LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, mercredi 3 février 2021
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 heures (HE), par vidéoconférence, pour discuter du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, honorables sénateurs. Nous sommes prêts à accueillir le premier des deux groupes de témoins prévus pour aujourd’hui.
Je suis la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique, et j’ai l’honneur de présider le comité. Aujourd’hui, la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se déroulera selon une formule hybride.
Honorables sénateurs, vous m’avez entendue le dire à maintes reprises, mais apparemment, je dois le répéter : si vous éprouvez des difficultés, surtout du côté de l’interprétation, veuillez en faire part à la présidence ou au greffier. S’il y a d’autres problèmes techniques, veuillez communiquer avec le greffier.
Je ferai de mon mieux pour que tous ceux qui veulent intervenir puissent le faire, mais je vous demande d’éviter de faire de longs préambules ou de poser de longues questions. Veuillez vous en tenir au temps imparti, qui est de cinq minutes. Honorables sénateurs, je sais que la plupart des membres du comité veulent poser des questions, alors vous n’avez pas besoin de communiquer avec le greffier pour le lui faire savoir. Je vous donnerai la parole, mais si vous n’êtes pas membre du comité, veuillez communiquer avec le greffier si vous avez une question.
[Français]
J’aimerais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : la sénatrice Batters, vice-présidente, le sénateur Boisvenu, la sénatrice Boniface, la sénatrice Boyer, le sénateur Carignan, le sénateur Cotter, la sénatrice Dupuis, la sénatrice Griffin, le sénateur Harder, la sénatrice Keating, le sénateur Tannas, le sénateur Gold, membre d’office, et la sénatrice Martin, membre d’office.
[Traduction]
Nous avons également parmi nous aujourd’hui de nombreux sénateurs qui ne sont pas membres du comité : la sénatrice Petitclerc, qui parraine le projet de loi; le sénateur Kutcher; la sénatrice Moodie; la sénatrice Seidman; la sénatrice Pate; la sénatrice McCallum; la sénatrice Miville-Dechêne; le sénateur Woo; et la sénatrice LaBoucane-Benson.
Parmi les témoins de notre premier groupe, je suis heureuse d’accueillir notre chère collègue, la sénatrice Mégie. Je vous céderai la parole dans un instant, sénatrice Mégie, mais sachez que c’est un véritable honneur de vous avoir parmi nous.
Chers collègues, je voudrais vous expliquer brièvement ce qui va se passer aujourd’hui. Nous entendrons deux groupes de témoins, après quoi nous procéderons à l’étude article par article du projet de loi. Comme je l’ai déjà demandé, si vous avez des observations à formuler, veuillez les envoyer au greffier, dans les deux langues.
Dans le cadre du premier groupe de témoins d’aujourd’hui, nous allons entendre notre collègue, la sénatrice Mégie. Nous savons qu’elle a beaucoup d’expérience dans le domaine des soins palliatifs. Sénatrice Mégie, encore une fois, nous avons hâte de vous entendre parler des soins palliatifs.
[Français]
L’honorable Marie-Françoise Mégie :
Merci, madame la présidente. C’est avec plaisir que je témoigne aujourd’hui devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles sur un enjeu qui me tient à cœur et qui a fait partie de ma vie professionnelle pendant plus de 30 ans. J’ai pratiqué les soins palliatifs dans le cadre des soins médicaux à domicile et dans une maison de soins palliatifs à Laval, au Québec. Ces maisons portent le nom d’« hospices » dans le milieu anglophone.
L’aide médicale à mourir (AMM) est apparue à la fin de ma pratique professionnelle. J’ai siégé au comité visant à implanter l’AMM à titre de représentante de la maison de soins palliatifs de Laval. Le but de mon témoignage est de faire une mise au point sur les soins prodigués dans les maisons de soins palliatifs.
Tout d’abord, je vais définir les soins palliatifs. Ce sont des soins globaux et actifs dispensés par une équipe interdisciplinaire. Ces soins sont destinés à des personnes souffrant de maladies graves et incurables. Le but premier est de soulager la douleur et les autres symptômes sans rater ni retarder la mort tout en maintenant la meilleure qualité de vie possible. Les soins palliatifs sont des soins essentiels qui s’inscrivent dans un continuum de soins jusqu’aux soins terminaux ou de fin de vie. Ils se terminent par la mort naturelle d’une personne. Compte tenu de l’évolution de la courbe démographique au Canada, les besoins en soins palliatifs continueront d’augmenter au fil des années. Malgré tout, ils demeurent méconnus par la population, et c’est probablement l’un des plus grands obstacles à son accessibilité. Il est très fréquent que les patients recevant des soins palliatifs nous disent que, s’ils avaient su ce que les soins palliatifs permettent d’offrir dans un milieu comme une maison de soins palliatifs, ils les auraient acceptés depuis bien longtemps. Ces soins sont administrés et prodigués à domicile, à l’hôpital, dans des institutions de soins de longue durée et dans des maisons consacrées aux soins palliatifs.
Normalement, à l’admission dans une maison de soins palliatifs, le patient exprime le besoin de vivre confortablement ses derniers jours. L’ambiance générale dans ces maisons est calme et sereine. Durant son séjour, le patient bénéficie d’un confort continu avec des traitements appropriés à son état de santé et il est entouré de professionnels formés dans ce domaine. Des services de soutien psychosocial et spirituel, selon les croyances et la culture, sont également accessibles à tous. Le soutien bénévole est la clé de voûte de l’accompagnement en soins palliatifs. Ce sont des rapports humains remplis de compassion. Habituellement, le séjour se termine en douceur, en compagnie des soignants et des proches.
Au Canada, depuis 2015, tous les chemins ne se terminent pas toujours de cette manière. Une autre option de fin de vie est disponible : c’est l’aide médicale à mourir. C’est un acte médical qui vise à mettre fin aux souffrances physiques et psychologiques incontrôlables d’une personne qui en fait la demande. Je vous épargne tous les critères d’admissibilité que vous retrouvez dans le projet de loi C-7, pour souligner encore une fois que cet acte est posé à la suite d’une demande libre et éclairée faite par cette personne. Les personnes demandent très rarement d’être admises dans une maison de soins palliatifs en attendant d’obtenir l’AMM. Toutefois, la ministre de la Santé a souligné récemment dans une lettre qu’une majorité des personnes qui ont reçu l’AMM auraient bénéficié de services de soins palliatifs. L’AMM s’administre habituellement à l’hôpital. Elle peut même être reçue à domicile, dans un CHSLD et dans certaines maisons de soins palliatifs.
La population canadienne a besoin d’avoir ces deux options qui s’offrent à eux en fin de vie : les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir. Les gens pourront faire leur choix. L’un ne devrait pas exclure l’autre et le choix de l’un ne devrait pas se faire à défaut d’obtenir l’autre. Il est important que la formation continue dans les soins de fin de vie puisse être donnée à tous les professionnels du milieu de la santé pour maintenir des normes de grande qualité en ce qui concerne les soins palliatifs et pour faire en sorte qu’ils soient accessibles. Nous devons développer et promouvoir la recherche dans ce champ de pratique qui est appelé à croître.
En ce qui concerne l’aide médicale à mourir, les professionnels ont un protocole à suivre, rédigé par les autorités de la santé. L’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM est en train d’établir des normes de pratique en collaboration avec d’autres associations nationales. Certains collègues proposent de créer un comité de surveillance composé de praticiens en soins palliatifs et de représentants des personnes vulnérables pour s’assurer de conserver des normes de qualité pour cette pratique.
J’aimerais profiter de ma présence comme témoin, dans le cadre de la présente étude sur le projet de loi C-7, pour déposer au comité un mémoire rédigé par des sénateurs médecins, qui a été révisé par des collègues de différentes provinces, afin d’apporter des clarifications sur l’usage du midazolam dans les soins médicaux.
À l’occasion de son discours sur le projet de loi C-7, notre honorable collègue le sénateur MacDonald a posé des questions sur l’usage de ce médicament dans l’AMM et chez les condamnés à mort aux États-Unis. C’est ce qui explique le dépôt de ce mémoire.
Je suis maintenant prête à répondre à toutes vos questions.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, sénatrice Mégie. Notre prochain témoin est le Dr Joshua Wales. Il est médecin en soins palliatifs et prestataire de l’aide médicale à mourir à l’hôpital Mount Sinaï de Toronto.
Dr Joshua Wales, médecin en soins palliatifs, Réseau de santé Sinaï : Je remercie les membres du comité de me donner l’occasion de parler aujourd’hui du projet de loi C-7. Depuis 2014, je pratique des soins palliatifs à domicile dans le cadre des services médicaux du Temmy Latner Centre for Palliative Care, qui est affilié à l’hôpital Mount Sinaï. J’occupe aussi un poste au sein du département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto. Par ailleurs, en tant que non-Autochtone, je suis conscient du fait que je vis et travaille sur les terres traditionnelles des Hurons-Wendats, des Sénécas et, plus récemment, de la Première Nation des Mississaugas de Credit.
Je commencerai mon exposé d’aujourd’hui en vous parlant de l’intégration de l’aide médicale à mourir dans notre pratique des soins palliatifs. Étant l’un des plus grands fournisseurs de soins palliatifs à domicile du pays, notre centre offre un soutien médical, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, aux patients et à leur famille dans un grand centre urbain diversifié. C’est dans ce contexte que plusieurs de mes collègues et moi offrons, depuis 2016, l’aide médicale à mourir.
Dans notre centre, entre 4 et 6 % des décès à domicile sont attribuables à l’aide médicale à mourir. Cela suggère fortement que le désir d’obtenir l’aide médicale à mourir peut persister même en présence de soins palliatifs complets.
Nous devons certes continuer à combler les lacunes importantes et extrêmement troublantes en matière d’accès aux soins palliatifs au Canada, mais notre expérience vient s’ajouter aux données selon lesquelles les soins palliatifs ne sont pas une panacée et que le manque d’accès aux soins palliatifs, bien qu’inacceptable, n’est pas à l’origine des demandes d’aide médicale à mourir.
En ce qui concerne le projet de loi C-7, mes collègues et moi-même estimons que cette mesure législative comporte de nombreux aspects positifs qui permettront d’améliorer la qualité et l’accessibilité de l’aide médicale à mourir. Premièrement, j’appuie la proposition de renonciation au consentement final. En tant que médecin, j’ai trouvé incroyablement difficile d’informer les patients que, s’ils souhaitaient réellement obtenir l’aide médicale à mourir, ils devraient envisager de fixer une date plus tôt qu’ils ne le feraient autrement, par crainte de manquer leur période d’admissibilité du point de vue de la capacité. Cette renonciation au consentement final contribuera également à atténuer la détresse et l’anxiété considérables que ressentent les patients lorsqu’ils risquent de perdre leur capacité avant une procédure prévue d’aide médicale à mourir. Je sais que cette renonciation sera un grand soulagement pour les patients et les cliniciens.
Deuxièmement, je suis tout à fait d’accord pour dire que le fait de réduire le nombre de témoins indépendants pour la demande écrite du patient, en le faisant passer de deux à un, et d’autoriser que ce témoin soit un fournisseur de soins de santé ou de soins personnels permet d’éliminer un obstacle à l’accès que rencontrent de nombreuses personnes, en particulier celles qui sont isolées socialement. Ce changement se traduira par un accès plus équitable à l’aide médicale à mourir.
Troisièmement, je suis en faveur de la proposition de supprimer le délai de réflexion de 10 jours pour les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible. Même si j’en comprends l’intention initiale, dans la plupart des cas, la période de réflexion est devenue un obstacle logistique inutile dans un processus déjà bien chargé, et son élimination réduira la durée de la souffrance de ceux qui sont admissibles à l’aide médicale à mourir et qui veulent s’en prévaloir le plus tôt possible. Bien que certains craignent que cela conduise à une application de l’aide médicale à mourir sans une réflexion adéquate, d’après mon expérience, les décès induits par aide médicale ne sont jamais impulsifs. En effet, la demande écrite est souvent l’aboutissement d’une longue période de réflexion sur la qualité et le sens de la vie dans le contexte de l’évolution clinique actuelle et future d’une personne.
Lors de nos évaluations, nous demandons aux patients quand ils ont commencé à envisager le recours à l’aide médicale à mourir, et ils répondent invariablement qu’ils y songent depuis des semaines, des mois ou même des années. En outre, nos évaluations des demandes d’aide médicale à mourir permettent de détecter l’impulsivité en veillant à ce que ces décisions soient bien réfléchies et fondées sur une bonne compréhension de la maladie, de son évolution et de tous les traitements disponibles pour atténuer la souffrance. Le désir d’obtenir l’aide médicale à mourir peut certes fluctuer, mais il est très rare qu’une personne ayant demandé à s’en prévaloir le plus tôt possible change d’avis après 10 jours de réflexion obligatoire.
Quatrièmement, même si presque tous nos patients en soins palliatifs ont une mort qui serait considérée comme raisonnablement prévisible, j’appuie la proposition d’élargir les critères d’admissibilité pour inclure les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible. J’ai vu de mes propres yeux les effets dévastateurs du refus de fournir l’aide médicale à mourir à une personne compétente dont la souffrance est intolérable.
Cela dit, puisque l’idée d’une mort naturelle raisonnablement prévisible est toujours admise, j’espère que le gouvernement donnera de nouvelles directives sur l’interprétation de ce concept. Depuis le début, la mort naturelle raisonnablement prévisible s’est avérée une notion cliniquement vague, mal comprise et interprétée de manière incohérente. Malgré mon expérience dans le domaine, ce concept me donne toujours du fil à retordre. Je sais qu’à l’instar de nombreux autres évaluateurs et prestataires, je trouverais très utile d’avoir des renseignements supplémentaires sur les conditions qui doivent être remplies pour qu’une mort soit considérée comme raisonnablement prévisible. Ces directives devraient idéalement tenir compte des décisions juridiques, des lignes directrices en matière de pratique clinique et des avis d’experts fournis depuis 2016. En l’absence de clarté, nous pourrions continuer de voir des interprétations trop étroites de ce critère.
Enfin, même si j’ai une expérience clinique limitée auprès de patients dont la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, après avoir examiné les preuves présentées par mes collègues juristes et psychiatres, je suis convaincu que des cliniciens informés et expérimentés peuvent offrir, en toute sécurité et en toute conscience, l’aide médicale à mourir à certaines personnes souffrant de troubles mentaux, à condition que le tout soit accompagné de mesures de sauvegarde et de processus appropriés.
En conclusion, quelle que soit la forme que prendra la version finale du projet de loi, je peux assurer au comité que les nombreux évaluateurs et prestataires de l’aide médicale à mourir que je connais forment un groupe de professionnels attentionnés, prudents et empathiques qui adhèrent avec diligence aux lois et aux politiques régissant l’aide médicale à mourir — une procédure paisible —, et nous poursuivrons nos efforts en ce sens dans le but de prodiguer à nos patients des soins de haute qualité et empreints de compassion.
Je vous remercie beaucoup, et je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, docteur Wales. Nous passons maintenant à Gabrielle Peters, cofondatrice de Dignity Denied. Mme Peters mettra à contribution sa connaissance et son analyse approfondies des points d’intersection entre la pauvreté, le capacitisme et l’aide médicale à mourir. Elle est accompagnée aujourd’hui de Spring Hawes, également de Dignity Denied. Madame Peters, nous vous écoutons.
Spring Hawes, mentor et candidate récente à la législature, Dignity Denied, à titre personnel : Merci et bonjour, honorables sénateurs. Je suis ici pour parler au nom de Gabrielle Peters, et je vais lire sa déclaration. Je tiens à souligner que je suis ici ce matin sur le territoire non cédé de la nation Syilx dans la région de l’Okanagan, en Colombie-Britannique.
Voici donc le témoignage de Mme Peters :
Je suis ici aujourd’hui pour parler de mes connaissances et de mes expériences, et peut-être répondre à vos questions, si vous me jugez digne de le faire. Mais j’espère que vous me pardonnerez si je vous en pose quelques-unes, moi aussi.
Ayant suivi les débats du Parlement et du Sénat sur le projet de loi C-7 et ayant vécu dans ce pays en tant que femme pauvre et handicapée, surtout en cette période de pandémie, je sais déjà à quel point on accorde peu de valeur à mes connaissances ou à mes expériences, voire à ma vie. Je ne viens pas ici en m’attendant à ce que l’État canadien tienne compte de ma souffrance et me demande « Comment pouvons-nous vous aider? », car cela ne correspond pas à mon vécu. J’avais prévu de comparaître, munie de statistiques et d’analyses, d’un cadre théorique, d’un peu d’histoire canadienne et, je l’espère, de mes capacités de raisonnement, aussi modestes soient-elles. Je pensais avoir le temps de discuter de la confusion entre liberté et autonomie et de la conséquence fatale d’une politique qui nie l’interdépendance et aplatit le « nous » de la société canadienne pour n’y inclure que les Blancs, les riches et les bien-portants.
J’aurais aimé discuter de la raison pour laquelle une injection mortelle de produits chimiques par un médecin a été qualifiée de digne. Je vous aurais peut-être demandé si vous aviez réfléchi à l’effet manipulateur et coercitif de ce message.
Pendant des décennies, nous avons entendu des mises en garde très sérieuses sur la façon dont les personnes âgées et handicapées vont accabler notre système de soins de santé et notre société, parallèlement à une promotion de l’aide médicale à mourir, présentée comme une mort héroïque, courageuse, sacrificielle et honorable. Vous seriez choqués de savoir combien de fois les professionnels de la santé m’ont traitée d’égoïste parce que je voulais obtenir des soins de santé.
Qu’est-ce que cette demande a de si particulier pour que l’État canadien accepte de financer et de concrétiser le tout, quels qu’en soient les effets néfastes sur un groupe protégé? S’agit-il de la perspective de réaliser des économies? Je sais que le gouvernement a commandé une étude, qui a révélé certains effets néfastes possibles, mais l’aide médicale à mourir n’a été examinée que dans le contexte des soins de fin de vie. Imaginez les économies qui pourraient être réalisées si l’on provoquait la mort prématurée d’une personne handicapée qui n’est pas mourante et qui est censée recevoir des soins de santé et, sans doute, des prestations et d’autres formes d’aide pendant encore des décennies.
Si cela n’a rien à voir avec les économies, alors il nous reste l’argument du capacitisme par rapport au mythe canadien de l’individualisme pur et dur — un individualisme farouche qui est confirmé par un morceau de plastique.
L’expression « comme bon lui semble » m’est quelque peu étrangère, puisque je suis une personne pauvre et handicapée. Je ne peux même pas traverser la rue parfois, car parmi les 27 000 coins de rue que compte la troisième ville du Canada, 8 000 n’ont pas de rampe d’accès. Je vis dans une unité qui m’a été assignée. Le jour où j’ai emménagé, les déménageurs ont dû attendre que la police, puis le coroner et, enfin, les ambulanciers utilisent l’ascenseur, parce que c’est ainsi que les gens d’ici déménagent.
Le coussin du siège de mon fauteuil roulant comporte une petite déchirure. Je le sais parce que je souffre d’incontinence, et quand j’ai essuyé la housse, j’ai découvert que la mousse était rendue lourde, à force d’avoir absorbé du fluide. Si j’avais de l’argent, je n’aurais qu’à aller en ligne ou à décrocher le téléphone pour qu’un nouveau coussin soit en route et pour que je puisse vaquer à mes affaires. C’est moi-même qui réglerais le problème — ou, plutôt, c’est mon argent qui me le permettrait. Je pourrais alors vanter mes aptitudes « en résolution efficace de problèmes » ou, à tout le moins, c’est ce qui figurerait dans la lettre de motivation accompagnant mon CV. Mais comme je suis pauvre, l’achat d’un nouveau coussin signifie qu’il faut que je présente une demande de financement et, pour cela, je dois d’abord prendre rendez-vous avec une ergothérapeute qui sera payée pour me dire ce qui est déjà évident, à savoir que j’ai besoin d’un nouveau coussin — ou, du moins, je l’espère.
Il y aura ensuite une série d’événements — si tout se passe bien, ce qui n’est jamais le cas —, notamment un échange de documents entre l’ergothérapeute, le ministère et le fournisseur du gouvernement, jusqu’à ce qu’on puisse enfin me commander un nouveau coussin. Je passerai peut-être encore des semaines, voire des mois à endurer l’odeur fétide d’urine.
Nous n’avons pas besoin de construire un laboratoire pour découvrir comment mettre fin à la souffrance de la pauvreté. Nous savons comment y parvenir, mais nous n’en faisons rien. Pourquoi diffuser des communiqués de presse sur la réconciliation et le racisme, parallèlement à d’autres communiqués de presse sur un projet de loi C-7 qui semble violer l’esprit de la réconciliation et perpétuer l’injustice et les torts causés par le racisme? Les paroles qui ont été prononcées ici par des dirigeants autochtones, par des personnes handicapées noires et par des personnes handicapées de couleur — bien que peu nombreuses — n’étaient-elles pas suffisantes? Si oui, pourquoi alors considère-t-on comme une preuve crédible le témoignage d’une seule prestataire de l’aide médicale à mourir, qui affirme être absolument convaincue que ses pairs pourront, dans 100 % des cas, prendre des décisions exemptes de tout préjugé et fondées sur une évaluation tout à fait exacte?
En 2009, avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’aide médicale à mourir, j’ai été admise dans un hôpital de Vancouver. Plusieurs années plus tôt, une rare maladie auto-immune s’était déclarée. Auparavant, j’avais un emploi, et avant cela, je travaillais également pendant mes études universitaires. J’avais tout fait pour me sortir de la pauvreté et accéder graduellement à la stabilité de la classe moyenne, puis je suis tombée malade. Un jour ou deux après mon hospitalisation, j’ai appris que mon conjoint me quittait parce qu’il ne voulait pas d’un avenir aux côtés d’une femme handicapée. Comme je ne travaillais plus, et comme ses revenus à lui étaient trop élevés pour que j’aie droit à un soutien de la part du gouvernement, mon compte bancaire s’est vidé, et je suis devenue financièrement dépendante de lui. Maintenant qu’il me quittait, je me retrouvais sans abri.
C’est à ce moment précis que les gens de l’hôpital ont envoyé quelqu’un pour me consoler. Ils avaient entendu la nouvelle et ils étaient très désolés. La dame qui est venue me voir m’a passé un mouchoir et m’a dit que j’avais vécu tant d’épreuves et que je méritais de me reposer. Puis elle a produit un ordre de ne pas réanimer. Quand j’ai refusé, une discussion s’est ensuivie jusqu’à ce que la dame cesse enfin la mascarade en s’écriant : « Je ne comprends même pas pourquoi vous voudriez continuer à vivre. »
Je sais que le député Garrison a laissé entendre qu’il ne fallait pas accorder de poids à ces mots parce que je ne les ai pas rapportés à un organisme autonome. Le fait est que j’ai essayé de le faire, mais personne ne m’a rappelée. Je n’avais pas d’ordinateur ni de visiteurs, et j’étais clouée au lit.
Vous pensez que vous avez toutes les réponses et que vous pouvez aller de l’avant avec le projet de loi, mais la vérité, c’est que vous ne savez rien de la vie des gens que vous mettez dans la ligne de mire en vous imaginant qu’il suffit d’apporter quelques amendements pour contrer le danger. Tuez le projet de loi C-7, faute de quoi vous tuerez des personnes handicapées.
Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup, madame Peters, et merci à vous, madame Hawes, pour votre message très poignant.
Nous allons maintenant entendre Sylvain Le May, un citoyen qui représente le Service d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap de l’Université du Québec à Montréal.
[Français]
Sylvain Le May, citoyen, Accueil et soutien aux étudiants en situation de handicap, Université du Québec à Montréal, à titre personnel : Honorables sénatrices et sénateurs, participants et participantes, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui dans le cadre de l’étude en comité du projet de loi C-7 sur l’aide médicale à mourir. Je suis membre de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec et membre du Bureau de l’inclusion et de la réussite étudiante à l’Université du Québec à Montréal. Toutefois, je participe à cette consultation en mon nom personnel et en tant que personne handicapée. Je tenterai d’illustrer, par mon histoire de vie, un point de vue plus personnel sur cette délicate question qu’est l’aide médicale à mourir.
Étant conscient du défi que représente cette étude, il m’apparaît opportun de rappeler que ce n’est pas le contexte actuel que nous nous devons d’évaluer, mais un projet de loi. S’il permet de dévoiler les failles de notre système et les faiblesses de notre tissu social, ce contexte ne devrait pas teinter l’analyse de ce projet de loi, car ce n’est pas de cet enjeu qu’il est question.
Je revendique un accès élargi à l’aide médicale à mourir, car c’est une décision propre à chaque personne. La question qui est soulevée par bon nombre de participants, de groupes et d’associations est celle du contexte dans lequel la décision de recourir à l’aide médicale à mourir est prise. Cette question se doit d’être posée, mais elle doit l’être dans un cadre plus large que celui de ce projet de loi. Tout en reconnaissant la légitimité des demandes portées par ces associations et ces organisations, j’éprouve, à titre de personne handicapée, un malaise certain lorsqu’elles parlent en mon nom, alors que je ne les ai pas autorisées à le faire et qu’elles ne m’ont pas consulté. Par ailleurs, opposer deux droits, soit celui de vivre dignement et celui de mourir dignement, revient à privilégier un droit aux dépens de l’autre. Or, tous les droits sont égaux.
Le handicap, de par sa condition, nous renvoie l’image de nos propres manques et de nos propres peurs. Il n’y a pas de courage dans le fait d’être une personne handicapée, mais une volonté de vivre malgré le fait qu’on est handicapé. La notion de personne handicapée est multiple, diversifiée et riche des formes et des couleurs qui, comme une courtepointe, compose un ensemble de motifs. Il n’y a pas une histoire unique de personne handicapée. Il y a autant d’histoires que de personnes handicapées et de trajectoires de vie conditionnées et influencées par des facteurs culturels et environnementaux.
Je suis une personne handicapée atteinte d’amyotrophie spinale. Depuis 50 ans, j’évolue à travers ce défi qui est le mien. Comme vous, j’ai des jours de pluie et des jours ensoleillés. Jour après jour, je compose avec les forces qui sont les miennes et je tente de devenir une meilleure personne et de contribuer, par mes actions, à une société plus juste et équitable.
À l’âge de 8 ans, le médecin a tenu à ce que je sorte de son bureau au moment d’annoncer ma maladie à ma mère. Depuis ce jour, je crains que l’on ne décide pour moi de ce qui est bon ou mauvais, ou de ce que je serai capable ou incapable de faire. Heureusement, malgré cette annonce douloureuse pour mes parents, ceux-ci ne m’ont jamais élevé comme une personne handicapée, mais simplement comme un enfant dont les rêves pouvaient parfois être trop grands pour lui. Un jour viendra où mes capacités me quitteront définitivement. Que me restera-t-il lorsque le rêve n’arrivera plus à consolider mes joies quotidiennes ou mes besoins d’évasion? Il me restera ma liberté de choix, de conscience et de définition personnelle de la conception de la vie.
Je n’ai pas choisi de naître avec un handicap; j’ai choisi de vivre et de composer avec celui-ci. Puisque je n’ai pas choisi de naître ainsi, il me paraît donc pernicieux de concevoir que le choix de poursuivre ou non ma vie reviendrait à d’autres que moi.
Avec la légalisation de l’aide médicale à mourir, nous avons accepté, en tant que société, qu’on puisse ne pas souhaiter continuer de vivre à tout prix. Pour certains d’entre nous, il y va d’une prise de décision en pleine connaissance de cause, qui découle de sa conception de la vie. Le choix de mettre fin à ses jours relève de la morale personnelle et participe de la liberté de conscience garantie par les Chartes, comme le souligne la Cour suprême. La liberté de conscience et de religion devrait être interprétée largement et s’étendre aux croyances dictées par la conscience, qu’elles soient fondées sur la religion ou sur la morale laïque.
Je pourrais vous parler de Robert, qui est toujours présent pour moi dans mes défis quotidiens de personne handicapée. La vie lui a réservé un diagnostic de sclérose latérale amyotrophique, avec deux à cinq ans à vivre enfermé dans son corps. Je n’ai pas hésité une seconde lorsqu’il m’a demandé si j’accepterais de l’aider à mourir. C’est en toute connaissance des conséquences juridiques auxquelles je m’exposais que j’ai accepté sa demande, quand le moment est venu de l’épauler alors qu’il souhaitait prendre des médicaments qui mettraient fin à sa vie. Rassuré par mon soutien, il a été en mesure de poursuivre le combat qui était le sien et de terminer ses jours avant d’être emporté par la maladie.
Je pourrais également vous parler de ce médecin dont la maladie évolutive ressemble à la mienne. Afin que sa conjointe ne soit aucunement concernée par les enjeux légaux liés à son choix de mettre fin à sa vie, il a choisi, en tant que médecin qu’il était, la bonne posologie, et il a attendu le départ de sa conjointe pour se donner la mort.
Elle se souvient encore de ses derniers mots : « Ne rentre pas trop vite. »
Je suis Gladu, je suis Truchon, je suis Sue Rodriguez. Je suis cette femme, Manon qui a dû s’exiler en Suisse afin de mettre fin à ses jours. Personne, d’un océan à l’autre, ne devrait avoir à quitter ce monde sans être entouré des siens et des gens qui l’aiment en raison de considérations juridiques. Personne ne devrait non plus devancer sa mort par peur de ne pas pouvoir demander de l’aide, une fois ses facultés perdues.
Dans cette perspective, le Canada ne doit pas aborder cet enjeu en adoptant une approche criminelle, mais plutôt comme le Québec l’a fait, en adoptant une approche de soins de fin de vie.
Les personnes en situation de handicap qui éprouvent une souffrance intolérable ne seront pas mieux servies par la criminalisation de l’aide que les professionnels de la santé pourraient leur apporter pour mettre fin à leurs jours. L’interdiction de cette aide prive ces personnes de la possibilité que leur désir de mourir soit pris au sérieux. Il faut que différentes options soient discutées et considérées, y compris l’aide médicale à mourir.
En effet, les soins de fin de vie, y compris l’aide médicale à mourir, s’inscrivent dans un continuum de soins. Le Collège des médecins du Québec a proposé dès 2008 de réfléchir à l’euthanasie dans une perspective de soins. En clinique, le médecin propose et le patient reste évidemment celui qui décide, puisqu’il s’agit de sa vie. Pour des raisons subjectives et objectives, il accepte, refuse ou réclame autre chose que les soins proposés.
Dans cette perspective, il est improbable que les médecins deviennent de simples exécutants et que les soins prodigués le soient sur demande.
Pour ceux qui craignent que ces choix deviennent une passerelle d’élimination des personnes handicapées, je rappellerai que des mesures et des mécanismes de protection existent déjà et qu’ils sont nombreux dans chacune des provinces.Ordres professionnels, collèges des médecins, associations de personnes handicapées, organisations de défense des droits, Charte des droits et libertés, voilà une liste de moyens permettant d’éviter toute dérive appréhendée actuellement par certains lobbys associatifs de personnes handicapées.
Des mesures supplémentaires pourraient certes être adoptées pour assurer des soins de qualité, mieux soutenir les personnes en situation de handicap et lutter contre les biais et les stéréotypes à leur endroit, mais ceci ne devrait pas se faire au détriment du respect de tous les droits des personnes handicapées, y compris celui de décider de leur fin de vie lorsque les souffrances sont devenues intolérables.
En terminant, honorables sénateurs, vous devez essayer de vous imaginer à la place des personnes directement concernées par le projet de loi que vous êtes chargés d’étudier. Par ma contribution, j’ai voulu vous aider à le faire en vous présentant une autre perspective, celle d’une personne pour qui cette question a une résonnance intime. Favoriser la rencontre de l’équipe traitante, de la famille proche et élargie et des proches aidants est la seule voie à privilégier pour comprendre l’autre et éviter d’expliquer ses choix au regard de nos propres références.
Il y a un adage qui dit ceci :
Un oiseau assis sur un arbre n’a jamais peur que la branche casse, parce que sa confiance n’est pas dans la branche, mais dans ses propres ailes.
Le moment venu, laissons la liberté aux personnes handicapées de choisir ce qui leur convient, car c’est de leur vie qu’il s’agit. Merci de votre écoute et merci de porter attention à mes propos.
[Traduction]
La présidente : Monsieur Le May, merci beaucoup de nous avoir fait part de votre réalité. Je peux vous assurer que nous ne perdrons pas de vue cette réalité. Nous garderons à l’esprit le témoignage que Mme Peters et vous-même nous avez présenté aujourd’hui. Je vous remercie beaucoup.
Nous allons maintenant passer au prochain témoin, Me Andrew Roman. À titre d’avocat plaidant, Me Roman compte plus de 40 ans d’expérience dans le domaine des droits de la personne, ainsi qu’en matière constitutionnelle, environnementale et énergétique. Il a plaidé auprès de toutes les instances judiciaires, y compris devant la Cour suprême du Canada, et dans toutes les provinces du Canada.
Andrew Roman, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vous remercie de m’avoir invité. J’ai déposé un mémoire de huit pages, ainsi que ma biographie, que je vous invite à lire. Je vais me concentrer sur la décision que vous avez à prendre, car vous entendez beaucoup de choses au sujet desquelles vous ne pouvez rien faire. J’ai lu les discours de tous les sénateurs lors de vos débats en décembre, et j’ai également regardé la comparution du ministre Lametti. Il a parlé avec beaucoup d’éloquence du respect de l’autonomie privée, mais la loi, tant avant qu’après l’adoption du projet de loi C-7, est incompatible avec toute notion constitutionnelle d’autonomie — et vous n’êtes pas ici pour modifier la Constitution.
Permettez-moi donc de vous faire part d’emblée de ma recommandation. Si vous aimez le projet de loi C-7, alors votez pour. Si vous ne l’aimez pas, pincez-vous le nez et votez quand même pour. C’est mieux que la loi en vigueur maintenant, et c’est ce qu’il y aura de mieux pour le moment. Ne laissez pas la perfection être l’ennemie du bien.
À mon avis, il est clair que des élections auront lieu au printemps, et si vous apportez un tas d’amendements, le projet de loi mourra au Feuilleton et ne reviendra pas avant de nombreuses années. Entretemps, beaucoup de personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible mourront dans une souffrance intolérable, ce dont vous pourriez être en partie responsables. Je ne voudrais pas avoir cela sur la conscience.
Alors, où s’arrête l’autonomie individuelle et où commence l’intervention de l’État proprement dite? Respecter pleinement l’autonomie, comme l’a dit M. Lametti, signifie vraiment qu’il faut accepter. « C’est ma mort, c’est ma décision. » Mais jusqu’à présent, le Canada a utilisé la mauvaise loi avec le mauvais fardeau de la preuve. Laissez-moi vous expliquer.
Tout d’abord, l’aide médicale n’a pas sa place dans le Code criminel. C’était clair dans la décision Carter. Cela devrait être une question de droit de la santé et d’éthique médicale.
Deuxièmement, au lieu que ce soit à l’État de justifier la négation de l’autonomie privée, la loi dans sa forme actuelle inverse les rôles. Les personnes sont obligées de s’adresser aux tribunaux pour obtenir l’autorisation judiciaire d’exercer leur droit à l’autonomie. La réforme du droit à laquelle nous avons assisté a été entièrement assurée par les plaideurs et les juges, et non par les législateurs. Tout comme l’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation, il n’a pas à décider combien de temps et dans quelle mesure les Canadiens doivent souffrir avant de pouvoir demander une aide médicale pour améliorer les conditions de leur mort. Et malgré ce que disent certains défenseurs des personnes handicapées, les personnes handicapées ne veulent pas plus que les personnes non handicapées que l’État les prive de leur autonomie privée.
Laissez-moi maintenant vous parler des mesures de sauvegarde, car certaines personnes parlent de plus en plus de telles mesures pour protéger les personnes vulnérables. Je comprends leurs inquiétudes étant donné l’avalanche d’informations souvent trompeuses qu’on a déversée sur elles, mais personne n’a apporté de preuve empirique de l’existence réelle d’une maltraitance généralisée envers les handicapés. Il y a une anecdote de temps à autre, mais rien de substantiel. Et personne n’admettra publiquement qu’elle s’oppose à l’autonomie individuelle, parce que ce ne serait pas politiquement correct. Au lieu de cela, les gens qui n’aiment pas l’aide médicale à mourir pour des raisons idéologiques chercheront des moyens de faire obstacle sur le plan juridique et qualifieront ces moyens de « protections juridiques ». Dans Truchon, le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de « pente glissante », ce qui signifie que chaque protection juridique est en fait une barrière légale. C’est une négation de l’autonomie privée que l’État doit justifier.
Je ne peux pas m’empêcher de parler du rapport des Nations Unies du 25 janvier, où de soi-disant experts des droits de la personne ont exprimé leur inquiétude à l’égard d’une tendance à promulguer des lois pour permettre un accès à l’aide médicale à mourir basé en grande partie sur la présence d’un handicap ou d’une maladie invalidante.
Ce que je comprends de la posture des Nations Unies, c’est qu’elles proclament effectivement comme un droit de la personne le droit de continuer à souffrir de manière intolérable, et ce, pas pour tout le monde, mais seulement pour les personnes handicapées. Eh bien, c’est un argument qui a été rejeté dans l’affaire Carter, il y a six ans. Donc si l’aide médicale à mourir est contre vos croyances, ne l’utilisez pas. Mais vous n’avez moralement pas le droit de priver les autres de leur autonomie à faire le nécessaire pour réduire leur souffrance. Le fait de vouloir protéger de soi-disant mesures de sauvegarde, c’est de la cruauté déguisée en gentillesse. Que le Sénat préserve l’exigence inconstitutionnelle d’une prévisibilité raisonnable de la mort ne changera rien à l’affaire. Je dis qu’il est temps pour tous les sénateurs de défendre le projet de loi C-7 tel qu’il est. Je vous remercie.
La présidente : Nous passons maintenant au témoin suivant, M. Albert Gretzky. Il est un défenseur de l’aide médicale à mourir depuis que sa femme Marilyn a choisi de mettre fin à ses jours en recourant à cette aide.
Albert Gretzky, à titre personnel : Madame la présidente, distingués membres du Sénat, bonjour! Je vous remercie de m’avoir invité à participer à vos délibérations. Je m’appelle Albert Gretzky, mari aimant de Marilyn Gretzky depuis près de 59 ans. Je suis ici aujourd’hui en raison d’un souhait formulé par mon épouse lors de l’une de nos discussions sur l’aide médicale à mourir. Ce souhait était que je parle aux autres de l’aide médicale à mourir, que je leur dise que ce choix en est un qu’ils peuvent faire et que je parle de la paix que ce choix lui a procurée. Aujourd’hui, je vais parler du projet de loi C-7 et de la façon dont ce dernier peut apporter encore plus de paix aux patients. Afin, espérons-le, de dissiper une peur injustifiée, je vais en outre parler du résultat réel qu’aurait l’application de ces mesures législatives pour les patients et les familles.
Marilyn était gentille et aimante, et rien n’était plus important pour elle que la famille. Elle n’avait pas de sautes d’humeur et elle ne prenait pas de décisions irrationnelles. Lorsqu’on l’a informée que son cancer du poumon était en phase terminale, sa réaction a été d’accepter, de réfléchir tranquillement et, beaucoup plus tard, d’ouvrir la porte aux émotions. Marilyn avait soigneusement réfléchi à toutes ses options, à la façon dont elle voulait que son décès soit vécu, puis elle a demandé des évaluations dans l’optique d’obtenir une aide médicale à mourir. Cette demande écrite n’a pas été soumise sur un coup de tête. C’est pour les patients comme Marilyn, dont la mort était raisonnablement prévisible, que le projet de loi C-7 propose de supprimer le délai de réflexion de 10 jours. Son choix définitif a été tempéré par le souvenir de la façon dont le cancer du poumon a ravagé sa mère, Pearl. Marilyn a souffert à la fois mentalement et physiquement de voir Pearl impuissante se détériorer sous ses yeux, de la voir passer de force de la nature et de mère célibataire dévouée qui a élevé sept enfants à une ombre perdue de son ancien moi. Le soulagement n’est venu pour nous tous que lorsque Pearl nous a enfin quittés.
Cette image triste resta avec Marilyn pour le reste de sa vie. Elle savait que la mort de leur mère allait être difficile pour nos enfants. Marilyn ne voulait pas que ses enfants ressentent la douleur émotionnelle et la détresse qu’elle avait vécues lors de la mort de sa propre mère. Elle voyait l’aide médicale à mourir comme l’acte d’amour et de bonté qui allait alléger cette perspective. En fin de compte, sa famille a fini par reconnaître le bien-fondé de sa décision et l’a aimée encore plus pour sa force.
L’un des précieux cadeaux de l’aide médicale à mourir est qu’elle permet aux proches de tourner la page, de faire leurs adieux à la personne qui s’en va. Permettez-moi de vous parler un peu de ces adieux. La procédure était à 14 heures. À partir de 10 heures, chaque membre de la famille est allé dans la pièce de devant où Marilyn attendait, a fermé la porte et a passé en privé avec elle le temps dont il ou elle avait besoin. De son côté, Marilyn avait une enveloppe pour chacun d’eux. Parmi les objets contenus dans ces enveloppes, il y avait ses souhaits d’anniversaire et de Noël pour les deux années suivantes. Elle pensait toujours à sa famille. Nous sommes ensuite sortis ensemble, et par cette journée lumineuse et ensoleillée à l’ombre d’un érable géant, nous avons ri, parlé et pris des photos jusqu’à ce qu’il soit temps. Il y eut encore une série de longues étreintes, de baisers, et c’est une Marilyn souriante qui regagna la maison. Son souhait le plus cher était que lorsque ses proches penseraient à elle, ils la voient sourire et sourient eux-mêmes, plutôt que de porter un souvenir malheureux comme celui qu’elle avait de sa mère. L’aide médicale à mourir a permis de concrétiser ce souhait.
Je serai éternellement reconnaissant du fait que le désir de Marilyn de partir comme elle l’entendait ait été exaucé. Dans les derniers jours, grâce à la paix que cela lui a apportée, nous avons vécu ensemble de nombreux moments qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Or, pendant ces moments intimes, il y avait toujours un nuage qui planait, et c’était la peur qu’avait Marilyn de voir sa maladie progresser et lui enlève la capacité d’avoir la mort qu’elle avait choisie et celle de créer le souvenir qu’elle souhaitait pour sa famille. L’aspect le plus important du projet de loi C-7 est de permettre à la personne de renoncer au consentement final. Bien que Marilyn ait connu une grande paix en sachant qu’une date d’intervention avait été fixée, si elle avait été autorisée à renoncer d’avoir à donner son consentement final et si elle n’avait pas eu à s’inquiéter du maintien de sa capacité, je crois qu’elle aurait été plus en paix et qu’elle aurait peut-être décidé de rester plus longtemps.
La réaction initiale des enfants, d’abord au cancer puis à l’aide médicale à mourir, a été naturellement mitigée. Ils ont connu une certaine angoisse et même un peu en colère. Mais tout cela s’est produit avant qu’ils aient la chance de s’asseoir avec nous et d’en discuter, et, ce qui est tout aussi important, d’interagir avec les prestataires de soins qui ont su répondre à toutes leurs questions de manière professionnelle et impartiale, comme ils l’ont fait pour nous. Grâce à l’amour de sa famille, Marilyn a pu exprimer tous ses souhaits et ses sentiments : ces réflexions personnelles que s’échangent les patients, les familles et les prestataires de soins lors des moments charnières de la vie.
Le projet de loi C-7 propose une amélioration significative en ce qui concerne le partage des renseignements personnels. Il permet à une seule personne qui s’occupe du patient d’être témoin de sa demande. Le patient peut donc décider avec qui il discutera de ses décisions. Cette modification va dans le sens de la dignité des patients et elle ne nuit en rien à l’aspect sécuritaire de l’aide médicale à mourir.
Lors des dernières conversations tenues par la famille, il a certes fallu un certain temps, mais disons que c’est l’honnêteté et l’ouverture de chacun qui ont fait en sorte que tous ont pu comprendre et accepter le raisonnement et le choix de Marilyn. L’aide médicale à mourir n’a pas mis fin ou étouffé la conversation. Elle a plutôt aidé à alléger la charge.
Enfin, en ce qui concerne le projet de loi C-7, j’espère que le témoignage de ceux qui ont vécu et vivent l’expérience de l’aide médicale à mourir pèsera plus lourd dans votre décision que le témoignage de ceux qui n’en ont jamais fait l’expérience et qui expriment leurs craintes sur ce qu’elle pourrait être plutôt que sur ce qu’elle est.
Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps.
La présidente : Monsieur Gretzky, nous vous remercions de nous avoir fait part de ce que vous avez vécu avec votre femme. Cela demandait beaucoup de courage.
Le prochain témoin est le Dr Neil Hilliard, médecin en soins palliatifs de la Delta Hospice Society. La Delta Hospice Society gère l’Irene Thomas Hospice, un établissement de soins palliatifs de 10 lits flanqué d’un centre de soins de soutien.
Dr Neil Hilliard, médecin en soins palliatifs, Delta Hospice Society, à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis le Dr Neil Hilliard. Je suis consultant en soins palliatifs à Fraser East, en Colombie-Britannique, depuis 13 ans, et professeur agrégé de clinique au département de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique. De 2014 à 2017, j’ai été directeur médical du programme de soins palliatifs de l’autorité sanitaire de la Fraser Health Authority, la plus grande autorité sanitaire de Colombie-Britannique. Depuis que l’aide médicale à mourir a été mise en place au Canada, le programme de soins palliatifs de la Fraser Health Authority — un programme reconnu à l’échelle nationale — n’est plus que l’ombre de ce qu’il était. Mon message clé concernant le projet de loi C-7 est que les soins palliatifs doivent être protégés, soutenus et promus pour le bien-être des Canadiens. Voici pourquoi j’y crois fermement.
La philosophie des soins palliatifs est d’aider les personnes en fin de vie à vivre bien jusqu’à leur mort; 95 % ou plus des Canadiens souhaitent vivre bien jusqu’à leur mort, contre 5 % ou moins qui préféreraient opter pour l’aide médicale à mourir. Bien qu’une minorité de personnes souhaitent changer la pratique des soins palliatifs, la définition convenue pour ces soins est qu’ils affirment la vie, et qu’ils ne précipitent ni ne retardent la mort. Or, tous les centres de soins palliatifs de la Colombie-Britannique, à l’exception des centres de soins palliatifs confessionnels, ont été mandatés pour fournir de l’aide médicale à mourir, et ce, malgré le fait que cela soit contraire à la philosophie et à la pratique des soins palliatifs.
Les provinces ont été chargées de la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir et de l’amélioration de l’accès aux soins palliatifs. En Colombie-Britannique, un comité provincial sur l’aide médicale à mourir a été formé, mais le milieu des soins palliatifs n’a pas été invité à en faire partie. Le comité a décidé que l’aide médicale à mourir devait être prodiguée là où le patient se trouve.
La décision a été portée en appel auprès du ministère de la Santé de la Colombie-Britannique. L’appel a été soutenu par la British Columbia Hospice Palliative Care Association, le directeur du BC Centre for Palliative Care, le directeur de la division des soins palliatifs de la faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique et le président de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs.
Le gouvernement libéral de la Colombie-Britannique de l’époque est revenu sur le fait qu’il n’y avait pas de politique de ce genre, comme le prétendait le comité provincial sur l’aide médicale à mourir, et que cela nécessitait une étude plus approfondie. Cependant, avec le nouveau gouvernement néo-démocrate, le ministère de la Santé et la Fraser Health Authority ont reçu le mandat de faire en sorte que les centres de soins palliatifs offrent une aide médicale à mourir. Au cours des trois années suivantes, les centres de soins palliatifs de la Fraser Health Authority ont progressivement accepté ce mandat, à l’exception du centre de soins palliatifs confessionnel du St. Michael’s Centre et de l’Irene Thomas Hospice, un centre de soins palliatifs appartenant à la Delta Hospice Society et géré par elle.
Aujourd’hui, le programme de soins palliatifs de la Fraser Health Authority n’existe plus. Plutôt que de débloquer de nouvelles ressources pour la prestation de l’aide médicale à mourir, on a préféré lui affecter celles qui étaient destinées aux soins palliatifs.
La dernière question est celle de la liberté de conscience. La conscience comprend les croyances aussi bien que les valeurs. Les croyances, les valeurs et les énoncés de mission s’appliquent aux sociétés et aux organismes, ainsi qu’aux individus, et en tant que tels, ils doivent être respectés et protégés. En l’absence d’une protection et d’un soutien gouvernemental à l’égard de la liberté de conscience, il y a eu et il y aura un manque d’uniformité dans la prestation des soins palliatifs au Canada.
Les soins palliatifs doivent être protégés, soutenus et promus pour le bien-être des Canadiens. Cela demande plus qu’une simple reconnaissance de la liberté de conscience et de la promotion de l’accès aux soins palliatifs aux termes du préambule du projet de loi C-14. Je demande respectueusement au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles d’examiner la possibilité d’apporter un amendement au projet de loi C-7 afin de protéger la liberté de conscience des personnes, des organismes et des établissements qui fournissent des soins palliatifs au Canada.
Je vais maintenant lire le témoignage d’Angelina Ireland, présidente de la Delta Hospice Society.
Madame la présidente, honorables sénateurs, nous vous soumettons notre témoignage depuis les premières lignes d’une bataille qui a pour objet de protéger la société de soins palliatifs que nous représentons. L’avènement de l’aide médicale à mourir a eu la conséquence non intentionnelle de créer un mouvement politique qui menace de décimer la discipline médicale des soins palliatifs, vieille de 50 ans, cette discipline si chère aux habitants de ce pays qu’elle a été décrite comme un trésor national.
La Delta Hospice Society se consacre depuis plus de 30 ans à la prestation de soins palliatifs. Nous avons fourni plus de 20 millions de dollars et 750 000 heures de bénévolat au système de santé public. Nous avons amassé 9,5 millions de dollars et construit 2 magnifiques bâtiments, soit 1 hospice de soins palliatifs de 10 lits, fleuron de la société, et, à côté, un centre de soins de soutien qui offre des services de soutien gratuits à la communauté en matière de soins palliatifs.
Nous avons été un partenaire probe et respecté du gouvernement, mais nous avons perdu cette bonne relation lorsque l’aide médicale à mourir a été légalisée.
La Fraser Health Authority a dès lors informé notre centre de soins palliatifs qu’il serait désormais tenu d’offrir de l’aide médicale à mourir sur place. Or, notre société à but non lucratif a une constitution, une raison d’être et un principe d’adhésion bien à elle, et l’aide médicale à mourir ne fait pas partie de sa philosophie. Nous suivons la philosophie de toutes les associations internationales de soins palliatifs du monde entier, y compris l’Organisation mondiale de la Santé, qui soutient que l’aide médicale à mourir ne fait pas partie des soins palliatifs. Nous avons refusé de fournir l’aide médicale à mourir, parce qu’elle ne s’inscrit pas dans la prestation de soins palliatifs.
À notre stupéfaction, la Fraser Health Authority a annulé unilatéralement notre entente de service et attribué cette décision à un manquement aux obligations de notre bail foncier, qu’elle nous a accordé il y a 10 ans. Cette fabrication a permis à la Fraser Health Authority de confisquer sans compensation 9,5 millions de dollars de nos actifs. Notre important travail communautaire des 30 dernières années est sur le point de nous être dérobé. Nous sommes persuadés que, en adoptant la loi sur l’AMM, le gouvernement n’avait pas l’intention de détruire de véritables maisons de soins palliatifs comme la nôtre pour les remplacer par des centres d’AMM, mais c’est ce qui se produit.
Distingués sénateurs, vous serez sûrement d’accord pour dire que les partisans de l’AMM ne devraient pas nous subtiliser des places en maison de soins palliatifs qui nous sont chères. La grande majorité des Canadiens souhaitent une mort paisible et naturelle plutôt que de mettre fin à leurs jours par injection. Les patients et les familles qui viennent à notre maison savent à quoi s’attendre. Ils veulent les soins palliatifs que nous offrons. Bien des gens hésitent à aller en maison de soins palliatifs parce qu’ils craignent que leur mort y soit précipitée. Il est donc primordial de veiller à ce qu’il y ait des endroits sûrs comme les maisons de soins palliatifs, dont le but n’est pas de sciemment mettre fin à vos jours, mais d’accueillir et de soigner des personnes en fin de vie.
Aujourd’hui, nous demandons au Sénat d’intervenir et de fournir un mécanisme permettant aux sociétés et maisons de soins palliatifs de poursuivre leurs activités dans ce pays, sans qu’on y pratique l’euthanasie. Nous demandons que le projet de loi C-7 soit amendé afin de veiller à ce qu’il y ait des lieux sûrs où mourir. Nous demandons le droit d’exercer la médecine palliative sans intimidation, coercition, ni appropriation des ressources par les autorités publiques.
Merci, madame la présidente.
La présidente : Merci beaucoup, docteur Hilliard.
Distingués sénateurs, je vous informe que la sénatrice Gagné est également des nôtres aujourd’hui.
Nous allons maintenant passer aux questions. La marraine du projet de loi aura la parole en premier.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : J’aimerais aussi prendre un moment pour remercier tous les témoins que nous recevons aujourd’hui. Ils ont été exceptionnels et ils nous aident beaucoup, par leur rigueur et leur sensibilité, à faire le travail que nous avons à faire.
[Traduction]
J’ai une question pour M. Roman. J’ai lu les huit pages que vous avez soumises. J’ai aussi lu nombre de vos autres publications et consulté votre blogue. J’aimerais que vous fournissiez des détails sur les mesures de sauvegarde du projet de loi C-7 et sur ce que vous avez affirmé, à savoir qu’il n’y avait pas eu d’égarement dans l’AMM. C’est vrai, mais nous élargissons l’accès à l’AMM, donc j’aimerais savoir ce qu’il faut faire, selon vous, pour qu’il en soit encore ainsi.
N’oubliez pas que, dans la mesure du possible, votre réponse doit tenir compte, d’une part, du respect du droit de choisir des personnes comme Sylvain Le May, que nous avons entendu, et, d’autre part, de la protection de personnes vulnérables ayant ou non un handicap.
Quel est votre avis sur les mesures de sauvegarde à cet effet?
M. Roman : La loi devant vous actuellement relève du droit criminel. C’est le nœud du problème, car le droit criminel est un instrument très grossier. En fait, c’est une massue. Et, dans le cas de l’AMM, il s’agit d’une décision prise en tête à tête, entre le patient et le médecin, dans un cadre différent, où le droit criminel n’a pas vraiment d’application.
Ce que vous devez faire, c’est tenir compte du paragraphe 132, à la fin de l’arrêt Carter, où les juges de la Cour suprême affirment :
À notre avis, rien dans la déclaration d’invalidité que nous proposons de prononcer ne contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir. La déclaration ne fait qu’invalider la prohibition criminelle.
Et voici la phrase clé :
La suite dépend des collèges des médecins, du Parlement et des législatures provinciales...
Le Dr Hilliard vous a parlé du gouvernement de la Colombie-Britannique. Alors, toute mesure de sauvegarde que vous souhaitez inclure ou jugez nécessaire d’inclure ne doit pas relever du droit criminel, parce que ce n’est pas dans cette sphère qu’est régie l’interaction entre le patient et le médecin. Selon moi, vous devez collaborer avec l’Association médicale canadienne, les associations de soins palliatifs, c’est-à-dire toutes les personnes qui encadrent l’exercice des médecins, afin d’inclure un mécanisme en matière d’éthique avec des sanctions en cas de violation des règles d’éthique si quelqu’un est poussé de façon indue ou inappropriée à se prévaloir de l’AMM quand ce n’est pas dans son intérêt supérieur ou que ce n’est pas son choix. Mais, au bout du compte, vous n’obtiendrez jamais la perfection en matière de relations interpersonnelles, au même titre que les tribunaux ne sont pas parfaits dans leurs jugements, tout comme les docteurs, malheureusement.
La sénatrice Petitclerc : J’ai une question pour M. Le May.
[Français]
Monsieur Le May, merci pour votre témoignage et merci d’être avec nous aujourd’hui. Vous avez très bien exprimé votre point de vue, mais, depuis le début de l’étude de ce projet de loi, nous recevons beaucoup d’information de certains organismes qui ont des craintes et qui ont peur que ce projet de loi n’envoie un message selon lequel la vie d’une personne en situation de handicap a moins de valeur. Qu’est-ce que vous dites à ces gens-là?
M. Le May : Je vous remercie pour la question, sénatrice Petitclerc. En fait, c’est le contexte dans lequel le projet de loi est présenté et adopté qui teinte cela; c’est ce que j’ai dit dans mon introduction. Je rappelle, et je rejoins en cela M. Roman, que le Collège des médecins dit que les médecins doivent être là pour porter un jugement clinique et apporter des éléments d’information indispensables à la discussion et à la prise de décision pour, ultimement, agir progressivement dans le meilleur intérêt du patient. J’entends les arguments des autres témoins qui disent qu’actuellement, les personnes handicapées, à travers le Canada, ne bénéficient pas toutes de la participation sociale à laquelle elles sont en droit de s’attendre, mais ce n’est pas l’enjeu de la question qui est soulevée ici. Cette question doit être entendue, mais ailleurs qu’au Sénat. Son examen revient aux acteurs politiques et législatifs. La PCU pour les personnes handicapées a été versée six mois après le début de la pandémie. Nous voici dans une deuxième vague et nous n’avons eu aucune information, nous qui sommes les personnes les plus vulnérables de la société, sur ce que le gouvernement canadien allait faire pour aider les personnes handicapées. Il ne faut pas mélanger les choses, mais il faut les considérer sur un même pied, car ce sont deux droits importants, mais qui ne se jouent pas au même niveau.
Est-ce que cela répond à votre question?
La sénatrice Petitclerc : Oui, merci.
Le sénateur Carignan : Vos expériences et vos témoignages sont extrêmement intéressants et touchants. Je vous remercie de partager cela avec nous. Cela me touche beaucoup et cela touche l’ensemble des sénateurs.
J’ai un petit commentaire d’introduction à faire pour dire à M. Roman que je suis parfaitement d’accord avec lui. Je pense que, au gouvernement fédéral, on devrait déterminer ce qui est criminel et ce qui ne l’est pas, et laisser tout le processus qui touche aux mesures de protection ou à l’administration des questions de consentement à la compétence des provinces et des ordres professionnels. Je pense que ce serait la meilleure chose à faire, plutôt que de tenter de faire de la microgestion.
Sur ce point, celui de la microgestion, je voudrais entendre en particulier M. Le May à propos de la question du délai de 90 jours dans les cas où la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Que pensez-vous de la nécessité ou de l’utilité de ce délai pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible?
M. Le May : Je vous remercie pour la question, sénateur. En fait, je ne vois pas l’intérêt d’avoir un délai. Je fais plutôt confiance au jugement de la personne et à sa relation avec le personnel traitant. Ce qui m’embête toujours, c’est que, lorsqu’on est au courant du fait qu’une personne a montré sa vulnérabilité — dans le cas qui nous préoccupe, on sait qu’il s’agit d’une personne handicapée — et qu’elle fait une demande d’accès aux soins de fin de vie, c’est comme si notre premier réflexe était de remettre en question son jugement, parce qu’on sait qu’elle est une personne vulnérable. Ça, c’est le regard de gens bien portants. Le rôle de l’équipe traitante est de s’assurer que ce choix est éclairé, juste, équitable et ne se fait pas à cause d’un manque de services, d’un manque d’accès à du soutien à domicile ou d’une absence de soutien psychologique.
Je travaille avec des étudiants qui ont des troubles de santé mentale et, souvent, le personnel enseignant remet en question la réussite et l’insertion professionnelle d’un étudiant ou d’une étudiante parce qu’il ou elle reçoit une lettre d’accommodement raisonnable pour que la personne puisse prouver son vrai potentiel. Or, parce que ces étudiants reçoivent cette lettre, les enseignants se posent des questions sur leur réussite, mais ils ne se posent jamais la question sur les 290 autres étudiants qui se trouvent dans leur amphithéâtre. Pour ma part, ce que je dis, c’est qu’on doit accueillir la vulnérabilité de la personne dans tout ce qu’elle est et qu’il doit y avoir des mécanismes. Il y en a avec les ordres professionnels, et j’en ai nommé quelques-uns, mais je reviens au jugement de l’individu. Je pense que le Québec, sans vouloir dire que les autres provinces n’ont pas une longueur d’avance, a déjà réfléchi à cette question depuis très longtemps, si l’on songe à l’affaire de Truchon et Gladu. De plus, le Collège des médecins du Québec a tenté de mettre des balises.
Donc, pour répondre à votre question, sénateur Carignan, la notion de temps ne devrait pas nécessairement s’appliquer. Je reviendrais à la relation de l’individu qui demande ces soins et à la façon dont cette demande peut s’articuler.
Le sénateur Carignan : Est-ce qu’on devrait, au lieu d’avoir un délai minimum, proposer un délai indicatif maximum? En effet, dans le fond, si le système fait traîner la demande, on prolonge aussi la souffrance de la personne. Ou alors, on ne fixe pas de délai du tout et on laisse le processus régulier suivre son cours?
M. Le May : J’aurais tendance à croire, et c’est mon point de vue personnel, qu’on ne devrait pas avoir de délai du tout. On sait que, de toute façon, il y aura un délai; il y aura des analyses. Je reviens à mon ami Robert. Quand il a eu la confirmation que je pourrais être présent s’il avait besoin de prendre ses médicaments, il a été capable de mourir de sa maladie. Parfois, le seul fait de faire la demande fait en sorte qu’on enlève un poids des épaules de la personne. C’est un peu comme une police d’assurance; je sais que, si je change d’idée, ce choix est possible.
Le sénateur Carignan : Je comprends. Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Ma question s’adresse à Gabrielle Peters. Madame Peters, merci beaucoup pour votre important témoignage. Votre point de vue essentiel sera très utile à notre étude des conséquences on ne peut plus concrètes du projet de loi C-7 pour les personnes les plus vulnérables au pays et dans nos collectivités.
La déclaration écrite que vous nous avez remise plus tôt se termine sur cette conclusion percutante :
Je sais que le projet de loi C-7 ne doit pas être adopté, car je sais qu’il entraînera le décès évitable de personnes handicapées. Je le sais, car cela se produit déjà. Je sais que c’est le cas, car j’ai failli être du nombre. Je vous en prie, reprenons tout depuis le début avec de véritables consultations et un effort sincère pour inclure les personnes les plus à risque et leur accorder la priorité.
Madame Peters, j’aimerais que vous nous expliquiez plus en détail la façon dont la pauvreté influe sur l’expérience de vie des personnes handicapées, plus particulièrement à la lumière du projet de loi C-7.
Mme Hawes : Merci beaucoup, sénatrice Batters. Je vais répondre au nom de Mme Peters, dans ses mots.
D’abord, elle souhaite que je pose une question ou fasse une remarque. Elle affirme :
J’aimerais simplement souligner que je suis là pour déclarer que ce projet de loi est néfaste, et vous demandez à ceux qui ne sont pas d’accord pourquoi je suis de cet avis, ce qui me paraît très étrange. Savoir si ce projet de loi causera du tort n’est pas la question, puisque le mal est déjà fait.
Ensuite, elle répond ainsi à la question sur la pauvreté :
Peu importe les circonstances, la pauvreté est une expérience brutale et oppressante qui vous épuise psychologiquement et aggrave les préjudices de façon soutenue. Mais, puisque nous vivons dans une société capacitiste, on estime que quantité de mes besoins essentiels en tant que personne handicapée sont médicaux ou spéciaux, pour ne pas dire un luxe. Les établissements accessibles ont souvent tendance à être plus chers. La technologie essentielle à l’accessibilité est coûteuse, et des choses comme les loisirs peuvent s’avérer rares, voire inexistants, quand on a peu de moyens.
Donc, les personnes handicapées ont beaucoup de coûts supplémentaires, mais ont accès à peu d’options économiques et d’emplois de premier échelon.
S’ajoute à tout cela la question de l’urbanisme et de l’accessibilité. Les quartiers plus accessibles sont souvent associés à des codes postaux plus cossus. Les pauvres qui ont un handicap font face à des obstacles disproportionnés par rapport à leurs maigres moyens.
La sénatrice Batters : Merci. J’adresse également ma deuxième question à Mme Peters. Madame Hawes, je vous remercie infiniment de l’aider aujourd’hui. Je pense que c’est une chose pour nous, les parlementaires, d’entendre des professeurs et des experts juridiques parler d’un projet de loi et, en particulier, du projet de loi qui nous occupe, mais c’en est une autre d’entendre des personnes réellement vulnérables dire que des projets de loi de ce genre les toucheraient très directement, et c’est ce dont je veux entendre parler davantage. Pourriez-vous nous en dire plus sur la dignité et l’indépendance et sur la façon dont vous pensez que les définitions particulières de ces mots témoignent des privilèges de classe et du capacitisme?
Mme Hawes : Certainement. Au nom de Mme Peters, je vous signale qu’elle soutient, et voudrait que je vous dise, que : « La dignité contribue énormément au capacitisme. »
À titre d’exemple, l’un des commentaires les plus courants qu’elle a entendus, qu’elle a franchement intériorisés et avec lesquels elle s’est débattue au début, c’est l’indignité de demander à quelqu’un de l’aider à utiliser les toilettes.
Un jour, j’ai remarqué que je ressentais une perte de dignité lorsque j’avais affaire à certains infirmiers, alors que je ne ressentais aucune perte de dignité lorsque j’avais affaire à d’autres personnes. Je me suis rendu compte que ce n’était pas le fait que quelqu’un m’aide à m’essuyer qui avait une incidence négative, mais plutôt la personne qui le faisait. J’ai aussi réalisé que je ressentais la même perte de dignité en demandant à ces mêmes personnes quelque chose d’aussi simple qu’un verre d’eau. Finalement, j’ai pris conscience du fait que ce n’était pas moi qui perdais ma dignité, mais que j’étais affectée par leur manque de dignité.
La classe joue également un rôle dans la façon dont nous définissons ces mots. Je trouve extrêmement indigne que les gens exigent égoïstement une mesure législative qui répond à leurs propres désirs sans se soucier de l’incidence qu’elle aura sur les personnes handicapées et, en particulier, sur certaines des personnes les plus marginalisées.
La sénatrice Batters : Merci. Je vous suis vraiment reconnaissante de votre réponse.
Le sénateur Tannas : Je remercie tous les membres du groupe d’experts. Il s’agit d’une assemblée extraordinaire de personnes et de points de vue, qui sont tous convaincants.
J’adresse ma première question à Dr Hilliard. Alors que vous décriviez votre situation, je me suis demandé comment vous réagiriez si un client entrait dans votre univers de soins palliatifs, puis demandait l’aide médicale à mourir, ou comment vous avez réagi à une telle situation, le cas échéant. Refuseriez-vous catégoriquement? Déplacez-vous ces patients? Comment abordez-vous cette question?
Dr Hilliard : Merci, madame la présidente. Je suppose que vous parlez d’un patient que je verrais dans le cadre d’une consultation. Nous étudierions la demande d’aide médicale à mourir. Nous aimerions donc savoir si le fait qu’il aimerait recevoir une aide médicale à mourir est une idée qui lui a simplement traversé l’esprit ou si c’est quelque chose auquel il pense depuis longtemps et qu’il est certain de vouloir; ou si c’est une option qu’il veut avoir en réserve au cas où ses souffrances s’aggraveraient à l’avenir. De plus, nous voulons savoir s’il est, en fait, déprimé et suicidaire. Nous examinons donc les motifs de sa demande et s’il y a une raison pour laquelle il pourrait être contraint de demander cette aide par d’autres personnes avec lesquelles il entretient des relations.
Le sénateur Tannas : Docteur Wales et sénatrice Mégie, pouvez-vous nous parler un peu des soins palliatifs et de l’aide médicale à mourir, et nous dire dans quelles proportions vous pensez qu’ils peuvent coexister et qu’ils coexistent effectivement en ce moment. Ou s’il s’agit d’une approche de type gagnant-perdant où les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir ne peuvent coexister, où ils entrent en fait en concurrence et où il y a un gagnant et un perdant? Comme nous l’a dit un témoin hier, en Europe, après de nombreuses années, les soins palliatifs ont été, selon lui, considérablement dilués et réduits. Est-ce une conséquence naturelle de la tournure que prennent les choses ici, ou croyez-vous fermement que les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir peuvent coexister?
Dr Wales : Je vous remercie de votre question. Je crois qu’à notre avis, les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir peuvent coexister. Notre expérience de la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir dans le contexte des soins palliatifs en témoigne.
Je pense que nous devons tout d’abord affirmer que la communauté médicale doit être collectivement responsable de l’aide médicale à mourir et que cette responsabilité ne doit jamais être associée uniquement avec les soins palliatifs. Elle relève de tout le monde. Nous avons tous la responsabilité de fournir l’aide médicale à mourir à un patient qui en fait la demande, quelle que soit notre spécialité. À l’heure actuelle, la communauté des soins palliatifs soulève de vives objections, car on suppose, souvent à tort, que les prestataires de soins palliatifs seront de facto les prestataires de l’aide médicale à mourir, ce qui n’est pas le cas. Il y a beaucoup de fournisseurs de soins palliatifs qui ne prodiguent pas l’aide médicale à mourir, et je pense que c’est tout à fait acceptable. Nous respectons certainement la liberté de conscience dans notre centre.
En ce qui concerne la manière dont les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir coexistent au sein d’un système de soins de santé, je précise que notre centre compte une vingtaine de médecins et que quelques-uns d’entre nous apportent l’aide médicale à mourir. Nous fournissons donc l’aide médicale à mourir aux patients des autres médecins de notre groupe de soins palliatifs à domicile.
À Toronto, je peux parler du fait que de nombreuses unités de soins palliatifs fournissent l’aide médicale à mourir et qu’il y a une intégration des soins palliatifs et des services d’aide médicale à mourir. D’après ce que j’ai entendu dire et l’aide médicale à mourir que j’ai apportée dans ces établissements, l’intégration de l’aide médicale à mourir et des soins palliatifs n’a posé aucun problème.
Quelques problèmes sont survenus dans les établissements confessionnels qui refusent de fournir l’aide médicale à mourir et qui exigent que les personnes soient transférées dans d’autres établissements pour recevoir ce service, souvent à un moment de leur vie où elles sont très vulnérables, ce qui, à mon avis, est une pratique perturbatrice qui peut être considérée comme problématique pour de nombreuses personnes. Mais dans l’ensemble, je pense que les gens s’enlisent souvent en définissant les soins palliatifs comme étant des soins qui ne précipitent pas la mort et qui ne prolongent pas la vie. Je pense que la notion d’aide médicale à mourir ne figure dans la définition d’aucun domaine de la médecine. Je crois que les définitions doivent changer, et j’estime que nous devons considérer que l’aide médicale à mourir prime sur nos définitions étroites des différentes spécialités médicales. J’espère que cela répond à votre question.
Le sénateur Tannas : Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Je suis en partie d’accord avec mon collègue qui vient de se prononcer. Les soins palliatifs ne dérangent pas l’aide médicale à mourir, et l’AMM ne dérange pas les soins palliatifs. Cependant, il y a parfois une dichotomie. Quand les gens arrivent dans une maison de soins palliatifs, on sait déjà que la personne, en y entrant, veut vivre le reste de ses jours et ne veut pas en finir tout de suite. C’est ça, la philosophie des soins palliatifs; c’est d’être accompagné pour vivre jusqu’à la fin. Donc, la personne doit bénéficier de ces soins-là.
D’autre part, la crainte de certains collègues en soins palliatifs, c’est que des lits de soins palliatifs soient occupés par des gens qui souhaitent obtenir l’aide médicale à mourir, ce qui aurait pu se faire dans un autre milieu. Tous ceux qui défendent ce point-là... Il se trouve que si un certain nombre de patients occupent des lits en soins palliatifs, on vient d’amputer ce service. J’ai compris de notre collègue que, dans certaines maisons de soins palliatifs où il pratique, c’est acceptable pour eux d’administrer l’aide médicale. Au Québec, il y a quelques maisons de soins palliatifs qui offrent cette option dans leurs murs.
Les personnes qui travaillent dans des maisons de soins palliatifs ou dans une unité de soins palliatifs ont été formées pour prodiguer des soins palliatifs, et non pour administrer l’aide médicale à mourir, qui demande un autre type de formation. Cependant, à mon avis, ils n’entrent pas en concurrence. Ils devraient coexister pour offrir un choix à la population canadienne : je choisis les soins palliatifs ou je choisis l’aide médicale à mourir.
Parfois, les gens qui sont en soins palliatifs commencent à voir qu’ils dépérissent. Ils n’aiment pas se voir comme ça et ils se disent : « Au lieu d’attendre que cela arrive, j’ai fait mes adieux à mes proches, peut-être pourrais-je opter pour l’aide médicale à mourir. » Cela ne sera pas refusé. Il y a des ententes. En tant que médecins, nous sommes obligés, si nous ne voulons pas offrir ce service nous-mêmes, de trouver un collègue qui le fera.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Merci.
La sénatrice Martin : Je remercie infiniment les témoins du groupe d’experts. Je partage l’avis de mes collègues qui viennent de vous exprimer leurs remerciements et de vous indiquer à quel point l’écoute de vos histoires personnelles et de vos points de vue a été émouvante. Merci beaucoup.
Le sénateur Tannas a presque lu dans mes pensées. Je m’interrogeais à propos de la façon dont les soins palliatifs et le service ou le régime de l’aide médicale à mourir se recoupaient et de la façon dont cela pouvait fonctionner. Mais dans le cas de la Colombie-Britannique, où je vis, je connais l’exemple de la Delta Hospice Society, et je sais ce qui s’est passé ici.
Docteur Hilliard, vous avez mentionné le changement de gouvernement et, parfois, les politiques d’un gouvernement provincial peuvent avoir des répercussions sur ce qui se passe dans l’ensemble de ce régime.
J’adresse ma question à Dr Hilliard, et elle vise à lui demander de réagir à ce qu’il a entendu Dr Wales et la sénatrice Mégie dire. Je pense que les choses diffèrent d’une province à l’autre. Docteur Hilliard, si l’on prend l’exemple de la Colombie-Britannique et, en particulier, des types de pressions qui ont été exercés, comment les soins palliatifs pourraient-ils être soutenus et protégés dans la mesure législative fédérale qui nous occupe? Vous avez parlé du fait que la Delta Hospice Society est un établissement ouvert depuis 30 ans et que les soins palliatifs sont des services, un programme et un régime offerts depuis 50 ans. J’essaie de déterminer comment nous pouvons protéger ce que nous faisons bien, et comment nous pouvons examiner ce qui est requis pour offrir l’aide médicale à mourir. Pourriez-vous répondre à ces questions, s’il vous plaît?
Dr Hilliard : Merci, madame la sénatrice. Je pense que le gouvernement fédéral pourrait mieux soutenir les soins palliatifs en les considérant comme un service essentiel dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé, par le biais du projet de loi C-7, tout comme il l’a fait pour l’aide médicale à mourir dans le cadre du projet de loi C-14. Le fait de fournir des renseignements aux patients qui demandent l’aide médicale à mourir ne suffit pas si de véritables soins palliatifs ne sont pas accessibles. En outre, le gouvernement fédéral peut promouvoir les soins palliatifs en fournissant des informations sur les avantages qu’ils présentent et sur la manière d’y avoir accès.
La sénatrice Martin : Merci. J’ai interrogé divers témoins sur la liberté de conscience ou sur la question de la conscience. Le ministre Lametti a assuré au comité que des mesures de protection existent déjà. La sénatrice Mégie a parlé de la façon dont il y aura des médecins qui fourniront l’aide à mourir et d’autres qui auront le droit de ne pas fournir cette aide. Toutefois, je suis préoccupée par les témoignages que nous entendons de la part des médecins, qui déclarent qu’en pratique, ils ressentent des pressions découlant du régime de l’aide médicale à mourir. Et il semble y avoir un désaccord sur l’importance que revêt une orientation efficace, lorsque des mécanismes d’auto-orientation sont en place et que les médecins ont indiqué qu’ils étaient heureux de fournir ces renseignements. Même si l’AMC a expliqué qu’une orientation représentait une approbation d’une procédure, il ne semble pas y avoir de raison de s’opposer à ce que les médecins soient forcés d’orienter des patients vers l’aide médicale à mourir et, pourtant, cela se produit dans la pratique.
À votre avis, une protection plus explicite de la liberté de conscience est-elle nécessaire à l’échelle fédérale? Et pourquoi une protection de la liberté de conscience est-elle nécessaire dans les établissements qui fournissent des soins palliatifs?
Dr Hilliard : Je vous remercie encore une fois de la question. Je vais d’abord m’occuper des établissements. Il n’y a pas de protection de la liberté de conscience dans les établissements. Contrairement au préambule du projet de loi C-14 qui s’engage à faciliter les soins palliatifs, nous avons vu comment les programmes et les centres de soins palliatifs ont été décimés depuis la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir. Tous les centres non religieux ont été contraints de fournir l’aide médicale à mourir, même si cela va à l’encontre de la pratique des soins palliatifs. Pour garantir l’intégrité des soins palliatifs holistiques en tant qu’option accessible à ceux qui ne veulent pas recevoir l’aide médicale à mourir, il faut maintenir des systèmes distincts pour cette aide et pour les soins palliatifs. En l’absence de protection, nous risquons de perdre notre spécialité, et les 95 % de Canadiens qui souhaitent vivre paisiblement jusqu’à leur mort naturelle auront un accès limité à de véritables soins palliatifs.
En ce qui concerne les orientations, la situation n’est pas la même partout au Canada. En Ontario, les médecins de soins palliatifs et les autres médecins doivent orienter les patients s’ils demandent une aide médicale à mourir, puis ils fournissent implicitement l’aide médicale à mourir par l’intermédiaire de l’orientation. En Colombie-Britannique, nous n’avons pas besoin de le faire, car il existe un comité de coordination de l’aide médicale à mourir. Si nous fournissons des informations au patient, il peut s’orienter lui-même.
Le problème pour un fournisseur de soins palliatifs, c’est que s’il travaille dans un centre ou une unité de soins palliatifs, il est le médecin le plus responsable de ce patient. Et s’il s’oppose à l’aide médicale à mourir pour des raisons de conscience, il sera placé dans la position soit de transférer les soins du patient au fournisseur de l’aide à mourir — ce qui, là encore, le rend implicitement complice de la procédure —, soit de participer réellement à la procédure elle-même, et d’être implicitement complice de cette façon.
La sénatrice Boniface : Je remercie tous les membres du groupe d’experts. Cette séance est très intéressante, et je suis reconnaissante à ceux qui nous ont fait part de leurs expériences personnelles.
J’adresse ma question à la sénatrice Mégie. Je vous remercie de votre présence et de vos commentaires judicieux, qui sont le fruit de 30 années de carrière. Je pense qu’ils représentent un message important pour le groupe ici présent.
Nous avons entendu des discussions sur la sédation palliative. Pourriez-vous nous donner un peu plus d’informations sur la façon dont les choses se passent entre les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir, et sur la manière dont la sédation fonctionne dans le cadre du programme de soins palliatifs?
[Français]
La sénatrice Mégie : La sédation palliative est un soin qui se donne en soins palliatifs en général. Quand les symptômes ne sont plus contrôlables, la personne souffre beaucoup, tant pour ce qui est de de la douleur que d’autres symptômes dérangeants. À ce moment-là, on évalue l’état de la personne, parce qu’il faut qu’elle soit à peu près à deux semaines de la fin de vie; il faut que la fin de vie soit imminente. À ce moment-là, on parle à la famille et à la personne pour savoir si elle adhère au traitement. Peut-être qu’elle ne peut pas adhérer au traitement ou qu’elle n’est pas en mesure d’adhérer au traitement si elle présente ce qu’on appelle un délirium, c’est-à-dire un état de conscience qui ne lui permet pas de décider pour elle-même. Dans ce contexte-là, on lui offre de la médication pour qu’elle s’endorme, pour qu’elle ne ressente pas cet inconfort, et ce, jusqu’à ce que la mort naturelle s’ensuive. Donc, c’est comme cela que ça se passe.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Encore une fois, sénatrice Mégie, je voulais juste avoir votre avis sur la cohérence des soins palliatifs. Je valorise vos expériences au Québec. Je vis en Ontario, et j’ai vécu cette situation avec deux membres de ma famille, qui vivaient tous deux en milieu rural, et j’ai constaté une grande incohérence dans les soins offerts et leur disponibilité. Je me demande si, dans le cadre de vos rapports avec des collègues de l’ensemble du pays, vous avez développé une impression d’incohérence en matière de soins et d’accessibilité, si le lieu de résidence est un facteur. De plus, je me demande si vous pouvez parler, en particulier, des distinctions entre l’accès urbain et l’accès rural.
[Français]
La sénatrice Mégie : Quand on parle des grandes villes, on a plus souvent le choix. Il y a les hôpitaux qui ont des unités de soins palliatifs et il y a aussi des maisons de soins palliatifs. L’accessibilité est quand même bonne.
Par contre, selon les commentaires et les rapports que l’on a reçus, dès qu’on s’éloigne des grandes villes, la situation est un peu plus difficile. Cependant, c’est dans chaque province qu’il faudrait travailler pour essayer de trouver des moyens d’améliorer l’accessibilité aux soins, parce que la santé est de compétence provinciale. Cependant, la formation continue des personnes qui veulent travailler en soins palliatifs est un point tournant important pour faciliter ces soins-là.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Merci.
La sénatrice Boyer : J’adresse ma question à Dr Wales, et j’aimerais qu’ensuite la sénatrice Mégie y réponde également.
Nous savons que le projet de loi C-7 exige que les médecins informent leurs patients des moyens disponibles et raisonnables de soulager leur souffrance, ce qui comprend la gestion de la douleur, les soins palliatifs et, dans certains cas, la chirurgie. Compte tenu de vos compétences dans le domaine et de votre connaissance de l’initiative de l’aide médicale à mourir, croyez-vous que les Autochtones qui vivent dans des régions éloignées et qui ont un accès limité aux traitements pour soulager leur douleur et aux soins chirurgicaux pourraient se voir refuser le droit à l’aide médicale à mourir ou que cette aide pourrait être retardée, en raison du manque d’accès à ces options en matière de soins de santé?
Dr Wales : Je pense que nous pouvons tous convenir que le manque de services médicaux en général dans toute zone mal desservie ou dans toute communauté autochtone est une honte nationale et que des mesures législatives supplémentaires devraient être adoptées pour améliorer cette situation. Je dirais également que, dans les milieux où de bons soins palliatifs ne sont pas disponibles, il est possible que des services d’aide médicale à mourir ne soient pas disponibles non plus.
La chose la plus importante que nous puissions faire est de plaider pour que des soins médicaux en général soient offerts, et cela englobe des services sociaux qui affirment la dignité et l’autonomie du patient, ainsi que des soins palliatifs et des services d’aide médicale à mourir. Je pense que nous pouvons tous nous entendre pour dire qu’il faut plaider pour la disponibilité de ces services.
La question consistait-elle à savoir si l’aide médicale à mourir pouvait être fournie dans des contextes où, par exemple, des soins palliatifs ne sont pas disponibles?
La sénatrice Boyer : Oui. S’ils ont un accès limité aux traitements pour soulager la douleur et aux soins chirurgicaux, le droit à l’aide à mourir leur sera-t-il refusé, ou cette aide sera-t-elle retardée en raison d’un manque d’accès aux options en matière de soins de santé?
Dr Wales : Malheureusement, cela ne fait pas partie de mon expérience, et je ne peux donc qu’émettre des hypothèses. Je soupçonne qu’un fournisseur d’aide médicale à mourir consciencieux veillera à rendre disponibles tous les traitements qu’un patient souhaite recevoir, mais je ne peux pas parler de cette situation en particulier.
La sénatrice Boyer : Merci, docteur Wales.
[Français]
La sénatrice Mégie : Selon ce que j’ai vécu au Québec, je ne pense pas que les gens se tournent vers l’AMM à cause du manque d’accessibilité aux soins palliatifs. Je dis cela en fonction de mon vécu et de certains rapports que nous avons reçus.
Cependant, d’après tous les rapports, et même d’après la lettre de notre ministre, toutes les personnes qui ont fait une demande d’aide médicale à mourir recevaient déjà des soins palliatifs. En général, les gens pensent que, si une personne demande l’AMM, c’est parce qu’elle n’a pas reçu de soins palliatifs, que c’est ce qui explique pourquoi elle souffre. Non, les gens ont souvent reçu des soins palliatifs avant de demander l’AMM. Donc, selon mon expérience, non.
Ensuite, les provinces peuvent s’organiser parce que, comme je l’ai dit, c’est un domaine de compétence provinciale. Les provinces peuvent donc s’organiser. Ensuite, si on regarde les autres catégories de soins médicaux, ce n’est pas juste pour les soins palliatifs qu’il y a un manque d’accessibilité. C’est dans tous les secteurs des soins de santé qu’il y a des déficiences de ce genre. Donc, personnellement, je doute que ce soit la seule raison qui oblige les gens à se tourner vers l’aide médicale à mourir.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : Merci, madame la sénatrice.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse à M. Le May et l’autre à la sénatrice Mégie.
D’abord, je tiens à remercier les témoins que nous avons entendus ce matin. Les témoignages sont très impressionnants et très touchants. Nous resterons marqués par les témoignages que nous avons entendus aujourd’hui.
Monsieur Le May, dans votre témoignage, vous avez fait référence aux étudiants qui demandent un accommodement, et sur lesquels on jette un regard dépréciatif, d’une certaine manière. Le fait que vous avez évoqué cela est très intéressant, parce que ça correspond à ce qu’on appelle, en pédagogie, « l’effet pygmalion », qui fait que si vous dites à quelqu’un qu’il n’est pas bon, il ne sera pas bon, et ce, même s’il est très bon.
Ma question pour vous est la suivante. À partir de votre expérience personnelle et professionnelle, croyez-vous qu’on devrait considérer une personne qui a un handicap comme n’étant pas vulnérable? Cette personne peut être placée en situation de vulnérabilité si elle souffre d’une maladie particulière ou si elle vit une situation particulière. Cependant, est-ce qu’on doit considérer la personne en situation de handicap comme une personne à part entière, sans lui attribuer une vulnérabilité qu’elle ne demande pas nécessairement?
En tout cas, c’est ce qu’on a entendu de la part des témoins qui ont comparu devant nous.
M. Le May : Je vous remercie de la question, sénatrice Dupuis. Je rappellerai seulement que vivre est une maladie évolutive. Tous ceux qui sont ici aujourd’hui seront, un jour ou l’autre, en fin de vie ou en perte de capacité. C’est le propre de l’être humain.
La question que vous soulevez est tout à fait pertinente; si l’on examine la question avec notre « normalité » de bien-portant, l’image qu’on se fait du handicap, pour des raisons culturelles, sociales ou religieuses, fait en sorte qu’on va remettre en question la demande que quelqu’un nous fait.
Or, et tout le monde l’a souligné, l’ensemble des témoins ont présenté leur partie la plus vulnérable. Notre rôle en tant que société est d’accueillir cette vulnérabilité et de ne pas refermer la porte en raison de notre jugement et de nos valeurs.
Si une personne demande l’aide médicale à mourir, comme la sénatrice Mégie l’a expliqué, par le biais des soins palliatifs, mais que cette personne change d’avis en cours de route, il doit y avoir des mécanismes pour recevoir cette demande.
Le besoin de parler de cela doit toujours pouvoir exister, sinon c’est comme si on remettait en question l’identité même que la personne handicapée veut se faire d’elle-même, c’est-à-dire d’être normative dans une société. Elle vous présente sa différence pour faire partie de votre équipe, mais vous lui renvoyez constamment l’image selon laquelle est une personne différente. On le constate dans le milieu universitaire. On remet en doute la capacité des personnes handicapées à intégrer le marché du travail, alors qu’on ne pose pas la question pour l’ensemble des groupes étudiants. C’est la même chose par rapport à cette délicate question des soins de fin de vie.
Je veux qu’on accueille cette demande-là. Après, laissons cet espace aux travailleurs sociaux et aux professionnels de la santé. Comme l’a dit la sénatrice Mégie, il y a déjà des instances et des gens qui sont formés. S’il faut les former davantage à des biais, parce qu’on en a tous... Vous avez peut-être lu dans La Presse cet article sur un médecin qui faisait un mea culpa pour ce qui est de la formation des futurs médecins face à la réalité des Autochtones. Ce médecin reconnaissait qu’il n’avait peut-être pas très bien reçu les clientèles des Premières Nations qui venaient dans son bureau lorsqu’elles lui faisaient part de cette réalité. Il faut donc parfois reconnaître qu’on est ouvert à changer le paradigme.
La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur Le May. Sénatrice Mégie, j’aimerais que vous clarifiiez une question pour notre comité.
Je vous renvoie au rapport de 2019 de la Commission sur les soins de fin de vie qui porte sur le régime québécois des soins en fin de vie, qui porte sur les données statistiques de 2015 à 2018.
À la page 90, on parle de sédation palliative continue, et vous nous avez expliqué que c’est lorsque la fin de vie est imminente que cette sédation est administrée, que ce soit dans un contexte médical ou institutionnel. Ce qui me frappe dans les statistiques, c’est que, dans 54 % des cas, la raison pour laquelle cette sédation avait été administrée était la détresse psychologique ou existentielle, qui était réfractaire et qui compromettait gravement le confort. Dans 28 % des cas, on évoquait des douleurs intraitables et intolérables.
Je vois bien qu’une pratique s’est installée, qui est adoptée par un médecin face à une situation donnée dans l’évolution d’une maladie ou d’une vie. Autrement dit, dans 82 % des cas, en ayant recours à la sédation palliative continue, on accélère la mort de la personne, et cela peut même être fait dans une situation où cette personne n’est plus consciente. À ce moment-là, c’est donc un tiers qui donne au médecin l’autorisation d’administrer cette sédation.
J’ai de la difficulté à réconcilier le fait qu’on n’accepterait pas qu’une personne choisisse le moment de la fin de sa vie elle-même en fonction des critères juridiques qui sont actuellement appliqués, c’est-à-dire des souffrances intolérables, alors qu’on accepte que des médecins, de leur propre initiative ou à la demande d’un tiers, peuvent administrer une sédation palliative continue.
Est-ce que je comprends bien ce qu’est la sédation palliative continue?
La sénatrice Mégie : La sédation palliative continue, c’est vraiment lorsque les symptômes sont intolérables — je dis bien les symptômes, et pas seulement les douleurs. Les symptômes deviennent intolérables, et il faut normalement tenir compte de ce que le patient nous dit. L’intolérabilité provient de ce que le patient nous dit, et non pas de ce que nous pensons qu’il devrait avoir. S’il y a des vomissements de sang ou des convulsions, c’est difficile à accepter, cela cause une détresse psychologique en même temps qu’une détresse physique médicale. Toutes ces causes sont à la base de la décision par rapport à la sédation palliative. La seule situation où la personne ne peut pas prendre elle-même cette décision et qu’il faut que ce soit les proches qui la prennent, c’est, comme je l’ai dit, dans le cas où un patient souffrirait de délirium.
Selon les statistiques, environ 80 % des patients admis en soins palliatifs ont déjà commencé une phase de délirium. Souvent, c’est difficile à diagnostiquer, même pour des professionnels de la santé assez chevronnés. C’est parfois difficile, parce que certains des patients ont l’air tranquilles; c’est la forme de délirium tranquille. Il y a l’autre forme, la forme agitée, qui frappe plus. Donc, la difficulté de diagnostic rend ce moment-là plus important, et on doit s’adresser aux familles pour qu’elles nous disent comment elles voient l’évolution de la situation de la mère, du père ou du proche. Toutefois, dans tous les autres cas, la personne est consciente et le médecin discute avec elle. Il existe d’autres symptômes qui sont vraiment intolérables, en plus de la douleur ou en dehors de la douleur.
[Traduction]
La présidente : Sénatrice Dupuis, je vous ai laissé intervenir trop longtemps.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je n’ai pas de question, mais j’aimerais faire un commentaire aux témoins, qui m’ont beaucoup touché.
Je pense qu’adopter un projet de loi comme le projet de loi C-7 fait beaucoup appel à nos valeurs personnelles qui, souvent, sont en contradiction avec nos valeurs morales, religieuses, communautaires ou culturelles. On l’a vu dans beaucoup de témoignages. C’est tout un défi que d’adopter une telle loi.
Je veux d’abord féliciter nos témoins de ce matin, qui nous ont livré des témoignages tout à fait personnels pour exprimer comment ils vivent cette situation. Ce n’est pas plus facile pour nous, sénateurs, qui devons nous assurer que le projet de loi C-7 ne fera pas plus de victimes que le projet de loi C-14 en 2016, et que l’on n’oubliera personne qui devra chercher d’autres moyens pour abréger ses souffrances.
Je tiens à remercier tous ceux qui sont venus parler de leur expérience de vie et des proches qui sont venus témoigner de l’expérience de la mort de leur proche. Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Keating : Je tiens à me joindre à mes autres collègues afin de remercier les intervenants de ce matin et les témoins de leurs déclarations percutantes. Mon seul regret, c’est que j’aurais aimé entendre quelques-uns de ces témoignages plus tôt. Merci. Vos observations ont été entendues.
Je pense que ma question est destinée à la fois à Dr Wales et à la sénatrice Mégie.
[Français]
Sénatrice Mégie, vous avez déjà répondu à la question en partie.
[Traduction]
Nous avons entendu de nombreuses observations au cours des témoignages sur l’interchangeabilité, si je peux utiliser cette expression, entre les soins palliatifs et la fin de vie. On a fait observer que de meilleurs soins palliatifs entraîneraient un plus grand nombre de refus de l’aide médicale à mourir. J’aimerais vous entendre parler de cette divergence d’opinions. Ce que je comprends des soins palliatifs, c’est que, lorsqu’ils existent, il s’agit plutôt d’un programme d’aide à tous les niveaux vers la fin de la vie, et alors que le choix de l’aide médicale à mourir ou d’autres services de fin de vie sont précisément des interventions de fin de vie, comme leur nom l’indique.
Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
[Français]
La sénatrice Mégie : Je voudrais bien comprendre la question.
La sénatrice Keating : Ce que je demande, c’est qu’on a souvent présenté l’aide médicale à mourir comme étant interchangeable avec les soins palliatifs. Autrement dit, de meilleurs soins palliatifs mèneraient à un plus grand refus de l’aide médicale à mourir et rendraient l’aide médicale à mourir inutile. Or, j’ai de la difficulté avec cela.
La sénatrice Mégie : Moi aussi, j’ai de la difficulté avec cela.
Les personnes qui s’informent sur l’aide médicale à mourir et qui veulent l’obtenir le font bien longtemps à l’avance et à tout moment. Elles s’informent lors des discussions actuelles sur le projet de loi C-7 ou lorsqu’un voisin ou un ami a des problèmes à l’hôpital; elles s’informent à tous les niveaux. À ce moment-là, les gens peuvent prendre leur décision et dire : « Moi, je ne veux pas dépérir », « Moi, je ne veux pas rester à souffrir longtemps », « Moi, je ne veux pas cela ». Les gens peuvent choisir en toute connaissance de cause. Parfois, une personne n’est même pas encore malade, mais lorsqu’elle le devient, son choix est fait, et ce n’est pas en raison d’un manque d’accessibilité aux soins palliatifs.
Au départ, la personne a sa police d’assurance et se dit : « Je suis confortable, je sais que je peux choisir l’aide médicale à mourir quand je veux. » Parfois, cette personne n’a même pas fait appel à l’aide médicale à mourir quand arrive le temps de la fin de sa vie. La fin de vie, ne l’oubliez pas, fait partie d’un continuum; la personne reçoit des soins palliatifs et lorsqu’elle arrive en fin de vie et que son état de santé s’est grandement détérioré — cette phase s’appelle la phase de fin de vie —, cette étape vient en continuum avec les soins palliatifs.
[Traduction]
La sénatrice Keating : Docteur Wales, y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter?
Dr Wales : J’ai des patients qui me disent au début de leur arrivée aux soins palliatifs qu’ils aimeraient l’aide médicale à mourir parce qu’ils craignent que la douleur soit incontrôlable à la fin de leur vie. Après que je leur ai expliqué brièvement les soins qu’ils peuvent recevoir, ils me disent que ce qu’ils veulent, en fait, ce sont de bons soins palliatifs.
En revanche, l’expérience que nous avons au centre nous a montré, comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, que les soins palliatifs ne sont pas la panacée. Il arrive qu’ils ne puissent pas permettre de soulager certaines souffrances. De plus, certains patients choisissent de ne pas recevoir de traitement, et c’est leur choix.
Il est faux de dire qu’avec de bons soins palliatifs, il n’y aurait pas de demande d’aide médicale à mourir, car cela est complètement contraire à notre expérience. Nous avons un taux plus élevé de demandes d’aide médicale à mourir dans les soins palliatifs à domicile, et le centre offre des soins palliatifs complets de très haute qualité, y compris le soutien interdisciplinaire de divers professionnels. Même dans ce contexte, certaines souffrances ne peuvent être soulagées par les soins palliatifs, et nous soutenons le droit du patient à exercer son autonomie et son contrôle sur sa situation dans ce contexte.
La sénatrice Keating : Merci beaucoup.
Le sénateur Kutcher : Merci encore à tous nos témoins de nous aider à examiner ces enjeux aujourd’hui. J’ai deux petites questions.
Monsieur Gretzky, merci beaucoup de nous avoir parlé de ce que vous avez vécu. Il est essentiel pour les membres du comité d’entendre des gens nous raconter leur expérience. Selon vous, votre expérience de l’aide médicale à mourir a-t-elle été la même que celle d’une famille qui perd un être cher en raison d’un suicide?
M. Gretzky : Oh, Dieu du ciel. Avec tout le respect que je vous dois, le suicide est en fait l’antithèse de l’aide médicale à mourir. Je peux vous en parler, parce que j’ai vécu les deux situations. Un ami avec qui j’habitais s’est rendu en secret dans la grange au milieu de la nuit — je suis certain qu’il était en détresse — et s’est pendu. Nous nous sommes demandé ce que nous aurions pu faire. Est-ce que quelque chose nous avait échappé? Est-ce que nous lui avions dit quelque chose l’ayant blessé? Nous étions rongés par la culpabilité après cet événement.
Dans le cas de Marilyn, il n’y avait rien de tout cela. Il s’agissait d’une célébration de la vie. Elle était entourée par ceux qu’elle aimait et qui l’aimaient. Il n’y avait pas de questions sans réponse. Chacun savait ce qu’elle voulait, et ils comprenaient qu’elle faisait ce choix non pas en dépit du fait que les gens l’aimaient, mais bien parce que les gens l’aimaient, parce qu’elle voulait qu’ils puissent la voir comme une personne heureuse.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, monsieur Gretzky.
Docteur Wales, nous avons entendu des témoignages convaincants de nombreux témoins disant qu’il fallait s’assurer d’avoir des ressources humaines et des ressources en santé pleinement et équitablement disponibles partout au Canada. J’appuie sans réserve cette idée, et j’espère que tous les parlementaires se feront un devoir de lutter contre ces inégalités. C’est une réalité à laquelle vous avez sans doute été confrontée.
À titre de médecin qui prodigue à la fois des soins palliatifs et l’aide médicale à mourir, comment entamez-vous la conversation avec les gens qui demandent l’aide médicale à mourir pendant qu’ils reçoivent des soins palliatifs? Quelles sont les étapes que vous suivez?
Dr Wales : Merci de la question. Je ne vois que des patients qui reçoivent des soins palliatifs, parce que je travaille dans un environnement de soins palliatifs. Tous les patients qui me demandent l’aide médicale à mourir reçoivent déjà des soins palliatifs que je leur prodigue, ou qu’un de mes collègues leur prodigue, dans notre centre.
Lorsque nous recevons un rapport d’un de nos collègues disant qu’un patient envisage l’aide médicale à mourir, un de nos évaluateurs s’assoit avec le patient pour discuter de ses raisons. Nous savons qu’une demande de mort précipitée ne veut pas nécessairement dire que la personne veut mourir. Il est toujours possible que ce soit le résultat d’un besoin non satisfait. Dans le cadre de notre processus d’évaluation, il est très important de nous assurer que tous les besoins en soins palliatifs du patient sont satisfaits et qu’il n’y a rien que nous puissions faire pour alléger ses souffrances.
Il est aussi très important pour moi, dans le cadre de l’évaluation d’une demande d’aide médicale à mourir, de m’assurer que le patient comprend exactement à quoi sa mort naturelle pourrait vraisemblablement ressembler, car il y a beaucoup de fausses conceptions. Il est donc très important pour moi de lui dire que les soins palliatifs peuvent lui permettre une mort naturelle empreinte de dignité, tout comme l’aide médicale à mourir. Il est important pour nous de toujours dire au patient qu’une mort naturelle peut être aussi empreinte de dignité qu’une mort assistée. Notons toutefois que la définition de dignité est très vague et mal comprise.
Lors de l’évaluation, on veut essentiellement s’assurer que le patient est informé de toutes ses options, qu’il est en mesure de prendre une décision et qu’il a épuisé toutes les options de traitement pouvant être disponibles pour alléger ses souffrances. Il arrive souvent que le seul fait pour le patient de passer par le processus d’évaluation et de savoir qu’il est admissible peut être vraiment thérapeutique pour lui, car il sait qu’il pourra exercer un certain contrôle à la fin de sa vie. L’intolérable peut devenir tolérable lorsqu’on dit à une personne qu’elle aura le contrôle sur la fin de sa vie.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Kutcher : Oui. Merci beaucoup. C’est très apprécié.
La présidente : J’ai quelques questions. Sénatrice Mégie, vous avez travaillé dans le domaine des soins palliatifs pendant longtemps. Lorsque vous avez planifié les soins palliatifs dans votre centre et que vous avez commencé à recevoir des patients, preniez-vous en compte différents facteurs pour répondre à leurs besoins, comme l’âge, le genre et la race? Quels éléments preniez-vous en considération lorsque vous planifiez les soins à offrir? Les gens n’ont pas tous les mêmes besoins. Les besoins d’une personne âgée peuvent être différents de ceux d’une autre personne. Comment planifiez-vous le tout?
[Français]
La sénatrice Mégie : On planifie d’abord les besoins de la personne lors de l’admission. Les besoins peuvent diverger, comme vous le disiez, selon l’âge ou la maladie.
On tient aussi compte de la culture, parce que, à un certain moment, selon les cultures, il y a certains rituels lors du décès ou avant le décès. Donc, ces gens planifient ces étapes avec nous. Quand on rencontre les proches, ils nous disent quels étaient les désirs de la personne. Ce sont des soins globaux, c’est-à-dire qu’on regarde l’état de santé, son évolution, mais aussi la religion et tout le contexte de la personne. Ce n’est pas juste un médicament ou un soin; ce sont des soins holistiques, et ce, jusqu’à la fin.
Si je peux me permettre, madame la présidente, j’aimerais ajouter quelque chose pour compléter ma réponse à la question de la sénatrice Dupuis, qui a dit que la sédation palliative accélérait le processus de mort. Je dois vous dire que non, la sédation palliative permet à la personne d’être endormie pour ne pas vivre ses souffrances, et ce, jusqu’à ce que la maladie l’emporte, comme elle devrait l’emporter. C’est pourquoi cette étape se planifie pour des personnes en toute fin de vie, dont la mort est vraiment imminente. C’est ce que je voulais ajouter.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup.
J’aimerais passer à Mme Hawes. Vous aviez un point que vous vouliez clarifier; aimeriez-vous le faire maintenant, au nom de Mme Peters, pour tous les sénateurs?
Mme Hawes : Merci. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de corriger certaines informations qui ont été données précédemment, à savoir que la maltraitance des personnes handicapées au Canada n’était pas documentée. En fait, selon une étude récente réalisée par le Réseau d’action des femmes handicapées, les femmes handicapées au Canada subissent deux fois plus de violence que les femmes non handicapées. De plus, 52 % des revendications relatives aux droits de la personne au Canada — soit la majorité des revendications — portent sur des violations des droits de la personne. C’est une chose qu’il ne faut pas oublier dans le contexte de l’aide médicale à mourir, de même que la vulnérabilité des personnes qui peuvent avoir moins de ressources pour bien vivre, et vivre de façon autonome et avec dignité.
La présidente : Je vous remercie de cette précision. C’est utile. J’aimerais dire à Mme Peters, à M. Le May et à tous les témoins ici que nous avons entendu ce qu’ils avaient à dire, et qu’au tout début de nos audiences, nous avons entendu le témoignage d’une personne qui nous a fait part des mêmes réalités. Je tiens à vous remercier tous de votre présence aujourd’hui.
Chers sénateurs, j’aimerais terminer cette partie de la séance en disant que, comme vous le savez, nous espérions que Mme Gladu soit avec nous. On nous a dit ce matin... Nous sommes en contact avec elle depuis quelques jours. Elle espérait venir, mais il lui est impossible de le faire. Elle nous a fait parvenir une lettre, et je vais demander à la sénatrice Petitclerc si elle veut bien nous la lire.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je remercie Mme Gladu. Nous n’avons jamais eu la chance de nous rencontrer. Je la remercie de me faire confiance pour lire ces mots que je porte. Je vais donc lire cette lettre signée par Mme Nicole Gladu.
Je suis une survivante de l’épidémie de polio d’avant vaccin en 1949, sauvée in extremis du terrifiant poumon d’acier après trois mois de coma qui m’avaient laissée plus ou moins paralysée du cou aux orteils. Grâce à des mois de physiothérapie, j’ai réussi à retrouver l’usage de mes jambes. Avant de m’opérer à l’âge de 10 ans pour corriger une grave scoliose, l’orthopédiste a déclaré à une classe d’étudiants en médecine qu’avec seulement un demi-poumon de fonctionnel, je n’étais pas censée vivre... mais qu’il n’entendait pas s’objecter à ma volonté contraire.
En fait, j’ai rêvé ma vie avant de vivre mes rêves, comme journaliste, syndicaliste, attachée d’information et directeur des communications dans les secteurs privés et publics à Montréal, Québec et New York, jusqu’à l’âge de 40 ans.
La maladie vaincue de haute lutte à l’enfance est alors revenue me hanter. Je fais partie de cette race en voie d’extinction des patients les plus gravement attaqués par le virus, spectaculairement rétablis, qui mènent une bataille sans espoir cette fois contre le syndrome dégénératif musculaire post-polio. Celui-ci se déclare lorsque les muscles plus ou moins épargnés par le virus de l’enfance, et qui ont dû surcompenser pour les autres, cessent de se régénérer.
Il m’a donc fallu, pendant 25 ans, désapprendre les recettes gagnantes contre la polio, repousser sans cesse ces limites, pour apprendre plutôt à reconnaître et respecter celles-ci... Le plus dur défi de ma vie, à relever chaque matin.
Officiellement invalide depuis déjà plus de 20 ans, mon état physique ne cesse de se dégrader, par paliers, et le rythme s’accélère. La sclérose réactivée par la post-polio et une grave ostéoporose tordent chaque jour davantage mon corps, le déportant d’un côté au prix de mon équilibre, causant une hernie stomacale et comprimant impitoyablement mon demi-poumon. Chaque souffle m’est devenu un effort conscient, ce qui consume les trois quarts de mon énergie déclinante.
En l’absence de cure, et malgré le suivi multidisciplinaire hautement professionnel reçu à l’Institut neurologique et à l’hôpital Victoria de Montréal, je me retrouve impuissante. À 75 ans, je me soucie bien davantage de la qualité de ma vie que de sa prolongation, et je me refuse à finir mes jours dans une résidence privée ou publique, dont j’ai fait l’expérience comme curatrice de ma mère.
On accepte l’arrêt et le refus de traitement, même s’ils peuvent entraîner la mort; qu’en est-il lorsqu’il n’y a pas de traitement?
Ce que je demande aujourd’hui, c’est de témoigner du respect à tous ceux qui, comme moi, regardent la mort en face depuis longtemps, d’une manière pas toujours spectaculaire au sens où on l’entend par « phase terminale ».
Je n’entretiens aucune amertume, car j’ai saisi au vol toutes les occasions offertes au long de ma vie, et plutôt que des regrets j’ai amassé plein de bons souvenirs. Mais vivre sans espoir en évitant le désespoir devient de plus en plus difficile.
L’adoption de la loi C-14 a été pour moi, et beaucoup d’autres, un revers inattendu, cruel et choquant. J’espérais avoir enfin accès à une aide médicale à mourir, que la loi québécoise des soins de fin de vie ne pouvait m’accorder; la fermeture d’esprit du gouvernement canadien m’en prive.
Je crois mériter autant que mon chat Gitan, euthanasié en douceur dans mes bras à l’âge de 18 ans après une longue maladie, de pouvoir mettre un terme après une vie bien remplie, avant qu’elle ne bascule dans une existence de dépendance caricaturale. Mais je souhaite pouvoir le faire efficacement et sans souffrance, avec mes merveilleux amis, une flûte de champagne rosé dans une main et un canapé de foie gras dans l’autre, admirant pour une dernière fois de mon vivoir le soleil se coucher dans le fleuve.
Devrais-je me résigner à faire mon dernier voyage à Zurich, seul endroit au monde où un non-résident peut chercher une telle assistance professionnelle auprès de l’Association Dignitas?
Heureusement, j’ai appris entre-temps qu’un avocat de Montréal spécialisé dans les causes de santé se préparait à se battre pour l’aide médicale à mourir. Je me suis jointe à l’entreprise en Cour supérieure et, après des mois de témoignages experts, la juge Christine Baudouin a rendu une décision très élaborée en faveur de l’aide médicale à mourir.
C’est signé Nicole Gladu.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, sénatrice. Merci à chacun.
Nous venons de vous envoyer une lettre de la ministre Hajdu au sujet des soins palliatifs, alors vous devriez l’avoir reçue aussi dans votre boîte de courriels.
Chers collègues, comme vous le savez, c’est notre dernier groupe de témoins. Nous allons commencer par la Dre Chantal Perrot, une médecin de famille qui pratique dans le centre-ville de Toronto. Une bonne partie de sa pratique médicale est consacrée à la psychothérapie et au traitement des troubles mentaux. Elle est évaluatrice et prestataire de l’aide médicale à mourir depuis juin 2016. Docteure Perrot, allez-y, s’il vous plaît.
Dre Chantal Perrot, à titre personnel : Madame la présidente, et honorables sénateurs, merci de m’accorder le privilège de vous rencontrer aujourd’hui. Je suis impatiente de répondre à vos questions. Je vous suis très reconnaissante du travail que vous faites et du rôle clé que vous jouez dans notre démocratie au Canada. Vous avez la tâche importante d’entendre le point de vue de tous les Canadiens et de traiter une quantité phénoménale d’information pour ensuite prendre des décisions qui ont une incidence sur nos vies.
Le projet de loi C-7 est une importante mesure législative qui, je l’espère, mènera à d’autres modifications du Code criminel afin que la législation sur l’aide médicale à mourir soit plus conforme à l’arrêt Carter de la Cour suprême et à la Charte canadienne des droits et libertés. Mes propos aujourd’hui sont étoffés dans le mémoire que j’ai soumis au comité.
Il y a bien des points de vue à examiner. Vous n’aurez peut-être pas entendu celui de nombreuses personnes parmi les plus de 14 000 qui ont déjà choisi l’aide médicale à mourir, ou celui de nombreuses personnes qui aujourd’hui, ou dans l’avenir, vont faire ce choix. L’aide médicale à mourir est une décision très personnelle qu’entourent encore certains préjugés dans notre société. Bien des gens ne vont pas parler publiquement de leur décision de demander l’aide médicale à mourir. Il est important que les discussions sur le projet de loi C-7 prennent en considération ceux qui vont y avoir accès et les leçons que nous avons apprises de ceux qui se sont heurtés à des obstacles inutiles. J’espère, dans une certaine mesure, représenter leurs points de vue et leurs intérêts.
Permettez-moi de dire tout d’abord que je suis reconnaissante de vivre au Canada, où des soins de fin de vie compatissants, y compris l’aide médicale à mourir, sont disponibles. C’est un privilège d’offrir l’aide médicale à mourir. Les patients me montrent chaque jour ce qu’est la force, le courage, la résilience et l’intégrité. Je salue les Canadiens d’avoir défendu le droit de mourir et le gouvernement du Canada d’avoir adopté la loi rendant possible le fait de mettre fin à ses souffrances de cette façon. Être en faveur du droit de mourir ne veut pas dire que l’on promeut l’aide médicale à mourir ou que l’on sous-entend que la vie des gens qui choisissent l’aide médicale à mourir ne vaut pas la peine d’être vécue. Décider si oui ou non une vie vaut la peine d’être vécue ou endurée revient à la personne même, quelle qu’elle soit.
Comme on l’a mentionné, je suis une médecin de famille et une bonne partie de ma pratique médicale est consacrée à la psychothérapie et aux traitements des troubles mentaux. Je suis évaluatrice et prestataire de l’aide médicale à mourir depuis 2016, et l’aide médicale à mourir constitue maintenant une part importante de mon travail en clinique.
En 2017, je me suis jointe à un groupe de collègues et de bénévoles au sein de la communauté pour créer la MAiDHouse dans le but de remédier au problème d’accès. MAiDHouse est une organisation à but non lucratif dont la mission est d’offrir aux patients admissibles un environnement inclusif, familial et de soutien où ils peuvent recevoir l’aide médicale à mourir lorsqu’il n’est pas possible pour eux de la recevoir à la maison ou ailleurs. Nous espérons pouvoir ouvrir nos portes cette année.
Je suis reconnaissante au gouvernement des efforts qu’il déploie pour modifier la loi actuelle, et même si je suis en faveur d’un bon nombre des changements proposés, j’ai quelques réserves au sujet du projet de loi C-7 dans sa forme actuelle, en particulier pour ce qui est de l’accès et du consentement. Voici mes observations et mes recommandations.
La première est de supprimer le critère exigeant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible. Je recommande fortement de supprimer complètement « mort naturelle raisonnablement prévisible » de la loi, et ce faisant, de supprimer le système à deux voies proposé. Réintroduire cela dans les mesures de sauvegarde et créer un système à deux voies complique inutilement le processus d’évaluation, ne fait rien pour préciser le sens de « mort raisonnablement prévisible » et ne fournit pas une mesure de sauvegarde supplémentaire.
La deuxième est de supprimer l’exclusion lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. Il s’agit là d’une exclusion discriminatoire, stigmatisante et injuste. Veuillez noter que l’aide médicale à mourir n’est pas un suicide, et que le suicide n’est pas l’aide médicale à mourir. Le suicide est un problème de santé publique grave qui nécessite une intervention, du soutien et un traitement. L’aide médicale à mourir est un choix rationnel, délibéré, conscient et personnel en réponse à une situation intolérable.
Ma troisième recommandation est de permettre aux gens qui ont été évalués et approuvés, mais qui perdent leurs capacités avant de recevoir l’aide médicale à mourir, de pouvoir procéder sans avoir eu à fixer une date pour que cette disposition soit applicable. On ne devrait pas exiger non plus que la personne soit considérée comme étant à risque de perdre ses capacités, car tout le monde peut perdre ses capacités à tout moment.
Quatrièmement, le fait d’exiger une consultation avec un clinicien ayant une expertise est inutile, irréaliste et provoque des barrières à l’accès. Dans leur pratique, les cliniciens utilisent leurs connaissances médicales et leur jugement pour procéder aux évaluations, et si nous avons des préoccupations, nous effectuons des recherches ou procédons à des consultations, qu’il s’agisse de l’aide médicale à mourir ou d’une autre situation clinique. Il s’agit là d’une pratique médicale courante qui ne devrait pas faire partie de la loi.
Ma cinquième recommandation concerne l’importance du consentement informé lorsque toutes les options sont présentées. Les gens qui demandent l’aide médicale à mourir devraient être au courant de toutes les options à leur disposition pour traiter leurs conditions et leur situation. Le fait d’intégrer cela au Code criminel, avec la menace de sanction que cela implique, est inutile et aura un effet dissuasif pour les évaluateurs et les prestataires potentiels, entraînant ainsi une barrière à l’accès. C’est à la personne de décider si elle veut avoir recours à l’aide médicale à mourir et dire si elle a examiné sérieusement les autres façons d’alléger ses souffrances. Le médecin praticien ne devrait pas, dans la loi, être obligé de juger si cela est vrai. Il s’agit d’une attitude paternaliste et avilissante pour la personne, et exige du médecin une certitude qu’il ne peut pas avoir.
Sixièmement, je recommande de supprimer la période d’évaluation obligatoire de 90 jours. Supprimer la période de réflexion obligatoire de 10 jours pour les patients dont la mort est raisonnablement prévisible est un excellent changement. Les patients, au moment où il demande l’aide médicale à mourir, souffre déjà, et souvent de façon intolérable, depuis très longtemps. La décision de demander l’aide médicale à mourir est mûrement réfléchie. Forcer les patients dont la mort n’est pas considérée comme raisonnablement prévisible à attendre 90 jours de plus est cruel et inhumain et n’ajoute aucune mesure de protection supplémentaire. Le moment de mettre fin au processus d’évaluation devrait être une décision clinique prise par l’évaluateur et le prestataire en s’appuyant sur son jugement et son expérience.
Enfin, je pense qu’il est important de protéger les personnes vulnérables et de respecter leur autonomie. Les personnes vulnérables ont besoin d’être protégées, et cela comprend celles qui veulent obtenir l’aide médicale à mourir mais qui se la verrait refuser en raison de mesures de protection et de critères extrêmement restrictifs. La responsabilité de l’évaluateur et du prestataire consiste notamment à évaluer la vulnérabilité du patient tout en respectant son droit de prendre une décision avec laquelle d’autres peuvent ne pas être d’accord.
Je pense que nous pouvons tous convenir que les gens avec un handicap ne reçoivent pas tout le soutien dont ils ont besoin, mais ce projet de loi n’a pas pour but de combler ce vide. De même, je pense que nous pouvons tous convenir que nous devons investir davantage dans les soins palliatifs, les soins de fin de vie, le soutien social et l’aide au revenu pour les plus démunis — le logement, les garderies, et cetera — mais encore là, l’objet du projet de loi n’est pas de corriger ces manques.
Voici ce que j’entends régulièrement des patients me dire :
« Grands dieux! Je suis tellement heureux que vous appeliez! »
L’appel visait à prendre rendez-vous pour l’évaluation d’une demande d’aide médicale à mourir.
« J’attends ce jour avec impatience! »
La personne parlait de la procédure d’aide médicale à mourir comme telle.
« C’est une question de qualité de vie. ».
« Je suis terrorisée, absolument terrorisée. »
C’est le commentaire d’une personne à la pensée d’avoir à continuer de vivre.
« J’ai été une bonne personne. J’ai vécu une bonne vie, mais c’est maintenant le temps de partir. Je dois partir un jour ou l’autre, n’est-ce pas? Pourquoi ne pas le faire dans la dignité? »
« Si je vous le demandais à genoux, si c’était possible... Je veux que ce soit rapide, et je veux que ce soit dans la dignité. »
J’espère que les modifications proposées permettront aux gens ayant des souffrances intolérables d’avoir un meilleur accès à la mort digne que l’aide médicale à mourir peut leur offrir si c’est leur choix, mais je crains que ce ne soit pas le cas. Des changements s’imposent donc. Je vous remercie de prendre en considération mes observations et recommandations sur ce projet de loi très important. Vivre dans la dignité veut aussi dire pouvoir mourir dans la dignité.
La présidente : Merci beaucoup, docteure Perrot.
Nous passons maintenant à la professeure Donna Stewart, de l’Hôpital général de Toronto au sein du Réseau universitaire de santé et de l’Université de Toronto. Elle est chargée de la recherche, l’éducation, la politique et la prestation des services de santé pour les femmes.
Dre Donna Stewart, professeure d’université, Université de Toronto, psychiatre, Réseau universitaire de santé, scientifique principale, Institut de recherche de l’Hôpital général de Toronto, à titre personnel : Bonjour, sénateurs, et merci de m’avoir invitée à témoigner. Je suis fort impressionnée par l’important travail que vous accomplissez. Je suis professeure à l’Université de Toronto et psychiatre au sein du Réseau universitaire de santé. J’ai pratiqué la médecine familiale dans le Grand Nord canadien avant de devenir psychiatre il y a près de 50 ans. Je me spécialise dans les consultations psychiatriques auprès de personnes ayant des problèmes médicaux ou ayant subi des opérations qui éprouvent également des problèmes psychologiques. J’ai été titulaire de la première Chaire de recherche du Canada sur la santé des femmes de 1995 à 2014. Je suis membre de l’Association des psychiatres du Canada, de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, et du Centre conjoint de bioéthique de l’Université de Toronto.
J’enseigne à la faculté de médecine et mène des recherches, notamment sur l’AMM. J’ai publié plus de 400 articles scientifiques examinés par des pairs et quatre livres. En 2014, je suis devenue membre de l’Ordre du Canada.
Je m’adresse à vous aujourd’hui à titre personnel. Je traiterai de six sujets ayant un lien avec le projet de loi C-7. Sachez qu’après mûre réflexion, j’ai conclu que les personnes qui souffrent uniquement de troubles mentaux et qui satisfont aux critères du projet de loi C-7 méritent que de faire l’objet d’une évaluation équitable en vue de recevoir l’AMM. Un refus de leur accorder cette évaluation, malgré la probabilité que peu d’entre elles reçoivent une réponse positive, est discriminatoire et semble contrevenir à l’article 15 de la Charte.
Dans les prochains instants, je traiterai des points qui ont été soulevés à titre d’objections au sujet de l’AMM en ce qui concerne exclusivement les personnes atteintes de troubles mentaux.
Parlons d’abord de la différence entre les troubles physiques et les troubles mentaux. Il s’agit d’une fausse distinction dans le concept de maladie, puisque ces deux troubles se chevauchent beaucoup. Nombreuses sont les personnes malades physiquement qui souffrent de tristesse et de dépression. Après tout, le cerveau est un organe physique, et les recherches ont révélé qu’il a un fonctionnement anormal dans la plupart des maladies mentales. La dépression et d’autres maladies mentales peuvent causer des symptômes et des troubles physiques, comme des maladies cardiaques. Qu’ils soient atteints de maladie physique ou mentale, les gens éprouvent une souffrance terrible, incoercible et intolérable.
Le prochain sujet est celui des troubles incurables et irrémédiables. La plupart des médecins, y compris les psychiatres, sont optimistes, ce qui est bénéfique tant pour eux que pour les patients. Après tout, qui voudrait d’un médecin pessimiste? Et l’espoir est en soi thérapeutique. Cependant, les politiques doivent s’appuyer sur la réalité et non sur des rêves, et seul un médecin qui se raconte des histoires pense pouvoir guérir tout le monde. Les meilleures preuves disponibles indiquent que le traitement de la démence a des résultats extrêmement faibles. Pour la dépression, même après quatre changements d’antidépresseurs, seulement 67 % d’une cohorte de près de 4 000 patients américains se sont rétablis. Il existe bien d’autres études.
Pour être juste, précisons que des traitements supplémentaires sous la forme de psychothérapie, de thérapie électroconvulsive, d’électrochocs, de nouvelles techniques de neurostimulation comme la stimulation magnétique transcrânienne répétitive, la kétamine ou les hallucinogènes peuvent offrir des résultats légèrement meilleurs chez des patients triés sur le volet. Par contre, les résultats à long terme pour un éventail d’autres troubles mentaux, comme la schizophrénie, les troubles de l’alimentation et les troubles neuropsychiatriques, révèlent qu’un nombre substantiel de troubles sont irrémédiables. Une étude de la souffrance psychiatrique irrémédiable dans le contexte de l’AMM traite plus en détail de la question et figure dans les documents que je vous ai remis. Vous y trouverez des références à ce sujet.
Le troisième sujet est celui de l’évaluation de la capacité et de la compétence. Au cours de leur formation, tous les psychiatres apprennent à évaluer la capacité et à déterminer si une psychopathie ou des facteurs externes entrent en jeu. J’enseigne ce sujet depuis près de 50 ans. Il faut procéder à l’évaluation de la capacité pour obtenir le consentement ou le refus du traitement psychiatrique pour les patients malades physiquement qui pourraient refuser des traitements salvateurs; qui demandent la cessation de thérapies visant à préserver la vie; qui veulent quitter l’hôpital en dépit des conseils médicaux; qui signent une procuration ou nomment un mandataire; qui rédigent un testament; ou qui acceptent de faire un don d’organe vital aux fins de transplantation. Les médecins effectuent constamment de telles évaluations. En cas de doute au sujet de la capacité, une panoplie d’outils d’évaluation fondés sur des données probantes pourraient s’avérer utiles.
Une étude a montré que pour une même entrevue, il y avait une excellente entente entre les psychiatres au sujet des évaluations de la capacité. Tous les psychiatres devraient être capables d’effectuer ces évaluations, et la plupart en font régulièrement. Je crois comprendre que les médecins de famille reçoivent également de la formation à cet égard.
Le quatrième sujet est celui de la suicidalité. Je traiterai brièvement de la question, car je suis certaine qu’elle refera surface pendant la période de questions. Permettez-moi toutefois de faire remarquer que les pays qui autorisent l’AMM pour cause de troubles mentaux, comme la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse, offrent tous des programmes de prévention active du suicide, ne notent pas d’augmentation des taux nationaux de suicide et ont instauré des mesures de sauvegarde, dont je parlerai plus loin.
Le quatrième sujet est celui de mon expérience clinique et de mes recherches. J’ai procédé à l’évaluation d’environ 200 patients en vue de l’AMM, principalement pour le Réseau universitaire de santé, mais aussi quelques-uns au sein de la communauté. Plusieurs de ces personnes avaient un trouble mental, habituellement une dépression, en plus d’une maladie physique mettant leur vie en danger. Le défi consiste à déterminer si la dépression motive ou non la personne à demander l’AMM, et il n’est habituellement pas difficile de le faire.
J’ai également été chargée d’évaluer trois personnes réclamant l’AMM en Suisse uniquement pour un trouble mental. Aucune d’entre elles n’était admissible, selon moi. Pour deux de ces patients, toutefois, j’ai pu déceler des lacunes dans les traitements qui leur étaient offerts et qu’ils étaient disposés à poursuivre. J’ai également rencontré un nombre infime de patients qui seraient vraisemblablement admissibles à l’AMM s’il la demandaient, et ce, après qu’on a procédé à une évaluation exhaustive et rigoureuse et appliqué des mesures de sauvegarde, que je vous décrirai plus loin.
Certains détracteurs de l’AMM ont fait valoir que l’épuisement professionnel et la dépression augmenteront chez les médecins et les infirmières qui prodiguent l’AMM. Or, l’étude de recherche que j’ai effectuée sur 131 évaluateurs et prestataires de l’AMM au Canada révèle des taux de résilience supérieurs à ceux qui figurent dans une étude nationale des médecins américains. En outre, les médecins et les infirmières praticiennes prodiguant l’AMM affichent des taux élevés de facteurs de protection, comme la satisfaction ressentie lorsqu’ils prodiguent des soins empreints de compassion, atténuent la souffrance, augmentent l’autonomie du patient, accomplissent un travail satisfaisant du point de vue professionnel et considèrent comme un honneur et un privilège d’offrir l’AMM.
Je veux enfin parler des mesures de sauvegarde. Je suis d’avis que des mesures de sauvegarde s’imposent pour les personnes qui demandent l’AMM uniquement en raison de troubles mentaux. Il s’agirait notamment de critères pour une évaluation exhaustive portant sur la durée et la gravité, d’un historique de traitement adéquat, d’un désir répété et mûrement réfléchi de recevoir l’AMM, et de la consultation après d’équipes de traitement et d’autres intervenants importants.
Je considère également qu’un des évaluateurs devrait être un psychiatre possédant de l’expérience dans le traitement fondé sur les données probantes du trouble mental concerné. Il faudrait aussi envisager la création d’un petit groupe virtuel qui pourrait, à titre prospectif, examiner la documentation et interroger le patient pour prévenir de potentiels abus. Nous pourrons en parler plus en détail au cours de la période de questions.
En conclusion, même si l’AMM offerte uniquement en raison de troubles mentaux exigera une réflexion complexe, comme je l’ai souligné plus tôt, la tâche n’est pas insurmontable. L’accès équitable aux services cliniques est essentiel pour veiller à ce que les personnes ne réclament pas l’AMM par manque de traitement ou de soutien.
Bref, les patients atteints de maladies ou de troubles mentaux ne devraient pas être rejetés de manière discriminatoire seulement en raison de leur incapacité et devraient se voir offrir les mêmes options que toutes les autres personnes au chapitre de l’AMM.
Je vous remercie beaucoup de votre attention.
La présidente : Je vous remercie beaucoup, madame Stewart.
Nous entendrons maintenant le Dr Gary Chaimowitz, président du Groupe de travail sur l’AMM de l’Association des psychiatres du Canada, et professeur de psychiatrie au département de psychiatrie et de neurosciences comportementales de l’Université McMaster. Il est coauteur de l’énoncé de position de l’Association des psychiatres du Canada sur l’AMM. Vous pouvez faire votre exposé, monsieur.
Dr Gary A. Chaimowitz, professeur de psychiatrie, département de psychiatrie et de neurosciences comportementales, Université McMaster, à titre personnel : Bonjour, madame la présidente et honorables sénateurs. Je vous remercie beaucoup de m’offrir l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je comprends que vous avez devant vous une tâche importante, mais difficile. En guise de présentation, je dirai que je suis psychiatre légiste pour l’Université McMaster et St. Joseph’s Healthcare, à Hamilton, mais c’est à titre personnel que je témoigne aujourd’hui. Les opinions que j’exprimerai sont les miennes et non celles des diverses organisations dont je fais partie.
J’offre mes brèves observations dans l’espoir qu’elles vous aideront lors de l’élaboration de la loi. Voici, à titre de principes directeurs généraux, quelques points clés dont je pense qu’ils pourraient s’appliquer en l’espèce. J’admets que l’AMM, particulièrement lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, soulève la controverse, chaque partie exprimant ses opinions avec vigueur. Je prends acte de la passion et des opinions de ceux et celles qui ont pris le temps de se prononcer sur cette question importante.
Les décisions relatives à une question complexe comme l’AMM témoignent de la volonté des Canadiens. Bien entendu, les médecins travailleront dans le cadre de la loi malgré leur opinion personnelle. Ce sont toutefois des acteurs clés qui ont, selon moi, une opinion éclairée à exprimer dans le débat.
Il s’agit d’une question difficile et complexe pour tous les Canadiens. Pour les médecins qui se sont donné comme mission de sauver des vies, le sujet peut être difficile. Ils promettent de ne causer aucun tort, mais quelle est la définition d’un tort pour la personne qui souffre? Lui fait-on du tort en ne l’aidant pas? Tous mes collègues des deux côtés du débat veulent ce qu’il a de mieux pour les patients qu’ils servent, mais qui décide et qui définit ce qui est le mieux, et à partir de quel point la société détermine-t-elle ce qui est le mieux pour un patient, sans égard à ce que ce dernier considère lui-même comme étant ce qu’il est le mieux pour lui? Tout ce qu’on lit dans la documentation sur l’AMM témoigne de ce que je connais des évaluateurs et des prestataires de l’AMM, c’est-à-dire des médecins qui sentent peser sur eux le poids de leur responsabilité et qui pèsent soigneusement le pour et le contre. Ces fournisseurs de soins attentifs et réfléchis voient au-delà des symptômes et du diagnostic pour tenir compte de la personne, de ses besoins, de son expérience et de sa volonté.
La société canadienne a évolué, et la médecine paternaliste est devenue plus égalitaire, à défaut de l’être encore complètement. Dans ma carrière, j’ai vu comment nous sommes passés d’un système évitant de dévoiler un diagnostic à des patients et considérant que les femmes sont incapables de supporter des nouvelles difficiles à un système évolué de soins palliatifs offrant confort, dignité et soins globaux, dans le cadre duquel il est acceptable de cesser les traitements qui maintiennent les patients en vie, où le consentement à recevoir un traitement et la capacité à le recevoir sont acceptés et précisés, et où les femmes peuvent contrôler ce qui arrive à leur corps.
C’est donc dans la sphère des droits de la personne que je cadre notre discussion sur l’AMM, particulièrement lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. C’est ma vie, ce sont mes choix. C’est votre vie, ce sont vos choix. La société canadienne a cessé de priver certains groupes ou catégories de personnes de leur droit de faire des choix à propos de leur vie et de leur mort, à l’exception des personnes atteintes d’un trouble mental, bien entendu. Sommes-nous donc prêts à déclarer que ces personnes ne sont pas protégées par les mêmes droits de la personne que le reste d’entre nous et ne bénéficient pas des mêmes droits qu’une personne ayant une autre maladie peut-être moins stigmatisée? Nous continuons de prendre des décisions pour les personnes ayant une maladie mentale. Nous devrions peut-être leur poser les mêmes questions et leur offrir les mêmes choix qu’aux autres personnes.
Dans le deuxième volet de mon exposé, je veux formuler trois remarques. D’abord — et vous l’avez entendu dire —, les diagnostics psychiatriques concernent des conditions médicales réelles. Nous devons admettre la complexité de ces maladies et la nécessité d’effectuer continuellement des recherches pour mieux les comprendre. Dans le cas du cancer, les recherches donnent lieu à de grandes avancées, mais cela n’allégera pas la souffrance de ceux qui souffrent actuellement et pour qui la recherche et les nouveaux développements n’arrivent pas assez rapidement.
Les patients atteints de troubles mentaux, ce ne sont pas les autres, c’est nous. Ce sont nos mères, nos pères, nos fils, nos filles, nos amis et nos collègues. La dépression et les troubles connexes ont des limites floues et frappent à des moments où la vie est porteuse de tristesse et de désespoir. Le trouble dépressif majeur est un trouble distinct, pour lequel nos traitements sont bons, mais imparfaits. Plus de 10 % des gens atteints de dépression sont considérés comme résistants à un éventail de traitements. La dépression qui ne répond pas au traitement peut malheureusement avoir des effets débilitants, dévastateurs, graves et irrémédiables. Il en va de même de troubles psychotiques comme la schizophrénie. Lorsque, occasionnellement, le traitement est inefficace, les patients souffrent d’une douleur psychologique insupportable.
Sachez que sur le plan des troubles psychiatriques, nous constatons que pendant les phases aiguës, la cognition peut subir des effets délétères pouvant priver la personne de sa capacité de prendre des décisions rationnelles. Voilà pourquoi il existe des lois pour définir la capacité à prendre des décisions en matière de traitement. Une abondante documentation traite de la capacité, de la compétence et du consentement, et nos lois et la jurisprudence fournissent les mesures de sauvegarde qui sont enchâssées dans nos pratiques psychiatriques, dont elles forment une part importante. Pour obtenir le consentement au traitement, la personne concernée doit avoir toute sa capacité de décision, et les psychiatres possèdent à cet égard une formation et des compétences poussées qu’ils exercent régulièrement. La personne doit avoir la capacité d’accepter ou de refuser un traitement; ainsi, une personne atteinte d’un trouble mental qui demande l’AMM doit faire évaluer sa capacité de décision. À mon avis, les psychiatres sont particulièrement qualifiés pour le faire.
Ces importantes mesures de sauvegarde en matière de décision doivent être en place si on appuie l’AMM lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. La question la plus difficile est probablement celle du suicide et de son lien avec l’AMM. On peut affirmer sans crainte de se tromper que nous sommes tous susceptibles d’être touchés directement ou indirectement par le suicide. Ce qu’il faut se demander, c’est si l’AMM aidera des Canadiens suicidaires à accéder à l’AMM pour qu’un médecin les aide à mourir. Le nihilisme thérapeutique s’immiscera-t-il dans les pratiques médicales? L’AMM deviendra-t-elle la voie facile pour les patients qui veulent mettre fin à leurs jours? Tragiquement, 4 000 Canadiens s’enlèvent la vie chaque année. Le désespoir et la détresse qu’ils doivent avoir éprouvés sont inimaginables, et les répercussions sur la famille et les amis le sont tout autant. Malheureusement, malgré tous les efforts que nous avons déployés pour éradiquer le suicide, nous n’avons pas réellement été capables de réduire notre taux national de suicide, qui est de 10 suicides par 100 000 habitants annuellement.
Pour voir la question dans un autre contexte, aux Pays-Bas — un pays qui a parcouru beaucoup de chemin sur le plan de l’AMM et qui affiche un taux de suicide presque identique à celui du Canada —, 70 citoyens néerlandais ont choisi l’AMM pour des motifs psychiatriques en 2018. L’AMM n’a pas provoqué de mouvement de masse vers la mort, mais elle a peut-être permis à certaines personnes de ne pas mourir seules alors qu’elles mettaient fin à une douleur intolérable. La population s’est adaptée, et ce sont quelque 140 Canadiens capables de prendre une décision en matière de traitement qui ont déterminé qu’en raison de leur maladie psychiatrique, leur souffrance était intolérable. Ce serait notre équivalent. Je souligne qu’il ne s’agit pas d’une invitation au suicide de masse, mais plutôt qu’une acceptation du fait que les gens atteints de troubles mentaux ont le droit de faire un choix éclairé et compétent.
Le fait d’autoriser l’AMM lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée pourrait avoir pour effet d’encourager des personnes suicidaires qui ne se seraient pas enlevé la vie à demander l’AMM. Je considère toutefois que si l’on souffre en silence dans sa prison de désespoir et de honte, il faudrait s’adresser au milieu médical pour obtenir l’AMM. Paradoxalement, la personne en question pourrait ainsi avoir accès pour la première fois aux traitements dont elle a désespérément besoin. La honte et l’accès aux soins figurent parmi les nombreux obstacles aux soins.
La présidente : Docteur, puis-je vous demander de conclure votre exposé?
Dr Chaimowitz : Oui, je vous remercie. Comme des traitements seront offerts, l’espoir émergera. Nous avons fort à faire pour améliorer les services de santé mentale et les services sociaux, et pour soutenir l’accès aux soins. La question exige notre attention de toute urgence. L’AMM n’est pas la première option. Cependant, il n’est pas équitable ou juste de refuser à une partie de la population l’accès à l’AMM lorsque la question a été adéquatement évaluée et examinée, simplement parce que ces personnes ont une maladie mentale. Je vous remercie beaucoup.
La présidente : Je vous remercie beaucoup. Nous accorderons maintenant la parole à Trevor Hurwitz, médecin et professeur clinique au département de psychiatrie de l’Université de la Colombie-Britannique, dont les recherches portent sur l’euthanasie et la maladie mentale.
Dr Trevor A. Hurwitz, médecin et professeur clinique, département de psychiatrie, Université de la Colombie-Britannique Je vous remercie. Mes recherches ne portent pas sur l’euthanasie, mais j’ai quelque chose à ajouter au débat.
Je voudrais remercier le Sénat de m’avoir invité à témoigner. Je considère qu’il s’agit d’un honneur et d’un privilège. Les opinions que j’exprimerai sont les miennes et non celles de l’université ou de l’hôpital où je travaille. Je veux m’attarder à une grande question : celle des conditions médicales graves et irrémédiables, de la compréhension de la souffrance intolérable et de ce que cela signifie pour le projet de loi C-7.
Quiconque veut mourir, a un plan à cette fin et a des pensées suicidaires actives est atteint de maladie mentale. La maladie mentale en question est presque toujours une grave dépression. Les patients atteints de conditions médicales souffrent et meurent. L’euthanasie est une demande pour connaître une fin paisible, mais prématurée. Les patients ayant une maladie mentale souffrent, mais ne meurent pas. Ils sont suicidaires parce qu’ils veulent échapper à une souffrance psychologique grave et chronique. Le patient a un projet suicidaire clair, comme un mélange mortel de médicaments, et veut connaître une mort sereine et digne. De telles demandes ne sont jamais accueillies en phase aiguë. Lors du contact initial, aucun psychiatre ne considérait que les pensées suicidaires d’un patient sont compréhensibles, sympathiserait avec lui et le renverrait pour qu’il mette fin à ses jours. Pire encore, aucun psychiatre n’envisagerait d’aider le patient à concrétiser son souhait. Le patient est atteint d’une grave maladie mentale. L’hospitalisation et le traitement involontaire devraient suivre au besoin pour sauver la vie du patient. Le désir de bien faire prime toujours sur le droit à l’autodétermination.
Après des années, ce même patient demeure atteint de dépression chronique et endure une souffrance psychologique intolérable. Pour lui, seule la mort peut lui apporter du soulagement. Il pense que plus rien ne peut l’aider et que la mort est le seul traitement qu’il veut. Ce patient n’est pas en crise. Il présente sa demande comme étant le fruit d’une introspection approfondie après des années de souffrance. Mais si nous pouvions mettre fin à sa douleur psychologique?
Je pense qu’en Colombie-Britannique, nous disposons des seules preuves empiriques qui existent, lesquelles ont été recueillies dans le cadre de notre travail sur l’opération au système limbique comme traitement de la dépression. En 1998, nous avons commencé à offrir une opération au cerveau connue sous le nom de capsulotomie antérieure bilatérale pour traiter la dépression résistante. Cette procédure consiste à sectionner deux câbles neurologiques, un de chaque côté du cerveau. L’un des effets les plus frappants de cette opération est l’effet répétitif sur la suicidalité en raison d’une réduction de la tristesse. Les patients doivent être malades depuis plus de cinq ans pour qu’on envisage de leur offrir cette opération.
Après l’opération, la tristesse et la suicidalité disparaissent instantanément. J’ai une vidéo de trois minutes et demie — qui se trouve entre les mains du greffier —, et si vous voulez la visionner, vous devrez demander la permission d’avoir plus de temps. L’effet que vous observerez est frappant et durable. Il vaut la peine de réfléchir à ce qui se passe là. La manière de penser du patient change instantanément, sans que la situation ou la médication ne changent. Fait très important, l’opération ne modifie pas les capacités cognitives, mais la tristesse pathologique a disparu de l’équation. C’est la tristesse elle-même qui est la maladie. Elle était la cause des pensées suicidaires en phase aiguë et en demeure la cause en phase chronique. Il est normal et rationnel d’éviter la mort, et irrationnel de souhaiter la mort. La rationalité est immédiatement rétablie quand la tristesse maladive est éliminée.
Ce n’est pas la chronicité qui fait que ces patients veulent l’euthanasie. La maladie du cerveau présente initialement est encore là des années plus tard. Ces patients ont besoin de protection et de traitements, pas de collusion avec la maladie mentale. L’implication de l’effet de l’opération est sans équivoque. Le trouble dépressif est une maladie médicale du cerveau, une perturbation biologique du réseau cérébral. Quand les choses prennent un tour pathologique, comme c’est le cas lors de troubles dépressifs, une tristesse intense et inexplicable se manifeste, et des pensées à l’équilibre pathologique et des options de résolution de problème comme le suicide semblent être la seule solution raisonnable. Coupez les câbles, et la tristesse et les pensées suicidaires disparaissent.
L’opération du système limbique fait ressortir deux points très importants : d’abord, le rôle crucial des émotions dans la prise de décisions, et le fait que la maladie mentale qui pousse les patients au suicide n’est pas irrémédiable. La psychiatrie offre de nombreuses options de traitement. Quel est notre taux de succès? Au cours des 22 années au cours desquelles j’ai dirigé ce programme, seulement 12 patients ont reçu l’opération en Colombie-Britannique, qui compte une population de 5 millions d’habitants. Notre expérience est aussi directement pertinente pour d’autres causes de souffrance psychologique grave. La souffrance est parfois le résultat d’une grave privation psychosociale. En pareil cas, la souffrance intolérable s’appelle plutôt démoralisation et ne devrait pas être médicamentée. Nous ne la traitons pas avec des médicaments et n’offrons pas l’euthanasie. Nous préconisons la déstigmatisation sociale et l’accès au soutien et aux services manquants. La démoralisation ne devrait jamais être un motif d’euthanasie. Les patients ont besoin d’un soulagement de leur privation psychosociale, pas d’une mort autorisée et donnée par l’État.
La deuxième figure de cas est celle de la souffrance intolérable causée par une douleur grave ou un handicap physique. Les pièges sont nombreux ici. L’affaire d’E.F., que vous connaissez, l’illustre fort bien. Chez cette femme atteinte de handicaps physiques, la douleur émotionnelle s’était convertie en douleur et en incapacité physiques, une condition connue sous le nom de trouble de conversion. Elle a reçu l’euthanasie en Colombie-Britannique en 2016 sans qu’on lui ait conseillé ou offert des soins psychiatriques appropriés.
Voici enfin deux points saillants au sujet du traitement chirurgical de la dépression résistante au traitement. Premièrement, la souffrance intolérable, peu importe la cause, perturbe la pensée et affaiblit la capacité valide. L’avenir semble sans espoir, le traitement ne vaut rien et la mort constitue la seule issue. Deuxièmement, dans tous les cas, le désir de bien faire doit, ici encore, primer sur l’autonomie du patient.
Je vous remercie de votre attention et de l’occasion que vous m’avez offerte de prendre la parole devant vous.
La présidente : Je vous remercie beaucoup.
Sénateurs, c’est le greffier qui a la vidéo. Si vous souhaitez la visionner, vous pouvez l’en informer. Je vous remercie beaucoup, docteur Hurwitz.
Nous entendrons maintenant le Dr John Maher, psychiatre pour l’Équipe de traitement communautaire dynamique de Barrie, président de l’OAAF et rédacteur en chef du Journal of Ethics in Mental Health. Ses travaux universitaires se spécialisent en éthique médicale et portent notamment sur les questions de compétences.
Dr John Maher, psychiatre, Équipe de traitement communautaire dynamique de Barrie; président, OAAF; rédacteur en chef, Journal of Ethics in Mental Health, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup. Madame la présidente et honorables sénateurs, je vous remercie de votre invitation.
Le Canada offre l’AMM, mais pas de soins palliatifs, d’aide aux personnes handicapées ou de soins de santé mentale universels. Nous félicitons-nous de notre compassion parce que nous offrons aux gens une manière plus facile de mourir alors que nous les privons des ressources dont ils ont besoin pour vivre? Comment justifier ce projet de loi alors que les droits à la santé de Canadiens sont ignorés et non protégés? Est-ce là le libre choix au Canada?
J’ai étudié pendant neuf ans pour devenir éthicien médical et neuf autres pour devenir psychiatre. Je suis médecin depuis 26 ans, et j’ai travaillé pendant six ans dans le domaine du cancer infantile et quatre ans dans celui des soins palliatifs pour adultes. J’ai aidé des centaines de personnes à mourir et je sais en quoi consistent les bons soins palliatifs. Depuis 18 ans, je me sous-spécialise en psychiatrie et je n’ai traité que des personnes atteintes de maladie mentale extrêmement grave et très résistante. Des 5 000 psychiatres que compte le Canada, 150 effectuent ce genre de travail. Je suis actuellement président de l’association qui représente les équipes de 80 ACT qui soignent les personnes les plus malades et les plus vulnérables en Ontario. Cette association s’oppose à l’AMM pour cause de maladie mentale.
Les relations cliniques sont déjà profondément perturbées. Mes patients me demandent : « À quoi bon chercher à me rétablir alors que l’AMM sera offerte et que je pourrais choisir de mourir? » Certains de mes patients continuent de réclamer l’AMM alors que leur état s’améliore sans qu’ils puissent encore s’en rendre compte. Certains considèrent que l’AMM est plus acceptable moralement parce que la loi ou un médecin le dit. Cette façon de penser s’accompagne de tous les mirages idéalisés de confort médical et les soulage du sentiment de culpabilité qui va de pair avec le suicide.
Ceux qui affirment que le suicide est impulsif et violent, alors que l’AMM est mûrement réfléchie, paisible et digne définissent de façon arbitraire ce qu’est le suicide en dehors d’un contexte terminal. L’ingénierie sociale commence toujours par l’ingénierie linguistique. Le suicide consiste à prendre des mesures pour s’enlever la vie, peu importe ce que sont ces mesures.
Tragiquement, certains de mes patients se sont tués de manières mûrement réfléchies et paisibles: 75 % des gens orchestrent soigneusement leur propre suicide. Le fait de décrire le suicide comme un acte irrépressible, impulsif et violent ne correspond pas à la réalité, perpétue les stéréotypes véhiculés par les médias et est stigmatisant. Pour dire les choses clairement, l’American Association of Suicidology n’appuie pas l’affirmation selon laquelle l’AMM ne constitue pas un suicide dans le contexte d’une maladie terminale.
La maladie mentale est associée à une mort certaine et à l’absence d’espoir. La maladie mentale, quant à elle, n’entraîne pas la mort; il y a toujours de l’espoir. Ce sont deux états profondément différents. En disant qu’il s’agit de la même chose aux fins de l’aide médicale à mourir, on laisse de côté la logique au profit de l’idéologie. Avec la suppression de la disposition sur la « mort raisonnablement prévisible », l’emploi du critère « irrémédiable » est en fait modifié de « définitivement irrémédiable » à « possiblement irrémédiable ». « Possiblement », est-ce assez quand ce ne sont pas six mois que la personne risque de perdre, mais 60 ans? Voici la maxime morale à appliquer : En cas de doute, ne le faites pas.
Il est impossible de déterminer si une maladie psychiatrique est irrémédiable. Certaines personnes se rétablissent en deux ans, d’autres en 15 ans. Souvent, des psychiatres me renvoient des patients et me disent qu’ils n’iront jamais mieux. Or, on arrive à accroître le contrôle des symptômes et à réduire la souffrance de ces patients lorsqu’ils ont enfin accès à des soins intensifs. Sans des soins adéquats, les maladies remédiables peuvent sembler irrémédiables. Si l’on n’arrive pas à contrôler les symptômes avec un bon traitement, on peut tout de même réduire la souffrance grâce à des mesures d’adaptation naturelles, aux habiletés d’adaptation, à la réduction de la pauvreté et de la solitude, et au confort de relations de qualité avec les autres. En partageant la souffrance, elle devient moins lourde à porter.
Parmi les Canadiens qui ont fait une tentative de suicide, seuls 23 % vont recommencer, et 7 % en arriveront à la mort. La plupart du temps, les pensées suicidaires sont ambivalentes. Il ne faut pas adopter une loi qui permettra à des gens de mourir alors que la guérison ou l’adaptation sont possibles. En facilitant l’accès au suicide, on commet un geste impossible à défendre sur le plan éthique. On ne peut pas offrir à ces gens un fusil doré et aseptisé. Cette offre incitera des gens à passer à l’acte.
Il est aussi indéfendable d’offrir le suicide parce qu’un traitement efficace est refusé ou n’est pas disponible. La mort ou l’absence de traitement ne représente pas un choix autonome, déjà que seule une personne sur trois obtient de l’aide à l’heure actuelle.
Je vais faire une analogie au sujet de la façon dont sont offerts les soins psychiatriques externes à des milliers de patients en Ontario. Disons que vous avez un accident, qui vous laisse quadriplégique, et qu’on vous laisse au lit pendant des années. On vous nourrit, on vous donne des antidouleurs parfois, mais on ne vous aide pas à vous réhabiliter; vous n’avez aucun lien social. Peut-on s’étonner que vous ayez des idées suicidaires?
La recherche sur la qualité de vie place les conséquences de la schizophrénie au même niveau que celles associées à la quadriplégie. Nous avons le pouvoir d’aider ces gens, mais il faut des ressources. À l’heure actuelle, 6 000 personnes attendent jusqu’à cinq ans pour recevoir les soins spécialisés qu’offrent les membres de mon équipe. Dans l’intervalle, ils multiplient les visites à l’hôpital, où on leur offre des solutions temporaires à de graves problèmes. Ce sont des maladies dégénératives. C’est comme si vous aviez une tumeur au cerveau et que vous deviez attendre des années avant d’avoir accès à la chimiothérapie, alors que vous étiez de plus en plus malade. Ces patients sont victimes de stigmatisation et de discrimination systématiques et systémiques.
La plupart des Canadiens ne sont pas au courant de ce sprint législatif propulsé de façon artificielle, et seulement environ 10 % des psychiatres ont donné leur avis sur le sujet. Mes collègues sont choqués d’apprendre qu’on pourrait offrir la mort à ces personnes sans exiger qu’elles aient essayé au moins tous les traitements standards. Il ne fait absolument aucun doute que les patients qui auraient pu voir leur état s’améliorer mourront si la maladie mentale n’est pas exclue du projet de loi C-7. Selon les recherches, si 100 psychiatres évaluent une personne aux capacités décisionnelles incertaines, 35 d’entre eux auront une opinion, et 65 en auront une autre. Les psychiatres ont des compétences et des niveaux d’expérience variés. Ils ont aussi des préjugés, comme tout le monde. Comme c’est le cas dans les pays du Benelux, certains psychiatres deviendront des « super aidants » en matière de suicide si nous légalisons cette pratique. Les patients se magasineront un médecin, jusqu’à la mort.
Les parents d’une jeune femme m’ont demandé récemment si j’allais aider leur fille à guérir, ou la tuer. La perversion morale de tout cela m’est alors apparue très claire. Mesdames et messieurs les sénateurs, s’il vous plaît, je vous demande, avec toute votre sagesse, de protéger les gens qui souffrent de maladie mentale et qui ont besoin d’aide pour vivre, pas pour mourir... Mes patients et les autres.
La présidente : Nous allons maintenant entendre le Dr Mark Sinyor. Il est spécialiste des troubles de l’humeur et dénonce notamment le manque d’uniformité des données sur l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de maladie mentale.
Dr Mark Sinyor, professeur associé; psychiatre, Université de Toronto, Centre des sciences de la santé Sunnybrook, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui. Je comparais devant vous à titre personnel. Les opinions que j’évoque sont les miennes uniquement. Je suis toutefois professeur associé en psychiatrie à l’Université de Toronto et psychiatre spécialisé dans le traitement des adultes qui souffrent de troubles de l’humeur complexes et d’anxiété. Ma recherche se centre sur la prévention du suicide et, de façon particulière, sur la façon dont la couverture médiatique et les messages véhiculés dans la société ont une incidence sur le suicide. Jusqu’à tout récemment, j’étais vice-président de l’Association canadienne pour la prévention du suicide. Je suis l’auteur principal des Lignes directrices de la couverture médiatique du suicide, qui visent à orienter les médias canadiens sur la façon d’aborder le suicide. Je suis aussi membre du groupe directeur de l’International COVID-19 Suicide Prevention Research Collaboration.
Je dois vous dire que je ne participe pas à l’évaluation de l’aide médicale à mourir ni à sa prestation. Je n’ai pas non plus d’objection de conscience à l’aide médicale à mourir et je n’ai pas de préoccupations d’ordre professionnel au sujet de son utilisation, lorsqu’elle est offerte en fin de vie, comme il est décrit dans la version précédente de la loi.
À des fins de transparence, mon objectif professionnel — tant de façon générale que dans le cadre des présentes délibérations — est de contribuer au meilleur de mes compétences à la diminution de la prévalence du suicide dans la société canadienne. C’est selon cet angle que j’aborderai certaines de mes préoccupations dans le cadre de mon témoignage.
Le suicide doit être au cœur de notre discussion aujourd’hui, parce que les liens entre l’aide médicale à mourir dont il est question depuis l’affaire Carter et le suicide sont minimes. Le lien entre l’aide médicale à mourir en cas de maladie physique, dont il était question dans l’affaire Truchon et Gladu, et le suicide est possible. Toutefois, il peut être difficile — voire impossible — de faire une distinction fiable entre l’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale et le suicide, tant sur le plan individuel que d’un point de vue public. Il faut donc porter une attention particulière au suicide dans le cadre de ces délibérations.
En fait, il est inapproprié de parler d’aide médicale à mourir, parce qu’il ne s’agit plus de faciliter la mort dans le cadre d’un processus qui est déjà en cours, mais plutôt de provoquer la mort des années ou des décennies avant qu’elle n’arrive de façon naturelle, pour mettre un terme à la souffrance émotionnelle, ce qui correspond en gros à la définition du suicide. On parle ici d’une mort assistée par un médecin, ou plus précisément, d’une mort provoquée par un médecin.
J’ai eu l’occasion d’entendre certains des témoignages précédents et je constate qu’on résume bien les arguments philosophiques complexes des deux côtés. Je partage les préoccupations du Dr Rajji et du Dr Gaind au sujet du manque de données probantes claires sur ce qui constitue une maladie mentale irrémédiable et sur la possibilité pour les psychiatres de prévoir un tel phénomène avec fiabilité. Les données probantes émanant de mon travail et de celui de mes collègues à l’international montrent également qu’en évoquant le recours à la mort à titre de réponse à la souffrance émotionnelle, on encourage le suicide parmi la population, tandis qu’en se tournant plutôt vers l’espoir, la survie et la résilience, on peut réduire la prévalence du suicide.
Il est tout à fait juste de dire que l’approbation de l’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale par le gouvernement du Canada irait à l’encontre des messages fondés sur les données probantes que la communauté de la prévention du suicide tente de propager. Selon les résultats d’enquêtes précédentes, la majorité des psychiatres du Canada qui s’opposent à l’aide médicale à mourir à titre d’intervention dans les cas de maladie mentale partagent ces préoccupations.
J’ai également écouté les arguments énergiques et sincères des psychiatres qui forment une minorité, comme vous l’avez entendu ici cet après-midi. Dans une telle situation, où les hypothèses vont dans des directions différentes, qui a raison? La réponse honnête est que nous ne le savons pas avec une certitude raisonnable. Nous avons un mécanisme pour trancher entre des hypothèses concurrentes en science, et il se fonde sur des études et des données scientifiques rigoureuses. Malheureusement, il est de mon devoir de signaler que ceux qui plaident en faveur de ce changement législatif n’ont pas mené les recherches ou fourni les preuves nécessaires pour étayer soigneusement leurs affirmations.
Je vais expliquer en quoi cela pose un problème en utilisant l’analogie d’un vaccin contre la COVID-19. Des vaccins avaient déjà été mis au point au début de l’année 2020. Le premier essai de Pfizer a commencé en avril de l’année dernière et, à ce stade, la plupart d’entre nous auraient probablement convenu qu’il était bon en principe d’inoculer la population; pourtant, nous ne l’avons fait qu’à la fin décembre. Entretemps, des millions de personnes sont mortes dans le monde. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de tollé parmi les scientifiques et les bioéthiciens? La réponse est qu’il aurait été inapproprié de fournir un vaccin sans d’abord en tester rigoureusement l’innocuité et l’efficacité pour l’ensemble de la population. Les chercheurs devaient caractériser les effets de la COVID-19 en l’absence de vaccin, quantifier la manière dont la vaccination atténuait ces effets, puis quantifier soigneusement tous les effets néfastes potentiels et imprévus et démontrer qu’ils ne l’emportaient pas sur les avantages.
C’est le processus établi pour la proposition de nouvelles interventions médicales. Quelle serait la procédure à suivre pour établir, s’il est possible de le faire, la sécurité d’une mort provoquée par un médecin pour cause de maladie mentale? Premièrement, il faudrait que la profession développe et valide des instruments permettant d’identifier ce qui constitue le seuil de souffrance intolérable. Deuxièmement, il faudrait mener des études pour déterminer si les patients recevant un large éventail de traitements psychiatriques continuent à éprouver des souffrances intolérables par la suite.
Il convient de noter que cela n’a jamais été étudié en réalité; les recherches antérieures n’ont examiné que les symptômes et les déficiences fonctionnelles en cours. Même s’ils sont liés, ce n’est pas la même chose.
Troisièmement, si ce phénomène est quantifié, il faut proposer des processus uniformisés permettant de prédire qui, parmi les patients psychiatriques, continuera à éprouver des souffrances intolérables.
Quatrièmement, il faut mener des études pour estimer la fréquence à laquelle ces prévisions sont erronées — soit les cas dont on dit qu’ils sont des faux positifs.
Et cinquièmement, il doit y avoir une foule d’études examinant d’autres préjudices connexes, tels que la contagion du suicide, pour s’assurer qu’ils ne dépassent pas les bienfaits. J’aimerais que des données existent, car nous pourrions alors avoir une conversation éclairée sur la manière de procéder. Malheureusement, ce domaine de recherche encore embryonnaire vous a été présenté comme un domaine où ces réponses sont déjà bien comprises et résolues. Ce n’est pas le cas.
Nous pouvons tous avoir des opinions, mais en tant que pays, nous devons soutenir la science plutôt que la rhétorique, aussi judicieuse ou véhémente soit-elle. Si la mort provoquée par un médecin devient légalement accessible aux Canadiens qui souffrent uniquement d’une maladie mentale, il est très probable que de nombreuses personnes dont l’état pourrait être corrigé grâce à des soins de santé mentale exceptionnels, comme vous l’ont dit les deux derniers intervenants, seront considérées comme souffrant d’une maladie irrémédiable à la suite d’une erreur d’évaluation et de lacunes dans notre système de prestation de soins de santé mentale. Ils mourront donc inutilement et prématurément. La seule question est de savoir combien, et malheureusement personne n’a fait le travail nécessaire pour répondre à cette question et éclairer cette discussion.
Par conséquent, il est assez ironique de constater que si ce changement législatif va de l’avant, il entraînera un grand nombre de décès prématurés, alors que l’arrêt Carter original avait explicitement pour objectif de prévenir ce phénomène. Pour ces raisons, je demande respectueusement aux sénateurs de suspendre tout autre changement législatif jusqu’à ce qu’une étude adéquate par des sources impartiales puisse être menée pour éclairer cette discussion selon les normes habituelles en matière de preuve médicale.
Je vous remercie et je souhaite santé et bien-être à tous pendant la pandémie.
La présidente : Et à vous de même, docteur Sinyor. Je vous remercie.
Notre prochain témoin est la Dre Karine J. Igartua, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec. Elle est professeure agrégée au département de psychologie de l’Université McGill ainsi que cofondatrice et codirectrice du Centre d’identité sexuelle de l’Université McGill, qui offre des consultations en psychiatrie et en psychothérapie aux minorités sexuelles depuis 1999.
[Français]
Dre Karine J. Igartua, présidente, Association des médecins psychiatres du Québec : Bon après-midi, madame la présidente, et merci de m’accueillir.
Je suis ici en tant que présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec. L’AMPQ représente tous les psychiatres œuvrant dans le système public québécois. Au lendemain du jugement Baudouin, le Collège des médecins du Québec a mandaté notre association afin de se prononcer sur les conditions d’accès à l’AMM pour les patients atteints de troubles mentaux.
À la suite d’un sondage effectué auprès de nos 1 250 membres, notre comité d’experts, composé de psychiatres, d’un représentant des familles et d’un patient partenaire, a déposé, après 11 mois de délibérations, le document de réflexion sur l’AMM que vous auriez déjà dû recevoir dans les deux langues officielles.
[Traduction]
Notre association croit fermement que refuser aux patients atteints de maladies mentales l’accès à l’aide médicale à mourir est discriminatoire et ne représenterait rien de moins que de la stigmatisation systémique. Cette stigmatisation découle de mythes et de préjugés inconscients sur les maladies mentales selon lesquels, premièrement, le pronostic des maladies mentales est trop variable pour qu’elles soient un jour considérées comme incurables; deuxièmement, la souffrance est en quelque sorte moins légitime que celle qui est liée aux maladies physiques; troisièmement, le désir de mourir chez un patient atteint d’une maladie mentale est en quelque sorte toujours un symptôme de cette maladie; et quatrièmement, les personnes atteintes de maladies mentales n’ont pas l’agence ou la capacité décisionnelle nécessaire pour faire une demande d’aide médicale à mourir.
Permettez-moi d’aborder brièvement ces mythes pour ensuite parler des garanties que nous suggérons de mettre en place pour les évaluations des maladies mentales dans le contexte de l’aide médicale à mourir.
Comme pour les autres maladies chroniques, le pronostic des maladies mentales est variable et ne dépend pas du diagnostic. Par exemple, certains troubles dépressifs répondront au premier essai d’un antidépresseur, d’autres nécessiteront de multiples modalités de traitement différentes pour contrôler les symptômes, et d’autres encore resteront réfractaires à tous les traitements connus.
C’est le cas des troubles alimentaires, des troubles anxieux et des troubles psychotiques, comme c’est le cas du cancer du sein, des maladies inflammatoires de l’intestin ou de l’épilepsie.
En psychiatrie, comme dans d’autres domaines de la médecine, plus le trouble persiste, plus les rechutes sont graves, plus l’atteinte est chronique et plus le pronostic est mauvais. En dehors des situations de fin de vie, les cas incurables ne peuvent être déterminés dans le temps que par l’essai et l’échec de multiples traitements. Les essais de médicaments prennent des semaines, voire des mois, et la psychothérapie des mois, voire des années. Les patients atteints de maladies mentales qui seraient admissibles à l’aide médicale à mourir auraient eu à vivre avec la maladie et à subir des essais de traitements multiples pendant des années.
La souffrance est évaluée en fonction de la persistance des symptômes et de la déficience fonctionnelle, ainsi que des valeurs du patient, de ses traits de personnalité, de ses mécanismes d’adaptation, de sa situation psychosociale, de sa santé physique et du sens qu’il donne à la situation.
Une fois tous les enjeux pris en compte, il est parfois possible de soulager la souffrance, mais lorsque ce n’est pas le cas, nous devons alors nous demander si la souffrance est intolérable.
Qu’en est-il du comportement suicidaire? Il est vrai que les pensées suicidaires apparaissent parfois comme un symptôme de certaines maladies mentales, en particulier les troubles dépressifs et le trouble de la personnalité limite. Cependant, ce n’est pas un critère lié à d’autres maladies mentales. Il est donc faux de supposer que tout désir de mourir chez les personnes atteintes d’une maladie mentale est simplement une manifestation de la maladie.
Se pose alors réellement la question de savoir comment nous pouvons faire la distinction entre la pensée suicidaire comme symptôme d’une maladie et une demande rationnelle de mettre fin à la souffrance. Eh bien, il y a le contexte de la demande. La demande est-elle faite dans le cadre d’une crise aiguë ou s’agit-il plutôt d’une demande calme en période de stabilité? Il y a l’objectif qu’on cherche à accomplir par la mort. La personne cherche-t-elle à éviter d’être un fardeau, ou essaie-t-elle d’exprimer sa colère ou son désespoir? Est-ce en réponse à une désillusion ou pour mettre fin à une souffrance intolérable?
Il y a aussi la dimension interpersonnelle de la demande. Le patient demande-t-il s’il y a de l’espoir, ou a-t-il peur d’être abandonné? Toutes ces questions doivent être examinées. Les psychiatres s’occupent quotidiennement de patients suicidaires et nous sommes les mieux formés pour évaluer les cas.
En ce qui concerne la capacité, certaines personnes — pas la majorité des personnes atteintes de maladies mentales, bien sûr— n’ont pas la capacité de faire une demande et de consentir à l’aide médicale à mourir. Mais on pourrait dire la même chose de personnes qui ont les yeux bleus, et pourtant, nous ne songerions pas à faire de la discrimination envers toutes les personnes aux yeux bleus simplement parce que certaines personnes n’ont pas la capacité. Les psychiatres sont bien formés pour évaluer les capacités, et nous le faisons quotidiennement dans de nombreux contextes différents, qu’il s’agisse de la capacité de consentir à une opération ou de refuser un traitement psychiatrique, de la capacité de prendre soin de soi-même et de vivre de manière indépendante, de l’incapacité mentale menant à la tutelle publique ou même de l’aptitude à porter une arme à feu.
En fait, même en vertu de la loi actuelle, les patients souffrant de maladies physiques et mentales sont soumis à une évaluation de leur capacité, dans le contexte de l’aide médicale à mourir. En plus des critères cognitifs, les psychiatres ont l’habitude de prendre en considération la manière dont les états émotionnels et les systèmes de valeurs influencent la capacité décisionnelle.
L’AMPQ propose la mise en place de garanties dans le cas de l’aide médicale à mourir pour les demandes liées à la maladie mentale. Nous suggérons premièrement un processus d’évaluation de longue durée mené par deux psychiatres avec la participation de la famille et de l’équipe soignante; deuxièmement, nous suggérons qu’un organisme provincial soit chargé de la surveillance prospective et de la coordination des demandes d’aide médicale à mourir. Cela garantirait qu’aucun patient ou clinicien n’est laissé à lui-même pour traiter une demande d’aide médicale à mourir et que les évaluations tiennent dûment compte de tous les éléments importants que j’ai brièvement évoqués.
Avec le document de réflexion que nous avons publié, nous montrons que les psychiatres peuvent se concerter et fournir un cadre pour l’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir des personnes atteintes de maladie mentale. Nous n’apprendrons rien de substantiel, sur le pronostic ou le traitement des maladies mentales au cours des prochaines années, qui pourrait modifier cette situation délicate. Par conséquent, nous demandons instamment que l’exclusion des maladies mentales soit immédiatement supprimée du projet de loi C-7 et, à défaut de cela, qu’une clause de temporisation soit ajoutée afin que l’exclusion expire sans que d’autres mesures législatives soient nécessaires. L’AMPQ a déjà commencé à donner des séances de formation sur les évaluations liées à l’aide médicale à mourir à nos psychiatres, et un groupe national travaille ensemble à la mise en place de modules de formation pour l’ensemble du pays.
La complexité de la situation ne nous dispense pas de faire ce qu’il faut. Tous les patients doivent avoir le droit à l’autodétermination et à l’égalité d’accès aux soins. Évitons le piège de la discrimination systémique. Nos patients sont déjà suffisamment stigmatisés. Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à notre dernière déclaration, celle de la Dre Lisa Richardson.
Dre Lisa Richardson, chef de file stratégique, Centre for Wise Practices in Indigenous Health, Women’s College Hospital, à titre personnel : Je vous remercie de bien vouloir m’accueillir aujourd’hui.
Madame la présidente, honorables sénateurs, je m’adresse à vous depuis le territoire traditionnel des Mississaugas de New Credit, des Haudenosaunee, des Seneca, des Hurons et de nombreux autres habitants de l’île de la Tortue, à Toronto, où je me trouve actuellement. Meegwetch.
Je suis métisse Anishinaabe Kwe. Ma communauté est connue sous le nom de Shebahonaning, et son nom sous le régime colonial est Killarney.
Je suis spécialiste en médecine interne. Je suis professeure associée et vice-présidente du département de médecine. Je suis la responsable stratégique de la santé des Autochtones à la faculté de médecine Temerty. Je suis coprésidente du Comité consultatif sur la santé des Autochtones du Collège royal des médecins et chirurgiens et je fais nouvellement partie du comité exécutif du tout nouveau National Consortium of Indigenous Medical Education.
Je ne suis pas juriste. Mes travaux universitaires se concentrent sur la santé des Autochtones, en particulier sur l’enseignement médical et sur le recrutement de médecins autochtones, mais une grande partie de mon travail porte également sur les expériences de racisme que les peuples autochtones vivent dans le système de soins de santé.
C’est à ce titre que j’exprime mes préoccupations quant à l’élargissement de la portée de l’aide médicale à mourir de manière à inclure les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Pourquoi? Parce que les Autochtones ne sont pas en sécurité dans notre système de santé. Le racisme existe dans les soins de santé.
La semaine dernière, j’ai passé deux jours à écouter des déclarations sur les expériences vécues par des Autochtones et sur le racisme dont ils ont tous été victimes dans le système de soins de santé. C’était une réunion convoquée par le gouvernement fédéral. Nous avons parlé avec la ministre Hajdu, la ministre Bennett et le ministre Miller. Cette réunion a été organisée dans le sillage du racisme vécu par Joyce Echaquan.
Ce que nous savons, c’est que l’expérience que Joyce a vécue dans le secteur des soins de santé n’est pas unique. En fait, des preuves substantielles attestent du niveau de soins différent que notre peuple reçoit. Par exemple, nous avons des études qui montrent que les Autochtones qui souffrent de coronaropathie et qui répondent aux critères de cathétérisme cardiaque ne sont pas aiguillés comme il se doit. Nous avons des études qui montrent que les Autochtones qui ont besoin d’une greffe de rein ne sont pas aiguillés à cette fin. Nous avons des rapports d’enquêtes publiques, comme celle qui a porté sur le cas de Brian Sinclair, l’homme des Premières Nations de Winnipeg qui s’est rendu dans un service d’urgence pour faire changer son cathéter et qui est mort d’une septicémie d’origine urinaire — une infection causée par une infection des voies urinaires — parce que les gens ont présumé qu’il était un Indien ivre.
Il y a tellement d’histoires de mauvais traitements infligés à nos gens. Ce qui m’inquiète de l’expansion de la portée du projet de loi, c’est que tant que nous n’aurons pas éradiqué le racisme dans notre système de soins de santé, un nombre sans précédent et disproportionné de nos concitoyens en sera affecté.
J’ai également eu l’honneur et la responsabilité, il y a plus d’un an, de faire au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes une déclaration sur la stérilisation forcée de femmes autochtones. C’est un exemple de plus du racisme qui existe dans notre système de soins de santé à l’égard des populations autochtones.
Ce qui a été démontré dans le rapport du comité permanent — sur la base du recours collectif intenté par des femmes autochtones ayant subi une stérilisation forcée, le cas le plus récent datant de décembre 2018 —, c’est que les femmes autochtones qui sont entrées dans le système de santé n’ont en fait pas donné leur consentement éclairé parce que souvent, soit on leur a refusé l’accès à l’information, soit on les a contraintes à la stérilisation ou, dans le pire des cas, on ne leur a même pas dit qu’on allait le faire. Bien qu’il soit consternant d’imaginer que cela se produise et que ce sont des membres de ma profession et d’autres professions du secteur de la santé qui sont impliqués dans cette activité raciste, c’est bien documenté.
Dans un environnement où il existe à la fois du racisme systémique et du racisme interpersonnel, je ne crois pas que les Autochtones seront en sécurité. Je ne crois pas que les préjugés et les partis pris contre les Autochtones seront sans effet sur la prise de décisions et sur les conseils relatifs à l’aide médicale à mourir pour les Autochtones, peu importe toute l’éducation qu’on leur offrira sur la question.
Mon deuxième point concerne les déterminants sociaux de la santé. Nous savons que les inégalités liées aux déterminants en amont de la colonisation, comme la pauvreté, l’insécurité alimentaire, les logements inadéquats et un taux plus élevé de maladies chroniques, affectent de manière disproportionnée les populations autochtones. Ces déterminants sociaux peuvent entraîner des souffrances durables et intolérables, mais ces souffrances peuvent être soulagées si nous nous attaquons à ces déterminants sociaux.
À mon avis, un projet de loi qui ne tient pas réellement compte de la façon dont les inégalités sociales affectent de manière disproportionnée les populations autochtones est très problématique.
Enfin, je voudrais parler de la question de l’autodétermination. Je sais que vous avez consulté mes nombreux collègues autochtones et que vous avez entendu leurs témoignages. Je n’ai pas pu me joindre à eux hier. Mais tout projet de loi relatif aux soins de santé impliquant les peuples autochtones doit se faire en partenariat avec nous. Cela correspond à nos droits autochtones, ainsi qu’à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il est nécessaire d’établir un partenariat plus significatif et d’obtenir la contribution des peuples autochtones — Premières Nations, Inuits, Métis de différentes origines et de différents territoires traditionnels. Il existe parmi nous une énorme diversité quant à nos systèmes de croyances et nos approches. Sans une consultation adéquate, nous ne défendons pas le droit de respecter les besoins des peuples autochtones.
Ce sont mes réflexions à ce sujet. Je n’ai pas de recommandation précise à vous adresser, si ce n’est de vous mettre en garde quant à la nécessité d’éradiquer le racisme au sein de notre réseau de santé, qui va continuer à se manifester si nous élargissons la portée du projet de loi en donnant à notre peuple un accès à l’aide médicale à mourir. Meegwetch.
La présidente : Docteure Richardson, je vous remercie infiniment d’avoir pris le temps de discuter avec nous aujourd’hui.
Mesdames et messieurs les témoins, nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à la Dre Igartua. Vous avez entendu les différents témoignages, particulièrement celui des autres groupes de témoins concernant leur vision de l’exclusion pour cause de maladie mentale. Vous avez fait le travail au Québec, et cela a nécessité une certaine période de réflexion.
Si on plaçait une clause temporelle ayant trait à l’exclusion de la maladie mentale, d’après vous, il faudrait combien de temps pour qu’il y ait une espèce d’échange, que le Québec partage sa réflexion avec le reste du Canada et qu’on en arrive à un consensus sur la façon de procéder ou d’adopter des mesures de sauvegarde qui seraient mises en place au sein des ordres professionnels des autres provinces?
Dre Igartua : Je crois qu’il y a déjà un certain consensus parmi ceux qui pensent qu’il faut aller de l’avant, ceux qui considèrent vraiment tout cela comme une question de droits fondamentaux et d’antidiscrimination.
La question des mesures de sauvegarde est intéressante. Au Québec, notre association a choisi de demander que deux psychiatres se prononcent, et je vais vous expliquer pourquoi. En fait, c’est que, en vertu de la loi au Québec, quand on veut garder quelqu’un à l’hôpital contre son gré, qu’on veut l’interner de façon involontaire, il faut avoir une évaluation effectuée par deux psychiatres.
Pour une décision aussi importante que celle de l’aide médicale à mourir, on ne voulait pas aller en deçà de cette disposition. Notre mesure de sauvegarde est peut-être un peu plus restrictive que d’autres propositions de mesures de sauvegarde ailleurs au pays, mais c’est en raison de cette réflexion qu’on a proposé cette mesure de sauvegarde.
Quant à l’autre mesure de sauvegarde, soit d’avoir une surveillance prospective, il y a des gens ailleurs au Canada qui l’ont suggérée. On pense que l’idée de la surveillance prospective constitue une sauvegarde additionnelle qui, justement, évite que l’on procède lorsqu’il y a ambiguïté.
Lorsqu’il y a ambiguïté et qu’on ne peut en arriver à un consensus sur l’aptitude de la personne, le degré de souffrance ou l’incurabilité, on pourrait alors ne pas procéder. Toutefois, il y a une différence entre le fait de ne pas procéder dans un cas particulier où on ne peut déterminer adéquatement les critères et le fait d’exclure tout le monde. Nous croyons que l’idée d’une surveillance prospective assurera que les évaluations seront bien faites et que tous les critères seront pris en compte.
Le sénateur Carignan : À l’instar du Québec, du travail a été fait au sein d’associations professionnelles d’autres provinces et ailleurs au Canada. On est donc plus avancé qu’on ne le pense.
Dre Igartua : J’espère que les sénateurs auront l’occasion de lire notre rapport ou, du moins, notre résumé exécutif. C’est un document volumineux qui compte une quarantaine de pages. Une grande partie de la réflexion a été faite à la demande du Collège des médecins du Québec. Ils se sont tournés vers nous pour obtenir l’opinion des psychiatres de la province. Je sais que des travaux semblables se font à l’Association des psychiatres du Canada. L’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM fait également des travaux. Un groupe de professionnels de l’ensemble du Canada se concerte actuellement sur la création de modules de formation.
Pour répondre à votre question initiale, je préférerais qu’on retire complètement le critère. Toutefois, si l’on devait inclure une disposition de temporarisation, peut-être qu’une période de 12 mois serait suffisante.
Le sénateur Carignan : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je remercie infiniment tous les témoins. Ma première question s’adresse au Dr John Maher. Lors de nos audiences en début de semaine, nous avons reçu un témoin qui était d’accord pour que la maladie mentale soit la seule condition invoquée afin d’avoir accès à l’aide médicale à mourir, ou AMM. Il a fait référence au témoignage préalable à l’étude du Dr Rajji, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui avait dit ceci :
[…] certaines des études longitudinales montrent que 30 % des gens entrent en rémission, 30 % des cas demeurent inchangés et 30 % des cas s’aggravent.
Docteur Maher, certaines personnes qui sont en faveur de l’AMM affirment toutefois que, parmi les patients atteints d’une maladie mentale, les 30 % dont l’état « s’aggrave » répondent aux exigences du suicide assisté relatives au caractère irrémédiable. Je ne suis pas d’accord. De nombreuses personnes souffrant d’une maladie mentale dont l’état se détériore peuvent aussi finir par aller mieux. J’ai le privilège d’en connaître certaines.
Docteur Maher, pourriez-vous nous en dire plus là-dessus, et aussi sur la difficulté à établir le caractère irrémédiable d’une maladie mentale, ce qui est un obstacle de taille?
Dr Maher : Bien sûr. Je vous remercie infiniment de la question. Permettez-moi d’y répondre en m’appuyant sur ce que la Dre Igartua vient de dire. Elle affirme qu’un large consensus se dégage au Québec. D’après le rapport de son association, 263 des 1 300 psychiatres ont répondu au sondage. Environ 40 % d’entre eux ont déclaré qu’ils n’appuieront jamais l’AMM, peu importe les conditions. Encore 40 % des répondants — j’ignore si ce sont les mêmes — affirment que le caractère irrémédiable ne peut pas être établi avant au moins 10 ans. C’est long. Ces données proviennent d’un petit échantillon.
Le seul sondage réalisé auprès de psychiatres canadiens remonte à 2016, avant qu’ils aient une idée précise de ce à quoi l’AMM ressemblerait si elle était mise en œuvre intégralement. À l’époque, 75 % des répondants étaient contre l’AMM en présence d’une maladie mentale. Cette profonde divergence d’opinions dans le milieu psychiatrique n’est pas banale. Il n’y a pas de consensus sur la question.
Pour en revenir à votre question sur les études, celles-ci sont réalisées auprès d’un petit groupe de personnes sur une période donnée, et elles sont très ciblées. Il est absolument impossible d’extrapoler à la personne qui se trouve devant moi les données d’une étude, même les données prospectives à long terme. J’ignore si elle fera partie des patients dont l’état va s’aggraver ou s’améliorer, selon les chiffres.
Je rejette également certaines des données entendues lors des audiences. Par exemple, la stimulation magnétique transcrânienne, ou TMS, est une technique non effractive. À l’heure actuelle, les données les plus récentes indiquent qu’elle serait efficace chez 90 % des personnes qui souffrent de maladies résistantes au traitement. Par conséquent, lorsque j’entends parler d’une disposition de caducité dans un contexte où les traitements ne cessent de s’améliorer... Une incertitude absolue plane, et il est absolument impossible cliniquement de savoir à ce moment si la personne va entrer en rémission. Nous ne connaissons pas non plus la durée de la maladie. Nous n’avons aucune idée du facteur temps, qui peut à lui seul contribuer à la guérison plus que toute autre intervention.
La sénatrice Batters : Je vous remercie.
Dr Maher : Lorsque j’entends des psychiatres éminents comme la Dre Stewart affirmer qu’il n’y a aucune différence entre la maladie mentale et la maladie physique, puis décrire le chevauchement entre les deux pour illustrer la distinction, je fais appel à la logique. J’ai de sérieuses réserves à l’égard d’une affirmation qui a été entendue à maintes reprises : « Nous pouvons réaliser des évaluations de la capacité. Nous sommes en mesure de déterminer quelles personnes atteintes d’une maladie physique ont besoin de l’AMM. Par conséquent, nous pouvons faire la même chose en cas de maladie mentale. »
Selon les rudiments de la logique, il s’agit d’une erreur de catégorie qui consiste à s’attarder à ce qui est identique plutôt qu’aux différences. Il va sans dire que certaines personnes sont capables, quelle que soit leur maladie.
Je vais présenter une analogie qui permet d’expliquer la raison pour laquelle c’est illogique. Disons que je suis le propriétaire du stationnement d’un Walmart. Étant donné que tous les clients entrent dans le stationnement en voiture, je pose comme hypothèse de travail qu’ils n’ont pas de problème de mobilité puisqu’ils ont pu se rendre jusqu’ici. Je présume donc que les clients peuvent entrer dans le magasin. Or, j’oublie de prendre en compte les personnes qui ont besoin d’un déambulateur, d’un fauteuil roulant, celles qui sont enceintes et celles dont la mobilité est réduite. L’accent est mis sur les points communs. Lorsque j’entends des avocats déclarer qu’il est « discriminatoire d’affirmer que ces personnes n’ont pas la capacité de prendre leurs propres décisions », c’est plutôt le fait de fermer les yeux sur les différences qui est discriminatoire.
Cela revient à privilégier l’équité plutôt que l’égalité. De quoi s’agit-il? Ces concepts reviennent sans cesse. L’équité signifie que nous devrions tous avoir accès à l’AMM. Il s’agit de la justice la plus élémentaire qui règne sur un terrain de jeu. Prenons l’exemple d’une cour d’école. Si un professeur sort un sac de bonbons pour tous les enfants, chacun devrait en recevoir un. C’est équitable; c’est facile à comprendre. Mais qu’en est-il de l’enfant diabétique? Qu’en est-il de la fillette noire qui reste dans un coin et qui craint de venir en raison du racisme qu’elle subit dans la cour d’école? L’équité se rapporte à l’accès. En revanche, l’égalité tient compte de ce qu’il faut pour qu’un être humain puisse guérir, s’épanouir et vivre. Puisque la question relève de la Charte, je trouve exaspérant d’entendre des avocats privilégier l’équité plutôt que l’égalité, étant donné la nature légale de l’enjeu. C’est une question juridique.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Plett : Docteur Maher, j’aimerais poursuivre un peu sur cette voie. Je vous prie de répondre assez brièvement puisque j’ai aussi une question à l’intention du Dr Hurwitz. J’aimerais poursuivre dans la même veine que les questions de la sénatrice Batters. Jocelyn Downie et d’autres défenseurs du suicide assisté, dont certains comparaissent aujourd’hui, ont laissé entendre qu’exclure la maladie mentale de ce mécanisme serait discriminatoire. Vous affirmez le contraire, et je vous en remercie. Pouvez-vous expliquer pourquoi il y a un désaccord aussi profond parmi les psychiatres quant à l’inclusion de la maladie mentale dans l’aide au suicide? Évidemment, vous avez tous suivi une formation similaire, entre autres choses. Il y a pourtant une nette divergence d’opinions. Serait-il possible d’expliquer ce phénomène en quelques mots?
Dr Maher : Bien sûr. La réponse rapide se rapporte à la nature du travail du psychiatre, à son expérience clinique et à son flair. De plus, il n’y a pas beaucoup de psychiatres qui travaillent expressément dans les soins intensifs comme je le fais, où des soins globaux sont dispensés, et qui savent tout ce qu’il est possible de réaliser. J’ai travaillé dans les services externes de psychiatrie, et aussi dans un programme de traitement des troubles de la personnalité. J’ai touché à tous les autres volets de la psychiatrie, mais j’ignorais ce qu’étaient des soins globaux de qualité, des soins de soutien à long terme et proactifs. Il y a 70 % des personnes atteintes d’une maladie mentale grave qui ne prennent pas leurs médicaments. La majorité d’entre elles refusent les traitements, même lorsqu’il y en a. La plupart de mes patients ne croient pas être atteints d’une maladie mentale. Ils ont besoin de nous pour les aider à se rétablir lorsqu’ils ne peuvent pas le faire eux-mêmes.
Qu’est-ce qui explique cette différence considérable? C’est notamment une question de valeurs, bien entendu. J’ai travaillé avec un psychiatre que j’aimais beaucoup. Il encourageait ses patients à s’enlever la vie si les choses tournaient mal. Or, il a fini par se suicider. C’est une de ses valeurs qui l’a poussé à commettre ce geste. C’est heureusement un cas isolé, comme nous l’avons entendu.
Je pense que nous avons fait ce choix parce que nous sommes des personnes optimistes et remplies d’espoir qui font de leur mieux pour apporter un peu de réconfort. Il y a toutefois des psychiatres au bout du rouleau qui baissent les bras. Je ne voudrais pas dénigrer mes collègues, mais certains ont l’impression d’avoir tout essayé lorsqu’ils aiguillent les patients. Pourtant, si je regarde le dossier, je trouve qu’il reste encore beaucoup de choses à tenter. C’est ainsi dans tous les domaines de la médecine.
Le sénateur Plett : Je vous remercie infiniment.
Docteur Hurwitz, j’aimerais s’il vous plaît m’adresser à vous. Étant donné les résultats remarquables que vous avez obtenus pour renverser les tendances suicidaires de vos patients, pouvez-vous nous parler des balises qui sont actuellement en place entourant le suicide assisté? Sont-elles similaires à celles qui sont proposées dans le projet de loi C-7?
Dr Hurwitz : En fait, je peux simplement vous parler des mesures de sauvegarde qui sont en place pour la capsulotomie. Deux psychiatres doivent confirmer que le patient souffre de dépression résistante au traitement et qu’il a tenté toutes les options à sa disposition, y compris deux séries d’électrochocs, tous les antidépresseurs, notamment un inhibiteur de la monoamine oxydase, et une psychothérapie. Le patient doit donc être vraiment résistant au traitement et souffrir terriblement. Une fois que les deux psychiatres ont été rencontrés — nous envoyons le patient consulter deux psychiatres indépendants pour confirmer sa capacité, car notre comité d’éthique craignait que sa souffrance influence tellement sa réflexion qu’il ferait n’importe quoi pour être soulagé —, le patient va consulter un neurochirurgien. Nous envoyons ensuite des rapports à notre avocat, qui va rencontrer le patient. Le comité se réunit alors et décide si la personne peut bénéficier d’une capsulotomie.
Grâce à ces critères rigoureux, nous avons eu en 22 ans 12 patients résistants au traitement dont la souffrance était insupportable. Si 10 % de la population souffre de dépression, cela totalise 500 000 personnes; si 10 % d’entre elles sont résistantes au traitement, 50 000 patients auraient dû faire appel à nous. Ce n’est pas arrivé parce que nos traitements sont très efficaces pour mettre fin aux souffrances insupportables. Lorsque je regarde les mesures de sauvegarde qui sont en place, je constate qu’elles n’ont rien à voir avec celles qui s’appliquent à une procédure qui sert à sauver des vies. Or, les mesures de sauvegarde prévues au projet de loi C-7 se rapportent à une perte de vie.
Le sénateur Plett : Je vous remercie infiniment.
Le sénateur Woo : Je remercie tous les témoins. J’aimerais revenir sur la disposition de temporisation pour les patients dont la maladie mentale est la seule condition sous-jacente. Ma question s’adresse principalement à la Dre Igartua. Je voudrais lui demander d’expliquer le raisonnement derrière sa proposition d’introduire une disposition de temporisation d’un an, par exemple. Je voudrais également qu’elle pousse le raisonnement plus loin.
La première partie de ma question est la suivante : comment peut-elle justifier le délai d’un an si elle ne croit pas d’emblée que les psychiatres ont déjà les outils et les moyens nécessaires pour évaluer les capacités? En somme, j’essaie de comprendre la raison pour laquelle nous devrions fixer un délai arbitraire en ne sachant pas si les psychiatres ont ces outils et peuvent proposer des solutions dans un délai d’un an. Cela ne me semble pas être une démarche scientifique permettant de résoudre un problème. Bien sûr, c’est assez similaire à l’argument que le Dr Sinyor a soulevé, je crois, au sujet de la méthode scientifique permettant de tirer des conclusions sur la façon d’aborder des cas complexes.
Ma deuxième question vise à pousser le raisonnement de votre proposition de façon à ce qu’un éventuel comité d’examen serve de mesure de sauvegarde et de filet de sécurité — pour les cas complexes, encore une fois. Voilà qui me semble logique. Mais si nous allons encore plus loin, pourquoi n’aurions-nous pas un mécanisme semblable en place pour tous les patients qui demandent l’AMM, d’autant plus que nous semblons être sur le point d’inclure ceux dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible? La logique est la même, à moins que vous ne jugiez que les cas n’ayant rien à voir avec la santé mentale ne sont pas plus complexes que ceux dont la mort est raisonnablement prévisible.
Pourrions-nous commencer par la Dre Igartua? Le Dr Sinyor pourra intervenir si le temps le permet. Je vous remercie.
Dre Igartua : Je vous remercie de la question, qui comporte trois volets. Je vais essayer de répondre à chacun.
Premièrement, pour ce qui est de la méthode et des données scientifiques, je pense que nous devons comprendre que si la polarisation est aussi forte, c’est parce que la question n’est pas fondée sur des données, mais plutôt sur l’éthique. Le Dr Maher l’a également mentionné tout à l’heure. C’est surtout une question de valeurs. C’est pour cette raison qu’il y a un fossé.
J’aimerais également préciser que le fossé au Québec n’est pas aussi profond que le Dr Maher semble le croire. En plus du sondage auquel nos membres ont répondu, nous avons présenté l’information à l’assemblée générale et donné des webinaires. Nos membres ont eu plusieurs occasions de nous parler, mais il y a eu très peu d’objections. En fait, j’ai reçu une seule lettre de préoccupations, mais de nombreuses lettres pour me remercier d’avoir fait ce travail et d’avoir pris cette initiative. C’était le volet de votre question qui porte sur la méthode scientifique.
En ce qui a trait au volet sur le délai d’un an, deux éléments entrent en ligne de compte. Il est vrai que nous avons déjà suivi la formation et que nous savons comment procéder. Si nous conservons ce délai d’un an, c’est pour avoir le temps de mettre en place la structure nécessaire — l’organisme qui s’occupera de l’enquête et de la surveillance prospective. Nous devons laisser les provinces s’en occuper. Je suis d’accord avec vous : le mécanisme devra idéalement s’appliquer à tous les cas. Nous ne l’avons pas proposé uniquement pour les dossiers complexes où la maladie mentale entre en jeu, mais bien pour toutes les demandes d’AMM.
Je crois que les personnes atteintes d’une maladie tant physique que mentale, voire physique seulement peuvent aussi avoir des situations complexes. Nous savons bien que la souffrance prend toutes sortes de formes. Elle ne se limite pas aux symptômes. Elle résulte aussi du sens qu’une personne donne à ces symptômes, de sa situation psychosociale, de ses valeurs et de tout ce qui a une incidence sur sa façon de composer avec sa situation. La question peut être tout aussi complexe pour les maladies physiques. Je propose un délai d’un an en raison de l’organisme de surveillance prospective. Je veux éviter que les choses s’éternisent. Mais aussi, en un an, les gouvernements provinciaux devraient pouvoir mettre en place une sorte de mesure de sauvegarde en ce sens.
Le sénateur Woo : Je vous remercie. Puis-je demander au Dr Sinyor de répondre, si le temps le permet?
La présidente : Oui.
Dr Sinyor : Je vous remercie, monsieur le sénateur. Je voudrais dire avec respect que je ne suis pas du tout d’accord sur le fait que la question ne se rapporte pas aux données. Lorsqu’un médecin rencontre un patient, la première chose qu’il établit, ce sont les risques et les avantages des traitements. Nous ne nous fions pas à notre avis personnel, mais plutôt aux données scientifiques probantes. Ce sont les détails qui importent.
Je vais revenir sur une chose que la Dre Stewart a dite au début. Je crois qu’elle faisait référence à l’étude STAR*D, qui compte 4 000 patients, et qui est la plus importante et la plus coûteuse à ne jamais avoir été réalisée en psychiatrie. La Dre Stewart a indiqué à juste titre qu’à la fin de l’étude, 33 % des participants n’étaient pas en rémission. Je précise que l’expression « pas en rémission » signifie qu’il n’y avait pas une absence totale ou quasi-totale de symptômes. Cela représentait environ 1 200 des 4 000 patients.
Fait remarquable, 38 % de ces personnes n’ont jamais consulté de psychiatre pendant l’étude. Tout a été fait en soins primaires au moyen d’un algorithme sur la prise d’un, deux, trois ou quatre médicaments. Nous pourrions donc obtenir plus de données. Voici ce qu’il faudrait faire, étant donné que nous avons une nouvelle définition de la souffrance intolérable — un concept qui, à ma connaissance, n’a jamais été exploré dans le cadre d’une étude psychiatrique. Il faudrait poser la question suivante à ces 1 200 personnes : « Combien d’entre vous vivent des souffrances intolérables? » J’ignore s’il y en aurait 50 ou 500. Il faudrait ensuite leur offrir tous les autres traitements disponibles dont il a été question : de meilleurs médicaments fondés sur des tests pharmacogénétiques, un large éventail d’options psychothérapeutiques, un programme d’exercices, de la luminothérapie, une stimulation cérébrale — je pourrais continuer longtemps, mais je sais que le temps est limité.
On leur prodigue tous ces soins, puis on cherche à déterminer combien continuent, à la fin, d’éprouver des souffrances intolérables. Ce nombre pourrait être nul, mais, comme je suis un scientifique, je me fie aux chiffres, et ce nombre pourrait être de 10 ou de 20. Peut-être que, à la fin, on se retrouve avec un groupe de personnes dont les souffrances sont intolérables. Il faut alors se poser la question : Tous ces brillants psychiatres qui ont évalué ces 500 personnes, lesquelles, au début, éprouvaient des souffrances intolérables, pourraient-ils déterminer les 10 qui, à la fin, en éprouveraient encore? Qu’arriverait-il si, par cette étude, quelqu’un déclarait que 50 patients tout à fait autres, guéris après un traitement psychiatrique convenable, sont admissibles à une aide médicale à mourir qu’il leur conseillerait? Que ressentirait notre groupe?
Encore une fois, je suis un scientifique et j’évite de prodiguer des soins fondés sur des croyances. Je veux prendre le temps de discuter des faits avec mes patients, et les faits, en l’occurrence, ont très peu de valeur. Je suis désolé de le dire, mais il le faut. Je les souhaiterais de plus grande valeur pour que nous puissions mieux savoir de quoi nous discutons.
Enfin, la première règle de la médecine est de ne pas nuire, et, en ma qualité de psychiatre, je ne peux pas appliquer un traitement, même légalisé, s’il ne se fonde pas sur des faits et ne satisfait pas aux normes habituelles d’évaluation, pour moi et mes patients, des risques et des bénéfices.
La présidente : Merci.
Docteure Stewart, par inattention, j’ai omis de vous accorder la parole après l’intervention du Dr Maher. Voulez-vous répondre?
Dre Stewart : Je voudrais faire observer que les maladies physiques et les maladies mentales se recouvrent beaucoup. Pas toutes, mais beaucoup d’entre elles.
J’ajouterais que les médecins s’enthousiasment pour leurs propres traitements. Il paraît que la stimulation cérébrale profonde a aidé beaucoup de cas dépressifs réfractaires aux traitements, où 12 patients sur des milliers qui l’auraient demandé sont devenus admissibles à ce traitement et ont semblé bien évoluer. J’ai vu, en Ontario, des patients ayant reçu ce traitement, que les expérimentateurs prétendaient guéris. Ça n’a pas été mon impression quand je les ai vus un an plus tard. Il faut se méfier de l’enthousiasme exagéré des médecins pour leurs propres traitements. Personne ne croit pouvoir guérir tout le monde, à moins de s’illusionner.
Je suis tout à fait favorable à ce que les patients obtiennent toutes les sortes de traitements possibles qui pourraient leur faire du bien, mais il faut conserver un certain scepticisme pour certains traitements proposés à partir d’un nombre minuscule de patients soumis à une sélection très poussée. Merci.
Le sénateur Harder : Docteur Chaimowitz, notre comité a entendu plusieurs témoignages, aujourd’hui et avant, qui mettent dans le même sac suicide et aide médicale à mourir. En fait, des sénateurs sont de cet avis. Pouvez-vous en dire plus, pour nous permettre de distinguer les deux et conseiller le gouvernement pour qu’il assure la clarté de cette distinction pour tous les Canadiens et assure, également, l’existence de sauvegardes?
Dr Chaimowitz : Merci de la question.
D’après les faits, 4 000 Canadiens, pour des raisons quelconques, abrègent légalement leurs jours. Ils trouvent leurs maladies intolérables. Il faut éclairer ce phénomène et comprendre mieux les conséquences de la dépression tout comme celles de la schizophrénie et des troubles de l’humeur qui résistent aux traitements. Il nous manque une stratégie nationale de la santé mentale. Notre pays ne favorise pas l’accès aux soins.
Il faut foncer. Aujourd’hui, nous avons déjà entendu la question : Pourquoi traitons-nous différemment les personnes qui éprouvent des troubles mentaux? Si nous acceptons que l’aide médicale à mourir soit une possibilité, ces personnes, qui sont nous, doivent avoir accès à ce que nous avons. La réponse, dans ce cas-ci, est l’éducation. Je suppose que beaucoup de médecins et beaucoup de Canadiens éprouvent de l’inquiétude au sujet de l’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent de maladies mentales, mais pour obtenir ces résultats, il faut passer par l’éducation et l’amélioration de l’accès aux soins. L’aide médicale à mourir pour les cas où le seul problème sous-jacent est un trouble mental n’est pas du suicide. Absolument pas.
Nous discutions de statistiques, et ça m’angoisse un peu d’y recourir. Seulement 5 % des personnes éprouvant des troubles mentaux qui demandent l’aide à mourir aux Pays-Bas ou dans certains des autres pays du Benelux y sont admises. Nous avons un vaste choix de moyens. Nous devons suivre l’ensemble du processus qu’a suivi le Dr Hurwitz, jusqu’à l’opération chirurgicale.
En un mot, l’éducation est la réponse, et nous devons veiller à éviter la discrimination contre les personnes. Chaque Canadien a le droit de décider. Nous devons l’affirmer et servir de phares.
Le sénateur Harder : Merci.
La sénatrice Boyer : Docteure Richardson, merci. J’ai deux petites questions. Le projet de loi C-7 exige que les praticiens médicaux informent leurs patients des moyens raisonnables et disponibles de soulager leurs souffrances. Ça comprend la maîtrise de la douleur, les soins palliatifs et, parfois, la chirurgie. Croyez-vous que les Autochtones, qui ont un accès limité aux traitements antidouleur et aux soins chirurgicaux pourraient se faire refuser le droit à l’aide médicale à mourir ou la voir retardée, faute d’accès à ces soins?
Dre Richardson : Il est indéniable que les Autochtones n’ont pas le même accès aux soins palliatifs, particulièrement ceux des régions éloignées, ni le même accès aux soins antidouleur et aux éventuels traitements chirurgicaux. Je crois donc que ça pourrait soit amplifier le désir de se prévaloir de l’aide médicale à mourir parce qu’on n’a pas soulagé leurs douleurs par des méthodes connues, fondées sur les faits, ou que l’aide médicale à mourir pourrait être retardée, comme vous l’avez laissé entendre, pour les mêmes motifs.
La sénatrice Boyer : Merci. Ma prochaine question concerne la suppression de la disposition sur la mort raisonnablement prévisible.
Les communautés autochtones du Canada traversent une crise. Beaucoup d’Autochtones se suicident ou envisagent le suicide à cause des difficultés incessantes qu’ils éprouvent en raison d’inégalités socioéconomiques, de traumatismes intergénérationnels et de l’absence, précédemment mentionnée, de soins psychologiques adaptés à leur culture. Comme le projet de loi C-7 fait disparaître la disposition sur la mort raisonnablement prévisible, craignez-vous que les mêmes facteurs d’augmentation des taux de suicide dans les populations autochtones ne continuent d’y contribuer, une fois qu’elle sera largement disponible? Quelles protections pourrions-nous mettre en place pour les populations vulnérables?
Dre Richardson : Il est indiscutable que ça nous inquiète, beaucoup de mes collègues autochtones et moi, ainsi que d’autres médecins et praticiens de la santé autochtones. Voilà pourquoi nous sommes inquiets pour l’avenir, à cause de l’omission, par le projet de loi actuel de s’attaquer aux principales causes d’inégalités sociales qui contribuent à la charge plus lourde de maladies chroniques que doit supporter notre peuple et de maladies mentales qui découlent des traumatismes intergénérationnels contre lesquels les soins convenables de santé restent inaccessibles. Nous savons que l’écart reste considérable, puisqu’il est question ici de discrimination. Je suis sidérée par notre refus de reconnaître l’existence, au Canada, d’un deuxième niveau de soins de santé pour les peuples autochtones, malgré toutes les preuves. Ce refus, dans le projet de loi, m’inquiète profondément.
Si on était autorisé à dire qu’il y aurait une façon de modifier les déterminants sociaux de la santé d’un tel, dont les souffrances sont intolérables, avant de prendre toute autre mesure, comme le sortir de sa pauvreté, lui donner un accès et le diriger vers des services médicaux appropriés, lui assurer la sécurité alimentaire, si nous corrigions tous ces problèmes et s’il continuait d’éprouver des souffrances intolérables, ça deviendrait peut-être une option.
La sénatrice Boyer : Merci, docteure Richardson.
Dre Richardson : Pareillement.
La présidente : Merci à vous deux.
La sénatrice Wallin : Docteure Perrot, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les éventuelles modifications précises que vous souhaitez pour le libellé du projet de loi? Je pense qu’ils sont nombreux ceux qui envisagent des modifications. Avez-vous des conseils précis à ce sujet?
Dre Perrot : À la fin de mon mémoire, j’ai recommandé : de supprimer la notion de mort naturelle raisonnablement prévisible; de supprimer les deux pistes d’admissibilité; d’autoriser la renonciation au consentement final pour tout patient ayant été évalué et autorisé à recevoir l’aide médicale à mourir, sans exiger la fixation d’une date ni la nécessité de reconnaître que la personne a perdu sa capacité, encore une fois parce que n’importe qui peut se retrouver handicapé en raison d’un accident cérébrovasculaire, d’une rupture d’anévrisme ou de divers autres accidents; de supprimer l’exclusion des personnes dont le seul état médical sous-jacent est une maladie mentale. On peut tout supprimer ça.
Si on maintient le système à deux pistes, supprimez l’exigence, en ce qui concerne la mort naturelle raisonnablement prévisible, de consulter un clinicien expert en la matière. Encore une fois, nous consultons selon nos besoins, et cette exigence pourrait rendre la chose plus difficile pour les patients qui vivent en milieu rural ou dans des régions éloignées, où l’accès est déjà rendu difficile pour l’obtention de traitements convenables, même dans des centres de soins tertiaires comme Toronto.
Je conseille également de supprimer la période d’attente et la période d’évaluation et d’autoriser des évaluations les plus rapides possible, pour que les cliniciens puissent prendre une décision clinique sur l’admissibilité de la personne. Encore une fois, certaines évaluations prendront quelques mois. D’autres, pour les situations plus complexes, en prendront plusieurs, pour la recherche et la consultation avec les patients, les membres de la famille et leurs cliniciens. D’autres, encore, pourront se faire beaucoup plus rapidement. Faire souffrir tout le monde pendant ces 90 jours supplémentaires n’a aucun sens.
C’était les principales propositions.
La sénatrice Wallin : Merci. Pourriez-vous formuler des observations, très rapidement, sur ce qu’on pourrait mieux décrire comme la situation inextricable dans laquelle la loi place les personnes ayant des troubles cognitifs légers, une démence ou la maladie d’Alzheimer, où il est impossible d’obtenir une demande anticipée ou un consentement préalable mais, une fois le diagnostic posé, le patient n’est pas considéré comme compétent ou sa compétence risque d’être contestée?
Dre Perrot : La maladie d’Alzheimer et les troubles cognitifs légers n’empêchent pas nécessairement de prendre la décision de recevoir l’aide médicale à mourir.
La sénatrice Wallin : C’est exact.
Dre Perrot : Nous sommes nombreux à avoir évalué des personnes ayant perdu dans une certaine mesure leurs capacités et d’avoir subvenu à leurs besoins. Il est ici question d’une capacité précise de décision, et si quelqu’un est capable de décider de demander et de recevoir l’aide médicale à mourir, il peut la recevoir même s’il n’a peut-être pas la capacité, par exemple, de gérer ses finances ou même de prendre soin de lui-même dans sa propre maison.
J’ignore si ça répond à votre question.
La sénatrice Wallin : La prochaine étape, donc, c’est la renonciation au consentement final.
Dre Perrot : Il ne s’agit pas vraiment de maladie d’Alzheimer et de troubles cognitifs légers, mais, plutôt, de patients cancéreux chez qui des métastases dans le cerveau pourraient entraîner la perte imminente de leurs capacités. Ces patients peuvent faire l’objet d’une évaluation, et leur demande d’aide médicale à mourir peut être approuvée, puis, s’ils signent une renonciation au consentement final, ils peuvent toujours recevoir ultérieurement l’aide médicale à mourir même s’ils ont perdu la capacité de donner leur consentement.
Il importe de reconnaître que ces patients seront approchés par la personne et l’équipe qui fournissent l’aide médicale à mourir, et si, de quelque façon que ce soit, ils ont manifesté le désir de ne pas donner suite à leur demande d’aide médicale à mourir — opposition, résistance ou refus et expression de leur malaise à la recevoir — la procédure n’ira pas plus loin. La signature d’une renonciation ne garantit pas absolument l’aide à mourir, parce que la personne aurait encore la possibilité de la repousser.
Un autre aspect serait la demande anticipée, par laquelle quelqu’un chez qui on a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer ou un trouble cognitif léger, ou même avant le diagnostic, fixerait des critères très précis dans une directive anticipée : « Voilà les conditions dans lesquelles je voudrais recevoir l’aide médicale à mourir, les situations dans lesquelles je ne souhaite pas continuer de vivre ». Je pense qu’il est possible, dans une demande anticipée, de bien l’écrire et de faire honorer sa demande, et l’aide médicale à mourir sera donnée grâce à la demande anticipée.
La sénatrice Wallin : Merci.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je crois que je vais poser ma question à la Dre Stewart.
Je veux commencer par remercier Dr Chaimowitz de sa candeur cet après-midi lorsqu’il a affirmé que la médecine paternaliste a évolué dans le sens des droits de la personne. Je suis un peu étonnée que des psychiatres nous disent aujourd’hui qu’il n’y a pas de données ou de recherches disponibles à propos des souffrances intolérables, qu’on ne sait pas ce que c’est et qu’on doit fonctionner sur la base de données scientifiques. Je suis un peu étonnée parce que, au Québec, depuis 2008 ou 2009, les médecins ont commencé à travailler sur des questions liées à l’aide médicale à mourir, et la question des souffrances intolérables a été évoquée par la Cour suprême en 2016. Je suis donc un peu étonnée qu’on nous dise, cinq ans plus tard, qu’il s’agit d’une nouvelle définition.
Doit-on vraiment attendre que les psychiatres en arrivent à un consensus sur l’importance de faire des recherches sur les souffrances intolérables, par exemple? Il s’agit maintenant d’un critère juridiquement reconnu que de vouloir donner à une personne la possibilité de choisir quand ses souffrances sont devenues intolérables, à quel moment elle ne veut plus recevoir de traitement et quand tout cela doit cesser.
[Traduction]
Dre Stewart : La personne décide ce qui est intolérable. Le problème découle du malaise que ressentent certains psychiatres qui soupçonnent que la maladie mentale puisse influencer cette affirmation. Je serais d’accord là-dessus, et un volet d’une évaluation très exhaustive permettrait d’examiner la question plus en détail. Il est également juste de dire que, certainement, des patients ayant des troubles mentaux éprouvent des souffrances intolérables et que même si on fait des évaluations très exhaustives, il devient très évident que l’évaluateur accepterait les conclusions de cette évaluation.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Entre vous et moi, la médecine paternaliste a quand même bien mal soigné les femmes, notamment parce que celles-ci rapportent souffrir davantage de problèmes de santé mentale. Si je comprends bien ce que vous nous dites, la recherche peut continuer et va continuer de toute façon, mais ce n’est pas une raison pour empêcher les personnes qui ont la capacité de décider, à partir du moment où leurs souffrances sont intolérables, de mettre fin à leur vie. C’est bien cela?
[Traduction]
Dre Stewart : Oui. Vous avez raison. Les femmes souffrent de plus de troubles mentaux que les hommes, particulièrement de dépression et d’anxiété. Deux fois plus pendant la période de procréation.
Je ne crois pas qu’il s’agisse ici de cas bénins. Ces dépressions sont graves, et les personnes touchées peuvent habituellement estimer assez justement leur degré de souffrances, et une partie de l’évaluation serait de déterminer à quel point l’estimation est réaliste.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Cotter : Ma question s’adresse à la Dre Igartua. Nous avons eu et nous avons entendu quelques discussions sur le bien-fondé d’une disposition de temporisation pour gagner un peu de temps sur la question de l’inclusion de la maladie mentale comme seule condition sous-jacente dans le cadre de l’aide médicale à mourir. D’après ce que j’ai compris, une grande partie des discussions qui ont été menées jusqu’à présent visent à favoriser la mise au point d’outils et de protocoles de formation pour aider les psychiatres dans ce travail, dans une mesure encore plus large qu’au Québec. Toutefois, j’ai l’impression que vous ajoutez une autre dimension à la question, à savoir une sorte de filet de sécurité dans le cas de décisions particulièrement difficiles.
Pourriez-vous nous en parler et nous préciser si, selon vous, ce cadre devrait exister à l’échelon national et s’il devrait être mis en œuvre par l’entremise de règlements ou de lois, plutôt que par l’entremise de protocoles établis par des professionnels de la santé? Je vous remercie.
Dre Igartua : Je vous remercie de votre question. Je ne suis pas avocate, et je m’abstiendrai donc de répondre à la question de savoir si cela devrait être mis en œuvre par l’entremise de règlements ou de lignes directrices, car cela ne fait pas partie de mes compétences. Toutefois, j’aimerais préciser que nous sommes formés pour évaluer la capacité, car cela fait partie des compétences exigées par le Collège Royal. Il en va de même pour l’évaluation des idées suicidaires.
Je pense effectivement que les connaissances de base sont déjà présentes, car les systèmes de valeurs entrent en jeu et parce que nous voulons être à l’écoute des valeurs du patient, et non de celles de l’évaluateur, dans le cadre de nos évaluations pour l’aide médicale à mourir.
Le programme de formation a probablement besoin d’améliorations. Comme je l’ai dit, au Québec, nous nous penchons déjà sur la question depuis un an, car le collège de notre province nous a demandé de réfléchir à la question et de cerner les besoins. Nous avons donc déjà beaucoup réfléchi à la formation qui devrait être offerte. Je suis désolée, mais je crois que j’ai manqué une partie de votre question.
Le sénateur Cotter : S’agit-il d’un protocole de plus comme vous le décriviez plus tôt lorsque vous parliez — d’après ce que j’ai compris — de décisions particulièrement difficiles, c’est-à-dire lorsqu’un psychiatre a des doutes sur l’admissibilité d’une personne à l’aide médicale à mourir?
Dre Igartua : En ce qui concerne la surveillance prospective, la réponse est non. La surveillance prospective que nous proposions s’appliquait en fait à tous les cas, car il s’agit de contribuer à uniformiser le processus et à veiller à ce que les évaluations visent tous les éléments qui doivent être examinés, sans laisser des cliniciens ou des patients de côté. Nous pensons en particulier aux régions éloignées. En effet, il pourrait être facile de trouver deux psychiatres prêts à faire des évaluations pour l’aide médicale à mourir au centre-ville de Montréal. Par contre, cela pourrait être plus difficile à Sept-Îles ou à Rouyn-Noranda. L’avantage d’avoir aussi un organisme provincial, c’est que cela permet d’uniformiser l’accès sur l’ensemble du territoire et d’éviter les écarts entre les régions.
Nous sommes d’avis que l’organisme de surveillance prospective représenterait une mesure de protection utile pour veiller à ce que les évaluations soient bien menées et qu’il représenterait aussi une mesure éducative et un outil pour mettre sur pied une communauté de pratique au sein de laquelle les membres pourraient se consulter les uns les autres sur des cas difficiles sur le plan éthique. Ces évaluations sont intenses sur le plan émotionnel et même si nous les menons avec toute la rigueur de notre formation, comme certaines personnes l’ont dit, nous demeurons tout de même des êtres humains. Même si nous sommes convaincus de prendre la bonne décision avec le patient, et non pour le patient, ces décisions peuvent être éprouvantes sur le plan émotionnel. L’idée d’avoir un groupe de pratique dans lequel les gens peuvent se consulter au sujet de leurs idées est également très utile.
Notre mandat consistait à examiner le volet de la maladie mentale dans l’aide médicale à mourir, mais si notre mandat avait été plus large, nous aurions pu suggérer d’appliquer ce type de surveillance prospective à tous les cas liés à l’aide médicale à mourir.
Le sénateur Cotter : Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Keating : Ma question s’adresse à la Dre Stewart.
Docteure Stewart, je m’excuse à l’avance si ma question vous semble trop simple, mais elle n’est pas simple pour moi.
Comme vous le savez probablement, il n’y a aucune définition de la maladie mentale dans ce projet de loi. On en parle de façon très générale. Lorsqu’on a demandé au gouvernement si des maladies comme la maladie d’Alzheimer et d’autres maladies étaient visées par cette définition, ses représentants ont répondu qu’il s’agissait seulement des maladies soignées par un psychiatre. Toutefois, cela n’est pas précisé dans le projet de loi. Ma question est simple pour moi, mais peut-être pas pour vous. Nous avons entendu les deux explications, à savoir que, oui, la définition inclut la maladie d’Alzheimer et que, non, elle ne l’inclut pas. Qu’en pensez-vous?
Dre Stewart : Eh bien, en réalité, ce n’est pas une question facile. Je vous remercie de l’avoir soulevée, car c’est une très bonne question. L’American Psychiatric Association et l’Organisation mondiale de la Santé ont élaboré, chacune de leur côté, une classification des maladies. La classification de l’association américaine, appelée DSM-5, qui découle de la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, inclut toutes les démences dans sa liste, ainsi qu’un certain nombre d’autres troubles neuropsychologiques. La Classification internationale des maladies — ou la CIM-10 — de l’Organisation mondiale de la Santé inclut également les démences. Ces deux classifications sont extrêmement étendues, et elles comprennent toutes les deux l’ensemble des troubles mentaux.
Vous avez posé une très bonne question. Je ne sais pas ce qu’on entend par « maladie mentale » dans le projet de loi. Je présume qu’il s’agit de la même définition que celle de l’Organisation mondiale de la Santé et de l’American Psychiatric Association. Cette classification est largement utilisée au Canada.
La sénatrice Keating : Je vous remercie. Cela répond à ma question et je dois dire que cela ne fait que confirmer mes préoccupations liées à la définition de « maladie mentale ».
Le sénateur Kutcher : J’aimerais remercier les témoins. Je reconnais la plupart d’entre vous, car je vous avais déjà rencontrés dans un autre contexte. Vous représentez un large éventail de points de vue, et vous les représentez avec conviction. Je vous en suis très reconnaissant.
J’ai deux questions. La première s’adresse à la Dre Stewart et à la Dre Perrot, et la deuxième à la Dre Igartua.
Nous avons entendu de nombreux avis sur la relation complexe entre le suicide et l’aide médicale à mourir, mais très peu d’avis sur les répercussions différentes que ces deux événements ont sur les familles. Plus tôt aujourd’hui, M. Gretzky, qui a personnellement vécu les répercussions de la perte d’un être cher à la suite de l’aide médicale à mourir et à la suite d’un suicide, nous a parlé des répercussions très différentes de ces deux événements sur lui et sur sa famille.
Dans votre travail d’évaluatrices pour l’aide médicale à mourir, tenez-vous compte de la possibilité qu’une demande faite dans le cadre de ce programme puisse être en fait un plan de suicide déguisé ou le symptôme d’une maladie mentale? Si c’est le cas, comment procédez-vous à votre évaluation, en gardant cela à l’esprit et en comprenant les répercussions différentes que peuvent avoir ces deux événements sur les familles?
Dre Stewart : Je vous remercie, sénateur Kutcher, car c’est un enjeu très important. C’est un élément qui est manifestement pris en compte dans toutes les évaluations effectuées pour l’aide médicale à mourir. D’ailleurs, cette semaine, j’ai rencontré une femme qui avait visiblement des idées suicidaires et qui demandait l’aide médicale à mourir. Dans le cadre de l’évaluation, je lui ai dit très clairement qu’il s’agissait d’un trouble de santé mentale et que nous devions discuter d’un traitement contre la dépression, car son cas n’était pas admissible à l’aide médicale à mourir. Je l’ai ensuite aiguillée vers le service psychiatrique de mon hôpital. Cela fait partie de chaque évaluation.
J’aimerais ajouter un commentaire. Au cours de mes 50 années de pratique psychiatrique, j’ai reçu de nombreuses lettres de patients et de familles qui me remerciaient de mes soins. Depuis quatre ans, lorsque j’ai commencé à mener des évaluations pour l’aide médicale à mourir, j’ai reçu un nombre astronomique de lettres de remerciements des patients, entre le moment de leur évaluation et celui où ils reçoivent l’aide médicale à mourir, et de leur famille. Je suis étonnée de voir à quel point les patients et les familles sont reconnaissants. Comparez cela avec le genre de lettres que l’on reçoit après le suicide d’un patient. En effet, après le suicide d’une personne, les membres de sa famille sont désemparés, en détresse et dans tous leurs états. Toutefois, après l’aide médicale à mourir, le patient — avant la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir — et les membres de sa famille, par la suite, ressentent une certaine paix. Ils éprouvent certainement du chagrin, cela ne fait aucun doute, mais il s’agit d’une expérience complètement différente. Les familles ont le sentiment d’honorer la demande du patient. Ce dernier est parti en paix, et c’est une expérience très différente d’un suicide.
Dre Perrot : Je vous remercie de votre question, sénateur Kutcher. Je me fais l’écho des paroles de la Dre Stewart, car mon expérience avec les patients et leur famille a certainement été marquée par une énorme gratitude de la part des proches des patients qui ont pu partir en paix.
Je pense que le fait de déterminer s’il s’agit d’un suicide ou d’une demande rationnelle pour l’aide médicale à mourir est une partie très importante de toute évaluation pour l’aide médicale à mourir, et qu’il est donc essentiel d’évaluer la capacité à cet égard. Je ne considère pas une demande effectuée dans le cadre de l’aide médicale à mourir comme étant un geste suicidaire. Toutefois, je pense que nous devons effectuer un changement de paradigme, car maintenant que l’aide médicale à mourir est un droit reconnu par la loi au Canada, des patients décideront de mettre fin à leur propre vie, et une demande d’aide pour mettre fin à sa propre vie doit être considérée comme étant distincte d’un geste suicidaire qui découle d’un trouble psychotique ou délirant ou d’une dépression majeure. Il faudra un certain temps et de la pratique pour faire la distinction entre les deux. Toutefois, les personnes qui mènent ces évaluations doivent faire cette distinction et s’assurer que le patient ne demande pas l’aide médicale à mourir en raison de sa maladie mentale sous-jacente, et réellement évaluer sa capacité de faire une telle demande.
Je pense qu’il y a une grande différence entre le fait de demander l’aide médicale à mourir en raison de souffrances irrémédiables, même lorsqu’elles sont attribuables à une maladie mentale, et le fait de demander l’aide médicale à mourir à cause d’une maladie mentale.
Je ne compte plus le nombre de patients âgés de plus de 80 ans que j’ai évalués et à qui j’ai même fourni l’aide médicale à mourir et qui avaient d’abord tenté de se suicider. Ces personnes ne connaissaient même pas l’existence de l’aide médicale à mourir, et vous serez peut-être surpris d’apprendre que de nombreux Canadiens ne savent pas que le droit de recevoir l’aide médicale à mourir est maintenant reconnu par la loi. Ces patients souffraient de manière si intolérable qu’ils ont tenté de mettre fin à leur vie. Ils se sont retrouvés dans une unité psychiatrique, et d’autres évaluateurs leur ont ensuite refusé l’accès à l’aide médicale à mourir parce qu’ils avaient été admis dans une unité psychiatrique.
Ce sont des personnes qui n’avaient jamais eu d’antécédents de maladie mentale, de dépression ou de tentative de suicide. Elles étaient désespérées et ont essayé de prendre les choses en main. J’ai été stupéfaite par le nombre de personnes très âgées — même des patients de plus de 100 ans — qui m’ont dit que si ce n’était pas permis par la loi, elles auraient dû le faire elles-mêmes. Il s’agit de personnes qui, encore une fois, n’ont jamais tenté de se suicider et n’ont même jamais pensé au suicide auparavant. Je pense qu’il est important de procéder à une évaluation minutieuse de la capacité pour s’assurer que la personne choisit l’aide médicale à mourir de manière rationnelle, mais je pense également que nous devons informer davantage la population canadienne sur l’aide médicale à mourir, afin que les gens n’essaient pas de se faire du mal ou de se suicider parce qu’ils ne savent pas qu’ils peuvent avoir accès à l’aide médicale à mourir.
La sénatrice Batters : J’ai une brève question pour vous, docteur Hurwitz, car j’aimerais vous donner la possibilité de répondre. Vous avez clairement indiqué dans votre déclaration préliminaire d’aujourd’hui que la maladie mentale n’est pas irrémédiable. Docteur Hurwitz, êtes-vous d’accord pour dire que la situation des personnes atteintes d’une maladie mentale qui font partie des 30 % dont l’état s’aggrave n’est pas irrémédiable et que l’état d’un grand nombre d’entre elles peut en fait s’améliorer plus tard? Que pensez-vous du fait que c’est la raison pour laquelle la maladie mentale ne devrait pas être admissible à l’aide médicale à mourir et qu’il est dangereux d’introduire une disposition de temporisation pour permettre son inclusion automatique?
Dr Hurwitz : Je vous remercie de votre question. Encore une fois, le nombre de patients qui nous consultent pour une intervention chirurgicale en raison de leur état irrémédiable — ils ont déjà tout essayé — m’indique que nos traitements sont très efficaces pour traiter la dépression, à condition que les patients admettent qu’ils souffrent d’un trouble psychiatrique et qu’ils acceptent ensuite de recevoir le traitement.
Ce qui me préoccupe dans le projet de loi actuel, c’est que si on élimine les décès non prévisibles et qu’on inclut les souffrances qui ne peuvent pas être soulagées dans des conditions jugées acceptables — ce qui fait partie du projet de loi C-14 —, il se peut que l’on conseille à un patient de recevoir un autre traitement par électrochocs, mais qu’il refuse, car il ne trouve pas ce traitement acceptable et qu’il choisisse plutôt de recevoir l’aide médicale à mourir. En Hollande, 56 % des personnes à qui l’on a proposé l’aide médicale à mourir ont refusé d’autres traitements et ont eu accès à l’aide médicale à mourir. Je suis très inquiet pour la protection de nos patients, car ils pourraient utiliser cette disposition du projet de loi C-14 pour refuser d’autres traitements qui pourraient s’avérer efficaces et recevoir ensuite l’aide médicale à mourir, alors qu’ils auraient dû recevoir d’autres traitements.
La sénatrice Batters : Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie. Honorables sénateurs, c’est ce qui termine notre discussion avec le dernier groupe de témoins. J’aimerais remercier les témoins d’avoir pris le temps de participer à la réunion et de nous avoir aidés à comprendre les enjeux liés à l’aide médicale à mourir. J’aimerais également vous dire que vous nous avez beaucoup aidés en répondant à nos questions sur ces enjeux. Je tiens donc à remercier chaleureusement les témoins.
Honorables sénateurs, certains d’entre vous ont envoyé des commentaires. Si d’autres membres du comité ont des commentaires dans les deux langues, ils peuvent les faire parvenir au greffier.
Je tiens donc à remercier sincèrement les sénateurs et les témoins.
Honorables sénateurs, j’aimerais vous informer que nous avons entendu 130 témoins dans le cadre de l’étude préliminaire et de l’étude sur le projet de loi. J’ose donc affirmer que nous connaissons maintenant bien le sujet et que nous avons fait du bon travail.
Il reste un point à régler avant de passer à l’étude article par article. Comme le savent les sénateurs qui sont des membres de longue date du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, chaque année, ou aussi souvent que nécessaire, nous recevons une version à jour du Code criminel. Vous avez aussi reçu le budget. J’ai demandé à M. Palmer si nous pouvions obtenir un exemplaire numérique, car pour un certain temps, il est peu probable qu’un grand nombre d’entre nous retourne à Ottawa. Il va donc se pencher sur la question. Si vous souhaitez obtenir un exemplaire numérique, veuillez le faire savoir à M. Palmer.
Est-ce que quelqu’un peut proposer le budget, sénateurs? Sénateur Cotter le propose. Le budget est-il acceptable? Y a-t-il des interventions? Je vois que ce n’est pas le cas. Acceptez-vous le budget?
Des voix : Oui.
La présidente : Parfait. Autrement, M. Palmer me dira que non, la permission n’a pas été obtenue.
Sénateurs, je sais que vous connaissez tous le processus, mais puisqu’il s’agit d’une réunion virtuelle, j’aimerais vous rappeler un certain nombre de choses avant que nous commencions. Si, à un moment donné vous ne savez pas exactement où nous en sommes dans le processus, veuillez demander des éclaircissements.
Il a été proposé que nous suivions le même protocole qui a été suivi pour le projet de loi C-14 et que les amendements au projet de loi C-7 soient proposés à l’étape de la troisième lecture. Cela vous convient-il, sénateurs?
Des voix : Oui.
La présidente : Merci. Je veux seulement rappeler un détail. Si vous vous opposez à un article tout entier, souvenez-vous qu’en comité, le processus normal ne consiste pas à proposer une motion pour supprimer l’article au complet, mais plutôt à voter contre l’article dans le projet de loi. Par exemple, nous pourrions — seulement à ce comité et dans le cadre des séances virtuelles — adopter un article avec dissidence. Les sénateurs peuvent dire « avec dissidence » lorsque je demande si un article est adopté, en raison de tous les défis que nous pose le vote virtuel. Vous savez que je ferai tout mon possible pour donner la chance à tout le monde d’intervenir, mais si pour une raison quelconque, je vous oublie, veuillez... Personne d’entre vous n’est hésitant à cet égard. Je vais en rester là.
Enfin, je tiens à rappeler aux sénateurs que si le moindre doute persiste après un vote par oui ou non, le processus le plus efficace consiste à demander un vote par appel nominal. Les sénateurs doivent savoir que toute égalité des voix annule la motion. Comme le veut la coutume, à ce moment-ci, nous accueillons également des fonctionnaires du ministère de la Justice. Elles représentent toutes les trois la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère. Il s’agit de Me Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale; de Me Joanne Klineberg, avocate générale par intérim; et de Me Caroline Quesnel, avocate.
M. Palmer : Sénatrice Jaffer, le sénateur Plett aimerait soulever un point lorsque vous aurez un moment.
La présidente : Certainement. Puis-je terminer? Nous accueillons également des représentantes de Santé Canada : Mme Abby Hoffman, conseillère principale en politique au sous-ministre; Mme Jacquie Lemaire, conseillère principale en politiques à la Direction générale de la politique stratégique; et Mme Karen Kusch, conseillère principale en politiques à la Direction générale de la politique stratégique.
Le sénateur Plett : Tout d’abord, je ne désapprouve rien de ce que vous avez dit. Si possible, j’aimerais seulement soulever deux ou trois points avant que nous commencions.
Je n’ai jamais été très friand d’un processus consistant à entendre des témoins le matin ou durant la journée et à passer à l’étude article par article immédiatement après. Je crois que cela donne toujours l’impression que nous n’accordons pas assez d’importance aux témoignages. On nous l’a même dit aujourd’hui. Après que nous avons entendu des témoignages éloquents ce matin, l’une des personnes qui a livré un tel témoignage a dit qu’elle craignait vraiment que son témoignage ne reçoive pas toute l’attention qu’il mérite dans le cadre de l’étude article par article.
Cependant, cela dit, nous connaissons le processus. Comme vous l’avez dit, nous pouvons en débattre en profondeur à l’étape de la troisième lecture, et nous pourrons proposer des amendements à cette étape, de sorte que je veux appuyer ce que vous avez proposé.
Toutefois, madame la présidente, puisque je ne pense pas que ce soit un secret, j’aimerais dire que je suis fondamentalement opposé à l’ensemble du projet de loi. C’est le cas d’autres sénateurs également. J’aimerais donc simplement, d’entrée de jeu, dire officiellement que, plutôt que d’en faire une question à chaque article — et il y a peut-être des sénateurs qui veulent proposer des amendements ou voter contre des articles, et c’est bien; je ne veux pas prétendre qu’il n’y a que moi —, j’aimerais que la mention « avec dissidence » soit incluse chaque fois. À la fin, je ferai d’autres remarques en troisième lecture.
Cependant, je ne veux pas interrompre la procédure; je veux que nous avancions. Je veux donc seulement m’assurer que le greffier sait que quelques-uns d’entre nous — je ne suis pas le seul, mais je ne nommerai personne — souhaiteraient que la mention « avec dissidence » soit incluse pour chaque article.
La présidente : Sénateur Plett, vous rendez mon travail un peu plus facile, et je vous en remercie.
Est-ce que quelqu’un d’autre veut faire savoir maintenant qu’il souhaite la même chose ou autre chose?
La sénatrice Batters : Oui. Merci beaucoup. Je veux dire à peu près la même chose que le sénateur Plett. Je voulais également indiquer que ce n’est pas parce que je ne vais pas présenter des amendements au cours de la réunion d’aujourd’hui que je ne le ferai pas à l’étape de la troisième lecture. À mon avis, c’est le meilleur moment parce que cela nous donne la possibilité de réfléchir convenablement aux témoignages très éloquents que nous avons entendus au cours des trois derniers jours et depuis novembre. Cela permettrait également à tous les sénateurs du Sénat de participer à ce débat très important, de même qu’aux discussions sur les amendements, et de s’exprimer à leur égard.
Or, je veux certainement que les témoins sachent qu’ils ont été entendus, et que ce n’est pas parce qu’aucun amendement ne sera proposé ou que peu d’amendements seront proposés aujourd’hui qu’il n’y en aura aucun au bout du compte. Merci.
La présidente : Quelqu’un d’autre veut intervenir à ce sujet?
Le sénateur Gold : Merci beaucoup. Au nom du gouvernement, je tiens à vous remercier, madame la présidente, et je remercie également les membres du comité de direction et tous les membres du comité, de même que tous les sénateurs qui ont participé aux délibérations. Vous avez très bien mis en lumière toutes les questions liées à ce sujet complexe et important. Je lève mon chapeau à vous tous et je vous remercie de votre bon travail.
J’attends avec impatience le débat qui aura lieu à la chambre. Je suis sûr qu’il en est de même pour tous les Canadiens. Merci beaucoup.
La présidente : Merci, sénateur Gold.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je voulais dire, avant que l’on procède à l’étude article par article, qu’on nous a dit que les amendements devraient être déposés à l’étape de la troisième lecture. C’est ce qui nous amène à ne pas présenter d’amendements ici aujourd’hui.
[Traduction]
La présidente : Merci. Quelqu’un d’autre veut s’exprimer là-dessus? Puisque je ne vois aucune main levée, me donnez-vous la permission d’aller de l’avant? D’accord.
Est-il convenu que le comité entreprenne l’étude article par article du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)?
[Français]
Consentez-vous à suspendre l’adoption du titre?
Des voix : D’accord.
[Traduction]
La présidente : L’étude du préambule est-elle réservée?
Des voix : Oui.
Des voix : Avec dissidence.
La présidente : L’article 1 est-il adopté?
Des voix : Oui.
Des voix : Avec dissidence.
Le sénateur Plett : Madame la présidente, s’il vous plaît, je pense que vous devriez dire, chaque fois, « avec dissidence ». Je ne veux pas vous interrompre.
La présidente : Je vais le faire, sénateur Plett. Je vous remercie de me le rappeler.
L’article 2 est-il adopté, avec dissidence?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 3 est-il adopté, avec dissidence?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 4 est-il adopté, avec dissidence?
Des voix : Oui.
La présidente : Le préambule est-il adopté?
Des voix : Oui.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
La présidente : Le titre est-il adopté?
Des voix : Oui.
Des voix : Avec dissidence.
La présidente : Le projet de loi est-il adopté, avec dissidence?
Des voix : Oui.
La présidente : Sénateurs, le légiste et conseiller parlementaire est-il autorisé à apporter les modifications ou corrections techniques, numériques et typographiques nécessaires aux amendements adoptés par le comité?
M. Palmer : Sénatrice, il n’est pas nécessaire de poser cette question puisqu’il n’y a aucun amendement.
La présidente : Bien sûr. Je suis désolée. D’accord.
Dernière chose : Le comité souhaite-t-il que des observations soient annexées au rapport?
Des voix : Non.
Des voix : Oui.
La présidente : Sénateurs, c’est à vous de décider. Certains disent ne pas vouloir que des observations soient annexées, et d’autres disent le contraire. Que souhaitez-vous que je fasse?
Le sénateur Plett : Vous allez devoir mettre la question aux voix.
La présidente : D’accord.
M. Palmer : Pour que les choses soient claires, je vais poser la question. Devons-nous annexer des observations au rapport?
L’honorable sénatrice Jaffer?
La sénatrice Jaffer : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Boniface?
La sénatrice Boniface : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Boyer?
La sénatrice Boyer : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Carignan?
Le sénateur Carignan : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Cotter?
Le sénateur Cotter : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Gold?
Le sénateur Gold : Je m’abstiens.
M. Palmer : L’honorable sénateur Harder?
Le sénateur Harder : Non.
M. Palmer : L’honorable sénatrice Keating?
La sénatrice Keating : Oui.
M. Palmer : L’honorable sénateur Plett?
Le sénateur Plett : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur Tannas?
Le sénateur Tannas : Non.
M. Palmer : L’honorable sénateur White?
Le sénateur White : Oui.
M. Palmer : Nous avons donc huit « oui »; cinq « non »; et une abstention.
La présidente : Sénateurs, nous allons discuter des observations. Je propose que nous prenions 10 minutes pour les examiner, parce que certaines d’entre elles viennent d’arriver. Prenons donc 10 minutes pour les examiner, de sorte que le processus soit plus rapide. Les sénateurs acceptent-ils de suspendre la séance pendant 10 minutes?
Le sénateur Plett : Madame la présidente, n’avez-vous pas dit, hier, que pour que les observations soient prises en compte, il fallait qu’elles soient soumises hier soir?
La présidente : Oui.
Le sénateur Plett : Nous les avons reçues il y a 15 minutes, et ce sont de longues observations. C’est simplement qu’il est très inhabituel que nous discutions de certaines de ces observations, que j’ai essayé de survoler, et vous avez clairement dit qu’elles devaient être soumises hier soir.
La présidente : Je l’ai fait, sénateur Plett. Toutefois, de nombreuses observations sont arrivées plus tard. C’est donc à vous de décider ce que nous devons faire. Cela n’a pas fait l’objet d’un vote ou quoi que ce soit. Ce n’était qu’une suggestion de ma part. Ce n’est pas parce que je l’ai suggéré que cela signifie que nous nous sommes entendus là-dessus.
La sénatrice Wallin : J’ai participé à une séance hier et j’ai participé officiellement à une séance aujourd’hui. À la fin de la dernière séance, j’ai cru comprendre que les observations pourraient encore être prises en compte à ce moment-là. Je n’ai pas entendu, lors de la séance à laquelle j’ai participé hier, ce à quoi le sénateur fait référence. C’était donc maintenant la première occasion que j’avais d’envoyer une observation.
La présidente : Voulez-vous que nous tenions un autre vote par appel nominal, ou allons-nous accepter les observations?
Le sénateur Plett : Non, je ne demande pas un autre vote par appel nominal. C’est correct. Je pense seulement qu’il est très inhabituel que nous discutions d’observations avec une période de temps aussi courte. Bon nombre d’entre elles, à mon avis, sont des opinions, et je ne veux vraiment pas que nous tenions un débat sur des opinions différentes. J’appuie sans réserve certaines des observations. Or, encore une fois, c’est mon opinion. Je ne suis pas sûr de la valeur de certaines des déclarations que j’ai lues très rapidement dans ces observations, mais il est clair que cela a été accepté. C’est correct. Que vous ayez demandé un vote ou non hier, c’est vous la présidente. Vous dirigez ce comité, et lorsque vous déclarez que les observations doivent être envoyées... Que la sénatrice Wallin l’ait entendu ou non, cela n’a pas d’importance. Vous l’avez dit, mais je ne demande pas de vote par appel nominal. Je vais simplement faire marche arrière.
La présidente : Merci, sénateur Plett. Sénateurs, pouvons-nous discuter des observations à huis clos? Est-il convenu que nous poursuivions la séance à huis clos pour discuter des observations?
Des voix : Oui.
La présidente : D’accord. Je vais suspendre la séance pendant 10 minutes pour que tout le monde puisse examiner les observations. Sénateurs, si vous me le permettez, j’aimerais vous dire respectueusement que, dans le passé, nous ne contestions pas des choses dans les observations. Il s’agissait normalement, dans l’ensemble — pas toujours, mais normalement —, de brèves observations concernant des faits ou des choses que nous avions entendues, mais pas de longues observations.
Je vous demande donc respectueusement que, durant les 10 minutes qui suivent, vous examiniez les observations et que vous nous disiez si vous souhaitez toujours les inclure. Nous allons prendre 10 minutes.
M. Palmer : Avant que nous suspendions la séance, puisque nous reprendrons à huis clos, je sais qu’il y a des membres du personnel qui écoutent la séance sur ParlVu; nous allons poursuivre la séance à huis clos et le personnel sera autorisé à participer à la réunion sur Zoom, conformément à la motion du comité.
La présidente : Oui, merci. À quelle heure serons-nous de retour, monsieur Palmer?
M. Palmer : Il est présentement 16 h 25. Nous serons donc de retour à 16 h 35, heure de l’Est.
La présidente : Merci.
(La séance se poursuit à huis clos.)