de répondre à quelques autres questions ou si vous êtes obligé de partir. Dans un cas comme dans l’autre, j’accepte votre décision. Je ne voudrais pas vous créer des ennuis.
M. Lametti : Je peux rester le temps de quelques questions. On m’attend en ce moment à une réunion d’un comité du Cabinet, mais j’en connais l’ordre du jour et je pense donc pouvoir répondre à quelques autres questions.
La présidente : Je vous en suis sincèrement reconnaissante.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de vos réponses. Vous avez évoqué la Belgique pour dire que nous n’étions pas prêts à avoir une loi spécifique pour les personnes atteintes de maladies mentales seulement. Je voudrais évoquer l’exemple de la Belgique pour d’autres enseignements ou questions qu’on pourrait prendre en compte.
Cela fait 18 ans qu’un régime d’euthanasie est en place — comme il s’appelle là-bas en Belgique, le régime d’aide médicale à mourir — et au-delà de la loi qui est relativement stricte, l’application de la loi pose problème. Le critère de douleur insupportable — nous sommes tous pour un allègement de la douleur et j’en fais partie — n’est plus le critère absolu pour accorder l’aide médicale à mourir et on est rendu à cette idée de « fatigue de vivre » pour les personnes plus âgées aveugles ou ayant des problèmes d’audition. J’aimerais vous entendre sur les dangers de dérive. C’est une chose que de bien rédiger une loi et c’est une autre chose que de l’appliquer. Il y a déjà des dérives pour ce qui est du critère de fin de vie. Est-ce qu’en élargissant la loi maintenant, avant d’avoir une véritable idée de ce qui se passe partout sur le terrain, on ne court pas un risque de dérive?
M. Lametti : Merci, sénatrice, de votre question. Tout d’abord, il faut souligner qu’il y a des différences entre notre projet de loi et le régime qui existe dans les pays du Benelux. D’abord, il y a le critère d’une situation médicale d’une personne, qui se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités. La fatigue de vivre n’est pas un critère d’évaluation possible ici. À la suite de mes conversations avec des médecins et d’autres spécialistes, je peux vous affirmer qu’il s’agit d’un critère très important.
Cela dit, on a en quelque sorte une possibilité plus large, c’est‑à-dire que l’on n’exige pas tout traitement possible. On exige uniquement que la personne soit avisée des traitements raisonnables. Comme je viens de le dire, la fatigue de vivre n’est pas un critère ici. C’est dans ce sens beaucoup plus étroit que le régime qui existe dans les pays du Benelux.
J’aimerais ajouter que nous surveillerons de près — nous sommes déjà en train de le faire avec les provinces, notamment avec le Québec dont le régime est assez important — les cas où l’aide médicale à mourir aura été fournie. On compte poursuivre ce processus et recueillir des données. Je crois que la crainte que vous êtes en train d’exprimer c’est qu’on va glisser vers une situation où les critères seront moins bien appliqués ou appliqués moins rigoureusement. Nous allons surveiller cela de près pour nous assurer que ce ne sera pas le cas.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur le ministre.
[Traduction]
La présidente : Au deuxième tour, puis-je demander à tout le monde de poser une brève question afin de ne pas trop abuser de la bonne volonté du ministre. Merci.
La sénatrice Pate : Merci. Monsieur le ministre, dans l’arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a explicitement limité son jugement aux demandeurs qui sont en fin de vie. Le juge Smith en a fait autant. Les organismes représentant les personnes handicapées et le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées et l’extrême pauvreté nous ont dit à maintes reprises que le fait de ne pas autoriser l’aide médicale à mourir, l’AMM, pour les personnes handicapées en fin de vie porte atteinte aux droits à l’égalité garantis par la Charte et est contraire à la Convention relative aux droits des personnes handicapées et aux obligations internationales du Canada.
Étant donné que cette convention exige des États qu’ils consultent des organisations représentatives des personnes handicapées et à la lumière des critiques formulées par des membres de la communauté des personnes handicapées quant à la rapidité avec laquelle le gouvernement a lancé le projet de loi C-7, le dénonçant comme une discrimination intrinsèque fondée sur la capacité physique, j’ai deux questions à poser. Premièrement, comment comprenez-vous cette critique? Qu’est‑ce que cela signifie pour vous et comment vous proposez‑vous de réagir, au-delà de la réponse du juge dans l’arrêt Truchon?
De plus, monsieur le ministre, vous dites que le Code criminel doit être uniforme dans toutes les provinces. Que répondez-vous devant le fait que les peines minimales obligatoires, la défense de provocation, l’inadmissibilité à la libération conditionnelle consécutive, les ordonnances de sursis et l’intoxication extrême sont toutes appliquées différemment dans les provinces? Merci, monsieur le ministre.
M. Lametti : Je vous remercie de votre question, sénatrice Pate. Pour ce qui est de la deuxième partie de la question, ces situations ne sont pas idéales et je les suis à la piste, si vous me permettez l’expression.
La sénatrice Pate : Nous avons un projet de loi que vous pourriez utiliser.
M. Lametti : Je ne suis pas sans le savoir. En ce qui concerne les préoccupations très légitimes soulevées par les personnes handicapées et leurs dirigeants ainsi que dans le rapport des Nations unies, nous sommes d’avis que le projet de loi reconnaît les droits à l’autonomie des personnes handicapées. Nous avons travaillé avec la communauté des personnes handicapées et, en fait, l’architecture même de ce texte législatif, le fait qu’il ait deux volets, est le résultat direct de ses interventions, qui nous ont clairement fait comprendre que, hors du contexte de fin de vie, des mesures de sauvegarde supplémentaires étaient nécessaires.
C’est donc précisément dans la structure de cette loi que sont reflétées, il me semble, les consultations très importantes que nous avons menées auprès des dirigeants de la communauté des personnes handicapées. Nous les avons rencontrés dans le cadre de tables rondes partout au pays. Nous avons organisé une table ronde expressément pour eux. J’ai assisté avec des collègues à une autre conférence portant précisément sur cette question. J’estime que la communauté des personnes handicapées a eu une grande influence dans la formulation du projet de loi et que nous avons atteint un juste équilibre. Encore une fois, je pense que cela témoigne de la réelle influence qu’elle a exercée.
Je travaille avec ma collègue, la ministre Qualtrough, pour améliorer la vie des personnes handicapées partout au Canada et les choix qu’elles ont, pour valoriser leur vie et pour lutter contre les préjugés fondés sur la capacité physique qui persistent dans notre société. Je les comprends mieux maintenant pour avoir travaillé à ce projet depuis déjà un bon moment.
Est-ce la perfection? Bien sûr que non, mais nous faisons tous de notre mieux pour améliorer la situation.
Je pense que le projet de loi évite largement les écueils du rapport des Nations unies. Il ne suffit pas d’être handicapé pour obtenir l’AMM. Il faut satisfaire à d’autres critères, et je pense qu’il est important ici de comprendre qu’il s’agit d’autonomie. C’est une question d’équilibre. Il s’agit évidemment de créer un régime dans lequel les droits des personnes handicapées sont protégés, mais aussi d’être très conscient du fait que bon nombre de personnes handicapées nous ont dit vouloir avoir ce choix dans le cas où elles répondaient aux critères établis.
Le sénateur Kutcher : Merci, monsieur le ministre, d’être ici et d’être resté plus longtemps que prévu. Nous vous en sommes très reconnaissants.
À la lumière des préoccupations largement répandues au sujet de l’exclusion, pour des motifs constitutionnels et psychiatriques, de la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée — préoccupations soulevées à la fois dans l’étude préalable du comité et largement ailleurs —, seriez-vous disposé à accepter une disposition de temporarisation pour l’article du projet de loi portant sur l’harmonisation afin de permettre l’accomplissement, en temps opportun, du travail supplémentaire qui sera nécessaire?
M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur, de votre travail dans ce dossier et de votre leadership. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je m’engage à examiner très attentivement toute modification proposée et à travailler avec vous. Je ne peux promettre tel ou tel résultat. Je peux promettre que je travaillerai de bonne foi également pour m’assurer que, quelle que soit la façon dont nous aborderons la question de la maladie mentale comme seul critère, nous le ferons avec diligence et sensibilité. Mais je vais attendre de voir quelles seront vos modifications et je travaillerai ensuite de bonne foi avec vous.
La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, sur le même sujet, il y a quelques jours s’est tenue la Journée Bell Cause pour la cause et, au cours de l’étude préalable de notre comité sur l’objet du projet de loi C-7, de nombreux témoins ont parlé du problème que pose la dissociation complète des demandes d’aide médicale à mourir de celles de nature suicidaire en général. Parmi ces témoins, on comptait des porte-parole de peuples autochtones aux prises avec des vagues de suicides, des experts en santé mentale et des intervenants en prévention du suicide. Sur le site Web de Justice Canada, on trouve un document d’information dans lequel votre propre ministère signale ceci:
Le fait de permettre l’aide médicale à mourir dans des circonstances où une personne ne s’approche pas d’une mort naturelle pourrait être perçu comme portant atteinte aux initiatives en matière de prévention du suicide, et comme normalisant la mort en tant que solution à de nombreuses formes de souffrances.
Est-ce que vous et le ministère de la Justice, monsieur le ministre, maintenez cette affirmation, et comment la conciliez‑vous avec le projet de loi? De plus, si vous avez changé d’avis à ce sujet, quels renseignements précis ont mené à ce changement majeur?
M. Lametti : Je vous remercie de la question. Encore une fois, la question est d’une importance capitale. Ce document du ministère de la Justice reflète des renseignements probants et des appréciations médicales qui nous ont été communiqués, et force nous est d’en tenir compte, comme d’ailleurs de tout ce que vous venez de dire, pour aller de l’avant.
Cela dit, vous avez entendu autour de cette table, même au cours de la dernière heure et demie, ainsi qu’auparavant de la part de témoins qui ont comparu devant vous, que d’autres opinions d’experts ont été avancées.
Nous devrons tous travailler ensemble pour étudier la question comme elle doit l’être, avec tout le soin et le sérieux qui s’imposent et avec toute l’empathie qui est si nécessaire pour traiter ce genre de questions.
Je m’engage à le faire et je m’engage également à demeurer à l’écoute à mesure que nous avancerons, quel que soit le processus retenu. Je suis certainement ouvert à tous les différents points de vue que vous avez exprimés, madame la sénatrice.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je vous ai demandé de nous accorder plus de temps, et vous avez répondu généreusement. Vous aviez déjà donné, j’ai insisté pour obtenir davantage et vous avez encore donné. Je vous en remercie vivement. Sachez que vous êtes toujours le bienvenu au Comité des affaires juridiques et que nous sommes aussi très heureux de travailler avec vos collaborateurs, qui se sont montrés très conciliants avec nous. Je vous remercie donc beaucoup de vous être déplacé ce matin. Je sais que vos collaborateurs vont rester pour répondre à nos questions. Merci, monsieur le ministre.
M. Lametti : Merci beaucoup à tous.
La présidente : Nous sommes très heureux d’accueillir les porte-parole du ministre de la Justice du Canada. Souhaitons la bienvenue à Me Joanne Klineberg, avocate générale par intérim, Section de la politique en matière de droit pénal, à Me Caroline Quesnel, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, et à Me Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal.
La sénatrice Petitclerc sera notre première intervenante.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je ne sais pas exactement à qui adresser cette question. Donc à quiconque aura la réponse, merci de me la donner.
En fait, j’aimerais qu’on revienne sur l’adoption de l’amendement à la Chambre des communes. On sait qu’un nouvel article a été ajouté au Code criminel, ce qui fait en sorte que le ministre de la Santé, lorsqu’il ou elle aborde des dispositions réglementaires et lorsque c’est indiqué, doit consulter le ou la ministre responsable de la condition des personnes handicapées.
J’aimerais savoir comment vous croyez que tout cela va se concrétiser. D’après vous, quels seront les impacts potentiels de cet amendement, en ayant à l’esprit les craintes que certains groupes qui représentent les personnes handicapées ont exprimées?
Me Joanne Klineberg, avocate générale par intérim, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Merci beaucoup pour la question.
Comme vous l’avez mentionné, cet amendement visait à confirmer que le ministre de la Santé doit consulter le ministre responsable de la condition des personnes handicapées. En principe, cette consultation a lieu de toute façon. Quand les ministres élaborent les règlements, un processus de consultation est mené au sein du gouvernement et avec le public, et des changements sont apportés. D’après ce que nous comprenons, il s’agit d’une clarification à une mesure qui aurait été adoptée de toute façon. Cette confirmation est positive et fait en sorte que, dans l’élaboration des règlements, on donne suite à toutes les préoccupations des groupes représentant les personnes handicapées.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup.
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à l’ensemble des témoins et concerne le délai de 90 jours. Pourquoi imposer un délai de 90 jours? Le ministre nous dit que ce délai est nécessaire afin de procéder à l’évaluation. Quand une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible demande l’aide médicale à mourir, c’est souvent parce qu’elle est malade ou qu’elle souffre d’un handicap ou qu’elle a un état de santé précaire depuis un bon bout de temps et son diagnostic et les évaluations ont été effectués depuis longtemps. Par conséquent, il y a fort à parier que cette évaluation pourrait se faire dans un délai bien plus court que 90 jours. Pourquoi alors imposer un délai de 90 jours, qui peut être réduit uniquement lorsqu’on estime que la capacité intellectuelle de la personne à consentir à l’aide médicale à mourir pourrait être atteinte? Je m’explique mal la nécessité de ce délai de 90 jours.
Me Caroline Quesnel, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Merci beaucoup pour la question, sénateur.
Le délai de 90 jours a été considéré comme une période minimale à imposer, de façon générale, afin de prévoir une mesure de sauvegarde de base à suivre dans tous les cas. Il est vrai que dans certains cas la maladie ou le handicap est présent depuis plusieurs années et qu’il y a une relation thérapeutique entre le patient et le médecin qui dure depuis longtemps. Dans de tels cas, il est possible que les traitements, les mesures d’allégement de la souffrance et autres aient déjà été explorés. Toutefois, le délai de 90 jours ne débute qu’une fois que le médecin ou l’infirmier praticien commence à évaluer l’admissibilité du patient à l’aide médicale à mourir, option qui est vraiment unique et particulière. Les discussions auparavant visaient peut-être simplement les moyens d’alléger les souffrances ou d’améliorer l’état, mais elles n’avaient pas touché la possibilité d’offrir l’aide médicale à mourir. On se penchera alors désormais sur ce qu’on peut faire pour alléger les souffrances et sur l’importance de tenir des discussions avec le patient quant aux autres moyens, pour s’assurer qu’il les a considérés. C’est ce processus, à notre avis, qui peut prendre un certain temps.
Le sénateur Carignan : Ma deuxième question concerne la définition du terme « maladie mentale ». La loi n’est pas identique aux documents de soutien. Dans le document de soutien, on voit que les fonctionnaires — vous en l’occurrence — précisent que la maladie d’Alzheimer ne fait pas partie des exceptions à la maladie mentale. Vous traitez également des maladies traitées par des psychiatres.
Pourquoi ne pas modifier le projet de loi afin de préciser la définition du terme « maladie mentale » et inclure le texte de loi au document de soutien que vous avez produit?
Me Klineberg : Merci pour cette bonne question, sénateur.
Un point de départ pour vous répondre serait de dire qu’un document de soutien est rédigé en des termes plus généraux qu’un texte législatif, par exemple. Dans le document de soutien, notre but était de décrire l’intention derrière le terme « maladie mentale ». D’un point de vue législatif, on doit être beaucoup plus précis lorsqu’il s’agit de décrire une maladie mentale. Or, c’est un domaine où on n’a pas nécessairement l’expertise. Au début, quand le projet de loi a été déposé, et s’agissant du document que vous mentionnez, l’objectif était de décrire l’intention. Cependant, il est vrai qu’une clarification n’apparaît pas pour le moment au Code criminel. Ce terme pourrait toujours être clarifié dans le projet de loi. Dans le contexte de l’aide médicale à mourir, les documents de soutien, comme celui qu’a produit le ministère de la Justice, nos collègues de Santé Canada et les gouvernements provinciaux, jouent un rôle très important pour ce qui est de l’application de l’aide médicale à mourir. Même si le terme n’est pas clarifié aux autres termes du Code, les autres documents pourront clarifier ce point.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je remercie les porte-parole du ministère de la Justice de leur présence aujourd’hui.
Au cours de notre étude préalable, des témoins nous ont dit que la période d’évaluation de 90 jours prévue pour le deuxième volet n’était pas définie avec précision dans le projet de loi. Quelle est, selon vous, la date du début de la période légale des 90 jours?
Me Quesnel : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. La date du début de la période légale de 90 jours est le moment où commence la première évaluation. Je pense donc que, selon le ministère, le délai de 90 jours commence à courir, pour ainsi dire, lorsque l’un des praticiens chargés d’évaluer l’admissibilité se penche sur la demande d’évaluation et en entreprend l’examen. Cette date n’est pas liée, par exemple, à la demande écrite d’aide médicale à mourir, mais est déterminée plutôt par le moment où le praticien entame le processus dans le but d’évaluer l’admissibilité.
La sénatrice Batters : Le projet de loi C-7 prévoit que le délai de 90 jours peut être raccourci. La loi prévoit-elle une période de réflexion minimale et, si non, pourquoi pas? N’oublions pas que ce deuxième volet vise les personnes qui ne sont pas dans une situation de « mort raisonnablement prévisible ».
Me Quesnel : Le projet de loi C-7 ne précise aucun délai dans les cas où la période de 90 jours serait raccourcie parce qu’il y a un risque de perte de capacité. Toutefois, le projet de loi exige expressément que les évaluations de l’admissibilité des deux praticiens aient quand même été effectuées.
La sénatrice Batters : Merci. J’ai plusieurs autres questions, alors je vais passer à autre chose.
L’énoncé concernant la Charte, qui mentionne les pays du Benelux qui autorisent l’aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale, dit que si cela ne se fait pas ici, c’est en partie parce qu’on s’inquiète du « nombre élevé de cas » de maladies mentales qui sont couvertes dans les pays en question. Le ministre a dit aujourd’hui que ces pays ont « un vaste éventail de maladies mentales » qui sont admissibles à l’aide médicale à mourir.
Pourriez-vous donc nous donner quelques exemples des cas les plus préoccupants où l’aide médicale à mourir a été accordée dans ces pays pour cause de maladie mentale?
Me Klineberg : Je vous remercie de la question. Permettez-moi de me rafraîchir la mémoire sur certains de ces cas. Cela fait longtemps, je crois, que nous nous sommes penchés sur ce sujet.
Je me souviens, entre autres, du cas d’une jeune femme qui, je crois, avait été agressée sexuellement par son psychiatre. Les effets de cette agression s’étant cumulés avec les autres problèmes dont elle souffrait, avec sa maladie mentale, elle a demandé et finalement obtenu l’AMM. C’est un des cas.
Malheureusement, sénatrice, je ne me souviens pas des autres cas. Nous pouvons certainement essayer de vous en faire part.
La sénatrice Batters : Ce serait formidable.
Me Klineberg : À moins que certains de mes collègues se souviennent d’autres exemples.
La sénatrice Batters : Ça va. J’ai une dernière question à poser pour ce tour.
Pour la deuxième voie, il faut qu’un des deux praticiens possède une « [...] expertise en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances de la personne. » Pourtant, il n’est pas nécessaire que ce praticien soit un spécialiste. Comment définit‑on l’« expertise » et qui veille à ce que cette exigence soit effectivement respectée?
Me Klineberg : Je vous remercie encore une fois de la question.
Lorsque le projet de loi a été déposé, on s’est beaucoup interrogé sur la signification du mot « expertise ». Le contexte législatif indique clairement, je crois, qu’il n’est pas prévu d’exiger un certificat de spécialisation, par exemple. Il n’est donc pas nécessaire que le praticien possédant cette expertise soit un spécialiste agréé de la condition en question, mais il doit avoir suffisamment d’expérience et de connaissances pour être en mesure de fournir ce...
La sénatrice Batters : Lorsque c’est suffisant.
Me Klineberg : D’accord. Je pense donc que cela dépendra du jugement professionnel des praticiens en question.
La sénatrice Batters : C’est donc leur opinion personnelle?
Me Klineberg : Eh bien, la plupart des aspects du régime d’exemption du Code criminel dépendent du soin et du jugement raisonnables et compétents des praticiens concernés, et il y a en fait une disposition qui a été insérée dans le Code criminel pendant l’étude du projet de loi C-14, qui, en plus de toutes les exigences particulières du Code criminel, exige également que l’aide médicale à mourir soit fournie avec les soins et l’habileté raisonnables et en conformité avec les normes provinciales de santé applicables, et cetera.
Le régime prévoit donc que les praticiens doivent faire preuve d’une compétence raisonnable à l’égard des questions qui relèvent de leur jugement.
La présidente : J’ai une question. Elle fait suite à celle que j’ai posée au ministre au sujet de l’analyse comparative entre les sexes, mais je ne sais pas vraiment si vous pouvez y répondre. Si ce n’est pas le cas, j’aimerais une réponse par écrit. Comment les données sont-elles recueillies pour l’analyse comparative entre les sexes? En général, pour toutes les analyses comparatives entre les sexes, comment procédez-vous pour recueillir les données?
Me Quesnel : Merci de la question, madame la présidente.
En général, du moins d’après notre expérience, lorsque nous préparons l’analyse comparative entre les sexes, nous nous appuyons sur les données qui sont alors disponibles. Nous nous servons donc des données qui existent, qui sont publiques ou accessibles au gouvernement, plutôt que de recueillir des données expressément aux fins de cette analyse.
La présidente : Merci. Comme vous le savez, l’ACS+ et le site du ministère de la Justice présentent les différents facteurs que vous analysez, soit l’âge, la culture, la langue, la culture, l’origine ethnique et la race, la religion, le handicap, le lieu de résidence, le revenu, l’orientation sexuelle et la scolarité. Il y a toute une série de facteurs. Comme vous pouvez l’imaginer d’après la question que j’ai posée au ministre, ce qui me préoccupe à ce stade-ci, c’est la collecte de données sur la race.
Je trouve vraiment troublant que toute la mention qui a été faite de la race n’était qu’une question de démographie et rien d’autre. Je me demande pourquoi étant donné que l’ACS+ est censée porter sur tous ces facteurs. Et surtout depuis juillet dernier, il n’y a aucune mention de la collecte de données sur la race. Pouvez-vous nous expliquer cela, s’il vous plaît?
Me Quesnel : Nous préparons l’analyse comparative entre les sexes en fonction des données qui sont alors disponibles sur l’aide médicale à mourir. Comme le ministre l’a mentionné, je crois, il est difficile d’obtenir des données désagrégées sur l’aide médicale à mourir à l’heure actuelle. C’est certainement un domaine dans lequel il faudrait améliorer la richesse des données, surtout à l’avenir. Néanmoins, l’analyse ACS+ a été préparée à partir de ce qui était le plus pertinent en ce qui concerne l’aide médicale à mourir à ce moment-là, et tous ces facteurs ne sont pas nécessairement ressortis des données, car nous avions des délais serrés pour faire notre analyse. Mais il est toujours possible de faire mieux.
La présidente : Ce qui m’inquiète, c’est que j’ai demandé précisément au ministre si cette ACS comprenait une analyse fondée sur la race. Il m’a dit que oui. Je le crois sur parole. Je me demande s’il en existe une ailleurs, et qu’elle n’a simplement pas été mentionnée dans le rapport. Y a-t-il autre chose que nous pourrions obtenir pour voir que cela a été analysé? Parce qu’ici, il n’y a rien. Il ne semble pas y avoir eu d’analyse.
Me Quesnel : Je vois que ma collègue Carole a levé la main. Peut-elle...
La présidente : Absolument.
Me Carole Morency, Directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada : Merci, madame la présidente. Je voudrais simplement insister sur l’engagement que le ministre a pris et les défis qu’il a mentionnés. Le ministère effectue l’analyse ACS+ conformément aux politiques établies par le Conseil du Trésor. Toutefois, comme ma collègue l’a souligné, le défi consiste à trouver les données qui appuient cette analyse plus détaillée, au fur et à mesure que des éléments sont élaborés pour le gouvernement.
Dans ce cas-ci, le fait que l’analyse ne fournit pas plus d’information montre que nous n’avons pas été en mesure de trouver des renseignements plus précis pour nous aider à l’approfondir.
Nous travaillons certainement avec nos collègues du ministère et de l’ensemble du gouvernement fédéral pour essayer de recueillir ces données, y compris Statistique Canada et nos responsables des politiques en matière d’ACS. Suivant ces politiques, que ce soient les renseignements que nos collègues de Santé Canada, par exemple, auraient pu obtenir grâce à leur surveillance, ou l’information disponible sur les forums FPT de façon plus générale, nous faisons de notre mieux pour essayer de réunir toutes ces données. Mais comme le ministre l’a dit, c’est un grand défi qu’il s’est engagé à essayer de relever plus concrètement à l’avenir.
La présidente : Maître Morency, j’entends bien ce que vous dites. Ce qui me préoccupe, c’est que le ministre a assuré qu’il y avait eu une analyse fondée sur la race. Évidemment, je comprends maintenant qu’elle a été quelque peu déficiente. J’espère que dans les prochains projets de loi, nous aurons l’analyse fondée sur la race qui convient parce qu’elle a fait défaut.
La sénatrice Martin : J’aimerais que nous puissions revoir ce projet de loi après un examen. Malheureusement, cet examen n’a pas eu lieu. Et la sénatrice Boniface a posé la question au ministre.
Simplement, lorsque le Comité de la justice de la Chambre des communes a interrogé le ministre au sujet de l’examen quinquennal, il a dit que ce serait l’occasion d’examiner les directives anticipées, les mineurs matures et la maladie mentale comme seul critère. Je demande aux fonctionnaires, alors que nous nous préparons en vue de l’examen qui doit avoir lieu le plus tôt possible, si cet examen permettra également d’inscrire dans la loi des mesures de sauvegarde supplémentaires pour s’assurer que les Canadiens vulnérables sont protégés au lieu que ce soit l’occasion d’élargir davantage le régime?
Je dis cela parce que, dans le cadre de l’étude préalable, nous avons entendu des témoins parler des lacunes qui existent et des mesures de sauvegarde qui s’imposent parce qu’après 2016, il s’agissait d’un nouveau régime, de sorte qu’il y a naturellement des lacunes et que nous devons renforcer plutôt qu’éliminer toutes les mesures de sauvegarde. Je veux donc obtenir ces assurances des fonctionnaires aujourd’hui.
Me Klineberg : Merci. Tout ce que nous, les fonctionnaires, pourrions dire à ce sujet, c’est que le projet de loi C-14 exige que tout le régime soit examiné, de même que l’état des soins palliatifs au Canada.
Les paramètres précis et la façon dont les examens se dérouleront seront des questions qui, comme le ministre l’a mentionné plus tôt, devront être négociées entre les deux Chambres et avec les parties pour ce qui est de toute clarification ou précision du mandat.
Cependant, nous pouvons certainement vous confirmer que, dans le projet de loi C-14, l’examen parlementaire était envisagé comme un examen de tout ce régime.
La sénatrice Boniface : Ma question s’adresse à quiconque souhaite y répondre.
Le contexte législatif du ministère de la Justice sur le projet de loi C-14, de 2016, déclarait que le critère de la prévisibilité raisonnable de la mort vise à exiger un lien temporel, mais flexible, entre l’ensemble de la situation médicale de la personne et son décès anticipé, dans un délai assez court.
Dans son discours à la Chambre des communes à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7, le ministre a déclaré :
Tel que promulgué par le Parlement en 2016, la mort naturelle devient raisonnablement prévisible lorsque l’espérance de vie est relativement courte [...]
Cela signifie que, compte tenu de toutes les circonstances, sa mort est prévue dans un délai relativement court.
Le projet de loi C-7 modifie-t-il le délai d’une mort naturelle raisonnablement prévisible, et pourquoi ou pourquoi pas?
Me Klineberg : Je vous remercie de la question. À notre avis, il n’est pas prévu de modifier la définition ou le sens de mort naturelle raisonnablement prévisible. Il y a un passage dans le contexte législatif du projet de loi C-7. C’est à la page 9 de ce contexte législatif, qui reprend en grande partie ce que vous avez mentionné, sénatrice, au sujet du contexte législatif original, à savoir que la mort naturelle raisonnablement prévisible ou MNRP exige un lien temporel, mais flexible, et qu’elle :
[...] n’est pas définie par un pronostic maximum ou minimum, mais nécessite un lien temporel avec la mort dans le sens où la personne approche de la fin de sa vie à court terme.
Nous sommes d’avis — et je crois que le ministre l’a confirmé à quelques reprises — que même si le rôle de ce critère est complètement changé dans le nouveau projet de loi, il ne s’agit plus d’un obstacle à l’accès, mais comme le dit le ministre, une porte d’entrée vers une voie différente de mesures de sauvegarde, et son sens doit être le même.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup de cette précision.
Le sénateur Harder : Je crois comprendre que la position du gouvernement sur l’exclusion de la maladie mentale n’a pas changé depuis la décision de la Cour suprême dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. G, qui met en garde contre un traitement non différencié de toutes les personnes atteintes de maladie mentale.
Pouvez-vous expliquer en quoi l’exclusion de la maladie mentale proposée dans ce projet de loi diffère de l’exclusion de la maladie mentale envisagée par la Cour suprême dans cette affaire?
Me Klineberg : Je vous remercie de la question. Malheureusement, sénateur, je ne suis pas en mesure de le faire. Les témoins qui comparaissent devant vous aujourd’hui sont des experts du droit pénal dans le contexte de ce projet de loi. Par conséquent, cela va au-delà de l’information que j’ai en tête pour la réunion d’aujourd’hui.
Cependant, nous avons préparé des documents à ce sujet et nous pouvons certainement les mettre à votre disposition.
Le sénateur Harder : Je vous serais reconnaissant de le faire.
J’ai une autre question, qui porte sur la collecte de données. Il n’est pas rare que, dans des projets de loi comme celui-ci, il soit question de modifications réglementaires ou de procédures réglementaires qui permettraient la collecte de données pertinentes pour l’examen de la question visée par le projet de loi.
Êtes-vous en train de dire que vous n’avez pas la capacité de recueillir les données que le projet de loi C-14 devait supposément permettre de recueillir pour éclairer le réexamen de cette question à l’avenir? Sinon, le gouvernement envisagerait-il un amendement qui ferait en sorte que ces données seraient recueillies au moyen d’un cadre réglementaire?
Me Klineberg : Encore une fois, je vous remercie de cette question. Je pense qu’il vaudrait mieux la poser à nos collègues du ministère de la Santé, qui, nous le savons, témoigneront devant vous demain. Le régime de surveillance relève de leur ministre depuis l’adoption du projet de loi C-14. Ce sont donc les fonctionnaires qui ont passé le plus de temps à s’occuper de la réglementation et du régime de surveillance, et il ne fait aucun doute qu’ils se demandent comment cela pourrait être changé une fois que le projet de loi C-7 sera adopté. Je pense qu’ils seront en mesure de vous donner une meilleure réponse que nous ne pouvons le faire aujourd’hui, malheureusement.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je ne sais pas qui peut répondre à mes questions, qui font suite à la question du sénateur Carignan, touchant particulièrement les maladies dégénératives, l’alzheimer et la démence. Au Québec, les gens qui souffrent de démence peuvent actuellement être admissibles à l’aide médicale à mourir. Ce matin, il y avait un article dans La Presse écrit par Mme Véronique Lauzon; elle constate que chaque heure, elle reçoit des dizaines de témoignages de ses lecteurs qui disent que cela n’a aucun sens que ceux qui souffrent de maladie dégénérative irréversible ne peuvent pas avoir le droit à l’aide médicale à mourir par procuration. J’essaie de comprendre pourquoi dans un cas comme la démence, ces gens seraient admis simplement à l’aide médicale à mourir alors que ceux qui souffrent d’alzheimer ne le seraient pas. C’est pourtant deux maladies irréversibles sur le plan de la maladie mentale, mais c’est aussi une maladie qui atteint physiquement le corps. Pourquoi, comme le sénateur Carignan le disait, il n’y aurait pas dans ce projet de loi un amendement qui viendrait faire des exceptions par rapport à ces deux maladies, afin qu’elles soient reconnues non seulement comme une maladie dégénérative sur le plan psychologique ou psychiatrique, mais aussi physiquement?
Me Klineberg : Merci pour la question. Je pense qu’il faut être clair sur la situation d’admissibilité en vertu de la loi actuelle et du projet de loi C-7, puis la question de pouvoir obtenir l’aide médicale à mourir en fonction d’une demande qui a été faite il y a très longtemps. En vertu de la loi actuelle et des amendements dans le projet de loi, il n’y a pas d’exclusions pour les affections neurodégénératives. Le document du contexte tente de clarifier que « maladie mentale » ne comprend pas les maladies neurodégénératives. Donc ce n’est pas l’intention qu’elles soient exclues par l’exclusion pour les maladies mentales. Elles ne sont exclues ni par d’autres dispositions dans la loi ni le projet de loi. Donc, les personnes sont admissibles si elles souffrent d’alzheimer, par exemple, si elles répondent à tous les critères d’admissibilité et si toutes les mesures de sauvegarde sont satisfaites. Si je comprends bien, « par procuration » veut dire qu’il y a quelqu’un d’autre qui donne le consentement pour la personne qui désire l’aide médicale à mourir, et c’est quelque chose qui est à l’extérieur de la loi actuelle et à l’extérieur du projet de loi C-7.
Fournir l’aide médicale à mourir à quelqu’un qui ne peut pas consentir, mais qui a écrit un document il y a très longtemps, basé sur un diagnostic, mais pas sur les souffrances intolérables parce qu’elles ne sont pas présentes à ce moment est une question vraiment différente de l’amendement pour les cas comme Audrey Parker, par exemple. Cela prend beaucoup plus de discussions par rapport à ce que devraient être les mesures de sauvegarde parce qu’il faut des mesures dans la période de temps où la personne écrit sa demande, en plus des autres mesures de sauvegarde dans la période de temps où l’aide médicale à mourir serait fournie à cette personne. Donc, c’est une situation beaucoup plus compliquée que celle abordée par le projet de loi, et comme le ministre l’a mentionné à plusieurs reprises...
Le sénateur Boisvenu : Je comprends, le ministre nous a dit ce matin que par procuration, c’était non.
Cependant, est-ce que les gens qui souffrent de démence, qui sont actuellement admissibles au Québec à la loi québécoise sur l’aide médicale à mourir, est-ce que les gens qui souffrent de démence, avec le projet de loi C-7, ne seront plus admissibles à l’aide médicale à mourir?
Me Klineberg : D’après l’intention par rapport à l’exclusion pour la maladie mentale, ils ne sont pas exclus. Si la démence est liée à une condition neurodégénérative, ce n’est pas prévu par l’exclusion pour les maladies mentales.
Le sénateur Boisvenu : Donc, pour le Québec, c’est un recul?
Me Klineberg : Non, ces personnes seront toujours admissibles.
Le sénateur Boisvenu : En matière de diagnostic de démence ou de la maladie d’Alzheimer, la ligne est très mince. Souvent, on va confondre l’une et l’autre. Alors, pourquoi ne pas inclure les deux dans la même inclusion plutôt que d’exclure l’alzheimer et d’inclure la démence? J’essaie de comprendre la logique.
Me Klineberg : Je ne suis peut-être pas bien placée pour vous répondre parce que j’ai un manque de compréhension médicale, mais de ce que je comprends, c’est seulement les maladies mentales traitées par des psychiatres qui seront exclues. La démence est associée à une condition neurodégénérative, donc une condition physique qui affecte le cerveau, ce n’est pas exclu. S’ils font leur demande volontaire, ils peuvent donner le consentement. Ils ne sont pas exclus en vertu du projet de loi C-7.
Le sénateur Boisvenu : Ce n’est vraiment pas clair. Merci.
La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse aux représentants du ministère de la Justice, je vais leur laisser choisir qui répondra.
Dans les mesures de sauvegarde, pour les personnes dont la mort n’est pas prévisible, par opposition aux mesures de sauvegarde qui sont allégées pour les personnes dont la mort est prévisible, plus particulièrement dans le paragraphe 3.1 du projet de loi C-7, tout ce qui est à partir de l’alinéa e) jusqu’à h), qu’est-ce qui s’applique? On essaie de comprendre. Vous avez eu à travailler avec la décision Truchon, alors qu’est-ce qui s’applique pour une personne du Québec aujourd’hui et dont la mort n’est pas prévisible et entre ce qu’elle a obtenu en vertu de Truchon par rapport à ce qui est prévu dans le projet de loi C-7, et en quoi cela est différent de ceux dont la mort est prévisible dans le projet de loi C-7? D’abord, la décision Truchon par rapport au projet de loi C-7 pour la mort non prévisible.
Me Klineberg : Je m’excuse, je n’ai pas compris la question, j’ai entendu tout ce que vous avez dit, mais pas la question.
La sénatrice Dupuis : Je suis une personne au Québec, ma mort n’est pas prévisible. Je corresponds à tous les critères du Code criminel pour pouvoir demander l’aide médicale à mourir sauf que ma mort n’est pas prévisible. En principe, la décision Truchon a des conséquences sur ma situation au Québec. Quelle est la différence entre cette conséquence et celle introduite par les mesures de sauvegarde prévues dans le projet de loi C-7 pour quelqu’un dont la mort n’est pas prévisible?
Me Klineberg : Si je comprends bien la question, l’arrêt Truchon a eu pour effet de rendre le critère d’admissibilité de mort naturelle raisonnablement prévisible inconstitutionnel, mais ce n’était pas une question devant le tribunal de décrire ce que seraient les mesures de sauvegarde, même si Mme la juge a mentionné qu’elle ne pensait pas qu’on avait besoin de créer de nouvelles mesures de sauvegarde, c’est au Parlement de créer de nouvelles mesures de sauvegarde.
La sénatrice Dupuis : Excusez-moi de vous interrompre. Si je comprends votre réponse, avec la décision Truchon, la décision était claire, à savoir que même si votre mort n’était pas prévisible, vous aviez la possibilité d’avoir recours à l’aide médicale à mourir. On avait enlevé l’exigence de fin de vie ou de mort prévisible. Maintenant, avec le projet de loi C-7, la même personne dont la mort n’est pas prévisible, mais qui répond à tous les critères : ses souffrances sont irrémédiables, son déclin est irréversible, quelle est la différence entre ce que vous appelez des sauvegardes — qui sont dans le fond des obstacles à obtenir l’aide médicale à mourir — par rapport à si la mort était prévisible?
Me Klineberg : Ah, je comprends maintenant, merci.
La différence est que dans le cas des personnes pour lesquelles la mort est raisonnablement prévisible, la souffrance est principalement liée au fait que la personne est en train de mourir. Les mesures de sauvegarde sont créées pour faire face aux risques parce qu’il y a des risques inhérents à l’aide médicale à mourir dans tous les cas, et on va les réduire dans le projet de loi. Lorsqu’on parle des personnes qui vont survivre pendant une période, ça peut être durant des années, 10 ans ou 20 ans, les risques sont différents; il y a un risque d’erreur dans le diagnostic ou qu’on omette de trouver une alternative qui pourrait réduire la souffrance de cette personne. Les risques associés à l’aide médicale à mourir dans le contexte d’une personne qui n’est pas proche de la mort sont différents et plus élevés et à cause de cela, les mesures de sauvegarde proposées par le projet de loi C-7 sont là pour que les praticiens prennent leur temps et utilisent leur expertise pour s’assurer que toutes les dimensions de la demande ont été examinées et qu’on a cherché toutes les autres options pour les offrir au patient. Donc, c’est vraiment pour confirmer la décision de la personne de choisir l’aide médicale à mourir.
La sénatrice Dupuis : Merci. Tout à l’heure, vous avez parlé de la faible quantité de données utilisées pour réaliser l’analyse comparative entre les sexes plus. Je trouvais la réponse un peu inquiétante, dans le sens où, dans le fond, l’analyse de compatibilité avec la Charte, c’est la justice qui en a la responsabilité.
Si je comprends bien la réponse qu’on a reçue, c’est que comme vous estimez que les données ne sont pas bonnes, vous ne pouvez pas faire mieux que ce que vous faites. Quand est-ce que Justice Canada va exprimer clairement à quiconque fait des statistiques au Canada, que ce soit Statistique Canada, le ministère de la Santé, ou peu importe, que pour réaliser une véritable étude, une véritable analyse et voir dans quelles mesures il y a des communautés ou des groupes sociaux qui sont plus affectés par les mesures législatives, vous avez besoin de ces données-là? C’est à Justice Canada que revient la responsabilité de délimiter quelles sont les données dont vous avez besoin.
Vous comprenez que la Charte a été rédigée en 1982. Ça fait quelques décennies maintenant. Mais si Justice Canada ne finit jamais par énoncer quelles sont les données précises dont elle a besoin pour mener à bien ces analyses, on va toujours se faire répondre : on n’a pas les données qu’il faut, il faut les demander à Santé Canada.
Ça ne me semble pas convaincant comme réponse.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Merci. Je n’ai pas non plus de questions. Tout a été dit.
La sénatrice Batters : J’ai quelques autres questions à ce sujet. En ce qui concerne le rôle des témoins, lorsque la ministre Hajdu a témoigné dans le cadre de notre étude préalable — elle parlait du rôle des témoins —, elle a dit que le seul rôle d’un témoin dans le cadre d’une demande d’AMM est de confirmer l’identité de la personne qui signe et qui date la demande d’AMM. Ensuite, elle a dit que les témoins ne jouent aucun rôle pour ce qui est de déterminer si une personne est admissible à l’aide médicale à mourir ou si sa décision est volontaire et éclairée.
Compte tenu de ce qu’elle a décrit, est-ce exact? Le ministère de la Justice considère-t-il que c’est le seul rôle d’un témoin pour une demande d’AMM? Dans l’affirmative, pourquoi le gouvernement a-t-il rédigé les projets de loi C-14 et C-7 en ne prévoyant qu’un rôle minimal pour le témoin?
Me Klineberg : Je vous remercie de votre question, sénatrice. À notre avis, le rôle du témoin de la demande écrite est à la fois de confirmer que la personne qui signe la demande est bien la personne visée par la demande et de confirmer que cette personne comprend ce qu’elle signe et qu’elle signe volontairement.
La sénatrice Batters : Je pense que vous devriez dire à votre ministre de la Santé que cela en fait partie, car je pensais bien que c’était probablement le cas.
Autre question : peut-on dire que la nouvelle exigence pour la deuxième voie, quand la mort n’est pas raisonnablement prévisible, est que :
[...] la personne et les praticiens conviennent que les moyens raisonnables et disponibles pour soulager les souffrances de la personne ont été discutés avec cette dernière et ont été sérieusement envisagés avant que l’aide médicale à mourir ne soit fournie?
Est-il exact que c’est seulement pour la deuxième voie, quand la mort n’est pas raisonnablement prévisible, et que ce n’est pas nécessaire pour la première voie?
Me Klineberg : Je vous remercie de la question. C’est une question un peu subtile. Je dirais que, dans les deux cas, les deux praticiens doivent s’assurer que la personne donne son consentement éclairé à l’aide médicale à mourir. Cela s’applique aux deux voies.
Le consentement éclairé est un concept essentiel à la pratique de la médecine. De façon générale, il s’agit d’exiger que la personne ait manifestement la capacité de prendre des décisions et qu’elle soit informée de toutes les options qui pourraient être raisonnables compte tenu de sa situation, en plus de l’option qu’elle prévoit choisir.
Il y a déjà quelque chose pour s’assurer que la personne est au courant des solutions de rechange et qu’elle a la capacité de les comprendre qui fait partie du consentement éclairé dans les deux cas, mais dans le deuxième volet des mesures de sauvegarde...
La sénatrice Batters : Cela va plus loin, n’est-ce pas?
Me Klineberg : Nous avons dit qu’il s’agissait d’une clarification de l’exigence du consentement éclairé. Ce que le projet de loi C-7 fait, c’est qu’il traite explicitement de certaines questions plus en détail aux fins du Code criminel pour cette voie en raison de l’importance accrue qu’elles prennent dans ce contexte particulier.
La sénatrice Batters : C’est ma dernière question. Dans le projet de loi C-14, une partie de l’amendement adopté par le Sénat — je crois que c’est l’amendement du sénateur Plett qui n’a pas été accepté par le gouvernement — interdisait à une personne qui administre le suicide assisté d’être bénéficiaire de la succession de cette personne. Le gouvernement n’a pas accepté cet amendement et cela ne fait pas partie du projet de loi C-14. Je me demande si vous pourriez me dire combien de cas d’aide au suicide se sont produits dans le cadre de ce scénario au cours des quatre dernières années au Canada? Le gouvernement tient-il un registre de ces statistiques sur les personnes qui administrent l’aide au suicide — ce genre de choses — afin de savoir si cet amendement, qui n’a pas été accepté par le gouvernement, serait vraiment utile pour assurer une protection adéquate aux personnes vulnérables?
Me Klineberg : Je vous remercie de la question. Je ne suis pas sûre de pouvoir vous répondre. Je ne sais pas si cette information est recueillie dans le cadre des règlements de surveillance actuels, et c’est certainement une question à laquelle nos collègues de Santé Canada pourront répondre pour vous demain. Pour ce qui est du nombre de cas où cela s’est produit, malheureusement, je ne peux pas vous fournir ce renseignement aujourd’hui.
La sénatrice Batters : Êtes-vous d’accord toutefois pour dire qu’il serait utile de savoir si cela commence à devenir un problème et si des bénéficiaires de succession s’occupent du suicide assisté de personnes vulnérables?
Me Klineberg : J’imagine qu’une telle situation doit être assez rare, mais je ne fais qu’émettre une hypothèse.
La sénatrice Batters : Je l’espère, mais nous avons besoin de ces données. Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aurais une question de précision pour les intervenants qui ont répondu à la question de la sénatrice Dupuis.
Vous avez fait la différence entre les personnes en fin de vie dont la mort est prévisible et celles dont la mort n’est pas prévisible, en parlant de la souffrance. Vous avez dit, je vous cite : « Pour ce qui est de la souffrance, la personne qui est en train de mourir, c’est une souffrance. »
Donc, si je comprends bien, et je veux être certaine de bien comprendre parce que, évidemment, je précise que nous sommes tous contre les souffrances intolérables et qu’il faut les diminuer et les éliminer, mais dans ce cas-ci, vous dites que le seul fait d’être proche de la mort est une souffrance, souffrance qui n’a pas besoin d’être persistante et intolérable, mais qui est une souffrance en soi, qui remplit le critère du Code criminel pour accorder l’aide médicale à mourir.
Me Klineberg : Merci. Si c’est ce que j’ai dit, je me suis mal exprimée. Je n’avais pas l’intention de dire que le seul fait d’approcher de la mort crée de la souffrance. Ce que je voulais plutôt dire c’est que dans le cas où la mort naturelle est raisonnablement prévisible, les souffrances des personnes qui cherchent à recevoir l’aide médicale à mourir sont probablement plutôt liées aux conditions de leur processus de mort. Donc, c’est la manière dont leur condition cause leur mort qui cause leurs souffrances, la douleur, sentir qu’on a plus la dignité des choses.
Ils cherchent donc à recevoir l’aide médicale à mourir afin d’avoir un processus de mort paisible au lieu d’un processus de mort pénible.
C’est ce que j’avais l’intention de dire. Dans ce contexte, l’aide médicale à mourir est prévue comme une manière d’offrir une mort paisible. Par contre, dans les cas où la mort n’est pas prévisible à court terme, les facteurs qui créent la souffrance sont probablement plus liés aux conditions de vie de la personne. Les souffrances qui sont liées à la condition médicale sont jumelées avec la souffrance qui pourrait être causée par le manque d’emploi ou par des problèmes conjugaux, par exemple. Ce sont toutes des conditions de vie qui peuvent contribuer à la douleur totale de la personne. C’est pour cette raison que le projet de loi exige que les praticiens prennent plus de temps avec ces cas-là afin de bien explorer ce qui est à la base de la souffrance de la personne. Par exemple, s’il s’agit de questions psychosociales, on essaie d’y remédier d’autres manières.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de cette clarification.
La sénatrice Petitclerc : J’aimerais avoir une précision suivant la question de la sénatrice Dupuis qui mentionnait, avec raison, que la juge Baudouin, dans sa décision, ne prescrivait pas de mesures de sauvegarde spécifiques. J’aimerais vous entendre à ce sujet parce que manifestement c’est un choix de ce gouvernement d’y aller avec ces mesures de sauvegarde pour ajouter une certaine protection et suivant les consultations. Pouvez-vous expliquer le processus qui a mené à ces mesures de sauvegarde et le raisonnement qui se trouve derrière celui-ci?
Me Klineberg : Tout d’abord, il y a eu une lecture de la décision de Mme la juge dans l’affaire Truchon. Des consultations publiques, des tables rondes avec des experts et de nombreuses lectures, dont les rapports du Conseil des académies canadiennes, ont eu lieu. Pendant tout le processus, le ministre a affirmé qu’il vaudrait la peine de créer des mesures de sauvegarde spécifiques dans un contexte différent. Donc, le gouvernement a décidé que la proximité de la mort ne devrait plus être un obstacle à l’aide médicale à mourir. Les deux scénarios représentent des décisions différentes. Comme je viens de l’expliquer, le fait d’autoriser l’aide médicale à mourir afin de permettre à une personne de mourir paisiblement quand la mort est inévitable est une chose différente que de permettre à quelqu’un qui n’est pas près de la mort de déterminer si ses souffrances sont intolérables en raison des différences dans les situations et dans les réponses des praticiens. Dans un contexte plus large, certains médecins ont plus de préoccupations en ce qui concerne l’aide médicale à mourir. Certains groupes qui représentent les personnes handicapées et d’autres groupes dans la société ont des préoccupations différentes. C’est pourquoi le ministre a décidé de choisir les deux voies avec des mesures de sauvegarde différentes. Ce n’est pas le fait qu’elles sont plus strictes — ce ne sont pas des obstacles —, mais ces mesures apportent des précisions sur le processus que devraient suivre les praticiens qui tiennent compte de la demande d’une personne qui n’est pas en train de mourir afin de s’assurer qu’on cherche à trouver s’il y a autre chose qu’on peut offrir avant de choisir de mourir. Toutes ces mesures visent à offrir des options et des solutions de rechange à l’aide médicale à mourir. Tout cela demande du temps et nécessite une expertise pour évaluer la condition médicale et la souffrance d’autrui. Il faudra apporter des explications précises lors des discussions qui se tiendront.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente : Je rappelle aux sénateurs qui sont membres du comité d’informer le greffier s’ils n’ont pas de questions à poser. Si vous n’êtes pas membre du comité, faites-le savoir au greffier.
[Français]
Sénateurs, nous faisons les choses un peu différemment avec les panels. Les panels seront d’une durée de deux heures. Les témoins auront sept minutes et les sénateurs auront cinq minutes pour poser des questions.
[Traduction]
Mesdames et messieurs les sénateurs, vous disposez de cinq minutes pour poser vos questions.
Nous accueillons aujourd’hui notre ancien collègue, le sénateur Joyal, qui n’a pas besoin de plus de présentation.
[Français]
Bienvenue à l’honorable Serge Joyal, nous sommes heureux que vous soyez parmi nous aujourd’hui.
[Traduction]
Nous accueillons également Marie-Claude Landry, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne. Elle est accompagnée de Marcella Daye, conseillère principale en matière de politiques, et de Sheila Osborne-Brown, avocate générale et directrice des services juridiques par intérim.
[Français]
Nous avons aussi M. Patrick Taillon, professeur titulaire de la Faculté de droit de l’Université Laval. Il est un expert en droit constitutionnel qui a travaillé pendant des années sur l’aide médicale à mourir. Il est aussi membre régulier du Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ).
[Traduction]
Nous recevons également A. Wayne MacKay, professeur émérite de droit à la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie. M. MacKay est un enseignant et un universitaire reconnu à l’échelle nationale, de même qu’un auteur accompli dans les domaines du droit constitutionnel, de la Charte des droits, des droits de la personne, du droit de la protection des renseignements personnels et du droit de l’éducation.
Nous accueillons Colleen Sheppard, professeure de droit à la Faculté de droit de l’Université McGill. Elle a récemment terminé un mandat à titre de directrice du Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique de McGill. Nous recevons également Elizabeth Sheehy, professeure émérite de droit à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et chercheuse sur les questions d’inégalité et de droit pénal, ainsi que de violence familiale.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous entendrons plus tard M. Gerard Quinn, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées. M. Quinn a été nommé à ce poste par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à sa 45e session, en octobre 2020.
Honorables sénateurs, nous sommes prêts à commencer. Le sénateur Joyal a la parole. Je rappelle au sénateur Joyal et à tous les témoins qu’ils disposent de sept minutes.
Sénateur Joyal, vous avez la parole.
[Français]
L’honorable Serge Joyal, c.p., ancien sénateur, à titre personnel : Je voudrais remercier les honorables sénateurs, bien sûr, de m’avoir permis de m’adresser à vous aujourd’hui pour une raison très simple. C’est qu’à la lecture du projet de loi C-7, puisque comme vous le savez, j’avais un intérêt particulier pour le projet de loi C-14, le prédécesseur de ce projet de loi, qui évidemment donnait suite à la décision Carter de la Cour suprême du Canada de 2015, la décision avait établi le droit d’accès à l’aide médicale à mourir sous quatre conditions précises.
Vous vous souviendrez que le projet de loi C-14 imposait ou ajoutait une condition qui était celle de la mort raisonnablement prévisible et j’avais argumenté devant le Sénat, ainsi que d’autres sénateurs qui sont membres de ce comité toujours, que ce critère n’était pas inclus dans la décision de Carter de la Cour Suprême et qu’en conséquence, ce critère était discriminatoire et contraire aux articles 7 et 15 de la Charte.
Vous vous souviendrez que le Sénat avait amendé le projet de loi original à majorité, et la Chambre des communes a ensuite refusé cet amendement. J’avais également proposé pour tenter de dénouer l’impasse que le gouvernement fasse une référence à la Cour suprême sur ce critère particulier, de manière à éviter que les personnes qui étaient visées par ce critère aient à contester le projet de loi C-14.
Il y a eu la décision Truchon que tout le monde autour de la table connaît bien; cette décision a conclu effectivement que le critère de « mort raisonnablement prévisible » était contraire à la Charte. Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec un autre projet de loi, soit le projet de loi C-7, qui donne effet à la décision Truchon et qui ajoute certains éléments à la procédure d’accès à l’AMM, mais ce projet de loi comporte une disposition qui, à mon avis, stigmatise et discrimine, à l’égard des personnes souffrant de maladie mentale, au paragraphe 2.1 que vous connaissez évidemment très bien et je cite :
Pour l’application de l’alinéa (2)a), la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap.
Il est clair que cet article sera contesté immédiatement le lendemain de l’adoption du projet de loi, comme le projet de loi C-14 l’a été par Mme Julia Lamb, de la Colombie-Britannique, et par M. Truchon et Mme Gladu. Et la raison pour laquelle cet article est inconstitutionnel, à mon avis, c’est qu’il enlève d’abord un droit que les personnes souffrant de maladie mentale avaient sous le projet de loi C-14, c’est-à-dire le droit d’avoir accès à l’aide médicale à mourir, comme tous les autres malades. Dans la décision Carter, la Cour suprême n’a jamais exclu explicitement les personnes souffrant de maladie mentale, pas plus qu’elle n’a exclu d’autres catégories de malades.
La Cour suprême a établi quatre critères, selon lesquels il s’agit d’une maladie grave et irrémédiable. Ce sont les deux qualificatifs de la maladie. La raison pour laquelle la décision Carter doit recevoir sa pleine application, c’est qu’une décision a été rendue par la Cour d’appel de l’Alberta, en 2016, donc il y a quatre ans. C’est une décision très importante parce que le procureur général du Canada et le procureur général de la Colombie-Britannique ont fait appel devant la Cour d’appel de l’Alberta pour refuser l’AMM à une personne qui souffrait de maladie mentale, soit une personne identifiée par les lettres E. et F. À la demande de procureur général du Canada de refuser l’accès à l’AMM à une personne souffrant de maladie mentale, connue sous les initiales E. et F., la Cour d’appel de l’Alberta a conclu ce qui suit :
[Traduction]
Les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique ne sont pas explicitement ou implicitement exclues de l’aide médicale à mourir si elles respectent les critères.
[Français]
Une décision de l’un des plus hauts tribunaux d’une province, soit la Cour d’appel de l’Alberta, qui a rejeté les arguments du procureur général du Canada en 2016 à savoir que les personnes souffrant de maladie mentale ne devaient pas avoir accès à l’aide médicale à mourir et le procureur général du Canada n’a pas fait appel de cette décision à la Cour suprême. Or, vous avez entendu devant vous au cours du mois de novembre différents témoins experts qui vous ont très bien expliqué que les personnes souffrant de maladie mentale avaient toujours le droit à l’autonomie de la personne, c’est-à-dire que ce droit à l’autonomie de décider de sa santé et de quelle manière sa santé sera protégée, ce droit est reconnu par les représentants des associations psychiatriques, que ce soit l’Association des médecins psychiatres du Québec, dans son rapport de novembre 2020, ou que ce soit l’Association des psychiatres du Canada qui reconnaissent très clairement que les personnes souffrant de maladie mentale ont la capacité de décider pour elles-mêmes, si elles peuvent avoir accès, si elles désirent avoir accès à l’aide médicale à mourir.
Donc, le projet de loi C-7 enlève un droit qui a été exercé sous C-14, sous la loi que nous avions adoptée antérieurement, et sans donner aucune raison particulière. Le seul argument général qui est invoqué par le projet de loi, c’est qu’il y a des risques et que la question est complexe.
Or, la jurisprudence est extrêmement claire : si l’on veut nier le droit d’accès à une personne à l’AMM ou l’exercice de tout autre droit de la Charte, il faut démontrer que la limite est justifiable dans une société libre et démocratique. Or, il n’y a rien dans le projet de loi qui démontre que le gouvernement a fait cet exercice et peut arriver à démontrer ou arriverait à démontrer devant un tribunal qu’il est justifié de retirer le droit d’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de maladie mentale.
L’autre élément que j’aimerais porter à votre attention, honorables sénateurs, c’est un jugement de la Cour suprême de novembre dernier, dans une cause intitulée Ontario (Procureur général) c. G, cette décision de la Cour suprême est très importante, parce qu’elle définit les droits des personnes souffrant de maladie mentale, eu égard à l’article 15 de la Charte. Que dit la Cour suprême dans cette décision dont je vous parle? Elle est d’une importance capitale. La Cour suprême dit deux choses. D’abord, selon l’article 15, les personnes souffrant de maladie mentale ont droit à une égalité réelle, pas à une égalité, si vous voulez, générale, mais une égalité réelle.
Deuxièmement, un projet de loi issu de quelque gouvernement que ce soit ne peut pas perpétuer la stigmatisation des personnes souffrant de maladie mentale. Or, qu’est-ce que fait le projet de loi C-7? Il nie un droit d’accès sans avoir démontré qu’il y a nécessité de les exclure pour les protéger, puisque la science reconnaît qu’elle conserve ce droit de décider et cette capacité de décider pour elle-même, et deuxièmement que le projet de loi C-7 perpétue la stigmatisation à l’égard des personnes souffrant de maladie mentale.
La Cour suprême a très clairement conclu que pour les cas de personnes souffrant de maladie mentale, il faut évaluer au cas par cas, selon les circonstances particulières, leurs conditions de façon à ce qu’il y ait une atteinte minimale à leurs droits.
C’est le critère fondamental pour limiter les droits d’accès à l’aide médicale à mourir à une personne souffrant de maladie mentale. J’aurai, madame la présidente, l’occasion de préciser certains aspects lors de la période des questions. Je vous remercie de m’avoir accordé ce temps.
[Traduction]
La présidente : Notre prochain témoin est Marie-Claude Landry, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne.
[Français]
Marie-Claude Landry, présidente, Commission canadienne des droits de la personne : Honorables sénatrices et sénateurs, mesdames et messieurs, bonjour.
Je vous remercie d’avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à participer aujourd’hui à la discussion qui porte sur le projet de loi C-7. Permettez-moi de vous présenter les collègues qui m’accompagnent.
Mme Sheila Osborne-Brown, avocate générale et directrice des services juridiques par intérim, ainsi que Mme Marcella Daye, conseillère principale en matière de politiques. Avant de commencer, je tiens à souligner que l’endroit d’où je vous parle fait partie du territoire traditionnel et non cédé du peuple abénaquis et de la confédération Wabanaki. Puisque nous nous trouvons tous et toutes dans des endroits différents, je tiens à reconnaître tous les territoires traditionnels qui sont représentés ici. À titre d’institution nationale des droits de la personne au Canada et en tant qu’organisme désigné pour surveiller la mise en œuvre par le gouvernement du Canada de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations unies, nous sommes ici aujourd’hui pour vous offrir notre expertise en matière de droits de la personne, alors que vous examinez ce projet de loi.
Nous avons plus précisément trois points principaux à partager avec vous, avec pour objectif ultime d’améliorer le projet de loi et de promouvoir l’égalité réelle au Canada.
Premièrement, nous craignons, surtout en l’absence d’une exigence de fin de vie, que les personnes handicapées, qui n’ont trop souvent pas accès aux services de soins médicaux et aux services communautaires de soutien adéquats, choisissent plus souvent l’aide médicale à mourir simplement parce que c’est plus facilement accessible. Le cas échéant, il ne s’agit pas ici d’un choix véritable.
Il est possible que cette situation se produise au Canada plus souvent qu’on le soupçonne. Cela pourrait contribuer à aggraver davantage la stigmatisation, le « capacitisme » et les inégalités systémiques qui touchent déjà les personnes handicapées. Le Canada doit garantir que la décision de demander et de recevoir l’aide médicale à mourir découle d’un choix à la fois véritable et réellement volontaire. L’accès à l’aide médicale à mourir ne doit pas résulter de l’existence d’une inégalité systémique qui touche beaucoup trop de personnes handicapées au Canada ni être un choix par défaut pour un État qui ne remplit pas ses obligations en matière de droits de l’homme en vertu de la CDPH, de la Charte canadienne des droits et libertés ou des codes des droits de la personne.
Ces préoccupations ont également été soulevées par des experts des Nations unies et par les titulaires des droits eux‑mêmes, et par des organisations qui défendent leurs intérêts. Ces mises en garde doivent être entendues et le projet de loi C-7 doit y répondre.
Ce qui m’amène à mon deuxième point : ce projet de loi doit garantir qu’un système adéquat sera mis en place pour assurer qu’il sera possible de mieux comprendre qui sont les personnes qui choisissent l’aide médicale à mourir, et pourquoi elles le font. Ce système de surveillance et de rapport doit être fondé sur une approche des droits de la personne. Cela signifie qu’il doit être élaboré avec l’apport significatif de diverses personnes handicapées. Il doit recueillir à la fois des données quantitatives et qualitatives, et accorder expressément une grande importance à l’expérience vécue. Il doit révéler les facteurs socioéconomiques et culturels complexes, par exemple les déterminants sociaux de la santé qui amènent les personnes à demander l’aide médicale à mourir et les membres du corps médical à la prodiguer. Il doit faire la collecte de données désagrégées pour mettre en lumière les effets uniques qu’elle peut avoir sur les groupes particuliers qui vivent des inégalités intersectionnelles.
Le système doit également utiliser ces données pour évaluer de quelle façon la mise en pratique de l’aide médicale à mourir peut porter atteinte aux droits en vertu de la CDPH, de la Charte et des législations relatives aux droits de la personne au Canada, et comment ces données se situent par rapport aux déterminants sociaux de la santé.
Troisièmement, nous exhortons ce comité, alors qu’il examinera le projet de loi, à prendre le temps de placer au premier plan les personnes handicapées, et tout particulièrement celles qui subissent de la discrimination multiple et intersectionnelle. Cela devrait comprendre les femmes, les Autochtones, les personnes détenues, les personnes LGBTQ2AI et les personnes racisées qui sont handicapées, et de manière importante les personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté. Il est indispensable d’assurer une participation significative pour que le Canada puisse s’acquitter de son obligation de promouvoir, de protéger et de réaliser les droits de la personne, y compris ceux de la Convention des droits des personnes handicapées. Merci.
Avant de répondre à vos questions, j’aimerais porter à votre attention notre rapport conjoint avec le Bureau de l’enquêteur correctionnel de 2019, intitulé Vieillir et mourir en prison : enquête sur les expériences vécues par les personnes âgées sous garde fédérale. Il contient des recommandations concernant la possibilité de mourir dans la dignité pour les personnes délinquantes âgées. Nous vous recommandons d’en tenir compte lors de votre étude. Merci beaucoup.
La présidente : Merci, madame Landry. Nous allons maintenant passer à notre prochain témoin, M. Patrick Taillon.
Patrick Taillon, professeur titulaire, Faculté de droit, Université Laval, à titre personnel : Merci pour cette invitation à m’exprimer sur un sujet aussi important et délicat. Mon point de vue sera celui d’un constitutionnaliste, donc celui de quelqu’un qui s’intéresse d’abord et avant tout aux questions de droits et libertés, de partage des compétences et surtout aux rapports entre le législateur et nos tribunaux.
Quelques constats et une recommandation. Premier constat, dans le dossier de l’aide médicale à mourir, il n’existe pas encore de recette magique susceptible d’éviter tout risque de contestation. La difficile conciliation entre, d’un côté, la liberté de choix — l’idée d’autonomie individuelle, selon laquelle une personne en mesure de consentir puisse faire les choix qui sont les siens — et de l’autre côté, le besoin de protection de la vie de personnes qui sont particulièrement vulnérables reflète le fait que, entre ces deux préoccupations, il n’y ait pas un équilibre ou une solution préétablie que l’on pourrait trouver avec certitude.
Cela a non seulement pour effet de générer des risques de contestation, mais aussi de générer des contestations sur plusieurs fronts, sur des fronts contradictoires. Du moment où la Cour suprême du Canada a renversé l’arrêt Rodriguez, elle a ouvert la porte à la création d’un accès à une aide médicale à mourir qui fait en sorte que, inévitablement, ceux qui n’y ont pas accès vont revendiquer le même droit. Et plus cet accès va s’élargir, plus les mesures de protection vont à la fois sembler de plus en plus nécessaires, et en même temps être de plus en plus difficiles à concevoir.
Deuxième constat : dans la mesure où on décriminalise l’aide médicale à mourir, il faut accepter que dans notre fédération le rôle du Parlement fédéral ait vocation à progressivement décliner. Les provinces sont compétentes en matière de santé, de droit privé, de déontologie professionnelle. Ce dossier n’est pas différent d’autres dossiers que le Canada a vécus dans son histoire : la longue saga de la prohibition, la question de l’avortement, la décriminalisation du cannabis. On pourrait multiplier les exemples dans lesquels, à mesure que l’on décriminalise une question moralement sensible, en contrepartie, l’espace législatif occupé par les provinces — mais aussi par le droit réglementaire comme celui des ordres professionnels dans le cas qui nous occupe — a vocation à s’agrandir.
Donc, il y a là évidemment la tentation, puisque c’est une question de droits et de libertés, de rechercher une solution uniforme. Or, une lecture attentive de la jurisprudence canadienne nous montre que l’équilibre des droits est un équilibre qui varie en fonction des contextes, en fonction du temps, des connaissances scientifiques, des méthodes professionnelles dans le domaine de la santé, de l’éthique, etc. C’est un équilibre qui peut varier aussi d’une province à l’autre.
Autre constat : seul un long dialogue, un jeu d’essais et d’erreurs si je peux m’exprimer ainsi, une solution et un correctif, entre les législateurs et nos tribunaux peut à long terme permettre d’établir cet équilibre des droits que l’on recherche. Malheureusement, l’arrêt Truchon, par moment, favorise ce dialogue, et à d’autres égards le rend plus difficile. Dans ce dialogue entre nos institutions, entre nos législateurs et nos tribunaux, chaque institution a son rôle; des codes de déontologie, aux décisions des tribunaux, en passant par les lois et règlements des provinces et du fédéral. Plus chaque institution est dans son rôle, plus nous aurons de chances d’atteindre cet équilibre.
Il faut être conscient, dans ce contexte, que le pouvoir judiciaire n’est pas un pouvoir comme les autres parce que, et la décision Rodriguez le montre, lorsque le pouvoir judiciaire se prononce trop vite — je ne sais pas où est l’erreur, mais entre les jugements Rodriguez et Carter il y a manifestement une des deux décisions qui n’était pas la bonne —, lorsque le pouvoir judiciaire énonce une norme, nécessairement, si cette norme n’est pas la bonne, si elle contient une erreur, si elle ne convient pas à la société canadienne, lorsque cette norme est énoncée par nos tribunaux elle est évidemment plus difficile à corriger. Parce que le juge est l’interprète d’une constitution, les normes qui vont se dégager de son interprétation seront des normes supralégislatives. Autrement dit, là où une majorité parlementaire peut venir en corriger une autre, lorsque les normes sont énoncées directement par les tribunaux, si c’est la bonne norme, tant mieux, elle est protégée par la garantie qu’offre la Constitution. Si un ajustement est nécessaire, c’est plus compliqué, parce qu’une révision constitutionnelle sur une question aussi délicate, ou une utilisation de l’article 33, est évidemment très peu probable. Donc, le pouvoir judiciaire doit rester, par nature, un contre-pouvoir, un contrôle, un dernier recours, et non un point de départ ou un créateur de la règle de droit.
Autre constat, l’exercice de la compétence législative du Parlement fédéral a pour vocation de créer une exemption de responsabilité criminelle, et non d’établir les moindres détails d’un régime de la manière dont l’aide médicale à mourir doit être pratiquée au Canada. Il s’agit de répondre à la question à savoir à partir de quels critères ou de quel seuil on doit condamner un médecin à un dossier criminel ou à une peine de prison, etc. Il est important de garder en tête cette idée que la compétence en est une de droit criminel. Parce que, évidemment, lorsqu’il y a lieu de justifier une norme, une mesure de protection devant le tribunal, si cette norme est issue du règlement d’un ordre professionnel qui s’accompagne de sanctions plutôt modestes et modérées, elle ne fera pas l’objet de la même analyse par les tribunaux que s’il s’agit d’une norme de droit criminel qui s’accompagne d’une forte volonté punitive ou répressive.
L’intervention fédérale ne doit pas étouffer ce que j’appelle le dialogue entre nos institutions, en imposant une norme uniforme trop détaillée, qui aurait pour effet d’étouffer la capacité des provinces d’établir des équilibres entre les droits, le libre choix et les mesures de protection. Il faut aussi que le Parlement fédéral évite, à mon avis, une solution trop détaillée qui amènerait les tribunaux à se prononcer trop vite sur des questions qui méritent un peu de temps, d’expérimentation, des jeux d’essais et erreurs...
[Traduction]
La présidente : Monsieur Taillon, pourriez-vous conclure, s’il vous plaît?
[Français]
M. Taillon : Je conclus.
Dans ce contexte, je formule une recommandation, en une minute. La loi fédérale aurait avantage à inclure ce qu’on appelle dans le jargon une législation conditionnelle, donc que l’aide médicale à mourir soit permise au Canada, qu’elle ne fasse pas l’objet de poursuite criminelle lorsqu’elle satisfait aux conditions minimales prévues par l’arrêt Carter et lorsqu’elle respecte les lois provinciales. Elle laisserait ensuite les provinces établir à leur manière différentes mesures de protection afin de permettre à certaines provinces de s’affranchir des contraintes qu’impose l’arrêt Truchon et à d’autres d’aller plus loin sur...
La présidente : Je vous remercie.
[Traduction]
A. Wayne MacKay, professeur émérite de droit à la Schulich School of Law, Université Dalhousie, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui sur cette importante question.
Même si l’utilisation de termes comme « euthanasie » ou « AMM » fait en sorte d’adoucir le sujet, la décision difficile qui doit être prise concerne la mort. C’est aussi la mort, assistée par l’intervention de l’État, qui soulève des préoccupations orwelliennes dans certains milieux. D’un côté, l’élargissement de l’aide médicale à mourir est célébré comme une victoire au chapitre de l’autonomie individuelle et de la dignité. De l’autre côté, les détracteurs de cet élargissement le qualifient de politique publique dangereuse et malavisée, qui a des conséquences tragiques pour les membres les plus vulnérables de notre société.
J’ai présenté un mémoire plus détaillé, qui vous sera remis sous peu, mais compte tenu de ce qui est disponible ici, je vais aborder deux questions, soit l’élargissement de l’aide médicale à mourir au-delà de la mort raisonnablement prévisible et la constitutionnalité de l’exclusion de la maladie mentale.
Le choix politique difficile devant lequel vous place le projet de loi C-7 est d’élargir l’aide médicale à mourir au-delà des cas où la mort naturelle est raisonnablement prévisible. Étant donné que nous avons une démocratie constitutionnelle dans laquelle les législateurs doivent agir selon les paramètres de la Constitution, il y a une question préliminaire à se poser, à savoir quelles limites la Charte des droits impose-t-elle à ce choix difficile?
Pour compliquer davantage les choses, ceux qui appuient le projet de loi C-7 disent que vous avez le mandat constitutionnel d’élargir l’aide médicale à mourir, tandis que ceux qui s’y opposent disent que cette démarche est inconstitutionnelle.
Les partisans soutiennent que l’arrêt Truchon et son interprétation de l’arrêt Carter exigent, sur le plan constitutionnel, l’élargissement de l’AMM au-delà de la situation de fin de vie. Dans l’arrêt Carter de 2015, la Cour suprême du Canada définit les critères généraux pour déterminer l’admissibilité à l’AMM comme un exercice valide d’autonomie. Dans la dernière phrase du paragraphe 127 de l’arrêt Carter, la cour semble laisser entendre que sa décision se veut une réponse aux parties qui sont devant elle plutôt qu’une déclaration plus large, et la mort de Mme Taylor, dont il est question dans cette décision, est raisonnablement prévisible.
Dans le projet de loi C-14, le Parlement a ajouté au critère d’admissibilité à l’aide médicale à mourir le critère de mort naturelle raisonnablement prévisible. L’arrêt Carter est muet à ce sujet.
Cette exigence supplémentaire a été contestée avec succès comme étant une violation des articles 7 et 15 de la Charte dans l’arrêt Truchon de 2019 de la Cour supérieure du Québec. Plutôt que d’en appeler de cette décision, le gouvernement fédéral a réagi en adoptant le projet de loi C-7, qui supprime cette exigence de mort raisonnablement prévisible. Si l’analyse de l’arrêt Truchon est juste, cette révocation est constitutionnelle.
Bien que l’affaire Truchon soit la seule à traiter directement de cette question, la Cour d’appel de l’Alberta, dans l’arrêt unanime Canada c. E.F. a accordé l’aide médicale à mourir à une personne dont la mort n’était pas raisonnablement prévisible. Cela s’est produit avant l’adoption du projet de loi C-14 et de son exigence de mort prévisible. La Cour de l’Alberta a interprété l’arrêt Carter comme n’exigeant pas implicitement la mort prévisible.
Les opposants à l’élargissement de l’aide médicale à mourir, y compris l’élimination du critère de mort raisonnablement prévisible, soutiennent qu’il s’agit d’une violation de l’article 15 de la Charte et qu’il n’est donc pas légal. Cet argument repose sur les répercussions négatives diverses pour les groupes vulnérables, comme les personnes handicapées. L’argument fondamental est que de nombreux défis de la vie quotidienne privent de nombreuses personnes vulnérables du luxe de faire des choix vraiment autonomes.
Je comprends cette position, mais je ne suis pas certain qu’elle justifie une interdiction constitutionnelle. Je pense qu’il faut réfléchir davantage à cette question et obtenir l’avis des tribunaux. Je crois aussi fermement que tous les ordres de gouvernement doivent offrir du soutien pour qu’une vie sans douleur ni souffrance soit une option plus réaliste.
J’ai deux recommandations à faire au comité au sujet de la mort prévisible. Premièrement, le gouvernement fédéral devrait immédiatement soumettre à la Cour suprême du Canada la constitutionnalité de l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir aux cas où la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Bien que l’arrêt Truchon soit impressionnant, j’aimerais qu’on élargisse les fondements judiciaires d’une décision stratégique aussi importante. Ce renvoi devrait mettre l’accent sur les effets divers possibles de l’élargissement de l’aide médicale à mourir sur les groupes vulnérables dans le contexte des articles 7 et 15.
Ma deuxième recommandation est que le gouvernement fédéral s’engage officiellement à fournir des mesures de soutien financier et autre pour les soins à domicile, les soins palliatifs et le soutien général des personnes qui vivent avec la douleur et la souffrance, en mettant particulièrement l’accent sur les groupes vulnérables.
En ce qui a trait à mon deuxième point principal, l’exclusion de la maladie mentale, compte tenu des préoccupations que j’ai exprimées dans une section précédente de mon mémoire au sujet des répercussions négatives possibles sur les groupes vulnérables liées à l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux termes du projet de loi C-7, on pourrait s’attendre à ce que j’appuie cette exclusion. Cependant, je m’oppose à cette exclusion dans le projet de loi C-7 et je crois que cela contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte. Il s’agit non seulement d’une tentative d’exclusion absolue de l’aide médicale à mourir, mais cela supprime également un droit constitutionnel reconnu dans l’arrêt Carter, comme l’a souligné plus tôt l’ancien sénateur Joyal.
La Cour d’appel de l’Alberta insiste également sur ce point dans l’arrêt Canada c. E.F., aux termes duquel une personne atteinte d’une maladie mentale s’est vu accorder l’accès à l’aide médicale à mourir.
Il y a aussi des problèmes d’imprécision, car la maladie mentale n’est pas définie et la souffrance psychologique non plus. En plus d’entraîner des problèmes constitutionnels et des imprécisions, cela cause de véritables défis aux responsables cliniques de première ligne parce qu’ils doivent tracer la limite entre la souffrance psychologique et la maladie mentale pour déterminer s’ils ont commis un meurtre ou non.
Enfin, dans mes recommandations à ce sujet, je dis qu’étant donné qu’il s’agit d’une violation de la Constitution, le comité devrait recommander, premièrement, que cet article soit supprimé du projet de loi C-7 ou, deuxièmement, qu’il soit assorti d’une disposition de temporisation d’un an, ou encore que la question de la constitutionnalité de cette exclusion soit ajoutée au renvoi à la Cour suprême.
Merci beaucoup de votre temps.
La présidente : Merci, monsieur. Nous allons passer à M. Gerard Quinn, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées.
Gerard Quinn, rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées du Conseil des droits de l’homme des Nations unies : Je vous remercie de m’avoir fait l’honneur de m’inviter à m’adresser à votre comité aujourd’hui. Dans le temps dont je dispose, j’aimerais faire trois choses.
Tout d’abord, pour vous mettre un peu en contexte, je vais prendre un moment pour expliquer le rôle du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées.
Deuxièmement, j’aimerais me concentrer sur deux ou trois dispositions fondamentales de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui semblent particulièrement pertinentes dans le cadre du débat d’aujourd’hui.
Troisièmement, permettez-moi de commenter l’application de ces dispositions fondamentales au projet de loi C-7, selon la perception que j’en ai.
Tout d’abord, la fonction relativement nouvelle de rapporteur spécial des Nations unies a été créée dans la foulée de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées conclue en 2006. Le Canada a joué un rôle important dans la rédaction de ce traité et sa contribution mérite d’être soulignée.
La convention, comme toutes les conventions, s’applique à l’échelle internationale et engage la responsabilité de l’État canadien à ce niveau. Conscient de la nécessité de rapprocher ces conventions, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a mis sur pied un organisme de surveillance et, en parallèle, a ajouté une fonction de rapporteur spécial à partir de 2014. L’un des rôles importants du rapporteur spécial est d’informer la communauté internationale des tendances mondiales et d’interagir de façon constructive avec les gouvernements.
Madame la présidente, ce n’est certainement pas mon rôle de dicter les résultats. Gouverner, c’est choisir, et vous devez le faire. Il est toutefois de mon ressort d’encadrer le processus démocratique au moyen des obligations juridiques internationales auxquelles les États ont librement souscrit.
Le débat d’aujourd’hui n’est pas complètement nouveau pour moi. La précédente rapporteuse spéciale des Nations unies, Catalina Devandas, avait déjà commenté les modifications apportées en 2016 à votre Code criminel, lors de sa visite au pays en 2019, ainsi que dans son rapport de 2019 sur l’incidence du capacitisme dans la pratique médicale et scientifique. En fait, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies s’était déjà prononcé sur les modalités de l’aide médicale à mourir prévues dans votre loi de 2016. Je m’appuie donc sur cette analyse.
Deuxièmement, qu’y a-t-il dans la convention des Nations unies qui semble pertinent à l’égard de ce projet de loi? Cette convention a été jugée nécessaire en raison de l’invisibilité relative des personnes handicapées, une invisibilité qui a fait en sorte que les hypothèses et les préjugés capacistes ont dominé dans le discours public. L’un des principaux objectifs était donc de rendre les personnes handicapées visibles et de renverser les notions de capacitisme.
La plupart de ces hypothèses étaient implicites — et même non intentionnelles — et elles passaient presque toujours inaperçues, mais elles avaient toujours un effet d’exclusion. C’est ce qui a entraîné l’adoption de l’article 8 pour « combattre les stéréotypes et les préjugés », « promouvoir une perception positive » et « favoriser une attitude réceptive à l’égard des droits des personnes handicapées ».
L’article 5, qui porte sur l’égalité, est au cœur de la convention et éclaire tous les autres droits qui doivent être garantis également, y compris le droit à la vie.
Récemment, le Comité des Nations unies a souligné que sa compréhension de l’égalité, qu’on appelle « égalité inclusive », repose sur la reconnaissance de l’identité individuelle des personnes handicapées et de leur valeur inhérente en tant qu’êtres humains égaux. C’est ce concept d’identité individuelle et de pouvoir de la personne qui sert de lien entre l’article 8 contre le capacitisme et l’article 5 pour l’égalité.
Troisièmement, que signifient ces normes dans le contexte du projet de loi C-7? Madame la présidente, il est difficile de voir comment une proposition législative qui étend le droit à l’aide médicale à mourir aux personnes handicapées qui ne sont pas elles-mêmes proches de la mort pourrait envoyer un signal compatible avec l’article 8, soit l’obligation de combattre le capacitisme, combiné à l’article 5, soit l’obligation d’assurer une application uniforme de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Pourquoi en serait-il autrement? En vertu du projet de loi, l’accès à ce droit serait étendu à ceux qui ont des problèmes de santé graves et irrémédiables, y compris un handicap. On craint naturellement que la hiérarchie des choix pour les personnes handicapées soit déformée, compte tenu des désavantages accumulés. Cependant, même si les mesures de protection pouvaient être renforcées pour garantir un consentement véritable, le tort existe quand même du fait de la démonstration — indirecte, mais néanmoins efficace — que la vie des personnes handicapées a une moins grande valeur. La question n’est donc pas de savoir si les mesures de sauvegarde sont adéquates, mais elle concerne plutôt la subtilité du message envoyé, quelles que soient les mesures de sauvegarde en place.
Madame la présidente, vos intentions et vos paroles en tant que législateurs sont toujours deux choses différentes. Je suis sûr que personne au sein de votre comité ou de votre Parlement n’a l’intention de promouvoir le capacitisme et de dénigrer intentionnellement la vie de vos citoyens handicapés. Toutefois, l’élargissement du droit à l’aide médicale à mourir, tel qu’il est envisagé dans le projet de loi C-7, risque de renforcer le capacitisme dans la société. Écoutez attentivement les personnes les plus directement touchées. Leurs antennes sont très sensibles au capacitisme. Lorsqu’elles signalent des cas, vous devriez vous arrêter et réfléchir avant d’aller de l’avant. Lorsqu’une personne handicapée demande de mettre prématurément fin à sa vie, pourquoi ne pas utiliser la période suggérée de 90 jours pour lui offrir une option de service visant à alléger ses conditions de vie, plutôt que de simplement l’informer de ce qui est disponible, ce qui n’est peut-être pas suffisant.
Madame la présidente, je ne peux pas me prononcer au nom du Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies, mais d’après ses déclarations passées, je crois qu’il est juste de dire que le projet de loi C-7, dans sa forme actuelle, ne serait pas compatible avec la Convention des Nations unies relatives aux droits des personnes handicapées. À mon avis, il s’agit d’un risque qu’il est tout à fait possible d’éviter. Merci, madame la présidente.
La présidente : Merci. Malgré tous les obstacles, vous avez quand même travaillé fort et nous apprécions votre persévérance. Nous passons maintenant à Mme Sheehy.
Elizabeth Sheehy, professeure émérite de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, et merci de m’avoir invitée. Je suis professeure émérite à l’Université d’Ottawa, où j’ai enseigné le droit pénal et la procédure pendant 34 ans. J’ai effectué de nombreuses recherches et publié de nombreux articles sur les répercussions ciblées et discriminatoires du droit pénal sur les Canadiens privés de leurs droits. J’ai aussi un frère cadet, Matthew, qui a des déficiences développementales, ainsi que des déficiences physiques. J’ai une expérience de première main de situations où des professionnels de la santé nous ont exhortés, directement et indirectement, à envisager des ordonnances de non-réanimation lorsque Matthew avait besoin d’un traitement médical.
Je témoigne pour joindre ma voix à celle des groupes de défense des droits des personnes handicapées du Canada qui s’opposent clairement et sans équivoque au projet de loi C-7. Le projet de loi comporte des lacunes intolérables au chapitre du processus et du fond.
Pour ce qui est du processus, les partisans du projet de loi nous demandent d’admettre l’urgence d’offrir l’aide médicale à mourir aux personnes handicapées plutôt que d’attendre l’examen prévu qui devait avoir lieu à ce sujet en 2020. Cela aura pour effet que nous compterons les morts une fois le fait accompli.
On nous demande aussi de croire que le projet de loi C-7 est nécessaire du fait de la décision de la Cour supérieure du Québec qui a déclaré inconstitutionnelle l’exigence de la loi actuelle selon laquelle la mort doit être raisonnablement prévisible. Cela est tout à fait insensé. La décision Truchon est une décision de première instance qui ne lie même pas les tribunaux du Québec au-dessus de la Cour du Québec, et encore moins ceux du reste du pays. Il est presque sans précédent que le gouvernement fédéral ne défende pas sa propre loi au moyen du processus d’appel. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’une loi si récente, élaborée par suite de compromis et après un examen attentif de ses répercussions.
En revanche, le gouvernement s’est opposé activement à de nombreuses décisions de la Commission canadienne des droits de la personne et même de l’ONU concernant la discrimination contre les femmes et les enfants autochtones. Une décision a été rendue en janvier, il y a cinq ans, et notre gouvernement continue de dépenser des millions de dollars pour éviter de remédier à une discrimination délibérée et irresponsable à l’égard de 165 000 enfants autochtones.
Mon dernier point au sujet du processus consternant qui entoure ce projet de loi, c’est que le gouvernement n’a pas mené de consultations approfondies et respectueuses auprès des groupes qui sont clairement visés par celui-ci. Seule une poignée de groupes de personnes handicapées ont été consultés et ce, au même titre que tous les autres intervenants, et l’unité dont ont fait preuve tous les grands groupes de personnes handicapées du pays dans leur opposition au projet de loi C-7 est passée sous silence.
Le fond de ce projet de loi est encore plus inadmissible. En supprimant la seule garantie qui avait été promise pour protéger les personnes handicapées au moment de légiférer sur l’aide médicale à mourir, soit l’exigence de mort raisonnablement prévisible, le projet de loi fait de l’invalidité la cause immédiate du recours à l’aide médicale à mourir. Aucun autre groupe de Canadiens ne sera soutenu de cette façon dans son désir de mettre fin à ses jours en raison des souffrances qu’il endure. Cela équivaut à de la discrimination fondée sur les déficiences et est contraire à l’article 15 de notre Charte. Cela impose un lourd fardeau social du fait du message qui est envoyé selon lequel la vie des personnes handicapées ne vaut pas la peine d’être sauvée. Et cet effet discriminatoire est d’autant plus grand que, comme l’affirme la professeure Isabel Grant, « nous savons que les personnes atteintes de problèmes de santé invalidants et irréversibles sont majoritairement des femmes âgées, des Autochtones, ainsi que des personnes sans emploi, pauvres et socialement isolées ».
L’adoption par le gouvernement de ce projet de loi, sans égard à ses répercussions sur les personnes handicapées et les communautés racisées, soulève la question de savoir à qui il s’adresse. À cela, la militante pour les droits des personnes handicapées, Diane Coleman, fondatrice et présidente de l’organisation Not Dead Yet, répond qu’il est destiné aux personnes en bonne santé, mais inquiètes, bien nanties et blanches. Il y a sans doute des personnes handicapées qui ne correspondent pas à ce profil et qui appuient ce projet de loi, mais soyons clairs. La Cour suprême n’a pas statué sur le droit constitutionnel à l’aide médicale à mourir pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie. Ce projet de loi accorde la préséance aux demandes individuelles, au détriment des droits constitutionnels des personnes handicapées collectivement.
Le préambule du projet de loi stipule que le Canada est un État partie à la Convention relative aux droits des personnes handicapées et reconnaît ses obligations en vertu de celle-ci. Mais ce sont des affirmations cyniques et vides de sens. Le projet de loi bafoue nos obligations. La déclaration du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées est sans équivoque. La loi ne devrait en aucun cas prévoir qu’une personne atteinte d’une incapacité qui n’est pas en fin de vie puisse raisonnablement prendre la décision de mettre fin à ses jours avec l’appui de l’État.
Les prétendues mesures de sauvegarde contenues dans le projet de loi ne vont pas du tout dans ce sens. La disposition selon laquelle une personne choisit de mettre fin à ses jours n’a aucun sens lorsque ce choix est limité par des inégalités systémiques, comme la pauvreté, le racisme, l’itinérance et l’accès limité aux services. Même la Cour suprême a reconnu que le choix dans ce contexte n’élimine pas la discrimination. L’exigence voulant que la demande soit attestée par un témoin indépendant est amoindrie par le fait que le soignant rémunéré du patient est autorisé à agir comme témoin, même si nous savons qu’il y a souvent un déséquilibre de pouvoir dans de telles relations, ainsi qu’un risque élevé d’abus.
L’exigence voulant que la personne soit évaluée sur une période de 90 jours, afin de déterminer si des traitements ou des services pourraient alléger ses souffrances, est loin d’être adéquate. Étant donné que les listes d’attente pour consulter un spécialiste de la douleur chronique sont de deux ans dans certaines provinces, et qu’en Alberta, par exemple, l’attente peut aller jusqu’à un an pour que les personnes atteintes de lésions médullaires puissent seulement obtenir un fauteuil roulant, cette période de 90 jours est une farce cruelle. Pour quel autre groupe de personnes serions-nous prêts à accepter qu’une période de 90 jours seulement s’applique avant d’accéder à leur désir de mettre fin à leurs jours alors qu’elles ne sont pas en fin de vie?
Enfin, les exigences selon lesquelles la personne doit être informée des services et des mesures de soutien disponibles pour soulager ses souffrances, les praticiens qui évaluent la personne devant convenir que ces mesures ont été sérieusement prises en compte, sont vides de sens. Il n’y a aucune obligation correspondante pour l’État ou les évaluateurs de trouver et de fournir réellement les ressources nécessaires pour soulager les souffrances d’une personne.
D’un point de vue personnel, je peux seulement imaginer que la question de réanimer ou non mon frère Matthew deviendra encore plus insistante que ce que nous avons déjà connu dans ma famille.
Je vous exhorte à reconsidérer et à retirer ce projet de loi illégitime et à plutôt faire progresser le Canada vers un mandat d’inclusion sociale, économique et politique pour les personnes handicapées. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Sheehy.
Sénateurs, cela met fin aux témoignages de ce groupe. Nous avons six témoins. Mme Gladu devait venir, mais ce sera peut‑être à un autre moment. Honorables sénateurs, lorsque vous posez des questions, veuillez les adresser à la ou aux personnes dont vous voulez obtenir une réponse.
Nous allons commencer par la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à notre ancien collègue l’honorable sénateur Joyal. Dans vos remarques initiales, vous vous exprimez sur l’aspect de la maladie mentale dans le projet de loi C-7. J’aimerais beaucoup vous entendre sur le concept de vulnérabilité proposé quand on considère les personnes en situation de handicap, les droits individuels. Comme vous le savez, la juge Baudouin a été très claire dans sa décision et je cite :
La vulnérabilité ne doit pas être comprise ni évaluée en fonction de l’appartenance d’une personne à un groupe défini, mais au cas par cas […]
Comme vous le constatez, dans les débats en étude préalable, et même aujourd’hui, certains ont des craintes et disent qu’ils ont entendu dire que des personnes ont peur qu’avoir un handicap devienne une raison acceptable de suicide par l’État. Bref, pouvez-vous partager avec nous vos positions et vos réflexions sur cet aspect?
M. Joyal : Merci de la question, sénatrice Petitclerc. Je n’ai pas consacré autant de temps à cet aspect du projet de loi qu’à celle des personnes souffrant de maladie mentale. Comme l’a dit le professeur MacKay plus tôt, ma conclusion au sujet des personnes souffrant de maladie mentale vous propose deux choix : retirer le paragraphe 2.1 ou appuyer une référence à la Cour suprême, comme je l’avais proposé au Sénat, il y a quatre ans maintenant, lorsque la Chambre des communes a refusé d’exclure ou de suspendre le critère de mort naturelle raisonnablement prévisible. Il est certain que l’intérêt des personnes handicapées à l’égard du projet de loi tient au fait que le critère de mort naturelle raisonnablement prévisible disparaît, c’est-à-dire que la Cour supérieure du Québec dans le jugement Truchon a conclu que ce critère n’était pas constitutionnel. C’est également ma position. C’était ma position également à la lecture du projet de loi C-14.
Qu’en est-il maintenant du contexte plus général dans lequel nous nous retrouvons où ce critère n’existe plus? Nous revenons donc aux quatre critères originaux de l’arrêt Carter. Quels sont‑ils? Vous les connaissez bien. Une personne compétente qui souffre d’une maladie grave et irrémédiable qui peut exprimer un consentement libre et éclairé et également qui souffre d’une manière telle qu’elle ne peut plus endurer ses souffrances. Nous revenons donc aux critères de base de l’arrêt Carter. À moins qu’un Canadien ou une Canadienne décide de contester l’exclusion du caractère de mort naturelle raisonnablement prévisible et de redémarrer le processus judiciaire... À mon avis, ce serait inhumain d’imposer ce fardeau à un autre citoyen ou à une autre citoyenne canadienne.
Ce qui me semble très clair, dans le contexte actuel, c’est ce que la Cour suprême a dit dans le jugement Carter. Je voudrais citer ce que la Cour suprême a conclu au paragraphe 105 :
Après avoir étudié la preuve, [la juge] a conclu qu’un régime permissif comportant des garanties adéquatement conçues et appliquées pouvait protéger les personnes vulnérables contre les abus et les erreurs. Certes, il existe des risques, mais un système soigneusement conçu et géré peut les contrer adéquatement [...]
C’était le paragraphe 105 du jugement Carter. En d’autres mots, la Cour suprême était très sensible à la situation de la vulnérabilité de certains groupes de personnes. Comme vous le savez vous-même parfaitement; et vous en êtes une des porte‑parole, les personnes handicapées se sentent directement concernées par cette situation. Leur réaction est de se dire ceci : est-ce que je ne me découragerai pas? Je n’ai pas l’assistance nécessaire — comme la professeure Sheehy l’a mentionné tantôt —, je n’ai pas le soutien social requis, je n’ai pas l’appui médical requis et je perds intérêt à vivre.
Si je me souviens bien, vous-même aviez mentionné dans votre discours que dans les jours suivant votre accident, vous étiez dans telle souffrance que vous pensiez vous-même mettre fin à vos jours.
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au sénateur Joyal et au professeur Taillon. Bienvenue. C’est toujours un plaisir de vous voir. Ma question s’adresse à vous deux et elle traite du témoignage de ce matin de fonctionnaires qui nous ont dit que la définition de maladie mentale n’est pas claire, sauf que des documents de soutien peuvent indiquer que la personne atteinte d’alzheimer ou suivie par un psychiatre n’est pas couverte par la définition de maladie mentale et n’est donc pas exclue de l’AMM. Ils disent que souvent, les tribunaux vont utiliser ces documents pour arriver à la conclusion de l’intention du législateur. Évidemment, j’ai une crainte par rapport à cet aspect-là. Je voudrais vous entendre sur le bien fondé d’utiliser un document comme cela pour interpréter un article du Code criminel.
M. Joyal : Merci, sénateur, pour la question. Je vais y aller rapidement pour laisser la chance à notre collègue le professeur Taillon de répondre. Je crois que cette exclusion est beaucoup trop générale et qu’il subsiste même sur le plan de la psychiatrie un doute. Le document prétend que les maladies biodégénératives ne sont pas des maladies mentales. C’est ce que j’ai compris lorsqu’on vous a dit que l’alzheimer, par exemple, n’est pas une maladie mentale. C’est une perte mentale, mais qui est causée par une condition physique.
Or, vous avez entendu — j’ai lu les dépositions des témoins reçus au mois de novembre — qu’il y a des situations où des personnes peuvent souffrir d’une condition physique qui est telle que cette maladie physique, cette situation physique aura un impact sur leur condition mentale. Par conséquent, ces personnes ne seront plus en mesure de donner un consentement libre et éclairé.
Les deux genres sont mêlés dans la définition de maladie mentale. Nous sommes en droit criminel, honorables sénateurs, comme vous le savez. La caractéristique du droit criminel est d’être extrêmement précis et clair afin d’éviter qu’indirectement on ne touche ou on n’attrape le groupe de personnes qui ne sauraient même pas qu’elles sont visées par la loi. Il me semble que cette définition, si le projet de loi devait rester tel quel, devrait recevoir une précision beaucoup plus claire que ce que nous avons à l’heure actuelle. J’ai lu les documents d’accompagnement et ils ne suffisent certainement pas à répondre à votre crainte.
M. Taillon : Je peux ajouter qu’il n’est pas inusité qu’on utilise des documents autres que des lois ou règlements pour des fins d’interprétation, mais dans le domaine du droit criminel cela me semble moins naturel ou, en tout cas, moins fréquent, surtout sur la question de la santé mentale. Ce serait très étonnant que les tribunaux et les législateurs provinciaux et le législateur fédéral, qu’à terme le droit se cristallise autour d’une solution unique pour toutes les maladies liées à la santé mentale. Fort probablement qu’il faudra distinguer certaines maladies par rapport à d’autres.
Le sens de mon intervention à cet égard est d’attirer l’attention du législateur fédéral sur le fait que, du moment qu’il crée une interdiction, une mesure de protection pour les personnes qui sont affectées par une maladie mentale, il attire un débat sur cette exclusion, qui pourrait amener une décision des tribunaux assez catégorique qui empêcherait ensuite le législateur fédéral de venir concevoir des correctifs.
À l’inverse, si le législateur fait preuve de retenue et laisse les autres acteurs établir des solutions et des équilibres sur la question de la santé mentale, en cas de problèmes, il y aura encore cette cartouche, cette possibilité de venir adopter une mesure de protection, mais d’agir de façon trop proactive pourrait amener les tribunaux à venir se crisper sur cette question particulière qui nécessite probablement de grandes distinctions selon le type de maladie et les circonstances.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Ma question s’adresse à Mme Sheehy.
Dans un article d’opinion que vous avez publié en décembre, vous dites que cette loi :
[...] fait la promotion d’un stéréotype capacitiste selon lequel un handicap important est pire que la mort, ce qui dévalorise la vie des personnes handicapées en laissant entendre que la prévention du suicide pour ce groupe est moins importante que pour d’autres.
Votre article renvoie également à un document d’information du ministère de la Justice du Canada qui soulève essentiellement la même préoccupation.
Alors que de nombreux experts médicaux qui ont participé à notre étude préalable ont démontré que le désir de mourir chez les demandeurs de l’aide médicale à mourir diminue souvent avec le temps, certains ont tenté de prétendre que le concept de suicidalité est complètement distinct d’une demande d’aide médicale à mourir.
Madame Sheehy, pourriez-vous préciser votre affirmation selon laquelle le message que lance le gouvernement avec le projet de loi C-7 est que la prévention du suicide pour ce groupe est moins importante que pour d’autres?
Mme Sheehy : J’ai lu l’arrêt Truchon et j’ai eu de la difficulté à comprendre la distinction faite par le tribunal entre « suicide » et « mort assistée ». Bon nombre des critères utilisés par le tribunal pour établir la distinction entre ces deux façons de mettre fin à la vie d’une personne ne sont pas convaincants.
Je comprends que beaucoup de gens sont offensés par l’utilisation du terme « suicide assisté ». Toutefois, ce projet de loi se situe dans le contexte du Code criminel, selon lequel l’acte criminel d’aide au suicide est une forme d’homicide. Par conséquent, l’aide médicale à mourir et son élargissement proposé sont, en fait, considérés par le droit pénal comme des formes d’aide au suicide.
Je ne suis pas convaincue qu’il y ait une distinction claire entre l’aide au suicide et par opposition à l’aide médicale à mourir. Je pense qu’appeler aide à mourir, par opposition à suicide assisté, l’aide offerte en réponse à la souffrance de nombreuses personnes handicapées, cette souffrance étant en fait liée au désespoir de ces personnes et à leur incapacité de recevoir des soins à domicile, par exemple, comme il a déjà été mentionné, ou même de pouvoir payer pour soulager leur douleur, est vraiment une façon de cacher la réalité telle qu’elle est. Nous sommes prêts à sacrifier ces vies plutôt que d’insister pour leur fournir suffisamment de ressources pour que ces personnes puissent vivre dans la dignité, en sécurité et en santé.
La sénatrice Batters : Ma deuxième question s’adresse à M. Quinn, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées.
Monsieur Quinn, pourriez-vous nous en dire davantage sur les droits protégés par l’article 10 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées? En quoi la jouissance effective du droit à la vie sur la base de l’égalité avec les autres est-elle unique, et croyez-vous que le projet de loi C-7 contrevient à l’article 10?
M. Quinn : Merci beaucoup. Je pense que ce droit fondamental est prévu à l’article 5 sur le traitement égal, combiné à l’article 8, qui milite fortement contre le capacitisme et les stéréotypes. Il s’agit ensuite d’appliquer l’article 5 et l’article 8 à l’article 10. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui s’occupe du pacte des droits civils et politiques, permet un certain glissement dans le concept du droit à la vie [Difficultés techniques] et permet une certaine forme d’aide à mourir, mais nous insistons beaucoup sur des mesures de sauvegarde exceptionnelles. Dans le contexte des modifications apportées en 2016 à votre Code criminel, l’ancienne rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, ainsi que le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies, il s’agit uniquement de cette situation. Il n’est pas question de l’élargissement du droit à l’aide médicale à mourir autrement qu’en cas de mort imminente, pour ainsi dire. Personnellement, je considère que les États ont une certaine latitude en ce qui concerne l’article 10, mais je pense que cette latitude est très limitée, surtout dans le contexte de l’invalidité, quand on tient compte de l’application des articles 5 et 8.
Je me souviens de l’énoncé concernant la Charte à la Chambre des communes, selon lequel le projet de loi de 2016 n’ouvrait pas la porte à des hypothèses stéréotypées, mais je pense qu’en fait, on leur a fait une place, surtout avec ce prétendu élargissement. Merci.
La présidente : J’ai deux questions. La première s’adresse à la présidente de la Commission des droits de la personne. Comment la commission veille-t-elle à ce que les droits soient préservés? Des données sont-elles recueillies? Dans l’affirmative, prévoyez-vous mettre en place un mécanisme pour recueillir des données sur l’aide médicale à mourir en fonction de la race, de l’origine ethnique ou de la religion?
Mme Landry : Merci, sénatrice, de votre question. Je vais demander à notre conseillère principale en matière de politiques d’y répondre.
La présidente : Merci.
Marcella Daye, conseillère principale en matière de politiques, Commission canadienne des droits de la personne : Merci beaucoup. Je pense que votre question comporte deux volets distincts. Il est certain que la commission recueille des données sur les plaintes déposées auprès d’elle en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et qu’elle recueillera des données dans le cadre des nouveaux mandats qui lui ont été confiés au cours des dernières années aux termes de la Loi canadienne sur l’accessibilité, par exemple, et de la Loi sur l’équité salariale. Elle joue également un rôle de vérification en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. C’est donc dire que nous recueillons ce genre de données.
Bien entendu, nous avons un nouveau rôle, qui vient d’être créé, en tant que mécanisme national de surveillance dans le cadre de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Nous commençons tout juste à jouer ce rôle, ce qui fait que nous n’avons pas commencé à recueillir de données à des fins de surveillance. Nous menons des consultations permanentes avec les collectivités, les personnes handicapées et les groupes qui les représentent, afin d’obtenir leurs commentaires sur ce qu’ils attendent d’un mécanisme de surveillance au Canada.
En ce qui concerne la surveillance de l’aide médicale à mourir, nous sommes d’accord pour que la commission appuie un mécanisme indépendant. Cependant, nous ne sommes pas certains que la Commission canadienne des droits de la personne est l’endroit approprié pour la collecte initiale des données qui, par exemple, sont présentées dans les rapports annuels sur l’aide médicale à mourir à l’heure actuelle. Ce rôle reviendrait peut‑être davantage à un organisme qui a comme seul objectif de rendre compte de ce type de données. Il ne fait aucun doute que nous espérons qu’une fois ces données recueillies, elles seront mises à la disposition de la commission aux fins des analyses et des rapports qu’elle produit dans le cadre de son rôle de mécanisme national de surveillance.
La présidente : Merci. J’ai une question pour le rapporteur des Nations unies...
Mme Daye : Nous avons d’autres observations sur la question de la collecte de données, si vous avez le temps de les entendre.
La présidente : J’ai eu réponse à ma question. Merci beaucoup.
J’aimerais poser une question au rapporteur spécial des Nations unies. J’ai beaucoup apprécié la lecture de votre récent rapport sur les répercussions qu’a entraînées le fait de laisser de côté le capacitisme et les attitudes qui l’accompagnent dans les impacts du projet de loi C-7. Êtes-vous d’accord pour dire que le racisme, particulièrement la façon dont les personnes racisées seront touchées par ce projet de loi, est important? Serait-il utile pour les législateurs d’étudier des projets de loi qui sont inextricablement liés aux droits de la personne? Devraient-ils envisager la collecte de données fondées sur la race et l’identité autochtone?
M. Quinn : Je pense qu’une perspective intersectionnelle est extrêmement importante lorsqu’il s’agit de projets de loi marquants comme celui-ci. Je sais que vous avez une importante population autochtone handicapée au Canada. Je suis sûr que c’est un facteur important dont vous tenez compte.
Il ne s’agit pas tant du libellé que vous utilisez ou que vous entendez utiliser, mais plutôt du type d’environnement auquel il appartient et des antécédents culturels, ainsi que du legs de l’exclusion. Il faut accorder plus d’attention à cela. La discrimination fondée sur le capacitisme ne découlera pas de votre intention précise. Ce n’est pas voulu dans le libellé, mais c’est déjà là dans l’impact en droit [Difficultés techniques]. Les livres sont une chose, mais l’application de la loi en est une autre. Il faut tenir compte de cet impact social au moment de prendre des décisions.
Le sénateur Plett : J’ai deux questions, l’une pour Mme Sheehy et l’autre pour M. Quinn. Je serai bref, et j’espère pouvoir obtenir réponse aux deux.
Madame Sheehy, dans un article d’opinion que vous avez publié avec Isabel Grant et Archie Kaiser en décembre, vous vous êtes étonnée de la décision du gouvernement fédéral de capituler devant un tribunal inférieur, soutenant ainsi le régime de suicide assisté pour l’ensemble du pays. Vous dites :
Étant donné que le régime actuel d’aide médicale à mourir a déjà permis au gouvernement fédéral d’économiser 87 millions de dollars en coûts de soins de santé, on peut se demander si la réponse du gouvernement fédéral est motivée par un vulgaire calcul économique.
Madame Sheehy, pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Selon vous, à quel point est-il rare qu’un gouvernement fédéral agisse de la sorte en se fondant sur une décision d’un tribunal inférieur rendue par un juge d’une province? À votre avis, qu’est-ce que le gouvernement aurait dû faire à la place?
Mme Sheehy : Eh bien, je crois qu’il aurait dû plutôt en appeler de cette décision. Il aurait dû utiliser les ressources considérables dont il dispose pour porter cette décision en appel devant la Cour d’appel du Québec et, si nécessaire, la Cour suprême du Canada.
Je ne peux pas spéculer sur les motivations financières du gouvernement fédéral. Ce que je dirais, c’est que le fait d’étendre l’aide médicale à mourir à des personnes qui ne sont pas en fin de vie, sur la base de leur handicap, va représenter une économie énorme pour les provinces. Je dirais même que cela les découragera encore plus de financer adéquatement les services de soutien et les services communautaires destinés aux personnes handicapées.
Il ne fait aucun doute que nous verrons un véritable mouvement de la part des personnes handicapées pour avoir accès à l’aide médicale à mourir, dans des circonstances où leurs souffrances pourraient être réglées grâce à un soutien communautaire et médical adéquat que nous ne sommes peut‑être pas disposés à fournir.
Il y a déjà au moins 14 cas réels d’êtres humains dont on a fait état dans les médias qui, nous le savons, ont obtenu ou demandé l’aide médicale à mourir parce qu’ils n’avaient pas accès aux ressources dont ils avaient besoin pour vivre en santé dans la dignité. Ces cas ne sont pas théoriques.
Le sénateur Plett : Merci. Très rapidement, monsieur Quinn. Votre prédécesseure, Mme Catalina Devandas Aguilar — je suis sûr que j’ai massacré son nom — a passé une semaine au Canada à examiner de nombreux cas, dont celui de Roger Foley, à qui, vous vous en souviendrez, on a offert l’aide médicale à mourir à plusieurs reprises, alors qu’il n’avait manifesté aucun intérêt à cet égard et qu’il cherchait plutôt des soins à domicile assistés.
À un certain moment, Mme Catalina Devandas Aguilar a écrit :
J’exhorte le gouvernement fédéral à enquêter sur ces plaintes et à mettre en place des mesures de protection adéquates pour veiller à ce que les personnes handicapées ne demandent pas l’aide médicale à mourir simplement en raison de l’absence de solutions de rechange au niveau communautaire et de soins palliatifs.
Cette lettre, monsieur Quinn, a été publiée il y a près de deux ans. Y a-t-il eu un dialogue entre votre bureau et le gouvernement fédéral depuis? Si oui, le gouvernement canadien a-t-il répondu adéquatement aux recommandations? Croyez-vous que ce projet de loi prévoit des mesures de protection contre les risques que votre prédécesseure a soulignés?
M. Quinn : Merci beaucoup. Je ne suis en poste que depuis trois mois, mais je vous promets de faire enquête à ce sujet et de vous revenir rapidement avec une réponse.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup.
Me reste-t-il du temps, madame la présidente?
La présidente : Non. Votre temps de parole est presque écoulé.
Le sénateur Plett : Merci.
Le sénateur Cotter : Premièrement, j’aimerais faire une observation sur la qualité du groupe de témoins que nous entendons aujourd’hui. Nous avons des chefs de file exceptionnels en matière de droits de la personne, des experts en droit constitutionnel de notre pays, ainsi que des membres de l’Ordre du Canada et de l’Ordre de l’Ontario. Nous avons vraiment beaucoup de chance de vous avoir parmi nous, sans parler des experts constitutionnalistes du Sénat proprement dit, comme le sénateur Gold.
Ce que je pense, en écoutant cela, c’est que les débats et les préoccupations que nous entendons maintenant exigent une réponse plus ferme. Nous finirons par l’obtenir. Comme il était à prévoir, cela m’amène à poser deux questions sur la nécessité d’un renvoi constitutionnel.
J’ai une question pour M. MacKay et une autre pour le sénateur Joyal.
Monsieur MacKay, pouvez-vous nous dire si c’est le genre de situation qui peut faire l’objet d’un renvoi constitutionnel à la Cour suprême?
Sénateur Joyal, j’aimerais que vous nous parliez davantage de l’initiative que vous avez entreprise en 2016 en vue de proposer un amendement en ce sens et que vous nous disiez si vous pensez qu’un tel amendement est nécessaire cette fois-ci. Merci.
M. MacKay : Tout d’abord, je crois que cela peut et doit être possible, comme je l’ai indiqué dans ma recommandation, même si je m’en remets en partie au sénateur Joyal, qui a plus d’expérience dans ce domaine. Je pense que le genre de questions qui doivent être posées, en fait, sur deux enjeux cruciaux dont nous sommes saisis, c’est de savoir si l’élargissement de l’aide médicale à mourir comprenant l’élimination de l’exigence de mort raisonnablement prévisible constitue une violation potentielle de l’article 15, comme l’ont si bien démontré Mmes Sheehy et Grant, ainsi que bien d’autres personnes. Comme je l’ai dit dans la version plus longue de mon mémoire, je comprends ce point de vue, bien qu’il soit difficile de savoir exactement comment gérer cette situation.
Je pense que c’est une question parfaite pour un renvoi à la Cour suprême du Canada, et même si je pense que l’exclusion est plus claire, du moins dans mon esprit et dans celui du sénateur Joyal et d’autres, elle devrait être abandonnée ou suspendue ou quelque chose du genre. Même dans ce cas, ce recours serait utile.
J’aimerais revenir brièvement sur le point soulevé par quelques personnes, à savoir qu’il est extrêmement inhabituel de se servir d’une décision de première instance, aussi bonne soit‑elle, d’un juge d’une province pour dire que nous devrions changer quelque chose d’aussi vaste, important et potentiellement problématique comme le droit de mourir avec une aide médicale.
Je pense que c’est en fait un cas idéal et qu’un énoncé clair pourrait avoir un impact sur les personnes handicapées et d’autres qui, idéalement, auraient leur mot à dire sur la façon dont ces questions seraient posées. Je vous remercie de la question.
M. Joyal : Merci, sénateur, de votre question. En fait, il y a quatre ans, lorsque la Chambre des communes a décidé de rejeter l’amendement — à savoir supprimer le critère de mort raisonnablement prévisible — qui constituait une solution de repli au Sénat à l’époque, lorsque la Chambre des communes a renvoyé le projet de loi en refusant l’amendement du Sénat, j’ai proposé, pour sortir de l’impasse, de demander au gouvernement de soumettre immédiatement à la Cour suprême le critère même de la mort raisonnablement prévisible et de suspendre l’application de ce critère pendant son examen par la Cour suprême.
Dans le cas présent, c’est très opportun. C’est l’une des options que je propose dans mon mémoire, et je vais vous dire pourquoi. La Cour suprême vient de se prononcer, il y a moins de deux mois, dans l’affaire Procureur général de l’Ontario c. G. sur cette question même des droits des personnes atteintes de maladie mentale.
Autrement dit, la Cour suprême a déjà évalué l’état du droit et son lien avec les articles 7 et 15 de la Charte. Ce sont les deux articles de la Charte qui étaient en jeu dans l’affaire que je viens de citer, Procureur général de l’Ontario c. G. C’est donc dire que la Cour suprême est maintenant à peu près prête à prendre une décision sur la question de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir des personnes souffrant de maladie mentale, puisqu’elle a presque tout ce qu’il lui faut pour le faire.
Par contre, à propos du critère de la mort raisonnablement prévisible, comme Mme Sheehy l’a rappelé, j’ai déclaré publiquement, après lecture de l’arrêt de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon, que le gouvernement devait selon moi interjeter appel, devait saisir la Cour suprême d’un renvoi, au lieu d’imposer à M. Truchon et à Mme Nicole Gladu des années de procédures judiciaires encore, eux qui se sont battus seuls pour faire valoir leurs droits.
Pour soulager les Canadiens qui se retrouvent en pareille situation, comme Julia Lamb l’a été, en Colombie-Britannique, il y a eu deux affaires dont les cours supérieures de deux provinces ont été saisies où il était possible de s’adresser immédiatement à la Cour suprême.
La présidente : Merci, sénateur Joyal.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse au professeur Taillon. Professeur Taillon, dans votre présentation vous avez parlé du fait que le gouvernement fédéral devrait se contenter de faire des lois pas trop détaillées, d’être plus général et de laisser les lois provinciales se développer selon les provinces.
Ma question pour vous concerne le critère de la mort non raisonnablement prévisible qui est réintroduit dans le projet de loi C-7, mais qui est confronté à des obstacles plus importants pour les personnes dont la mort est prévisible.
Lorsque vous parlez de ne pas définir une norme uniforme trop en détail, est-ce que cela équivaut à dire que le projet de loi C-7 pourrait avoir des critères qui sont déjà dans la loi, mais où il s’agirait d’éliminer toute référence au stade de l’évolution d’une maladie?
Autrement dit, les critères qui existent sont concentrés sur la qualité du consentement, s’assurer que des précautions sont prises. Est-ce que cela pourrait correspondre à ce que vous appelez une législation qui n’est pas trop détaillée?
M. Taillon : Je vous remercie de votre question. Oui, il y a quelque chose de paradoxal et d’un peu contre-intuitif, mais le cœur de mon message est de dire que, dans cet équilibre difficile entre permettre et protéger, paradoxalement, le Parlement fédéral conserve une meilleure capacité de protéger s’il garde des cartes dans son jeu plutôt que s’il s’efforce immédiatement d’énoncer des règles, surtout certaines qui génèrent des restrictions très importantes comme l’exclusion sur la santé mentale comme le délai de 90 jours. Plus ces règles sont explicites, plus elles ont de chances d’être contestées. Une fois qu’elles seront invalidées, ce sera coulé dans le béton de la Constitution, ce sera scellé dans le marbre de la Constitution et là, le Parlement fédéral perdra sa capacité d’apporter un correctif à l’avenir. Or, l’aide médicale à mourir reste un sujet nouveau, un sujet où le Canada se positionne à l’avant-garde, une préoccupation à l’endroit des personnes handicapées, à l’endroit des personnes vulnérables que plusieurs ont soulevée aujourd’hui pour laquelle nous n’avons pas encore trouvé de recette miracle; la règle de droit qui permettrait en toute circonstance d’assurer une protection à ces personnes. Donc, plus nous nous avançons avec des détails, plus nous nous exposons à des invalidations plutôt que de garder ces cartes dans le jeu du législateur pour de futurs correctifs s’il y a lieu.
La sénatrice Dupuis : Merci. J’ai une question qui s’adresse à M. Quinn, le rapporteur spécial des Nations unies. Monsieur Quinn, vous avez fait référence à la convention internationale qui protège les droits et qui vise à assurer l’égalité réelle des personnes qui vivent en situation de handicap.
Il y a un élément qui est la protection des personnes vulnérables tant qu’elles sont en vie, assurer des services de soutien aux personnes pour faire en sorte qu’elles aient une véritable qualité de vie. Par rapport à l’aide médicale à mourir, des personnes qui vivent avec un handicap ont été très claires lorsqu’elles nous ont expliqué considérer que leur droit de choisir pour elles-mêmes le moment où elles ne peuvent plus supporter de vivre dans des conditions qui sont les leurs doit être respecté et qu’il est paternaliste de vouloir les empêcher de faire ce choix elles-mêmes. Que répondez-vous à cette affirmation?
[Traduction]
M. Quinn : Nous abordons là de profondes vérités. Évidemment, les personnes handicapées ont le droit à l’autonomie, comme tout le monde. Mais, de façon tout aussi évidente, il y a aussi, faisant contrepoids, un article sur l’égalité, ou le mandat d’instauration de l’égalité. Il faut promouvoir le droit à l’autonomie en prêtant attention au genre d’écosystème dans lequel chacun se trouve. L’idée d’un renvoi à une cour suprême pour mener une réflexion sérieuse sur l’équilibre entre ces deux droits est cruciale, car je n’ai pas la certitude que cette réflexion ait été correctement menée jusqu’à maintenant.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : Ma question s’adresse à la présidente Landry et à son équipe. Vous n’ignorez pas que les Autochtones handicapés du Canada sont victimes de multiples formes de discrimination. Ils doivent composer avec les effets de la colonisation et du racisme, ainsi qu’avec les perceptions que la société peut avoir de leurs capacités physiques ou mentales. Hélas, il arrive souvent que les Autochtones ne reçoivent pas les soins et les services auxquels ils ont droit à cause de conflits de compétence entre les gouvernements fédéral et provinciaux.
À votre avis, le gouvernement devrait-il supprimer le critère de la mort prévisible s’il y a encore des conflits de compétence au sujet du financement des services de santé dont les Autochtones handicapés ont besoin? Quelles mesures le gouvernement fédéral devrait-il prendre pour que les Autochtones qui vivent dans les réserves et sont handicapés n’aient pas recours à l’AMM en désespoir de cause, faute d’avoir accès aux services de santé nécessaires?
Mme Landry : Merci de votre question, sénatrice Boyer. Mme Daye répondra à votre question.
Mme Daye : Merci, madame Landry. Nous partageons certainement ces préoccupations très graves qui ne datent pas d’hier au sujet des répercussions de la colonisation et du traumatisme intergénérationnel qui ont laissé des séquelles de discrimination dont les populations autochtones au Canada souffrent encore. Nous avons fait ressortir cette préoccupation à maintes reprises, sur des tribunes tant nationales qu’internationales.
Vous avez soulevé quelques questions, dont celle du partage des compétences. C’est toujours délicat. Nous avons encouragé les gouvernements responsables des droits de la personne à rétablir des réunions régulières pour discuter de ce partage en matière de droits de la personne afin d’aider à régler les problèmes de compétence avant qu’ils ne se posent dans des cas individuels. Nous tenons à ce que cela se fasse de manière à éviter des circonstances particulièrement tragiques comme celles qui sont survenues par le passé.
Vous avez également soulevé la question des services à assurer aux Autochtones des réserves à la fois pour veiller à leur bon état de santé et leur offrir correctement l’AMM. Nous appuyons fermement certains des témoignages que vous avez entendus au sujet de l’importance de services adaptés à la culture, aussi bien au plan de la prestation des services de santé en général qu’à celui de l’aide à mourir dignement lorsque cela est demandé. À cet égard, la participation de la collectivité s’impose et, lorsqu’il y a lieu, il faut faire appel aux aînés, de sorte que le cadre de cette aide ne soit pas étroitement axé sur les médecins, mais fasse place sans restrictions à la dimension rituelle et culturelle qui existe pour beaucoup d’Autochtones. Ainsi, au plan individuel, la réconciliation peut progresser. Cela peut également garantir le respect des Autochtones lorsque nous cherchons à leur assurer des services de santé dignes, dans la santé comme dans la mort.
Ai-je répondu à votre question?
La sénatrice Boyer : Oui. Merci, madame Daye. Merci à vous aussi, madame la présidente.
[Français]
La sénatrice Keating : Ma question s’adresse à l’ex-sénateur Joyal avec qui, malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de travailler.
Monsieur Joyal, tout d’abord, je vous remercie beaucoup pour votre contribution continue et votre présentation éclairée sur la question de la maladie mentale et de la jurisprudence récente au‑delà de la décision Truchon.
Vous avez mentionné dans votre présentation qu’il y avait deux options en ce qui concerne la maladie mentale. La première était le rejet du projet de loi et la deuxième était un renvoi à la Cour suprême. Une troisième option a été discutée avec plusieurs qui serait l’ajout d’une disposition d’exclusion. Autrement dit, on laisserait passer l’exclusion de la maladie mentale, mais avec une date d’échéance, disons de 12 mois, pour permettre au gouvernement fédéral de faire plus de travail sur la question de la maladie mentale.
Je m’excuse de vous mettre sur la sellette, mais est-ce que vous seriez plus à l’aise avec ce genre de disposition en matière d’analyse constitutionnelle que celles qui existent sans clause d’exclusion? Merci.
M. Joyal : Je vous remercie de cette question, sénatrice Keating. J’aimerais apporter une petite précision. Ma proposition n’est pas de rejeter le projet de loi, mais de retirer le paragraphe 2.1 et je tiens à être clair sur ce point.
La sénatrice Keating : Oui, tout à fait, merci.
M. Joyal : Je voulais être tout à fait clair sur cette question.
Votre question est à savoir si on ne devrait pas plutôt ajouter au projet de loi une clause crépusculaire à la mise en application du paragraphe 2.1. En d’autres mots, vous voteriez en faveur de l’article 2.1, mais il y aurait un article qui s’ajouterait et qui mentionnerait que le gouvernement aurait un délai de 12 mois pour répondre aux interrogations concernant la capacité à offrir l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladies mentales.
La clause crépusculaire n’est pas une clause qui remettrait en cause le droit comme tel d’avoir accès à l’aide médicale à mourir. Ce droit-là reste confirmé à mon avis par la décision Carter. Ce que le projet de loi ferait, c’est de suspendre le droit d’accès à l’aide médicale à mourir pour une période de 12 mois, clairement défini dans la loi. Il ne faut pas que ce soit sous la forme, comme le préambule le dit, d’inviter le Parlement à considérer l’aide médicale à mourir dans un délai de 12 mois. On avait déjà une clause d’invitation du Parlement pour considérer l’impact du projet de loi C-14 dans un délai de quatre ans qui nous amenait au mois de juin 2020, et vous connaissez les conditions particulières du Parlement; la pandémie de COVID-19 est arrivée. Dans quelles conditions serons-nous au mois de juin 2021? Personne ne le sait, on espère que la situation se sera améliorée, mais personne ne peut le garantir.
D’autre part, j’ai lu l’engagement du ministre Lametti lorsqu’il a comparu devant vous au mois de novembre 2020 et il a dit qu’il ferait de son mieux pour que le gouvernement démarre l’étude. Cela n’est pas suffisant, ce n’est pas un vrai engagement; c’est un engagement politique, mais ce n’est pas une contrainte juridique. Il faut que la contrainte juridique soit extrêmement claire sur la date du délai et ce qui devrait survenir à l’intérieur de ce délai. Quel type d’étude ou quel type de proposition le gouvernement serait-il commis à revenir au Parlement ou à déposer auprès du Parlement comme étant le processus à suivre pour les personnes souffrant de maladies mentales?
Cela ne peut être que dans un contexte extrêmement circonscrit et contraignant sur le plan du temps et non pas une invitation générale à considérer l’impact de la loi sans que personne puisse demander des comptes. Il faut une reddition de comptes efficace précisément définie à l’intérieur d’un délai rigoureusement déterminé dans le projet de loi. C’est ce qui permettrait de suspendre temporairement ce droit; mais quand on suspend un droit, on ne le nie pas.
Entre-temps, une personne pourrait encore aller devant un tribunal et présenter ses conditions particulières et demander l’autorisation d’avoir accès à l’aide médicale à mourir étant donné qu’elle satisfait les quatre critères du jugement Carter. Donc, il y a cet élément-là qui est important, c’est qu’on n’empêche pas une personne qui souffre de maladie mentale d’avoir accès à l’aide médicale à mourir, cette personne devrait pouvoir requérir l’autorisation entre-temps devant le tribunal, comme on l’avait...
La sénatrice Keating : Merci beaucoup, cela répond à ma question.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Ma question s’adresse au rapporteur spécial, M. Quinn. Il sait sans doute que les pays du Benelux ont autorisé il y a déjà des années l’AMM sans trop de restrictions et en dehors du contexte de la fin de vie. Son organisation a-t-elle examiné les lois sur l’aide médicale à mourir dans ces pays et son incidence sur les personnes handicapées? Le caractère permissif de la loi dans ces pays a-t-il entraîné une surreprésentation des personnes handicapées parmi ceux qui reçoivent l’AMM? Dans le même ordre d’idées, y a-t-il des preuves que les lois sur l’aide médicale à mourir dans les pays du Benelux ont poussé les personnes handicapées à se sentir subtilement incitées à mettre fin à leurs jours prématurément à cause de l’attitude d’autrui à leur égard ou d’un manque de services et de soutien?
M. Quinn : Merci, monsieur. Comme je l’ai dit au début, nous examinons les tendances internationales. Un projet de loi est à l’étude au Parlement du Canada et trois ou quatre parlements dans le monde sont saisis de mesures semblables en ce moment. En fait, nous nous renseignons sur ces mesures législatives pour faire le point. Nous n’avons pas encore réalisé d’étude comparative sur l’application des lois dans les pays du Benelux, mais nous allons certainement étudier la question et livrer nos observations.
Le sénateur Harder : Quand le ferez-vous? Au Benelux, l’expérience dure depuis quelques années déjà.
M. Quinn : Aucune date n’est arrêtée. Nous nous mettons tout juste à l’œuvre. Je ne suis en poste que depuis trois mois. Nous sommes en train d’élaborer notre programme de travail, et cette étude y figurera assurément. Nous n’avons donc pas encore de calendrier.
Le sénateur Harder : Aucun de vos prédécesseurs n’a fait de recherche sur la question?
M. Quinn : Non. C’est justement pourquoi il est temps de l’aborder pendant le prochain mandat.
Le sénateur Harder : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse au sénateur Joyal. Je vous remercie pour votre présence aujourd’hui.
Je reviens encore aux maladies dégénératives, dont l’alzheimer ou la démence. Lorsqu’on lit le projet de loi, il semble y avoir une confusion entre la position du ministre ce matin, où il a affirmé qu’il n’y avait pas de possibilité de donner une procuration pour ces patients, alors que lorsqu’on lit le projet de loi, il semble y avoir possibilité pour ces patients, avec l’aide de leur médecin, de préautoriser en cas d’incapacité totale ou de perte de conscience le recours à l’aide médicale à mourir.
Il semble y avoir un trou dans cette loi qui est sujette à interprétation et qui risque d’amener beaucoup de patients vers la contestation judiciaire, comme je le disais au ministre, ou vers l’appel à d’autres pays ou d’autres états américains où c’est plus ouvert, ou même strictement au suicide dans certains cas. Est-ce que, selon vous, ce projet de loi doit absolument être clarifié au niveau des maladies dégénératives et des maladies psychomotrices?
M. Joyal : Merci beaucoup, sénateur Boisvenu, de votre question. Je suis très préoccupé par la confusion actuelle autour du projet de loi entre les maladies qui sont biodégénératives comme le parkinson, l’alzheimer et certaines autres maladies de ce genre qui sont des maladies qui affectent le physique d’une personne, mais qui peuvent, évidemment, comme condition inhérente, affecter également les capacités cognitives de la personne.
Lorsque le ministre vous dit, dans les notes accompagnatrices, que ces personnes-là ne sont pas des personnes qui souffrent de maladie mentale, il y a un stade dans l’évolution, par exemple, de la maladie d’Alzheimer que vous connaissez bien ou du parkinson, où la personne perd complètement sa capacité d’exprimer son consentement. Il y a d’autres maladies également physiques qui peuvent provoquer des souffrances qui affectent les capacités mentales de la personne, c’est-à-dire que cette personne-là perd la maîtrise de son consentement, et c’est ce que le projet de loi semble couvrir en disant que si cette personne-là à un moment donné dans l’évolution de sa maladie physique perd sa capacité mentale à consentir, à ce moment-là, on pourra signer une autorisation préalable et les personnes de son entourage pourront confirmer que cela avait été fait; par conséquent, la personne aura accès à l’aide médicale à mourir.
De la même façon, en ce qui a trait à la maladie mentale, il y a des conditions très précises. Les psychiatres qui ont comparu devant vous l’ont bien dit, des conditions très précises existent au terme desquelles une personne qui souffre de maladie mentale ne perd pas sa capacité de consentir et de rester maître de ses décisions en ce qui a trait à sa santé. C’est un droit fondamental stipulé à l’article 7 de la Charte.
Le projet de loi contient des zones floues qui font en sorte que le public sera laissé dans une sorte d’incertitude permanente, parce que le concept de maladie mentale, comme le dit l’article 2, est si général qu’il peut à la fois tout inclure et ne pas tout inclure en même temps, car le projet de loi prévoit une exception.
Le projet de loi maintient dans son préambule une autre incertitude en disant que le Parlement va étudier le consentement préalable pour certaines formes de maladie mentale. Tout est, en quelque sorte, mis sur la table en même temps sans toutefois qu’il y ait des critères précis. N’oubliez pas qu’on se trouve dans le domaine du droit criminel. Comment les médecins dans cette situation vont-ils démêler l’écheveau? Ils appliqueront probablement le principe théologique qui veut que dans le doute on s’abstienne. Or, si on s’abstient, on condamne les personnes à ce que la Cour suprême a elle-même constaté : soit elles mettront fin prématurément à leurs jours par des moyens violents ou dangereux, ou elles se laisseront souffrir jusqu’à ce que la mort naturelle s’ensuive.
On revient donc au point fondamental qu’a amené l’affaire Carter. À mon avis, c’est précisément ce qu’il y a d’imprécis dans le projet de loi. C’est cette imprécision qu’on garde dans le système qui doit être éclaircie si on veut que tout le monde bénéficie de la loi de façon égale. En vertu de l’article 15, tout le monde a le droit de bénéficier de la loi d’une façon égale. Or, par l’imprécision qu’on instaure dans le projet de loi, avec les documents d’accompagnement, le préambule et le paragraphe 2.1 tel qu’il est libellé, les personnes ne se trouvent pas en position d’exercer le même droit. À mon avis, c’est là où le projet de loi est fautif.
Le sénateur Boisvenu : Merci, sénateur Joyal.
Le sénateur Carignan : Ma question en est une davantage de précision, car la sénatrice Keating a très bien couvert ce point avec le sénateur Joyal, et elle concerne la disposition de temporisation.
Avez-vous parlé de la possibilité pour la personne de présenter une demande d’exemption pendant le délai imposé par la disposition de temporisation? Devrait-on préciser cette exemption ou ce recours dans le cadre d’un amendement, ou s’il va de soi, à votre avis, que ce sera accessible?
M. Joyal : En fait, ce que je propose, c’est essentiellement ce que la Cour suprême avait ajouté à la décision Carter. Elle avait laissé au Parlement le temps d’adopter un projet de loi pour donner effet à l’arrêt Carter. Vous vous souviendrez qu’on avait accordé un délai d’un an. Des élections ont été déclenchées, on a accordé une prolongation de six mois, puis un autre délai. Entre‑temps, un citoyen canadien pouvait se prévaloir des conditions de l’arrêt Carter et demander au tribunal l’autorisation de mettre fin à ses jours. C’est exactement le cas que j’ai cité dans la décision de la Cour d’appel de l’Alberta, en 2016, qui a été rendue à l’unanimité, pour une personne voulant bénéficier immédiatement de son droit d’accès à l’aide médicale à mourir, alors que le Parlement n’avait pas encore légiféré. Dans ces mêmes conditions, on devrait normalement reconnaître à une personne souffrant de maladie mentale au Canada la capacité de se présenter devant un tribunal si elle estime que son droit doit immédiatement être exercé, dans l’intérim où le Parlement donnera au gouvernement un délai extrêmement précis pour proposer une approche de contrôle, de régime d’exercice du droit qui serait d’application générale par la suite. En attendant, je ne priverais pas un Canadien d’exercer son droit d’accès à l’aide médicale à mourir s’il souffre de maladie mentale, comme il peut le faire actuellement en vertu du projet de loi C-14.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Sénateur Joyal, ma question s’adresse à vous. Heureuse de vous retrouver. Selon vous, quelles maladies particulières sont considérées comme irrémédiables?
M. Joyal : Merci beaucoup, sénatrice Batters. C’est un plaisir de vous revoir. Malheureusement, je ne vous vois pas en personne. J’aurais bien aimé.
Vous aurez entendu le point de vue de témoins experts. Je me souviens du Dr Rajji, par exemple, qui a témoigné depuis Toronto. Les experts, les psychiatres, distinguent trois groupes de malades mentaux : 30 % peuvent guérir, 30 % se situent dans le milieu, c’est-à-dire qu’ils peuvent guérir, mais sans que nous en ayons la certitude, et 30 % ne peuvent pas guérir, nous le savons. Ces derniers sont ceux qui sont dans une situation irrémédiable.
C’est aux psychiatres, en fait, de poser un diagnostic qui détermine la catégorie où se trouve le patient. C’est donc à eux qu’il appartient de se prononcer.
J’ai le témoignage du Dr Rajji.
La présidente : Sénateur Joyal, nous ne pourrons pas reprendre ce témoignage. Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : Pour faire suite à la question du sénateur Harder, je demanderais au rapporteur spécial de veiller à ce que l’examen porte également sur le pourcentage du PIB consacré dans les différents pays de l’OCDE à la santé et aux soins de longue durée. Cela ferait partie, en plus des modalités d’application de la loi, de l’analyse des mesures prises réalisée pour le rapporteur spécial et la présidente.
Comme certains d’entre vous le savent, j’ai passé près de quatre décennies à travailler dans les prisons. Depuis la mise en place de l’AMM, en 2016, notre bureau a reçu de nombreuses demandes d’AMM de la part de prisonniers. La plupart de ceux qui ont fait une demande ont des problèmes de santé mentale dont certains sont apparus en prison et à cause de la prison et d’autres existaient avant l’incarcération.
Êtes-vous tous les deux d’accord pour dire que le Canada doit veiller à ce que les prisonniers ayant des problèmes de santé invalidants qui demandent l’aide médicale à mourir soient d’abord transférés ou envoyés dans un service de santé communautaire?
M. Quinn : Oui, nous tiendrons compte de ces éléments dans nos recherches. Merci de cette idée. Nous allons lancer un projet portant sur les prisonniers handicapés dans le monde entier. C’est avec grand plaisir que je vous tiendrai au courant.
Sheila Osborne-Brown, avocate générale et directrice des services juridiques par intérim, Commission canadienne des droits de la personne : Je vous remercie de la question. Oui, dans le rapport Vieillir et mourir en prison dont la présidente a parlé, nous disons que la prison n’est pas un milieu qui convient pour fournir des soins de fin de vie, et cela vaut également pour l’aide médicale à mourir. Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une courte question pour M. Joyal. J’ai très bien compris votre argumentaire sur le fait que priver les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale de l’aide médicale à mourir contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte. Toutefois, ce que je comprends moins, c’est pourquoi dans votre raisonnement vous ne tenez pas compte d’un argument qui n’est pas juridique, mais scientifique, c’est-à-dire qu’il y a une division réelle dans la psychiatrie sur le fait qu’on ne peut pas toujours savoir si la volonté de mettre fin à ses jours ou le suicide d’une personne atteinte est due à sa maladie ou à des critères beaucoup plus larges. Donc, il me semble que votre argument juridique, qui est très fort, manque cet aspect, soit que l’on doit aussi tenir compte de la science pour prendre finalement un principe de précaution et ne pas aller trop vite sur cette question.
M. Joyal : Merci, sénatrice Miville-Dechêne, de la question. Comme je l’ai mentionné en réponse à la question de votre collègue la sénatrice Batters, nous sommes dans le domaine des probabilités. Donc, il est extrêmement important de retenir qu’il y a un consensus chez les psychiatres, soit que les personnes qui souffrent de maladie mentale, et je l’ai très bien expliqué dans mon mémoire dans lequel vous retrouverez la citation :
Les patients dont le seul problème médical invoqué est un trouble mental ne devraient pas être systématiquement exclus de l’AMM sur la base de leurs diagnostics.
En d’autres mots, les personnes qui souffrent de maladie mentale ont la capacité de pouvoir déterminer leur état, de donner un consentement, à savoir si elles veulent recevoir ou non le traitement. Elles n’ont pas perdu ce droit fondamental et c’est ce que les psychiatres affirment. Il y a un consensus clair sur cette question. Je vous réfère aux mémoires de ces deux associations.
Il y a des personnes qui souffrent de maladie mentale dont la condition est irrémédiable. Ce sont des psychiatres qui, au cas par cas, arriveront à cette conclusion. La vaste majorité des personnes souffrant de maladie mentale ne se retrouvent pas dans cette situation. Ils sont soit guérissables, ou encore dans un état stable. Toutefois, un certain pourcentage d’entre eux — le docteur Rajji vous l’a expliqué dans son témoignage en novembre dernier — se retrouve dans une condition irrémédiable. Cette catégorie limitée et minoritaire de patients souffrant de maladie mentale aurait accès à l’aide médicale à mourir, après les consultations, les évaluations des médecins comme le projet de loi le prévoit. Par conséquent, on ne peut pas les exclure de façon automatique, indéfinie et sans évaluation, cas par cas, de la condition de chaque personne souffrant de maladie mentale qui peut recourir à l’aide médicale à mourir. D’autant plus que les médecins vous l’ont dit...
[Traduction]
La présidente : Le sénateur Kutcher posera la dernière question. Il doit vraiment se limiter à deux minutes, sans quoi je vais devoir l’interrompre.
Le sénateur Kutcher : Ma question s’adresse à M. Taillon. Selon M. MacKay et le sénateur Joyal, il serait possible d’envisager l’ajout d’une disposition de caducité dans le projet de loi. Qu’en pensez-vous?
[Français]
M. Taillon : Une clause de temporisation serait préférable à une exclusion généralisée sans délai, mais c’est quand même une restriction qui expose ensuite à une contestation judiciaire. Personnellement, je préférerais que ces restrictions viennent des provinces, des ordres professionnels et que cela donne lieu à de multiples échanges, dans ce dialogue entre les législateurs et les tribunaux. Si le législateur fédéral tient à appliquer cette restriction, c’est-à-dire une clause de temporisation, c’est nettement mieux qu’une exclusion définitive, selon mon point de vue, du moins.
[Traduction]
La présidente : Tous les témoins peuvent constater à quel point l’intérêt est vif. Nous pourrions vous écouter toute la journée. C’est passionnant. J’ai eu la terrible tâche de couper la parole aux intervenants, ce qui n’est pas un rôle qui me convient, mais je tiens à vous remercier tous infiniment. Je constate que ce n’est que l’amorce de nos échanges. Nous en aurons bien d’autres avec chacun d’entre vous à l’avenir. Je suis sûre que vous serez également invités à revenir nous parler d’autres questions qui surgiront. Je tiens à remercier chacun d’entre vous. Dans ces circonstances très difficiles, vous avez tous su dominer la situation. Merci beaucoup.
Nous accueillons David Shannon. Me Shannon défend les droits des personnes handicapées et a travaillé sans relâche pour faire avancer les droits de ces personnes et d’autres groupes minoritaires au Canada et à l’étranger.
Nous accueillons également le Dr Naheed Dosani, médecin en soins palliatifs et militant pour la justice en santé. Le Dr Dosani est un défenseur de l’accès aux soins palliatifs pour les sans-abri et les personnes qui ont une vulnérabilité structurelle.
[Français]
Me Danielle Chalifoux, avocate en droit de la santé, Institut de planification des soins du Québec. Me Chalifoux a été membre de plusieurs comités, notamment présidente du Comité du droit de la santé, du Comité de l’égalité et du Comité du droit des personnes âgées de l’Association du Barreau canadien, division du Québec. Elle a également été membre du Comité sur le droit de mourir dans la dignité du Barreau du Québec.
[Traduction]
Nous accueillons en outre Jonathan Marchand, président de la Coopérative québécoise pour la vie autonome, ou Coop ASSIST. M. Marchand s’efforce d’attirer l’attention sur les conditions déshumanisantes dans les soins de longue durée.
Nous accueillons aussi Sarah Jama, organisatrice principale au Disability Justice Network of Ontario. Il s’agit d’un organisme communautaire d’Hamilton, en Ontario, dirigé par des jeunes. Il est dirigé par des Noirs et des personnes handicapées racialisées. Mme Jama est passionnée par l’engagement communautaire, la justice pour les personnes handicapées et le militantisme.
Enfin, nous avons avec nous Mme Heidi Janz, professeure auxiliaire au Centre d’éthique en santé John Dossetor de l’Université de l’Alberta et présidente du Comité d’éthique en fin de vie du Conseil des Canadiens avec déficiences. Le témoignage de Mme Janz est enregistré. Elle posera ensuite des questions.
Nous allons commencer par Mme Heidi Janz.
M. Palmer : Nous allons démarrer l’enregistrement.
Heidi Janz, présidente, Comité d’éthique en fin de vie, Conseil des Canadiens avec déficiences : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Le capacitisme est une discrimination à l’encontre des personnes handicapées fondée sur l’idée que les capacités typiques sont supérieures aux leurs. Tout comme le racisme et le sexisme, le capacitisme place des groupes entiers de personnes dans une catégorie inférieure et perpétue des stéréotypes préjudiciables. Pour reprendre les termes de Gregor Wolbring, spécialiste canadien de la condition des personnes handicapées, le capacitisme demeure un des « ismes » les plus socialement enracinés et les plus acceptés.
L’élargissement du champ d’application des dispositions sur l’AMM est un exemple de capacitisme. Les recherches révèlent que les personnes handicapées sont souvent victimes de discrimination dans les soins de santé, même en temps normal. Les études ont toujours montré que les professionnels de la santé sous-estiment considérablement la qualité de vie des personnes handicapées. Des jugements erronés à cet égard peuvent avoir pour conséquence que l’éventail des traitements qui leur sont offerts est limité, quand ils ne sont pas carrément écartés. Au cœur de ces décisions se trouve ce que Joel Reynolds, spécialiste des questions d’invalidité, a appelé l’amalgame capacitiste de l’invalidité, de la souffrance et de la mort. Allant à l’encontre du mantra de solidarité de la santé publique, omniprésent depuis le début de la pandémie, on a élaboré des protocoles de triage pour les soins intensifs qui comprennent, parmi les critères d’exclusion, l’existence préalable d’un handicap... [Difficultés techniques]
M. Palmer : Passons au témoin suivant et je vais voir si nous pouvons trouver le moyen d’écouter la déclaration de Mme Heidi Janz.
La présidente : Me Shannon, peut-être? J’ai déjà expliqué qui il est. Après lui, nous passerons au Dr Dosani.
Me David Shannon, avocat, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente.
Hamlet demandait : « Y a-t-il pour l’âme plus de noblesse à endurer les coups et les revers d’une injurieuse fortune [...] ? » Shakespeare a laissé la question sans réponse. Votre tâche, devant la modification proposée, est bien plus lourde, car vous devez répondre à la question, sénateurs.
Celui qui vous tient ce discours est quadriplégique depuis 40 ans et a exercé le droit pendant 25 de ces 40 ans.
À mon avis, le projet de loi limitera le droit à la vie plutôt que de le protéger. Il est déconnecté du contexte social bien documenté qu’est la réalité de l’invalidité. Il fixe des dates arbitraires pour l’adaptation à un handicap, présuppose que l’invalidité entraîne des souffrances intolérables et n’établit pas de lien entre l’aide au suicide et l’imminence de la mort. Cette proposition est viciée et repose sur une prémisse préjudiciable et erronée.
Comme le comité des Nations unies — pas plus tard que lundi dernier, le 25 janvier — l’a fait remarquer avec inquiétude, l’invalidité ne devrait jamais être un motif ou une justification pour mettre fin à la vie d’une personne directement ou indirectement. Pour vous, honorables sénateurs, cela doit être le grand point de repère pour décider s’il faut ou non modifier la loi. Je vous demande de ne pas le faire. Toutefois, s’il faut à tout prix apporter une modification, je vous demande de bien vouloir maintenir le critère de la mort raisonnablement prévisible.
Les Nations unies, sénateurs, estiment que le projet de loi C-7 est irrécupérable. Pendant plusieurs semaines après mon accident, j’ai été alité, très proche de la mort bien plus souvent que je n’ose l’imaginer. Devant le fait imminent que je ne pourrais plus bouger mon corps comme je le faisais peu de temps auparavant, j’ai trouvé assez paradoxalement... [Difficultés techniques]
Ce que j’ai constaté immédiatement après mon accident, c’est que j’avais perdu mon sens de la liberté et ma mobilité, et j’ai su que je ne pourrais plus bouger de la même façon. J’avais perdu mon autonomie. Tout comme beaucoup de gens confrontés à l’idée du recours à l’AMM, j’ai plutôt trouvé que je voulais prendre la vie à bras-le-corps. J’ai découvert que je tenais à éprouver les rigueurs et les joies de la vie, mais je pouvais aussi compter sur un amour profond et des appuis solides. Je sais que plusieurs blessés médullaires n’ont pas eu droit à un soutien comparable.
Depuis que le Code criminel a été modifié, il y a quelques années à peine, certains de mes compagnons handicapés, blessés médullaires, ont choisi l’aide médicale à mourir. Leurs rêves ont été repoussés par la pointe d’acier d’une injection létale, plutôt que d’être épousés avec « les coups et les revers d’une injurieuse fortune » et d’ouvrir un avenir plus prometteur. Le point central de leur souffrance, ce fut la défaillance de leurs soutiens sociaux, et non les conséquences d’un handicap ou d’une invalidité. Cette défaillance, c’est nettement le gouvernement qui doit en assumer la responsabilité.
Je vous dirais donc que nous ne nous posons pas la bonne question. Il ne faut pas faire jouer des éléments subjectifs comme la notion de souffrance intolérable. Il faut plutôt faire une évaluation objective : la personne handicapée peut-elle se reposer sur des soutiens suffisants pour mener une vie autonome?
Sénateurs, je lance un défi à n’importe qui : allez proposer l’AMM à n’importe quel autre groupe en quête d’égalité au Canada. Pensez-vous que vous ne seriez pas accueillis par des cris d’indignation et des accusations de fanatisme?
Comme le comité d’experts l’a également dit lundi dernier, nous acceptons tous que ce ne peut être une décision rationnelle si une personne appartenant à un autre groupe protégé — qu’il s’agisse d’une minorité raciale, sexuelle ou de genre — choisit de mettre fin à ses jours parce qu’elle souffre en raison de son statut.
Nous, Canadiens handicapés, voyons notre corps changer, mais nous ne souffrons pas. En tant que groupe, nous ne nous évanouissons pas doucement dans la bonne nuit de la mort. Nous parcourons simplement la terre d’une façon différente. Donnez‑nous les moyens de le faire.
Outre les idées préconçues omniprésentes dans le projet de loi, selon lesquelles la situation de handicap revient à subir d’insupportables souffrances, l’autre grand argument invoqué pour supprimer le critère de la mort raisonnablement prévisible est que cette notion est empiriquement erronée. On ne se préoccupe pas du droit à la vie des gens parce que le régime actuel a rendu l’accès à l’aide au suicide beaucoup plus facile, et qu’il est de plus en plus facile d’année en année.
En assouplissant radicalement les mesures de sauvegarde, comme cela est imposé, on ouvre la porte à des abus et on favorise implicitement l’aide médicale à mourir plutôt que de simplement la permettre. Cette mesure normalise la mort prématurée due à une condition appelée invalidité sans que s’applique la norme juridique de prévisibilité raisonnable de la mort. Il est essentiel de faire cette distinction. Ne pas la faire reviendrait à ne pas garantir la citoyenneté pleine et entière à plus de six millions de Canadiens handicapés. Ce serait dire à quiconque a un handicap qu’on peut se passer de sa vie. Ce serait là une conséquence non recherchée de la plus grande importance.
Merci, madame la présidente.
La présidente : Merci, maître Shannon. Nous allons maintenant passer au Dr Naheed Dosani.
Dr Naheed Dosani, médecin en soins palliatifs et activiste pour la justice en matière de santé, à titre personnel : Bonjour à tous. Merci beaucoup de m’avoir invité. Je m’appelle Naheed Dosani, et je suis médecin en soins palliatifs. Je prodigue des soins aux personnes aux prises avec des vulnérabilités structurelles comme l’itinérance, la pauvreté et le racisme systémique. Je suis le fondateur du premier programme de soins palliatifs mobiles au monde axé sur les besoins des sans-abri, le programme PEACH, Palliative Education and Care for the Homeless, à Toronto, en Ontario.
Notre équipe, composée d’un groupe de travailleurs de la santé compatissants, s’occupe à tout moment de 110 à 120 personnes, qu’elles vivent dans la rue, sous un pont ou dans un refuge, en leur apportant des soins modulés selon le traumatisme, en cherchant à atténuer les préjudices et en appliquant une approche axée sur les droits de la personne afin que tous aient un accès équitable aux soins palliatifs.
Je suis également le fondateur du premier centre de soins palliatifs de Toronto pour les sans-abri, et je suis directeur médical de l’intervention de la région de Peel auprès des sans-abri dans la lutte contre la COVID-19...
La présidente : Docteur Dosani, pourriez-vous ralentir, s’il vous plaît? C’est très difficile pour les interprètes.
Dr Dosani : Pas de problème. Et j’occupe des postes de professeur à la division des soins palliatifs à l’Université de Toronto et à l’Université McMaster.
Étant donné que, sauf erreur, le projet de loi C-7 sera probablement adopté sous une forme ou une autre, je comparais pour vous convaincre de trois choses. Premièrement, tous les Canadiens n’ont pas également accès aux soins palliatifs. Deuxièmement, ceux qui ont une vulnérabilité structurelle, comme la pauvreté, l’itinérance et le racisme, doivent surmonter encore plus d’obstacles que d’autres pour obtenir ces soins. Troisièmement, il arrive que certains optent pour l’AMM parce que leur contexte social crée des conditions qui les y incitent. Nous devons faire mieux.
Premièrement, les soins palliatifs améliorent la qualité de vie des personnes atteintes d’une maladie limitant leur espérance de vie et de ceux qui s’occupent d’elles. En 2016, la Société canadienne des médecins de soins palliatifs a publié un rapport intitulé Améliorer les soins palliatifs au Canada. Le rapport a mis en lumière des lacunes importantes dans les soins palliatifs au Canada, mais il a aussi formulé six recommandations importantes pour les combler. En 2018, Santé Canada a publié le Cadre sur les soins palliatifs au Canada, mais cela mis à part, on a vraiment mis en œuvre fort peu de ces recommandations, voire aucune. Il faut leur donner suite.
Deuxièmement, il y a, et on en parle encore moins, des obstacles encore plus importants que les marginalisés doivent surmonter pour obtenir des soins palliatifs. J’offre ces soins dans la rue depuis plus de sept ans à des groupes qui butent sur ces obstacles. J’ai observé la situation de mes propres yeux. En 2014, j’ai pu me joindre à une équipe de recherche de l’Université de Victoria qui voulait à répondre à cette question : quels sont, pour ceux qui vivent en marge de la société, les obstacles à surmonter pour accéder aux soins palliatifs?
L’étude a été menée par la Dre Kelli Stajduhar, qui est pour moi à la fois une collègue et un mentor. Le rapport qui a suivi, Too Little, Too Late, dépeint une situation affligeante. L’équipe, qui a cumulé 300 heures d’observation, a suivi 25 personnes logées précairement, et ceux qui les aident et leur apportent des services. Constatation? Les gens qui vivent en marge ont du mal à obtenir des soins palliatifs. Pourquoi? Parce que la nécessité de survivre l’emporte sur les discussions sur les soins palliatifs lorsqu’on vit dans la rue. Parce que la mort est chose tellement banale dans les rues. Parce qu’il est difficile de cerner rapidement les besoins en soins palliatifs des gens de la rue. Parce que nos systèmes qui occupent du logement, de l’alimentation, des soins de santé et du revenu sont cloisonnés et échangent rarement entre eux. Parce qu’il y a souvent des obstacles qui empêchent les organismes de soins à domicile de fournir des soins dans des milieux non traditionnels. Et parce qu’il y a tellement de morts dans les rues que cela a créé tout un monde à part qui vit dans le deuil et la précarité.
En somme, pour rendre l’accès aux soins palliatifs plus équitables, nous devons renforcer les systèmes qui soutiennent les personnes marginalisées.
Troisièmement, étant donné que le témoignage d’aujourd’hui porte sur le projet de loi C-7 et l’AMM, parlons donc de l’AMM. Je travaille sur le terrain, aux premières lignes de la crise de l’itinérance, de la crise des décès par surdose d’opioïdes et maintenant de la pandémie de COVID-19. Je travaille dans un monde où je peux prendre des dispositions pour accorder l’aide médicale à mourir en deux semaines de façon structurée et efficace, mais aussi dans un monde où, avec de la chance, il faut des années pour arriver à loger ceux dont je m’occupe, des mois pour leur obtenir un soutien au revenu et des semaines pour avoir un soutien en santé mentale et en réduction des préjudices. Bien que je comprenne que ces processus ne s’excluent pas mutuellement et que les ressources nécessaires ne proviennent pas nécessairement du même endroit, je trouve cela navrant sur le plan moral.
Je tiens à être clair. J’ai vu des gens demander l’aide médicale à mourir parce qu’ils étaient marginalisés. Prenons Bob — c’est un prénom fictif, bien sûr —, un homme dans la cinquantaine atteint de sclérose en plaques et affligé de blessures complexes qui a été aiguillé vers notre service de soins palliatifs pour que nous l’aidions à gérer sa douleur. Même si nous avons soulagé au mieux ses souffrances et avons bien soigné ses plaies, il a opté pour l’AMM. Pourquoi? Parce que sa maladie évolutive, avec son cortège de complications, a entraîné un problème de consommation d’alcool, ce qui lui a fait perdre son logement puis sa famille et, en fin de compte, l’a condamné à la solitude.
Par ailleurs, j’ai aussi vu comment, en agissant sur les déterminants sociaux de la santé, on peut avoir une influence marquante au point que la personne se ravise, si elle songeait à l’AMM. Prenons Mary — encore une fois un prénom fictif —, une femme dans la trentaine, séropositive, qui ne suivait aucun traitement. Elle était au bord du sida. Elle ne voulait pas prendre de médicaments contre le VIH parce qu’elle était dans la rue, qu’elle était toxicomane et qu’elle n’avait pas d’équipe soignante. Elle voulait mourir en demandant l’AMM. Mais une fois surmontées ses souffrances morales et physiques, après avoir reçu de l’aide pour trouver un logement, toucher un revenu et bénéficier d’un soutien complet, elle a changé d’avis. Elle ne voulait plus mettre fin à ses jours en recourant à l’AMM. Elle voulait vivre parce qu’elle avait une meilleure qualité de vie.
Dans le débat sur l’AMM, il n’est jamais question d’expériences comme celles de Bob et de Mary. On me dit que, d’après les recherches qui se font maintenant, les histoires comme celles de Bob et de Mary sont peu courantes. Comment vraiment savoir? Avons-nous vraiment fait suffisamment de recherches pour connaître les expériences de ceux qui vivent en marge? De plus, je crains que le projet de loi C-7 n’ait un impact disproportionné sur la classe ouvrière, les personnes handicapées, les sans-abri, les pauvres et les marginalisés, les personnes qui n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins fondamentaux comme la nourriture, le logement et les médicaments, et que, si nous n’injectons des fonds dans aucune des structures dont les faiblesses sont à l’origine de ces situations, l’AMM ne soit peut-être pas un choix équitable pour tous. Chaque nuit, 35 000 Canadiens sont dans l’itinérance. Nous avons mis beaucoup d’énergie à faire adopter l’aide médicale à mourir dans notre monde et dans notre pays, mais il faudrait en consacrer autant au logement, à la réduction des préjudices, à l’instauration d’un revenu de base et à l’assurance-médicaments. Si vous facilitez l’accès à l’AMM, vous avez également l’obligation de veiller à ce que personne ne soit réduit à une situation de vulnérabilité telle que l’AMM devienne le seul moyen d’y échapper.
Merci beaucoup de m’avoir écouté.
La présidente : Merci beaucoup, docteur Dosani. Nous allons maintenant passer à Me Danielle Chalifoux, avocate.
[Français]
Me Danielle Chalifoux, avocate en droit de la santé, Institut de planification des soins du Québec : Mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, merci de m’avoir invitée à présenter la position de l’Institut de planification des soins du Québec.
L’institut a pour mission d’aider et soutenir les personnes, les groupes et les organisations relativement à la planification des soins, et aussi de défendre les droits des usagers au sein du système de santé québécois.
Personnellement, je suis avocate membre du barreau depuis 1985 et je m’intéresse depuis à peu près le début des années 2000 à l’aide médicale à mourir. Je dois dire aussi que je suis fière d’avoir fait des études en soins infirmiers et j’ai pratiqué en soins palliatifs pendant quelques années. Cela m’a donné une certaine expérience du terrain.
Je m’attarderai seulement sur quelques points étant donné le court délai à ma disposition. Tout d’abord, nous considérons à l’institut que le gouvernement fédéral a mal géré le dossier à la suite des décisions Truchon et Gladu. Pourquoi ne pas en avoir appelé de la décision, alors qu’elle ne s’applique qu’au Québec?
La situation du Québec par rapport aux autres provinces est différente. Présentement, au Québec, il est possible, avec des requêtes en exemption constitutionnelle, pour une personne qui se trouve dans la situation où sa mort n’est pas raisonnablement prévisible, de se prévaloir de l’aide médicale à mourir si, par ailleurs, elle remplit les autres conditions.
Au Québec, les demandes en exemption constitutionnelle sont peu nombreuses, mais elles existent. À ma connaissance, elles ont toutes été acceptées, du moins celles qui sont répertoriées et dont j’ai pu prendre connaissance. Telle est la situation au Québec. Par ailleurs, dans les autres provinces on comprend que c’est encore sous la juridiction du projet de loi C-14; c’est donc deux poids, deux mesures.
Cela dure depuis un an et demi avec les délais qui ont été accordés, et on n’est pas loin du temps qu’il aurait fallu pour interjeter appel. L’autre avantage qu’aurait eu un appel pour le gouvernement, c’est que la possibilité d’infirmer les décisions Truchon et Gladu n’était pas futile du tout. Par exemple, on peut se remémorer la cause de Mme Julia Lamb, une jeune femme dont la maladie dégénérative était grave et irrémédiable, mais qui n’était pas véritablement dans une condition de mort naturelle raisonnablement prévisible, et qui a tout de même été considérée comme admissible par une application large et libérale de la notion. Finalement, elle s’est désistée de sa cause, parce qu’elle a réussi à obtenir ce qu’elle voulait. Cela prouve donc que, éventuellement, les décisions Truchon et Gladu n’étaient peut‑être qu’une simple question d’interprétation plutôt qu’une question de constitutionnalité. Je le dis avec un point d’interrogation, puisqu’on n’a pas le bénéfice d’un appel, on ne le saura pas.
Un autre avantage est que le temps qu’il aurait fallu pour se rendre à la Cour suprême aurait permis un délai de réflexion plus serein, permettant le réexamen pour en arriver à une loi plus complète, qui aurait pu traiter de la maladie mentale et possiblement aussi des demandes anticipées d’aide médicale à mourir.
À cet égard, certains proposent un renvoi à la Cour suprême. Est-ce que ce serait un renvoi sur le projet de loi C-14, ou sur le projet de loi C-7, ou sur les deux? Il y aurait certainement des avantages à obtenir un renvoi. Comme le disait le professeur Beaulac que vous avez entendu récemment, il vaudrait mieux vider la question du projet de loi C-14, parce que le projet de loi C-7 constitue une réponse au projet de loi C-14, tenant pour acquis que l’inconstitutionnalité du projet de loi C-14 existe.
Donc, s’il y avait un renvoi uniquement sur le projet de loi C-7, celui-ci porterait surtout sur l’exclusion des maladies mentales. Respectueusement, si on en fait une analyse strictement juridique, cette exclusion nous semble assez problématique. Quant à l’exclusion pure et simple de la maladie mentale dans l’application du projet de loi C-7, l’Institut de planification des soins du Québec considère que cette exclusion en matière de maladie mentale est inconstitutionnelle, parce qu’elle ne respecte pas l’arrêt Carter.
Je pourrai d’ailleurs vous entretenir, si jamais cela vous intéresse, d’une décision de la Cour d’appel de l’Alberta à cet égard qui est très intéressante. L’exclusion de la maladie mentale viole également l’article 1 de la Charte. On n’a qu’à se rapporter aux critères de l’arrêt Oakes et des arrêts subséquents pour s’en convaincre.
Si on pose la question, à savoir si l’exclusion pure et simple constitue une atteinte minimale aux droits des personnes, respectueusement, je crois que poser la question c’est y répondre.
Alors, nous ne comprenons pas vraiment l’attitude du gouvernement fédéral à cet égard. Comment sert-il la population canadienne s’il adopte une disposition si clairement inconstitutionnelle, qui prive toute une catégorie de personnes atteintes de maladie mentale du droit à l’aide médicale à mourir, sans que cela ne paraisse justifié en fonction du droit applicable?
On s’achemine nécessairement vers de nouvelles contestations et il faudra encore reprendre le processus. On se pose la question. Est-ce que le Sénat devrait proposer l’inclusion des maladies mentales dans le projet de loi C-7? Ce serait sûrement possible, mais peut-être pas dans le délai imparti, parce que la loi doit être adoptée le ou avant le 26 février.
De plus, si le délai n’est pas respecté et si la Cour supérieure du Québec refuse d’octroyer un autre délai, ce qui nous semble non seulement possible, mais peut-être probable, à ce moment-là ce ne serait pas une catastrophe, par ailleurs, pour le Québec. Parce que premièrement, il ne serait plus dans l’obligation de demander des exemptions constitutionnelles. Deuxièmement, n’oublions pas que le Québec a sa propre loi sur les soins de fin de vie, et qu’il peut l’amender s’il en sent le besoin.
Par exemple, le Collège des médecins pourrait formuler des guides de pratique et des directives, alors que les autorités gouvernementales pourraient aussi émettre un avis qui garantit que les médecins qui procurent l’AMM dans le respect de ces directives ne seraient pas poursuivis.
Quant aux autres provinces et territoires du Canada, malheureusement — ou heureusement, tout dépendant du point de vue, le projet de loi C-14 continue de s’appliquer. Par ailleurs, on serait à même de voir l’évolution de cette notion qui prendrait peut-être une application plus large et plus libérale.
On s’est posé la question aussi, à défaut pour le Sénat de proposer un amendement en ce sens. Est-ce qu’une disposition de temporisation serait appropriée? Oui, certainement, mais ce serait un moindre mal, et selon nous, le délai ne devrait pas dépasser un an.
Si le Sénat proposait l’inclusion des maladies mentales dans le projet de loi C-7, quelles mesures de sauvegarde seraient appropriées? Je vous réfère au rapport de l’Association des médecins psychiatres du Québec intitulé Accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de troubles mentaux, qui a d’ailleurs été étudié assez en profondeur dans un forum national qui a eu lieu récemment, demandé par le gouvernement du Québec, au sujet de l’aide médicale à mourir et des maladies mentales. C’est la Dre Mona Gupta qui, je crois, vous a présenté les lignes directrices de ce rapport.
Il y a quelques constats de ce rapport que j’aimerais vous partager qui, nous croyons à l’institut, pourraient servir de mesures de sauvegarde très appropriées. D’abord, les constats sont la nécessité de procéder à une évaluation substantielle et spécifique reliée aux troubles mentaux, particulièrement de l’évaluation de l’aptitude décisionnelle de ces personnes, de bien définir les critères concernant l’aspect incurable et irréversible de la maladie, tenir compte de sa chronicité et aussi d’avoir constaté que de nombreuses tentatives de traitements auraient été faites et leur échec, le cas échéant, ce qui ne se ferait qu’à la suite d’un très long parcours, on parle d’années. Les mesures envisagées par l’association comprennent également qu’il y ait une dynamique relationnelle entre le patient, la famille et l’équipe de soins et mentionnent aussi la nécessité de l’amélioration des soins et de leur accès en temps opportun. Cela s’applique au Québec et j’imagine que cela s’applique ailleurs aussi au Canada et dans les territoires.
Alors, ce sont les principales recommandations de notre institut par rapport au projet de loi C-7 et aussi des pistes à suivre pour avoir une loi qui soit compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés et la jurisprudence de la Cour suprême.
Je vous remercie et je suis prête à répondre à vos questions.
La présidente : Merci.
[Traduction]
Jonathan Marchand, président, Coop ASSIST — Coopérative québécoise pour la vie autonome : Je viens du Québec. Je suis ingénieur principal de réseau en informatique, et je suis un militant et un défenseur des personnes handicapées. J’ai une forme de dystrophie musculaire et j’ai eu un handicap toute ma vie. Je comparais devant vous depuis ce que je considère comme ma cellule médicale, un établissement de soins de longue durée au Québec.
Je m’oppose au projet de loi C-7 parce que la mort sans dignité n’existe pas sans la vie dans la dignité.
J’ai 44 ans, et tout comme Jean Truchon, je suis obligé de vivre ici parce qu’il n’y a pas de soutiens adéquats pour que je puisse vivre dans la collectivité.
Depuis 10 ans maintenant, je me bats pour sortir d’ici, retrouver ma liberté et ouvrir une voie vers la vie en société pour tout le monde, car vivre dans la société est un droit de la personne.
Avant d’être piégé dans le système institutionnel, j’ai eu une bonne vie. J’étais prospère.
En 2010, à cause d’une pneumonie sévère, je me suis retrouvé aux soins intensifs. On a pratiqué une trachéotomie d’urgence pour m’aider à respirer avec l’aide d’un respirateur. On m’a expliqué qu’il fallait désormais que quelqu’un soit avec moi 24 heures sur 24 au cas où j’aurais besoin d’aide. J’étais incapable de parler, et plusieurs médecins m’ont incité à accepter l’euthanasie, les « soins de confort », ont-ils dit, pour mettre fin à ma vie. Je n’ai jamais rien demandé de tel.
J’ai passé les quelques semaines suivantes à réfléchir et à pleurer toutes les larmes de mon corps. Ma vie est vraiment terminée? Cette pensée ne m’avait jamais traversé l’esprit. Mon état de santé s’améliorait. Mais perdre le contrôle de ma vie, être complètement dépendant des autres et devenir un fardeau pour mes proches, tout cela m’était insupportable.
Il n’y a pas de services de soutien qui permettent de vivre à l’extérieur des hôpitaux. J’ai dû choisir entre me tuer ou passer le restant de mes jours à l’hôpital. On ne m’a jamais offert la possibilité de continuer ma vie à la maison avec l’aide nécessaire. Je n’étais pas prêt à abandonner ma conjointe, ma famille et mes amis. J’ai signifié mon refus de l’euthanasie.
J’étais prêt à tout pour sortir de cet enfer médical, mais tout comme dans le cas de Jean Truchon, on m’a refusé les soins à domicile dont j’avais besoin. Je me suis plaint aux plus hautes instances. On m’a dit que c’était une question politique, car vivre dans la communauté avec le soutien nécessaire n’est pas un droit au Canada. Après deux ans et demi à l’hôpital, je me suis retrouvé dans un établissement de soins de longue durée.
Cet endroit est une prison médicale. Aucun libre choix. Aucun contrôle sur sa propre vie. La vie amoureuse? C’est terminé. Impossible de vivre avec sa partenaire. Vie privée? À oublier. Chaque geste est consigné. On est désormais la chose de l’État. Ce sont des gestionnaires, des fonctionnaires, des infirmières et d’autres qui décident comment vous allez vivre. Vous êtes trop indépendant à leur gré? Ils vont vous briser. Vous devez vous soumettre à leurs règles. Il faut être un bon, gentil, obéissant et reconnaissant petit infirme.
J’ai laissé tomber et j’ai sombré dans la dépression. J’avais honte de vivre dans ce ghetto. Sans humanité ni liberté, la vie n’a plus aucun sens. Je regrettais d’avoir refusé l’euthanasie. Je voulais simplement vivre avec ma compagne, travailler et mener une vie sociale normale. J’en suis venu à vouloir mourir. J’étais devenu Jean Truchon.
J’ai appris qu’environ 70 % des personnes gravement handicapées vivent dans des établissements au Québec. Les autres s’entêtent à rester chez eux, mais ils se retrouvent souvent tout aussi isolés. Beaucoup se sont suicidés ou ont accepté l’euthanasie pour éviter un sort comme le mien.
Ce n’est pas mon handicap qui me fait souffrir. Ce sont le manque de soutien et d’accessibilité, et la discrimination dont je fais l’objet quotidiennement. En dernier recours, j’ai occupé un espace dans une cage devant l’Assemblée nationale du Québec pendant cinq jours et cinq nuits pour protester contre mon incarcération et pour obtenir des moyens de vivre dans mon milieu. Pourquoi est-ce si difficile de se faire remarquer et entendre quand on veut vivre?
La prévention du suicide est offerte aux personnes non handicapées, mais je mérite l’aide au suicide? On m’a déjà dit : si vous n’êtes pas satisfait de ce qu’on vous offre, pourquoi ne pas accepter l’euthanasie? Ma vie vaut la peine d’être vécue. Je veux être libre. Je ne fais pas confiance au gouvernement, aux politiques, aux fonctionnaires et aux médecins pour me dire ce que je peux faire ou pas dans ma vie ou comment je dois mourir.
Je suis un survivant improbable. Honorables sénateurs, vous devez saborder le projet de loi ou supprimer la deuxième série spéciale de garanties. Il ne peut y avoir de mort dans la dignité, ni de liberté de choix tant que nous sommes forcés de vivre dans des établissements, qu’on nous fait sentir comme des fardeaux, tandis que nous sommes victimes de discrimination et de violence systémique à tous les niveaux. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Vous avez dû faire preuve de beaucoup de courage pour nous expliquer votre situation. Merci beaucoup.
Sarah Jama, organisatrice principale, Disability Justice Network of Ontario : Merci de m’avoir invitée à prendre la parole devant vous. Je m’appelle Sarah Jama et je suis organisatrice principale au Disability Justice Network of Ontario. Le DJNO vise à bâtir une société ontarienne juste et accessible où les personnes handicapées ont la possibilité, sur les plans personnel et politique, de s’épanouir et d’apporter leur contribution, et de se donner le pouvoir, la capacité, les compétences voulus pour obliger les gens, les collectivités et les établissements à assumer la responsabilité des espaces de vie qu’ils créent.
Je suis également organisatrice pour Black Lives Matter et je contribue beaucoup à la lutte contre le racisme à l’égard des Noirs dans ma ville. Je le souligne parce qu’une partie de mon travail quotidien consiste à garder les Noirs en vie dans un monde qui leur inflige des préjudices constants à cause de la couleur de leur peau.
Je suis atteinte de paralysie cérébrale et, depuis le début de ma vie, l’aide à mourir est un choix qui m’est offert. Comme ma mère le raconte, les médecins ont essayé de la convaincre de mettre fin à mon existence au cours de son premier trimestre de grossesse parce que, selon eux, je serais un légume. Nouvellement arrivée au Canada, elle ne savait pas trop comment résister, sinon par la colère.
Elle s’est battue pour me garder. Elle a été alitée jusqu’à son deuxième trimestre, puis je suis née à six mois. Mon cœur s’est arrêté, j’ai été ranimée et je suis restée sous oxygène dans un incubateur pendant les trois premiers mois de ma vie. Selon un pneumologue, j’ai probablement une capacité pulmonaire réduite, et je n’en parle pas vraiment, mais certains jours, respirer me fait mal.
Je songe à la façon dont les médecins ont voulu que je meure, eux qui exercent encore leur profession, à la façon dont ces mêmes médecins voudraient probablement me procurer l’aide à mourir s’ils en avaient l’occasion, car à leurs yeux, ma vie ne vaut rien.
Il n’y a pas vraiment de moyen de se protéger contre le racisme systémique ou le capacitisme systémique dans nos milieux médicaux. Je pense à Joyce Echaquan, une Autochtone qui a enregistré les propos racistes d’infirmières négligentes avant de mourir.
De la même façon que la police a le pouvoir de se prononcer sur les actes répréhensibles des policiers, les médecins peuvent se prononcer sur les actes d’autres médecins. Et s’il existe une fraternité tacite dans les services de police, il y en a aussi une entre les médecins, qui peuvent se protéger si leurs actes causent un préjudice.
Je pense aussi à la pandémie. Partout au Canada, des personnes handicapées meurent dans des établissements de soins de longue durée. Cette institutionnalisation et ces décès innombrables ne seraient pas possibles si les soins à domicile et les services de soutien à la personne étaient financés adéquatement, s’il y avait des logements abordables et accessibles, et si nous ne vivions pas dans une société qui dévalorise ceux qui ne font pas partie de la population active. D’un bout à l’autre du Canada, des personnes handicapées ont des taux de pauvreté que les pouvoirs publics tolèrent. Elles sont réduites à l’aide sociale, sans l’argent qu’il faudrait pour leurs médicaments ou leurs thérapies. Quel choix ont-elles, en pareilles circonstances? Un choix qui, pour certains, éliminerait le choix des autres est injuste.
Il n’y a aucun moyen de s’assurer que ne veuillent pas mourir des gens comme Chris Gladders, de Hamilton, en Ontario, qui a choisi la mort à cause des conditions terribles qu’il devait endurer dans un établissement de soins de longue durée où il était couvert d’urine et d’excréments. Même Jean Truchon a obtenu l’aide médicale à mourir, disant que c’était en partie à cause de l’isolement où, pandémie oblige, il était maintenu dans un établissement de soins de longue durée.
Nous vivons dans un pays où les Noirs et les Autochtones — Eishia Hudson, D’Andre Campbell, Andrew Loku, Jermaine Carby — sont tués un peu partout au Canada après avoir réclamé de l’aide à cause de problèmes mentaux. On prétend nous tuer pour nous empêcher de nous tuer nous-mêmes.
Pendant ce temps, nous débattons aujourd’hui de la possibilité de modifier le Code criminel à une vitesse sans précédent afin de permettre aux Noirs et aux Autochtones handicapés de choisir de se suicider. Ces priorités sont déconnectées de la réalité du classisme, du racisme et du capacitisme dans notre pays. Les Noirs sont touchés de façon disproportionnée par la COVID et subiront les effets à long terme de l’invalidité. Les jeunes Autochtones ont les taux de suicide les plus élevés au Canada.
Permettre un accès plus facile à l’aide médicale à mourir avant que notre gouvernement ait tenu compte de ces circonstances est une erreur.
Honorables sénateurs, si vous comprenez la nature et les problèmes du capacitisme systémique au Canada, vous comprenez aussi qu’être handicapé et pauvre au Canada, c’est penser au suicide tous les jours.
Le problème n’est pas l’aide médicale à mourir. Je ne suis pas contre, mais je suis contre votre décision de modifier le Code criminel sans écouter les Noirs, les Autochtones et les membres de la classe ouvrière partout au Canada. Je m’oppose à ce que les provinces préconisent des protocoles de triage et révoquent des lois sur le consentement, comme nous le voyons en Ontario. Cette province s’inspire du projet de loi à l’étude, qui dévalorise la vie des personnes handicapées. J’ai honte de l’absence totale d’efforts de la part de mon gouvernement pour vraiment entendre le point de vue des Noirs, des travailleurs et des Autochtones sur cette question de vie ou de mort. J’ai honte de la rapidité avec laquelle l’étude du projet de loi progresse alors que les personnes handicapées sont dans le désespoir d’un bout à l’autre de notre pays.
Le projet de loi C-7 est capaciste et anti-noir. Il est hostile à la classe ouvrière. Plus tôt aujourd’hui, les experts des Nations unies ont exprimé leur inquiétude face à la tendance croissante à adopter des lois permettant l’aide médicale à mourir fondée sur le handicap. Dans leur déclaration écrite de lundi, ils ont dit expressément qu’il est essentiel que les personnes handicapées de tous âges et de tous horizons puissent se faire entendre lorsqu’on élabore des politiques et rédige des règlements qui touchent leurs droits.
Nous vous demandons donc de rejeter le projet de loi C-7. Je vous demande de ne pas consacrer dans la loi les injustices que j’ai décrites et qui causeront clairement le plus de tort aux Noirs et aux Autochtones. Je vous prie de voter contre cette mesure. Une nouvelle génération de Canadiens handicapés est à l’écoute, et nous nous mobiliserons au besoin, y compris en faisant valoir notre position devant les tribunaux, si le projet de loi C-7 est adopté.
Merci.
La présidente : Madame Jama, merci d’avoir comparu. Merci d’avoir pris le temps de le faire. Je vous assure que nous vous avons entendue.
Nous passons maintenant à Mme Heidi Janz.
Heidi Janz, présidente, Comité d’éthique en fin de vie, Conseil des Canadiens avec déficiences : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Le capacitisme est une discrimination à l’encontre des personnes handicapées fondée sur l’idée que les capacités typiques sont supérieures aux leurs. Tout comme le racisme et le sexisme, le capacitisme place des groupes entiers de personnes dans une catégorie inférieure et perpétue des stéréotypes préjudiciables. Pour reprendre les termes de Gregor Wolbring, spécialiste canadien de la condition des personnes handicapées, le capacitisme demeure un des « ismes » les plus socialement enracinés et les plus acceptés.
L’élargissement du champ d’application des dispositions sur l’AMM est un exemple de capacitisme. Les recherches révèlent que les personnes handicapées sont souvent victimes de discrimination dans les soins de santé, même en temps normal. Les études ont toujours montré que les professionnels de la santé sous-estiment considérablement la qualité de vie des personnes handicapées. Des jugements erronés à cet égard peuvent avoir pour conséquence que l’éventail des traitements qui leur sont offerts est limité, quand ils ne sont pas carrément écartés. Au cœur de ces décisions se trouve ce que Joel Michael Reynolds, spécialiste des questions d’invalidité, a appelé l’amalgame capacitiste de l’invalidité, de la souffrance et de la mort.
Contrairement au sempiternel mantra de la santé publique qu’on entend depuis le début de la pandémie, selon lequel nous serions tous dans le même bateau, des protocoles de triage en soins intensifs précisent que la préexistence d’une incapacité serait un critère d’exclusion des soins intensifs si le rationnement devient nécessaire. Ainsi, quand mon état s’est sérieusement détérioré en novembre à cause d’une pneumonie, j’ai été forcée de me rendre à l’urgence seule, terrifiée. Au fil des ans, j’avais entendu de nombreux témoignages d’amis et de collègues handicapés pour qui des ordonnances de non-réanimation avaient été placées arbitrairement dans leur dossier, à leur insu. Ils avaient donc dû demander à leur famille et à leurs amis de surveiller leur dossier pour voir s’il ne contenait pas d’ordonnance de non-réanimation non autorisée et, le cas échéant, pour réclamer qu’on l’en retire.
D’autres m’ont raconté que des médecins leur avaient demandé à plusieurs reprises et avec insistance s’ils voudraient recevoir de l’oxygène d’appoint par canule nasale, un traitement qui est normalement considéré comme routinier chez un non‑handicapé. C’est avec tout cela à l’esprit que j’ai répondu a priori à l’urgentiste, qui me parlait des objectifs de soins, le plus clairement possible et avec la force dont étaient capables mes poumons saturés à 82 % d’oxygène : « R1 ».
Je me suis vite habituée à m’entendre décrire ainsi à chaque changement de quart : « Pneumonie avec complications, R1 ». Puis est venu le jour du tomodensitogramme. Deux infirmières en radiologie examinaient mon dossier quand elles se sont soudainement regardées et que l’une d’elles a lancé sur un ton incrédule : « C’est une R1? » en secouant la tête. Au diable mon statut reconnu de professeure d’éthique et de défenseure des droits des personnes handicapées! En l’espace d’un instant, je n’étais plus qu’une handicapée atteinte de tétraplégie cérébrale spastique, incapable d’articuler une parole, munie d’une sonde gastrique et maintenant atteinte d’une pneumonie avec complications. D’après la réaction de cette infirmière à mes objectifs de soins, il était clair qu’elle ne pouvait pas imaginer que ma vie valait la peine d’être vécue.
C’est cela le capacitisme médical.
J’avais une amie handicapée qui, après avoir été forcée de vivre dans un foyer de soins et avoir entendu « C’est une R1? », a trop souvent changé ses objectifs de soins, jusqu’à accepter de renoncer à une oxygénothérapie et à en mourir.
C’est ce que fait le capacitisme médical quand il est internalisé.
Les personnes handicapées sont plus à risque que les autres de se suicider en raison de cette forme de discrimination internalisée, et elles se heurtent aussi à des obstacles de taille quand elles essaient d’accéder à des services de prévention du suicide. Les professionnels de la santé négligent les sources de stress typiques chez ces personnes. Les problèmes découlant des ruptures d’une relation, de la dépression et de l’isolement, par exemple, sont attribués à tort à leur handicap.
Selon les médias, il arrive que des personnes handicapées vivant dans la pauvreté se sentent poussées à mettre fin à leurs jours en recourant à l’aide médicale à mourir parce qu’elles n’ont pas les moyens de survivre. Des médecins signalent que des patients handicapés ont réclamé l’AMM après avoir appris que le temps d’attente pour obtenir un logement accessible avec le soutien dont ils avaient besoin était de 10 ans ou plus. Dans une société vraiment juste et progressiste, les mesures de prévention du suicide devraient être appliquées de façon égale à tous.
Compte tenu de la prévalence du capacitisme au Canada, le Conseil des Canadiens avec déficiences demande que les modifications suivantes soient apportées au projet de loi C-7 dans l’espoir de limiter le risque que ce texte cause la mort par capacitisme interposé.
Premièrement, l’obtention d’un logement adéquat, d’un soutien du revenu, de soins palliatifs et de services à domicile doit précéder l’admissibilité éventuelle à l’AMM. Le fardeau de fournir ces mesures de soutien au niveau requis doit incomber aux gouvernements; une personne handicapée ne devrait jamais devoir faire pression sur les institutions pour bénéficier de mesures de soutien adéquates.
Deuxièmement, adresser un renvoi à la Cour suprême du Canada, en vertu de la Constitution, au sujet des protections existantes du projet de loi C-14 qui limitent l’AMM aux cas où la mort naturelle d’une personne est raisonnablement prévisible.
Troisièmement, tout changement apporté à la loi canadienne sur l’AMM doit résolument aller dans le sens des conclusions de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées. Dans son énoncé de fin de mission de 2019, Mme Catalina Devandas-Aguilar mentionne le manque de « protocole [...] pour démontrer que les personnes handicapées ont reçu des solutions de rechange viables lorsqu’elles sont admissibles à l’aide médicale à mourir », et indique avoir reçu :
[...] des plaintes inquiétantes concernant des personnes handicapées dans des institutions qui subissent des pressions pour obtenir de l’aide médicale à mourir, et des praticiens qui ne signalent pas officiellement les cas impliquant des personnes handicapées.
Quatrièmement, la loi canadienne sur l’AMM modifiée devrait respecter la directive judiciaire de la CSC dans l’arrêt Carter, qui exige « [...] un régime soigneusement conçu qui impose des limites strictes scrupuleusement surveillées et appliquées ».
Cinquièmement, il faut supprimer la disposition du projet de loi C-7 qui permet à un fournisseur de soins de santé ou de soins personnels d’une personne handicapée d’être un témoin admissible à la demande d’aide médicale à mourir de cette personne.
Sixièmement, il convient de conserver la période d’attente obligatoire de 10 jours prévue dans le projet de loi C-14, dans sa forme actuelle, ainsi que l’exigence d’une vérification indépendante par deux témoins de toutes les demandes d’aide médicale à mourir.
Septièmement, face à la prévalence du capacitisme, il faut ajouter au projet de loi C-7 un libellé qui garantira que toutes les discussions entourant l’aide médicale à mourir seront dirigées par les patients et non lancées prématurément par le médecin.
Huitièmement, il faut supprimer les dispositions du projet de loi C-7 qui annulent les exigences importantes et nécessaires du projet de loi C-14 en matière de consentement définitif.
Les partisans du projet de loi C-7 prétendent que l’élargissement de l’admissibilité et l’abandon des mesures de protection concernant l’AMM qu’ils prescrivent amélioreront l’autonomie et la dignité des personnes handicapées. En réalité, le projet de loi C-7 reviendrait à consacrer une forme de capacitisme mortel dans le droit canadien parce qu’on concentrerait les efforts stratégiques sur la facilitation de la mort des personnes handicapées plutôt que de leur garantir la prestation de services de soutien communautaires pour les aider à vivre.
Le rôle du Sénat est de procéder à un second examen objectif des projets de loi susceptibles d’avoir une incidence sur l’avenir de notre pays. Le Conseil des Canadiens avec déficiences, ainsi que toute la communauté de défense des droits des personnes handicapées au Canada, vous supplie. Faites votre devoir : n’adoptez pas le projet de loi C-7 dans sa forme actuelle. Renvoyez-le au gouvernement avec des amendements qui répondront à la réalité du capacitisme systémique. Vous devez veiller à ce que l’AMM ne devienne pas synonyme d’une mort due au capacitisme. Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Merci beaucoup, madame Janz, de nous avoir fait part de vos réflexions et de vos commentaires. Nous l’apprécions tous.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup à chacun et chacune de nos témoins aujourd’hui; vous apportez vraiment une lumière importante sur ce projet de loi que nous examinons.
Ma question sera pour Me Chalifoux, et si le temps le permet j’aurais la même question peut-être pour quelqu’un d’autre.
Maître Chalifoux, vous connaissez bien le contexte de ce projet de loi. Nous avons des individus comme Nicole Gladu et Jean Truchon et d’autres qui demandent le respect de leur droit à l’autodétermination. Nous avons aussi la décision Carter et la décision de la juge Baudouin. De l’autre côté, nous entendons encore aujourd’hui des craintes de la part de certains groupes et individus. C’est une discussion qui est passionnée. Nous avons ce projet de loi qui nous demande de respecter le droit des individus. Nous avons, dans le projet de loi C-7, des mesures de sauvegarde qui, à mon humble avis, sont équilibrées et adéquates, mais certains les ont jugées trop restrictives et d’autres, pas assez. J’aimerais vous entendre sur ces mesures de sauvegarde pour les individus dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, si vous le pouvez, bien sûr.
Me Chalifoux : Merci pour la question. Je pense que vous faites référence à la distinction entre le délai de réflexion pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et pour ceux dont la mort naturelle ne serait pas raisonnablement prévisible.
Nous pensons qu’un délai supplémentaire pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible et qui pourrait attester de la décision mûrement réfléchie serait acceptable au niveau de la Charte, sauf que 90 jours nous semblent un peu longs. Nous préférerions que ce soit ramené — comme je pense que c’est le cas en Belgique, je crois bien — à un délai d’un mois plutôt que trois. Voilà notre position là-dessus. Nous ne pensons pas que ce soit exorbitant du droit et que cela pourrait entrer dans les critères du fameux arrêt Oakes qui donne une atteinte minimale comme critère à la loi. Nous pensons que ce serait justifié.
Ensuite, il y a la renonciation au consentement final. Je ne sais pas si vous aviez cela en tête. Si la personne perd son aptitude entre le moment où elle fait la demande et le moment où on va lui administrer l’aide médicale à mourir, elle perd son droit. C’est un peu la situation que Mme Audrey Parker a vécue. Elle avait fait des représentations à cet effet-là. Elle avait un cancer, elle avait été admissible à l’aide médicale à mourir, mais elle l’a eu de façon prématurée parce qu’elle redoutait énormément de devenir inapte, ce qui lui aurait enlevé le droit à l’aide médicale à mourir. Alors nous sommes d’accord avec cette renonciation au consentement final. Au Québec, il y a eu un groupe d’experts dont je faisais partie qui a étudié toute la question de l’aide médicale à mourir dans les situations d’inaptitude. Leur première recommandation était d’enlever cette condition du maintien de l’aptitude jusqu’à la toute fin pour les personnes reconnues comme admissibles et ayant fait des demandes en bonne et due forme.
Pour ces deux considérations du projet de loi C-7, nous sommes plutôt d’accord avec ces conclusions-là. J’espère que cela répond à votre question.
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse également à Me Chalifoux. Si nous amendons le projet de loi C-7 avec une clause crépusculaire pour prévoir, par exemple, un délai d’un an avant que l’aide médicale à mourir soit accessible aux personnes atteintes d’une maladie mentale, ne devrait-on pas également mettre le concept de directive anticipée à l’intérieur du projet de loi?
Me Chalifoux : Je suis très contente de votre question, sénateur, parce que la question des demandes anticipées, c’est un peu mon bébé. C’est quelque chose que j’étudie et dont je fais la promotion au sein de l’Institut de planification des soins du Québec depuis plusieurs années. Le problème est qu’il faudrait laisser du temps pour aborder les problèmes que le législateur ou le gouvernement ont promis d’aborder lors du réexamen qui doit être fait, mais qui je crois n’a pas vraiment été commencé, et qui porte sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir et les maladies mentales. Au Québec, notre groupe d’experts a présenté au gouvernement un rapport qui comporte un régime complet sur les demandes anticipées. Nous avons étudié tous les aspects de ces demandes. Cela pourrait très bien inspirer également le législateur fédéral. J’espère que cela répond à votre question.
Le sénateur Carignan : Oui, merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Tout d’abord, je tiens à dire à tous les témoins que j’aurais aimé pouvoir leur donner plus de temps pour parler aujourd’hui, parce que nous avons entendu beaucoup d’exposés très éloquents. Merci beaucoup d’être ici et de nous avoir fait part de ces propos.
Ma première question s’adresse à Me Shannon. Maître Shannon, dans une lettre d’opinion que vous avez écrite le 2 décembre, vous avez expliqué que, si un professionnel de la santé vous avait donné la possibilité de vous prévaloir de l’AMM dans les premières années ayant suivi votre blessure, vous ne seriez peut-être pas ici aujourd’hui. Compte tenu du sens profond et véritable que vous avez donné à votre vie, je trouve cette déclaration déchirante et je me demande si vous pourriez nous en dire davantage à ce sujet.
De plus, croyez-vous que les idées suicidaires puissent s’estomper chez les personnes handicapées?
Croyez-vous que le projet de loi C-7 contient des mesures de protection contre une mort inutile?
Me Shannon : Merci beaucoup pour la question. En effet, les idées suicidaires s’estompent avec le temps. Je dirais qu’il peut y avoir des périodes de déprime, mais de nombreuses études nord‑américaines montrent que les personnes handicapées s’adaptent à leur handicap.
Je suis très heureux que vous ayez posé cette question, parce que j’ai eu la chance de pouvoir vivre une période d’adaptation, la chance de recevoir de l’amour et du soutien dans ma vie, la chance d’être devenu un adulte de 18 ans ayant a pu avoir accès à un logement et aller à l’université. Autrement dit, il faut donner aux gens l’accès aux soutiens sociaux qu’ils réclament aujourd’hui. C’est littéralement un appel à l’aide. On ne peut pas dissocier le fait que lorsque ce genre de soutien n’existe pas, l’oppression commence. Dire qu’il y a autonomie ou que l’AMM est une décision autonome est complètement déconnecté de la réalité du handicap.
Oui, nous avons des rêves. Tous les membres de la communauté des personnes handicapées en ont. Au Canada, on parle de la nécessité d’assurer la diversité, de la nécessité non pas d’étouffer le potentiel de chacun, mais de le stimuler. Malheureusement, avec ce projet de loi, qui dit que nos rêves peuvent s’éteindre, il semble ne plus valoir la peine de vivre une vie aussi remplie que celle des autres. En fin de compte, sans la garantie que la mort doit être prévisible, ce texte ouvre la porte à beaucoup trop d’abus.
La sénatrice Batters : J’aimerais poser ma deuxième question à Mme Jama. Madame Jama, je vous remercie beaucoup de votre déclaration d’ouverture percutante et de votre présence.
En tant qu’organisatrice communautaire et défenseure de la justice pour les personnes handicapées, vous nous avez clairement dit aujourd’hui que les groupes de personnes handicapées n’ont pas été suffisamment consultés au cours du processus parlementaire entourant le projet de loi C-7. Pourriez‑vous nous en dire un peu plus sur votre point de vue et sur le fait que les groupes de personnes handicapées n’ont pas été réellement entendus? De plus, pourriez-vous nous parler du manque de consultation des personnes de couleur sur cette question cruciale? Merci beaucoup d’avoir mis les parlementaires et le gouvernement au défi de faire mieux dans ce dossier crucial.
Mme Jama : Je pense qu’il est assez évident que seule une poignée de personnes noires et de personnes racialisées ont pris la parole au Parlement et devant le Sénat sur cette question. Je pense aussi que le manque de diversité en ce qui concerne le revenu et la classe sociale des gens est tout aussi apparent. Un grand nombre d’intervenants de Dying With Dignity que vous avez entendus appartiennent à la classe moyenne supérieure. Ils ont l’appui de lobbyistes, de réseaux, de leur famille et de leurs amis pour faire avancer ce projet de loi. Vous n’avez pas suffisamment cherché à aller parler aux petites gens qui vivent dans la pauvreté ni aux assistés sociaux. Les deux points de vue sont très différents quant à ce que signifient les expressions « racisme médical » et « capacitisme médical » auxquels ces groupes sont confrontés.
La sénatrice Batters : Merci, madame Jama. J’apprécie.
La présidente : Madame Jama, moi aussi, j’ai une question à vous poser. Vous avez parlé d’un manque de représentation. Je suis tout à fait d’accord avec vous, mais j’aimerais que vous me disiez, en votre qualité d’organisatrice principale du Disability Justice Network of Ontario et de membre active de la communauté des activistes noirs, si vous pensez qu’une collecte de données fondées sur la race pour vous aider dans votre travail vous permettrait d’avoir accès à plus de services.
Mme Jama : Oui. Je vous remercie de la question. En ce qui concerne les données fondées sur la race, je vais être honnête; nous parlons de la collecte de données fondées sur la race depuis des années. Nous savons que les personnes noires sont actuellement touchées de façon disproportionnée par la COVID-19. Les données dont nous disposons ne changent pas ce qui arrive aux nôtres. Il ne suffit pas de parler continuellement d’aller recueillir des données si l’on propose en même temps des mesures législatives qui causeront du tort à certaines communautés.
Oui, les données sont importantes, mais elles sont souvent utilisées dans ces espaces pour arrêter le travail et écouter ce que la communauté dit. Je n’ai pas besoin de données. Je sais ce qui se passe de façon anecdotique, tout comme le Dr Dosani; il en a aussi parlé. Presque tous les autres témoins qui se sont prononcés contre le projet de loi C-7 en comprennent les ramifications. Nous n’avons pas besoin de données pour savoir clairement ce qui va se passer et ce qui va se passer si le projet de loi C-7 est adopté.
La présidente : Merci beaucoup, madame Jama.
Ma prochaine question s’adresse à vous, docteur Dosani. Vous travaillez auprès des sans-abri et des personnes les plus vulnérables. De plus, vous êtes, comme vous le dites, un militant pour la santé. En tant que défenseur des plus vulnérables, croyez‑vous qu’il serait utile de disposer d’une meilleure analyse fondée sur la race pour obtenir de meilleurs services au sein de la collectivité et aussi pour que la communauté soit entendue?
Dr Dosani : Je vous remercie de la question. En fin de compte, nous devons savoir exactement ce dont on parle en matière de données probantes, particulièrement en ce qui concerne l’aide médicale à mourir et les recherches que nous avons effectuées. Je ne suis pas convaincu que nous ayons recueilli des données décrivant l’expérience de ceux qui vivent dans la pauvreté, surtout de ceux qui doivent composer avec des effets d’un racisme systémique qui ne date pas d’hier. Les communautés noires, sud-asiatiques et autochtones que je sers, celles qui sont le plus aux prises avec cette pandémie de COVID-19... je vis dans une ville où 83 % des cas de COVID-19 sont survenus dans des communautés racialisées. Il va sans dire que la collecte de données à grande échelle pourrait faire une différence. Cependant, comme Mme Jama l’a dit plus tôt, je conviens que nous recueillons des données fondées sur la race dans de nombreux domaines des services sociaux et des soins de santé depuis des années. Qu’avons-nous fait de tout cela? Qu’allons-nous en faire? Quels changements allons-nous inspirer? Même dans la première série de données que nous avons reçues au sujet de l’aide médicale à mourir, on me dit qu’on ne retrouve pas des cas comme ceux de Bob et de Mary que j’ai cités; ces cas ne ressortent pas. En réalité, comment vraiment savoir? Tant que nous n’aurons pas adopté une perspective axée sur l’équité, une démarche qui comprenne la collecte de données fondées sur la race, nous n’auront pas vraiment la réponse.
Il faut adopter une approche équitable dans toutes les conversations comme celle-ci. Oui, les données fondées sur la race sont importantes, mais nous ne devons pas nous arrêter là.
La présidente : Docteur Dosani, je vous arrête. Mon temps de parole touche à sa fin.
J’ai été très contrariée en préparant cette audience. Nous avons reçu une analyse comparative entre les sexes plus du ministre après que celui-ci m’eut assuré avoir fait faire une analyse fondée sur la race. Cependant, quand nous avons reçu le document, nous n’y avons rien vu au sujet de la race. J’espère ne pas déformer ses propos. J’ai compris qu’il est difficile de recueillir ce genre de données. Est-ce exact? Est-il difficile de recueillir des données sur la race?
Dr Dosani : C’est une excellente question. D’après ce que je comprends, dans le domaine des soins de santé et de l’administration des soins de santé, il existe de nombreux points d’entrée et de nombreux points de collecte de données où l’on peut recueillir des données fondées sur la race. Nous avons de nombreux exemples de ce processus, depuis nos hôpitaux jusqu’à nos services de soins primaires. Nous avons été en mesure de saucissonner les données fondées sur la race grâce à la pandémie de COVID-19. Même si je ne comprends pas toutes les implications de ce qu’on vous a dit, sénatrice Jaffer, je tiens à dire qu’il y a de nombreux exemples de collecte de données fondées sur la race et que cela peut fonctionner et faire une différence.
La présidente : Merci, docteur Dosani.
Le sénateur Plett : Permettez-moi d’abord de remercier tous les témoins pour le message senti qu’ils nous ont fait passer aujourd’hui. Merci, donc à chacun de vous.
J’ai deux questions, une pour M. Marchand et une pour Mme Janz. Ce sont des questions connexes.
Au cours de notre étude préalable, monsieur Marchand, nous avons entendu les témoignages déchirants de Roger Foley et de Taylor Hart. Ils ont tous deux rencontré des travailleurs de la santé qui, selon eux, leur ont laissé entendre que la mort était leur meilleure option. M. Foley a enregistré un cas où il a subi des pressions pour obtenir une aide au suicide. L’enregistrement a été diffusé dans les médias grand public. Nous comprenons que ce type de coercition peut être subtil, mais ses répercussions sont énormes et, malheureusement, le phénomène est trop fréquent, comme nous l’avons encore entendu dans votre témoignage d’aujourd’hui.
Ces cas, bien sûr, se sont produits dans le cadre du régime actuel de suicide assisté. Selon vous, le projet de loi C-7 offre‑t‑il une protection contre la coercition subtile? Sinon, croyez-vous que le projet de loi dont nous sommes saisis pourrait être amélioré pour protéger les personnes vulnérables contre ce genre de pression?
M. Marchand : Je vous remercie de cette question. Il est très important de comprendre que, souvent, aux yeux des professionnels de la santé, surtout dans les unités de soins intensifs, ceux qui ne peuvent être guéris sont considérés comme jetables. Quand le patient n’est pas guérissable, c’est une perte de ressources, une perte de temps que d’insister, et il faut lui offrir des options de fin de vie. C’est souvent ainsi qu’on nous voit. C’est ce que j’ai constaté en traitant avec de nombreux médecins, pour composer avec ce genre d’attitude. Souvent, on ne comprend pas ce qui se passe jusqu’au moment où le médecin qui devrait vous aider ne le fait pas vraiment.
Les professionnels de la santé m’ont refusé de nombreux soins. Il m’a fallu des années pour démêler tout cela et trouver des médecins prêts à m’aider. C’est la culture du milieu médical. Y a-t-il un moyen de la contourner? Je ne crois pas. C’est une question de culture, et c’est pourquoi je veux sortir du système médical. Même dans les établissements de soins de longue durée, on me traite de cette façon.
J’ai, maintenant, de bons médecins autour de moi, mais souvent des professionnels me considèrent comme jetable. C’est une tendance qui s’inscrit sur un fond culturel.
J’enseigne que la seule façon de protéger la vie de gens comme la mienne et celle de Carter et d’autres consiste à éliminer la possibilité de formuler cette proposition spéciale. La notion de mort prévisible doit demeurer et doit être le seul moyen d’accéder à l’aide médicale à mourir...
Le sénateur Plett : Merci. Je comprends cela.
Madame Janz, voici une question connexe. Merci de nous avoir fait part des modifications proposées par le Conseil des Canadiens avec déficiences.
L’une de vos recommandations est d’ajouter au projet de loi C-7 un libellé garantissant que toutes les discussions sur l’AMM soient dirigées par les patients et non lancées prématurément par un médecin. Ce concept a été soulevé à maintes reprises au cours de l’étude préalable, et de nouveau aujourd’hui, et il a même reçu un certain appui lorsque j’ai posé la question à la ministre Qualtrough.
Pourriez-vous nous expliquer davantage pourquoi vous pensez que les discussions sur le suicide assisté doivent être dirigées par les patients? En quoi cela pourrait-il contribuer à la dignité et à l’autonomie des personnes handicapées?
Mme Janz : Je vous remercie de la question. La réponse est fondamentalement simple : c’est à cause du capacitisme très répandu. Les discussions au sujet de l’AMM doivent être amorcées par le patient parce que, déjà, il a été abondamment prouvé que les médecins ont mis fin à des vies en refusant des traitements ou en débranchant des patients de leur respirateur artificiel, tout cela pour avoir présumé qu’une vie avec un handicap ne vaut pas la peine d’être vécue.
À moins qu’il existe une certaine protection voulant qu’il revienne à la personne handicapée de soulever la question de l’aide médicale à mourir, le risque de mort injustifiée sera énorme.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins.
D’autres témoins, surtout des représentants de groupes de personnes handicapées, nous ont dit qu’ils ne s’opposaient pas en principe à l’aide médicale à mourir, mais qu’ils étaient préoccupés par le manque de soutien disponible, comme vous l’avez tous mentionné. À l’occasion de l’étude préliminaire, des témoins nous ont bien sûr parlé du manque de soutien du revenu, de soutien des soins de santé, de soutien au logement, autant d’éléments que vous avez tous soulignés.
J’ai deux questions, une pour Me Shannon et la même pour M. Marchand, Mme Jama, et... Docteur Dosani, je pense que vous avez beaucoup d’expérience.
Maître Shannon, selon vous, quels problèmes l’absence d’un véritable accès à des solutions autres que l’aide médicale dans le projet de loi C-7 soulève-t-elle quant au respect de la Charte ou des normes en matière de droits de la personne? Si le Sénat adopte ce projet de loi malgré ces préoccupations et qu’une personne handicapée qui vit aussi dans la pauvreté veuille intenter une contestation judiciaire pour ces motifs, à quoi ressemblerait la procédure? Quel en serait le coût, tant personnel que financier, pour les personnes concernées, quelles en seraient les conséquences et quel temps cela pourrait-il prendre? Voilà la question que je vous pose.
J’aimerais que nos autres témoins, qui nous ont parlé de capacitisme, de racisme et de croisement entre classisme et pauvreté, nous en disent davantage à ce sujet, dans le temps dont ils disposent. J’aimerais qu’ils établissent pour nous le lien qui existe entre ces différents facteurs de discrimination et l’incidence profonde sur les gens qu’ils représentent. Merci beaucoup.
Me Shannon : Je vous remercie de la question. Comme nous le constatons clairement depuis 2016 d’après le nombre de personnes ayant demandé l’AMM, il ressort qu’un certain droit à l’autonomie est déjà respecté. Par conséquent, le fait de supprimer la notion de mort imminente n’améliore pas l’application de l’article 7, soit la protection du droit à la vie en vertu de notre Charte. En fait, cette suppression affaiblit l’article. Loin de protéger la vie, elle en permet la réduction, en particulier dans le cas des personnes handicapées.
Cela veut donc dire que nous sommes victimes de discrimination en tant que personnes handicapées. Nous perdons nos protections du droit à la vie, mais nous perdons aussi ce qui est garanti, soit l’égalité, en vertu de la Charte.
Je dirais aussi qu’il n’y a rien de proportionnel dans le fait de retirer la notion de caractère raisonnablement prévisible de la mort parce que, à terme, il peut y avoir des conséquences imprévues et désastreuses.
Dans [Difficultés techniques]...
La présidente : Il est figé. Ah, il est de retour. Maître Shannon, vous étiez figé.
Me Shannon : Je suis vraiment désolé.
La pauvreté et la coexistence de la race et de l’isolement qui est caractéristique des soins de longue durée sont autant de déterminants sociaux de la santé qui empêchent les jeunes d’avoir accès à la collectivité et à la justice. Autrement dit, une personne dans cette situation pourrait ne pas pouvoir bénéficier des services communautaires fondamentaux de défense et encore moins du genre de soutien juridique très complexe nécessaire pour porter une cause devant une cour supérieure et, à terme, devant une cour d’appel ou la Cour suprême. Il lui faudrait se prévaloir d’une aide additionnelle auprès du secteur privé ou d’une organisation non gouvernementale, ou des deux. Autrement dit, ce serait un... [Difficultés techniques]
La présidente : Me Shannon est figé.
Sénatrice Pate, il vous reste une minute.
La sénatrice Pate : Nous pourrions peut-être entendre les autres témoins, soit Mme Jama, puis M. Marchand et le Dr Dosani.
La présidente : Il vous reste une minute. Choisissez.
La sénatrice Pate : Commençons donc par Mme Jama.
Mme Jama : Puis-je laisser la parole à quelqu’un d’autre?
La présidente : Qui aimeriez-vous entendre, sénatrice?
La sénatrice Pate : Eh bien, M. Marchand, alors.
M. Marchand : Merci. Il faut comprendre qu’au Canada, les personnes lourdement handicapées sont isolées du reste de la société. Nous ne vivons pas dans le même monde que vous. Nous sommes enfermés dans des établissements, ou on nous oblige à utiliser des transports adaptés ou à fréquenter des écoles spéciales. Il n’y a pratiquement aucune inclusion pour les personnes handicapées au Canada, même si nous avons contribué à la création de la CDPH, la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Voilà donc le problème. Nous sommes invisibles dans la société canadienne, nous sommes pauvres et nous sommes confrontés à la violence systémique à tous les niveaux, comme je l’ai dit. Et ce n’est pas une exagération. Vous voyez rarement des gens comme moi et d’autres dans votre milieu de travail, en public, parce que nous sommes obligés de vivre en marge de votre milieu de vie.
La sénatrice Pate : Y a-t-il du temps pour...
La présidente : Non.
La sénatrice Pate : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je joins ma voix à celle de mes collègues pour saluer tous les témoignages très touchants et très sentis des panélistes qu’on a entendus cet après-midi. Je ne peux que leur souhaiter bon courage.
Maître Chalifoux, ma question s’adresse à vous. Il y a un sujet qui m’apparaît confus dans le projet de loi, ce sont les demandes anticipées. Le projet de loi ne touche pas non plus les demandes par procuration. J’aimerais connaître votre position par rapport à ces deux sujets, soit les demandes anticipées et les demandes par procuration.
Me Chalifoux : Merci de votre question, sénateur Boisvenu. Pour ce qui est des demandes anticipées, le projet de loi C-7 n’en fait pas mention. Je me suis souvenue du cas de Mme Parker, la dame qui était susceptible de devenir inapte et qui avait demandé l’aide médicale à mourir. On pourrait prétendre que c’est une façon anticipée parce que dès le moment où la demande aurait été acceptée, son consentement serait valide pour la période où elle pourrait éventuellement devenir inapte. Mais ce n’est pas la demande anticipée des personnes qui devraient normalement le faire en cas d’inaptitude que l’on imagine d’habitude, parce que cette personne-là qui va le demander va éventuellement devenir inapte peut-être dans six mois, peut-être un an ou peut-être des années plus tard. Cet aspect n’a pas été traité du tout dans le projet de loi C-7. Et nous aimerions beaucoup que cela le soit, mais c’est sûr que cela prend encore beaucoup de délibération par rapport à cela.
Le sénateur Boisvenu : Je comprends bien qu’un patient à qui on annonce aujourd’hui qu’il est au stade X de la maladie d’Alzheimer ne puisse pas, avec son médecin traitant de longue date ou le spécialiste, déterminer le moment où il n’aurait plus conscience ou perdrait la raison. Il ne pourrait pas prendre avec son médecin traitant une décision de fin de vie; tout compte fait, cela le condamne à mourir dans la souffrance ou à petit feu. C’est ce que vous me dites?
Me Chalifoux : Oui, exactement. C’est le droit qui s’applique présentement. Et je dois dire qu’au Québec, le groupe d’experts qui a étudié la question propose un régime complet pour les demandes anticipées. On est allé vraiment dans le détail et on espère que de concert avec le gouvernement fédéral, parce que cela ne peut pas se faire à l’initiative exclusive d’une province, le projet de loi pourrait éventuellement l’inclure.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce qu’il devrait y avoir une modification au projet de loi actuel pour que la demande du Québec soit acceptée?
Me Chalifoux : Vous voulez dire du projet de loi C-7?
Le sénateur Boisvenu : Oui.
Me Chalifoux : Oui, cela demanderait une modification, c’est sûr. Cela demanderait d’accepter ce fait...
Le sénateur Boisvenu : Donc, en cas de refus, cela ferait reculer le Québec par rapport à où il est rendu aujourd’hui dans sa réflexion globale par rapport à l’aide médicale à mourir?
Me Chalifoux : Monsieur le sénateur, j’aurais peut-être une petite gêne considérant la question du recul. Mais disons que le Québec a étudié la question et y est très favorable. Disons-le comme cela.
Le sénateur Boisvenu : Disons que cela l’empêcherait d’avancer.
Me Chalifoux : Peut-être.
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.
Me Chalifoux : Je vous en prie.
La présidente : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Cotter : Je n’ai pas de questions. Merci.
Le sénateur Harder : Ma question s’adresse à Me Shannon. Maître Shannon, vous savez que, dans l’arrêt Carter, la Cour suprême a reconnu le droit d’une personne à recourir à l’aide médicale à mourir si elle :
. . . est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.
Suggérez-vous de faire une distinction entre les handicaps et les maladies qui causent des souffrances persistantes et intolérables? Comme vous le savez, la Cour suprême a exclu une telle distinction. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Me Shannon : C’est une très bonne question et j’y ai souvent réfléchi. À mon avis, les personnes handicapées sont particulièrement distinctes parce qu’elles appartiennent à une communauté très distincte au Canada et que, par conséquent, il arrive souvent que les gens fassent une distinction. Elles peuvent avoir un handicap, mais ne pas être malades. La loi actuelle pose un véritable dilemme, en ce sens qu’elle semble faire un lien entre les deux. C’est ce qui est cause de discrimination. On ne considère pas que la personne handicapée est un membre à part entière de la famille canadienne. On voit en elle une personne malade jusqu’au passage soudain de la simple maladie à la maladie grave.
Par conséquent, je ne pense pas que la référence au handicap ou à l’invalidité s’impose dans la loi parce que, si une maladie est grave et irrémédiable, c’est que la personne a probablement un handicap. Donc, dans le contexte de ce que vous avez cité, je dirais que c’est superflu.
Le sénateur Harder : Merci.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je voudrais aussi remercier les témoins qu’on entend depuis plus d’une heure de nous aider dans nos réflexions sur la question de l’aide médicale à mourir. Alors, merci de votre témoignage.
Ma première question s’adresse à Me Chalifoux. Maître Chalifoux, vous avez parlé des directives anticipées. Dans le groupe de travail sur l’aide médicale à mourir pour les personnes en situation d’inaptitude dont vous étiez membre, qui a remis son rapport en 2019, vous avez fait une recommandation sur les directives anticipées.
Dans le cas du projet de loi C-7, est-ce qu’on peut imaginer, sans que cela réponde à votre recommandation sur les directives anticipées, que le projet de loi C-7 pourrait être changé pour faire en sorte que la renonciation au consentement final s’applique, puisque c’est une question de consentement auquel on renoncerait dans tous les cas, c’est-à-dire peu importe que la mort soit prévisible ou non?
Me Chalifoux : Merci de votre question, sénatrice Dupuis. La question de la mort naturelle raisonnablement prévisible et de l’inaptitude pour ce qui est de la proposition qui est faite dans le projet de loi C-7 ne s’appliqueraient pas vraiment pour une demande anticipée d’une personne qui craint de devenir inapte à long terme pour pouvoir bénéficier de l’aide médicale à mourir avec simplement cette recommandation de renonciation au consentement final.
Parce que c’est un problème extrêmement complexe. Cela demande de mettre sur pied tout un régime de demandes ou de formulaires, d’assurer le consentement libre et éclairé. Quand cela surviendra-t-il? Est-ce que la personne veut avoir l’aide médicale à mourir quand elle sera totalement inapte? Qu’est-ce que cela veut dire exactement? Est-ce qu’on prendra l’avis de la famille? Comment tout cela s’articulera-t-il? Il s’agit là de beaucoup de données que nous avons étudiées dans notre rapport et qui ne pourraient pas s’appliquer simplement avec un article court énonçant qu’il y a renoncement au consentement final. Selon moi, ce serait d’ailleurs ne pas rendre service aux citoyens de le faire sans garantie ni sauvegarde, car c’est un sujet extrêmement délicat aussi.
La sénatrice Dupuis : Merci. Ma deuxième question pour vous porte sur la sédation finale, continue. On sait qu’au Québec il y a la Commission sur les soins de fin de vie, l’organisme de surveillance du régime québécois. Dans son rapport, la commission donne des données statistiques sur le nombre de personnes qui reçoivent, donc qui ont accepté que le médecin, à un certain moment, leur administre une sédation palliative continue, autrement dit une sédation qui les amène à la mort.
J’essaie de réconcilier l’idée d’une sédation palliative qui est déterminée à l’initiative du médecin sans que la personne en question intervienne dans cette décision, parce qu’il y a beaucoup de sédations palliatives qui sont administrées à des gens qui ne sont pas nécessairement encore aptes ou capables de consentir et donc, c’est de l’initiative du médecin. Est-ce une question problématique, l’administration de la sédation palliative de l’initiative du médecin, sans que la personne soit informée, sans qu’elle ait consenti?
Me Chalifoux : Vous me rappelez mes années de pratique en soins palliatifs, parce qu’à l’époque, il n’y avait pas l’aide médicale à mourir et les sédations palliatives continues se faisaient régulièrement. C’était une pratique acceptée et cela l’est encore, une pratique encore mieux réglementée qu’elle l’était auparavant. La question du consentement libre et éclairé pour les personnes qui auraient une sédation palliative continue jusqu’au décès, elle a été acceptée légalement, dans les cas où la famille prend la décision, c’est-à-dire lorsque la personne ou le répondant, à la suite d’un mandat en prévision d’inaptitude, demande qu’une personne soit nommée, ou selon l’article 15 du Code civil du Québec, ce sera le père, la mère, le conjoint, etc., qui prendra la décision. Le processus qui est censé être fait, c’est que le médecin, en accord avec la personne qui est autorisée légalement à décider pour le patient, décide si dans les circonstances ce serait approprié de faire une sédation palliative continue. Parce que très souvent, quand on en arrive là, le patient a en effet des problèmes d’aptitude, il n’est peut-être pas complètement inapte, mais il a de la difficulté à prendre une décision libre et éclairée; vous avez raison. Mais selon mon expérience et selon le droit, le médecin peut informer les gens que c’est disponible et que cela pourrait être fait, mais le consentement final est donné par le répondant légal.
La sénatrice Dupuis : Cela veut dire que dans la situation actuelle, on accepte que des gens autres que la personne elle‑même prennent une décision au sujet de la sédation palliative continue alors qu’on n’accepte pas nécessairement que la personne elle-même fasse le choix de demander l’aide médicale à mourir?
Me Chalifoux : La personne elle-même pourrait le demander si elle était apte. C’est la première chose. Si elle est apte, c’est la personne qui va décider. Si elle est inapte, c’est alors qu’entre en jeu le consentement substitué.
La sénatrice Dupuis : Merci.
Me Chalifoux : Je vous en prie.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Maître Shannon, pourrait-on, selon vous, imaginer un amendement susceptible de rendre le projet de loi C-7 acceptable, ou estimez-vous trop problématique l’idée d’étendre le suicide assisté à ceux chez qui la mort naturelle n’est pas imminente?
Me Shannon : Comme je l’ai dit, je ne crois pas qu’un amendement soit nécessaire. Nous sommes à l’aube du cinquième anniversaire du projet de loi C-14, qui doit alors faire l’objet d’un examen. Ce serait la tribune appropriée pour procéder à un examen approfondi et vérifier les données accumulées — qui sont erronées —, puis pour se livrer à une analyse adéquate et approfondie. Pour le moment, j’estime que des amendements seraient prématurés.
Cependant, s’il doit y avoir des amendements, il faudra songer à beaucoup plus de garanties juridiques véritables, comme le fait d’empêcher qu’un préposé aux services de soutien à la personne ou un préposé aux soins personnels puisse signer une demande d’aide médicale à mourir.
Je dis ceci aux médecins : je crains que le simple fait de fournir des renseignements à une personne sur les endroits où elle peut trouver un soutien communautaire ne revienne, pour un cardiologue, à jouer les menuisiers. Le fait de savoir où se trouve le soutien nécessaire et comment l’obtenir relève d’une spécialisation et d’une expertise au sein de la communauté des personnes handicapées. Ce n’est pas du rayon des spécialistes. Donc, vous dites qu’il faudrait apporter des modifications, mais les mesures de protection sont inadéquates. Par conséquent, je crois qu’il faudrait un examen plus rigoureux, et l’application d’une forme de surveillance judiciaire ou quasi judiciaire autonome et indépendante. De plus, il faudrait non seulement imposer le consentement, mais aussi interdire toute coercition de la part des membres de la famille et éviter que le manque de ressources justifie l’aide médicale à mourir. Merci.
La sénatrice Boyer : Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Batters, mais j’adresse ma question au Dr Dosani. À l’étape de l’étude préliminaire, puis de nouveau ce soir, nous avons entendu dire de la part des communautés autochtones et des organisations de personnes handicapées que l’expansion de l’AMM pourrait toucher de façon disproportionnée les personnes autochtones et les personnes handicapées qui n’ont pas un accès suffisant aux soins de santé ou à des services de soutien. Comme vous le savez, le manque d’accès aux soins de santé est très préoccupant pour la population que vous desservez.
À votre avis, les mesures de protection prévues dans le projet de loi C-7 sont-elles suffisantes pour répondre à ces préoccupations, et estimez-vous que le comité devrait envisager d’offrir d’autres mesures de protection?
Dr Dosani : Il va sans dire qu’en raison du capacitisme et des effets de longue date du racisme systémique, les répercussions et les inégalités dont sont victimes les personnes handicapées et les Autochtones dans nos collectivités sont graves. Il y a des différences marquées. Par exemple, à Toronto, les sans-abri représentent 25 % de la population itinérante, mais 1 % de ceux qui vivent en ville, par exemple.
Encore une fois, je crois comprendre que le projet de loi C-7 sera probablement adopté. Les Canadiens se sont prononcés. Nous allons de l’avant. Si nous ne nous dotons pas des structures appropriées, si nous ne disposons pas des fonds, des logements, des programmes de réduction des préjudices et la santé mentale nécessaires, les gens se retrouveront dans des positions vulnérables où ils seront plus susceptibles de choisir l’aide médicale à mourir parce qu’ils n’auront pas accès aux soins. Je parle de tous les types de soins : les soins palliatifs, bien sûr, qui est mon domaine de spécialité, mais aussi les soins de santé, les soins primaires, la nourriture, l’argent, et ainsi de suite.
Pour ce qui est des mesures de protection qui ont été mises en place, je pourrais aller dans le menu détail et recommander des modifications, des micro-changements ici et là. Mais rien de la sorte ne permettra vraiment de protéger les gens si nous n’investissons pas dans le logement, dans des stratégies de revenu de base et dans l’assurance-médicaments.
Je sais que ces processus ne s’excluent pas mutuellement, et je sais que je m’écarte un peu du sujet en idéologue que je suis. Je comprends aussi que ce ne sont pas les mêmes ressources qui sont mobilisées pour cela, mais nous pouvons exploiter cette énergie, cette motivation pour faire adopter ce projet de loi parce qu’il est, je crois, très bien ficelé et qu’on y parle d’une procédure médicale. J’espère seulement que nous trouverons la même énergie à propos des autres éléments pour garantir une véritable équité universelle.
Je ne pense pas pouvoir vous suggérer un quelconque micro‑changement qui puisse régler ce dont je parle, c’est-à-dire les souffrances causées essentiellement par les inégalités, le capacitisme et le racisme. Je vous remercie de cette question.
La sénatrice Boyer : Merci, docteur Dosani.
La sénatrice Pate : Docteur Dosani, si vous voulez nous en dire davantage sur les mesures que le Sénat devrait prendre dans ces domaines, n’hésitez pas, étant entendu que nous n’avons pas le pouvoir d’invoquer de mesure législative qui entraînerait des dépenses gouvernementales et que le gouvernement, à la faveur de la pandémie, a apporté des changements et mis en œuvre des initiatives nationales, même si un Canadien sur 10 a été laissé pour compte. Je serais heureuse de vous entendre si vous voulez ajouter quelque chose à ce stade-ci.
Dr Dosani : Merci beaucoup. Je comprends que le projet de loi C-7 ne porte pas particulièrement sur cet élément, mais il faut en discuter. L’AMM a mis en évidence des vulnérabilités structurelles, comme mes collègues de partout au pays en ont parlé aujourd’hui. Nous devons nous attaquer à ces problèmes.
La première est la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, qu’il faut vraiment mettre en œuvre. Pour ceux qui ne le savent pas, la campagne Recovery For All de l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance propose une approche en six étapes pour régler ce problème. C’est tangible. C’est faisable. Nous pouvons guérir de l’itinérance, et la COVID nous a montré que nous pouvons le faire.
Un autre élément à considérer est le rôle du revenu de base pour mettre fin à l’itinérance au Canada. Il y a aussi l’assurance-médicaments. Étant donné qu’un Canadien sur 10 n’a pas les moyens de se payer des médicaments, il s’agit là d’une importante politique sociale d’amont susceptible d’entraîner des changements. L’élargissement des approches et des services de réduction des préjudices à l’échelle du Canada, depuis les centres de consommation supervisée jusqu’aux centres de prévention des surdoses et le permis d’exercice nécessaire à cette fin, doit faire partie de ce genre de conversations.
Je l’ai dit et je vais le répéter très rapidement. Je n’ai pas d’objection à ce que les Canadiens se soient exprimés à ce sujet ni à ce que des personnes dont je m’occupe veuillent obtenir l’aide médicale à mourir. Ça va, nous allons les écouter et le tout sera bien ficelé. Dans deux semaines, ils auront ce qu’ils demandent. Ce sera accepté. Cela va arriver, mais à moi, il me faut des années pour leur trouver un logement. Il me faut des mois pour leur obtenir un soutien du revenu. Il me faut des semaines, voire des mois, pour leur obtenir des services de santé mentale et de toxicomanie. C’est moralement désolant pour les travailleurs de la santé de première ligne comme moi. Vous voyez ce dont je parle. Ce n’est tout simplement pas tout à fait logique, même si je comprends que ce n’est pas tout à fait le but de cette conversation. Je vous remercie de la question.
La sénatrice Pate : Merci, docteur Dosani.
Madame Jama, je vous remercie de nous avoir parlé de votre jeunesse. Il semble que vous ayez eu toute une vie de défis à relever.
Je vous remercie tous d’avoir parlé de votre travail et de votre vie face à ces défis. Que peut donc renfermer le projet de loi C-7 pour avoir, semble-t-il, mobilisé toute une cohorte de défenseurs des droits des personnes handicapées? Qu’y a-t-il de différent ou de plus alarmant dans le projet de loi C-7 par rapport aux soins de santé en général, pour revenir à ce que disait le Dr Dosani? Allez-y, madame Jama, si cela vous va?
Mme Jama : Le débat que nous tenons actuellement à l’échelle du pays porte sur ce que nous valorisons. Il nous arrive régulièrement de constater que les Canadiens qui n’ont pas la capacité de produire ou d’avoir un emploi ne sont pas valorisés. Nous ne sommes pas perçus comme des gens capables d’obtenir des logements et des services sociaux sans l’aide du gouvernement. Au cœur de toute conversation, nous devons rappeler que chaque personne handicapée, peu importe son revenu et sa capacité de produire, représente une vie qui est précieuse. Au lieu de cela, le gouvernement fait avancer son projet de loi C-7 au pas de charge, sans adopter de mesures comme un revenu de base universel ou le versement aux communautés de personnes handicapées d’un financement autre que parcellaire, en pleine pandémie.
Les personnes handicapées dans nos foyers de soins de longue durée et ailleurs au pays ont été les plus durement touchées par la COVID-19. Je pense surtout aux Autochtones et aux personnes noires, qui ont déjà été les cibles de programmes de stérilisation forcée dans l’histoire de ce pays et qu’on a placés de force à l’asile d’aliénés d’Orillia. L’histoire du Canada nous apprend que les personnes handicapées et les personnes racialisées ont été victimes de mauvais traitements parce que nos corps sont vus comme étant différents, ce qui établit un lien entre la race et l’incapacité. Il serait dangereux de ne pas penser essentiellement à ces choses, tandis que nous parlons d’un projet de loi sur l’euthanasie. Nous sommes en train d’ouvrir une boîte de Pandore qui, si nous n’y prenons garde, pourrait être un triste chapitre de notre histoire.
La présidente : Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, nous sommes arrivés à la fin de notre journée. Je vous préviens que la journée de demain sera très longue. Nous la commencerons à 9 heures.
Monsieur Palmer, avez-vous quelque chose à ajouter à ce que j’ai dit?
M. Palmer : Non. C’est cela. Nous commencerons demain à 9 heures, heure normale de l’Est.
La présidente : Nous nous reverrons demain matin.
Chers témoins, ce que vous avez dit va nous occuper pendant très longtemps, que ce soit pour ce projet de loi ou dans nos autres travaux. Vous avez fait preuve de courage en nous faisant part de vos difficultés. Mais vous n’avez pas vraiment parlé de vos difficultés à vous; vous avez parlé de la communauté à laquelle vous appartenez, celle des personnes handicapées avec qui vous partagez votre vie, une vie faite de difficultés. Je peux vous assurer que nous nous en souviendrons et que cela se reflétera dans nos autres travaux. Je vous remercie donc de vos témoignages d’aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.
(La séance est levée.)