LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 31 mars 2021
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 30 (HE), par vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel.
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider ce comité.
Nous tenons aujourd’hui une réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Avant de commencer, j’aimerais vous faire part de plusieurs suggestions utiles qui, selon nous, vous aideront à avoir une réunion efficace et productive.
[Traduction]
Si vous éprouvez des problèmes avec l’interprétation, signalez-les à M. Palmer ou à moi. En cas de problèmes techniques, communiquez avec M. Palmer.
Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de poser une question aux témoins. À cette fin, je demanderai aux sénateurs de tenter de rester brefs dans leurs questions et leurs préambules. Comme les membres du comité disposeront de trois minutes, s’ils en prennent deux pour poser leur question, le témoin n’en aura qu’une pour y répondre.
Je vous demande de faire signe au greffier seulement si vous n’êtes pas membre du comité et souhaitez poser une question. Sinon, c’est moi qui vous nommerai. Je tenterai de satisfaire tous ceux qui veulent poser une question.
[Français]
Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel. Je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui.
[Traduction]
Je vous présente la sénatrice Batters, vice-présidente; le sénateur Campbell, vice-président; le sénateur Boisvenu, porte-parole du projet de loi; la sénatrice Boniface; la sénatrice Pate; le sénateur Dalphond, parrain du projet de loi; la sénatrice Dupuis; la sénatrice Frum; la sénatrice Keating; la sénatrice Mégie; et le sénateur Tannas. Le sénateur Gold, leader du gouvernement au Sénat, la sénatrice LaBoucane-Benson et la sénatrice Boyer participent également à la séance.
Notre premier groupe de témoins comprend Amy J. Fitzgerald, professeure de criminologie, et Betty Barrett, professeure agrégée de travail social et études sur les femmes et le genre, Animal and Interpersonal Abuse Research Group, de l’Université de Windsor et Humane Canada; Viviane Michel, présidente, et Léa Serier, coordonnatrice en matière de justice et de sécurité publique, de Femmes Autochtones du Québec Inc.; ainsi que Diane Tremblay, qui témoignera à titre personnel.
Je demanderai à Mme Fitzgerald de lancer le bal. Vous disposez de cinq minutes.
Amy J. Fitzgerald, professeure de criminologie, Animal and Interpersonal Abuse Research Group, Université de Windsor et Humane Canada : Nous remercions les distingués membres du comité de nous offrir l’occasion de nous adresser à eux. Je m’appelle Amy Fitzgerald et je témoigne en compagnie de ma collègue Betty Barrett. Nous sommes les fondatrices de l’Animal and Interpersonal Abuse Research Group — ou AIPARG — à l’Université de Windsor.
Je fais également partie de la Violence Link Coalition de Humane Canada. Mme Barrett et moi-même avons passé près de deux décennies à étudier le lien entre la violence contre les animaux, la violence familiale et l’intersection entre les deux, communément appelée « le lien ». Nos travaux sont financés par le Conseil de recherches en sciences humaines et par une bourse de recherche en droit et politiques animaliers de l’Université Harvard qui m’a été décernée l’an dernier. Nous sommes honorées d’avoir l’occasion de vous parler aujourd’hui et de vous faire profiter de notre expertise sur « le lien » afin d’en appuyer l’inclusion au projet de loi C-3.
Nous voudrions vous présenter quatre arguments clés à l’appui de l’inclusion d’information sur « le lien » dans le projet de loi, nous fondant sur des données tirées du corpus constitué dans ce domaine, les conclusions de nos propres recherches et l’expérience vécue par des survivantes.
Nous devons vous avertir qu’une partie des propos que vous entendrez aujourd’hui témoigne de la violence choquante et désolante qu’infligent les agresseurs aux femmes et aux animaux. Si nous vous communiquons ces informations, ce n’est pas pour vous bouleverser intentionnellement — bien que ce soit une réaction courante à nos travaux —, mais bien pour vous montrer clairement pourquoi nous pensons que le projet de loi C-3 devrait tenir compte du « lien ».
Sachez d’abord que la violence sexuelle s’inscrit dans la constellation des comportements violents auxquels s’adonnent les auteurs de violence familiale. La violence familiale accompagnée d’agression sexuelle a des conséquences plus graves sur les survivantes que la violence familiale sans agression sexuelle. Des recherches indiquent qu’un peu moins d’une femme sur cinq sera victime de violence sexuelle de la part d’un partenaire amoureux au sein de la population en général. Au Canada, environ 17 % des agressions sexuelles signalées à la police ont été commises par un partenaire intime de la victime. Ce pourcentage est certainement plus élevé parmi les agressions non signalées.
Des recherches indiquent que les survivantes de la violence familiale ayant été agressée sexuellement par leur partenaire présentent un degré supérieur de blessures physiques et un traumatisme plus grave et plus durable que celles qui ne l’ont pas été. Comme les partenaires intimes sont en contact constant avec leurs victimes, les recherches tendent à démontrer que la violence sexuelle commise par de tels partenaires est probablement plus constante, se manifeste lors de nombreux incidents au fil du temps et s’étend sur une plus longue durée que la violence sexuelle commise par d’autres genres d’agresseurs. En outre, la violence sexuelle perpétrée par un partenaire intime constitue un marqueur de risque élevé d’homicide commis par un tel partenaire.
Par conséquent, même si la violence familiale et l’agression sexuelle sont souvent considérées comme des phénomènes distincts, il est essentiel que les juges qui entendront des affaires de violence sexuelle aient une compréhension contextuelle de la relation entre cette violence et d’autres formes de violence commises dans les foyers, y compris la violence contre les animaux de compagnie.
Sachez en outre que la violence contre les animaux s’inscrit dans la constellation des comportements violents auxquels s’adonnent les auteurs de violence familiale. La violence familiale accompagnée de violence contre les animaux a des conséquences plus graves sur les survivantes que la violence familiale sans violence contre les animaux.
Près de 60 % des ménages canadiens ont déclaré avoir des animaux de compagnie dans la maison, bien que ce pourcentage a certainement augmenté depuis le début de la pandémie. Il n’est donc pas surprenant que des animaux de compagnie soient souvent présents sur les lieux où se déroulent la violence familiale et la violence sexuelle. Des recherches menées aux États-Unis ont révélé qu’entre 25 et 86 % des femmes battues ont fait savoir que leur agresseur s’en prenait également à leurs animaux de compagnie.
Dans le cadre de nos recherches, nous avons mis au point la première mesure validée de la violence contre les animaux dans le contexte de la violence familiale. Cet outil, que nous appelons « échelle du traitement des animaux par le partenaire », évalue la violence contre les animaux en 21 points distincts. Nous avons soumis des survivantes de la violence familiale à ce sondage dans 16 refuges du Canada et constaté qu’environ 9 survivantes sur 10 ont signalé au moins une forme de violence contre les animaux. De fait, 21 % des victimes ont indiqué que leurs animaux de compagnie avaient subi des blessures physiques et 15 %, que leur partenaire avait tué l’animal.
Voici ce qu'ont déclaré certaines participantes : « Il a ficelé notre chien dans une couverture entourée de ruban adhésif et l’a jeté dans une boîte. » « Il a refusé d’aider notre chiot après qu’il eut été frappé par un camion. » « Je le soupçonne d’avoir tué mes animaux avec de l’antigel. » « J’ai acheté un chat persan. Il l’a battu et étouffé à mort le jour où je l’ai amené à la maison. »
Betty Barrett, professeure agrégée de travail social et études sur les femmes et le genre, Animal and Interpersonal Abuse Research Group, Université de Windsor et Humane Canada : Dans le cadre de notre sondage effectué dans les refuges, nous avons également découvert un lien entre la violence plus grave est plus fréquente contre les animaux et la violence plus grave et plus fréquente infligée aux femmes par leur partenaire, y compris la violence sexuelle.
En 2014, l’Enquête sociale générale du Canada a évalué pour la première fois les menaces de violence ou la violence commise contre les animaux au sein de la population canadienne en général. Après avoir analysé ces données, l’AIPARG a constaté qu’environ une survivante de violence familiale physique sur huit avait aussi été témoin de menaces ou de violence à l’endroit des animaux de compagnie. Selon cette enquête, les survivantes dont les animaux avaient été menacés ou blessés étaient beaucoup plus susceptibles d’être victimes de violence physique ou sexuelle, faisant notamment l’objet d’activité sexuelle sans consentement et étant forcées d’avoir des relations sexuelles...
M. Palmer : Madame Barrett, veuillez m’excuser. Puis-je vous demander de ralentir légèrement votre débit pour les interprètes?
Mme Barrett : Je suis désolée. Je parle rapidement.
En présence de menaces ou de violence contre les animaux, les survivantes sont 24,7 % plus susceptibles d’avoir craint pour leur propre vie et 16,1 % plus susceptibles d’avoir été blessées.
Sachez en outre que des animaux peuvent avoir été utilisés dans l’agression sexuelle de la victime humaine de violence familiale, entraînant des blessures sexuelles simultanées chez la survivante et chez les animaux. Pour illustrer la situation, nous voudrions vous raconter l’histoire d’une survivante. Bien que cette affaire judiciaire soit du domaine public, nous enlevons les noms pour protéger la vie privée de la victime.
En mars 2017, la police a répondu à un appel pour violence familiale dans la maison de Jane et John Doe. Jane Doe a indiqué que ce qui l’avait incitée à appeler à l’aide, c’était le fait que John Doe avait exigé qu’elle ait une relation sexuelle avec le chien de la famille et qu’elle avait refusé. Elle a déclaré qu’il l’avait obligée à regarder des vidéos de bestialité pendant plus de six mois, y compris des vidéos dans lesquelles John Doe avait une relation sexuelle avec un chien dans une chambre réservée aux ébats sexuels qu’il avait bâtie dans la cour arrière. Le chien a été remis à un refuge pour animaux local, mais a ensuite dû être euthanasié parce qu’il était devenu trop agressif pour être confié à de nouveaux propriétaires en raison de l’agression. John Doe a été condamné à six mois de prison.
Enfin, les recherches montrent que la présence de violence contre les animaux dans une relation violente non seulement augmente le risque pour les survivantes de la violence familiale, mais a aussi une incidence directe sur leur capacité à chercher de l’aide. Dans le cadre de notre sondage réalisé dans les refuges, près de 7 survivantes sur 10 ont indiqué que la violence dont leurs animaux faisaient l’objet avait eu une incidence modérément forte, forte ou extrêmement forte sur leur décision de quitter leur partenaire. Cependant, le nombre de refuges acceptant d’accueillir des survivantes de la violence familiale avec leurs animaux ne comble pas les besoins à l’heure actuelle au Canada. Plus de la moitié des répondantes ayant des animaux, c’est-à-dire 58 %, disent avoir attendu de quitter leur partenaire parce qu’elles craignaient pour la sécurité de leur animal. Presque la moitié d’entre elles, soit 47 %, ont indiqué qu’il était probable ou extrêmement probable qu’elles auraient quitté leur partenaire violent plus tôt si elles avaient pu amener leurs animaux au refuge.
Nous avons également constaté que les survivantes les plus susceptibles de retarder leur départ parce qu’elles se préoccupaient de leurs animaux étaient aussi plus susceptibles d’avoir été victimes de violence physique et sexuelle grave de la part de leur partenaire. Environ le tiers de celles qui ont laissé leur animal avec leur agresseur quand elles sont parties pour un refuge ont fait savoir qu’elles envisageaient de retourner auprès de leur partenaire précisément parce qu’il avait leur animal.
Les agresseurs peuvent utiliser les menaces et la violence contre les animaux pour réduire leurs victimes au silence et les obliger à leur revenir.
En conclusion, même si la violence sexuelle, la violence familiale et la violence contre les animaux sont généralement considérées comme des problèmes distincts, les données montrent que ce sont des phénomènes interreliés. Par conséquent, nous pensons qu’il importe que les juges qui entendront des affaires d’agression sexuelle aient une compréhension contextuelle de ce lien.
La présidente : Je vous remercie beaucoup, mesdames Barrett et Fitzgerald.
Nous entendrons maintenant Viviane Michel et Léa Serier, de Femmes Autochtones du Québec Inc.
[Français]
Viviane Michel, présidente, Femmes autochtones du Québec Inc. : [Mots prononcés dans une autre langue.]
Bonjour, tout le monde. Je me permets toujours de remercier le créateur. Nous avons été choisies pour passer un court moment avec vous. Cinq minutes, c’est très court, mais bon. Je remercie le créateur et je remercie également le territoire mohawk non cédé où je suis en visite. Je suis accompagnée de ma coordonnatrice en matière de justice et de sécurité publique, Léa Serier. Méchant défi, cinq minutes!
Femmes autochtones du Québec (FAQ) est une organisation bilingue sans but lucratif fondée en 1974 qui a débuté comme initiative communautaire. Depuis juillet 2009, FAQ jouit d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies. Par ailleurs, en 2015, les Affaires autochtones et du Nord Canada ont reconnu FAQ comme organisation autochtone représentative au même titre que l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, le Grand Conseil des Cris, Inuit Tapiriit Kanatami, l’Assemblée des Premières Nations et l’Association des femmes autochtones du Canada.
Femmes autochtones du Québec est une organisation représentant des femmes vivant en milieu urbain et des femmes issues des 10 Premières Nations du Québec : les Abénakis, les Anishinaabes, les Attikameks, les Innus, les Wendats, les Eeyous, les Malécites, les Mi’kmaq, les Mohawks et les Naskapis. En tant que présidente de FAQ, je suis élue par les représentantes et nos membres de ces nations. Je parle donc en leur nom.
La mission de FAQ consiste à défendre les droits des femmes autochtones et de leur famille, à la fois sur le plan collectif et individuel, et à faire valoir les besoins et priorités de ses membres auprès des divers paliers de gouvernement, de la société civile et des décideurs dans tous les domaines d’activité ayant un impact sur les droits des personnes autochtones.
Depuis plus de 45 ans, FAQ a contribué au rétablissement de l’équilibre entre les hommes et les femmes autochtones en donnant une forte voix aux besoins et aux priorités des femmes. FAQ fait connaître les besoins et les priorités de ses membres aux autorités et aux décideurs, et ce, dans tous les secteurs de nos activités : la santé, la jeunesse, la justice et la sécurité publique, les maisons d’hébergement pour femmes et la promotion de la non-violence, les droits de la personne, le droit international, et l’emploi et la formation. Dans ce contexte, nous jouons un rôle de premier plan dans l’éducation, la sensibilisation et la recherche, et nous offrons une structure permettant aux femmes d’être actives dans leur communauté.
Les femmes autochtones sont visées par de nombreuses formes de discrimination, fondées notamment sur la race, le sexe, l’orientation sexuelle et le genre. On n’est pas sans savoir que les discriminations systémiques actuelles ont pris racine dans le colonialisme, un processus genré ayant produit de nombreux stéréotypes insidieux pour les femmes autochtones.
Ces stéréotypes découlent de la vision qu’avaient les Européens de la femme autochtone, soit qu’elle était « sauvage », sans honte, prostituée, mauvaise mère, laide et incapable de sentiments ou de morale. Cela a entraîné la création de nombreuses lois et politiques qui ont permis, d’une part, l’internalisation du racisme et du sexisme et, d’autre part, la justification et la continuation de l’oppression des femmes autochtones, qui jusqu’à aujourd’hui, ne sont pas considérées comme égales aux autres membres de la société.
Ces discriminations sont des facteurs de marginalisation des femmes autochtones, tant au sein de leur communauté qu’au sein de la société coloniale. Or, une des conséquences de cette marginalisation a été de rendre les femmes autochtones vulnérables à la violence, particulièrement à la violence sexuelle, de manière disproportionnelle et systémique. La forme la plus définitive de ces violences est le phénomène de meurtres et de disparitions de nos femmes.
L’oppression des personnes autochtones — particulièrement des femmes autochtones — et la méconnaissance des réalités autochtones ont entraîné un historique de mauvaises relations entre les institutions et les personnes autochtones. Or, cela se traduit par un manque de confiance envers les institutions, notamment envers le système de justice.
Le projet de loi C-3 prévoit une modification à l’article 3 de la Loi sur les juges voulant que les candidats et candidates en vue d’une nomination à une cour supérieure provinciale doivent accepter de participer à des séances de formation continue sur le droit en matière d’agressions sexuelles et le contexte social.
Femmes autochtones du Québec tient à saluer cette initiative, car nous sommes persuadées que ces formations, y compris sur le contexte, vont aider à restaurer la confiance et enrayer certaines discriminations vécues par les femmes autochtones au sein du système de justice, notamment en raison des stéréotypes.
Ce projet de loi est un premier pas. Cependant, avant d’assurer l’impartialité des tribunaux et le droit à la sécurité et à l’égalité réelle des femmes autochtones, certains ajouts devraient être faits.
Tout d’abord, les discriminations particulières vécues par les femmes autochtones — différentes de celles vécues par les femmes blanches, par exemple — doivent être prises en compte. Il est donc nécessaire que des formations particulières soient données au sujet des femmes autochtones et des réalités autochtones, surtout au sujet de l’historique des agressions sexuelles dans le contexte autochtone. Ces formations devraient comprendre l’histoire de la colonisation et adopter une approche intersectionnelle de la discrimination et de la violence systémiques.
Il est également nécessaire que ces formations soient élaborées et données en collaboration avec des organisations autochtones. Femmes autochtones du Québec a, par exemple, une expertise reconnue en matière de violence conjugale et sexuelle, et donne déjà des formations aux différents agents du système de justice, notamment au directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), aux policiers, etc.
Enfin, les formations ne devraient pas être obligatoires uniquement pour les candidats des cours supérieures, mais aussi pour tous les juges et même tous les agents du système judiciaire.
Femmes autochtones du Québec est persuadée que ce projet de loi est un premier pas, mais que ses recommandations doivent être prises en compte afin de lutter efficacement contre l’impunité et assurer l’égalité réelle et la sécurité des femmes autochtones, particulièrement en matière de violence conjugale.
Je vous salue, honorables sénatrices et sénateurs. Je commence toujours par le féminin, parce que la société veut qu’on commence par saluer le masculin avant le féminin.
Meegwetch.
La présidente : Merci beaucoup.
Diane Tremblay, à titre personnel : Bonjour à tous, mon nom est Diane Tremblay et c’est avec conviction et dignité, en tant que victime du récidiviste Michel Hamelin, que je me présente à vous aujourd’hui.
De 2003 à 2007, mon agresseur m’a fait subir de la violence psychologique, verbale, physique, sexuelle et économique. Pendant cette période difficile de ma vie, j’ai essayé à plusieurs reprises de saisir la justice afin que les juges puissent me protéger.
À la suite des procédures judiciaires intentées, mon agresseur avait été déclaré par un juge comme étant un « délinquant dangereux ». Malheureusement, à la suite d’une autre comparution, un second juge a estimé que le statut de « délinquant dangereux » n’était plus approprié à la situation et a décidé de le retirer.
Cette décision a eu des conséquences sur moi-même ainsi que sur d’autres personnes, car mon agresseur a récidivé avec d’autres victimes sous le même modus operandi. Je ne comprends pas jusqu’à ce jour sur quels motifs le juge s’est basé pour retirer ce statut de « délinquant dangereux » qui nous a mises encore plus en danger.
J’aimerais relater les événements que j’ai vécus pour vous démontrer que les agressions sexuelles peuvent être une composante intégrante de la violence conjugale. Je ne maquillerai pas cette réalité sordide, elle vous sera présentée comme je l’ai vécue. Malheureusement, c’est une réalité que beaucoup de victimes de violence conjugale vivent partout au Canada.
Mon agresseur plaçait la commode devant la porte de ma chambre à coucher pour m’empêcher de sortir afin de m’obliger à avoir des relations sexuelles pendant que je pleurais et criais. Quelquefois, mes enfants m’entendaient... Excusez-moi.
La présidente : Prenez votre temps, madame.
Mme Tremblay : Je leur disais que j’avais de la peine et que ce n’était pas grave. Mon agresseur avait même mis un crochet sur la porte pour ne pas que les enfants puissent entrer. Ainsi, il leur démontrait qu’il gardait le contrôle sur leur mère. Julien se rebellait beaucoup, et avec raison, mais je lui disais de s’en aller, que je contrôlais la situation.
Lorsque je me suis présentée en cour en juin 2005, mon agresseur m’a demandé de lui donner une chance pour bien paraître à la cour devant son avocate. Il prétextait qu’il ne voulait pas aller en prison et disait vouloir aller en thérapie à Jellinek — qui est un centre en Outaouais — et qu’il me laisserait tranquille. Il disait que cela l’aiderait à se contrôler et que par le fait même, il ne mettrait plus la vie de mon enfant et la mienne en danger — quand je dis « mon enfant », c’est mon plus vieux, parce qu’il se rebellait beaucoup et voulait protéger sa mère — que je pourrais tranquillement lui glisser des mains, que les thérapeutes auraient une influence sur ses comportements et que je pourrais, enfin, le quitter en toute tranquillité après ces thérapies.
Ensuite, il m’a fait croire qu’il voyait Bernard, un thérapeute inventé. Au lieu de se rendre à ses thérapies, il allait chez sa sœur Marianne et disait de moi, et je m’excuse des paroles qui vont suivre, ce ne sont pas les miennes :
La « crisse » de niaiseuse, elle pense que je suis en thérapie. Je vais arriver à la maison et je vais faire mon doux et je vais l’enjôler. Je vais lui faire l’amour et elle va penser que je suis allé à Jellinek. Elle dit toujours que je suis fin lorsque je reviens de là.
Voilà les propos disgracieux et violents qu’il tenait devant sa sœur Marianne et son ex-conjointe.
Cet homme a réussi à manipuler le système judiciaire et les juges dans l’objectif de garder son contrôle néfaste sur ma vie. Il m’a dit :
Tu as voulu m’envoyer en prison, bien, tu vas tout perdre et cela va être de même chaque fois que tu vas m’y envoyer. J’engraisse ma colère et je vais avoir le temps de réfléchir. Tu es bien mieux de faire attention à toi, quand je vais sortir, tu vas y goûter. Je suis à Jellinek juste pour ne pas aller en prison.
À plusieurs reprises, nous avons reçu des menaces de mort, mon fils Julien et moi. Il disait de mon plus jeune fils, Maxime : « Je ne lui toucherai pas, de toute façon, il va mourir, car il est atteint de fibrose kystique. »
Mon agresseur se rouait lui-même de coups au visage : il avait des bleus, il était enflé. Il me disait : « Je vais téléphoner à la police, ma “tabarnak”... », pardonnez mon langage, mais c’est le sien, « ... et je vais leur dire que c’est toi qui m’as fait cela. Tu vas y aller toi aussi en dedans.» Je vois encore ces images, après toutes ces années et on ne pourra jamais les oublier, ni moi ni mes enfants.
Voilà de quelle manière un agresseur, coupable de violence conjugale, peut jouer la comédie pour obtenir des peines plus souples de la part du système judiciaire.
Le 25 mars 2007, j’ai subi une autre agression sexuelle de sa part, alors que le système judiciaire était déjà saisi de son dossier. Malheureusement, les juges qui étaient censés me protéger n’ont pas fait leur travail correctement. Mon agresseur m’a dit : « Viens avec moi, j’ai une surprise pour toi. » Je lui ai répondu que ça ne me tentait pas, mais il a insisté, comme d’habitude. Et quand je dis qu’il a insisté, je parle de terrorisme à mon égard.
Ensuite, nous avons emprunté le chemin de la Montagne, à Hull, qui mène sur un chemin de campagne très boisé. Nous nous sommes rendus au bout du chemin, près d’un terrain de golf. Il essayait de m’étourdir pour que je ne sache pas où nous étions, mais j’observais tout. Il faisait tout pour que je ne me retrouve plus et pour me terroriser encore plus.
Il m’a ordonné de lui remettre mon cellulaire, ce que j’ai fait. Il disait : « T’auras pas ton cellulaire, comme ça, tes enfants ne pourront pas te rejoindre ni me déranger, surtout pas ton Julien. » Nous avons fait le tour du collège jusqu’en arrière, dans un grand stationnement. Il a stationné la voiture juste à côté d’un boisé. Il a enlevé mes lunettes, il a commencé à m’embrasser, je n’avais pas le choix de me laisser faire. Je savais que si je ne faisais pas ce qu’il voulait, ma vie était définitivement encore plus en danger. On le ressent terriblement.
Malheureusement, j’ai été violée une nouvelle fois. Mes pleurs et mes cris étaient étouffés par la peur et la honte. Il m’a dit : « Je vais aller avec toi en bas du boisé, il y a un petit ravin. » Mais il faisait froid et il faisait noir. J’avais tellement peur qu’il me tue et qu’il m’abandonne dans ce ravin. En espérant qu’il change d’idée, je lui ai suggéré d’aller ailleurs. Il m’a dit : « On va aller chez ma mère », mais elle était absente.
J’ai porté plainte quelques mois plus tard et mon agresseur a reçu une sentence très clémente : deux ans de probation et une interdiction d’approcher ma famille. Le Code criminel prévoit de lourdes peines pour les tentatives de meurtre, les agressions sexuelles et la violence à l’égard d’un partenaire intime. J’en ai été victime, mais aucun juge n’a appliqué les peines prévues par le Code criminel, car on ne comprenait pas ce que je vivais.
Subir des viols à répétition est très éprouvant et ce n’est pas parce que vous êtes sa conjointe qu’un homme a le droit de vous violer. C’est un acte criminel et quand vous dites non, il doit vous respecter.
Je vous raconte mon histoire personnelle pour vous prouver à quel point mes enfants et moi avons subi de la violence, alors que les juges et le système judiciaire étaient déjà saisis de nos plaintes. Je ne me suis pas sentie écoutée par les juges, car j’avais ce sentiment qu’ils ne comprenaient pas ma situation, mais surtout qu’ils ne comprenaient pas que mon ex-conjoint était dangereux, violent et manipulateur.
Pour une justice équitable et sérieuse, par respect pour toutes les victimes, la formation des futurs juges en matière de violence conjugale se doit d’être obligatoire dans toutes les provinces canadiennes. Combien de fois, je vous le demande, les victimes laissées pour compte doivent-elles se débrouiller seules à la suite d’un jugement prononcé en faveur de l’agresseur?
La victime se retrouve enfermée dans une maison d’hébergement pour sa sécurité, alors que l’agresseur est libre dehors, à continuer à faire d’autres victimes. Je trouve cela aberrant et très injuste.
Ici et maintenant, vous avez le pouvoir de renverser la vapeur, de redonner au terme « justice » sa définition trop longtemps oubliée par des sentences bonbon. Cela m’amène à vous demander de modifier le projet de loi C-3 afin de proposer une formation en matière de violence familiale.
Aujourd’hui, j’aimerais que mon témoignage ne reste pas qu’un tas de mots prononcés et jetés sur un papier ici, devant vous. J’aimerais que mon témoignage soit un gage de changement, porteur d’espoir, afin que la souffrance et le désespoir qui nous sont infligés soient ressentis par chacun de vous.
Il pourrait s’agir de votre mère, de votre sœur, de votre fille, d’une amie. Au nom du respect et du droit à la vie pour nous toutes, il ne faut plus jamais que les victimes soient oubliées. C’est pour nous toutes, de toutes nationalités, que je témoigne. Le projet de loi C-3 est primordial. Nous ne pouvons continuer de fermer les yeux sur l’inacceptable.
Je vous prie de m’excuser pour le trop-plein d’émotions et d’accepter mes salutations distinguées. Du fond du cœur, je vous remercie de m’avoir entendue aujourd’hui.
La présidente : Madame Tremblay, je vous remercie de votre présence devant nous aujourd’hui. Vous êtes vraiment courageuse. Bien sûr, je parle au nom de tous les membres du comité. Nous apprécions vraiment votre courage. Merci infiniment.
Mme Tremblay : Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente : Nous passerons maintenant à M. Tachie, président de l’Association des avocats noirs du Canada. Monsieur Tachie, vous disposez de cinq minutes.
Raphael Tachie, président, Association des avocats noirs du Canada : Nous vous remercions de nous avoir invités à traiter de cette question importante et des amendements proposés.
Au nom de l’Association des avocats noirs du Canada, nous sommes convaincus que la formation des juges sur le contexte social et les agressions sexuelles constitue un important pas en avant. Nous appuyons tout engagement ou proposition visant à faire progresser cette conversation et les amendements.
Nous vous ferions toutefois la mise en garde suivante. En agissant dans ce domaine, il faudrait aussi tenir compte des répercussions sur l’indépendance de la magistrature. Dans certaines situations, cette indépendance a permis à des juges et à des tribunaux de tenir compte de questions importantes qui ne sont pas toujours encadrées par des obligations ou des lois. En allant de l’avant dans ce domaine et en examinant le projet de loi et la proposition, le contenu est important, mais il doit être mis en œuvre de manière à avoir une incidence minimale sur l’indépendance de la magistrature.
L’histoire que nous venons d’entendre nous indique qu’il est nécessaire d’offrir aux juges de l’éducation et de la formation sur le contexte social dans ce domaine. Pour notre part, nous sommes favorables à une collaboration entre les deux instances égales du gouvernement que sont les pouvoirs judiciaire et législatif afin d’élaborer des propositions traçant les grandes lignes du genre de formation sur les agressions sexuelles et le contexte social que les juges devraient suivre, et ce, en limitant les mesures obligatoires qui pourraient nuire à l’indépendance de la magistrature.
Je vous remercie beaucoup.
La présidente : Je vous remercie beaucoup de témoigner, monsieur Tachie.
Mesdames et messieurs, nous passerons maintenant aux tours de questions, en commençant par le parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond.
[Français]
Le sénateur Dalphond : D’abord, je tiens à remercier les témoins qui sont venus présenter leurs points de vue. Je peux vous dire que c’est très apprécié.
Ma première question s’adresse à Mme Viviane Michel. Si je comprends bien vos représentations, vous souhaitez que des groupes comme le vôtre, qui interviennent en particulier dans les situations de discrimination et de violence envers des femmes autochtones, soient consultés et engagés dans la conception des cours.
Ce que l’amendement numéro 2 propose, à l’article 60 de la Loi sur les juges, c’est que les cours soient établis après consultation de personnes ayant survécu à des agressions sexuelles et de groupes et organismes, notamment les dirigeants autochtones et les représentants des communautés autochtones.
Si je comprends bien, vous voulez vous assurer que le conseil vous consulte étant donné que votre organisme se spécialise dans ce genre de question. D’ailleurs, je crois que votre contribution serait très importante.
[Traduction]
Ma deuxième question s’adresse à Mme Fitzgerald. Vous avez traité du fameux lien entre la cruauté envers les animaux et la violence familiale. Quand la juge Kent, de l’Institut national de la magistrature, a comparu devant notre comité il y a quelques semaines de cela, elle a indiqué qu’une formation sur la violence familiale était offerte aux nouveaux juges, soulignant notamment les difficultés qu’éprouvaient les survivantes ayant des animaux lorsqu’elles cherchaient de l’aide. À votre avis, le concept de contexte social est-il suffisamment large pour englober les questions dont vous parlez?
[Français]
On peut commencer avec Mme Michel pour deux minutes et ensuite Mme Fitzgerald pour deux minutes. Merci.
Mme Michel : Pour répondre à votre question, la formation est vraiment importante, surtout en ce qui concerne la réalité des femmes autochtones. Ce qu’on veut, ce n’est pas seulement de donner de la formation, c’est aussi d’offrir une expertise qui permettra d’aider le système judiciaire à comprendre la réalité des femmes autochtones, surtout en ce qui concerne les enjeux liés à l’agression sexuelle. On veut aussi être consultées au sujet du genre de formation offerte en matière d’agression sexuelle, entre autres.
On a entendu une victime, ici présente; c’est tellement douloureux. Les agressions sexuelles sont des traumatismes. La guérison est très longue et il y a des aspects que vous devez comprendre, surtout du côté judiciaire. J’ai été une victime d’agression sexuelle, je suis une survivante d’agression sexuelle, je suis bien avec moi-même, j’ai travaillé fort pour être bien avec moi-même.
Votre système judiciaire est très lent pour amorcer les procédures judiciaires pour la victime. Il y a une lenteur lorsqu’on fait la déposition et la dénonciation. Cela a pris deux ans avant que cette personne ne soit condamnée. La réalité chez les peuples autochtones est que l’agresseur vit dans la communauté. Donc, les victimes rencontrent l’agresseur dans la communauté tous les jours. Qu’est-ce que cela a comme impact sur elles? Eh bien, on le voit chez Mme Tremblay, on voit les traumatismes et les impacts de toutes sortes. Donc, on déplore la lenteur du processus judiciaire pour accepter le dépôt d’une plainte, évidemment, mais la formation est aussi importante et on est prêts à collaborer de notre côté.
Le sénateur Dalphond : Merci. Madame Fitzgerald?
[Traduction]
Mme Fitzgerald : Je vous remercie beaucoup de la question.
J’ai été enchantée d’apprendre qu’une certaine formation est offerte. Je crois comprendre qu’elle se limite à l’incidence potentielle des animaux de compagnie sur la décision de quitter un partenaire violent. Il s’agit certainement d’une composante importante, mais il y a d’autres facettes que nous considérons comme cruciales également. La compréhension du lien entre la violence contre les animaux et la gravité de la violence familiale et sexuelle constitue assurément une dimension importante à laquelle les juges doivent être sensibilisés. Comme ce domaine de recherche est relativement récent, une bonne part de ces renseignements n’a pas encore été diffusée. Nous pensons donc que c’est un point important à prendre en compte.
En outre, il n’y a pas que la violence contre les animaux qui soit problématique sur le plan de la violence physique. Comme nous l’avons souligné dans notre exposé, l’échelle du traitement des animaux par le partenaire inclut un éventail de gestes pouvant être commis sur des animaux. La négligence et les menaces ont sur les victimes humaines des répercussions aussi considérables que peut en avoir la violence physique contre un animal.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je veux joindre ma voix à la vôtre, madame la présidente, pour saluer le courage de nos témoins et aussi la pertinence de leurs déclarations.
Ma première question s’adresse à Mme Michel. Madame Michel, hier, je déposais au Sénat un projet de loi sur la violence familiale. J’ai eu beaucoup de réactions de la part de femmes vivant cette situation au sein de communautés autochtones. Je suis en contact avec les communautés du Québec au sujet de ce dossier. Il y a une disproportion par rapport aux communautés plus urbaines, plus blanches. Est-ce que, selon vous, en ce qui concerne la formation des juges, lorsque l’on se penche sur la composante de violence familiale et violence sexuelle — dont Mme Tremblay nous parlait si dignement tantôt —, ne croyez-vous pas que l’on devrait également intégrer dans ce projet de loi le contexte de la violence familiale? Ce sont des domaines qui se rejoignent beaucoup, la violence sexuelle et la violence familiale.
Mme Michel : Oui, c’est un autre contexte aussi, car on parle de violence. Femmes autochtones du Québec, pour votre information, a été l’une des premières organisations à oser parler de violence à l’intérieur des communautés. Ici, au Québec, il y a 54 communautés. La violence était taboue. On a pu faire de la prévention, de la sensibilisation, des capsules sur la violence, des plans d’action, expliquer et démystifier ce qu’est la violence, etc. On a tous ces outils entre les mains, à Femmes autochtones du Québec; on a l’expertise.
C’est important, car il y a aussi des impacts différents pour la population québécoise. Je mentionnais tout à l’heure l’agresseur, qui est au sein de la communauté, et parfois — je le sais, car j’ai travaillé dans une maison d’hébergement pour femmes victimes de violence —, les femmes ne le dénoncent pas parce que quand on appelle le policier, il est Autochtone, et il arrive que ce soit le frère du conjoint, par exemple. Cela met justement des barrières à la dénonciation.
Ce qui arrive aussi avec la justice, c’est que lorsque le conjoint est incarcéré, il l’est avec son comportement, on ne travaille pas sur son comportement ni sur sa problématique. Ce qui veut dire qu’il peut être incarcéré — on parlait d’agression sexuelle tout à l’heure — pendant deux ans. Celui qui m’a agressée l’a été pendant deux ans, mais il n’a jamais travaillé sur sa problématique.
Donc, lorsqu’on parle de processus de guérison, lorsqu’on veut résoudre les problèmes, on inclut la problématique, ce qui veut dire l’agresseur. L’agresseur doit travailler sur son comportement. Le système judiciaire devrait pouvoir dire aux agresseurs ou à ceux qui font de la violence conjugale d’aller régler leur problème plutôt que de seulement les emprisonner. On doit travailler sur le problème également.
Il y a beaucoup de choses qu’on pourrait ajouter. Vous auriez dû nous inviter, car nous sommes vraiment proactifs à ce sujet.
Le sénateur Boisvenu : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Avant de commencer, je veux vous remercier tous de votre excellent travail de défense des droits et de tout ce que vous faites pour aider les Canadiens et les Canadiennes au sujet de ces questions importantes.
Ma question s’adresse à l’Association des avocats noirs du Canada. Monsieur Tachie, le travail colossal que Rona Ambrose a accompli dans ce dossier nous a montré que le manque de confiance à l’égard du système de justice constitue l’une des principales raisons qui empêchent les victimes d’agression sexuelle de porter plainte. Pensez-vous que le Parlement a un rôle à jouer afin de tenter de renforcer la confiance des victimes d’agression sexuelle à l’égard du système de justice? L’Institut national de la magistrature a indiqué qu’il considère que le projet de loi ne nuit par à son indépendance. Cela calme-t-il vos préoccupations?
M. Tachie : Oui. Pour répondre à votre deuxième question en premier, je conviens que si c’est là l’avis de l’Institut national de la magistrature, un organe indépendant responsable de la formation des juges, alors cela calme mes préoccupations. Je pense qu’il s’agit d’une facette importante du débat que nous avons au sujet du projet de loi. Selon moi, le pouvoir judiciaire devrait participer à ce débat et devrait pouvoir donner son avis sur la mouture finale du projet de loi pour s’assurer qu’il ne l’empêche pas d’agir de manière indépendante et de rendre justice dans les circonstances.
J’ai l’impression que nous tous ici aujourd’hui considérons que la formation sur le contexte social et les agressions sexuelles constitue un outil important pour les juges, mais dans certaines circonstances, un groupe différent pourrait venir parler ici d’une question différente dont on considère qu’elle ne concerne pas ce que les juges font et la manière dont ils rendent des décisions. C’est l’indépendance de la magistrature qui est au cœur de l’affaire, n’est-ce pas? Dans certains cas, quand la question n’est pas progressiste dans le sens que nous le considérons tous, nous ne voulons pas créer de précédent en encadrant ce que les juges entendent et se font dire de faire lors de leur formation. Voilà ce qui nous préoccupe.
Pour en revenir à votre remarque, il est gratifiant d’entendre que l’Institut national de la magistrature appuie le projet de loi.
La sénatrice Batters : Je vous remercie.
Le sénateur Campbell : Je n’ai pas de questions pour l’instant, madame la présidente.
La présidente : Le sénateur Campbell est également vice-président du comité.
[Français]
La sénatrice Mégie : J’ai une question pour Me Tachie et une question pour Mme Viviane Michel, mais à laquelle les deux témoins peuvent éventuellement répondre.
On a entendu dire par les autres témoins, ce que Me Tachie vient de réitérer, que le Conseil de la magistrature du Canada considère que la formation des juges doit demeurer leur prérogative par souci d’indépendance judiciaire. En dehors des comités, j’ai parlé à des personnes qui me disent que le Conseil de la magistrature et l’Institut national de la magistrature ont déjà élaboré des cours qui abordent tout ce qui se rapporte au contexte social et aux agressions sexuelles; tout est fait. On me dit que les juges savent où aller chercher les informations. Quelqu’un parmi les témoins a même dit que ce projet de loi est inutile parce qu’on avait déjà tout ce qu’il faut.
J’aimerais savoir, compte tenu de cette réalité, dans quelle mesure le fait de dire qu’on doit offrir ce genre de formation atteint l’indépendance judiciaire. En quoi est-ce que cela atteint l’indépendance judiciaire de dire que, puisque les cours existent, nous aimerions que vous suiviez cette formation?
Me Tachie peut répondre, ou Mme Michel, surtout que Mme Michel nous a dit que Femmes autochtones du Québec offre des possibilités de formation. Je ne sais pas si on a fait appel à vous pour cela ou pas; donc je lance ma question comme ça.
[Traduction]
M. Tachie : Je commencerai avec une brève réponse, puis je céderai la parole à Mme Michel.
Le fait qu’un cours existe est un point important, mais lorsqu’on entend les histoires relatées ici aujourd’hui, on constate que le contexte compte. L’exposition personnelle à l’expérience et au vécu des gens est importante. Ce qui importe, ce n’est pas tant l’existence de cours que leur nature et la manière dont ils sont élaborés. Il est également crucial que les juges s’en prévalent.
En ce qui concerne l’indépendance de la magistrature, nous ne considérons pas que les cours et l’éducation sur le contexte social ne devraient pas être offerts; les juges devraient les suivre. Le défi consiste à rendre ces cours obligatoires d’une certaine manière et d’obliger les juges à envisager certains genres de formation et pas d’autres.
Il est primordial que les juges aient leur mot à dire sur ce qui est élaboré, et que la formation et l’éducation visent à élargir autant que possible l’expérience et les histoires relatives au contexte social et au vécu des survivantes. C’est un élément important de l’équation dans le cas présent comme dans toute situation. La situation sociale, personnelle et culturelle d’un accusé ou d’une victime est un facteur important à prendre en compte dans tout scénario. Nous devrions permettre aux juges de s’exposer à ces expériences pour qu’ils puissent en tenir compte dans le cadre de leur prise de décisions.
Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins de comparaître aujourd’hui, mais aussi d’accomplir tout le travail qu’ils font quotidiennement.
Je veux revenir aux questions que vous avez soulevées, mesdames Fitzgerald et Barrett, à propos de la violence contre les animaux et de ses répercussions sur les femmes qui tentent d’échapper à la violence, ainsi qu’au fait que les chiens demeurent des éléments centraux et précieux des communautés autochtones et qu’il importe d’admettre le lien entre la violence contre les animaux et la violence envers les femmes, y compris avec l’agression sexuelle. Je suis curieuse, et je pose aussi la question au nom de la sénatrice Boyer également, car elle possède manifestement beaucoup plus d’expérience que moi en la matière. En ce qui concerne notamment les survivantes autochtones d’agression sexuelle, avez-vous des recommandations que vous considérez que le comité pourrait inclure sous la forme d’observations ou par d’autres moyens afin de renforcer cette partie du projet de loi?
J’indiquerais à Mme Michel et à d’autres témoins que l’un des aspects qui ont changé depuis la version précédente de ce projet de loi, c’est le fait que les juges sont obligés de fournir des motifs par écrit car, comme nombre d’entre vous le savent, certaines des affaires les plus horribles concernaient des femmes autochtones et un grand nombre de ces affaires ont été mises au jour seulement parce que quelqu’un en a cherché les transcriptions, les a fait transcrire et a déposé des plaintes auprès de corps judiciaires.
Ce sont là mes deux questions. Si Mme Fitzgerald et Mme Barrett pouvaient y répondre, alors peut-être que Mme Michel et d’autres témoins pourraient vouloir intervenir. Je vous remercie.
Mme Barrett : En premier lieu, il est très clair pour nous qu’à titre de chercheuses, nous ne parlons pas au nom des femmes autochtones. Il est très important que les Autochtones puissent s’exprimer et formuler des recommandations. Je comprends parfaitement que vous vouliez vous assurer que le projet de loi tienne compte du vécu autochtone, mais j’admets aussi que notre groupe de recherche n’est vraiment pas le mieux placé pour parler au nom des communautés autochtones. Nous voulons sincèrement que ce soit elles qui s’expriment directement à ce sujet.
J’ajouterais que les connaissances sur la violence contre les animaux dans les communautés autochtones sont vraiment sous-développées. Mme Fitzgerald et moi-même menons actuellement une enquête nationale au Canada afin de recueillir des témoignages et des données. Nous nous sommes efforcées de nouer des relations avec des communautés autochtones afin de glaner des renseignements sur ce qu’il s’y passe pour utiliser ensuite cette information aux fins d’élaboration de politiques.
À l’heure actuelle, comme tout ce domaine de recherche n’en est qu’à ses balbutiements, nous ne faisons que commencer à comprendre la nature des expériences au sein des communautés autochtones. Je céderai à la parole à Mme Fitzgerald si elle a autre chose à dire à ce sujet.
Mme Fitzgerald : C’est une excellente réponse. J’ajouterais seulement que dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que les refuges pour victimes de violence familiale des zones urbaines sont mieux équipés et mieux à même d’aider les victimes qui ont des animaux. Malheureusement, les refuges des régions rurales ne disposent pas de beaucoup de ressources pour composer avec l’intersection de ces questions. C’est certainement un point qui nous préoccupe. Il faut que des services soient offerts partout au pays et pas seulement dans certaines zones urbaines.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci à nos témoins d’aujourd’hui. Madame Tremblay, je vous ai entendue nous dire que vous vous excusiez des émotions que vous aviez éprouvées en nous racontant la violence que vous aviez vécue. Je vous inviterais à ne pas vous excuser. Vous avez aussi parlé de votre droit à la vie et vous avez tout à fait raison; c’est vraiment le droit à la vie qui est en cause pour les femmes, et c’est normal d’exiger que la société protège notre droit à la vie, à nous les femmes. Merci d’être venue.
J’ai une question pour Mme Michel. Est-ce que j’ai bien compris que vous parlez de la volonté, en tout cas de votre disponibilité comme organisme, non seulement à participer, à collaborer pour élaborer les formations, mais aussi à donner ces formations?
Mon autre question s’adresse au président de l’Association des avocats noirs du Canada, Me Tachie. Dans le projet de loi, on parle de racisme systémique et de discrimination systémique. Quelle différence faites-vous entre les deux concepts?
Mme Michel : Je vous salue, madame la sénatrice Dupuis. Cela fait longtemps que je ne vous ai pas vue.
La sénatrice Dupuis : Je vous salue aussi.
Mme Michel : Il ne s’agit pas seulement de faire une consultation afin de cocher une case. C’est important de bien le faire comprendre. Il faut donner la formation, qu’on ait une collaboration réelle pour les cours. On a des formations qui sont prêtes et on a une expertise, que ce soit pour des cas d’agressions sexuelles, de violence conjugale ou de violence familiale. On a des outils qui sont déjà prêts, surtout pour les cas d’agressions sexuelles, autant pour les victimes que pour les intervenants. On s’ajuste selon les catégories, évidemment.
En même temps, je pense qu’il est également important de faire comprendre le contexte de violence dans les communautés, mais aussi en dehors des communautés, parce qu’on représente aussi le milieu urbain.
Le contexte de discrimination est vraiment important, tout comme les effets de la colonisation et les traumatismes intergénérationnels, et on a plusieurs éléments qui sont liés à ce problème. Femmes autochtones du Québec Inc. se ferait un plaisir de collaborer pour donner de la formation. On est prêts.
La sénatrice Dupuis : Merci. Maître Tachie?
[Traduction]
M. Tachie : Je vous remercie.
La réponse à cette question témoigne de mes propres opinions et non de celles de l’Association des avocats noirs du Canada. Je considère le racisme systémique et la discrimination systémique comme étant différents sur les plans de l’intention et des résultats. Qu’est-ce que j’entends par différents sur le plan de l’intention? La différence dans l’intention fait référence au fait qu’il existe des lois et des institutions systémiquement discriminatoire sans l’être ouvertement. L’Association des avocats noirs du Canada est intervenue récemment dans une affaire entendue par la Cour suprême du Canada afin de contester le recours à ce que j’appelle des récusations péremptoires par les procureurs. De prime abord, quand on lit la règle entourant les récusations péremptoires lors du choix du jury, elle ne semble pas discriminatoire ou raciste. Elle ne stipule pas qu’on ne peut pas choisir des jurés noirs ou qu’on peut retirer des jurés potentiels noirs du jury, mais c’est la manière dont elle est appliquée qui finit par avoir des résultats discriminatoires. Qu’est-ce que j’entends par là? J’entends, par exemple, que lorsqu’un Noir est accusé, certains recourront à la récusation péremptoire d’une façon qui laisse penser qu’un juré potentiel noir ne pourrait être impartial à l’endroit de cet accusé noir. C’est pour moi un exemple de discrimination systémique. La loi proprement dite n’est pas discriminatoire quand on la lit : c’est la manière dont on l’applique qui donne des résultats discriminatoires.
Selon mon interprétation, le racisme systémique est un degré d’intention. La loi ou sa teneur traitent les gens différemment en fonction de la race ou de l’origine ethnoculturelle. Ainsi, à bien des égards, la discrimination est ce que nos institutions tendent à faire. Nous n’avons pas tendance à élaborer des lois ouvertement racistes, mais c’est la manière dont nous les appliquons, les interprétons ou les utilisons qui a des résultats discriminatoires.
La présidente : Je vous remercie, monsieur Tachie.
Le sénateur Gold : Je remercie tous les témoins.
Ma question s’adresse à Mme Fitzgerald et à Mme Barrett. Vous savez peut-être que lorsque le ministre de la Justice a comparu devant le comité, il nous a indiqué que si le Sénat propose des amendements — et je cite —, « l’adoption du projet de loi sera mise en péril et il pourrait mourir au Feuilleton ». Il nous a expliqué que ce serait parce la Chambre des communes dispose de très peu de temps, particulièrement avec un Parlement minoritaire.
Je vous remercie des recherches que vous effectuez. Elles sont fascinantes et devraient servir de base à tout ce que nous comprenons de la violence familiale et conjugale commise à domicile. Êtes-vous d’avis que le projet de loi devrait être amendé d’une certaine manière afin d’atténuer vos préoccupations?
Mme Fitzgerald : Je vous remercie de la question.
Je serai honnête : nous ne voulons pas provoquer la mort du projet de loi. Ainsi, si c’est une possibilité qui vous préoccupe, alors nous nous contenterions d’une observation sur ce que nous avons dit ici.
Le sénateur Gold : Je vous remercie beaucoup. Je n’ai plus de questions.
La présidente : Je vous remercie, sénateur Gold.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je déplore ce genre d’introduction de question qui laisse porter le poids à un témoin ou à un amendement concernant un projet de loi. C’est un peu particulier, disons.
Ma question porte plutôt sur la question du lien entre la violence envers les animaux et la violence conjugale. Au début, je n’étais pas certain de bien saisir ce lien, mais je le comprends maintenant très bien.
Ma question s’adresse à Mme Fitzgerald et à Mme Barrett. Ne pensez-vous pas que ce genre de formation, plutôt que de s’adresser aux juges, devrait être offerte aux policiers ou aux criminologues afin qu’ils puissent apercevoir les drapeaux jaunes ou rouges lorsqu’ils interviennent dans une résidence, qu’ils voient une violence faite aux animaux ou qu’ils voient des liens suspects? Le juge qui a devant lui une infraction criminelle dispose d’une preuve et peut toujours, à la limite, exiger une preuve appuyée par un témoin expert en ce qui a trait à cette particularité, lorsqu’elle est amenée dans un dossier.
Il me semble que du point de vue de la prévention de la criminalité et de la protection de la santé, de la protection du public et des victimes, il serait bien que la formation soit offerte aux policiers qui interviennent en premier lieu dans une résidence ou auprès d’une famille.
[Traduction]
Mme Barrett : Vous soulevez un point intéressant. À notre avis, il faudrait offrir de la formation aux deux niveaux. Nous savons déjà qu’un grand nombre de recherches ont été réalisées — des recherches que le temps ne nous permet pas de présenter ici aujourd’hui, mais que je vous transmettrai volontiers si cela vous intéresse — sur la manière dont les agents de police interviennent en première ligne. Si nous considérons que les juges doivent aussi suivre cette formation, toutefois, c’est parce que ce sont eux qui interprètent la loi quand des affaires sont judiciarisées. Comme l’ont indiqué certains témoins aujourd’hui, il leur arrive souvent de ne pas comprendre le contexte.
Quand la violence familiale s’additionne de violence contre les animaux, si l’agresseur oblige la femme à violenter l’animal également, elle risque d’être accusée elle aussi de cruauté envers les animaux. Il est arrivé qu’une survivante de violence familiale soit, comme l’agresseur, accusée de cruauté envers les animaux parce qu’elle avait dû agir à l’instigation de son partenaire. Par exemple, dans l’affaire de bestialité dont j’ai parlé plus tôt, on a craint que la victime soit arrêtée et accusée de violence familiale comme l’agresseur, car elle avait maltraité des animaux, pas parce qu’elle le voulait, mais parce qu’elle y avait été contrainte par son agresseur. Selon nous, s’il est important de comprendre ce degré de contexte en première ligne, il est encore plus important de le comprendre lorsque des juges entendent l’affaire. Madame Fitzgerald, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Fitzgerald : Non, cette réponse me semble excellente.
[Français]
La présidente : Merci. Madame Michel, si vous voulez répondre à la question de la sénatrice Mégie, c’est maintenant le temps.
Mme Michel : Est-ce la question concernant la formation des juges?
La sénatrice Mégie : Oui. On nous a dit que tout était fait par l’Institut. J’aimerais ajouter que certaines personnes croient que le fait que certains juges disent des choses vraiment dégoûtantes est attribuable à un manque de savoir-être.
Le croyez-vous aussi ou pensez-vous que c’est aussi en raison du manque de formation?
Et si ce n’est pas à cause d’un manque de formation, quels moyens pourrait-on utiliser pour pallier le problème?
Mme Michel : Pour vous répondre, sénatrice Mégie, je serais très curieuse de savoir avec qui ils collaborent. J’ai des questions. Quel est le contenu de leur formation? C’est vraiment important, surtout dans un contexte autochtone. S’ils disent qu’ils sont déjà assez outillés, j’aimerais bien connaître le contenu de la formation, les noms de ceux qui donnent la formation et également savoir ce qu’ils ont compris de la formation. Quels sont les acquis de la formation? C’est important, surtout dans la position où ils sont. Je serais vraiment curieuse de savoir.
Dans nos formations, on s’ajuste avec l’organisation qui la demande. On donne de la formation aux policiers, par exemple le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), ici à Montréal; on donne de la formation aux policiers autochtones au sujet de la réalité des femmes autochtones, surtout en matière de violence, évidemment. Donc, je serais très curieuse d’avoir de la rétroaction là-dessus. Il faut toujours innover et ce n’est pas parce qu’on a déjà suivi un cours sur ce sujet qu’on a tout compris. Il y a toujours place à de l’innovation.
La sénatrice Mégie : Merci.
Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à Mme Fitzgerald. Vous avez fait beaucoup allusion, dans votre exposé, à la combinaison entre violence familiale et violence sexuelle. Est-ce que, selon vous, la formation des juges devrait être élargie à la violence familiale et ne pas se limiter strictement à la violence sexuelle, surtout dans un contexte familial?
[Traduction]
Mme Fitzgerald : Oui. Étant donné les importants chevauchements [Difficultés techniques] et l’agression sexuelle, dont nous avons parlé, il serait prudent d’inclure la violence familiale afin que les juges comprennent au moins à quel point le phénomène est répandu. Nous percevons ces formes de violence ainsi que la violence contre les animaux comme étant des problèmes complètement distincts, alors que les chevauchements sont considérables. Les victimes de violence familiale et d’agression sexuelle sont certainement exposées à plus d’incidents d’agression sexuelle et d’agressions sexuelles continues, un fait qu’il serait utile de prendre en compte.
La présidente : Je veux remercier tous les témoins de comparaître aujourd’hui et de vous être adaptés à nos contraintes. Je sais que nous devions nous rencontrer la semaine dernière, et vous avez immédiatement accepté. Je vous remercie beaucoup d’être ici. Je peux vous dire que nous avons entendu aujourd’hui des choses qui nous aideront dans notre travail, pas seulement concernant ce projet de loi, mais dans tous nos travaux.
[Français]
Merci, madame Tremblay, nous sommes vraiment heureux que vous soyez ici avec nous aujourd’hui. Merci infiniment.
[Traduction]
Je tiens tout d’abord à présenter nos excuses à tous les témoins. Nous avions confirmé votre présence la semaine dernière, mais nous n’avons pu vous rencontrer. Vous avez immédiatement accepté. Nous vous remercions donc de votre patience à notre égard. Il est très important que nous vous entendions.
Quant à ceux et celles que nous ne pouvons pas entendre, nous pouvons vous entendre quand nous parlons, mais nous devons avoir l’interprétation et les interprètes ne peuvent pas vous entendre. Travaillez avec nous et nous trouverons un moyen de vous entendre. Je vous remercie de votre patience.
Sénateurs, sénatrices, nous commencerons à entendre notre premier témoin : l’honorable Rona Ambrose, c.p. Madame Ambrose, vous vous êtes montré très patiente envers nous et avez immédiatement modifié votre horaire pour être avec nous aujourd’hui. Nous sommes impatients de vous entendre. Je vous accorde cinq minutes pour présenter votre exposé, madame Ambrose.
[Français]
L’honorable Rona Ambrose, c.p., à titre personnel : Merci de m’avoir invitée pour parler du projet C-3 et merci à tous les sénateurs de garder l’esprit ouvert concernant cette importante mesure législative.
[Traduction]
Je tiens particulièrement à remercier le sénateur Dalphond de parrainer ce projet de loi au Sénat et à souligner le travail extraordinaire de la sénatrice Raynell Andreychuk, qui en a parrainé les versions précédentes ces dernières années. Fait intéressant, ce sont tous deux d’anciens juges.
Nous savons tous à quel point il est rare qu’un projet de loi reçoive le consentement unanime à la Chambre des communes, particulièrement dans le cas de projets de loi d’initiative parlementaire. Ce qui est plus rare encore, c’est que la Chambre des communes réitère et clame encore et encore son soutien à l’égard d’un projet de loi, allant jusqu’à envoyer au Sénat une note lui demandant de traiter cette mesure législative en priorité.
Le fait que nous nous trouvions ici plus de quatre ans plus tard et que le projet de loi ait dû être déposé de nouveau à deux reprises devrait instiller en nous tous un sentiment d’urgence. À l’instar de nombreuses personnes qui ont à cœur cette question et la réforme institutionnelle, j’admets que je suis quelque peu attristée et irritée de témoigner de nouveau devant le comité au sujet d’un projet de loi semblable. Pour mettre les choses en perspective, quand j’ai initialement déposé mon projet de loi, Donald Trump venait d’être porté au pouvoir et le mouvement #MoiAussi n’existait pas encore.
Mais nous revoici à débattre de la question, car elle est importante et des juges continuent de commettre des erreurs, perpétuant en cour des mythes et des stéréotypes sur le viol et appliquant erronément les lois relatives à l’agression sexuelle. Le plus récent cas est survenu il y a quelques semaines en Nouvelle-Écosse quand un juge a fait fi même d’une suggestion de l’avocat de la défense, qui proposait une peine de plusieurs années pour un violeur déclaré coupable, car ce juge pensait que le violeur était incapable de contrôler ses pulsions et était par conséquent moins responsable de ses gestes et méritait une peine moindre.
Je me demande souvent si nous aurions pu prévenir une partie de ces comportements effarants qui ont manifestement une incidence sur la confiance des survivantes d’agression sexuelle à l’égard de nos tribunaux quand on a vent de ces affaires si ce projet de loi avait été adopté il y a quatre ans.
Sénatrices, sénateurs, depuis notre dernière rencontre, les faits et les statistiques n’ont pas changé. Une femme sur trois et un homme sur six sera victime de violence sexuelle au cours de sa vie. Les femmes et les filles autochtones sont cinq fois plus susceptibles de subir de la violence sexuelle que les femmes non autochtones. Les témoins que vous avez entendus n’ont fait que souligner davantage leur dégoût à l’égard de notre système de justice, et 95 % des femmes agressées sexuellement resteront silencieuses. Les hommes et les garçons sont encore moins susceptibles de signaler une agression. Selon Justice Canada, quand on demande aux victimes pourquoi elles gardent le silence, les deux tiers évoquent leur manque de confiance à l’égard des tribunaux.
Depuis le début de la pandémie de COVID, la situation n’a fait qu’empirer. Les centres de crise et d’aide aux victimes de viol sont submergés d’appels. Rappelons-nous que 95 % des victimes ne parleront pas. Laissons cette statistique faire son chemin dans notre esprit. Il ne s’agit pas seulement de chiffres et de pourcentages, mais de vies humaines changées à jamais. Nous devons trouver des moyens de renforcer la confiance des victimes à l’égard des tribunaux et des instances judiciaires.
Bien entendu, vous avez devant vous quelques dispositions qui ont été examinées en détail de diverses manières à différents moments par le Parlement au cours des quatre dernières années. Il me semble nous avons là une proposition modeste et inoffensive dans laquelle nous demandons poliment aux hautes instances de notre système de justice de suivre une formation de base sur le domaine fort complexe de l’agression sexuelle.
Je tiens à féliciter l’Institut national de la magistrature pour la formation et les ressources qu’il offre et qu’il continue de développer, comme la juge Adèle Kent l’a expliqué, mais il ne suffit pas d’offrir de la formation. Nous devons faire comprendre que nous nous attendons à ce que les hautes instances de nos tribunaux connaissent les rudiments du droit sur les agressions sexuelles. Les juges ne peuvent pas continuer de commettre des erreurs de droit fondamental quand elles ont des répercussions considérables en cour.
Mais surtout, nous devons signaler aux Canadiens et aux Canadiennes que la question est importante, pour vous qui êtes ici aujourd’hui. La Chambre s’est prononcée à plusieurs reprises en faveur de ce projet de loi, et il est temps que le Sénat fasse de même.
En ce qui concerne les amendements — car je sais qu’on m’interrogera à ce sujet —, les questions qui ont été soulevées aujourd’hui suscitent en moi une grande empathie. Mais je serai honnête : je pense que si vous amendez ce projet de loi, il ne sera probablement pas adopté, et cela me préoccupe. Ce projet de loi a été soigneusement négocié pour que la séparation délicate, mais cruciale, entre un pouvoir judiciaire indépendant et le Parlement ne soit pas compromise.
Honorables sénateurs et sénatrices, je vous implore de songer à ce qu’a été la vie depuis quatre ans pour les survivants et les survivantes d’agression sexuelle qui avaient trop peur pour se manifester. Ce problème découle non seulement de leur manque de confiance à l’égard des tribunaux, mais aussi des retards dans l’examen de ce projet de loi, des retards qui pourraient également miner leur confiance à l’égard de nos institutions.
Ce qui semblait être une demande toute simple il y a quatre ans, laquelle visait à demander au pouvoir judiciaire d’exiger que les juges suivent une formation sur le droit relatif aux agressions sexuelles, continue de se buter à l’opposition d’une poignée de gens qui n’ont aucun intérêt à réformer les institutions mêmes auxquelles la population doit faire confiance pour qu’elles résistent à l’épreuve du temps et de la confiance du public. Cela inclut le Parlement, le Sénat, le gouverneur général, la GRC, notre armée et, dans le cas présent, le système judiciaire.
Une réforme institutionnelle est nécessaire, et ce sont des gens comme vous, mesdames et messieurs les sénateurs, qui ont le pouvoir de répondre à l’appel. Je sais qu’il y a beaucoup de pain sur la planche et la formation n’est qu’un petit pas. J’aimerais vous remercier tous et toutes, et plus particulièrement les témoins qui m’accompagnent qui ont mis cet enjeu à l’avant-plan et qui ont fait des survivants votre priorité.
[Français]
Madame la présidente, je vous remercie pour cette occasion de m’adresser à vous.
[Traduction]
J’ai hâte de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, madame Ambrose. Je vous remercie de vos efforts des quatre dernières années. Vous faites preuve de beaucoup de détermination, et je vous en remercie.
Notre prochaine témoin est Amy S. FitzGerald de la BC Society of Transition Houses.
Amy S. FitzGerald, directrice générale, BC Society of Transition Houses : Bonjour. Merci de me permettre de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles au sujet du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel.
Comme vous l’avez dit, je m’appelle Amy FitzGerald — une autre — et je travaille moi aussi dans le milieu qui combat la violence faite aux femmes. J’ai d’ailleurs également travaillé avec l’estimée professeure Fitzgerald sur des enjeux de cruauté envers les animaux et de violence faite aux femmes. Je suis heureuse de la revoir aujourd’hui par Zoom.
J’aimerais reconnaître que le bureau de la BC Society of Transition Houses à Vancouver se situe sur le territoire non cédé des Salish du littoral, partagé par les nations Squamish, Musqueam et Tsleil-Waututh, dont l’histoire est liée à ce territoire ancestral non cédé. Nous sommes reconnaissants d’être ici.
La BC Society of Transition Houses a été fondée en 1978 avec six membres et est une organisation-cadre provinciale en pleine croissance qui compte actuellement 117 membres. Certains d’entre eux sont ici aujourd’hui à titre de témoins, et j’aimerais les saluer.
Avec son leadership, son appui et sa collaboration, notre organisme améliore le continuum de services et de stratégies pour répondre et mettre fin à la violence faite aux femmes, aux jeunes et aux enfants en Colombie-Britannique, ainsi que pour faire de la prévention.
Mon témoignage d’aujourd’hui portera sur les éléments suivants du projet de loi C-3 : les victimes de violence familiale et la nécessité d’assurer l’égalité des droits dans le projet de loi C-3, devant la loi et en vertu de la loi, pour toutes les victimes de violence sexuelle. Je vais vous parler de la réalité commune de la violence sexuelle et de la violence familiale au Canada et, compte tenu de cette réalité quotidienne, je vous recommanderai ou vous laisserai envisager l’inclusion de la violence familiale dans les exigences de formation et de décisions judiciaires dans le projet de loi et dans les articles du projet de loi portant sur le rapport annuel.
Le projet de loi C-3 est un projet de loi essentiel qui vise à garantir que les juges des cours supérieures qui entendent des cas d’agression sexuelle aient la formation nécessaire pour rendre des décisions justes et impartiales dépourvues de mythes ou de stéréotypes. Notre organisation est réellement très reconnaissante envers l’honorable Rona Ambrose, ici présente parmi ce groupe estimé de témoins, pour son leadership et pour avoir déposé le projet de loi C-337, qui aura pavé la voie au projet de loi C-3. Je tiens à la remercier sincèrement de tous ses efforts et de son dévouement sans fin envers les victimes et la défense de leurs droits au Canada.
Notre mission et notre mandat consistent à former, à appuyer et à militer au nom de nos membres. Nos membres gèrent des maisons de transition, de seconde étape et des maisons d’hébergement, en plus du programme PEACE, qui offre de l’aide spécialisée à des jeunes et à des enfants qui ont vu ou vécu de la violence familiale. Nos membres sont répartis dans 80 collectivités et offrent divers services aux femmes, aux jeunes et aux enfants qui ont besoin d’un logement ou d’un placement d’urgence et sécuritaire dans un refuge. Nos membres sont présents dans sept régions de la Colombie-Britannique : dans le Nord de la province, à Cariboo, dans l’Okanagan, dans la région des Kootenays, dans la vallée du Fraser, dans la vallée du bas Fraser et sur l’île de Vancouver. Nos membres gèrent des programmes de maisons de transition pour les femmes, tout comme d’autres refuges d’urgence, en plus de gérer des centres d’intervention pour agression sexuelle.
Nous abordons notre travail de lutte contre la violence dans un cadre féministe intersectionnel qui incorpore l’angle essentiel des systèmes de pouvoir et d’oppression. À titre d’organisation-cadre provinciale, notre mandat est d’augmenter la portée des préoccupations et des voix de nos membres en première ligne.
Le travail de nos membres ne cesse jamais et est multidimensionnel. Nos membres offrent un soutien émotionnel, de la planification en sécurité — ce qui inclut de la planification en sécurité technologique —, des séances de counselling, de l’aide pour les causes, la paperasse et l’accompagnement devant les tribunaux, les interactions avec les corps policiers et les services de protection à l’enfance, en plus de soutiens pour le logement, le processus juridique et le transport.
Nos membres font rapport ces jours-ci d’un nombre croissant de femmes, d’enfants et de jeunes aux besoins en services sociaux complexes à la suite d’un traumatisme qu’ils ont vécu en tant que victimes d’un large éventail de violence sexospécifique qui inclut la violence sexuelle et familiale, des comportements contrôlants et coercitifs, de la cruauté envers les animaux, du harcèlement et du cyberharcèlement. Les programmes de nos membres répondent à un continuum de violence qui se caractérise uniformément par le fait que les agresseurs exercent et cherchent à maintenir un pouvoir et un contrôle sur leurs victimes.
Pour ce qui est de nos recommandations, j’aimerais tout d’abord mettre en lumière la réalité continue de la violence pas seulement en Colombie-Britannique, mais partout au Canada. Chaque année, notre organisation tient un recensement de 24 heures pour nos programmes membres. Le recensement de 24 heures du mois de novembre 2019 nous a révélé que plus de 1 542 femmes, enfants et jeunes avaient obtenu l’aide de nos membres en 24 heures. Nos membres ont recensé 1 510 demandes de service par téléphone, texto et courriel, 251 personnes qui n’ont pas pu être servies et 954 enfants et jeunes qui demeuraient sur la liste d’attente du programme PEACE. Chaque année, plus de 12 000 femmes, enfants et jeunes attendent d’avoir accès à une maison de transition en Colombie-Britannique. La violence familiale est l’une des principales causes d’itinérance au Canada et en Colombie-Britannique.
Comme l’ont dit d’autres témoins aujourd’hui, les taux de violence conjugale ont augmenté mondialement depuis le début de la COVID-19. Parmi les données empiriques recueillies par nos membres, on observe une augmentation du nombre d’appels pour obtenir de l’aide, une augmentation de la gravité de la violence, ou alors un silence sinistre. Bien souvent, les femmes et leurs agresseurs restent à la maison ensemble à cause des restrictions liées à la COVID-19. Les femmes ont donc moins d’occasions de sortir de la maison ou d’appeler pour obtenir de l’aide ou des services. Les corps policiers de la Colombie-Britannique font également rapport d’une augmentation d’appels pour violence familiale. Le nombre de clics sur le site Web de ShelterSafe Canada, qui est la ressource en ligne nationale pour aider les femmes et leurs enfants qui cherchent à être en sécurité et à fuir la violence et la maltraitance, a doublé en mars 2020 par rapport à 2019, et triplé en avril 2020 par rapport à 2019.
Les filles et les femmes autochtones ne représentent que 4 % de la population féminine au Canada, mais elles sont 12 fois plus susceptibles que les femmes non autochtones d’être assassinées ou de disparaître. Elles sont aussi trois fois plus susceptibles de signaler des cas de violence conjugale que les femmes non autochtones.
J’aimerais souligner un rapport récent de l’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation.
La présidente : Pourriez-vous conclure, madame FitzGerald, je vous prie?
Mme FitzGerald : Oui, bien sûr, je vais passer à la conclusion. Pardonnez-moi, je me suis perdue dans les statistiques.
Voici ma recommandation pour le projet de loi, qui découle des consultations récentes avec nos membres concernant le plan d’action national : nous aimerions que le projet de loi soit amendé pour qu’il tienne compte de la prévalence de la violence familiale et du continuum de violence dans les cas de violence conjugale. Nous recommandons d’ajouter l’expression « violence familiale » au libellé de l’exigence de formation sur les agressions sexuelles et d’exiger que cette formation soit élaborée en se fiant aux expériences des survivants de violence familiale et des groupes qui les aident.
Nous vous recommandons également d’ajouter la violence familiale à l’exigence judiciaire pour les motifs de décisions à inclure dans le dossier et d’inclure l’enjeu de la violence familiale dans les critères du rapport annuel.
De terribles pertes, tragédies et iniquités sociales se sont produites pendant cette année de pandémie, mais nous avons aussi été témoins de compassion, ainsi que d’une sagesse et d’une force collective. Il est possible d’avoir ce même sentiment d’urgence et de générosité pour cet enjeu afin de répondre à l’urgence actuelle en matière de santé et de sécurité publiques que représente la violence sexospécifique.
La présidente : Merci beaucoup. Nous apprécions vos statistiques et votre exposé.
[Français]
Manon Monastesse, directrice générale, Fédération des maisons d’hébergement pour femmes : Bonjour. Mon nom est Manon Monastesse. Je suis la directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. Je remercie profondément les membres du Sénat de nous permettre de prendre position par rapport au projet de loi.
La Fédération des maisons d’hébergement pour femmes représente 36 maisons d’urgence dans toutes les régions du Québec, ainsi que 20 maisons de seconde étape qui vont accueillir des femmes et des enfants pour une période [Difficultés techniques].
[Traduction]
La présidente : Nous allons maintenant poursuivre avec Mme Kerner.
Hilla Kerner, membre du collectif, Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter : Avec votre permission, mon amie prendra la parole en premier et je conclurai notre exposé.
La présidente : Merci beaucoup. Vous disposez toutes deux d’un total de cinq minutes.
Ashani Montgomery, membre du collectif, Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter : Merci.
Lorsqu’une femme nous appelle pour obtenir de l’aide, c’est parce qu’elle désire signaler son viol à la police. Nous la rencontrons en premier et nous lui parlons de ce à quoi elle doit s’attendre, non seulement de la police, mais aussi du système judiciaire. Nous l’informons que l’enquête policière peut s’échelonner sur une période allant de six mois à deux ans. Il se peut qu’elle doive répéter son histoire à de multiples individus à maintes reprises. Nous lui expliquons qu’elle sera considérée comme un témoin par la Couronne lors du procès, et qu’il se peut donc qu’elle ne soit pas tenue informée des développements, sans compter le fait que le processus du procès peut prendre des années. Nous lui expliquons que l’avocat de la défense qui représentera son agresseur pourrait tenter d’obtenir des renseignements très intimes à son égard pour attaquer sa crédibilité à titre de témoin face au crime dont elle a été victime. Nous lui disons qu’elle devra peut-être témoigner à de multiples reprises. Malheureusement, nous devons lui expliquer à quel point le processus peut être long et fort souffrant.
Environ 30 % des femmes qui appellent notre centre désirent utiliser le système de justice pénale, mais la réalité, c’est que presque aucun violeur n’est tenu publiquement responsable de ses gestes avec ce système, surtout s’il est blanc et riche. Seulement 11,5 % des cas d’agression sexuelle signalés à la police au Canada se concluent par un verdict de culpabilité, ce qui représente un cas sur neuf.
La plupart des cas d’agressions sexuelles sont jugés dans des tribunaux provinciaux. Si nous examinons les statistiques pour la Colombie-Britannique, nous voyons que sur 4 279 procès pour agression sexuelle, seuls 81 d’entre eux se sont rendus en Cour suprême. Sur ces 81 procès, 54 se sont conclus par un verdict de culpabilité. Nous parlons de 54 procès sur 4 279.
Les femmes qui nous appellent au centre de crise n’ont pas vraiment confiance dans le système de justice pénale. Récemment, nous avons interviewé quelques-unes de nos appelantes dans le cadre du — [Difficultés techniques] — plan d’action national pour mettre fin à la violence sexospécifique pour connaître leurs expériences avec le système de justice pénale. Une femme a dit qu’elle ne recommanderait pas l’expérience, tandis qu’une autre a dit qu’en fait, le viol peut être considéré légal au Canada.
À l’heure actuelle, la majorité des cas sont abandonnés avant même que l’on ne se retrouve devant un juge, alors pour les femmes qui arrivent à se rendre à un procès, on estime qu’il est important qu’elles soient entendues par un juge qui peut appliquer prudemment nos lois en matière d’agression sexuelle et qui comprend que le viol découle du titre de subordonnée des femmes dans la société et le renforce. L’histoire coloniale du Canada, la pauvreté des femmes et le racisme des hommes rendent les femmes noires et autochtones plus à risque de viol. Nous ne pouvons accepter que des juges aux stéréotypes racistes, hiérarchiques et sexistes puissent présider ces procès, car cela ne permet pas aux femmes d’être protégées équitablement devant la loi.
Lorsque nos tribunaux abandonnent continuellement et publiquement les femmes, nous envoyons le message que les hommes peuvent violer les femmes en toute impunité.
Mme Kerner : Je vais maintenant parler de l’amendement du projet de loi qui traite de la nécessité, pour les juges, d’accompagner leurs décisions de raisons lors des procès pour agression sexuelle. Comme il est exprimé dans le projet de loi, on augmenterait ce faisant la transparence et la reddition de comptes de la magistrature.
Je pense que Mme Ambrose, l’instigatrice du projet de loi initial, a réagi à la suite de rapports médiatiques sur les procès de cas d’agression sexuelle au pays qui ont démontré l’ignorance des juges en ce qui concerne les lois sur les agressions sexuelles et l’intention du Parlement derrière ces lois.
Les amendements actuels du projet de loi stipulent que les motifs devraient être inscrits dans le procès-verbal lors des procédures ou qu’ils devraient à tout le moins être fournis par écrit si les procédures ne sont pas enregistrées.
En Colombie-Britannique, seuls les jugements écrits sont accessibles au public, que ce soit dans les tribunaux provinciaux ou à la Cour suprême. Ces jugements écrits ne sont même pas disponibles dans certaines provinces. Dans nombre de procès pour agression sexuelle, les juges rendent leur décision et donnent leurs motifs verbalement. Bien sûr, il est important de consigner les décisions, mais cela ne nous donne pas la transparence et la reddition de comptes désirées.
Je vais vous donner l’exemple du cas d’une femme que nous aidons. L’homme qui l’a agressée a été accusé sous huit chefs d’accusation d’agression sexuelle et de voies de fait. La Cour suprême de la Colombie-Britannique l’a acquitté il y a deux semaines. Nous ne sommes au courant de ce cas que parce que la victime nous a appelés. Si elle ou nous désirons obtenir la décision pour un appel de la Couronne, ou simplement pour la comprendre ou encore critiquer les juges, il faudra débourser des centaines ou des milliers de dollars pour mettre la main sur la transcription du procès du registre du tribunal.
J’aimerais faire valoir qu’à des fins de transparence et de reddition de comptes, toutes les décisions des juges lors de procès pour agression sexuelle devraient être transcrites et publiées en ligne pour que le public puisse y avoir accès et les examiner. Voilà ce qui nous garantirait la transparence et la reddition de comptes désirées de la part de la magistrature.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup à tous de votre patience et de votre collaboration. Nous vous en sommes reconnaissants.
Nous allons maintenant passer au sénateur Dalphond, parrain du projet de loi.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Encore une fois, je voudrais remercier toutes les personnes qui témoignent devant le comité aujourd’hui.
[Traduction]
J’aimerais tout particulièrement remercier Mme Ambrose d’avoir continué à mettre cet enjeu à l’avant-plan. Elle a dû faire preuve de beaucoup de patience et consacrer beaucoup d’énergie pendant ces quatre années. J’aimerais aussi remercier tous les représentants des divers groupes qui travaillent auprès des survivants de violence et de violence sexospécifique.
Mes questions s’adresseront à vous, madame Ambrose, mais peut-être aussi aux autres témoins. À la suite de votre dépôt du projet de loi C-337 et de discussions comme celles que nous tenons aujourd’hui, avez-vous vu des changements chez les juges? Pensez-vous que cela va avoir des répercussions sur les systèmes? À l’Île-du-Prince-Édouard, par exemple, le gouvernement a adopté un projet de loi pour s’attaquer à cet enjeu, tandis qu’au Québec, des discussions sont en cours concernant un potentiel tribunal pour les cas d’agression sexuelle. Ce projet de loi n’est peut-être qu’un aspect d’un mouvement plus grand. Qu’en pensez-vous, et vous pouvez peut-être tous répondre?
Mme Ambrose : Si vous me le permettez, je vais commencer. Merci de votre militantisme, sénateur Dalphond. Vous êtes vous-même un ancien juge, alors vous savez bien qu’il nous faut une réforme institutionnelle et un plan pour sa mise en œuvre.
Je vous dirais que oui, ces quatre années de militantisme ont été longues, mais les vagues — si je puis m’exprimer ainsi —, les campagnes de défense et la pression que cela a amenées nous ont permis d’obtenir de meilleures formations et de sensibiliser davantage les instances provinciales. Vous avez raison; l’Île-du-Prince-Édouard a déposé un projet de loi semblable à celui qui nous occupe. La Saskatchewan est en voie de faire de même et le Manitoba mène des discussions à ce sujet.
Ce que je peux vous dire, c’est que lorsque je parle aux procureurs généraux provinciaux, l’une des choses qu’ils me disent, c’est qu’ils attendent de voir ce qui va se passer avec le projet de loi du Parlement. Lorsque le procureur général du Canada s’est levé en Chambre pour dire que le gouvernement allait agir et qu’il nous fallait agir, cela a envoyé un signal très fort.
Le projet de loi C-3, qui est un projet de loi gouvernemental, est le signal qu’ils attendaient. Ils observent ce qui se passe. Il est très important de continuer à transmettre ce message.
Le sénateur Dalphond : Merci.
Mme Kerner : Je dois dire qu’ils ne sont pas assez attentifs. Il y a une affaire à Kitchener. Il y a deux semaines, un juge a condamné une victime d’agression sexuelle à verser une amende pour avoir enfreint l’interdiction de publication qui est censée protéger les victimes d’agression sexuelle. Elle a décidé d’envoyer le jugement et la condamnation de l’homme qui l’a violée — et elle a techniquement enfreint l’interdiction de publication, mais il est tout simplement absurde d’infliger une amende à une victime qui a décidé de rejeter la protection que lui accorde le tribunal pour dénoncer l’homme qui lui a fait du mal.
Nous continuons de constater dans les tribunaux inférieurs que les juges n’internalisent pas l’intention qui sous-tend les lois et les poursuites relatives aux agressions sexuelles. Ils n’y prêtent certainement pas assez d’attention.
La présidente : Madame FitzGerald, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme FitzGerald : Je dirais simplement que, du point de vue de la Colombie-Britannique, si ce projet de loi était adopté, cela enverrait certainement un message fort à notre système judiciaire et à nos tribunaux pour qu’ils suivent l’exemple. À vrai dire, les membres cherchent à obtenir une réponse intégrée à ces questions, tant dans les tribunaux criminels que dans les tribunaux de la famille. Ce pourrait être un moyen de relier les deux.
La présidente : Le sénateur Boisvenu est le prochain intervenant, et il est le porte-parole pour le projet de loi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je trouve regrettable et frustrant qu’on ne puisse pas entendre tous les témoins aujourd’hui à cause de problèmes techniques. Madame la présidente, en tout respect pour nos témoins, nous devrions prévoir un mécanisme pour vérifier que les témoins disposent de tout l’équipement nécessaire pour livrer leur témoignage.
[Traduction]
La présidente : Sénateur Boisvenu, j’en parlerai demain et je vous dirai les efforts qui ont été déployés, mais pour l’heure, j’aimerais que vous continuiez votre intervention.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame FitzGerald, dans votre mémoire, vous avez énoncé l’importance des cas d’agressions entre partenaires intimes, qu’elles soient sexuelles ou qu’elles prennent la forme de violence conjugale. J’ai devant moi les données de 2005 à 2011, et je crois que la situation n’a pas changé.
Devant les tribunaux, les causes criminelles pour adultes qui concernent des partenaires intimes représentent 57 % des causes au Canada, ce qui est énorme. Évidemment, cela inclut les causes à caractère sexuel qui concernent des partenaires intimes, mais aussi des causes de violence conjugale.
Vous avez déposé une proposition d’amendement dans votre mémoire, laquelle vise à inclure la violence conjugale dans la formation des juges. J’aimerais que vous en parliez davantage. De quelle façon cette composante sexuelle de la violence conjugale est-elle assez intime pour exiger que l’on intègre à ce projet de loi un amendement relativement à la violence conjugale?
[Traduction]
Mme FitzGerald : Merci beaucoup de la question.
En ce qui concerne le travail que nos programmes membres effectuent dans l’ensemble de la province, ils répondent à toutes sortes de violence qui incluent la violence entre partenaires intimes, notamment la violence sexuelle et la violence conjugale pour contrôler le comportement d’une personne. Nos membres nous disent aussi régulièrement que lorsque les femmes se présentent devant les tribunaux, elles ont l’impression que le système judiciaire ne les croit pas et qu’elles sont souvent victimisées à nouveau par ce système.
De notre point de vue, il est nécessaire de former les magistrats et les juges en particulier pour qu’ils soient sensibilisés aux traumatismes et à la violence et pour qu’ils agissent face aux mythes et aux stéréotypes liés à la violence sexuelle. Certains de ces mythes et stéréotypes existent également dans le domaine de la violence entre partenaires intimes. La violence entre partenaires intimes est encore souvent considérée comme étant une affaire privée et non pas comme étant un crime contre la sécurité publique. Nos membres signalent qu’on jette encore beaucoup le blâme sur les victimes dans les tribunaux. Si vous vous concentrez sur la sécurité des victimes et des femmes, nous estimons que les tribunaux sont un endroit où il faut commencer par la formation et s’assurer que le processus ne victimise pas à nouveau les victimes qui viennent demander justice.
Merci.
La sénatrice Batters : Premièrement, je veux remercier tous les témoins de tout le travail qu’ils font chaque jour pour venir en aide aux femmes et aux Canadiens vulnérables, surtout durant la pandémie de COVID alors que bon nombre de ces problèmes sont devenus encore plus prévalents.
Ma question s’adresse à Mme Ambrose. Madame Ambrose, je vous remercie des efforts considérables que vous avez déployés au fil des ans et de votre travail continu au nom des victimes de violence sexuelle. Lorsque la juge Kent a témoigné devant notre comité, elle a salué vos efforts et l’incidence qu’ils ont eue sur la magistrature. Mais lorsqu’on lui a demandé ce que ce projet de loi ajouterait à la formation déjà en cours, elle a mis l’accent sur l’importance du dialogue entre la magistrature et les groupes de victimes qui a eu lieu à la suite du projet de loi que vous avez présenté il y a quatre ans, mais elle a dit que la formation continuera d’évoluer comme elle le fait. Elle a laissé entendre que le projet de loi ne changera pas grand-chose. Je veux vous donner l’occasion de répondre à cela. Quel effet pensez-vous que l’adoption de ce projet de loi pourrait avoir? Croyez-vous qu’il pourrait avoir une incidence significative sur les victimes d’agression sexuelle et leur volonté de se manifester?
Mme Ambrose : Merci beaucoup de la question.
Je reconnais que le projet de loi a déjà eu une certaine incidence, même s’il n’a pas été adopté. Je ne pense pas que nous devons lever le pied de l’accélérateur. Je ne le pense vraiment pas.
Ces questions sont très complexes et évoluent constamment. La formation doit continuer à évoluer, et elle doit être éclairée par la recherche qui continue également à évoluer dans ce dossier. La reddition de comptes qui entoure l’adoption d’un projet de loi à la Chambre des communes a un sens. Elle envoie un message important à la magistrature. Elle envoie un message important aux provinces qui envisagent de faire la même chose et qui doivent consacrer beaucoup plus de financement à ce problème. Elle envoie le message aux victimes selon lequel le Parlement du Canada, y compris le Sénat, se soucie de cet enjeu et estime qu’il faut plus de transparence et de reddition de comptes.
Je prends l’exemple du programme au Royaume-Uni. Je suivais vos délibérations tout à l’heure, et la sénatrice Frum a posé une excellente question pour savoir si la formation a fait une différence. Savons-nous seulement si c’est le cas? Je citerai deux exemples. Au Royaume-Uni, elle a été mise en œuvre. La formation obligatoire des juges sur le droit relatif aux agressions sexuelles est en place depuis plus de 10 ans maintenant. La formation doit être mise à jour tous les trois ans. Elle est très transparente et reconnaît la complexité de ce type d’affaires. Je vais vous lire ce qui a été dit à ce sujet.
Il y a des preuves que la formation fonctionne. Le travail de Fiona Mason sur les effets du viol sur les victimes, qui fait partie intégrante du cours, a été décrit par Peter Rook comme ayant une incidence significative sur les participants.
Nous savons donc que la formation fonctionne là où elle est offerte de manière exhaustive.
Je citerai également Robin Camp, un juge qui a dit à une victime dans une salle d’audience, « Pourquoi ne pouviez-vous pas simplement garder vos genoux serrés? ». Il a bien sûr fait l’objet d’un processus de révision judiciaire et suivi une formation complète. Il a fait la déclaration suivante par la suite : « J’aurais aimé savoir. J’aurais aimé avoir suivi cette formation. Je n’en avais aucune idée. »
C’est donc important. Je vais continuer à faire valoir que c’est important. Ce projet de loi a été élaboré de manière à respecter l’indépendance judiciaire. Je pense que les autres intervenants vous diront à quel point il est important que les juges et les dirigeants de notre système judiciaire reçoivent ce type de formation.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur Gold : Ma question s’adresse à Mme Ambrose. Merci du travail de défense que vous faites.
Je vous pose cette question en tant que sénateur mais aussi en tant que représentant du gouvernement au Sénat. Madame Ambrose, vous avez de l’expérience en tant que députée, bien entendu, et en tant que leader de l’opposition à la Chambre. Par conséquent, vous connaissez le fonctionnement du processus législatif. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui pourrait se passer, d’après vous, si le Sénat amende le projet de loi à ce stade-ci du processus?
Mme Ambrose : Écoutez, j’aimerais que ce projet de loi puisse être un fourre-tout pour y inclure plein d’éléments. De nombreuses questions ont été soulevées au cours des quatre dernières années et nous aimerions pouvoir en faire plus, mais ce projet de loi est axé sur la Loi sur les juges. Il a été négocié très soigneusement par le procureur général du Canada et d’autres personnes. Dans sa forme actuelle, c’est un projet de loi qui convient à beaucoup de gens. Pourrait-il faire plus? Est-ce que j’aimerais qu’il en fasse plus? Bien sûr, mais je pense que nous devons l’adopter.
Je suis inquiète car il nous reste peu de temps à la Chambre des communes. Je n’ai aucun contrôle là-dessus. Le Sénat non plus. Je crois que si nous modifions le projet de loi, cela prendra plus de temps — car ce sera le cas — et il ne sera peut-être pas adopté parce qu’il devra être renvoyé et étudié à la Chambre.
Des représentants à la Chambre m’ont dit — et je vais être très franche — que cela va retarder le processus et qu’il risque de ne pas être adopté. Je transmets donc ce message. Ce n’est pas à moi de prendre cette décision. C’est au Sénat de s’occuper de ces questions.
Bien sûr, je veux que le projet de loi soit adopté. Je m’inquiète de cela. J’ai réfléchi à la façon dont nous pourrions travailler de manière créative avec l’Institut national de la magistrature, l’INM, pour veiller à ce que la violence conjugale, par exemple, qui est une question incroyablement importante dans ce domaine, soit incluse dans la formation de manière exhaustive. Je pense que lorsqu’une formation est donnée, ce volet est déjà inclus, mais nous pourrions exercer des pressions, que ce soit par l’entremise d’efforts de lobbying ou d’un dialogue dans le cadre de la consultation, pour nous assurer que la formation axée sur les traumatismes et la violence est incluse dans le programme que l’INM met en œuvre.
J’espère qu’il existe d’autres moyens créatifs de le faire si nous arrivons au point où nous réalisons que si nous amendons le projet de loi, il pourrait mourir au Feuilleton. Donc oui, je suis inquiète. J’espère que nous pourrons trouver une autre façon de procéder, si c’est là où nous en sommes.
Le sénateur Gold : Est-ce que l’un de ces moyens créatifs, madame Ambrose, serait des observations très claires que le comité sénatorial pourrait joindre à ce projet de loi et qui permettraient de poursuivre la conversation à laquelle vous avez fait allusion entre le Parlement et la magistrature, à mesure que la magistrature continue, nous l’espérons, à améliorer sa compréhension de la façon dont toutes ces questions — violence familiale, violence conjugale et violence contre les animaux — se recoupent et son reliées? Pensez-vous que cela pourrait être utile au processus d’éducation de la magistrature?
Mme Ambrose : Je le pense absolument, car je sais que les gens prêtent attention à ce qui se passe à ce comité, et plus particulièrement les membres de la magistrature. Cela a déjà eu une incidence. Donc oui, je pense que des observations fermes auraient de l’importance.
Le sénateur Gold : Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup à tous nos témoins. Plus particulièrement, merci de tout le travail que ceux d’entre vous aux premières lignes font chaque jour pour tenter de résoudre ces problèmes.
Ma question s’adresse d’abord à vous, madame Ambrose, puis à tout autre témoin qui souhaite faire des remarques. Comme vous le savez, votre première ébauche de ce projet de loi prévoyait l’obligation de fournir des motifs écrits, pour les mêmes raisons que Mme Kerner et d’autres ont décrites. En fait, certains ont dit que le projet de loi était essentiellement vidé de sa substance et relègue aux victimes ou à leurs défenseurs la responsabilité d’aborder ces questions et d’obtenir des transcriptions qui peuvent être très coûteuses. Ces transcriptions peuvent parfois être très difficiles à obtenir, compte tenu des règles qui s’appliquent.
En outre, il y a les questions dont les autres témoins, y compris Mme Montgomery, ont parlé et le fait que les femmes essaient de s’assurer qu’elles sont traitées équitablement lorsqu’elles se présentent comme victimes, mais aussi lorsqu’elles tentent ensuite de se défendre ou de s’assurer que les auteurs de ces crimes sont tenus responsables de leurs actes.
Bien franchement, je trouve répugnant que nous parlions d’adopter un projet de loi pour le simple plaisir de l’adopter après qu’il a été essentiellement vidé de sa substance. Si nous avions des observations fermes, appuieriez-vous une observation selon laquelle les motifs écrits doivent être inclus, si possible, et que nous nous attendons que le gouvernement ressuscite la Commission de réforme du droit? Elle existe encore. Elle pourrait être ressuscitée pour examiner ce genre de questions et parler de changements significatifs et de la manière dont nous pouvons aller de l’avant pour lutter contre la violence envers les femmes et d’autres personnes de manière concrète au pays, ainsi que d’autres problèmes qui peuvent survenir.
Mme Ambrose répondra en premier et les autres pourront intervenir par la suite.
Mme Ambrose : Merci, sénatrice Pate. Mme Kerner a parlé de cette question avec beaucoup d’éloquence.
Oui, je suis extrêmement déçue que le projet de loi ne renferme pas cette disposition. Je comprends pourquoi elle a été retirée et je comprends, dans une certaine mesure, qu’une grande partie de cette question relève des tribunaux provinciaux. Je présume que je vais continuer à défendre cela au niveau provincial. Les décisions écrites sont importantes. Il ne s’agit pas seulement de la reddition de comptes et de la transparence de l’appareil judiciaire. Il s’agit de permettre aux victimes et aux survivants d’avoir accès à ces motifs écrits. Je vais laisser la parole à Mme Kerner. Elle l’a déjà dit, mais cela coûte des milliers de dollars. Certaines personnes ne peuvent pas se le permettre. Elles doivent attendre des années pour connaître les raisons d’une condamnation ou d’une décision. C’est vraiment malheureux, mais je l’ai accepté et je comprends la raison d’être de ce projet de loi particulier. Toutefois, je peux vous dire que je continuerai à plaider pour que cela se fasse au niveau provincial.
La sénatrice Pate : Merci. Quelqu’un d’autre veut intervenir?
Mme Kerner : Je remercie la sénatrice Pate du leadership dont elle fait preuve à cet égard et Mme Ambrose de son entière coopération. Si le comité sénatorial accepte de donner des directives claires dans ses observations pour inciter les provinces à coopérer en appliquant une méthode, ce sera très utile. J’espère que quelqu’un d’autre au Sénat ou à la Chambre des communes exercera des pressions pour apporter un autre amendement.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Mme Ambrose. Bienvenue, cela me fait plaisir de vous voir.
Je vais poursuivre sur la question des jugements écrits, de la motivation. Pour moi, c’est extrêmement important. J’ai tout de suite vu la différence entre votre projet de loi privé et celui du gouvernement. Vous dites comprendre ce changement, mais moi, je ne le comprends pas. Avez-vous eu des explications ou participé à des discussions? Parce que pour moi, c’est un élément fondamental de justice naturelle et d’équité de pouvoir transmettre ces informations.
On le voit d’ailleurs dans les lois provinciales, en matière de protection de la jeunesse notamment, où on exige que la motivation soit faite par écrit pour certains types de décision. Pour moi, c’est un élément qui est fondamental. J’ai même cité le ministre Lametti qui a écrit un article avec le professeur Macdonald parlant de l’importance de l’écrit et de la motivation. Pouvez-vous nous donner plus d’informations à ce sujet? Il me semble que c’est un genre d’amendement qui pourrait créer un déséquilibre et qui pourrait faire achopper le projet de loi.
[Traduction]
Mme Ambrose : Non, je ne pense pas que c’est ce qui mènera le projet de loi à sa perte. La raison d’être est le coût pour le système judiciaire. Il y a beaucoup d’opposition à ce sujet. Il y a d’autres raisons. Je laisserai le ministre Lametti en parler. Bon nombre de ces affaires relèvent des tribunaux provinciaux, et je le reconnais.
Comme je l’ai dit, c’est important. C’est au niveau provincial, où nous voyons la majorité des cas, où c’est le plus important. Donc, oui, s’il pouvait y avoir une observation ferme sur la nécessité pour les tribunaux provinciaux de considérer cela, ce serait très utile. Je peux vous dire que, dans mes discussions avec les procureurs généraux et les provinces, je continuerai à exercer des pressions en ce sens. Je sais que tous les membres du groupe feront la même chose.
[Français]
Le sénateur Carignan : C’est bon, merci.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Merci à tous les témoins de nous fournir les renseignements dont ils disposent aujourd’hui.
Environ 45 % des juges fédéraux sont des femmes à l’heure actuelle, ce qui nous rapproche de la parité. Pour moi, c’est très important. J’ai entendu à quelques reprises que certains des témoins ici et dans d’autres instances suivent des jugements qui sont en cours. Quelqu’un en a mentionné un qui a été rendu il y a quelques semaines seulement. Y a-t-il eu une analyse sexospécifique des juges pour déterminer dans quelle mesure le genre a une incidence, le cas échéant? Nous recevons des mauvais jugements et des jugements insensés. S’agit-il d’une question de genre, ou une question juridique est-elle en jeu? Quelqu’un a des observations à faire à ce sujet?
Mme Kerner : Étant donné que les jugements ne sont pas disponibles en général, même en Colombie-Britannique — il y a d’autres provinces où même les jugements écrits ne sont pas publiés —, c’est très difficile à surveiller adéquatement. Nous savons, à la fois à partir des exemples que les médias ont repris depuis des années et à partir de certains cas où nous avons été impliqués, que le niveau d’ignorance est beaucoup plus élevé chez un juge de sexe masculin. Nous n’avons pas cette capacité, et c’est en partie la raison pour laquelle nous voulons que tous les jugements soient transcrits et disponibles, afin que nous puissions mener des recherches éclairées et exhaustives sur cette question. Mais dans tous les exemples que les médias ont rapportés, y compris celui que je viens de donner, qui remonte à deux semaines à Kitchener, et la femme avec qui nous avons travaillé pour faire acquitter un homme accusé d’avoir agressé sexuellement sa femme, les décisions ont été rendues par des juges de sexe masculin. Je dis donc que c’est certainement un point à vérifier ou auquel il faut prêter attention.
Mme Ambrose : J’ajouterais, sénateur Tannas, que c’est seulement lorsqu’un journaliste assiste à l’audience que nous avons un véritable aperçu de certains de ces problèmes. Comme Mme Kerner l’a indiqué, nous n’y avons pas accès. Il y a des chercheuses, comme Mme Elaine Craig, Mme Sheehy et d’autres, qui utilisent le système de la loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée pour essayer d’obtenir ces jugements, ce qui est long et très coûteux. Elles font beaucoup de recherches.
Je ne sais pas si des analyses ont été faites sur la question du genre, mais je peux penser à deux cas, ces deux dernières années, où il s’agissait de femmes juges. Je ne saurais dire si c’est nécessairement une question de genre, car je n’ai pas d’analyse.
Quant à savoir s’il s’agit d’un problème juridique, je peux vous dire que c’est un aspect du droit très complexe. Les erreurs qui sont commises sont fondamentalement des erreurs de droit. Cela dit, la formation peut être utile à tout le monde.
Le sénateur Tannas : Madame Ambrose, vous avez probablement participé au processus de nomination de candidats à la magistrature fédérale, ou donné votre avis à cet égard. Vous êtes maintenant dans le secteur privé. Vous rencontrez des gens qui manifestent leur désir de devenir d’excellents dirigeants d’entreprise en suivant des cours à l’Institut des administrateurs de sociétés. Pourquoi n’offrirait-on pas une série de cours sur ces questions — cela existe peut-être déjà — qui démontreraient l’intérêt des juges potentiels et que les autorités de nomination pourraient prendre en compte? Ainsi, les candidats démontreraient qu’ils sont conscients de cet enjeu et qu’ils sont prêts à prendre le temps de le comprendre avant même de mettre les pieds au tribunal à titre de juges.
Mme Ambrose : Oui, je suis entièrement d’accord avec vous. Un procureur général dont je tairai l’identité m’a dit que des acteurs du milieu juridique lui ont dit qu’il n’avait pas intérêt à ce qu’on sache qu’il souhaite devenir juge. La question est si délicate que s’il suit la formation, tout le monde dans son cabinet d’avocats saura qu’il veut devenir juge. Je lui ai dit qu’il n’a qu’à répondre qu’il veut simplement être une meilleure personne. Voyons donc! C’est une des raisons invoquées par un procureur général. Il proteste, bien sûr, mais c’est ce qu’on lui répond. Les avocats ne veulent pas suivre la formation parce qu’on saura alors qu’ils souhaitent devenir juges; c’est une atteinte à leur vie privée. Je suppose que ces facteurs doivent aussi être pris en considération, mais c’est ce à quoi nous sommes confrontés.
Le sénateur Tannas : Merci.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci à vous toutes d’être ici avec nous aujourd’hui. J’ai une question pour chacune des représentantes des organismes. J’aimerais savoir si l’organisme que vous représentez a déjà été consulté pour l’élaboration de formations pour des juges, et si vous avez déjà été invitées à donner de la formation. Et si vous ne l’avez jamais été, est-ce que vous trouvez qu’il serait important que vous le soyez? J’ai une question ensuite pour Mme Ambrose.
[Traduction]
Mme Kerner : Nous avons été consultés. Nous avons proposé de faciliter la formation, mais il y a eu un processus interne dont nous n’étions pas au courant, et les gens de l’institut de formation de la magistrature nous ont informés qu’ils avaient décidé de ne pas faire appel aux intervenantes de première ligne, mais plutôt à des victimes ayant survécu à une agression sexuelle. Premièrement, cela démontre une ignorance de l’expérience des intervenantes de première ligne. Dans mon collectif, il n’y a pas une femme qui n’a pas été victime de violence masculine. Voilà ce que c’est que d’être une femme dans ce monde.
Deuxièmement, il y a le fardeau que représente, pour chacune des victimes prêtes à raconter leur histoire à visage découvert, en révélant son identité, le fait de répéter sans cesse le récit de leur histoire. L’avantage des travailleuses de première ligne ou d’une organisation comme la nôtre — et bien d’autres —, c’est que nous existons depuis près de 50 ans. Nous avons aidé des milliers et des milliers de femmes. Ce que nous avons à offrir, ce n’est pas un, dix ou cent récits de femmes, mais des milliers.
Je vous invite à consulter notre site Web, rapereliefshelter.bc.ca, car nous avons récemment mené une consultation concernant le plan d’action national, comme mon amie Mme Montgomery l’a mentionné, et nous avons beaucoup de citations qui viennent appuyer ce que nous savons, en tant qu’intervenantes de première ligne.
Je ne sais pas pourquoi l’institut de formation de la magistrature a décidé de ne pas miser sur l’expertise des travailleuses de première ligne.
Mme FitzGerald : La BC Society of Transition Houses n’a pas été consultée. Nous serions très heureuses d’être consultées et de participer à la formation. Nous avons, partout dans la province, des programmes membres de soutien aux victimes d’agression sexuelle et de violence familiale. La formation est une partie importante de nos activités et nous offrons beaucoup de formations sur divers sujets. Je vous invite aussi à consulter notre site Web; vous y trouverez notre portefeuille de formations. Nous sommes ravies de participer à cette discussion. Je précise que je suis une avocate des États-Unis, mais je serais heureuse d’apporter un éclairage juridique. Merci.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Madame Ambrose, cela va faire 40 ans que le droit à l’égalité des femmes est reconnu dans la Charte canadienne des droits et libertés. En principe, il est interdit de discriminer les femmes au Canada depuis plusieurs décennies.
Ma question pour vous est celle-ci : vous avez bien souligné le fait qu’on doit transformer les institutions et que les gens font toujours preuve de résistance. Ce qui est très intéressant d’ailleurs dans ce que vous exprimez, c’est la résistance des institutions à plus de transparence et à moins d’impunité. Vous nous parlez d’un pas en avant et du fait que cela a été négocié très, très sérieusement. Est-ce que vous pensez vraiment qu’on n’est pas rendu plus loin que cela? Il y a une mise en application de la justice qui se fait en toute impunité, et est-ce que le message qu’on envoie et qu’on reçoit, ici au comité, n’est pas de dire qu’on est rendu beaucoup plus loin que cela?
Mme Ambrose : Merci pour votre question, sénatrice.
[Traduction]
Nous devrions en effet être rendus beaucoup plus loin. Lorsque j’étais à l’université, j’ai siégé au conseil d’administration d’un refuge pour femmes et j’ai travaillé dans un centre d’aide aux victimes de viol. Si je remonte plusieurs décennies en arrière, je constate que beaucoup de choses n’ont absolument pas changé. C’est choquant. Je suis convaincue que les femmes qui participent à la réunion seront d’accord avec moi. Rien n’a même changé pour cette question précise. Tant d’efforts ont été nécessaires ces quatre dernières années simplement pour demander poliment aux leaders de notre système de justice de suivre une formation de base sur une question extrêmement complexe qui a une incidence considérable — et démontrée — sur les femmes et les hommes dans notre système judiciaire. C’est difficile. Je pense qu’il faudrait en faire beaucoup plus à cet égard.
Si j’aborde la question de la réforme des institutions, c’est qu’on n’a qu’à regarder au sud de la frontière pour voir ce qui se passe lorsque les gens perdent confiance dans les institutions parce que leurs dirigeants ne sont pas prêts à écouter, à changer et à mettre en place des réformes sur des enjeux fondamentaux. Nos institutions — le Sénat, le Parlement, nos militaires, notre système judiciaire, notre gouverneur général, la GRC — me tiennent beaucoup à cœur, mais ces problèmes se manifestent. Je suis très heureuse qu’ils soient mis en évidence, car nous devons nous y attaquer. Fait intéressant, tous ces problèmes concernent les femmes : le traitement réservé aux femmes, le harcèlement des femmes et les agressions sexuelles contre les femmes.
Il est temps d’agir. Nous devons régler ces questions, et le système judiciaire en fait partie. Nous pouvons faire plus. Je le sais. C’est une proposition très modeste, mais c’est un début.
La présidente : J’ai une question pour Mme Kerner, puis une autre pour Mme Ambrose.
Madame Kerner, vous avez, Mme FitzGerald et vous, une expérience concrète auprès de femmes qui ont été victimes de violence à la maison et dans leur communauté, et le système de justice n’est saisi que d’une partie de ces cas. À votre avis, l’ajout, dans ce projet de loi, d’une formation sur le racisme systémique, le contexte social et la violence sexuelle aidera-t-il les survivantes à obtenir des jugements justes et équitables?
Mme Kerner : Cela pourrait nous faire avancer en ce sens. Il y a quelques années, un juge à la retraite de la Colombie-Britannique a dit ceci, alors que nous discutions d’un jugement : « Écoutez, nous ne connaissons rien à la vie. Nous sommes pour la plupart blancs et issus de classe moyenne et supérieure. Nous avons vécu dans la ouate, à l’abri des difficultés. À la sortie du secondaire, nous avons généralement fréquenté des universités prestigieuses. Nous avons eu une carrière très protégée et réussie en droit, avant d’être nommés juges. » Donc, je pense que cela démontre encore une fois que les juges ordinaires, ceux qui réussissent, sont très peu susceptibles d’être issus de milieux pauvres, de groupes racialisés ou de communautés autochtones, et qu’ils savent essentiellement très peu de choses sur la vie, ni sur les agressions sexuelles, l’oppression, la discrimination et le colonialisme en général. On ne peut qu’espérer que la formation comprenne tous ces facteurs, la prise en considération, dans le système de justice pénale, du genre; du croisement entre le genre, la race et la classe; de la vulnérabilité des femmes aux agressions sexuelles.
Mme FitzGerald : Je suis d’accord avec le témoignage de Mme Kerner. Cela pourrait faire une différence, car cela nous donne l’occasion d’entreprendre ces discussions. Les tribunaux sont saisis de questions sociales complexes au quotidien, ce qui représente pour nous une occasion de leur fournir contexte et formation. Participer à l’élaboration de cette formation contribuerait grandement à élargir cette perspective. Merci.
La présidente : J’ai beaucoup de questions pour vous, madame Ambrose, mais je ne pourrai pas les poser. Je dois m’imposer la même discipline que celle que j’exige des autres.
Une de mes plus principales déceptions est liée au projet de loi C-337, dont un des articles comportait le passage suivant : « le nombre d’affaires d’agression sexuelle dont ont été saisis les juges qui n’ont jamais participé à un tel colloque ». C’était pour moi une partie très importante de ce projet de loi de l’époque, mais cela ne figure pas dans le nouveau projet de loi. J’ai l’impression que ceux qui ont besoin de cette formation ne la suivront pas, et qu’il n’y a aucun moyen d’assurer un suivi à cet égard. Qu’en pensez-vous?
Mme Ambrose : C’est décevant. Le raisonnement sous-jacent, c’est que nous exerçons trop de pression sur les juges, et s’ils n’ont pas encore suivi la formation, cela pourrait avoir une incidence sur notre perception de leur capacité de faire leur travail. Beaucoup de raisons expliquent pourquoi cela posait problème.
Cependant, je dirai que cela aura au moins permis de lancer le débat. C’est intéressant parce que j’ai entendu des défenseurs des droits dire qu’ils avaient l’intention, à leur arrivée dans la salle d’audience, de demander au juge s’il a suivi une formation. C’est intéressant. Cela ferait peut-être faire prendre conscience aux juges qu’ils devraient vraiment suivre une formation. L’indépendance judiciaire, ce n’est pas une autorisation à ne rien faire et à ne pas se tenir au fait de l’évolution des lois, à ne pas suivre de formation sur ces questions et sur le contexte social connexe. Vous avez raison; je crains toujours que les mauvais éléments ne suivent pas la formation. C’est sur eux qu’il faut se concentrer.
Nous commençons à créer une certaine reddition de comptes, ici, en continuant de soulever ces questions. Les défenseurs des droits font de même dans les salles d’audience, tout comme les procureurs. C’est très intéressant, et la sensibilisation à ce sujet est considérablement accrue.
La présidente : Je crains que les juges n’apprennent le vocabulaire, mais qu’il n’y ait pas grand-chose qui change. Toutefois, il faudra en discuter une autre fois.
Initialement, votre projet de loi C-337 ne portait que sur les agressions sexuelles, puis Condition féminine a ajouté le contexte social — dont je m’interroge toujours sur la signification —, puis la discrimination systémique et le racisme systémique ont été ajoutés au projet de loi C-3. Je suis certaine que vous considérez que ce sont de bonnes améliorations, mais le projet de loi n’est pas le même qu’au début. Que pensez-vous de ces changements?
Mme Ambrose : Par rapport à ces questions, je pense que ce sont de bonnes améliorations. Il y a moins d’un mois, un juge a eu un comportement très discriminatoire à l’égard d’un homme ayant des titres de compétences médicales exemplaires, mais qui était un Canadien d’origine nigériane qui avait un accent. Le juge s’est pratiquement moqué de lui et son témoignage a failli être rejeté. C’était un incroyable manque de tact et une manifestation de discrimination et de racisme. Donc, écoutez, ce sont des questions réellement importantes. Je pense que ces ajouts au projet de loi sont d’excellents ajouts.
La présidente : Merci beaucoup, madame Ambrose.
[Français]
Madame Monastesse et madame Houde, je suis vraiment désolée.
[Traduction]
Je suis vraiment désolée, mais nous avons absolument besoin de l’interprétation. Je suis vraiment mal à l’aise, et je peux vous dire que tous les membres le sont aussi. Si vous avez un peu de temps, vous pouvez nous envoyer votre témoignage par écrit, et je peux vous assurer que tout le monde le lira.
Je remercie tous les témoins qui ont comparu aujourd’hui. Vous avez vraiment alimenté cette discussion. Vous étiez notre dernier groupe de témoins pour ce projet de loi, et vous nous avez donné plus ample matière à réflexion. Nous réfléchirons tous longuement, sans aucun doute. Je tiens à remercier chacune de vous d’avoir pris le temps de comparaître. Merci de votre excellent travail pour protéger les femmes. Merci beaucoup à tous les témoins.
Chers collègues, nous nous réunirons demain matin à 10 h 30, heure normale de l’Est. Si vous avez des amendements ou des observations, veuillez les transmettre au greffier le plus tôt possible, en lui indiquant à quel moment il pourra transmettre le tout aux membres du comité. Veuillez les présenter dans les deux langues. Merci beaucoup à tous. On se revoit demain à 10 h 30. Merci beaucoup aux témoins.
(La séance est levée.)